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CARL BROUARD PAGES RETROUVEES OEUVRES EN PROSE ET EN VERS ( GROUPEES PAR LES SOINS DU .COMITE SOIXANTIEME ANNIVERSAIRE DE CARL BROUARD.). 7.'"\ t. DÎT1oNS v1oïO. ma 1963

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CARL BROUARD

PAGES RETROUVEES

ΠUVRES EN PROSE ET EN VERS

( GROUPEES PAR LES SOINS DU .COMITE SOIXANTIEME

ANNIVERSAIRE DE CARL BROUARD.).

7.'"\ t .DÎT1oNS ~ I~ v1oïO.ma

. ~I"

1963

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CARL BROUARD

PAGES RETROUVEES t,

ŒUVRES EN PROSE ET EN VERS

(GROUPEES PAR LES SOINS DP ,C01I1ITE SOIXANTŒMi';

ANNIVERS/l1RJ<: DE CARL BIWUARD.).

7.\EDITIONS f IJ().,rtO-rorna

PDRT-AU-PRINCE • HAl TI

196::.

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Ce ·/"ecl/.eil des œuvres de Carl Brouard, Poète indigéniste, a pli

hre jJllbiié grâce au. généreux concours du Président de la République,

le Docteu1' François DuvaHer, Président d'Honneur du .Comité SoixanL...

tième Anniver.~aire de Carl Brouard •.

Les te;l:tes du rec'ueil sont le 'fruit d'un travail de recherches, de

t·ran,~CTiption. de classement, mené à bien par le Comité.

Ce Comité, qui orga,nisa une série de manifestations artistiques

et mondaille.~, du ve~dredi 30 Novembre a~1 mercredi 5 Décembre 1962,

était composé de MM "

Roger GAILLARD, Président

EMMANUEL C. PAUL, Trésorier

ERNST TROUILLOT, Secrétaire Génél'Ul

Conseillers "

PAUL BLANCHET.

MARCEL DAUPHIN,

GERARD V. ETIENNE.

JEAN FOUCHARD.

ANTHONY PHELPS

RENE PHILOCTETE,

CARLOS SAINT-LOUIS.

FREDERIC TARDIEU-DUQUELA.

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ECRIT SUR DU RUBAN ROSE

-CCLhier dt! Vers, sans date, Port-au-P1'ince, Imprimerie Modèle,

édition rUl'issime, th'age à moins de cent exemp!aire8,

----De11.Tième édition pa" les soins du .Comité Soi:rantième Anni~er­

','/';1'e Ca.1'1 Brouard. (Editions Panoral1~a, Décembre 1962),

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INVOCATIONS

Dieu citharède - Apollon et vous, Muses de l'hélicon inspirez-moi, - je chante les flûtes muettes tombées des lèvres mortes, et glacées des poètes.

ECLOSION

Comlne on voit les pétales éclater, s'ouvrir sous les baisers frais du zéphyr, mes proses stylées éclosent. fleurs mouillées de la rosée des fleurs, tombées du cœur.

GENTIL-BERNARD

Dans le parc désert, où naguère erraient de belles joueuses de chalumeaux, s'essayant aux airs de Rameau, le poète médite. morose, sur l'effeuillement d'une rose.

POEME

Du calnle - ma pauvre, ma douce sœur. Silencieuse dans ta douleur, tais-toi - tais-toi.

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Là-haut, on dit la vie meilleure, Que!es heures coulent douces comme la soie. Mais si tout ça n'était qu'un leurre. Ah ! N'attends rien des heures, des heures brèves. que du silence, du calme, ma sœur.

LA BRANCHE DE JASMIN

Sur le cristal du bassin. un jasmin ,s'est pel'lché. se dérobant aux caresses du zéphyr qui je poursuit de ses soupirs. Mooilité de la bien-aimée.

ABU-NUWAS

En vain, le:; appels répétés et <;onOl'es de la voix cl'ol'

du muezzin C'onvient le poète à la prière. Dans la taverne, bruissante de chansons. où l'échanson lui verse un vin duux de l'Iran.

Abu-Nuw«s .. SUl' un luth de Farsistan l'hanLe lc,; appas irr,ublant" de Me;,s<louda.

JEUNE :FILLE

Accoudée il. sa fen(·tre. Profil d'elle: un nez busqué. sourcils en ,\ile c!'hironc!pl1e

lèvres sinueuses. Rêverie de,; yeux allongés.

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OFFRANDES

L'heure sonne. Nous irons vers l'amour,

pieuses victimes de chair, et la nef qui nous emportera vers Cythèl'e,

sera une coupe d'offrandes à ramolli'.

J'Al PEl1R

J'ai peur de frôler vos doigts si bruns

si longs . . J'ai peur de vo;; yeux, de vos' regards, de

vo..-; sourires, dE' votre nom parfumé comme

un jasmin du Cap, J'ai peur même d'appuyer trop longtemps

mon regard sur votre cher visage.

AUMONE D'AMOUR

Dalls les mains tremblantes du mendiant

tu déposes l'aumône - bien-aimœ. Aux lèvres avides de l'as..,oiffé tu portes

la cruche d'argile - bien-aimée. Au mendiant d'amoul', tu refuses l'aumône

d'un regard.

UN SAGE M'A DIT

Un sage m a dit: oublie-la. C'est

une perle dans un tas. J'ai haussé les épaules en murmurant, pauvre théoricien,

CE N'EST PAS

Ce n '('.~t pa:, 1 :ne trop abonclantL

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libation, qui me fait presser mon cœur ae mes deux mains. Mais ton regard si dur, bien-aimée.

EXTASE

Un svelte vase mauve; dedans, une rose rouge. Je respire avec délices, la fleur en pensant à vous.

OUANGA

Mambo habile dans l'art de l'hypnose des ouangas, je veux d'un envoûtant mielleux élixir, pour que la lampe du cœur de l'aimée s'illumine à jamais de mon amour.

A l'église du Sacré-Ccc ur l'heure, l'heure sonne,

L'HEURE

et ma mélancolie se déroule, volutes molles, au rythme du son. Heures qui sonnez, heures qui fuyez, en la nuit brève, en la nuit brune, sonnerez-vous mêmement au jour de mon agonie '?

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COL L A BOR A _T ION

AU «PETIT IMPARTIAL}), A «LA TROl'E.E»,

A «LA REVUE INDIGENE», A «LA PRESSE»

ET A

«L'ANTHOLOGIE DE LA POESIE HAITIENNE

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SOIR

Tête bai.'>Sée elle raccommode une chemise trouée. Sur sa peau lisse et noire la lampe met de la poudre d'or. Une brise trempée de pluie nous apporte l'odeur des buis. Douceur quiète du soir. Quittant des yeux mon livre, je regarde ses cheveux ondulant comme de petites vagues qui seraient noires.

NOSTALGIE

Tambour quand tu résonnes mon âme hurle vers J'Afrique. Tantôt je rêve d'une brousse immense, baignée de lune. où ~,'échevèlent de suantes nudités. Tantôt d'une case immonde, où je savoure du sang dans des crânes humains.

ELEGIE

Dolorès te souviens-tu du passé; de IIOS amours clandestines; nans une rue cahne de banlieue port-au-princienne. L'air sentait le jasmin en fleurs On faisait la noce sans remords. L'on se fichait ~3rrément de la critique des mœurs et des faux cols protocolaires.

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Je garderai toujours la nœtalgle de ce soir de pluie où tu fus tellement vicieuse, Parfois, j'avais mal à la tête et tu me forçais à avaler - Dieu sait combien de cachets d'aspirine tout en m'inondant les cheveux et le visage de tafia camphré, Brisés d'amour on s'assoupissait, doucement bercés par le phono et l'on regardait la lune, girandole ambula.nte brillant dans un ciel "étoilé. Les choses ont bien changé ma chère, me voici devenu un peu ascète.

FANTAISIE

La mer est pLeine de voiles Le firmament plein d'étoiles Quel aérien gramophone joue le disque monotone

de la lune sur la dune? Ce vieil air dans l'éther me verse la sentimentallté

en thé. Un ajoupa, du pain, ton cœur, désormais feront mon bonheur. Oh ! la ,rie à deux dans la joie. Horrible! je deviens bourgeois

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chaque fois que la lune sur la -aWle

joue un vieU air dans l'éther qui me fi'Che de la sentimentalité en thé.

SOLITUDE

Seul dans ma chambre. Il pleut. Je pense à vous. Ah ! si vous m'aimiez Wl peu, le monde serait mort à mes yeux, puisque je ne penserais, je ne verrais, je ne yivrais que par vous. Aujourd'hui, des indifférents ont prononcé votre nom et mon cœur a battu très fort. Mon Dieu que je suis bête! Si je possédais un objet de vous peut-être ma tristesse serait moins lourde à porter. Mais à quoi bon me leurrer d'espoirs fous de rê\'es vains vous portez l'indifférence comme on porte une fleur à son corsage.

80 AZEIMA

Afin que dorme ma désespérance langoureuse Azéima, lamente et danse roule en chantant tes hanches larges et douces

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glisse comme une orange SUt' la tt1o\,lÏ$e.

La lune au baiser d'Op«le elt \.Ill bawne pour les cœurs meurtris. Le vent lout"d d'arômes s'insinue dans le feui1t1age 0"4 tu dlnlHls endormeuse de ma rJ.és ... 'r-ilnC~. Azéima - à 1a foule enanwude -verse, verse à longs f1Qt.s 1, ~"Qm doré qui met la joie, le ri.t-~s~ l~ t;Vre&, et apaise du cœur les lariilJes flèvrès. Puis, la nostalgique ch8~Qil créole dont naguère tu me biftÇlÛ6, fi moUe Azélma, encore dis-la, et danse afin que dorme ma déSéspérance.

MA MUSE

Ma muse est u.ne courtisane toucouleur des dents blanches, une casc~de de fous rires des sanglots profonds jus:qu'à l'âme, un tumulte sonore de bracelets et de verroteries. Ma muse

est une courtisane toucouleure. Voyez comme elle est belle a'lec de la poudre d'or dans ses chevem~ de l'antimoine sur les paupières et du henné empourprant ses lèvres épaisses mais fondantes comme une mangt~e.

Ma muse

est une courtisane toucouleure.

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LE TAM·TAM ANGOiSSE

n est ridicule de jouer de la flûte dans un pays où l'instrument nationaJ est le puissan.t assôtor.

NOUS

Nous, le.,; extravagants, les bohèmes, les fous. Nous qui aimons les filles, les liqueurs fortes. la nudité mouvante des tab1es où s'érige, phallus, Je cornet à dés. Nous le!' écorchés de la vie, les poètes. NOlis

qui aimons tout, tout: l'église, la taverne, l'antique, le moderne, la théosophie. lt: cubisme. Nous aux cœurs puissants comme des moteurs qui aimons les combats de coqs les soirs élégiaques, le vrombissement des abeilles dans les matins d'or,

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la mélodie sauvage du tam-tam, l'harmonie rauque des klaxons, ia nostalgie poignante des banjos.

Nous,

les fous, les poètes, nous

qui écrivons nos vers les plus tendres clans des bougH et qui lisons l'Imitation dans les dancings.

Nous qui n'apportons point la paix,

mais le poignard triste

de notre plume

et l'encre rouge de 110t rI' cœur

Vous, !es gueux,

les Immondes, les puants:

vous

paysannes qui descendez de nos n10rnes avec un

gosse dans le ventre, pay~ans caneux aux pieds sillonnés de vermines,

putains, infirmes qui traînez vos puanteurs lourdes de mouche.'.

Vous tous de la plèbe,

debout!

pour le grand coup de balai.

Vous êtes les pilliers de l'édifice:

ôtez-vous

et tout s'écroule, châteaux de cartes.

Alors, alors,

VOLIS comprendrez que vous êtes une grande vague

qui s'ignore.

-- ~O --

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Oh ! vague, assemblez-vous, bouillonnez, mugissez, et que sous votre linceul d'éCumes, il ne subsiste plus rien, rien que du bien propre du bien lavé, du blanchi jusqu'aux os.

JE V AIS VOUS DrnE

Ecoutez, compagnons, je vais vous dire des choses ... Tout d'abord, versez à boire :

(pour Jacques RounuÛJJ)

Quand j'amai claqué, mes chers copains, ne pleurez pas,

n'écrivez point de plaintives élégies, surtout, ne faites pas de vers In Memoriam Mais que ma tombe vous soit une taveJ.Ile où l'on chante, où l'on se saoûle, et que le rythme mystique et sensuel d'une méringue me berce dans ce moo~leux hamac qu'est le néant. Je vide ce verre avec l'espoir

que les toasts qu'il me reste à faire

ne seront pas nombreux.

ELEGIE

La lune a!lume 'ion luminaire d'opale.

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La dente',ière des nuits dans la robe pâle du soir, brode des étoiles. cependant qu'une brise odorante, sinueu;;,e, caresse ma brune. Un ~ang~'ot wurd, triste, du bassin. Quel.Je muette extaE.e fait frissonner le ja·rdin ? Ah ! comme il 5:€'l"a doux à nos lèvres mêlées Je thé de c:tronne']']e en ces heures Iasséeos.

ANTILLES

Puy.:> chal meurs, Antilles de saphir. Martinique, Iles Turques. les Grenadines, Haïti. Nom;; chantants et qui sonnez comme des grelots d'or et qu.i bercez doucement comme un hamac. AntHle·,,! An tiHes d'or ! vous êtes d'odorants bouquets que oercent sur la mer les vents alizés, îles de saphir, où la lune baigne d'argent le:; J:.almü:tes cCt::.:r:~:lI1t que là-bas résonne sourd. le t.am-tam.

LA CROIX DES MARTYRS

A la Croix des Martyrs les jours que ne rythme aucune horloge sonore ,/écoulent calmes, pai'sibles

comme un ruisseau. La petite église silencieuse e.,t toujours là, pt le .Q'8zon vert.

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les cretonnes, les passereaux rouges, lentement oscillent. Sw' l'éaran de la vie, les heures passent au ra'lenti.

HYMNE A ERZULIE

Déesse anthropophage de la Volupté et des richesses, aux robes nuancées des couleurs de l'arc_en_ciel Protectrice des HlIS de Yayoute. o toi qui tends les désirs comme des cordes! o dix nlllle fois dédoublée qui dans le monde élastique et mol des rêves chaque nuit de jeudi ouvre à tes amants les secrets de tes flancs et l'odeur de ta chair! Elzu'~,ie,

élan. dé3ir. cruauté. douceur, nÉant je te chanterai. je te glorifierai je t'exalterai. En tan honneur je brûlerai l'huile de palma-christi, }'assa-fœtida, je battrai le hogan j'agiterai la clochette et l'açon, et je dirai la chair, 1, chaH- douce au contact comme du velours, la chair humble,

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joyeuse, triste, frém.issante, palpitante, douloureuse, la chair plus belle que l'âme, parce qu'un jour nul ne pourra la sentir sans se boucher le nez,

PARADIS PERDU

Pal'aelis perdu connue Ire fane .Iune rose, C'était un lajoupa tapi au creux (des manguiers, fleuri d'hibiscus et de jasmins des bois, au bord de l'eau courante, Nénette, nos corps dans l'eau comme un glaçon !dans }abouche. Tou odeur de Pompéia let mon odeur d'eau de Cologne. N énette, ma N énette, ton cœlU de ',confetti, et (pu.is tes aèvres qui demandent toujours ... toujours l'aumône, let ton corps, cc caramel délicieux. La salaison était chère ·à nos lèvres après le bain et 'l'amour, et combien excitants Je rhum doré, la menthe verte,Le cinzano jaune. 0 frais paradis perdu! Tombe MU' mon cœur,cendre mauve .de la mélancolie et toi, N énette pêche des regrets dans les caux (lu Passé,

CONTE DE FEES

A\'cc les pavots volés à Morphée, belle, Im'ont endormi vos doigts de fée dans la :tour de l'amoul'. MoÜemeut emporté sur le ·cerf_volant du l·êve. comme la Belle au ,bois dormant me :suis endomli dans la tour de l'amour.

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Pel:ché sur un >noir cyprès, l'oiseau bleu ,chante jusqu'au soir près de la tour de l'amour. Mais, princesse avenante, viendrez-vous, diaphane et lente dans la tour de l'amour?

TREFLE INCAfi:NAT

Conte

Ce parfum violent, sensuel et commun était le ·.,En qui nous unissait Azeima et moi, notre unité, le fil d'Al':é,ne du labyrinthe de nos âmes et de nos corps. Quel subtil éiknimiste avait fait. d'Azeima, du Trèfle Incarnat et de moi, u,-e com­binaison dont le résultat était un parfum inconnu du ~onde extérieur'? (Ce parfum, je vous dirai son nom quan<; j'aurai parlé face à face avec le rêve).

Une prêt.resse du Vaudou, parente d'Azeima, aVé.it doué le Trèfle Incarnat d'un fort pouvoir obsesseur (com .. 'llent ? je ne saurais le dire) de telle sorte que ce parfum fais.ait non seulement partie de mon corps et de mon âme, mai~ des ob­jets ayant subi mon contact. Mes sensat.ions, mes sentiments, mes idées, tout du monde extérieur, ne me parvenéit pour ainsi dire qu'au travers de ce parfum. L'eau qui me ~.avait,

la fumée de ma cigarette. ma sueur, mon haJeine, tout, tout n'était que senteur de Trèfle Incarnat.; l'éther même où je

baignais était un champ de ·vi.brations des atomes de ce par­fum. Aussi percevions.nous la significat.ion de nos moindres geste et mouvement..<;; nos regards étaient d'une éloquence ex­traordinairement persuasive, Mes désirs les plus vagues étaient perçus par elle, et aussitôt eX:écutés. :El m'arrivait de souhaiter vaguement que les feuillets d'un livre dont la Jec-

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ture me passionnait fussent coupés, toujours je trouvais le travaiil fait.

Une nuit, souffrant d'un léger refroidissement, je m'ima­ginai que la chaleur d'un bras autour de mon cou me guéri­rait; ce vœu presqu'informulé fut un ordre pour Azeima : ef­fectivement la toux cessa. Certaines méringues aux rythmes sensueJs et berceurs me balIotaient moll1ement sur une mer de parÏum et mon imagination libérée, telle une cavale, s'élan_ çait dans la vaste prairie du Réve, s'ébrouait, se roulait dans des rêves d'une sensuaJité effrénée; rêves qu'il m'était impos­sible de vivre charnellement, parce que cette lente accumu­lation des expériences qui formaient mon moi, m'empêchait de goûter la sensation dans sa saveur primitive, originale. T,l m'aurait faJ.lu pour cela, une âme et un corps purs de brute. Mais ces rêves eux_mêmes si puissamment matérialisés qu'ils fussent, finiraient par s'émousser, se dissoudre, et ainsi, le!1-etment, mais sûrement, je pourrais reconquérir ma pureté

initiale. Mais j'avouerai cependant, que souventes fois, Az::,i­ma n.e percevait point ma pensée; ma volonté impuissante n'arrivait pas toujours à la gérer: au contraire, je percevais t~'ujours ses idées, parce que mon tempérament faible, ma volonté capricieuse, ma sensibilité aigue, faisaient de moi

un hon appareill récepteur. Il faut avouer aussi, que cette désagrégation de ma personnalité n'était pas pOUl" déplaire à mon nihi'lisme, et l11.'épargnait la gérance si difficile de mo:­

même. Gérance difficile de moi-même! Oui, c'était bien cela,

~ar la lecture de certains livres de médecine et de psycho!o­gie m'avait prouvé que mes défauts les plus graves. prove_ naient surtout de mon tempérament, de ma consfi"tutio!1 P3-

thologique; or chacun sait que si le caractère est as"ez facile­

ment modifiable, le tempérament l'est peu, car il y faut. outre

ùne lutte acha~ée contre soi-même, une hygiène toute spé­ciale. Par conséquent, Azeima jouissait 'd'un avantage imme:l­se, . cette lutte âpre contre moi-même 'énervant ma ,"'o!orité.

Pour être tout à fait juste, j'ajouterai que cette dépendance,

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d'aiJ\:ns heurem·t.mu1t acceptée, je ne l'eusse pas aclnüse d'un hcmme, parce que ma fierté eüt fait automatiquement ir! uption. Ainsi donc, les rôles étaient curieusement renver­:sé.:: j'aj:portais une mentalité toute féminine .. Azeima tout jusk le contraire.

Ma maîtresse et moi étiom:i donc deux instruments désac­e(H·dé..;, mais vibrant à l'unisson, tant était parfaite la commu­nauté de nos sensations et de nos sentiments. Nous n'avions même plus besoin du lit pour jouir de nos corps, l'accord de nos pen;;ées suffisait.

.'.u. si, bien qu'Azeima me fît beaucoup souffrir plus tard (et je dirai c,Hnment) je lui garde une gratitude infinie de m'avoir prouvé la possibilité de tirer de son cerveau des jouis. sance" aussi sensuelles (d'autant qu'elles sont plus dangereu­ses) q 'Je celles pl'OCU rées par le corps.

Aœima sut un jour, que je la trompais, «Tu me le paieras, dil-cre>,. Je ne tardai pas à sentir les effets de sa menace. Toutes les obsessions de naguère et qui ne servaient qu'à renforcer mon amour, dévièrent. Les pattes aigu es de la ja­lousie me fouillèrent le cœur. Dix fois par jour, je courais chez e!.le, comme un fou, tremblant et désirant cependant de rencontrer l'amant imaginaire. Je la trouvais calme, un sou­rire mystérieux sur tes lèvres, et alors, je m'abîmais dans son amour. Ces ahernatives d'effroi et de bonheur m'affaiblis­!'aient considérablement, au point que ... mais une comparaison vou:'' peindrait certainement mieux l'état où j'étais. Voilà. J'étais comme un malade sous l'influence du chloroforme.

en 1~'.2.'aise horrible. Une constante envie de vol1Ür. Un vag...:e bDurdonnant. Les voix autour de lui semhlent lointai­nes et se taisent... et se taisent. Un abîme vertigineux où il s'enfGnce. Le vide : la mort. Angoisse. Angoisse, mon .Die.u ! C'Coi( .Le mcment où le double se détache.len,tement du corps. S",, ~'E-l1 allait ce èouble capricieux et ne revenait plus ?

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AIOI's ... alors ... mon Dieu je vais mourir, se dit le malheu­reux.

Perspectives fermées Rideaux baissés Portes doses Il \'oit et entend des cloches qui sonnent son enterrement.

Voici la bière déposée sur le catafalque; la voix grave de l'orgue, et puis, les gestes solennels du prêtre. Oh 1. .. l'odeur des cierges se consumant. Alors, comme pour s'agripper à la vie. JI bondit et. .. retombe. Sommeil. Néant. Longtemps après, joie du réveH miraculeux.

Ainsi s'écoulait ma vie, dans une alternative d'angoisse atroce et de joie délirante. Mai.s, vous vous demandez peut­être cmnment finirent ces tortures?

- Hé ~ par la force des choses, tout simplement.

- Et depuis lors ? .. - Depuis lors, je vis sous une cloche de verre, sur la_

quelle viennent mourir tous les bruits du monde, respirant avec une volupté calme l'éther du S~lence, et tellement épaisse est la cloche de glace qui recouvre mon cœur, que je n'en entends plus les battements. Mes mains lasses, dédaignent de cueillir les désirs les plus proches, les Plus juteux. J'es­time que de se momifier dans le sarcophage dressé par la Destinée, calme, satisfait et sans envie, le corps bien enve­loppé des bandelettes de ses principes, est en vérité une très belle et très bonne chose.

BERCEUSE

Dodo mon enfant dodo et je te bercerai .doucement lentement dans un hamac deioile fine. Dodo,

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Illon enfant dodo ut ne ton sonuneiljenchanté j'écarterai bigailles et maringouins. Dodo, mon enfant dodo, et t li seras roi au pays des ancêtres, au Cong'o lointain. Dodo, mon enfant dodo ct que tes rêves Isoient d'or.

ELEGIE·

Quand je Imourrai, enterrez moi à ,la Croix des Martyrs sans pompes et sans vains discours. Dans l'église, célébrez humblement mes hmérailles Cet enclos .,ilencieux si IJaisible, si pieux ct que le vaniteux raille sera doux à mes désirs apaisés. ne neigeux jasmins (tels d'odorants souvenirs plutôt d'amoureuses mains) neigeront ;·dessusma tombe où nulle blanche colombe Ile se \"Ïendra ,poser. Pour compagnons, j'aurai 'l'odeur des .boL ... et d'autres fleurs ainsi q lie mes ·vieilles amours.

'LBS PIEDS D'AIRAIN

Ils se sont Igorgés du sang de vos artères, Ils .ont pompé la moeUe de vos os, • peuple.

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1'.:11 l'clOLU', quelle pâture vous ont_ils abandOlmée pour assouvir votre faim. Rien. ,Rien. Rien. Pas :même lia pitié. Lor"que les boyaux meurtris,vous hurliez vos souffrances, ô peuplo, ils s'enfonçaient la tête . ,sous l'oreiller pour Ille pas VOUS 'entendre. , Pour s'é~argnel' le supp~;ce de vos .mains tremblantes et tendues, peuple, ils vous ,ont ,parqué dans de sales faubourgs. Sachez que vous êtes les pieds ,d'airain ,de .cet 'édifice d'argile. Cela, il faut que vous le sachiez, sinon, je vous l'enfonc~r8i à ClilpS de marteau dans le ,crâne.

FILLES

Nous sommes ,les Cilles (lui mâchons point de roses en sou.pÏl·ant la 'uouche en 'cœur, et les yeux blancs No:, regards sont dlll's ct droit!> comme un couteau ct nos lèvres peintes

sCout chargées de rires canailles i\n"c les types ,indifférents nous faisons l'amour la cigarette au bec, mais pour ccux que !nous avons dans la peau, llCS cnre-sses sent brutaLes et tempêtueuses comme la Jgrande mer. Nous avons l'inconscience des fleurs vénéneuses et nous .empoisonnons avec un sourire tranquille.

CADENCES CREOLES

Au diable s'en sont allées nos belles amoureuSeS.

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Loulollse et Dina sont mortes ~uberculellses. Clara s'est mariée, triste fin. Mélanie, Zuhna, sont parties pour la Dominicanie.

Tant de choses. tant d.e choses, ô mon Dieu, dan-: ce pauvrc. cc simple mot: Adieu.

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SUR «LA PROIE ET L'OMBRE»

DE JACQUES ROUMAIN

J'ai lu avidement, passionnément, le mince et substahtiel volume de Jacques Roumain. Et cependant, il me semble avoir, depuis toujours, connu ce petit livre, bien qu'à la vérité je ne connaisse qu'une des quatre nouveHes éditées «La Ves­te» publIée dans la Revue Indigène. En vérité, ce livre est une vieille connaissance. Une très vieiJle, lointaine et vietl1le con­naissance. Cela n'est pas que des signes noirs sur du papier blanc: c'est Jacques Roumain, Antonio Vieux, Ern.ile Roumer. Et ce n'est pas tout. C'est encore une peinture de l'horrible bourgeoisie port-au-princienne. Peinture affreuse, cruelle, mais si profondément vraie, qu'on est tenté à chaque instant de mettre des noms SW'" certains personnages, l'inoubliable madame Ba/llin, par exempJe. Mais laissons ce jeu qui faisait les délices du siècle frança:is. Cela pourrait peut-être occa­sionner des ennuis à l'auteur. Chut! Antonio Vieux a raison, ce livre est un témoignage, et combien sincère, émouvant, pa­

thétique.

