pages debut 33-3

197
Revue de planification fiscale et financière Vol. 33, n o 3 - 2013 association de planification fiscale et financière Le casse-tête de la détermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les sociétés liées : le principe de pleine concurrence au XXI e siècle Gilles Larin et Sylvie Beaulieu 429 Dans quelle mesure les sociétés détenues par les bandes indiennes bénéficient-elles d’une exemption fiscale? Pierre Brosseau 527 Bourse Jacques-Côté – L’effet du lien de dépendance sur l’assurabilité dans le cadre de la Loi sur l’assurance-emploi : synthèse des critères applicables Alex Boisvert et Maxime Dupuis 583

Transcript of pages debut 33-3

Page 1: pages debut 33-3

Revuede planification fiscaleet financiegravereVo

l 33

no 3

- 20

13

Vol

33 n

o 3 -

2013

association deplanification fiscaleet financiegravere

Le casse-tecircte de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees le principe de pleine concurrence au XXIe siegravecleGilles Larin et Sylvie Beaulieu 429

Dans quelle mesure les socieacuteteacutes deacutetenuespar les bandes indiennes beacuteneacuteficient-ellesdrsquoune exemption fiscalePierre Brosseau 527

Bourse Jacques-Cocircteacute ndashLrsquoeffet du lien de deacutependance sur lrsquoassurabiliteacutedans le cadre de la Loi sur lrsquoassurance-emploi synthegravese des critegraveres applicablesAlex Boisvert et Maxime Dupuis 583

ISSN 1924-9837 Prix 30 $

Revue de planification fiscale et financiegravere

Cette publication doit ecirctre citeacutee (2013) vol 33 no 3 Revue de planification fiscale et financiegravere

Les opinions exprimeacutees dans cette publication sont propres aux auteurs des articles Lrsquoexactitude des citations et des reacutefeacuterences relegraveve de la responsabiliteacute des auteurs

Veuillez adresser toute correspondance agrave

APFF 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal (Queacutebec) H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ndash (sans frais) 1 877 866-2733 Teacuteleacutecopieur (514) 866-0113 ndash (sans frais) 1 877 866-0113 Courriel apffapfforg ndash Site Internet wwwapfforg

copy 2013 Association de planification fiscale et financiegravere Tous droits reacuteserveacutes La reproduction ou transmission sous quelque forme ou par quelque moyen (eacutelectronique ou meacutecanique y compris la photocopie lrsquoenregistrement ou lrsquointroduction dans tout systegraveme informatique ou de recherche documentaire) actuellement connu ou non encore inventeacute de toute partie de la preacutesente publication faite sans le consentement eacutecrit de lrsquoeacutediteur est interdite sauf dans le cas ougrave quelqursquoun deacutesire citer de courts extraits Dans ce dernier cas mention doit absolument ecirctre faite et de lrsquoauteur et de la revue comme source de reacutefeacuterence ISSN 1924-9837 Deacutepocirct leacutegal 3e trimestre 2013 Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du Canada Courrier de la 2e classe enregistrement no 40065217

COMITEacute DE LA REVUE PREacuteSIDENTE

Chantal Jacquier avocate LL M COORDONNATRICE

Diane Gagnon avocate Directrice de lrsquoeacutedition APFF MEMBRES

Marie-Pierre Allard avocate M Fisc Professeure titulaire Faculteacute drsquoadministration Universiteacute de Sherbrooke

Kathleen Comeau M Fisc Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

Christiane Maurice avocate LLM fisc Richter

Michel Ostiguy avocat LL B M Fisc

Dave Santerre CPA CA LLM fisc PwC

Hugo Tremblay CPA CA KPMG srlsencrl

Julie Heacutelegravene Tremblay avocate M Fisc Dufour Charbonneau Brunet amp Associeacutes inc Comptables professionnels agreacuteeacutes

Jean-Pierre Vidal CPA CA Ph D Professeur agreacutegeacute HEC Montreacuteal MEMBRE DrsquoOFFICE Maurice Mongrain avocat Preacutesident-directeur geacuteneacuteral APFF

POLITIQUE EacuteDITORIALE

La Revue est geacuteneacuteralement publieacutee quatre fois par anneacutee et est distribueacutee agrave tous les membres de lrsquoAPFF Elle preacutesente des textes qui contribuent agrave lrsquoavancement des connaissances et agrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences en matiegravere fiscale et financiegravere Ses lecteurs sont des experts chevronneacutes avocats notaires experts-comptables eacuteconomistes et autres professionnels

Les textes soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue ne doivent pas avoir eacuteteacute publieacutes ailleurs ni ecirctre soumis agrave un autre eacutediteur sauf exception et selon entente entre lrsquoAPFF et un autre eacutediteur Ils doivent ecirctre non seulement ineacutedits mais aussi drsquoune grande rigueur Ils sont soumis agrave titre gracieux au beacuteneacutefice de lrsquoAPFF Tout texte soumis doit ecirctre reacutedigeacute en franccedilais Il ne doit normalement pas deacutepasser 17 500 mots (environ 35 pages) Il est recommandeacute de suivre le guide de preacutesentation des textes de lrsquoAPFF

Les textes soumis font lrsquoobjet drsquoune double lecture agrave lrsquoaveugle lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur nrsquoest pas connue des reacuteviseurs au moment de lrsquoeacutevaluation Bien que certains reacuteviseurs ad hoc puissent aussi ecirctre consulteacutes les reacuteviseurs sont geacuteneacuteralement choisis parmi les membres du comiteacute de la Revue

Un texte soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue peut ecirctre

1) accepteacute drsquoembleacutee

2) accepteacute apregraves que lrsquoauteur eut apporteacute les modifications requises par le preacutesident du comiteacute sur lrsquoavis des reacuteviseurs

3) refuseacute

Lrsquoauteur dont le texte est accepteacute pour publication doit soumettre un reacutesumeacute de 200 agrave 300 mots en franccedilais et en anglais (preacutecisabstract)

Les textes accepteacutes sont ensuite revus et corrigeacutes par le service drsquoeacutedition de lrsquoAPFF conformeacutement aux normes de preacutesentation de lrsquoAPFF pour leur publication dans la Revue

Toute personne inteacuteresseacutee agrave publier dans la Revue de planification fiscale et financiegravere est inviteacutee agrave soumettre un texte agrave lrsquoAPFF et agrave communiquer agrave cet effet avec Me Diane Gagnon directrice de lrsquoeacutedition et coordonnatrice du comiteacute de la Revue par teacuteleacutephone au 514 866-2733 (poste 209) ou sans frais au 1 877 866-2733 (poste 209) ou agrave lrsquoadresse eacutelectronique suivante gagnondapfforg

SOMMAIRE

Vol 33 no 3 2013

Le casse-tecircte de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees le principe de pleine concurrence au XXIe siegravecle Gilles Larin et Sylvie Beaulieu 429

Dans quelle mesure les socieacuteteacutes deacutetenues

par les bandes indiennes beacuteneacuteficient-elles drsquoune exemption fiscale Pierre Brosseau 527

Bourse Jacques-Cocircteacute ndash

Lrsquoeffet du lien de deacutependance sur lrsquoassurabiliteacute dans le cadre de la Loi sur lrsquoassurance-emploi synthegravese des critegraveres applicables Alex Boisvert et Maxime Dupuis 583

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 429

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION

INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE

Gilles Larin Ph D Professeur

Deacutepartement de fiscaliteacute Faculteacute drsquoadministration

Universiteacute de Sherbrooke et Titulaire de la Chaire de recherche

en fiscaliteacute et en finances publiques de lrsquoUniversiteacute de Sherbrooke

et Sylvie Beaulieu

Notaire M Fisclowast Revenu Queacutebec

lowast Me Beaulieu eacutetait professionnelle de recherche agrave la CFFP lors de la reacutealisation de

cette eacutetude Les opinions exprimeacutees nrsquoengagent que les auteurs ces derniers assumant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des commentaires et des interpreacutetations figurant dans cette eacutetude et ne repreacutesentent en aucune faccedilon celles de Revenu Queacutebec

430 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

PREacuteCIS

Les principes de la fiscaliteacute internationale ont eacuteteacute eacutetablis en fonction drsquoun monde eacuteconomique dont la nature a aujourdrsquohui consideacuterablement changeacute du fait notamment de la croissance de la mondialisation ainsi que du deacuteveloppement des systegravemes de communication sophistiqueacutes et de la technologie de lrsquoinformation Il en reacutesulte que lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux fins de fixer les prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees drsquoune entreprise multinationale hautement inteacutegreacutee constitue maintenant un deacutefi tant pour les administrations fiscales des pays deacuteveloppeacutes et des pays en deacuteveloppement que pour les entreprises multinationales Cette eacutetude rend compte de lrsquoeacutetat de la question sur lrsquoanachronisme preacutetendu du principe de pleine concurrence comme norme internationale de reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoune entreprise multinationale En particulier elle retrace lrsquoeacutevolution historique de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et traite de la technicisation du concept dans les guides interpreacutetatifs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE En outre elle met en lumiegravere les aspects theacuteorique juridique et politique du deacutebat controverseacute relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence et son remplacement eacuteventuel par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Pour terminer lrsquoeacutetude discute des efforts consentis par lrsquoOCDE pour adapter les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence au contexte du commerce international moderne Les auteurs concluent que faute drsquoune meilleure solution de rechange la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence est requise mais ne pourra avoir lieu que si elle est guideacutee par un esprit de pragmatisme similaire agrave celui qui animait dans les anneacutees 1930 1940 et 1950 les administrations fiscales nationales

ABSTRACT

World economic events were quite different when the armrsquos length principle was established in international taxation Since those times international trade especially within related groups of companies has grown at an unprecedented rate It was fueled by instantaneous communication and forever evolving information technologies As a consequence the application of the armrsquos length principle in order to set internal pricing between highly integrated companies at home and abroad often referred to as a multinational enterprise (MNE) has provided a serious challenge This is true for tax administrations worldwide both in developed and emerging countries while planning and compliance has for its part created substantial burdens for MNEs This article addresses the issue as to whether the

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 431

opponents of the armrsquos length principle are on firm grounds when they assert that the principle is supposedly ill-suited to the current times In particular the article reviews in detail the historical trends which were present in the evolution of the principle through the theoretical models of the OECD and United Nations bilateral tax treaties It also illustrates how the principle came to be moored in ever increasing technicalities throughout the interpretive guidelines developed by the OECD It also brings forward the theoretical judicial and political aspects of the controversy generated by those who argued that the armrsquos length principle should be thrown out and rapidly replaced by some version of a global distribution of profits using a predetermined mathematical formula Furthermore the article shows the energy deployed by the OECD to adapt the armrsquos length principle to current standards of international trade The authors conclude that failing any better solution what is required is for the OECD to continue refining how the armrsquos length principle should be applied This option is however unlikely to succeed unless it is inspired by the pragmatic spirit present throughout national tax administrations in the 1930s 1940s and the 1950s

432 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 435

Premiegravere partie ndash Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor dune norme internationale

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 439

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL 441

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935 448

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 453

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE (1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES EacuteTATS-UNIS 454

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU (1980) 458

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES 462

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS 463 311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE 463 312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE 466 313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE 469

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT 472 321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes

directrices de lrsquoOCDE 473 322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de

lrsquoONU 474

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 433

Deuxiegraveme partie ndash Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour dune norme internationale

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES 479

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES CRITIQUES ET DES CONJECTURES 481 411 Les failles du concept de pleine concurrence selon

les acteurs de la controverse 482 412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse 486

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES INCERTITUDES 490 421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence

comme norme de reacutefeacuterence 490

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE 494

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS 495 511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial

et leacutegislatif 495 512 La persistance du rejet international de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices 498 52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE 502 521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les

eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial 502

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes 504

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU 508

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION 508

434 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international 509

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication 511

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES 516 621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international 517 622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale 522

CONCLUSION 524

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 435

INTRODUCTION

Domaine eacuteminemment mysteacuterieux pour le grand public la deacutetermination des prix de transfert nrsquoa longtemps souleveacute lrsquointeacuterecirct que drsquoun cercle restreint de professionnels de la fiscaliteacute internationale speacutecialiseacutes en la matiegravere Malgreacute sa consideacuterable complexiteacute il nrsquoen constitue pas moins un sujet de grande actualiteacute Les noms de Google Apple Dole Starbucks Glaxo et Pfizer font agrave preacutesent la manchette des pages eacuteconomiques de la presse eacutecrite internationale y compris celles des revues de prestige Depuis quelques anneacutees deacutejagrave les meacutedias de presse reacuteveillent les esprits en deacutevoilant au grand jour quelques strateacutegies drsquooptimisation fiscale deacuteployeacutees par les entreprises multinationales pour minimiser leur fardeau fiscal mondial

La description de ces strateacutegies ingeacutenieuses en geacuteneacuteral parfaitement leacutegales attire et retient lrsquoattention drsquoun lectorat souvent indigneacute Les journalistes deacutetaillent la mise en place de structures et de formes organisationnelles complexes conccedilues pour reacutepartir et coordonner les activiteacutes internationales notamment des filiales reacutesidant dans des pays qui servent de refuges fiscaux De plus ces strateacutegies comportent la conclusion drsquoententes contractuelles concernant les risques assumeacutes et les fonctions exerceacutees par les socieacuteteacutes membres des entreprises multinationales drsquoougrave les risques de manipulations des prix de transfert

Mais que sont au juste les prix de transfert Bien qursquoils soient souvent deacutefinis par les meacutedias comme une technique de planification fiscale ils deacutesignent plutocirct en fait les prix convenus agrave lrsquooccasion des cessions internes de biens et de services entre des socieacuteteacutes qui sont assujetties agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices par des pays diffeacuterents et qui sont membres drsquoune mecircme entreprise multinationale Les administrations fiscales eacutevaluent les prix de transfert des entreprises multinationales agrave lrsquoaune de prix hypotheacutetiques soit ceux qui auraient eacuteteacute convenus par des socieacuteteacutes transigeant agrave distance dans des transactions similaires Le concept theacuteorique internationalement accepteacute qui reacutegit les rajustements des prix de transfert des transactions transfrontaliegraveres effectueacutees entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale est appeleacute laquo principe de pleine concurrence raquo

Quelques auteurs expriment lrsquoopinion que le principe de pleine concurrence lrsquoun des concepts cleacutes du systegraveme actuel de la fiscaliteacute internationale des entreprises consiste en un concept totalement deacutepasseacute

436 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

voire anachronique1 Dans la litteacuterature fiscale un certain courant de penseacutee remet en question lrsquoutilisation du principe de pleine concurrence agrave lrsquoeacutechelon international et parallegravelement envisage mecircme son remplacement par un concept jugeacute plus moderne soit la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Nous proposons drsquoexplorer ici lrsquohypothegravese de travail sous-tendant ce courant de penseacutee et drsquoen examiner les aspects theacuteorique juridique et politique Vu lrsquoenvergure du sujet lrsquoeacutetude se limite agrave deacuteterminer dans le contexte preacutecis de la reacutepartition des beacuteneacutefices reacutesultant des transactions intersocieacuteteacutes au sein des entreprises multinationales agrave lrsquoexclusion des eacutetablissements stables si le principe de pleine concurrence est toujours un principe adeacutequat au XXIe siegravecle pour fixer les prix de transfert

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude nous preacutesentons un panorama de la genegravese de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit fiscal international public et mettons en eacutevidence lrsquoinfluence importante exerceacutee par les Eacutetats-Unis sur cet essor Nous analysons agrave cette fin les phases du deacuteveloppement du texte de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale Puis nous eacutetudions les instruments et les outils fiscaux eacutelaboreacutes agrave compter des anneacutees 1960 par les organisations internationales dans le but de preacuteciser srsquoils tiennent ou non pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative

Dans la deuxiegraveme partie nous passons en revue les arguments de la controverse ameacutericaine autour du principe de pleine concurrence2 En plus drsquoexposer les failles conceptuelles du principe de pleine concurrence nous 1 Dans lrsquoarticle intituleacute laquo The Unitary Method and the Myth of Armrsquos Length raquo (1986)

30 Tax Notes 625 (LexisNexis) Stanley I LANGBEIN affirme agrave la page 596 que laquo there is general agreement that armrsquos-length is an anachronism either because of a change in the nature of international business or because it served political purposes that are guarded against political dangers that are no longer potent forces in the world economy raquo Voir aussi Kerrie SADIQ laquo The Traditional Rationale of the Armrsquos Length Approach to Transfer Pricing minus Should the Separate Accounting Model Be Maintained for Modern Multinational Entities raquo (2004) vol 7 no 2 Journal of Australian Taxation 196 (en ligne httpwwwbusecomonasheduaubltjat2004-issue2-sadiqpdf) p 232 Joann M WEINER laquo Itrsquos Time to Adopt Formulary Apportionment raquo (2009) Worldwide Tax Daily 173-17 (Tax Analysts)

2 La preacutesente eacutetude ne traitant le principe de pleine concurrence que du point de vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays dans le monde ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 437

scrutons les reacutepercussions de cette controverse sur le consensus international en faveur du principe de pleine concurrence comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale En particulier nous nous questionnons sur la possibiliteacute pour un pays signataire de conventions fiscales calqueacutees sur les modegraveles theacuteoriques drsquoadopter unilateacuteralement dans une leacutegislation fiscale nationale une norme autre que le principe de pleine concurrence Nous discutons eacutegalement de la vraisemblance ou non de lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus international sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie eu eacutegard au contexte eacuteconomique mondial actuel Enfin nous eacutenumeacuterons quelques esquisses de solutions afin de moderniser les regravegles sur les prix de transfert

Premiegravere partie minus Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor drsquoune norme internationale

Lrsquohistoire des prix de transfert transfrontaliers deacutebute agrave peu de choses pregraves voilagrave presque un siegravecle avec la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations (laquo SDN raquo)3 et de la Chambre de commerce internationale (International Chamber of Commerce)4 Un groupe influent de chefs drsquoentreprises membres de lrsquoInternational Chamber of Commerce pousse alors la nouvelle organisation internationale qui regroupe au deacutebut 42 pays membres5 principalement des pays deacuteveloppeacutes agrave se pencher sur un problegraveme commenccedilant agrave poindre au lendemain de la Premiegravere Guerre mondiale la double imposition potentielle des entreprises multinationales engendreacutee par lrsquoasymeacutetrie des systegravemes drsquoimposition nationaux6 Le problegraveme de

3 Le pacte constitutif de la SDN est incorporeacute dans la partie I du Traiteacute de Versailles

28 juin 1919 Paris Berger-Levrault 1922 pp 1-22 lequel a eacuteteacute conclu entre les pays allieacutes et lrsquoAllemagne pour mettre fin agrave la Premiegravere Guerre mondiale Ce traiteacute et ce pacte ont pris effet le 10 janvier 1920 Agrave ce propos consulter en ligne httpwwwunogch80256EDD006B8954(httpAssets)B8138644CCCD10BEC1256F3400484CA3$filesdn_chronologiepdf

4 Fondeacutee agrave Paris en 1919 lrsquoInternational Chamber of Commerce consiste en une organisation mondiale des entreprises Pour un bref historique de cette organisation voir en ligne httpiccwboorgabout-icchistorythe-merchants-of-peace

5 Voir en ligne httpcyberschoolbusunorgunintrounintro3htm et Traiteacute de Versailles preacuteciteacute note 3 p 22 Bien que lrsquoideacutee de creacuteer la SDN ait eacuteteacute lanceacutee par le preacutesident ameacutericain Woodrow Wilson les Eacutetats-Unis nrsquoy ont jamais adheacutereacute puisque le Seacutenat ameacutericain nrsquoa pas ratifieacute le Traiteacute de Versailles Sur ce point consulter en ligne httpwwwsenategovreferencereference_itemVersailleshtm

6 Les textes des reacutesolutions preacutesenteacutees par lrsquoInternational Chamber of Commerce lors de la Confeacuterence financiegravere internationale organiseacutee par la SDN agrave Bruxelles en 1920 en

(agrave suivrehellip)

438 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale devient vite une preacuteoccupation importante de la SDN car les entreprises multinationales ameacutericaines et europeacuteennes tendent de plus en plus agrave utiliser durant la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres des filiales eacutetrangegraveres pour acceacuteder aux marcheacutes exteacuterieurs7 Bien que certains Eacutetats recourent deacutejagrave agrave des conventions fiscales internationales pour reacutepartir les revenus des entreprises dont les activiteacutes sont exerceacutees dans plus drsquoun pays lrsquousage de telles conventions demeure encore peu reacutepandu dans le monde8

Degraves 1921 le Comiteacute financier formeacute par la SDN confie agrave quatre eacuteconomistes le mandat de reacutealiser une eacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition Appeleacutes agrave deacuteterminer si notamment des principes geacuteneacuteraux peuvent ecirctre formuleacutes comme fondement drsquoune convention fiscale internationale pour eacuteliminer les conseacutequences neacutefastes de la double imposition les professeurs universitaires Bruins Einaudi Seligman et Stamp se gardent dans le rapport publieacute en 19239 de recommander un critegravere en particulier pour diviser les beacuteneacutefices geacuteneacutereacutes par les activiteacutes exerceacutees dans plusieurs Eacutetats Prudents ils suggegraverent plutocirct drsquoexaminer au preacutealable lrsquoexpeacuterience pratique des pays qui appliquent deacutejagrave

(hellipsuite)

font foi LEAGUE OF NATIONS Brussels Financial Conference 1920 The Recommendations and their Application A Review After Two Years C10M71923II Genegraveve 1922 annexe 1 p 228

7 John H DUNNING et Sarianna M LUNDAN Multinational Enterprises and the Global Economy 2e eacuted Northampton Edward Elgar 2008 pp 735-737

8 Notamment lrsquoAutriche la Tcheacutecoslovaquie la Hongrie lrsquoItalie la Pologne le Royaume des Serbes Croates et Slovegravenes ainsi que la Roumanie agrave savoir les pays neacutes agrave la suite de la dislocation apregraves la Premiegravere Guerre mondiale de lrsquoEmpire austro-hongrois et les pays signataires en 1921 de la convention fiscale multilateacuterale de Rome Agrave ce sujet voir Double Taxation and Tax Evasion Report and Resolutions Submitted by the Technical Experts to the Financial Committee of the League of Nations F212 Genegraveve 1925 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 4 1962 pp 4071-4072 (HeinOnline) La premiegravere convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition a drsquoailleurs eacuteteacute conclue entre lrsquoEmpire austro-hongrois et la Prusse degraves 1899 Sur ce point consulter Sunita JOGARAJAN laquo Prelude to the International Tax Treaty Network 1815-1914 Early Tax Treaties and the Conditions for Action raquo (2011) vol 31 no 1 Oxford Journal of Legal Studies 679 pp 690 et suiv (HeinOnline Law Journal Library)

9 LEAGUE OF NATIONS Economic and Financial Commission Report on Double Taxation submitted to the Financial Committee by Professors Bruins Einaudi Seligman and Sir Josiah Stamp Genegraveve Imp Atar 1923

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 439

des critegraveres de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices avant de fixer ceux-ci dans un modegravele de convention fiscale internationale10

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

Les tout premiers modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales eacutelaboreacutes par la SDN ne renferment aucune meacutethode speacutecifique de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices pour les eacutetablissements stables ni pour les socieacuteteacutes lieacutees11 Contrairement au projet de convention fiscale bilateacuterale preacutesenteacute en 192712 les modegraveles approuveacutes en 192813 nrsquoassimilent plus les socieacuteteacutes lieacutees agrave des eacutetablissements stables mais ils sont muets quant agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices de celles-ci Ainsi lrsquoarticle 514 qui ne srsquoapplique qursquoaux beacuteneacutefices

10 Id pp 52-53 La courte liste des critegraveres de reacutepartition recenseacutes dans lrsquoaddenda au

rapport soit la valeur des ventes le capital total investi dans chaque pays lrsquoinventaire total dans chaque pays la valeur totale des biens immobiliers et les salaires et deacutepenses drsquoun eacutetablissement deacutenote agrave premiegravere vue la tendance naturelle des pays agrave attribuer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide drsquoune formule matheacutematique comportant au moins un facteur

11 Il srsquoagit bien entendu drsquoune omission intentionnelle Voir LEAGUE OF NATIONS Report to the Council on the Fourth Session of the Committee C399M2041933IIA Genegraveve 1933 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 p 4242 (HeinOnline)

12 Les alineacuteas 1 3 et 4 de lrsquoarticle 5 reacutedigeacute par le Comiteacute drsquoexperts techniques sur la double imposition introduisent respectivement le concept drsquoeacutetablissement stable lrsquoideacutee de la reacutepartition des revenus selon la source et la tenue implicite drsquoune comptabiliteacute distincte agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables tandis que lrsquoalineacutea 2 preacutevoit notamment que les laquo affiliated companies [hellip] shall be regard as permanent establishments raquo Voir LEAGUE OF NATIONS Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the Committee of Technical Experts on Double Taxation and Tax Evasion C216M851927II Genegraveve 1927 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4124-4125 (HeinOnline)

13 Vu lrsquoabsence drsquouniformiteacute des diffeacuterents systegravemes fiscaux les modegraveles incluent trois variantes soit les textes Ia Ib et Ic selon que les pays preacutelegravevent ou non des impocircts reacuteels (impersonal taxes) et des impocircts personnels (personal taxes) Voir LEAGUE OF NATIONS General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion C562M1781928II Genegraveve 1928 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4161-4175 (HeinOnline)

14 Texte Ia id p 4162

(agrave suivrehellip)

440 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gagneacutes par les eacutetablissements stables se limite agrave eacutenoncer que lorsque les succursales nrsquoont pas de comptes comptables distincts de ceux de la socieacuteteacute megravere les Eacutetats contractants dans lesquels une entreprise possegravede un eacutetablissement stable doivent convenir entre eux des regravegles de la reacutepartition des beacuteneacutefices Or comme ces regravegles peuvent suivant les commentaires reacutedigeacutes par la SDN relativement agrave lrsquoarticle 5 du modegravele Ia ecirctre baseacutees entre autres sur le capital investi et les salaires verseacutes15 elles leacutegitiment ouvertement du moins agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables la reacutepartition par les administrations fiscales des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique simple

Quoi qursquoil en soit crsquoest en 1930 que la proposition drsquoune enquecircte sur le terrain formuleacutee sept ans auparavant par les universitaires auteurs de lrsquoeacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition devient reacutealiteacute16 Du coup lrsquoeacutelan initial agrave lrsquoeacutemergence du concept de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales au XXe siegravecle est donneacute Incorporeacutees pendant les anneacutees 1930 et 1940 dans les modegraveles eacutelaboreacutes par la SDN les dispositions speacutecifiques concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees seront reprises par lrsquoOrganisation

(hellipsuite)

laquo Article 5

Income not referred to in Article 7 from any industrial commercial or agricultural undertaking and from any other trades or professions shall be taxable in the State in which the permanent establishments are situated

The real centres of management branches mining and oilfields factories workshops agencies warehouses offices depots shall be regarded as permanent establishments [hellip]

Should the undertaking possess permanent establishments in both Contracting States each of the two States shall tax the portion of the income produced in its territory The competent administrations of the two Contracting States shall come to an arrangement as to the basis for apportionment raquo (Notre soulignement)

Les dispositions de lrsquoarticle 5 du texte Ia reprennent en substance sauf pour ce qui concerne le rapprochement des socieacuteteacutes lieacutees avec les succursales le texte de lrsquoarticle 5 tel qursquoil se lisait dans le projet de convention de 1927 de la SDN C216M851927II preacuteciteacute note 12

15 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 p 4166 16 LEAGUE OF NATIONS Fiscal Committee Report to the Council of the Work of the

Second Session of the Committee C340M1401930II Genegraveve 1930 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4209-4210 (HeinOnline)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 441

de coopeacuteration et de deacuteveloppement eacuteconomiques (laquo OCDE raquo) et lrsquoOrganisation des Nations unies (laquo ONU raquo) apregraves la Seconde Guerre mondiale pour tenter de reacutesoudre le problegraveme de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale

Cette vaste enquecircte dont les travaux srsquoeacutetendent de 1930 agrave 1933 consiste en la toute premiegravere eacutetude de droit compareacute sur la question de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale en droit international public Reacutealiseacutee sous les auspices de la SDN elle est dirigeacutee par un avocat ameacutericain speacutecialiseacute en droit fiscal international Mitchell B Carroll alors chef de la section de la leacutegislation et des impocircts europeacuteens au deacutepartement du Commerce des Eacutetats-Unis17 Les conclusions tireacutees par Carroll servent de point de deacutepart agrave lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence tel que nous le connaissons aujourdrsquohui dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU18 En fait tous les modegraveles theacuteoriques eacutelaboreacutes par la SDN avant la Seconde Guerre mondiale integravegrent sans exception le concept de pleine concurrence

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION

DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL

Financeacutee par la fondation ameacutericaine Rockefeller19 cette eacutetude a pour but drsquoinvestiguer aupregraves des administrations fiscales de 35 pays les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des entreprises y compris les socieacuteteacutes megraveres les succursales et les filiales exerccedilant des activiteacutes dans au moins deux pays20 Au deacutebut de lrsquoanneacutee 1931 Carroll entreprend une expeacutedition fiscale autour du monde Il se rend dans pas moins de 27 pays pour srsquoinstruire des leacutegislations fiscales nationales et rencontrer certains cadres supeacuterieurs des bureaux drsquoimpocirct Agrave vrai dire la reacutepartition comptable des

17 Membre en tant que repreacutesentant des Eacutetats-Unis du Comiteacute drsquoexperts fiscaux sur la

double imposition mandateacute par la SDN pour reacutediger le projet de convention bilateacuterale de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 il est preacutesident du Comiteacute fiscal de la SDN de 1938 agrave 1946 et premier preacutesident de lrsquoAssociation fiscale internationale de 1939 agrave 1978

18 Mitchell B CARROLL Methods of Allocating Taxable Income dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol IV Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpsetislibraryusydeduaupubotbintoccer-newid=cartaxasgmlamptag= lawampimages=acdpgifsampdata=usrotamppart=0) (laquo Rapport Carroll raquo)

19 La SDN a reccedilu deux dons en argent pour un total de 140 000 $ 90 000 $ en 1930 et 50 000 $ en 1933 Voir LEAGUE OF NATIONS C340M1401930II preacuteciteacute note 16 et C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4241

20 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 p 9

442 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutefices ne constitue pas agrave ce moment-lagrave un problegraveme urgent pour tous les types drsquoentreprises et tous les pays Ce sont les Eacutetats-Unis le Royaume-Uni lrsquoAllemagne et le Japon qui rencontrent des difficulteacutes lieacutees surtout aux activiteacutes commerciales des entreprises industrielles en particulier les revenus tireacutes de la production dans un pays et de la vente dans un autre pays de matiegraveres premiegraveres telles le caoutchouc les meacutetaux et le peacutetrole21

Les conclusions de cette eacutetude publieacutees en 1933 posent les premiers jalons historiques du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public22 Apregraves avoir examineacute les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales relatives aux meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Carroll propose deux principes fondamentaux comme piliers drsquoun systegraveme eacutequitable de reacutepartition des beacuteneacutefices de tous les types drsquoentreprises multinationales le principe de lrsquoentreprise indeacutependante et le principe de la comptabilisation seacutepareacutee23 Notion cleacute du rapport le premier principe qui eacutenonce que les filiales et dans la mesure du possible les succursales doivent ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises

21 Id par 1 Dans une moindre mesure les revenus des entreprises commerciales tireacutes

de la production et de la vente dans des pays diffeacuterents de produits manufactureacutes font aussi problegraveme Au contraire les entreprises œuvrant dans le secteur des services (assurance transport eacutenergie eacutelectriciteacute gaz teacuteleacutegraphe teacuteleacutephone radio et cacircble) et des mines ne geacutenegraverent guegravere de difficulteacutes car tel qursquoil est exprimeacute aux paragraphes 489 et suivants elles nrsquoimpliquent en geacuteneacuteral que peu ou pas de transactions internationales

22 Lrsquoeacutetude comprend un total de cinq volumes distincts Les volumes I II et III contiennent les rapports des administrations fiscales de 23 pays et de trois Eacutetats ameacutericains deacutecrivant les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales concernant lrsquoimposition des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres et nationales Constituant le rapport principal le volume IV preacuteciteacute note 18 reacutedigeacute par Carroll est diviseacute en 12 chapitres les chapitres 1 agrave 11 preacutesentent une compilation succincte de la leacutegislation et des pratiques relatives agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices et le chapitre 12 les recommandations et conclusions La question de la reacutepartition y est abordeacutee selon deux points de vue les entreprises eacutetrangegraveres qui possegravedent des filiales ou des succursales nationales et les entreprises nationales qui possegravedent des filiales ou des succursales agrave lrsquoeacutetranger Bien que les mecircmes principes et meacutethodes srsquoappliquent aux entreprises eacutetrangegraveres et aux entreprises nationales la quasi-totaliteacute du rapport est neacuteanmoins consacreacutee aux entreprises eacutetrangegraveres vu qursquoelles ont susciteacute un plus grand nombre de difficulteacutes de reacutepartition que les entreprises nationales Quant au volume V preacutepareacute par le professeur Ralph C JONES Allocation Accounting for the Taxable Income of Industrial Enterprises dans Taxation of Foreign and National Enterprises Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 il analyse les meacutethodes de reacutepartition comptable pouvant ecirctre appliqueacutees

23 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 629 et 674

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 443

indeacutependantes24 supplante le concept de reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee lequel consiste agrave partager selon une formule matheacutematique le revenu net total provenant de toutes les activiteacutes commerciales drsquoune entreprise deacutejagrave utiliseacutee en Espagne et en Suisse25 Quant au second principe il exprime de maniegravere expresse la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation implicite deacutejagrave formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 de lrsquoun des modegraveles de convention fiscale bilateacuterale de 192826 de comptabiliser seacutepareacutement les activiteacutes des eacutetablissements stables de celles des autres entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale27

24 Lrsquoeacutetude reacutevegravele que plusieurs entreprises multinationales assimilent agrave des fins fiscales

les filiales agrave des succursales et incluent les beacuteneacutefices des filiales agrave leurs beacuteneacutefices annuels totaux Ce comportement des entreprises est conforme agrave lrsquoesprit et agrave la lettre de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 lequel consideacuterait les filiales et les succursales comme des eacutetablissements stables Par ailleurs les administrations fiscales de la plupart des pays tiennent compte de lrsquoexistence juridique distincte des filiales domestiques qui transigent dans des conditions normales de concurrence avec une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere elles appliquent la meacutethode de la comptabilisation distincte examinent les beacuteneacutefices lieacutes aux transactions intersocieacuteteacutes pour veacuterifier lrsquoexactitude des comptes comptables des filiales et si les comptes sont inadeacutequats estiment les beacuteneacutefices au moyen de lrsquoune des meacutethodes empiriques employeacutees pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 384 Cependant certaines administrations fiscales srsquoappuient sur lrsquoune ou lrsquoautre des theacuteories suivantes pour rajuster la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere et ses filiales domestiques qui ne transigent pas dans des conditions normales de concurrence les filiales sont soit des entreprises indeacutependantes du point de vue juridique des mandataires de la socieacuteteacute megravere (cotisation de la socieacuteteacute megravere sur les beacuteneacutefices reacuteputeacutes gagneacutes par les filiales) ou elles ne constituent qursquoune seule entiteacute eacuteconomique avec la socieacuteteacute megravere Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 386 agrave 398

25 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 122 et 173 Il srsquoagit drsquoune meacutethode empirique qui comporte une formule matheacutematique en vertu de laquelle le revenu net total consolideacute drsquoune entreprise est diviseacute entre toutes les entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale soit la socieacuteteacute megravere les filiales et les succursales en proportion de facteurs comme les actifs le chiffre drsquoaffaires le registre des salaires ou un pourcentage preacutedeacutetermineacute Toutefois la reacutepartition fractionneacutee est dite limiteacutee lorsque le revenu net total de lrsquoentreprise objet de la reacutepartition provient seulement de certaines activiteacutes commerciales

26 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 27 La grande majoriteacute des entreprises ne traitait pas les eacutetablissements locaux

(succursales et filiales) comme des entreprises virtuellement indeacutependantes ou des uniteacutes autonomes et les veacuterificateurs fiscaux devaient rajuster les comptes comptables en se fondant sur les renseignements disponibles ou des meacutethodes empiriques y compris la reacutepartition fractionneacutee Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6

444 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Toutefois agrave la lecture du rapport la conclusion de Carroll voulant que la meacutethode de la comptabilisation distincte preacutevale sur les autres meacutethodes en usage pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et les eacutetablissements stables eacutetonne de prime abord28 Les reacutesultats de lrsquoeacutetude reacutevegravelent certes que les administrations fiscales appliquent en geacuteneacuteral des meacutethodes de reacutepartition issues de la pratique administrative car les systegravemes fiscaux nationaux de la plupart des 35 pays examineacutes ne comportent pas de mesures leacutegislatives concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes dans plus drsquoun pays eacutetablissements stables et filiales confondus29 Sans mecircme connaicirctre le degreacute drsquoefficaciteacute reacuteel de cette meacutethode ni le pourcentage des administrations fiscales ayant recours aux meacutethodes empiriques comme meacutethodes secondaires Carroll srsquoen tient agrave infeacuterer que la meacutethode de la comptabilisation distincte est adopteacutee par le plus grand nombre de pays comme meacutethode principale30 Il paraicirct drsquoailleurs accorder

28 Id par 120-122 Carroll classifie les diffeacuterentes meacutethodes de reacutepartition en usage

dans les trois cateacutegories suivantes la meacutethode de la comptabilisation distincte les meacutethodes empiriques et la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee La meacutethode de la comptabilisation distincte deacutesigne simplement lrsquoutilisation par les administrations fiscales des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables comme point de deacutepart des veacuterifications En outre les meacutethodes empiriques permettent aux administrations fiscales drsquoestimer le revenu drsquoune entreprise lorsque les comptes comptables sont inexistants ou qursquoils ne reflegravetent pas correctement les revenus attribuables aux cessions internes Les administrations fiscales procegravedent dans ces cas par comparaison directe du revenu drsquoune entreprise donneacutee avec celui drsquoune entreprise analogue ou encore par comparaison indirecte agrave lrsquoaide drsquoindicateurs par exemple les chiffres des ventes les actifs ou autres Fait agrave noter Carroll choisit drsquoinclure la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee dans une cateacutegorie distincte car deux pays lrsquoEspagne et la Suisse lrsquoutilisent comme meacutethode principale

29 Seuls les systegravemes fiscaux de lrsquoEspagne de lrsquoAutriche et des Eacutetats ameacutericains du Wisconsin de New York et du Massachusetts renferment des dispositions leacutegislatives mettant en œuvre la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25

30 Comme lrsquoindique R C JONES preacuteciteacute note 22 p 17 la meacutethode de la comptabilisation distincte nrsquoest pas une meacutethode de reacutepartition agrave proprement parler

laquo The term separate accounting does not refer to a single well-defined method but rather to a whole group of methods with a common aim Indeed separate accounting is only a point of view or an avenue of approach to the general problem of allocating business profits on a geographical basis The accounting methods by which the alllocation of profit may be accomplished must be as diverse as the conditions within the different industries are varied Separate accounting rests on the assumption that the different branches of an enterprise are separate business units which may be treated for accounting purposes practically as independent concerns raquo

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 445

une plus grande importance au fait que cette meacutethode est suivie dans les pays reacuteputeacutes pour leur grande expeacuterience de lrsquoimpocirct sur le revenu et leur niveau eacuteleveacute des normes professionnelles comptables soit le Royaume-Uni le Commonwealth britannique des nations et les Eacutetats-Unis et que lrsquoInternational Chamber of Commerce la National Tax Association des Eacutetats-Unis ainsi que lrsquoAmerican Institute of Accountants en ont fait leur meacutethode de preacutedilection31

Aussi le sort de la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la division entre les entiteacutes formant une entreprise internationale au moyen drsquoune formule matheacutematique du revenu total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise est-il scelleacute prestement en quelques paragraphes32 Carroll nrsquoanalyse pas les avantages et les qualiteacutes intrinsegraveques de la meacutethode proposeacutee il se contente de souligner les inconveacutenients associeacutes agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique33 Crsquoest ainsi que non seulement les administrations fiscales de la plupart des pays examineacutes refusent de renoncer agrave exercer leur pouvoir drsquoimposition sur les beacuteneacutefices gagneacutes par les entreprises multinationales sur leur territoire respectif pour en permettre la reacutepartition conformeacutement agrave des facteurs arbitraires mais encore elles reconnaissent la difficulteacute en pratique de veacuterifier les comptes comptables drsquoun eacutetablissement stable preacutepareacutes dans une langue et une monnaie eacutetrangegraveres et selon des regravegles comptables diffeacuterentes Sans compter que la conclusion drsquoun accord entre les pays sur les beacuteneacutefices nets totaux et sur les critegraveres de reacutepartition repreacutesente eacutegalement un obstacle insurmontable34

(hellipsuite) Voir eacutegalement S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 qui agrave la page 635 exprime

lrsquoopinion que cette meacutethode ne comporte aucune regravegle de fond sur la faccedilon drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices notamment la recherche de donneacutees comparables ou la prise en consideacuteration de transactions fictives convenues entre des entreprises hypotheacutetiquement indeacutependantes

31 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 128 129 et 671 Voir aussi R C JONES preacuteciteacute note 22 p 15

32 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 33 Lindsay C CEacuteLESTIN The Formulary Approach to the Taxation of Transnational

Corporations A Realistic Alernative essai Universiteacute de Sydney 2000 (en ligne httpseslibraryusydeduaubitstream21238462adtU2002091713313802wholepdf) pp 33-34

34 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 288 et 670

446 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Par ailleurs le Rapport Carroll laisse lrsquoimpression que le principe de lrsquoentreprise indeacutependante ndash devenu aujourdrsquohui le principe de pleine concurrence ndash srsquoest imposeacute avant tout sur le plan du droit international afin de reacutesoudre les difficulteacutes lieacutees agrave la reacutepartition des eacutetablissements stables35 Carroll recommande aux administrations fiscales une meacutethode principale et des meacutethodes secondaires applicables agrave tous les types drsquoentreprises mais destineacutees uniquement agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses eacutetablissements stables La meacutethode principale se reacutesume agrave appliquer conjointement les deux principes fondamentaux crsquoest-agrave-dire traiter les eacutetablissements stables comme des entreprises non lieacutees entre elles ni agrave la socieacuteteacute megravere et imposer les beacuteneacutefices sur la base des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables Les meacutethodes empiriques y compris la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee des beacuteneacutefices se trouvent en conseacutequence cantonneacutees au titre de meacutethodes secondaires pour les eacutetablissements stables dans les cas ougrave la meacutethode dite principale est inapplicable

La reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoentreprise entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales agrave lrsquoeacutetranger occupe ainsi une place preacutepondeacuterante dans lrsquoeacutetude celle entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales eacutetrangegraveres eacutetant releacutegueacutee au second plan Drsquoautant plus que Carroll ne preacuteconise formellement aucune meacutethode pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales36 La

35 Id par 4 Agrave ce sujet voir Hubert HAMAEKERS laquo Armrsquos Length minus How Long raquo

(2001) MarsAvril International Transfer Pricing Journal 30 p 34 Sol PICCIOTTO laquo International Taxation and Intrafirm Pricing in Transnational Corporate Groups raquo (1992) vol 17 no 8 Accounting Organizations and Society 759-792 pp 766-767 et Richard VANN laquo Reflections on Business Profits and the Armrsquos-Length Principle raquo Legal Studies Research Paper No 10127 University of Sydney novembre 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfm abstract_id=1710945) pp 135-139

36 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 Pour Carroll les problegravemes de prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees contrairement aux eacutetablissements stables ne surgissent que dans le contexte de la manipulation deacutelibeacutereacutee des prix pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune socieacuteteacute lieacutee agrave une autre le but de la reacutepartition par les administrations fiscales eacutetant de deacuteterminer les beacuteneacutefices que la socieacuteteacute lieacutee aurait gagneacutes si elle avait traiteacute avec une entreprise indeacutependante En regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales tentent de recouvrer les beacuteneacutefices deacuteplaceacutes en analysant les transactions intersocieacuteteacutes agrave lrsquoaide des principes juridiques et commerciaux ou des comparaisons avec drsquoautres socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes similaires voir id par 627 Carroll nrsquointerdit pas explicitement lrsquoutilisation des meacutethodes empiriques bien que son point de vue ne semble pas admettre la possibiliteacute drsquoestimer les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees agrave lrsquoaide de meacutethodes secondaires Eacutenumeacutereacutees au paragraphe 385 les meacutethodes alors en usage pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune filiale nationale agrave la socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere sont les suivantes surfacturation des achats de la filiale sous-facturation des ventes de la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 447

litteacuterature fiscale ne permet pas de preacuteciser les raisons exactes qui expliquent cet eacutetat des choses Il est loisible de speacuteculer que dans les anneacutees 1930 la SDN montre en apparence moins drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard des filiales parce que la reacutepartition relative aux succursales des entreprises eacutetrangegraveres soulegraveve des difficulteacutes plus nombreuses que celle relative aux filiales37

Chose digne de remarque la meacutethode principale recommandeacutee par Carroll srsquoapparente agrave la pratique administrative deacuteveloppeacutee par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine pour reacutepartir les beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes sous controcircle commun Cette pratique qui facilite alors lrsquoapplication de lrsquoarticle 45 du United States Revenue Act of 192838 admet dans le cas ougrave (hellipsuite)

filiale agrave la socieacuteteacute megravere location intersocieacuteteacutes agrave un coucirct minime ou exorbitant et frais disproportionneacutes reacuteclameacutes pour des redevances ou drsquoautres services Mecircme srsquoil est parmi les premiers agrave affirmer que la manipulation des prix de cession interne permet aux entreprises multinationales de deacuteplacer leurs beacuteneacutefices dans les pays agrave faible taux drsquoimposition Carroll nrsquoaborde pas la question des refuges fiscaux lesquels commencent pourtant agrave se deacutevelopper dans les anneacutees 1930 Voir Ronen PALAN laquo The History of Tax Havens raquo octobre 2009 (en ligne httpwwwhistoryandpolicyorgpaperspolicy-paper-92html) et Christophe FARQUET laquo Lutte contre lrsquoeacutevasion fiscale lrsquoeacutechec de la SDN durant lrsquoentre-deux-guerres raquo (2009) vol 44 no 4 LrsquoEacuteconomie politique 93-112 (en ligne httpwwwcairninforevue-l-economie-politique-2009-4-page-93htm)

37 Le nombre eacuteleveacute de succursales et lrsquoabsence de comptabiliteacute distincte tenue agrave lrsquoeacutegard de celles-ci par les socieacuteteacutes megraveres sont vraisemblablement agrave lrsquoorigine de la multiplication des difficulteacutes

38 Pub L No 70-562 sect 45 XLV Stat 806 (en ligne httpconstitutionorguslawsal 045_itaxpdf) Eacutedicteacute en mai 1928 lrsquoarticle 45 qui preacuteceacutedait les articles 77 et 78 des Regulations No 41 Relative to War Excess Profits Tax Imposed by the War Revenue Act of 1917 (en ligne httparchiveorgdetailsregulationsrelat00unit) est une disposition leacutegislative anti-eacutevitement dont le texte est similaire agrave lrsquoactuel article 482 de lrsquoInternal Revenue Code of 1986 et mod qui confeacuterait au Commissaire de lrsquoInternal Revenue Service (laquo IRS raquo) dans les cas impliquant deux ou plusieurs entreprises controcircleacutees par les mecircmes inteacuterecircts le pouvoir de distribuer de reacutepartir et drsquoattribuer les revenus bruts ou les deacuteductions mais ne speacutecifiait aucune meacutethode de reacutepartition

laquo SEC 45 ALLOCATION OF INCOME AND DEDUCTIONS In any case of two or more trades or businesses (whether or not incorporated whether or not organized in the United States and whether or not affiliated) owned or controlled directly or indirectly by the same interests the Commissioner is authorized to distribute apportion or allocate gross income or deductions between or among such trades or businesses if he determines that such distribution apportionment or allocation is necessary in order to prevent evasion of taxes or clearly to reflect the income of any of such trades or businesses raquo

448 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les beacuteneacutefices drsquoune filiale ameacutericaine sont deacutelibeacutereacutement deacuteplaceacutes agrave une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere ou lorsque ceux drsquoune socieacuteteacute megravere ameacutericaine sont deacuteplaceacutes agrave une filiale eacutetrangegravere un rajustement des beacuteneacutefices comme si les transactions avaient eu lieu entre des personnes qui transigent dans des conditions de concurrence normale (as if they were dealing at armrsquos length with each other)39 Bien que les expressions dealing at armrsquos length et armrsquos length soient utiliseacutees agrave quelques reprises dans lrsquoeacutetude de Carroll40 lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo (armrsquos length principle) nrsquoy apparaicirct pas Pour tout dire rien ne permet drsquoaffirmer que du point de vue historique Carroll est le veacuteritable creacuteateur du concept theacuteorique de pleine concurrence41

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET

LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935

Souscrivant aux recommandations de Carroll le Comiteacute fiscal de la SDN propose en 1933 un projet de convention fiscale multilateacuterale pour reacutesoudre le problegraveme relatif agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices42 Reacutedigeacute par Carroll lui-mecircme43 ce projet de convention multilateacuterale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices gagneacutes par des socieacuteteacutes faisant des affaires dans plusieurs juridictions fiscales escamote les meacutethodes preacutecises pour ne comporter que les principes geacuteneacuteraux qui formulent les assises mecircmes du systegraveme actuel 39 Lrsquoadministration fiscale ameacutericaine utilise en pratique la meacutethode de la comptabiliteacute

distincte pour deacuteterminer les beacuteneacutefices des filiales ameacutericaines des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres Sur ce point voir le rapport preacutepareacute par les Eacutetats-Unis agrave lrsquooccasion de lrsquoeacutetude de Carroll Joseph WEARE et M L McMORRIS Tax System and Allocations Methods in the United States of America dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol I (France Germany Spain the United Kingdom and the United States of America) Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpadclibraryusydeduau searchsmode=simpleampkeyword=taxation+foreign+national+enterprises) partie III(A)I(d agrave f) Cette pratique administrative a drsquoailleurs eacuteteacute inteacutegreacutee dans le texte de lrsquoarticle 45-1(b) des Regulations 86 Relating to the Income Tax Under the Revenue Act of 1934 (en ligne httpwwwconstitutionorgtaxus-icregsRegs_86_for_1934_actpdf) adopteacute en 1935 il srsquoagit de la norme du contribuable non controcircleacute

40 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6 384 385 694 et 713 41 Certains auteurs en attribuent la paterniteacute au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

consulter H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 32 Malgreacute tout lrsquoabsence de certitude sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur et la date drsquoeacutelaboration laisse planer le mystegravere sur lrsquoorigine exacte du principe de pleine concurrence

42 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 43 Mitchell B CARROLL Global Perspectives of an International Tax Lawyer

Hicksville Exposition Press 1978 p 66

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 449

des regravegles sur les prix de transfert Le modegravele esquisseacute pose les seconds jalons du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public Incorporant sans surprise lrsquoideacutee de la fiction juridique de lrsquoentreprise indeacutependante et celle de la comptabiliteacute distincte exprimeacutees par Carroll dans lrsquoeacutetude internationale44 il ouvre ainsi la voie agrave lrsquointeacutegration reacuteelle du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale

Drsquoaucuns preacutetendent que Carroll avait un parti pris en faveur de lrsquoapplication conjugueacutee des principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoentreprise indeacutependante et cherchait agrave empecirccher lrsquoeacutemergence agrave lrsquoeacutechelon international de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee deacutejagrave appliqueacutee au niveau infranational aux Eacutetats-Unis45 Il est vrai que peu apregraves la publication des conclusions de lrsquoeacutetude Carroll affirmait que le projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de la SDN illustrait la victoire des partisans du principe de lrsquoentreprise indeacutependante sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices46 et qursquoil soutenait que le Comiteacute fiscal nrsquoadheacuterait pas au concept de lrsquoentreprise unitaire47 Il est mecircme possible que Carroll lequel avant de diriger lrsquoeacutetude de la SDN avait participeacute aux neacutegociations du traiteacute fiscal bilateacuteral Eacutetats-Unis-France48 ait eu accegraves aux renseignements sur les discussions et

44 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 45 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra

note 25 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 637 et L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 40 Pour un point de vue contraire voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 767 Parti pris ou non pour le concept qui deviendra le principe de pleine concurrence le reacutesultat associeacute agrave lrsquointention precircteacutee agrave tort ou agrave raison agrave Carroll sera neacuteanmoins atteint Le consensus international deacutegageacute agrave partir des anneacutees 1970 autour de ce concept aura pour ultime conseacutequence de supprimer toute velleacuteiteacute de la communauteacute internationale de passer agrave la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Sur ce point consulter la section 6 ci-dessous

46 Mitchell B CARROLL laquo Allocation of Business Income The Draft Convention of the League of Nations raquo (1934) vol 34 Columbia Law Review 473 (JSTOR) p 473

47 Mitchell B CARROLL laquo Taxation of Enterprises with International Interests raquo dans Lrsquoimposition des beacuteneacutefices et des profits de socieacuteteacutes anonymes agrave inteacuterecircts internationaux dans Cahiers de droit fiscal international vol I La Haye IFA 1939 p 254

48 Convention with France on the Subject of Double Taxation 27 avril 1932 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 1 1962 805 (HeinOnline) Ce traiteacute est la premiegravere convention fiscale internationale conclue par les Eacutetats-Unis pour preacutevenir la double imposition Agrave ce sujet voir Adrian A KRAGEN laquo Double Income Taxation Treaties The OECD Draft raquo (1964) vol 52 no 2 California Law Review 306-333 (HeinOnLine) p 306 Lrsquoarticle IV qui integravegre les dispositions de lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code preacutevoit une reacutepartition des beacuteneacutefices des

(agrave suivrehellip)

450 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les travaux du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain preacutealablement agrave lrsquoadoption en 1935 du principe de pleine concurrence dans le texte leacutegislatif de la reacuteglementation relative agrave lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code Vu ces circonstances il nrsquoest pas deacuteraisonnable de penser sans que nous puissions toutefois le prouver qursquoune lutte doctrinale ait pu ecirctre meneacutee contre la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee mise en application dans certains Eacutetats ameacutericains ainsi qursquoen Espagne et en Suisse pour reacutepartir entre les entiteacutes formant une entreprise multinationale selon une formule matheacutematique le revenu net total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise

Le projet de convention de 1933 distingue agrave la maniegravere du Rapport Carroll le cas des eacutetablissements stables de celui des filiales En particulier les articles 3 et 5 exposent respectivement les principes geacuteneacuteraux concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere les eacutetablissements stables et les filiales Comme seul critegravere pour la reacutepartition internationale des revenus des eacutetablissements stables lrsquoarticle 3 met en avant le prix qui aurait eacuteteacute convenu entre des personnes indeacutependantes transigeant dans des conditions de concurrence normale (the price that would be agreed upon by independant persons dealing at armrsquos length)

laquo Article 3

If an enterprise with its fiscal domicile in one contracting State has permanent establishments in other contracting States there shall be attributed to each permanent establishment the net business income which it might be expected to derive if it were an independent enterprise engaged in the same or similar activities under the same or similar conditions Such net income will in principle be determined on the basis of the separate accounts pertaining to such establishment [hellip]

The fiscal authorities of the contracting States shall when necessary in execution of the preceding paragraph rectify the accounts produced notably to correct errors or omissions or to re-establish the prices or remunerations entered in the books at the value which would prevail between independent persons dealing at armrsquos length

If an establishment does not produce an accounting showing its own operations [hellip] the fiscal authorities may determine empirically the business income by applying a percentage to the turnover of that establishment [hellip]

(hellipsuite)

socieacuteteacutes lieacutees fondeacutee sur le principe de pleine concurrence M B CARROLL preacuteciteacute note 43 pp 38-42

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 451

If the methods of determination described in the preceding paragraphs are found to be inapplicable the net business income of the permanent establishment may be determined by a computation based on the total income derived by the enterprise from the activities in which such establishment has participated [hellip]49 raquo (Notre soulignement)

Lrsquoutilisation explicite de lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length (laquo des personnes indeacutependantes qui font des affaires dans des conditions normales de concurrence raquo) laquelle deacutefinit une notion deacutejagrave connue et appliqueacutee au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis pour ce qui concerne les socieacuteteacutes lieacutees concourt agrave eacutenoncer sous une forme rudimentaire le principe de pleine concurrence Mecircme si en geacuteneacuteral ce principe srsquoapplique conjointement avec le principe de la comptabiliteacute seacutepareacutee lrsquoarticle 3 permet expresseacutement aux Eacutetats contractants en lrsquoabsence drsquoune comptabiliteacute distincte ou lorsque les comptes comptables distincts ne reflegravetent pas adeacutequatement la situation factuelle de recourir aux meacutethodes empiriques de reacutepartition dites meacutethodes secondaires50 La SDN dote ainsi les pays deacuteveloppeacutes aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables entre les juridictions fiscales de regravegles souples refleacutetant la pratique deacutejagrave eacutetablie et reacutepandue pour ce qui regarde lrsquousage des meacutethodes empiriques

Par ailleurs lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 consiste en la toute premiegravere disposition traitant speacutecifiquement dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale de la reacutepartition des beacuteneacutefices des filiales eacutetrangegraveres De fait il srsquoagit de lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 9 du Modegravele actuel de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE51 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 tire vraisemblablement son origine de lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France52 Constitueacute drsquoun seul court paragraphe le texte de 49 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4244 Lrsquoarticle

3 est lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 7 du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune version abreacutegeacutee juillet 2010 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 2010 raquo) (OECDilibrary)

50 Pour la revue de ces meacutethodes voir supra note 28 Les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutetablissements stables et celles applicables aux socieacuteteacutes lieacutees ont eacuteteacute eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE de maniegravere tout agrave fait distincte Agrave ce propos consulter la section 3 ci-dessous

51 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 52 Emmet M McCAFFERY laquo The Franco-American Convention Relative to Double

Taxation raquo (1936) vol 36 Columbia Law Review 382 (HeinOnLine Law Journal Library) p 382 Or lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France preacuteciteacute note 48 se fonde

(agrave suivrehellip)

452 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoarticle 5 agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 3 ne contient pas lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length et passe sous silence la possibiliteacute pour les administrations fiscales de recourir aux meacutethodes secondaires

laquo Article 5

When an enterprise of one contracting State has a dominant participation in the management or capital of an enterprise of another contracting State or when both enterprises are owned or controlled by the same interests and as the result of such situation there exists in their commercial of financial relations conditions different from those which would have been made between independant enterprises any item of profit or loss which should normally have appeared in the accounts of one enterprise but which has been in this manner diverted to the other enterprise shall be entered in the accounts of such former enterprise subject to the rights of appeal allowed under the law of the State of such enterprise53 raquo (Notre soulignement)

Toutefois le Comiteacute fiscal de la SDN deacutelaisse en 1935 lrsquoideacutee drsquoune convention multilateacuterale jugeant que la conclusion de conventions fiscales bilateacuterales repreacutesentait un moyen plus judicieux pour eacuteliminer la double imposition Le texte du nouveau projet de convention fiscale bilateacuterale54 qui concreacutetise la seconde tentative drsquointeacutegration du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale reproduit neacuteanmoins en substance celui du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 En particulier le libelleacute de lrsquoarticle 5 du projet de convention de 1933 est repris mot agrave mot dans le nouvel article VI du projet

(hellipsuite)

lui-mecircme sur lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 preacuteciteacute note 38 Agrave ce sujet voir M B CARROLL preacuteciteacute note 43 p 144 Brian D LEPARD laquo Is the United States Obligated To Drive on the Right A Multidisciplinary Inquiry into the Normative Authority of Contemporary International Law Using the Armrsquos Length Standard as a Case Study raquo (1999) vol 10 no 1 Duke Journal of Comparative amp International Law 43 (HeinOnline) p 69 Richard VANN laquo Do We Need 7(3) History and Purpose of the Business Profits Deduction Rule in Tax Treaties raquo Legal Studies Research Paper No 1018 University of Sydney mars 2011 (en ligne httppapersssrncomsol3 paperscfmabstract_id=1787805) p 11 Jens WITTENDORFF laquo The Transactional Ghost of Article 9(1) of the OECD Model raquo (2009) vol 63 no 3 Bulletin for International Taxation 107 p 108 (IBFD)

53 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4245 Les commentaires formuleacutes par la SDN ne fournissent aucun deacutetail sur les meacutethodes applicables

54 LEAGUE OF NATIONS Report to the Council of the Fifth Session of the Committee C252M1241935IIA Genegraveve 1935 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4249 (HeinOnline) pp 4253 et suiv

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 453

de 193555 Aussi vaine que celle de 1933 cette seconde tentative eacutechoue du fait que le projet nrsquoa jamais fait lrsquoobjet drsquoune approbation formelle des pays membres de la SDN Par contre les dispositions qursquoil contient sont inteacutegreacutees dans les projets de protocoles drsquoun modegravele theacuteorique adopteacute agrave Mexico en 1943 et reacuteviseacute subseacutequemment en 1946 agrave Londres56 La plupart des conventions fiscales bilateacuterales conclues apregraves la Deuxiegraveme Guerre mondiale sont drsquoailleurs reacutedigeacutees jusqursquoagrave lrsquoapparition du modegravele de lrsquoOCDE au deacutebut des anneacutees 1960 sur lrsquoexemple de Mexico ou de Londres57

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE

MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

La peacuteriode suivant la Deuxiegraveme Guerre mondiale donne lieu agrave la naissance des deux principaux modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales toujours en usage aujourdrsquohui aux fins de reacutegir les neacutegociations lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des conventions fiscales bilateacuterales Tant le modegravele de lrsquoOCDE que celui de lrsquoONU comprennent pour ce qui concerne la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees un eacutenonceacute du principe de pleine concurrence dont le contenu srsquoinspire fortement des projets de conventions multilateacuterales et bilateacuterales conccedilus par la SDN Il revient agrave lrsquoOrganisation europeacuteenne de coopeacuteration eacuteconomique (laquo OECE raquo) qui voit le jour en 1948 dans le contexte de la mise en œuvre du Plan Marshall suivie ensuite de lrsquoOCDE58 de prendre le relais des travaux meneacutes par la SDN sur la double imposition59

55 Id p 4254 56 LEAGUE OF NATIONS London and Mexico Model Tax Conventions Commentary

and Text C88M881946IIA Genegraveve 1946 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4319 (HeinOnline) Agrave la suite drsquoune renumeacuterotation les articles VI (eacutetablissements stables) et VII (socieacuteteacutes lieacutees) du protocole des modegraveles de Mexico et de Londres remplacent respectivement les articles III et VI du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1935 supra note 54 Le texte de lrsquoarticle VII du protocole des modegraveles de Mexico et Londres est quasi identique agrave celui de lrsquoarticle VI du projet de Modegravele de convention de 1935

57 The Elimination of Double Taxation Report of the Fiscal Committee of the OEEC Paris 1958 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4445 (HeinOnline) p 4455

58 Organisation creacuteeacutee en 1961 dont le siegravege social est situeacute agrave Paris elle se preacutesente comme un forum mondial de politique eacuteconomique ayant pour mission drsquolaquo aider les gouvernements agrave reacutealiser une croissance durable de lrsquoeacuteconomie et de lrsquoemploi ainsi qursquoune progression du niveau de vie dans les pays membres tout en maintenant la stabiliteacute financiegravere et agrave favoriser ainsi le deacuteveloppement de lrsquoeacuteconomie mondiale raquo

(agrave suivrehellip)

454 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE

(1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES

EacuteTATS-UNIS

Creacuteeacute en 1956 le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE se voit confier le mandat drsquoeacutelaborer une nouvelle proposition de convention fiscale bilateacuterale dans le but drsquouniformiser les regravegles des pays membres afin de preacutevenir la double imposition des beacuteneacutefices et de la fortune De septembre 1958 agrave aoucirct 1961 il expose dans quatre rapports distincts lrsquoensemble des articles et des commentaires qui servent drsquoassises au projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale concernant le revenu et la fortune acheveacute en 196360 Ayant succeacutedeacute entre-temps agrave lrsquoOECE lrsquoOCDE ne publie qursquoen 1977 le nouveau Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale Modegravele de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune61 Bien que ce dernier

(hellipsuite)

LrsquoOCDE compte actuellement 34 pays membres un pays est candidat agrave lrsquoadheacutesion (Russie) et cinq pays beacuteneacuteficient drsquoun laquo engagement renforceacute en vue drsquoune eacuteventuelle adheacutesion raquo (Breacutesil Chine Inde Indoneacutesie et Afrique du Sud) Le financement de lrsquoOCDE est assureacute par les pays membres les Eacutetats-Unis le pays contributeurs le plus important concourant agrave plus de 20 du budget Voir en ligne httpwwwoecdorgfrapropos Pour certains lrsquoOCDE consiste en un centre intergouvernemental drsquoeacutetudes et de recherches un club de pays riches voire un cartel Sur ce point consulter respectivement Paul KRUGMAN laquo Against Learned Helplessness raquo The New York Times 30 mai 2011 p A19 (en ligne httpwwwnytimescom20110530opinion30krugmanhtml_r=0) laquo Richrsquos Man Club (Organization for Economic Cooperation and Development) raquo The Economist (US) 30 janvier 1988 et Eduardo MORGAN Jr laquo Panama Finds Tax Haven Label Discriminatory raquo (2011) 62 Tax Notes International 483 p 484 (Tax Analysts)

59 Fondeacutee en 1945 lrsquoONU remplace la SDN laquelle est dissoute lrsquoanneacutee suivante Agrave ce sujet voir en ligne httpwwwunescoorgarchivessioFrepresentation_frphp idOrg=1024 Lrsquointeacuterecirct de la nouvelle organisation internationale pour le problegraveme de la double imposition disparaicirct au milieu des anneacutees 1950 mais renaicirct au milieu des anneacutees 1960 Voir la section 22 ci-dessous LrsquoONU compte actuellement 192 membres dont plusieurs sont aussi membres de lrsquoOCDE (en ligne httpwwwunorgfrmembers)

60 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Draft Double Taxation Convention on Income and Capital OECD Paris 1963 (laquo Projet de lrsquoOCDE 1963 raquo)

61 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Model Double Taxation Convention on Income and on Capital OECD Paris 1977 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 1977 raquo) LrsquoOCDE justifie le deacutelai de plus de 10 ans eacutecouleacute entre la publication du projet de 1963 preacuteciteacute et celle du Modegravele de 1977 par la neacutecessiteacute de reacuteviser le projet de 1963 afin de prendre en compte laquo lrsquoexpeacuterience acquise dans les pays membres lors de la neacutegociation ou de lrsquoapplication pratique de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 455

deacutecoule sans conteste de lrsquointerminable reacutevision du projet publieacute en 1963 crsquoest lrsquoanneacutee 1958 qui marque pourtant officiellement sa creacuteation62

Telle qursquoelle est exprimeacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de 1977 la reacutefeacuterence normative dans les pays deacuteveloppeacutes pour la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ne bouscule pas le passeacute Autant dire que le paragraphe 9(1) reprend sans le mentionner preacuteciseacutement le principe de pleine concurrence Crsquoest ainsi qursquoagrave deacutefaut de la mention explicite de lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo lrsquoeacutenonceacute de lrsquoOCDE officiel srsquoaligne sur le concept de lrsquoentreprise indeacutependante

laquo 9(1)

Lorsque

une entreprise drsquoun Eacutetat contractant participe directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant ou que

les mecircmes personnes participent directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise drsquoun Eacutetat contractant et drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant

(hellipsuite)

conventions bilateacuterales ainsi que des modifications intervenues dans les systegravemes fiscaux de ces pays du renforcement des relations fiscales internationales du deacuteveloppement de nouveaux secteurs drsquoactiviteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouvelles formes complexes drsquoorganisations des entreprises au niveau international raquo Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune vol I feuilles mobiles OCDE Paris 2004 (laquo Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 raquo) p I-3 Qui plus est le Modegravele de 1977 introduit le paragraphe 9(2) lequel preacutevoit un ajustement approprieacute du montant de lrsquoimpocirct deacutejagrave perccedilu par un autre Eacutetat contractant sur des beacuteneacutefices qui si les conditions convenues entre les deux socieacuteteacutes lieacutees avaient eacuteteacute celles convenues entre des entreprises indeacutependantes auraient eacuteteacute reacutealiseacutes dans le premier Eacutetat contractant

