Palestine n°54

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TRIMESTRIEL N°54 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2012 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 palestine BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624 SOMMAIRE DOSSIER boycott etcetera… > 3 – 10 Le portrait du mois > 11 Gaza : instantanés > 12 Tribunal Russell > 14 – 19 Camps de réfugiés palestiniens en Jordanie > 20 Quatre ans après le massacre de l’Opération Plomb durci, alors que la population de Gaza est encore et toujours soumise à un blocus illégal, Israël lance l’Opération Pilier de Défense. Depuis le début des attaques aériennes, les victimes civiles palestiniennes se multiplient. Et rien n’est fait ni par l’Union européenne, ni par les Etats-Unis pour y mettre un terme. Pire, la communauté internationale, tout comme les médias, ne semble se soucier que de la sécurité des Israéliens mis en danger par les roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Plus que jamais, la mobilisation de la société civile, votre mobilisation, est essentielle © Anne Paq / Activestills

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Bulletin trimestriel de l'Association Belgo-Palestinienne - octobre-novembre-décembre 2012

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TRIMESTRIEL N°54 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2012 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

palestineBULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL

Belgique/BelgiëP.P.

Bruxelles X1/1624

SOMMAIREDOSSIER boycott etcetera… > 3 – 10Le portrait du mois > 11Gaza : instantanés > 12Tribunal Russell > 14 – 19Camps de réfugiés palestiniens en Jordanie > 20

Quatre ans après le massacre de l’Opération Plomb durci, alors que la population de Gaza est encore et toujours soumise à un blocus illégal, Israël lance l’Opération Pilier de Défense. Depuis le début

des attaques aériennes, les victimes civiles palestiniennes se multiplient. Et rien n’est fait ni par l’Union européenne, ni par les Etats-Unis pour y mettre un terme. Pire, la communauté internationale, tout comme les médias,

ne semble se soucier que de la sécurité des Israéliens mis en danger par les roquettes tirées depuis la bande de Gaza.

Plus que jamais, la mobilisation de la société civile, votre mobilisation, est essentielle

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Si l’on observe la somme des violations du droit international ethumanitaire commis par les gouvernements successifs d’Israël,tout donne à croire que cet État se considère au-dessus ou endehors de la loi.

Le Tribunal Russell sur la Palestine, au cours de ses quatre sessions à Barcelone, Londres, Cape Town et New York a nonseulement précisé quelles étaient ces violations commises à l’encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza mais aussià l’encontre des Palestiniens d’Israël et des réfugiés.

Il a également qualifié ces violations de crimes contre l’humanité,crimes de guerre, crimes d’apartheid et crimes de persécution. Enoutre, il s’est attaché à analyser les complicités des États-Unis, del’Union européenne et des sociétés multinationales qui, du fait deleurs relations économiques et commerciales avec Israël, se ren-dent objectivement complices de ces crimes. Il a enfin soulignéles complicités et manquements graves des Nations Unies qui selaissent dicter la loi par le Conseil de sécurité sur lequel pleuventles vétos des Américains pour protéger leur allié israélien.

Aujourd’hui, malgré le rapport des Nations Unies faisant suite àl’opération «Cast Lead», malgré les conséquences criminellesde la construction des murs en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem,tant Monsieur Obama que l’UE viennent encore d’apporter unsoutien des plus douteux au gouvernement israélien le plus réactionnaire de l’histoire d’Israël.

Obama a accepté d’engager les USA dans une importante manœu-vre militaire conjointe avec Israël. S’agissait-il pour lui de courtiserl’électorat juif américain, à la veille des présidentielles américaines?Ou, en tant que principal fournisseur d’armes et d’équipements militaires à Israël, de tester et d’exercer son pupille dans sa capacitéà utiliser cet arsenal? Reste à se demander contre qui…

Quant à l’Union européenne, le vote fin octobre par le Parlementeuropéen du protocole ACAA avec Israël constitue un revirementhonteux après sa décision antérieure de refuser tout rehausse-

ment des relations économique et commerciales avec Israël à lasuite de l’opération «Cast Lead» et du blocus inhumain imposépar Israël aux populations de Gaza.

Début novembre, Madame Clinton, en route pour Israël, a prisdans ses valises Madame la Haute Représentante de l’Unionpour les Affaires étrangères, Catherine Ashton. On ne peut êtreplus clair sur les allégeances européennes à la politique Étasu-nienne dans la région.

Devant de telles complicités manifestes, de plus en plus de voixs’élèvent pour appeler les Américains et les Européens à se mobiliser pour dénoncer ces politiques de complicité des Étatsoccidentaux avec Israël. La campagne BDS constitue un front auquel toutes les composantes des organisations, associationset institutions civiles sont appelées à s’associer pour faire barrage à l’aveuglement criminel de ces complices d’Israël dansl’occupation de la Palestine, dans la violation de toutes les règlesdu droit international à l’égard des populations palestiniennes etdans le sociocide méthodiquement organisé par Israël à l’égardde ce peuple martyr.

palestine no 54Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche,

Nadia Farkh, Pierre Galand, Katarzyna Lemanska, Julien Masri,Christiane Schomblond, Gabrielle Lefèvre,

Hocine Ouazraf, Nathalie Janne d’Othée.Association belgo-palestnienne / Wallonie-Bruxelles asbl

Siège social rue Stévin, 115 à 1000 BruxellesSecrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles

tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / [email protected]

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palestine 03 DOSSIER BOYCOTT

LE DROIT À L’EXISTENCE D’ISRAËL NE LUI

donne pas tous les droits !par Pierre Galand, Président

palestine 02 ÉDITO

Alors que la question de l’étiquetage des produits des colonies gagne en crédibilité dansles sphères européennes, ce dossier entend parcourir les différentes formes d’action

entreprises face à la colonisation et l’occupation israélienne. L’étiquetage des produits des colonies constitue une forme d’action que certains considèrent insuffisante puisqu’elle laisse entrer

des produits issus de territoires occupés sur nos marchés. Mais l’étiquetage a déjà donné des résultatsmalgré cela (p.6). L’interdiction des produits des colonies est plus cohérente avec le droit international,comme l’explique François Dubuisson (p.7). L’Association Belgo-palestinienne lance quant à elle une nouvellecampagne de boycott ciblant Mehadrin, une compagnie israélienne d’exportation de fruits et légumes impliquée dans l’occupation israélienne des territoires palestiniens (p. 4-5). Cette campagne s’inscrit dans le mouvement plus large pour le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions qui s’inspire des méthodesde luttes contre l’apartheid sud-africain (p. 8-9).

DOSSIER

BoycottETCETERA…

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Mehadrin, Mehadrin, Mehadrin… il faut que ce nom s’imprime dans les esprits.Après la faillite – mais non la disparition – de l’exportateur israélien

Carmel-Agrexco, Mehadrin a déboulé en force sur nos marchés. Afin d’informer les consommateurs sur le profil de cette entreprise israélienne

et d’alimenter leur vigilance à son égard, la prochaine campagne del’Association belgo-palestinienne ciblera Mehadrin.

Impliquée dans la construction du Mur Le groupe Mehadrin est également impliqué dans la construction du Mur. En effet, l’actionnaire majoritaire du groupe, IDB Group, possède une filiale, Nesher Israel Cement Enterprises, qui participeà la construction du Mur.

Les oranges JaffaMehadrin est le premier exportateur d’oranges Jaffa. Antérieurementcultivées par les Arabes de Palestine, les oranges de Jaffa sont devenues, grâce à une intense campagne publicitaire menée dans lemonde entier, un symbole national israélien. Pour les Palestiniens,cela représente, en plus du vol de la terre, un déni de leur histoire etune opération de rapt de leur culture.

Petit bout d’histoire… Lorsque les orangeraies palestiniennes furentconfisquées et attribuées aux colons juifs, ces nouveaux « Israéliens»n’avaient pas le savoir-faire nécessaire à leur entretien. Ils ont doncfait appel à une main-d’œuvre palestinienne qui sera parfois compo-sée de ceux à qui la terre a été volée ! (cf. La mécanique de l’orange,un film documentaire d’Eyal Sivan, 2009)Au vu des différents liens de Mehadrin avec le système d’occupationisraélien, on comprend combien celui-ci fait partie intrinsèque de la société et de l’économie israéliennes. Ce qui justifie amplementl’appel au boycott total des produits israéliens.

UN GROUPE PRÉSENT EN EUROPEPlusieurs filiales du groupe Mehadrin, et plus précisément de Meha-drin Tnuport Export (MTEX) sont présentes en Europe : MehadrinFrance, Mehadrin Scandinavia, Mehadrin UK, Mehadrin Holland. LaBelgique est desservie par la filiale hollandaise de Mehadrin, établie

en 1997. Située à Barendrecht, près de Rotterdam, elle opère via lesports de Rotterdam, d’Anvers, de Bremen, d’Hambourg et de Koperen Slovénie.

Suivant le calendrier saisonnier diffusé sur le site de Mehadrin, ce sontprincipalement des agrumes qui arrivent sur nos étals de septembreà février, des pommes de terre de janvier à juillet. L’exportation dedattes Mejdoul s’étale quant à elle sur toute l’année. La plupart dessupermarchés et des marchés belges commercialisent des produitsMehadrin, même si le nom de la marque n’est pas toujours apparent.

OSEZ LE BOYCOTT DE MEHADRINLe 25 octobre dernier, Richard Falk, Rapporteur spécial des Nations Uniessur la situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés a appelé l’Assemblée générale et la société civile à prendre des initiatives contre les entreprises qui profitent de l’occupation. Parmicelles-ci, le Rapporteur spécial a cité le groupe israélien Mehadrin.

Afin d’informer les citoyens et les consommateurs sur les activités illégales et en lien avec l’occupation de Mehadrin, l’Association belgo-palestinienne répond à l’appel de Richard Falk et mènera cette annéecampagne pour le boycott des produits Mehadrin. Ce sera l’occasionde mettre l’accent sur la situation dramatique des Palestiniens de laVallée du Jourdain, partie de la Cisjordanie où Mehadrin s’est implantéeet où l’entreprise profite illégalement de la terre, de l’eau et d’une main-d’œuvre palestinienne bon marché et honteusement exploitée.

Si participer aux activités de sensibilisation de cette campagne vousintéresse, n’hésitez pas à nous contacter ([email protected]).

palestine 04 DOSSIER BOYCOTT

ATTENTION ! CARMEL-AGREXCO N’A PAS DISPARU! Rachetée en octobre 2011 par Gidéon Bickel, la compagnie Carmel-Agrexco a repris ses activités sous une nouvelle forme, plus adaptée au marché actuel. L’homme d’affaires a dit vouloir relever le défi de relancer la marque, en tirant avantage de sa renommée internationale, et il en a les moyens. Depuis janvier 2012, l’entreprise exporte à nouveau vers le marché européen.

MehadrinUNE ENTREPRISE QUI PROFITE DEL’OCCUPATION par Nathalie Janne d’Othée

pellier III) et membre de la coordination nationale française CCIPPP, cechangement cosmétique est dû à la campagne de boycott à laquelleMehadrin a été confronté dès son arrivée sur le marché européen.