Je me réjouis infiniment que l'indigène Jacques Roumain ait secoué l'influence nietzschéenne. Naguère, je lui en faisais souvent l'amical reproche. Il défendait alors énergiquement son auteur favori. Peut-être le défend-il encore, mais comme' un ami très cher avec lequel on s'est brouiIJé. Tout de même, que sa tolérance me pennette de préférer les hommes aux surhommes, Racine à ComeidJe. Et puis, mon pieu, les sur-­hommes ne sont-ills pas avant tout des hommes, de pauvres

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hommes parfois. Nietzsche lui-même, 1i~-t',.H; pas :fini 'lU

caban~n Humains, trop humains, voi:1à la raison pour JOJ.­que He nous touchent aussi profondément les pe-rsonnages de Jacques Rouma~n. Le jeune écrivain possède à un rare degré, le dangereux don d'analyse. Je dis dangereux pa·rce que là est l'origine du désespoir acharné' .qui frissonne dans chaque page du volume. TI n'est pas bon que l'homme soit trop avec soi-même. Le monde extérieur n'existe pas assez pour Rou­main, ce monde extérieur qui dilate les cœurs et les rend op­timistes. Un peu plus d'épicuréisme ferait certainement du bien au romancier. Ici, je m'en voudrais de ne pas lui signaler un écueH pour son prochain roman paysan. Et cet écueil est: justement ce dangereux don d'analyse dont je parlais tout. à l'heure. II ne faut pas qu'il prête ses propres réflexes, ses propres sensations aux paysans qui évolueront dans le l'oman annoncé. Nous espérons que l'écrivain saura se surveiller.

Je n'acheverai pas sans dire la sobre élégance de l'écri­ture. Ce style-là a de la l'ace. Il est fini, nerveux, tendu jus­qu'à l'angoisse, plein d'une poésie profonde qui sourd par en dessous. Une source invisible et qui murmure dans un paysa­ge âpre, tourmenté. Les images en sont fortes, neuves, justes.

Sincères compliments à l'artiste E. Basquiat.

QUATRAIN

Sainte Vierge! ma maîtresse m'a lâché sans façon, depuis le .jour (hélas ! maudit soit-il) où le R. P. Manise fit [:tm indécent sermon sur la vertu. Hélas !ainsi soit-il.

o LOULOUSE

Douce Loulouse tu buvais de la crême de menthe du gin

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.du «Bla~ and, White»

· et tu es morte. '. o Loulouse,

· tu.senta;s la pommade moeHe de bœuf le Pompéia tu. fumais· Je. tabac de Virginie et tu es morte. Loulouse,.

· tu te ,dévêtais entièrement. quand tu faisais l'amour, mais tu es morte et contemples à jamais le bout de tes orteils.

A BORD DU l\lACORIS

Passagers pas nombreux ct guère amusants. Je me suis lié d'une étroite am;tié avec lin jeune prêtre armoricain, neurasthénique, et charmant, malheureusement constipé pal' le roulis, et auquel je passe des pilules laxatives. Nous parlons de Sainte Thérèst.·, de Saint Jean de la Croix, du poète breton Anatole le Braz. Le sou', après dîner, nous faisons d'interminables parties de dominos tout en ingurgitant de l'orangeade. Aussi je pisse énormément. Oh ! doucelll' de satisfaire ses besoins naturels.

BALKIS, REINE DE SABA

Ces claires, lointaines et chantantes ,onnailles

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tfui tintent, bruissent, tintent au bord .des mailles d'ambre rose que laisse tomber l'Aurore,

-- ces sonnailles - sont-ce les clochettes d'or pendues aux encolures des dromadaircs pensants, ruminant leur nourriture amère ? Ces aromes exquis, ce parfum endormeur qui baigne dans de la suavité, les cœurs, ce vent poussant les blancs flocons de la natte bleuc, viennent-ils du pays des aromates ? - Ah ! ces douces et lointaines clochettes d'or

tintinnabulant dans le matin sonore

ces al·ômes, cette brise de là-bas accourue, annoncent IHalkis de Saba.

CARESSES SPIRITUELLES

iVlalgn';. les distances énormes

et les !~'~rs sans bornes,

nos âmes se~ont frôlées, ah ! divinement.

Mes lèvres se sont faites doucement

sinueuses, épousant l'évanescent contour des baisers lointains, proches cependant.

Et nos âmes blotties ensemble - nuages voyageurs que le vent rassemble -

conuue deux sons

confondus ne formant plus '1u'un son,

comme delLx flammes

mêlées ne sont qu'une flamme,

sont lme chastement, p;eusement.

DESIR

Dans la ,nuit brune de ton visage

tes dents sont lm rayon de lumière.

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Dans la nuit brune de ton visage tes lèvl'es sont deux rubans violacés, Quand je te regarde, une émotion profonde coule en moi, le sang me nlOnte au cerveau, un frisson en entier me parcourt, ct de respirer l'odeur de Jemelle eXl1dallt de tes aisselles me fait râcler de désir. o ma brune, veux-tu, embarquons-nous joyeusement pour l'enfer, E,'ohé! Ma vie, pour une nuit de plaisir!

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COLLABORATION A «ŒDIPE»

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· ; .•

AUBE

,1. Augltst.e MagloiTl~

C'est l'aube au visage argenté, couverte de rosée. La pluie a cessé et l'allègre pipi rite s'est tu. Le kénépier ',tout sonore d'abeilles épand au loin son odeur vanillée. El la brise qui fait neiger les frangipanes .courbe les fNlilles humides et lisses des bananiers. Des perles d'eau courent san~ laisser trace d'humidité sur les choux caraïbes.

Ecoute le bruit sec du charpentier sur les palmistes droits, les cocotiers penchés. Ecoute le murmure arg-enlin de l'cau courante. Ah ! ma chérie, qu'il fait hon courir pieds nus dans l'herbe mouillée, à :l'abri du soleil et lians lJ('l\I· dl'S lé­zanis frileux qui n'ont pas encore quitté leur trou.

AYDA OUEDO

Svelte et toute hlanche sous le da;r de hmc, A~'da Ouedo songe, les ipieds nus dans l'cau courante. Ave(' un pci~ne

d'or, elle éparpille ses longs cheveux noirs. SPS '!larines aspi­rent avec délices le IJarfum de la sève tropicale ...

Et cependant que la rumeur lointaine des cascade" herce sa dolente rêverie, la hrise chargée rl'arolllcs fait 'onduler 1!0Il

voile arc-en-cielisé ...

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REMARQUES

Quand parut «La Légende de UlenspiegeL» de Charles de Coster, des écrivains belges Hrent un tort à ce üvre de n'avoir pas la consécration de Paris. Or c'était ce qui en fai­sait justement le rare mérite. Ce livre, duquel devait découler toute la littérature nationale belge, peignant des sentiments spécifiquement nationaux et dont la saveur ne pouvait être pleinement goûtée que par des Belges. Un écrivain haïtien et qui serait vanté à Paris n'est pas nécessairement tl'Jn. Ce­la prouve tout simplement qu'il a peint des sentiments abs­traits et généraux, non pas des sentiments particuliers à l'Haïtien. C'est pourquoi, comme l'ont déjà compris Améri­cains, Argenti;;s, Brésiliens, il nous faut employer ces 1500 à 2000 mots qui seuls peuvent nous permettre de rendre nos états d'âme particuliers.

Mots qui appartiennent à quat.re catégories

1) Vaudou 2) Flore 3) Faune 4) Onomatopées.

PAYSAGE RUSTIQUE

C'est comme un jour de la Fête-Dieu. Les jeux é.'ombre et de lumière mettent des couleurs ecclésiastiques sur ;e paysa­ge. Là-bas, la colline se violace de l'améthyste qui orne les doigts des archevêques. Les roses sont pourpres comme le manteau d'un cardinal. Le soleil est un vibrant uSlensoir. L'air sent la fleur fânée, l'encens et la communion. Ln ~uisante chevelure des palmiers évoque lm dimanche des Rc.:11eaux.

A,Hègres ct joyeuse.~. les cloches sonnent, sonnC::-lt. son­nent ...

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SCENARIO DE BALLET

Clermesine Clerm.eil

(RIDEAU).

Une tonne}le paysanne. Au fond, à l'est, un houmfort. A l'ouest, une grosse rivi~re. Clair de lune.

(LEVER DU RIDEAU) - Les tambouriniers accordent

leurs tambours. Bavardages, éc:;lats de rires des hommes coif­fés de foulards multicolores, chaussés de mules. Entre le houngan habi·llé de cotonnade bleue, chaussé d'espadrilles. Salutation des tambouriers et des houncis.

Danses et chansons en l'honneur de Legba, d'Ossangne

et d'Olicha Baguy. Arrêt. Bavardages, rires. Une hounci

s'assied à l'écart, sur une grosse pierre blanche. Tout à coup,

eHe est possédée par Clennésine Clerrneil et se met à chanter,

puis à danser. Danse de houncis qui, peu à peu, s'arrêtent pour contempler Clermésine Clerrneil qui danse, danse, les yeux hagards, le visage extasié. Danse pathétique et qui s'avance lentement vers la rivière. Clermésine tombe dans

J'eau qui J'entraîne, cependant qu'elle chante toujours.

LES SEPT FEUILLES (1)

Il y a de cela quelques années, habitait à Bizoton un jeu­ne homme nommé Robert Lenoir. 1,1 vivait à l'écart et ne sor­tait presque jamais. Silencieux et timide, il était tout le jour plongé dans des livres d'occultisme. Robert ne quittait ses

chères études que pour tirer de sa guitare des accords mélo-

(1 i De nombreux contes de Ca:r! Broua rd ont été publiés du1ts /e jour­

"al. Œdipe .. Ces ·mêmes contes corrif/ps ont été reproduits phts tard dans la revue .Les Griots·. C'est cette dernière 7)ersion des contes qui

sem ojjerte dans cet ouvrage.

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dieux et bizarres. lit. était étrange. à. ces·.morilents..J.à, baignant dans une sorte d'hypnose avec des gestes automatiques et des

yeux perdus dans le loint<ün que lill'seul pouvait percevoir. Il tomba malade, et comme H ne se soignait guère, son mal empirait.. Un soir, après avoir brûlé du benjoin devant son autel magique et allumé sa lampe, une lampe multicolore et qu'~L avait construite avec amour, selon toutes les rè~les de l'art. il s'endormit. Aussitôt, son corps astral s'échappant, vogua dans le Koma-Loka. Indécis, il Hottait ça et là lorsque vinrent vers lui trois élémentals.

L'un d'eux était un griffe grand et fort, au visage martial et aux yeux sévères, entièrement vêtu de rouge. C'était Hogoun Badagry. Le second, très noir, était un svelte et joli jeune aux dents blanches, les lèvres rieuses et les yeux vifs. Il portait une jaquette. C'était Guadé Vi. L'autre était une grifforre ronde et courtaude avec des yeux presque cruels. C'était Erzuli Dantôr. Hs étaient tous les guides de Robert dans 1e my:;tél'ieux pays de l'Astral, contrée dangereuse où la fohe. la mort, les peurs terrifiantes vous guettent. Ces personnes qu'on trouve mortes dans leur lit un matin, le visage convulsé et les yeux dilatés par l'horreur sont, le plus sou­vent, mortes de ces terrifiantes visions.

Cependant, une femme accourut vers Robert qu'elle ca­ressa longtemps, très longtemps. C'était une femme au teint noir, d'un noir pâle et lisse et dont l'obésité n'empêchait pas la grâce inquiétante et perverse du succube. Un moucoir tell q.u'en portent les pénitentes vaudoux, entourait sa tête. Elle était vêtue d'un caraco bleu et tenait dans la main gauche un

layer plein de feuHIes magiques. Robert reconnut Marna Kelle-Doumba et lui rendit caresses pour caresses. «Oh ! mon enfant, lui dit la succube, tu te baigneras avec ces sept. feuil1e~ dans une eau parfumée de pompéia».

Depuis longtemps c'était l'aurore. Des rayons de soleil pénétraient par la fenêtre ouverte, frappant les yeux de Ro­bert qui se réveilla. Dehors, les oiseaux pépiaient gaiement.

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Le VIent joua\it dans 'la chevelure è.~s eocoti~rs;' un parfwn capiteux de rêve montait de la terre. Le jeune momrri.e: ébloui

"se frotta les yeux, ',~/éti,ra., Son bras heUllÜi la table, d~ nuit. 'Ur€gardQ 'et vit les sept f(~uüles:

l'

LA' FEMME· DE JEAN . f~ ,

. , EST MORTE CETTE' NUIT'

, Jean' devait néces~aitemertt·, visiter 'le sohaguy- anèesttal à causedë' sa" femme très'lnalade. Il me pria 'dé' l'accortlpa­gniJl', ,J'acœpt~i. Ce 'n"\~tait pàs très .Io~n, 'd'ailleurs,; Et le

,leondénain .àsix heures Un" qual't, l'autobus me déposa~t à , Blzotbn. ' Après avbir"gtavi' un' coteal'l, nou~ 'déhouchàn1es

3a115 'une' Wnlère \ aba'nd l'Inn ée: 'où' se trouvait naturel·lement. le lcposc,ir -de' Legba, et. descendîmes dans ,.un' va!l.on,'Qùse trouvaient deux houmforts, un ajoupa, demeure., 'du, g~rdien

• 'étélë sa femnl'e. Je pénétrai après- Jean, .dans la petite bâtisse, après qu'il· eut frappé tr0isfois. '.,

Les tambours coniques dormaient appuyés au mur blarl,l'hi à la chaux. Des dessins colorés couraient. tout autoul' du hount. Le pré était couvert de pots, cnlChe.s, vases boi~,';(ms etc ...

Dans une assiette blanche reposaient. des pierres magi··

ques. Les gros zincs étaient recouvelis de drapeaux et les 'couacouas pendaient au plafond. Après .s;être agenouillé, Jean. jeta un peu d'eau, agita une clochette, co1Jla une bougie allu­méé"au bord d'un pot d'eau qu'il déposa au milieu du seuil. Il suivit avec anxiété la flamme vacÏ'Hante. Puis nOll'i pac;sù­

mes au houmfort Petro. Là, pas de tambours, mais un mo]'­

ceau de bois bizarrement tai.1'lé, fiché en terre et enchainé.

lVlo!1 eomp'lg!1Ol1 fit t]'ni~ libations de kimanga contenue dan~ un, boute:'~e el1\"c·1C)::réc de toile rouge, autour des boulets

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. dat'.~mt des guerres de l'Indépendance, fixés sur la ch~îne. Plus bas, sur les cailloux verdis par la mousse, coulait

un . grand ruisseau qud contournait deux énonnes racines d'un arbre à pain, reposoir de Dambala et d'Ayda Ouédo. Tout autour, c'était un fouillis d'&rbustes sa.uvages dominés par des arbres fruitiers et des pllimistes. Nous nous assîmes

sur les racines. JI y faisait une exquise fraîcheur. Et c'étélit sur toute la propriété une atmosphère de mystère. de mélan­colie et de lointain.

J'admirais les beHes filles aux seins fermes qui puisaient l'eau dans le ruisseau. Une laveuse, assise au milieu de l'eau

. était superbe; des j.mbes splendides et d'un noir lisse et doux. Les· ongles des orteils et la plante des pieds étaient d'un ro~ viQ]acé. Je m'exta,-;i4lis sur la fermeté du ventre pourtant un peu en avant. Les seins tombaient un peu, mais pas trop, ~tti­raient ].a caresse des mains. Des lèvres fermes, épaisses et

douc-es, s'ouvraient sur des dents éclatantes de blancheur; au­

dessus du nez anguleux. de longs yeux n~nce .tam.arin,.fendus

en am-ande. Fort troublé par cette fenune qui me mettait le rythme

du ganza dans les artères, j'écoutais à peine Jean qui chan­tô\it une chanson en l'honneur d'Escalin Boumba :

N an bois nous yé Escalin Boumba m'cf! Ioa m'pas bois pou ça.

Il se tut. Peu après, il reprit d'une voix douce, les hll"mes aux yeux, la chanson des marassas.

J'écoutais la chanson douce et triste. Puis brusquement, il se leva sans rien dire. Il revint, revêtu d'une varel.L';e bleue,

pieds nus et les jambes retroussées. Un h~'tl'lefôr pendait à son dos. Il déposa à telTe une bou­

teille de clairin et me donna la main comme la donnent les loas Petros. Je compris alors qu'il n'était plus que le cheval

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de Simbi Amidheso. Papol Simbi m'avoua qu'il n'y avait. rit'll à faire pour la femme de Jean. L'heure fatale· avait sonné. Elle mou;rra.it cette nuit. Après quoi, il appuya sa tête sur un arbre, s'endormit. Au réveill, ce n'ét.ait plus Sjmbi, mais Jean.

- Quoi ?, que s'est-il p~ssé ? me dit mon compôlJ1.TIUn

effaré. - Simbi m'a causé. - Qu'a-t-il dit?

- Rien, il a bu surtout du clairin. Une heure après, nous étions en ville. A minuit, j'ét~i~

profondément endormi quand j'entendis frapper. - Qu'~'St-ce qu'il y a ?

- La femme de Jean est morte cette nuit.

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TANKAS

"'.". ". ·1

Ces palmistes échevelés Sont-ce la chevelure d'lm géant ?

Ces stragomias roses neigent-elles de ta "houppe ?

Il

III

La hme : un bouquet d'étoiles au travers

du manguier.

IV

Au Hanc du morne, cc flamboyant en fleurs est une ravissante ombrelle rouge.

Cc dtronnier aux fnùts d'or est féérique au clair de lune

v

VI

Le ~oleil s'est voilé. 0 mome couvert de brume comme mon {"œur '

- 4f1--

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PAULINE BONAPARTE

(.Madame Leclerc s'affiche trop. Veux qu'elle parte pour Saint-DoDÙngue avec son mari», dit Bonaparte. "

Et Madame de se lamenter devant sa psyché :.(<P~o/.quoi pleurez, ma belle Pauline ? Les larmes .obscurciront te mi­roir de vos yeux. Dans cette île channante où mûrit l'ananas, vous goûterez la fraîcheur à l'ombre des chadéquiers et des jamroses. Des bambarras vous promèneront dlUls une litière pareille ~ celle de Cléopâtre», lui murmure Madame :d'Abran­tès. PtÙS, avisant un madras qui traînait sur un ,guéridon, clle en orne le front de l'éplorée. Pauline, \aussitôt, sourit à son miroir et cesse ses pleurs. La 'joie se peint sur son visage. «Ah! dit-elle ravie, la France me devra la soumission du féro­ce Louverture».

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r

1 _ ••

A PROPOS DE GUEDES.-

LETTRE

AU DIRECTEUR DE «HAITI-JOURNAL ..

MES ENTRETIENS AVEC ARISTE

Mon cher Directeur,

Une petite note dans votre journa:l s'étonne qu'«Œdipe» ait défendu les guédés. Vous vous êtes même un peu réjoui de l'arrestation de quelques-uns. Mais quel mal faisaient~i!ls ? Ont-ils troubJé l'ordre public? Est-ce un crime que de s'af­fubler d'une jaquette et d'un huit-reflets usagés? Il me pa­raît que non.

VOUiS avez certainement vu des cimetières de campagne. Sans doute, ces creux laissés au bas des tombes ont dû vous frapper. C'est là que les paysans, le jOUT de la Fête des Morts, iilluminent et déposent leur plat de pistaches et maïs gl'illés baignan.t dans de l'huile d'olive. N'est-eHe pas infiniment poétique, cette coutume qui perpétue la mémoire des disparus. des guédés, des ancêtres.

VOll!s-même, combien de fois n'avez-vous pas déposé des fileurs sur des tombes chères? Songez que Gandhi pratique le cUiLte de la vache, songez que c'est le culte des ancêtres qui

a p,:,rmis à la civHisation chinoise de durer des miililénaires; au Japon d'être une nation si redoutable, à la Pologne de res­

susciter puisque le culte des traditions est une forme du culte des ancêtres. Aimons, comprenons et respectons les coutumes

du peuple, même l'art que vous aimez tant, et, ici, laissez-

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moi vous citer cette pensée du poète Irlandais Yeats, qui remporta le Prix Nobel: «L'art du peuple est en vérité la plus vieille des aristocraties de la pensée, et parce qu'ij: se refuse à ce qui n'est que passager ou trivial, ou simplement habile, et joli, ainsi qu'à ce qui est vulgai,re ou insincère, et parce qu'iJ en rassemble en soi-même les pensées les plus simpl-es et les plus inoubliables des générations, 11 est le sol où tout grand art s'enracine».

Je n'aime pas les citations, mais permettez-moi cependant de vous en faire une seconde, extraite du discours de Fichte : «La perte de l'indépendance entraîne pour une nation l'im­possibillité d'intervenir dans le cours du temps et d'en déter­miner à sa guise les événements... E~le n'en sortira qu'à la condition expresse de voir naître un monde nouveau dont la création ma'rquerait pour eUe l'origine d'une nouvelle épo­que, d'une époque personnelle, qu'elle emphrait de son déve­loppement particU!lier».

Toutes les proportions gardées, la situation de notre pays n'est-elle pas analogue à celle de l'Allemagne de 1814 ? Et, puisque notre cuture a fait faillite, pourquoi n'en auripns­nous pas une, issue du Peuple?

Pourquoi n'aurions-nous pas la grande ambition d'être l'Attique noire?

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" :

MES ENTRETIENS AVEC ARISTE

- PREMIER ENTRETIEN -

C'était l'aube à la campagne. Une brise fraîche soufflait. Ces brises de l'aube semblent venir des jardins du Paradis. Eloles vous rendent léger, éthéré, des ailles vous poussent. Le bonheur vous gonfle comme un fruit mûr et la joie éclate en vous cormne u!l1e gousse parfumée du matin, écoutant le bruit de sablier. Je me promenais avec mon ami Ariste, respirant avec délices les sourdes cascatelles. Un peu fatigué, mon com­pagnon s'assit sur un pan de mur. Je me suis mis à côté de lui. m me dit :

- Vous avez padé d'une culture nationale, l'autre jour dans votre lettre à «Haïti-Journath>. Je ne comprends pas très bi.m. Expliquez-vous plus clairement.

Moi

Bien volontiers. De quel genre littéraire voulez-vous que nO'15 parlions aujourd'hui ?

Ariste

(;hoisissez à votre guise.

Moi

Tout d'abord, avant de commencer, je tiens à vous avertir que ces projets ne seront pleinement réa'lisés que le jour où

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nous aurons la chance d'avoir tin directeur intelligent capable de prendre en main l'éducation nationaJe, de créer des écoles

où l'éducation et l'instruction se donneront en dehors des parents. C'est la seule façon d'avoir des âm.es saines dans des corps sains, de créer une âme collective et de briser nos pré­jugés stupides, inintelligents. Maintenant, parlons du théâtre

. si, vous 'Ie voulez bien. LaÎssons le côté de notre -dranle issu ··de la geste de '1804 et qui existe' d'ailleurs, Veus n'ignorez pas les noms de Liautaud Ethéart, Massillon Coieou, Isnardin Vieux etc ...

"

Ariste

Vous semblez oublier que nous n'avons pas de ~élJle de théâtre proprement dite.

Moi

J'ai cru devo'ir vous avertir cJue nous ne pal'Jo~!- pas du I?réseI'l:t, ma'is de l'avenir.

'l',

Ariste

Bien, continuez.

Moi

Ecartons la comédie proprement de Hlœurs, et ici je ferai ITemal'quer que les écrivain~ de Renaissance ne sont pas suf­

fisamment appréciés. Faisons abstraction de 1" féérie qui

pourrait, qui doit naître du vaudou et parlons de cette comé­

die que notre folklOl'e cont.ient en gel'me. Dites-moi, Bouqui,

Malice, etc, ne sont-ils pas des personnages analogues Ù ceux de I~ CCll1edia ciel Arte du théâtre classique français?

- 51--

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Ariste

Cela est vrai.

Moi

Remarquez que ces types étant éterneJs, cette comédie devra être aussi une satire politique et sociale. Pour tout dire, e'lle devra être aristophanesque.

Ariste

Continuez.

Moi

Ce genre de c'Omédie ressemble fort aux atemanes, une forme populaire du théâtre romain. Vous n'ignorez pas que les atellanes étaient de courtes pièces con-;a(:r6es à la peinture de la vie journalière des petites gens, pleines d'allusions poli­tiqlH's et sociaIes. Hé ~ ne sentez-vous pas qu'un parei.] t.héâ­tre doit naître de notre folklore ?

Ariste

Je cl·oi.~ que vous avez raison.

- DEUXIEME ENTRETIEN-

Une pénombre très douce descendait sur Port-au-Prince.

Un zéphyr furtif soufflait par instant berçant doucement les

arbres. Et dans cette venel1le du Morne-à-Tuf, le silence n'é­

tait troublé que par les cris mélancoliques des marchands de

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«gaz» et le passage de quelques rares autolTIobiles. J'aime ce:-; crepuscules mystiques. Couché dans ma chambre, je suivais des yeux, le vo} presque effaré d'un oiseau palmiste dans le ciel gris, tout en fumant paresseusement des cigarettes quand Ariste entra en coup de vent. Après un échange de bana.lités et une dégustataion de gaudrine acide et. fraîche, nous reprî­mes notre entretien.

Ariste

VQJ.lsm'avez parlé de théâtre, l'"utre jour, parlez-moi don.: de l~- musique aujourd'hui.

Moi

Volontiers. Tout d'abord, existe--t-il une musique haï­tienne ? Presque pas. A part Occide qui a réussi à faire vibrer collectivement l'âme haïtienne quelquefois, notamment dans le morceau intitulé «1804>" il n'y a pas une œuvre de mu."ique reelJlement haïtienne. A ce propos, je vous rappelle­rai un mot de César Cui sur Rubinstein. «Rubinstein., il est un Russe qui compose de la musique; mais il n'est. pas un musicien russe, puisque n'ayant rien senti à la beauté de no~ chants nationaux,.. C'est exactement ce que je pense de nos musiciens.

Ariste

Cependant Justin Elie, Ludovic Lamothe ?

Moi

Je ne parle pas de la valeur intl·il1,;(.·que de leurs (t'LIvres. mais simplement du point de vue national.

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Ariste'

Ah! bien.

'Moi' .,

J'ai vainement cherché des rythmes' purement. hélÏtiens dans leurs compositions.

'1:- .. • .

Ariste .' ~ ~, .

Vous avez peut-être raison. . . l,'

l\foi

.Et cepenqant, notI:e. fQtklore, notre vaudo~,. sont :'ii riches en chants populaires' '!P~ur:q~~i.·donc n'y ont-ils pa~ puisé .• '. " 'c,'. . ." '. >.' l'. . ! .

. ç,o.mm,e Albeni~ et.,G.rapi;ldps~n .EsI;>agne, ?, Re,rnarquez ,que nos hontôres nos cataliers. nos hoganis >:ont des artistes

~ • . -- •• , • -'. - • l "" • '-- _ , .;.,' ~ _ '1

.ét9nn~nts et qui arrivent, à t,il'el: çl~ le~l's pr~nli,tif;s,instrwnel)ts <;les effets réellementp/-,odigieux .. Il me sembleQ4'on pourrait

tirerde Jà de très b~aux effets d'~a!mo~ie i~it~Ùve .. , .

~ris((.·.

A moi aussi.

Enfin, ne dé~e"J:ércns pas de vOir un de ces jOUTS nos musiciens faire de la musique nationa'le ce que le groupe des Cinq a fait en Russie. Maintenant, passons au ballet.

Ariste

Excusez-moi, mon cher. de ne pas vous entendre davan­tagl~. J'ai un rendez-vous urgent.

-- 54-

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- TROISIE1\fE ENTRETIEN -

C'était une de ces nui:ts splendides et silencieuses. et toutespaiIJetées d'astres. La lune britlait conune un. phare. Pas un brin de vent n'agitait les arbres. Ariste et moL mar­chions sur leurs ombres immobHes. Par instants, un ver­luisant traçait une ligne d'or sur le tableau noir de la nuit.

Moi

Mon cher Ariste, avant. d'arriver au ballet., il nous faut d'abord parler de la danse haïtienne. Disons d'abord qu'elle n'est ni sentiment, ni âme, mais toute sensualité. EUe n'a ni la plasticité des danses modernes composées, ni les pirouettes de la danse classiq ue. Vous y chercherez les lignes géomé­triques des danses asiatiques vainement, le caractère hiéra­tique presque statique de la danse égyptienne. Elle est mou­vement, action. Songez aux mouvements gracieux et gais des jambes dans l'Ibo, à l'ondUilation serpentine des épaules dans le Yanvalou.

Ariste

Jusqu'à preuve du contraire, vous avez raison.

Moi

Vous sentez bien que si je vous ai parlé des caractéris­tiques de notre danse nationale, c'est pour que les auteurs de ballet, librettiste et musicien en tiennent compte.