62 Jeffrey OWENS et Mary BENNETT laquo Le Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE no 269 octobre 2008 (en ligne httpwwwobservateurocdeorgnewsfullstoryphpaid2352Le_Mod_E8le_de_convention_fiscale_de_l_92OCDEhtml)

laquo En 1963 un projet complet eacutetait precirct mais il fallut attendre 1977 pour que le Modegravele de convention de double imposition soit publieacute Le texte de 1963 syntheacutetisait essentiellement quatre versions anteacuterieures dont la premiegravere avait eacuteteacute publieacutee en 1958 Crsquoest pourquoi le 1er juillet 1958 est consideacutereacute comme la date de naissance du Modegravele de lrsquoOCDE raquo

456 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

et que dans lrsquoun et lrsquoautre cas les deux entreprises sont dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions accepteacutees ou imposeacutees qui diffegraverent de celles qui seraient conclues entre les entreprises indeacutependantes les beacuteneacutefices qui sans ces conditions auraient eacuteteacute obtenus par lrsquoune des entreprises mais nrsquoont pu lrsquoecirctre en fait agrave cause de ces conditions peuvent ecirctre inclus dans les beacuteneacutefices de cette entreprise et imposeacutes en conseacutequence63 raquo (Notre soulignement)

Le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE64 demeureacute inchangeacute agrave ce jour comporte un libelleacute identique au texte de lrsquoarticle 9 du projet tel qursquoil a eacuteteacute publieacute en 196365 En fait les fondements historiques du paragraphe 9(1) remontent aussi loin qursquoau deacutebut des anneacutees 1930 Le fond de lrsquoarticle 9 est analogue agrave tous les articles relatifs agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees inclus dans les projets de conventions fiscales ou les conventions fiscales proposeacutes par la SDN agrave cette exception que lrsquoOECE remplace le terme laquo doivent raquo (shall) par laquo peuvent raquo (may) Ainsi lrsquoOCDE confegravere aux Eacutetats contractants le pouvoir de redresser les beacuteneacutefices sur la base de la notion drsquoentreprise indeacutependante alors que la SDN en imposait lrsquoobligation en vertu de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de lrsquoarticle VI du projet de convention fiscale bilateacuterale de 1935 ainsi que des articles VII du Protocole des conventions de Mexico et de Londres

Cependant les preacutecisions sur la faccedilon de mettre en œuvre le concept drsquoentreprise indeacutependante sont manquantes dans les commentaires reacutedigeacutes par lrsquoOCDE pour appliquer et interpreacuteter le paragraphe 9(1) du Modegravele publieacute en 197766 De ce point de vue lrsquoOCDE persiste comme la SDN agrave traiter la question de la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees en parent pauvre Brefs et laconiques les commentaires de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard du

63 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp M-21 et

M-22 64 Apregraves 1977 le titre du modegravele theacuteorique devient laquo Modegravele de convention fiscale

concernant le revenu et la fortune raquo id p I-6 Le contenu du modegravele de lrsquoOCDE sera modifieacute agrave quelques reprises la derniegravere reacutevision ayant eacuteteacute approuveacutee en juillet 2010 Voir Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49

65 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 p 47 Voir eacutegalement le texte de lrsquoarticle XVI contenu dans le troisiegraveme rapport preacutepareacute par le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE en 1960 ORGANISATION FOR EUROPEAN ECONOMIC CO-OPERATION The Elimination of Double Taxation Third Report of the Fiscal Committee 1960 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4567 (HeinOnline) p 4588

66 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 457

paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE de 1977 ne comportent qursquoun seul paragraphe

laquo Cet article traite des entreprises associeacutees (socieacuteteacutes megraveres et leurs filiales et socieacuteteacutes placeacutees sous controcircle commun) et son paragraphe 1 stipule que dans ces cas les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et ce paragraphe ne semble guegravere appeler de Commentaires Peut-ecirctre y a-t-il lieu de rappeler que les dispositions de ce paragraphe ne srsquoappliquent que lorsque des conditions speacuteciales ont eacuteteacute convenues ou imposeacutees entre les deux entreprises Aucune rectification des comptabiliteacutes des entreprises associeacutees nrsquoest autoriseacutee si leurs transactions se sont deacuterouleacutees aux conditions commerciales normales du marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance)67 raquo (Notre soulignement)

Drsquoun autre cocircteacute les Eacutetats-Unis deacuteveloppent en 1976 leur propre modegravele de convention fiscale bilateacuterale Le texte du paragraphe 9(1) du modegravele ameacutericain reproduit en substance celui du modegravele de lrsquoOCDE mis agrave part lrsquoajout drsquoun passage pour preacutevoir que le paragraphe 9(1) ne restreint pas les dispositions de la loi de lrsquoun ou lrsquoautre des Eacutetats contractants concernant la distribution la reacutepartition ou lrsquoallocation de revenus68 Comme les termes initiaux du modegravele ameacutericain sont suffisamment larges il nrsquoest pas exclu que

67 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p P C(9)-8

Jeffrey OWENS alors directeur du Centre de Politique et drsquoAdministration fiscale de lrsquoOCDE explique agrave la page 2 de son laquo Opening Speech raquo dans OECD Conference Transfer Princing and Treaties in a Changing World Paris 2009 (en ligne httpwwwoecdorgdataoecd182543744164pdf) lrsquoabsence de commentaires explicatifs comme suit

laquo The drafters of the 1963 Draft Convention did an excellent job of drafting Article 9 but perhaps lacked vision when they wrote that Commentary We all know now that this Article does in fact call for significant comment as our later work has shown raquo

Dans le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) comprennent quatre paragraphes Sur ce dernier point voir la section 3 ci-dessous Par comparaison les commentaires au sujet de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables preacutevue au paragraphe 7(2) du Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 pp 145-155 totalisent pas moins de 29 paragraphes

68 Chantal THOMAS laquo Customary International Law and State Taxation of Corporate Income The Case for the Separate Accounting Method raquo (1996) vol 14 no 1 Berkeley Journal of International Law 99-136 (HeinOnLine Law Journal Library) p 128

458 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ceux-ci puissent permettre aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees lrsquousage drsquoune meacutethode autre que celle fondeacutee sur les principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoindeacutependance des entreprises69 Toutefois en 1996 agrave la suite drsquoune modification leacutegislative le texte de lrsquoarticle 9 du modegravele ameacutericain devient en tout point similaire agrave celui du Modegravele de lrsquoOCDE70

Depuis plus de 50 ans le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE traduit la preacuteoccupation drsquoassurer la peacuterenniteacute en droit fiscal international public drsquoune norme pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees qui agrave lrsquoeacutepoque ougrave Carroll a meneacute son eacutetude nrsquoeacutetait qursquoune simple regravegle administrative71 Partant lrsquoOCDE exerce une influence preacutepondeacuterante sur la mise en place de leacutegislations et de pratiques administratives nationales en promouvant une utilisation reacutepandue du concept de pleine concurrence dans les pays deacuteveloppeacutes De surcroicirct cette autoriteacute se manifeste bien au-delagrave des pays membres de lrsquoOCDE allant mecircme jusqursquoagrave lrsquoutilisation du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale comme mateacuteriau de base des travaux meneacutes par lrsquoONU pour contrer la double imposition

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU

(1980)

Lrsquointeacuterecirct de lrsquoONU pour la question de lrsquoeacutelimination de la double imposition resurgit en reacuteaction contre le projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE diffuseacute en 1963 Les pays en deacuteveloppement manifestent en ce temps-lagrave de la reacuteticence agrave employer un projet de modegravele agrave lrsquoeacutelaboration duquel ils nrsquoont pas participeacute et qui privileacutegie davantage le pays de la reacutesidence que celui de la source pour attribuer les droits drsquoimposition des revenus entre les juridictions fiscales72 Formeacute en 1968 le groupe de travail de lrsquoONU sur les conventions fiscales fait le choix utilitaire de 69 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 pp 111-112 70 Id p 112 71 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 72 Stanley S SURREY laquo United Nations Group of Experts and the Guidelines for Tax

Treaties Between Developed and Developing Countries raquo (1978) vol 19 no 3 Harvard International Law Journal 1 (HeinOnline) pp 6-7 Suivant le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE le pays de reacutesidence drsquoune socieacuteteacute peut imposer le revenu de source mondiale de cette derniegravere alors que le pays de la source ne peut imposer que le revenu de cette socieacuteteacute eacutetrangegravere dont la source est situeacutee dans ce pays

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 459

prendre comme point de deacutepart de ses reacuteflexions le projet et le modegravele theacuteorique de convention fiscale publieacutes respectivement en 196373 et en 197774 par lrsquoOCDE75 Lors de la derniegravere reacuteunion tenue en 1977 ce groupe de travail recommande la reacutedaction drsquoun projet de Modegravele de convention fiscale Il est inteacuteressant de constater que lrsquoexposeacute des grandes lignes des principes geacuteneacuteraux devant reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees coiumlncide avec celles deacutefinies par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE dans le Modegravele theacuteorique de convention de 197776

73 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 74 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61 75 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et

sociales internationales Modegravele de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESA102 New York 1980 (laquo Modegravele de lrsquoONU 1980 raquo) p 4

laquo [L]e Groupe drsquoexperts avait deacutecideacute drsquoutiliser le Modegravele de convention de lrsquoOCDE comme principal texte de reacutefeacuterence en vue de tirer parti de la compeacutetence technique accumuleacutee par lrsquoOCDE telle qursquoelle est concreacutetiseacutee dans ce modegravele et dans les commentaires y relatifs compte tenu de consideacuterations de commoditeacute pratique lieacutees au fait que ce modegravele est utiliseacute par les pays membres de lrsquoOCDE dans la neacutegociation de conventions fiscales non seulement entre eux mais avec des pays en deacuteveloppement raquo

76 UNITED NATIONS DEPARTMENT OF ECONOMIC AND SOCIAL AFFAIRS Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Seventh Report Report of the Group of Experts on Tax Treaties Between Developed and Developing Countries on the Work of its Seventh Meeting Doc NU STESA79 New York 1978 Degraves les deux premiegraveres reacuteunions le groupe de travail convient de fonder la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les entiteacutes lieacutees sur le principe de pleine concurrence et estime agrave la page 30 que la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee crsquoest-agrave-dire laquo [w]hat was sometimes called the direct method of arriving at the profit of a branch or subsidiary by apportioning to it some part of the global profits of the whole enterprise of the group was not strictly a method of arriving at the armrsquos length price but was not necessarily incompatible with the objective of attributing the armrsquos length profit to the relevant taxpayer raquo peut ecirctre utiliseacutee en dernier recours par les administrations fiscales pour reacutepartir les beacuteneacutefices des succursales et des filiales seulement si la meacutethode des prix comparables sur le marcheacute la meacutethode du prix de revente et la meacutethode du prix de revient majoreacute ne sont pas applicables Lrsquoexposeacute des grandes lignes suppose que le futur modegravele de convention fiscale contiendra notamment un article similaire agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE visant les transactions entre les socieacuteteacutes megraveres et ses filiales Sur ce point voir S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 54

460 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Adopteacute en 1979 et publieacute en 198077 le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU est semblable au Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 agrave plusieurs eacutegards en particulier quant au texte du paragraphe 9(1)78 Il nrsquoy a pas de distinction entre les points de vue de lrsquoONU et de lrsquoOCDE quant au choix de la norme internationale agrave appliquer pour reacutepartir les beacuteneacutefices parmi les juridictions fiscales les deux organisations internationales optent pour le principe de pleine concurrence Par contre le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comporte des diffeacuterences significatives agrave lrsquoavantage des pays en deacuteveloppement Notamment les pays de la source y conservent des droits drsquoimposition plus importants que ceux preacutevus dans le Modegravele de lrsquoOCDE drsquoougrave entre autres une deacutefinition de lrsquoexpression laquo eacutetablissement stable raquo dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU plus large que celle dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE79

Quant agrave la faccedilon drsquoappliquer et drsquointerpreacuteter le principe de pleine concurrence les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoONU reacuteitegraverent essentiellement les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE80 Depuis 1999 les commentaires mentionnent

77 Supra note 75 Il est reacuteviseacute en 1999 (mise agrave jour publieacutee en 2001) et en 2011 Voir

ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales Modegravele de Convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESAPASSERE21 2001 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxunmodelhtm) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2001 raquo) UNITED NATIONS Economic and Social Affairs United Nations Model Double Taxation Convention Between Developed and Developing Countries New York 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffddocumentsUN_Model_2011_ Updatepdf) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2011 raquo)

78 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT Transfer Pricing UNCTAD Series on Issues in International Investment Agreements New York 1999 (en ligne httpwwwunctadorgendocspsiteiitd11v1enpdf) p 18 Toutefois le paragraphe 9(3) ajouteacute en 1999 eacutenonce qursquoun pays nrsquoa pas lrsquoobligation drsquoeffectuer le rajustement correacutelatif preacutevu au paragraphe 9(2) lorsque lrsquoune des entreprises est en vertu drsquoune proceacutedure leacutegale trouveacutee passible drsquoune peacutenaliteacute pour fraude faute lourde ou deacutefaillance agrave lrsquoeacutegard drsquoactions lieacutees au rajustement des beacuteneacutefices Voir Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 pp 16 et 129-130

79 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 art 5 Par exemple un chantier de construction se prolongeant plus de six mois constitue un eacutetablissement stable alors que suivant le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 art 5 sa dureacutee doit ecirctre de plus de 12 mois

80 Dans le Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 75 les commentaires incorporent sous la forme drsquoextraits placeacutes entre guillemets une grande partie des commentaires de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 461

explicitement que les Eacutetats contractants appliquent le principe de pleine concurrence en se conformant aux lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert81 Neacuteanmoins la derniegravere mise agrave jour adopteacutee agrave lrsquoautomne 2011 nuance le renvoi aux lignes directrices de lrsquoOCDE en preacutecisant que les Eacutetats contractants suivront ces lignes directrices dans la plupart des cas (normally)82

Il srsquoest donc eacutecouleacute une peacuteriode de plus de 40 ans entre la publication des conclusions de lrsquoeacutetude internationale de droit compareacute de la SDN (1933) et lrsquoeacutelaboration des Modegraveles theacuteoriques de lrsquoOCDE (1977) et de lrsquoONU (1980) Instigatrice de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit international public la SDN promeut au rang de critegravere principal pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees degraves les anneacutees 1930 une notion appliqueacutee sur le plan administratif par le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain et lrsquoIRS Faisant siennes les conclusions de Mitchell Carroll la SDN importe cette notion dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes deacuteclassant ainsi la reacutepartition globale des beacuteneacutefices pourtant deacutejagrave mise en œuvre leacutegislativement dans deux pays (Espagne et Suisse)83 Le processus de deacuteveloppement du concept de pleine concurrence deacutebute presque au mecircme moment que la publication du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE

(hellipsuite)

lrsquoOCDE diffuseacutes en 1977 En 2001 le modegravele de lrsquoONU omet les guillemets et fait siens mot pour mot les commentaires de lrsquoOCDE supra note 77 p 125

laquo Ce paragraphe [9(1)] dispose que les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et le paragraphe nrsquoappelle guegravere de commentaires [hellip] raquo

81 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 p 124 Pour ce qui concerne les lignes directrices de lrsquoOCDE voir la section 3 ci-dessous

82 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax Matters Seventh Session Note on Proposed Update of United Nations Model Tax Convention Doc NU EC182011CRP2Add1 Genegraveve 12 octobre 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxseventhsessionindexhtm) p 126

83 LrsquoEspagne et la Suisse adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave ce sujet voir la section 611 du preacutesent texte

462 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT

DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE

APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES

Instruments juridiques deacutesormais indispensables les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU enchacircssent le principe de pleine concurrence pour reacutepartir entre les pays lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices imposables deacutecoulant des relations commerciales internes eacutetablies parmi les socieacuteteacutes lieacutees drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales Les paragraphes 9(1) des Modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU expriment assureacutement une norme si tant est qursquoen theacuteorie une norme (standard) se distingue drsquoune regravegle (rule) par le fait que sa signification preacutecise contrairement agrave celle drsquoune regravegle nrsquoest pas compte tenu de sa formulation deacutejagrave connue drsquoavance84 De surcroicirct les commentaires relatifs aux paragraphes 9(1) des modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU publieacutes initialement en 1977 et en 1980 ne preacutecisent en rien la faccedilon drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer en pratique le principe de pleine concurrence85

Cependant au milieu des anneacutees 1970 les pays deacuteveloppeacutes amorcent et contribuent sans surprise agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun compleacutement drsquoinformation au paragraphe 9(1) du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE afin de deacutefinir le principe de pleine concurrence La reacutedaction drsquoun premier guide drsquoinstructions destineacute agrave eacuteclairer les administrations fiscales et les entreprises multinationales dont la version remanieacutee srsquoapplique encore aujourdrsquohui ne se reacutealise en droit fiscal international public que plus de 45 ans apregraves lrsquoeacutetude de Carroll et lrsquoadoption par la SDN de principes geacuteneacuteraux sous-tendant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Il nrsquoy a pas de doute que lrsquoaventure du deacuteploiement du contenu descriptif et explicatif du principe de pleine concurrence est lrsquoaffaire exclusive de lrsquoOCDE lrsquoONU nrsquoy accordant de lrsquoattention qursquoagrave partir de la fin des anneacutees 2000

84 Eduardo BAISTROCCHI laquo The Transfer Pricing Problem A Global Proposal for

Simplification raquo (2005-2006) vol 59 no 4 Tax Lawyer 941 (HeinOnline Law Journal Library) pp 951-952

85 Voir la section 2 ci-dessus En 1973 le groupe de travail creacuteeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement conccediloit des directives en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement Fondeacutees sur le principe de pleine concurrence et eacutenonceacutees dans le mecircme ordre de preacutesentation que les articles du projet de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1963 aucune drsquoelles ne concerne speacutecifiquement le paragraphe 9(1) UNITED NATIONS Department of Economic and Social Affairs Guidelines for Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Doc NU STESA14 New York 1974

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 463

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE

CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS

Pour commencer lrsquoOCDE publie en 1979 un rapport qui expose les premiegraveres lignes directrices deacutetailleacutees sur les prix de cession interne convenus entre les socieacuteteacutes lieacutees86 Depuis lors lrsquoOCDE srsquoefforce dans le cadre drsquoun processus de reacutevision continu drsquoimplanter lrsquoideacutee de la fixation des prix de transfert transaction par transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence Le rocircle preacutedominant et soutenu joueacute par lrsquoOCDE dans la conception de multiples lignes directrices conduit apregraves plus de trois deacutecennies au deacuteploiement de plus en plus ample drsquoun ensemble de regravegles agrave observer autant par les pays membres de lrsquoOCDE que ceux de lrsquoONU aux fins de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence

311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE

Bien que le rapport diffuseacute en 1979 se borne sans plus agrave sous-entendre que le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 serait lrsquoexpression du principe de pleine concurrence87 il nrsquoen reste pas moins vrai que ces lignes directrices constituent les ancecirctres des actuels Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert Crsquoest que ce rapport preacutesente un cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse issu justement du paragraphe 9(1) pour

86 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport du Comiteacute des Affaires Fiscales Prix de transfert et entreprises multinationales OCDE Paris 1979 (laquo Rapport de 1979 raquo) Il comporte 106 pages et sa porteacutee est geacuteneacuteralement restreinte tel qursquoil est indiqueacute dans la note de bas de page no 1 agrave la page 11 aux transactions intersocieacuteteacutes Les lignes directrices contenues dans ce rapport deviennent en 1992 une partie inteacutegrante des commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE en raison de lrsquoajout dans les commentaires mecircmes drsquoun renvoi expregraves agrave celles-ci Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p C(9)-8 La Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales adopteacutee en 1976 reacuteexamineacutee et reconduite en 1979 1982 1984 1991 2000 2010 et 2011 prend la forme drsquoun code de conduite reacutedigeacute en termes geacuteneacuteraux et se limite agrave suggeacuterer aux entreprises multinationales de ne pas user des prix de cession interne non conformes aux prix de libre concurrence Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Investissement international et entreprises multinationales Paris 1979 pp 19-20

87 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 8-9 Il ne fournit aucune explication quant agrave lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence mais preacutesente aux pages 23 agrave 25 le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 et des extraits de la Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales de 1976 supra note 86 comme des textes de reacutefeacuterence

464 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

orienter les administrations fiscales et les entreprises multinationales sur la faccedilon drsquoappliquer en pratique le principe du prix de pleine concurrence En outre il marque le deacutebut par lrsquoOCDE de lrsquolaquo opeacuterationnalisation raquo du principe de pleine concurrence88 Fait indeacuteniable lrsquoOCDE nrsquoa pas de cesse agrave partir du moment ougrave ce cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse est mis en avant de srsquoemployer par la suite agrave formuler le contenu du concept theacuteorique de pleine concurrence et agrave concevoir des indicateurs permettant drsquoeacutevaluer les prix de transfert de pleine concurrence89

Du point de vue des pays deacuteveloppeacutes le rapport de 1979 incarne le passage deacutecisif de lrsquoeacutenonceacute drsquoun principe geacuteneacuteral pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ndash soit le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ndash agrave des lignes directrices preacutecises deacutefinissant les regravegles et les meacutethodes speacutecifiques pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions en particulier Agrave vrai dire la perspective transactionnelle procircneacutee dans le rapport nrsquoest pas une innovation attribuable agrave lrsquoOCDE et reflegravete lrsquoimportante influence ameacutericaine en matiegravere de prix de transfert sur lrsquoOCDE Les Eacutetats-Unis ont les premiers chercheacute agrave fixer des regravegles leacutegislatives deacutetailleacutees pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions speacutecifiques et deacuteveloppeacute sous la houlette de Stanley Surrey90 une

88 S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 770 Le terme laquo opeacuterationnalisation raquo signifie

laquo donner un contenu descriptif agrave des concepts theacuteoriques raquo Voir la banque de donneacutees terminologiques Termium Plus (en ligne httpwwwbtbtermiumplusgcca tpv2alphaalphafrahtmllang=fraampi=1ampindex=entamp__index=entampsrchtxt=operationalizationampcomencsrchx=9ampcomencsrchy=12)

89 Voir les sections 312 et 313 du preacutesent texte 90 Professeur de droit fiscal agrave la faculteacute de droit de lrsquoUniversiteacute Harvard il occupe sous

les administrations Kennedy et Johnson la fonction de Secreacutetaire adjoint au deacutepartement du Treacutesor ameacutericain de 1961 agrave 1969 Paul R McDANIEL laquo Celebrating Stanleyrsquos Gifts raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 341 (HeinOnline Law Journal Library) p 341 Certains preacutetendent qursquoil a domineacute la politique fiscale ameacutericaine et internationale au cours de ces huit anneacutees Consulter Donald C LUBICK laquo A View from Washington raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 338 (HeinOnline Law Journal Library) p 338 Comme Surrey exerccedilait la fonction de conseiller speacutecial du Comiteacute exeacutecutif du groupe drsquoexperts formeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement il est possible qursquoil ait promu la vision ameacutericaine du principe de pleine concurrence et pu ainsi exercer une quelconque influence sur lrsquoONU dans le contexte de lrsquoeacutelaboration du Modegravele de convention fiscale de lrsquoONU quant au choix du principe de pleine concurrence (approche transactionnelle) comme norme pour reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Sur ce point voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 771 et S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 652 Agrave supposer que cela soit le cas lrsquoapproche ameacutericaine apparaicirct ecirctre un eacuteleacutement deacuteterminant pour le deacuteveloppement en droit international public des canons en matiegravere de prix de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 465

perspective transactionnelle pour mettre en application le principe de pleine concurrence au niveau national

Notamment les trois meacutethodes principales recommandeacutees par lrsquoOCDE aux fins drsquoeacutetablir un prix de transfert agrave lrsquoeacutegard drsquoune transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence sont exactement les mecircmes que celles eacutedicteacutees en 1968 dans la reacuteglementation ameacutericaine relative agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code91 la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence la meacutethode du coucirct majoreacute et la meacutethode du prix de revente92 Quant agrave la meacutethode globale des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la reacutepartition des beacuteneacutefices totaux drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales selon des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies le rapport de 1979 la rejette sans aucune autre explication que son incompatibiliteacute supposeacutee avec les articles 7 et 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE93 Drsquoun autre cocircteacute mecircme si lrsquoOCDE admet theacuteoriquement lrsquoutilisation de meacutethodes de substitution dans le cas ougrave les trois meacutethodes de base susmentionneacutees sont inapplicables agrave certaines transactions lrsquoacceptation de telles meacutethodes paraicirct

(hellipsuite)

transfert Pour lrsquohistorique du deacuteveloppement de lrsquoapproche transactionnelle radicale ameacutericaine dans la reacuteglementation adopteacutee en 1968 laquelle favorise notamment la recherche de transactions comparables voir S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 642-649

91 Avant 1968 les regraveglements ameacutericains se limitaient agrave eacutenoncer le principe de pleine concurrence comme principe fondamental sous-tendant lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code ou sa version leacutegislative anteacuterieure lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 sans prescrire lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de deacutetermination des prix de transfert en particulier UNITED STATES Treasury Department and Internal Revenue Service A Study of Intercompany Pricing Claitorrsquos Baton Rouge 1988 (en ligne httpwwwarchiveorgdetailsstudyofintercomp00unit) pp 6-12 (laquo Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute raquo)

92 Jinyan LI laquo Global Profit Split An Approach to International Income Allocation raquo (2002) vol 50 no 3 Revue fiscale canadienne 823-883 (Taxfind) p 860 Le chapitre 1 du Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 13-14 deacutefinit sommairement les meacutethodes susmentionneacutees lesquelles srsquoappliquent geacuteneacuteralement agrave toutes les cateacutegories de transactions comme suit la premiegravere meacutethode consiste agrave laquo [s]e reacutefeacuterer directement au prix qui serait pratiqueacute dans des transactions comparables entre des entreprises indeacutependantes ou entre une entreprise drsquoun groupe et une entreprise indeacutependante raquo la seconde implique que lrsquolaquo on part du coucirct de la fourniture des biens ou services et [qursquo]on y ajoute les coucircts et la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo tandis que dans la meacutethode du prix de revente laquo on part du prix de vente final dont on deacutefalque la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo LrsquoOCDE recommande aussi comme quatriegraveme meacutethode toutes autres meacutethodes jugeacutees acceptables

93 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 p 14

466 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

incertaine vu la confusion eacutevidente dans le rapport de 1979 des meacutethodes du partage des beacuteneacutefices avec la meacutethode globale94

312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE

Coupant court agrave lrsquoambiguiumlteacute des meacutethodes de substitution deacutecoulant du rapport de 1979 les Principes directeurs publieacutes en 199595 qui annulent et remplacent les premiegraveres lignes directrices teacutemoignent par-dessus tout de lrsquointeacuterecirct manifeste de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices en particulier la meacutethode du partage des beacuteneacutefices pour estimer les prix de pleine concurrence96 De ce point de vue les nouvelles lignes directrices convergent avec les conclusions de lrsquoeacutetude reacutealiseacutee au deacutebut des anneacutees 1990 par lrsquoAssociation fiscale internationale (laquo IFA raquo) sur la compatibiliteacute des meacutethodes de substitution avec le principe de pleine concurrence la meacutethode de la division des beacuteneacutefices consiste en la meacutethode de substitution la plus utiliseacutee dans les pays membres de lrsquoIFA97 Prise en 1992 la deacutecision du Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE de reacuteviser les lignes directrices eacutenonceacutees 13 ans auparavant surgit en reacuteaction contre la diffusion de regraveglements ameacutericains introduisant une nouvelle meacutethode de deacutetermination des prix de transfert fondeacutee sur les beacuteneacutefices98

94 Id pp 46-47 95 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales feuilles mobiles Paris 1995 (laquo Principes directeurs de 1995 raquo) Comportant 175 pages le document est diviseacute en cinq chapitres

96 Frances M HORNER laquo International Cooperation and Understanding Whatrsquos New About The OECDrsquos Transfer Pricing Guidelines raquo (1996) vol 50 no 2 University of Miami Law Review 577 (HeinOnline Law Journal Library) pp 589-591

97 Guglielmo MAISTO laquo Rapport geacuteneacuteral raquo dans laquo Deacutetermination des prix de transfert en lrsquoabsence de prix de marcheacute comparables raquo vol LXXVIIa Cahiers de droit fiscal international IFA Cancun 1992 (laquo IFA 1992 raquo) pp 114-116 Les facteurs de reacutepartition (deacutepenses actifs chiffre drsquoaffaires etc) de la meacutethode de la division des beacuteneacutefices ne sont pas preacuteeacutetablis mais deacutetermineacutes par lrsquoadministration fiscale agrave la suite drsquoune analyse des fonctions exerceacutees par lrsquoentreprise multinationale

98 AD HOC GROUP OF EXPERTS ON INTERNATIONAL COOPERATION IN TAX MATTERS Tenth Meeting Transfer Pricing History State of the Art Perspectives Doc NU STSGAC82001CRP6 26 juin 2001 (en ligne httpunpan1unorg intradocgroupspublicdocumentsununpan004399pdf) (laquo ONU Transfer Pricing History raquo) pp 12-19 Lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code tel que modifieacute par la Tax Reform Act of 1986 preacutevoit que les beacuteneacutefices reacutesultant du transfert ou de lrsquooctroi drsquoune licence drsquoun bien incorporel doivent ecirctre proportionnels aux beacuteneacutefices

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 467

Fait agrave noter ces Principes directeurs preacutesentent explicitement le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE comme lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute agrave lrsquoeacutegard du principe de pleine concurrence99 Du reste ils preacutecisent davantage les regravegles et la deacutemarche concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence que ne le faisait le rapport de 1979100 Le cadre drsquoanalyse suggeacutereacute est plus structureacute et les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent deacutesormais une plus grande importance

Plusieurs eacuteleacutements nouveaux apparaissent dans les lignes directrices notamment lrsquoanalyse de comparabiliteacute101 dont lrsquoune des eacutetapes de reacutealisation lrsquoanalyse fonctionnelle est degraves 1988 mise de lrsquoavant aux (hellipsuite)

attribuables agrave ce bien incorporel Le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain cherche ainsi agrave reacutesoudre les difficulteacutes relatives agrave la deacutetermination des prix des biens incorporels qui possegravedent un potentiel de profits eacuteleveacutes pour lesquels il nrsquoexiste pas de transactions comparables et qui sont transfeacutereacutes des Eacutetats-Unis vers des refuges fiscaux Voir Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 45-55 Comme le preacutecise le document de lrsquoOCDE intituleacute Les aspects fiscaux des prix de transfert pratiqueacutes au sein des entreprises multinationales ndash Les propositions ameacutericaines de regraveglements Un rapport du Comiteacute des Affaires fiscales sur les propositions de regraveglements au titre de lrsquoarticle 482 du Code des impocircts (IRC) des Eacutetats-Unis OCDE Paris 1993 pp 27-28 la conformiteacute au principe de pleine concurrence de la nouvelle meacutethode de deacutetermination de prix de transfert introduite dans les regraveglements ameacutericains est mise en doute par lrsquoOCDE

laquo Le Groupe drsquoeacutetude considegravere que mecircme si [sic] en theacuteorie la meacutethode des beacuteneacutefices comparables qui sous-tend [sic] les propositions de regraveglements peut reflegraveter [sic] un beacuteneacutefice de pleine concurrence de mecircme qursquoun prix comparable peut reflegraveter [sic] un prix de pleine concurrence la mise en pratique de la theacuteorie soulegraveve de graves difficulteacutes Le poids consideacuterable confeacutereacute agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables dans les propositions de regraveglements accentue le risque de parvenir agrave un reacutesultat qui ne soit pas conforme au principe de pleine concurrence Srsquoil est souvent difficile de trouver un prix comparable il peut ecirctre tout aussi difficile de trouver un beacuteneacutefice comparable Le Groupe drsquoeacutetude estime que lrsquoapproche du partage des beacuteneacutefices pose moins de problegravemes bien qursquoil ne srsquoagisse pas non plus drsquoune approche baseacutee sur les transactions Crsquoest pourquoi elle a eacuteteacute utiliseacutee de preacutefeacuterence agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables par les administrations fiscales dans le cas ougrave les meacutethodes baseacutees sur les transactions ne sont pas disponibles raquo (Notre soulignement)

99 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 16 Agrave lrsquoinstar du Rapport de 1979 ils nrsquoexpliquent pas lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence

100 F M HORNER preacuteciteacute note 96 pp 579-586 101 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 115-135

468 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Eacutetats-Unis102 Qui plus est lrsquointroduction de la notion ineacutedite de laquo meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices raquo accentue encore plus lrsquoapproche transactionnelle adopteacutee par lrsquoOCDE en 1979 Compte tenu de ce qui preacutecegravede il est vraisemblable que ces Principes directeurs soient dans les circonstances le reacutesultat drsquoun compromis neacutegocieacute qui dissimule les diffeacuterences theacuteoriques et pratiques en matiegravere de prix de transfert entre les Eacutetats-Unis et les autres pays de lrsquoOCDE Certains avancent lrsquoopinion que lrsquoOCDE aurait consenti agrave permettre lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices sous reacuteserve que les Eacutetats-Unis acceptent de maintenir une application prioritaire des trois meacutethodes de base fondeacutees sur les transactions103

Si tant est que cette solution intermeacutediaire ait permis de deacutenouer lrsquoimpasse dans laquelle srsquoeacutetaient enfermeacutes lrsquoOCDE et les Eacutetats-Unis elle contribue bien entendu agrave maintenir le consensus international autour du principe de pleine concurrence104 Agrave compter du milieu des anneacutees 1990 des dizaines de pays choisissent drsquointeacutegrer dans leur leacutegislation fiscale nationale respective des mesures leacutegislatives conformes au principe de pleine concurrence de sorte que ce dernier est veacuteritablement devenu une norme accepteacutee agrave lrsquoeacutechelon international comme mesure leacutegislative fiscale pour reacutegir les prix de transfert105 Pour les pays membres de lrsquoOCDE plusieurs raisons justifient le refus de lrsquoabandon du principe de pleine concurrence la neutraliteacute dans le traitement des socieacuteteacutes lieacutees et des socieacuteteacutes indeacutependantes la faciliteacute drsquoapplication dans la plupart des cas la soliditeacute des fondements theacuteoriques le caractegravere satisfaisant des niveaux de beacuteneacutefices deacutetermineacutes pour les administrations fiscales la reacutepartition proportionnelle des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees membres du groupe calculeacutee en fonction des activiteacutes

102 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 94-97 En bref

lrsquoanalyse fonctionnelle vise agrave deacuteterminer les entiteacutes speacutecifiques qui ont la responsabiliteacute des risques et la proprieacuteteacute des biens incorporels au sein du groupe multinational drsquoentreprises Valerie AMERKHAIL laquo Armrsquos Length or Formulary Aportionment Sometimes the Best Choice is Both raquo (2000) vol 9 no 13 Tax Management Transfer Pricing Report 25 p 29

103 J LI preacuteciteacute note 92 p 861 et R VANN preacuteciteacute note 35 p 137 104 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 113-114 105 La plupart des pays adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave la fin

de lrsquoanneacutee 2011 quelque 100 pays avaient adopteacute des regravegles sur les prix de transfert UN Practical Transfer Pricing Manual for Developing Countries chap 1 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm) par 192 (laquo Manuel de lrsquoONU raquo)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 469

eacuteconomiques de chacune drsquoelles lrsquoacceptation de la norme sur le plan international et lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement reacutealiste106

En parallegravele ces mecircmes pays membres rejettent la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme solution de remplacement au principe de pleine concurrence Le refus agrave la diffeacuterence des lignes directrices de 1979 est exprimeacute de faccedilon cateacutegorique107 Loin drsquoecirctre entiegraverement nouveaux les principaux arguments invoqueacutes agrave lrsquoappui de ce refus soit les difficulteacutes lieacutees agrave la coordination et agrave la coopeacuteration internationales sur les formules preacuteeacutetablies agrave la deacutetermination de la composition du groupe multinational agrave la neacutecessiteacute drsquoun systegraveme comptable commun ainsi qursquoagrave lrsquoutilisation des formules arbitraires srsquoapparentent agrave ceux mentionneacutes au deacutebut des anneacutees 1930 dans les conclusions de lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices dirigeacutee par Carroll108

313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE

Agrave partir de 1995 les Principes directeurs sont lrsquoobjet drsquoune reacutevision permanente Durant la peacuteriode de 1996 agrave 1999 le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE srsquoaffaire notamment agrave formuler des Principes directeurs additionnels visant entre autres les services intragroupes les biens incorporels les accords de reacutepartition de coucircts et les accords preacutealables de prix Puis en 2010 lrsquoOCDE reacutevise en profondeur les chapitres I agrave III des Principes directeurs lesquels traitent du principe de pleine concurrence et des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert et ajoute le nouveau chapitre IX relatif aux prix de transfert des reacuteorganisations drsquoentreprises Deux sujets prioritaires preacuteoccupent lrsquoOCDE les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices et la reacutealisation de lrsquoanalyse de comparabiliteacute

Forte de lrsquoexpeacuterience acquise depuis 1995 dans lrsquoapplication des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices lrsquoOCDE abandonne la hieacuterarchie des meacutethodes de prix de transfert et recommande deacutesormais que la meacutethode de deacutetermination des prix de transfert choisie soit laquo la meacutethode la plus approprieacutee dans un cas speacutecifique raquo109 Virage important srsquoil en est un 106 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 17 18 113 et 114 107 Id par 114 et 358 agrave 374 108 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 109 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes de lrsquoOCDE applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales juillet 2010 (OECDiLibrary) (laquo Principes directeurs de 2010 raquo) par 22

470 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE ayant toujours accordeacute depuis 1979 la preacutefeacuterence aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles110 Quant aux analyses de comparabiliteacute lrsquoOCDE reconduit les indications geacuteneacuterales eacutenonceacutees au chapitre I relativement aux cinq critegraveres de comparabiliteacute et fournit dans le chapitre III reacuteviseacute des explications deacutetailleacutees au sujet du processus relatif agrave la reacutealisation de telles analyses lequel nrsquoinclut pas moins de neuf eacutetapes111

Les modifications de lrsquoOCDE sont calqueacutees grosso modo sur la position eacutenonceacutee dans les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code adopteacutes en juillet 1994 par le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis112 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous pouvons argumenter en faveur de lrsquoexistence drsquoune grande similitude entre drsquoune part certaines regravegles et meacutethodes preacutevues dans les lignes directrices de lrsquoOCDE publieacutees en 1979 1995 et 2010 et drsquoautre part les regraveglements ameacutericains qui ont trait aux prix de transfert Certains qui conjecturent sur cette similitude sont porteacutes agrave induire que celle-ci serait le fruit de la politique fiscale ameacutericaine deacutefendue dans les anneacutees 1960 par Stanley Surrey visant agrave propager les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et agrave les faire accepter dans les pays partout dans le monde comme regravegles de reacutepartition des beacuteneacutefices113

Agrave force de raffiner lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence les Principes directeurs de 2010 totalisent un nombre de pages presque quatre fois plus eacuteleveacute que les lignes directrices publieacutees en 1979114 Le cadre drsquoanalyse proposeacute par lrsquoOCDE est de plus en plus structureacute deacutetailleacute et complexe alors que les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent une importance de plus en plus grande Concept theacuteorique geacuteneacuteral au deacutepart il ne fait pas de doute que le principe de 110 ERNST amp YOUNG 2010 Global Transfer Pricing Survey Addressing the Challenges

of Globalization EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublication vwLUAssetsGlobal_transfer_pricing_survey_2010$FILE2010Globaltransferpricingsurvey_17Janpdf) p 13

111 Lrsquoobligation drsquoaccomplir une analyse de comparabiliteacute drsquoabord deacuteveloppeacutee dans les Principes directeurs de 1995 puis raffineacutee en 2010 nrsquoest pas preacutevue expresseacutement dans le texte du paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE

112 TD 8552 1994-2 CB 93 Sur ce point voir US DEPARTMENT OF THE TREASURY Report on the Application and Administration of Section 482 Washington 21 avril 1999 (en ligne httpwwwirsgovpubirs-pdfp3218pdf) chap 2 partie II section A

113 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 Voir eacutegalement J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 109

114 Le document reacuteviseacute en 2010 comporte 408 pages

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 471

pleine concurrence a gagneacute depuis en sophistication juridique et eacuteconomique115 Ainsi la tendance de lrsquoOCDE agrave la technicisation du principe de pleine concurrence manifesteacutee depuis un peu plus de 30 ans favorise le deacuteveloppement de multiples regravegles deacutetailleacutees souvent compliqueacutees couvrant des champs drsquoapplication de plus en plus pointus116

Le deacuteploiement est si consideacuterable que la somme des eacutenonceacutes des regravegles preacutecises et des meacutethodes speacutecifiques contribue de toute eacutevidence agrave nourrir le dogme de lrsquoapproche transactionnelle instaureacute par lrsquoOCDE pour appliquer le principe de pleine concurrence De plus cette tendance ne paraicirct pas vouloir disparaicirctre tant srsquoen faut dans un avenir rapprocheacute Nous pouvons deacutejagrave infeacuterer sans faire preuve drsquoune grande perspicaciteacute que la prochaine reacutevision des Principes directeurs augmentera assureacutement encore lrsquoeacutetendue des principes regroupeacutes dans la version publieacutee en 2010 car lrsquoOCDE poursuit des travaux dans drsquoautres projets drsquoenvergure notamment les prix de transfert des actifs incorporels et les aspects administratifs des prix de transfert

115 J OWENS preacuteciteacute note 67 p 3

laquo What began as a relatively straightforward expression of a simple principle has since developed into an increasingly sophisticated technical matter which involves both legal and economic concepts On the conceptual level an inherent and acknowledged difficulty is how to allocate profits to various parts of multinational enterprises as if they were independent parties while recognising that multinational enterprises are more than ever behaving globally On the more technical side we are seeing the development of increasingly sophisticated economic analysis of risks comparability adjustments intangible valuation etc This creates challenges for tax administrations ndash particularly in developing countries ndash and taxpayers alike as enforcement and compliance are becoming ever more complex and resource-intensive raquo

116 J Scott WILKIE laquo Reflecting on the ldquoArmrsquos Length Principlerdquo What is the ldquoPrinciplerdquo Where Next raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 137 (en ligne httplinkspringercom book101007978-3-642-25980-7page1) p 144

laquo The TPG [Transfer Pricing Guidelines] are not the armrsquos length principle But sometimes this is hard to tell [hellip] Together with countriesrsquo transfer pricing rules and practices the TPG are directed to and indeed have become consumed by methodological rules-based and often mechanical ldquoanalysesrdquo directed to somehow divining the ldquorightrdquo price for discrete transfers apparently similar to those involving outsiders It is then assumed that the aggregation of these outcomes should necessarily yield income satisfying the armrsquos length ldquoprinciplerdquo raquo

472 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

En somme les Principes directeurs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE au fil du temps revecirctent aujourdrsquohui un caractegravere pour ainsi dire sacreacute qui srsquoapparente agrave celui drsquoune bible117 Mecircme si les pays membres ne sont pas contraints du point de vue juridique de les appliquer118 les Principes directeurs sont pourvus drsquoune autoriteacute morale et constituent le seul guide international de reacutefeacuterence concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Cette assertion nrsquoest du moins qursquoen partie exacte puisque la reacutedaction drsquoun autre guide est en cours sous lrsquoeacutegide de lrsquoONU

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT

Degraves lrsquoadoption en 1979 du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU les pays membres de cette organisation internationale conviennent drsquoadheacuterer entiegraverement aux fins de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees au contenu descriptif deacuteveloppeacute par lrsquoOCDE relativement au principe de pleine concurrence119 Si bien que jusqursquoagrave maintenant les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement tentent de mettre en œuvre des Principes directeurs qui ne prennent pas en compte les inadeacutequations agrave la reacutealiteacute leacutegislative et eacuteconomique ni agrave la reacutealiteacute de la main-drsquoœuvre speacutecialiseacutee en fiscaliteacute des prix de transfert Pour pallier le deacutecalage entre la theacuteorie eacutelaboreacutee par lrsquoOCDE et sa mise en pratique lrsquoONU deacutecide en 2008 de se lancer agrave son tour dans la conception drsquoun manuel sur les regravegles de prix de transfert120

117 John J A BURKE laquo Re-Thinking First Principles of Transfer Pricing Rules raquo

(2011) vol 30 no 3 Virginia Tax Review 613 (Proquest ABIInform Complete) p 618

118 Voir la section 42 ci-dessous 119 Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 80 120 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration

internationale en matiegravere fiscale Manuel pratique des prix de transfert pour les pays en deacuteveloppement Note du Secreacutetariat Doc NU EC1820095 18 aoucirct 2009 (en ligne httpwwwunorgfrenchdocumentsview_docaspsymbol=E2Fc182F 20092F5ampSubmit=RechercheampLang=F) p 4 Plus preacuteciseacutement le projet de manuel est dirigeacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale un organe subsidiaire du Bureau du financement du deacuteveloppement du Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales (DAES) lequel fait partie du Secreacutetariat des Nations Unies

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 473

321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes directrices de lrsquoOCDE

Parmi les nombreux pays membres de lrsquoONU il y a des pays en deacuteveloppement sur le plan eacuteconomique financier et social Certains sont deacutesigneacutes officiellement comme les pays les moins avanceacutes121 tandis que drsquoautres se voient attribuer de maniegravere informelle lrsquoappellation laquo pays eacutemergents raquo122 Ces derniers dont la situation tend vers celle des pays deacuteveloppeacutes qui avait cours dans les anneacutees 1970 agrave 1990123 profitent de la mondialisation des marcheacutes et jouissent drsquoune croissance eacuteconomique rapide Comme les Principes directeurs sont conccedilus par lrsquoOCDE agrave lrsquointention speacutecifique des pays deacuteveloppeacutes les administrations fiscales et les entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales dans les pays en deacuteveloppement se mesurent en particulier agrave deux principaux eacutecueils pour fixer les prix de cession interne transfrontaliers124

Premiegraverement lrsquoexercice de trouver des transactions comparables aux fins de la mise en pratique de la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence se reacutevegravele ardu voire impossible pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales des pays en deacuteveloppement En fait le marcheacute inteacuterieur restreint dont disposent ces pays justifie naturellement lrsquoabsence de transaction comparable Eacutetant donneacute lrsquoimportance accordeacutee agrave la meacutethode transactionnelle du prix comparable sur le marcheacute libre par lrsquoOCDE depuis 1979 dans les Principes directeurs ce premier

121 Voir la liste eacutetablie en 2012 par le Conseil eacuteconomique et social des Nations Unies

(ECOSOC) laquelle est mise agrave jour tous les trois ans et qui comprend actuellement 48 pays principalement des pays drsquoAfrique UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT The Least Developed Countries Report 2012 Doc NU UNCTADLDC2012 (en ligne httpunctadorgenPublicationsLibrary ldc2012_enpdf) p iii

122 Notamment lrsquoAfrique du Sud le Breacutesil la Reacutepublique populaire de Chine lrsquoInde et lrsquoIndoneacutesie lesquels font drsquoailleurs lrsquoobjet drsquoun programme drsquolaquo engagement renforceacute raquo de lrsquoOCDE Agrave ce sujet voir le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorgfraproposmembresetpartenaires Toutefois il nrsquoexiste pas de deacutefinition eacuteconomique formelle du concept de pays eacutemergents ANONYME laquo Les pays eacutemergents dans le monde raquo Le Monde 25 janvier 2010 (en ligne httpwwwlemondefreconomiearticle20100125les-pays-emergents-dans-le-monde_1296196_3234html)

123 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1810 124 Les difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont cours dans les pays

deacuteveloppeacutes voir la section 41 ci-dessous Toutefois elles sont davantage criantes dans les pays en deacuteveloppement

474 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacutecueil constitue de loin la difficulteacute la plus grave pour les entreprises multinationales et les administrations fiscales Et pour cause lrsquoampleur de la tacircche srsquoapparenterait au fait de chercher une aiguille dans une botte de foin125

Deuxiegravemement la complexiteacute et le coucirct en temps requis pour appliquer les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence posent un lourd deacutefi aux administrations fiscales des pays en deacuteveloppement Il va sans dire que le caractegravere hautement theacuteorique des Principes directeurs de lrsquoOCDE ne facilite en rien lrsquoapplication pratique dans le contexte convenu de veacuterifications au cas par cas drsquoune meacutethode plutocirct qursquoune autre Vu lrsquoabsence de transaction comparable la rareteacute de lrsquoexpertise en matiegravere de prix de transfert dans les administrations fiscales complique encore davantage la fixation des prix de transfert en ce qursquoelle entrave lrsquoindispensable analyse des eacuteleacutements factuels propre agrave chaque cas

322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de lrsquoONU

Amorceacutes en 2009 les travaux du sous-comiteacute chargeacute des questions pratiques sur les prix de transfert ont pour but de concevoir un manuel agrave lrsquointention des administrations fiscales des pays en deacuteveloppement plus pratique que les Principes directeurs de lrsquoOCDE Le projet de manuel srsquoappuie sur la preacutemisse tenue pour certaine du bien-fondeacute et de la pertinence du principe de pleine concurrence eacutenonceacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices Approuveacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale agrave lrsquoautomne 2012126 il aborde diffeacuterents problegravemes auxquels sont confronteacutes les pays en deacuteveloppement y compris le manque de donneacutees comparables lrsquoinsuffisance de personnel posseacutedant des connaissances speacutecialiseacutees en matiegravere de prix de transfert et la croissance de lrsquoeacuteconomie intangible

125 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1107 126 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax

Matters Eighth Session Note on UN Transfer Pricing Manual for Developing Countries Doc NU EC182012CRP1 2 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 475

Dans un style de reacutedaction plus simple et plus clair que celui utiliseacute par lrsquoOCDE lrsquoONU srsquoefforce de vulgariser les concepts pertinents au domaine des prix de transfert agrave lrsquointeacuterieur des 10 chapitres du nouveau manuel dont le texte est deacutejagrave disponible en ligne127 Les efforts des nombreux reacutedacteurs provenant des cinq continents du monde soit des praticiens de pratique priveacutee quelques universitaires et des officiers gouvernementaux sont agrave cet eacutegard notables128 Crsquoest ainsi que les paragraphes sont tregraves courts et fournissent plusieurs exemples des tableaux et des scheacutemas

Par ailleurs les objectifs poursuivis par ce manuel deacutebordent lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence Outre notamment la simplification des notions et concepts en termes concrets et la preacutesentation drsquoexemples pratiques pour illustrer la theacuteorie lrsquoONU propose du point de vue juridique et administratif une deacutemarche globale pour aider les pays en deacuteveloppement agrave reacutediger un projet de loi sur les prix de transfert129 agrave organiser des services au sein des administrations fiscales pour deacuteterminer les prix de transfert130 et agrave instaurer des programmes de veacuterification des prix de transfert131

127 Ce manuel comme les Principes directeurs de lrsquoOCDE ne traite pas de lrsquoaspect

historique du principe de pleine concurrence 128 Drsquoaucuns soulegravevent la deacutelicate question de la soi-disant apparence drsquoindeacutependance

drsquoesprit et drsquoimpartialiteacute des reacutedacteurs qui sont des praticiens de pratique priveacutee et dont les inteacuterecircts financiers en tant que professionnels pourraient potentiellement aller agrave lrsquoencontre du mandat confieacute au Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale pour ce qui concerne le controcircle des coucircts de conformiteacute aux regravegles sur les prix de transfert Michael C DURST exprime lrsquoopinion dans laquo OECD UN Tax Panel Need to Preserve Their Independence raquo (2011) 130 Tax Notes 1603 (Tax Analysts) que les pays membres de lrsquoONU devraient exiger que ce Comiteacute puisse beacuteneacuteficier du personnel neacutecessaire afin de mener de maniegravere autonome les travaux relatifs au manuel sur les regravegles de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement sans recourir agrave lrsquoaide beacuteneacutevole de praticiens

129 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 3 130 Id chap 4 131 Id chap 8

476 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Ouvrage inacheveacute il sera reacuteviseacute au besoin et abordera lors de la seconde phase du projet le sujet des biens incorporels et des services132 De toute eacutevidence la reacutedaction par lrsquoONU drsquoun guide drsquoapplication du principe de pleine concurrence pour venir en aide aux pays en deacuteveloppement donne ouverture agrave la possibiliteacute de positions divergentes de celles de lrsquoOCDE quant agrave lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du concept de pleine concurrence Il nrsquoest pas deacuteraisonnable drsquoavancer que les reacutepercussions eacuteventuelles de la premiegravere incursion de lrsquoONU dans la chasse gardeacutee de lrsquoexpertise deacuteveloppeacutee par lrsquoOCDE en ce qui concerne le principe de pleine concurrence pourraient inclure une possible lutte de pouvoir agrave venir entre les deux organisations intergouvernementales Cela est drsquoautant plus probable que dans lrsquoavenir de plus en plus de pays en deacuteveloppement drsquoAfrique et drsquoAsie concluront des conventions fiscales bilateacuterales

Nul doute que lrsquoOCDE et lrsquoONU exercent aujourdrsquohui une autoriteacute manifeste de plus en plus grande dans le domaine de la fiscaliteacute agrave lrsquoeacutechelon international133 Avec le concours de lrsquoOCDE le principe de pleine concurrence devient apregraves la Seconde Guerre mondiale la seule reacutefeacuterence normative internationale autant pour les pays deacuteveloppeacutes que pour les pays en deacuteveloppement afin drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees entre les juridictions fiscales et ce agrave la deacutefaveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices De plus lrsquoexamen du contexte historique permet de conclure que lrsquoascension de la pratique administrative nationale de la meacutethode de la comptabiliteacute distincte au rang de standard leacutegislatif national srsquoest opeacutereacutee en deux phases sous lrsquoinfluence preacutepondeacuterante des Eacutetats-Unis Drsquoabord la SDN dans les anneacutees 1930 et ensuite lrsquoOCDE dans les anneacutees 1960 srsquoapproprient des pratiques administratives et reacuteglementaires du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain sur les prix de transfert

Les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale et les lignes directrices conccedilus par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE et le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale de lrsquoONU ont eu au XXe siegravecle une influence deacutecisive sur lrsquoeacutelaboration et lrsquoapplication

132 UNITED NATIONS preacuteciteacute note 126 pp 2-3 Toutefois en lrsquoabsence de

renseignements preacutecis sur les intentions futures de lrsquoONU les auteurs ne peuvent affirmer que cette derniegravere a pour but immeacutediat ou eacuteventuel de modifier le dogme en fonction de la reacutealiteacute eacuteconomique des pays de lrsquoONU

133 ERNST amp YOUNG 2011-2012 Tax Risk and Controversy Survey A New Era of Global Risk and Uncertainty EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublicationvwLUAssets20112012_Tax_risk_and_controversy_survey$FILE2011-2012_Tax_risk_and_controversy_surveypdf) p 20

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 477

des regravegles leacutegislatives et des pratiques administratives des gouvernements nationaux Ils continuent drsquoavoir au deacutebut du XXIe siegravecle la mecircme influence deacutecisive mais des organisations non gouvernementales telles Christian Aid134 Actionaid135 et Tax Justice Network136 jouent un rocircle de plus en plus actif qui contrebalance le soutien dont font lrsquoobjet aupregraves de lrsquoOCDE les inteacuterecircts des entreprises multinationales et des pays deacuteveloppeacutes137 De plus ces organisations participent agrave remettre en question la pertinence du critegravere du principe de pleine concurrence et son application dans le monde drsquoaujourdrsquohui

Deuxiegraveme partie minus Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour drsquoune norme internationale

Degraves le deacutebut des anneacutees 1970 la controverse autour du principe de pleine concurrence bat son plein aux Eacutetats-Unis138 Drsquoores et deacutejagrave les experts 134 Organisme de bienfaisance enregistreacute au Royaume-Uni Christian Reconstruction

dont le nom a eacuteteacute remplaceacute par Christian Aid en 1964 est creacuteeacute dans les anneacutees 1940 afin de combattre la pauvreteacute Pour plus de renseignements voir en ligne httpwwwchristianaidorgukaboutuswhohistoryindexaspx

135 Fondeacute en 1972 en Grande-Bretagne ActionAid alors appeleacute Action in Distress cherche agrave enrayer la pauvreteacute dans le monde Le siegravege social est situeacute en Afrique du Sud depuis 2003 Source en ligne httpwwwactionaidorgintl=

136 Tax Justice Network (Reacuteseau mondial pour la justice fiscale) est une organisation internationale indeacutependante sans but lucratif creacuteeacutee en 2003 et immatriculeacutee conformeacutement agrave la loi de la Belgique Elle cherche agrave promouvoir la justice fiscale et la coopeacuteration fiscale ainsi qursquoagrave combattre lrsquoeacutevitement fiscal lrsquoeacutevasion fiscale et la concurrence fiscale Les conseillers principaux de lrsquoorganisation consistent en les suivants Jack Blum avocat œuvrant pour le cabinet Baker Hostetler agrave Washington Michael J McIntyre professeur de droit au Wayne State University des Eacutetats-Unis Richard Murphy comptable agreacuteeacute directeur du Tax Research LLP au Royaume-Uni Sol Picciotto professeur eacutemeacuterite de droit agrave lrsquoUniversiteacute Lancaster au Royaume-Uni Prem Sikka professeur de comptabiliteacute agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEssex au Royaume-Uni David Spencer avocat agrave New York speacutecialiseacute en droit fiscal et bancaire Oscar Ugarteche eacuteconomiste agrave lrsquoInstitute of Economic Research de lrsquoUniversidad Nacional Autoacutenoma de Mexico et Edmund Valpy Fitzgerald professeur en deacuteveloppement international agrave lrsquoUniversiteacute drsquoOxford au Royaume-Uni Pour plus de deacutetails voir en ligne httpwwwtaxjusticenetcmsfront_contentphpidcat=81ampidart=96ampclient= 1ampchangelang=1

137 M C DURST preacuteciteacute note 128 p 1604 138 Ayant fait le choix de traiter le principe de pleine concurrence uniquement du point de

vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont donc pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays de lrsquoOCDE ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales Pour ce qui concerne le Canada

(agrave suivrehellip)

478 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en fiscaliteacute les entreprises multinationales lrsquoadministration fiscale ameacutericaine ndash lrsquoIRS ndash et les tribunaux deacutesapprouvent lrsquoimpreacutevisibiliteacute ainsi que la subjectiviteacute des prix de transfert des socieacuteteacutes lieacutees deacutetermineacutes en vertu de lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et surtout des premiers regraveglements adopteacutes en 1968139 Lrsquoeacutelaboration de ces regraveglements un terreau leacutegislatif propice aux deacutebats donne suite agrave lrsquoentente sur les mesures leacutegislatives conclue en 1962 entre la Chambre des repreacutesentants ndash qui initialement proposait lrsquoinstauration de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee agrave lrsquoeacutegard des cessions internes de biens corporels ndash et le Seacutenat140

Puis dans la peacuteriode 1985-1995141 cette controverse prend de lrsquoampleur agrave la suite de lrsquoadoption des propositions de regraveglements modifieacutes concernant la reacuteforme fiscale ameacutericaine de 1986 notamment de la regravegle de la meilleure meacutethode de deacutetermination des prix de transfert et de la publication en 1995 des lignes directrices reacuteviseacutees de lrsquoOCDE sur lrsquoapplication du principe de pleine concurrence142 Les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

(hellipsuite)

lrsquoanalyse du deacuteveloppement leacutegislatif des regravegles canadiennes sur les prix de transfert permet de conclure que ce dernier a adheacutereacute au principe de pleine concurrence en plusieurs eacutetapes et ce sur une peacuteriode de plus de 40 ans (1952-1998) sans qursquoil existe de controverse analogue agrave celle ayant cours aux Eacutetats-Unis Notamment lrsquointroduction de lrsquoarticle 247 de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu (LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo)) qui srsquoapplique aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves 1997 et remplace les paragraphes 69(2) et 69(3) LIR marque lrsquointeacutegration formelle du principe de pleine concurrence dans la loi canadienne

139 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE Report to the Chairman House Committee on Ways and Means laquo IRS Could Better Protect US Tax Interests in Determining the Income of Multinational Corporations raquo 1981 (en ligne httparchivegaogovf0102116575pdf) pp 43-47

140 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25 Michael C DURST et Robert E CULBERTSON laquo Clearing Away the Sand Retrospective Methods and Prospective Documentation in Transfer Pricing Today raquo (2003-2004) vol 57 no 1 Tax Law Review 37 (HeinOnline Law Journal Library) pp 48-52 Michael C DURST laquo OECD Guidelines Causes and Consequences raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 129-130

141 Peacuteriode deacutesigneacutee sous le vocable de laquo partie de bras de fer raquo entre le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis et plusieurs gouvernements des pays eacutetrangers ainsi que les entreprises multinationales M C DURST preacuteciteacute note 140 p 128

142 Id pp 61-90 Stanley I LANGBEIN laquo Cognitive Capture Parliamentary Parentheses and the Rise of Fractional Apportionment raquo (2010) vol 39 no 10

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 479

marquent momentaneacutement des points sur le terrain de la politique une reacutesolution en faveur drsquoun changement du paradigme existant est adopteacutee en 1994 par le Seacutenat ameacutericain agrave lrsquoinitiative du seacutenateur deacutemocrate Dorgan143 lequel considegravere le principe de pleine concurrence comme un vestige du passeacute permettant aux entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales aux Eacutetats-Unis de payer peu drsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou de nrsquoen payer aucun144

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU

COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES

BEacuteNEacuteFICES

Plus de 15 ans apregraves le deacutebut de la partie de bras de fer aux Eacutetats-Unis des universitaires et des praticiens de pratique priveacutee continuent dans la deacutecennie 2000-2010 de contester lrsquoefficaciteacute de la reacuteglementation ameacutericaine Certains se prennent mecircme drsquoengouement pour lrsquoideacutee drsquoappliquer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie au niveau national145 Agrave vrai dire la revue de la litteacuterature ameacutericaine montre que les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont plus nombreux agrave prendre la plume que les deacutefenseurs du principe de pleine concurrence Deux courants drsquoopinions en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se dessinent parmi les principaux acteurs de

(hellipsuite)

Tax Management International Journal 567 (ProQuest AbINFORM Global) pp 571-573

143 Eugene E LESTER laquo International Transfer Pricing Rules Unconventional Wisdom raquo (1995) vol 2 ILSA Journal of International amp Comparative Law 283 (HeinOnline Law Journal Library) p 294

144 Byron L DORGAN laquo Dorgan Tells Treasury to Reject OECD Draft on Transfer Pricing raquo 94 Tax Notes International 190-27 (Tax Analysts) Dans une correspondance eacutecrite il srsquoadresse comme suit au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

laquo There are many members of Congress tax experts and tax administrators who share my view that this massive tax avoidance by large international firms is perpetuated by the Treasury Departmentrsquos adherence to the ldquoarms lengthrdquo standard As you know I have advocated that we replace this nineteenth-century relic with a simple formula approach similar to that used by the several states in the United States to determine the income of foreign-based corporations operating within their borders raquo

145 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 572

480 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

la controverse certains exigent une reacuteforme du systegraveme actuel et drsquoautres une simple retouche

Drsquoune part les deacutefenseurs de la reacuteforme (laquo les reacuteformateurs raquo) lesquels clament lrsquoeacutechec du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence en invoquant ses lacunes importantes suggegraverent de le remplacer par un systegraveme fondeacute sur le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux146 Ce dernier srsquoeacutecarte du principe de pleine concurrence car lrsquoobjectif annonceacute semble ecirctre drsquoobtenir une reacutepartition juste des beacuteneacutefices totaux sans tenir compte du comportement du marcheacute147 Les reacuteformateurs se fondent agrave cette fin sur lrsquoexpeacuterience de gouvernements infranationaux notamment les Eacutetats ameacutericains et les provinces canadiennes comme modegravele drsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices148

Drsquoautre part les partisans de la retouche (laquo les conservateurs raquo) promeuvent le maintien du principe de pleine concurrence tout en deacutefendant lrsquoideacutee de lrsquoinstauration ndash par un pays de maniegravere unilateacuterale dans les

146 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo 2009 (en ligne

httpwwwtaxjusticenetcmsuploadpdfTP_in_developing_countriespdf) Reuven S AVI-YONAH laquo The Rise and Fall of Armrsquos Length A Study in the Evolution of US International Taxation raquo (1995) vol 15 Virginia Tax Review 89 (HeinOnline Law Journal Library) Reuven S AVI-YONAH Kimberly A CLAUSING et Michael C DURST laquo Allocating Business Profits for Tax Purposes A Proposal to Adopt a Formulary Profit Split raquo (2008-2009) vol 9 no 5 Florida Tax Review 497 (HeinOnline Law Journal Library) Steve CHRISTENSEN laquo Formulary Apportionment More Simple minus on Balance Better raquo (1996-1997) vol 28 no 4 Law amp Policy in International Business 1133 (HeinOnline Law Journal Library) Kimberley A CLAUSING et Reuven S AVI-YONAH laquo The Hamilton Project Reforming Corporate Taxation in a Global Economy A Proposal to Adopt Formulary Apportionment raquo University of Michigan Public Law and Legal Theory Working Paper No 85 2007 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id= 995202) E E LESTER preacuteciteacute note 143 Michael MAZEROV laquo Why Armrsquos Length Falls Short raquo vol 5 no 2 International Tax Review 28 (HeinOnline Law Journal Library) Martin A SULLIVAN laquo Economic Analysis Transfer Pricing Abuse Is Job-Killing Corporate Welfare raquo (2010) 128 Tax Notes 461 (Tax Analysts) R VANN preacuteciteacute note 35 J M WEINER preacuteciteacute note 1

147 S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 415 148 Michael C DURST laquo Itrsquos Not Just Academic The OECD Should Reevaluate

Transfer Pricing Laws raquo (2010) 57 Tax Notes International 247 (Tax Analysts) p 253 Joann Martens WEINER laquo Formulary Apportionment and Group Taxation In the European Union Insights From the United States and Canada raquo Working Paper No 8 2005 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocuments taxationgen_infoeconomic_analysistax_papers2004_2073_EN_web_final_versionpdf) pp 10-15

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 481

conventions fiscales bilateacuterales dont il est signataire ou encore par lrsquoOCDE ndash drsquoune gamme de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert Outre les meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave applicables cette gamme inclurait la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique preacuteeacutetablie149 Au contraire des reacuteformateurs les conservateurs cherchant plutocirct agrave faire contrepoids au deacutebat ne cristallisent pas la polariteacute du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale illimiteacutee des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie150 Ils se reacuteclament de lrsquoideacutee du continuum de meacutethodes formuleacutee par un groupe drsquoexperts en fiscaliteacute lors drsquoune confeacuterence sur les prix de transfert en 1993 qui preacutesuppose que les meacutethodes de pleine concurrence et la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices ne sont pas des meacutethodes antinomiques151

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES

CRITIQUES ET DES CONJECTURES

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale les reacuteformateurs et les conservateurs deacutecrient tous les lacunes les plus importantes du principe de pleine concurrence sur les plans theacuteorique et pratique pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Ils signalent au total quatre failles principales les critiques formuleacutees eacutetant en substance les mecircmes que celles deacutejagrave exprimeacutees dans les anneacutees 1970 Crsquoest donc dans un esprit de continuiteacute que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se preacutesente volontiers aux

149 V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 25 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146

p 93 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 pp 519-522 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 304-305 J LI preacuteciteacute note 92 pp 857-867 Michael McINTYRE laquo Contrasting Methodologies A Systematic Presentation of the Differences Between an Armrsquos-LengthSource-Rule System and a Combined-ReportingFormulary-Apportionment System raquo 1994 (en ligne httpfacultylawwayneedumcintyretextmcintyre_articlesMultistatecontrasting_methodpdf) Actuellement lrsquoOCDE et lrsquoONU nrsquoadmettent que deux cateacutegories de meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert qui satisfont au principe de pleine concurrence les meacutethodes traditionnelles fondeacutees sur les transactions (depuis 1979) et les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices (depuis 1995) Selon les conservateurs lrsquoapplication de la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux serait restreinte aux transactions pour lesquelles il nrsquoexiste pas de transaction comparable

150 E E LESTER preacuteciteacute note 143 p 304 151 Brian J ARNOLD et Thomas E McDONNELL laquo Report on the Invitational

Conference on Transfer Pricing The Allocation of Income and Expenses Among Countries raquo (1993) vol 41 no 5 Revue fiscale canadienne 899-922 (Taxfind) p 905

482 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteformateurs comme la panaceacutee aux difficulteacutes de la reacutepartition internationale de lrsquoassiette fiscale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees

411 Les failles du concept de pleine concurrence selon les acteurs de la controverse

Premiegraverement le principe de pleine concurrence repose sur une hypothegravese ndash les socieacuteteacutes lieacutees transigent entre elles comme si elles eacutetaient des socieacuteteacutes indeacutependantes ndash qui ne tient pas compte de lrsquointerdeacutependance et de lrsquointeacutegration des opeacuterations des entreprises multinationales modernes Partant elle constitue une limite systeacutemique gecircnant la prise en consideacuteration des beacuteneacutefices reacutesiduels deacutecoulant de lrsquointernalisation des synergies ou des eacuteconomies drsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire les beacuteneacutefices qui ne reacutesultent pas drsquoactiviteacutes eacuteconomiques dont la source geacuteographique peut ecirctre identifieacutee152 Mecircme si pour lrsquoOCDE le prix de pleine concurrence repreacutesente par rapport aux conditions normales du marcheacute la meilleure estimation de la reacutealiteacute eacuteconomique drsquoune socieacuteteacute membre drsquoune entreprise multinationale qui fait des affaires avec des socieacuteteacutes lieacutees il nrsquoy a pas en fait de critegraveres objectifs geacuteneacuteralement admis pour attribuer les eacuteconomies drsquoeacutechelle et les avantages agrave

152 Reuven S AVI-YONAH et Ilan BENSHALOM laquo Formulary Apportionment Myths

and Prospects ndash Promoting Better International Tax Policy by Utilizing the Misunderstood and Under-Theorized Formulary Alternative raquo University of Michigan Law School Empirical Legal Studies Center Paper No 10-029 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id=1693105) chap I section C J J A BURKE preacuteciteacute note 117 pp 619-620 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1159-1158 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 124 Robert A GREEN laquo The Future of Source-Based Taxation of the Income of Multinational Enterprises raquo (1993) 79 Cornell Law Review 18 (HeinOnline Law Journal Library) p 46 Walter HELLERSTEIN laquo Income Allocation in the 21st Century the End of Transfer Pricing The Case for Formulary Apportionment raquo (2005) International Transfer Pricing Journal 103 p 108 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 653-655 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 295-297 J LI preacuteciteacute note 92 pp 834-835 Jinyan LI laquo Soft Law Hard Realities and Pragmatic Suggestions Critiquing the OECD Transfer Pricing Guidelines raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 82-83 Julie ROIN laquo Can the Income Tax Be Saved The Promise and Pitfalls of Adopting Worlwide Formulary Apportionment raquo (2008) vol 61 no 3 Tax Law Review 169 (Hein Online Law Journal Library) p 185 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo preacuteciteacute note 146 chap 7 section 712 Jens WITTENDORFF laquo The Armrsquos-Length Principle and Fair Value Identical Twins or Just Close Relatives raquo (2011) 62 Tax Notes International 223 (Tax Analysts) pp 239-240

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 483

lrsquointeacutegration entre les entreprises lieacutees153 Qui plus est la deacutetermination transaction par transaction de la source de revenus des socieacuteteacutes lieacutees se reacutevegravele sur le plan theacuteorique fort discutable et en pratique difficile agrave trouver vu que les activiteacutes eacuteconomiques transfrontaliegraveres des groupes drsquoentreprises multinationales sont aujourdrsquohui de plus en plus organiseacutees et coordonneacutees agrave lrsquointeacuterieur mecircme de ces groupes154

Ainsi les entreprises multinationales ne transigent pas comme le font les socieacuteteacutes non lieacutees En regravegle geacuteneacuterale ce sont des organisations qui effectuent des transactions intragroupes avant ou apregraves avoir ajouteacute dans au moins un pays eacutetranger ougrave elles deacutetiennent des actifs une valeur aux biens produits ou aux services rendus155 Selon la theacuteorie eacuteconomique de la firme deacuteveloppeacutee initialement par Coase le but preacutecis de la formation des entreprises multinationales consiste agrave reacuteduire les coucircts autrement engageacutes dans un marcheacute libre ndash par exemple les frais de recherche et de deacuteveloppement les frais drsquoexploitation les coucircts pour obtenir des renseignements ainsi que les frais de gestion et les frais financiers ndash en tirant parti drsquoune coordination interne des deacutecisions et des orientations strateacutegiques concernant lrsquoensemble du groupe ce qui permet de maximiser les beacuteneacutefices totaux156

Deuxiegravemement il est difficile voire impossible pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales de trouver en pratique des donneacutees concernant des transactions conclues sur le marcheacute libre entre des socieacuteteacutes tierces qui sont suffisamment comparables agrave celles conclues entre des socieacuteteacutes lieacutees157 Crsquoest que posteacuterieurement agrave la Deuxiegraveme Guerre mondiale la nature des cessions internes transfrontaliegraveres

153 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 110 et 114 154 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 109 155 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 3 156 Richard J VANN laquo Taxing International Business Income Hard-Boiled Wonderland

and the End of the World raquo (2010) vol 2 no 3 World Tax Journal 291 (IBFD Tax Research Platform) pp 293-294

157 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 503 Michael C DURST laquo The Two Worlds of Transfer Pricing Policymaking raquo (2011) 61 Tax Notes International 439 (Tax Analysts) p 439 M C DURST preacuteciteacute note 148 p 249 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 pp 27-36 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 183 Dans lrsquoarticle laquo With Billions at Stake Glaxo Puts APA Program on Trial raquo (2004) 103 Tax Notes 388 (Tax Analysts) Martin SULLIVAN ironise agrave la page 389 sur les embucircches relatives aux donneacutees comparables laquo Administering the armrsquos length method without comparables is like playing hockey without a puck raquo

484 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

srsquoest complexifieacutee du fait du processus continu drsquointeacutegration des entreprises multinationales158 Aussi les eacutechanges entre les socieacuteteacutes lieacutees se rapportent-ils deacutesormais agrave des biens intermeacutediaires agrave des biens incorporels uniques de grande valeur et agrave des services speacutecialiseacutes et non pas seulement agrave des matiegraveres premiegraveres et agrave des produits agricoles industriels ndash par exemple les meacutetaux le peacutetrole le bleacute le cafeacute le theacute et le caoutchouc ndash dont le prix est deacutejagrave fixeacute sur le marcheacute libre LrsquoOCDE reconnaicirct neacuteanmoins dans ces cas preacutecis la difficulteacute drsquoapplication du principe de pleine concurrence159

Troisiegravemement lrsquoapplication du principe de pleine concurrence est devenue un veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Objets drsquoun deacuteveloppement freacuteneacutetique au cours des 15 derniegraveres anneacutees160 les lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE se font de plus en plus complexes si bien que dans les circonstances lrsquoanalyse au cas par cas contribue agrave accroicirctre lrsquoincertitude relative aux prix de transfert161 Il srsquoen trouve mecircme qui preacutetendent que le principe de pleine concurrence rencontre aujourdrsquohui les limites de son deacuteveloppement

158 M C DURST preacuteciteacute note 140 illustre aux pages 124-125 la situation comme suit

laquo The fact is that in many industries in many markets only integrated multi-national commonly controlled businesses are active in the market because a non-integrated structure would be too costly to survive

This means that as a general rule for transactions entered into among members of commonly controlled groups ndash that is the very transactions for which transfer pricing rules are needed ndash ldquouncontrolled comparablesrdquo as we transfer pricing practitioners call them simply do not exist Even when say a company sells to an affiliate a commodity ndash say a bushel of wheat of a specified grade and at a specific location ndash the economically correct price is different from that in an identical sale between unrelated parties because the sale exposes the unrelated parties to costs and risks that the commonly controlled parties do not bear And of course once the product is more differentiated than a barrel of oil or a bushel of wheat the notion of comparability is even more implausible raquo

159 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 19 160 Les lignes directrices contenues dans les Principes directeurs de 2010 id comportent

plus de 400 pages mais nrsquoen comptaient il y a 30 ans que 100 Voir la section 3 ci-dessus

161 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505 M C DURST preacuteciteacute note 148 pp 249-250 De lrsquoopinion de Byron L Dorgan seacutenateur deacutemocrate ameacutericain laquo [t]he whole armrsquos length approach is to go back and reconstruct transactions It is like taking a giant plate of spaghetti and trying to separate each noodle Thatrsquos the audit test raquo John TURRO laquo TNI Interviews Senator Byron L Dorgan On Formulary Apportionment raquo 94 Tax Notes International 243-5

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 485

consideacuterant que les regravegles leacutegislatives nationales et les Principes directeurs de lrsquoOCDE mettent surtout lrsquoaccent sur des critegraveres externes aux entreprises multinationales soit les donneacutees comparables difficiles agrave obtenir et que les meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices ne sont en reacutealiteacute que la variante moderne de la meacutethode empirique appliqueacutee par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930162 Le domaine des prix de transfert a geacuteneacutereacute par la force des choses une veacuteritable industrie de professionnels speacutecialiseacutes soit des avocats des comptables et des eacuteconomistes qui offrent aux entreprises multinationales geacuteneacuteralement dans de grands cabinets internationaux des services relatifs agrave la planification agrave la documentation et agrave la reacutesolution des litiges Faute de ressources humaines et technologiques suffisantes pour deacuteterminer les prix de transfert conformeacutement aux lignes directrices de lrsquoOCDE les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement sont deacutepasseacutees par lrsquoexpertise des entreprises multinationales et de leurs conseillers externes163

Quatriegravemement le fait pour les administrations fiscales de respecter la liberteacute contractuelle164 sert les manipulations des prix de transfert effectueacutees par les entreprises multinationales Ces derniegraveres peuvent donc leacutegitimement deacuteplacer des actifs et des risques agrave des socieacuteteacutes qui reacutesident dans des refuges fiscaux pour eacuteviter de payer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices dans des juridictions fiscales dont le taux drsquoimposition est eacuteleveacute165 Deacutecrites dans les meacutedias ameacutericains comme laquo la technique des prix de transfert raquo les manipulations en particulier les transferts transfrontaliers drsquoactifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis constituent la source principale des litiges fiscaux en matiegravere de prix de transfert166 Les planifications fiscales conformes aux regravegles sur 162 H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 39 163 ACTIONAID Calling Time Why SABMiller Should Stop Dodging Taxes in Africa

2010 (en ligne httpwwwactionaidorgukdoc_libcalling_time_on_tax_ avoidancepdf) p 28 ANONYME laquo UN Delegates Split on the Armrsquos Length Standard and Apportionment raquo TP Week 19 janvier 2010 Voir la section 32 du preacutesent texte

164 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 136-141 165 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505

M C DURST preacuteciteacute note 157 p 444 Michael C DURST laquo Congress Fix Transfer Pricing and Protect US Competitiveness raquo (2010) 128 Tax Notes 401 (Tax Analysts) pp 401-402

166 JOINT COMMITTEE ON TAXATION Present Law and Background Related to Possible Income Shifting and Transfer Pricing (JCX-37-10) 20 juillet 2010 (en ligne httpwwwjctgovpublicationshtmlfunc=startdownampid=3692) pp 31-34 Voir aussi Jesse DRUCKER laquo US Companies Dodge $ 60 Billion in Taxes With Global Odyssey raquo 13 mai 2010 (en ligne httpwwwbloombergcomnewsprint2010-05-

(agrave suivrehellip)

486 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence occasionneraient des pertes de recettes fiscales gigantesques pour le fisc ameacutericain Dans la litteacuterature ameacutericaine lrsquoampleur de lrsquoeacutevitement fiscal fait lrsquoobjet drsquoune estimation dont le montant varie de 28 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2007 agrave 60 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2004 et qui reacutesulte en geacuteneacuteral drsquoun examen comparatif des statistiques sur lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger des entreprises multinationales ameacutericaines avec celles sur lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger167 Drsquoougrave les eacutelans agrave lrsquoeacutegard du paradigme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices chez les reacuteformateurs qui y voient un moyen strateacutegique de contrer les failles theacuteoriques et pratiques du principe de pleine concurrence

412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse

Les reacuteformateurs preacutetendent que la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comporte de nombreux avantages sur le principe de pleine concurrence En premier lieu ils mettent en avant la simpliciteacute accrue du concept Comme le

(hellipsuite)

13american-companies-dodge-60-billion-in-taxes-even-tea-party-would condemnhtml) Le journaliste expose la laquo technique des prix de transfert raquo qui permet aux socieacuteteacutes pharmaceutiques ameacutericaines minus telles Forest Laboratories Inc Oracle Corp Eli Lilly amp Co et Pfizer Inc minus drsquoeacuteviter de payer en toute leacutegaliteacute des impocircts au fisc ameacutericain agrave lrsquoaide de transactions purement theacuteoriques Notamment Forest Laboratories Inc utilise des filiales reacutesidentes de lrsquoIrlande (planification appeleacutee Double Irish laquelle implique lrsquoutilisation de deux filiales irlandaises dont lrsquoune est reacutesidente des Bermudes) des Bermudes et des Pays-Bas (planification appeleacutee Dutch Sandwich une variante du Double Irish en vertu de laquelle une filiale neacuteerlandaise nrsquoayant aucun employeacute sert agrave acheminer les paiements entre les deux filiales irlandaises)

167 David S MILLER laquo How US Tax Law Encourages Investment Through Tax Havens raquo (2011) 131 Tax Notes 167 (Tax Analysts) p 170 Testimony of Martin A Sullivan Economist and Contributing Editor Tax Analysts before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovuploadedfilessullivan_written_testimony_wm_jan_20pdf) (laquo Sullivan raquo) pp 5-6 En ce qui concerne les pays en deacuteveloppement Christian Aid estime les pertes de recettes fiscales corporatives attribuables agrave lrsquoeacutevasion fiscale en particulier la surfacturation et la sous-facturation agrave dessein des prix de transfert (transfer mispricing) ainsi que la facturation mensongegravere entre les socieacuteteacutes non lieacutees (false invoicing) au montant de 160 milliards de dollars annuellement pour la peacuteriode de 2000 agrave 2006 Voir Christian Aid Death and Taxes The True Toll of Tax Dodging 2008 (en ligne httpwwwchristianaidorgukimagesdeathandtaxespdf) pp 2 et 51-53

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 487

calcul du revenu imposable mondial de lrsquoentreprise multinationale srsquoeffectuerait sur une base consolideacutee plutocirct que distincte les prix de cession interne transfrontaliers deviennent sans importance et par conseacutequent les dispositions de lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE ne seraient plus pertinentes168 En deuxiegraveme lieu les reacuteformateurs invoquent la justesse accrue de la reacutepartition des beacuteneacutefices en raison du fait que la reacutepartition globale srsquoapparente plus agrave la reacutealiteacute eacuteconomique des entreprises multinationales hautement inteacutegreacutees qui sont exploiteacutees comme des entreprises uniques169 Ils arguent en troisiegraveme lieu de lrsquoefficaciteacute accrue de ce concept pour contrer lrsquoeacutevitement fiscal dans la mesure ougrave les entreprises multinationales chercheraient agrave maximiser les beacuteneacutefices de preacutefeacuterence agrave structurer des transactions pour des raisons de conformiteacute fiscale170 En dernier lieu ils opposent la reacuteduction eacuteventuelle des coucircts administratifs et de conformiteacute notamment la disparition de lrsquoobligation de produire la documentation ponctuelle

Toutefois il est difficile vu la nature diffeacuterente de leur structure respective de comparer le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices avec celui du principe de pleine concurrence171 En fait les caracteacuteristiques des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont diameacutetralement opposeacutees agrave celles des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de pleine concurrence Si tant est que lrsquoaugmentation nette de lrsquoeau drsquoun lac situeacute sur la frontiegravere commune des pays A et B puisse illustrer les modaliteacutes distinctes de la reacutepartition des beacuteneacutefices selon les deux systegravemes lrsquoapproche de pleine concurrence permet de deacuteterminer lrsquoapport drsquoeau fraicircche ajouteacutee au lac par chacun des pays Par contre lrsquoapproche unitaire cherche plutocirct agrave reacutepartir conformeacutement agrave lrsquoaccord conclu entre les deux pays la quantiteacute totale drsquoeau fraicircche contenue dans le lac172

168 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 3)

M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 9 169 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146 pp 148-149 Robert H CUTLER laquo Formulary

Apportionment ndash Is this Alternative to the Armrsquos Length Standard Possible and Practical Under the United Statesrsquo Current Tax Treaties raquo (1997) 3 International Trade amp Business Law Annual 153 (HeinOnLine) pp 162-163 R A GREEN preacuteciteacute note 152 p 67

170 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1161 171 Id p 1162 172 Michael J McINTYRE laquo Theory and Practice of Combined Reporting with

Formulary Apportionment raquo 2009 (en ligne httpwwwmtcgovuploadedFiles Multistate_Tax_CommissionUniformityUniformity_Committee_and_Subcommittees09_Winter_Committee_MeetingMcIntyre20-20theory20of20apportionmentpdf)

(agrave suivrehellip)

488 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Pour commencer le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices se fonde non pas sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte mais sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire laquelle requiert que les membres composant un groupe multinational drsquoentreprises soient consideacutereacutes comme ne formant qursquoune seule entreprise unifieacutee173 Notamment ce systegraveme implique une deacutemarche orienteacutee sur les facteurs de reacutepartition plutocirct que sur les circonstances factuelles des transactions Par exemple la formule Massachusetts eacutelaboreacutee degraves 1957 afin drsquoeacutetablir un moyen uniforme drsquoattribuer aux administrations fiscales infranationales ameacutericaines les revenus drsquoentreprise des socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat aux Eacutetats-Unis inclut trois facteurs relatifs agrave une juridiction fiscale donneacutee les actifs les salaires et les recettes brutes174 La formule qui vise agrave deacuteterminer la portion attribuable agrave une administration fiscale du revenu imposable mondial drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales qui y est assujetti donne lieu agrave une reacutepartition territoriale plutocirct que transactionnelle

En effet lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices repose sur lrsquohypothegravese implicite suivant laquelle la portion de chaque dollar du revenu imposable total reacutesultant de transactions transfrontaliegraveres se rapporte agrave toutes les juridictions fiscales dans lesquelles sont situeacutes les facteurs de reacutepartition de lrsquoentreprise unitaire175 Agrave lrsquoinverse lrsquoapproche du principe de pleine concurrence suppose qursquoune source localiseacutee dans une seule juridiction fiscale se rattache agrave chaque eacuteleacutement du revenu imposable total gagneacute par lrsquoentreprise multinationale dans les pays ougrave elle exerce des activiteacutes commerciales176 De plus dans le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la comptabilisation des beacuteneacutefices de lrsquoentreprise multinationale est

(hellipsuite)

diapositive no 4 Cette analogie agrave nrsquoen pas douter suggegravere lrsquoideacutee que lrsquoapproche unitaire est en apparence plus simple et pragmatique que lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

173 Dans la doctrine la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte est opposeacutee agrave la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire une doctrine judiciaire eacutelaboreacutee agrave lrsquoorigine par les tribunaux des Eacutetats ameacutericains pour deacutefinir sur le plan fiscal le concept de groupe drsquoentreprises Agrave ce propos consulter V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 28 J M WEINER preacuteciteacute note 148 pp 28-32

174 Les trois critegraveres retenus par le National Conference of Commissioners on Uniform State Laws drsquoeacutegale pondeacuteration dans la formule matheacutematique sont deacutefinis dans lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act (laquo UDITPA raquo) Sur ce point voir R H CUTLER preacuteciteacute note 169 p 161

175 M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 10 176 Id p 11

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 489

consolideacutee alors que dans le systegraveme de pleine concurrence la comptabilisation des beacuteneacutefices srsquoeffectue de faccedilon distincte agrave lrsquoeacutegard de chaque membre de lrsquoentreprise multinationale Finalement le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoadmet comme meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert que celles fondeacutees sur des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies

En reacutealiteacute les soi-disant avantages de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoont jamais eacuteteacute deacutemontreacutes par les deacutefenseurs de la reacuteforme dont les affirmations ne reposent sur aucune eacutetude approfondie ni expeacuterience empirique pour ce qui concerne la reacutepartition de lrsquoassiette internationale Crsquoest donc en cela que reacuteside la principale faiblesse de la proposition des reacuteformateurs La plupart drsquoentre eux nrsquoappuient leur point de vue que sur lrsquoeacutenonceacute drsquoune opinion preacutesenteacutee comme une veacuteriteacute eacutevidente177 et certains autres sur lrsquointerpreacutetation de donneacutees statistiques publiques concernant essentiellement les activiteacutes et les beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par les entreprises multinationales178 Du reste le projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) des 27 pays faisant partie de lrsquoUnion europeacuteenne renforce lrsquointeacuterecirct des reacuteformateurs pour le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices179 Il y a drsquoailleurs un certain cousinage drsquoesprit entre les reacuteformateurs et la Commission europeacuteenne cette derniegravere preacutesumant dans lrsquoexposeacute des motifs au soutien de la proposition drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) que le principe de pleine concurrence est maintenant deacutepasseacute180 Par-delagrave lrsquoabsence notoire

177 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1164 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152

pp 108-109 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30 178 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146

pp 501-502 et 527-533 Sullivan preacuteciteacute note 167 179 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 515

Ce projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes a eacuteteacute lanceacute en 2001 dans le but notamment de reacuteduire les coucircts eacuteleveacutes de conformiteacute fiscale lieacutes aux prix de transfert fondeacutes sur le principe de pleine concurrence Les modaliteacutes du calcul de lrsquoassiette imposable consolideacutee des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes paneuropeacuteennes annonceacutees en 2011 incluent une formule de reacutepartition composeacutee de trois facteurs dont la pondeacuteration est identique main-drsquoœuvre immobilisations et chiffre drsquoaffaires Agrave ce sujet voir COMMISSION EUROPEacuteENNE Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes (ACCIS) 2011 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxation company_taxcommon_tax_basecom_2011_121_frpdf)

180 COMMISSION EUROPEacuteENNE preacuteciteacute note 179 p 4

laquo Actuellement lrsquoun des obstacles principaux dans le marcheacute unique est constitueacute par les coucircts eacuteleveacutes engendreacutes par le respect des formaliteacutes lieacutees

(agrave suivrehellip)

490 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoeacutetude comparative sur lrsquoefficaciteacute du systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices et celui du principe de pleine concurrence reste agrave savoir si drsquoun point de vue juridique les propositions soutenues par les acteurs de la controverse peuvent se deacutefendre

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES

INCERTITUDES

Parmi les reacuteformateurs et les conservateurs peu nombreux sont ceux qui abordent de front le sujet de la conformiteacute des propositions de reacuteforme ou de retouche selon le cas du reacutegime actuel de regravegles sur les prix de transfert avec le droit fiscal international actuel des traiteacutes Pourtant ce sujet de reacuteflexion ne consiste pas en un point de deacutetail Tout au contraire la question de la leacutegitimiteacute juridique du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices srsquoavegravere eacuteleacutementaire Le nœud du deacutebat susciteacute par les acteurs de la controverse ne consiste-t-il pas agrave savoir si une seule norme internationale est valide en lrsquooccurrence le principe de pleine concurrence pour reacutepartir les revenus drsquoentreprise reacutesultant des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales

421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence comme norme de reacutefeacuterence

Au cours du XXe siegravecle les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont eu une influence consideacuterable sur la politique fiscale des pays membres et non membres Les conventions fiscales bilateacuterales conclues par ces derniers contiennent en geacuteneacuteral une disposition concernant les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes associeacutees calqueacutee sur le paragraphe 9(1) de lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles susmentionneacutes Le terme laquo peuvent raquo (may suivant la version anglaise) dans le texte du paragraphe 9(1) confegravere

(hellipsuite)

aux prix de transfert selon lrsquoapproche de pleine concurrence De plus la faccedilon dont les groupes eacutetroitement inteacutegreacutes ont tendance agrave srsquoorganiser indique clairement que la fixation des prix transaction par transaction sur la base du principe de pleine concurrence nrsquoest peut-ecirctre plus la meacutethode la mieux approprieacutee en matiegravere de reacutepartition des beacuteneacutefices raquo

Toutefois la question de savoir si le principe de pleine concurrence convient toujours aux entreprises multinationales modernes nrsquoest pas abordeacutee dans le rapport anteacuterieur de la Commission europeacuteenne sur lrsquoeacutetude analytique de la fiscaliteacute des entreprises dans la Communauteacute europeacuteenne COMMISSION EUROPEacuteENNE La fiscaliteacute des entreprises dans le marcheacute inteacuterieur 2001 (en ligne httpeceuropaeutaxation_ customsresourcesdocumentscompany_tax_study_frpdf)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 491

aux pays signataires le droit de rajuster les beacuteneacutefices intersocieacuteteacutes en prenant comme base que les socieacuteteacutes sont des entreprises indeacutependantes181 Il expose la norme agrave savoir le principe de pleine concurrence qui srsquoimpose depuis 1977 comme reacutefeacuterence et qui laquo constitue lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute raquo dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes182

Agrave premiegravere vue le paragraphe 9(1) nrsquoeacutenonce pas en termes expregraves la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence ni ne preacutecise la meacutethode pour appliquer cette norme Loin drsquoecirctre claire la formulation peut susciter de la confusion et conduire agrave des divergences drsquointerpreacutetation Effectivement lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo nrsquoapparaicirct pas dans le texte les reacutedacteurs ayant utiliseacute la locution laquo entreprises indeacutependantes raquo pour eacutevoquer le concept de pleine concurrence Il nrsquoempecircche que le texte peut paraicirctre eacutenoncer une norme speacutecifique vu que les conditions drsquoapplication et les conseacutequences juridiques sont deacutecrites par comparaison avec des entreprises indeacutependantes183

De mecircme le libelleacute du paragraphe 9(1) ne speacutecifie pas que les administrations fiscales des Eacutetats contractants doivent utiliser une meacutethode transactionnelle de pleine concurrence pour effectuer les rajustements des beacuteneacutefices Cependant la signification implicite de lrsquoexpression laquo deux entreprises sont [hellip] dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions convenues ou imposeacutees raquo peut soutenir lrsquousage des meacutethodes transactionnelles de pleine concurrence184 et mecircme exclure lrsquousage de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sur une base consolideacutee185 Ainsi les

181 Pour le texte complet du paragraphe 9(1) voir la section 21 ci-dessus Selon le droit

international public les pays signataires doivent respecter les traiteacutes auxquels ils sont parties pacta sunt servanda Voir ORGANISATION DES NATIONS UNIES Convention de Vienne sur le droit des traiteacutes 23 mai 1969 (en ligne httpuntreatyunorgilctextsinstrumentsfrancaistraites1_1_1969_francaispdf) art 26 Par ailleurs les pays signataires exercent le droit de rajuster les beacuteneacutefices des transferts transfrontaliers en vertu des dispositions de la leacutegislation nationale et non pas celles des conventions fiscales Agrave ce sujet consulter J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 110

182 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-1 et C(9)-8 Les reacutedacteurs des Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) utilisaient avant le 23 octobre 1997 lrsquoexpression laquo marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance) raquo

183 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 112 184 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 129 185 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579

492 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

conditions speacuteciales des relations commerciales ou financiegraveres qui sont agrave lrsquoorigine des beacuteneacutefices inapproprieacutes peuvent tacitement se rattacher agrave des transactions opeacuterations ententes accords contrats ou arrangements conclus entre des entreprises associeacutees La mention du terme laquo beacuteneacutefices raquo dans le libelleacute peut aussi laisser entendre que les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert autre que les meacutethodes transactionnelles sont autoriseacutees

La reacutedaction du paragraphe 9(1) pose le problegraveme de savoir si lrsquoinclusion mecircme de ce paragraphe dans les conventions fiscales bilateacuterales emporte en droit international des traiteacutes lrsquoobligation contraignante pour les pays signataires drsquoutiliser la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence Notamment les Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) ne mentionnent pas que les pays signataires doivent adopter dans les leacutegislations nationales des dispositions inteacutegrant le principe de pleine concurrence Qui plus est les pays membres ne srsquoentendent pas sur la question de savoir si le paragraphe 9(1) restreint ou non le droit des pays signataires de redresser les beacuteneacutefices reacutesultant des transferts internationaux en vertu des dispositions de leacutegislations nationales dans des laquo conditions raquo autres que celles eacutenonceacutees dans ce paragraphe186 Quoique le terme laquo conditions raquo ne soit pas deacutefini dans les Commentaires il peut aussi bien signifier laquo norme ou meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert non conformes au principe de pleine concurrence raquo187

Quant aux Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE qui depuis 1992 font partie inteacutegrante des Commentaires relatifs au paragraphe 9(1) ils tiennent pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative agrave lrsquoexclusion de toute autre norme188 De plus les Commentaires de lrsquoOCDE font de lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de pleine concurrence la condition drsquooffice pour fixer un prix de pleine concurrence189 Encore que en droit fiscal international des traiteacutes 186 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-2 et

C(9)-3 (voir les Commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 par 4) 187 Meneacutee au deacutebut des anneacutees 1990 lrsquoeacutetude sur les meacutethodes de substitution aupregraves des

39 pays de lrsquoIFA reacuteveacutelait que pour la majoriteacute des pays le paragraphe 9(1) ne preacutevalait pas sur le droit interne des prix de transfert mecircme si la meacutethode utiliseacutee par les administrations fiscales deacuterogeait au principe de pleine concurrence IFA 1992 preacuteciteacute note 97 pp 123-124 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 111 souligne que la lecture du contenu des rapports des pays permet plutocirct de conclure que le paragraphe 9(1) a pour effet de restreindre le droit drsquoimposition national agrave lrsquoapplication de meacutethodes respectant le principe de pleine concurrence

188 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 11-115 189 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579 K SADIQ preacuteciteacute note 1 pp 228-229

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 493

lrsquoautoriteacute juridique des Commentaires soit ambigueuml puisque le Conseil de lrsquoOCDE les adopte indirectement au moyen de recommandations prises agrave lrsquoeacutegard du modegravele theacuteorique190 La plupart des experts tendent agrave conclure que les pays signataires drsquoune convention fiscale ne sont pas juridiquement tenus de suivre lrsquointerpreacutetation exprimeacutee par lrsquoOCDE dans les Commentaires191 En drsquoautres termes ces recommandations de lrsquoOCDE constituent des instruments juridiques sans aucune force contraignante agrave lrsquoeacutegard des pays membres192 mais les Commentaires de lrsquoOCDE publieacutes avant la signature drsquoun traiteacute font partie du contexte juridique de la convention et possegravedent agrave ce titre une grande force morale193 Pour ce qui est des Principes directeurs il srsquoagit de directives agrave caractegravere non contraignant (soft law rules) en droit fiscal international194

190 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil relative au Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune C(97)195FINAL 23 octobre 1997 (en ligne httpwebnetoecdorgoecdacts) s-par I(2)

191 Hans PIJL laquo Beyond Legal Bindingness raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 95 pp 112-113 David A WARD laquo Is There an Obligation in International Law of OECD Member Countries to Follow the Commentaries on the Model raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 73 pp 73-75

192 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 par 29 de lrsquointroduction Voir eacutegalement Convention relative agrave lrsquoOrganisation de Coopeacuteration et de Deacuteveloppement Eacuteconomiques Paris 14 deacutecembre 1960 (en ligne httpwwwoecdorgfrgeneral conventionrelativealorganisationdecooperationetdedeveloppementeconomiqueshtm) par 5b) ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Regraveglement de proceacutedure de lrsquoOrganisation juillet 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrjuridique 41455235pdf) par 18b)

193 D A WARD preacuteciteacute note 191 p 85 Lrsquoauteur renvoie agrave lrsquoarrecirct Crown Forest Industries Ltd c Canada [1995] 2 RCS 802 par 54-55

194 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 16 de la preacuteface

laquo Les pays membres sont encourageacutes agrave suivre ces principes dans leurs pratiques internes en matiegravere de prix de transfert et les contribuables sont inviteacutes agrave les suivre dans lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de leurs prix de transfert au principe de pleine concurrence [hellip] raquo

J LI preacuteciteacute note 152 p 78 preacutecise que laquo [t]he term ldquosoft lawrdquo [hellip] can be used to describe a quasi-legal instrument which does not have any legally binding force but is intended to have a direct influence on the practice of states and taxpayers raquo [notes omises] et que laquo [t]he Guidelines are clealy a type of soft law and represent arguably the most important source of information on transfer pricing raquo (italiques dans lrsquooriginal) Drsquoailleurs comme pour les Commentaires lrsquoOCDE enjoint les

(agrave suivrehellip)

494 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE

Depuis le deacutebut de la controverse autour du remplacement du principe de pleine concurrence le deacutebat se confine dans lrsquoexamen des meacuterites drsquoune seule autre option normative agrave savoir la reacutepartition globale des beacuteneacutefices En effet la revue de la litteacuterature ameacutericaine permet de constater que hormis les options contradictoires du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices il nrsquoy a pas drsquoautre option de reacutepartition195 Les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU font donc toujours face aux deux mecircmes choix que ceux auxquels eacutetaient confronteacutes en 1933 les pays membres de la SDN pour ce qui concerne la norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale196 Excepteacute que 80 anneacutees plus tard soit en 2013 lrsquooption du principe de pleine concurrence est confirmeacutee de faccedilon reacutecurrente les pays membres eacutetant appeleacutes agrave prendre position sur la reacutevision eacutepisodique des modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ainsi que des Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE197

Inexistant au cours de lrsquoegravere de la SDN un consensus autour du principe de pleine concurrence se deacuteveloppe posteacuterieurement agrave la Seconde Guerre mondiale entre les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Aussi sur le plan politique la reacutealiteacute de ce consensus paraicirct-elle constituer par

(hellipsuite)

administrations fiscales des pays membres agrave suivre les Principes directeurs par le truchement de recommandations prises par le Conseil de lrsquoOCDE lrsquoorgane deacutecisionnel de lrsquoorganisation internationale Agrave ce propos consulter ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil sur la deacutetermination des prix de transfert entre entreprises associeacutees C(95)126FINAL 13 juillet 1995 amendeacutee les 11 avril 1996 24 juillet 1997 28 octobre 1999 16 juillet 2009 et 22 juillet 2010 Au Canada le plus haut tribunal du pays a preacuteciseacute au paragraphe 20 de lrsquoarrecirct Canada c GlaxoSmithKline Inc [2012] 3 RCS 3 que

laquo [les Principes directeurs] nrsquoont pas la mecircme force contraignante qursquoune loi canadienne et en derniegravere analyse le critegravere agrave appliquer agrave un ensemble drsquoopeacuterations ou de prix doit ecirctre eacutetabli suivant le par 69(2) [de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu] et non pas selon quelque commentaire ou meacutethode eacutenonceacute dans les Principes raquo

195 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 240 196 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 664 197 Voir les sections 2 et 3 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 495

comparaison avec les anneacutees 1930 1940 et 1950 un obstacle de taille agrave lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus entre les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU au sujet de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Drsquoautant plus que malgreacute la transformation du contexte international les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont montreacute peu ou pas drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadoption eacuteventuelle de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme nouvelle norme de reacutepartition en droit fiscal international public

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE

PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS

Construit graduellement au fil des 30 derniegraveres anneacutees le consensus international sur le principe de pleine concurrence et de la perspective exclusivement transactionnelle mise de lrsquoavant par lrsquoOCDE est deacutesormais acquis Agrave compter de la fin des anneacutees 1990 la plupart des pays dans le monde qursquoils soient membres ou non membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU adhegraverent exclusivement au principe de pleine concurrence198 La deacutecision des pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU de reconduire le principe de pleine concurrence comme norme srsquoinscrit dans un contexte eacuteconomique commercial et leacutegislatif aujourdrsquohui bien diffeacuterent de celui qui avait cours alors que la SDN reacutealisait au deacutebut des anneacutees 1930 lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices199 Neacuteanmoins le principe de pleine concurrence demeure en droit fiscal international public la norme attitreacutee des pays membres de lrsquoOCDE ainsi que de lrsquoONU et la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la becircte noire

511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial et leacutegislatif

Mises en œuvre de maniegravere progressive apregraves la Seconde Guerre mondiale les politiques de libeacuteralisation du commerce favorisent lrsquointeacutegration croissante des eacuteconomies nationales agrave lrsquoeacuteconomie mondiale200 198 Voir la section 312 ci-dessus 199 Voir la section 1 ci-dessus 200 En particulier les Accords de Bretton Woods signeacutes aux Eacutetats-Unis en 1944 sont agrave

lrsquoorigine de la creacuteation de deux organismes internationaux le Fond moneacutetaire international et la Banque mondiale Agrave ce sujet voir Christian DEBLOCK et Bruno HAMEL laquo Bretton Woods et lrsquoordre eacuteconomique drsquoapregraves-guerre raquo (1994-1995) no 26 Interventions eacuteconomiques Pour une alternative sociale (en ligne httpclassiquesuqaccacontemporainsdeblock_christianbretton_woods_ordre_econoBretton_Woods_ordre_ecopdf) p 6 et Perrine CREacuteQUY laquo Les accords de Brettons Woods moteur des Trente Glorieuses raquo Le Figaro 10 octobre 2008 (en

(agrave suivrehellip)

496 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Il en va de mecircme pour lrsquoacceacuteleacuteration des eacutechanges commerciaux201 et le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication202 Les entreprises multinationales jouent un rocircle de premier plan dans la mondialisation des eacutechanges et des investissements transnationaux Et leur nombre ne cesse de srsquoaccroicirctre pas moins de 82 000 entreprises multinationales deacutetiennent 810 000 filiales eacutetrangegraveres en 2009 comparativement agrave 24 000 entreprises multinationales en 1990 et seulement 7 000 agrave la fin des anneacutees 1960203 Au deacutebut du XXIe siegravecle les entreprises multinationales effectuent plus de 60 du commerce international204 Essentiellement caracteacuteriseacutee par les matiegraveres premiegraveres et les produits agricoles industriels dont le prix au marcheacute est clairement eacutetabli la nature des eacutechanges commerciaux drsquoantan srsquoest eacutelargie de sorte que ceux-ci comprennent agrave preacutesent des produits intermeacutediaires des biens incorporels uniques et des services speacutecialiseacutes

En outre les structures organisationnelles des entreprises multinationales sont agrave preacutesent plus complexes205 Dans la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres les filiales eacutetrangegraveres ne servent qursquoagrave fournir aux

(hellipsuite)

ligne httpwwwlefigarofreconomie2008101004001-20081010ARTFIG00284-les-accords-de-bretton-woods-moteur-des-trente-glorieuses-php)

201 Par exemple lrsquoouverture de nouveaux marcheacutes potentiels agrave la suite de la chute de lrsquoURSS du passage des pays de lrsquoEurope de lrsquoEst agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute de la creacuteation de marcheacutes eacuteconomiques communs (lrsquoUnion europeacuteenne lrsquoAccord de libre-eacutechange nord-ameacutericain la Coopeacuteration eacuteconomique pour la zone Asie-Pacifique et lrsquoIndian Ocean Rim Association for Regional Cooperation) et de lrsquoeacutemergence des pays BRICS (Breacutesil Russie Inde Chine et Afrique du Sud) Agrave ce sujet voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 77

202 Notamment lrsquoautomatisation lrsquoinformatisation et le commerce eacutelectronique Voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 78 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739 et 742-745

203 Selon les chiffres estimeacutes pour lrsquoanneacutee 2009 par la Confeacuterence des Nations Unies sur le commerce et le deacuteveloppement (CNUCED) relativement agrave 14 pays membres de lrsquoOCDE UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT World Investment Report 2009 Transnational Corporations Agricultural Production and Development New York et Genegraveve 2009 (en ligne httpunctadorgendocswir2009_enpdf) p xxi et Torbjoumlrn FREDRIKSSON Transnational Corporations Forty Years of UNCTAD Research on FDI UNCTADITEIIT35 vol 12 no 3 2003 (en ligne httpunctadorg endocsiteiit35v12n3a1_enpdf) p 8

204 ONU Transfer Pricing History preacuteciteacute note 98 p 2 205 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739-740

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 497

socieacuteteacutes megraveres un accegraves aux marcheacutes eacutetrangers Toutefois la production eacutetrangegravere augmente apregraves la Seconde Guerre et les entreprises multinationales tendent alors agrave inteacutegrer et agrave controcircler les activiteacutes commerciales internationales Puis alors que le nombre de refuges fiscaux explose206 elles reacuteorganisent la production des biens et des services en proceacutedant au remaniement et agrave la deacutelocalisation des fonctions et des risques assumeacutes par les entiteacutes lieacutees et non lieacutees qui sont parties prenantes de la chaicircne drsquoapprovisionnement207 Au deacutebut des anneacutees 2000 les formes drsquoorganisations des entreprises multinationales comportent des ententes contractuelles de plus en plus varieacutees avec des socieacuteteacutes tierces

Tandis que le principe de pleine concurrence a lrsquoair en adeacutequation avec le contexte eacuteconomique et commercial des anneacutees 1930 le contexte eacuteconomique et commercial actuel en complique davantage lrsquoapplication courante Entre autres choses les administrations fiscales sont aujourdrsquohui aux prises avec des transactions transfrontaliegraveres plus nombreuses des types uniques de transactions conclues par des entreprises multinationales inteacutegreacutees verticalement ainsi que des planifications fiscales combinant des formes organisationnelles complexes et des refuges fiscaux Pareillement lrsquoeacutevolution de la politique fiscale nationale de nombreux pays tend drsquoune maniegravere geacuteneacuterale agrave raffiner sur la mise en œuvre du principe de pleine concurrence ndash par exemple la preacuteparation obligatoire de la documentation ponctuelle par les entreprises multinationales et accessoirement lrsquoeacutelaboration implicite par ces derniegraveres drsquoune strateacutegie de deacutefense pour justifier lors des veacuterifications fiscales la politique interne de prix de transfert ndash pour les entreprises multinationales Ainsi quelque 50 pays y compris le Canada208 adoptent de front des mesures leacutegislatives fiscales nationales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence alors qursquoils se dotent progressivement apregraves la Seconde Guerre mondiale de vastes

206 R PALAN preacuteciteacute note 36 Lrsquoauteur situe lrsquoacircge drsquoor du deacuteveloppement des refuges

fiscaux au cours de la peacuteriode des anneacutees 1960 aux anneacutees 1990 207 La chaicircne drsquoapprovisionnement des entreprises multinationales modernes se

caracteacuterise plus souvent comparativement aux anneacutees 1950 par la speacutecialisation des activiteacutes ou des fonctions sans deacutedoublement drsquoun pays agrave lrsquoautre Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 p 12 Les reacuteorganisations drsquoentreprises combinent geacuteneacuteralement la transformation des distributeurs de plein exercice en distributeurs limiteacutes la transformation des fabricants de plein exercice en sous-traitants ou faccedilonniers la rationalisation ou la speacutecialisation des activiteacutes et la centralisation des actifs incorporels Agrave ce sujet voir Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 pp 259-260

208 Voir supra note 138

498 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteseaux de conventions fiscales bilateacuterales sur la base des modegraveles theacuteoriques de convention fiscale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU209

512 La persistance du rejet international de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

Malgreacute les difficulteacutes notoires drsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutechanges internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees la longue controverse ameacutericaine nrsquoa apparemment pas fragiliseacute ni menaceacute drsquoeacuteclatement le consensus partageacute par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU sur le principe de pleine concurrence Non seulement ces derniers nrsquoont jamais manifesteacute depuis la publication du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE lrsquointention drsquoabandonner le principe de pleine concurrence pour cause drsquoobsolescence mais de plus en plus drsquoadministrations fiscales ont eu tendance agrave lrsquointeacutegrer dans les leacutegislations nationales210 Parallegravelement les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU continuent de rejeter depuis plus de 30 ans deacutejagrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme solution de remplacement reacutealiste au principe de pleine concurrence sans mecircme qursquoune eacutetude approfondie sur les plans theacuteorique et pratique nrsquoait eacuteteacute meneacutee sur les meacuterites de son application au niveau national211

Degraves lors cette curieuse absence drsquoeacutetude peut naturellement laisser agrave entendre que les organisations intergouvernementales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne se sont jamais pris drsquointeacuterecirct pour la reacutepartition globale des beacuteneacutefices au titre de norme internationale pour reacutegir la reacutepartition entre plusieurs administrations fiscales des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees212 Le

209 Lorraine EDEN laquo Transfer Price Manipulation Tax Ethics and Developing

Countries raquo 2009 (en ligne httpwwwpublicpolicyumdedufilesphpfaculty reuterIllicitFlowsEden-TPM-World-Bank-090609pdf) (consulteacute en feacutevrier 2011) p 7

210 ANONYME laquo OECD Reaffirms Armrsquos Lengthrsquos Future raquo TP Week 23 septembre 2009 Caroline Silberztein alors chef de lrsquoUniteacute des prix de transfert deacuteclarait que laquo [u]ntil we have a better simpler and fairer alternative then we are going to stay with the armrsquos-length principle raquo

211 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 par 14 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 374 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 132

212 M C DURST preacuteciteacute note 140 srsquoexprime comme suit agrave la page 134

laquo The OECD has been especially deficient I believe in its lack of willingness to give serious and open-minded attention to the possibility of alternatives to comparables-based transfer pricing rules [hellip] The OECD has

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 499

point de vue srsquoapplique aussi aux Eacutetats-Unis drsquoautant que le deacutepartement du Treacutesor nrsquoa pas donneacute suite agrave la recommandation du US Government Accountability Office en 1981 de faire une eacutetude afin de deacutevelopper une preuve empirique favorable ou non agrave lrsquoadoption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie213 Faute drsquoeacutetude seacuterieuse il srsquoavegravere que personne ne sait vraiment si la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices augmenterait ou diminuerait les recettes fiscales annuelles ameacutericaines214

Bref les arguments de lrsquoOCDE pour justifier le refus de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices215 qui sont en gros similaires agrave ceux mentionneacutes dans le Rapport Carroll216 se fondent entiegraverement sur les commentaires des pays membres217 En particulier il convient de souligner que lrsquoargument principal

(hellipsuite)

never however attempted a systematic and quantitative comparison between their approach and alternatives such as the formulary system that has been in place among the US states for about one hundred years ndash a longevity that suggests such a system is at least to some extent ldquorealisticrdquo ndash or alternatives based on the OECDrsquos own profit split method [hellip] It should be possible to compare alternative systems by use of realistic and quantitative case studies with respect to such criteria as avoidance of both double taxation and double under-taxation and feasibility and cost of compliance and enforcement I believe the worldrsquos governments deserve ndash and need ndash a much more thorough systematic and open-minded comparison of possible alternatives insulated from the participation of financially interested parties than the OECD has offered to date [note omise] raquo (Notre soulignement)

213 GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56 Selon le US Government Accountability Office si le deacutepartement du Treacutesor agrave la suite de lrsquoeacutetude avait deacutecideacute drsquoutiliser la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie cette derniegravere applicable seulement aux entreprises unitaires nrsquoaurait constitueacute qursquoun outil additionnel pour parfaire lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

214 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1153 En outre il nrsquoest nullement certain que lrsquoeacutevitement fiscal qui reacutesulte de la manipulation des regravegles actuelles sur les prix de transfert serait moindre si la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie devenait la nouvelle norme internationale car il est fort probable que de nouvelles techniques seraient deacuteveloppeacutees ou encore il est mecircme possible que les techniques deacutejagrave existantes soient toujours efficaces Agrave ce propos voir J ROIN preacuteciteacute note 152 pp 174-175

215 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 122-131 216 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669-670 217 Les commentaires des pays membres de lrsquoOCDE publieacutes dans le rapport de 1979

nrsquoeacutetant pas fondeacutes sur des donneacutees empiriques le US Government Accountability (agrave suivrehellip)

500 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

contre la reacutepartition globale des beacuteneacutefices mis de lrsquoavant sans ambages dans le Rapport Carroll soit le refus des pays membres de perdre leur souveraineteacute fiscale nrsquoest pas formuleacute expresseacutement dans les lignes directrices de 1979 de 1995 et de 2010218 Pour le reste lrsquoOCDE reacuteitegravere que la mise en œuvre drsquoun nouveau systegraveme de regravegles fiscales visant agrave preacutevenir les doubles impositions eacuteconomiques impliquerait une coordination et une coopeacuteration internationales sans preacuteceacutedent de la part des grands pays dans lesquels les entreprises multinationales exercent des activiteacutes commerciales et que lrsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices serait aussi arbitraire sinon plus que le principe de pleine concurrence

Exprimeacute par un rejet cateacutegorique explicite dans les Principes directeurs le durcissement de la position de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices remonte agrave 1995 Lrsquointransigeance et la fermeteacute de lrsquoOCDE confegraverent ouvertement au principe de pleine concurrence un statut de dogme quasi planeacutetaire irremplaccedilable dont la veacuteriteacute est en apparence indiscutable Pourtant lrsquoOCDE semblait permettre dans le rapport de 1979 la possibiliteacute drsquoutiliser les meacutethodes de partage de beacuteneacutefices et y compris vraisemblablement la reacutepartition globale selon une formule afin de valider les prix de pleine concurrence ou encore lorsque les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence eacutetaient inapplicables et que les pays concerneacutes partageaient cette mecircme approche de reacutepartition219

En reacutealiteacute le consensus autour du principe de pleine concurrence paraicirct ineacutebranlable Continuant agrave maintenir que lrsquoapproche de pleine concurrence fondeacutee sur le marcheacute demeure malgreacute les critiques le meilleur principe de reacutepartition theacuteorique des beacuteneacutefices les Eacutetats-Unis exercent toujours une autoriteacute morale et politique en tant que chef de file des regravegles sur les prix de transfert et contribuent agrave renforcer lrsquoeacutedification du concept comme norme

(hellipsuite)

Office a drsquoailleurs choisi de ne pas en discuter dans son rapport concernant les beacuteneacutefices des entreprises multinationales GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56

218 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669

laquo Will countries in which profits have clearly accrued agree to giving up a part or all of such profits as a result of an apportionment of the total net income or loss of the enterprise The great majority of administrations have definitely indicated that they would not [note omise] raquo

219 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 15-16 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 76

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 501

internationale de reacutepartition220 La profession de foi de lrsquoIRS et du deacutepartement du Treacutesor contenue dans le Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute revecirct encore aujourdrsquohui une tregraves grande importance du point de vue de la politique gouvernementale ameacutericaine dans le contexte du deacutebat sur le principe de pleine concurrence221

En outre les associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines sont aussi favorables au maintien du principe de pleine concurrence222 Mais encore les fiscalistes dont le travail consiste agrave preacuteparer la documentation ponctuelle et agrave eacutelaborer les planifications fiscales qui permettent de deacuteplacer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide des contrats intersocieacuteteacutes ont tout inteacuterecirct agrave ce que le reacutegime actuel demeure en place223 Pourquoi les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU remplaceraient-ils le principe de pleine concurrence alors que les Eacutetats-Unis un joueur mondialement puissant rejettent cateacutegoriquement cette ideacutee

220 Depuis le deacutebut de lrsquohistoire des prix de transfert les Eacutetats-Unis ont joueacute un rocircle de

premier plan Les recherches meneacutees par les auteurs concernant les travaux de la SDN et de lrsquoOCDE ne permettent pas drsquoaffirmer que drsquoautres pays ont exerceacute une influence aussi marqueacutee que celle des Eacutetats-Unis en matiegravere de prix de transfert

221 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 p 86 Plus reacutecemment Michael Danilack Commissaire adjoint agrave lrsquoIRS Large Business and International Division a reacuteiteacutereacute lors de la confeacuterence annuelle de lrsquoOCDE tenue en juin 2011 agrave Washington que les Eacutetats-Unis adheacuteraient au principe de pleine concurrence ANONYME laquo PwC Reports on OECD Tax Conference raquo (2011) Worldwide Tax Daily 118-26 (Tax Analysts) Toutefois le refus en 2010 du deacutepartement du Treacutesor de reacuteveacuteler devant le Comiteacute des voies et moyens agrave lrsquooccasion de la deacuteposition orale de Stephen E Shay alors Secreacutetaire adjoint aux affaires fiscales internationales srsquoil srsquoopposerait ou non agrave lrsquoadoption eacuteventuelle par le Congregraves de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule preacuteeacutetablie en remplacement du principe de pleine concurrence fait ombre au tableau US HOUSE OF REPRESENTATIVES Hearing on Transfer Pricing Issues Before the Committee on Ways and Means 111e Congregraves Deuxiegraveme session juillet 2010 Seacuterie 111-66 (en ligne httpdemocratswaysandmeanshousegovHearingstranscriptaspxNewsID=11273) (laquo Hearing on Transfer Pricing 2010 raquo) sans pagination (consulteacute le 22 feacutevrier 2011)

222 Celles ayant preacutesenteacute en juillet 2010 des commentaires eacutecrits au Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants des Eacutetats-Unis reacuteclament unanimement le maintien du principe de pleine concurrence comme norme internationale

223 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 131

502 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA

CONJONCTURE ACTUELLE

Sauf un improbable coup de theacuteacirctre il est inconcevable de croire que dans le cadre de la controverse autour de la norme de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU fassent table rase du consensus sur le principe de pleine concurrence et repartent de zeacutero Forceacutes de choisir entre deux options contradictoires ils srsquoobstinent agrave reconduire le choix initial et agrave maintenir le statu quo en deacutepit drsquoun contexte international diffeacuterent de celui des anneacutees 1930 Pour le moment la conclusion drsquoun nouveau consensus international agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices est au point de vue politique illusoire

Mecircme agrave supposer que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent eacuteventuellement agrave deacutegager un consensus pour adopter la reacutepartition globale des beacuteneacutefices encore faudrait-il que ceux-ci viennent agrave bout de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition conjugueacute avec une formule matheacutematique de reacutepartition des beacuteneacutefices qui soient applicables agrave lrsquoeacutechelon international Que voilagrave un gigantesque deacutefi agrave relever pour peu que lrsquoexemple des Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains et la tentative de lrsquoUnion europeacuteenne preacutefigurent les difficulteacutes inheacuterentes sur le plan mondial agrave la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial

En theacuteorie lrsquohypotheacutetique eacutemergence drsquoun consensus international relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence devrait entraicircner pour corollaire direct la substitution de ce dernier par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Le deacutelaissement de la norme actuelle par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU impliquerait neacutecessairement lrsquoadheacutesion internationale agrave la seconde option car lrsquoadoption de la norme de reacutepartition de lrsquoassiette mondiale de revenu imposable des socieacuteteacutes lieacutees relegraveve drsquoun choix binaire224 Ainsi avec lrsquoavegravenement de la reacuteforme les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU se verraient contraints de srsquoaccorder agrave partager une conception

224 La reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoest pas synonyme de systegraveme unitaire mais

lrsquooption de remplacement proposeacutee en conjugue lrsquoapplication depuis les anneacutees 1930 Sur la question de la distinction entre les deux expressions voir R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap II

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 503

commune drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition y compris une ou le cas eacutecheacuteant plusieurs formules matheacutematiques preacuteeacutetablies afin de preacutevenir les conseacutequences neacutefastes de la double imposition des beacuteneacutefices des entreprises multinationales

Agrave ce sujet des opinions srsquoeacutelegravevent afin de faire valoir que des eacuteleacutements fondamentaux de ce nouveau systegraveme sont susceptibles de susciter des difficulteacutes importantes voire des impasses politiques au sein de la communauteacute internationale et dont lrsquoampleur pourrait mecircme surpasser les inconveacutenients deacutecoulant de lrsquoapplication du systegraveme actuel225 Premiegraverement il faudrait deacutefinir agrave des fins fiscales la composition drsquoune entreprise unitaire Pour cela les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU devraient eacutetablir les critegraveres geacuteneacuteraux ndash par exemple controcircle de droit et de fait inteacutegration eacuteconomique ndash permettant de distinguer parmi les entiteacutes membres du groupe drsquoentreprises multinationales celles qui feraient partie de lrsquoentreprise unifieacutee et dont les beacuteneacutefices comptables seraient combineacutes preacutealablement agrave lrsquoexercice de la reacutepartition selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Deuxiegravemement les pays seraient aussi tenus de speacutecifier lrsquoassiette fiscale imposable consolideacutee crsquoest-agrave-dire de preacuteciser les revenus drsquoentreprise totaux faisant lrsquoobjet de la reacutepartition entre les administrations fiscales Ne conviendrait-il pas drsquoinclure dans cette assiette lrsquoensemble des revenus gagneacutes par lrsquoentreprise unitaire ou seulement les revenus geacuteneacutereacutes directement par les activiteacutes commerciales agrave lrsquoexclusion de certaines cateacutegories de revenus notamment les revenus drsquointeacuterecircts et de redevances226

Puis les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU auraient agrave seacutelectionner les facteurs de reacutepartition des beacuteneacutefices consolideacutes ainsi qursquoagrave fixer la pondeacuteration de chacun de ces facteurs dans la formule matheacutematique Y aurait-il lieu dans les circonstances de simplement retenir les trois facteurs de lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act soit les immobilisations corporelles les salaires et les ventes Sinon comment reacutesoudre alors lrsquoeacutepineuse question des actifs incorporels doivent-ils ecirctre pris en compte ou non en tant que facteur de reacutepartition227

225 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 110 226 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1146 227 Les biens incorporels sont difficiles agrave eacutevaluer vu leur nature unique Outre le fait de ne

pas avoir de localisation geacuteographique concregravete ils font rarement lrsquoobjet drsquoun transfert agrave des tiers par vente contrat de licence ou autres de sorte que les prix du marcheacute comparables se reacutevegravelent introuvables Sur ce point voir J LI preacuteciteacute note 92 pp 848-849 Drsquoautre part certains soutiennent que le coucirct de production et de

(agrave suivrehellip)

504 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Plusieurs laissent entendre que la creacuteation drsquoun consensus international relativement aux eacuteleacutements susmentionneacutes serait pour le moins ardue du fait que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques228 En effet les marcheacutes financiers les regravegles comptables les monnaies nationales et les systegravemes juridiques sont aujourdrsquohui rarement identiques drsquoun pays agrave lrsquoautre En de pareilles circonstances il semble douteux de pouvoir un jour accorder toutes les divergences nationales potentielles vis-agrave-vis de cette reacuteforme de faccedilon que son implantation rallie les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Lrsquoideacutee mecircme de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition mondial et une formule matheacutematique uniforme de reacutepartition constitue au XXIe siegravecle une vue de lrsquoesprit une utopie

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes

Depuis au moins un siegravecle la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie est utiliseacutee par les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains qui perccediloivent un impocirct corporatif sur les beacuteneacutefices des entreprises exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat Crsquoest lrsquoEacutetat du Wisconsin qui au deacutepart lrsquoaurait preacutefeacutereacutee agrave la comptabilisation distincte afin drsquoeacuteviter tous les eacutecueils relatifs agrave lrsquoestimation de la portion des beacuteneacutefices totaux attribuable aux Eacutetats ougrave les entreprises se livrent agrave des activiteacutes commerciales229 Parmi les Eacutetats qui se servent drsquoune telle formule pour diviser les beacuteneacutefices seuls quelques-uns ont instaureacute un systegraveme drsquoimposition unitaire230

(hellipsuite)

conservation des biens incorporels est deacutejagrave refleacuteteacute dans les trois facteurs UDITPA S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1150-1151

228 H David ROSEMBLOOM laquo Angels on a Pin Armrsquos Length in the World raquo (2005) 38 Tax Notes International 523 (Tax Analysts) p 524 Stanley S SURREY laquo Reflections on the Allocation of Income and Expenses Among National Tax Jurisdictions raquo (1978) vol 10 no 2 Law amp Policy International Business 409 (HeinOnline Law Journal Library) p 416 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT preacuteciteacute note 78 p 12

229 Joann M WEINER laquo Using the Experience in the US States to Evaluate Issues in Implementing Formula Apportionment at the International Level raquo OTA Paper No 83 1999 (en ligne httpipv6treasurygovresource-centertax-policytax-analysisDocumentsota83pdf) p 6

230 Id p 17

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 505

Au terme drsquoune longue bataille juridique la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis confirme en 1983 la constitutionnaliteacute de la notion drsquoentreprise unitaire alors appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie pour reacutepartir notamment les revenus de source eacutetrangegravere drsquoune entreprise multinationale ameacutericaine231 Pourtant le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis propose agrave la suite de ce jugement un compromis soit la waterrsquos edge formula aux Eacutetats ameacutericains qui ont adopteacute une approche fiscale mondiale Mise en pratique degraves 1986 la proposition de lrsquoadministration Reagan conjugue dans le but de mettre fin aux seacuterieuses dissensions entre les Eacutetats ameacutericains et les entreprises multinationales eacutetrangegraveres lrsquoapplication de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie aux revenus corporatifs de source ameacutericaine et celle de la comptabiliteacute distincte et du principe de pleine concurrence aux revenus corporatifs de source eacutetrangegravere232

Certes le caractegravere meacutecanique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie seacuteduit agrave premiegravere vue par sa simpliciteacute drsquoexeacutecution Mais la longue expeacuterience des administrations fiscales infranationales ameacutericaines relativement agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices afin de reacutepartir les beacuteneacutefices intereacutetatiques des socieacuteteacutes srsquoavegravere-t-elle suffisamment concluante pour constituer un incitatif seacuterieux agrave lrsquoadoption de celle-ci au niveau national Quoique les regravegles comptables et les devises soient les mecircmes dans tous les Eacutetats ameacutericains il ressort assez clairement tout drsquoabord que la notion drsquolaquo entreprise unitaire raquo varie drsquoun Eacutetat agrave lrsquoautre selon diffeacuterents critegraveres leacutegislatifs et jurisprudentiels233 Quant aux formules matheacutematiques mecircme si les trois facteurs deacutetermineacutes par lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act srsquoy trouvent combineacutes elles ne sont pas identiques puisque depuis les anneacutees 1980 les Eacutetats ameacutericains tendent agrave augmenter diffeacuteremment la pondeacuteration des recettes brutes234

231 Container Corp v Franchise Tax Board 463 US 159 (1983) (en ligne

httpsupremejustiacomcasesfederalus463159casehtml) Voir eacutegalement la cause Barclays Bank PLC v Franchise Tax Board of California 114 S Ct 2268 (1994) (en ligne httpsupremejustiacomcasesfederalus512298) dans la laquelle la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis valide la constitutionnaliteacute de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie agrave une entreprise multinationale eacutetrangegravere

232 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 573 C THOMAS preacuteciteacute note 68 pp 105-106

233 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 114-1145 J M WEINER preacuteciteacute note 229 pp 17-18

234 J M WEINER preacuteciteacute note 148 p 12

506 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Partant lrsquoexpeacuterience acquise par les Eacutetats-Unis au niveau infranational donne agrave penser que le passage en droit fiscal international public du principe de pleine concurrence agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique ne serait pas garant de la simpliciteacute ni de la preacutevisibiliteacute pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales Une fois transposeacutee agrave lrsquoeacutechelon international cette expeacuterience ameacutericaine laisse aussi supposer des diffeacuterences entre les systegravemes nationaux de reacutepartition globale Eacutetant donneacute que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques une augmentation des risques de doubles impositions encore plus grande que dans le systegraveme actuel serait agrave redouter pour les entreprises multinationales En un mot les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains illustrent au mieux un modegravele agrave parfaire au pire un repoussoir agrave lrsquooption de la reacuteforme

En outre lrsquoimprobabiliteacute que les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent agrave un accord agrave lrsquoeacutechelon international est drsquoautant plus grande que le projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes deacutemarreacute depuis plus de 10 ans ne reacuteussit toujours pas agrave rallier les pays de lrsquoUnion europeacuteenne sur lrsquoideacutee de la mise en œuvre de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices dans un marcheacute eacuteconomique commun Une douzaine de pays considegraverent que ce projet ne respecte pas le principe de subsidiariteacute preacutevu dans le Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne voulant que lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoagisse que lorsque les reacutesultats attendus ne peuvent ecirctre atteints au niveau national235 Les Pays-Bas rejettent formellement le projet en raison de lrsquoaugmentation des coucircts de conformiteacute des gouvernements qui devront geacuterer deux systegravemes fiscaux en mecircme temps ndash national et europeacuteen ndash et de lrsquoabsence des biens incorporels et des actifs financiers dans les cleacutes de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale236 Aussi certains observateurs soutiennent-ils qursquoil se peut que le projet demeure lettre morte237 Il va de soi que lrsquoenlisement du projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des

235 Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne 1er novembre 1993 (en ligne httpeur-

lexeuropaeufrtreatiesnew-2-48htm) par 5(3) Agrave ce sujet voir Kristen A PARILLO laquo 9 EU Countries Express Subsidiarity Concerns Over CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 102-1 (Tax Analysts) et du mecircme auteur laquo Irish UK Parliaments Reject CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 100-1 (Tax Analysts)

236 ANONYME laquo PwC Reviews Netherlandsrsquo Reaction to CCCTB raquo (2011) Worldwide Tax Daily 89-35 (Tax Analysts)

237 Kristen A PARILLO laquo CCCTB Could Be Adopted by Subset of EU Countries Austrian Academics Says raquo (2011) Worldwide Tax Daily 197-7 (Tax Analysts)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 507

socieacuteteacutes (ACCIS) fait lrsquoeffet drsquoune douche froide pour les partisans de la reacuteforme Crsquoest le cas de lrsquoun des plus ardents deacutefenseurs de lrsquooption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices parmi les universitaires ameacutericains le professeur Avi-Yonah238 Ce dernier se dit maintenant convaincu devant les difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne que la mise en place drsquoun systegraveme unitaire international drsquoimposition est irreacutealisable239

En fin de compte le remplacement du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence et la theacuteorie de la comptabiliteacute distincte prend la forme drsquoune proposition doublement illusoire dans le contexte international actuel Drsquoune part les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU refusent systeacutematiquement drsquoexplorer la question de la supeacuterioriteacute de lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacuteconomie mondiale moderne et drsquoen mesurer par le truchement de lrsquoobservation empirique les avantages reacuteels sur le principe de pleine concurrence Perpeacutetuant la ligne de penseacutee suivie par la SDN lrsquoOCDE et lrsquoONU maintiennent le cap sur le principe de pleine concurrence Drsquoautre part la prise en compte des embucircches lieacutees agrave lrsquoexpeacuterience des Eacutetats ameacutericains et au dessein europeacuteen rend quasi impossible lrsquoideacutee mecircme drsquoinstaurer une formule matheacutematique et un systegraveme unitaire drsquoimposition universels

Dans un monde ideacuteal lrsquoinstauration drsquoune gamme de meacutethodes pour deacuteterminer les prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure ndash meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre ndash agrave lrsquoestimation pure ndash meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacutedeacutetermineacutee ndash reacutesoudrait la plupart des difficulteacutes actuelles Toutefois lrsquoabsence drsquointeacuterecirct des pays membres de lrsquoOCDE en ce moment agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale tend agrave confirmer le caractegravere illusoire drsquoun possible consensus sur lrsquoajout dans les Principes directeurs de la meacutethode de la reacutepartition totale illimiteacutee des beacuteneacutefices aux meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave accepteacutees par lrsquoOCDE Un tel continuum qui impliquerait en quelque sorte la coexistence au niveau national de deux systegravemes de regravegles de prix de transfert serait susceptible drsquoexposer davantage les entreprises multinationales agrave la double imposition en raison de lrsquoutilisation de formules matheacutematiques diffeacuterentes drsquoun pays agrave lrsquoautre

238 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 239 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 au chap III (Myth 2)

Ce changement de position semble attribuable entre autres aux difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la tentative drsquoadopter une assiette fiscale commune

508 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX

DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU

Le refus continuel de consideacuterer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme la panaceacutee aux difficulteacutes relatives agrave la reacutepartition mondiale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees contraint les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU agrave composer avec le principe de pleine concurrence Il nrsquoest pas eacutetonnant que agrave deacutefaut drsquoautres options reacutealistes ce dernier se voie rangeacute sous lrsquoeacutetiquette de laquo meilleure option pratique raquo dans la conjoncture actuelle240 Lrsquoeacutetat des choses pourrait mecircme laisser croire en admettant que le principe de pleine concurrence ait atteint au siegravecle dernier la limite de son deacuteveloppement et qursquoil relegraveverait de lrsquoanachronisme que lrsquoOCDE et lrsquoONU se sont enfermeacutees dans un cul-de-sac dont elles ne peuvent srsquoextirper

Leitmotiv des reacuteformateurs lrsquoideacutee que le principe de pleine concurrence soit maintenant frappeacute drsquoobsolescence peut-elle reacutesister agrave lrsquoanalyse Le principe de pleine concurrence se reacuteduit-il en fin de compte agrave une norme internationale de reacutepartition agrave preacutesent deacutepasseacutee Une chose est sucircre le contexte international du XXIe siegravecle nrsquoa plus rien agrave voir avec celui qui a vu naicirctre cette norme Pour cette raison le statu quo semble difficilement tenable drsquoougrave la neacutecessiteacute pour lrsquoOCDE et lrsquoONU de concevoir la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence en vue de lrsquoadapter au monde eacuteconomique drsquoaujourdrsquohui

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE

CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION

Adopteacute voilagrave 80 ans par la SDN le principe de pleine concurrence est un concept de reacutepartition des beacuteneacutefices aussi ancien que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie241 Dans le contexte de la controverse autour du principe de pleine concurrence les reacuteformateurs ont agiteacute les questions drsquoobsolescence quelques-uns osant mecircme qualifier ce dernier drsquoanachronisme242 Il est vrai que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence reconnus par lrsquoOCDE nrsquoont pas eacuteteacute reacuteellement adapteacutes agrave lrsquoeacutevolution rapide du commerce