Auparavant, l’entreprise reconnaissait également ouvertement qu’elleexportait des dattes Mejdoul provenant de la Vallée du Jourdain. Elle nele fait plus; cependant, encore aujourd’hui, de nombreuses sourcesattestent de la présence de Mehadrin dans la Vallée du Jourdain.

Surexploitation des ressources en eau et assèchement des terresLe groupe Mehadrin possède une série de puits de forage, dont 16proviennent de l’aquifère côtier, 4 de l’aquifère de la montagne.

L’aquifère de la montagne est en grande partie situé en Cisjordanieet est considéré comme une ressource devant être partagée entreIsraéliens et Palestiniens. Le rapport publié sur le sujet par AmnestyInternational en 2009 a pourtant montré l’inégalité criante du partagedes ressources hydrauliques. Les Palestiniens n’ont en effet un accèsdirect qu’à 20% de l’eau issue de l’aquifère de la montagne, tout lereste étant exploité par les Israéliens. Les Palestiniens se voient dèslors contraints d’acheter de l’eau à la compagnie israélienne deseaux, Mekorot, à un prix souvent supérieur à celui que paient les colons qui les encerclent.

Or Mehadrin revend une partie de l’eau tirée de ses puits à l’entre-prise israélienne de distribution d’eau Mekorot. Selon le rapport annuel 2011 du groupe Mehadrin, les projets et investissements dela compagnie dans le secteur de l’eau sont subsidiés par l’État à raison de 60 à 100%.

Par ailleurs, Mehadrin développe une agriculture inadaptée à la naturedu terroir de la région. Ainsi, sa contribution à la culture des dattes dansla Vallée du Jourdain concourt à la culture extensive du palmier dattierqui assèche dangereusement une terre autrefois des plus fertiles.

PREMIER BÉNÉFICIAIRE DE LA FAILLITE D’AGREXCO Exportateur national de fruits et légumes depuis la création d’Israël,Agrexco bénéficiait à l’origine d’un statut de monopole imposé parl’Etat. A la fin des années 90, le secteur est ouvert à la concurrenceet des permis d’exporter sont accordés à 75 autres compagnies. Malgré ce changement, aucune transformation n’est opérée dans lastructure d’Agrexco, pourtant beaucoup trop lourde en coûts humainset opérationnels. Ce manque de réactivité, couplé à des campagnesde boycott de plus en plus efficaces en Europe et ailleurs, finit par entrainer la faillite de l’entreprise, prononcée le 30 août 2011 parle tribunal de Tel Aviv.

Avant même la faillite d’Agrexco, Mehadrin avait déjà pris le dessus surson concurrent. Avec quelques dizaines d’employés seulement et doncdes coûts de fonctionnement moindres, Mehadrin exportait déjà la moitié du volume exporté par Agrexco. Depuis la faillite du géant ex-portateur, Mehadrin a en partie pris sa place sur le marché européenet est également devenu le principal exportateur des oranges Jaffa.

Via ses différentes filiales, il exporte des agrumes (oranges, citrons,pamplemousses, pomelos, etc.), des pommes de terre, des avocats,des kakis, des mangues, des raisins, des dattes, des lychees, desgrenades, mais aussi des carottes, des poivrons et des tomates. Outre l’exportation, le groupe Mehadrin exerce ses activités dans divers domaines relatifs à l’agriculture : culture, emballage, réfrigéra-tion, distribution d’eau et gestion de patrimoine immobilier. Il procureégalement des revenus aux producteurs et coopératives agricolesqui exportent leurs produits par son intermédiaire.

UNE ENTREPRISE QUI PROFITE DE L’OCCUPATIONPrésente dans les territoires occupésL’ancien site web de Mehadrin mentionnait que la compagnie possé-dait au moins quatre vergers en Cisjordanie. Mais après la faillited’Agrexco, il semble avoir fait peau neuve et a effacé la trace de cesvergers. Selon José-Louis Moraguès, maître de conférences (Mont-

Publicité israélienne pour les oranges de Jaffa

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Depuis quelques mois, le débat sur un étiquetage des produits des

colonies a pris un nouveau tournant. Deuxpays, l’Afrique du Sud et le Danemark, obligent

désormais les commerçants à étiqueter les produitsisraéliens provenant des colonies comme tels.

La démarche de l’UE n’est donc pas mauvaise en soi mais ellemanque à la fois de courage et de réalisme politiques.

D’autres arguments sont avancés pour défendre un étiquetage spé-cifique. Ainsi, Gidéon Levy tente de convaincre l’opinion publique israélienne en soulignant par exemple que la distinction entre produits des colonies et produits israéliens provenant de l’intérieurdes frontières de 1967 permettra aussi bien aux détracteurs qu’auxdéfenseurs de l’entreprise coloniale israélienne de consommer selonleurs convictions politiques là-dessus. Il avance en outre que, tantqu’aucune distinction n’est faite entre produits israéliens et produitsdes colonies israéliennes, un boycott généralisé de tous les produitsisraéliens sera justifié (voir Palestine n°53, septembre 2012).

Par ailleurs, il faut reconnaitre qu’un étiquetage des produits des colonies peut avoir des retombées positives comme on a pu leconstater dans certaines grandes surfaces européennes. Plutôt quede mettre dans les rayons des produits étiquetés « produit dans une colonie », les supermarchés Coop en Grande-Bretagne ou Migros en Suisse ont préféré tout simplement s’en passer.

Peut-on dès lors penser qu’un étiquetage spécifique représente uneavancée, même s’il ne répond pas entièrement à nos attentes ? Auvu des arguments invoqués et des retombées positives, on aurait tendance à répondre par l’affirmative. Néanmoins, accepter sur nosmarchés des produits en provenance des colonies, même dûmentétiquetés comme tels, n’est pas acceptable. Les produits des colo-nies proviennent en effet, selon le droit international, de territoires illégalement occupés. Ce sont donc des produits fabriqués sur des terres volées à leurs habitants palestiniens et fabriqués par desouvriers palestiniens honteusement sous-payés .

Pour terminer, notons que la position de l’Association belgo-palesti-nienne sur le boycott va plus loin. Selon nous, en effet, le boycott estplus qu’un simple refus du consommateur d’être complice de la colo-nisation israélienne. Au-delà de la colonisation, c’est l’ensemble dusystème israélien d’occupation contre lequel nous luttons. Nous prô-nons le boycott de tous les produits israéliens parce qu’en l’absencede sanctions politiques de la part de nos gouvernements, le boycott estselon nous un moyen de pression pacifique qui reste à la dispositiondes citoyens et qui a déjà fait les preuves de son efficacité ailleurs.

À l’initiative du Danemark et de certaines grandes ONG comme Crisis Action, l’UE semble s’engager sur la même voie. Par ailleurs, denombreuses voix israéliennes se sont exprimées en faveur d’un étiquetage clair qui ne trompe plus le consommateur. Mais en quoi un étiquetage distinctif est-il réellement efficace? Quelle est la posi-tion de l’Association belgo-palestinienne sur le sujet ?

Depuis peu, la question d’un étiquetage des produits en provenancedes colonies israéliennes progresse. Après l’Afrique du Sud et le Danemark, la France, la Grande-Bretagne et la Commission euro-péenne poussent l’UE à s’engager dans la même voie. Les Étatsmembres de l’UE restent néanmoins réservés sur les arguments quijustifieraient un étiquetage de ces produits. Ce faisant, il ne s’agiraiten aucune manière de sanctionner Israël mais seulement d’appliquerpleinement les accords de libre échange conclus avec Israël – quin’incluent pas les colonies – voire d’alléger la charge de travailreposant sur les services de douane des États membres de l’UE.

Pour l’instant, la vérification de la provenance des produits – vial’examen du code postal – repose sur les douanes des États mem-bres, ce qui impose à celles-ci un travail administratif important.La demande d’ONG comme Crisis Action est aujourd’hui de

revoir l’Arrangement technique (AT) avec Israël, de manière à lecontraindre à appliquer lui-même un étiquetage distinctif des produits issus des colonies.

Les arguments invoqués en faveur d’un étiquetage distinctif ne correspondent pas à ce que défend l’Association belgo-palesti-nienne. En effet, il est selon nous nécessaire qu’Israël perçoive unetelle initiative comme une sanction de sa politique d’occupation, dontla colonisation n’est qu’une composante, et non comme le simplerespect par l’UE de sa propre réglementation! D’autre part, la réformedu système proposée par Crisis Action implique de faire confiance àIsraël pour un étiquetage correct. Il apparaît pourtant peu probablequ’Israël soit susceptible d’étiqueter des produits comme provenantd’une « colonie » puisqu’il accorde à ses colonies, illégales selon ledroit international, le même statut qu’aux autres municipalités situéessur son territoire, à l’intérieur de la Ligne Verte.

palestine 06 DOSSIER BOYCOTT palestine 07 DOSSIER BOYCOTT

Pour l’étiquetage

des produits DES COLONIES ISRAÉLIENNES?par Nathalie Janne d’Othée

La question du commerce des produits fabriqués dans les coloniesinstallées par Israël en Territoire palestinien occupé (en Cisjordanieou à Jérusalem-Est) fait l’objet d’un débat de plus en plus intense, notamment au sein de l’UE.

créé par la politique de colonisation d’Israël. Un rapport récemmentpublié par un ensemble de 22 ONG montre la réalité de ces impor-tations, par les États de l’UE, de marchandises en provenance desimplantations établies au sein du Territoire palestinien occupé (« LaPaix au Rabais : comment l’Union européenne renforce les coloniesisraéliennes, 30 octobre 2012). Le respect de leurs obligations internationales impliquerait que les États cessent immédiatementcette forme d’assistance au maintien des colonies et adoptent unepolitique d’interdiction des produits qui en sont originaires.

Plusieurs États européens, dont la Belgique ou le Royaume Uni, ontfait savoir qu’ils étaient favorables à une « labellisation » des produitsdes colonies, permettant aux consommateurs de les identifier commetels, mais qu’ils récusaient toute possibilité d’interdiction. Une telledécision ne répondrait en rien aux obligations internationales décritesplus haut et serait au contraire de nature à mettre en lumière les défaillances des États concernant le respect de celles-ci. En effet, laseule exigence d’une indication exacte de l’origine des produits revient à considérer la question de la commercialisation des produitsdes colonies comme ne posant qu’un problème d’information duconsommateur. Dans cette logique, une fois ce problème résolu parun étiquetage adéquat, le commerce de ces produits devrait alorsêtre jugé comme parfaitement licite, le choix final revenant auconsommateur désormais parfaitement éclairé. En réalité, le fait pourles États d’admettre que des produits des colonies, identifiables auterme d’un système adéquat, puissent être librement commercialisés,aboutit en fait à reconnaître l’aide fournie à l’économie des colonies etdonc à admettre l’existence dans leur chef d’une violation du droit in-ternational. À cet égard, il est problématique que des ONG de défensedes droits des Palestiniens plaident pour une politique de labellisation,dans la mesure où une telle politique aboutirait à accepter le principede la libre circulation des produits en provenance des colonies.