Ariste

Nécessairement.

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Moi

Mais ce n'est pas tout. Il faut aussi. qu'i1ls connaissent bien la mythologie haïtienne, c'est-à-dire les attributs des loas. leUl"S coutumes, mœurs etc... afin de bâtir le seénario du baHe-t.

Ariste

Vous avez raison, il y a en germe un ballet essentielle­ment national.

- QUATRIEME ENTRETIEN-

Etendu sur mon lit, je lisais, peut-être pour la centième fois, le passage fameux de Pascal sur le divertissement. En moi, un désespoir profond, acharné, s'insinuait. Je méditais sur l'âme si extraordinairement pathét.ique et douloureuse de l'auteur des Pensées, quand Ariste entra et me dit à brûle­pourpoint:

- Eh bien! De quoi me pal1lerez-vous ?

Moi

De la poésie si vous le voulez.

Ariste

Volontiers.

Moi

Cela est un lieu commun d'avancer que les Grecs s'étaient

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créé des dieux à leur mesure. Mesure d'.J.i:liI.ew-s très harmo­nieuse. Quaaités et défauts, Ns avaient tout des hell:ènes. Ch~cun d'eux avait son histoire, S2 fi:Iiation. Les .ancêtres étaient divinisés. Comme dit Plutarque, la terre était confon­due avec le ciel. Cette circonstance permettait aux poètes, tout en glorifiant leurs divinités, de chanter leurs propres sentiments. Cette poésie fut aussi profondément humaine. Maintenant, dites-moi, nos loas n'occupent-rIs pas la même position vis-à-vis de l'imagination populaire ?

Ariste

Il me semble.

Moi

Nous avons donc là le principal élément propre à nous donner une poésie lyrique de premier ordre.

Ariste

Absolument.

.Moi

Notez que tous les matériaux sont là. La plupart de nos chants nationaux sont de purs chefs-d'œuvre. Nous avons là

une vraie caverne des quarante voleurs où le poète n'a qu'ù se baisser pour ramasser d'innombrables pierreries.

Ariste

Que vous avez raison.

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", ' l\Joi . ,.;;.~~"

Ajoutez .à cela: que ranimisine est profon~ment puéti­que. D'ailleurs, notre vaudpu. est essentiellement nôtre .. La combinaison des éléments afrkains. et cathoiliq~es en a fait quelque chose de spécialement haïtien.

Ariste

C'est très vrai.

Moi

Cela étant, cette poésie serait nécessairement originale.

Ariste

Forcément.

Moi

Et puis, là, tout est si frais, si neuf, si vierge! Je supplie nos jeunes écrivains d'abandonner cette poésie mièvre et faite

de réminiscences qui fut trop souvent la nôtre. Qu'ils abdi­

quent leurs préjugés bouxgeois et aillent au peuple. Qu'ils

se souviennent qu'on ne peut comprendre sans aimer. Qu'ils

ouvrent tout grand leurs yeux SUI' ce monde extérieur. si beau,

qui les entoure. Qu'ils soient des artistes sincères et volon­

taires, et aJ01'5, de notre terroir. ils tireront une poésie sen­

suel'Je comme le pignite. ardente comme un chant dans la

nuit, sonore comme un tambour, colorée comme J'habillement

d'ml loa congo.

- CINQUIEME ENTRETIEN -

C'était un ajoupa charmant. Une galerie courait tout

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aulour. pavée de pierres multicolores. L'intérieur était pro­pret, presque coquet. Des nattes, ça et n, égayaient les deux chambres ornées de quelques chaises de paiHe peintes en rouge, d'un buffet vert et d'une table couverte d'une nappe blanche comme du camphre. De grands al"bres ombrageaient la cour. On entendait le Ir.urmure lointain et coulant d'une rivière bordée de malangas. Je servis à mon ami du boubouille rafraîchissant et parfumé.

Ariste

Comment? pas de cocktail ?

Moi

Non, mon vieux. Je suis venu ici pour vivre le Rêve, or l'alcool excite à l'action. Il faut de l'économie dans ces deux

états.

Ariste

Alors ... le laudanum, la cocaïne ...

Moi

Pas besoin de ces excitants pour exalter le Rêve. Tout

au plus des bouquins de métaphysique, de mysticisme et de contes de fées. N'oublions pas la contemplation intense de!

jolies fleurs. La vue prolongée d'une belle fleur me met dans cet État que les Orientaux appellent le kief.

Ariste

C'est lme hygiène.

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Moi

Absolument. Le Rêve est un dédoublement, une dilata­tion. Le rêveur s'identifie avec la rose que berce la brise, il est le frémissement du tamarinier, le nuage voyageur, l'eau fluide et multiforme. Il est cet homme qui passe, cet autre, cet autre encore. Il est l'univers. Tout en lui vit d'une vie scintillante et fourmillante. En lui, tout a une âme. TI de­vient un panthéiste doublé d'un animiste. Comme Ali-Baba, il marche dans une caverne de gemmes.

Ariste

Vous me disiez l'autre jour que l'animisme était profon. dément poétique.

Moi

C'est justement où je voulais en venir. Le vaudou étant profondément animiste. vous sentez l'intense beauté qu'il contient. Nos poètes n'ont qu'à prononcer le «sésame ouvre­toi» pour que s'ouvre la caverne aux milliards.

- SIXIEME ENTRETIEN -

Qui dira la somme d'inconscience que contient la création artistique ? Poète vaniteux, tu n'es qu'un simple médium. Tu penses à une chose, à une idée, et puis tu t'endors et ton subconscient travai,lle. Le lendemain, tu n'as qu'à te donner la peine d'écrire. Décidément, tu n'es qu'lm inconscient dou­blé d'un paresseux. Seulement, voi.là, tout le monde ne peut pas y réussir. L'art, la magie et l'amour, sont trois sœurs jumelles qui ne se laissent violer que par leurs élus. N'aime

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Page 61: PAGES RETROUVEES - University of Florida

pas qui veut aimer. Un magicien qui exél:uterait la plus c:om­pliquée, la plus minutieuse opération m:i\gique n'y réussira guère s'il n'a pas la grâce; pas plus qU'Wl homme qui assem­!)Ierait les plus beaux mots d'une langue n'éc:rirait pour cela un poème. Et qui dira pourquoi un homme ébloui devant une beauté pareille à celle d'Hélène de Troie aimera une femme ayant un visage à peine médiocre. J'étais plongé dans ces réfleXlOllS tluand mon ami pénétra dans ma chambre.

Ariste

A quoi pensez-vous ?

Moi

Ma foi, à pas grand'chose ! - Oh ! les beHes fougères, s'écria mOn ami en contem­

plant des scolopendres qui s'épanouissaient dans un grand va~~. Cette exclamation me fit songer à la botanique natio­mde. En avons-nous une? A peine.

Moi

Quel non-sens! Nos professeurs enseignent la botanique avec. des livres français écrits pour de jeunes français. C'est VOU'i dire qu'on parler à nos écoliers d'une flore qu'ils ne

connaissent pas.

Ariste

.J e vois. Il serait bien plus pratique de les promener dans no,; cctmpagnes.

Moi

Ab,olument. Outre que cela aurait le bénéfice d'une le-

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Page 62: PAGES RETROUVEES - University of Florida

çon Ge chose ils apprendraient à aimer leur pays qui est si beau. Ensuite, on les obligerait à décrire minutieusement telle fleur, tel arbuste ou tel arbre. Pour cela, on lui ferait étudier les procédés descriptifs de Buffon, Rousseau, Bernadin de St­Pierre et Chateaubriand.

Ariste

C'est simple et de bon sens.

Moi

N'est-ce pas ? D'ailleurs cela reste encore vrai pour ]e~ sciences naturelles en général. Ici, souhaitons que le Docteur CaU.:; Pressoir continue ses travaux sur l'entomologie. J'ai eu la chance de lire son travail si intérèssant sur les termites. Je vous recommande encore son livre très instructif sur la médecine haïtienne.

- SEPTIEME ENTRETIEN -

Réveillé de bonne heure, je fus me promener dans le jardin. L'écharpe brune de l'aube s'évanouissait peu à peu. Les ccqs déchiraient l'air de leurs chants aigus et de rares passants causaient dans la rue. D'innombrables roses étaient écloses dans les parterres. Des tubéreuses se balançaient sur leur tige frêle, les paresseux avaient des ondulations fémini­nes. Je cueillis des cerises; leur goût acide et frais flatta agréablement mon palais. Un vent brusque souffla, et, comme il avait plu dans la nuit, des gouttes d'eau coulèrent des cre­tonne,;. Sveltes ou obèses, ces plantes étaient de variétés nom­breuses. Non seulement leurs feui1les étaient admirablement

nUclncées, mais chaque arbuste en portait de différentes cou-

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Page 63: PAGES RETROUVEES - University of Florida

leurs .. Leurs. nervures niédLanes etsecondaiI!~~,_,:?ont tantôt d'un jaun«;!. citron, tantôt d'un rose hardi, ou encore d'un vert pâ'e, L:1 teaL1té de ce matin,.z:ne fit penser à une. âme morte dellÙ"l'Uncnt. Pauvre petite, .elle dort dans un coin ignoré du cimetière. Emu,. je me fis apporter un verre de vin que je bus à son souvenir, Tout à coup, j'entendis crier mon ,nom. Je me retournai. C'était Ariste.

Moi

v ous êtes bien matinal.

Ariste

.1(' reVIens de la messe de cinq heures, Il pénétra dans le jardin et nous nous assîmes nU bord

d'uil petit bassin.

Ariste

Notre causerie sur la botanique m'a fait réfléchü', Ne pem:cz·vous pas qu'il faudrait instituer des cours cl'Histoire de l'Afrique dans nos collèges?

Moi

Assurément. S'il est juste, s'il est nécessaire cl'eno<eigner l'Hi,.;toire de France, il l'est aussi pour l'Histoire ciE- notre commune mère. Evidemment on n'écrira jamais tout n fait rhi~toire de ce continent mystérieux. presque t'Jus les maté­riuux manquent. Mais. cependant, depuis qu'1mb Batoutah le premier pénétra dans le centre de l'Afrique, beaucoup a ~té fait. Ce cours, des hommes comme les Drs. Dorsainvil et F"ice-Mars pourraient le faire avec beaucoup de compétence. Lé; pauvre Afrique séparée du reste du monde par ~es côtes

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ihh;\spiÙIIllères n'a pas pu saisir le flambeau ambulant de lé! civilisation. Elle putcepe1'ldant dérober une toute petite lueur aux arabes, don l , bénéfièièrent les soudanais. Et de ce qu'à peu pres tout ce que nous savons du Soudan a été écrit par des écrivains indigènes écrivant en arabe ne prouve-t-il pas que les nègres sont aussi perfectibles que le reste des hom­mes ? D'aHleurs, leur architecture est originale.

Ariste

Ne fut-ce que pour la fierté raciale que ce cours donne­rait à nos collégiens, il mériterait d'être instituè.

- HUITIEME ENTRETIEN -

Je songeais à Ida, partie pour le pays dédaléen de Guélé­frey. Ce fut un pauvre convoi sous la pluie. Le chemin qui mène au cimetière me paraissait si long, si Tong. Des gens, du seuil de leur maison regardaient passer le cortège. Nous"dü­mes nous arrêter un moment pour laisser passer un bus. Je revoyais vivante, la morte, eHe riait avec des dents blanches comme un pétale de rose blanche. Nous dansions une mérin­gue voluptueuse. Pauvre petite, elIe aura froid, toute seule dans sa tombe.

Enfin, nous arrivâmes au lieu de repos. Les fossoyeurs creusèrent le trou en sifflant, puis on laisse tomber le cer­cueil avec un bruit mat. Quelques femmes pleuraient. Une d'elles à mots hâchés par les ~anglots. vanta sa douceur ct sa joliesse. Ces scènes, je les revoyais, une à une, minutieu­sement, quand Ariste me tapa sur l'épaule.

Ariste

Eh bien! tu as appris l'échec de Pollux Paul. Faute d~

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spectateurs ~a ,c:omédie n'a pu subir les feux de la rampe: l:E'­

pC'ndant, rentrée générale était d'une gourde,

Moi

C'est honteux, Dire qu'on s'éc:rase à la représentat.ion

d'un de ces vaudevilles c:onllne il en éclôt tant il Par;.- chaque

année, Qu'est-ce que vous voulez, cela flatte 1a "a',litÉ' des bourgeois, Lovés dans leur fauteuil, ils on 1 l'ill L1-; "n ,l'ètlT

dan~ un théâtre du Boulevard,

Ariste

Vous ave7. raison, NIais le malheur est que !,',JiJuvre drëmaturge cloué d'esprit créateur ct d'obsl'rva1.i,c,c, -.''Fl'a

sang ct cau pour rentrer dans ses Irais,

-;\-toi

;VIais au~"i, puurquoi diable veut-il !l1<Jnin,r

Il u r~ )wtii.es mi"ère,.; ,'iociales !

-- NEUVIEME ENTRETIEN -

,Je me penchai à la fenêtre, Un fragment de pay-o~l' divi nement beau s'étalait. Un bouquet d'arbres penché sur la mer

bleue indéfiniment prolongée vers le Rêve, ei sur runde un

voilier aux ailes blanche:;;. Oh ! voilier, emporte-moi vers le pays des Lotophages «où règne un éternel après-midi:,. et là,

que libéré des liens de la lumière, je vlve el meure cians une

extase perpétuelle! J'éi.ais dans cet accès de lyri;:me lorsque

Ariste me frappa sur l'épaule. Je me retournai cle fod mau-

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vaise humeur, mais son large rire me calma. Alors, à mon tour, lui tapant sur l'épaule:

- Figure-toi, mon cher, j'ai eu la surprise la plus C'har­mante. Passant rue du Quai, un petit magasin dont tous les articles sont indigènes me frappa. J'entrai et fus aimablement reçu. A mes yeux éblouis, tout un art tropical, fragile, puéril, exquis s'étalait. Tout y révélait chez la patronne, Mademoi­selle Burke, le goût de l'art, le sens de l'ornementation. Si vous voulez avoiT le salon le plus original, le meilleur marché de Port-au-Prince, faiteS.Jlui une petite visite.

Ariste

Ah ?

Moi

Les plus jolies choses du monde réjouiront vos yeux. Ici, sur une étagère, les rondeurs lisses d'une jarre ornée d'ovales noir:, et or; deux tambours coniques d'un dessin hardi et bar­bare. Là des plats-mm'assas dont les dessins eussent ravi les cubites, de fragiles petits paniers hrodés de fleurs stylisées, travaillées avec du fil de couleur, Jes chasse-mouches ravis-3ants. Plus loin, des pantoufles d'un goût original, d'exquises choses en acajou. Voici dans une vitrine des cravates nuan­cées, d'un tissu très souple, des bracelets en argent d'un tra­vail minutieux et délicat. Ça et là de fraîches nattes invitent au fan1iente.

Ariste

Il faudra que j'y fasse une visite.

Moi

Cela est de toute nécessité. Mon cher, il faut saluer bien bas cette intelligente commerçante qui aide tant nos humbles artistes.

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COLLABORATION

A «LA LIBRE TRIBUNE»

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BEHANZIN A BLIDA

Pieds nus dans des sandales de cuir ct le corps drapé

dans un m'boubou ample, Béhanzin rêve, assis sur une natte orange et noire, cependant qu'immobile, une amazone abrite :-3 tête royale d'une ombrelle kongo.

Ah ! voir Abomey et mourir! où les prêtresses d'Ayda

Ol1èdo !

Les yeux pleins d'une indicible mélancolie,il contemple

plus loin que les palmiers maigres qu'agite la brise crépns­

culllire, plus loin, bien plus loin. au-delà du désert, un pays de vin, de palme ct de miel.

Mais où est le sonore bruissement des bracelets d'or aux chevilles des amazones ?

Les prenùères étoiles s'allumèrent dans le litham du ciel. L'horizon devint de la cOIùeur du fuolard de Badagry.

Le royaJ exilé rêvait toujours. ;\lIais, tout à coup. la brise

fraîchit. Le /Vieillard frissonna. Voici venir les ténèbres et

le froid. se dit-il. Il faut rentrer. Il se leva. mais au moment de fl'anchir le seuil de sa demeure forcée, il sc retourna, re­

gardâ longuement les pahniers nostalgiques et murmura dou­cement : «Ah ! s;:ms doute je ne venai Abomey qu'au noir pays de Guéléfrey».

LA LAMPE

31e5 pauvres yeux aveugles à force de pleurer. Mon

Dieu. ne plus voir le ciel bleu comme les cotonnades paysan­

nes. les roses veloutées ct les sabres d'or hrandis ,par d'invi­

sihles cavaliers que sont les éclairs.

El comme dans le pays où j'étais. il faisait toujours nuit.

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j'empruntais la lumière d'une lampe, afin que les hommes ne me heurtassent, lorsque je me rendais dans les caboulots acheter l'ivresse qui berçait ma nostalgie du soleil radieux.

Mais les hommes sont-ils donc aveugles, qu'ils me heur­laient à chaque pas ?

POUR AGATHON II

Chaque fois que je lis Agathon II, je ne peux m'empê­cher de m'écrier : «T.iens ! c'est joli, mais ,où ai-je déjà lu ça ?» tant cela est maniéré, artificiel, livresque surtout.

Diogène, lanterne en main, cherchait un ,honune, moi je chel'che une phrase, une idée personnelle dans les écrits du diplomate fameux, Du clinquant ct des paillons.

Ce dern;er mot rime d'ailleurs avec haillon, Agathon II 8urait-il fréquenté quelque Madame de Rambouillet au petit pied ? Aurait-il séjourné dans quelque· chambre où la toile bleue sel'ait de la cotollnade ?

VERS CHAN AAN

Un matin d'été, par un soleil radieux ct le cœur brisé d'espoir nous sommes partis ,pour le pays de Chanaan,

Malgré nos pieds blessés par les pierres aigues du deses·· poi .. , nos mains meurtries aux ronces des désillusions, allè­gres, nous marchions dans l'espoir d'étancher notre soif aux raisins violets et que le roucoulement des colombes bercer~it notre nostalgie désespérée.

Mais Chanaan recule toujours. Et voie;, nous sommes las. Et nous nous demandons, le

cœur anxieux, si le hleu pays saturé d'aromates eb tout dïapré du \'01 d€s paons ne )serait qu'un mirage.

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BER CE USE

Variante, le poème a déjà paru dans «Le Petit Impartial», transcription de IR dernière strophe qui seule a été modifiée).

Et tu sC:l'as roi au pays des ancêtres, dans la Guinée lointaine Dodo mon enfant dodo, et que tes rêves soient en or fin de Galam.

SCENARIO DE FILM

«LE VAMPIRE ET LE MAGICIEN»

Une chalT,bre, pavée de mosaïques blanches et noires. Au fond, une tenêtre ouverte, baignée de clair de lune. Armoire laquée. Le magicien dessine un grand cereTe incandescent à l'aidE' d'une baguette magique. Dans le cercle, un sceau de

Salomon. L'occultiste est vêtu d'une robe de 1in blanc, brodée de pèniac1es noirs. 11 ouvre l'armoire, prend une cassolette

qu'il dépose au milieu du cercle, puis, après une aspersion d'eau bénite, brûle du benjoin, de "hysope ot de l'encens. Armé d'une épée, il pénètre alors dans le cercle et irtit une évocation. Un vampire noir pénètre par la fenêtre en dan­sant. .. Danse aux arrêts brusques, d'un caractère géométl'i­Que, les jambes en losange. les bras tantôt formant un triangle dont la poitrine serait la base, tantôt des angles droits. On sent que son but e::t d'obliger le magicien à sortir du cercle protecteur. Effroi grandissant de celui-ci qui, tout à coup, pris d'une syncope, tombe en dehors du cercle ... Le vampire se jette sur lui et lui suce le sang.

CASTERA DELIENNE

Des cheveux crépus, tIDe face anguleuse, un regard étran-

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ge et des sOUl'cils rebelles. Est-ce un mulâtre ? Je ne sais. Un homme énigmati(IUe et lointain ... mais si proche. Un

homme pauvre et tle ... poids. Une perversité, une méchan­ceté sat.ani(IUe, et (~ellendant lm c.œur d'or, une très fine sen­sibilité. Du courage ct de la pusillanimité. Un type dans le genre de Camille Desmoulin. Capable d'entraîner une foule, de faire le eoup de pistolet pour rien, par stupidité, s'il n'était p'as très intelligent, ct de fuir après.

Tout cela dépend du moment, des Inerfs, etc... L'homme le moins stable de ]a terre. Un bien vilain papillon. Un intui­tif. Un monsieur 'lui a des loas. En ·somme, l'être le plus disparate, le plus eomplexe que je conr.aisse. Une mine d'or pour le psychologue pt avec tout ça, un itype très séduü;ant.

HOGOUN EALINDJO

Gardien des traditions, Agouason, étends sur moi tes

ailes protectrices.

Donne-lnoi ulle ume valeureuse eonmlC 'tme machettc, un cœur chaud eOlllllle des silex heurtés. Mène-moi par la main dans le chcmin des traditions. A bobo, a ibobo.

Les deux felllllH'S !->c dirigeaient vers le houmfort, lors­qu'une voix étrange, inoubliable, unc voix <lui semblait venir de partout ct dc nullc part et qui !'.cmblait les baigner dans un flu;de sonore retentit: «Aroo 'chaillin ayo, J1ogoun Balind­jo, ll10utchés tchès.

Ago !

Ago! Mm'ie, Elise A bobo, a bobo pour papa Hogoun Alors, le vieux guerrier nago chanta Rouncis yanvalou Ohoo! Ohoo! Ré moin Yanva)ou

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damissfôr, tagueslo HOlUlCis Yanvalou botonnés Oh ! nous toutes dagouésan ! Oh ! hOlUlCis ouande gialévy Oh ! hOlUlcis yanvalou Ohoo! Ohoo!

Ce qui signifie : Oh ! mes enfants, je, suis mouillé. Oh! mes enfants vous pouniez joindre vos efforts pOUl" m'empêcher d'être mouillé dans le gros zin.

Puis 'le tambour résonna. les couacouas s'agitèrent, la clo­chette sonna, l'açon fut tumultueuse et tout rentra dans le silence.

En effet, il pleuvait depuis quelques ]ol1rs. Quand les femmes pénétrèrent dans le hOillufôr, le gms zin était à moitié plein d'eau. Alors, il le changèrent pieusement de place, après avoir jeté l'eau.

Guerrier au sabre flamboyant, au foulard écarlate, veille SUI" moi. Donne-moi une ame aussi valeureuse que celle des 2,'UCI riers nagos.

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COLLABORATION

A LA REVUE «LES GRIOTS})

DONT CARL BROUARD ASSVRA

LA CO-DIRECTION

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DOCTRINE DE LA NOUVELLE ECOLE

28 JuiUet 1915. L'américain foulait notre sol. Hélas. ce n'était pas seulement sur cette terre conquise à la pointe de leurs baïonnettes que leurs lourdes bottes marchaient, m,üs aussi sur nos mœurs. Bien qu'alors en pantaJons cOUlis, nou,c;

comprîmes que nous étions !ct génération de l'Humanité ct la

mélancolie dilata nos yeux.

AloI''> naquirent la Trouée et la Revue Indigène. Revue indige~ie, disait_on. de cette dernière publication qui. dans l'ordre littéraire, cumme le Petit Impartial dans l'ordre poli­

tique, n'était qu'une violente réaction contre la trop "l'rvile imitation blanche. Nous remîmes en honneur l'as'iotôr ct. l'açon. Nus regards nu~tzlgiques se dirigèrent vers l'Afrique

clouloUleu!'e et maternelle. Les splendeurs abolies des civi-,

lisatiol1s soudanaises firent saigner nos CŒurs. Virilement

et glorieusement. puérilement aussi peut-être. nous jurâme, ...

de J'aile de notre patrie le miracle nègre. comme la vicII/te" Hé~,lade fut le miracle blanc.

Aux splendeurs orientales de l'antique Saba. nous l'éVIOllS de mêler la raison latine, et que de ce mélange conforme au

génie de not.re race, naquit une civilisation intégralement

haïtienne. Mais cette civili~a.(ion originale. où clonc pnuvion,~­

nous la puiser si ce n'est dans le peuple.

Aussi. nos âmes inquiètes s'intéressèrent passionnément.

au Jolklore. A ce moment, tout un monde agonisa en nous', Nos yeux aveugles et s(1!péfaits s'ouvrirent dans ce tc.nébl·cllX

cachot où nos fronts bos:iués ne purent trouver d'ouverture et où nos bâtons résonnèrent luguhremen t sur les dalles sono­re'.; de )a ~~)1itude.

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qu~ ~'e fenuent nos paupières douioureuses, nous voulons VOIr poindre l'aurore.

LES GRIOTS

Là-bas, dans les pars mystérieux d'Afrique, quand pas· sent les priots, hommcs et femmes crachent en signe de mé­pris, car ils sont poètes et sorciers, ct les hommes ont peur du niystèrc. Poignets ct cncolures chargés de ouangas, ils vont, les ycux pleins ,de nostalgic et lcurs pas s'enfonccnt dans la hrousse du songe. Ils chantcnt l'amour l'ouge comme la fleur du flamho;vant, l'immobilité étrange dc la mort. Les loas leur parlent cn des rêvcs Iplus vrais quc le réel, le réel n'étant que l'ombrc du rêve. Quand ils font résonncr les tanlbOlU-s de guerre, les guerriers rêvent d'apothéose. Ils forment une caste à part. Quand ils meurent., leurs âmes maudites ne vont point dans les .jardins du Paradis, ct leurs cadavres, déposé~ loin des cases, devicllllcnt la proic dcs chacals_

AYDA OUEDO

Accordez les tamhollrs mystiques; agitez lcs couacouas, que bruissent les tchatchas et que sonlle la clochette. Ruis_ selante de blancheur, Aydu Ouédo s'avance, vêtue des cou­leurs cie l'al·c-cn .. ciel. Elle danse et scs sandales courbent à peine l'herbe guinée. Elle danse et ses longs .yeux lunaires baignent dans l'hypnosc con1lue un lac... Et sa robe splendide oudoie comme une couleuvrc versicolorc_ Accordez les tam­

bours Imystiques. Agitez les couacouas, que bruissent les

tchatchas ct que sonne la clochette.

Le ciel est Hoir Le V('nt siffle,

VŒU

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et les vagues furieuses balottent ça et là le frële boumba, Puissant Agouey, Ica à la chevelure glauque aie pitié de- nous !

Si tu nous délivres du péril nous te donnerons lm foulard vert, des sirops onctueux de succulents gâteaux faits à Port_au ,Prince.

PAYSAGE

Derrière l'éventai! du palmiste

la lune s'est cassée en éclats IJl:iIlants.

POElVIE

Amina, petite lemme- h'uit, aux joues couleur de }>~ch(',

VR'ns l étendre près de moi Sl\I' la natte. Le vent bern' les fougères au bord de l'eau, lutine les abemes bourdonnantes. disllCISC ic parfum pénétrant des goyaves, sur le sol écra_

sées. Nul lieu n'est plus propice à la sieste.

MIlVlOSE ET NAGA

Les fées de mon enfance ne dansent plus dans les clai­

rières baigné€s de lune, et les papillons de la Saint_Jean sc sont envolés au pays des enchanteurs.

Mimose et N'aga s'en vont Lueillir la fleur ImerveiUeuse du calbassi et les «bonbons captaines» dans les buissons au bord des haies, tout comme moi, lorsque j'étais petit.

DAMBALA OUEDO El' LA SIRENE

Un moment. arrête, souple et fluide Sirène, Un baiser,

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101 seul baiser de tes lèvres roses comme le corail dormant au fond des eaux mID·Ïnes. Que mes mains pressent tes légers doigts en torme de volutes, qu'elles glissent sur ta souple queue diaprée d'or d'agathe et de nacre, qu'eUes tombent ~ll

pente douce sur ta chevelure verte comme les algues. Re­viens, oh ! reviens, langoureuse Sirène. Ne t'éloigne pas. Hélas ! tn fuis, ta croupe recourbée laisse un blanc sillon. Déjà tu t'enfonces ct ta bene chevelure s'unit au glauque océan.

l\Iaintenant, enlacée avec Agouey, tu illumines les palais de la mer.