240 Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines

Jr) Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 par 323 ANONYME preacuteciteacute note 210 241 Voir la section 11 ci-dessus 242 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 J M WEINER preacuteciteacute note 1

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 509

international amorceacutee apregraves la Seconde Guerre mondiale Devant lrsquoeacutemergence de certaines pratiques plus souples et comportant des eacuteleacutements de formules dans certains pays non membres la reacutenovation du systegraveme de regravegles sur les prix de transfert srsquoimpose au XXIe siegravecle de faccedilon que puisse renaicirctre le pragmatisme existant au milieu du siegravecle preacuteceacutedent

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international

Au contraire de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie le principe de pleine concurrence est toujours en usage dans le monde pour attribuer au niveau national les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Depuis respectivement 1990 et 2006 la Suisse et lrsquoEspagne qui avaient adopteacute degraves les anneacutees 1920 la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique srsquoappuient sur le principe de pleine concurrence et mettent en pratique les meacutethodes de prix de transfert recommandeacutees par lrsquoOCDE243 De plus le nombre de pays qui appliquent le principe de pleine concurrence nrsquoa pas cesseacute drsquoaugmenter depuis les anneacutees 1970244 Par conseacutequent le principe de pleine concurrence ne saurait ecirctre qualifieacute de concept peacuterimeacute en droit fiscal international moderne ce qui est par contre le cas de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices une relique du siegravecle dernier245

Dans son essence le concept de pleine concurrence est demeureacute exactement le mecircme que du temps ougrave la SDN se preacuteoccupait du problegraveme de la double imposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Lrsquoideacutee que les prix des transactions internes des socieacuteteacutes lieacutees devraient ecirctre similaires agrave ceux convenus sur le marcheacute libre par des socieacuteteacutes tierces agrave lrsquoeacutegard de transactions analogues a traverseacute la seconde partie du XXe siegravecle en se muant avec le concours de lrsquoOCDE et des Eacutetats-Unis en un dogme immuable Diffuseacutes initialement dans les premiegraveres lignes directrices de

243 Il en va de mecircme pour lrsquoAutriche (pays fondateur de lrsquoOCDE) la Tcheacutecoslovaquie

(membre de lrsquoOCDE depuis 1995) et la Hongrie (membre de lrsquoOCDE depuis 1996) Sur ce point voir les fiches pays des pays susmentionneacutes en matiegravere de prix de transfert disponibles sur le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorg document1503746fr_2649_33753_37837967_1_1_1_100html

244 Sur ce point voir supra note 105 245 Aucun pays de lrsquoOCDE ni de lrsquoONU nrsquoutilise vraisemblablement de nos jours la

reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Voir Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines Jr) IFA 1992 preacuteciteacute note 97 p 113

510 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE agrave la fin des anneacutees 1970 les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont fait lrsquoobjet de reacutevisions majeures mais avec une lenteur de tortue

Souvent agrave la remorque des innovations de lrsquoadministration fiscale des Eacutetats-Unis lrsquoOCDE a tenteacute mollement de mieux adapter la norme de pleine concurrence agrave la nouvelle reacutealiteacute du contexte international246 Or le contexte actuel diffegravere grandement du contexte des anneacutees 1930 deacutecrit dans la premiegravere eacutetude internationale sur les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices Le rapport de ces diffeacuterences deacutenote le passage agrave un autre monde eacuteconomique et commercial tant la meacutetamorphose accomplie se reacutevegravele importante Notamment le nombre des entreprises multinationales et des eacutechanges internationaux srsquoest beaucoup accru les eacutechanges transfrontaliers internes incluent geacuteneacuteralement de nos jours des biens incorporels uniques de grande valeur ainsi que la prestation de services speacutecialiseacutes Aussi le nombre de refuges fiscaux de mecircme que le nombre drsquoadministrations fiscales nationales doteacutees de regravegles fiscales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence ont connu une forte augmentation

Certes la transformation progressive sur le plan mondial du contexte eacuteconomique et commercial a contribueacute agrave mettre en relief les lacunes intrinsegraveques drsquoun concept qui comme lrsquoont exprimeacute les acteurs de la controverse247 est imparfaitement adapteacute aux entreprises multinationales modernes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de 1995 que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence connaissent dans les Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE une tregraves lente eacutevolution modeleacutee sur les modifications leacutegislatives ameacutericaines248 Notamment cette eacutevolution marque lrsquointroduction du concept drsquointervalle de prix de pleine concurrence lequel favorise lrsquoapplication de la norme de comparabiliteacute drsquoune maniegravere moins stricte De plus elle donne ouverture agrave lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices pour deacuteterminer les prix de transfert comme solutions pratiques dans les cas ougrave les meacutethodes traditionnelles sont difficiles agrave appliquer et aux arrangements preacutealables en matiegravere de prix de

246 Sur ce point voir John NEIGHBOUR et Jeffrey OWENS laquo Transfer Pricing in the

New Millennium Will the Armrsquos Length Principle Survive raquo (2001-2002) vol 10 no 1 George Mason Law Review 951 (HeinOnline Law Journal Library)

247 Voir la section 4 ci-dessus 248 Voir la section 31 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 511

transfert (APP) qui consistent en une nouvelle approche pour reacutesoudre par anticipation les litiges relatifs aux prix de transfert249

Finalement lrsquoabandon de la hieacuterarchie des meacutethodes pour la meacutethode la plus approprieacutee affermit en 2010 lrsquoutilisation accrue des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices dans le but avoueacute drsquoatteacutenuer les difficulteacutes drsquoapplication des meacutethodes transactionnelles traditionnelles dans le contexte international actuel Cet abandon constitue drsquoailleurs jusqursquoagrave maintenant lrsquoeacutetape la plus significative de la deacutemarche de lrsquoOCDE pour actualiser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence En fait lrsquoapprobation manifeste des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices par lrsquoOCDE pourrait mecircme paraicirctre annonciatrice de lrsquoorientation agrave privileacutegier pour reacutesoudre les difficulteacutes courantes drsquoapplication

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication

Lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement accepteacutee internationalement condamne le principe de pleine concurrence agrave fonctionner coucircte que coucircte250 Il est entendu que dans cette optique terre-agrave-terre lrsquoOCDE nrsquoa pas drsquoautre choix au beacuteneacutefice des pays membres que de continuer de concentrer ses efforts sur la mise au point de modes drsquoapplication plus souples du principe de pleine concurrence qui srsquoaccordent aux reacutealiteacutes eacuteconomiques et commerciales du XXIe siegravecle Toutefois nous croyons qursquoun coup de barre pourrait devoir srsquoimposer rapidement afin de moderniser davantage la mise en pratique du principe de pleine concurrence Eacutetant donneacute la pression implicite exerceacutee en droit fiscal international public par les pays non membres en faveur de lrsquoutilisation de regravegles simplifieacutees non reconnues par lrsquoOCDE il vaudrait probablement mieux pour cette derniegravere drsquoacceacuteleacuterer le rythme eacutevolutif des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence

Non seulement des pays non membres de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente parmi les plus grandes au monde notamment le Breacutesil lrsquoInde et la Chine intensifient lrsquoapplication de regravegles leacutegislatives et administratives

249 J NEIGHBOUR et J OWENS preacuteciteacute note 246 pp 956-957 250 Stig SOLLUND laquo What Are the Key Transfer Pricing Concerns of Governments raquo

dans The Future of the Armrsquos Length Principle International Tax Review Global Transfer Pricing Forum Amsterdam septembre 2010 souligne que laquo Wersquove got to make the ALP [Armrsquos Length Principle] work there is no realistic alternative in the global world raquo

512 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

sur les prix de transfert251 mais ils tendent agrave adopter des mesures simplifieacutees baseacutees sur des formules pour deacuteterminer les prix de cession internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees252 Alors qursquoils beacuteneacuteficient drsquoun programme drsquoengagement renforceacute aupregraves de lrsquoOCDE depuis 2007 ces pays appliquent agrave des fins de simpliciteacute et de ceacuteleacuteriteacute des formes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee des beacuteneacutefices lesquelles admettent lrsquoutilisation entre autres de la moyenne arithmeacutetique des prix comparables et drsquoun taux de beacuteneacutefices reacuteputeacutes

Par exemple le systegraveme breacutesilien de regravegles sur les prix de transfert ne peut ecirctre compareacute agrave aucun autre systegraveme dans le monde Instaureacute en 1997 il combine des meacutethodes analogues aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles de lrsquoOCDE et des marges beacuteneacuteficiaires brutes minimales et maximales prescrites Il comprend aussi des reacutegimes de protection affecteacutes agrave la fixation des prix de pleine concurrence des transactions drsquoexportation253 Le Breacutesil nrsquoapplique pas sur son territoire les Principes directeurs de lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert254 preacutefeacuterant agrave lrsquoinstar des Eacutetats-Unis interpreacuteter et appliquer le principe de pleine concurrence agrave sa maniegravere255

Qui plus est le fosseacute deacutejagrave ouvert entre les pays membres de lrsquoONU et ceux de lrsquoOCDE quant agrave leur situation particuliegravere agrave lrsquoeacutegard des seacuterieux problegravemes deacutecoulant de lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence laquo agrave la maniegravere de lrsquoOCDE raquo risque de se creuser davantage agrave lrsquoavenir Comme nous lrsquoavons mentionneacute anteacuterieurement il y a que le manuel de lrsquoONU sur les prix de transfert qui une fois acheveacute deviendra alors lrsquooutil interpreacutetatif de preacutedilection des pays en deacuteveloppement256 Quoi 251 ERNST amp YOUNG preacuteciteacute note 110 p 1 252 ANONYME laquo Baker amp McKenzie Answers OECDrsquos Call for Consultation on

Transfer Pricing raquo (2011) Worldwide Tax Daily 133-19 (Tax Analysts) partie I 253 Luiz Felipe FERRAZ et Alexandre de S ALMEIDA laquo Questions Raised Over

Brazilrsquos Transfer Pricing Rules raquo TP Week 26 novembre 2009 254 Les Principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales

OCDE 2011 (OECDilibrary) p 74 255 Plusieurs partenaires commerciaux des Eacutetats-Unis sont drsquoavis contrairement au

deacutepartement du Treacutesor ameacutericain que la meacutethode empirique des beacuteneacutefices comparables (CPM) et la regravegle de la proportionnaliteacute avec le revenu enfreignent le principe de pleine concurrence du fait notamment que lrsquoexamen comparatif se concentre sur les beacuteneacutefices de grandes cateacutegories drsquoentreprises plutocirct que sur les beacuteneacutefices de transactions particuliegraveres Voir B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 52

256 Voir la section 32 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 513

qursquoon en dise la recherche de regravegles drsquoapplication plus simples dans le but drsquoaplanir les difficulteacutes majeures de mise en pratique de la norme actuelle de reacutepartition pourrait eacuteventuellement conduire les pays membres de lrsquoONU agrave adopter comme certains pays eacutemergents des mesures leacutegislatives ou mecircme administratives fondeacutees sur des formules matheacutematiques

Crsquoest pourquoi il nous semble tout agrave fait naturel que dans les circonstances la modernisation du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert se reacutealise par la voie drsquoun certain retour au pragmatisme pratiqueacute par les administrations fiscales nationales du temps de la SDN257 Selon ce que nous avons dit plus haut la plupart drsquoentre elles utilisaient avec satisfaction des meacutethodes estimatives speacutecialement les meacutethodes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee comme meacutethodes subsidiaires pour reacutepartir jusque dans les anneacutees 1970 les beacuteneacutefices des eacutetablissements stables dans le cas ougrave les meacutethodes traditionnelles eacutetaient inapplicables258 Avant que lrsquoOCDE ne proscrive ce type de meacutethodes dans les premiegraveres lignes directrices publieacutees en 1979 la meacutethode de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee la plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutegard des entreprises commerciales et industrielles eacutetait la meacutethode du pourcentage du chiffre drsquoaffaires crsquoest-agrave-dire que en regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales faisaient appel au pourcentage repreacutesenteacute par la proportion entre le beacuteneacutefice net et les recettes brutes drsquoentreprises similaires259

En fait un pragmatisme renouveleacute pourrait se manifester aujourdrsquohui au sein de lrsquoOCDE notamment par une ouverture agrave preacutevoir comme moyens utiles de se rapprocher des conditions de pleine concurrence des exceptions dans les Principes directeurs lorsque les meacutethodes usuelles sont difficiles ou impossibles agrave appliquer260 Ce vent de pragmatisme commence peut-ecirctre deacutejagrave

257 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 signale avec justesse agrave la page 670 que les

pratiques en usage dans les anneacutees 1930 reacutepertorieacutees dans le Rapport Carroll eacutetaient le fruit du simple bon sens

258 Voir la section 11 ci-dessus 259 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 156 260 La conclusion tireacutee en 1976 par les participants agrave une discussion entre experts sur la

meacutethode agrave privileacutegier pour reacutepartir les beacuteneacutefices des entiteacutes lieacutees ne montre aucune ride et conserve encore aujourdrsquohui toute sa pertinence H Bartlett BROWN David S FOSTER Robert J PATRICK Jr R Alan SHORT Dr Jakob STROBL et David A WARD convenaient agrave la page 352 dans le cadre du laquo Panel Discussion Comparing the Separate and Unitary Entity Approaches to Income Allocation raquo dans Third Annual (1976) Proceedings of the Fordham Corporate Law Institute International Taxation and Transfert Pricing New York Edward Yorio 1977 337 que laquo [i]t seems that all the panelists [hellip] are in agreement that we have a system

(agrave suivrehellip)

514 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

agrave souffler sur lrsquoOCDE la preuve concregravete en eacutetant le projet en cours de lrsquoOCDE sur les aspects administratifs des prix de transfert Deacutemarreacute en 2011 il concerne entre autres la mise agrave jour de la position sur les reacutegimes de protection et srsquoinscrit dans un esprit de simplification de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Jusqursquoagrave preacutesent lrsquoOCDE nrsquoa pas cesseacute de soutenir que laquo les reacutegimes de protection ne sont geacuteneacuteralement pas compatibles avec lrsquoapplication de prix de transfert conformes au principe de pleine concurrence raquo du fait que notamment les prix ainsi deacutetermineacutes seraient impreacutecis et arbitraires261 Aussi deacutesigneacutes sous lrsquoexpression laquo regravegles refuges raquo les reacutegimes de protection qui repreacutesentent une opportuniteacute de simplifier les regravegles applicables agrave lrsquoeacutegard des transactions de peu de valeur restent un champ inexploreacute par lrsquoOCDE Si la reacutevision des lignes directrices eacutenonceacutees dans le chapitre IV des Principes directeurs avalisait lrsquoadoption de reacutegimes de protection en matiegravere de prix de transfert ceux-ci en fixant soit des seuils ou des intervalles de prix preacutedeacutetermineacutes pourraient permettre aux administrations fiscales de nrsquoexaminer que les dossiers pour lesquels lrsquoapproche au cas par cas srsquoavegravere reacuteellement neacutecessaire262

Outre les reacutegimes de protection les exceptions pourraient prendre la forme entre autres drsquoeacuteleacutements de formules matheacutematiques inteacutegreacutes dans les meacutethodes de reacutepartition fondeacutees sur les beacuteneacutefices permettant ainsi drsquoassurer sous le parapluie du principe de pleine concurrence le rajeunissement des regravegles actuelles Mecircme srsquoil est impossible pour lrsquoOCDE de retourner en arriegravere cela srsquoentend rien ne lrsquoempecirccherait de retrouver lrsquoesprit et le bon sens des anneacutees 1930 1940 et 1950 soit la peacuteriode au cours de laquelle lrsquoapproche transactionnelle pure nrsquoavait pas encore eacuteteacute diffuseacutee afin de stimuler une adaptation orienteacutee sur la souplesse des modes drsquoapplication du (hellipsuite)

now which may not be great but we might as well graft exceptions on the present system rather than adopt a new system and graft exceptions on it raquo

261 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 4120 et 4102-4119 M C DURST preacuteciteacute note 140 explique agrave la page 128 lrsquoattitude de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des reacutegimes de protection comme suit

laquo Why would the OECD Guidelines take a position with respect to safe harbors that seems so divorced from reality The reason I believe lies in politics [hellip] the working party that wrote the Guidelines appears to have been frightened of saying anything that might challenge the fantasy that transfer pricing rules can be administered on the basis of ldquocomparables searchesrdquo Safe harbors expose that fantasy and hence their specter had to be exorcised from the Guidelines Today the economies of many countries continue to suffer the resulting costs raquo

262 S S SURREY preacuteciteacute note 228 pp 445-448

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 515

principe de pleine concurrence LrsquoOCDE serait ainsi ameneacutee pour ce qui regarde lrsquoapproche transactionnelle agrave jeter du lest sans toutefois lrsquoabandonner du moins pour le moment et agrave tirer de lrsquooubli le bon sens rudimentaire qui sous-tendait agrave une eacutepoque anteacuterieure agrave la creacuteation de lrsquoOCDE lrsquoapplication par les administrations fiscales des meacutethodes secondaires263

Sans avoir proceacutedeacute agrave une analyse comparative formelle des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert reconnues par lrsquoOCDE nous ne pouvons affirmer avec certitude que les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices sont des meacutethodes purement transactionnelles Agrave lrsquoeacutevidence elles concernent toutes agrave des degreacutes diffeacuterents la reacutepartition des beacuteneacutefices deacutecoulant de transactions en particulier Intuitivement nous pouvons induire que le degreacute drsquoestimation du prix de transfert obtenu varie drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre le point de reacutefeacuterence eacutetant la comparaison pure en application de la meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre En conseacutequence nous pouvons conclure que lrsquoexactitude de la comparaison srsquoamenuise drsquoun point de vue theacuteorique degraves lors qursquoune meacutethode autre que celle du prix comparable sur le marcheacute libre est utiliseacutee Seules les meacutethodes transactionnelles traditionnelles par opposition aux meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices semblent pouvoir ecirctre qualifieacutees de meacutethodes purement transactionnelles

En drsquoautres termes les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices reconnues actuellement par lrsquoOCDE seraient pour ainsi dire une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee264 Bien entendu il srsquoagit drsquoune forme imparfaite puisque la deacutetermination des taux de rendement des fonctions et des biens incorporels ne reacutesulte pas de la simple application drsquoune formule matheacutematique mais requiert une analyse factuelle De nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire celles comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle combineacute agrave lrsquoapplication drsquoune formule matheacutematique multifactorielle pourraient donc constituer une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee convenable au mecircme titre que les meacutethodes

263 Dans S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 agrave la page 670 lrsquoauteur deacutesigne la norme

internationale en application dans les anneacutees 1930 sous lrsquoappellation laquo norme de la reacutepartition fractionneacutee raquo et ce en raison des eacuteleacutements de formules preacutedominants et du fait que son statut de meacutethode secondaire ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre la meacutethode utiliseacutee la plus freacutequemment

264 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 1) W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 106 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30

516 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

empiriques utiliseacutees par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930 1940 et 1950265

Dans la gamme theacuteorique des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert ces meacutethodes subsidiaires se positionneraient entre les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence et la reacutepartition globale classique des beacuteneacutefices selon une formule En lrsquoabsence de solutions miracles nous croyons que la possibiliteacute de la coexistence comme au temps des anneacutees 1930 drsquoun eacuteventail de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure agrave lrsquoestimation des prix ou des beacuteneacutefices de pleine concurrence au moyen de meacutethodes empiriques incluant la reacutepartition fractionneacutee limiteacutee reste une solution intermeacutediaire senseacutee dans les circonstances Agrave cette fin il serait opportun que lrsquoOCDE effectue une eacutetude et megravene des consultations aupregraves des pays membres et des entreprises multinationales sur le sujet des meacutethodes hybrides Du reste cette solution intermeacutediaire cadre avec lrsquoideacutee du continuum des meacutethodes dont se reacuteclament dans le deacutebat sur la controverse autour du principe de pleine concurrence les partisans de la retouche du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE

NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES

Le deacuteveloppement cloisonneacute des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence par lrsquoOCDE dont lrsquoaboutissement correspond aux lignes directrices a eu pour effet drsquoeacuteclipser des enjeux eacutethiques internationaux majeurs interrelieacutes agrave la question probleacutematique des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees Rarement abordeacutes en matiegravere de fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes les enjeux eacutethiques contemporains meacuteriteraient pourtant examen et reacuteflexion de la part de lrsquoOCDE de lrsquoONU des gouvernements nationaux et des entreprises multinationales Il suffit de penser agrave lrsquoarbitrage de lrsquoabus un enjeu eacutethique souleveacute par lrsquooptimisation fiscale des prix de transfert agrave laquelle se livrent les entreprises multinationales de mecircme qursquoagrave lrsquoeacutequiteacute de la concurrence fiscale mis en peacuteril en raison de lrsquoabaissement par certains pays du taux effectif

265 Crsquoest le cas par exemple du reacutegime hybride proposeacute par les auteurs

R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 2) lequel preacutevoit des meacutecanismes agrave base de formules applicables speacutecifiquement pour reacutepartir le beacuteneacutefice reacutesiduel lorsqursquoil nrsquoexiste pas de donneacutees comparables

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 517

drsquoimposition sous les taux eacutetablis par les autres pays pour favoriser les investissements sur leurs territoires

Crsquoest que les pheacutenomegravenes mondiaux de lrsquoeacutevitement fiscal et de la concurrence fiscale deacuteloyale participent agrave lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des administrations fiscales nationales en contribuant au deacuteplacement des beacuteneacutefices des entreprises multinationales Depuis peu lrsquoOCDE manifeste drsquoailleurs la volonteacute agrave suivre cette nouvelle voie266 sans toutefois aller aussi loin que drsquoamorcer une reacuteflexion eacutethique pour guider la recherche de solutions permettant drsquoajuster les politiques fiscales nationales

621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international

Tous les teacutemoignages et les commentaires preacutesenteacutes en 2010 lors de lrsquoaudience sur les prix de transfert tenue par lrsquoinfluent Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants du Congregraves des Eacutetats-Unis ont indiqueacute que de grandes entreprises multinationales ameacutericaines manipulent en toute leacutegaliteacute les regravegles sur les prix de transfert Certaines associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines jugent acceptable la manipulation licite des regravegles sur les prix de transfert mais condamnent la manipulation illeacutegale267 Guideacutees par lrsquoideacutee fixe de maximiser le rendement des actionnaires les entreprises multinationales mettent en pratique les conseils prodigueacutes par des professionnels de la fiscaliteacute internationale œuvrant dans les grands cabinets comptables et juridiques Les planifications internationales sophistiqueacutees permettent ultimement de localiser les transactions et les beacuteneacutefices imposables y affeacuterents dans les pays dont le taux drsquoimposition est peu eacuteleveacute et de diminuer le fardeau fiscal global des entreprises multinationales

Bien entendu plusieurs facteurs internes et externes qui ne sont pas exclusivement drsquoordre fiscal peuvent justifier du point de vue des entreprises multinationales la manipulation des prix de transfert Il y a notamment lrsquoatteinte de cibles strateacutegiques propres agrave lrsquoentreprise ndash par exemple la reacutealisation volontaire de pertes afin drsquoobtenir de lrsquoaide financiegravere

266 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Lutter contre lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE feacutevrier 2013 (OECDilibrary)

267 Voir notamment The Information Technology Industry Council before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010july22_information_technology_industry_council_submissionpdf)

518 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gouvernementale ndash lrsquoeacutevitement ou la diminution des tarifs douaniers et la minimisation des risques de change de devises268 La reacuteduction du fardeau fiscal proprement dite lrsquoun des facteurs internes incitatifs agrave la manipulation les plus puissants peut reacutesulter soit de manipulations illicites en particulier la surfacturation et la sous-facturation des biens et des services soit de manipulations licites Dans ce dernier cas les manipulations prennent la forme drsquoarrangements contractuels conclus avec des filiales eacutetrangegraveres nouvellement creacuteeacutees ou des entiteacutes non lieacutees afin de deacuteplacer les risques les plus eacuteleveacutes et les fonctions les plus rentables ndash comme le financement lrsquoapprovisionnement la proprieacuteteacute des actifs incorporels lrsquoassurance la gestion et la distribution ndash dans des pays eacutetrangers dont la fiscaliteacute est particuliegraverement avantageuse pour les entreprises multinationales269

Les entreprises multinationales qui tout en se conformant aux lois fiscales nationales se reacuteorganisent en mettant en place des formes organisationnelles audacieuses et en convenant de reacutepartitions contractuelles des risques pour mieux manipuler les prix de transfert sont-elles agrave blacircmer Qursquoen est-il des professionnels chevronneacutes qui conccediloivent les planifications dans les grands cabinets comptables et juridiques drsquoenvergure internationale Agrave supposer que nous adoptions le point de vue de lrsquoeacutethique professionnelle ndash un point de vue largement partageacute par les entreprises multinationales et lrsquoOCDE270 ndash la reacuteponse apporteacutee serait neacutegative En effet toute planification 268 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 622 269 Ce type drsquoarrangements contractuels correspond au modegravele geacuteneacuteral organisationnel

utiliseacute reacutecemment par les entreprises multinationales ameacutericaines pour transfeacuterer outre-mer des actifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 pp 103-104 Il ressort de lrsquoeacutetude des six socieacuteteacutes publiques examineacutees par IrsquoIRS en 2010 que des filiales eacutetrangegraveres ont eacuteteacute creacuteeacutees dans les pays suivants lesquels sont pour la plupart des refuges fiscaux Pays-Bas Chine Bermudes Suisse Porto Rico icircles Caiumlmans Delaware Irlande Singapour et Hong Kong Peu sujets agrave une requalification les arrangements contractuels sont habituellement fondeacutes sur des relations juridiques veacuteritables Au mecircme effet le reportage eacutelaboreacute publieacute par The Guardian sur les strateacutegies fiscales de trois entreprises multinationales ameacutericaines speacutecialiseacutees dans le commerce des bananes soit Dole Chiquita et Fresh Del Monte lesquelles leur permettent drsquoeacutetablir un taux drsquoimposition reacuteel moyen de 143 agrave lrsquoeacutegard des anneacutees drsquoimposition 2002 agrave 2006 alors que le taux drsquoimposition reacutegulier des socieacuteteacutes aux Eacutetats-Unis est de 35 Ian GRIFFITHS et Felicity LAWRENCE laquo Bananas to UK Via the Channel Islands It Pays For Tax Reasons raquo The Guardian 6 novembre 2007 (en ligne httpwwwguardiancoukbusiness2007nov0612print)

270 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 p 32 voir eacutegalement laquo Eacuterosion de la base drsquoimposition et transfert de beacuteneacutefices questions freacutequemment poseacutees raquo (en ligne httpwwwoecdorgfrctpquestionsfrequemmentposeeshtm) dont la reacuteponse agrave la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 519

fiscale qui respecte la lettre et lrsquoesprit des regravegles nationales sur les prix de transfert sera geacuteneacuteralement jugeacutee tout agrave fait convenable par les administrations fiscales271

En revanche si nous appreacutecions cette mecircme planification du point de vue de lrsquoeacutethique morale elle peut paraicirctre discutable du fait que les entreprises multinationales ont lrsquoobligation comme les individus et les entreprises nationales drsquoagir en bons citoyens et de payer un impocirct juste272 Mecircme si le concept de responsabiliteacute sociale des socieacuteteacutes srsquoest deacuteveloppeacute au fil du temps pour ce qui est notamment de lrsquoenvironnement des normes du travail et des droits de la personne il nrsquoest guegravere associeacute au fardeau fiscal et aux prix de transfert273 De toute eacutevidence lrsquoopinion exprimeacutee en 1970 par lrsquoeacuteconomiste ameacutericain Milton Friedman selon laquelle les entreprises nrsquoont pas de responsabiliteacute sociale continue de trouver plus de 40 ans plus tard un eacutecho favorable274

Mecircme si la reacutealiteacute de lrsquoeacutevitement fiscal relatif aux prix de transfert semble deacutesormais admise lrsquoampleur et lrsquoimportance de ce pheacutenomegravene sont difficiles agrave mesurer tant dans les pays deacuteveloppeacutes que dans les pays en deacuteveloppement Malgreacute la controverse autour du principe de pleine concurrence aucune eacutetude nrsquoa encore pu quantifier avec preacutecision faute de donneacutees statistiques fiables le montant annuel des recettes fiscales perdues par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine deacutecoulant de la manipulation des prix de transfert275 Aux Eacutetats-Unis lrsquointerpreacutetation des donneacutees statistiques

(hellipsuite)

question 9 mentionne que laquo [l]es pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher aux entreprises drsquoappliquer des regravegles qursquoils ont eux-mecircmes mises en place Par conseacutequent il incombe aux pouvoirs publics de revoir les regravegles existantes ou drsquoen adopter de nouvelles raquo

271 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 18 Voir aussi Don R HANSEN Rick L CROSSER et Doug LAUFER laquo Moral Ethics v Tax Ethics The Case of Transfer Pricing Among Multinational raquo (1992) vol 11 Journal of Business Ethics 679 (SpringerLink) p 684

272 L EDEN preacuteciteacute note 209 pp 18-19 273 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 650 274 Milton FRIEDMAN laquo The Social Responsability of Business is to Increase its

Profits raquo The New York Times Magazine 23 septembre 1970 (en ligne httpwww-rohansdsuedufacultydunnwebrprntsfriedmandunnpdf)

275 Testimony of James R Hines Jr Professor of University of Michigan School of Law before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010jul22_hines_testimonypdf)

(agrave suivrehellip)

520 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

disponibles qui sont utiliseacutees dans les eacutetudes notamment la mesure de lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par rapport agrave la mesure de lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger ne fait pas lrsquounanimiteacute276

Pourtant deacutejagrave signaleacute dans le Rapport Carroll le pheacutenomegravene de la manipulation des prix de transfert comme strateacutegie drsquoeacutevitement fiscal international nrsquoa pas retenu lrsquoattention de lrsquoOCDE au cours de la seconde moitieacute du XXe siegravecle Contrairement agrave ce qursquoelle laissait entendre en 1998 agrave lrsquooccasion des premiers travaux meneacutes sur la concurrence des systegravemes fiscaux nationaux lrsquoOCDE nrsquoa jamais approfondi la question de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux prix de cession interne transfrontaliers impliquant des socieacuteteacutes lieacutees reacutesidant dans des refuges fiscaux ou des reacutegimes fiscaux preacutefeacuterentiels ni compleacuteteacute les lignes directrices sur ce point277 Certes nous trouvons le terme laquo manipulations raquo dans les lignes directrices lrsquoOCDE mettant en garde les administrations fiscales de ne laquo [hellip] pas preacutesumer systeacutematiquement que des entreprises associeacutees ont essayeacute de se livrer agrave des manipulations concernant leurs beacuteneacutefices raquo278 Quant au terme laquo eacutethique raquo il nrsquoapparaicirct pas non plus dans les lignes directrices en matiegravere de prix de transfert ni mecircme dans le court chapitre traitant de la fiscaliteacute inseacutereacute au sein du code de conduite responsable de lrsquoOCDE destineacute aux entreprises multinationales279

(hellipsuite)

(laquo Hines raquo) Se fondant sur lrsquoanalyse de la preuve directe de lrsquoIRS (application des regravegles ameacutericaines sur les prix de transfert) et de la preuve indirecte empirique (donneacutees extraites des deacuteclarations fiscales produites par les entreprises multinationales ameacutericaines) le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis conclut en 2010 que des revenus importants sont vraisemblablement deacutetourneacutes agrave lrsquoeacutetranger pour des motifs fiscaux au moyen du meacutecanisme des prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees Testimony of Stephen E Shay Deputy Assistant Secretary for International Tax Affairs US Department of Treasury before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwwwtreasurygovresource-centertax-policyDocumentsOTPTest-2010-7-22-Shay-Testimonypdf)

276 Hines preacuteciteacute note 275 p 6 277 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport sur la concurrence fiscale dommageable Un problegraveme mondial 1998 (OECDilibrary) par 166-167

278 Principes de 2010 preacuteciteacute note 109 par 12 Pour ce qui concerne le terme laquo manipulation raquo il apparaicirct aux paragraphes 123 et 723 lesquels ne traitent pas des refuges fiscaux

279 Les principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales OCDE 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrdafinvmne48004355pdf) pp 71-74

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 521

Voici que 15 anneacutees plus tard en 2013 lrsquoOCDE mandateacutee par le G20 srsquoattaque sur fond de crise financiegravere internationale au pheacutenomegravene de la manipulation licite des prix de transfert Apregraves avoir tant tardeacute lrsquoOCDE se penche enfin sur le problegraveme de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des gouvernements nationaux deacutecoulant des pratiques agressives de transferts de beacuteneacutefices auxquelles ont recours les entreprises multinationales280 Deacutetermineacutee agrave sauvegarder lrsquointeacutegriteacute du systegraveme fiscal international drsquoimposition des socieacuteteacutes lrsquoOCDE embrasse pour ce faire une laquo approche holistique raquo Crsquoest ainsi que le plan drsquoaction mondial lanceacute en juillet 2013 aborde plusieurs aspects de ce problegraveme et propose drsquoinstaurer laquo [d]es changements fondamentaux [hellip] pour empecirccher efficacement la double non-imposition mais aussi les cas drsquoimposition faible ou nulle associeacutes agrave des pratiques qui seacuteparent artificiellement les beacuteneacutefices des activiteacutes qui les geacutenegraverent raquo281 Il appert que parmi lrsquoeacuteventail de changements requis certains permettront de preacuteciser les regravegles sur les prix de transfert en particulier celles relatives au transfert drsquoactifs incorporels et de risques ainsi qursquoagrave lrsquoattribution drsquoune fraction excessive du capital entre les membres drsquoun groupe multinational drsquoentreprises282

280 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Communiqueacute laquo LrsquoOCDE plaide en faveur drsquoune intensification de la coopeacuteration internationale concernant la fiscaliteacute des entreprises raquo 12 feacutevrier 2013 (en ligne httpwwwoecdorgfrpresselocde-plaide-en-faveur-dune-intensification-de-la-cooperation-internationale-concernant-la-fiscalite-des-entrepriseshtm)

281 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Plan drsquoaction concernant lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE 2013 (OECDilibrary) p 13 Ce plan fait suite agrave la publication du rapport sur lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 Pour des commentaires sur le plan voir Lee A SHEPPARD laquo OECD BEPS Action Plan Trying to Save the System raquo (2013) Tax Notes Today 140-1 (Tax Analysts)

282 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 281 pp 21-22 Les autres changements requis verront entre autres agrave renforcer lrsquoefficaciteacute des regravegles preacutevues dans les leacutegislations nationales et les conventions fiscales (par exemple la limitation des deacuteductions drsquointeacuterecircts les regravegles relatives aux socieacuteteacutes eacutetrangegraveres controcircleacutees et la deacutefinition de lrsquoeacutetablissement stable) agrave fixer des regravegles relatives agrave la deacuteductibiliteacute des frais financiers intragroupe agrave eacuteliminer les avantages de lrsquoarbitrage fiscal et des montages impliquant des entiteacutes hybrides agrave lutter plus activement contre les reacutegimes fiscaux dommageables agrave obliger les contribuables agrave deacuteclarer les planifications fiscales agressives ainsi qursquoagrave eacutelaborer une convention fiscale multilateacuterale laquelle permettrait la mise en œuvre de nouvelles regravegles sans avoir agrave reacuteviser les conventions fiscales bilateacuterales existantes

522 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Sans meacutesestimer la valeur du projet de lrsquoOCDE sur lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale force est de constater que lrsquoOCDE persiste agrave neacutegliger lrsquoeacutethique morale des comportements des entreprises multinationales et des professionnels des grands cabinets drsquoexperts-comptables et drsquoavocats qui fournissent des services-conseils de planification fiscale Mecircme si ce projet aura le meacuterite drsquoeacutevaluer les pertes de recettes fiscales relativement agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes283 il ne cherche pas agrave introduire la notion drsquoeacutethique morale dans la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes pour tenter de policer les comportements des entreprises multinationales en ce qui concerne les prix de transfert Agrave supposer que plusieurs des entreprises multinationales soient deacutepourvues drsquoeacutethique morale elles utilisent aujourdrsquohui agrave leur avantage pour se soustraire agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou reacuteduire leur fardeau fiscal les divergences entre les regravegles nationales sur les prix de transfert qui paradoxalement ont eacuteteacute mises en place au fil du temps en reacuteponse agrave leur demande formuleacutee degraves 1920 aupregraves de la SDN pour preacutevenir la double imposition

622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale

Mecircme si jusqursquoagrave preacutesent la controverse autour du principe de pleine concurrence a fait couler beaucoup drsquoencre parmi les universitaires et les praticiens aux Eacutetats-Unis le deacutebat sur la norme de la reacutepartition internationale constitue possiblement un faux problegraveme contemporain dans le contexte du deacutebat sur les prix de transfert Le veacuteritable problegraveme serait plutocirct agrave notre avis le pheacutenomegravene mondial de la concurrence fiscale deacuteloyale En particulier depuis le dernier quart du XXe siegravecle les politiques fiscales nationales des pays de reacutesidence et drsquoaccueil des investissements directs eacutetrangers rivalisent de plus en plus drsquoaudace pour attirer les entreprises multinationales agrave y exercer des activiteacutes commerciales Favorisant des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes nuls ou faibles et drsquoautres mesures fiscales incitatives telles entre autres le secret bancaire et le cantonnement des avantages aux non-reacutesidents plusieurs pays se transforment en refuges fiscaux

La compeacutetition fiscale entre les Eacutetats dont reacutesulte la creacuteation drsquoeacutecarts consideacuterables entre les taux drsquoimposition des socieacuteteacutes peut indiscutablement inciter les entreprises multinationales agrave optimiser les deacuteplacements de leurs beacuteneacutefices au moyen de manipulations licites ou illicites des prix de transfert

283 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 280

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 523

dans les pays ayant un taux drsquoimposition parmi les plus faibles284 Dans le passeacute le sujet de la concurrence fiscale deacuteloyale a eacuteteacute lrsquoobjet drsquoune eacutetude de lrsquoOCDE285 laquelle a conduit agrave la creacuteation drsquoun Forum sur les pratiques dommageables et des accords drsquoeacutechange de renseignements en matiegravere fiscale (AERF) Preacutetextant des deacutecisions politiques prises par les gouvernements nationaux lrsquoOCDE refuse de srsquoimmiscer directement dans la sphegravere de la souveraineteacute nationale et srsquoabstient de critiquer lrsquoeacutecart important entre les taux drsquoimposition effectifs de lrsquoensemble des pays dans le monde deacutecoulant de lrsquoabaissement des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes ou de lrsquoadoption de mesures fiscales avantageuses pour favoriser les investissements sur certains territoires286 Dans les circonstances actuelles il est permis de srsquointerroger sur le fait que lrsquoOCDE agrave deacutefaut de deacutenoncer le pheacutenomegravene de la concurrence fiscale se trouve pour tout dire agrave lrsquoapprouver tacitement

En reacutealiteacute lrsquoimportance relative de la question des prix de transfert comme enjeu de politique fiscale nrsquoest plus du tout la mecircme que dans les anneacutees 1960 et 1970 eacutetant donneacute la mouvance mondiale vers la reacuteduction des taux leacutegaux drsquoimposition sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Dans les pays de lrsquoOCDE les taux leacutegaux drsquoimposition de lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes diminuent geacuteneacuteralement depuis les anneacutees 1980 drsquoune maniegravere constante287 Au cours du XXIe siegravecle par exemple le taux drsquoimposition moyen des pays de lrsquoOCDE est passeacute de 341 en 2000288 agrave 252 en 2013289 En revanche les taxes indirectes notamment la taxe sur la valeur

284 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 3 285 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 277 286 Id p 15 287 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES laquo Reacuteformer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes synthegraveses raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE 2008 (en ligne httpwwwoecdorg frfiscaliteanalysedespolitiquesfiscales41106903pdf) (consulteacute en octobre 2012) p 3

288 KPMGrsquos Corporate and Indirect Tax Rate Survey 2007 2007 (en ligne httpwwwinkpmgcompdfcorptaxratesurvey2007pdf) p 9

289 KPMG Tax rates on line (en ligne httpwwwkpmgcomglobalenservicestaxtax-tools-and-resourcespagestax-rates-onlineaspx)

524 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ajouteacutee tendent agrave augmenter en Europe au Moyen-Orient en Afrique et en Ameacuterique du Nord et du Sud290

Il paraicirct donc opportun de se demander jusqursquoagrave quel point les taux drsquoimposition nominaux des socieacuteteacutes peuvent diminuer Cette mouvance mondiale agrave la reacuteduction des taux megravenera-t-elle agrave lrsquoabolition pure et simple agrave moyen ou agrave long terme de lrsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes De plus il y a lieu de se demander si cette abolition ne serait pas la panaceacutee aux difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence Deacutebordant le sujet de la preacutesente eacutetude ces questions cruciales seront sans nul doute deacutebattues agrave lrsquoavenir par lrsquoOCDE et lrsquoONU

CONCLUSION

En deacutefinitive le principe de pleine concurrence demeure au XXIe siegravecle agrave deacutefaut drsquoune solution de rechange miraculeuse la moins mauvaise des options pour reacutegir la reacutepartition en droit fiscal international public des beacuteneacutefices reacutesultant des cessions internes de biens et de services entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale En ce sens il nrsquoest donc pas anachronique Inteacutegreacute dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU vers la fin des anneacutees 1970 ce principe dont lrsquoeacutenonceacute est exprimeacute au paragraphe 9(1) consiste en la seule reacutefeacuterence normative accepteacutee dans les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et il reacutecolte de nos jours lrsquoadheacutesion de la majoriteacute des pays dans le monde

La longue controverse aux Eacutetats-Unis sur les principales lacunes du principe de pleine concurrence qui oppose partisans et adversaires du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie nrsquoa pas reacuteussi agrave leacutezarder le solide consensus construit apregraves la Seconde Guerre mondiale autour du principe de pleine concurrence Quoique lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique et commercial mondiaux ait eu pour conseacutequence de transformer lrsquoapplication du principe de pleine concurrence en veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU persistent depuis 1995 agrave rejeter expresseacutement la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique refusant de voir en cette derniegravere une norme soi-disant plus simple et plus efficace Le consensus actuel

290 ERNST amp YOUNG Communiqueacute laquo Une pression fiscale mondiale agrave la hausse raquo

6 janvier 2012 (en ligne httpwwweycomFTfrNewsroomNews-releasesCommunique-de-presse---Observatoire-des-Politiques-Budgetaires-et-Fiscales-2012---OPBF)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 525

entrave donc toute possibiliteacute de voir eacutemerger agrave court ou agrave moyen terme un nouveau consensus international en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie

Reste que la tendance des pays agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente agrave utiliser des regravegles simplifieacutees baseacutees sur des formules matheacutematiques appelle lrsquoOCDE agrave moderniser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence afin drsquoen ameacuteliorer lrsquoadeacutequation avec les contextes eacuteconomique et commercial mondiaux Projetant lrsquoexpeacuterience du passeacute sur lrsquoavenir lrsquoOCDE pourrait ainsi assouplir ces modes drsquoapplication en faisant preuve du mecircme esprit de pragmatisme que celui des administrations fiscales nationales lors de lrsquoutilisation dans les anneacutees drsquoimposition 1930 1940 et 1950 des meacutethodes estimatives Dans cette optique il serait opportun pour lrsquoOCDE drsquoexplorer lrsquoideacutee drsquointroduire de nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle et une reacutepartition fractionneacutee limiteacutee au moyen drsquoune formule matheacutematique

Le reacutecent changement drsquoapproche de lrsquoOCDE vis-agrave-vis du pheacutenomegravene de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale paraicirct annoncer une reacutevolution en droit fiscal international public La nouvelle approche globaliste qui tient compte de tous les aspects de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes y compris les prix de transfert pourra-t-elle reacuteussir agrave mettre en avant des solutions innovatrices pour contrer efficacement lrsquoeacutevitement fiscal reacutesultant de la manipulation licite par les entreprises multinationales des interactions entre les regravegles nationales sur les prix de transfert Publieacute en juillet 2013 le plan drsquoaction mondial de lrsquoOCDE qui sera deacuteployeacute au cours des anneacutees 2014 et 2015 aura sans contredit des conseacutequences futures importantes sur les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence pour fixer les prix de transfert

526 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 527

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES

BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE

Pierre Brosseau CPA CA LLM fisc

Directeur ndash fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

PREacuteCIS

Les reacutecents efforts de deacuteveloppement entrepris dans le Nord du Queacutebec stimulent grandement lrsquoeacuteconomie de cette reacutegion Des communauteacutes autochtones occupent une partie non neacutegligeable de ce territoire Pour celles-ci les occasions drsquoaffaires avec lrsquoexteacuterieur sont donc de plus en plus freacutequentes et lrsquoutilisation de la socieacuteteacute par actions comme veacutehicule juridique est monnaie courante Lrsquoauteur se penche sur la possibiliteacute que les socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts du Queacutebec Il tente de mettre en eacutevidence les zones grises et les nuances que renferment ces dispositions leacutegislatives Il le fait en analysant la jurisprudence lrsquohistorique de ces dispositions leacutegislatives ainsi que les diverses notions que ces mecircmes dispositions renferment Le texte aborde aussi certains eacuteleacutements de planification visant agrave optimiser la situation fiscale des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes

528 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ABSTRACT

The recent developmental efforts undertaken in Queacutebecrsquos North have greatly stimulated the economy of that region A significant part of this territory is occupied by aboriginal communities For them business opportunities with the outside world have become more and more frequent and the use of a business corporation as a legal structure is a common practice This text focuses on the possibility for such corporations owned by Indian bands to benefit from the tax exemption under paragraphs 149(1)(d5) and 149(1)(d6) of the Income Tax Act and paragraphs 985(f) and 985(g) of the Taxation Act of Queacutebec The author attempts to identify the grey areas and the subtleties contained in these statutory provisions by analyzing the case law the history of the provisions and as well the various notions found in the provisions This text also discusses certain planning options which aim to optimize the tax situation of corporations owned by Indian bands

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 529

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 531

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL 531

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES 531 12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS 532 13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET 533

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES 534

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE 534

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES 534 221 Situation avant 1999 534 222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux 535 223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999 538

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES 541

3 NOTIONS FONDAMENTALES 542

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE 542 311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich 542 312 Positions administratives 544 313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec 547 314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public

remplissant une fonction gouvernementale 549 32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES 550

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR 550 322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois 551 323 Positions administratives 554 324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte 555 325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques 560

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU 561 331 Notion de revenu 561 332 Notion de lieu (situs) 564 333 Notion drsquoactiviteacutes 565 334 Notion de peacuteriode 569 335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de

revenu 571

530 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR 572 341 Application de lrsquoexception et notion de convention

eacutecrite 573 342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR 575

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE 575

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE 576 42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES 577 43 REacuteDACTION DES CONTRATS 579 44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS 580

CONCLUSION 580

ANNEXE 582

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 531

INTRODUCTION

Le preacutesent texte est un outil qui vise agrave eacuteclairer les communauteacutes des Premiegraveres Nations dans lrsquoorganisation de leurs affaires agrave caractegravere commercial Avec les reacutecents efforts de deacuteveloppement eacuteconomique du Nord queacutebeacutecois la participation de ces communauteacutes agrave des activiteacutes commerciales a commenceacute agrave croicirctre et ne fera que continuer de croicirctre au cours des prochaines anneacutees Dans cette optique notre but est drsquoapporter des preacutecisions sur lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes

Cette analyse srsquoapplique de faccedilon geacuteneacuterale agrave toutes les bandes indiennes Toutefois les communauteacutes cries1 du Queacutebec sont assujetties agrave un reacutegime particulier qui a pris naissance au moment de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois2 Crsquoest surtout lorsqursquointerviendra la notion de limites geacuteographiques que le reacutegime propre aux Cris du Queacutebec ressortira

Dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne peut-elle se preacutevaloir de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu3 et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts4 du Queacutebec Telle est la question qui orientera notre analyse

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES

Le terme laquo autochtone raquo englobe tous les aborigegravenes du Canada crsquoest- agrave-dire les Premiegraveres Nations ameacuterindiennes les communauteacutes inuites et les meacutetis Lrsquoexpression laquo Premiegraveres Nations raquo quant agrave elle regroupe les nations

1 Les particulariteacutes du reacutegime des Cris du Queacutebec srsquoappliquent eacutegalement agrave la

communauteacute naskapie situeacutee pregraves de la ville de Schefferville 2 Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois le 11 novembre 1975

(laquo Convention de la Baie-James raquo) 3 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 4 LRQ c I-3 (laquo LI raquo)

532 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

qui sont reacutegies agrave la base par la Loi sur les Indiens5 Les nations huronne-wendate mohawk naskapie et crie en sont des exemples

Contrairement au mythe ce ne sont pas tous les autochtones qui beacuteneacuteficient drsquoune exemption fiscale sur leurs revenus Lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens preacutevoit malgreacute toutes autres lois que les droits et biens drsquoun Indien ou drsquoune bande indienne sont exempts de taxation srsquoils sont situeacutes sur une reacuteserve Il y a donc deux limites agrave lrsquoexemption le contribuable doit ecirctre un Indien ou une bande indienne et le revenu doit ecirctre situeacute sur la reacuteserve Cette exemption fiscale est reconnue par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR alors qursquoau Queacutebec elle prend la forme drsquoune deacuteduction du revenu imposable en vertu du paragraphe 725e) LI

Les tribunaux considegraverent avec reacuteserve qursquoune socieacuteteacute par actions puisse beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne agrave des fins fiscales6 Par le fait mecircme une telle socieacuteteacute ne peut pas se soustraire agrave lrsquoimposition en invoquant lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens Cet article ne sera donc pas une avenue possible pour une bande indienne qui voudrait exempter le revenu reacutealiseacute par une socieacuteteacute dont elle est actionnaire

Bien que le preacutesent texte ne porte pas sur lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens il est impensable drsquoen faire complegravetement abstraction Les diverses conclusions des tribunaux entourant son application reposent sur des reacutealiteacutes qui sont analogues agrave celles concernant les socieacuteteacutes des bandes indiennes Apregraves tout une bande indienne reste une bande indienne dans un contexte ou dans un autre De surcroicirct le recours aux deacutecisions concernant lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens est indispensable agrave lrsquoanalyse des dispositions leacutegislatives propres aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes Les contribuables viseacutes doivent jongler avec des dispositions relativement reacutecentes sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute suffisamment appeleacutes agrave se prononcer

12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS

Puisqursquoune socieacuteteacute par actions ne peut pas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne on peut se questionner sur les motivations drsquoun 5 LRC 1985 ch I-5 6 Canadian Pacific Ltd c Matsqui Indian Band [2000] 1 CF 325 par 37 et par 175

renvoyant agrave la note 100 (CAF) Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in Right of Saskatchewan [1979] 6 WWR 84 (CA Sask)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 533

conseil de bande agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute La raison la plus eacutevidente de renoncer agrave lrsquoexemption preacutevue par la Loi sur les Indiens pourrait ecirctre qursquoun Indien ou une bande indienne nrsquoy aurait pas droit de toute maniegravere en raison du situs hors reacuteserve du revenu geacuteneacutereacute par lrsquoentreprise7 Ce sont surtout des consideacuterations juridiques et commerciales qui font que les conseils de bande peuvent favoriser la constitution de socieacuteteacutes par actions ou y soient contraints8 Par exemple une bande indienne peut vouloir limiter sa responsabiliteacute dans certains projets On peut aussi vouloir garantir une gouvernance plus stable qui ne changera pas agrave chacune des eacutelections auxquelles sont soumis les conseils de bande De plus certaines reacuteglementations sectorielles obligent les entiteacutes agrave ecirctre constitueacutees en socieacuteteacutes Il ne faut pas oublier aussi que pour une bande indienne les possibiliteacutes de faire affaire avec lrsquoexteacuterieur sont limiteacutees en raison du fait que les proceacutedures de saisie peuvent ecirctre difficiles voire impossibles pour les creacuteanciers9

13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI renferment plusieurs dimensions La plupart de ces dimensions seront traiteacutees dans le preacutesent texte Toutefois la composition de lrsquoactionnariat du type de socieacuteteacutes eacutetudieacutees ne sera pas abordeacutee directement eacutetant donneacute que les dispositions leacutegislatives sont relativement claires agrave ce sujet Ainsi nous orienterons notre eacutetude sur les aspects les plus neacutebuleux contenus dans les dispositions leacutegislatives Il faut garder en tecircte que notre but est de nous concentrer sur les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes et non sur divers sceacutenarios drsquoactionnariat possibles avec drsquoautres entiteacutes exoneacutereacutees ou imposables En conseacutequence crsquoest la situation drsquoune socieacuteteacute deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne qui sera expresseacutement analyseacutee 7 Mitchell c Bande indienne Peguis [1990] 2 RCS 85 par 5

laquo Lrsquoarticle 90 [concernant lrsquoexemption de saisie] doit ecirctre interpreacuteteacute conjointement avec les art 87 et 89 [de la Loi sur les Indiens] Il faut eacuteviter drsquoaccorder une porteacutee trop large agrave ces dispositions Elles nrsquoont pas pour but drsquoaccorder des privilegraveges aux Indiens agrave lrsquoeacutegard des biens qursquoils peuvent acqueacuterir et posseacuteder peu importe lrsquoendroit ougrave ils sont situeacutes Leur but est plutocirct de proteacuteger des ingeacuterences et des entraves de la socieacuteteacute en geacuteneacuteral les droits de proprieacuteteacute des Indiens sur leurs terres reacuteserveacutees pour veiller agrave ce que ceux-ci ne soient pas deacutepouilleacutes de leurs droits raquo

8 Voir notamment Kimberley THOMAS et Merle ALEXANDER The Taxation and Financing of Aboriginal Businesses in Canada feuilles mobiles Scarborough Ont Carswell 1998 agrave la page 5-53

9 Art 89 de la Loi sur les Indiens

534 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX

SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE

Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment les socieacuteteacutes par actions ne peuvent en aucun cas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne Elles ne peuvent donc pas espeacuterer se soustraire agrave lrsquoimposition en recourant agrave la Loi sur les Indiens Y a-t-il une porte de sortie

On srsquoest interrogeacute sur les parallegraveles qui existent entre une bande indienne et une municipaliteacute Au mecircme titre qursquoune ville une bande indienne est dirigeacutee par un conseil eacutelu et assume plusieurs responsabiliteacutes vis-agrave-vis de la population Les fonctions drsquoun conseil de bande peuvent mecircme aller au-delagrave de celles des villes du Queacutebec car le conseil de bande participe souvent au deacuteveloppement eacuteconomique de sa communauteacute Cette reacutealiteacute a laisseacute croire agrave certains conseils de bande qursquoils pouvaient beacuteneacuteficier des mecircmes avantages fiscaux que les municipaliteacutes canadiennes

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES

221 Situation avant 1999

En 197210 les passages de lrsquoarticle 149 LIR pertinents agrave lrsquoanalyse se lisaient comme suit11

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente Partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

c) une municipaliteacute au Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada

d) une corporation commission ou association dont au moins 90 des actions ou du capital appartenaient agrave Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou agrave une municipaliteacute canadienne ou une corporation filiale posseacutedeacutee en

10 Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1970-71-72 ch 63 11 De faccedilon geacuteneacuterale les dispositions de la Loi sur les impocircts du Queacutebec qui

srsquoharmonisent avec les dispositions de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne seront pas traiteacutees en deacutetail Agrave lrsquooccasion il y sera toutefois fait briegravevement reacutefeacuterence par souci de commoditeacute

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 535

proprieacuteteacute exclusive par une semblable corporation commission ou association mais le preacutesent alineacutea ne sapplique pas

(i) agrave une telle corporation commission ou association si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette corporation commission ou association ou un droit drsquoacqueacuterir ces actions ou ce capital et

(ii) agrave une telle corporation filiale si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette filiale ou de la corporation commission ou association dont elle est une filiale posseacutedeacutee en proprieacuteteacute exclusive ou un droit dacqueacuterir ces actions ou ce capital raquo (Notre soulignement)

Il est inteacuteressant de noter que cette version du paragraphe 149(1) LIR datant de 1972 reconnaissait agrave lrsquoalineacutea c) le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et preacutevoyait qursquoun tel organisme eacutetait exempteacute drsquoimpocirct Toutefois lrsquoexemption ne srsquoeacutetendait pas aux socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient la proprieacuteteacute drsquoun tel organisme Certains conseils de bande ont tout de mecircme tenu pour acquis que les socieacuteteacutes dont ils eacutetaient actionnaires pouvaient beacuteneacuteficier de lrsquoexemption de la mecircme faccedilon que les socieacuteteacutes dont les municipaliteacutes sont actionnaires en beacuteneacuteficient

222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux

Au deacutebut des anneacutees 1990 la position voulant qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne soit consideacutereacutee comme une entiteacute exempteacutee drsquoimpocirct fut soumise pour la premiegravere fois aux tribunaux Dans lrsquoaffaire Otineka Development Corporation Limited c La Reine12 les socieacuteteacutes appelantes soutenaient que la bande drsquoOpaskwayak (communauteacute crie du Manitoba) devait ecirctre consideacutereacutee comme une municipaliteacute Le terme laquo municipaliteacute raquo nrsquoeacutetant pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu le juge Bowman de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a ducirc recourir aux regravegles drsquointerpreacutetation Il opta pour une approche teacuteleacuteologique pour interpreacuteter lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR Selon lui puisque la bande remplissait effectivement les fonctions drsquoune municipaliteacute canadienne il nrsquoy avait aucune raison de refuser lrsquoexemption agrave ses socieacuteteacutes Lorsque la deacutecision fut rendue le 28 janvier 1994

12 94 DTC 1234 (CCI) (laquo Otineka raquo)

536 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoAgence du revenu du Canada (laquo ARC raquo) accepta cette interpreacutetation et lrsquointeacutegra dans sa politique administrative13

Quelques anneacutees plus tard soit le 8 mai 2000 lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec Corporation de Deacuteveloppement Tawich c SMRQ14 a brouilleacute les cartes Lrsquoaffaire Tawich concernait la bande crie de Wemindji situeacutee au Queacutebec La socieacuteteacute dont la bande eacutetait lrsquounique actionnaire consideacuterait qursquoelle devait beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale au mecircme titre que les socieacuteteacutes en cause dans lrsquoaffaire Otineka

Dans leur interpreacutetation le juge de la Cour du Queacutebec et les juges de la Cour drsquoappel du Queacutebec ont opteacute pour une analyse logique baseacutee sur la globaliteacute du systegraveme juridique canadien La Cour du Queacutebec a fermement rejeteacute lrsquointerpreacutetation litteacuterale retenue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui srsquoeacutetait entre autres reacutefeacutereacutee agrave des dictionnaires pour circonscrire le sens courant du terme laquo municipaliteacute raquo Le raisonnement de la Cour du Queacutebec qui a eacuteteacute confirmeacute par la Cour drsquoappel du Queacutebec eacutetait que ce terme avait un sens juridique et que seul lrsquoacte constitutif drsquoune municipaliteacute pouvait lui confeacuterer son statut Puisque la question autochtone relegraveve du gouvernement feacutedeacuteral alors que les municipaliteacutes sont de compeacutetence exclusivement provinciale15 on ne pouvait ecirctre en preacutesence drsquoune municipaliteacute Pour les tribunaux du Queacutebec il eacutetait hors de question de faire abstraction des regravegles drsquointerpreacutetation visant la coheacuterence des lois entre elles La Corporation de Deacuteveloppement Tawich a interjeteacute appel de lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec devant le plus haut tribunal du pays Bien que la demande de pourvoi ait eacuteteacute accepteacutee16 la Cour suprecircme du Canada nrsquoa pas eu agrave se prononcer sur la question puisque lrsquoEntente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris du Queacutebec17 signeacutee en 2002 exigeait un deacutesistement de plusieurs proceacutedures dont celles de la Corporation de Deacuteveloppement Tawich

13 Tax Window Files dans Tax Works (CD-ROM) Don Mills Ont CCH Canadian

interpreacutetations techniques 9420917 laquo Tax-Exempt Indian Corporations raquo 15 novembre 1994 9502805 laquo Indians ndash Municipal Corporation raquo 27 juin 1995 et 9917773 laquo Bande indienne ndash Municipaliteacute raquo 5 janvier 2000

14 [2000] RDFQ 21 (CA) confirmant [1997] RJQ 211 (CQ) (laquo Tawich raquo) 15 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 reproduite dans

LRC 1985 app II no 5 par 92(8) 16 Dossier 28033 demande drsquoautorisation drsquoappel accordeacutee le 19 avril 2001 17 Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris

du Queacutebec (surnommeacutee laquo Paix des Braves raquo) le 7 feacutevrier 2002 art 926

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 537

Malgreacute lrsquoarrecirct Tawich de la Cour drsquoappel du Queacutebec lrsquoARC a continueacute drsquoappliquer les principes de la deacutecision de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka18 La position officielle eacutetait que tant qursquoune cour feacutedeacuterale de plus haute instance nrsquoinfirmerait pas la deacutecision rendue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka lrsquoARC allait srsquoen tenir agrave cette interpreacutetation19 Cette situation contraignit les contribuables queacutebeacutecois viseacutes agrave jongler avec deux statuts fiscaux diffeacuterents ils eacutetaient exempteacutes au feacutedeacuteral et imposables au provincial La position de Revenu Queacutebec eacutetait sans eacutequivoque laquo seule une entiteacute eacuteleveacutee au plan juridique au rang de municipaliteacute peut ecirctre reconnue comme telle en regard de la loi raquo20 Une socieacuteteacute reacutesidente du Queacutebec qui est deacutetenue par une bande indienne ne pouvait donc pas ecirctre exempteacutee drsquoimpocirct alors que si elle eacutetait reacutesidente drsquoune autre province elle avait ce privilegravege21 Ceux qui au sein de la communauteacute fiscale eacutetaient au courant de cette situation voyaient lagrave un grave problegraveme drsquoeacutequiteacute

Mecircme si la Cour canadienne de lrsquoimpocirct et les tribunaux du Queacutebec ont eu des interpreacutetations divergentes du terme laquo municipaliteacute raquo les administrations fiscales srsquoentendaient tout de mecircme pour dire qursquoune bande indienne pouvait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale22 Eacutetant donneacute le cadre leacutegislatif de lrsquoeacutepoque cela signifiait qursquoune bande indienne pouvait se preacutevaloir de lrsquoexemption en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR mais que les socieacuteteacutes dont la bande eacutetait actionnaire nrsquoy avaient pas droit puisque le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale nrsquoeacutetait pas preacutevu agrave lrsquoalineacutea 149(1)d) LIR

18 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 1999-0013323 laquo Indian

Band ndash Municipality raquo 20 deacutecembre 2000 19 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 et 2001-0114767 laquo Indian Bands As Mun Authorities raquo 8 janvier 2002

20 REVENU QUEacuteBEC lettre drsquointerpreacutetation 99-011245 laquo Exoneacuteration des corps publics ndash Statut des bandes indiennes et des conseils de bande raquo 23 novembre 1999

21 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0020555 laquo Munic Corp ndash Indian Bands raquo 11 mai 2000

22 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 et Tax Window Files preacuteciteacute note 21

538 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999

Devant ce problegraveme drsquoeacutequiteacute les leacutegislateurs nrsquoavaient drsquoautre choix que de reacuteagir Les dispositions tant feacutedeacuterales que provinciales ont eacuteteacute remodeleacutees pour les anneacutees drsquoimposition commenccedilant apregraves 199823 Lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR a eacuteteacute diviseacute en plusieurs alineacuteas agrave savoir les alineacuteas 149(1)d) et 149(1)d1) agrave 149(1)d6) LIR pour traiter seacutepareacutement les socieacuteteacutes drsquoEacutetat des socieacuteteacutes municipales et leurs filiales Ces modifications ont aussi eu pour effet de limiter par un test de revenu lrsquoexemption fiscale disponible aux socieacuteteacutes municipales Elles ne venaient toutefois pas reacutegler lrsquoiniquiteacute exposeacutee preacuteceacutedemment

Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2004 le gouvernement feacutedeacuteral annonccedila drsquoautres modifications il proposa drsquointroduire le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR24 Ces modifications corrigeraient le problegraveme drsquoiniquiteacute dans la mesure ougrave le gouvernement du Queacutebec srsquoy arrimerait Bien que ces propositions leacutegislatives aient fait lrsquoobjet de deux projets de loi qui sont morts au feuilleton25 le gouvernement feacutedeacuteral a confirmeacute reacuteguliegraverement son intention drsquoaller de lrsquoavant avec les modifications proposeacutees ce nrsquoest toutefois qursquoen juin 2013 qursquoelles ont eacuteteacute adopteacutees26

Du cocircteacute queacutebeacutecois la proposition leacutegislative est arriveacutee plus tardivement soit en 2006 car on voulait attendre la sanction de la loi

23 Loi de 1997 modifiant lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1998 ch 19 par 178(1)

Loi modifiant la Loi sur les impocircts et drsquoautres dispositions leacutegislatives LQ 2000 c 5 art 229 et 230 modifiant lrsquoarticle 985 LI et eacutedictant les articles 98501 et 98502 LI LQ 2004 c 8 art 173 modifiant lrsquoarticle 985 LI

24 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives et avant-projets de regraveglement concernant limpocirct sur le revenu (reacuteviseacutees) 27 feacutevrier 2004 art 87

25 Projet de loi C-10 (29102007) mort au feuilleton le 7 septembre 2008 par la dissolution du Parlement reprenant le projet de loi C-33 (29112006) mort au feuilleton le 14 septembre 2007 avec la prorogation du Parlement

26 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives ndash Modifications techniques et bijuridisme 16 juillet 2010 art 108 Budget du 6 juin 2011 Annexe 3 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Budget du 29 mars 2012 Annexe 4 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Projet de loi C-48 deacuteposeacute en premiegravere lecture agrave la Chambre des communes le 21 novembre 2012 et sanctionneacute par le Parlement du Canada le 26 juin 2013 Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant lrsquoimpocirct et les taxes LC 2013 ch 34 art 307

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 539

feacutedeacuterale au cas ougrave srsquoy ajouteraient des modifications techniques27 Mais devant la lenteur du Parlement du Canada agrave adopter la loi lrsquoAssembleacutee nationale du Queacutebec srsquoest reacutesolue agrave modifier en 2009 les paragraphes 985f) et 985g) LI28

Tant le gouvernement feacutedeacuteral que le gouvernement du Queacutebec ont affirmeacute que drsquoun point de vue de politique fiscale il eacutetait souhaitable que les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes puissent beacuteneacuteficier drsquoune exemption drsquoimposition au mecircme titre que les municipaliteacutes29 Lrsquoapplication de ces nouvelles dispositions est reacutetroactive aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves le 8 mai 2000 tant dans le cas de la Loi sur les impocircts du Queacutebec que dans le cas de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Le 8 mai 2000 est la date agrave laquelle la Cour drsquoappel du Queacutebec a rendu sa deacutecision dans lrsquoaffaire Tawich Voici donc les dispositions feacutedeacuterales et les dispositions queacutebeacutecoises qui permettent lrsquoharmonisation des deux reacutegimes fiscaux

Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute commission ou association dont au moins 90 du capital appartenait agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute commission ou association pour la peacuteriode provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

d6) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute donneacutee dont les actions (sauf les actions confeacuterant lrsquoadmissibiliteacute agrave des postes drsquoadministrateurs)

27 QUEacuteBEC ministegravere des Finances Budget 2006-2007 Renseignements additionnels

sur les mesures du budget 23 mars 2006 section 492 28 PL 2 Loi donnant suite au discours sur le budget du 24 mai 2007 agrave la deacuteclaration

ministeacuterielle du 1er juin 2007 concernant la politique budgeacutetaire 2007-2008 du gouvernement et agrave certains autres eacutenonceacutes budgeacutetaires 1re sess 39e leacuteg Queacutebec 2007 art 398 et suiv (sanctionneacute le 15 mai 2009) LQ 2009 c 5

29 CANADA ministegravere des Finances Notes explicatives concernant la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu la Loi sur la taxe drsquoaccise et des textes connexes octobre 2012 art 307 QUEacuteBEC ministegravere du Revenu Notes explicatives du Projet de loi no 2 art 398 et suiv

540 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ou le capital appartenaient agrave une socieacuteteacute commission ou association agrave laquelle lrsquoalineacutea d5) ou le preacutesent alineacutea srsquoapplique pour la peacuteriode ou agrave plusieurs de ces personnes si le revenu de la socieacuteteacute donneacutee pour la peacuteriode provenant des activiteacutes suivantes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