Plusieurs États membres seraient favorables à un étiquetage desmarchandises issues des colonies, permettant aux consommateursd’en identifier l’origine spécifique. Pourtant, il existe de nombreux arguments juridiques permettant d’établir une obligation pour lesÉtats d’adopter une politique d’interdiction pure et simple du com-merce des produits des colonies.

Comme on le sait, les colonies de peuplement sont installées par Israël en Territoire palestinien occupé en violation de l’article 49 de la4e Convention de Genève et du droit du peuple palestinien à l’auto-détermination. L’accaparement de terres et de ressources naturellespalestiniennes au profit de ces colonies et de leur économie entraînentencore d’autres violations du droit international. L’existence de ces «violations graves de normes fondamentales du droit international »engendre pour les États tiers certaines obligations visant à ce qu’il soit mis fin à la situation illégale créée par de telles violations.Les États doivent « coopérer » pour mettre fin à ces violations et ontl’obligation de ne pas « prêter aide ou assistance au maintien » de la situation illégale. À cela, s’ajoute l’obligation des États de « fairerespecter » les dispositions de la 4e Convention de Genève. Toutesces obligations à charge des États tiers avaient été déjà énoncéespar la Cour internationale de Justice dans son avis du 9 juillet 2004,concernant la situation illégale créée par la construction du Mur.

Le développement économique des colonies, comme centres deproduction, de transformation ou d’emballage de produits, participeindéniablement à leur maintien et leur expansion. Et l’exportation deces produits est à cet égard un débouché essentiel. En admettantsur leur territoire l’importation et la commercialisation des produitsissus des colonies de peuplement, les États de l’Union européennecontribuent indéniablement à leur prospérité économique et, en cela,apportent « aide et assistance» au maintien de la situation illégale

LES ÉTATS DE L’UNION EUROPÉENNE ONT L’OBLIGATION

d’interdire le commerce DES PRODUITS ISSUS DES COLONIESpar François Dubuisson, Chargé de coursCentre de droit international de l’Université libre de Bruxelles

Les gazéificateurs Sodatream sont produits dans la colonie israélienne de Mishor Adumim.

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S’inscrivant dans le cadred’actions de résistance non

violente, la campagne « boycott, désinvestissement, sanctions »

(ci-après BDS) appelle les sociétés civiles à travers le monde à se mobiliser davantage

et autrement en vue de mettre un terme à la situationqui prévaut dans les territoires palestiniens. Elle s’inspire

du modèle d’actions menées contre l’Apartheid sud-africain.

nomique du régime sud-africain. Le mouvement était soutenu par unelarge plate-forme comprenant entres autres des syndicats et des partis politiques d’obédiences diverses. Le mouvement s’étendra rapidement d’abord en Europe et ensuite au reste du monde. Deuxévènements majeurs contribueront à en accélérer le processus : tout d’abord en mars 1961, la répression sanglante par la police sud-africaine d’une manifestation à Sharpeville qui entraînera la mortde plusieurs dizaines de Noirs sud-africains, et dans un second tempsen 1976, la répression de la révolte de la municipalité noire de Soweto.

Ainsi, dès 1962, les premiers effets du mouvement anti-apartheid apparaissent avec l’exclusion de l’Afrique du Sud des Jeux olym-piques et ce, jusqu’en 1992. Dans les années 80, les États-Unisconnaissent peu à peu un mouvement de désinvestissement massifd’Afrique du Sud qui s’étendra à d’autres pays (Canada, Japon, payseuropéens, ...). Des législations anti-apartheid y sont adoptées, dontnotamment le Comprehensive Anti-Apartheid Act en octobre 1986,destiné à freiner les investissements en Afrique du Sud et à supprimerle trafic aérien entre les deux États.

LE RÔLE DES NATIONS UNIES Dans la lutte contre le régime d’apartheid sud-africain, les NationsUnies ont joué un rôle déterminant. En effet, à l’inverse des Palesti-niens aujourd’hui, les Sud-Africains ont pu compter sur l’organisationinternationale pour appuyer la campagne de boycott qui a conduit àl’élimination du régime d’apartheid. C’est ce résultat qui inspire Nelson Mandela lorsqu’il déclare à l’Assemblée générale des NationsUnies en 1994: « Nous saluons aujourd’hui, de cette tribune, l’Orga-nisation des Nations Unies et ses États membres, individuellementet collectivement, qui ont uni leurs forces avec les masses de notrepeuple dans une lutte commune qui a conduit à notre émancipationet a repoussé les frontières du racisme ».

En effet, dès 1962, le régime d’apartheid sud-africain est mis sur lasellette par l’Assemblée générale des Nations Unies qui adopte la résolution 1761 dans laquelle elle appelle ses membres à rompreleurs relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud et à adopter desmesures de boycott commercial à l’encontre de ce régime. Un pas deplus sera franchi en 1977 avec l’adoption par le Conseil de sécuritéde la résolution 418 qui préconise un embargo total sur les armes àdestination de l’Afrique du Sud. Néanmoins, en raison du contextegéopolitique mondial et de la division Est/Ouest, les résolutions des Nations Unies peinent à sortir leurs effets. Le régime sud-africainde l’apartheid se décrivait, par ailleurs, comme le chantre de la lutteanti-communiste dans la région notamment en raison des soutiensapportés par l’ex-URSS et Cuba aux mouvements révolutionnairesmarxistes et nationalistes angolais et mozambicain. C’est ce qui explique la violation systématique de la résolution 418 par plusieursÉtats (Israël, Italie, France, …) et la poursuite de leur collaborationmilitaire avec le régime sud-africain.

Il faudra attendra l’arrivée de Gorbatchev au pouvoir et la chute du Murde Berlin pour voir les responsables politiques européens et améri-cains lâcher tout doucement le régime de Pretoria et conditionner leursrelations économiques avec l’État sud-africain à l’ouverture de né-gociations politiques avec l’ANC et à la libération de Nelson Mandela.

COMPARAISON AVEC LE BDS La campagne BDS a été lancée en 2005 par la société civile palesti-nienne, pour sortir de l’impasse des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, de l’enlisement de la situation sur le terrain,de la poursuite de la colonisation et de l’absence de réactions poli-tiques fermes des États occidentaux. Cette initiative a été lancée lorsde la date anniversaire du jour où la Cour internationale de Justice a rendu son avis consultatif sur le Mur dans le territoire palestinien

occupé, avis qui appelait les autorités israéliennes à en stopper laconstruction et à démanteler les tronçons déjà construits. D’autresévènements vont favoriser l’accélération de la campagne et son dé-veloppement, dont notamment l’opération « Plomb durci » (décembre2008/janvier 2009) et la publication du rapport Goldstone (2009).

L’appel au boycott sud-africain émanait d’une diaspora sud-africaineorganisée et structurée, ce qui n’est pas le cas de la diaspora pales-tinienne, active mais peu encline à se structurer au sein d’organisa-tions européennes soutenant l’appel au BDS palestinien.

Si les Nations Unies ont d’emblée soutenu la lutte contre le régime del’apartheid en appelant à des mesures concrètes en faveur du boycott,un tel soutien de l’organisation internationale en faveur du peuplepalestinien fait encore cruellement défaut. Cette différence de traite-ment s’explique par le soutien inconditionnel notoire des États occidentaux à Israël, en particulier des États-Unis et ce, quels quesoient les agissements de l’État hébreu. Des voix discordantes ausein de l’organisation se font néanmoins entendre, telle celle de Richard Falk, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situationdes droits de l’Homme dans les territoires palestiniens occupés quiexhorte l’Assemblée générale des Nations Unies et les sociétés civiles à boycotter les entreprises multinationales qui contribuent àl’effort de colonisation des territoires palestiniens.

Pour terminer sur une note d’espoir, précisons que la campagne BDSprend rapidement de l’ampleur. Les actions de boycott du régimesud-africain n’avaient commencé à sortir leurs effets qu’en 1980, soitprès de 30 ans après les premiers appels au boycott. Or après septans seulement, la campagne BDS jouit déjà d’un soutien estimableet ce, y compris dans les pays occidentaux (voir « les nouvelles duBDS » dans ce même numéro).

Initiée en 2005, la campagne BDS ambitionne de mettre un terme àl’impunité dont jouit Israël depuis des décennies en s’inspirant du précédent sud-africain contre le régime d’apartheid.

DES SIMILITUDES La société civile palestinienne fait le parallèle entre la situation palestinienne et celle que connaissait l’Afrique du Sud. En effet, dansson appel au BDS, la plate-forme palestinienne qui réunit mouve-ments associatifs, syndicats, … souligne: «Nous, représentants de lasociété civile palestinienne, invitons les organisations des sociétésciviles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retraits d’investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid. (…)».

Si les situations sud-africaine et palestinienne ont chacune leurs spé-cificités propres, certaines caractéristiques du contexte palestinienpeuvent aisément s’apparenter à celles du contexte sud-africain du temps du régime d’apartheid. Parmi les similitudes, citons pêle-mêle : répression institutionnalisée d’un groupe de population, régime de discrimination légalement organisé, domination établied’un groupe sur un autre et fragmentation du territoire,… Dans lesconclusions consécutives à sa troisième session (Cape Town/no-vembre 2011) qui s’interrogeait sur : « les pratiques d’Israël enversle peuple palestinien violent-elles l’interdiction internationale du crimed’apartheid ? », le Tribunal Russell sur la Palestine concluait : « Israëlsoumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domi-nation considéré comme apartheid en vertu du droit international. »

LE BOYCOTT DE L’AFRIQUE DU SUDNé en 1959 à Londres à l’initiative de la diaspora sud-africaine, le«mouvement anti-apartheid » sud-africain appelait à un boycott éco-

palestine 08 DOSSIER BOYCOTT

Le boycott de l’Etat

d’Israël AU REGARD DU PRÉCÉDENT SUD-AFRICAINpar Hocine Ouazraf

Affiche appelant à des manifestations contre l’U.S. Open en septembre 1977 où une équipe de Sud Africains

blancs était autorisée à jouer en dépit du boycott sportif international contre l’Afrique du Sud.

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De Gideon Sa’ar, Uri Avneri dit que de ministre del’Éducation, il est devenu ministre de la Propagande.

POURQUOI ?1/ Parce que depuis son entrée en fonctions, dans le cadre du

programme « Héritage », il a organisé des voyages scolaires dans lesTerritoires occupés, spécialement à Shilo (une colonie), à Silwan («Cité

de David ») et à Hébron. Les voyages sont subsidiés à raison de 40% à 80%,suivant le statut socio-économique des élèves, soit 270 millions de shekels.

2/ Parce qu’il a aussi introduit l’armée dans les écoles de manière officielle. Le nouveau programme, appelé « Derek Erekh » (=sentier des valeurs), conçu par l’armée, vise à doper

l’enrôlement des bacheliers dans les unités d’élite qui opèrent en terrain hostile, comme la bande de Gaza. Gideon Sa’ar veut renforcer le sens du devoir et de l’allégeance à l’État et resserrer les liens

entre l’école et l’armée. (Jillian KESTLER DAMOURS, Israël militarise son système éducatif.)