AZORA

Couche-toi, molle Azora. La natte sera douce à ton corps nu et hrun comme Hnc nuit où scintillent les étoiles (Le tes yeux. Vois, le temps est bleu COUlllle l'oiseau nu conte; les arhres hrllisscnt doucement. Les mombins cmoaument.

Couche-toi Azora. Le murmure de la rivière te bercera, ct lT1es baisers t'endormiront.

SULTAN.'\.

Sultana, bijou noir. ton svelte corps est un roseau que le ,'ent balance.

Ton rire insouciant est un gai friselis d'cau, une som"ce fraîche, bruissant sur mon âme triste.

Sultana, petite fleur du béton porLall-princien, laisse moi déposer de nombreux baisers sur tes longs yeux noirs, tes yeux qui font s'envoler mes chimères, comme des papillons

noirs.

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DIALOGUE DES DIEUX

DAMBALA OUEDO

Le disque ensanglanté du soleil est tombé dans la mer. Des volutes aux nuances bleu, gris pede et rose cuivré cou­l'ent sur le ciel pâle. Une brise furtive agite la chevelure des palmistes, et l'écharpe mauve du crépuscule s'attarde encore ;;ur les mornes. Le soir aux sandales d'ébène descendm bien. ~ (it.

Ayda Ouedo

Sans doute, les hOlUICis aux beaux madras s'apprêtent à dc!llser et les tambouriers accordent leurs tambours. Les guir­lande~ de papiers fins frissonnent sous la tonnelle. De joyeux

Innenrs affalés sur les bancs ou couchés ù telTe ch"ntent ct lont dt.'''- lihations.

Dambala Ouedo

Nuit aux pieds rap;des, hâte.toi de remplacer le Soir, car il Ille tarde d'être ù la danse.

Ayda Ouedo

Patience, ô mon époux ! Déjà les veilleuses d'argent du

ciel s'allument une à une et la lune solitaire monte l'escalier hleu du iirmamcnt.

Dambala Ouedo

Déja mes narines respirent l'odeur dcs foulards et de la

Kalang'a; déjà la brise nocturne m'apporte le son des tambours. Bien-aimée, il est l'heure de se rendre à la bamboula.

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Ayda Ouedo

o mon époux, enlevons-nous sur ce rayon de lune.

BOUGE

Ce bQuge. (Etait· ce dans un rêve ?) Des prostituées mélancoliques dansaient la méringue, son_ geant à un passé lointain... lointain, ct leurs mules cla­quaient sur le parquet usé. Mélancoliques, elles tournaient, tournaient comme dans un rêve, aux sons d'un or<:hestre étrange: guitare, grage, triangle, tamhour. Accoudé au comptoir crasseux, un ivrogne braillait une chan­son obscène. Cc bouge. (Etait-ce dans un rêve ?)

SAGESSE

o Carl, disent_ils. tll gaspilles ta jeunesse. Les jours, cc.mme l'eau fuient ct ne reviC'nnent plus. L'heure a sonné où lu dois prendre la vic au sérieux. Pen~e, ah ! pense à ton avenir ! Tes cheveux blanchissent maintenant.

- Hommes peu sages, le présent seul existe, car le passé est dans la mémoire, et l'avenir c'est le tombeau. Ni présent. ni passé, ni futur: l'éternité du néant.

AFRIQUE

Tes enfants perdus t'envoient le salut, maternelle Afri­que. Des Antilles aux Bermudes, ct des Bermudes aux Etats_ Unis, ils soupirent après toi. lis songent aux baobabs, aux gommiers bleus pleins du vol des toucans. Dans la nuit de leUl' rêve, Tombouctou est un onyx mystérieux, un diamant noir Abomey ou Gao. Les guerriers du Bornou sont partis peur le pays des choses mortes. L'Empire du Manding est tombé comme une feuille sèche.

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Et partout la misère, la douleur et la mort. Dans quel l:eu n'égrènent-ils pas l'interminable rosaire de leurs misè-res ?

Les fils paieront la faute des pères jusqu'à la quatrième génération, as_tu dit Seigneur. Cependant, la malédiction des ms de Cham dure ent:ore !

Jusques-à quand, Eternel? Consolation des affligés, élixir des souffrants, soune des

asso:iiés, sommeils des donnants, mystérieux tambour nègre, berœ les t:hamites nostalgiques, endors leurs souffrance~ im_ mémoriales.

L'ART AU SERVICE DU PEUPLE

Lorsque nous serons tous endormis "ous la i'~,,".':re du tombeau, j'imagine qu'un critique qui voudra caract~riser

d'un trait, les tendances du mouvement littéraire qui naqe:.t vers 1925 et se prolonge plus vivant que jamais, jusqu'à no." jours, n'aura besoin que des mots: social et racial. Pas un de

nou::;, je cro!s, ne fait l'art pour l'art. On pourrait même dire que nous faisons de ,l'a prédication. Et c'est ce qui donne à ee

mouvement son unité profonde, malgré la différence des es­plits. Ce point de vue a été mis en lumière par Duvalier. Lorimer Denis et Bonhomme.

Cependant, à mon sens, l'Art au service du Pf'uple n'a pas encore été sérieusement envisagé, bien que chez nous, le seul Art possible, viable, ~oit issu de lui. Mais il ne sait pas lire,

ITle répondez-vous ? Per.;;onne ne l'ignore, mon ami. Mais il faudra bien qu'il le sache un jour, et alors quel impérissable

hOT'neur ce sera pour nous, d'avoir chanté- ses joies et ses

souffrancés, car c'est dans l'âme d'un peuple que réside le

permanent... Hors de là, tout s'écrit sur de l'eau, tout l'si

chimère et vent qui souffle dans le désert. Et d'ailleuE. il m'f.,t arrivé de lire parfois de~ poc-mes b un audit::ire cl'ilJet­

hÉ" L'effet en était o:ai'·i.'sant. Certes, ils ne comprenaient pa,; grand'chose, mais ils en pE'rcevaient la beauté es.~entielle.

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Le lecteur pouna s'en convaincre facileme.'lt. Qu'on choisisse pour cela, certaines poési'es très simples et très mucisa'les de Ver~aine. Toute âme est accessible à l'idée du beau. dans Je ~ens p~atonicien du mot. Ce n'est pas là une affaire d'intel­ligence, mais d'intuition. Le paysan le plus ignorant sent quell hoûntor est plus artiste que l'autre, que te~]e hounsi chante mieux que telle autre, de même qu'il obéira docile­ment à une dictature qui travame dans l'ordre, le vrai pt le bien, parce que ce ,ont là des idées innées. L'on trouvera sans doute que j'in'ii~te singulièrement sur la d.ictalure. C'est que je crois fe·rmement qu'un peuple n'arrive que lentement, étape par étaiJe, au libérali~me. Autrement, il piétine sur place. Le ]ibéra~,i:-me de Pétion sombra dans le despotisme.

On ne viole pas impunément les lois de la nature. Pour ap­prendre l'aIphabet. il faut d'abord connaître la lettre A ! Mais cela n'a aucun rapport avec le début '? Pardon. L'enseigne­ment ne ~era largemenl répandu, qu'à cette seule condition. El puis mes regards venus de notre plus lointain pa!,cé. c'est­à_dire de notre chemin de continuité, (~:eu'e la tradition rend

un peuple fCI t) !Oe tournent vers l'avenir. Créons donc. pUUl"

que r~'us tard vienne le perfectionnement. En définitive. et

maigré \'..; pédanb qui, à tout propo!'., et hors de propos. illVO~

que:~t le matériali~me dinledique, les valeurs de l'esprit ont la durée. Et c'est pal" elles, qu'on s'élève à la Beauté SuprênH'.

«Le droit chemin de 1'8mour, qu'on y marche de soi-même ou qu'on y soit guidé par un autre, c'e"t de commencer par

les beautés d'ici-bas, et de s'élever à la beauté suprême, en passant successivement, pour ainsi dire, par tous le.~ degJ'é.~

de l'échelle». dit Diotime de Mantinée.

POURQUOI LA REVUE "LES GRIOTS»

A ETE FONDEE

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civilisations, défendent le libéralisme, cela se comprend. Il permet un point de contact entre des idées nuancées, hostiles, qui peut être utile aux pays très avancés, possé..'ant de la

maturité politique. Cette doctrine, peu faite pour des peuples jeunes, nous a valu d'innombrables discours aussi pompeux

que vides. De Pétion à nos jours, que d'appels aux idées des encyclopédistes et de la Révolution Française, aux vifs ap­plaudissements de badauds qui n'y comprenaient d'ailleurs rien. Pour le peuple, n'en parlons pas. Ces paroles sonores profitaient cependant. aux démagogues. Ils y gagnaient des ministères, des ambassades. Nombreux sont 1es noms qui Sf>

pressent sous ma plume, et que je ne citerai pas. L'un d'eux,

conférencier moitrinaire, se multiplie terriblement ces jours­

ci. Nos législations copiées plus ou moins servilement sur les législations françaises n'épousaient point notre mentalité. Pn;­textes à d'éloquentes palabres qui, de 1804 à nos jours, Ile

profitèrent qu'à ceux qui les débitaient. Et comment en au­nlÎt-il été autrement? Ces intellectuels superbes, dédaignant de se pencher sur le peuple, ignoraient systématiquement no;; traditions, ou plutôt une paliie de nos traditions, les aîricaine.-<

pour ne s'attacher qu'à nos survivances françaises. Mais l'âme

cl'un peun]e ne peut se scinder en deux comme une cellule.

Ainsi, l'Histoire d'Haïti n'est-elle qu'une suite d'oscillations

où tantôt l'emportent nos survivances françaises, tantôt n()s "!rvivance,, africaines.

Nos révolutions ne sont qu'une recherche éperdue de

l'équilibre.

C'est qu'on ne tenait point compte de notre histoire ct

de nos besoins.

La guerre civile n'était pas le creuset où se pouvait formel'

notre âme collective. Elle apportait d'inutiles tueries. ïe pillage, l'incendie, la destruction de notre cheptel, la défaite

de LOS commerçants évincés par les étrangers, bref, la wine.

En tout eas, ce ~ymptôme était le témoignage d'une déshar­

monie. L'équilibre n'était possible que .dans une harmonieuse

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synthèse de nos traditions afro-latines. Mais encore fallait-il se pencher sur le peuple, pour capter à leurs sources ces loin­taines survivances. Nous n'avons que trop méprisé la pensée de nos ancêtres. C'est la cendre des morts qui crée une patrie. Au-dessus des divergences, unissons-nous pour la cohésion de râmt> nationale. Ayons le culte de nos glOlieux ancêtres. Qu'un bel effort de concorde rallie enfin les membres de la communauté nationale et dans une magnifique synthèse unis­sonsle génie latin au génie africain. Puissent les formules traditionnelles progresser dans le sens de l'unité et du Pan­américanisme.

C'est pour la réalisation de cet idéal que mes collabora­teurs et moi avons fondé cette revue.

QUE SONT LES GRIOTS?

Dans la vieille Hellade. après que clans le mégaron. les guerriers se fussent rassm>iés de viandes s\lcculentes et eus­SEnt vidés d'innombrable,,, cratère, l'aède adossé à un pilier, préludait sur sa cithare, Il chantait Ulysse perdu sur la mer retentissante, en proie à la fureur de Poséidon, Hector au casque ondoyant, sa divine (-pouse, les Argonautes désolés errémt sur les flots bleus et les sirènes mélodieuses.

Sa belle voix vibrait longtemps encore aux oreilles des conducteurs cle peuples, après qu'elle s'était tue, et la rêverie adoucissait leurs regards farouches. Plus tard, des rhapsodes les remplacèrent qui, semblables aux artifices modernes. in­terprétaient les œuvres des autres.

BiEn dE:s siècles apr0s. clans la Fran<:e médiévale, les trou­

vères furent les aèdes du nord et les troubadours ceux du midi. «Ce furent, dit Paul Landormy, des poètes qui, depuis

le milieu du XIIème siècle jusqu'à la fin du XIIlème, écrivi­

rent soit en langue d'oïl, (français), soit en langue d'oc (pro­vençal), des pièces lyriques destinées à être chantées. Le plu" souvent, ils furent cümpo.';itE:ul's Cil même temp..; que P,ll-t2S.

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Nobles ou bourgeois, ils s'inspirèrent surtout de la chanson populaire. Purement mélodistes, ils sont les lointains ancêtres de nos Monsigny, de nos Grétry, de nos Boïeldieu. Quelques­uns d'entre eux chantaient eux-mêmes leurs poésies, mais la

plupart laissaient l'exécution de leurs œuvres aux jongleurs. Sa vièle sur le dos, sa besace au côté, le jongleur allait de châ­

teau en château, de fête en fête, cherchant les heureux qui

ont la bourse ouverte. Il faisait d'abord entendre lll1e ri­

tournelle sur sa vièle (ancêtre des violes et du violon) puis il chantait en s'accompagllant de quelques notes tenues, et chaque strophe de son chant était précédée d'une nouvelle

ritournelle» .

Citons parmi les tl'Qu"ères : Thibaut IV de Champagne qui aima la reine Blanche «comme lys,. et dont les poèmes

sont délicats et spirituels, le châtelin de Coucy, Blondel, l'ami légendaire de Richard Cœur de Lion, Quênes de Béthune.

ancêtre de Sully qui compŒaiL ."des chansons légères à en­lendre/) pour Marie de France, Raoul de Soissons, le tendre

Gace Brulé, le duc de Brabant, Cclin Muset, spirituel et char­mant. le vigoureux Rutebeuf.

Mentionnons parmi les troubadours: J oh'oy Rudel, prince de Blaye, dont Rostand a dr~matisé les romanesques amours,

le belliqueux Bertrand de Born, Bernard de Ventadour qui

finit sa vie dans un monastère après avoir bu jusqu'à la lie

la coupe du plaisir, etc. «Avec h~ temps se fit une ventilation

parmi les jongleurs, dit Funck - Brentano, les uns devinrent

des poètes, trouvères ou troubadours, qui composaient leurs (J'uvres et ne les disaient qu'en bonne compagnie; les autres

récitaient ou chantaient avec accompagnement de musique, vieille, rote ou psaltérion, les compositions des trouvères; en­

fin, une troisième classe comprit les saltimbanques, faiseurs

de pirouettes, joueurs de marionnettes et montreurs d'ani­

maux savants;,'.

Eh ~ bien, les griots ne sont pas autre chose. Tout corrune

les trouvères, les troubadours, ils se divisent en trois classes:

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les poètes, les récitants, les bouffons. Ces derniers ne sont pas seulement des baladins mais de redoutables sorciers. Le grand journaliste américain Seabrook leur a consacré des pages troublantes. Ils forment une caste à part, tantôt méprisée. tantôt redoutée. Comme tous les inspirés, ils chantent l'amour, les combats meurtriers, la lueur rouge des incendies.

De nombreux griots accompagnaient les troupes de Samo­ry, d'El Hadj Omar, de Béhanzin, etc... S'accompagnant de leurs guitares primitives, ils chantaient les exploits de ces guerriers, la moisson de têtes nombreuses comme des épis de maïs, le crépitement des fusillades, les bien-aimées, au teint bronzé ou noir, vêtues de contonnades bleues, s'en allant p;Jiser de l'eau aux rivières chantantes.

Nous autres griots haïtiens, devons chanter la splendeur c1~ nos paysans, la douceur des aubes d'Avril, bourdonnantes d'abeilles et qui ont l'odeur vanillée des kénépiers en fleurs. la beauté de nos femmes. les exploit~ de no.., ancêtres, étudier passionnément notre folklore et nou.~ souvenir que «changer de religion est s'aventurer dans un désert inconnu; que de­vancer son destin est s'exposer à perdre le génie de sa race et ses traditions. Le sage n'en change pas: il se contente de les comprendre toutes, en s'élevant ù l'intelligence de leur diversité, de les dépasser toutes, en contemplant leur secrète et pérennelle unité».

SIXAIN

Le soleil s'est voilé de pâles écharpes. Ses rais, pour arriver jusqu'à nous, semblent Avoir traversé l'océan gris. Les harpes Des ramealLX capricieux murmurent ensemhle De ,-agues accords dans les arbres frileux Il pleuvra tôt sur les chemins pierreux.

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POEME

Un jour, mes dépouilles mortelles ret()urneront à la terre maternelle De mes atomes d;spersés surgiront une rose au cœur de l'été de fréles clochettes, la c:lssoleUe balancée d'une tubéreuse.

ANTILLES

Pays charmeurs, Antilles de saphir. iVlariini(JlIl', Iles Turques. les Grenadines, Haïti, n()!1IS chantants qui sonnez comme tifS gl'c1ots d'or

et qui bercez dOllcement r0Il1111e Ull hamac Antilles: Antilles d'or

vous êtes d'odorants houquds

que bercent sur la mer, les vents

alizés, iles de saphir,

où la lune baignc d'arg"ent

les pahn.;stes.

cepcndant que là-bas résonne,

sOllrd,

le tam-tam.

PARTANCE

Em barq lions-nous

sur le paquebot «Révc»

;\';:adag"ascar, le Mozambique, l'Ile de Zanzibar

défileront sous nos yeux.

NOlis ferons escale à Nossy-Bé,

nù les cocotiers courbés pal' le vent du large

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nous enchanteront; ainsi qu'à Djibouti, où des somalis se promènent nonchalamment~ les cheveux rougis avec de la chaux de corail.

AFRIQUE

Dédaigneuse du monde extérieur, ct couchée sur l'immense Océan, l'Afr.ique sommeille, AutOUl' de son corps fauve elle a élevé de fonnidables remparts, - côtes inhospitalières, ports introll\'ables -­Et les yeux clos, contcmille éternellement son âme. quc dompte un climat inclément.

LA CROIX-DES-MARTYRS

A la Croix-des-Martyrs, les jours que ne rythmc aucune hodogc Sfllwrl'.

s'écoulent calmes, paisibles, comme un ruisseau, La petite église silenc;puse, est toujours lù, et le gazon vert, les cretonnes, les paresseux rouges, lentement oscillent. Sur l'écran de la vie les heures passent au ralenti.

LE CANTIQUE DE BOUKMAN

De sombres nuages courent SUl' le firmament noir connue

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nos visages. Des sabres d'or et de feu scintillent. Un dieu puissant roule d'énormes pierres sur le dôme du ciel. Les g'randes eaux sont déchaîuées et la tempe te furieuse tord, déracine les figuiers maudits, le·s mapous gigantesques.

Sois-nous propice, Hohoun Balindjo. Donne-nous le cou­rage de couper les têtes plus nombreuses que' les étoiles du ciel, que nos torches brillent comme un soleil couchant. Et. vous, mes frères, sur ce sang que nous allons boire. jurons d'exterminer les colons!

PAGANISME ET VAUDOU

A MON PERE.

Les passions de l'amour sont innées. L'amour paternel est aussi naturel que les besoins physiologiques. Ainsi les pères o'u:;aient guère. ou presque, du droit de vie ou de mort dont

ils jouissaient à l'origine sur leurs enfants. Plus que de la crainte, ceux-ci avaient pour eux une profonde estime. De là naquit le respect viril de la vieillesse. A Sparte, tout vieillard

pouvait punir un jeune homme. L'inégalité sociale ne vint pas, comme le pensait Rousseau, du droit de propriété, mais de !a vie patriarcale. Les premiers nobles furent des chefs

de famille.

Pères de peuples, les rois jouissaient d'un pouvoir absolu.

C'est qu'ils n'avaient pas seulement le pouvoir militaire, mais a ussi le pouvoir religieux. L'affection filiale créa le tradi­

tionalisme et le cuIte des ancêtres. Cc sont ces deux senti­

ments qui assurèrent :1·a durée de la civilisation chinoise. "La piété bJ.iale est la racine de toutes les vertus. ENe se divi<':l!

en trois immenses sphères :

1 - Celle des soins ei des respects qu'il faut rendre à ses parents.

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2 - Celle qui embrasse tous les devoirs eavers le principe et la patrie.

3 - Celle de l'acquisition des vertus et de toutes les qualités qui ont notre perfection».

Ecoutez encore le Riao-King ou Livre de la Piété Filiale. «Lp. prince est le père et la mère de ses peuples: vous le ser­virez avec une vraie piété filiale, et vous serez un sujet. fidèle; vous défèrerez à ceux qui sont au-dessus de vous et vous serez un citoyen soumis». TOL.l Chinois avait chez lui un aut.el sur lequel on déposait des tablettes où l'on écrivait les noms des aïeux. C'est là que les cassolettes répandaient leurs parfums, tandis que l'on faisait les cérémonies. Des mets exquis étaient déposés chaque année sur les tombeaux.

En Grèce, tout comme en Chine, le père avait droit de vie et de mort sur sa progéniture. La réunion de quelques iamilles formait une phratrie, et de plusiel.lJrs phratries, une tri­bu placée sour,; la garde d'un héros divinisé. Ainsi, d'après la

légende, Cécrops réunit la population de l'Attique en douze clmfédérations. Un feu perpétuel couvait sous la cendre du foyer où l'on faisait les libations. Certains jours, de gracieuses couronnes et des repas funéraires étaient déposés aux pieds des stèles. Seuls les chefs de famille de phratrie ou de tribu p(.)uvaient officier.

!VIême absolu pouyoir SUl' la parenté chez les Romains.

Les ancêtres étaient divimsés sous les no:ns de lares et de mânes. Un sanctuaire domestique leur était dressé dans l'a­

trium. Devant l'autel, un feu perpétuel, symbole de l'immor­

talité de l'âme, élevait sa flamme. Le matin, ainsi qu'avant et après chaque repas, le chef de famille disait des prières et faisait les libations. Les jours fériés, l'autel était aboadam­

ment fleuri et on y brülait de l'encens. Les latins s'attachaient

beallC'oup à leurs pénates .. Voyez l'émotion de Catulle retrou­

vant sa petite villa de Sirmio. à son retour de Bythinie . . :~Ah ~ quel bonheur plus grand que la fin de soucis, quand

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l'esprit rejette son fardeau et que fatigués du voyage, nous venuns nous asseoir auprès de notre Lare et nous reposer

enfin dans notre lit ? Oui, c'est là ce qui seul nous paie de tant de fatigues. Salut, ô belle Sirmio, réjouis-toi du retow· du maître. Réjouissez-vous aussi, ondes du lac. Riez, tout CE' qu'il y a chez moi de rires !»

Avec des sensibles différences, ces cultes ne ressemblent­ils paS aux nôtres'? Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant. Cer­taines conceptions, certains sentiments semblent universels. Si le nuumfôr n'est pas au cœur de la maison, et si le howlgan n'est pas forcément le père, il est vénéré par toute la famille. Le climat qui dans l'Hellade et l'Italie exigeait que les liba­tions ft.:ssent d'huile et de vin, veut chez nous, du rhum et du clairin... Ajoutons qu'aucun homme du peuple ne boit son café sans en verser pour les défwüs. Dans nos cimetières de campagne les tombes ont généralement une cavité, où les paysan!'. déposent. certains jours, des pistaches et des grains de L1aïs baignant dans de l'huile d'olive, ainsi que des repas run~rall"es. Les guédés fêtent le 2 Novembre avec autant d'indécence que dans l'antiquité, les bacchanales. Si des cultes privés r:.nus passons aux cultes publics, même ressemblance.

Comme Neptune de son trident, Agué aux yeux verts dompte la met·l·etentissante. Iris a passé son écharpe à la belle Aïda Ou(>(;o. .",-vec son sabre et son foulard rouge, Bogoun conduit

les gueniers au combat tout comme Mars. Nos maîtresses

d'eau :-;ont aussi gracieuses que les naïades. C'est que, chez

tous le" peuples priimtifs, «tout ce qui entoure l'homme, tous

les phenomènes qui frappent ses yeux ou ses oreilles, ce sont

des récèlatiol1s de la divinité, ce sont des dieux». Félix Gui­

rand b. qui Frédéric Lefèvre demandait d'où provenaient les

simili: ::dcs mythologiques, répondit : «Tout simplement de

ce que ~e" formes de l'esprit sont limitées et que l'imagination

des hon:mes - surtout des hommes primitifs - se meut dans

lm cercle relativement restreint. Voilà pourquoi certains my­

thes. ~I.:rtt)ut ceux qui tendent à expliquer les phénomènes de

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la nature se retrouvent identiques chez des peuples qui n'ont pas eu entre eux de rapports. Cela ressort particulièrement des pages que j'ai tenu à consacrer, en dépit des infol1illations ellcore dispersées, aux mythologies des peuples primitifs d'O­céanie ou de l'Afrique Noire», Je souhaite qu'une équipe de folkloristes étudie sérieusement le vaudou. Un jour viendra où ce culte ne sera plus qu'un souvenir. Déjà, il est sérieu­semeI1lt battu en brèche par Iles sectes protestantes. A ce propos, bien que catholique, il me faut reconnaître que le vaudouisant le plus enragé. converti au protestantisme, aban­donne définitivement les loas, cependant qu'ils font bon ména­ge avec le catholicisme. A quoi cela tient-il, me demanderez­vous'? A ce que le protestantisme, religion sans décor et sans my~tères, est nulle sur l'imagination et la sensibilité, à la bénédiction des images qui vont ensuite orner les houmforts à la distance qui sépare nos prêtles des ouailles du proléta­l'iat.

FOLKLORE.-

LE ROMAN

DE BOU QUI ET D E MAL 1 C E

CHAPITRE l

Assis sur une chaise bat'se devant sa case, les jambes

croisées, Bouqui fumait lentement sa pipe. Son large chapeau

de paille reposait à côté de lui. Ses yeux vagues regardaient

sans voir le vallon ombreux où cou1a i,t un grand l'uisseau assez riche en écrevisses. Son fi ère, Malice, appuyé sur un bâton, semblait soucieux. La mère de Bouqui baissait chaque jour,

et la récolte de maïs serait mauvaise.

- Bouqui, di1·-il (ou( à coup, je crois qu'il serait bon de

prépcll'er une soupe pour maman. Tenez (il tira une gourde de

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Page 95: PAGES RETROUVEES - University of Florida

sa poche) allez au marché, où vous achèterez vingt centimes

de viande, dix de giraumont et quinze de vermicelle.

Bouqui partit, s'acquitta assez vite de ses commissions

et reprit le chemin du retour. Le soleil commençait à monter.

Il se retourna soudain et vit son ombre qui le suivait. - Compère, pourquoi me suivez-vous ? Celui-ci semblait sourd. Une sueur froide baigna Bouqui.

- Ah ~ c'est la viande qu'il vous faut '? Eh ! bien. voilà:

Mais, ce n'était pas seulement la viande que voulait son

poursuivant, mais aussi la vermicelle et le giraumont. que le demi-frère de Malince lança par dessus son épaule.

Hélas, le" pas de l'homme ét.aient toujours dans ses pas.

Bouqui qui sentait se resserrer ses fes~es, prit la fuite CD je­

tant le reste de monnaie pt vint s'abattre tout suffoqué aux pied;, de Malice.

- Eh ' bien, Bouqui, qu'y a-t-il ,) Où ~ont le.'; L'{)lllln i ,­

sions '~

Ouaille, Ti :Maliee, versez-moi un grug' dt" ; Il-illt',.

Ouail1e, j'ai dù tout remettre à un assassin qui me pourc u:v;';1,

même l'argent, hélas!

- Sot, à cette heure, ii ne pas-;e personne sur la !'(lute. C'était probablement votre ombre, imbécile. Enfin, .i'irai YI1oi­

mên;e au marché. Vous, préparez le bain tiède pOUl' la vieille.

BouCjui se dirigea vers le vallon ombreux, y ramassa des

brindilles qu'il amassa en un petit tas qu'il fit flamber. Ayant

rempli d'eau une marmitte, il la dépo~a sur le hrasier. Puis,

s'étant baissé, il l'éventa avec son chapeau, après avoir long­

temps soufflé dessus. Alors, se sentant fatigué, il s'assit.