(i) si lrsquoalineacutea d5) srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees agrave cet alineacutea quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association

(ii) si le preacutesent alineacutea srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees au sous-alineacutea (i) quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association raquo

Loi sur les impocircts

laquo 985 Une personne est exoneacutereacutee drsquoimpocirct pour une peacuteriode ougrave elle est

[hellip]

f) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute une commission ou une association dont au moins 90 du capital appartient agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute canadienne ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire de ces entiteacutes

g) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute dont la totaliteacute du capital des biens ou des actions autres que les actions de qualification appartient agrave une ou plusieurs personnes dont chacune est une autre socieacuteteacute une commission ou une association agrave laquelle le preacutesent paragraphe ou le paragraphe f srsquoapplique pour la peacuteriode et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode

i dans le cas ougrave le paragraphe f srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute agrave la commission ou agrave lrsquoassociation drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees agrave ce paragraphe f lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute agrave cette commission ou agrave cette association selon le cas

ii dans le cas ougrave le preacutesent paragraphe srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees au preacutesent paragraphe lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute raquo

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 541

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES

Bien que ces dispositions aient eacuteteacute modifieacutees preacuteciseacutement pour permettre lrsquoexemption fiscale aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par des bandes indiennes leur application nrsquoest pas tregraves bien encadreacutee En effet lorsque vient le temps de se demander si une socieacuteteacute peut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption on est confronteacute agrave plusieurs zones grises

En bref on constate que ces dispositions leacutegislatives permettent lrsquoexemption agrave une socieacuteteacute qui est deacutetenue agrave 90 ou plus par un organisme public remplissant une fonction gouvernementale (ou une combinaison drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et de municipaliteacute) et dont le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors de ses limites geacuteographiques (ou en dehors de celles des entiteacutes combineacutees le cas eacutecheacuteant) ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux30 Une filiale en proprieacuteteacute exclusive drsquoune telle socieacuteteacute ou drsquoune socieacuteteacute pareillement exempteacutee peut aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption pourvu que le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute ultimement actionnaire ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux31

Avant de consideacuterer une socieacuteteacute par actions comme eacutetant exempteacutee on doit donc srsquointerroger sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale sur la notion de limites geacuteographiques et sur le sens des termes laquo revenu raquo laquo lieu raquo laquo activiteacutes raquo et laquo peacuteriode raquo puisque ce sont tous ces eacuteleacutements qui permettront de deacuteterminer si la socieacuteteacute est admissible agrave lrsquoexemption

Il ne faut pas oublier non plus que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR srsquoappliquent sous reacuteserve des paragraphes 149(12) et 149(13) LIR Nous ne traiterons pas du paragraphe 149(13) LIR32 en deacutetail car il ne pose pas de problegraveme drsquointerpreacutetation particulier Il sert seulement agrave preacuteciser que pour posseacuteder au moins 90 des actions de la socieacuteteacute aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale doit aussi avoir 90 des voix On a ainsi vraisemblablement voulu eacuteviter qursquoune socieacuteteacute puisse ecirctre exempteacutee lorsque des personnes non viseacutees par lrsquoexemption possegravedent des actions agrave votes

30 Al 149(1)d5) LIR et par 985f) LI 31 Al 149(1)d6) LIR et par 985g) LI 32 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(13) LIR est lrsquoarticle 98502 LI

542 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multiples Ainsi les actionnaires non viseacutes par lrsquoexemption ne doivent pas avoir une influence importante sur une socieacuteteacute exempteacutee drsquoimpocirct Dans le preacutesent texte nous nous attarderons surtout agrave la situation drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne

3 NOTIONS FONDAMENTALES

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE

Ni lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR ni le paragraphe 985f) LI ne deacutefinissent ce qursquoest un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Tel qursquoil a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment les tribunaux du Queacutebec ont cateacutegoriquement refuseacute de consideacuterer une bande indienne comme une municipaliteacute Dans ces circonstances le seul moyen restant pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption est que son actionnaire soit consideacutereacute comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Si on deacutecompose cette expression on a le terme laquo organisme raquo le volet public et la notion de gouvernance Rappelons ici que le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale a eacuteteacute ajouteacute agrave la loi dans le but preacutecis de permettre aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale disponible aux entiteacutes municipales33 Malgreacute cette claire intention on se retrouve tout de mecircme avec des dispositions larges renfermant plusieurs zones grises Les critegraveres utiliseacutes pour consideacuterer la bande drsquoOpaskwayak comme une municipaliteacute dans lrsquoaffaire Otineka sont un bon point de deacutepart pour avoir une ideacutee de ce qursquoil faut entendre par ce concept

311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich

Dans la deacutecision Otineka le juge Bowman qualifia la bande indienne de self-governing entity34 en raison du fait que le conseil de bande avait adopteacute plusieurs regraveglements administratifs par les pouvoirs que lui confeacuteraient les articles 81 et 851 de la Loi sur les Indiens Toutes les bandes reacutegies par la Loi sur les Indiens possegravedent ces pouvoirs mais le facteur deacuteterminant est le fait qursquoune bande ait useacute de ce pouvoir Le juge nota aussi que la bande avait atteint un stade de deacuteveloppement avanceacute puisqursquoelle avait aussi eu recours aux pouvoirs que lui confeacuterait lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens en

33 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 34 Preacuteciteacute note 12 par 4

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 543

adoptant des mesures de taxation ces mesures ne furent toutefois jamais implanteacutees35 Le juge mit aussi lrsquoaccent sur le fait que la bande avait une structure de gouvernance sophistiqueacutee qui sous-entendait des eacutelections deacutemocratiques des assembleacutees freacutequentes et divers comiteacutes (travaux publics services communautaires eacuteducation deacuteveloppement eacuteconomique etc)36 Eacutetant donneacute que la structure gouvernementale de la bande ressemblait suffisamment agrave celle drsquoune municipaliteacute et qursquoelle fournissait essentiellement les mecircmes services que nrsquoimporte quelle ville drsquoune taille comparable le juge Bowman consideacutera qursquoil nrsquoavait nul besoin de srsquoeacutetendre davantage sur le sujet pour accorder agrave une bande indienne le statut fiscal de municipaliteacute37

Malheureusement les tribunaux du Queacutebec nrsquoont pas pris clairement position sur la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale dans lrsquoaffaire Tawich Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec a toutefois passeacute la remarque suivante

laquo Le Tribunal nrsquoa pas agrave deacuteterminer si la bande Old Factory lrsquoancecirctre de la bande Wemindji et la bande depuis la Loi sur les Cris peuvent ecirctre consideacutereacutees un ldquoorganisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementalesrdquo au sens de larticle 984 de la Loi sur les impocircts quoiqursquoil trouve qursquoelles pourraient se qualifier agrave ce titre Le Tribunal nrsquoa pas agrave le faire vu que la corporation posseacutedeacutee par un tel organisme ne beacuteneacuteficie pas de lrsquoexemption de lrsquoarticle 98538 raquo (Notre soulignement)

Agrave ce stade rien de ce qui preacutecegravede ne permet drsquoaffirmer avec certitude qursquoune bande indienne est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il srsquoagit donc de deacutecomposer ce concept multidimensionnel et de srsquoen remettre agrave drsquoautres deacutecisions rendues par les tribunaux

En ce qui concerne la notion drsquoorganisme les doutes se sont dissipeacutes quand la Cour suprecircme du Canada a consideacutereacute en 1982 qursquoune bande indienne eacutetait bel et bien un organisme39 Pour ce qui est des volets public et gouvernemental la Cour du Queacutebec a eu agrave se prononcer en 2010 sur la question dans lrsquoaffaire Centre de deacuteveloppement de Queacutebec c SMRQ40 Dans 35 Id par 5 36 Id par 7 37 Id par 8 38 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14 par 19 39 Alliance de la Fonction publique du Canada c Francis [1982] 2 RCS 72 40 2010 QCCQ 2124 (laquo Centre de deacuteveloppement de Queacutebec raquo)

544 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

cette affaire on cherchait agrave deacuteterminer si le Centre de deacuteveloppement de Queacutebec eacutetait un organisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementales au sens de lrsquoarticle 984 LI (eacutequivalent de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR) Le juge Godbout preacutecisa notamment que puisque le qualificatif laquo public raquo nrsquoest pas deacutefini dans la loi la Cour devait opter pour une analyse baseacutee sur le sens ordinaire des mots41 Ce terme est deacutefini dans le dictionnaire Le Petit Robert comme suit laquo Qui concerne le peuple pris dans son ensemble qui appartient agrave la collectiviteacute sociale politique et en eacutemane qui appartient agrave lrsquoEacutetat ou agrave une personne administrative42 raquo Il appert assez clairement de cette deacutefinition qursquoune bande indienne peut ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public en raison du fait qursquoelle existe dans lrsquointeacuterecirct de sa collectiviteacute Quant agrave lrsquoaspect gouvernemental le juge Godbout preacutecise qursquoil ne faut pas automatiquement consideacuterer qursquoun organisme public remplit toujours des fonctions gouvernementales43 Il srsquoappuie ici sur lrsquoexistence drsquoun mandat provenant drsquoun ministegravere ou drsquoorganismes du gouvernement qui dans le cas du Centre de deacuteveloppement de Queacutebec est inheacuterent agrave sa loi constitutive44 Dans le cas des bandes indiennes un tel engagement existe vis-agrave-vis du ministegravere des Affaires indiennes et du Nord canadien (deacutesigneacute par le gouvernement du Canada depuis 2011 sous le nom Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada) de qui relegraveve la question autochtone au Canada45

312 Positions administratives

Srsquoil nrsquoest pas si facile drsquoeacutetablir directement le lien entre une bande indienne et un organisme public remplissant une fonction gouvernementale dans la jurisprudence il en est autrement dans la politique des administrations fiscales Comme il a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment bien que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI soient relativement reacutecents le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale les a toutefois preacuteceacutedeacutes46 Dans une deacutecision anticipeacutee de 2009 ougrave lrsquoon refusait de consideacuterer une socieacuteteacute comme eacutetant un organisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoARC a

41 Id par 27 42 Id par 27 citant Le Petit Robert 2002 laquo public ique raquo 43 Id par 34 44 Id par 36 45 Art 3 de la Loi sur les Indiens 46 Al 149(1)c) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 545

deacutevoileacute le fond de sa penseacutee sur ce concept47 La logique qui ressortait de la deacutecision Centre de deacuteveloppement de Queacutebec48 semble ecirctre respecteacutee par lrsquoARC qui est aussi drsquoavis que lrsquoon doit donner agrave cette expression son sens ordinaire Elle deacutecompose la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en deux termes soit la notion drsquoorganisme public et celle de fonction gouvernementale Pour ce qui est de la notion drsquoorganisme public lrsquoARC met lrsquoemphase sur la fourniture de services aux individus pour lesquels lrsquoorganisme public est creacuteeacute ainsi que sur lrsquoimputabiliteacute qui doit exister envers un gouvernement ou directement envers les individus qursquoil repreacutesente Pour ce qui est de la notion de fonction gouvernementale lrsquoARC revient sur la fourniture de services publics et amegravene aussi une nouvelle dimension agrave savoir la neacutecessiteacute drsquoavoir le pouvoir de gouverner

LrsquoARC a aussi eacuteteacute appeleacutee agrave se prononcer directement sur le cas des bandes indiennes En mars 2000 agrave la demande du Comiteacute de lrsquoavancement de lrsquoemploi des autochtones des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada lrsquoARC a donneacute son avis sur plusieurs questions relieacutees agrave la fiscaliteacute des autochtones Dans une interpreacutetation technique49 lrsquoARC preacutecise tout drsquoabord que la deacutesignation drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale est une question de fait Selon elle une bande indienne serait un tel organisme si elle prenait des regraveglements administratifs en vertu agrave la fois de lrsquoarticle 81 et de lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC indique aussi que si une bande indienne a atteint un haut niveau drsquoavancement elle sera consideacutereacutee comme remplissant des fonctions gouvernementales De plus lrsquoARC ajoute srsquoecirctre toujours montreacutee favorable au cas des nations ayant participeacute agrave des neacutegociations territoriales Il est inteacuteressant de constater ici que les critegraveres utiliseacutes par lrsquoARC ressemblent eacutetrangement agrave ceux utiliseacutes par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka pour consideacuterer qursquoune bande indienne srsquoapparente agrave une municipaliteacute

Dans une autre interpreacutetation technique publieacutee environ deux mois plus tard50 lrsquoARC reacutepondait agrave une demande sur les faits agrave prendre en 47 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0306281I7

laquo Application of Paragraph 149(1)(c) raquo 12 mai 2009 48 Preacuteciteacute note 40 49 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 50 Id interpreacutetation technique 2000-0025807 laquo Indian Bands As Public Bodies raquo

20 mai 2000

546 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

consideacuteration pour qursquoune bande indienne puisse ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR LrsquoARC preacutecisa qursquoanciennement elle accordait ce statut agrave une bande indienne uniquement lorsque celle-ci avait adopteacute des regraveglements en vertu de chacun des articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens ou lorsqursquoelle avait atteint un niveau avanceacute de deacuteveloppement tel que requis par lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC explique ensuite qursquoune bande qui ne respecterait aucun de ces critegraveres pourrait quand mecircme ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Elle consideacuterera qursquoune bande exerce des fonctions gouvernementales si

bull elle prend part agrave des ententes de transfert avec le gouvernement feacutedeacuteral visant les services de santeacute

bull elle fournit des services drsquoeacuteducation primaire et secondaire par lrsquointermeacutediaire des eacutecoles qursquoelle exploite

bull elle a pris part agrave des neacutegociations territoriales avec le gouvernement feacutedeacuteral et continue drsquoy prendre part dans leur administration et leur implantation

bull et enfin elle a pris des arrangements avec le gouvernement feacutedeacuteral pour devenir responsable de la gestion du territoire des programmes sociaux de deacuteveloppement eacuteconomique et drsquoinfrastructures

Agrave la fin de 2003 lrsquoARC se fit poser exactement la mecircme question dans une nouvelle demande drsquointerpreacutetation51 La reacuteponse fut identique agrave la preacuteceacutedente agrave la seule diffeacuterence que lrsquoon y inteacutegra la fourniture et lrsquoadministration des travaux publics des services sociaux et des programmes drsquoinfrastructures pour les membres LrsquoARC ajouta que la mesure dans laquelle la bande pouvait deacutemontrer son engagement dans les eacuteleacutements en question serait consideacutereacutee dans la deacutecision de lui attribuer le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Au cours des quinze derniegraveres anneacutees lrsquoARC a reacutepondu agrave environ une cinquantaine de demandes drsquointerpreacutetation sur la question de lrsquoadmissibiliteacute drsquoune bande indienne au statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans la presque totaliteacute des cas la reacuteponse de lrsquoARC a eacuteteacute 51 Id interpreacutetation technique 2003-0039437 laquo Public Body Performing Function

Govt raquo 30 octobre 2003

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 547

favorable aux bandes indiennes Malheureusement lrsquoARC nrsquoa pas toujours indiqueacute dans ses deacutecisions les eacuteleacutements qui lrsquoont fait pencher vers le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale En revanche on peut reacutepertorier une trentaine de deacutecisions favorables (voir annexe 1) qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC essentiellement pour les raisons suivantes lrsquoadoption de regraveglements les services aux membres lrsquoaspect deacutemocratique la nature des fonctions et la neacutegociation drsquoententes On peut remarquer que les eacuteleacutements qui ressortent le plus souvent de lrsquoanalyse sont lrsquoadoption de regraveglements le fait de fournir des services aux membres de la communauteacute et le fait drsquoavoir neacutegocieacute des ententes avec les gouvernements

Du cocircteacute de Revenu Queacutebec le seul document rendu public est une lettre drsquointerpreacutetation52 de 1999 affirmant notamment que lorsque la bande use des pouvoirs que lui confegravere lrsquoarticle 81 de la Loi sur les Indiens elle pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale

313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec

Pour deacutecider si une bande indienne est ou non un organisme public remplissant une fonction gouvernementale il faut proceacuteder agrave une analyse cas par cas en utilisant les critegraveres deacutecrits preacuteceacutedemment On ne peut fournir une reacuteponse geacuteneacuterale agrave cette question puisque les bandes indiennes nrsquoont pas toutes atteint le mecircme stade de deacuteveloppement tel que le preacutecise le site Internet des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada53

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute dans lrsquointroduction les neuf communauteacutes cries preacutesentes dans la Jameacutesie ont un reacutegime bien particulier qui les distingue des autres bandes indiennes Les eacuteveacutenements historico-politiques qui ont conduit agrave cette situation seront abordeacutes agrave la sous-section 322 Pour lrsquoinstant ce qui importe de savoir est que les bandes cries du Queacutebec sont reacutegies par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec54 et non par la Loi sur les Indiens Bien que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec constitue un reacutegime distinct elle fait occasionnellement reacutefeacuterence agrave la Loi sur les Indiens et on y trouve des dispositions eacutequivalentes Par exemple

52 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 53 CANADA Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada Gouvernance

15 septembre 2010 par 3 (en ligne httpwwwaadnc-aandcgccafra 11001000138031100100013807)

54 SC 1984 ch 18

548 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexemption fiscale de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens et les pouvoirs des bandes preacutevus aux articles 81 et 83 de cette mecircme loi y sont repris presque mot pour mot Agrave la diffeacuterence de la Loi sur les Indiens la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec limite les activiteacutes commerciales qui peuvent ecirctre exerceacutees par une bande indienne Le paragraphe 22(3) de cette loi preacutevoit toutefois une deacuterogation agrave cette restriction lorsque la bande est lrsquoactionnaire drsquoune personne morale Voilagrave donc une autre raison pouvant inciter une bande crie agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute par actions

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec a eacuteteacute adopteacutee par le Parlement du Canada afin de mettre en application la Convention de la Baie-James55 qui fut signeacutee en 1975 Lrsquoarticle 21 de cette loi se lit comme suit

laquo 21 La bande a pour mission

a) drsquoexercer les pouvoirs drsquoune administration locale sur les terres de cateacutegorie IA ou IA-N qui lui sont attribueacutees

b) drsquoassurer lrsquousage la gestion lrsquoadministration et la reacuteglementation relatives agrave ses terres ainsi qursquoaux ressources naturelles qui srsquoy trouvent

c) de reacutegir les octrois de droits et drsquointeacuterecircts sur ces terres et sur leurs ressources naturelles y compris les ressources de leur sous-sol

d) de reacuteglementer lrsquousage des bacirctiments qui se trouvent sur ces terres

e) drsquoutiliser de geacuterer et drsquoadministrer ses deniers et autres eacuteleacutements drsquoactif

f) de promouvoir le bien-ecirctre geacuteneacuteral de ses membres

g) de promouvoir et assurer le deacuteveloppement communautaire et les œuvres de bienfaisance au sein de la communauteacute

h) drsquoassurer les services programmes et projets voulus pour ses membres pour les autres personnes reacutesidant sur les terres des cateacutegories IA et IA-N ainsi que pour les personnes reacutesidant sur les terres de cateacutegorie III qui sont viseacutees agrave lrsquoalineacutea 6b)

i) de preacuteserver et promouvoir la culture les valeurs et les traditions cries ou naskapies selon le cas

55 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 549

j) drsquoexercer les pouvoirs et fonctions que les lois feacutedeacuterales ou leurs regraveglements ainsi que les Conventions lui confegraverent ou confeacuteraient agrave la bande anteacuterieure raquo

De par lrsquoacte qui a creacuteeacute les bandes cries du Queacutebec il serait bien difficile de preacutetendre qursquoelles nrsquoont pas un caractegravere public et qursquoelles nrsquoexercent pas une fonction gouvernementale En effet cette disposition preacutevoit notamment lrsquoexercice drsquoun pouvoir reconnu sur un territoire et la responsabiliteacute du bien-ecirctre du deacuteveloppement communautaire et de la fourniture de services pour ses membres Un autre eacuteleacutement non neacutegligeable est le fait que les Cris du Queacutebec ont participeacute agrave des neacutegociations territoriales menant agrave la Convention de la Baie-James agrave ses modifications et agrave la Paix des Braves Il est aussi inteacuteressant de rappeler la remarque du juge Vermette de la Cour du Queacutebec dans lrsquoaffaire Tawich qui laissait entendre que la bande crie de Wemindji au Queacutebec aurait probablement pu ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Compte tenu de tous ces eacuteleacutements les administrations fiscales seraient mal venues de preacutetendre que les bandes cries du Queacutebec ne constitueraient pas des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoarticle 149 LIR

314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Il a eacuteteacute reconnu qursquoune bande indienne est un organisme Il ressort de la jurisprudence que pour reacutepondre au concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoorganisme doit ecirctre imputable envers la collectiviteacute et ecirctre mandateacute par un gouvernement LrsquoARC semble se rattacher agrave plusieurs eacuteleacutements concrets provenant de la deacutecision Otineka de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct pour consideacuterer qursquoune bande est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale On cherche essentiellement agrave savoir si elle a adopteacute des regraveglements en vertu des pouvoirs qui lui sont confeacutereacutes si elle offre des services publics et si elle a participeacute agrave des neacutegociations et revendications

Le fait que les diverses communauteacutes cries du Queacutebec respectent ces exigences et qursquoelles aient atteint un stade avanceacute de deacuteveloppement permet de les consideacuterer comme des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale Pour ce qui est des autres communauteacutes une analyse cas par cas baseacutee sur les critegraveres identifieacutes doit ecirctre effectueacutee

550 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES

Il est important drsquoeacutetablir clairement les limites geacuteographiques des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale En effet ces limites sont essentielles agrave la reacutealisation du test baseacute sur les revenus Afin drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption la socieacuteteacute doit ecirctre en mesure de deacuteterminer si ses activiteacutes sont agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de ces limites Elle pourra ensuite eacutetablir si le revenu attribuable aux activiteacutes externes deacutepasse ou non le seuil toleacutereacute de 10 du revenu total Il est relativement facile drsquoeacutetablir les limites geacuteographiques drsquoune ville dans les grands centres lorsque celles-ci sont partageacutees avec les villes voisines et que lrsquoon se trouve dans un contexte urbain Il en est tout autrement lorsque lrsquoobjet de la deacutelimitation est situeacute en pleine forecirct agrave des kilomegravetres de toute zone habiteacutee

Il faut aussi ajouter les particulariteacutes de la question territoriale des Cris du Queacutebec Si lrsquoanalyse de la section preacuteceacutedente a permis de circonscrire relativement bien le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le travail est bien plus ardu avec la notion de limites geacuteographiques Une des difficulteacutes intrinsegraveques agrave lrsquoanalyse de cet eacuteleacutement est lieacutee au fait que la leacutegislation fiscale renvoie agrave plusieurs autres lois relativement meacuteconnues comme nous allons le voir

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR

Avec lrsquoajout des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale dans les entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on a tenteacute de fournir certaines preacutecisions quant aux limites geacuteographiques de ces organismes Ces preacutecisions se trouvent au paragraphe 149(11) LIR56 qui se lit comme suit

laquo 149 (11) Pour lrsquoapplication du preacutesent article les limites geacuteographiques drsquoun organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale sont les suivantes

a) celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel le pouvoir de percevoir des impocircts ou taxes est reconnu ou confeacutereacute agrave lrsquoorganisme par une loi feacutedeacuterale ou par un accord mis en vigueur par une telle loi

b) en cas drsquoinapplication de lrsquoalineacutea a) celles agrave lrsquointeacuterieur desquelles lrsquoorganisme est autoriseacute par les lois feacutedeacuterales ou provinciales agrave exercer cette fonction raquo

56 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(11) LIR est lrsquoarticle 98503 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 551

Cette disposition ne donne pas de directives claires sur la faccedilon de deacutelimiter le territoire drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale elle renvoie plutocirct aux lois feacutedeacuterales ou provinciales qui confegraverent agrave lrsquoorganisme ses pouvoirs gouvernementaux

Les tribunaux nrsquoont pas encore eu agrave se prononcer directement sur un cas de deacutelimitation territoriale de bande indienne ou mecircme drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Toutefois les notes explicatives du ministegravere des Finances qui ont trait au paragraphe 149(11) LIR apportent un peu plus de lumiegravere sur lrsquointention du leacutegislateur57 On y utilise lrsquoexemple drsquoune bande indienne qui constituerait un organisme public remplissant une fonction gouvernementale et on affirme que dans ce cas les limites geacuteographiques seraient celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel la bande indienne a le pouvoir drsquoimposer des taxes directes selon laquo un accord drsquoautonomie gouvernementale ou de la loi qui lui confegravere son autonomie gouvernementale raquo58 On ajoute que plus preacuteciseacutement ses limites geacuteographiques seraient celles de ses reacuteserves La politique de lrsquoARC va aussi en ce sens lorsque lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en question est une bande indienne59

Dans le cas des bandes indiennes reacutegies par la Loi sur les Indiens tout cela est assez facile agrave mettre en perspective puisque la notion de reacuteserve y est bien deacutefinie60 Les principales difficulteacutes dans lrsquoeacutetablissement des limites geacuteographiques drsquoune reacuteserve sont davantage de nature technique que leacutegale Cependant comme il a eacuteteacute mentionneacute les communauteacutes cries du Queacutebec ne sont pas reacutegies par la Loi sur les Indiens61 Pour cette raison les principaux eacuteleacutements relevant de lrsquoadministration et de la question territoriale crie doivent ecirctre abordeacutes

322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois

Les questions territoriales autochtones sont tregraves complexes de faccedilon geacuteneacuterale et celles des communauteacutes cries nrsquoeacutechappent pas agrave cette regravegle Nous

57 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 58 Id 59 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2009-0310851I7 laquo Business Income Earned by First Nation raquo 15 septembre 2009 60 Par 2(1) de la Loi sur les Indiens 61 Art 5 de la Loi sur les Cris et le Naskapis du Queacutebec

552 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

nrsquoavons pas lrsquointention de deacutecrire en deacutetail toute la question territoriale des Cris du Queacutebec mais il est neacutecessaire drsquoen dresser les grandes lignes puisqursquoelle est essentielle agrave lrsquoeacutetude des dispositions fiscales en cause

La geacuteographie du Nord queacutebeacutecois telle qursquoon la connaicirct aujourdrsquohui date essentiellement du 1er avril 1912 Cette date correspond agrave la sanction royale de la Loi de lrsquoextension des frontiegraveres de Queacutebec 191262 La superficie de la province avait alors plus que doubleacute par lrsquoajout du territoire actuellement situeacute au nord du 52e parallegravele Cette loi preacutevoyait notamment que le gouvernement du Queacutebec devait reconnaicirctre sur le territoire ceacutedeacute les droits des autochtones en obtenir la remise et en payer les frais63 Agrave la suite de lrsquoannexion de ce vaste territoire le gouvernement avait toujours laisseacute flotter la question territoriale du Nord queacutebeacutecois

Lrsquoannonce du projet de la Baie-James par lrsquoancien premier ministre Robert Bourassa en 1971 a mis cette question agrave lrsquoavant-scegravene Nrsquoayant pas eacuteteacute consulteacutes et eacutetant donneacute tous les effets environnementaux drsquoun tel projet sur les terres traditionnelles des peuples cris et inuits ces derniers srsquoopposegraverent farouchement au projet Ils eurent gain de cause le 15 novembre 1973 lorsque la Cour supeacuterieure du Queacutebec se montra favorable agrave leur demande drsquoinjonction Eacutetant donneacute que les projets de deacuteveloppement hydro-eacutelectrique de la Baie-James se trouvegraverent paralyseacutes le gouvernement du Queacutebec nrsquoeut drsquoautre choix que drsquoinviter les autochtones viseacutes agrave la table de neacutegociations

Ces eacuteveacutenements qui ont marqueacute lrsquohistoire du Queacutebec ont donneacute naissance agrave la Convention de la Baie-James64 qui fut signeacutee le 11 novembre 1975 par le gouvernement feacutedeacuteral et le gouvernement du Queacutebec par les autochtones et par les socieacuteteacutes de deacuteveloppement engageacutees dans le projet de la Baie-James Lrsquoentente renferme plusieurs dispositions qui rendent les communauteacutes cries distinctives tant sur le plan de leur administration que sur celui de leurs territoires Sur le plan territorial la notion de reacuteserve est proscrite M John Ciaccia alors repreacutesentant speacutecial du premier ministre srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Je crois sincegraverement que la faccedilon traditionnelle drsquoaborder les questions indiennes dans ce pays nrsquoest plus reacuteellement valable ni mecircme acceptable et qursquoelle aurait certainement eacuteteacute tout agrave fait inefficace dans la situation agrave laquelle

62 (R-U) 2 Geo V c 45 63 Id al 2a) 64 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 553

nous avons eu agrave faire face dans le Nord queacutebeacutecois et que nous avons tenteacute de reacutesoudre par des neacutegociations qui ont eacuteteacute agrave la fois patientes longues et extrecircmement complexes

Nous nrsquoavons pas voulu creacuteer de ldquoreacuteservesrdquo au sens conventionnel du mot et effectivement nous nrsquoen creacuteons pas65 raquo

Dans cet esprit le reacutegime des terres de cette vaste eacutetendue se deacutecompose en trois cateacutegories les terres de cateacutegorie I (environ 14 000 km2 dont 5 500 km2 pour les Cris) qui sont agrave lrsquousage exclusif des communauteacutes autochtones66 les terres de cateacutegorie II (environ 150 000 km2) qui sont des terres publiques sur lesquelles les autochtones ont des droits exclusifs pour leurs activiteacutes traditionnelles comme la chasse la pecircche et le trappage67 et les terres de cateacutegorie III (environ 1 000 000 km2) qui sont des terres publiques68

On comprend donc que le territoire administreacute par une communauteacute autochtone du Nord queacutebeacutecois est lrsquoensemble des terres de cateacutegorie I qui lui ont eacuteteacute octroyeacutees Dans le cas des Cris la Convention de la Baie-James seacutepare aussi les terres de cateacutegorie I en deux autres cateacutegories soit essentiellement les terres de cateacutegorie IA (environ 3 300 km2) qui sont de juridiction feacutedeacuterale69 et les terres de cateacutegorie IB (environ 2 200 km2) qui sont de juridiction provinciale70 Agrave titre drsquoexemple la superficie des terres de cateacutegorie I pour la bande de Wemindji qui eacutetait agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire Tawich est drsquoun peu plus de 500 kilomegravetres carreacutes dont environ 60 sont constitueacutes de terres de cateacutegorie IA Cette seacuteparation additionnelle des terres de cateacutegorie I est neacutecessaire car seul le Parlement du Canada a le pouvoir constitutionnel de leacutegifeacuterer de maniegravere directe sur le mode de vie des Indiens71

65 QUEacuteBEC Assembleacutee nationale Commission parlementaire sur les richesses

naturelles et les terres et forecircts laquo Philosophie de la Convention raquo dans Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois Queacutebec Eacutediteur officiel du Queacutebec 5 novembre 1975 aux pages XVIII-XIX

66 Al 511 de la Convention de la Baie-James 67 Al 521 de la Convention de la Baie-James 68 Al 531 de la Convention de la Baie-James 69 Al 512 de la Convention de la Baie-James 70 Al 513 de la Convention de la Baie-James 71 Par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

554 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Les dispositions de la Convention de la Baie-James relatives agrave lrsquoadministration des terres feacutedeacuterales ont eacuteteacute officialiseacutees dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec alors que celles relatives aux terres de juridiction provinciale lrsquoont eacuteteacute par lrsquoadoption de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec72 et de la Loi sur les villages cris et le village naskapi73 Sur les terres de cateacutegorie IB le reacutegime provincial constitue des municipaliteacutes74 assujetties aux lois municipales dont la Loi sur les citeacutes et villes75

Mais quelle est la position des administrations fiscales quant agrave la notion de limites geacuteographiques que le paragraphe 149(11) LIR et lrsquoarticle 98503 LI tentent de preacuteciser

323 Positions administratives

De faccedilon geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation de lrsquoARC semble aller dans le mecircme sens que ce qui ressort des notes explicatives76 accompagnant le paragraphe 149(11) LIR Tel qursquoil est indiqueacute dans ces notes dans le cas drsquoune bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale les limites geacuteographiques agrave consideacuterer seraient celles de ses reacuteserves

La neacutecessiteacute de situer geacuteographiquement les activiteacutes dans le cadre de lrsquoexemption eacutetudieacutee est apparue en 1998 On a demandeacute alors agrave lrsquoARC de preacuteciser la notion de limites geacuteographiques dans le contexte des bandes indiennes un peu avant lrsquointroduction de cette notion dans la loi LrsquoARC expliqua que selon elle les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne devraient englober les terres de la reacuteserve77 Un an plus tard lrsquoARC donna la mecircme reacuteponse dans le cadre drsquoune autre interpreacutetation technique et elle ajouta qursquoil fallait srsquoen remettre agrave la Loi sur les Indiens pour appreacutecier le

72 LRQ c I-3 73 LRQ c V-51 74 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 75 LRQ c C-19 76 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 77 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9805985 laquo Canadian

Municipal Owned Corporation Indian raquo 30 octobre 1998

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 555

sens du mot laquo reacuteserve raquo78 Afin drsquoeacuteviter toute confusion eacutemanant drsquoun parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale de la Loi sur les Indiens lrsquoARC preacutecisa par la suite que les limites geacuteographiques dont il eacutetait question agrave lrsquoarticle 149 LIR dans le cas drsquoune bande indienne comprenaient uniquement sa reacuteserve et non toutes les reacuteserves indiennes du Canada79 La position voulant que les terres de la reacuteserve drsquoune bande constituent ses limites geacuteographiques fut reacuteiteacutereacutee dans drsquoautres interpreacutetations publieacutees subseacutequemment80 Une interpreacutetation technique relativement reacutecente a donneacute plus de preacutecisions en indiquant que les limites geacuteographiques drsquoune bande englobaient sa reacuteserve ou les terres qui lui eacutetaient transfeacutereacutees agrave la suite drsquoune entente de revendication territoriale ou drsquoune entente drsquoautonomie gouvernementale81

La notion de reacuteserve agrave laquelle fait abondamment reacutefeacuterence lrsquoARC semble tout agrave fait justifieacutee puisque le pouvoir de taxation des bandes indiennes est justement limiteacute agrave leur reacuteserve82 Cette politique administrative paraicirct correspondre au texte du paragraphe 149(11) LIR Revenu Queacutebec nrsquoa pas exprimeacute de position agrave cet eacutegard

324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte

Dans sa politique administrative lrsquoARC fait reacutefeacuterence agrave la notion de reacuteserve qui est deacutefinie au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens comme suit

laquo 2 (1) Les deacutefinitions qui suivent srsquoappliquent agrave la preacutesente loi

[hellip]

ldquoreacuteserverdquo Parcelle de terrain dont Sa Majesteacute est proprieacutetaire et qursquoelle a mise de cocircteacute agrave lrsquousage et au profit drsquoune bande y sont assimileacutees les terres deacutesigneacutees sauf pour lrsquoapplication du paragraphe 18(2) des articles 20 agrave 25 28 36 agrave 38 42 44 46 48 agrave 51 58 et 60 ou des regraveglements pris sous leur reacutegime

78 Id interpreacutetation technique 9910937 laquo Indian Band as a Municipality raquo 22 octobre

1999 79 Tax Window Files preacuteciteacute note 21 80 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques

2009-0311861I7 laquo Issues par 149(1)(c) and Proposed par 149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010 2004-0061221E5 laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 et 2001-0099085 laquo Indian Band Corporations raquo 24 octobre 2001

81 Tax Window Files preacuteciteacute note 47 82 Par 83(1) de la Loi sur les Indiens

556 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

[hellip]

ldquoterres deacutesigneacuteesrdquo Parcelle de terrain ou tout droit sur celle-ci proprieacuteteacute de Sa Majesteacute et relativement agrave laquelle la bande agrave lrsquousage et au profit de laquelle elle a eacuteteacute mise de cocircteacute agrave titre de reacuteserve a ceacutedeacute avant ou apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la preacutesente deacutefinition ses droits autrement qursquoagrave titre absolu raquo

On peut donc sommairement consideacuterer qursquoune reacuteserve est un ensemble de terres qui sont la proprieacuteteacute du gouvernement et qui sont reacuteserveacutees agrave un groupe drsquoIndiens Dans le cas drsquoune bande indienne reacutegie par la Loi sur les Indiens il est donc assez facile de deacuteterminer conceptuellement la zone geacuteographique dont il est question au paragraphe 149(11) LIR

En ce qui concerne les Cris du Queacutebec crsquoest la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec qui a preacuteseacuteance sur la Loi sur les Indiens83 et pour ecirctre en accord avec la Convention de la Baie-James le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas utiliseacute pour parler du territoire des Cris Aux fins de deacuteterminer les limites geacuteographiques de ces communauteacutes la solution la plus logique est de se rallier par analogie au concept de reacuteserve dont il est question dans les notes explicatives84 accompagnant les modifications leacutegislatives On comprend que les terres de cateacutegories II et III ne reacutepondent pas agrave la deacutefinition de laquo reacuteserve raquo preacutevue dans la Loi sur les Indiens car elles constituent des terres publiques et par le fait mecircme ne sont pas agrave lrsquousage exclusif des Cris Agrave lrsquoinverse les terres de cateacutegorie I drsquoune communauteacute donneacutee sont reacuteserveacutees agrave son usage et sont entiegraverement agrave sa disposition

Le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu en revanche la Loi sur les impocircts du Queacutebec a donneacute un sens agrave ce terme Une reacuteserve deacutesigne notamment laquo une terre de cateacutegorie IA [hellip] au sens du paragraphe 1 de lrsquoarticle 2 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec (LC 1984 ch 18)85 raquo Il faut toutefois preacuteciser que lrsquoapplication de cette deacutefinition est limiteacutee au contexte de la deacuteduction disponible agrave un particulier indien Tel qursquoil est indiqueacute plus haut lrsquoimmuniteacute fiscale dont beacuteneacuteficie un Indien provient de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens qui est repris agrave lrsquoarticle 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Lrsquoexemption fiscale srsquoapplique sur les reacuteserves pour ce qui est de la Loi sur les Indiens et sur les terres de cateacutegorie IA dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Dans les deux cas lrsquoapplication de cette

83 Art 5 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 84 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 85 Par 72501b) laquo reacuteserve raquo LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 557

exemption fiscale se fait par deacuterogation agrave toutes autres lois feacutedeacuterales ou provinciales La leacutegislation fiscale se doit donc de reconnaicirctre cette immuniteacute sur ces territoires comme elle le fait agrave lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et au paragraphe 725a) LI Cependant lrsquoexemption dont il est question ici srsquoinscrit dans un autre contexte soit celui de lrsquoarticle 149 LIR Crsquoest pourquoi il ne faut pas arrecircter le raisonnement agrave la deacutefinition limitative du terme laquo reacuteserve raquo contenue dans la Loi sur les impocircts du Queacutebec

Revenons au paragraphe 149(11) LIR dont le but est de baliser la deacutelimitation geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il est indeacuteniable que la Convention de la Baie-James constitue un laquo accord mis en vigueur par une loi feacutedeacuterale raquo86 qui confegravere aux Cris un pouvoir de taxation tant sur les terres de cateacutegorie IA87 que sur les terres de cateacutegorie IB88 En reprenant lrsquoalineacutea 149(11)a) LIR ne peut-on pas conclure que les limites geacuteographiques drsquoune communauteacute crie englobent ces terres Bien que cette position soit raisonnable agrave premiegravere vue il ne semble pas que les terres de cateacutegorie IB puissent ecirctre incluses dans les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne crie

Mecircme srsquoil peut ecirctre logique que les terres de cateacutegorie IB soient consideacutereacutees comme des reacuteserves aux fins fiscales il ne faut pas perdre de vue que lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI vise une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans cette perspective les limites geacuteographiques qui doivent ecirctre eacutetablies sont celles de la bande qui est lrsquoactionnaire de cette socieacuteteacute

Dans le contexte juridique et territorial cri il existe trois entiteacutes constitueacutees en personnes morales distinctes la bande elle-mecircme pour la gestion des terres de cateacutegorie IA89 une corporation fonciegravere pour la deacutetention des titres de proprieacuteteacute des terres de cateacutegorie IB90 et une personne 86 Voir notamment le preacuteambule de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 87 S-al 901d) de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoalineacutea 45(1)h) de la Loi sur

les Cris et les Naskapis du Queacutebec 88 Al 100101 de la Convention de la Baie-James repris partiellement agrave lrsquoarticle 26 de

la Loi sur les villages cris et le village naskapi 89 S-al 901a) de la Convention de la Baie-James repris au paragraphe 12(1) de la

Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 90 Al 1001 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 7 de la Loi sur le

reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec

558 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

morale de droit public ayant le statut de municipaliteacute pour la gestion de ces mecircmes terres de cateacutegorie IB91 Il se trouve qursquoaux fins fiscales lrsquoactionnaire de la socieacuteteacute qui veut obtenir lrsquoexemption est la bande indienne et non lrsquoune des deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB Dans ces circonstances il apparaicirct plus logique de consideacuterer seulement le pouvoir de taxation de la bande indienne pour deacuteterminer ses limites geacuteographiques aux fins du paragraphe 149(11) LIR Puisque ce pouvoir est preacutevu par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec sur les terres de cateacutegorie IA les limites geacuteographiques de cet organisme public remplissant une fonction gouvernementale seraient donc uniquement celles de ces terres

Certains peuvent consideacuterer un tel reacutesultat comme eacutetant injuste dans la mesure ougrave la bande indienne la corporation fonciegravere92 et la municipaliteacute existent de faccedilon distincte uniquement pour respecter la juridiction feacutedeacuterale sur les terres de cateacutegorie IA et la juridiction provinciale sur les terres de cateacutegorie IB Il est clair que la volonteacute des gouvernements est drsquoavoir une seule gestion peu importe la juridiction sur les terres93 Toutefois mecircme si le reacutegime provincial preacutevoit que le conseil de la municipaliteacute doit ecirctre composeacute des mecircmes individus que celui de la bande indienne il nrsquoest pas question ici drsquoune fiction juridique Les trois entiteacutes ont bel et bien une existence leacutegale reacuteelle et distincte Les tribunaux nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette question mais la Cour drsquoappel du Queacutebec a eacuteteacute sans eacutequivoque dans lrsquoarrecirct Tawich il y a une distinction eacutevidente agrave faire entre lrsquoentiteacute qui gegravere les terres de cateacutegorie IA et celle qui gegravere les terres de cateacutegorie IB94 De plus les principes reacutegissant la leveacutee du voile corporatif sont clairs dans le Code civil du Queacutebec95 on ne peut lrsquoinvoquer qursquoen preacutesence drsquointentions frauduleuses abusives ou contraires aux regravegles drsquoordre public

Dans ces circonstances pourrait-il y avoir une solution advenant que la socieacuteteacute deacutetenue par une bande crie exerce une partie importante de ses activiteacutes sur les terres de cateacutegorie IB et veuille tout de mecircme se preacutevaloir de

91 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 92 Art 2 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 93 Al 1004 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 14 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 94 Tawich (CA) preacuteciteacute note 14 par 6 95 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) art 317

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 559

lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR preacutecise qursquoau moins 90 du capital doit appartenir agrave laquo une ou plusieurs entiteacutes raquo qui sont des municipaliteacutes ou des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au Canada La deacutetention partageacutee des actions drsquoune socieacuteteacute par une bande indienne et par une municipaliteacute aurait pour effet que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR seraient celles des deux entiteacutes Une ideacutee assez eacutevidente de planification fiscale serait que la municipaliteacute reacutegissant les terres de cateacutegorie IB deacutetienne au moins une action du capital-actions de la socieacuteteacute deacutetenue par la bande indienne Ainsi la socieacuteteacute pourrait exercer ses activiteacutes sans crainte autant sur les terres de cateacutegorie IA que sur les terres de cateacutegorie IB puisque la zone geacuteographique globale des deux entiteacutes serait les terres de cateacutegorie I

Malheureusement il existe des enclaves non neacutegligeables agrave la mise en œuvre drsquoune telle solution Le droit municipal est beaucoup plus restrictif que les lois reacutegissant les bandes indiennes relativement agrave la participation agrave des activiteacutes commerciales Le problegraveme relegraveve du fait que les deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB ne seraient probablement pas en droit de posseacuteder de telles actions de socieacuteteacutes exploitant des entreprises agrave but lucratif Dans le cas de la corporation fonciegravere la loi preacutevoyant sa creacuteation est claire et preacutecise que la socieacuteteacute doit ecirctre agrave but non lucratif et sans gain peacutecuniaire pour ses membres96 Pour ce qui est de la municipaliteacute crsquoest un peu plus neacutebuleux Les municipaliteacutes creacuteeacutees pour geacuterer les terres de cateacutegorie IB doivent comme toutes les municipaliteacutes du Queacutebec se soumettre au droit municipal97

La principale embucircche pour une municipaliteacute qui veut souscrire des actions drsquoune socieacuteteacute agrave but lucratif est la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales98 Cette loi preacutevoit qursquoune municipaliteacute ne peut pas venir en aide agrave un eacutetablissement industriel ou commercial en prenant ou souscrivant des actions de son capital99 Il serait bien entendu difficile pour les administrations fiscales de soutenir qursquoune souscription de 1 $ puisse constituer une subvention municipale aupregraves drsquoune socieacuteteacute Toutefois la

96 Art 9 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 97 Al 1007 et 10017 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la

Loi sur les villages cris et le village naskapi 98 LRQ c I-15 99 Art 1 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales

560 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales utilise lrsquoexpression laquo venir en aide raquo Il faut donc se demander si un tel geste constitue une aide pour la socieacuteteacute en question Lorsqursquoon considegravere que cette souscription permettrait agrave la socieacuteteacute de beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale il serait difficile de preacutetendre que la municipaliteacute ne vient pas en aide agrave cet eacutetablissement commercial Advenant une contravention agrave la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales les administrations fiscales pourraient intenter une action en nulliteacute contre la municipaliteacute et lrsquoachat ou la souscription de lrsquoaction serait preacutesumeacute ne jamais avoir eacuteteacute fait100

Dans un autre ordre drsquoideacutees il ne faut pas perdre de vue que les municipaliteacutes sont constitueacutees pour rendre des services et favoriser le deacuteveloppement collectif Les conseillers municipaux sont imputables agrave lrsquoeacutegard des citoyens Comment une municipaliteacute pourrait-elle justifier collectivement une reacutesolution autorisant une participation dans une socieacuteteacute priveacutee qui cherche agrave enrichir ses actionnaires La multitude de lois qui reacutegissent nos villes preacutevoit des obligations et pouvoirs qui vont en ce sens Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec reacutesume tregraves bien cette reacutealiteacute dans le passage qui suit

laquo Le contexte du droit municipal canadien indique par ailleurs que les corporations que peuvent posseacuteder les municipaliteacutes sont des cas dexception et alors elles sont controcircleacutees et limiteacutees soit quant agrave leur objet soit quant au territoire limiteacute ougrave elles peuvent opeacuterer Le plus souvent leurs opeacuterations sont limiteacutees au territoire de la municipaliteacute101 raquo (Notes omises)

Bien qursquoa priori la solution consistant agrave faire de la municipaliteacute un coactionnaire peut sembler judicieuse cette option est extrecircmement risqueacutee et probablement non reacutealisable leacutegalement Dans ces circonstances il convient donc de consideacuterer que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR sont pour une bande indienne crie les limites de ses terres de cateacutegorie IA

325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques

Les tribunaux ne se sont pas encore prononceacutes sur la notion de limites geacuteographiques Le libelleacute du paragraphe 149(11) LIR lrsquointention du leacutegislateur le recours aux autres lois ainsi que la politique administrative permettent de comprendre que les limites geacuteographiques applicables dans le

100 Art 2 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales 101 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 561

cas des bandes indiennes sont celles de ses reacuteserves selon la deacutefinition qursquoen donne la Loi sur les Indiens

Dans le cas des Cris le concept juridique de reacuteserve est inexistant Il faut donc appliquer la mecircme logique que celle qui a permis de circonscrire la notion de limites geacuteographiques au concept de reacuteserve pour les bandes indiennes assujetties agrave la Loi sur les Indiens De plus il faut garder bien en vue qui est veacuteritablement lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale actionnaire de la socieacuteteacute Ainsi on comprend que les limites geacuteographiques applicables aux bandes cries du Queacutebec sont celles de ses terres de cateacutegorie IA deacutefinies dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU

Bien que la notion de limites geacuteographiques soit circonscrite on doit encore srsquointerroger sur drsquoautres notions preacutesentes aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ces alineacuteas preacutevoient que le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques ne doit pas deacutepasser 10 du revenu total pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Cette restriction constitue un test fiscal dans lequel les notions de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode doivent ecirctre preacuteciseacutees

331 Notion de revenu

Quel sens doit-on donner au mot laquo revenu raquo dans les dispositions en cause Srsquoagit-il tout simplement des recettes Doit-on consideacuterer les deacutepenses Est-ce qursquoon parle de revenu comptable ou de revenu fiscal

En 1997 la juge LrsquoHeureux-Dubeacute de la Cour suprecircme du Canada srsquoexprima ainsi relativement agrave lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu laquo Le mot ldquorevenurdquo peut avoir deux significations ldquorevenu brutrdquo ou ldquorevenu netrdquo (profit)102 raquo On comprend donc qursquoon est tout agrave fait en droit de se questionner sur le sens agrave accorder agrave ce vocable qui peut ecirctre utiliseacute dans plusieurs contextes

Il a eacuteteacute reconnu que lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo agrave lrsquoarticle 9 LIR faisait reacutefeacuterence aux revenus une fois les deacutepenses soustraites103 Il est 102 Hickman Motors Ltd c Canada [1997] 2 RCS 336 par 64 103 Voir lrsquoaffaire Canderel lteacutee c Canada [1998] 1 RCS 147 par 30-31 voir

eacutegalement lrsquoaffaire Symes c Canada [1993] 4 RCS 695 722-723

562 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

important de noter que dans cet article on fait un lien direct entre le mot laquo revenu raquo et la notion de beacuteneacutefice Toutefois doit-on accorder le mecircme sens agrave ce terme dans le contexte des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Peu apregraves lrsquointroduction de ces alineacuteas lrsquoARC eacutetait drsquoavis qursquoun parallegravele existait avec lrsquoarticle 9 LIR et qursquoil nrsquoy avait aucune raison de donner un autre sens au mot laquo revenu raquo aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR104 Sa position eacutetait donc que lrsquoobjet du test que contiennent ces deux alineacuteas est le revenu net fiscal105 Quelques anneacutees plus tard lrsquoARC srsquoest encore fait questionner sur le sens du terme laquo revenu raquo agrave ces alineacuteas elle reacuteiteacutera la mecircme position en 2005106 et en 2011107

Malgreacute la position bien ancreacutee de lrsquoARC on a quand mecircme raison de se demander si lrsquoon peut consideacuterer que le revenu est le revenu brut En effet dans lrsquoaffaire Entreprises Ludco lteacutee c Canada108 le plus haut tribunal du pays a consideacutereacute le terme laquo revenu raquo comme eacutetant le revenu avant la deacuteduction des deacutepenses Le juge Iacobucci srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Vu lrsquoabsence de deacutefinition dans la Loi notre Cour doit appliquer les principes drsquointerpreacutetation leacutegislative pour deacutegager le sens du terme ldquorevenurdquo au sous-al 20(1)c)(i) Le sens ordinaire de cette disposition nrsquoappuie pas lrsquointerpreacutetation selon laquelle ldquorevenurdquo eacutequivaut agrave ldquoprofitrdquo ou agrave ldquorevenu netrdquo109 raquo

Agrave la lecture de cet arrecirct on reacutealise que lrsquointerpreacutetation du mot laquo revenu raquo deacutepend de lrsquoobjectif viseacute par la disposition qui contient ce vocable Il a eacuteteacute avanceacute que la Cour suprecircme du Canada dans lrsquoarrecirct Ludco a sembleacute accepter lrsquoargument de lrsquoappelante voulant que le terme laquo revenu raquo nrsquoait pas le sens de revenu net sauf si la leacutegislation renvoie directement agrave la notion de profit110 Cette conclusion est un peu hasardeuse puisque le

104 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2001-0114125

laquo Municipal Corporations raquo 13 mai 2002 Tax Window Files preacuteciteacute note 77 105 Id 106 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0118301I7

laquo Activities Carried on Outside Municipality raquo 6 juillet 2005 107 Id interpreacutetation technique 2011-0395521I7 laquo Activities carried on outside the

municipality raquo 20 octobre 2011 108 [2001] 2 RCS 1082 (laquo Ludco raquo) 109 Id par 59 110 Kay LEUNG laquo Meaning of ldquoIncomerdquo After Ludco raquo (2001) 3 Tax Profile 24

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 563

tribunal nrsquoa pas commenteacute cet aspect de lrsquoargumentation de lrsquoappelante dans son analyse ou dans la conclusion de son jugement

Il est important de comprendre que lrsquoutilisation du revenu brut dans lrsquoapplication du test serait avantageuse uniquement si les marges nettes des projets exeacutecuteacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques eacutetaient plus eacuteleveacutees que la marge nette globale de lrsquoentreprise Puisque les projets agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sont plus loin du siegravege social de la socieacuteteacute on pourrait penser qursquoils consomment plus de ressources (supervision deacuteplacements des employeacutes etc) et que leur marge nette est donc moins inteacuteressante Toutefois cette relation intuitive nrsquoest probablement pas valable puisque la nature lrsquoampleur ainsi que les risques associeacutes aux projets meneacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques ont sans doute davantage drsquoeffet sur leur marge nette que leur situation geacuteographique

Dans le cas ougrave lrsquoon voudrait deacutefendre lrsquoutilisation du revenu brut plutocirct que celle du revenu net dans le test preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR il faudrait probablement orienter lrsquoargumentation en fonction de lrsquoobjectif des dispositions fiscales contenant le terme laquo revenu raquo Il semble assez clair que lrsquoobjectif des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est drsquoexempter drsquoimpocirct les socieacuteteacutes viseacutees mais de srsquoassurer que cette exemption ne leur soit pas accordeacutee si elles nrsquoexercent pas leurs activiteacutes presque exclusivement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques deacutetermineacutees Ainsi on cherche agrave situer geacuteographiquement les revenus geacuteneacutereacutes par les activiteacutes de la socieacuteteacute Lorsqursquoon analyse les proportions de revenu gagneacute agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sur la base du revenu net les reacutesultats sont manipulables puisque lrsquoattribution des deacutepenses donne une certaine latitude au contribuable bien qursquoelle se doit drsquoecirctre raisonnable De plus le tribunal pourrait ecirctre sensible au fait que la faccedilon de faire de lrsquoARC conduirait agrave exempter drsquoimpocirct une socieacuteteacute dont les activiteacutes se deacuteroulent majoritairement agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques dans la mesure ougrave ses projets exteacuterieurs seraient peu profitables Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nrsquoont sucircrement pas pour objectif drsquoen arriver agrave de tels reacutesultats Bien entendu tout cela nrsquoest que speacuteculation jusqursquoagrave ce qursquoun tribunal se prononce directement sur la question mais il faut comprendre que la position de lrsquoARC qui procircne lrsquoutilisation du revenu net nrsquoest pas tregraves eacutetoffeacutee

564 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

332 Notion de lieu (situs)

Il nrsquoy a pas que dans le cadre des alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR que lrsquoon doit se situer geacuteographiquement pour beacuteneacuteficier drsquoune exemption On peut faire ici un parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens111 dans le cadre de laquelle la notion de situs a eacuteteacute largement deacutebattue au fils des ans Cette immuniteacute fiscale vise les biens drsquoun Indien qui sont situeacutes sur une reacuteserve ou sur des terres de cateacutegorie IA selon le cas112 Il est inteacuteressant de noter que la zone geacuteographique relative agrave lrsquoimmuniteacute est exactement la mecircme que celle drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue par une bande indienne Dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens la Cour suprecircme du Canada a eacutetabli qursquoun revenu eacutetait un bien113 Dans ces circonstances on doit se questionner sur le situs du revenu que lrsquoon cherche agrave exempter

Il a aussi eacuteteacute eacutetabli par le plus haut tribunal du pays que pour deacuteterminer le situs drsquoun revenu on doit srsquoen remettre agrave une analyse multifactorielle qui est pondeacutereacutee en fonction de lrsquoobjet de lrsquoexemption du genre de bien et de la nature de lrsquoimposition114 Il faut donc analyser plusieurs facteurs de rattachement lorsqursquoon tente de situer geacuteographiquement un bien qui est un revenu Mecircme si ce travail ne porte pas sur lrsquoimmuniteacute des Indiens il est inteacuteressant de srsquoattarder ici au revenu drsquoentreprise puisque crsquoest souvent ce type de revenu que lrsquoon retrouve dans une socieacuteteacute par actions Dans le cas du revenu drsquoentreprise crsquoest lrsquoarrecirct Southwind c La Reine115 qui est venu indiquer la marche agrave suivre pour les deacutecisions subseacutequentes Le facteur de rattachement srsquoeacutetant le plus deacutemarqueacute est lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuterant le revenu116

Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est donc inteacuteressant agrave cet eacutegard mais il faut toutefois ecirctre vigilant dans cette comparaison En effet dans le contexte de lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes cries lrsquoobjet agrave situer geacuteographiquement est lrsquoactiviteacute geacuteneacuterant le

111 Art 87 de la Loi sur les Indiens et art 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du

Queacutebec reconnus agrave la fois par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et le paragraphe 725a) LI 112 Id 113 Nowegijick c La Reine [1983] 1 RCS 29 38 114 Williams c Canada [1992] 1 RCS 877 (prestations drsquoassurance-chocircmage) 115 98 DTC 6084 1998 CanLII 7300 (CAF) (laquo Southwind raquo) 116 K THOMAS et M ALEXANDER preacuteciteacute note 8 agrave la page 5-33

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 565

revenu et non le revenu lui-mecircme117 En quelque sorte les leacutegislateurs ont faciliteacute la tacircche des contribuables en eacutedictant un seul facteur de rattachement agrave la zone geacuteographique de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Cette deacutecision apparaicirct logique lorsqursquoon garde agrave lrsquoesprit que le but premier de constituer une socieacuteteacute par actions est habituellement lrsquoexploitation drsquoune entreprise118

Dans la tacircche visant agrave deacuteterminer lrsquoendroit ougrave les activiteacutes sont exerceacutees il a eacuteteacute eacutetabli que lrsquoon devait srsquoattarder davantage au processus consistant agrave geacuteneacuterer du revenu en particulier plutocirct qursquoaux activiteacutes accessoires telles que lrsquoadministration des activiteacutes principales119 Le fait qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne ait dans la grande majoriteacute des cas son siegravege social dans la zone geacuteographique qursquoelle administre nrsquoest donc pas un facteur agrave consideacuterer pour deacuteterminer le lieu des activiteacutes qursquoelle megravene Il faut vraisemblablement tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute elle-mecircme crsquoest-agrave-dire le lieu ougrave les services sont fournis et les principales tacircches accomplies120 LrsquoARC srsquoest drsquoailleurs prononceacutee sur le sujet et applique ce principe dans sa politique administrative121

333 Notion drsquoactiviteacutes

Afin drsquoappliquer le test de revenu correctement il faut aussi srsquointerroger sur la notion drsquoactiviteacutes qui nrsquoest pas deacutefinie dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Cette notion fait reacutefeacuterence agrave lrsquoaction122 et suppose donc un effort minimal menant au reacutesultat viseacute Bien que les tribunaux ne se soient pas pencheacutes sur cette question lrsquoARC est drsquoavis que le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention nrsquoest pas en soi une activiteacute et par le fait mecircme qursquoun tel revenu ne devrait pas ecirctre consideacutereacute dans le calcul de la limite de 10 dont il est question dans le test de revenu123 Les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en utilisant le pluriel Il semble donc clair que lrsquoon doive consideacuterer chaque type drsquoactiviteacutes indeacutependamment les unes des autres ce qui semble logique lorsqursquoon garde 117 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 118 Canadian Marconi Company c La Reine [1986] 2 RCS 522 par 9 119 Southwind preacuteciteacute note 115 par 13 120 Id 121 Tax Window Files preacuteciteacute note 49 122 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo activiteacute raquo 123 Tax Window Files preacuteciteacute note 77

566 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en tecircte qursquoune seule socieacuteteacute peut exploiter plusieurs entreprises Il faut aussi noter qursquoil est possible que pour un mecircme type drsquoactiviteacutes on ait plusieurs lieux drsquoexeacutecution Dans ce cas il faudrait segmenter lrsquoactiviteacute et isoler la portion exerceacutee agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee124

Un contribuable srsquoest aussi questionneacute quant aux revenus de location drsquoun immeuble qui se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale LrsquoARC a reacutepondu que mecircme si le revenu eacutetait passif il y avait une activiteacute et qursquoil eacutetait raisonnable de consideacuterer qursquoelle se situait au mecircme endroit que le bien loueacute125 LrsquoARC a aussi confirmeacute que geacuteneacuterer un revenu de bien constituait agrave son sens une activiteacute126 Cette interpreacutetation eacutetait fondeacutee sur la situation hypotheacutetique drsquoune socieacuteteacute qui avait accessoirement un placement en actions et qui se questionnait sur ses revenus de dividendes et sur le gain en capital que le placement avait geacuteneacutereacute Le raisonnement de lrsquoARC eacutetait que lrsquoactiviteacute se deacuteroulait agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de la bande parce que toutes les opeacuterations inheacuterentes agrave la deacutetention drsquoactions (acquisition deacutetention et disposition) avaient eacuteteacute effectueacutees sur la reacuteserve

Dans le cas drsquoune socieacuteteacute dont lrsquoactiviteacute premiegravere eacutetait la gestion de placements lrsquoARC a indiqueacute que crsquoeacutetaient vraiment les activiteacutes de la socieacuteteacute elle-mecircme qui devaient ecirctre analyseacutees et non celles des socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient deacutetenues127 Ce raisonnement ne semble pas correspondre agrave celui qui preacutevaut dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Dans une telle situation on considegravere en quelque sorte que la personne qui gegravere le capital agit agrave titre de mandataire pour le contribuable et que crsquoest le lieu de lrsquoactiviteacute du mandataire qui importe128 Cette logique eacutemane de lrsquoarrecirct Recalma c La Reine129 de la Cour drsquoappel feacutedeacuterale qui est encore suivi aujourdrsquohui lorsqursquoon est en preacutesence drsquoun revenu de placement que lrsquoon

124 Pete c La Reine 91 DTC 204 (CCI) voir aussi Tax Window Files preacuteciteacute

note 49 125 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2004-0061221E5

laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 126 Id interpreacutetation technique 2010-0376961E5 laquo Passive Income and 149(1)(d5) raquo

11 janvier 2011 confirmant interpreacutetation technique 1999-0006955 laquo Municipal Corporation Passive Investments raquo 21 feacutevrier 2000

127 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 128 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2006-0202991M4 laquo Revenu de placement sur une reacuteserve raquo 18 septembre 2006 129 98 DTC 6238 1998 CanLII 7621 (CAF) (laquo Recalma raquo)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 567

doit situer geacuteographiquement dans le contexte de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Pour ce type de revenu lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuteratrices de revenus est encore une fois un facteur tregraves important Mecircme si cet arrecirct portait sur des acceptations bancaires et des fonds communs de placement le principe fut appliqueacute agrave tous les revenus de placement et il a constitueacute un arrecirct cleacute pour les deacutecisions subseacutequentes130

Bien que lrsquoARC soutienne officiellement qursquoil faut seulement srsquoattarder aux activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut ecirctre admissible agrave lrsquoexemption elle nrsquoapplique pas systeacutematiquement cette logique Le principe eacutemanant de lrsquoarrecirct Recalma semble aussi avoir eacuteteacute appliqueacute par le passeacute Crsquoest drsquoailleurs ce qui semble avoir eacuteteacute fait dans un cas visant des revenus de location de nature passive Lrsquoargument de lrsquoARC eacutetait que lrsquoimmeuble se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui eacutetait actionnaire de la socieacuteteacute131 Puisque lrsquoactiviteacute locative ne constituait pas une entreprise active aux fins de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu les principales activiteacutes consistant en des tacircches administratives (gestion des baux encaissement des loyers etc) ne devraient-elles pas toutes ecirctre consideacutereacutees sur la reacuteserve

Une autre interpreacutetation technique de lrsquoARC donne lrsquoimpression qursquoelle se colle davantage agrave lrsquoarrecirct Recalma plutocirct qursquoagrave sa directive officielle pour consideacuterer un revenu de biens comme eacutetant non exempteacute Il eacutetait question cette fois drsquoune socieacuteteacute qui tirait un revenu de bien sous forme de redevances sur la coupe de bois132 Voici un extrait des commentaires de lrsquoARC

laquo La question agrave savoir si le revenu pour la peacuteriode provenant dune activiteacute est exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve en est une de fait Toutefois le fait que le revenu soit un revenu de bien nest pas suffisant en soi pour conclure que ce revenu provient dune activiteacute exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve Dans la situation ougrave le revenu provient dun droit de reacutecolter un volume de bois nous sommes davis que malgreacute le fait que des activiteacutes administratives accessoires soient effectueacutees sur la reacuteserve il est raisonnable de consideacuterer que lactiviteacute geacuteneacuteratrice de revenus qui est une

130 Voir notamment Dubeacute c La Reine 2009 CAF 109 inf par [2011] 2 RCS 764

Sero c La Reine 2004 CAF 6 Gros-Louis c La Reine 2007 CCI 725 Vachon c La Reine 2007 CCI 641 Large c La Reine 2006 CCI 509 conf par 2007 CAF 360 Lewin c La Reine 2001 DTC 479 2001 CanLII 502 (CCI) conf par 2002 CAF 461

131 Supra note 124 132 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0139031E5

laquo Activiteacutes exerceacutees en dehors de la reacuteserve raquo 17 octobre 2005

568 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

redevance calculeacutee en fonction de la reacutecolte de bois a lieu agrave lendroit ougrave le bois est reacutecolteacute133 raquo

Bien que la gestion des droits de coupe ait eacuteteacute faite sur la reacuteserve au siegravege social de la socieacuteteacute et que la socieacuteteacute ne menait aucune activiteacute de coupe on a consideacutereacute que le lieu de lrsquoactiviteacute eacutetait lrsquoendroit ougrave eacutetait coupeacute le bois soit agrave lrsquoexteacuterieur de la reacuteserve On voit ici que le principe directeur voulant que lrsquoon srsquoattarde uniquement aux activiteacutes meneacutees par la socieacuteteacute elle-mecircme nrsquoest pas respecteacute

On peut se demander si lrsquoARC pourrait deacuteroger aussi agrave son principe directeur dans le cas de revenus de biens de nature plus courante comme les revenus drsquointeacuterecircts ou de dividendes provenant de titres acquis sur les marcheacutes financiers Il serait inteacuteressant de voir si la position des autoriteacutes fiscales sur le revenu drsquointeacuterecircts des socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes serait influenceacutee par les arrecircts Bastien (Succession) c Canada134 et Dubeacute c Canada135 rendus en 2011 Dans ces arrecircts la Cour suprecircme du Canada a partiellement briseacute la logique de lrsquoarrecirct Recalma en matiegravere de revenu de biens Le deacutebat portait encore une fois sur lrsquoexemption destineacutee aux Indiens Le plus haut tribunal du pays a jugeacute que la nature contractuelle drsquoun deacutepocirct agrave terme nrsquoeacutetait pas celle drsquoun mandat et que par le fait mecircme le marcheacute sur lequel lrsquoinstitution financiegravere placcedilait lrsquoargent ne devait pas interfeacuterer dans lrsquoanalyse de lrsquoexemption du contribuable Les autoriteacutes fiscales ont rapidement inteacutegreacute ce nouveau principe dans leur politique visant lrsquoexemption fiscale disponible aux Indiens136

Est-ce que ce raisonnement est applicable aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes Il est difficile de reacutepondre agrave cette question tant que les tribunaux ne se seront pas prononceacutes directement dans ce contexte Un eacuteleacutement non neacutegligeable qui devra ecirctre consideacutereacute est le fait que les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en geacuteneacuteral et rien dans le texte de la loi fiscale nrsquoindique qursquoil srsquoagit uniquement des

133 Id 134 [2011] 2 RCS 710 135 [2011] 2 RCS 764 136 AGENCE DU REVENU DU CANADA Renseignements pour les Indiens section

laquo Revenu drsquointeacuterecircts et de placements [Reacuteviseacute 2011-12-22]raquo en ligne httpwwwcra-arcgccabrgnlsstts-frahtmlhdng2 Voir aussi REVENU QUEacuteBEC Bulletin drsquointerpreacutetation IMP 725-1R3 laquo Revenu de placement gagneacute par un Indien raquo 28 deacutecembre 2012