En visite à Shilo, le ministre a déclaré : « Les Juifs seront toujours à Shilo. On ne doit pas donner l’illusion aux Arabesqu’un jour, il n’y aura pas de Juifs ici… » Ailleurs, il proclame que la colonisation est basée sur le droit des Juifs sur la terre.

En visite au musée du Goush Katif (bloc de colonies de Gaza évacué en 2005) à Jérusalem, il a dit qu’il n’y aurait pas d’autreévacuation de colons et il a instauré un jour obligatoire où le Gush Katif est présenté comme la pierre de touche du sionisme. (voir

l’article édifiant du Haaretz, Education Ministry school program presents Gush Katif as the epitome of Zionism). Enfin, il a demandé lareconnaissance du Collège d’Ariel comme université à part entière bien qu’il soit implanté dans une colonie.

Il faut dire que Gideon Sa’ar a un passé et un présent dans l’extrême droite. Il est la main de « Im Tirzu », un groupe extra-parlementaire sioniste ultranationaliste, dont les buts sont de combattre la délégitimation d’Israël et de répondre au post-sionisme et à l’antisionisme. C’estce mouvement qui a attaqué « New Israeli Fund » pour avoir financé des groupes qui ont participé au rapport Goldstone, qui a publié un rapport dénonçant des institutions académiques pour leur enseignement antisioniste et qui a fait campagne contre la nakba.

Dans cette optique, non content de supprimer le terme nakba des livres scolaires (« il n’y a pas lieu d’utiliser ce terme qui veut dire catastrophepour décrire la création d’Israël »), il s’est aussi déclaré contre la célébration de la nakba à l’Université de Tel Aviv (« un coup donné aux symboles de l’État et à sa souveraineté »). Par ailleurs, il a décidé de sanctions contre les enseignants qui se prononçaient pour le boycott (« les seuls dont la liberté académique fait du tort à Israël »). Dans le même élan, il a interdit les visites scolaires à Hébron avec « Breaking the silence » (« une organisation qui a soutenu le rapport Goldstone »), sermonné une école (arabe évidemment) qui avait participé à une manifestation à Tel Aviv pour les droits de l’Homme (« Les étudiants portaient des pancartes contre le racisme, les démolitions de maisons,ce qui contrevient à la circulaire du directeur général », détaille la lettre envoyée à l’école). Enfin, pour couronner le tout, il a interdit aux Palestiniens membres du « Forum des familles endeuillées » (une association qui réunit des Israéliens et des Palestiniens dont un proche aété tué) de participer aux réunions : « Établir une comparaison entre les familles israéliennes et palestiniennes endeuillées est inconcevabledans la mesure où de telles discussions légitiment le terrorisme ».

Enfin il est piquant de souligner que, sous sa houlette, le ministère a interdit un livre destiné aux écoles et traitant de la Déclaration universelledes droits de l’Homme en raison de deux de ses articles : le droit de changer de religion et le droit d’émigrer dans un autre pays…

palestine 11 BRÈVES

«LE PORTRAIT DU MOIS»

GIDEON SA’AR(LIKOUD), MINISTRE DE L’ÉDUCATION DU GOUVERNEMENT NETANYAHU, EX-MEMBRE DU CABINET D’ARIEL SHARONpar Marianne Blume

Des nouvelles et des victoires sur le front du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions…

CampagnesL’Euro des -21 ans en Israël : On ne peut pas s’en foot !

Devant le sort réservé à Mahmoud Sarsak, lejoueur palestinien de football emprisonné en Israël durant 3 ans sans motifet en grève de la faim pendant 3 mois, le mouvement BDS a lancéune campagne contre la tenue en Israël en 2013 de la Coupe européenne de football pour les moins de 21 ans. En France et au Luxembourg, la campagne s’est intitulée « On ne peut pas s’enfoot ». Le message en est simple : l’Europe ne peut pas gratifier Israël en lui accordant le privilège d’accueillir cette compétitionalors qu’il emprisonne sans raison et impunément des joueurs defootball palestiniens et qu’il poursuit son occupation illégale desTerritoires palestiniens. (Pour ceux qui le souhaitent, des brochuresd’information sur cette campagne sont en vente à 2 € à l’ABP).

Ne dansez pas avec l’apartheid israélien

La campagne « Don’t dance with Israeli Apartheid » appelle au boycott de la tournée anglaise de la troupe de danse israélienneBatsheva Dance Company. Cette compagnie bénéficie en effet du soutien du ministère israélien des Affaires étrangères lorsqu’ellese produit à l’étranger car elle contribue à la bonne image du pays.Chaque représentation de la Batsheva Dance Compagnie a dûfaire face à des manifestations, mais aussi à des désistements deson public, dûment informé sur les implications de ce spectaclegrâce à la campagne.

News du BDS

VictoiresUn expert indépendant des NU se prononce pour un boycott des entreprises qui tirent profit des colonies

Le 25 octobre, Richard Falk, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme dans les Territoires palestiniens occupés, a appelé l’Assemblée générale et les sociétés civiles à boycotter les entreprises qui tirent profit des colonies. Dans son rapport, il cite un certain nombre de ces entreprises : le groupe Dexia (Belgique), Mehadrin (Israël), Caterpillar Incorporated (USA), Veolia Environment (France), G4S(Royaume-Uni), Ahava (Israël); the Volvo Group (Suède); the RiwalHolding Group (Pays-Bas); Elbit Systems (Israël); Hewlett Packard(USA), Motorola (USA), Assa Abloy (Suède) et Cemex (Mexique) !

Oxfam Italie rompt ses liens avec une égérie de Sodastream

En réponse à une lettre de la campagne italienne Stop Sodastream, Oxfam Italie a rompu ses liens avec Paola Maugeri,choisie comme égérie par l’entreprise israélienne Sodastream.Paola Maugeri est une star de la radio en Italie et l’auteur du livre « My life at zero impact ». Oxfam Italie l’avait initialement associée à sa campagne « Un futur sans faim ».

Les Quakers américains retirent leurs participations de Veolia et Hewlett Packard

La Friends Fiduciary Corporation, l’entreprise d’investissementsocialement responsable au service de plus de 300 institutionsQuaker aux États-Unis, a retiré ses investissements de HewlettPackard et Veolia Environnement, deux sociétés multinationales qui soutiennent l’occupation par Israël des territoires palestiniens.

Des intervenants annulent leur participationà une conférence honorant Shimon Peres

Quatre des cinq orateurs prévus pour une conférence sur les droits de l’Homme, chapeautée par l’UNESCO, le 23 octobre à l’Université du Connecticut ont annulé leur participation. Ils manifestaient ainsi leur opposition au fait, lors de cet événement,de mettre à l’honneur le Président israélien Shimon Peres.

Gideon Sa’ar

palestine 10 DOSSIER BOYCOTT

Page 7: Palestine n°54

ARRIVÉEAprès l’organisation désor-

donnée du côté égyptien, le postefrontière palestinien est un paradis:

tout y est beau, propre et ordonné. Celuiqui m’a invitée officiellement et a fait la coordi-

nation avec le ministère de l’Intérieur palestinien peutme rejoindre dans l’espace d’arrivée. Un fonctionnaire

de la sécurité m’invite à m’asseoir et me prie avec politessede remplir un formulaire. Je n’en reviens pas: je ne m’attendais

pas à ce professionnalisme du côté palestinien. Pas par préjugé. Parexpérience de la période où j’ai vécu à Gaza.

À PREMIÈRE VUELe frère d’un ami est venu nous chercher, une amie norvégienne et moi.Tout au long du trajet, je tends le cou pour scruter le paysage, repérerce que je connais, apercevoir ce qui aurait changé et demander des

UNE SEMAINEDANS LA BANDE DE GAZA

instantanéspar Marianne Blume

palestine 12 GAZA

comme une traînée de poudre. En une semaine, je n’aurai pas le tempsde voir tout le monde. Un accueil incroyable: j’ai l’impression d’être retournée à hier. Mais au fil des conversations, je perçois une partied’une réalité désenchantée. Il y a ceux qui parlent des difficultés quo-tidiennes et ceux qui étouffent parce qu’il n’y a nulle part où aller. Ceuxaussi qui critiquent le Hamas: en quelques années, ils sont devenuscomme ceux du Fatah et même pires parce qu’ils répriment plus du-rement. Certains ont la haine. Il est vrai que mes étudiant(e)s étaientpresque tou(te)s du Fatah. Il y a encore ceux qui déplorent amèrementla désunion et l’oubli total de la cause palestinienne. Et ceux qui se retirent sous leur tente pour ne penser qu’à leur famille. Tout le mondeveut connaître mon avis sur l’avenir. Tout le monde me dit que j’apporteune bouffée d’oxygène et que ma présence redonne courage.

Petit à petit, je comprends ce que me disait un ami de Khan Younis: l’attaque contre Gaza, le blocus et ses conséquences ont tué quelquechose à l’intérieur des gens. Je le ressens très fort le jour où je donnecours. Les étudiants ont visionné un reportage sur l’usage du tramadol,un puissant analgésique dérivé de l’opium, la drogue du pauvre. Untiers des jeunes en prendrait. Tous les étudiants ont évoqué commecauses le blocus, le chômage, la pauvreté, l’enfermement et la situa-tion politique mais aucun n’a parlé de l’attaque meurtrière de 2008-2009. Ce traumatisme terrible est enfoui dans leur inconscient, ce quile rend d’autant plus dangereux psychologiquement. Ils disent que leHamas fait la chasse au tramadol mais qu’il vient sans problème parles tunnels contrôlés par le même Hamas… La drogue a toujours existéà Gaza mais la situation actuelle rend la vie insupportable et beaucoupont trouvé dans le tramadol un moyen d’échapper à une vie sans vie.

LA VIE MALGRÉ TOUTMalgré tout, les sourires et les rires sont de la partie. Et le combat aussi.Nida’ est toujours aussi passionnée et active à défendre la Palestine etson développement; Sharif continue à peindre, photographier et aussià enseigner son art aux jeunes ; Amjad ne désespère pas et se batavec d’autres pour l’unité, pour une réforme du système politique etcontre l’approche humanitaire du blocus de Gaza ; Ashraf enseigneavec le même sourire et la même envie de faire réussir ses élèves ;Jamal se démène sans compter pour trouver des projets qui redon-nent vie aux enfants et aux jeunes ; Ihab donne ses cours et s’occupepersonnellement des difficultés de ses étudiants ; ce petit entrepre-neur rencontré sur la plage a rebâti avec courage ses bassins de pis-ciculture détruits par l’armée israélienne, etc. Ceux-là ont un courageimmense mais ils sont privilégiés.

Comment font les autres ? Une semaine à Gaza ne m’a pas permis dele savoir. Ce que je sais, c’est qu’il nous faut lutter sans repos pour lalevée du blocus et la fin de l’occupation. Les Palestiniens ne sont pasun cas humanitaire, ils sont victimes d’une destruction délibérée. Lecombat est et reste politique.