Quand l'eau eut bouilli, Bouqui saisit vivement le récipient

et pénétrant dans l'arrière pièce, le vida d'un trait dans la

baignoire de bois. La vieille, étendue sur une natte, geignait

doucement. Son fils la souleva comme une plume et la déposa

dans l'eau. Les yeux de la pauvresse s'ouvrirent, et ses lèvres

s'écartant montrèrent des dents très blanches. Bouqui. sati~­

fait, recula un peu. ((.Oh ! Oh 1 dit-il, comme tu es contente,

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maman. Tu veux ton cachimbo, sans doute. Attends. attends, et se baissant, il ramassa un coco-pauvre qu'il enfonça pres­que de force dans la bouche de la baigneuse.

Malice revint. - Et l'eau chaude? demanda-t-il.

- Oh ! oh ! maman est au bain, et si contente, "j '·'.·ntente qu'elle m'a prié de lui apporter sa pipe. Viens la voù-.

Pénétrant dans la chambre, Malice, les hl'as levÉs vers le ciel, hurlait:

- Miséricorde : Bouqui, vous avez tué votre )T:'l'!'e.

CHAPITRE II

Peu après, Bouqui prit femme. Un soir qu'il pn:',;ail le frais, assis à l'ombre cl'un sablier, 1inmt de grosse~ Î),'uffées de 0',,, pipe, son neveu Ti-Brpuf vini à passer. N'aimant point

frayer avel' Bouqui, il fil sl'mbÎëmt de ne pas le voir. - Ohé 1 Ti-Bo.'uL qu'ai-je donc avec vous ,)

me dites pas bonj(lui". Excuo:ez-nlui, ]"jlUn onde, je ne vous avais pèLe ','1.1.

Et la farnille ? Bien, je vous remercie. Dites-moi, où habitez-vous? Ma famille demeure sous un manguier, non 1(>;n (le Id

t'ourl'e. Pour moi, j'habite sous un caïrnitier, au 0:1:',' rie la

ravine.

- Bien, bien. je viendrai VllUS voir un de ces 60:1'5.

Le surlendemain, pal' une nuit sans lune, presq.,e ;;ans

étoiles, Bouqui se dirigea vers la demeure de son ne\;E'U, pas

avant l'ependant clf' recommander à sa femme de I=)réparer

une immense chaudière. Il marchait à petits pas. écartant

précautionneusement les branchettes. Les lumignons verts de

coucoui'i'-es, les barbes blanches du cotonnier balanCE par le

vent l'effrayaient. Une fresaie qui hua le fit frissonne". Un

grand corps apparut tout à coup vaguement. Bouqui i,':}ongea

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doucement la main. lorS<'J.u'un magistral soufflet lui enleva

quelques dents. Lâchant un pet qui résonna comme un tam­

bour arada, il prit la fuite en hurlant. Sa femme, bouleversée,

lui prépaJ'a un «thé-saisi» qu'il avala après un grog de cinq doigts. Le lendemain, il était devant sa case la mâchoire ban­

dée, lorsque Ti-Bœuf vint à passer, qui lui souhaita le bon

jour d'un air douceureux, une pointe d'ironie dans le coin de

l'œil.

- Bonjour, grogna Bouqui.

- Vous êtes maJlade, cher ona!e ' Peur tant, hier vous

étiez bien portant.

- Je n'ai rien ... rien.

- Au revoir, cher oncle. Eonne journée.

- Adieu, et Bouqui se tournant vers sa femme qui ve:lait

de :,codir, lui dit : Méfiez-vous de cet animal de Ti,- Bœuf qui

semble, ~\ le voir. pouvoir ?\ peine écraser une fourmi. C'f'"t un loup-garou dàngereux. Il se change en tigre' la nuit.

CHAPITRE III

BClqui et Malice se chamaillaient sans CEs~e. Celui-ci,

résoju d'en finir, couvrit Tante Avéline consentante d'une

pc·au de cabri puante, grouillante de vers. Elle alla pa;.:spr

devant la case de Bouqui.

Oh : oh ! Tante Avéline, est-ce bien vous ') Tante

Avé'line, qui d,me vous a fait ce mal') s'écria Bouqui en SE­

bouchant knez,

- Malice. oui.

- Malice: c'est donc un homme bien redoutable. Doré-

navant, je me garderai de lui chercher noise.

Le lendemain. au pipirit-e ehantant. Bouqui courut chez

Je prétendu hC"Jngan,

- Compère l\IIalice, mon cher, oublions nos querelles.

Vivons en bonne amitié. Pour fêter notre réconciliation. de­

main, nous tuerons maman (un houngan l'avait ressuscitée au

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moment de .la mettre en bière) et nous ]a mangerons; ensuite, nous ferons de même pour la tienne.

Le lendemain donc, la mHlheureuse fut hachée et mangée à la sauce malice. Le surlendemain, Malice enferma sa mère au haut d'une tour, lui recommandant de ne point paraître. à moins qu'il ne lui chante cette chanson

Maman, manIan, adié maman, filé corde, cé ti Malice Ahna~dia, almandis cé ti Malice filé ('orde.

A!ol'S, elle filerait une marmite qui remonterait avec ia nourriture et la boisson nécessaires.

Un moment après. Bouqui vint. - Bonjour Malice. - Bonjour Bouqui. - Eh ! bien, et la chose ?

-- Quelle chose ':' Foutez-moj la paix, ou je vous iÏche dans le même état que Tante Avéline.

Bouqui se retira tout mortifié et ]a rage au cœur.

Un jour, caché derrière un gros mapou, il surprit lVlalicc qui chantait au pied de la tour:

Maman, maman, adié maman. filé corde céti Malice Almandia, almandia céti Malice filé corde.

Aussitôt la marmite descenr~it et Malice la remplit de

mets succulents. Bouqui s'en alla. enchnoté de sa découverte.

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Le lendemaiR i'l rev Îllt , au Oioleil levant, et contrefaisant sa

voix, il chanta :

Maman, :.'laman, adié maman, filé corde céti Malice Almandia, almandia céti Malice filé cOl'de,

Il était persuadé que sa chanson avait la douceur d'une flûte, cepefidant qu'on l'entendait dans la Guinée comme un

m"age.

~ Hum! hum! se dit la vieille. Ce n'est point la voix

de mon hls. A d'autI-es, coquin!

Vainp1l1enf Bouqui tenta d'assouplir son larynx. Ce fut

hiea pis. Il revint le lendemain, le surlendemain. Peine pel'­ô:.le. Cependant, Malice était au courant de son manège. Aus­si, lin matin que son demi-frère se mOlfondait au pied de la

fOl'tf'reSse, ma~"chant doucement, à pas feutrés, il hü banda

vigoureusement les yeux, et le couvrit d'une peau de cabri,

tout puant. Persuadé qu'il était devenu dans le même état que

Tanle Avéline, Bouqui épel"du prit la fuite, hurlant comme lm

damne..

CHAPITRE IV

Un jour, à la chasse, Bouqui ca~sa l'aile d'un oisillon d'un

coup de fistibal. Il en fit cadeau à un enfant qui finit par le

tuer en jouant. Le lendemain. Bouqui vint réclamer son oise­

let.

- Comment, dit la mère, n'en aviez-vous pas fait cadeau a l'enfcmi '? Du resle. le petit oiseau e,( mort. ~ .Je n'en sais rien, remettez-moi mon b;.en.

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- Eh ! bien, prenez un mouton à sa place et ne revenez

plu,; ici. Le lendemain Bouqui revint.

- Mon oiseau! - Mais, ne nous vous avons pas dit hier qu'il était mort

et r. 'avez-vous pas .pris un mouton à sa place ?

- Je n'en sais rien, mon o~seau, il me faut mon oiseau. - Th ! bien, prenez un autre mouton et ne reverrez plus. Ce fut ainsi six fois de suite. Ce jour-là, le septième jour,

Tigre vint à passer et s'étonna de la disparition des bêtP.'s.

- Hélas, dil la dame, Bouqui m'a tout enlevé pour un mi,é·l'ab~e oiseau à dnn: mOll qu'jl dcnna à mon fUs. Il ne me l·e~·te plus que ce seul mouton que vous voyez.

- Voulez-vou" me le donner madame, je vous promets que Bouqui ne reparaîtra plus jama.is devant vous.

--- Prenez_le dlmc.

Ayant écorché la bête, Tigre le dévora et se revêtit de la peau. Bouqui ne larda pas.

- Madame, il me faut mon oiseau.

- Hélas! Bouqui, il ne me reste plus qu'un seul mouton,

prenez-le.

Sans regarder à droite :lU à gauche, Bouqui chargea vi­goureusement son mouton. Hum ! hum! se dit-il, ce mouton e"t gras comme un cochon ! Il Y en a bien pour deux jours. C'est ma femme qui SC'l"i-l contente. Elle."e rongera les doigts

ii force de sucer.

- Hem ! hem ~ vous ne vous doutez pas de quel gros nègre vous êtes porteur, Bouqui. C'est le général Tigre ...

A ce nom, Bouqui hondit comme s'il avait été piqué par L1ne épingle. Du plus loin qu'il pût, il cria à sa famille qui

prenait le frais devant sa porte: «Fuyez, mes amis, vite, vite, ce J,l'e::;t pas un mouton que je porte, mai.s bien un Tigre». Ce

fut c>'us:-itôt une fuite éperdue. Femme, enfants, se su~pen­dirent à un madriel'. Arrivé devant la mai~on, Tigre s'assit

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paisiblement sur ses pattes de derrière, a1:tendant que les mal­

heu,reux tombassent comme des fruits mûrs. - Papa, papa, criait le dernier enfant de Bouqui, mes

maias n'en peuvent plus, je vais tomber .. , je tombe. Tigre, d'un coup de patte lui cas .. a les reins. Ce fut bien­

tôt le tour du deuxième, du troi,'.'i&me, du quatrième enfant

de leur mère. Bouqui, navré contemplait sa famille anéantie.

11 fut dévoré avec tous les siens.

Quelle ne fut pas la stupéfaction de Tigre, le lendemain,

aJ::l'ès avoir fait son besoin derrière un buisson, de voir Bouqui re,<suscité d~ taler à toutes jambes.

CHAPITRE V

Un midi, Bouqui. surprtt MaLice qui mangeait de bon ap­pétit W1 rosbif aux piments doux. Celui-ci généreux, lui. en

" fit une pal't que Bouqui dévora à benes dents.

- Malice, mon cher Malice, où pi'enez-vous ces viandes

grasses et succulentes "?

- C'est le cadeau d'un compère. - Menteur, je ne vou.:, cormais point de filleul. Allons,

cèlchotie.r, dites, je ",erai discret. Malice fit deux ou trois mensonges dont Bouqui ne fut.

pas dupe. Il insista: «Et si je vous contais l'histoire de Com­

père Macaque et de Compère Chien "?»

- Allez-y.

- Tope-là. Cric. - Crac,

- Hem : Pour aller à un grand baL Cumpère Chien et Compère Macaque, de tous temps ennemis, confièrent au mê­

me lailleur la confection de leurs jaquettes. Un jour que

Macaque était à l'essayage, il vit de loin venir son adversaire. D"IY] l~cnd, il se blottit derrière le comptoir. Compère Chien

entra. tout pimpant, tout guilleret. Hum: hum ! dit-il, je

J'lairl' je ne sais quelle odeur de Macaque. C'est bien possi­

blé, ii sort d'ici à l'instant, répondit le tailleur. Satisfait,

COmpl'l'e Chien se retira et Macaque put sortir de sa cachette.

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Dam une seconde rencontre, cehû-ci qu1 faillit être étral\gié ne dut son salut qu'à la fuite. Jurant de se venger, il alla cons\:Ll.ter un bô.kor ,redoutable.

- Ah ! si vous pouviez me procurer une parceUe d'ex­crément de chien, n'importe lequel, je les exterminerai tous, dit ~e hO"i.lngan.

- Vraiment, il n'en resterait pas un seul sur le globe? - Pas un seul. - Bien, veuillez patienter quelques jours. Compère Macaque se posta dans une venelle déserte,

derrière un bui!"son de «belles-mexicaines». Passèrent plu­!\ieun chiens qu'il trouva trop costauds, trop redoutables. Tout à coup surgit un tout petit chien de France. Ah ! celui­là. je m'en vais le faire chier, murmura-t-il, et il bondit com­me Lm tigre. La lutte fut beaucoup plus chaude qu'~l ne s'y attendait. Enfin, apl ès une heure de combat acharné, se bais­.<:ant. il ramassa un bout d'excrément et s'enfuit à toutes jam­bes, Arrivé chez le bôkor, haletant, mais gonflé d'une joie

immense, il lui tendit son précieux butin. «OK, dit le houngan. Mais êtes-vous bien sûr que cela vient d'un chien '? Pensez que si cela provenait de vous, tous les macaques expireraient.

- Attendez, attendez. je ne suis pas tout à fait certain de n'avcir pas sEnti "uer mon cul au plus fort de la lutte ...

- Puisque vous avez tenu votre promesse, dit Malice. je tiendrai la mienne. Ces viandes proviennent des bœufs du l'l',:. Demain. au petit jour, je vous y accompagnerai.

La nuit s'était faite. Bouqui. bientôt impatient. aHuma un grand b0L!can.

- Malice, Malice, e'e,,( le moment. Regarde là-bas les rougeurs de l'aube.

- Farceur, va éteindre cet incendie.

Bouqui se coucha mais ne tarda point à se réveiller el, se penchant sur un arbre, imita ,le chant du coq .

. - Malice, voici que les coqs annoncent le jour, partons!

- Allez vous coucher, Bouqui.

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Mais, ce-lui-ci ne pouvait dormir. )11 imagina peu après

d'imiter les sabots des ânes et des mulets qui transportent les

paysannes au marché. - Ah ! c'est pour de bon, Malice. Les campagnards vont

au marché. - Foutez-moi la paix, Bouqui. Enfin, quatre heures sonnèrent. Malice, muni d'un hale­

fôr et son compagnon d'un gros sac, partirent. Aprèo avoir

doucement enjambé la clôture du pré, chacun se glissa dans 1.e cul d'une vache, comme glisse une seringue entre les fesses

d'un e·.lfant malade. Malice eut vite fini d'enlever le peu de

viande qu'il lui fallait. - Allons, Bouqui, le soleil ouvre tout grand se, yeux.

fini~sons-en. Les bouviers du roi vont venir. Mais Bouqui faisait la sourde oreille, et Malice, impatient,

s'en alla. Cependant, les bouviers arrivèrent juste au moment

où Douqui se glissait hors de la vache. Surpris, effrayés, les

bou"iers se mirent à fuir, lorsque l'un d'eux, ~e re~OLlrnant,

reconnut Bouqui. «Hé: hé ' amis, dit-il. ce n'est que B,'UCfui.

Ca.,:sons-lui la gueule».

Après l'avoir roué, les bouviers jugèrent bon de ;:::riller

les fesses de Bouqui. Ce qu'ils firent incont·inent, en il' for­

çant à s'asseoir sur un boucan. L'Oncle qui pou."<;ait des cris

épouvantables, se débattit si bien. qu'il finit par s'échapper

dES e'lains de ses bourreaux et se réfugia dans une forêt pro­

fonde. Tandis qu'il bêlait comme un veau, un dia:--,le, perché

au faîte d'un avocatier, laissa tomber un fruit vert ju"te sur

ses plaies, Bouqui bondit en hurlant: «Dieu me hait: Oh !

comme il me hait!» Le malin qui se tordait de rire, lui lança

alon un avocat mûr qui s'écrabouilla dans les blessures, Bou­

qhli se débarbouilla, à l'aide de ses mains qu'il léchait, s'é­

criant tout réjoui : «Dieu m'aime, oh ! comme il m'aime !" De ce jour, on le surnomma «Bouqui au cul brûlé>? n guérit

assez vite, heureusement.

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CHAPITRE VI

Un jour, causant avec la fiancée de Bouqui, Malice se vanta de chevaucher l'Oncle comme une vulgaire rosse.

- C'est impossible, répondit la fiancée indignée. - Impossible? Je vous jure de le faire caracCfler devant

voüe balcon, pas plus tard que cette semaine. - A11ez, vous plaisantez, Malice. Le surlendemain, bavardant avec Bouqui, notre finaud

lais,;;a entendre qu'il était invité à un bal chez le roi, qui serait. précédé d'un grand dîner. A ce moment, Bouqui évoquant. des victuailles gargantuesques, ouvrit immensément ses yeux, ronds comme ceux des chouettes.

- 0 Malice, Malice mon frc're, emmenez-moi.

C'est impossible, Bouqui. Voyons, vous n'êtes pas invité,

Eh ! bien, arrnngcz-vous. A vous tout est possible, Malice

Impossible 1

vous n'accepteriez pas. - Dites toujours.

A moins que,., H moins que, JVléllS

- Voilà. Vous me SerVIrIeZ de monture, Arrivé là. vous aurez vite fait de vous déharnacher ct de pénétrer comme un invité dans la salle.

Bouqui refusa avec indignation, mais lorsqu'il pensa aux plab succulents qui allaient lui échapper, il accepta.

- A demain donc. dit Malice.

- A demain,

Le lendemain l'Oncle s'amena de bonne heure.

Après avoir causé un moment, Malice lui mit la selle sur le dos. Bouqui gémit.

- A vous entendre, dit Malice, on dirait que vous portez

la cathédrale de Port-au-Prince.

Pour les œillères, Bouqui se plaignit de ne pas voir,

- Qu'à cela ne tienne, vous irez tout droit devant vous.

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Mais, pour le mors, ce fut toute une affaire. Il se plaignit qU'<!>R lui cassait les dents, auxqueUes i'l tenait plus que la prunelle de ses yeux. Enfin, Maiice s'élançant sur la sell-e,

éperonna. Tel un fauve, son coursier bondit. - fill ! non, pour ça non! Il n'avait pas été question

d'éperon. - Vous plaisantez, mon cher. A-t-on jamais vu de

cavalier sans éperons? - Ne le faites pas une seconde fois, ou je ne marche plus. Cependant, il se décida à trotter d'une assez fière allure.

Hélas ! il ne tarda pas à se fatiguer. Un vigoureux coup de cravache le réveilla de son assoupissement. La Rossinante improvisée égrena un rosaire de borborygmes.

- Non! non, non Malice. n n'était pas question de fouet. - lm.bécile, il n'y a pas de cavalier sans cravache. Le pauvre homme suait à grosses gouttes et faiblissait

de plus en plus. Soudain, il leva la tête et vit le balcon où "a Fiancée prenait le frais. Alors, l'énergie lui revint. Furieux du tour que lui jouait Malice, il se mit à caracoler, ruer, bon­dir. pirouetter, en vain. Son cavalier ne bougeait pas plus qu'un crapaud sur sa crapaude. Tout son manège n'eut d'au­tre résultat que d'attirer l'attention de sa fiancée. Quelques vigoureux coups d'éperon le rendirent souple comme un gant, et c'est d'tille allure vertigineuse qu'il passa devant sa pro­mise évanouie.

CHAPITRE VII

Cependant, une déveine carabinée s'acharnait sur Malice. «L'argent, pour moi, disait-il, ne s'est pas contenté de grimper sur les arbres, mais s'est foutu dans la mer».

Ses plus roublardes combinaisons rataient immanquable­ment, et lorsqu'il rentrait la tête basse, la poche vide, ct l'air tout penaud, sa femme, ses enfants affamés lui faisaient des

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scènes épouvantables. Désesl'éré, il résolut de se pendre. Muni d'une corde, il allait exécuter son dessein lorsqu'il

œncontra un matelot sur les quais qui lui dit connaître un pays, où il suffisait pour ainsi dire de se baisser pOlar ramasser de l'or, comme des caiHoux. A cette nouvelle inattendue, notre homme se mit à danser de joie. Une souris échappée des griffes d'un chat ne serait pas plus heureuse.

Après des tractations, à la vérité fort difficiles, Malice vendit le peu qui lui resta1t, c'est-à-dire deux misérables car­reaux de terre, se munit de quelques provisions et partit dare dare avec toute sa famille.

Des jours et des nui,ts, ils marchèrent, escaladant de hautes montagnes, traversant des rivières en crue, longeant des vallées profondes, en proie à 1a faim, au soleil et à la fatigue.

Mais voici qu'un matin, à l'heure où le soleil pomp~ la rosée, derrière un rideau de palmistes, une ville étincelante mrgit à l'horizon, dont les dômes de cristal brillaient de toutes les couleurs de Parc-en-ciel. Malice, très débrouillard, loua une petite maison ce jour même, puis, ayant tâté du terrain, s'improvisa houngan. C'est un métier, disait-il, qui n'est pas bien malin, et qui rappcrte toujours, les hommes étant par­tout des sots.

L'exotisme plaisant toujours, notre homme devint en peu de temps fort à 1a mode. Les plus hautes dames le consul­taient. Aussi, en six mois, amassa-t-il une petite fortune.

Un jour, il fut invité à dire les dernières prières pour un mort qui laissait d'immenses biel1JS. Malgré ses grands avan­tages, Malice avait le plus vif désir de rentrer dans son pays. Cette oœasion lui parut propice. n dit à sa famiIle : «Mes amis, j'en ai assez de ce pays. Ce soir, tandis que je dirai les dernières prières à J'étage, vous, débrouillez-vous pour tout enlever. Ne laissez pas un poil sur le maclouc1ou».

Claires, briliaient les étoiles, lorsque Malice, sa femme et ses enfants se rendirent dans la maison du défunt. Gravement,

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il monta l'escalier après avt'ür prié sa famille de l'attendre. Des enfants, entourés de parents nombreux et fortunés, étaient autour d'un petit autel. fleuri où se consumaient des cierges,

Malice leva ses yeux au ciel, t0ussa, se frotta onciueu­~ement les mams, et tout en passant son sac, entonna d'tme voix dolenbe :

«Chaque grand moune cé dix miUe goude» Et les assistants de répOl'ldre :

«Oui cé vérité Oui cé vérité, Oui cé vérité, Seigneur».

EH un clin d'œil, la valise du prêtre savane s'emplit.. Il ma·~otait des prières lorsqu'il fut pris d'une transe biza.!'!'e, durant laquelle il s'écria : «Mes amis, mes amis, voici que Je mort veut me parler; vite, vile, voilez-vous le visage».

Emus, effrayés, les assistants s'empressèrent de raf1er tout ce qu'il y avait d'étoffe dans la maison. Même Vun d·eux. tout (remblant, se boucha les yeux avec un soutien gorge, (:(' qui manqua de faire p<mffer de rire le malicieux bokôr, qui pendant ce temps, enlevait tout ce qu'il pot-lvait enlever. Alors, évitant le moindre craquement, le plus doucement po:-;­sible, il descendit l'escalier. re~oignit sa fami.Jle chal',gée de buti'Fl et 13.rit la fuite vers un petit bois de bayahonà,es où l'attendaient des mule.: toutes prêtes.

Cependant, un quart d'heure s'était passé e'~ les ma!heu­reux parents suaient .~ grosses gouttes sous leurs draps. On était en p!ein mois de Juillet. La demie heure se passa. Rien! Enfin, l'un d'eux toussa, f>ui~; un autre plus audaci.eux, dit Gl'une voix faible : «P~re Ma!lice, que dit le mOlrt ?» Pas de réponse. «Houngan Malice, que dit le mort ?» Pas de réponse. «Taureau Malice, qu'a dit le défunt». Pas de réponse. Alors, i' ,Of' :!(ya U"1 retit co:n de la chemise qui lui cachait le \·j"él~P.

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et le rabaissa vivement. Que].qyes minutes s'écoulèrent. Il souleva un peu plus. Dans le silence auguste, la chambre lui sembla à peu près vide. ENfiE, après avoir répéfé plusieurs fois ce Manè~e, il souleva tout à fait le voile en h\Jr'lant «Au voleur! A l'a-;-sassin !»

Ce fut une dégringolade éperdue clans l'esca·lier. Mais, hélas! Malice était loin ... bien loiI'l.

CHAPITRE VIII

Hor.:. d'atteinte, Malice et sa troupe ne se pressèrent pas trop. Ils s'attardèrent dans les bourgs, musèrent dans les mar­chés, firent la sieste dans les vallons ombreux au bord des eaux courantes. Un soir, dans une clairière baignée de lune, Malice une main à la tempe commença

- Cric.

- Crac. - Il y avait une fois, un homme si pauvre, SI pauvre,

qu'il nourrissait à peine sa famille avec des «peaux d~ patates» ramassées un peu partout. Un après-midi, rentrant plus las que d'habitude, il dit : «Mes amis, je ne peux vous :laisser ainsi mourir de faim. Résignez-vous à mendier pendant quelques jours. Pour moi, je m'en vais à la grâce de Dieu, à la reche~'­che d'un travail».

Toute la nuit, sa femme et ses enfants étouffèrent leurs larmes. A l'aube, muni d'un halefôr contenant deux bananes, il partit après des adieux déchirants. Tout le jour il marcha, suant à grO:'ses goutte~', pauvre loqueteux rongé de chagrins et brimbalant comme un ivrogne. Le soir tombait, lorsqu'il rencontra un viei,llaro assis sur Wle pierre et qui semblait accablé de fatigue. Emu de pitié à la vue d'un plus pauvre CiL"::: lui, ncll2 homme founh::.t dan.; sa mâcoute, lui tendit une banane.

- Tenez, mon Père, c'est tout ce que je possède. - Merci, merci mon enfant. Où allez-vous ?

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- A la rechelJche d.'un travail pour nourrir ma famille qui meurt de faim.

- Bien, mon enfant. Gardez mes conseils: que votre bouche soit muette sur ce que verront vos yeu..x. Préférez la vieiHe route au ehemin neuf, s1.ui@ut, réfléchissez sept fois

avant de commettre un crime. Allez, mon fils et que Dieu vous bénisse, ajouta-t-il en disparaissant comme un éclair, dans un paIfum de nard et d'encens. C'était Notre Seigneur J':stis-Chri.·t qui en ce temps-là marchait sur les chemins de :a terre, j':uni:sant les méchants, récompensant Jes bon~.

Notre homme se signa et plein d,'émotion, continua son chemin. Des jours et des nuits, il marcha et finit par arriver au palais d'un roi, où il reçut la plus large hospit.alité. On le tit asseoir dans une sane somptueuse et lorsque midi sonna. des serviteurs l'amenèrent à la table du monarque. Quel ne fut pas son étonnement de vuir dans l'assiette de la reine, seu­lement une pièce de vingt dollars. Les yeux écarquiJ.lés de surprise, il allait interroger, lorsqu'il remarqua le silence des convives, se souvint des conseils du vieillard, et se tut. Bien lui en prit, car ·le souverain qui punissait l'infidélité de sa

femme, massacrait tous les indiscrets.

Le ventre bien plein, notre homme s'en allait, lorsqu'en traversant le parc, il rencontra la reine, les deux pieds en­chaînés. Plein de pitié, il se dirigeait vers elle, mais se sou­venant encore du premier cunseil du vieux, il se détourna et continuait. sa route lorsqu'il fut rappelé par un courtisan. Le roi lui fit don de la moitié de sa fortUl'le, puis de d~ux ananas creux plein.:: de pièces d'or. Au comble de la joie. notre homme reprit sa route.

Un jour, traversant une fOl'êt, il. arriva à un carrefour

où deux routes bifurquaient, dont rune semblait nouvelle­ment frayée. Il s'engagea dans le chemin vieux. Cette fois

('"'Pore. il fut sauvé par ~'on obéissance, car des voleurs s'é­

ta' en t embl' =lués dans Je "entier nouvellement 1 aillé.

Enfin, après bien des jours, il arriva un soir non loin clp

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son ajoupa. Son cœur semblait vouloir s'tK:happer de ses lè­vres et il se hâtait, soulevant avec peine ses pieds meurtIis, quand il vit un homme embrasser sa femme. La rage dans l'âme, j,l cassa Ul'le branche d'arbre et. s'élança vers l'incon­nu ... <liai n'était autre que son fils. Des jours heureux pro­longèrent ses jours au sein de sa famille».

Les enfants dormaient pr.ofondément lorsqt:.e le conteur se tut.

-l1U-

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COLLABORATION

A LA REVUE

«LA RELEVE».

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LE LIVRE DES LOAS

(Pétros)

-1-

Loa fort, loa puissant, loa au bizarre langage, Escalier BOIJmba sois-moi propice. Ecarte les obstacles. Aplanis mes chemins. Consume mes ennemis comme du charbon. Ensei­gne-moi l'art de les écarter et de protéger mes amis.