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 569

activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption comme semble le preacutetendre lrsquoARC

334 Notion de peacuteriode

La compreacutehension de la notion de peacuteriode est aussi essentielle afin drsquoappliquer correctement le test baseacute sur les revenus Agrave premiegravere vue on pourrait penser qursquoil ne srsquoagit que drsquoappliquer le test annuellement lors de lrsquoarrecircteacute des comptes agrave la fin de lrsquoexercice financier Pourtant une lecture plus attentive des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR placeacutes dans le contexte global de lrsquoarticle 149 LIR peut amener le lecteur agrave avoir un autre point de vue et agrave douter de cette premiegravere assertion Le terme laquo peacuteriode raquo revient trois fois dans le texte lorsqursquoon tente de rendre une socieacuteteacute admissible agrave lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ce mot apparaicirct seulement deux fois dans lrsquoun ou lrsquoautre des alineacuteas mais il apparaicirct aussi dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR Voici agrave des fins drsquoillustration ce passage introductif mis en relation avec lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable [hellip] pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) [hellip] une socieacuteteacute [hellip] dont au moins 90 du capital appartenait agrave [hellip] un organisme [hellip] public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute [hellip] pour la peacuteriode provenant dactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode [hellip] raquo (Notre soulignement)

Il y a lieu ici de se poser une question essentielle srsquoagit-il toujours de la mecircme peacuteriode Il semble assez clair que le double emploi du mot dans le corps mecircme de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR fait reacutefeacuterence agrave la mecircme peacuteriode En effet dans les deux cas on utilise ce terme pour parler du laps de temps durant lequel on deacutetermine le revenu de la socieacuteteacute Dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR le vocable laquo peacuteriode raquo fait vraisemblablement reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps durant lequel la socieacuteteacute viseacutee par lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR est exempteacutee drsquoimpocirct Puisque la peacuteriode dont il est question agrave cet alineacutea fait reacutefeacuterence agrave la condition neacutecessaire pour ecirctre exempteacute drsquoimpocirct et que ce mecircme mot dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR fait reacutefeacuterence agrave la peacuteriode drsquoexemption elle-mecircme il est tout agrave fait logique de consideacuterer que la triple utilisation de ce terme renvoie agrave la mecircme peacuteriode de temps

570 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Dans la plupart des cas le respect de la condition intrinsegraveque agrave lrsquoexemption dans les divers alineacuteas du paragraphe 149(1) LIR est facilement deacuteterminable Par exemple quand on se demande si une personne est une socieacuteteacute drsquoEacutetat137 ou un fonctionnaire drsquoun pays eacutetranger obligeacute de reacutesider au Canada138 la personne a le statut voulu ou elle ne lrsquoa pas Agrave lrsquoopposeacute agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on doit se demander non seulement si la socieacuteteacute est deacutetenue agrave au moins 90 par une municipaliteacute ou un organisme public remplissant une fonction gouvernementale mais aussi si le test baseacute sur le concept de revenu dont on exige habituellement lrsquoeacutetablissement de faccedilon cyclique est rempli Le revenu est effectivement eacutetabli sur une base annuelle et il peut ecirctre difficile de le connaicirctre agrave tout moment durant lrsquoanneacutee La loi force parfois les socieacuteteacutes agrave eacutetablir leur revenu en cours drsquoanneacutee une fin drsquoanneacutee eacutetant alors reacuteputeacutee crsquoest le cas notamment lors drsquoune acquisition de controcircle ou drsquoun changement de statut Dans ces situations un signal eacutevident est envoyeacute au contribuable afin qursquoil arrecircte les comptes et qursquoil procegravede agrave lrsquoeacutetablissement de son revenu

En revanche le test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est beaucoup moins commode Il suffit drsquoimaginer une socieacuteteacute dont le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee serait assez pregraves de 10 Il faut comprendre que theacuteoriquement cette socieacuteteacute devra avoir au jour le jour une ideacutee assez juste de son revenu et de sa composition pour connaicirctre exactement le jour ougrave une fin drsquoanneacutee devra ecirctre reacuteputeacutee139 Eacutetant donneacute le libelleacute de la loi il semble qursquoun chiffre annuel ou trimestriel ne soit pas suffisant pour srsquoy conformer

En effet le test de revenu eacutedicteacute par les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR semble devoir srsquoappliquer sur une peacuteriode continue et non sur une anneacutee Srsquoil srsquoagissait tout simplement drsquoun test annuel le leacutegislateur aurait exigeacute de la socieacuteteacute qursquoelle applique le test de faccedilon peacuteriodique anneacutee apregraves anneacutee et les alineacuteas auraient eacuteteacute reacutedigeacutes en ce sens Toutefois le leacutegislateur nrsquoa pas agi ainsi et semble avoir preacutefeacutereacute un test continu sur une seule et unique peacuteriode pluriannuelle Le test de revenu serait donc un test cumulatif plutocirct que seacutequentiel

En partant de cette constatation on peut srsquointerroger sur la situation hypotheacutetique suivante Supposons qursquoune socieacuteteacute a toujours eu le mecircme

137 Al 149(1)d) LIR 138 Al 149(1)a) LIR 139 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 571

revenu annuel anneacutee apregraves anneacutee Dans ses 10 premiegraveres anneacutees drsquoexploitation elle a exerceacute ses activiteacutes uniquement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de son entiteacute actionnaire Agrave lrsquoinverse dans sa 11e anneacutee (ou durant les derniers mois de cette anneacutee) cette mecircme socieacuteteacute a eu seulement des activiteacutes hors de la zone drsquoexemption Cette socieacuteteacute est-elle toujours exempteacutee dans sa 11e anneacutee Si on applique le test en suivant la logique ci-dessus sur les 11 anneacutees la reacuteponse est positive Malheureusement ni les tribunaux ni les administrations fiscales nrsquoont encadreacute la notion de peacuteriode qui est essentielle agrave lrsquoapplication du test de revenu Le contribuable est ainsi laisseacute agrave lui-mecircme en ce qui concerne la deacutetermination des moments auxquels le test de revenu doit ecirctre fait

De ce fait il ne serait pas impossible de voir les administrations fiscales affirmer qursquoagrave lrsquoinverse la socieacuteteacute perde son exemption dans sa 11e anneacutee Elles pourraient soutenir que cette peacuteriode drsquoun an ou mecircme de quelques mois prise isoleacutement ne permet pas agrave la socieacuteteacute de remplir le test de revenu et drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption Toutefois agrave notre avis cela serait surprenant puisqursquoil existe plusieurs endroits dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ougrave le leacutegislateur a pris la peine de preacuteciser le laps de temps qursquoil fallait consideacuterer140 or il ne lrsquoa pas fait au paragraphe 149(1) LIR

335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de revenu

Nous avons traiteacute de quatre notions inheacuterentes au test contenu dans les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR celles de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale disponible aux Indiens aide les socieacuteteacutes viseacutees agrave srsquoorienter dans lrsquoaccomplissement de ce test de revenu Une fois de plus il faut rappeler que les tribunaux ne se sont pas encore pencheacutes directement sur la faccedilon dont ce test doit ecirctre effectueacute Selon la situation certaines prises de position pourraient engendrer des risques fiscaux importants Il serait donc judicieux drsquoadresser une demande de deacutecision anticipeacutee agrave la Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct de lrsquoARC afin drsquoeacuteviter toute surprise quant agrave lrsquointerpreacutetation qursquoelle pourrait faire de ces diverses notions

En ce qui concerne le terme laquo revenu raquo le premier reacuteflexe serait drsquoopter pour le revenu net Toutefois une argumentation en faveur du revenu brut

140 Voir notamment lrsquoalineacutea 8(1)h) ainsi que les paragraphes 18(93) 89(1) laquo compte de

dividendes en capital raquo 1106(1) laquo action admissible de petite entreprise raquo et 161(1) LIR

572 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

serait possible mais elle megravenerait presque ineacutevitablement agrave un diffeacuterend avec lrsquoARC en cas de veacuterification

Le lieu drsquoune activiteacute quant agrave lui sera deacutetermineacute selon lrsquoendroit ougrave est situeacute le processus consistant agrave geacuteneacuterer un revenu On ne doit pas srsquoattarder aux activiteacutes accessoires mais tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute principale elle-mecircme

Pour ce qui est de la notion drsquoactiviteacutes on comprend qursquoelle suppose un effort minimal Du point de vue de lrsquoARC le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention ne serait pas une activiteacute alors que le fait de geacuteneacuterer un revenu de biens le serait On doit consideacuterer chaque type drsquoactiviteacute indeacutependamment et si une seule activiteacute srsquoeffectue agrave plusieurs endroits elle doit ecirctre segmenteacutee

Enfin le mot laquo peacuteriode raquo semble faire reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps total pendant lequel lrsquoexemption srsquoapplique Il ne srsquoagirait donc pas drsquoun concept seacutequentiel mais plutocirct drsquoune dureacutee qui cumule plusieurs anneacutees Il y a toutefois un risque drsquointerpreacutetation divergente de la part des administrations fiscales puisqursquoelles nrsquoont rien publieacute sur le sens agrave donner agrave ce terme dans lrsquoaccomplissement du test baseacute sur les revenus

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR commencent par preacuteciser que leur application est sous reacuteserve notamment du paragraphe 149(12) LIR141 Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR se lit comme suit

laquo 149 (12) Pour lrsquoapplication des alineacuteas (1) d5) et d6) le revenu drsquoune socieacuteteacute commission ou association provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques drsquoune municipaliteacute ou drsquoun organisme municipal ou public ne comprend pas le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees selon le cas

a) aux termes drsquoune convention eacutecrite dont les parties sont

(i) la socieacuteteacute commission ou association

(ii) Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province une municipaliteacute un organisme municipal ou public ou une socieacuteteacute agrave laquelle srsquoapplique lrsquoun des alineacuteas (1) d) agrave d6) qui est controcircleacutee par Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province par une

141 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(12) LIR est lrsquoarticle 98501 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 573

municipaliteacute du Canada ou par un organisme municipal ou public du Canada

dans les limites geacuteographiques suivantes

(iii) si la convention est conclue avec Sa Majesteacute du chef du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles du Canada

(iv) si elle est conclue avec Sa Majesteacute du chef drsquoune province ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la province

(v) si elle est conclue avec une municipaliteacute du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la municipaliteacute

(vi) si elle est conclue avec un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celui-ci celles viseacutees au paragraphe (11) relativement agrave cet organisme ou cette socieacuteteacute [hellip] raquo

341 Application de lrsquoexception et notion de convention eacutecrite

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit donc une exception pour certains revenus provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee et qui normalement auraient eacuteteacute assujettis agrave la limite de 10 preacutevue dans le test de revenu Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR a pour effet drsquoajouter agrave la zone geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale la zone geacuteographique drsquoune personne viseacutee avec qui une convention eacutecrite est conclue Ces personnes peuvent ecirctre le gouvernement du Canada le gouvernement drsquoune province une municipaliteacute un autre organisme public remplissant une fonction gouvernementale ou toute socieacuteteacute exempteacutee en vertu drsquoun des alineacuteas 149(1)d) agrave 149(1)d6) LIR et controcircleacutee par une des personnes qui preacutecegravedent Cette disposition est particuliegraverement inteacuteressante dans le contexte des bandes indiennes car plusieurs contrats leur sont octroyeacutes par les gouvernements

Cela eacutetant dit il faut srsquointerroger sur les effets concrets de cette disposition sur le test de revenu Encore une fois puisque cette disposition est relativement reacutecente les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute tregraves prolifiques dans leurs directives De son cocircteacute lrsquoARC a confirmeacute que le revenu exclu par le paragraphe 149(12) LIR du revenu reacutealiseacute agrave lrsquoexteacuterieur des limites

574 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

geacuteographiques ne doit pas ecirctre aussi exclu du calcul du revenu total pour la peacuteriode aux fins des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR142

Il y a aussi lieu de srsquointerroger sur le sens que lrsquoon doit accorder agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Par le passeacute lrsquoARC a deacutejagrave soutenu qursquoune convention eacutecrite eacutetait en fait un contrat143 Le sens ordinaire de cette expression est pourtant tout simplement un accord entre deux ou plusieurs personnes sur un fait preacutecis144 qui est consigneacute par eacutecrit

En 2008 la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoest prononceacutee sur le sens que lrsquoon devait donner agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Dans cette affaire on cherchait justement agrave savoir si une entiteacute municipale avait droit agrave lrsquoexemption fiscale deacutecoulant de lrsquoapplication des alineacuteas 149(12)a) et 149(1)d5) LIR quant au revenu gagneacute en dehors des limites geacuteographiques de la municipaliteacute Le juge Sheridan srsquoexprima ainsi laquo Je retiens eacutegalement la thegravese de lrsquoappelante selon laquelle il nrsquoy a pas lieu de restreindre le sens du terme ldquoconventionrdquo agrave celui de contrat en bonne et due forme145 raquo Il rappelle que la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a eacuteteacute claire agrave ce sujet en preacutecisant qursquoune convention ne creacutee pas forceacutement des droits et obligations de nature contractuelle ce qui lrsquoa conduit agrave conclure qursquoune seacuterie de lettres constituaient une convention eacutecrite146 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct a donc accepteacute de consideacuterer un regraveglement interne de lrsquoentiteacute actionnaire de la socieacuteteacute Sakitawak comme eacutetant une convention eacutecrite au sens du paragraphe 149(12) LIR entre la province de la Saskatchewan et la socieacuteteacute mecircme si cette derniegravere nrsquoavait ni signeacute ni eacutecrit quoi que ce soit147 Le raisonnement du juge reposait sur le fait que le regraveglement adopteacute avait eacuteteacute indirectement approuveacute par la province

Bien que cette affaire srsquoinscrive dans un contexte leacutegal bien particulier drsquoune socieacuteteacute constitueacutee en vertu de la Northern Municipalities Act148 elle 142 Tax Window Files preacuteciteacute note 104 143 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9426215 laquo Bien agricole

admissible ndash Acquis par leg ndash Conjoint raquo 30 janvier 1995 144 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo convention raquo 145 Sakitawak Development Corporation c La Reine 2008 CCI 529 (laquo Sakitawak raquo)

par 33 146 Id par 34 renvoyant agrave lrsquoarrecirct Bow River Pipe Lines Ltd c La Reine 97 DTC

5385 5398 (CAF) 147 Id par 53 148 Statutes of Saskatchewan 1983 c N-51

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 575

permet de constater que les tribunaux peuvent donner un sens tregraves large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Il y a donc lieu de se demander jusqursquoougrave les tribunaux seraient precircts agrave aller dans leur interpreacutetation libeacuterale de cette expression Si un regraveglement interne peut ecirctre consideacutereacute comme une convention eacutecrite ne pourrait-on pas penser qursquoun simple bon de commande ou une facture pourrait aussi constituer une convention eacutecrite

Retenons en tout cas qursquoune convention eacutecrite nrsquoest pas neacutecessairement un contrat mais qursquoagrave lrsquoinverse un contrat serait forceacutement une convention eacutecrite Il semble aussi important selon lrsquoARC qursquoil y ait un lien direct entre la convention et le revenu puisqursquoelle est drsquoavis que le revenu provenant de la sous-traitance drsquoun des contrats agrave un tiers ne peut pas ecirctre exclu par le paragraphe 149(12) LIR149 Le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone geacuteographique doit donc ecirctre la conseacutequence directe de la convention eacutecrite

342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit lrsquoexclusion de certains revenus provenant de conventions eacutecrites conclues avec les gouvernements canadiens les municipaliteacutes les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale et les socieacuteteacutes exempteacutees que ces entiteacutes controcirclent Le principe veut que lrsquoon ajoute les limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute avec laquelle on a conclu lrsquoentente agrave celles de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui est actionnaire de la socieacuteteacute constitueacutee

Les tribunaux ont donneacute un sens assez large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo en ne la restreignant pas agrave un contrat Il est important de comprendre que le lien entre le revenu et la convention doit absolument ecirctre direct Le fait de sous-traiter avec un tiers des travaux relatifs agrave une convention conclue par deux autres entiteacutes nrsquoa pas pour effet de faire du tiers une partie agrave cette convention

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE

Il convient de sensibiliser le lecteur agrave certains piegraveges et agrave quelques eacuteleacutements de planification fiscale importants pour optimiser la situation fiscale drsquoune bande indienne et de ses socieacuteteacutes Nous aborderons quatre questions la perte de statut drsquoentiteacute exempteacutee quelques astuces lorsqursquoune socieacuteteacute ne peut ecirctre exempteacutee la reacutedaction des contrats avec les entiteacutes viseacutees 149 Tax Window Files preacuteciteacute note 132

576 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

par lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR et enfin quelques remarques touchant les employeacutes des socieacuteteacutes viseacutees par lrsquoexemption

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE

Le premier eacuteleacutement qursquoil est important de faire ressortir concerne les cascades de socieacuteteacutes Les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes nrsquoeacutechappent pas aux structures de socieacuteteacutes classiques composeacutees drsquoune socieacuteteacute de gestion qui est actionnaire drsquoune ou de plusieurs socieacuteteacutes exploitantes Nous avons vu que les filiales des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes pouvaient aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d6) LIR rend en effet admissibles agrave lrsquoexemption toutes les filiales en proprieacuteteacute exclusive de socieacuteteacutes qui sont exempteacutees en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR

Dans la situation ougrave il existe une socieacuteteacute de gestion et une filiale il faut cependant accorder une importance particuliegravere agrave lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexemption de la socieacuteteacute megravere Le simple fait que la socieacuteteacute megravere deacutecide drsquoexeacutecuter elle-mecircme un contrat important agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale pourrait compromettre non seulement son statut drsquoentiteacute exempteacutee mais aussi celui de toutes ses filiales Il est donc crucial drsquoeacuteviter lrsquoexploitation drsquoentreprises au sein de la socieacuteteacute megravere et de lui reacuteserver uniquement les activiteacutes de gestion de ses filiales afin de ne pas risquer de faire perdre le statut drsquoentiteacute exempteacutee agrave toutes les socieacuteteacutes du groupe

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lorsqursquoil a eacuteteacute question du test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nous avons indiqueacute que ce test doit ecirctre appliqueacute de maniegravere constante et continuelle Cela signifie qursquoune socieacuteteacute qui se situe pregraves de la limite de 10 pourrait ecirctre exempteacutee agrave un certain moment ne plus lrsquoecirctre quelques semaines plus tard et redevenir exempteacutee agrave nouveau par la suite Lrsquoeffet drsquoun tel changement de statut est beaucoup plus lourd qursquoon pourrait le penser Plusieurs conseacutequences fiscales seraient alors deacuteclencheacutees Il y aurait ainsi une fin drsquoanneacutee reacuteputeacutee une disposition agrave la juste valeur marchande de tous les biens et tous les soldes de pertes seraient rameneacutes agrave zeacutero150 On comprend donc que les changements successifs de statut sont agrave eacuteviter

Une bonne faccedilon drsquoeacutechapper agrave ces conseacutequences neacutegatives est de deacuteterminer quels sont les projets hors limite qui sont susceptibles de mettre

150 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 577

en peacuteril le statut drsquoentiteacute exempteacutee de la socieacuteteacute en question et drsquoexeacutecuter ces projets agrave lrsquointeacuterieur drsquoune filiale deacutedieacutee agrave cette fin Ainsi on eacuteviterait de contaminer les autres socieacuteteacutes qui pourraient toujours beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Bien entendu cela neacutecessite un suivi assez serreacute et on doit ecirctre en mesure de preacutevoir les revenus et les coucircts de maniegravere assez preacutecise

Drsquoautres solutions peuvent aussi ecirctre envisageacutees afin de preacuteserver le statut drsquoentiteacute exempteacutee des socieacuteteacutes viseacutees On pourrait attribuer les projets contaminants du point de vue du test de revenu entre les diverses filiales du groupe afin que les revenus qui en deacutecoulent constituent moins de 10 des revenus totaux de chacune des socieacuteteacutes Lrsquoanalyse plus pousseacutee de lrsquoimputation des coucircts indirects offre aussi une piste inteacuteressante Il est possible qursquoune reacutepartition diffeacuterente mais toujours raisonnable permette de garantir ou de faciliter le statut drsquoentiteacute exempteacutee Dans tous les cas une bonne connaissance des activiteacutes du groupe de socieacuteteacutes sera indispensable et permettra drsquoidentifier les strateacutegies optimales agrave adopter

42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES

On a vu qursquoune socieacuteteacute deacutesirant exercer ses activiteacutes de faccedilon importante agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoune bande indienne et qui ne traite pas avec des entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne pourra pas se preacutevaloir de lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR Puisque cette socieacuteteacute serait assujettie agrave lrsquoimpocirct il y a lieu de srsquointerroger sur la faccedilon drsquoorganiser ses affaires afin drsquoobtenir une situation fiscale optimale

Une faccedilon simple de reacuteduire le fardeau fiscal de la socieacuteteacute serait le recours aux frais de gestion que la bande indienne ou la socieacuteteacute megravere pourrait facturer agrave la socieacuteteacute non exempteacutee Le profit de celle-ci serait ainsi partiellement transfeacutereacute agrave une entiteacute exempteacutee Il ne faut pas oublier que la deacuteductibiliteacute de ces frais de gestion serait toutefois soumise au critegravere de raisonnabiliteacute preacutevu agrave lrsquoarticle 67 LIR LrsquoARC a drsquoailleurs eacuteteacute reacutecemment appeleacutee agrave se prononcer sur cette pratique151 On lui a soumis la situation drsquoune socieacuteteacute qui annulait systeacutematiquement tous ses profits par des frais de gestion qui ne faisaient pas lrsquoobjet drsquoun contrat et qui variaient drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre selon le niveau de profit de la socieacuteteacute non exempteacutee La position de lrsquoARC agrave lrsquoeacutegard de cette faccedilon de faire ne semble pas se soucier des motivations conduisant ou non agrave la facturation de frais de gestion

151 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0311861I7 laquo Issues

par 149(1)(c) and Proposed par149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010

578 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

On explique simplement qursquoon doit veacuterifier le caractegravere raisonnable des frais qui selon lrsquoARC doit correspondre agrave la valeur marchande des services de gestion rendus Le recours aux frais de gestion est donc limiteacute et on ne peut pas envisager de ramener un revenu imposable important agrave zeacutero si les services de gestion identifiables ne le justifient pas

Il existe une autre possibiliteacute pour reacuteduire le revenu imposable drsquoune socieacuteteacute non exempteacutee drsquoimpocirct Les leacutegislateurs au moment mecircme ougrave ils ajoutaient les socieacuteteacutes deacutetenues par des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au libelleacute des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et des paragraphes 985f) et 985g) LI ont aussi ajouteacute les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale agrave la liste des donataires reconnus aux articles 1101 et 1181 LIR ainsi qursquoaux articles 710 et 7520101 LI Les bandes indiennes ayant le statut drsquoorganismes publics remplissant une fonction gouvernementale sont donc maintenant en mesure de deacutelivrer des reccedilus fiscaux pour dons comme les organismes de bienfaisance ou les municipaliteacutes152 Une socieacuteteacute faisant un don agrave la bande indienne pourrait alors deacuteduire ce montant de son revenu imposable153 Toutefois il serait impossible de ramener le revenu agrave zeacutero puisque la deacuteduction est limiteacutee en fonction du revenu net154 Il est important de preacuteciser que pour ecirctre deacuteductible dans une anneacutee drsquoimposition le don doit avoir eacuteteacute laquo fait au courant de lrsquoanneacutee raquo155 Selon lrsquoarticle 1806 CcQ la donation suppose un transfert en conseacutequence si les sommes ne sont pas transfeacutereacutees dans lrsquoanneacutee lrsquoadministration fiscale pourrait contester le fait qursquoil y ait vraiment eu un don entre le donateur et le donataire

Les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette faccedilon de faire il est donc actuellement impossible de deacuteterminer si cette pratique pourrait ecirctre jugeacutee abusive en vertu de la regravegle geacuteneacuterale antieacutevitement Advenant une contestation justifieacutee de lrsquoadministration fiscale agrave cet eacutegard il nrsquoy aurait pas de conseacutequence fiscale pour la bande indienne puisque celle-ci est exempteacutee mais la socieacuteteacute risquerait de perdre sa deacuteduction pour dons et de devoir payer lrsquoimpocirct suppleacutementaire et les inteacuterecircts srsquoy rattachant Aussi serait-il judicieux drsquoobtenir lrsquoopinion de lrsquoARC sur cette faccedilon de proceacuteder aupregraves de la

152 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2011-0405881E5 laquo Qualified Donee for Receipting Purposes raquo 1er juin 2011 153 S-al 1101(1)a)(iv1) LIR et s-par 710a)v01) LI 154 Al 1101(1)a) LIR et art 711 LI 155 Tax Window Files preacuteciteacute note 151

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 579

Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct avant de mettre de lrsquoavant une telle pratique

43 REacuteDACTION DES CONTRATS

Nous avons vu qursquoune convention eacutecrite ne suppose pas neacutecessairement une obligation contractuelle Nous recommandons toutefois agrave toute socieacuteteacute qui veut se preacutevaloir de lrsquoexception preacutevue au paragraphe 149(12) LIR de conclure un contrat en bonne et due forme pour des raisons commerciales et pour eacuteviter que les autoriteacutes fiscales puissent douter de lrsquoexistence de la convention eacutecrite Pour des raisons tant politiques que juridiques les gouvernements ont tendance agrave vouloir conclure les ententes directement avec les conseils de bande Rappelons cependant que les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont des personnes morales distinctes et ne beacuteneacuteficient pas du statut drsquoIndien Malgreacute cette reacutealiteacute certaines entiteacutes gouvernementales peuvent leur attribuer des contrats sans passer par le processus drsquoappel drsquooffres156 Neacuteanmoins les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont normalement assujetties agrave ce processus au mecircme titre que les autres socieacuteteacutes157 Il est donc possible qursquoune bande indienne ait agrave conclure directement une entente de services afin drsquoobtenir de faccedilon preacutefeacuterentielle un contrat158

Dans de telles circonstances ougrave une entente serait conclue directement avec la bande indienne qui sous-traiterait lrsquoouvrage agrave lrsquoune de ses socieacuteteacutes il faudrait srsquointerroger sur lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR Puisque la deacutecision Sakitawak159 repose sur des faits bien particuliers lrsquoARC pourrait en faire abstraction et consideacuterer que la socieacuteteacute sous-traitante qui veut ecirctre exempteacutee aurait une convention eacutecrite seulement avec la bande indienne et non pas avec le gouvernement Les limites geacuteographiques applicables agrave lrsquoexemption ne srsquoeacutetendraient donc pas agrave celles du gouvernement en question mais elles seraient plutocirct restreintes agrave celles de la bande Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne serait alors drsquoaucune utiliteacute

156 Voir par exemple SOCIEacuteTEacute DE DEacuteVELOPPEMENT DE LA BAIE-JAMES

Politique RS-10 laquo Acquisition de biens et de services raquo 1er octobre 2008 art 47 (en ligne httpwwwsdbjgouvqccapdfdocumentsPolitique20acquisition20de 20biens20et20de20servicespdf)

157 Voir notamment Loi sur le ministegravere des Transports LRQ c M-28 art 3 158 Voir par exemple GRAND COUNCIL OF THE CREES Joint Press Release of Cree

Nation of Mistissini and Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) 26 janvier 2012 (en ligne httpwwwgcccanewsarticlephpid=261)

159 Preacuteciteacute note 145

580 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une faccedilon de reacutegler cette situation facirccheuse serait de preacutevoir la sous-traitance de la bande avec sa socieacuteteacute dans le corps mecircme de lrsquoentente qui serait signeacutee avec le gouvernement srsquoil y consent La volonteacute du gouvernement de traiter directement avec la bande indienne serait ainsi respecteacutee et la socieacuteteacute sous-traitante quant agrave elle serait partie agrave une convention eacutecrite entre elle son actionnaire et le gouvernement Le texte de lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne preacutecise pas que la convention doit ecirctre conclue uniquement entre deux parties Encore une fois il est important de rappeler que les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jusqursquoici pas eu lrsquooccasion de se prononcer sur une telle situation Toutefois lrsquoouverture dont la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a fait preuve dans lrsquoaffaire Sakitawak est drsquoun certain reacuteconfort advenant une meacutesentente avec lrsquoadministration fiscale agrave ce sujet

44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS

Lorsque nous avons abordeacute lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens il a eacuteteacute question de la meacutethode baseacutee sur les facteurs de rattachement pour situer geacuteographiquement un revenu Comme il a eacuteteacute mentionneacute lrsquoendroit ougrave se situe le siegravege social de la socieacuteteacute nrsquoest pas important pour qursquoelle puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Par contre le fait que la reacutesidence de lrsquoemployeur soit sur la reacuteserve est un facteur tregraves important dans la deacutetermination du situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien

Deux des quatre lignes directrices publieacutees par lrsquoARC160 sur le situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien reposent en partie sur la reacutesidence de lrsquoemployeur La ligne directrice no 2 preacutevoit que le revenu drsquoemploi sera habituellement exoneacutereacute si lrsquoIndien et lrsquoemployeur reacutesident sur la reacuteserve La ligne directrice no 3 propose drsquoexoneacuterer drsquoimpocirct le mecircme revenu si lrsquoIndien ou lrsquoemployeur reacuteside sur la reacuteserve et que plus de 50 des tacircches lieacutees agrave lrsquoemploi sont accomplies dans la reacuteserve Il est donc important que la socieacuteteacute ait son siegravege social sur la reacuteserve afin de ne pas peacutenaliser ses employeacutes indiens et par le fait mecircme pour faciliter le recrutement et la reacutetention de sa main-drsquoœuvre

CONCLUSION

Nous avions comme objectif principal de deacuteterminer dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne pouvait se preacutevaloir de

160 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 4M00908 laquo Indiens ndash

Exoneacuteration du revenu ndash Lignes directrices raquo 29 juin 1994

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 581

lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR ainsi qursquoaux paragraphes 985f) et 985g) LI Malgreacute le remaniement de ces dispositions pour y pourvoir plusieurs zones grises sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer subsistent

Mecircme srsquoil peut ecirctre relativement simple pour une bande indienne de beacuteneacuteficier du statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le statut drsquoentiteacute exempteacutee nrsquoest pas pour autant acquis par les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient

Dans cette tacircche ardue visant agrave ce que ces socieacuteteacutes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption le recours aux principes deacutecoulant de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est un outil preacutecieux En effet les tribunaux ont eacuteteacute tregraves actifs en ce qui a trait agrave lrsquoimmuniteacute fiscale deacutecoulant du statut drsquoIndien

De plus une tregraves bonne connaissance du contexte juridique entourant une bande indienne est requise afin de deacuteterminer si les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient peuvent beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Crsquoest encore plus vrai lorsque vient le temps de deacuteterminer la zone geacuteographique permettant lrsquoexemption Les questions territoriales des Premiegraveres Nations sont agrave prendre en compte dans cette deacutetermination

Nous avons fait aussi ressortir les particulariteacutes importantes du test baseacute sur les revenus preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI Il est important agrave cet eacutegard drsquoecirctre sensibiliseacute agrave la preacutecariteacute de lrsquoexemption fiscale et aux conseacutequences indeacutesirables qui peuvent survenir advenant sa perte

En deacutefinitive il est assez facile pour une socieacuteteacute nrsquoexploitant son entreprise que sur les terres de la communauteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Toutefois lrsquoincertitude apparaicirct quand les occasions drsquoaffaires proviennent de lrsquoexteacuterieur

Les pratiques fiscales actuelles reposent en grande partie sur le fait que les administrations fiscales se sont montreacutees relativement transparentes et accommodantes dans leurs positions administratives Il faut toutefois garder agrave lrsquoesprit que les positions administratives peuvent changer

Dans la mesure ougrave les bandes indiennes prendront de plus en plus drsquoimportance dans le deacuteveloppement du Nord queacutebeacutecois on peut srsquoattendre agrave ce que lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication de la leacutegislation fiscale que nous avons eacutevoqueacutee eacutevoluent au cours des anneacutees agrave venir

582 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ANNEXE

Statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Sommaire des interpreacutetations favorables aux bandes indiennes

qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC

Adoption Services aux Deacutemocratie Nature des Neacutegociationde regraveglements membres (no te 1) imputabiliteacute fonctions dententes (no te 2)

2012-0447241R3 x x2011-0391831R3 x x2010-0360361R3 x2010-0362371R3 x x x x2010-0372611R3 x x2009-0311861I7 x x2009-0310851I7 x x2009-0311171R3 x x x2008-0294231R3 x x2008-0272731R3 x2008-0282491R3 x x x2008-0295711R3 x x x2006-0173611R3 x x x2006-0201611R3 x2006-0168841R3 x x2006-0166731R3 x x x2005-0126261R3 x x2005-0136981R3 x x x2003-0035821R3 x

2003-0028403 x x2003-0000463 x2003-0035443 x2003-0028343 x x2002-0170903 x x2002-0127663 x x2001-0068273 x x x2001-0091433 x2001-0106633 x x1999-0006543 x x1999-0005513 x x x

9917483 x x

Note 1 Travaux publics services sociaux et programmes dinfrastructure

Note 2 Revendications territoriales ententes en matiegravere de santeacute etc

Interpreacutetations techniques

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 583

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI

SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES

Alex Boisvert Maxime Dupuis LL B LL B Direction du contentieux Direction du contentieux fiscal et civil fiscal et civil Revenu Queacutebec Revenu Queacutebec

PREacuteCIS

En 1940 le Parlement du Canada a instaureacute un reacutegime drsquoassurance-chocircmage Au fil des anneacutees ce reacutegime a subi diverses modifications Toutefois lrsquoobjectif de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi est demeureacute sensiblement le mecircme eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui cherche agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs qui perdent leur revenu drsquoemploi par le versement temporaire de prestations

Pour ecirctre admissible au reacutegime drsquoassurance-emploi il faut occuper un laquo emploi assurable raquo La Loi sur lrsquoassurance-emploi preacutevoit plusieurs types drsquoemplois assurables Les auteurs srsquoen tiennent agrave analyser les cas ougrave lrsquoemployeacute et lrsquoemployeur ont un lien de deacutependance entre eux notamment

584 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

parce qursquoils sont lieacutes par le sang le mariage ou une union civile ou par une deacutetention drsquoactions dans la socieacuteteacute laquo employeur raquo

La regravegle veut qursquoun employeacute ayant avec son employeur un lien de deacutependance de fait ou un lien de deacutependance de droit (personnes lieacutees) au sens de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne peut occuper un emploi assurable et par le fait mecircme ne peut beacuteneacuteficier de prestations drsquoassurance-emploi Cependant si lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lieacutes montrent qursquoils auraient conclu un contrat de travail similaire srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance lrsquoemployeacute pourra faire exception agrave la regravegle et beacuteneacuteficier du reacutegime Il srsquoagit de lrsquoapplication de lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Les auteurs analysent les critegraveres preacutevus agrave cet alineacutea et utiliseacutes par les tribunaux pour deacuteterminer si un emploi entre personnes lieacutees peut ou non ecirctre consideacutereacute comme assurable

ABSTRACT

In 1940 the Parliament of Canada has introduced an unemployment insurance program Various changes have been made in the program over the years However the purpose of the Unemployment Insurance Act which was replaced by the Employment Insurance Act in 1996 has remained essentially the same namely the establishment of an insurance program that is based on the concept of social risk and which preserves the economic security of workers for loss of income from their employment through temporary income replacement benefits

To be entitled to those benefits a claimant must have performed services under an ldquoinsurable employmentrdquo The Employment Insurance Act provides for several types of insurable employment The authors stick to analyze cases where the employee and the employer are not dealing with each other at armrsquos length because they are related by blood marriage civil union or shareholding in the ldquoemployerrdquo corporation

The rule is that where an employee and an employer are not dealing with each other at armrsquos length within the meaning of the Income Tax Act (in a de facto non-armrsquos length relationship or as related persons) the employment does not qualify as an insurable employment and as a consequence thereof the employee is not eligible to employment insurance benefits However if it is demonstrated that the employer and the employee who are related persons would have entered into a similar contract of employment if they have been dealing with each other at armrsquos length subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act makes an exception to the rule and the employee will qualify for employment insurance benefits

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 585

Subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act sets out various factors to be examined In this paper the authors analyze the application of those factors by the courts when deciding whether or not an employment is insurable

Agrave la suite du deacutecegraves accidentel de Me Jacques Cocircteacute lequel avait eacuteteacute preacutesident du conseil drsquoadministration de lrsquoAPFF celle-ci a contribueacute au Fonds Jacques-Cocircteacute geacutereacute par la Fondation de lrsquoUniversiteacute Laval Les revenus geacuteneacutereacutes par ce fonds servent agrave lrsquooctroi de bourses aux eacutetudiants du baccalaureacuteat en droit qui ont reacutedigeacute un travail de qualiteacute en droit fiscal

LrsquoAPFF est fiegravere de publier dans ce numeacutero de la Revue le texte reacutedigeacute par les deux premiers reacutecipiendaires de cette bourse

Au moment de la publication Mme Alex Boisvert avait eacuteteacute assermenteacutee comme avocate pour sa part M Maxime Dupuis sera assermenteacute comme avocat en novembre 2013

586 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 587

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN CONTRAT DE TRAVAIL 590

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE 591

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE 591

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo 593

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE 594

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE 596

31 LA REacuteMUNEacuteRATION 596 32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI 599 33 LA DUREacuteE 600 34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES 602

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS 604

CONCLUSION 608

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 587

INTRODUCTION

Le reacutegime drsquoassurance-emploi a eacuteteacute instaureacute au Canada par la Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage1 adopteacutee par le Parlement du Canada en reacuteponse agrave la situation eacuteconomique et sociale difficile qui avait cours alors

Lrsquoabsence de seacutecuriteacute financiegravere chez les travailleurs avait poseacute de nombreux problegravemes au deacutebut du XXe siegravecle Le Rapport de la Commission royale sur les relations industrielles au Canada de 1919 recommandait lrsquoimplantation drsquoun systegraveme de seacutecuriteacute sociale pour les travailleurs2 Ce rapport avait comme objectif de proposer des solutions aux nombreux problegravemes qui marquaient les relations patronales-ouvriegraveres notamment augmenter le salaire reacuteduire les heures de travail et pallier le risque de chocircmage3 La situation eacuteconomique des anneacutees 1930 et lrsquoindustrie du secteur primaire qui eacutetait plus propice au chocircmage creacuteaient une preacutecariteacute drsquoemploi pour lrsquoensemble de la classe ouvriegravere En 1935 la premiegravere tentative du Parlement du Canada de creacuteer un systegraveme de seacutecuriteacute sociale fut la Loi sur le placement et les assurances sociales4 mais celle-ci srsquoest heurteacutee aux limites constitutionnelles canadiennes et fut invalideacutee La Cour suprecircme du Canada jugea en effet que le Parlement du Canada ne deacutetenait pas la compeacutetence constitutionnelle neacutecessaire pour adopter un tel reacutegime de seacutecuriteacute sociale puisque celui-ci touchait agrave la compeacutetence provinciale en matiegravere de proprieacuteteacute et de droits civils5 Cette deacutecision fut confirmeacutee par le Comiteacute judiciaire du Conseil priveacute de Londres6 En reacuteaction agrave cet arrecirct lrsquoActe de lrsquoAmeacuterique du Nord britannique (connu depuis 1982 sous le titre de Loi constitutionnelle

1 Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage SC 1940 ch 44 2 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES Rapport de la

commission pour srsquoenqueacuterir des relations industrielles au Canada Ottawa 1919 DA SMITH laquo Employment Insurance raquo The Canadian Encyclopedia (en ligne httpwwwthecanadianencyclopediacomarticlesemployment-insurance)

3 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES preacuteciteacute note 2 Section 21 du Rapport

4 SC 1935 ch 38 5 Reference re legislative jurisdiction of Parliament of Canada to enact the Employment

and Social Insurance Act (1935 c 48) [1936] SCR 427 6 Canada (AG) v Ontario (AG) [1937] AC 355 (CP) T Stephen LAVENDER

The 2010 Annotated Employment Insurance Act Toronto Carswell 2010 p v

588 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

de 18677) fut modifieacute pour confeacuterer au Parlement du Canada compeacutetence en matiegravere drsquoassurance-chocircmage8

Degraves 1940 la premiegravere loi visant agrave instaurer une assurance sociale contre le risque de chocircmage fut adopteacutee9 Au deacutepart les prestations preacutevues dans la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage eacutetaient accessibles agrave un nombre limiteacute de cateacutegories drsquoemplois10 La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage11 qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi12 a fait lrsquoobjet de plusieurs modifications qui ont notamment eacutelargi son champ drsquoapplication en incluant drsquoautres types drsquoemplois admissibles aux avantages offerts par le reacutegime13 En deacutepit de lrsquoeacutevolution de la protection offerte lrsquoobjectif de la loi est demeureacute sensiblement le mecircme depuis son adoption14 La Loi sur lrsquoassurance-emploi actuelle continue de viser agrave eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui tend agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs par le versement temporaire de prestations en cas de cessation drsquoemploi ainsi que le rattachement de ces derniers au marcheacute du travail15 Lrsquoassurabiliteacute est le principe cardinal qui permet de beacuteneacuteficier de ce reacutegime Cette notion srsquoharmonise avec lrsquoobjectif de la loi qui consiste agrave venir en aide aux personnes qui peuvent travailler mais qui sont momentaneacutement sans emploi Cependant la Loi sur lrsquoassurance-emploi nrsquoest pas une loi qui srsquointerpregravete aiseacutement et les critegraveres deacuteveloppeacutes par les tribunaux manquent parfois de limpiditeacute16

7 Constitution Act 1940 3-4 Geo VI c 36 (UK) ajoutant la cateacutegorie 91(2A) aux

pouvoirs du Parlement du Canada Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 art 91(2A)

8 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v 9 Georges CAMPEAU De lrsquoassurance-chocircmage agrave lrsquoassurance-emploi ndash Lrsquohistoire du

reacutegime canadien et son deacutetournement Montreacuteal Boreacuteal 2001 p 9 10 Zhengxi LIN laquo Eacutevolution de lrsquoassurance-emploi au Canada raquo dans Lrsquoemploi et le

revenu en perspective Eacuteteacute 1998 vol 10 no 2 Statistique Canada pp 45-51 (en ligne httpwwwstatcangccastudies-etudes75-001archivef-pdf3828-frapdf)

11 Loi de 1971 sur lrsquoassurance-chocircmage LC 1970-71-72 ch 48 et mod (laquo LAC raquo) 12 LC 1996 ch 23 (laquo LAE raquo) 13 Renvoi relatif agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi (Can) art 22 et 23 [2005] 2 RCS

669 par 18 et 60 14 Id par 18 15 Id par 24 et 48 16 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 589

Parmi lrsquoensemble des conditions drsquoadmissibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-emploi lrsquoune drsquoentre elles pose particuliegraverement problegraveme il srsquoagit de la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi lorsque lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont un lien de deacutependance17 Les alineacuteas 5(2)i) 5(3)a) et 5(3)b) LAE preacutevoient cette condition

laquo (2) Nrsquoest pas un emploi assurable

[hellip]

i) lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance

[hellip]

(3) Pour lrsquoapplication de lrsquoalineacutea (2)i)

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de deacutependance est deacutetermineacutee conformeacutement agrave la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

A priori selon lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE cette relation drsquoemploi nrsquoest pas couverte par le champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Toutefois si lrsquoemploi drsquoune personne lieacutee agrave lrsquoemployeur remplit les conditions preacutevues par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE il sera reacuteputeacute ecirctre assurable et le travailleur pourra jouir des diffeacuterents avantages offerts par ce reacutegime leacutegislatif Le preacutesent texte a pour objet drsquoanalyser la position des tribunaux en matiegravere drsquoassurabiliteacute drsquoun emploi entre personnes ayant un lien de deacutependance

Tout drsquoabord il est primordial de srsquointerroger sur lrsquoexistence drsquoun contrat de travail comme condition preacuteliminaire drsquoassujettissement agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi avant drsquoaborder la question de lrsquoassurabiliteacute Dans le mecircme ordre drsquoideacutees le fonctionnement de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant lrsquoassurabiliteacute des emplois sera analyseacute plus preacuteciseacutement

17 Al 3(2)c) LAC devenu lrsquoalineacutea 5(2)i) et le paragraphe 5(3) LAE

590 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexclusion a priori par lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE des emplois caracteacuteriseacutes par un lien de deacutependance Ensuite il sera traiteacute de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui permet lrsquoinclusion des emplois entre personnes lieacutees Une fois le contexte leacutegislatif eacutetabli les critegraveres permettant de beacuteneacuteficier de la preacutesomption seront successivement eacutetudieacutes

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN

CONTRAT DE TRAVAIL

Avant mecircme de se pencher sur la notion drsquoassurabiliteacute il faut deacuteterminer si les parties entretiennent entre elles une relation drsquoemploi Pour conclure agrave lrsquoexistence de cette relation la preuve drsquoun contrat de travail doit ecirctre faite En conseacutequence la personne qui exploite une entreprise est exclue du champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Dans lrsquoordre juridique queacutebeacutecois le contrat de travail est deacutefini par lrsquoarticle 2085 du Code civil du Queacutebec18 Agrave cet effet le lien de subordination entre lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute est la pierre angulaire de lrsquoexistence drsquoun contrat de travail Traditionnellement les tribunaux se sont reacutefeacutereacutes aux critegraveres deacuteveloppeacutes en common law dans lrsquoarrecirct Wiebe Door Services Ltd c MRN19 pour caracteacuteriser la relation entre les parties En 2005 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale dans lrsquoaffaire 9041-6868 Queacutebec inc c MRN20 avanccedila que les critegraveres de common law issus de cet arrecirct nrsquoeacutetaient pas applicables pour qualifier une relation drsquoemploi reacutegie par le droit queacutebeacutecois Le Code civil du Queacutebec eacutetant lrsquounique source de droit pertinente dans lrsquoanalyse il fallait se concentrer exclusivement sur lrsquoarticle 2085 CcQ21 Par la suite dans lrsquoaffaire Grimard c La Reine22 le juge Archambault de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoappuyant sur les motifs de lrsquoarrecirct 9041-6868 Queacutebec Inc appliqua le mecircme raisonnement dans le cadre drsquoun litige viseacute par la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu23 Cette deacutecision fut porteacutee en appel et le tribunal drsquoappel atteacutenua la porteacutee des propos du juge Archambault24 Selon la Cour

18 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) 19 [1986] 3 CF 553 (CAF) (laquo Wiebe Door Services raquo) Les critegraveres de common law

sont 1) le controcircle 2) la proprieacuteteacute des instruments de travail 3) la possibiliteacute de profit 4) le risque de perte et 5) lrsquointeacutegration dans lrsquoentreprise

20 2005 CAF 334 (laquo 9041-6868 Queacutebec Inc raquo) 21 Id Lacroix c MRN 2007 CCI 81 (laquo Lacroix raquo) 22 2007 CCI 755 23 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 24 Grimard c Canada 2009 CAF 47 (laquo Grimard raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 591

drsquoappel feacutedeacuterale les critegraveres de lrsquoarrecirct Wiebe Door Services peuvent servir drsquoindices drsquoencadrement pour deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun contrat de travail25 Ce mecircme tribunal dans lrsquoaffaire NCJ Educational Services Ltd c Canada26 est venu confirmer que lrsquoarrecirct Grimard srsquoappliquait eacutegalement en matiegravere drsquoassurance-emploi venant mettre deacutefinitivement un terme agrave la controverse

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE

Une fois que lrsquoexistence drsquoun contrat de travail est eacutetablie il est neacutecessaire de srsquointerroger sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi exerceacute par le travailleur Un emploi est consideacutereacute comme assurable degraves qursquoil est viseacute par une des situations preacutevues au paragraphe 5(1) LAE

Toutefois le paragraphe 5(2) LAE preacutevoit plusieurs cas drsquoexclusion qui font en sorte que certains emplois ne peuvent beacuteneacuteficier du statut drsquolaquo emploi assurable raquo

Lrsquoexclusion qui sera traiteacutee ici est la situation viseacutee agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE soit laquo lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance raquo

Lrsquoalineacutea 5(3)a) LAE preacutevoit que lrsquoexistence du lien de deacutependance entre les parties au contrat est deacutetermineacutee en vertu de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Il peut srsquoagir drsquoun lien de deacutependance de droit lorsqursquoil est question de personnes lieacutees ou drsquoun lien de deacutependance de fait au sens des alineacuteas 251(1)a) et 251(1)c) LIR

laquo 251 (1) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes lieacutees sont reacuteputeacutees avoir entre elles un lien de deacutependance

[hellip]

c) [hellip] la question de savoir si des personnes non lieacutees entre elles nrsquoont aucun lien de deacutependance agrave un moment donneacute est une question de fait raquo

25 Id par 43 26 2009 CAF 131

592 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Voici lrsquoexplication du lien de deacutependance de fait donneacutee par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Mercer c MRN

laquo [14] Les relations avec lien de deacutependance se caracteacuterisent par la preacutesence drsquoune entiteacute responsable de la neacutegociation pour les deux parties agrave une transaction par le fait que les parties agrave une transaction agissent ensemble sans inteacuterecirct distinct ou parce que chaque partie agrave la transaction avait le pouvoir drsquoinfluencer lrsquoautre ou drsquoexercer un controcircle sur lrsquoautre et que les neacutegociations des parties ne sont pas conformes agrave lrsquoobjet et agrave lrsquoesprit des dispositions de la loi et qursquoelles ne deacutemontrent pas qursquoelles participent de faccedilon eacutequitable dans le jeu normal des forces eacuteconomiques du marcheacute [hellip]27 raquo (Soulignement par la Cour)

Le lien de deacutependance de droit deacutecoule du fait que deux personnes sont lieacutees parce qursquoelles sont unies par les liens du sang du mariage drsquoune union de fait ou de lrsquoadoption28 ou lieacutees par la deacutetention drsquoactions au sein drsquoune mecircme socieacuteteacute29 Ainsi une personne lieacutee agrave son employeur voit son emploi exclu des beacuteneacutefices de lrsquoassurance-emploi Par exemple la conjointe de lrsquoactionnaire majoritaire drsquoune socieacuteteacute qui travaille au sein de cette socieacuteteacute nrsquooccupe pas a priori un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi30

27 2003 CCI 652 (laquo Mercer raquo) 28 Lrsquoalineacutea 251(2)a) et le paragraphe 251(6) LIR ndash citeacute ci-dessous ndash preacutevoient les

deacutefinitions applicables aux personnes lieacutees

laquo (6) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes sont unies par les liens du sang si lrsquoune est lrsquoenfant ou un autre descendant de lrsquoautre ou si lrsquoune est le fregravere ou la sœur de lrsquoautre

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si lrsquoune est marieacutee agrave lrsquoautre ou agrave une personne qui est ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

b1) des personnes sont unies par les liens drsquoune union de fait si lrsquoune vit en union de fait avec lrsquoautre ou avec une personne qui est unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

c) des personnes sont unies par les liens de lrsquoadoption si lrsquoune a eacuteteacute adopteacutee en droit ou de fait comme enfant de lrsquoautre ou comme enfant drsquoune personne ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang (autrement qursquoen qualiteacute de fregravere ou de sœur) raquo

29 Voir plus particuliegraverement lrsquoalineacutea 251(2)b) LIR 30 Gagneacute c MRN 2005 CCI 310

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 593

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE

LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo

Par lrsquoeffet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE un emploi viseacute agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE peut cependant agrave certaines conditions ecirctre consideacutereacute comme un emploi sans lien de deacutependance et par conseacutequent devenir un emploi assurable aux fins de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Pour rappel lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE se lit ainsi

laquo b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

Le ministre du Revenu national doit prendre en consideacuteration les facteurs pertinents preacutevus agrave cet alineacutea lorsqursquoil rend une deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi caracteacuteriseacute par un lien de deacutependance (art 90 et 91 LAE) Lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE met en eacutevidence les critegraveres agrave analyser pour en arriver agrave la conclusion qursquoun employeur et un employeacute nrsquoayant pas de lien de deacutependance auraient conclu un contrat de travail agrave peu pregraves semblable Il preacutevoit une liste non exhaustive des facteurs agrave prendre en consideacuteration soit la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli La deacutecision du ministre du Revenu national repose sur lrsquoexercice drsquoun pouvoir discreacutetionnaire consistant agrave effectuer une analyse factuelle de la relation entre les parties En ce sens la personne qui souhaite contester la deacutecision du ministre devra donc deacutemontrer que ce pouvoir a eacuteteacute exerceacute drsquoune maniegravere deacuteraisonnable31 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans le cadre drsquoun appel de la deacutecision du ministre pourra recevoir tout eacuteleacutement de preuve servant agrave deacutemontrer que la deacutecision du ministre selon laquelle un contrat drsquoemploi similaire nrsquoaurait pas eacuteteacute conclu entre des parties nrsquoayant aucun lien de deacutependance est deacuteraisonnable Pour que lrsquoappel soit accueilli lrsquoappelant devra deacutemontrer que le ministre selon le cas

31 Peacuterusse c Canada [2000] CanLII 15136 (CAF)

594 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

laquo i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites

ii) nrsquoa pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme lrsquoexige expresseacutement le sous-alineacutea 3(2)c)(ii) [LAC devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE]

iii) a tenu compte drsquoun facteur non pertinent32 raquo

Il importe de preacuteciser que la Cour canadienne de lrsquoimpocirct doit faire preuve de deacutefeacuterence envers la deacutecision du ministre du Revenu national33 Cependant lorsque la nature du contrat entre les parties est en litige la Cour procegravede agrave un examen indeacutependant de celui du ministre34 Dans ce cas elle nrsquoest pas tenue laquo de faire preuve de retenue agrave lrsquoeacutegard de la deacutecision du ministre raquo35

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE

Il est neacutecessaire de traiter briegravevement de lrsquoobjet des alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE Dans lrsquointerpreacutetation de ces dispositions il faut rechercher si les parties ont envisageacute de conclure un reacuteel contrat de travail Lrsquointention du leacutegislateur est drsquoeacuteviter drsquoassurer des emplois aux liens factices contracteacutes dans le but de beacuteneacuteficier inducircment de la Loi sur lrsquoassurance-emploi36 Les personnes lieacutees eacutetant plus susceptibles que drsquoautres de creacuteer des emplois laquo avec des conditions farfelues raquo37 un examen pousseacute doit ecirctre effectueacute pour deacuteterminer si la relation drsquoemploi convenue entre les personnes lieacutees aurait pu ecirctre la mecircme qursquoentre deux personnes nrsquoayant pas de lien de deacutependance La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage devenue la Loi sur lrsquoassurance-emploi a eacuteteacute adopteacutee pour venir en aide aux travailleurs qui perdent reacuteellement leurs emplois Le reacutegime drsquoassurance-emploi vise agrave assurer le risque de chocircmage38 et ce depuis son adoption au XXe siegravecle39 Lrsquoassurance-emploi

32 Canada c Jencan Ltd [1998] 1 CF 187 par 37 Huntley c MRN 2010 CCI 625

par 24 33 Porter c MRN 2005 CCI 364 34 Craigmyle c MRN 2011 CCI 128 par 43 et suiv 35 Id par 43 36 Bergen c MRN [2002] CanLII 1215 (CCI) (laquo Bergen raquo) par 10 37 Campbell c MRN 2008 CCI 170 par 47-48 38 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 39 Claude E FORGET Rapport de la commission drsquoenquecircte sur lrsquoassurance-chocircmage

Canada 1986 p 28

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 595

comme tout reacutegime drsquoassurance impose agrave lrsquoassureacute drsquoeacuteviter de creacuteer volontairement le risque pour lequel il est assureacute40 Le risque doit ecirctre indeacutependant du comportement individuel de chaque travailleur Or un emploi temporaire creacuteeacute de connivence entre les parties en vue de remplir les conditions exigeacutees par la Loi sur lrsquoassurance-emploi pour beacuteneacuteficier des prestations accroicirct deacutelibeacutereacutement le risque assureacute Les alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE visent agrave eacuteviter de tels types de comportements en srsquoassurant que des personnes lieacutees nrsquoeacutelaborent pas des strateacutegies dans le but de deacutetourner le reacutegime de sa finaliteacute

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lrsquoobjet de ces dispositions concerne la prohibition drsquoententes frauduleuses convenues pour faire beacuteneacuteficier le salarieacute drsquoune reacutemuneacuteration sans avoir agrave fournir une prestation de travail41 En outre ces alineacuteas tendent eacutegalement agrave proscrire les ententes qui auraient pour effet de subventionner en partie les activiteacutes commerciales drsquoun employeur Lrsquoassurance-emploi est une mesure qui nrsquoa pas eacuteteacute implanteacutee dans le but de venir en aide aux entreprises Les tribunaux ont eu lrsquooccasion de le rappeler dans de nombreuses affaires particuliegraverement dans la deacutecision Martineau c MRN ougrave le juge suppleacuteant Charron de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct reacuteaffirmait laquo que lrsquoassurance-emploi est une mesure sociale pour venir en aide agrave ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subvention pour venir en aide agrave lrsquoentreprise [hellip] raquo42 Lrsquoentrepreneur qui deacutesire essuyer des pertes en creacuteant des postes de travail fictifs et en consignant frauduleusement des heures de travail dans ses registres est un exemple classique43 Ce stratagegraveme effectueacute en vue de pouvoir ultimement financer ses activiteacutes par le truchement des prestations du reacutegime public ne cadre indubitablement pas avec les objectifs de la Loi sur lrsquoassurance-emploi

Or ces ententes frauduleuses ont manifestement plus de chance drsquoecirctre conclues en raison des liens de confiance qui existent entre des personnes lieacutees Lrsquoexclusion preacutevue agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE reflegravete ces consideacuterations et permet de preacutevenir les abus dans lrsquoapplication du reacutegime drsquoassurance-emploi Toutefois la preacutesomption permettant de passer outre au lien de deacutependance entre les parties a eacuteteacute instaureacutee en vue de permettre aux travailleurs lieacutes agrave leur payeur de toucher des prestations en vertu de la

40 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 41 Bouchard c MRN 2009 CCI 234 (laquo Bouchard raquo) par 15 42 [2000] CanLII 22883 (CCI) par 12 43 Duplin c MRN [2001] CanLII 498 (CCI) par 31

596 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquoassurance-emploi lorsque les circonstances le justifiaient Cette exception fut adopteacutee en 199044 puisque la regravegle rigide qui avait cours anteacuterieurement avait engendreacute des situations ineacutequitables pour plusieurs travailleurs canadiens45 Le secteur agricole eacutetait particuliegraverement toucheacute par cette exclusion puisque les entreprises œuvrant dans ce domaine sont souvent des entreprises familiales46 En effet il est erroneacute de croire que lrsquoexistence drsquoun lien de deacutependance reacutevegravele ipso facto la preacutesence drsquoune entente frauduleuse En ce sens comme le disait le juge Rowe de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct laquo [l]es en exclure sans raison valable est une mesure ineacutequitable qui va agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de la loi raquo47 La neacutecessiteacute drsquoadopter une disposition atteacutenuant lrsquoinflexibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage drsquoalors allait de soi et crsquoest ce que le leacutegislateur a fait avec lrsquoadoption du sous-alineacutea 3(2)c)(ii) LAC qui est devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE

Il est maintenant temps de passer en revue les facteurs deacuteterminants pour ecirctre en mesure de beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Bien que la liste de critegraveres preacutevue agrave cet alineacutea ne soit pas exhaustive ce sont ces critegraveres qui sont majoritairement analyseacutes par les tribunaux Chaque critegravere fera lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement succinct afin de deacutegager lrsquoapproche retenue par les tribunaux lors de lrsquoapplication de cette disposition

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE

31 LA REacuteMUNEacuteRATION

En ce qui a trait agrave la reacutemuneacuteration le fardeau de la preuve appartient au salarieacute qui doit deacutemontrer que laquo la reacutetribution verseacutee est raisonnable compte tenu de la nature et de la quantiteacute du travail effectueacute raquo48 Drsquoune part le salarieacute doit deacutemontrer que sa reacutemuneacuteration est raisonnable comparativement agrave celle des autres salarieacutes de lrsquoentreprise Drsquoautre part le salarieacute peut recourir agrave une analyse globale des conditions de travail de lrsquoensemble des travailleurs œuvrant dans un domaine similaire au sien

44 Loi modifiant la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage et la Loi sur le ministegravere et sur la

Commission de lrsquoemploi et de lrsquoimmigration LC 1990 ch 40 45 Bergen preacuteciteacute note 36 46 Theacuteberge c Canada 2002 CAF 123 (laquo Theacuteberge raquo) 47 Docherty c MRN [2000] CanLII 381 (CCI) (laquo Docherty raquo) 48 Primeau Meacutetal Inc c MRN 2005 CCI 111 (laquo Primeau Meacutetal raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 597

Plusieurs modaliteacutes doivent ecirctre analyseacutees afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere raisonnable de la reacutemuneacuteration toucheacutee par lrsquoemployeacute comparativement aux autres employeacutes preacutesents dans la mecircme entreprise La jurisprudence contient de nombreuses illustrations ougrave la reacutemuneacuteration a eacuteteacute un enjeu important dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi Les principaux facteurs retenus par les tribunaux pour trancher cette question sont le salaire et le mode de paiement de la prestation

Concernant le salaire il faut drsquoabord deacuteterminer srsquoil est sensiblement identique agrave celui des employeacutes sans lien de deacutependance Il est opportun de rappeler que le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne requiert pas une identiteacute absolue dans la comparaison En deacutefinitive il suffit de deacutemontrer que le salaire est agrave peu pregraves semblable au salaire que reccediloit une personne sans lien de deacutependance Pour y arriver il faut notamment tenir compte de lrsquoexpertise de la formation du poste occupeacute et de lrsquoancienneteacute au sein de lrsquoentreprise49 Voici quelques exemples qui permettent de bien saisir la porteacutee de lrsquoanalyse agrave effectuer Un employeacute lieacute agrave lrsquoemployeur pourrait recevoir un salaire plus eacuteleveacute que les autres employeacutes en raison de sa formation et neacuteanmoins occuper un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct lrsquoa deacutecideacute dans lrsquoaffaire Portes et Fenecirctres Abritek Inc50 Dans cette affaire lrsquoeacutecart salarial provenait du fait que lrsquoemployeur avait pondeacutereacute le salaire en tenant compte de la scolariteacute de lrsquoemployeacute et non en vertu du lien de deacutependance Dans la deacutecision Primeau Meacutetal lrsquoimportance du salaire a eacuteteacute jugeacutee raisonnable en raison des anneacutees drsquoexpeacuterience de lrsquoemployeacute au sein de la socieacuteteacute51 La stabiliteacute du taux de reacutemuneacuteration est un autre eacuteleacutement agrave consideacuterer Lrsquoemploi dont la reacutemuneacuteration varie en fonction de la capaciteacute de payer de lrsquoemployeur montre que des parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient probablement pas conclu un contrat de travail similaire52 En effet laquo il serait inhabituel pour un employeacute sans lien de deacutependance drsquoaccepter lrsquoexistence drsquoun lien entre son salaire et la rentabiliteacute de la socieacuteteacute raquo53 Agrave titre drsquoexemple un emploi dont le taux horaire a eacuteteacute modifieacute trois fois dans une peacuteriode nrsquoexceacutedant pas un an a

49 Portes et Fenecirctres Abritek Inc c MRN 2009 CCI 285 (laquo Portes et Fenecirctres Abritek

Inc raquo) par 37 50 Id par 24 51 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48 par 35 52 Bacon c MRN 2004 CCI 70 par 12 Boucher c MRN 2007 CCI 467 par 7

Putter c MRN [2000] CanLII 191 (CCI) par 16 53 Caldwell Industries Co c MRN 2009 CCI 59 (laquo Caldwell Industries raquo)

598 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacuteteacute jugeacute non assurable54 De plus un employeacute acceptant une diminution de salaire sans reacuteduction de la charge de travail tend agrave montrer qursquoun employeacute sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas conclu un contrat de travail similaire55

Un autre facteur agrave analyser impeacuterativement est la reacutemuneacuteration des heures suppleacutementaires Lrsquoemployeacute qui effectue de nombreuses heures en dehors de la semaine normale de travail sans toucher de reacutemuneacuteration verra le statut drsquoassurabiliteacute de son emploi vicieacute56 agrave moins que cette pratique soit reacutepandue dans lrsquoentreprise Toutefois il est important de souligner que des heures suppleacutementaires non reacutemuneacutereacutees peuvent srsquoexpliquer par le fait que lrsquoemployeacute occupe un poste de gestion au sein de lrsquoentreprise pourvu que cela ne diminue pas substantiellement le taux horaire de son salaire57 Cependant renoncer agrave une bonification du taux pour les heures suppleacutementaires agrave laquelle les autres employeacutes ont droit est reacuteveacutelateur drsquoun emploi non assurable qui ne peut beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE58

Il est eacutegalement important de souligner que plusieurs deacutecisions nrsquoont pas accordeacute drsquoimportance au fait que la prestation de travail eacutetait reacutetribueacutee en fonction drsquoun taux hebdomadaire59 Il faut plutocirct srsquoattarder agrave deacuteterminer si la reacutemuneacuteration eacutetait raisonnable et ce peu importe si elle est eacutetablie selon un taux hebdomadaire ou mensuel Un employeacute lieacute agrave son employeur ne jouissant pas des mecircmes avantages sociaux et peacutecuniaires que les autres employeacutes amegravene les tribunaux agrave infeacuterer qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait jamais accepteacute des conditions de travail semblables60

Quant au mode de reacutetribution de la prestation de travail les tribunaux analysent si le versement de la reacutemuneacuteration est effectueacute de la mecircme maniegravere que les autres employeacutes dans lrsquoorganisation Lorsque le travailleur est aussi

54 Leliegravevre c MRN 2006 CCI 109 (laquo Leliegravevre raquo) par 51 55 Caldwell Industries preacuteciteacute note 53 par 16 56 Lessard c MRN 2008 CCI 122 57 Dumais c MRN 2007 CCI 261 (laquo Dumais CCI raquo) 58 Michel Trottier entrepreneur eacutelectricien c MRN 2004 CCI 4 (laquo Michel Trottier raquo)

par 9 59 Girard c MRN 2008 CCI 245 (laquo Girard raquo) par 26 Theacuteberge preacuteciteacute note 46

par 8 agrave 10 Castonguay c MRN 2004 CCI 324 (laquo Castonguay raquo) par 17 60 Armoires G Baron inc c MRN 2004 CCI 238 par 36 Primeau Meacutetal preacuteciteacute

note 48 par 34 Domart Energy Services Ltd c MRN 2007 CCI 585 par 13

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 599

un actionnaire de la socieacuteteacute la situation est particuliegravere et meacuterite drsquoecirctre briegravevement analyseacutee Il peut arriver que le salaire du salarieacute-actionnaire soit verseacute sous forme de dividendes afin de permettre agrave ce dernier de profiter drsquoun avantage fiscal La jurisprudence est drsquoavis que cette forme de reacutetribution doit ecirctre prise en compte lorsqursquoil faut deacuteterminer si un employeacute non lieacute agrave la socieacuteteacute aurait accepteacute de telles conditions de travail Il est certain que les relations salarieacute-actionnaire et simple employeacute de la socieacuteteacute sont totalement diffeacuterentes Cependant laquo lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi nrsquoindique pas qursquoil faille faire abstraction des inteacuterecircts financiers que des travailleurs peuvent avoir dans un payeur raquo61 Ainsi il suffira de comparer la relation de travail non pas avec un employeacute-salarieacute mais avec un actionnaire minoritaire nrsquoayant pas de lien de parenteacute avec lrsquoactionnaire majoritaire ni de lien de deacutependance avec la socieacuteteacute62 Cela se justifie par le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui indique que toutes les circonstances doivent ecirctre prises en consideacuteration dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Lrsquoemployeacute qui est en mecircme temps actionnaire de la socieacuteteacute deacutesire souvent reacuteduire son impocirct payable et srsquoengage freacutequemment dans cette voie de fournir des services en eacutechange de dividendes63 En revanche un employeacute sans lien de deacutependance exigera normalement un salaire contre les services fournis agrave lrsquoemployeur64 Eacutegalement le versement du salaire en argent comptant nrsquoest geacuteneacuteralement pas un facteur deacuteterminant65

32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI

Les modaliteacutes drsquoemploi constituent un critegravere drsquoapplication assez large que la jurisprudence traite comme un critegravere reacutesiduaire66 Il srsquoagit drsquoun facteur qui srsquoanalyse difficilement seul il est plutocirct relieacute intrinsegravequement aux autres critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Les modaliteacutes peuvent toucher notamment lrsquoutilisation personnelle des outils de lrsquoentreprise67 les avantages sociaux la disponibiliteacute de lrsquoemployeacute68 la flexibiliteacute de son