Les magasins-cahutes où l’on achetait bonbons, boissons et cigarettesont été rasés: il n’y a pas à dire, cela fait propre.

Je remarque aussi que certains de mes petits « soupermarkett », sorted’épiceries fourre-tout, ont disparu ou ont changé de look,se transfor-mant en magasins à la présentation recherchée, voire luxueuse. Legouvernement du Hamas veille, semble-t-il, à embellir l’espace public.

RETOUR AUX RÉALITÉS QUOTIDIENNESArrivée chez moi, mon ami le plus cher m’annonce que, contrairementà ce qu’il faisait avant, il ne restera pas chez moi à bavarder et fumerautour d’un café : les voisins risqueraient de voir cela d’un mauvais œilet la police pourrait s’en mêler. Ainsi, son jeune frère qui revenait chezlui un soir avec sa femme s’est vu demander ses papiers de mariage:moralité oblige. Je m’en accommode puisqu’il n’y a pas le choix. Etvoilà qu’il me dit que j’ai de l’eau mais que je dois l’utiliser avec parci-monie car elle ne reviendra que dans six jours. Je devrai guetter le bruitdans les tuyaux et me précipiter alors pour actionner le moteur quiacheminera l’eau dans le réservoir. Et si je n’étais pas là ?

Quant à l’électricité, je n’en aurai que de 22h30 à environ 9 heures dumatin. J’ai de la chance: à certains endroits, la période de fournitured’électricité est plus réduite. Le frigo est muet, la radio se tait et mon téléphone attendra pour être rechargé. Comme mon ordinateur d’ail-leurs. Je me mets à penser aux tâches ménagères que l’on doit donceffectuer la nuit… Heureusement, cet ami m’a procuré une lampe quise charge quand il y a du courant et s’allume toute seule quand il secoupe. Ingénieux. Bien sûr, cela ne fera fonctionner ni la machine à laver,ni le fer à repasser ni le surgélateur ni la télévision si j’en avais. Avant, ilarrivait qu’Israël coupe le courant mais maintenant les coupures sont la normalité. Beaucoup d’établissements et de maisons ont un généra-teur mais, vu la pénurie et le prix du carburant, on en économise l’usage. Je pense que je vais m’habituer comme tout le monde. Sauf que,quand je veux aller sur internet, j’ai oublié. Et le garçon du café où je mefume ma chicha rit en me voyant tempêter contre mon ordinateur quirefuse d’ouvrir Google Chrome.

En examinant la note, je me rends compte que les prix ont augmenté.Mais le plus curieux, c’est de voir des filles seules ou en groupe, voiléesou en cheveux, bavarder ou étudier en fumant une chicha, sans com-plexe. Ce n’était pas si courant de mon temps… Un couple religieux – homme barbu et femme avec niqab – passe: ils se tiennent par lamain. Ca non plus, ce n’était pas habituel… Je suis perturbée par cescontrastes.

REGARD INTÉRIEURJe rencontre mes amis, mes ex-collègues et mes ancien(ne)s étu-diant(e)s, presque tou(te)s marié(e)s avec des enfants. Je vais à l’uni-versité où j’ai enseigné dix ans. La nouvelle de ma venue se répand

nouvelles du paysage. Au début, j’ai l’impression que rien n’est différent.Sur le chemin, pas de traces de l’attaque meurtrière de 2008-2009.

Tout au long, les enseignes de restaurants et cafés rythment la route.La plupart sont nouvelles ou rénovées. Très chic. Je cherche des yeux les carrioles tirées par des ânes ou des che-vaux : c’est comme si elles étaient devenues une rareté. Par contre,les rues sont parcourues de superbes voitures et – nouveauté- demotos et de « tchouktchouk », des motos transformées en mini-ca-mionnettes. Les amis m’expliquent que tout cela vient par les tunnelset que, malheureusement, faute d’habitude, les accidents mortelsavec ces engins sont quotidiens. Arrivée à Gaza City, j’ouvre de grands yeux: la route de la mer estmaintenant une route à quatre bandes avec une petite berme centraleen fer forgé. J’entends le mot « corniiich » et je remarque alors qu’on aconstruit une digue sur laquelle des gens se promènent tranquillement.

L’attaque contre Gaza, le blocus et ses conséquences ont tué quelque chose

à l’intérieur des gens.

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Pour sa quatrième session, tenue à New York les 6 et 7 octobre 2012, le Tribunal Russell sur la Palestine a détaillé la complicité des États-Unis avec les violations d’Israël du droit international

en Palestine et ce, devant des Nations Unies paralysées et qui perdent petit à petit de leur légitimité.

LES NATIONS UNIES PARALYSÉESDeux juristes éminents, l’Américain John Quigley et Vera Gowlland-Deb-bas, de Genève, ont détaillé minutieusement le statut ancien d’État de la Palestine et son statut de non-État actuel, bien que formellementreconnu par une majorité d’États dans le monde mais cependant bloqué unilatéralement par les États-Unis et Israël aux Nations-Unies.Une tragique illustration de la non-démocratie qui règne dans cette instance du fait de l’existence d’un Conseil de sécurité noyauté par lesÉtats-Unis qui usent et abusent de leur droit de véto dès que l’on toucheaux intérêts d’Israël. Même l’accession des Palestiniens à la Cour pénaleinternationale est bloquée alors que l’assemblée des États parties à laCPI pourrait parfaitement accepter leur demande d’enquêter sur lesatrocités commises par Israël au cours de son opération dite « Plombdurci ». Cette accession constituerait un pas important vers la recon-naissance complète de l’État palestinien. La Palestine pourrait alors déposer plainte contre Israël, explique John Quigley.

Quant à Vera Gowwlland-Debbas, elle précisa longuement et avec unegrande clarté les responsabilités des Nations Unies dans la non-application du droit international dans les territoires occupés, signe dela défaillance de l’ONU devant Israël. Car les NU ont montré maintesfois qu’elles pouvaient intervenir, même par la force s’il le fallait, poursauver les droits de l’Homme où que ce soit dans le monde. Que l’onsonge à l’Irak, la Libye, le Liban, le Kosovo, la Bosnie… Pourquoi pasalors dans les territoires occupés par Israël ? Et pourquoi pas après latragique opération « Plomb durci » et le massacre de populations civilesà Gaza ? Parce que les États-Unis ont opposé leur véto à 22 reprisesà des résolutions du Conseil de sécurité et ce, de 1983 à aujourd’hui.« Voilà pourquoi cette impunité virtuelle d’Israël a un impact négatif surle processus de paix », insiste Véra Gowlland.Poursuivant son analyse, elle démontre que l’Assemblée générale desNations Unies a de nombreux pouvoirs dont elle pourrait user, mais elleconstate que les initiatives pacificatrices ou de réparations des dom-mages causés à la population sont freinées notamment, du fait quel’Union européenne, bien souvent, s’abstient au lieu de les appuyer.

Les dés étaient pipés dès le départ, constatent l’historien israélienIlan Pappé et Peter Hansen qui a longuement travaillé aux NationsUnies dans le secteur de l’aide humanitaire. Les grandes puissancesont imposé un État juif d’Israël en terres palestiniennes. Les popula-tions arabes ont été obligées de fuir ou de se soumettre à une poli-tique d’apartheid, qui s’est poursuivie sous les yeux des NationsUnies jusqu’au nettoyage ethnique, pourtant décrété crime contrel’humanité, ajoute Ilan Pappé. Le projet sioniste n’a jamais consistéà créer un État de Palestine mais les gouvernements israéliens ontsans cesse menti pour éluder leurs responsabilités politiques devantla communauté internationale. Une analyse amplement confirmée parle témoignage du journaliste Benjamin White, auteur de livres et denombreuses conférences sur le sujet.

Les Nations Unies ont dressé le cadre normatif qui a permis d’enfer-mer les Palestiniens dans la spirale sans fin de la répression et del’assistanat et cela, en contravention avec les valeurs affirmées parleur Charte, détaille, amer, Peter Hansen. La dernière étape de cette« blague cruelle » est la constitution du fameux Quartet (USA, UE, NU,Russie) dirigé par Tony Blair, chargé de favoriser le processus de paixmais qui a cantonné, en réalité, les Nations Unies dans le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël et dans la passivité des Euro-péens… Pendant ce temps, les rapports dénonçant les atrocités vécues par un peuple occupé illégalement s’accumulent et l’UNRWAmaintient en état de survie des dizaines de milliers de Palestiniensemprisonnés dans leurs territoires transformés en prisons à ciel ouvert. « J’ai le sentiment que les États se rachètent de leur lâchetépar leurs contributions humanitaires, accuse Peter Hansen. Il faut que les Nations Unies ressuscitent leurs normes et missions fonda-mentales, qu’elles se retirent du Quartet et qu’elles maintiennent leursoutien au peuple palestinien », souligne-t-il. Il craint cependantqu’une réforme des Nations Unies de l’intérieur soit impossible, leseul moyen restant la pression de l’opinion publique, heureusementde plus en plus sensibilisé à ce sujet.

L’accession des Palestiniensà la CPI constituerait

un pas important vers la reconnaissance complète

de l’Etat palestinien.

Jugées par le TRP

à New YorkLA CRIMINELLE COMPLICITÉ DES ÉTATS-UNIS ET LA PARALYSIE DES NATIONS UNIESpar Gabrielle Lefèvre

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palestine 16 TRIBUNAL RUSSELL

On imagine ainsi le niveau d’importance des intérêts du lobby mili-taro-industriel américain et israélien et par conséquent son acharne-ment à bloquer toute possibilité de paix ! Le contexte géostratégiquea été évoqué par vidéoconférence par Noam Chomsky, malade etdonc empêché de se rendre au TRP. Selon lui, le but des États-Unisest de créer un État tampon entre les pays arabes acquis à ses visions impérialistes et cela, au prix de la violation totale du droit in-ternational et au détriment de l’existence d’un État palestinien viable.

Les sionistes chrétiens étatsuniens décrits par David Wildman, del’église méthodiste unifiée partagent une même vision. Ils croient quele retour des Juifs dans un État d’Israël sur tout le territoire de la Palestine précipiterait le retour du Messie et la fin de l’Armageddon (lelieu symbolique du combat final entre le bien et le mal) et favorisentpar tous les moyens le processus de colonisation. Pour eux, le nouvelennemi après la fin de l’URSS est l’Islam. Ils appuient le triangle fatal argent, armes, pouvoir politique. Comment les contrer ? En lesinvitant à visiter la Palestine pour se rendre compte par eux-mêmesde la réalité sur le terrain, en cessant le système de donations sansimpôts aux colons qui leur est accordé par le fisc américain et par desinitiatives des autres chrétiens contre le soutien aux colons israéliens.