-II-

Vêtue de cotonnade bleue, de grands anneaux aux oreil­les. un sourire sympathique aux lèvres, l'éventail plein de branchettes et ses mules claquant sur le parquet, s'avance la hautE: et ronde Kellé Boumba.

De sa main droite, elle me tend des feuilles magiques, un jeu de cartes.

- III-

Que ce soit la rosée scintillant sur les fleurs, la pluie vivi­fiantt: qui réjouit le cœur des laboureurs, ou la tempête qui fracasse les arbres, grossit les rivières, moi Scimbi Anndhéso, l'eau ne me mouille point.

-IV-

.Je SUIS Scimbi Anmpaka. Comme mon frère, vêtu de la

-113-

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vareuse et les pieds nus, j'erre sans me mouiHer à travers le

liquide é<lément.

-v-Loa aux cheveux plats, loa fort, Anmine au visage brun

comme l'écorce du pa'Imiste, émerge de l'onde, mystérieux amis ! Ecarte de moi les embûches. Etends sur ma tête tes fortes mains. Suis-moi pas à pas. Bientôt je t'offrirai deux pigeons, cuits dans du riz blanc comme jasmin.

-VI-

Battez les tambours, tambouriers. Servantes, agitez les COUélcouas, et vous, houncis aux beaux madras, chantez LeÎln­ba Zaou. Minuit sonne là-bas. Le frisé pousse son cri lugubre sur un mapou géant, et le petit malade se tord sur sa natte de jonc.

Vite, viie, accourez ô Leimba Zaou, venez l'arracher des

dents cruelles du loup garou, et sauver du désespoir la mère. Deux gros cochons te récornpenserollt.

-VII-

Caplaou, ô puissant Caplaou, verse un baume sur 'la plaie qui ronge mes os. Le jour, la douleur me tenaille, la nuit ne

me voit point fermer les paupières. En vain je me tourne et

retourne sur ma natte. Père, ô Père, miséricord~ ! Pardonne­

moi. Lorsque je serai guérie, je te donnenai en offrande un

fier dindon, à l'envergure puissante, aux ergots aigus et longs.

- VIII-

Déjà la trompette guerrière se mêle aux hurlements des combattants. Dans l'air embrasé crépitent les balles. lmpa-

-114-

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Lent, mon cheval de guerre hennit et ses naseaBX fument.

Le silex étincelle sous ses durs sabots, sa crinière Hotte au vent. Fe!!" et feu! Volons au combat. Moi, Charles Sans-Peur LouveBgohl, ;Jabo·ureur aiclent, je veux me baigner dans la rosée du sang et moissonner des têtes nombreuses comme les étoiles.

-IX-

HarnaGhez mon noir coursier de bataille. Apporiez-moi mon effIlé comme une a;,guille et mon pistolet. Ceignez-moi de 1Y-lOB foulard sanglant. Moi, Sans-Peur Ctmgouez, l'odeur de la pouci;l-e me grise et les cris des vict·imes sont une m·usique qui réjouit mon cœur.

-X-

Petite source capricieuse et babillarde, gracieuse Panzou Mazounba. comme tu es belle, lorsque chaussée de sandales jaunes, vêtue d'un caraco bleu et la tête ceinte d'cn foulard rouge, tu danses sous les palmes, que bel'Ce lentement la brise nocturne.

ALLO! ALLO ! ...

MAl'~CHE SALOMON

- 1--

St':· la colr.:1e. un manguÎt::)' répand son ombre clai'l'semée.

- 115-

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Des fruits ~par.s gisent çà et là, à ses pieds. Vite, courons les

ramasser pour la belle Jeannette.

-Il-

L'allure souple et rapide, les reins ceints d'un madras

et la tai·lle 1?10yant sous une h0ttée de feuilles aromatiques, à la file indienn.:, les paysannes descendent au marcné.

Là, du matin au soir, accroupies, eHes débitent (~uelques

.'ou,;, du fjetit-baume, qui }ôlarfume .Jes rives des eaux cou­

rantes, de l'anis, le zodouvant, le vétiver, le roibois, le basilic

magique etc ...

- IIl-

Ami chel" je t'att('llds demain à !) heures 30. Nous aurons une bouteille de c1airin vierge, aux grains limpides et cris'­tallins, un lambi admirablement cuisiné, ,H"compagné de bana­

nes boucanées, d'excellentes cigaret tes. A bien tôt.

-IV-

Il p:eut. Les volailles se sont réfugiées sous les arbres

touffus, où le dégoût les baigne à force. Mélancoliqu,es, les poules baissent la tête et ,les coqs qui ne chantent pas, sem­

blent plus sveltes, plus minces.

-V-

Cinq heures dù matin. Vacillantes, les flammes de~ quin­

quets signalent les mal'Chancles de café. Suivies de leurs bour­riques, les paysannes pénl~trent dans le parc. Les coutelas des

boucher.:, résonnent dans le marché et déjà la grosse Ida étale

ses salaisons.

- VI--

Le mois de; éli Cl1nl'~ a p35:-é· COlllflll.' un vent. C'est main-

---.116 -

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tenC'..Ilt le moment de sarcler les mauvaises herbes, de remuer la terre, de brûler les bayahondes, de planter le millet et le maïs. Bientôt, l'herbe ~uin6e poussera drue, et les eaux .gon­

flées inonderont les riziè~'es.

-- VII-

L'ardente canicule sèche l'herbe de guinée. Non loin de ce ruisseau sinueux, bordé de foug':'-res, de malangas sauvages où frétillent cie charmants petits poissons gris, sous l'épais sablier, étendons notre natte de jonc. ma colombe ardoisée.

- VIII-

Dans la nuit de ton visage, douce Anaise, tes longs yeux scintHlent COlnme des étoiles. et. ton lumineux sourire est tlll

rayon de lune. Ta taille onduleuse est un roseau que balance la brise. au

bord de l'onde. et tes seins sont menus comme des mandarines. Ah ! charmante fruitière, sur tes lèvres ardoisées. laisse­

moi déposer un doux baiser et caresser doucement tes mains qui vendent chaque jour des oranges succulentes, dorées COll1-

me les pommes d'or du jardin des He~pérides.

-IX-

Dans le marché. j'ai rencon~ré Mimosa la vannière, qui de !"es mail'ls agiles. tre:'sait des nattes de latanier. qu'ensuite ,on .ieune frère tei"nait avec du roucou_ Se,> ~ein<; découverts ét,lient dUI', comme '::u marbre. Longtemp,;, nou"i nOlis som­me., regardé:.;, une lueur étrange dans le regard, puis non"

~ortîme.'i.

-117 -

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LE LIVRE DES BOISSONS

-I-

Dans le jardin embrasé, on n'enfel'ld que la chanson mo­notone de~ ci<;a.1es. Le gazon desséché se meurt. Pas wne feuiDe ne bou,;e. A l'ombre d'un bougainvillier. assi-se, la belle Jane aux joues d'abricot. déguste un boubou] odorant et laiteux, glacé comme neige.

-II-

Voiçj que le soir a remplacé le crépu!':cule. Alhune la lampe, amie chère. Un livre en main. j'attenc:rai patiemment l'infusion fûmante de ptit-baum.e. au pm.~um pénétrant.

-III-

bans la chambre silencieuse où l'abat-1our .répand sa lu­mir.re rOEe, <:lh ! cc,nme il est doux d'être suc tes genoux, les bra~; autou·- de ttJn cou et mes lèvres sur tes lèvres. Les vO~lutes de ba;'irc em1:-aum.ent.

Dehors. sur les toits. la pluie joue sa musique monotone.

-IV-

Dans le pré f'leur-i qu'égayel'll la chanson du vent dans les arbres ef le gazo",~llis des oiseaux, reposons-nous. ma mie. Dépose le pouler f.roid sur le gazon, puis va rafraîchir la bou­feH'e de vin rou.:i2 aans la r.:\'ière.

-118-

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-v-

Le soleil orange qui grand~t en s'enfonçant dans la mer, baigne de clartés diffuses et nuancées un groupe de jeunes filles, aux cheveux emmêlés, assises sur ,lie bouiingrin vert. Toutes éclatent de rire lorsqu'une feuille tombe, lente, dans ~eu·r sorbet d'ananas, ou, que le vent pousse vers elles de fines vapeurs échappées de l'arrosoir.

-VI-

Accoudé à la balu!-itrade, je regarde le jardin. IJ avait plu hier soir, et la brise cueŒe de fines perles. D'irll1ombra­ble,> roses se sont épanouies. Un cyprès osciHe lentement 1 w· les sans-cesse mauves et b,lancs.

La servante m'apporte une tasse de café que je déguste en fumant.

-VII-

Rita aux belles hanches entre en dansant sous la treme, tanc:is que nous bavardons gaîment, fumant, dégustant des cocktails parfumés d'un zeste de citron, les yeux luisant dou­cement, comme des lampes.

- VIII-

Lorsque seront C!!oses mes paupières, enterrez-moi dans un champ de cannes, dont les feuilles bruissantes me rafraî­chirunt. Surtout ne néglligez point, chers compagnons, de ver­"el' sur ma tombe de pieuses l,ibations de clairin vierge.

-IX-

C'est Je joli mois de Mai. Partout rougeoient des Elam-

-119-

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boyants, la brise disperse la neige rose des Sltragomias, les Libel"1~es élëgantes et les papillons diaprés. Dans les sous­bois ensoleiLlés, le gazoumi:s des oiseaux se mêle au murmure des ruisselets. C'est le joli mois de Mai. Gai, gai, enivrons­nous -et -chantons.

-X-

Il a J:j!iu hier soir et ce matin, ],a, blise berce un laurier rose couvert de fleurs. Je regarde les feui.1lies métalliques et pointues et je songe aux beaux triomphes de jadis, aux poètes que l'inspiration enivrait comme un bon vin.

-XI-

Jeunes filles onduleuses, aux larges yeux en amande, pour les griots qui chanten.t la beauté du pays haïtien et ses gloires. tressez le vert Ilaurier.

-XII-

Quel insecte irrespectueux, quelle brise vagabonde, ac­courue de }ointains embaumés, a déposé ton germe au bord de cette terrasse où je bois à la glace de la gaudl'ine aux ana­nas, charmant arbu.'ète ? Maintenant., tu as grandi.

-XIII-

Buvons, enivrons-nous de dlairin blanc comme du cam­phre, de rhum doré, de vin rouge comme un pétale de flam­boyant, de menthe couleur d'espérance, de cinzano bLond. Buvons, couronnons de fleurs nos coupes, enivrons-nous €It chantons le refrain nietzschéen: «toute joie veut l'éternité».

-XJV-

Ma colombe ardoisée, je t'ai préparé pour ce SOlr une co'lation frugale. Des radLs roses comme des lèvres de pari­siEnne, du pain blanc, un morceau de fromage et des huîtres au \'in Manc qui t'empliront de nostalgie.

-120 -

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COLLABORA'flON

A

"L'ACTION NATIONALE"

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UN REVE

Un escalier de marbre blanc conduisait à la balustrade de porphyre, où s'accoudait Ba!lkis de Saba, pour con1!em­p!er au !oin la mer glauque, ainst que les grenadiers rou.ges et ~es cyprès noirs de son jardin. ûes je1!s d'eau aux vasques roses répandaient une onde abondante que le solei" faisait ,;cin tiEan te, et le crépuscule, blonde. Des paons crêtés d'or traînaient leurs queues éblouissantes sur le gazon vert, parmi les miroirs d'eau dormante.

EPITAPHE

Ci-gît Marlisse qui mourut au temps où les kénépÎers perdaient lelars feuilles.

Nulle comme elle ne dansait l'ibo. et son corps souple avait la douceu'r du miel.

Passant, si tu connus l'ouhli dans ses bras voluptueux, dunne-lui en souvenir, une larme.

MARINE

Solei 1. soleil. dan" la profondeur vivante !-'ilencieu:ie des eaux.

s'illuminent madrépores et polypiers Des poi;osons d'or et d'argent

s'accouplent dans le palais

de corail

-123-

A Victor Jamarre

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où le puissant Agouey

berce la Sirène et sa ~ur 11a Baleine.

SIESTE

Mon dîner achevé, je me suis assis dans ma dodine, les pieds a!longés sur une chaise, un Uvreen main. Mais comment 1ire dans !la douceur de cet après-midi ? Le soleil est radieux. Une brise fraîche berce le feuHlage et le ciel est si bleu, les nuages si blancs. Aussi ma rêverie se déroul-e, capricieuse comme les volutes de ma cigarette.

ETE

Entunnez ,j'hymne au !:ol,eil, ciga].es harmonieuses. Le mur­mure champêtre de l'eau vous accompagnera ainsi que des ceq;, le chant éparpillé. Partout s'allument les torches des flamboyants. Furtifs, ~es

mabouyas rôdent SUl' les feuiHes sèches et dans les buissons, cependant que ~les anoUs s'accouplent longuement sur l'écorce des arbres. De nombreux papillons passent et s'en vont, je ne sais où. Sans doute, dans quellque pays nostalgique et

lointain.

Prer.ez gard.e aux fourmis, ménagères prévoyantes.

A LA CROIX DES MARTYRS

J'aime cette petite chapelle pieuse et paisible. Si l'on

veut comprendre ce que c'est. que la foi, ce que c'est que prier, c'e,,;! là qu'i! faut aliler. Ceux qui viennent ici, n'y viennent pas

par habitude, ou pour faire admirer leurs jolies robes, mais pour ::angloter ]eurs misères et crier leurs e.spérances. J'ai

cntel:du d'émouvantes confessions. Dans son enclos sil-en-

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cieux, ça et là, des tombes peintes à la chaux, et pl.us IJlQnl!l­ment.ale. celle du fondateur, M. Al1exandre Brutus.

Le vent nmrmure dans le feuiHage, et ~ors€J.ue fleurissent bu,is, f1'éill,gipanes et ja.:mins, on a une indicible impression de sérénité embaumée. C'est là qu'on peut comprendre la valeur du si'ence et de la m':dj,tation.

Chaque année, le jour de la fête de Saint Alexandre, un prêtre dit la messe dans la petite chapelle. Malheureusement,

~:'Ie crcde~é: un de ces jcurs, si on ne Ia répare. Elle contient pourtant des choses intéressantes, notamment quelques ta­bleaux archaïques et primitifs. Un curieux Saint Christophe, LeI que l'évoque Jacques de Voragine, dans sa légende dorée. Une non moins curieuse et symbolique Passion de Notre Sei­gneur Jésus-Christ, et un Saint Jacques Le Majeur. Celui-ô da Le de 1747.

OVIGO NABRATTE

Poussée la barrière, Ovigo pénétra dans l'endos paisible et pieux. C'était un bosquet touffu de manguiers en fleurs, de frangipanes et de buis embaumés. Des ouanga-négresses, des ccJibl'is, vo.letaient ça et là. Un papillon noir et or frôla Ovigo. Son regard suivait la chute lente d'une feuille jaune, :l'une brindiHe, la course sinueuse d/un ruisseau serpentant entre- des fougères. Un kiosque surgit tout à coup. Des pots à f~eurs l'entouraient. Au milieu, dans une vasque d'argent, une gerbe irisée s'épanouÎ'ssait. Ovigo cueillit un jasmin, s'a~"it sur un banc de marbre et se mit à rêver.

Pa;;sé, présent, avenir, tout lui semblait aboli. Il vivait dan" un kief délicieux. et qui semblait devoir être éterneL

Ccmbien de temps resla-t-iI ainsi? Il ne saurait J.e dire. Fina~c ;nent, Ovigo !oie décida à reprendre !oia promenade. Après

avoir traversé un pavil'on ~.oré flanqué de quatre tours mau­Vb aux coupoles gonflées, il arriva au bord d'un étang tout

sonore du murmure des roseaux et des bambous. Une barque

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s'y trouvait. Ovigél y monta et, la barque oual'l~atisée se m.i:t à voguer lou~e seuJe, puis brusquement capota.

Le pauvre ivrogne se re~eva tout meurtri de sa chute en mu n11l.: ra nt : «Il me semble avoir fait un SOR.ge. Mais, nom d'un chiel'l, quelle cuite !»

PROPOS D'UN IDEALISTE

UFle sveHe touffe d'hel'bes de Guinée se balance sur un mur entre des tessons de bouteiUes. 0 miracle de la créa­tion !

Il ne faut pas cueil'ir les fleurs. mais les contempl'e~· .

...

* * Si une rose rouge, un papiJ.lon orange posé sur URe fleur

de cotonnier, sont si beaux, queUe doit être Ia beauté Ge Dieu?

* * *

L'oiseau d'or de l'âme recherche éperduement l'Arbre de Vie, et pour bercer ma nostalgie, chante des chansoIl..<; joyeuses, parfois. p!us souvel1!t déch~rantes.

* :::

o monde! monde trop brutal, je te refuse tel que tu es. AuO'sÎ ai-je refermé les portes de mon âme afin de contempler le Rêve plus vrai que le Réel, et que je contemplerai face à face. !Ql'sque mes yeux mortels se seront dos pour tcmjours.

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* * *

Argent, je te mépl'ise, parce qU€ tu es affreusement 1!aid. Tu brûles ma main comme un métal en fusion, et tu répands une odeur de souf~re. Tu as enfanté Crime, Corruption, Bas­sesse, Hypocrisie, ProstiJtution, qu'€ sais-je encore ?

CHANSON

A Lorimer Denis

Alne. ma tou'rtel'eHe, ma colombe, ô ~ viens! la na1ture est douce comme une tombe. Laissons dornür, entre les souples roseaux, le cocktaH jaune que rafraîchira l'eau. Enfonçons-nous dans le jardin des caresses. Je veux sur tout ton corps, promener sans cesse ma bouche, cherchant le nid de la colombe pour m'y endormir comme dans une tombe.

BALKIS DE SABA

Des nuits sans nombre ont suivi la nuit où tu fermas à la lumière, tes longues paupières bleues, ô reine des reines. dont les channes faisaient rêver d'un printemps qui serait noir.

Mais parce que je t'aime et que d'amour est plus fort que l:a mort», je te ressuscite du royaume des ombres, lorsque dans un grand cri passionné je t'invoque.

Tu viens bercer ma solitude dans l'e tintinnabulement des sonnaiV'es d'or et d'argent et de précieuses pierredes, dans un si'J'lage d'encens et de nard.

AI0'rs, le vide se fait en moi, et comme la ménagère pré­voyante, de bonne heu.re, emplit d'eau la jarre, ton âme tout

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entière m'envahit, et nos cœurs brùlent comme Ull€ seule iilamme.

CONSEILS

A MES PETITS COMPATRIOTES

Ne jouez pas au foot-baH dans les rues. Frappé, un pas­sant a le droit de faire un procès à vos parents. La voie pu­blique n'est pas un stade.

* * :1:

Ne cueillez pas une üeur sans nécessité.

* * *

Ne foulez pas le gazon lorsqu'un écriteau le défend.

* * '"

CueiJlir une Heur, casser une branche dans un jardin public constituent des vols faits à la communauté. L'homme n'est pas seulement fait pour se nourrir, mais aussi pour a1mer le Beau et cultiver son âme.

:1:

* * N'écoutez pa~, ceux qui vous di"ent «Vol-el" l'Etat n'est

pa;; volen>.

* * ,~

Ne frappez ni n'agacez les animaux domestiques. Ils ne sont pas des machines.

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* * • Cueillir des fruits verts, c'est P11ivec les autres et soi­

même. à l'avenir. Ne];es cuei~llez qu'à mâturité.

* * *

Ne riez pas des infirmes et des deshérités de la nature.

* * *

Ne vous moquez pas des pauvres fou!'. errant.

* * *

Soyez les protecteurs de ceux qui sont plus faibles que

vous. Partagez vos friandises.

* *' *

Soyez aimables avec les domesti:ques. Songez que la mort e~t la grande égalisatrice.

",

* * Ne dénoncez jamais vos camarades.

* * *

Aidez toujours ceux qui sont moins intelligents que vous.

* '" *

Faites l'aumône.

-129-

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LE BOUQUET FANE

A mon ami STEPHEN ALEXIS.

Par un après-midil.\unineux et vibrant comme du cristal, interrompre de temps en temps une lecture faite à ~'ombre d'un manguier, pour suivre le vol d'wl papil!1on, écouter Je rama·ge des oiseaux ou regarder IJe ba:liancement des bel.les mexicaines roses dans 1e vent, je ne connais lien de plus dé­licieux.

* * :;:

Seu}s ceux qui alternent une vie épicurienne et trépi­dante avec la solitude méd±tative, peuvent apprécier profon­dément :les charmes et lesdépliaisirs de ces d~ux genres de vie. Le contemplatif délllls son humble cel:lule, dépasse de mHle coudées l'homme d'action.

* * *

V. faut de l'm'dre partout, même dans le désordre,

* * *

Toute recherche sin<:ère de la vérité amène fat.a11ement à des contradictions.

* * *

Une bJalqMe fwnée s'étire en volutes au flanc du morne b~eu et gagne l~ ciel. 0, nostalgie!

* * *

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Déchirante mélancolie que de remuel' la cendre des sou­venirs aycc une femme qu'on a beaucoup aimée. Passé, cruel passé, et combien émouvant le cri de Lamartine: «0 temps suspend.,; ton vol».

*

Une feuille de papier nous sépare de la mort, et le présent gli,,:,c dans le passé, comme l'eau succède à l'eau.

* * *

Cette nuit, un accordéon a réveillé en moi des nostalgies parbiennes. Je me suis revu à Montmartre, dans un café, où cet instrument jouait la Java chère à J11l1ot. Mais, ne regar­::1ons pas trop vers le passé dont «l'évocation trop fréquente ne sert qu'à gâter, empoisonner le présent qui seul a sa pleine, sa véritâble v;;lrleur». dit Goethe.

* * Ce matin, un parfum de kénépier en fleurs ainsi qu'un

bourdonnement d'abeilles, pénétrèrent dans la chambre où je car€~sais le beau corps ardoisé de l'aimée, tout en respirant la senteur de cannelle de sa chevelure. 0 délices !

~:

* * Soleil ! ô beau soleH de mid·i, je me plongerai dans tes

nappes l-adieuses comme dans l'eau.

«<LE NEGRE MASQUE» DE STEPHEN ALEXIS

J'écris ceci par une douce et sereine après-midi. Il y a

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cOIlU11e du miel dans l'atmosphère. Les branches des arbres se balancent sans bruit. Sur le kénépier, un petit oiseau chante sa chanson mélancolique et 1xève. Lorsque se fâne la fleur jaune du cotonnier, ses pétales se refennent lente­ment. et deviennent couleur de vin rouge. Alors, elles tom­bent doucement; ainsi tombe en moi la sérénité de cette après­midi_

Lorsque naquit la Revue Indigène, on poussa de hauts cris. Et cependant, nous l-éclamions tout simp!.ement un peu plus de sinçérité et d'haïtienneté dans notre littérature. Nous n'avicns exc.'ru personne du mouvement, nous ne chargions pas à fond nos ainés_ Notre esthétique était dictée par le bon sens. Ainsi, nOU3 léc:amons hautement l'épithète indigène pour le rcman de Alex'i..c;, parce que conçu selon ce canon. D'ailleurs, lies théories littéraires émises au cours des discus­sions qui se déroulent dans l'ouvrage sont en tous points sem­bJàMes <'OIUX nôtres. Cela ne veut nullement dire que l'auteur obéisse à nos théorie.", mais qu'il est un monsieur sensé. Et

si parfois il arrive que nou,-; maltraitions certains écrivains, ce n'e<;t pas J:arce qu'ils sont nos aînés mais qll'i~s sont franche­ment mauvais. Quant à ceux qui le méritent, nous leur don­nons ·les louanges qui leur sont dues. Stephen Alexis a beau­coup souffert de l'Occupation. Brutalement acrêté à Ennery, sous prétexte qu'il allait faire écho à l'héroïque révolte de Péralte. il fut conduit à Port-au-Pl'inee et déposé en prison où il souffrit de la faim. Ces heures doullOureuses ont trouvé

un !'-cho dans son llivre. Il y a donc de l'autobiographie dans

«Le Nègre Masqué»_ Tout roman sincère est une œuvre auto­

biographique, dit Yvan Bounine, le récent Prix Nobel. Ce

poignant récit d'un conflit de races, aurait pu s'appeler la

Malpdiction de Cham. En voici un très bref résumé. Gaude Sennevilile, fiUe d'un ministre de France en Haï­

ti, est aimée par Roger Sinclair et .l'américain Seaton. Son

cœur, ou plutôt ses sens, pencl1~t de préférence du côté de

t'Haïtien. Après une 'Scène entre les deux hommes, Roger

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Sil~c:air comprend que le mariage est impossible. Trop de' chooc:-; le séparent de la jeune Française. Il renonce donc. mais l'aimant toujours. Peu après, il est arrêté, sous une faus­se dénonciation, torturé à .la prison. Le récit. de ses souf­frances est pathétique. Gaude, pour obtenir sa libération, sc fi,mce à Seat.on. A peine libéré, Roger Sinclair rejoint ,les insL:lgés de l'Artibonite, avec son ami Pasea.] Darty qui se fait héroïquement tuer. Et les compagnons du mort entonnent sur son cadavre. le De Profundis nègre, en une page poignan­te. De même que Carthage et Salammbô hantaient Matha. POlt-au-Prince, Gaude de Sennevili1e hantent l'imagination de l'insurgé. Finalement décidé, iil s'avance à marches forcées vers Port-au-Prince. Un soir, campé dan.,; une forêt avec ses hommes, il entend le vrombissement d'un avion. Voulant sa­voir s'il était repéré, il s'abrite derrère un arbre pour suivre

les évolutions de la machine. Tout à coup, un rapace fond sur l'avicn qui descend se briser sur un champ de canne. Cet incident est par trop romanesque. Du reste. à partir de ce moment. le roman chemine dans un romantisme écheve~é.

C'eot ainsi que le byronien, giaour Roger Sinc],a,ir abandonne ses troufes, se rend chez son ami, lie journaliste Maxence, qui

justement, ce soir-là, aHait à un bai1 masqué. Notre héros

déguisé s'y rend. danse avec Gaude de Senneville puis. avec. la ccmp',i.cité de ceUe-ci et de son père, s'embarque pour la France. regrettant «d'avoir désappris -les prières de son en­fance catho~(ique». Puisse-t-i.l les réapprendre là-bas, car seule la religion nous console des amert.umes de ce monde. «Qu'est­

ce que cette vie? dit un auteur chionois. En repassant sur mes

années écoulées, je ne trouve que vide et que néant. n me

;iemb!e avoir fait un 50nge dans lequel j'ai passé par mille états différents, toujours agité O'idées vaines qui se sont

évanouies conune une fumée légère».

Les beHes pages ahondent dans ce livre. Ainsi la s-cène

supel'be et vengeresse du meeting de «La Ligue Résistance».

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Les vérité!; amères et douloureuses abondent. L'auteur sait voir, et faire voir.

Ainsi la description du Champ-de-Mars, si sobre, si vraie. Et encore, le dancing d'Ajax, qui donne l'impression de la réalité même. Stéphen Alexis a un mot admirable pour qua­lifie!" ~a musique nègre; il l'appelle «l'unique impérialisme d'une race crucifiée».

Le style est un charme. Souple, fluide, harmonieux, il épouEe '!es moindres sinuosités de la syntaxe.

L'écrivain semb1e partisan d'une dictature. C'est que lui, il ne ('Gnfond pas dictature et despotisme.

A PROPOS DU "NEGRE MASQUE"

Ces jours-ci, une levée de boucliers contre «Le Nègre Ma5qué». Mais si, écartant ~es nuances des critiques, nous pOUf-Sons à l'essentiel, nous nous apercevrons que ces criti­qUéS s'adressent non au roman, mais à ,l'auteur lui-même. On 'lui fait ·son procès. On lui reproche son éLégance, son dan­dysme, même d'avoir vendu son livre. On va même jusqu'à traiter d'œuvrette, une œuvre puissante et riche d'idées. On respire derrière tout cella une odeur qui ne sent pas la rose. Thomas Lechaud me rappelait dernièrement un mot d'Oscar Wilde : «Que Von soit un empoisonneur, cela n'empêche pas qu'on écrive une belle prose».