61 Assurances Jones Inc c MRN 2009 CCI 273 par 13 62 Id Les Entreprises Charles Maisonneuve Lteacutee c MRN 2008 CCI 269 63 Lacroix preacuteciteacute note 21 par 42 64 Michel Trottier preacuteciteacute note 58 par 32 65 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 19 66 Lenover c MRN 2007 CCI 594 67 Reynders c MRN 2007 CCI 219 68 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48

600 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

horaire la possibiliteacute de travailler agrave domicile69 et le controcircle effectueacute par le payeur70 Eacutevidemment ce controcircle sera moduleacute en fonction des compeacutetences des employeacutes71

Agrave titre drsquoexemple dans lrsquoaffaire CampB Woodcraft c MRN72 le juge Woods eacutetait drsquoavis que les modaliteacutes drsquoemploi doivent se comparer avec ce qui est offert aux employeacutes par lrsquoentreprise et non par un employeur hypotheacutetique contrairement au salaire qui lui peut ecirctre analyseacute par rapport au marcheacute Par ailleurs le ministre du Revenu national a deacutejagrave avanceacute comme modaliteacute drsquoemploi deacuteraisonnable le fait que lrsquoemployeacute precircte une somme drsquoargent sans inteacuterecirct au payeur Toutefois dans certaines deacutecisions les tribunaux ont deacutecideacute que cela nrsquoeacutetait pas pertinent puisque le precirct avait plutocirct eacuteteacute consenti en raison du fait que le payeur et lrsquoemployeacute eacutetaient conjoints et non parce qursquoils eacutetaient un employeacute et un employeur lieacutes73 Des modaliteacutes concernant lrsquohoraire fixeacute en fonction des besoins de lrsquoentreprise ont eacuteteacute jugeacutees raisonnables dans la mesure ougrave le teacutemoignage des appelants a eacuteteacute estimeacute creacutedible74 Agrave lrsquoopposeacute attendre plusieurs semaines avant de deacuteposer un chegraveque du payeur vu les difficulteacutes financiegraveres de ce dernier deacutemontre qursquoune personne non lieacutee agrave son employeur nrsquoaurait pas accepteacute des modaliteacutes drsquoemploi semblables75 Il est manifeste que le critegravere des modaliteacutes drsquoemploi deacutepend de toutes les circonstances particuliegraveres agrave chaque affaire et il est difficile drsquoeacutetablir une norme drsquoapplication geacuteneacuterale Il faudra donc se reacutefeacuterer agrave la situation ayant cours au sein de lrsquoentreprise pour veiller agrave ce que lrsquoemployeacute lieacute ne soit pas le seul agrave beacuteneacuteficier drsquoune modaliteacute drsquoemploi particuliegravere

33 LA DUREacuteE

La dureacutee des prestations de travail de lrsquoemployeacute entre les diffeacuterentes peacuteriodes de chocircmage et la quantiteacute drsquoheures travailleacutees doivent faire lrsquoobjet drsquoune analyse en vertu de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Lorsqursquoun employeacute effectue

69 Johnston c MRN 2011 CCI 501 70 Lacroix preacuteciteacute note 21 62 71 Id 72 2004 CCI 477 73 Girard preacuteciteacute note 59 74 Eagle Canyon Adventures Inc c MRN 2008 CCI 563 (laquo Eagle Canyon

Adventures raquo) 75 Benguaich c MRN [1998] CanLII 569 (CCI)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 601

le nombre drsquoheures minimal pour se qualifier au reacutegime drsquoassurance-emploi et ce successivement il est neacutecessaire de cerner les motifs expliquant les mises agrave pied76 La dureacutee de lrsquoemploi doit ecirctre fixeacutee par rapport aux besoins de main-drsquoœuvre de lrsquoemployeur77 Un emploi dont la peacuteriode a eacuteteacute convenue en fonction des exigences pour toucher des prestations est contraire agrave lrsquoobjet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Si la cessation drsquoemploi survient dans une entreprise qui a des activiteacutes reacuteguliegraveres tout au long de lrsquoanneacutee la jurisprudence est encline agrave scruter davantage les motifs entourant le licenciement Cependant les tribunaux accordent geacuteneacuteralement moins drsquoimportance agrave la dureacutee lorsque la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute porte sur un travail saisonnier78 Dans ce cas ils se limiteront agrave veacuterifier si les mises agrave pied coiumlncident avec la fin de la saison active de lrsquoindustrie79 Il serait contraire aux objectifs historiques du reacutegime drsquoexclure des emplois saisonniers en raison de mises agrave pied reacutepeacutetitives80 Quant aux motifs pour justifier des cessations drsquoemploi reacutecurrentes les baisses drsquoachalandage et le ralentissement des activiteacutes sont freacutequemment invoqueacutes par les travailleurs et les payeurs81 Ainsi un licenciement motiveacute par un manque reacuteel de travail est un indice reacuteveacutelateur de la preacutesence drsquoun emploi assurable Agrave lrsquoopposeacute des peacuteriodes de chocircmage survenant dans la peacuteriode drsquoactiviteacute du payeur tendent agrave deacutemontrer la situation contraire82

Concernant les heures de travail il faut veacuterifier si les heures consigneacutees reflegravetent reacuteellement le nombre drsquoheures travailleacutees Une pratique communeacutement deacutesigneacutee sous le vocable laquo banquage raquo ou laquo cumul drsquoheures raquo srsquoest deacuteveloppeacutee au sein de nombreuses entreprises Cette pratique consiste agrave fournir une prestation de travail sans reacutemuneacuteration pendant une peacuteriode de chocircmage Les heures travailleacutees pendant la cessation drsquoemploi sont porteacutees dans une banque drsquoheures au nom de lrsquoemployeacute Lors drsquoune nouvelle demande de prestation les parties inscrivent frauduleusement sur le releveacute drsquoemploi les heures de travail en banque dans le but de maximiser la

76 Peacuterusse c MRN 2003 CCI 313 (laquo Peacuterusse raquo) par 72 77 Bouchard preacuteciteacute note 41 par 3 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 28 in fine 78 Peacuterusse preacuteciteacute note 76 par 72 79 Labonteacute c MRN 2008 CCI 367 par 15 80 Howell c MRN [1998] CanLII 211 (CCI) par 27 in fine 81 Voir par exemple Stevens c MRN 2009 CCI 633 par 20 Pannu c MRN 2010 CCI

562 par 18 Fradette c MRN 2004 CCI 749 par 27 Girard preacuteciteacute note 59 par 31

82 Labrie c MRN 2003 CCI 540 par 107

602 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutemuneacuteration assurable et de bonifier les prestations de chocircmage Ce stratagegraveme survient freacutequemment lorsque les parties sont lieacutees83 Lrsquoemployeur en retire manifestement un avantage puisqursquoil reccediloit une prestation de travail agrave titre gratuit Surtout ce dernier peut neacutegocier des conditions de travail avantageuses en tenant compte du fait que lrsquoemployeacute recevra laquo pour plusieurs mois des prestations drsquoassurance-emploi raquo84 En examinant la dureacutee les tribunaux srsquoassurent que les parties nrsquoont pas envisageacute de creacuteer un lien drsquoemploi factice en vue de profiter du reacutegime drsquoassurance-emploi

La consignation des heures de travail est eacutegalement un facteur important agrave consideacuterer dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Si les heures effectueacutees par le travailleur ne sont pas inscrites dans les registres de lrsquoentreprise cela peut mener agrave conclure que lrsquoemploi a eacuteteacute modeleacute en fonction du lien de deacutependance85 Eacutegalement le critegravere concernant la dureacutee consiste agrave analyser si lrsquoemployeacute exerce un nombre drsquoheures raisonnable compte tenu du secteur drsquoactiviteacutes dans lequel il œuvre86 Une charge de travail eacuteleveacutee peut amener le ministre du Revenu national ou le tribunal agrave conclure qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas accepteacute des conditions de travail similaires Si lrsquoemployeacute fournit un apport substantiel agrave lrsquoentreprise en effectuant de nombreuses heures de travail lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre vicieacutee Dans lrsquoaffaire Rodrigue c MRN87 lrsquoemploi fut jugeacute non assurable puisque lrsquoemployeacute travaillait de nombreuses heures et nrsquoavait pris que quelques jours de congeacute durant lrsquoanneacutee Le juge Savoie a conclu que la prestation de travail de lrsquoemployeacute avait grandement contribueacute agrave lrsquoexpansion de lrsquoentreprise Cet apport important laissait preacutesager que deux personnes sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire

34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES

Dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi le ministre du Revenu national et les tribunaux doivent analyser si les tacircches sont neacutecessaires agrave laquo la bonne marche des activiteacutes raquo88 de lrsquoentreprise Des tacircches

83 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 16 84 Id 85 Dumont c MRN 2011 CCI 385 par 24 et suiv 86 Lieffertz c MRN 2003 CCI 704 par 10 87 2006 CCI 547 par 25 agrave 27 88 Chiarella c MRN 2005 CCI 41 par 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 603

purement marginales deacutemontrent que la conclusion du contrat fut influenceacutee par le lien de deacutependance unissant les parties89 Les tacircches exeacutecuteacutees par lrsquoemployeacute doivent donc faire partie inteacutegrante de lrsquoentreprise90 Lorsque les fonctions exerceacutees dans le cadre de lrsquoemploi nrsquoont aucun lien avec les activiteacutes du payeur le statut drsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque probablement drsquoecirctre nieacute Le poste de travail ne doit pas ecirctre exclusivement creacuteeacute pour le travailleur mais doit encore une fois refleacuteter les besoins reacuteels de lrsquoemployeur91

Dans plusieurs deacutecisions lrsquoemploi dont le caractegravere assurable eacutetait contesteacute se composait essentiellement de tacircches meacutenagegraveres92 ou comptables93 Agrave lrsquooccasion le payeur soutenait qursquoil aurait eacuteteacute trop oneacutereux drsquoexiger qursquoun employeacute reacutegulier accomplisse ce travail Ainsi lrsquoemployeur avanccedilait que lrsquoembauche drsquoun employeacute uniquement pour exercer ces tacircches repreacutesentait une eacuteconomie car son taux salarial eacutetait neacutecessairement moins eacuteleveacute Cependant les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute reacuteceptifs agrave lrsquoeacutegard de cette argumentation Le caractegravere purement accessoire des tacircches amegravene donc une infeacuterence neacutegative sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi Cette derniegravere sera renforceacutee quand la preuve reacutevegravele que le poste de lrsquoemployeacute nrsquoa jamais eacuteteacute remplaceacute apregraves la deacutecision de ne pas reacuteinteacutegrer le travailleur dans lrsquoentreprise Toutefois si les tacircches du travailleur eacutetaient importantes et neacutecessaires pour le bon fonctionnement de lrsquoentreprise du payeur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre eacutetablie

89 Berthiaume c MRN [1998] CanLII 518 (CCI) par 34 90 Leblanc c MRN [2002] CanLII 838 (CCI) par 21 agrave 23 91 Agrimeacutetal inc c MRN 2008 CCI 266 par 3 92 2530-8552 inc c MRN 2005 CCI 133 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bernier c MRN

[1999] ACI no 840 par 3 (assurabiliteacute rejeteacutee) Garneau c MRN 2004 CCI 508 par 9 agrave 11 (assurabiliteacute rejeteacutee) Ross c MRN [1998] ACI no 950 par 8-9 (assurabiliteacute rejeteacutee) Savoie c MRN [1999] CanLII 547 (CCI) par 10 (assurabiliteacute rejeteacutee) Artisan en tuyauterie et speacutecialiteacutes en plomberie ATS c MRN 2003 CCI 605 par 54 agrave 57 (assurabiliteacute rejeteacutee) Latullipe c MRN 2004 CCI 567 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bellerive c MRN 2004 CCI 279 par 19 agrave 21 (assurabiliteacute accueillie) Duchesne c Canada 2005 CCI 576 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee)

93 Gauthier c MRN [2000] CanLII 25985 (CCI) par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Denis c MRN 2003 CCI 304 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Docherty preacuteciteacute note 47 par 24 (assurabiliteacute accueillie) Johnson c MRN 2011 CCI 501 par 27 (assurabiliteacute rejeteacutee) Kayal c MRN 2005 CCI 273 par 21 (assurabiliteacute rejeteacutee) Malenfant c MRN 2005 CCI 686 par 41 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 25 (assurabiliteacute rejeteacutee) Eagle Canyon Adventures preacuteciteacute note 74 par 27 (assurabiliteacute accueillie) Papineau c MRN 2004 CCI 768 par 38 (assurabiliteacute rejeteacutee)

604 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une entente eacutetablissant des tacircches dont la nature et lrsquoimportance sont indispensables pour lrsquoentreprise peut parfois prouver que les parties nrsquoont pas conclu entre elles un contrat de travail (art 2085 CcQ) mais plutocirct un contrat drsquoentreprise (art 2098 CcQ) Si la personne est lrsquolaquo acircme dirigeante raquo ou le laquo cerveau directeur raquo de lrsquoentreprise la nature de lrsquoentente concernant les tacircches exeacutecuteacutees en cette qualiteacute ne peut ecirctre celle drsquoun contrat de travail94 Le lien de subordination est la condition sine qua non pour que la relation entre les parties soit qualifieacutee de contrat de travail En cas drsquoabsence manifeste de controcircle lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne peut trouver application95 Dans ce cas lrsquoimportance et la nature des tacircches ne reacutevegravelent pas neacutecessairement que deux parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire mais plutocirct que lrsquoentente convenue ne peut tout simplement pas remplir la premiegravere condition drsquoapplication de la loi soit la preacutesence drsquoune relation employeur-employeacute Il convient de noter qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire de prouver que la partie eacutetait lrsquoacircme dirigeante de lrsquoentreprise une simple absence de subordination fait eacutechec agrave lrsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi En reacutesumeacute lrsquoimportance et la nature des tacircches constituent un critegravere bipolaire ougrave deux situations aux antipodes peuvent amener agrave la non-assurabiliteacute drsquoun emploi Selon les circonstances des tacircches minimes dans lrsquoexploitation de lrsquoentreprise peuvent compromettre le caractegravere assurable de lrsquoemploi Agrave lrsquoopposeacute des tacircches drsquoune importance capitale ne refleacutetant pas la raisonnabiliteacute des autres critegraveres vicieront eacutegalement la qualification de lrsquoassurabiliteacute Il est donc impeacuteratif de bien deacuteterminer ce critegravere en comparaison avec ce qursquoun employeacute non lieacute serait precirct agrave accepter comme conditions de travail

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS

Lrsquoexercice de tacircches non reacutemuneacutereacutees pendant lrsquoemploi et les peacuteriodes de chocircmage ont donneacute lieu agrave une jurisprudence abondante de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct Tout drsquoabord il importe de souligner que la preacutesence de tacircches beacuteneacutevoles nrsquoentraicircne pas automatiquement lrsquoexclusion drsquoun emploi des beacuteneacutefices preacutevus par la Loi sur lrsquoassurance-emploi En tenant compte de

94 Hoobanoff Logging Ltd c MRN [1999] CanLII 491 (CCI) par 40 Leliegravevre

preacuteciteacute note 54 par 47 Bergen preacuteciteacute note 36 par 63 Lepage c MRN 2008 CCI 656 par 67 Cossette c MRN 2011 CCI 482 par 21 Concernant la possibiliteacute qursquoune acircme dirigeante ait conclu un contrat de travail pour les tacircches exeacutecuteacutees en qualiteacute drsquoemployeacute de la compagnie les auteurs se reacutefegraverent aux deacutecisions Roxboro Excavation Inc c MRN [2000] CanLII 15316 (CAF) et Ventilex Inc c MRN 2005 CCI 350

95 Marcheacute Duchemin amp Fregraveres Inc c MRN 2005 CCI 274 par 12

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 605

toutes les circonstances affeacuterentes agrave la conclusion du contrat les tribunaux ont reconnu que certaines particulariteacutes peuvent faccedilonner le lien drsquoemploi unissant les parties Dans les reacutegions rurales lrsquoentraide et la solidariteacute sont des qualiteacutes plus reacutepandues Le beacuteneacutevolat au sein drsquoune entreprise situeacutee dans une petite communauteacute se pratique freacutequemment et les tribunaux sont davantage flexibles dans ces cas drsquoespegravece Comme lrsquoaffirmait avec justesse le juge Tardif dans lrsquoaffaire Marin c Canada lrsquoentraide et le beacuteneacutevolat laquo sont plus reacutepandues dans les reacutegions ougrave tout le monde se connaicirct raquo96 Cependant lrsquoultime question est de deacuteterminer si le beacuteneacutevolat est laquo un preacutetexte [hellip] pour deacutevier la Loi ou abuser du programme social de lrsquoassurance-emploi raquo97 et ce peu importe la localisation geacuteographique de lrsquoentreprise En preacutesence de tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement les tribunaux megraveneront leur analyse en fonction de cette consideacuteration

Le beacuteneacutevolat touche lrsquoensemble des critegraveres preacutevus par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE soit la reacutetribution la dureacutee et lrsquoimportance du travail exerceacute Le travail beacuteneacutevole nrsquoest pas reacutemuneacutereacute cela est axiomatique En conseacutequence le critegravere de reacutetribution ne suscite pas drsquointerrogation et les facteurs les plus pertinents sont la dureacutee du beacuteneacutevolat et son importance Il est eacutegalement possible drsquoaffirmer que le beacuteneacutevolat peut remettre en cause lrsquoexistence drsquoun reacuteel contrat de travail en raison de lrsquoabsence de lrsquoune des conditions preacutevues agrave lrsquoarticle 2085 CcQ soit la reacutemuneacuteration Par conseacutequent le beacuteneacutevolat est un critegravere sui generis puisqursquoil neacutecessite la prise en consideacuteration de lrsquoensemble des critegraveres preacutevus agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Agrave la lumiegravere drsquoune synthegravese des deacutecisions rendues par les tribunaux nous proposons une analyse composeacutee de trois eacutetapes afin de deacuteterminer si un emploi est assurable en preacutesence de lrsquoexercice de tacircches beacuteneacutevoles

Le premier volet consiste agrave deacuteterminer srsquoil y a continuiteacute dans la prestation des services lors des peacuteriodes drsquoemploi et lors des peacuteriodes de beacuteneacutevolat En preacutesence drsquoune reacuteponse positive lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi est vicieacutee et il nrsquoest pas neacutecessaire de pousser davantage lrsquoanalyse

Quant au deuxiegraveme volet il consiste agrave srsquointerroger sur lrsquoimportance pour lrsquoentreprise des tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement

Le dernier volet repose sur la quantification des tacircches beacuteneacutevoles En drsquoautres termes il faut deacuteterminer le nombre drsquoheures consacreacutees

96 [2002] ACI no 553 (laquo Marin raquo) par 29 97 Id

606 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutevolement agrave lrsquoentreprise pour ecirctre en mesure de se prononcer sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi

1) La continuiteacute dans la prestation de services vicie ipso facto le caractegravere assurable de lrsquoemploi Les tacircches beacuteneacutevoles ne doivent pas ecirctre identiques aux tacircches confieacutees agrave lrsquoemployeacute aux termes du contrat de travail unissant les parties98 Agrave maintes reprises les tribunaux ont conclu qursquoun emploi perd son caractegravere assurable si les tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement sont sensiblement les mecircmes que celles accomplies dans la peacuteriode drsquoemploi La continuiteacute dans la prestation de services amegravene ineacutevitablement laquo la conclusion que lrsquoemploi doit ecirctre exclu raquo99 des beacuteneacutefices du reacutegime Lrsquoanalyse de lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles srsquoaveacuterera neacutecessaire seulement si lrsquoeacuteleacutement de continuiteacute nrsquoest pas preacutesent

2) Concernant lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles il faut deacuteterminer si les tacircches sont accessoires ou essentielles au deacuteroulement des activiteacutes de lrsquoentreprise Si les services beacuteneacutevoles sont marginaux lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi pourra ecirctre eacutetablie selon le nombre drsquoheures consacreacutees agrave lrsquoexercice de ces tacircches Par exemple il a eacuteteacute consideacutereacute qursquoun employeacute ayant reacutepondu occasionnellement au teacuteleacutephone lorsqursquoil eacutetait sur les lieux de travail pouvait tout de mecircme beacuteneacuteficier des avantages du reacutegime100 Dans ce cas le payeur exploitait un bar et il eacutetait clair que les tacircches beacuteneacutevoles nrsquoeacutetaient pas essentielles agrave lrsquoentreprise Toutefois dans les situations ougrave les tacircches sont essentielles aux activiteacutes du payeur il sera extrecircmement difficile de soutenir que lrsquoemploi est assurable101

3) Le nombre drsquoheures consacreacutees au beacuteneacutevolat doit ecirctre eacutetabli afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere assurable de lrsquoemploi Tout drsquoabord il faut analyser si les tacircches sont exerceacutees de faccedilon reacutepeacutetitive ou ponctuelle Les tacircches beacuteneacutevoles exerceacutees agrave reacutepeacutetition ne doivent pas requeacuterir un temps substantiel Lorsque les services beacuteneacutevoles effectueacutes sont minimes et peu importants pour le fonctionnement de lrsquoentreprise la jurisprudence a deacutejagrave consideacutereacute que lrsquoemploi eacutetait assurable mecircme si les tacircches neacutecessitaient un travail de plus ou moins 10 heures par semaine102

98 Id par 35 99 Dumais c Canada 2008 CAF 301 (laquo Dumais CAF raquo) par 32 100 Moreau c MRN 2003 CCI 339 101 Marin preacuteciteacute note 96 par 29 agrave 32 102 Pareacute c MRN 2004 CCI 540 par 13 agrave 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 607

Dans lrsquoarrecirct Theacuteberge103 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a deacutecideacute qursquoun travail beacuteneacutevole avoisinant 10 heures par semaine ne viciait pas lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi La Cour a tenu compte du fait que le beacuteneacutevolat eacutetait exerceacute dans une entreprise agricole familiale et de surcroicirct en dehors de la saison active de lrsquoindustrie Nous croyons que le tribunal a fait preuve de souplesse dans son appreacuteciation de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE en raison des objectifs historiques de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant le travail saisonnier Les deacutecisions rendues posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Theacuteberge ont systeacutematiquement fait usage de cette affaire comme drsquoun baromegravetre pour deacuteterminer si le beacuteneacutevolat exerceacute devait entraicircner lrsquoexclusion de ce travail des emplois assurables Cependant dans lrsquoarrecirct Denis c Canada104 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale nrsquoa pas repris le raisonnement deacuteveloppeacute dans lrsquoarrecirct Theacuteberge105 La Cour a refuseacute de reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi puisque lrsquoemployeacute mis agrave pied avait continueacute sans reacutemuneacuteration la tenue des livres pour lrsquoemployeur le nombre drsquoheures eacutetant par ailleurs absent des motifs composant le ratio decidendi En raison de cette deacutecision nous croyons donc que les tribunaux seront davantage reacuteticents agrave reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en preacutesence de services beacuteneacutevoles En reacutesumeacute il sera tregraves difficile drsquoavancer qursquoun emploi est assurable si la preuve reacutevegravele que plus de cinq heures de beacuteneacutevolat par semaine ont eacuteteacute effectueacutees pour lrsquoemployeur et ce drsquoune faccedilon reacutepeacutetitive106 Toutefois en preacutesence de tacircches minimes marginales et effectueacutees de faccedilon ponctuelle en dehors des peacuteriodes

103 Preacuteciteacute note 46 par 27 et 28 104 2004 CAF 26 105 Preacuteciteacute note 46 106 Bernard c MRN 2010 CCI 577 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de

5 heuressem) Roy c MRN 2011 CCI 384 par 33 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 5 heuressem) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 14 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 5 heuressem) Duchesne c MRN [2000] CanLII 544 (CCI) (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de 1 heuresem) Bourgouin c MRN 2008 CCI 59 par 8 (assurabiliteacute rejeteacutee 15 heuressem) Melvin c MRN 2004 CCI 410 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) Marin preacuteciteacute note 96 par 22 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 10 heuressem) Beaulieu c Canada [1999] ACI no 234 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 8 heuressem) Tremblay c MRN [2001] ACI no 516 par 16 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 30 heuressem) Serres de la pointe Inc c Canada 2005 CCI 44 par 54 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) 2158-3331 Inc c MRN 2006 CCI 489 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 1 heuresem)

608 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoemploi le beacuteneacutevolat pris isoleacutement ne pourra faire eacutechec agrave lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi107

CONCLUSION

En deacutefinitive lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi est une question neacutecessitant un examen approfondi de la relation unissant les parties Le caractegravere assurable nrsquoest pas figeacute dans le temps et agrave tout moment un emploi jugeacute assurable pourrait faire lrsquoobjet drsquoune nouvelle deacutetermination Le statut drsquoassurabiliteacute drsquoune relation de travail entre personnes ayant un lien de deacutependance est donc preacutecaire et lrsquoemployeacute aura tout inteacuterecirct agrave veiller agrave ce qursquoil nrsquoy ait pas de modifications substantielles agrave ses conditions de travail

Nous profitons de cette occasion pour souligner un problegraveme concernant lrsquoadministration de prestations qui deacutecoulent des deacutecisions relatives agrave lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en vertu de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Comme nous lrsquoavons vu les deacutecisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu des articles 91 et 92 LAE qui portent notamment sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi peuvent faire lrsquoobjet drsquoun appel devant la Cour canadienne de lrsquoimpocirct comme le preacutevoient les articles 103 et suivants LAE Cependant lorsqursquoil srsquoagit drsquoexaminer une demande au sujet des prestations qui deacutecoulent de la deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute ou non de lrsquoemploi crsquoest la Commission de lrsquoassurance-emploi du Canada (laquo Commission raquo) qui en deacutecide si la demande est faite dans les 36 mois suivant le moment ougrave les prestations ont eacuteteacute payeacutees ou sont devenues payables108 La Commission dispose toutefois drsquoun deacutelai de 72 mois si elle estime qursquoil y a eu laquo deacuteclaration ou affirmation fausse ou trompeuse raquo109 La deacutecision de la Commission ne peut ecirctre porteacutee en appel que devant le Tribunal de la seacutecuriteacute sociale instance remplaccedilant le deacutefunt Conseil arbitral110 comme le preacutevoient les articles 114 et suivants LAE

Il est selon nous anormal qursquoun tribunal comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui dans un contexte fiscal entend des causes de reacuteouverture drsquoanneacutees drsquoimposition au-delagrave de la peacuteriode normale de nouvelle cotisation en vertu de lrsquoarticle 152 LIR et qui deacutetient donc une expertise en matiegravere de fausses deacuteclarations ne soit pas habiliteacute par la Loi sur lrsquoassurance-emploi

107 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 34 108 Par 52(1) et suiv LAE 109 Par 52(5) LAE 110 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable LC 2012 ch 19 art 247

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 609

agrave statuer sur la question du remboursement des prestations en matiegravere drsquoassurance-emploi en dehors de la peacuteriode normale de reacutevision de 36 mois Apregraves avoir entendu la preuve sur lrsquoassurabiliteacute ou non drsquoun emploi la Cour canadienne de lrsquoimpocirct disposerait de lrsquoensemble des informations neacutecessaires pour deacuteterminer lrsquoexistence ou non de deacuteclarations fausses ou trompeuses Pourtant la Cour nrsquoaura pas compeacutetence pour deacuteterminer si la Commission pouvait proceacuteder agrave un nouvel examen concernant le remboursement des prestations au-delagrave du deacutelai de 36 mois Ainsi deux procegraves devant des forums distincts avec les mecircmes intervenants devront avoir lieu pour reacutegler des questions qui sont fondamentalement rattacheacutees faisant ressortir les laquo anomalies [qui] peuvent reacutesulter du systegraveme biceacutephale eacutetabli par le leacutegislateur en matiegravere drsquoassurance-[emploi] raquo111 Le juge de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct devra statuer sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi mecircme srsquoil sait pertinemment qursquoil y a absence de deacuteclarations fausses ou trompeuses et que par conseacutequent en dehors du deacutelai de 36 mois la Commission ne pourrait pas exiger le remboursement des prestations si lrsquoemploi est jugeacute non assurable

Agrave cet effet il arrive que les juges sans avoir la juridiction neacutecessaire pour le faire estiment non justifieacutee lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute sur le trop-payeacute de prestations pour de soi-disant fausses deacuteclarations

laquo [39] Conseacutequemment il nrsquoy avait pas lieu de peacutenaliser lrsquoappelante drsquoougrave je recommande tregraves fortement que son dossier fasse lrsquoobjet drsquoune reacutevision administrative pour qursquoil soit tenu compte de cette absence de mauvaise foi et de ce qui mrsquoapparaicirct ecirctre une exageacuteration grossiegravere eu eacutegard aux faits et circonstances entourant ce dossier

[40] Je suis cependant conscient que cette recommandation deacuteborde la juridiction qui mrsquoest attribueacutee ce qui mrsquoempecircche de pouvoir conclure de maniegravere coercitive112 raquo

Pour reprendre les propos du juge en chef Rip de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct nous sommes drsquoavis qursquolaquo [i]deacutealement la Cour devrait ecirctre un ldquoguichet uniquerdquo pour les personnes qui veulent intenter une action en vertu de la Loi raquo113 Bien que ces propos aient eacuteteacute tenus dans le cadre drsquoune affaire portant sur la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu nous sommes drsquoavis qursquoils sont eacutegalement drsquoactualiteacute en matiegravere drsquoassurance-emploi En eacuteliminant la

111 Universiteacute Laval c Canada (Ministre du revenu national) 2002 CAF 171 par 11 112 Poirier c Canada [2001] CanLII 952 (CCI) par 39-40 113 Tozzi c La Reine 2010 CCI 545 par 13

610 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multipliciteacute des recours une eacuteconomie des ressources judiciaires srsquoensuivrait Il est regrettable que le leacutegislateur feacutedeacuteral nrsquoait pas agi en ce sens lors de la reacuteforme du reacutegime de lrsquoassurance-emploi en 2012114 Une modification agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi agrave cet effet serait profitable autant pour les prestataires de lrsquoassurance-emploi que pour lrsquoEacutetat

114 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable preacuteciteacute note 110

LrsquoASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE

NATURE ET MISSION DE LrsquoORGANISME

LrsquoAPFF est un organisme agrave but non lucratif indeacutependant et non gouvernemental deacutedieacute agrave lrsquoavancement et agrave la diffusion des connaissances ainsi qursquoagrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences de ses membres en matiegravere de fiscaliteacute LrsquoAPFF reacuteunit des professionnels de disciplines diverses issus de tous les secteurs drsquoactiviteacutes de lrsquoeacuteconomie

EFFECTIFS

LrsquoAPFF regroupe des professionnels issus de diffeacuterentes disciplines principalement des comptables avocats conseillers en seacutecuriteacute financiegravere notaires et planificateurs financiers De plus elle reacutepond aux besoins des eacuteconomistes administrateurs agreacuteeacutes conseillers en placement banquiers et actuaires de mecircme qursquoagrave ceux de toute personne inteacuteresseacutee directement ou indirectement au domaine de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF compte plus de 2 500 membres

ACTIVITEacuteS DE FORMATION

LrsquoAPFF organise dans quatre reacutegions administratives du Queacutebec des seacuteminaires colloques symposiums et autres confeacuterences animeacutes par des confeacuterenciers chevronneacutes sur toutes les dimensions de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF donne eacutegalement agrave raison de deux sessions par anneacutee des cours en fiscaliteacute (Impocirct des socieacuteteacutes ndash seacuterie 1 Acquisition et reacuteorganisation corporative ndash seacuterie 2 Planification fiscale et financiegravere ndash seacuterie 3 Gestion du patrimoine fiscal et financier ndash seacuterie 4 TPS et TVQ ndash seacuterie 5 Fiscaliteacute internationale ndash seacuterie 6 incluant volumes et service de mise agrave jour dans chacun des cas) Ces cours sont eacutegalement offerts en ligne

En octobre lrsquoAPFF tient son congregraves annuel de trois jours en alternance entre Montreacuteal Queacutebec et Gatineau

PUBLICATIONS

LrsquoAPFF publie annuellement de nombreux ouvrages couvrant tous les aspects de la planification fiscale successorale et financiegravere

Les membres de lrsquoAPFF reccediloivent eacutelectroniquement depuis 2010 la Revue de planification fiscale et financiegravere le Livre du Congregraves ainsi que le magazine Strategravege Le reacutesumeacute des budgets des gouvernements du Queacutebec et du Canada est preacutesenteacute sur le site Internet de lrsquoAPFF le lendemain des budgets

Un bulletin drsquoinformation consacreacute agrave lrsquoactualiteacute fiscale le Flash fiscal maintenant compris avec lrsquoadheacutesion est publieacute environ 20 fois par anneacutee habituellement toutes les deux semaines Des numeacuteros speacuteciaux paraissent eacutegalement agrave lrsquooccasion du congregraves annuel

Toutes les publications de lrsquoAPFF depuis sa fondation sont eacutegalement reacutepertorieacutees dans un recueil intituleacute Liste des publications

Depuis octobre 1998 un service drsquoinformation fiscale eacutelectronique la Collection de lrsquoAPFF est offert par Internet Cette collection preacutesente la documentation eacutemise par lrsquoAPFF (depuis 1991 les textes des congregraves des colloques de la Revue de planification fiscale et financiegravere et depuis 2002 les textes du magazine Strategravege et des cours en fiscaliteacute des seacuteries 3 et 4) La Collection de lrsquoAPFF est maintenant commercialiseacutee par Carswell une socieacuteteacute Thomson par Knotia et par Publications CCH lteacutee et est vendue par abonnement

ADHEacuteSION

Toute personne qui deacutesire devenir membre de lrsquoAPFF peut le faire en se rendant sur le site Internet de lrsquoAPFF (wwwapfforg)

MEMBRES CORPORATIFS DE LrsquoAPFF

LrsquoAPFF accueille agrave titre de membres corporatifs pregraves de 70 entreprises provenant de diffeacuterents secteurs drsquoactiviteacutes et ordres professionnels

Toutes les entreprises deacutesirant participer agrave lrsquoessor de la planification fiscale et financiegravere peuvent le faire en adheacuterant agrave lrsquoAPFF par une contribution de 1 300 $ + taxes annuellement sous forme de cotisation de membre corporatif agrave lrsquoAPFF

SIEgraveGE SOCIAL DE LrsquoAPFF

Le siegravege social de lrsquoAPFF est situeacute au 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal Queacutebec H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ou (sans frais) 1 877 866-2733 Internet wwwapfforg ndash Courriel apffapfforg

LrsquoAPFF SE VEUT UN PHARE DE PROGREgraveS DANS LE DOMAINE DE LA PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE POUR

LrsquoENSEMBLE DE LA COMMUNAUTEacute

CONSEIL DrsquoADMINISTRATION 2012-2013

Preacutesident du conseil Reneacute Roy avocat CPA CA associeacute Fasken Martineau DuMoulin sencrl srl

Vice-preacutesident Alain Meacutenard avocat BA MBA associeacute Cain Lamarre Casgrain Wells sencrlAvocats

Treacutesorier Steacutephane Leblanc CPA CA associeacute fiscaliteacute Ernst amp Young srlsencrl

Secreacutetaire Martin Lord avocat M Fisc JD TEP associeacute fiscaliteacute Robinson Sheppard Shapiro sencrl Avocats

Preacutesident sortant Maurice Freacutechette CPA CGA Power Corporation du Canada

Membres Annette Beshwaty CPA CGA KPMG srlsencrl Eacuteric Brassard CPA CA Pl Fin associeacute Brassard Goulet Yargeau Services financiers inteacutegreacutes Yves Coallier BAA Fin Intrsquol M Fisc preacutesident GCI inc ǀ Gallant amp Associeacutes sencrl Andreacutee Couture BAA AVA Pl Fin FLMI Conseils PPI Benoicirct Desjardins CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Deloitte sencrl Suzanne Landry Ph D M Fisc FCPA FCA FCMA HEC Montreacuteal Bernard Poulin CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl Diane Tsonos avocate TEP associeacutee fiscaliteacute Richter

Preacutesident-directeur geacuteneacuteral Maurice Mongrain avocat APFF

MEMBRES CORPORATIFS APFF

AGENCE DU REVENU DU CANADA

ALMA CONSULTING GROUP CANADA INC

ALTRO LEVY SENCRL

ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES DrsquoASSURANCES DE PERSONNES INC

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

BANQUE NATIONALE GESTION PRIVEacuteE 1859

BDO CANADA SRLSENCRL

BELL CANADA

BLUE BRIDGE

BMO BANQUE PRIVEacuteE HARRIS

BMO SOCIEacuteTEacute DrsquoASSURANCE-VIE

BOILY HANDFIELD CA

BRASSARD GOULET YARGEAU SERVICES FINANCIERS INTEacuteGREacuteS

CANADIEN NATIONAL

CARSWELL UNE SOCIEacuteTEacute THOMSON REUTERS

CENTRE QUEacuteBEacuteCOIS DE FORMATION EN FISCALITEacute ndash CQFF INC

CHAMBRE DE LA SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE

CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUEacuteBEC

CIRQUE DU SOLEIL

CONSEILS PPI

DELOITTE SENCRL

DEMERS BEAULNE SENCRL

DENTONS CANADA SENCRL

DESJARDINS SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE ndash MONTREacuteAL

DUFOUR CHARBONNEAU BRUNET amp ASSOCIEacuteS INC COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS

DYNAVISIONRS amp DE

EKITAS

ENGEL CHEVALIER ndash PROTECTION DU PATRIMOINE

ERNST amp YOUNG SRLSENCRL

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN SENCRL SRL

FEacuteDEacuteRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUEacuteBEC

FINALTA CAPITAL CII-ITC INC

FINANCIEgraveRE MANUVIE

FINANCIEgraveRE SUN LIFE

FISC-CAP SERVICES CONSEILS INC

FONDAFIP

GALLANT amp ASSOCIEacuteS SENCRL

GAZ MEacuteTRO

GESTION PLACEMENTS DESJARDINS

GESTION PRIVEacuteE DE PATRIMOINE CIBC

GROUPE CLOUTIER INC

GROUPE FINANCIER MULTI COURTAGE INC

HARDY NORMAND amp ASSOCIEacuteS SENCRL

INDUSTRIELLE ALLIANCE ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC

INOVEX CONSEILS INC

INSTITUT QUEacuteBEacuteCOIS DE PLANIFICATION FINANCIEgraveRE (IQPF)

INTACT CORPORATION FINANCIEgraveRE

INVESTISSEMENT QUEacuteBEC

INVESTISSEMENTS MANUVIE

KPMG SRLSENCRL

LA CAPITALE ASSURANCES MFQ INC

LA COMPAGNIE DrsquoASSURANCE DU CANADA SUR LA VIE

LA COOP FEacuteDEacuteREacuteE

LAVERY

LEMIEUX CANTIN SENCRL

LEMIEUX NOLET COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS SENCRL

MALLETTE SENCRL

MNP SENCRL SRL

OPTION FORTUNE CABINET DE SERVICES FINANCIERS

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS DU QUEacuteBEC

OSLER HOSKIN amp HARCOURT SENCRLSRL

PETRIE RAYMOND CPA SENCRL

POWER CORPORATION DU CANADA

PREMTEC ndash GEacuteNIE-CONSEIL EN CREacuteDITS DrsquoIMPOcircT DE RS amp DE

PUBLICATIONS CCH LTEacuteE

PWC

RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON SENCRL

RICHARDSON GMP LTEacuteE

RICHTER

RIO TINTO CANADA

SERVICES DE GESTION DE PATRIMOINE RBCDOMINION VALEURS MOBILIEgraveRES

TE MIRADOR

TROWBRIDGE PROFESSIONAL CORPORATIONCABINET DE FISCALITEacute

UNIVERSITEacute DE MONTREacuteAL ndash DIVISION DES DONS MAJEURS ET PLANIFIEacuteS

VILLENEUVE VENNE SENCRL

  • Revue de planification fiscale et financiegravere
  • COMITEacute DE LA REVUE
  • POLITIQUE EacuteDITORIALE
  • SOMMAIRE
  • LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES
  • TABLE DES MATIEgraveRES
Page 2: pages debut 33-3

Revue de planification fiscale et financiegravere

Cette publication doit ecirctre citeacutee (2013) vol 33 no 3 Revue de planification fiscale et financiegravere

Les opinions exprimeacutees dans cette publication sont propres aux auteurs des articles Lrsquoexactitude des citations et des reacutefeacuterences relegraveve de la responsabiliteacute des auteurs

Veuillez adresser toute correspondance agrave

APFF 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal (Queacutebec) H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ndash (sans frais) 1 877 866-2733 Teacuteleacutecopieur (514) 866-0113 ndash (sans frais) 1 877 866-0113 Courriel apffapfforg ndash Site Internet wwwapfforg

copy 2013 Association de planification fiscale et financiegravere Tous droits reacuteserveacutes La reproduction ou transmission sous quelque forme ou par quelque moyen (eacutelectronique ou meacutecanique y compris la photocopie lrsquoenregistrement ou lrsquointroduction dans tout systegraveme informatique ou de recherche documentaire) actuellement connu ou non encore inventeacute de toute partie de la preacutesente publication faite sans le consentement eacutecrit de lrsquoeacutediteur est interdite sauf dans le cas ougrave quelqursquoun deacutesire citer de courts extraits Dans ce dernier cas mention doit absolument ecirctre faite et de lrsquoauteur et de la revue comme source de reacutefeacuterence ISSN 1924-9837 Deacutepocirct leacutegal 3e trimestre 2013 Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du Canada Courrier de la 2e classe enregistrement no 40065217

COMITEacute DE LA REVUE PREacuteSIDENTE

Chantal Jacquier avocate LL M COORDONNATRICE

Diane Gagnon avocate Directrice de lrsquoeacutedition APFF MEMBRES

Marie-Pierre Allard avocate M Fisc Professeure titulaire Faculteacute drsquoadministration Universiteacute de Sherbrooke

Kathleen Comeau M Fisc Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

Christiane Maurice avocate LLM fisc Richter

Michel Ostiguy avocat LL B M Fisc

Dave Santerre CPA CA LLM fisc PwC

Hugo Tremblay CPA CA KPMG srlsencrl

Julie Heacutelegravene Tremblay avocate M Fisc Dufour Charbonneau Brunet amp Associeacutes inc Comptables professionnels agreacuteeacutes

Jean-Pierre Vidal CPA CA Ph D Professeur agreacutegeacute HEC Montreacuteal MEMBRE DrsquoOFFICE Maurice Mongrain avocat Preacutesident-directeur geacuteneacuteral APFF

POLITIQUE EacuteDITORIALE

La Revue est geacuteneacuteralement publieacutee quatre fois par anneacutee et est distribueacutee agrave tous les membres de lrsquoAPFF Elle preacutesente des textes qui contribuent agrave lrsquoavancement des connaissances et agrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences en matiegravere fiscale et financiegravere Ses lecteurs sont des experts chevronneacutes avocats notaires experts-comptables eacuteconomistes et autres professionnels

Les textes soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue ne doivent pas avoir eacuteteacute publieacutes ailleurs ni ecirctre soumis agrave un autre eacutediteur sauf exception et selon entente entre lrsquoAPFF et un autre eacutediteur Ils doivent ecirctre non seulement ineacutedits mais aussi drsquoune grande rigueur Ils sont soumis agrave titre gracieux au beacuteneacutefice de lrsquoAPFF Tout texte soumis doit ecirctre reacutedigeacute en franccedilais Il ne doit normalement pas deacutepasser 17 500 mots (environ 35 pages) Il est recommandeacute de suivre le guide de preacutesentation des textes de lrsquoAPFF

Les textes soumis font lrsquoobjet drsquoune double lecture agrave lrsquoaveugle lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur nrsquoest pas connue des reacuteviseurs au moment de lrsquoeacutevaluation Bien que certains reacuteviseurs ad hoc puissent aussi ecirctre consulteacutes les reacuteviseurs sont geacuteneacuteralement choisis parmi les membres du comiteacute de la Revue

Un texte soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue peut ecirctre

1) accepteacute drsquoembleacutee

2) accepteacute apregraves que lrsquoauteur eut apporteacute les modifications requises par le preacutesident du comiteacute sur lrsquoavis des reacuteviseurs

3) refuseacute

Lrsquoauteur dont le texte est accepteacute pour publication doit soumettre un reacutesumeacute de 200 agrave 300 mots en franccedilais et en anglais (preacutecisabstract)

Les textes accepteacutes sont ensuite revus et corrigeacutes par le service drsquoeacutedition de lrsquoAPFF conformeacutement aux normes de preacutesentation de lrsquoAPFF pour leur publication dans la Revue

Toute personne inteacuteresseacutee agrave publier dans la Revue de planification fiscale et financiegravere est inviteacutee agrave soumettre un texte agrave lrsquoAPFF et agrave communiquer agrave cet effet avec Me Diane Gagnon directrice de lrsquoeacutedition et coordonnatrice du comiteacute de la Revue par teacuteleacutephone au 514 866-2733 (poste 209) ou sans frais au 1 877 866-2733 (poste 209) ou agrave lrsquoadresse eacutelectronique suivante gagnondapfforg

SOMMAIRE

Vol 33 no 3 2013

Le casse-tecircte de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees le principe de pleine concurrence au XXIe siegravecle Gilles Larin et Sylvie Beaulieu 429

Dans quelle mesure les socieacuteteacutes deacutetenues

par les bandes indiennes beacuteneacuteficient-elles drsquoune exemption fiscale Pierre Brosseau 527

Bourse Jacques-Cocircteacute ndash

Lrsquoeffet du lien de deacutependance sur lrsquoassurabiliteacute dans le cadre de la Loi sur lrsquoassurance-emploi synthegravese des critegraveres applicables Alex Boisvert et Maxime Dupuis 583

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 429

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION

INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE

Gilles Larin Ph D Professeur

Deacutepartement de fiscaliteacute Faculteacute drsquoadministration

Universiteacute de Sherbrooke et Titulaire de la Chaire de recherche

en fiscaliteacute et en finances publiques de lrsquoUniversiteacute de Sherbrooke

et Sylvie Beaulieu

Notaire M Fisclowast Revenu Queacutebec

lowast Me Beaulieu eacutetait professionnelle de recherche agrave la CFFP lors de la reacutealisation de

cette eacutetude Les opinions exprimeacutees nrsquoengagent que les auteurs ces derniers assumant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des commentaires et des interpreacutetations figurant dans cette eacutetude et ne repreacutesentent en aucune faccedilon celles de Revenu Queacutebec

430 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

PREacuteCIS

Les principes de la fiscaliteacute internationale ont eacuteteacute eacutetablis en fonction drsquoun monde eacuteconomique dont la nature a aujourdrsquohui consideacuterablement changeacute du fait notamment de la croissance de la mondialisation ainsi que du deacuteveloppement des systegravemes de communication sophistiqueacutes et de la technologie de lrsquoinformation Il en reacutesulte que lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux fins de fixer les prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees drsquoune entreprise multinationale hautement inteacutegreacutee constitue maintenant un deacutefi tant pour les administrations fiscales des pays deacuteveloppeacutes et des pays en deacuteveloppement que pour les entreprises multinationales Cette eacutetude rend compte de lrsquoeacutetat de la question sur lrsquoanachronisme preacutetendu du principe de pleine concurrence comme norme internationale de reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoune entreprise multinationale En particulier elle retrace lrsquoeacutevolution historique de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et traite de la technicisation du concept dans les guides interpreacutetatifs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE En outre elle met en lumiegravere les aspects theacuteorique juridique et politique du deacutebat controverseacute relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence et son remplacement eacuteventuel par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Pour terminer lrsquoeacutetude discute des efforts consentis par lrsquoOCDE pour adapter les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence au contexte du commerce international moderne Les auteurs concluent que faute drsquoune meilleure solution de rechange la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence est requise mais ne pourra avoir lieu que si elle est guideacutee par un esprit de pragmatisme similaire agrave celui qui animait dans les anneacutees 1930 1940 et 1950 les administrations fiscales nationales

ABSTRACT

World economic events were quite different when the armrsquos length principle was established in international taxation Since those times international trade especially within related groups of companies has grown at an unprecedented rate It was fueled by instantaneous communication and forever evolving information technologies As a consequence the application of the armrsquos length principle in order to set internal pricing between highly integrated companies at home and abroad often referred to as a multinational enterprise (MNE) has provided a serious challenge This is true for tax administrations worldwide both in developed and emerging countries while planning and compliance has for its part created substantial burdens for MNEs This article addresses the issue as to whether the

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 431

opponents of the armrsquos length principle are on firm grounds when they assert that the principle is supposedly ill-suited to the current times In particular the article reviews in detail the historical trends which were present in the evolution of the principle through the theoretical models of the OECD and United Nations bilateral tax treaties It also illustrates how the principle came to be moored in ever increasing technicalities throughout the interpretive guidelines developed by the OECD It also brings forward the theoretical judicial and political aspects of the controversy generated by those who argued that the armrsquos length principle should be thrown out and rapidly replaced by some version of a global distribution of profits using a predetermined mathematical formula Furthermore the article shows the energy deployed by the OECD to adapt the armrsquos length principle to current standards of international trade The authors conclude that failing any better solution what is required is for the OECD to continue refining how the armrsquos length principle should be applied This option is however unlikely to succeed unless it is inspired by the pragmatic spirit present throughout national tax administrations in the 1930s 1940s and the 1950s

432 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 435

Premiegravere partie ndash Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor dune norme internationale

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 439

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL 441

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935 448

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 453

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE (1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES EacuteTATS-UNIS 454

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU (1980) 458

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES 462

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS 463 311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE 463 312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE 466 313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE 469

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT 472 321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes

directrices de lrsquoOCDE 473 322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de

lrsquoONU 474

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 433

Deuxiegraveme partie ndash Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour dune norme internationale

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES 479

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES CRITIQUES ET DES CONJECTURES 481 411 Les failles du concept de pleine concurrence selon

les acteurs de la controverse 482 412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse 486

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES INCERTITUDES 490 421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence

comme norme de reacutefeacuterence 490

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE 494

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS 495 511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial

et leacutegislatif 495 512 La persistance du rejet international de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices 498 52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE 502 521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les

eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial 502

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes 504

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU 508

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION 508

434 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international 509

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication 511

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES 516 621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international 517 622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale 522

CONCLUSION 524

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 435

INTRODUCTION

Domaine eacuteminemment mysteacuterieux pour le grand public la deacutetermination des prix de transfert nrsquoa longtemps souleveacute lrsquointeacuterecirct que drsquoun cercle restreint de professionnels de la fiscaliteacute internationale speacutecialiseacutes en la matiegravere Malgreacute sa consideacuterable complexiteacute il nrsquoen constitue pas moins un sujet de grande actualiteacute Les noms de Google Apple Dole Starbucks Glaxo et Pfizer font agrave preacutesent la manchette des pages eacuteconomiques de la presse eacutecrite internationale y compris celles des revues de prestige Depuis quelques anneacutees deacutejagrave les meacutedias de presse reacuteveillent les esprits en deacutevoilant au grand jour quelques strateacutegies drsquooptimisation fiscale deacuteployeacutees par les entreprises multinationales pour minimiser leur fardeau fiscal mondial

La description de ces strateacutegies ingeacutenieuses en geacuteneacuteral parfaitement leacutegales attire et retient lrsquoattention drsquoun lectorat souvent indigneacute Les journalistes deacutetaillent la mise en place de structures et de formes organisationnelles complexes conccedilues pour reacutepartir et coordonner les activiteacutes internationales notamment des filiales reacutesidant dans des pays qui servent de refuges fiscaux De plus ces strateacutegies comportent la conclusion drsquoententes contractuelles concernant les risques assumeacutes et les fonctions exerceacutees par les socieacuteteacutes membres des entreprises multinationales drsquoougrave les risques de manipulations des prix de transfert

Mais que sont au juste les prix de transfert Bien qursquoils soient souvent deacutefinis par les meacutedias comme une technique de planification fiscale ils deacutesignent plutocirct en fait les prix convenus agrave lrsquooccasion des cessions internes de biens et de services entre des socieacuteteacutes qui sont assujetties agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices par des pays diffeacuterents et qui sont membres drsquoune mecircme entreprise multinationale Les administrations fiscales eacutevaluent les prix de transfert des entreprises multinationales agrave lrsquoaune de prix hypotheacutetiques soit ceux qui auraient eacuteteacute convenus par des socieacuteteacutes transigeant agrave distance dans des transactions similaires Le concept theacuteorique internationalement accepteacute qui reacutegit les rajustements des prix de transfert des transactions transfrontaliegraveres effectueacutees entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale est appeleacute laquo principe de pleine concurrence raquo

Quelques auteurs expriment lrsquoopinion que le principe de pleine concurrence lrsquoun des concepts cleacutes du systegraveme actuel de la fiscaliteacute internationale des entreprises consiste en un concept totalement deacutepasseacute

436 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

voire anachronique1 Dans la litteacuterature fiscale un certain courant de penseacutee remet en question lrsquoutilisation du principe de pleine concurrence agrave lrsquoeacutechelon international et parallegravelement envisage mecircme son remplacement par un concept jugeacute plus moderne soit la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Nous proposons drsquoexplorer ici lrsquohypothegravese de travail sous-tendant ce courant de penseacutee et drsquoen examiner les aspects theacuteorique juridique et politique Vu lrsquoenvergure du sujet lrsquoeacutetude se limite agrave deacuteterminer dans le contexte preacutecis de la reacutepartition des beacuteneacutefices reacutesultant des transactions intersocieacuteteacutes au sein des entreprises multinationales agrave lrsquoexclusion des eacutetablissements stables si le principe de pleine concurrence est toujours un principe adeacutequat au XXIe siegravecle pour fixer les prix de transfert

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude nous preacutesentons un panorama de la genegravese de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit fiscal international public et mettons en eacutevidence lrsquoinfluence importante exerceacutee par les Eacutetats-Unis sur cet essor Nous analysons agrave cette fin les phases du deacuteveloppement du texte de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale Puis nous eacutetudions les instruments et les outils fiscaux eacutelaboreacutes agrave compter des anneacutees 1960 par les organisations internationales dans le but de preacuteciser srsquoils tiennent ou non pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative

Dans la deuxiegraveme partie nous passons en revue les arguments de la controverse ameacutericaine autour du principe de pleine concurrence2 En plus drsquoexposer les failles conceptuelles du principe de pleine concurrence nous 1 Dans lrsquoarticle intituleacute laquo The Unitary Method and the Myth of Armrsquos Length raquo (1986)

30 Tax Notes 625 (LexisNexis) Stanley I LANGBEIN affirme agrave la page 596 que laquo there is general agreement that armrsquos-length is an anachronism either because of a change in the nature of international business or because it served political purposes that are guarded against political dangers that are no longer potent forces in the world economy raquo Voir aussi Kerrie SADIQ laquo The Traditional Rationale of the Armrsquos Length Approach to Transfer Pricing minus Should the Separate Accounting Model Be Maintained for Modern Multinational Entities raquo (2004) vol 7 no 2 Journal of Australian Taxation 196 (en ligne httpwwwbusecomonasheduaubltjat2004-issue2-sadiqpdf) p 232 Joann M WEINER laquo Itrsquos Time to Adopt Formulary Apportionment raquo (2009) Worldwide Tax Daily 173-17 (Tax Analysts)

2 La preacutesente eacutetude ne traitant le principe de pleine concurrence que du point de vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays dans le monde ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 437

scrutons les reacutepercussions de cette controverse sur le consensus international en faveur du principe de pleine concurrence comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale En particulier nous nous questionnons sur la possibiliteacute pour un pays signataire de conventions fiscales calqueacutees sur les modegraveles theacuteoriques drsquoadopter unilateacuteralement dans une leacutegislation fiscale nationale une norme autre que le principe de pleine concurrence Nous discutons eacutegalement de la vraisemblance ou non de lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus international sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie eu eacutegard au contexte eacuteconomique mondial actuel Enfin nous eacutenumeacuterons quelques esquisses de solutions afin de moderniser les regravegles sur les prix de transfert

Premiegravere partie minus Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor drsquoune norme internationale

Lrsquohistoire des prix de transfert transfrontaliers deacutebute agrave peu de choses pregraves voilagrave presque un siegravecle avec la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations (laquo SDN raquo)3 et de la Chambre de commerce internationale (International Chamber of Commerce)4 Un groupe influent de chefs drsquoentreprises membres de lrsquoInternational Chamber of Commerce pousse alors la nouvelle organisation internationale qui regroupe au deacutebut 42 pays membres5 principalement des pays deacuteveloppeacutes agrave se pencher sur un problegraveme commenccedilant agrave poindre au lendemain de la Premiegravere Guerre mondiale la double imposition potentielle des entreprises multinationales engendreacutee par lrsquoasymeacutetrie des systegravemes drsquoimposition nationaux6 Le problegraveme de

3 Le pacte constitutif de la SDN est incorporeacute dans la partie I du Traiteacute de Versailles

28 juin 1919 Paris Berger-Levrault 1922 pp 1-22 lequel a eacuteteacute conclu entre les pays allieacutes et lrsquoAllemagne pour mettre fin agrave la Premiegravere Guerre mondiale Ce traiteacute et ce pacte ont pris effet le 10 janvier 1920 Agrave ce propos consulter en ligne httpwwwunogch80256EDD006B8954(httpAssets)B8138644CCCD10BEC1256F3400484CA3$filesdn_chronologiepdf

4 Fondeacutee agrave Paris en 1919 lrsquoInternational Chamber of Commerce consiste en une organisation mondiale des entreprises Pour un bref historique de cette organisation voir en ligne httpiccwboorgabout-icchistorythe-merchants-of-peace

5 Voir en ligne httpcyberschoolbusunorgunintrounintro3htm et Traiteacute de Versailles preacuteciteacute note 3 p 22 Bien que lrsquoideacutee de creacuteer la SDN ait eacuteteacute lanceacutee par le preacutesident ameacutericain Woodrow Wilson les Eacutetats-Unis nrsquoy ont jamais adheacutereacute puisque le Seacutenat ameacutericain nrsquoa pas ratifieacute le Traiteacute de Versailles Sur ce point consulter en ligne httpwwwsenategovreferencereference_itemVersailleshtm

6 Les textes des reacutesolutions preacutesenteacutees par lrsquoInternational Chamber of Commerce lors de la Confeacuterence financiegravere internationale organiseacutee par la SDN agrave Bruxelles en 1920 en

(agrave suivrehellip)

438 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale devient vite une preacuteoccupation importante de la SDN car les entreprises multinationales ameacutericaines et europeacuteennes tendent de plus en plus agrave utiliser durant la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres des filiales eacutetrangegraveres pour acceacuteder aux marcheacutes exteacuterieurs7 Bien que certains Eacutetats recourent deacutejagrave agrave des conventions fiscales internationales pour reacutepartir les revenus des entreprises dont les activiteacutes sont exerceacutees dans plus drsquoun pays lrsquousage de telles conventions demeure encore peu reacutepandu dans le monde8

Degraves 1921 le Comiteacute financier formeacute par la SDN confie agrave quatre eacuteconomistes le mandat de reacutealiser une eacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition Appeleacutes agrave deacuteterminer si notamment des principes geacuteneacuteraux peuvent ecirctre formuleacutes comme fondement drsquoune convention fiscale internationale pour eacuteliminer les conseacutequences neacutefastes de la double imposition les professeurs universitaires Bruins Einaudi Seligman et Stamp se gardent dans le rapport publieacute en 19239 de recommander un critegravere en particulier pour diviser les beacuteneacutefices geacuteneacutereacutes par les activiteacutes exerceacutees dans plusieurs Eacutetats Prudents ils suggegraverent plutocirct drsquoexaminer au preacutealable lrsquoexpeacuterience pratique des pays qui appliquent deacutejagrave

(hellipsuite)

font foi LEAGUE OF NATIONS Brussels Financial Conference 1920 The Recommendations and their Application A Review After Two Years C10M71923II Genegraveve 1922 annexe 1 p 228

7 John H DUNNING et Sarianna M LUNDAN Multinational Enterprises and the Global Economy 2e eacuted Northampton Edward Elgar 2008 pp 735-737

8 Notamment lrsquoAutriche la Tcheacutecoslovaquie la Hongrie lrsquoItalie la Pologne le Royaume des Serbes Croates et Slovegravenes ainsi que la Roumanie agrave savoir les pays neacutes agrave la suite de la dislocation apregraves la Premiegravere Guerre mondiale de lrsquoEmpire austro-hongrois et les pays signataires en 1921 de la convention fiscale multilateacuterale de Rome Agrave ce sujet voir Double Taxation and Tax Evasion Report and Resolutions Submitted by the Technical Experts to the Financial Committee of the League of Nations F212 Genegraveve 1925 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 4 1962 pp 4071-4072 (HeinOnline) La premiegravere convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition a drsquoailleurs eacuteteacute conclue entre lrsquoEmpire austro-hongrois et la Prusse degraves 1899 Sur ce point consulter Sunita JOGARAJAN laquo Prelude to the International Tax Treaty Network 1815-1914 Early Tax Treaties and the Conditions for Action raquo (2011) vol 31 no 1 Oxford Journal of Legal Studies 679 pp 690 et suiv (HeinOnline Law Journal Library)

9 LEAGUE OF NATIONS Economic and Financial Commission Report on Double Taxation submitted to the Financial Committee by Professors Bruins Einaudi Seligman and Sir Josiah Stamp Genegraveve Imp Atar 1923

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 439

des critegraveres de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices avant de fixer ceux-ci dans un modegravele de convention fiscale internationale10

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

Les tout premiers modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales eacutelaboreacutes par la SDN ne renferment aucune meacutethode speacutecifique de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices pour les eacutetablissements stables ni pour les socieacuteteacutes lieacutees11 Contrairement au projet de convention fiscale bilateacuterale preacutesenteacute en 192712 les modegraveles approuveacutes en 192813 nrsquoassimilent plus les socieacuteteacutes lieacutees agrave des eacutetablissements stables mais ils sont muets quant agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices de celles-ci Ainsi lrsquoarticle 514 qui ne srsquoapplique qursquoaux beacuteneacutefices

10 Id pp 52-53 La courte liste des critegraveres de reacutepartition recenseacutes dans lrsquoaddenda au

rapport soit la valeur des ventes le capital total investi dans chaque pays lrsquoinventaire total dans chaque pays la valeur totale des biens immobiliers et les salaires et deacutepenses drsquoun eacutetablissement deacutenote agrave premiegravere vue la tendance naturelle des pays agrave attribuer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide drsquoune formule matheacutematique comportant au moins un facteur

11 Il srsquoagit bien entendu drsquoune omission intentionnelle Voir LEAGUE OF NATIONS Report to the Council on the Fourth Session of the Committee C399M2041933IIA Genegraveve 1933 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 p 4242 (HeinOnline)

12 Les alineacuteas 1 3 et 4 de lrsquoarticle 5 reacutedigeacute par le Comiteacute drsquoexperts techniques sur la double imposition introduisent respectivement le concept drsquoeacutetablissement stable lrsquoideacutee de la reacutepartition des revenus selon la source et la tenue implicite drsquoune comptabiliteacute distincte agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables tandis que lrsquoalineacutea 2 preacutevoit notamment que les laquo affiliated companies [hellip] shall be regard as permanent establishments raquo Voir LEAGUE OF NATIONS Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the Committee of Technical Experts on Double Taxation and Tax Evasion C216M851927II Genegraveve 1927 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4124-4125 (HeinOnline)

13 Vu lrsquoabsence drsquouniformiteacute des diffeacuterents systegravemes fiscaux les modegraveles incluent trois variantes soit les textes Ia Ib et Ic selon que les pays preacutelegravevent ou non des impocircts reacuteels (impersonal taxes) et des impocircts personnels (personal taxes) Voir LEAGUE OF NATIONS General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion C562M1781928II Genegraveve 1928 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4161-4175 (HeinOnline)

14 Texte Ia id p 4162

(agrave suivrehellip)

440 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gagneacutes par les eacutetablissements stables se limite agrave eacutenoncer que lorsque les succursales nrsquoont pas de comptes comptables distincts de ceux de la socieacuteteacute megravere les Eacutetats contractants dans lesquels une entreprise possegravede un eacutetablissement stable doivent convenir entre eux des regravegles de la reacutepartition des beacuteneacutefices Or comme ces regravegles peuvent suivant les commentaires reacutedigeacutes par la SDN relativement agrave lrsquoarticle 5 du modegravele Ia ecirctre baseacutees entre autres sur le capital investi et les salaires verseacutes15 elles leacutegitiment ouvertement du moins agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables la reacutepartition par les administrations fiscales des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique simple

Quoi qursquoil en soit crsquoest en 1930 que la proposition drsquoune enquecircte sur le terrain formuleacutee sept ans auparavant par les universitaires auteurs de lrsquoeacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition devient reacutealiteacute16 Du coup lrsquoeacutelan initial agrave lrsquoeacutemergence du concept de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales au XXe siegravecle est donneacute Incorporeacutees pendant les anneacutees 1930 et 1940 dans les modegraveles eacutelaboreacutes par la SDN les dispositions speacutecifiques concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees seront reprises par lrsquoOrganisation

(hellipsuite)

laquo Article 5

Income not referred to in Article 7 from any industrial commercial or agricultural undertaking and from any other trades or professions shall be taxable in the State in which the permanent establishments are situated

The real centres of management branches mining and oilfields factories workshops agencies warehouses offices depots shall be regarded as permanent establishments [hellip]

Should the undertaking possess permanent establishments in both Contracting States each of the two States shall tax the portion of the income produced in its territory The competent administrations of the two Contracting States shall come to an arrangement as to the basis for apportionment raquo (Notre soulignement)

Les dispositions de lrsquoarticle 5 du texte Ia reprennent en substance sauf pour ce qui concerne le rapprochement des socieacuteteacutes lieacutees avec les succursales le texte de lrsquoarticle 5 tel qursquoil se lisait dans le projet de convention de 1927 de la SDN C216M851927II preacuteciteacute note 12

15 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 p 4166 16 LEAGUE OF NATIONS Fiscal Committee Report to the Council of the Work of the

Second Session of the Committee C340M1401930II Genegraveve 1930 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4209-4210 (HeinOnline)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 441

de coopeacuteration et de deacuteveloppement eacuteconomiques (laquo OCDE raquo) et lrsquoOrganisation des Nations unies (laquo ONU raquo) apregraves la Seconde Guerre mondiale pour tenter de reacutesoudre le problegraveme de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale

Cette vaste enquecircte dont les travaux srsquoeacutetendent de 1930 agrave 1933 consiste en la toute premiegravere eacutetude de droit compareacute sur la question de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale en droit international public Reacutealiseacutee sous les auspices de la SDN elle est dirigeacutee par un avocat ameacutericain speacutecialiseacute en droit fiscal international Mitchell B Carroll alors chef de la section de la leacutegislation et des impocircts europeacuteens au deacutepartement du Commerce des Eacutetats-Unis17 Les conclusions tireacutees par Carroll servent de point de deacutepart agrave lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence tel que nous le connaissons aujourdrsquohui dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU18 En fait tous les modegraveles theacuteoriques eacutelaboreacutes par la SDN avant la Seconde Guerre mondiale integravegrent sans exception le concept de pleine concurrence

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION

DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL

Financeacutee par la fondation ameacutericaine Rockefeller19 cette eacutetude a pour but drsquoinvestiguer aupregraves des administrations fiscales de 35 pays les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des entreprises y compris les socieacuteteacutes megraveres les succursales et les filiales exerccedilant des activiteacutes dans au moins deux pays20 Au deacutebut de lrsquoanneacutee 1931 Carroll entreprend une expeacutedition fiscale autour du monde Il se rend dans pas moins de 27 pays pour srsquoinstruire des leacutegislations fiscales nationales et rencontrer certains cadres supeacuterieurs des bureaux drsquoimpocirct Agrave vrai dire la reacutepartition comptable des

17 Membre en tant que repreacutesentant des Eacutetats-Unis du Comiteacute drsquoexperts fiscaux sur la

double imposition mandateacute par la SDN pour reacutediger le projet de convention bilateacuterale de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 il est preacutesident du Comiteacute fiscal de la SDN de 1938 agrave 1946 et premier preacutesident de lrsquoAssociation fiscale internationale de 1939 agrave 1978

18 Mitchell B CARROLL Methods of Allocating Taxable Income dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol IV Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpsetislibraryusydeduaupubotbintoccer-newid=cartaxasgmlamptag= lawampimages=acdpgifsampdata=usrotamppart=0) (laquo Rapport Carroll raquo)

19 La SDN a reccedilu deux dons en argent pour un total de 140 000 $ 90 000 $ en 1930 et 50 000 $ en 1933 Voir LEAGUE OF NATIONS C340M1401930II preacuteciteacute note 16 et C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4241