D’AUTRES RÉSISTANCESAux côtés de l’extraordinaire résistance du peuple palestinien, il y ala mobilisation internationale des mouvements sociaux, de la sociétécivile, des pays non alignés. Il y a l’exemple récent de la campagnemondiale BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) qui connaîtde nombreux succès dans des entreprises, dans des églises, dansles opinions publiques et cela commence à constituer une pressionsur les Nations Unies afin qu’elles se rappellent de faire respecter lesdroits essentiels par Israël et les États-Unis, détaille Phyllis Bennis,au nom de la société civile américaine. Après tout, la Charte des Nations Unies commence par « nous, les peuples…»: les NationsUnies ont le devoir de consulter les ONG pour savoir ce qui arrive aux peuples, rappelle Stéphane Hessel, fort du succès mondial de

LES ÉTATS-UNIS LÉGALISENT CE QUI EST ILLÉGALL’avocate palestinienne et canadienne Diana Buttu lança les débatsdu deuxième jour de cette session du TRP sur l’appui des États-Unisà Israël dans la violation des droits des Palestiniens. Elle expliqua leprocessus permanent rendant légal ce qui est en réalité illégalcomme le vol de la terre, de l’eau, la bantoustanisation : «avant, onconsidérait que la colonisation était illégale. Puis, sous Clinton, elleest devenue un obstacle à la paix. Ensuite, 600000 colons ne sontplus illégaux, ni même des obstacles à la paix ; sous Obama, c’est lacontinuation de l’occupation qui est illégale. Et ainsi, on a réussi àrendre acceptable ce qui était inacceptable ! » Et de rappeler de plusle nombre de vétos étatsuniens au conseil de sécurité : environ 82 dont la moitié en faveur d’Israël… et un grand nombre en faveurdu régime d’apartheid en Afrique du Sud… Une autre modalité de légalisation de ce qui est illégal est la suivante : « au lieu de protégerles populations occupées contre l’occupant, les États-Unis lescontraignent à prendre des mesures de protection de leurs oppres-seurs en faisant pression sur l’Autorité palestinienne afin qu’elle in-vestisse dans la sécurité et non dans l’enseignement ou la santé. Onfait sans cesse revenir les Palestiniens à la table des négociationspour en réalité leur imposer de gérer eux-mêmes leur occupation ! ».

Quant à Katherine Gallagher, avocate américaine, elle cibla son intervention sur le montant colossal de l’aide militaire accordée par lesÉtats-Unis à Israël : 115 milliards de dollars. L’engagement signé en2007 porte sur 30 milliards de dollars pour 10 ans, soit 18 à 22 % dubudget militaire israélien. De plus, Israël peut acheter des équipe-ments de ses propres producteurs et en exporter pour 12 millions de dollars. Il peut placer le montant de cette aide sur des comptes qui rapportent des intérêts servant à rembourser sa dette. De plus, les États-Unis accordent de 100 à 168 millions de dollars pour lesprogrammes de défense et donnent leurs excédents d’armements àIsraël. Or, ces armes sont utilisées en violation des droits de l’Hommemais il n’y a pas la moindre mesure de rétorsion contre Israël.

Cette experte en appelle aussi à l’abolition du droit de véto au Conseilde sécurité et à des pressions ciblées sur les États membres de ceConseil. « Il faut instaurer un système d’autocontrôle du Conseil desécurité afin que les valeurs fondamentales y soient respectées. Enlimitant l’exercice du droit international par les NU, le Conseil de sécurité commet un abus et une violation du droit, ce qui est un crime.Ne pas appliquer le droit international en ce qui concerne Israël et laPalestine met en danger ce droit », martèle Véra Gowlland-Debbasqui signale au passage que le secrétaire général des Nations Uniespourrait, lui aussi, faire preuve de davantage de courage dans l’exer-cice des pouvoirs qui lui sont conférés et qui sont importants.

Une autre faiblesse des Nations Unies a été expliquée par SusanAkram, Pakistanaise, spécialiste du droit des réfugiés. Selon elle, desbrèches importantes dans le système onusien laissent nombre de réfugiés palestiniens hors du mécanisme d’assistance et d’établisse-ment de solutions durables pour eux. Pourtant, ces solutions ont étémises en œuvre pour d’autres populations réfugiées dans le monde.

LE TEMPS PRESSECar le temps presse, en Palestine. En l’absence de Raji Sourani, directeur du Centre palestinien pour les droits de l’Homme à Gaza,empêché, il revint à Jeanne Mirer, avocate démocrate, de dresser untableau dramatique de la situation vécue par la population à Gaza.

La crise humanitaire est grave, tous les rapports le rappellent à l’envi.Mais elle risque de provoquer un véritable génocide car les Palesti-niens n’ont plus accès à l’eau potable, volée par Israël au départd’Hébron et la dépollution de l’eau est devenue impossible car toutesles installations d’assainissement ont été détruites et Israël en inter-dit la reconstruction. Les Gazaouis n’ont pas davantage accès auxressources de la mer puisque les pêcheurs n’ont seulement qu’unaccès limité à 3 miles. Par ailleurs, la communauté internationale, ensubventionnant le Mur et l’occupation, se rend complice de faits quisont illégaux.

««” En limitant l’exercice du droit international par les NU, le Conseil de sécurité commet un crime.”

UN MAIRE COURAGEUX Il s’appelle Rémy Pagani. Il a du charme et un courage politique fou. Il a osé braver le consensus mou sur la fonction de maire en affirmantson engagement en faveur de la justice, de la non-discrimination, du droitinternational qui doit être respecté par tous, y compris par Israël. Il a donc non seulement soutenu financièrement la quatrième session du TRPà New York mais il y a également assisté jusqu’au bout. Pour lui, le rôledu TRP, c’est de réaffirmer l’universalité des droits de l’Homme, du droithumanitaire et l’obligation qui est faite aux États, à des entités commel’Europe ou l’ONU de les appliquer. Ainsi, les Conventions de Genève ne sont pas respectées par Israël dans leur traitement des Palestiniens. « C’est là un déni du droit international et humanitaire qui dure depuisplus de 60 ans qui est emblématique du blocage de la communauté internationale. Ce refus systématique d’application du droit porte nonseulement atteinte à ceux qui en sont victimes mais aussi à l’universalitéde ces droits. Il est du devoir de la Ville de Genève d’appuyer les initiatives citoyennes en faveur du droit international. Il s’agit d’éveiller les consciences au niveau mondial. C’est la raison citoyenne contre laraison d’État, contre le droit du plus fort. », déclarait-il en ouverture de lasession à New York.

ROGER WATERS : « JE SUIS ÉCLAIRÉ » Lors de la conférence de presse finale, à New York, Roger Waters, le guitariste des Pink Floyd, a qualifié le travail du TRP d’ « enquête sérieuse ». « La vérité est de notre côté. Elle doit servir à la mobilisationde l’opinion publique internationale par les médias sociaux, par les médias. Il faut dire la vérité sur la complicité des États-Unis et des Nations Unies. Je suis fier d’avoir été accepté dans ce jury. J’ai étééclairé, que les jeunes le soient aussi » a-t-il ajouté.

ENGAGEMENT SYNDICAL Zwelinzima Vavi, secrétaire général de la Cosatu, la puissante Confédération intersyndicale sud-africaine, a lancé un appel à l’actionsyndicale internationale en faveur des droits des travailleurs palestiniens,victimes de l’apartheid qui leur est imposé par Israël.

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Le terme « sociocide » avait déjà été évoquélors de la précédente session du TRP à

Cape Town. Il a été analysé par JohanGaltung, sociologue norvégien,

fondateur de l’université de paix Transcend.

palestine 18 TRIBUNAL RUSSELL

À propos du concept de «sociocide», le TRP considère qu’il s’appliquebien au processus réprimant la société palestinienne et il souligne quele fait est déjà condamné par divers dispositifs du droit international entant que crime contre l’humanité et en tant que crime de guerre, ce quile rend susceptible d’être soumis au tribunal pénal international.

En conclusion : la mobilisation de l’opinion publique, particulièrementen Israël et aux États-Unis est indispensable, par le biais des réseaux,des mouvements sociaux, du BDS et autres campagnes et par lesmédias sociaux. Il est essentiel de porter devant les tribunaux nationaux, au pénal et au civil, les litiges contre ceux qui violent le droit.La Cour pénale internationale doit être saisie de la plainte des Pales-tiniens. Quant aux Nations Unies elles-mêmes, elles devraient se réformer notamment par l’abolition du système du véto au Conseil desécurité, l’augmentation du nombre de membres de ce même conseilet une redynamisation des pouvoirs dévolus à l’Assemblée générale.

Le TRP lui-même poursuivra son travail d’information sur ses conclu-sions et se réunira une dernière fois à Bruxelles en mars 2013 pour lesconclusions finales.

son « Indignez-Vous ». La stratégie devrait être de soutenir ceux quiluttent et résistent, indique Gustave Massiah, une des chevilles ouvrières du mouvement altermondialiste. Et les sentences du TRPdoivent servir à la mobilisation du peuple palestinien et du mouve-ment de solidarité internationale. Celui-ci se renouvelle par le BDSqui répond à la domination politique et économique et peut permet-tre une transition non violente vers des solutions. L’enjeu est ausside délégitimer les attitudes d’Israël et d’accentuer les contradictionsentre cet État et des entreprises. Le BDS pose aussi la question dudroit international : si on accepte l’impunité d’Israël, il n’y a plus de droit international. Le boycott ne peut pas être déclaré illégal (pour atteinte au néolibéralisme) car le droit international ne peut êtresubordonné au droit des affaires. Enfin, l’orateur insiste sur le rôledes médias dans le raffermissement des mouvements pour la paix.

UNE COMPLICITÉ CRIMINELLEDans ses conclusions, le TRP reconnaît les États-Unis coupables de complicité avec les violations israéliennes du droit international : jamais une telle politique de colonisation, de séparation ethnique et de militarisme aussi violent n’aurait été possible sans l’aide multi-forme et gigantesque des USA. En cela, ces derniers contreviennentau principe de la responsabilité des États, aux Conventions de Genève, à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice, à l’article 24 de la Charte des Nations Unies (en abusant du droit devéto) et à leurs propres lois nationales.

Quant aux Nations Unies, elles ont condamné à maintes reprises Israël mais de façon purement formelle puisqu’elles ne font pas jamais réellement pression pour que cet État mette un terme à sesviolations du droit international. Elles l’ont pourtant fait pour d’autresÉtats. Comme membre du Quartet, les NU endossent la responsabi-lité de son échec. Enfin, les NU n’ont pas veillé au suivi juridique de l’avis de la CIJ sur le Mur. Le TRP demande donc la fin de cette politique de démission et d’omission des NU et la compensation pourles dommages subis par la Palestine.

Le ”sociocide” »DES PALESTINIENS par Gabrielle Lefèvre

droits de l’Homme. Reste la crainte que les opprimés d’hier prennentle pouvoir et punissent l’oppresseur…

Professeur en droit international à Londres, William A. Schabas consi-dère que le « sociocide » est une vision originale du génocide dans lecadre de crimes contre l’humanité. Tout comme la notion d’écocide, lesociocide offre un nouveau champ de recherche au droit international.Le problème est celui de penser la réparation, les compensations. Et d’évoquer alors un processus de mise sur pied d’une commission«Vérité et Réconciliation » tel que celui qui a existé en Afrique du Sudet en Sierra Leone.