Si T.i-Macelin écrivait un roman, notre devoir de critique serait de juger si le livre est bon ou non, nullement de déclarer péremptoiI"ement que le roman est mauvais parce que l'auteur est un tueur de chiens.

Mais. aussi, pourquoi Stéphen AleEs a-t-il un magnifique talent '~ Il mériterait d'être pendu pour cela. On ne jette de pierre qu'aux arbres fruitiers, ~l est vrai.

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COLLABORATION

A

«HAITI-JOURNAL,.

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LE DIALOGUE DE MES LAMPES

Quelques-uns se plaignent de j'obscurité profonde de ce «Dialogue» que les lampes n'éclairent point. Cependant, elles sont faites pour éclairer, disent-ils, cornille Galilée répétaü tout bas: «Et cependant elle tourne». D'autres, songeant peut­être au singe de Florian, allèguent que le poète aurait oublié d'éclairer sa lanterne. Mais, il s'agit bien là de lanterne, de myopie. Ces braves gens en sont restés aux «Disques» trem­blants, harmonieux, d'une ~impidité presque de source, ce­

pendant que Clément évoluait ou rétrogradait, cela dépenà du point de vue, vers le surréalisme. Un poète, de mes amis, disait dernièrement que ce1a n'était point du surréalisme, mais du dadaisme. Il se trompait. Le dadaisme, c'est ... c'est quoi"? Vous souvenez-vous du roi Carol disant que son pays était une torche, eh bien ! le dadaisme inventé par un rou­main, justement Tristan Tzara, si je ne nle trompe, c'est une torche qui brûle tout ras, c'est ,le vide, c'est le néanl\:.

Magloire Saint-Aude se soucie peu du ledeur, de qui il' réclame un rude effort. C'est là ce qui donne à ses poèmes un channe si personnel. A ceux qui lui reprocheraient de l'être trop, il pourrait répondre comme André Breton, que la valeur de son message vient justement de sa différenciation. Magloire Saint-Àude est le poète des idées larvaires, des rêves flous. Son œuvre gagnerait à être étudiée par un freudien. Disciple de Breton, il cherche «,~a beauté des mots groupés

en dehors de toute ,logique et de toute vraisemblance». Ma1!<lde à l'hôp~tal, il a appris «Iesdivers pièges où saisir

l' i';';ë()J1scien t». Mag10ire Saint-Aude excelle dans l'art du mot pas mis

à sa place.

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THIBAUT DE CHAMPAGNE

Tout cet africanisme m'ennuie .. Je peux bien aussi chan-ter mes ancêtres blancs. Reverrai-je jamais Je ciel léger du pays de Valois, les étangs de Vme d'Avray chers à Corot? Il existe bien dans rFa cave quelques boute~Hes venues des côtcaux crayeux de Champagne. Buvons à la mémoire du roi de Navarre, du mélodieux trouvère de ,la «reine blanche com­me ;lyS»).

ANNIE DES MAMBAS

A JlJlie , ta peau a la couleur d'une colombe ardoisée. En­tre tes lèvres douces, sinueuses, vio]acéescomme le fruit de la liane-molle, ton sourire qui chasse comme un rayon de !'umière.

Quand tu ris, tes yeux pétiUent, moqueurs, tes hanches ondulent, tes fesses grouHlent, tout toi rit, comme rient les dieux du vaste Olympe.

Tes pieds sont petits et charmants. Te~ orteils aux ongles roses comme des grains de grenade, sont un chef-d'œuvre.

Loin de toi, je suis comme un arbre sans branches, un oiseau sans nid et j'ai mal aux entrailleS".

LE PASSE

Cependant que la radio jouait «Manman Nanotte», la mé­ringue de Dodophe Legros, triste, je pensais à ma jeunesse morte: .N'était-ce pas d'hier encore, nos danses joyeuses avec de jolies filles qui sentaient la sueur ,et le pompéia, nos folles nuits d'ivresse, les aubes qui sentaient l'absinthe?

Les carnavals d'autrefois ne sont plus qu'un souvenir avec leurs caracos multicolores et ,leurs mad'ras.

Hélas ! le cœur me ferrd en songeant à tous nos compa-

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gnor.s de plaisir endormis sous la pierre du tombeau.

Pitié JésUs pour les âmes trop folles de nos maîtresses.

SOCRATE

Descendu, te soir. Les poules ont gagné leur haut donjon.

Le portail Léogâne sent la friture et les marchands de gaz. rejoignent leur misérable abri.

Les pintades haut perchées hurlent. : Socrate ... Sucrate ... Socrat.e ! ... et. je me demande, perplexe, le motif de cet achar­

nemEnt à crier le nom de ce philosophe grec mort depuis tant

de ."ièo'es. Aurait-il sacrifié une de ces bêtes, au lieu d'un cuq '? et Platon se serait-iJ t.rompé ?

POEME

Nous passerons, ma colombe, COlnrne ce gazon vert sur lequel nous sommes couchés; comme ces clochettes où l'oi­

seau-mouche vient. puiser le nectar, comnle ces myosotis qui nous disent de ne pas oubIier que l'heure est fugitive. Ah ! que nos cOllpes débordent!

AUBADE

Réveille-toi, ma bien-aimée, ma colombe, ma tourterelJe.

Déjà les coqs annoncent le retour du jour, et de partout le~

c1uches appellent les fidèles à la messe. P:us ne stridulent les imectes dans les halliers, mais les jas­m'n~ embaument encore.

INVITATION A VIDER LA COUPE

Où sont les grands conquérants qui furent l'effroi des peu­

ples '? Tous les rois de Babyl(me ou d'Assyrie. le jeune ma-

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cédonien qui soumit la molle Asie, César adoré comme un

dieu, Tamerlan, «le Corse aux cheveux plats ?» Ils ont passé comme un vent sur le morne. Comme eux passeront le rusé Hirohit.o, le César italien, Hiller

devant qui tremble lé! terre. Ils seront broyés comme des

grains de maïs, et sur le monde pacifié, la Croix règnera. C:est pourquoi, ma bien-aimée, ma colombe, ma tourterelle, réjouissons-nous et bU\'nns, durant les jours que Dieu nous

accorde.

ZULEKA

Envolée dans un monde plus beau. perdue dans l'étang d'amour, Zu}éka regrette la douceur de nos matins ambrés,

le vol nuancé des colibris, la joie de vider la coupe en.ivrante avec te nain jaune Obéron qui le regrette amèrement. dans le kiosque vert, enguirlandé de clochettes et de liserons.

DJAMI

Long, mince et souple, Djâmi s'élance sur son blanc cour­

sier, courbé comme un arc. La tête ceinte d'un turban cou­leur d'aurore, son manteau rose 'Hotte comme une écharpe, et son cimeterre résonne à ses côtés.

Sous ses longs sourcils, fer...dus en amande, ses yeux ar­

dents comme des braises. Son nez ressemble au bec du fau­'con. De fines moust.aches surmontent sa bouche aux dents blanches qui serrent. une rose.

SCANDALE

1) - Louis VeuiHot, patron des journalistes catholiques. priez pour nous.

2) - St.e. Made Madeleine. priez pour toutes les mal'guel'i­tes. tous les pierrots de Bohême.

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3) - Si le mimétisme est aceessib1e à l'inscète, il l'est d'au­tant pl,us à l'homme. Pense à Bernard de Ventadour, et

tu le seras.

4) - Cœur Agonisant de Jésus, ayez pitié des aviateurs qui

tombent en flammes.

5) - «Comme le bienheureux Michel Archange. qui se tient debout il droite de l'autel des parfums» Dieu est au­prè., de tout homme qui souffre.

() - Freud ne sc comprend bien que lorsqu'on est bien près

de la mort.

7) _.- Toutes les civilisations nègres sont nées d'un contact prolongé avec les sémites, qui ont du moins cet élva:i­t2ge : ils n'ent pas Je préjugé de couJ,eur.

8) - La reitigion catholique n'a pas l'impérialisme <lu'on croit généralement.

9) - «La Dame aux Fleurs» ne refuse point les criInind:-.. Le baron des Adrets lui-même, a pu se convertir.

10)- 0 mon Dieu. tout comme Psichari, tout comme Alan Seeger, donne-moi une mort héroïque sur les l'hampe:

de bataille.

11)- Les mystiques sont comme des jets d'eau qui montent.

vers Dieu.

12)- Le Baphomet n'a jamais existé que dans l'imagina­tion des adversaires du Temple. Cette calomnie l,é­

pandue par les agents ùe PhiHppe le Bel n'avait qu'un but : dépouiller les chevaliers de leurs immense.~ ri-

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13)-

14)-,

chesses. Ne furent-ils pas, prétend Gérard de Cata­logne, avant les Italiens, les premiers banquiers de l'Europe? Fréquentant la société la plus raffinée de l'Orient, ils s'imprégnèrent nécessairement de Kaba­lisme et de soufisme. N'oubliions pas que Saadi pri­sonnier, travailla trois ans aux fortifications de Tri­poli. A lUle certaine altitude, tous les mysticismes se rejoignent. Toutes les re1igion .. <; sont comme un bou­quet dans la main du Tout-Puissant, dont la plus belle ij'eur est le chri~tiani~e.

Vénérons la mémoire de Salim Aun qui fut un chré­tien convaincu et pieux. C'était un écrivain délkat et qui connaissait bien la littérature arabe.

o Saint Alphonse de Liguori, intercédez auprès de la Dame aux odeurs suaves, ].e pardon des criminel<;.

15)- Notre Dame de Lourdes, versez dans ma bouche souil­lIée une gouttelette de cette liqueur qui fait tant aimer

votre fils.

16)-· Dans la dernière Cène de RembJ'andt, je ne reconnaIs point. Je plus beau des enfants des hommes.

17)- Gerbe de tubéreuse, Saint Joseph, la pureté même, enseigne-nous l'amour du s~lence et du travail, la chas­teté selon not.re éta t.

18)- Glorieuse Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, toi qui disais que tu passerais ton ciel à faire du bien sur la terre, laisse un pétale de rose tomber sur mon front.

19)- Saint Ignace de Loyola, donne-moi l'art de ]a casuisti­que.

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W)- Pauvre petite BJancheneige l'norte dans la forêt plei­ne de rouge-gorges, que des feuilles mortes enseveli­rent et que des nains l'éveillèrent dans un cercueil de

cristal.

21)- Si 1es pierres precIeuses sont l'aristocratie des miné­raux. les mimosas sont l'aristocratie des végétaux.

22) - Du minéral au végétal, du végétal à l'animal, de l'ani­mal à l'homme, de l'homme au saint.

23)- La vieihle cathédrale, chargée d'un lourd passé. coule comme un panier, et les peintures charmantes de Lo­chard se gâtent. Le Président Lescot, grand bâtisseur, ne pourrait-il répa,rer la toiture délabrée?

24)- Béni soit Dieu qui créa ,la femme pour nous faire tant souffrir et nous sauver.

25)- "Béni soit le Saint Nom de Dieu».

26)- Toutes les nations sont cOIrune un jeu de cartes dans la main du Tout-Puissant. Il abat les unes, relève 'les autres. Mais, son partenaire, où est-il ?

27)- Il n'y a de surhomme que le saint.

28)- Depuis 25 ans,le drapeau du Directeur français flotte devant son école.

29)- 0 mon Dieu, veillez sur notre Saint Père Je Pape, l"Archevêque de Port-au-Prince et le Président Roose­velt.

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DYN AMITE

o Saint Dominique, fais que tout ce qui passe, soit vil à mes yeux.

• *

Craindre Dieu c'e~t bien, l'aimer c'est mieux.

*

Le purgatoire c'est la nostalgie de Dieu.

* *

POUl' moi, le pl'Oblème de la Foi ne se pose pas: Credo.

:.;:

* * Saint Grégoire VII, 'l'hérèse de Lisieux, au Fidèle Ber­

ger, demandez pour moi une volonté indomptable.

Saint Georges, Sainte Jeanne d'Arc, par l'intercession de l'homme blond, enseignez-nous l'humilité, la probité, ta séré­nité et la chevalerie.

* * >::

({Hâtez-vous, maître charpentier, que je pui:sse bientôt dormin). (Henri Heine).

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* * * Notre Dame des Houx, protégez d'une manière efficace

les Cliseau.x, les libeUules, les papillons et les cigales, tous les

êtres ailés.

* * *

Saint Joachim, donnez-moi le sens de la charité.

* * Notre Dame du Perpétuel Secours, donnez-m{)i le sens

de la politesse du cœur.

* * *

La possession vaudouesque est une parodie satanique du Sain t-Esprit.

* :;! *

Semblable au papi'lllon, je m'envolerai de ce monde sur deux ailes: la prière et la pitié.

* :;: *

Le jour de ma mort, les oiseaux jaseront d'extase.

* * *

Dame du ciel, ayez pitié de Thomas de Marle et du che­valier de Joa Licorne.

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* , . .. «Tout est né des blessures saignantes du Christ».

(Frédéric Burr-Reynauà).

* * *

Trinité Sainte qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de Renaud de Bou'logne.

OMBRELLES

En conscience, Iles adventistes ont fait du bien à notre pays. Il m'est arrivé de collaborer avec quelques humbles d'entre eux, dans des moments difficiles; ce sont des éduca­teu l'S, de braves gens.

* * *

Je ne crois qu'en la prière.

* :4: *

«Tu te tueras, Ootave. - J·amais de ma propre maÎln».

* '" *

Mr. le Président Lescot qui cependant gouverne dans la paix. est partisan du plus haut salaire. C'est ainsi que nos journa!liers gagnent Gde. 1.50. Voilà de la bonne politique.

* * *

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Je pense, non sans mélancolie, à Mme. Périclès Tessier qui pendant longtemps habita la Croix des Martyrs. Elle avait la grâce d'une guêpe et riait du matin au soir. C'était une âme hlanche et cultivée dans un corps noir. Un beau jour, el'e s'envo!a sans <:riel' gare.

Courbons-nous et remercions le Seigneur de sc!', dons gratuits.

:::

* *

Le Bhagêvod, fort beau d'ailleurs, n'a point J'auguste sim­plicité du Nouveau Testament.

«Efforçons-nous de vivre de telle sorte qu'à notre décès. les croque-morts eux-mêmes en aient du chagrin».

Seigneur couteau».

(Marc Twain).

* «entrez dans mon cœur comme un l'OUp de

:;: :i:.

Ce fut par un mélancolque après-midi que Jésus rentra

dans Nazareth, depuis sa sortie. Ses pieds nus faisaient voler la poussière du chemin. Le vent berçait doucement les palmes dans les jardin,. Les gens s'occuraient de leurs occupations

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Page 148: PAGES RETROUVEES - University of Florida

(JI dinaires. Des lemmes puisaient de l'eau au bord des puit:-.,

el les viei:lards buvaiEnt du vin bleu de Chanaan, au seuil de leur demeure. Pensif. Jésus marchait, songeant à son en­

fance enfuie, au sacrifice futur.

*

Pourquoi ~e Me::;sie dlOisit-il le peuple juif? Parce qu'il

ét.ait le meilleur, le plus doux des peuples. La tache originelle est donc un fait terrible.

«De tous les arbl'es que nous aurons plantés, nul ne nous suivra» qu'un amandier aux feuilles couleur d'aurore. Ecoute

cc COUl t poème, Annie des Mambas : (:Qù VC:.Au "i gaiement

1 uisselet .limpide ? Que cherches-tu en cuurant si vite dans

ton ,-aHon ? Arrête-toi, nous causerons un peu. - Mon ami, je vais à mon moulin. J'étais un ruisseau t.ranquille et pares­!ôeux. 11s m'ont emprbonné clans leur ('anal étroit, afin que je

fas.-;e tourner 1:a meule pour moudre votre bon grain. Je ne me plains pas; je suis moins ,libre, mai-s utile à mes amis». Ce ) iEd de Goethe me rappeHe le vallon de Bizoton et son

frais rui;;;seau où frétillent de petits pois:;ons gris, heureux de

ne point connaître la noblesse de souffrir.

* * *

SaÎint Alphonse de Liguori, intercédez auprès de Notre

Dame du Pel'pétue1 Secours pour les âmes vio!entes des COll­

cy. 0 mortel!ô, donnez des messes. car Marie est un abîme in­sondable de miséricorde.

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MEL USINE

A ma Femme.

Vêtue:' d'écharpes vaporl'ouses, leurs fronts ceints de be!ks

mexicaines, les fées, les be:'les fées dansent au clair so],ciL

leurs beaux pieds nus courbant à peine le gazon, accompagné~s

de la musique des cigales.

Jo'i prince d'Assise que diapre un manteau vert et bleu

Et Gant ]te baiser l'éveille la Belle au Bois dormant, de ta jarre

arc-En-cielisée, verse d'abondantes pluies pOUl' la jouissil'1cC'

des plus humbles graminées.

::: *

Aucun Oiavant, aucun poète n'a su rendre comme Gérard

de Nerval, avec autant de olarté, de mystère et de poésie, les

méfzits du déboisement. Son conte «La Reine des Boissons»

est un petit chef-d'œuvre incomparable.

:;:

Lalmes vio'acées du chanoine Schmid, lavez m(1n cu:ur

pénitent. Pr~ez pour les pauvres suicidés.

* *

Ni présent. ni passé, III futur, l'éternité de l'amour.

Se peut-il SeignEur, que l'ennemi acharné du suicide que

je fus, ait maintes fois tenté de Oie suicider ? Jésus crucifié

-14!l-

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miséricorde! «Vous m'arroserez Seigneur avec l'hysope, et

je serai purifié; vous me laverez et je deviendrai plus b:~anc

que la neige».

* * «Mon luth est constellé du soleil noir de }.a mélancr.)lic».

=1: *

La civilisation juive fut un mé!ange unique d'orientalis­me et d'occidEntali~me. Les Psaumes de David sont la perle du classicisme. (Hébl'eu).

* * :!:

Un jour viEndra du baiser de l'adieu. Un jour viendra

du petit cœur qui monte et descend. Un jeu!' vie:'ldra des bras doulourem:ement dé.o:enlacés. Un. jour viendra des ruisseaux de "armc3 et des pèlerinages définitif!". Voi'.à ce qui disent les ~aucisses juives.

:1=

* * Mort à l'Hôpital à vingt-huit ans, Hégésippe Moreau fut

un poète déjà parfait. Ses contes sont exquis et SES poésies en

font un mussetiste primesautier, chanl1ant. plein d'originalité.

* :;: *

Ce qui console de mourir, c'est la certitude de se 1'( voir.

:;: :::

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La coupe rose est le symbole de la poésie.

* :;: * :H y aurait tout un petit traité mystique à écrire : «De

l'influence de l'image sur ~a vie» et que je dédierais à da mé­moire du bon roi René.

* * *

~:M!)i ':'lui suis l'Amour, mon souffle est trop brûlant. Mê­me :;;i je ne fais que passer dans les âmes, j'y laisse une brûlure jneffable~). soupire une fIlûte persane.

* * *

La souffrance aigri.t, durcit. Cependant Je Fils de l'Hom­me qui n'avait pas «un oreiller où reposer sa tête», qui le plus souffrit moralement et physiquement, fut celui qui pardonna, aima le plus.

:1:

* * Je n'aurais jamais cru qu'un enfant pût tant souffrir sans

'nourir.

:1:

* *

Le Catéchisme créole est d'une absolue nécessité. Un jeune paysan à qui je demandais: - Qu'est-ce qu'un chrétien ? me répondit: «Cé moune qui praIe prend piqm>.

* * *

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Chaque matin, regarde la nature avec des yeux neufs, lavés, franciscains.

* * *

Le Vaudou n'est point une religion car il n'a inspiré ni prophète ni livre. C'est une secte inspirée par de bas démons. L'encourager 'est anti-patriotique.

* * :):

Cabale et soufisme prennent leur source dam 1es Psaumes de David.

* * *

Saint Paul, accordez-moi le don du devoir et de l'autorité.

* * *

Gérard Marce/~in qui fut mon ami depuis Bordeaux a lais­sé de profonds regrets. Le Président Vin(:ent ne pouvait mieux choisir à la Direction de lIa Bibliothèque Nationale. Ce jeune homme intègre et modeste jouissait d'une rare culture. Je n'oublierai jamais ses yeux très doux derrière 'les verres, son sourire si fin, si ironique, plein de méllancolie. Sa délicate pudeur voilait une âme exquise.

* * *

Dans l'âme silencieuse et solitaire, où se sont tus tous les vains bruits du monde, en intimité avec Marie, trône la Sainte Trinité, cependant que le cœur chante lia louange de gloire.

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"

Telle est, si je comprends bien, la doctrine de Sœur Elisabeth

de !a Trinité.

* * *

«Ah! est-ce moi? est.-ce toi? Cela ferait deux dieux ... Entre moi et toi, il y a un «C'est moi» qui me tourmente. Ah ! enl1ève par «c'est moi» d'entre nous deux», (Al HaUadj).

* * *

Dans l'océan de l'amour, le ruisseau du soi disparaît.

:}:

* * Je suis comme un nageur plongé pmfondément et qui a

peine à remonter à ta surface de l'eau: comme ae Psalmiste, dont les ardeurs brisées renaissaient S<lns cesse.

* * *

Ce matin où le ciel est d'un bleu pâle, céleste, et d'un rose de gra,in de grenade, ces vers de Musset chantent en moi:

«Ainsi la dame Abbesse

De Sainte Croix rabaisse

Sa carpe aux: :llarges plits Sur son surplis».

* .. ", "f~' '* *

Tais-toi et ne sois [.Â>i;nt ourieux conune RaymQ1ldin de

Hussignan.

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LA MUETTE

«Que ne puis-je êt.re certain de reposer sous Ile grand ali­zier où :les bergères du village se rassembl-ent pour danser ! Je voudrais que leurs mains pieuses vinssent arroser le gazon qui couvrirait mon tombeau». En d-épit du grand Louis Veuil­lot, je ne puis m'empêcher de trouver ce souhait charmant. Ma sympathie pour Florian est ancienne et. profonde. Gon­zalve de Cordoue amusa longtemps mon adolescence et Jes fables, très tendres, me consolèrent dans une période doulou­reuse de la vie.

* * * Aiimez-vous les vieilles chansons ? Moi, je les adore.

Lorsque j'entends chanter:

Au clair de la lune mon ami Pierrot P1'ête-moi ta plume pour écrire un mot» ...

toute mon enfance ressuscite . .Je revois l'avenue sinueuse de Turgeau bordée de v~}ilas qui ont, je ne sais «quel air de viei:lle romance». J'écoute le murmure pluvieux des pins, le chant des rossignols d'autrefois que les automobiles ont chassés.

* * *

Armand Duval, quand il est reçu pour la première fois chez -lia Dame aux Camélias, s'attriste de la voir jouer et chan­ter au piano des chansons libertines. Puis qU'and e11e crache du sang, il la suit dans sa chambre et lui baise les mains, avoue son amour. Etonnée, aUendrie, elle sourit et lui fixe un renèez.

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vous pour le lendemain soir. Cette scène qui m'avait tant

frappé dans mon adolescence, je d'ai vécue. Comme Dryden a rai:cn : «L'homme est W1 enfant qui a grandi~). Il m'est arri­vé d'adéger la bourse des parents pour donner aux femmes, mais, vraiment, j'ai peu goûté l'argent. J'ai surtout beaucoup

aimé.

* * :;:

Sainte Marie Madeleine, priez pour toutes les margue­rite." tous les pierrots vêtus de noir, qui sur leur guitare chan­tent le passé. au pied d'une tour imaginaire.

* * :::

«Ci-gît Marguerite pour Avoir trop bu de vin».

Encore une chanson de mon enfance et qui me rappeLle Yolande aux cheveux coupés, qui m'envoyait du sucre par un petit. canal d'eau. Les samedis après-midis, nous échan­gions d'innombrables baisers. Un jour, que j'étais malade, ejle \'int. me voir et s'assit sur mon lit. Les mains dans les mains et les yeux dans les yeux nous causâmes lougten1ps, !ongtemps. Et c'était si bon que je m'en souviendrai jusqu'à ma mort.

* * *

A peine si maintenant je regarde ta démarche onduleuse, ton beau corps si souple, les accents aigus de tes longs sourcils couchés sur tes yeux en amande, ton nez sémitique perché sur tes lè>vres que le fard a rougis. Indifférents, nous noUS' croisons dans la Tue sans même nous saluer.

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*

Certaines superstitions pleines de fraîcheur dénotent lille

foi naïve, touchante. Quoi de plus charmant que d'orner de Ceurs des fontaines aux fées. mais qU€iUe triste idée de griller la Ootatue de Saint Joseph, tellement humain, tellement bon, que si je vivais de son temps. je lui raconterais tous mes péchés

et qu'il me pardonnerait.

* * *

Eternel, toi qui sondes les cœurs et les reins, certaine­

ment tu ne prends pas trop au sérieux ce qu'écrivent Jles écri­vains. Tout de même, Baudelaire a quelque peu raison, mieux

vaut encore prier les poètes que les loas. 0 mes chers écri­vains, mes chers abbés de cour, mes chers saints, priez pour les sans-Dieu.

* * *

Devant Dieu et devant les hommes. je renie tous mes écrits vaudouesques.

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COLLABORATION

AU JOURNAL

« A D LIB 1 T U M ».

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JESUS

Jésus, l'homme de douleurs. Son corps déchiré, plaqué ml' la rugosité du bois : il avait été flage'hlé.

Sa tête sanglante, appuyée à la Croix : €Ille avait été cou­ronnée d'épines.

Ses mains, ses pieds percés. «0 vous qui passez, voyez s'il Est une douleur semblable à la mienne?).

LES TULIPES

Que vienn~mt faire parmi nous ces fleurs antillaises ? méprisées de tous, que personne n'arrose? Kayyam a chanté la tulipe persane à l'égal- de la rose. L'industrieuse Hollande a dépensé des sommes fabuleuses pour nous cultiver, nous orner, nous errtbellir. Mais vous, qui vous connaît, quel poète vous a chantées ?

- C'est par hasard que nous sommes panni vous. Nous poussons à l'écart, en des lieux arides. Personne ne nous re­garde, c'est vrai. Le passant ne daigne pas nous faire l'au­mône d'une gOli'tte~ette d'eau. Nous vivons de l'eau du ciel. Notre vie est sage. Nous fermons Iles yeux au crépuscule, pour ne les rouvrir qu'au matin. Mais l'humilité n'est-elle pas fort au-dessus- de l'arrogance superbe, méprisante ? Nos sœurs d'Europe et d'Asie seraient-elles de nouveH:es riches ?

PENSEES

L'homme a inventé la bombe atomique. III sill<mne les mers. Il vole comme Icare. Qu'est-ce que cela puisqu'i~' doit mourir?

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'" * li<

Puisqu'il ne peut s'empêcher de mourir, toute la force de l'homme n'est que néant.

* li< *

Dieu n'existe pas. Je le croirai volontiers, lorsqu'on aura inventé un sérum contre Ja mort.

* * *

L'esprit n'a pas d'âge. Il est immortel. Mais attention ... l'immortalité heureuse ou malheureuse?

li<

* * Préférer une créature à Dieu, c'est lui faire une injustice

criante. «Dieu premier servi» disait Sa!inte Jeanne d'Arc.

:;:

• • Hors de sa science, le savant est padaitement ignorant

des choses divines et humaines. Il- connaît tout par les livres.

* * *

a Jésus! Vous ne méritez pas qu'on vous fasse une in jus·

* :Je; *

Dieu est immobile puisqu'ill est partout.

-'-160 -

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• • • . Trop souvent, hélas, la raison a été donnée à l'homme

pour dé,raooIUler.

*' * *

. «L'être est, le non-être n'est paS», disait Héraclite. En effet, essayez de réaliser le néant: nul ne l'e peut.

* * *

Qu'il y aH des sectes protestantes, oui. Une EgHse Pro­testante, non.

* * *

B~thoven disait qu'il préférait un arbre à une créature. Je le comprends fort bien. La créature dit maintes sQttises. L'arbre se laisse simplement admirer.

* 01< '"

J'ai heurté mon kont à tous les ban'eaux de la vie, n n'y a qu'une issue: la religion. De cette gangue qu'est la vie, il! faut que nous arrivions à extraire l'or pur de la souffrance.