Saleh Hamayel, professeur à l’université de Bir Zeit et promoteur duconcept de « sociocide », insiste sur le contenu extensif de cette notionessentielle car celle-ci inclut la totalité du processus imposé aux Palestiniens, ce qui le différencie de ce qui s’est passé en Afrique duSud. S’opère une ségrégation raciale entre juifs et non-juifs et doncune supériorité des premiers sur les seconds, consacrée par la re-ligion, la création de bantoustans plus ségrégatifs encore qu’enAfrique du Sud car ils séparent aussi les Palestiniens entre eux. LesNoirs d’Afrique du Sud sont en majorité restés au pays et ont étéconsidérés comme une force de travail, ce qui est à l’inverse pour lesPalestiniens, exilés en grand nombre et en majorité privés de leursterres et de travail.

Il n’y a aucun espoir à entretenir dans la perspective d’un État binational car jamais Israël ne voudra rendre les terres confisquées.On assiste donc bien à la destruction des Palestiniens en tant quegroupe national et de leur société par l’expulsion et le déracinementde la population depuis 1948. Par son enfermement et sa division,aussi : le Mur crée des espaces fermés où les Palestiniens détour-nent leur révolte et leur rage contre eux-mêmes. On élimine physi-quement les authentiques leaders palestiniens qui émergent. Enfin,Israël colonise aussi le temps et l’espace des populations en les obligeant à consacrer un temps considérable à des trajets aussilongs qu’aléatoires, ne serait-ce que pour aller travailler leur terre, allerà l’école, aller chercher de l’eau…

Ce concept, né dans les années 80, appartient à la même familleconceptuelle que « génocide » (tuerie massive en vue de l’extermina-tion d’un peuple) et « écocide » (destruction de la nature). Le « socio-cide » empêche un système social de se reproduire lui-même. Le termene figure pas dans les lois internationales mais on peut voir son appli-cation dans la marginalisation de nombreuses sociétés indigènes.Johan Galtung démontre que ce concept s’applique bel et bien dansle cas de la Palestine.

Les quatre objectifs d’une société donnée sont en effet d’assurer lasécurité, la durabilité, l’identité et l’autonomie de sa population. Pourcela, il faut un territoire, une nation dont les conditions d’existencesont la communauté de langue, de vision du monde, d’histoire (ycompris dans sa dimension de projection dans le futur), de géographie(espace et propriété) et un État qui en assure l’administration.

Israël est un État postcolonial qui vit sur une série de mythes (mythesdu passé et mythes du judaïsme). Israël dénie totalement aux Pales-tiniens le droit d’organiser leur propre sécurité, il vole leur terre et leureau et rend de ce fait impossible la durabilité de leur société, il lesspolie de leur temps et de leur espace sacré en effaçant les traces deleur passé, celles des traumatismes et celles des gloires, ce qui tendà priver in fine les Palestiniens de leur identité. Ils sont perpétuellementharcelés, ce qui les empêche de vivre leur présent et de concevoirleur futur. Ainsi, Israël ne définit jamais ce que sont des « frontièressûres». Si le futur n’est pas balisé, il est impossible de gérer une so-ciété ; la guerre est perpétuelle parce qu’Israël repousse indéfinimenttout accord sur les propositions de création d’un État palestinien.

Le concept de sociocide s’applique donc parfaitement dans ce casmais il est impossible de couler cela en termes de loi car les compen-sations seraient impossibles à imaginer. Une solution envisageable?De la même façon que l’Europe s’est ouverte à l’Allemagne après ladeuxième guerre mondiale, une communauté d’États arabes duProche-Orient pourrait s’ouvrir à Israël malgré le passif historique.L’islam est une religion plus ouverte que le judaïsme qui ne reconnaîtpas l’islam. Cependant, juifs et chrétiens peuvent se rencontrer sur les

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RACHEL CORRIE ET LA PROTECTION DES MANIFESTANTS NON VIOLENTSUn moment émouvant lors de cette sesssion du TRP : l’intervention des parents de Rachel Corrie qui, pendant des années, se sont heurtésau blocage permanent du gouvernement étatsunien de leurs demandesde soutien et d’information sur les circonstances de la mort de leur fille,écrasée en 2003 à Gaza sous un bulldozer Caterpillar de l’armée israélienne. La justice israélienne a tranché : les militaires ne sont pascoupables de la mort de cette militante non violente des droits del’Homme. Selon le témoignage d’un militaire, la zone de Gaza étant zonede guerre, il n’y a donc pas de civils, même non violents, qui ne soienteux aussi en guerre. « Nous demandons que le gouvernement des États-Unis examine ce témoignage et prenne connaissance du verdict, disent les parents de Rachel. C’est important pour tous les civils impliqués dans ce conflit ; cela dépasse le seul cas de notre fille. Jeconnais, dit la maman, le cas de vingt-deux Palestiniens tués alors qu’ilsprotestaient de manière non violente. Les droits civils des manifestantsnon violents doivent être protégés », insiste la maman de Rachel Corrie.

La mobilisation de l’opinion publique, particulièrement en Israël et aux Etats-Unis, est indispensable.

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Toutefois, les chiffres varient notamment parce que laquestion est sensible, mais aussi parce qu’en Jordanie les

Palestiniens ont divers statuts. Ainsi l’ONU fait elle-même unedistinction entre les « réfugiés » (de 48) et les « déplacés » (de 67) ;

certains Palestiniens ont la citoyenneté jordanienne tandis que ceuxde Gaza ne l’ont pas et sont quasiment considérés comme apatrides(la bande de Gaza, contrairement à la Cisjordanie et Jérusalem-estn’ayant pas été annexée par la Jordanie après la guerre de 48). Quantaux camps, selon la classification adoptée par l’UNRWA, il y en a actuellement treize: dix officiels et trois non officiels.

LES CAMPS DE RÉFUGIÉS PALESTINIENS À L’EST

du Jourdainpar Dominique Waroquiez

palestine 20 CAMPS DE RÉFUGIÉS EN JORDANIE

Karameh à l’Est du Jourdain, puis est arrivée dans ce camp à l’entréedu désert. « Vous savez, je n’ai pas toujours vécu ici ! Je n’ai pas toujours été réfugiée ! ».

Comment face à ces enfants, hommes, femmes de tous âges vivantdepuis des générations dans des camps, rester indifférents face àl’ampleur de l’injustice provoquée par la spoliation de leur terre de plusen plus judaïsée et le déni de leur droit au retour (Al Awda), énoncé ily a plus de 60 ans, mais progressivement vidé de sa substance? D’au-tant plus que la vie dans pareilles conditions est extrêmement précaire(revenus insignifiants, chômage élevé, marginalisation, débrouille dansles ateliers des camps, en ville, budgets de l’UNRWA insuffisants et deplus en plus réduits depuis dix ans...).

Deuxième caractéristique de ces camps de Palestiniens au sein dumonde arabe: la surveillance particulière dont ils font l’objet. Car s’ilsrappellent par beaucoup de points de vue les camps de Palestine –armée d’occupation et colons en moins – il n’est pas correct de direqu’en Jordanie, les camps sont « intégrés » au milieu urbain ni que lesréfugiés sont relativement « assimilés » ou qu’ils sont « chez eux »(conformément au souhait d’Ariel Sharon et autres sbires !). Car il fautune autorisation officielle pour aller dans les camps et si nous ysommes entrés c’était accompagnés par des hommes de la Sûretéen uniforme ou en costume civil. Pas question de s’écarter du groupe,d’aller acheter un cahier ou un fruit sur le marché, de laisser un petitdrapeau palestinien déplié par terre à l’intérieur du camp de Widhat.Pas question non plus pour les familles de Baqa’a de nous hébergersans avoir un policier devant leur porte. Pas facile d’ailleurs d’y entrerla nuit ! Pourquoi cette stigmatisation, cette chape de plomb donnantpar moments aux camps jordaniens une allure de ghettos? SeptembreNoir, c’était il y a plus de 40 ans, quand le père du roi actuel a envoyédes centaines de chars et des milliers de soldats contre les camps deWidhat ou de Jerash pour chasser la résistance populaire. Aujourd’hui,la majeure partie de la population des camps est née après 1970!Alors, « classe pauvre, classe dangereuse ou... en danger » ? Quellessont les perspectives d’avenir pour tous ces enfants et adolescentssi même les écoles de l’UNRWA ne parviennent plus qu’avec peineà les scolariser ?!! Sans parler des orphelins, des handicapés...

La situation n’est pas non plus la même qu’au Liban. De nouveaux réfugiés des pays voisins arrivent chaque jour dans le Royaume Hachémite et si la population de Jordanie est en général très accueil-lante, les réfugiés des camps palestiniens représentent une populationdoublement marginalisée : ils sont minoritaires au sein de la popula-tion globale et minoritaires au sein même de la population palesti-nienne dont la majorité appartient désormais à la classe moyenne,suite à la politique d’assimilation mise en place par la Jordanie.

VISITE AU CAMP OFFICIEL DE BAQA’ACe camp a été construit en 1968, suite à la Naqsa. En 1969 commebeaucoup de camps, c’était encore un terrain vague boueux en hiver,poussiéreux en été, avec parmi les tentes quelques petites cabanes...Aujourd’hui c’est le camp le plus peuplé de Jordanie et même dumonde arabe après certains camps de la Bande de Gaza ou de Syrie.C’est un immense camp en dur avec, comme toujours, une densitéde population très élevée (70000 à 90000 réfugiés sur 50 hectares).

L’habitat laisse peu de place à l’intimité, aux déplacements des piétons, des autos et des ânes, aux jeux. Les eaux usées s’écoulentà ciel ouvert au milieu des ruelles étroites en terre battue. Toutefois, unsplendide olivier s’échappe par la fenêtre d’une maison...

LE CAMP OFFICIEL DE JERASH (SURNOMMÉ «GAZA CAMP »)Il a, lui aussi, été ouvert en 68 et actuellement environ 16000 réfugiésy résident. La plupart des familles palestiniennes arrivées à Jerashsont originaires des territoires de 48 ; elles s’étaient réfugiés dans labande de Gaza, notamment dans le camp de Shati, avant de devoirrepartir en 67 avec des Gazaouis dont c’était le premier exode. Du faitqu’ils ne vivaient pas en Cisjordanie, ces Palestiniens sont considé-rés comme apatrides, ils n’ont donc pas les mêmes droits que lesautres réfugiés, au niveau des soins de santé, de la scolarisation, dutravail (le taux de chômage est encore plus élevé) et ils ont aussibeaucoup plus de problèmes pour aller à l’étranger.

LE CAMP NON OFFICIEL DE SOUKNA, À L’ENTRÉE DU DÉSERTIl date de 1967. C’était un camp d’urgence (constitué de tentes) pouraccueillir les réfugiés venant de Tulkarem, de la bande de Gaza, duNaqab... C’est maintenant, un petit camp en dur, très densément peuplé, avec environ 7000 réfugiés et quelques centaines de « loge-ments». Vu qu’il ne peut pas s’étendre (alors que le déni du droit au retour persiste génération après génération), certains habitent en péri-phérie. Nous visitons une des habitations: elle est plus que précaire,minuscule. La famille vit à même le sol, dans quelques pièces. Le toitde tôles fuit lorsqu’il pleut ; en hiver, il fait froid, en été très chaud; il y ades pénuries d’eau potable qu’il faut acheter. Dans ce « camp du boutdu monde », il n’y a pas d’infrastructure pour évacuer les eaux uséeset les fosses septiques posent problème. Comme dans le «Gazacamp», l’UNRWA reconnait un taux élevé de cancers liés à l’amiante.

À travers les récits des réfugiés, c’est toute l’histoire collective du peuple palestinien démembré qui se reconstitue étape par étape.Ainsi, Oum Khaled, 84 ans, nous explique pourquoi elle habite depuisquarante-quatre ans dans le camp de Soukna. À vingt ans, elle a duquitter sa maison et son village situés dans la région de Haïfa, pourchercher refuge avec son mari blessé, d’abord à Jénine, ensuite à

VISITE AU CAMP OFFICIEL DE WIHDAT (NEW AMMAN CAMP) Il date de 1955. Contrairement aux autres camps où nous avons étéaccueillis, il a été construit suite à l’expulsion de la Naqba. C’est undes plus vieux de Jordanie : les ribambelles d’enfants qui nous accompagnent doivent être la cinquième génération de réfugiés à yvivre. Comme tous les autres camps, il est très densément peuplé.Wihdat signifie d’ailleurs « unité », la surface maximale dont pouvaitdisposer une famille sur le terrain, 10 mètres carrés. Malgré cela, lecamp a son propre club de football depuis 1956.

Les réfugiés des camps palestiniensreprésentent une population

doublement marginalisée.

En Jordanie (6 millions d’habitants), bien que la nationalité palestinienne n’existe pas officiellement, on estime que plus de la moitié de la population est d’origine palestinienne. D’après l’ONU, en 2005, il y avait 2 881 604 réfugiés palestiniens dont un dixième environ enregistrés dans les camps.

Les camps de réfugiés palestiniens au Moyen-Orient.

Représentés en rouge ceux de Jordanie.Source : PASSIA.

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En 2002, les Palestiniens de Cisjordanie vont connaître

le même destin que ceux de Gaza.Israël entame la construction d’une

Mur en Cisjordanie, qu’ils appellent par euphémisme barrière de séparation.

Depuis, au Nord-Ouest de la Cisjordanie, la ville de Qalqilya est complètement encerclée

par le Mur et tous les horizons sont bouchés.

COMMENT LATERRE D’ISRAËLFUT INVENTÉEShlomo Sand, Éd. Flammarion, 2012, 367 p.

Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Tel-Aviv, Shlomo Sand estl’auteur du best- seller «Comment le peuplejuif fut inventé», paru chez Fayard et traduiten 20 langues.

Shlomo Sand poursuit ici son œuvre de déconstruction des légendes qui en-combrent l’histoire d’Israël; telle qu’elle estle plus souvent présentée, celle-ci relève plus de la mythologie biblique que de laréalité historique. Certains courants sio-nistes s’appuient d’ailleurs sur cette versionmythique pour légitimer la création de l’Étatd’Israël en 1948 et revendiquer pour lui leterritoire qu’il prétend occuper, à savoir la«Terre promise» sur laquelle le «peupleélu» aurait un droit de propriété éternel etinaliénable.

Au fil des quelque 400 pages, Shlomo Sandaborde de nombreuses questions, dont :Quel lien existe-t-il, depuis les origines dujudaïsme, entre les juifs et la «Terred’Israël »? Le concept de patrie se trouve-t-il déjà dans la Bible et le Talmud ? Lesadeptes de la religion juive ont-ils de touttemps aspiré à émigrer au Moyen-Orient ?Comment expliquer que leurs descendantssoient majoritaires à ne pas souhaiter yvivre aujourd’hui ? Et que doit-il advenirdes habitants non juifs de cette terre : ont-ils, oui ou non, le droit d’y vivre ? C.S.

ISRAËL-PALESTINE: AUCŒUR DE L’ÉTAUAlexis Deswaef, Éd. Couleur Livres,2012, 118 p.

L’avocat Alexis Deswaef est président de laLigue des Droits de l’Homme. Accompagnéde Véronique van der Plancke, vice-présidente, qui représente également laFIDH, il a participé à une mission de dixjours en Israël et en Palestine avec d’autresavocats belges, le directeur de « DroitsQuotidiens » et celui de « Médecins duMonde Belgique ». C’est au pas de chargemais en rencontrant néanmoins des interlocuteurs très crédibles et très bien informés que cette mission a fait le tour dela question. Il en résulte un petit livre – publié lui aussi très vite - qui analyse trèsclairement et sous l’angle du droit l’état actuel du conflit et les blocages israéliens.

C’est d’autant plus lisible que l’auteur raconte au jour le jour ses rencontres etdécrit les interrogations et indignations dugroupe. Le temps du vol de retour est celui des conclusions : il est urgent decontinuer à témoigner car « nous sommesen face d’une des pires situations aumonde en termes de respect du droit, ce qui explique l’importance de la Palestine » (…) Et la seule solution est lacréation d’un État palestinien viable, libre et indépendant ». G.L.

Ilan Pappe est historien, professeur à l’Institut d’études arabes et islamiques del’université d’Exeter. Il est également l’auteur de l’ouvrage « Nettoyage Ethniquede la Palestine», paru chez Fayard en 2008.

Le présent ouvrage est une autobiographieétroitement liée à l’histoire d’Israël et de laPalestine occupée. L’auteur a connu uneenfance insouciante et a été baigné dansla culture dynamique d’une société sionisteprospère, assurant bonheur et protection àses membres. Mais la guerre de 1982contre le Liban, son travail de recherchepour l’obtention d’un doctorat en histoire,ses rencontres avec des intellectuels palestiniens, entre autres, lui ont ouvert lesyeux et fait découvrir un monde parallèleoù règnent nettoyage ethnique, apartheid,occupation et dépossession. C’est le fondement du fossé qui s’est creusé entresa conception de la judaïté (de la moralejuive en particulier) et l’idéologie sioniste.Avec le recul, il s’est mis à concevoir le sionisme comme un mouvement colonialet non comme un mouvement de libérationdu peuple juif. Il s’en est donc progressive-ment éloigné puis libéré, s’attirant ainsi lesfoudres de collègues historiens israéliens.

C’est notamment son soutien à Teddy Katz– auteur d’une thèse controversée sur lesmassacres de Tantura – et l’hostilité mani-feste de ses collègues de l’université deHaïfa qui ont précipité son départ d’Israël. Il vit aujourd’hui au Royaume Uni où il enseigne, écrit et participe régulièrement à des débats. C.S.

OUT OF THE FRAME Ilan Pappe, Pluto Press, 2010, 246 p.

livrespalestine 23 LIVRESpalestine 22 COOPÉRATION

Viroinval-Qalqilya UN CYBER-ESPACEPOUR FRANCHIR LE MUR DU SILENCEpar Jean-Marc Delizée, Député-échevin de Viroinval chargé de la coopération internationale

apporte un soutien inestimable, une bouffée d’espoir, un peu d’évasionaux enfants, aux jeunes et moins jeunes de Qalqilya.S’investir dans des projets de coopération internationale, grâce dansce cas au soutien de la Région wallonne, est une volonté de la com-mune de Viroinval.

ELLE N’EST PAS TOUJOURS COMPRISE PAR LE CITOYENPourtant les mandataires communaux et les associations partenairespensent qu’il est important que tous les niveaux de pouvoir (euro-péen, fédéral, communautaire, régional, communal) se mobilisentpour coopérer plus et mieux avec les pays du Sud. La commune peutjouer un rôle dans une politique de solidarité internationale. Elle peutfavoriser les liens et les connexions entre les habitants du Nord et duSud pour une ouverture, une sensibilisation aux réalités de chacun. « La solidarité, c’est rappeler que notre objectif est l’amélioration desconditions de vie de toutes les femmes et de tous les hommes dumonde entier, dans une logique radicalement différente de la com-pétitivité et de la concurrence. Un îlot de pauvreté, où qu’il soit, resteune injustice sociale de trop, qui met en péril les avancées et acquisd’ailleurs… en ce compris chez nous. » Nous vivons dans un « vil-lage global » où la précarité que vivent les uns s’exporte chez les au-tres et ne peut plus être ignorée, où les inégalités, les injusticesdépassent les frontières. Par le choix de la Palestine, Viroinval tentemodestement par son soutien d’œuvrer en faveur de la liberté dupeuple palestinien, peuple éclaté, déchiré, cadenassé, humilié qui ré-clame ses droits depuis plus de 60 ans. Ouvrir une fenêtre sur lemonde aux jeunes Palestiniens est une pierre à l’édifice dans laconstruction de la paix.

Pour tenter de briser l’isolement imposé par l’occupation militaire israélienne, la commune de Viroinval a mis sur pied un second projetde coopération internationale avec la Palestine. Il se concrétise par l’im-plantation d’un cyber-espace et d’un studio d’enregistrement au seindu Forum culturel de Qalqilya. Le 23 novembre 2012, lors de leur inauguration, c’est la voix de Qalqilya qui se fera entendre dans notrepetite commune sud-namuroise. Une liaison directe par Internet per-mettra de franchir le Mur israélien et les 3000 kilomètres qui nous sé-parent du Proche-Orient. Une liaison virtuelle certes, mais symbolique.Un acte politique solidaire est posé. Ce projet est aussi un partenariatavec « Artistes contre le mur», association qui anime depuis près d’unedécennie des camps d’été pour des centaines de jeunes à Qalqilya.

Nous n’avons pas choisi Qalqilya par hasard. Qalqilya résume l’injusticefaite au peuple palestinien, le cynisme de l’État israélien et aussi la résistance du peuple palestinien à l’oppression. Maintes fois condamnétant sur ses aspects humanitaires et politiques que légaux, le Mur provoque l’isolement physique, géographique mais aussi moral et politique. On estime que 75% des citoyens n’ont pas d’emploi à Qalqi-lya. Autrefois le secteur agricole était prospère. Aujourd’hui, l’accès dif-ficile voire impossible aux terres agricoles et aux puits restés de l’autrecôté du mur a ruiné l’économie de la ville. 45000 habitants sont concen-trés sur 4 km2. Leurs déplacements sont empêchés. Les permis ad hocpour franchir les portes agricoles sont rares et aléatoires. L’accès auxsoins de santé, à l’éducation, aux études supérieures, au sport, à la culture est entravé par le Mur et toutes les barrières physiques, militaireset psychologiques. Dans cette ville emmurée, asphyxiée, encerclée,permettre un accès à l’information, offrir un outil d’expression et de communication pacifique, une alternative à la violence omniprésente

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