* * *

Les soi-disant athées sont des haineux, comme les phari­siens. Ils crucifient l'Amour, comme leurs devanciers.

* :II *

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Un tel a eu une belle mort. Qu'en savez-vous ? Avez­vou,; assisté à son inévitable colloque finai avec Dieu? D'ail­le1,lT'-;11'âme .",'est jugée eUe-m~'rne avant d'ê~re jugée, . Elle sait pertinemment qu'eUe se l·end au paradis, au purgatoire [lU en enfer.

* :;:

Quand on est petit, les années marchent. Plus on vieillit, plus e"es CCUl"ent.

* * Nous cheminons «à l'ombre de la mor!», Pas nous se ...

Ilement. Les animaux et les plantes aussi, n suffit d'un petit ver, d'une chenille.

L'enfer, c'est l'impossibilité d'aimer, Si tu es dans l'im­possibilité d'aimer, dis-toi que tu es déjà dans l'enfer. Un.e ressource, cependant, demande à l'E~;prit Saint de fondre le bloc de glace que tu as à la place du cœur,

*

Dieu est toujours présent. Le nier, c'est affirmer sa peur du châtiment.

:;:

* '" Deuxième Sagesse

Méfie-toi des femmes et de l'alcool. Le plaisir c'est déjà

-162 -

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J'enfer. Et dis-t.oi ceci : Dieu CCllliélÎt le passé puisqu'il est é~el'r.el, le présent puii;qu'il est partout. l'avenir puisque le pré~ent conditionne l'avenir.

Ni passé, ni présent. ni futur: l'éternité de l'enfer ou du paradi..<;.

PENSEES

«Le Moniteur» du Lundi 7 Janvier écoulé a paru avee un <Décret concédant à l·a Congrégation des Filles de la Cha­rité de Saint-Louis (une organisation catholique canadienne) la joui.ssance pour une durée illimitée et à titre gratuit. d'un tClTain domanial, sis à Bourdon, mesurant 1 hectare 35 ares et ~ centiares». Bravo, Président DuVai1ie1'

* :;:

Ma fille, Sœur Marie Gabrielle du Sacré-Cœur m'apprend que la ville de Port-de-Paix, où elle réside, a fêté gl'anruose­ment mon anniversaire. Ml' Hérard JadoUe, professeur de Littérature Haïtienne au Lycée Tert.ulien Guilbaud, me rendit un vibrant hommage. C'est avec émotion que je remercie et la ville de Port-cle-Paix et Ml' Hérard Jadotte. Un jeune poète pGrt-de-paixien, Dieudonné Fardin, m'a envoyé un recueil de poèmes «Lyre Déclassée». J'en parlerai ici même.

J' En ce monde, il faut deux ailes pour voler la pr.ière et

1 amour.

:;: *

Sait-en que Mathurin de la Salette. le vagabond de la Sa inte-Vierge. s'enivrait parfois.

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* 1/< 1/<

N'avez-vous 'pas lu que ]e Président de l'Equateur ne tenait pas sur ses deux pieds,lbrs de la réception du Président Alles>­sandri, à Guayaquil, je C!l'ois ? Et alors, siun Chef d'Etat se saoule la gue,uile, pourquoi vous étonnez-vous que moi, pau:vre diable, j'en fasse autant ?

* * *

«Dieu a fa,it de rien le ciel et la terre, tout ce qui existe». Nécessairement, puisqu'il n'y avait rien, en dehors de Lui, l'Etre.

* * *

Les trois plus grands écrivaill1S français: Bossuet, Voltaire, Chatea uhriall1d.

* * *

Barrès un jet d'eau qui monte ... monte et ne redescend p~ius.

* 1/< *

On ne supprime pas Dieu, comme on supprime un mot, d'un coup de gomme à effacer.

* * *

Dieu existe. Qui l'a créé ? Mais réfléchissez donc que Dieu c'est ;l'Etre et que l'Etre existe nécessairement de toute éternlité. Il est cel1ui qui est.

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Sans -l'eau la plante meurt, sans !a prière l'âme meurt. «Qui prie se sauve, qui ne prie pas se damne», dit Saint Acl­phonse de Liguori, Docteur de l'Eglise.

* * *

J'écouta~s à la radio des airs de joie, et je me disais, mon Dieu! que de tristesses futures annoncent ces airs die fête!

* * *

Roger Gaillard vient de m'apprendre la mort de Félix Viard. Hr fut mon grand ami. C'était un être cha,mlanrt, frivo­le. toujours tiré à quatre épingles, d'une élégance aisée. Grand chasseur, il avait le vrai style du chasseur. alerte et gai. Paix , ~ f a son ame .

* * *

Carl BROUARD. 1er. Février 1963.

On ne saU!rait assez s'étonner, et du mal que les hommes se donnent pour se damner, et du mail que Dieu se donne pour ~es ~auver.

* * *

«S'il es.t une chose dont -on dise: voici ceci, c'est nouveau! cette chose existait déjà dans 'J,essiècles qui nous ont précédés».

Les savants ont découvert la désintégration de l'atome.

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mais cette chose existait déjà, dès le commencement. Les ;,:avants redécouvrent la création tout sùnp~ement, lorsqu'ils le peuvent, lorsque Dieu le permet, dans la mesure où Il le pennet.

* :le *

Le plus grand bonheur que l'on puisse rendre à Dieu c'est d'accepter de mourir.

* *' *'

Poésie engagée ! Poésie engagée! Quelle poésJ'€ engagée ! Je ne suis pas un esclave, moi. Le poète est un oiseau qui ~hante au gré de sa fantaisie. Les chants du matin ne sont pas des chants du micü. encore moins les chants du soir.

*

Au point de vue mystique, les savants sont les plus igno­rants, mais les plus orgue~neux des hommes. Je compreoos fort bien le sourire amusé de Psichari, chaque fois qu'il lisaü !es éIucubrations soi-disant savantes d'Ernest Renan, son 00-

cleo La foi: appartient aux humbles et non aux orgueilleux, dit Saint Augustin.

Réfiléchissez et constat.ez. L'homme ne se sert jamais de sa railson. Lorsque par hasard, il s'en sert, c'est pour dérai­sonner.

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Lorsque l'homme inventcüt la pirogue, savait-il que tout COlpS plongé dans un liquide reçoit une poussée de bas en haut égale au poids du liquide déplacé ? Savait-il que sa pi­rogue flotterait parce que son poids était éga'l au poids de l'eau déplacée par la part je submergée? Non cependant. Qui donc le lui avait enseigné, puisqu'Archimède n'était pas encore né. L'intuition, cette voix cachée de Dieu. L'inventeur n'inventt> pas, c'est Dieu qui invente.

Dieu : une Lumiè're dans laquelle sont encloses lc.~ trois personnes divines, éternellement égales. Une Lumière, .li-jt'

dit. une seule un seul Dieu.

Socrate fit descendre la philosophie du ciel sllr la terre. Ce fut le prt'mier des moralistes. Il fut un tournant décisif, défini,tif d·e la civil-isation.

-*

Deux VIes particulièrement douloureuses : l'elles d,> Ro­bert Schumann et Van Gogh. L'un meurt fou. l'autre ,.:c tue. Ces vies poignantes saisissent le cœur.

Comme le bouddhiste japonais Ronen Shonin poursuivait la Queste du bouddha Amithaba, poursuivons la Queste de la Lumière Incréée. La Voie est une: le Tao. «Je suis la Voj('.

ID Vérité et la Vie", di.,ait Jésus de Nazareth.

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. Toutes les gbires SOrlIt vaines, sauf celles voulues par Di-eu. Après ilia fin du monde, lonsqoel'histoire prendra fin. qui se souviertf<Ùta, en enter, de 'la g1o.ixe de Hitlier ou de Sta­line ?

* * *

Staline avait s-oixante savants-médecins à son chevet. Il est mort cepen'<1mJ1t.

* * *

«Naître est souffI'ir, vivre ·est souffrin>, disait Çakya­MOUIlii. Le 'Seul but donc, supprimer la souffrance, supprimer la vie. L'ü}time but du Bouddha: l'extinction du gerure hu­main.

* ... *

Oue~Hh" des fleurs, à quoi bon. Ne meurent-elles pas tou­jours trop tôt.

* * *

La fleur d'Amour ne s'épanouit que dans le fwnier de La souffrance.

• * *

«Le glas sonne pour tout le monde». Aujouro'hui pour toi, demain pour moi. Combien peu Le comprennent.

* * *

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Comnnmiste, soit, mais pas au point de partager ce verre i de c:airin avec un clochard, - tout de même.

'* * *

LE REPOSOIR DE PAPA GUEDE

A toi, Brave Gl1.édé Nibbo, ce kénépier au tronc lisse et

tors. A l'aube, des abeill,es butinent ses Heurs odorantes et fragiles. Que ce reposoir te soict doux 0 ! Guédé Nibbo !

Chaqlle vend'redi, j'y ferai de pieuses libations de Clairin Vierge.

* * *

J'apprends aussi que le Cap m'a bien fêté. De cette ville, je garde un ga'lant souvenir «du temps dë ma jeunesse falle». «G',isSlOns. morte lis, n'appuyons pas),;, dit le poète Roy. 0 mon cher' V01vick Ricourt, poète musicien, te rappelles-tu nos nuits pOl'i:-au-princiennes ? «Où sont les neiges d'antan ?»

* * *

Le catéchisme si dédaigné, si méprisé même, est le seul l<ivre qui soit réel et vrai.

:;:

* * On s'étonnait que Diderot, athée, enseignât le catéchisme

à safilUe. «Montrez-moi, dit-ill, un livre quA soit plus moral, et je l'abandonnerai volontiers».

:;: *

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Dieu n'existe pas. Qu'en savez-vous, seriez-vO\:,s déjà mort par hasard, pour }e savoir ?

* :le :;:

«Cel'ui qui ne croira pas sera condamné», dit 1,e divin Ré­dempteu~, n le mérite, car comment croire que la matière puisse créer l'esprit, que l'horloge puisse créer l'ho~log-er ?

* * *'

Il faut bien mOUl'Îr. puisque la mort, c'est la porte du pa­radis ... ou bien celle de l'enfer. «Priez, priez poUT vous sau­VET» , c'est la doctrine de Saint Alphonse de Liguori, Le -rè-· glemEnt de compte est fatal.

* * :-;"::

Seigneur, sois ,Je rhum qui m'enivre éter:neHement !

* * *

<,S'i') v 3V3,it un Dieu, il n'y aurait plus de guerre!» Déci­dément, la rai'son a été donnée à l'homme pour déraisonner. Ma.is alors, et vos péchés? Cessez d'abord de pécher, et il n'y aura p~'us de guerre.

:je *

Une vérité de La Palice: l'esprit n'a pas de couleur . • J ésus aJ1Œait au lieu secret. AbaïssemeTIlt inouï d'un Dieu

pour IIC sa.lut des homme~. Et dire que des ,gens passent devant une égli;:e san, ;:e ~i.gnel·. C'€~t hunteux . .T'imllgine OUI" le Sauveur Jeur d;l'él Jon'qu'i L l'élrélÎtront de\'ant lui: ,·(Comment

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vous passiez devant ma maison, sans me saluer. Vous ne sa~ viez donc pa,> que j'ai porté la croix, que j'ai été flagellé, cou­ronné d'épines, que je suis mort pour vous. Ingrats».

Préférer une créature à Dieu, c'est Lui faire une injustice.

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*' :i<

Avez-vous lu l'étude sur Sans-Souci publiée dam; le jour­nal (,Les Griots» par Hénock Trouillot. Lisez-la. Elle vous ,atisfera pleinement.

* * Exc·usez notre impatience, Mon Dieu. Vous êtes patien.t,

~'e9t vrai, mais Vous avez J'éternité pour Vous. Pour moi, le plus grand éloge que la Sainte Ecriture ait fait cire !\·ioïsc, :,'C5t de dire qu'il était le plus patient des honun-es.

* ",' *

Chaque coup de ma,rteau qui enfonçait les clous dans Jes

mains de Jésus, dans les pieds de Jésus, clouait les mains dé" Marie, les pieds de Marie.

Avec quel<le tristeB.,:e. Marie vit partir Jésus à l'âge de (l'ente ans. Des brmes perlaient à ses paupières. Elle savait bien qu'Il a,llait mourir, qu'Il ne reviendrait plus, qu'Il fouiuit pour la dernière fois ce seuil.

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• '" . fi est SÏin>gulier que les ThéQlogiens musulmans recon­

na.issenst lla virgindté, l'immaculiée conception do(! MaTie que l~ protestants refusent de recœmarore. ~'est ce qui explique la g:ral'l<dleur, la haute éMvatiol1i des mystiques musl~l!mall1S.

* * *

DÏieu n'est pas anti-matérilaliste pUlisqu'Il a créé la matière. ~t .~a matière est bene, ad!m:irahle. Seulement HI est plus sage, plus catholiq ue die préférer lies plaisirs de l'esprit comme me le recomma!l1dait le Très Cher Frère Raphaël de Saint-Louis :le GOIliZéI!gue.

* * *

L'hi:stoire de 'l'Afrique n'·est sue en partie que grâce aux éorivainlS h~wussa'S qui écrivaient en arabe. Les griots con­servaient et se tréUllsmettaienit . les traditions natioxmIes. C 'était en même temps des h13toriens et des savants, des jongleurs et jies tl'oubaŒours. Ils étaient la mémoire de ~a cité, sa science.

* * *

J'aIi COIID'I..II le cdronel Nemours, à Paris, à 'Il' Ambassade d'Haïti. IiI recevait exceUelll:lDell/t et du menleur monde. Pour Le bon renom du. pays, il n'hésitait pas à dépenser beaucoup. On lui a reproché d'être flatteur, c'est possible, mai:s moi, je l'~ais bien, parce qu'il étaLt très poLi. Et puis, au point de vue du: style et de la scienee militaire, i;1 reste notre meillieuir l1Ï!storÏen.

Cad BROUARD.

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PAGE RETROUVEE

FREDERIC KEBREAU

Par Carl Brouard

Ce jeune écrivain, «l'un des technkiens les plus compé­lents de l'intéressante équipe de Damiens», est d'une culture scient.ifique €tenoue. hl détient ,fe diplôme de Licencié ès­Scien'Ce de t'Université de Minnesota. Aux Eta,ts-Unis, où ces ooudes de Jlaboratoi:res, surtout la génétique, sont fort pous­sées, il se spécialisa dans la Pathologie Végétale et les Pro­blèmes de ,l'Hérédité. m professe i);a Botanique et la Biométrie à Damiens.

Fréd€ric Kébreau camcûél1Î'se 'l~ nouvel esprit des jeunes, par «l'incrédulité qu,'ills montrent pour tout ce qui échappe aU' contrôle, à l'expérimentatiKm, à 'l'analyse, enfin pour tout ce qu.i est mythe». La jeunesse, qui: écrit Vhistoire, est fort sévèl"e pour ses aînés. Ev id enunent, nous parlons des iUluüJes, de ceux qui tressaiHent d'aise aux discours pompeux des com­mandants miJ.itaires. à l'éloquence creuse et sonore des par­lementaires, aux mémoires vierges, comme un disque d'ébo­nite ~l.lr :Iequel n'a point passé le stylet. Les ela'irons retenltis­sants sonnaient dans ,les consci'ences d:ése.rtiques. Des géné­raux chamarrés se rendaient à 'lai parade de sol8ats loqueteux. C'était l'époque où f1eurissaient ces clichés: «un homme com­me moj», oui, tout pareil aux innombrables niais de ce pays: des titans de 1804», dont on se foutait : «l'ordre et lia paix règnent sur toute ,l'étendue du territoire», cependant que les cacos étaient en pleine rébellion. Le tragique était que cette comédie se joua~t aux crépi.tements des fusillades sommaires. Nous nous fachions à tort, l.orsqu'on nous qualifiait de pays d'opérette sanglante.

Il est des jeunes qui sont nés vieux. Jamais ils ne change­ron<t. Ils mourront figés dans leul's carapaces. Par con.tre, d~s

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gen.'i d'âge se renom;eH~nt sans cesse, coll1rite- les printemps des pays froids. Aussi se conservent-ils étonnamment. Les autres sont des retardataires, des démodés. ns jugent sans valeur tout ce qU'lb ne comprennenrt pas. Le Président Vin­cent, «qui appartient à notre génération», écriva1t : «Mon rêve est que ,la jeunesse actuelle si bien douée intdiectuelLemerut et où se l'ecrurteront les dirigeants de demain se pénètre de plus en pl'us des nouvelles idées d'ordre, de discipline et de travail par quoi se réallise l'aise des collectivités». L'ordre, le' beau, [e magnifique mot. NuL plus que moi ne peut apprécier l'or­dre, parce que j'ai passé par tous les désordres. Je sais main­tenant que rien ne vaut la douceur des habitudes quotidienJnes, ]'e déroulement des tâches ordonnées. Le bonheur, s'il exis­tait, serait monotone. Ce n'est point que souvent les brises nostabgiques et dolentes de l'aventure, ne vie'l1ll1ent vous ca­resser. Mais ces charmeuses traîtresses, il ne les faut point res­.:Ïl cr. Il faut avoir ].a volonté de briser la coq ue humide et douce du passé. pour le ver qu.'il cC.fI[tient, apparaisse dans toute son norl"eul'.

Ce jeune écrivain a su bien montrer les bienfaits de la technique, aaleurs, chez nous aussi où elle débu.te, et mon­tret' avec finesse les dangers d'une trop grande hâte. De ter­l'ibles crises sont la rançon d'un machini.!'>TIle intensif et pré­maturé.

FTéc1éric Kébreau a fait une belle apologie de la culJture -:aienti.fiique. «L'une des premières empreintes qu'elle laisse, :Ht n. ,est la discipline, le facteur indispensable dans l'édifica­ticn de ·tout Etat digne de ce nom. L'esprit. habitué aux nor­mes de ,la Ilogique semble se plier pl1us facilement aux con­tràintes des iois imposées par Ja Communauté. La discipline ~;cientifique met en branle les ressorts les plus complexes de l'inleliiigence, joue un rôlie de tout premier ordre dans le mé­r:cmisme è.e l'acquis1bon des COI1'l1aÏssanc.es et dans leur mé­thode de cristallisation. phénomènes psych{)l~ogiques dorut l'im­portance se reflète dans la facilité à ],a compréhension immé­:fiate et à l'interprétation des problèmes de quelque nature

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:{u 1 s soient. Le moule scientifique déve~.oppe encore l'esprit :le préc:sion, certairres habHetés dans le dynamisme, l'iruitia­tive. il permet plus facilement l'opération de l'intelligence ~ommunément dénommée: «transfert de connaissance», c'est­à-dire la transmi'ssion ou l'application de la c1iscipl,ine acquise dans t.::/~le activité intelleetuelle donnée à n'importe quel autre prob!ème».

'r out dernièrement, il a fait paraître dans «La Relève» une Analyse Critique de la «Vie dans une Vallée Haïtienne» du Dr. MelviNe J. Herskovits. Voici ce que dit le jeune criti­que de la nouvelle thèse: <de cas doit être interprêté en fonc­tion de ce qu'on peut appeler: l'ambivalence socialisée, un état psychologique, résultat du perpétuel confli t entre deux traditions. deux cultures, deux forces qui se neutralisent ré­ctprcquement et. dont ,la possession constitue ,le dérivatif nor­mal. le soulagement de cett.e tension psychique, Par suite de 'a com.plexité biologique -l'haïtien se trouve danJs une situartion émoticnnelle -vaci:lJ.ante. Il est partagé entre le désir de com­prendre (trait d'un type de civilisation) et la fascination exer­cée par les déités ancestrales (caractéristique d'une autre cul­ture)>>. La thèse est séduisante.

Le Vaudou est-il une religion monothéiste. se demande !e jeune professeur ?

E,;sentiel1lement, répondrai-je. Les loas, infimes serviteurs :lu Gl'and-Maître. tout comme les génies islamiques sont f01,t proches de l'humanité. Ils ont nos passions, nos vices. Ce -ont des hommes divinisés. Le phénomène se répète souvent. Les 10as nouveaux ne sont pas autre chose. Le houmfôr est avant tout un petit temple fauü}ial. et le pé SUl' leque'l repo­l'eut les plats maraça est l'autel domestique. Les pots qui doivent oervir aux lavages des têtes, dans lesque,]s sont censées <,nfenner les âmes de ,leurs possesseurs. valent bien les noms écrits dans les tablettes shintoïstes. Le vaudou est avant tout

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un culte des ancêtna !avol"isépar .Je cathal.iëisme. La lan.gwe œ Kébreau est fetme, précise, d'-une grmd.

::orrectlon.

Cat;1 BRQUARD.

(Extrait de .L'Action Nationàle. du Mercredi 19 Mai 19a7 et

Samedi 22 Mai 1931). - Editorial du journal dirigé p3J: Ml'

Julio Jn-Pierre Audain.

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TEXTES NON CLASSES

o ma chère Sumana, sois ma maîtresse e1; je te couvrirai d'or, de caresses. Si tu refuses, j'irai à Léogooe chercher d~ pui:ssants ouangas, chez Mambo-Zane :fui fonderont la glace de ton cœur en larmes qu'avid~ment, je boirai, !';,ans alarmes.

* [ris des tropiques, dirai-j~ de vos cheveux crêpe?lés, ainsi que d'un accord malheureux vos appas et vos ris. Va'llterais-je vos charmes? .. non, je diralÎ seu1ement que je vous adore et qu'à vous je pense dès que paraît 1'aurOl"e.

* * *

Tout mon bonheur: écouter au bord de l'eau courante, le murmm'e aérien des l"OSeaUX un cockt.ail doré où nage un zeste de citron vert, et tes longs ba·isers, Omphale Boisrond.

Où s'en est aBée Rose

* * "'

(~c·nt le tE·int était noir comme du jais, It . (lEnts l:'::anches comme une nuit d'amour? ~.

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- Dans la tombe! Mais où sont ses yeux couleur du tamarin, ~011 corps qui sentait le poivre la sueur et le pompéia ? - Dans la tombe ! Lune qui te ba,Hades comme une désœuvl:ée da:ns les nuages te souviens-tu de cette nuit briHante comme l'or où je connus l'es délices de son corps? - Mais non!

Seigneur, dc)nnez-moi d'être la lampe qui brûle, ardente et pais1ble à tes pieds. Que ton amour soit le rhum qui m'enivre éternellement.

*

Déchirante mélancolie que de remuer la cendre des sou­venÜ"s. Passé, cruel pas~é, et combien émouvant le cri de La­martine : «ô temps suspends ton vol».

*

La sensation de marcher dans un rêve plus vrai ljuè le l'éel, et le regard étOllilé d'un homme qui serait pamli des in­connus ou qill alTiverait d'un monde ignoTé.

* *

Seuls ceux qui alternent une vic épicurienne et trépüllmte

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avce la ~olitude méditative, peuvent appréder les larmes et les déplai~-irs de ces deux genres de vie. Le contempllatif dans ,on humble eellule, dépasse de cent coudées l'homme d'action.

Vanité des vanités, la fortune de Christophe s'est dissipée C:Ull1Il1C une fumée. Où le sabre de Dessalines ? Qui peut me dire ce qu'est devenu l'uniforme de Pétion'? Ces grands hom­ITles ont passé ('"amme l'ouragan. Us se sont écrasés com.me un

~ourbillon de poussières sur les collines. «Van.ité des vanités, tout n'est que vanité».

*

Une feuille de papier nous sépare de la mort, et le pré­sent glisse dans le passé comme l'eau succède à l'eau.

* '" Deux homlnes sont en moi, étrangement di"semblables.

L'un. chaste candide, tout prêt à sangloter d'extase à vos pieds, Seigneur. L'autre, railleur, insouciant, cynique, ardent au plaisir. Seigneur, ces deux hommes, comment les concilier?

:(. :;:

Seigneur, les bohèmes sont de pauvres hommes panrii les paUV1'es hommes. L'angoisse et le remords bouleversent leurs

âmes.

*

Mimi, N aga, puissiez-vous ne jamais connaître les orages

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de cc monde. Pubsiez-vous gagner tôt la terre où «coulent le lait ,et le miel». Puissiez-vous ne respirer que les roses die Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Tous les plaisirs du monde ne va,1'ent pas lia joie d'une conscience claire et 'liimpide comme une source, même dan .. ') ·la souffrance.

*

Rose d'amour, violette d'hwnilité, lis très pur, fleur des lieurs, vielge Mère, ave ... L'enfant de chœur pieux, doux, si sage et qui lançait des pétales de flamboyants, des bouJ.es de neige de !'>tragorn-ia sur Je passage du Saint Sacrement, manlan, où donc est-il ? Hé~'as ! d'abîmes en abîmes, il a roulé jusque dans la mare bouev,ce, fétide, collante de la débauche et de l'ivrognerie et, las, désespéré, les bras fatigués, il tente d'en sortir. Rose d'amour, violeUe d'humilité, 'lis très pur, Heur des fJ.eul"s, vierge Mère, ave ...

'" '" '" Ecoutez encore l'Imitation, La vie réglée rend l'homme

sage aux yeux de Di,eu et \ui donne une grande espérance. Essayons donc, avec l'aide de Dieu, d'avoir une telle discipli­ne. C'est la manière de traverser humblement cette vallée de larn1es.

'" * * Nous USODk'i notre vie à nous rechercher, car qu'y a-t-il de

commun entre cet honune qui parle, agit, commet des actes qu'il répl'O'llve, et cette petite lumière au fond, tout au fond de nous-mêmes vers 'laquelle nous cheminons silencieusement, capricieus1ement et qui est notre vrai Moi. Il faut rejeter nos désirs un à UIll, coonme des vêtements usés, pour arriver à la

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comp:&le nudité intérieure et contempler la lampe de notre

âm~.

* * :::

Seigneur, il est bien diffici!e de vendre tous les joyaux. du mor.de et de la pensée, pour s'acheter la perle impérissab1e. Encol'e une fois, mon pied a heurté La pierre du péché, et je sub tombé dans l'abîme «où j'ai crié vers vous». Le vent souf­fle en tempête sur mon âme, voilant le regard sur la perle incomparable. Seigneur, qu'est l'homme sans vous ? Un cloaque de péchés. C'est pourquoi, souffrez que je dépose ma main sur votre épauJe et que je marcne à l'ombre du manteau 'lui balaya tous les chemins de la Judée.

* * Existe-t-il un honune qui n'ait été. même inconscienunent,

tourmenté du désir de la Vérité '? Eperdus, affo1és, nous tâ­tonnons dans ce labyrinthe qu'est la v'ie, la recherchant. Mais, Im·.'>f"Ju'à la sortie. elle nous tend son miroir éblouissant, l'.08

l(.-vres qui se sont tues à jamais, ne peuvent rien dévoiler.

* * *

Mais sonne l'heure de la résignation difficde. Alors, quel­ques-unes cherchent ~'oubli dans les plai. .. ;irs et les divertis­sements. D'autres cultivent l'idéal dans le sanctuaire blleuâtre du silence. Pour moi, j'essaie de gravir «ce chemin montant, sab!cnneux, malaisé» me dépouillant du plaisir, «ce bourreau ,;an:; merci», et de cette tendance passionnée d'aimer «ce que l'on ne verra deux fois». Quoi de plus tranquil[e que l'âme à l'oïl simple? Et quoi de plus libre que l'homme qui ne dé­sil'e rien sur la terre, a dit l'auteur de l'Imitation.

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* ,., *

Le cœur du poète est une cage dorée, toute pleine d'oi­

seaux. Parfois, l'un d'eux s'envole pour ne plus revenir.

Et VOICI que je souffre, el voici Cjue Je pleure, Seigneur.

Pourquoi faut-il que mes meillelues dispositions soient ba­

r'ayées par l'ouragan de la sensualité?

*

o mon Dieu, combien ne fois ai-je vainement tenté de

qisir le pan de ta robe éblouissante, ainsi que le lis de la

pitié. Et me voici, écroulé, pleurant, les mains inutilement

tendu'es vers l'aun1ône de Ion an10ur. Seigneul", que je boive

une gouttelette de ta coupe et je serai guéri.

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