20 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 p 9

442 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutefices ne constitue pas agrave ce moment-lagrave un problegraveme urgent pour tous les types drsquoentreprises et tous les pays Ce sont les Eacutetats-Unis le Royaume-Uni lrsquoAllemagne et le Japon qui rencontrent des difficulteacutes lieacutees surtout aux activiteacutes commerciales des entreprises industrielles en particulier les revenus tireacutes de la production dans un pays et de la vente dans un autre pays de matiegraveres premiegraveres telles le caoutchouc les meacutetaux et le peacutetrole21

Les conclusions de cette eacutetude publieacutees en 1933 posent les premiers jalons historiques du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public22 Apregraves avoir examineacute les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales relatives aux meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Carroll propose deux principes fondamentaux comme piliers drsquoun systegraveme eacutequitable de reacutepartition des beacuteneacutefices de tous les types drsquoentreprises multinationales le principe de lrsquoentreprise indeacutependante et le principe de la comptabilisation seacutepareacutee23 Notion cleacute du rapport le premier principe qui eacutenonce que les filiales et dans la mesure du possible les succursales doivent ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises

21 Id par 1 Dans une moindre mesure les revenus des entreprises commerciales tireacutes

de la production et de la vente dans des pays diffeacuterents de produits manufactureacutes font aussi problegraveme Au contraire les entreprises œuvrant dans le secteur des services (assurance transport eacutenergie eacutelectriciteacute gaz teacuteleacutegraphe teacuteleacutephone radio et cacircble) et des mines ne geacutenegraverent guegravere de difficulteacutes car tel qursquoil est exprimeacute aux paragraphes 489 et suivants elles nrsquoimpliquent en geacuteneacuteral que peu ou pas de transactions internationales

22 Lrsquoeacutetude comprend un total de cinq volumes distincts Les volumes I II et III contiennent les rapports des administrations fiscales de 23 pays et de trois Eacutetats ameacutericains deacutecrivant les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales concernant lrsquoimposition des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres et nationales Constituant le rapport principal le volume IV preacuteciteacute note 18 reacutedigeacute par Carroll est diviseacute en 12 chapitres les chapitres 1 agrave 11 preacutesentent une compilation succincte de la leacutegislation et des pratiques relatives agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices et le chapitre 12 les recommandations et conclusions La question de la reacutepartition y est abordeacutee selon deux points de vue les entreprises eacutetrangegraveres qui possegravedent des filiales ou des succursales nationales et les entreprises nationales qui possegravedent des filiales ou des succursales agrave lrsquoeacutetranger Bien que les mecircmes principes et meacutethodes srsquoappliquent aux entreprises eacutetrangegraveres et aux entreprises nationales la quasi-totaliteacute du rapport est neacuteanmoins consacreacutee aux entreprises eacutetrangegraveres vu qursquoelles ont susciteacute un plus grand nombre de difficulteacutes de reacutepartition que les entreprises nationales Quant au volume V preacutepareacute par le professeur Ralph C JONES Allocation Accounting for the Taxable Income of Industrial Enterprises dans Taxation of Foreign and National Enterprises Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 il analyse les meacutethodes de reacutepartition comptable pouvant ecirctre appliqueacutees

23 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 629 et 674

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 443

indeacutependantes24 supplante le concept de reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee lequel consiste agrave partager selon une formule matheacutematique le revenu net total provenant de toutes les activiteacutes commerciales drsquoune entreprise deacutejagrave utiliseacutee en Espagne et en Suisse25 Quant au second principe il exprime de maniegravere expresse la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation implicite deacutejagrave formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 de lrsquoun des modegraveles de convention fiscale bilateacuterale de 192826 de comptabiliser seacutepareacutement les activiteacutes des eacutetablissements stables de celles des autres entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale27

24 Lrsquoeacutetude reacutevegravele que plusieurs entreprises multinationales assimilent agrave des fins fiscales

les filiales agrave des succursales et incluent les beacuteneacutefices des filiales agrave leurs beacuteneacutefices annuels totaux Ce comportement des entreprises est conforme agrave lrsquoesprit et agrave la lettre de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 lequel consideacuterait les filiales et les succursales comme des eacutetablissements stables Par ailleurs les administrations fiscales de la plupart des pays tiennent compte de lrsquoexistence juridique distincte des filiales domestiques qui transigent dans des conditions normales de concurrence avec une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere elles appliquent la meacutethode de la comptabilisation distincte examinent les beacuteneacutefices lieacutes aux transactions intersocieacuteteacutes pour veacuterifier lrsquoexactitude des comptes comptables des filiales et si les comptes sont inadeacutequats estiment les beacuteneacutefices au moyen de lrsquoune des meacutethodes empiriques employeacutees pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 384 Cependant certaines administrations fiscales srsquoappuient sur lrsquoune ou lrsquoautre des theacuteories suivantes pour rajuster la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere et ses filiales domestiques qui ne transigent pas dans des conditions normales de concurrence les filiales sont soit des entreprises indeacutependantes du point de vue juridique des mandataires de la socieacuteteacute megravere (cotisation de la socieacuteteacute megravere sur les beacuteneacutefices reacuteputeacutes gagneacutes par les filiales) ou elles ne constituent qursquoune seule entiteacute eacuteconomique avec la socieacuteteacute megravere Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 386 agrave 398

25 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 122 et 173 Il srsquoagit drsquoune meacutethode empirique qui comporte une formule matheacutematique en vertu de laquelle le revenu net total consolideacute drsquoune entreprise est diviseacute entre toutes les entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale soit la socieacuteteacute megravere les filiales et les succursales en proportion de facteurs comme les actifs le chiffre drsquoaffaires le registre des salaires ou un pourcentage preacutedeacutetermineacute Toutefois la reacutepartition fractionneacutee est dite limiteacutee lorsque le revenu net total de lrsquoentreprise objet de la reacutepartition provient seulement de certaines activiteacutes commerciales

26 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 27 La grande majoriteacute des entreprises ne traitait pas les eacutetablissements locaux

(succursales et filiales) comme des entreprises virtuellement indeacutependantes ou des uniteacutes autonomes et les veacuterificateurs fiscaux devaient rajuster les comptes comptables en se fondant sur les renseignements disponibles ou des meacutethodes empiriques y compris la reacutepartition fractionneacutee Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6

444 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Toutefois agrave la lecture du rapport la conclusion de Carroll voulant que la meacutethode de la comptabilisation distincte preacutevale sur les autres meacutethodes en usage pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et les eacutetablissements stables eacutetonne de prime abord28 Les reacutesultats de lrsquoeacutetude reacutevegravelent certes que les administrations fiscales appliquent en geacuteneacuteral des meacutethodes de reacutepartition issues de la pratique administrative car les systegravemes fiscaux nationaux de la plupart des 35 pays examineacutes ne comportent pas de mesures leacutegislatives concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes dans plus drsquoun pays eacutetablissements stables et filiales confondus29 Sans mecircme connaicirctre le degreacute drsquoefficaciteacute reacuteel de cette meacutethode ni le pourcentage des administrations fiscales ayant recours aux meacutethodes empiriques comme meacutethodes secondaires Carroll srsquoen tient agrave infeacuterer que la meacutethode de la comptabilisation distincte est adopteacutee par le plus grand nombre de pays comme meacutethode principale30 Il paraicirct drsquoailleurs accorder

28 Id par 120-122 Carroll classifie les diffeacuterentes meacutethodes de reacutepartition en usage

dans les trois cateacutegories suivantes la meacutethode de la comptabilisation distincte les meacutethodes empiriques et la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee La meacutethode de la comptabilisation distincte deacutesigne simplement lrsquoutilisation par les administrations fiscales des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables comme point de deacutepart des veacuterifications En outre les meacutethodes empiriques permettent aux administrations fiscales drsquoestimer le revenu drsquoune entreprise lorsque les comptes comptables sont inexistants ou qursquoils ne reflegravetent pas correctement les revenus attribuables aux cessions internes Les administrations fiscales procegravedent dans ces cas par comparaison directe du revenu drsquoune entreprise donneacutee avec celui drsquoune entreprise analogue ou encore par comparaison indirecte agrave lrsquoaide drsquoindicateurs par exemple les chiffres des ventes les actifs ou autres Fait agrave noter Carroll choisit drsquoinclure la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee dans une cateacutegorie distincte car deux pays lrsquoEspagne et la Suisse lrsquoutilisent comme meacutethode principale

29 Seuls les systegravemes fiscaux de lrsquoEspagne de lrsquoAutriche et des Eacutetats ameacutericains du Wisconsin de New York et du Massachusetts renferment des dispositions leacutegislatives mettant en œuvre la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25

30 Comme lrsquoindique R C JONES preacuteciteacute note 22 p 17 la meacutethode de la comptabilisation distincte nrsquoest pas une meacutethode de reacutepartition agrave proprement parler

laquo The term separate accounting does not refer to a single well-defined method but rather to a whole group of methods with a common aim Indeed separate accounting is only a point of view or an avenue of approach to the general problem of allocating business profits on a geographical basis The accounting methods by which the alllocation of profit may be accomplished must be as diverse as the conditions within the different industries are varied Separate accounting rests on the assumption that the different branches of an enterprise are separate business units which may be treated for accounting purposes practically as independent concerns raquo

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 445

une plus grande importance au fait que cette meacutethode est suivie dans les pays reacuteputeacutes pour leur grande expeacuterience de lrsquoimpocirct sur le revenu et leur niveau eacuteleveacute des normes professionnelles comptables soit le Royaume-Uni le Commonwealth britannique des nations et les Eacutetats-Unis et que lrsquoInternational Chamber of Commerce la National Tax Association des Eacutetats-Unis ainsi que lrsquoAmerican Institute of Accountants en ont fait leur meacutethode de preacutedilection31

Aussi le sort de la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la division entre les entiteacutes formant une entreprise internationale au moyen drsquoune formule matheacutematique du revenu total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise est-il scelleacute prestement en quelques paragraphes32 Carroll nrsquoanalyse pas les avantages et les qualiteacutes intrinsegraveques de la meacutethode proposeacutee il se contente de souligner les inconveacutenients associeacutes agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique33 Crsquoest ainsi que non seulement les administrations fiscales de la plupart des pays examineacutes refusent de renoncer agrave exercer leur pouvoir drsquoimposition sur les beacuteneacutefices gagneacutes par les entreprises multinationales sur leur territoire respectif pour en permettre la reacutepartition conformeacutement agrave des facteurs arbitraires mais encore elles reconnaissent la difficulteacute en pratique de veacuterifier les comptes comptables drsquoun eacutetablissement stable preacutepareacutes dans une langue et une monnaie eacutetrangegraveres et selon des regravegles comptables diffeacuterentes Sans compter que la conclusion drsquoun accord entre les pays sur les beacuteneacutefices nets totaux et sur les critegraveres de reacutepartition repreacutesente eacutegalement un obstacle insurmontable34

(hellipsuite) Voir eacutegalement S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 qui agrave la page 635 exprime

lrsquoopinion que cette meacutethode ne comporte aucune regravegle de fond sur la faccedilon drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices notamment la recherche de donneacutees comparables ou la prise en consideacuteration de transactions fictives convenues entre des entreprises hypotheacutetiquement indeacutependantes

31 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 128 129 et 671 Voir aussi R C JONES preacuteciteacute note 22 p 15

32 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 33 Lindsay C CEacuteLESTIN The Formulary Approach to the Taxation of Transnational

Corporations A Realistic Alernative essai Universiteacute de Sydney 2000 (en ligne httpseslibraryusydeduaubitstream21238462adtU2002091713313802wholepdf) pp 33-34

34 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 288 et 670

446 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Par ailleurs le Rapport Carroll laisse lrsquoimpression que le principe de lrsquoentreprise indeacutependante ndash devenu aujourdrsquohui le principe de pleine concurrence ndash srsquoest imposeacute avant tout sur le plan du droit international afin de reacutesoudre les difficulteacutes lieacutees agrave la reacutepartition des eacutetablissements stables35 Carroll recommande aux administrations fiscales une meacutethode principale et des meacutethodes secondaires applicables agrave tous les types drsquoentreprises mais destineacutees uniquement agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses eacutetablissements stables La meacutethode principale se reacutesume agrave appliquer conjointement les deux principes fondamentaux crsquoest-agrave-dire traiter les eacutetablissements stables comme des entreprises non lieacutees entre elles ni agrave la socieacuteteacute megravere et imposer les beacuteneacutefices sur la base des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables Les meacutethodes empiriques y compris la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee des beacuteneacutefices se trouvent en conseacutequence cantonneacutees au titre de meacutethodes secondaires pour les eacutetablissements stables dans les cas ougrave la meacutethode dite principale est inapplicable

La reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoentreprise entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales agrave lrsquoeacutetranger occupe ainsi une place preacutepondeacuterante dans lrsquoeacutetude celle entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales eacutetrangegraveres eacutetant releacutegueacutee au second plan Drsquoautant plus que Carroll ne preacuteconise formellement aucune meacutethode pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales36 La

35 Id par 4 Agrave ce sujet voir Hubert HAMAEKERS laquo Armrsquos Length minus How Long raquo

(2001) MarsAvril International Transfer Pricing Journal 30 p 34 Sol PICCIOTTO laquo International Taxation and Intrafirm Pricing in Transnational Corporate Groups raquo (1992) vol 17 no 8 Accounting Organizations and Society 759-792 pp 766-767 et Richard VANN laquo Reflections on Business Profits and the Armrsquos-Length Principle raquo Legal Studies Research Paper No 10127 University of Sydney novembre 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfm abstract_id=1710945) pp 135-139

36 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 Pour Carroll les problegravemes de prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees contrairement aux eacutetablissements stables ne surgissent que dans le contexte de la manipulation deacutelibeacutereacutee des prix pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune socieacuteteacute lieacutee agrave une autre le but de la reacutepartition par les administrations fiscales eacutetant de deacuteterminer les beacuteneacutefices que la socieacuteteacute lieacutee aurait gagneacutes si elle avait traiteacute avec une entreprise indeacutependante En regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales tentent de recouvrer les beacuteneacutefices deacuteplaceacutes en analysant les transactions intersocieacuteteacutes agrave lrsquoaide des principes juridiques et commerciaux ou des comparaisons avec drsquoautres socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes similaires voir id par 627 Carroll nrsquointerdit pas explicitement lrsquoutilisation des meacutethodes empiriques bien que son point de vue ne semble pas admettre la possibiliteacute drsquoestimer les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees agrave lrsquoaide de meacutethodes secondaires Eacutenumeacutereacutees au paragraphe 385 les meacutethodes alors en usage pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune filiale nationale agrave la socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere sont les suivantes surfacturation des achats de la filiale sous-facturation des ventes de la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 447

litteacuterature fiscale ne permet pas de preacuteciser les raisons exactes qui expliquent cet eacutetat des choses Il est loisible de speacuteculer que dans les anneacutees 1930 la SDN montre en apparence moins drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard des filiales parce que la reacutepartition relative aux succursales des entreprises eacutetrangegraveres soulegraveve des difficulteacutes plus nombreuses que celle relative aux filiales37

Chose digne de remarque la meacutethode principale recommandeacutee par Carroll srsquoapparente agrave la pratique administrative deacuteveloppeacutee par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine pour reacutepartir les beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes sous controcircle commun Cette pratique qui facilite alors lrsquoapplication de lrsquoarticle 45 du United States Revenue Act of 192838 admet dans le cas ougrave (hellipsuite)

filiale agrave la socieacuteteacute megravere location intersocieacuteteacutes agrave un coucirct minime ou exorbitant et frais disproportionneacutes reacuteclameacutes pour des redevances ou drsquoautres services Mecircme srsquoil est parmi les premiers agrave affirmer que la manipulation des prix de cession interne permet aux entreprises multinationales de deacuteplacer leurs beacuteneacutefices dans les pays agrave faible taux drsquoimposition Carroll nrsquoaborde pas la question des refuges fiscaux lesquels commencent pourtant agrave se deacutevelopper dans les anneacutees 1930 Voir Ronen PALAN laquo The History of Tax Havens raquo octobre 2009 (en ligne httpwwwhistoryandpolicyorgpaperspolicy-paper-92html) et Christophe FARQUET laquo Lutte contre lrsquoeacutevasion fiscale lrsquoeacutechec de la SDN durant lrsquoentre-deux-guerres raquo (2009) vol 44 no 4 LrsquoEacuteconomie politique 93-112 (en ligne httpwwwcairninforevue-l-economie-politique-2009-4-page-93htm)

37 Le nombre eacuteleveacute de succursales et lrsquoabsence de comptabiliteacute distincte tenue agrave lrsquoeacutegard de celles-ci par les socieacuteteacutes megraveres sont vraisemblablement agrave lrsquoorigine de la multiplication des difficulteacutes

38 Pub L No 70-562 sect 45 XLV Stat 806 (en ligne httpconstitutionorguslawsal 045_itaxpdf) Eacutedicteacute en mai 1928 lrsquoarticle 45 qui preacuteceacutedait les articles 77 et 78 des Regulations No 41 Relative to War Excess Profits Tax Imposed by the War Revenue Act of 1917 (en ligne httparchiveorgdetailsregulationsrelat00unit) est une disposition leacutegislative anti-eacutevitement dont le texte est similaire agrave lrsquoactuel article 482 de lrsquoInternal Revenue Code of 1986 et mod qui confeacuterait au Commissaire de lrsquoInternal Revenue Service (laquo IRS raquo) dans les cas impliquant deux ou plusieurs entreprises controcircleacutees par les mecircmes inteacuterecircts le pouvoir de distribuer de reacutepartir et drsquoattribuer les revenus bruts ou les deacuteductions mais ne speacutecifiait aucune meacutethode de reacutepartition

laquo SEC 45 ALLOCATION OF INCOME AND DEDUCTIONS In any case of two or more trades or businesses (whether or not incorporated whether or not organized in the United States and whether or not affiliated) owned or controlled directly or indirectly by the same interests the Commissioner is authorized to distribute apportion or allocate gross income or deductions between or among such trades or businesses if he determines that such distribution apportionment or allocation is necessary in order to prevent evasion of taxes or clearly to reflect the income of any of such trades or businesses raquo

448 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les beacuteneacutefices drsquoune filiale ameacutericaine sont deacutelibeacutereacutement deacuteplaceacutes agrave une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere ou lorsque ceux drsquoune socieacuteteacute megravere ameacutericaine sont deacuteplaceacutes agrave une filiale eacutetrangegravere un rajustement des beacuteneacutefices comme si les transactions avaient eu lieu entre des personnes qui transigent dans des conditions de concurrence normale (as if they were dealing at armrsquos length with each other)39 Bien que les expressions dealing at armrsquos length et armrsquos length soient utiliseacutees agrave quelques reprises dans lrsquoeacutetude de Carroll40 lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo (armrsquos length principle) nrsquoy apparaicirct pas Pour tout dire rien ne permet drsquoaffirmer que du point de vue historique Carroll est le veacuteritable creacuteateur du concept theacuteorique de pleine concurrence41

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET

LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935

Souscrivant aux recommandations de Carroll le Comiteacute fiscal de la SDN propose en 1933 un projet de convention fiscale multilateacuterale pour reacutesoudre le problegraveme relatif agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices42 Reacutedigeacute par Carroll lui-mecircme43 ce projet de convention multilateacuterale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices gagneacutes par des socieacuteteacutes faisant des affaires dans plusieurs juridictions fiscales escamote les meacutethodes preacutecises pour ne comporter que les principes geacuteneacuteraux qui formulent les assises mecircmes du systegraveme actuel 39 Lrsquoadministration fiscale ameacutericaine utilise en pratique la meacutethode de la comptabiliteacute

distincte pour deacuteterminer les beacuteneacutefices des filiales ameacutericaines des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres Sur ce point voir le rapport preacutepareacute par les Eacutetats-Unis agrave lrsquooccasion de lrsquoeacutetude de Carroll Joseph WEARE et M L McMORRIS Tax System and Allocations Methods in the United States of America dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol I (France Germany Spain the United Kingdom and the United States of America) Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpadclibraryusydeduau searchsmode=simpleampkeyword=taxation+foreign+national+enterprises) partie III(A)I(d agrave f) Cette pratique administrative a drsquoailleurs eacuteteacute inteacutegreacutee dans le texte de lrsquoarticle 45-1(b) des Regulations 86 Relating to the Income Tax Under the Revenue Act of 1934 (en ligne httpwwwconstitutionorgtaxus-icregsRegs_86_for_1934_actpdf) adopteacute en 1935 il srsquoagit de la norme du contribuable non controcircleacute

40 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6 384 385 694 et 713 41 Certains auteurs en attribuent la paterniteacute au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

consulter H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 32 Malgreacute tout lrsquoabsence de certitude sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur et la date drsquoeacutelaboration laisse planer le mystegravere sur lrsquoorigine exacte du principe de pleine concurrence

42 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 43 Mitchell B CARROLL Global Perspectives of an International Tax Lawyer

Hicksville Exposition Press 1978 p 66

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 449

des regravegles sur les prix de transfert Le modegravele esquisseacute pose les seconds jalons du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public Incorporant sans surprise lrsquoideacutee de la fiction juridique de lrsquoentreprise indeacutependante et celle de la comptabiliteacute distincte exprimeacutees par Carroll dans lrsquoeacutetude internationale44 il ouvre ainsi la voie agrave lrsquointeacutegration reacuteelle du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale

Drsquoaucuns preacutetendent que Carroll avait un parti pris en faveur de lrsquoapplication conjugueacutee des principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoentreprise indeacutependante et cherchait agrave empecirccher lrsquoeacutemergence agrave lrsquoeacutechelon international de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee deacutejagrave appliqueacutee au niveau infranational aux Eacutetats-Unis45 Il est vrai que peu apregraves la publication des conclusions de lrsquoeacutetude Carroll affirmait que le projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de la SDN illustrait la victoire des partisans du principe de lrsquoentreprise indeacutependante sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices46 et qursquoil soutenait que le Comiteacute fiscal nrsquoadheacuterait pas au concept de lrsquoentreprise unitaire47 Il est mecircme possible que Carroll lequel avant de diriger lrsquoeacutetude de la SDN avait participeacute aux neacutegociations du traiteacute fiscal bilateacuteral Eacutetats-Unis-France48 ait eu accegraves aux renseignements sur les discussions et

44 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 45 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra

note 25 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 637 et L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 40 Pour un point de vue contraire voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 767 Parti pris ou non pour le concept qui deviendra le principe de pleine concurrence le reacutesultat associeacute agrave lrsquointention precircteacutee agrave tort ou agrave raison agrave Carroll sera neacuteanmoins atteint Le consensus international deacutegageacute agrave partir des anneacutees 1970 autour de ce concept aura pour ultime conseacutequence de supprimer toute velleacuteiteacute de la communauteacute internationale de passer agrave la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Sur ce point consulter la section 6 ci-dessous

46 Mitchell B CARROLL laquo Allocation of Business Income The Draft Convention of the League of Nations raquo (1934) vol 34 Columbia Law Review 473 (JSTOR) p 473

47 Mitchell B CARROLL laquo Taxation of Enterprises with International Interests raquo dans Lrsquoimposition des beacuteneacutefices et des profits de socieacuteteacutes anonymes agrave inteacuterecircts internationaux dans Cahiers de droit fiscal international vol I La Haye IFA 1939 p 254

48 Convention with France on the Subject of Double Taxation 27 avril 1932 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 1 1962 805 (HeinOnline) Ce traiteacute est la premiegravere convention fiscale internationale conclue par les Eacutetats-Unis pour preacutevenir la double imposition Agrave ce sujet voir Adrian A KRAGEN laquo Double Income Taxation Treaties The OECD Draft raquo (1964) vol 52 no 2 California Law Review 306-333 (HeinOnLine) p 306 Lrsquoarticle IV qui integravegre les dispositions de lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code preacutevoit une reacutepartition des beacuteneacutefices des

(agrave suivrehellip)

450 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les travaux du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain preacutealablement agrave lrsquoadoption en 1935 du principe de pleine concurrence dans le texte leacutegislatif de la reacuteglementation relative agrave lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code Vu ces circonstances il nrsquoest pas deacuteraisonnable de penser sans que nous puissions toutefois le prouver qursquoune lutte doctrinale ait pu ecirctre meneacutee contre la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee mise en application dans certains Eacutetats ameacutericains ainsi qursquoen Espagne et en Suisse pour reacutepartir entre les entiteacutes formant une entreprise multinationale selon une formule matheacutematique le revenu net total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise

Le projet de convention de 1933 distingue agrave la maniegravere du Rapport Carroll le cas des eacutetablissements stables de celui des filiales En particulier les articles 3 et 5 exposent respectivement les principes geacuteneacuteraux concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere les eacutetablissements stables et les filiales Comme seul critegravere pour la reacutepartition internationale des revenus des eacutetablissements stables lrsquoarticle 3 met en avant le prix qui aurait eacuteteacute convenu entre des personnes indeacutependantes transigeant dans des conditions de concurrence normale (the price that would be agreed upon by independant persons dealing at armrsquos length)

laquo Article 3

If an enterprise with its fiscal domicile in one contracting State has permanent establishments in other contracting States there shall be attributed to each permanent establishment the net business income which it might be expected to derive if it were an independent enterprise engaged in the same or similar activities under the same or similar conditions Such net income will in principle be determined on the basis of the separate accounts pertaining to such establishment [hellip]

The fiscal authorities of the contracting States shall when necessary in execution of the preceding paragraph rectify the accounts produced notably to correct errors or omissions or to re-establish the prices or remunerations entered in the books at the value which would prevail between independent persons dealing at armrsquos length

If an establishment does not produce an accounting showing its own operations [hellip] the fiscal authorities may determine empirically the business income by applying a percentage to the turnover of that establishment [hellip]

(hellipsuite)

socieacuteteacutes lieacutees fondeacutee sur le principe de pleine concurrence M B CARROLL preacuteciteacute note 43 pp 38-42

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 451

If the methods of determination described in the preceding paragraphs are found to be inapplicable the net business income of the permanent establishment may be determined by a computation based on the total income derived by the enterprise from the activities in which such establishment has participated [hellip]49 raquo (Notre soulignement)

Lrsquoutilisation explicite de lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length (laquo des personnes indeacutependantes qui font des affaires dans des conditions normales de concurrence raquo) laquelle deacutefinit une notion deacutejagrave connue et appliqueacutee au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis pour ce qui concerne les socieacuteteacutes lieacutees concourt agrave eacutenoncer sous une forme rudimentaire le principe de pleine concurrence Mecircme si en geacuteneacuteral ce principe srsquoapplique conjointement avec le principe de la comptabiliteacute seacutepareacutee lrsquoarticle 3 permet expresseacutement aux Eacutetats contractants en lrsquoabsence drsquoune comptabiliteacute distincte ou lorsque les comptes comptables distincts ne reflegravetent pas adeacutequatement la situation factuelle de recourir aux meacutethodes empiriques de reacutepartition dites meacutethodes secondaires50 La SDN dote ainsi les pays deacuteveloppeacutes aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables entre les juridictions fiscales de regravegles souples refleacutetant la pratique deacutejagrave eacutetablie et reacutepandue pour ce qui regarde lrsquousage des meacutethodes empiriques

Par ailleurs lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 consiste en la toute premiegravere disposition traitant speacutecifiquement dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale de la reacutepartition des beacuteneacutefices des filiales eacutetrangegraveres De fait il srsquoagit de lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 9 du Modegravele actuel de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE51 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 tire vraisemblablement son origine de lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France52 Constitueacute drsquoun seul court paragraphe le texte de 49 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4244 Lrsquoarticle

3 est lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 7 du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune version abreacutegeacutee juillet 2010 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 2010 raquo) (OECDilibrary)

50 Pour la revue de ces meacutethodes voir supra note 28 Les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutetablissements stables et celles applicables aux socieacuteteacutes lieacutees ont eacuteteacute eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE de maniegravere tout agrave fait distincte Agrave ce propos consulter la section 3 ci-dessous

51 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 52 Emmet M McCAFFERY laquo The Franco-American Convention Relative to Double

Taxation raquo (1936) vol 36 Columbia Law Review 382 (HeinOnLine Law Journal Library) p 382 Or lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France preacuteciteacute note 48 se fonde

(agrave suivrehellip)

452 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoarticle 5 agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 3 ne contient pas lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length et passe sous silence la possibiliteacute pour les administrations fiscales de recourir aux meacutethodes secondaires

laquo Article 5

When an enterprise of one contracting State has a dominant participation in the management or capital of an enterprise of another contracting State or when both enterprises are owned or controlled by the same interests and as the result of such situation there exists in their commercial of financial relations conditions different from those which would have been made between independant enterprises any item of profit or loss which should normally have appeared in the accounts of one enterprise but which has been in this manner diverted to the other enterprise shall be entered in the accounts of such former enterprise subject to the rights of appeal allowed under the law of the State of such enterprise53 raquo (Notre soulignement)

Toutefois le Comiteacute fiscal de la SDN deacutelaisse en 1935 lrsquoideacutee drsquoune convention multilateacuterale jugeant que la conclusion de conventions fiscales bilateacuterales repreacutesentait un moyen plus judicieux pour eacuteliminer la double imposition Le texte du nouveau projet de convention fiscale bilateacuterale54 qui concreacutetise la seconde tentative drsquointeacutegration du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale reproduit neacuteanmoins en substance celui du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 En particulier le libelleacute de lrsquoarticle 5 du projet de convention de 1933 est repris mot agrave mot dans le nouvel article VI du projet

(hellipsuite)

lui-mecircme sur lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 preacuteciteacute note 38 Agrave ce sujet voir M B CARROLL preacuteciteacute note 43 p 144 Brian D LEPARD laquo Is the United States Obligated To Drive on the Right A Multidisciplinary Inquiry into the Normative Authority of Contemporary International Law Using the Armrsquos Length Standard as a Case Study raquo (1999) vol 10 no 1 Duke Journal of Comparative amp International Law 43 (HeinOnline) p 69 Richard VANN laquo Do We Need 7(3) History and Purpose of the Business Profits Deduction Rule in Tax Treaties raquo Legal Studies Research Paper No 1018 University of Sydney mars 2011 (en ligne httppapersssrncomsol3 paperscfmabstract_id=1787805) p 11 Jens WITTENDORFF laquo The Transactional Ghost of Article 9(1) of the OECD Model raquo (2009) vol 63 no 3 Bulletin for International Taxation 107 p 108 (IBFD)

53 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4245 Les commentaires formuleacutes par la SDN ne fournissent aucun deacutetail sur les meacutethodes applicables

54 LEAGUE OF NATIONS Report to the Council of the Fifth Session of the Committee C252M1241935IIA Genegraveve 1935 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4249 (HeinOnline) pp 4253 et suiv

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 453

de 193555 Aussi vaine que celle de 1933 cette seconde tentative eacutechoue du fait que le projet nrsquoa jamais fait lrsquoobjet drsquoune approbation formelle des pays membres de la SDN Par contre les dispositions qursquoil contient sont inteacutegreacutees dans les projets de protocoles drsquoun modegravele theacuteorique adopteacute agrave Mexico en 1943 et reacuteviseacute subseacutequemment en 1946 agrave Londres56 La plupart des conventions fiscales bilateacuterales conclues apregraves la Deuxiegraveme Guerre mondiale sont drsquoailleurs reacutedigeacutees jusqursquoagrave lrsquoapparition du modegravele de lrsquoOCDE au deacutebut des anneacutees 1960 sur lrsquoexemple de Mexico ou de Londres57

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE

MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

La peacuteriode suivant la Deuxiegraveme Guerre mondiale donne lieu agrave la naissance des deux principaux modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales toujours en usage aujourdrsquohui aux fins de reacutegir les neacutegociations lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des conventions fiscales bilateacuterales Tant le modegravele de lrsquoOCDE que celui de lrsquoONU comprennent pour ce qui concerne la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees un eacutenonceacute du principe de pleine concurrence dont le contenu srsquoinspire fortement des projets de conventions multilateacuterales et bilateacuterales conccedilus par la SDN Il revient agrave lrsquoOrganisation europeacuteenne de coopeacuteration eacuteconomique (laquo OECE raquo) qui voit le jour en 1948 dans le contexte de la mise en œuvre du Plan Marshall suivie ensuite de lrsquoOCDE58 de prendre le relais des travaux meneacutes par la SDN sur la double imposition59

55 Id p 4254 56 LEAGUE OF NATIONS London and Mexico Model Tax Conventions Commentary

and Text C88M881946IIA Genegraveve 1946 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4319 (HeinOnline) Agrave la suite drsquoune renumeacuterotation les articles VI (eacutetablissements stables) et VII (socieacuteteacutes lieacutees) du protocole des modegraveles de Mexico et de Londres remplacent respectivement les articles III et VI du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1935 supra note 54 Le texte de lrsquoarticle VII du protocole des modegraveles de Mexico et Londres est quasi identique agrave celui de lrsquoarticle VI du projet de Modegravele de convention de 1935

57 The Elimination of Double Taxation Report of the Fiscal Committee of the OEEC Paris 1958 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4445 (HeinOnline) p 4455

58 Organisation creacuteeacutee en 1961 dont le siegravege social est situeacute agrave Paris elle se preacutesente comme un forum mondial de politique eacuteconomique ayant pour mission drsquolaquo aider les gouvernements agrave reacutealiser une croissance durable de lrsquoeacuteconomie et de lrsquoemploi ainsi qursquoune progression du niveau de vie dans les pays membres tout en maintenant la stabiliteacute financiegravere et agrave favoriser ainsi le deacuteveloppement de lrsquoeacuteconomie mondiale raquo

(agrave suivrehellip)

454 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE

(1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES

EacuteTATS-UNIS

Creacuteeacute en 1956 le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE se voit confier le mandat drsquoeacutelaborer une nouvelle proposition de convention fiscale bilateacuterale dans le but drsquouniformiser les regravegles des pays membres afin de preacutevenir la double imposition des beacuteneacutefices et de la fortune De septembre 1958 agrave aoucirct 1961 il expose dans quatre rapports distincts lrsquoensemble des articles et des commentaires qui servent drsquoassises au projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale concernant le revenu et la fortune acheveacute en 196360 Ayant succeacutedeacute entre-temps agrave lrsquoOECE lrsquoOCDE ne publie qursquoen 1977 le nouveau Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale Modegravele de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune61 Bien que ce dernier

(hellipsuite)

LrsquoOCDE compte actuellement 34 pays membres un pays est candidat agrave lrsquoadheacutesion (Russie) et cinq pays beacuteneacuteficient drsquoun laquo engagement renforceacute en vue drsquoune eacuteventuelle adheacutesion raquo (Breacutesil Chine Inde Indoneacutesie et Afrique du Sud) Le financement de lrsquoOCDE est assureacute par les pays membres les Eacutetats-Unis le pays contributeurs le plus important concourant agrave plus de 20 du budget Voir en ligne httpwwwoecdorgfrapropos Pour certains lrsquoOCDE consiste en un centre intergouvernemental drsquoeacutetudes et de recherches un club de pays riches voire un cartel Sur ce point consulter respectivement Paul KRUGMAN laquo Against Learned Helplessness raquo The New York Times 30 mai 2011 p A19 (en ligne httpwwwnytimescom20110530opinion30krugmanhtml_r=0) laquo Richrsquos Man Club (Organization for Economic Cooperation and Development) raquo The Economist (US) 30 janvier 1988 et Eduardo MORGAN Jr laquo Panama Finds Tax Haven Label Discriminatory raquo (2011) 62 Tax Notes International 483 p 484 (Tax Analysts)

59 Fondeacutee en 1945 lrsquoONU remplace la SDN laquelle est dissoute lrsquoanneacutee suivante Agrave ce sujet voir en ligne httpwwwunescoorgarchivessioFrepresentation_frphp idOrg=1024 Lrsquointeacuterecirct de la nouvelle organisation internationale pour le problegraveme de la double imposition disparaicirct au milieu des anneacutees 1950 mais renaicirct au milieu des anneacutees 1960 Voir la section 22 ci-dessous LrsquoONU compte actuellement 192 membres dont plusieurs sont aussi membres de lrsquoOCDE (en ligne httpwwwunorgfrmembers)

60 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Draft Double Taxation Convention on Income and Capital OECD Paris 1963 (laquo Projet de lrsquoOCDE 1963 raquo)

61 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Model Double Taxation Convention on Income and on Capital OECD Paris 1977 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 1977 raquo) LrsquoOCDE justifie le deacutelai de plus de 10 ans eacutecouleacute entre la publication du projet de 1963 preacuteciteacute et celle du Modegravele de 1977 par la neacutecessiteacute de reacuteviser le projet de 1963 afin de prendre en compte laquo lrsquoexpeacuterience acquise dans les pays membres lors de la neacutegociation ou de lrsquoapplication pratique de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 455

deacutecoule sans conteste de lrsquointerminable reacutevision du projet publieacute en 1963 crsquoest lrsquoanneacutee 1958 qui marque pourtant officiellement sa creacuteation62

Telle qursquoelle est exprimeacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de 1977 la reacutefeacuterence normative dans les pays deacuteveloppeacutes pour la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ne bouscule pas le passeacute Autant dire que le paragraphe 9(1) reprend sans le mentionner preacuteciseacutement le principe de pleine concurrence Crsquoest ainsi qursquoagrave deacutefaut de la mention explicite de lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo lrsquoeacutenonceacute de lrsquoOCDE officiel srsquoaligne sur le concept de lrsquoentreprise indeacutependante

laquo 9(1)

Lorsque

une entreprise drsquoun Eacutetat contractant participe directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant ou que

les mecircmes personnes participent directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise drsquoun Eacutetat contractant et drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant

(hellipsuite)

conventions bilateacuterales ainsi que des modifications intervenues dans les systegravemes fiscaux de ces pays du renforcement des relations fiscales internationales du deacuteveloppement de nouveaux secteurs drsquoactiviteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouvelles formes complexes drsquoorganisations des entreprises au niveau international raquo Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune vol I feuilles mobiles OCDE Paris 2004 (laquo Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 raquo) p I-3 Qui plus est le Modegravele de 1977 introduit le paragraphe 9(2) lequel preacutevoit un ajustement approprieacute du montant de lrsquoimpocirct deacutejagrave perccedilu par un autre Eacutetat contractant sur des beacuteneacutefices qui si les conditions convenues entre les deux socieacuteteacutes lieacutees avaient eacuteteacute celles convenues entre des entreprises indeacutependantes auraient eacuteteacute reacutealiseacutes dans le premier Eacutetat contractant

62 Jeffrey OWENS et Mary BENNETT laquo Le Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE no 269 octobre 2008 (en ligne httpwwwobservateurocdeorgnewsfullstoryphpaid2352Le_Mod_E8le_de_convention_fiscale_de_l_92OCDEhtml)

laquo En 1963 un projet complet eacutetait precirct mais il fallut attendre 1977 pour que le Modegravele de convention de double imposition soit publieacute Le texte de 1963 syntheacutetisait essentiellement quatre versions anteacuterieures dont la premiegravere avait eacuteteacute publieacutee en 1958 Crsquoest pourquoi le 1er juillet 1958 est consideacutereacute comme la date de naissance du Modegravele de lrsquoOCDE raquo

456 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

et que dans lrsquoun et lrsquoautre cas les deux entreprises sont dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions accepteacutees ou imposeacutees qui diffegraverent de celles qui seraient conclues entre les entreprises indeacutependantes les beacuteneacutefices qui sans ces conditions auraient eacuteteacute obtenus par lrsquoune des entreprises mais nrsquoont pu lrsquoecirctre en fait agrave cause de ces conditions peuvent ecirctre inclus dans les beacuteneacutefices de cette entreprise et imposeacutes en conseacutequence63 raquo (Notre soulignement)

Le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE64 demeureacute inchangeacute agrave ce jour comporte un libelleacute identique au texte de lrsquoarticle 9 du projet tel qursquoil a eacuteteacute publieacute en 196365 En fait les fondements historiques du paragraphe 9(1) remontent aussi loin qursquoau deacutebut des anneacutees 1930 Le fond de lrsquoarticle 9 est analogue agrave tous les articles relatifs agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees inclus dans les projets de conventions fiscales ou les conventions fiscales proposeacutes par la SDN agrave cette exception que lrsquoOECE remplace le terme laquo doivent raquo (shall) par laquo peuvent raquo (may) Ainsi lrsquoOCDE confegravere aux Eacutetats contractants le pouvoir de redresser les beacuteneacutefices sur la base de la notion drsquoentreprise indeacutependante alors que la SDN en imposait lrsquoobligation en vertu de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de lrsquoarticle VI du projet de convention fiscale bilateacuterale de 1935 ainsi que des articles VII du Protocole des conventions de Mexico et de Londres

Cependant les preacutecisions sur la faccedilon de mettre en œuvre le concept drsquoentreprise indeacutependante sont manquantes dans les commentaires reacutedigeacutes par lrsquoOCDE pour appliquer et interpreacuteter le paragraphe 9(1) du Modegravele publieacute en 197766 De ce point de vue lrsquoOCDE persiste comme la SDN agrave traiter la question de la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees en parent pauvre Brefs et laconiques les commentaires de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard du

63 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp M-21 et

M-22 64 Apregraves 1977 le titre du modegravele theacuteorique devient laquo Modegravele de convention fiscale

concernant le revenu et la fortune raquo id p I-6 Le contenu du modegravele de lrsquoOCDE sera modifieacute agrave quelques reprises la derniegravere reacutevision ayant eacuteteacute approuveacutee en juillet 2010 Voir Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49

65 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 p 47 Voir eacutegalement le texte de lrsquoarticle XVI contenu dans le troisiegraveme rapport preacutepareacute par le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE en 1960 ORGANISATION FOR EUROPEAN ECONOMIC CO-OPERATION The Elimination of Double Taxation Third Report of the Fiscal Committee 1960 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4567 (HeinOnline) p 4588

66 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 457

paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE de 1977 ne comportent qursquoun seul paragraphe

laquo Cet article traite des entreprises associeacutees (socieacuteteacutes megraveres et leurs filiales et socieacuteteacutes placeacutees sous controcircle commun) et son paragraphe 1 stipule que dans ces cas les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et ce paragraphe ne semble guegravere appeler de Commentaires Peut-ecirctre y a-t-il lieu de rappeler que les dispositions de ce paragraphe ne srsquoappliquent que lorsque des conditions speacuteciales ont eacuteteacute convenues ou imposeacutees entre les deux entreprises Aucune rectification des comptabiliteacutes des entreprises associeacutees nrsquoest autoriseacutee si leurs transactions se sont deacuterouleacutees aux conditions commerciales normales du marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance)67 raquo (Notre soulignement)

Drsquoun autre cocircteacute les Eacutetats-Unis deacuteveloppent en 1976 leur propre modegravele de convention fiscale bilateacuterale Le texte du paragraphe 9(1) du modegravele ameacutericain reproduit en substance celui du modegravele de lrsquoOCDE mis agrave part lrsquoajout drsquoun passage pour preacutevoir que le paragraphe 9(1) ne restreint pas les dispositions de la loi de lrsquoun ou lrsquoautre des Eacutetats contractants concernant la distribution la reacutepartition ou lrsquoallocation de revenus68 Comme les termes initiaux du modegravele ameacutericain sont suffisamment larges il nrsquoest pas exclu que

67 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p P C(9)-8

Jeffrey OWENS alors directeur du Centre de Politique et drsquoAdministration fiscale de lrsquoOCDE explique agrave la page 2 de son laquo Opening Speech raquo dans OECD Conference Transfer Princing and Treaties in a Changing World Paris 2009 (en ligne httpwwwoecdorgdataoecd182543744164pdf) lrsquoabsence de commentaires explicatifs comme suit

laquo The drafters of the 1963 Draft Convention did an excellent job of drafting Article 9 but perhaps lacked vision when they wrote that Commentary We all know now that this Article does in fact call for significant comment as our later work has shown raquo

Dans le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) comprennent quatre paragraphes Sur ce dernier point voir la section 3 ci-dessous Par comparaison les commentaires au sujet de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables preacutevue au paragraphe 7(2) du Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 pp 145-155 totalisent pas moins de 29 paragraphes

68 Chantal THOMAS laquo Customary International Law and State Taxation of Corporate Income The Case for the Separate Accounting Method raquo (1996) vol 14 no 1 Berkeley Journal of International Law 99-136 (HeinOnLine Law Journal Library) p 128

458 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ceux-ci puissent permettre aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees lrsquousage drsquoune meacutethode autre que celle fondeacutee sur les principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoindeacutependance des entreprises69 Toutefois en 1996 agrave la suite drsquoune modification leacutegislative le texte de lrsquoarticle 9 du modegravele ameacutericain devient en tout point similaire agrave celui du Modegravele de lrsquoOCDE70

Depuis plus de 50 ans le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE traduit la preacuteoccupation drsquoassurer la peacuterenniteacute en droit fiscal international public drsquoune norme pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees qui agrave lrsquoeacutepoque ougrave Carroll a meneacute son eacutetude nrsquoeacutetait qursquoune simple regravegle administrative71 Partant lrsquoOCDE exerce une influence preacutepondeacuterante sur la mise en place de leacutegislations et de pratiques administratives nationales en promouvant une utilisation reacutepandue du concept de pleine concurrence dans les pays deacuteveloppeacutes De surcroicirct cette autoriteacute se manifeste bien au-delagrave des pays membres de lrsquoOCDE allant mecircme jusqursquoagrave lrsquoutilisation du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale comme mateacuteriau de base des travaux meneacutes par lrsquoONU pour contrer la double imposition

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU

(1980)

Lrsquointeacuterecirct de lrsquoONU pour la question de lrsquoeacutelimination de la double imposition resurgit en reacuteaction contre le projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE diffuseacute en 1963 Les pays en deacuteveloppement manifestent en ce temps-lagrave de la reacuteticence agrave employer un projet de modegravele agrave lrsquoeacutelaboration duquel ils nrsquoont pas participeacute et qui privileacutegie davantage le pays de la reacutesidence que celui de la source pour attribuer les droits drsquoimposition des revenus entre les juridictions fiscales72 Formeacute en 1968 le groupe de travail de lrsquoONU sur les conventions fiscales fait le choix utilitaire de 69 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 pp 111-112 70 Id p 112 71 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 72 Stanley S SURREY laquo United Nations Group of Experts and the Guidelines for Tax

Treaties Between Developed and Developing Countries raquo (1978) vol 19 no 3 Harvard International Law Journal 1 (HeinOnline) pp 6-7 Suivant le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE le pays de reacutesidence drsquoune socieacuteteacute peut imposer le revenu de source mondiale de cette derniegravere alors que le pays de la source ne peut imposer que le revenu de cette socieacuteteacute eacutetrangegravere dont la source est situeacutee dans ce pays

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 459

prendre comme point de deacutepart de ses reacuteflexions le projet et le modegravele theacuteorique de convention fiscale publieacutes respectivement en 196373 et en 197774 par lrsquoOCDE75 Lors de la derniegravere reacuteunion tenue en 1977 ce groupe de travail recommande la reacutedaction drsquoun projet de Modegravele de convention fiscale Il est inteacuteressant de constater que lrsquoexposeacute des grandes lignes des principes geacuteneacuteraux devant reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees coiumlncide avec celles deacutefinies par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE dans le Modegravele theacuteorique de convention de 197776

73 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 74 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61 75 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et

sociales internationales Modegravele de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESA102 New York 1980 (laquo Modegravele de lrsquoONU 1980 raquo) p 4

laquo [L]e Groupe drsquoexperts avait deacutecideacute drsquoutiliser le Modegravele de convention de lrsquoOCDE comme principal texte de reacutefeacuterence en vue de tirer parti de la compeacutetence technique accumuleacutee par lrsquoOCDE telle qursquoelle est concreacutetiseacutee dans ce modegravele et dans les commentaires y relatifs compte tenu de consideacuterations de commoditeacute pratique lieacutees au fait que ce modegravele est utiliseacute par les pays membres de lrsquoOCDE dans la neacutegociation de conventions fiscales non seulement entre eux mais avec des pays en deacuteveloppement raquo

76 UNITED NATIONS DEPARTMENT OF ECONOMIC AND SOCIAL AFFAIRS Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Seventh Report Report of the Group of Experts on Tax Treaties Between Developed and Developing Countries on the Work of its Seventh Meeting Doc NU STESA79 New York 1978 Degraves les deux premiegraveres reacuteunions le groupe de travail convient de fonder la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les entiteacutes lieacutees sur le principe de pleine concurrence et estime agrave la page 30 que la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee crsquoest-agrave-dire laquo [w]hat was sometimes called the direct method of arriving at the profit of a branch or subsidiary by apportioning to it some part of the global profits of the whole enterprise of the group was not strictly a method of arriving at the armrsquos length price but was not necessarily incompatible with the objective of attributing the armrsquos length profit to the relevant taxpayer raquo peut ecirctre utiliseacutee en dernier recours par les administrations fiscales pour reacutepartir les beacuteneacutefices des succursales et des filiales seulement si la meacutethode des prix comparables sur le marcheacute la meacutethode du prix de revente et la meacutethode du prix de revient majoreacute ne sont pas applicables Lrsquoexposeacute des grandes lignes suppose que le futur modegravele de convention fiscale contiendra notamment un article similaire agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE visant les transactions entre les socieacuteteacutes megraveres et ses filiales Sur ce point voir S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 54

460 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Adopteacute en 1979 et publieacute en 198077 le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU est semblable au Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 agrave plusieurs eacutegards en particulier quant au texte du paragraphe 9(1)78 Il nrsquoy a pas de distinction entre les points de vue de lrsquoONU et de lrsquoOCDE quant au choix de la norme internationale agrave appliquer pour reacutepartir les beacuteneacutefices parmi les juridictions fiscales les deux organisations internationales optent pour le principe de pleine concurrence Par contre le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comporte des diffeacuterences significatives agrave lrsquoavantage des pays en deacuteveloppement Notamment les pays de la source y conservent des droits drsquoimposition plus importants que ceux preacutevus dans le Modegravele de lrsquoOCDE drsquoougrave entre autres une deacutefinition de lrsquoexpression laquo eacutetablissement stable raquo dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU plus large que celle dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE79

Quant agrave la faccedilon drsquoappliquer et drsquointerpreacuteter le principe de pleine concurrence les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoONU reacuteitegraverent essentiellement les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE80 Depuis 1999 les commentaires mentionnent

77 Supra note 75 Il est reacuteviseacute en 1999 (mise agrave jour publieacutee en 2001) et en 2011 Voir

ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales Modegravele de Convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESAPASSERE21 2001 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxunmodelhtm) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2001 raquo) UNITED NATIONS Economic and Social Affairs United Nations Model Double Taxation Convention Between Developed and Developing Countries New York 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffddocumentsUN_Model_2011_ Updatepdf) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2011 raquo)

78 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT Transfer Pricing UNCTAD Series on Issues in International Investment Agreements New York 1999 (en ligne httpwwwunctadorgendocspsiteiitd11v1enpdf) p 18 Toutefois le paragraphe 9(3) ajouteacute en 1999 eacutenonce qursquoun pays nrsquoa pas lrsquoobligation drsquoeffectuer le rajustement correacutelatif preacutevu au paragraphe 9(2) lorsque lrsquoune des entreprises est en vertu drsquoune proceacutedure leacutegale trouveacutee passible drsquoune peacutenaliteacute pour fraude faute lourde ou deacutefaillance agrave lrsquoeacutegard drsquoactions lieacutees au rajustement des beacuteneacutefices Voir Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 pp 16 et 129-130

79 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 art 5 Par exemple un chantier de construction se prolongeant plus de six mois constitue un eacutetablissement stable alors que suivant le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 art 5 sa dureacutee doit ecirctre de plus de 12 mois

80 Dans le Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 75 les commentaires incorporent sous la forme drsquoextraits placeacutes entre guillemets une grande partie des commentaires de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 461

explicitement que les Eacutetats contractants appliquent le principe de pleine concurrence en se conformant aux lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert81 Neacuteanmoins la derniegravere mise agrave jour adopteacutee agrave lrsquoautomne 2011 nuance le renvoi aux lignes directrices de lrsquoOCDE en preacutecisant que les Eacutetats contractants suivront ces lignes directrices dans la plupart des cas (normally)82

Il srsquoest donc eacutecouleacute une peacuteriode de plus de 40 ans entre la publication des conclusions de lrsquoeacutetude internationale de droit compareacute de la SDN (1933) et lrsquoeacutelaboration des Modegraveles theacuteoriques de lrsquoOCDE (1977) et de lrsquoONU (1980) Instigatrice de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit international public la SDN promeut au rang de critegravere principal pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees degraves les anneacutees 1930 une notion appliqueacutee sur le plan administratif par le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain et lrsquoIRS Faisant siennes les conclusions de Mitchell Carroll la SDN importe cette notion dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes deacuteclassant ainsi la reacutepartition globale des beacuteneacutefices pourtant deacutejagrave mise en œuvre leacutegislativement dans deux pays (Espagne et Suisse)83 Le processus de deacuteveloppement du concept de pleine concurrence deacutebute presque au mecircme moment que la publication du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE

(hellipsuite)

lrsquoOCDE diffuseacutes en 1977 En 2001 le modegravele de lrsquoONU omet les guillemets et fait siens mot pour mot les commentaires de lrsquoOCDE supra note 77 p 125

laquo Ce paragraphe [9(1)] dispose que les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et le paragraphe nrsquoappelle guegravere de commentaires [hellip] raquo

81 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 p 124 Pour ce qui concerne les lignes directrices de lrsquoOCDE voir la section 3 ci-dessous

82 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax Matters Seventh Session Note on Proposed Update of United Nations Model Tax Convention Doc NU EC182011CRP2Add1 Genegraveve 12 octobre 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxseventhsessionindexhtm) p 126

83 LrsquoEspagne et la Suisse adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave ce sujet voir la section 611 du preacutesent texte

462 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT

DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE

APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES

Instruments juridiques deacutesormais indispensables les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU enchacircssent le principe de pleine concurrence pour reacutepartir entre les pays lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices imposables deacutecoulant des relations commerciales internes eacutetablies parmi les socieacuteteacutes lieacutees drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales Les paragraphes 9(1) des Modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU expriment assureacutement une norme si tant est qursquoen theacuteorie une norme (standard) se distingue drsquoune regravegle (rule) par le fait que sa signification preacutecise contrairement agrave celle drsquoune regravegle nrsquoest pas compte tenu de sa formulation deacutejagrave connue drsquoavance84 De surcroicirct les commentaires relatifs aux paragraphes 9(1) des modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU publieacutes initialement en 1977 et en 1980 ne preacutecisent en rien la faccedilon drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer en pratique le principe de pleine concurrence85

Cependant au milieu des anneacutees 1970 les pays deacuteveloppeacutes amorcent et contribuent sans surprise agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun compleacutement drsquoinformation au paragraphe 9(1) du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE afin de deacutefinir le principe de pleine concurrence La reacutedaction drsquoun premier guide drsquoinstructions destineacute agrave eacuteclairer les administrations fiscales et les entreprises multinationales dont la version remanieacutee srsquoapplique encore aujourdrsquohui ne se reacutealise en droit fiscal international public que plus de 45 ans apregraves lrsquoeacutetude de Carroll et lrsquoadoption par la SDN de principes geacuteneacuteraux sous-tendant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Il nrsquoy a pas de doute que lrsquoaventure du deacuteploiement du contenu descriptif et explicatif du principe de pleine concurrence est lrsquoaffaire exclusive de lrsquoOCDE lrsquoONU nrsquoy accordant de lrsquoattention qursquoagrave partir de la fin des anneacutees 2000

84 Eduardo BAISTROCCHI laquo The Transfer Pricing Problem A Global Proposal for

Simplification raquo (2005-2006) vol 59 no 4 Tax Lawyer 941 (HeinOnline Law Journal Library) pp 951-952

85 Voir la section 2 ci-dessus En 1973 le groupe de travail creacuteeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement conccediloit des directives en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement Fondeacutees sur le principe de pleine concurrence et eacutenonceacutees dans le mecircme ordre de preacutesentation que les articles du projet de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1963 aucune drsquoelles ne concerne speacutecifiquement le paragraphe 9(1) UNITED NATIONS Department of Economic and Social Affairs Guidelines for Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Doc NU STESA14 New York 1974

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 463

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE

CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS

Pour commencer lrsquoOCDE publie en 1979 un rapport qui expose les premiegraveres lignes directrices deacutetailleacutees sur les prix de cession interne convenus entre les socieacuteteacutes lieacutees86 Depuis lors lrsquoOCDE srsquoefforce dans le cadre drsquoun processus de reacutevision continu drsquoimplanter lrsquoideacutee de la fixation des prix de transfert transaction par transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence Le rocircle preacutedominant et soutenu joueacute par lrsquoOCDE dans la conception de multiples lignes directrices conduit apregraves plus de trois deacutecennies au deacuteploiement de plus en plus ample drsquoun ensemble de regravegles agrave observer autant par les pays membres de lrsquoOCDE que ceux de lrsquoONU aux fins de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence

311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE

Bien que le rapport diffuseacute en 1979 se borne sans plus agrave sous-entendre que le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 serait lrsquoexpression du principe de pleine concurrence87 il nrsquoen reste pas moins vrai que ces lignes directrices constituent les ancecirctres des actuels Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert Crsquoest que ce rapport preacutesente un cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse issu justement du paragraphe 9(1) pour

86 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport du Comiteacute des Affaires Fiscales Prix de transfert et entreprises multinationales OCDE Paris 1979 (laquo Rapport de 1979 raquo) Il comporte 106 pages et sa porteacutee est geacuteneacuteralement restreinte tel qursquoil est indiqueacute dans la note de bas de page no 1 agrave la page 11 aux transactions intersocieacuteteacutes Les lignes directrices contenues dans ce rapport deviennent en 1992 une partie inteacutegrante des commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE en raison de lrsquoajout dans les commentaires mecircmes drsquoun renvoi expregraves agrave celles-ci Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p C(9)-8 La Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales adopteacutee en 1976 reacuteexamineacutee et reconduite en 1979 1982 1984 1991 2000 2010 et 2011 prend la forme drsquoun code de conduite reacutedigeacute en termes geacuteneacuteraux et se limite agrave suggeacuterer aux entreprises multinationales de ne pas user des prix de cession interne non conformes aux prix de libre concurrence Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Investissement international et entreprises multinationales Paris 1979 pp 19-20

87 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 8-9 Il ne fournit aucune explication quant agrave lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence mais preacutesente aux pages 23 agrave 25 le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 et des extraits de la Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales de 1976 supra note 86 comme des textes de reacutefeacuterence

464 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

orienter les administrations fiscales et les entreprises multinationales sur la faccedilon drsquoappliquer en pratique le principe du prix de pleine concurrence En outre il marque le deacutebut par lrsquoOCDE de lrsquolaquo opeacuterationnalisation raquo du principe de pleine concurrence88 Fait indeacuteniable lrsquoOCDE nrsquoa pas de cesse agrave partir du moment ougrave ce cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse est mis en avant de srsquoemployer par la suite agrave formuler le contenu du concept theacuteorique de pleine concurrence et agrave concevoir des indicateurs permettant drsquoeacutevaluer les prix de transfert de pleine concurrence89

Du point de vue des pays deacuteveloppeacutes le rapport de 1979 incarne le passage deacutecisif de lrsquoeacutenonceacute drsquoun principe geacuteneacuteral pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ndash soit le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ndash agrave des lignes directrices preacutecises deacutefinissant les regravegles et les meacutethodes speacutecifiques pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions en particulier Agrave vrai dire la perspective transactionnelle procircneacutee dans le rapport nrsquoest pas une innovation attribuable agrave lrsquoOCDE et reflegravete lrsquoimportante influence ameacutericaine en matiegravere de prix de transfert sur lrsquoOCDE Les Eacutetats-Unis ont les premiers chercheacute agrave fixer des regravegles leacutegislatives deacutetailleacutees pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions speacutecifiques et deacuteveloppeacute sous la houlette de Stanley Surrey90 une

88 S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 770 Le terme laquo opeacuterationnalisation raquo signifie

laquo donner un contenu descriptif agrave des concepts theacuteoriques raquo Voir la banque de donneacutees terminologiques Termium Plus (en ligne httpwwwbtbtermiumplusgcca tpv2alphaalphafrahtmllang=fraampi=1ampindex=entamp__index=entampsrchtxt=operationalizationampcomencsrchx=9ampcomencsrchy=12)

89 Voir les sections 312 et 313 du preacutesent texte 90 Professeur de droit fiscal agrave la faculteacute de droit de lrsquoUniversiteacute Harvard il occupe sous

les administrations Kennedy et Johnson la fonction de Secreacutetaire adjoint au deacutepartement du Treacutesor ameacutericain de 1961 agrave 1969 Paul R McDANIEL laquo Celebrating Stanleyrsquos Gifts raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 341 (HeinOnline Law Journal Library) p 341 Certains preacutetendent qursquoil a domineacute la politique fiscale ameacutericaine et internationale au cours de ces huit anneacutees Consulter Donald C LUBICK laquo A View from Washington raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 338 (HeinOnline Law Journal Library) p 338 Comme Surrey exerccedilait la fonction de conseiller speacutecial du Comiteacute exeacutecutif du groupe drsquoexperts formeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement il est possible qursquoil ait promu la vision ameacutericaine du principe de pleine concurrence et pu ainsi exercer une quelconque influence sur lrsquoONU dans le contexte de lrsquoeacutelaboration du Modegravele de convention fiscale de lrsquoONU quant au choix du principe de pleine concurrence (approche transactionnelle) comme norme pour reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Sur ce point voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 771 et S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 652 Agrave supposer que cela soit le cas lrsquoapproche ameacutericaine apparaicirct ecirctre un eacuteleacutement deacuteterminant pour le deacuteveloppement en droit international public des canons en matiegravere de prix de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 465

perspective transactionnelle pour mettre en application le principe de pleine concurrence au niveau national

Notamment les trois meacutethodes principales recommandeacutees par lrsquoOCDE aux fins drsquoeacutetablir un prix de transfert agrave lrsquoeacutegard drsquoune transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence sont exactement les mecircmes que celles eacutedicteacutees en 1968 dans la reacuteglementation ameacutericaine relative agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code91 la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence la meacutethode du coucirct majoreacute et la meacutethode du prix de revente92 Quant agrave la meacutethode globale des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la reacutepartition des beacuteneacutefices totaux drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales selon des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies le rapport de 1979 la rejette sans aucune autre explication que son incompatibiliteacute supposeacutee avec les articles 7 et 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE93 Drsquoun autre cocircteacute mecircme si lrsquoOCDE admet theacuteoriquement lrsquoutilisation de meacutethodes de substitution dans le cas ougrave les trois meacutethodes de base susmentionneacutees sont inapplicables agrave certaines transactions lrsquoacceptation de telles meacutethodes paraicirct

(hellipsuite)

transfert Pour lrsquohistorique du deacuteveloppement de lrsquoapproche transactionnelle radicale ameacutericaine dans la reacuteglementation adopteacutee en 1968 laquelle favorise notamment la recherche de transactions comparables voir S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 642-649

91 Avant 1968 les regraveglements ameacutericains se limitaient agrave eacutenoncer le principe de pleine concurrence comme principe fondamental sous-tendant lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code ou sa version leacutegislative anteacuterieure lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 sans prescrire lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de deacutetermination des prix de transfert en particulier UNITED STATES Treasury Department and Internal Revenue Service A Study of Intercompany Pricing Claitorrsquos Baton Rouge 1988 (en ligne httpwwwarchiveorgdetailsstudyofintercomp00unit) pp 6-12 (laquo Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute raquo)

92 Jinyan LI laquo Global Profit Split An Approach to International Income Allocation raquo (2002) vol 50 no 3 Revue fiscale canadienne 823-883 (Taxfind) p 860 Le chapitre 1 du Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 13-14 deacutefinit sommairement les meacutethodes susmentionneacutees lesquelles srsquoappliquent geacuteneacuteralement agrave toutes les cateacutegories de transactions comme suit la premiegravere meacutethode consiste agrave laquo [s]e reacutefeacuterer directement au prix qui serait pratiqueacute dans des transactions comparables entre des entreprises indeacutependantes ou entre une entreprise drsquoun groupe et une entreprise indeacutependante raquo la seconde implique que lrsquolaquo on part du coucirct de la fourniture des biens ou services et [qursquo]on y ajoute les coucircts et la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo tandis que dans la meacutethode du prix de revente laquo on part du prix de vente final dont on deacutefalque la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo LrsquoOCDE recommande aussi comme quatriegraveme meacutethode toutes autres meacutethodes jugeacutees acceptables

93 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 p 14

466 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

incertaine vu la confusion eacutevidente dans le rapport de 1979 des meacutethodes du partage des beacuteneacutefices avec la meacutethode globale94

312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE

Coupant court agrave lrsquoambiguiumlteacute des meacutethodes de substitution deacutecoulant du rapport de 1979 les Principes directeurs publieacutes en 199595 qui annulent et remplacent les premiegraveres lignes directrices teacutemoignent par-dessus tout de lrsquointeacuterecirct manifeste de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices en particulier la meacutethode du partage des beacuteneacutefices pour estimer les prix de pleine concurrence96 De ce point de vue les nouvelles lignes directrices convergent avec les conclusions de lrsquoeacutetude reacutealiseacutee au deacutebut des anneacutees 1990 par lrsquoAssociation fiscale internationale (laquo IFA raquo) sur la compatibiliteacute des meacutethodes de substitution avec le principe de pleine concurrence la meacutethode de la division des beacuteneacutefices consiste en la meacutethode de substitution la plus utiliseacutee dans les pays membres de lrsquoIFA97 Prise en 1992 la deacutecision du Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE de reacuteviser les lignes directrices eacutenonceacutees 13 ans auparavant surgit en reacuteaction contre la diffusion de regraveglements ameacutericains introduisant une nouvelle meacutethode de deacutetermination des prix de transfert fondeacutee sur les beacuteneacutefices98

94 Id pp 46-47 95 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales feuilles mobiles Paris 1995 (laquo Principes directeurs de 1995 raquo) Comportant 175 pages le document est diviseacute en cinq chapitres

96 Frances M HORNER laquo International Cooperation and Understanding Whatrsquos New About The OECDrsquos Transfer Pricing Guidelines raquo (1996) vol 50 no 2 University of Miami Law Review 577 (HeinOnline Law Journal Library) pp 589-591

97 Guglielmo MAISTO laquo Rapport geacuteneacuteral raquo dans laquo Deacutetermination des prix de transfert en lrsquoabsence de prix de marcheacute comparables raquo vol LXXVIIa Cahiers de droit fiscal international IFA Cancun 1992 (laquo IFA 1992 raquo) pp 114-116 Les facteurs de reacutepartition (deacutepenses actifs chiffre drsquoaffaires etc) de la meacutethode de la division des beacuteneacutefices ne sont pas preacuteeacutetablis mais deacutetermineacutes par lrsquoadministration fiscale agrave la suite drsquoune analyse des fonctions exerceacutees par lrsquoentreprise multinationale

98 AD HOC GROUP OF EXPERTS ON INTERNATIONAL COOPERATION IN TAX MATTERS Tenth Meeting Transfer Pricing History State of the Art Perspectives Doc NU STSGAC82001CRP6 26 juin 2001 (en ligne httpunpan1unorg intradocgroupspublicdocumentsununpan004399pdf) (laquo ONU Transfer Pricing History raquo) pp 12-19 Lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code tel que modifieacute par la Tax Reform Act of 1986 preacutevoit que les beacuteneacutefices reacutesultant du transfert ou de lrsquooctroi drsquoune licence drsquoun bien incorporel doivent ecirctre proportionnels aux beacuteneacutefices

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 467

Fait agrave noter ces Principes directeurs preacutesentent explicitement le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE comme lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute agrave lrsquoeacutegard du principe de pleine concurrence99 Du reste ils preacutecisent davantage les regravegles et la deacutemarche concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence que ne le faisait le rapport de 1979100 Le cadre drsquoanalyse suggeacutereacute est plus structureacute et les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent deacutesormais une plus grande importance

Plusieurs eacuteleacutements nouveaux apparaissent dans les lignes directrices notamment lrsquoanalyse de comparabiliteacute101 dont lrsquoune des eacutetapes de reacutealisation lrsquoanalyse fonctionnelle est degraves 1988 mise de lrsquoavant aux (hellipsuite)

attribuables agrave ce bien incorporel Le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain cherche ainsi agrave reacutesoudre les difficulteacutes relatives agrave la deacutetermination des prix des biens incorporels qui possegravedent un potentiel de profits eacuteleveacutes pour lesquels il nrsquoexiste pas de transactions comparables et qui sont transfeacutereacutes des Eacutetats-Unis vers des refuges fiscaux Voir Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 45-55 Comme le preacutecise le document de lrsquoOCDE intituleacute Les aspects fiscaux des prix de transfert pratiqueacutes au sein des entreprises multinationales ndash Les propositions ameacutericaines de regraveglements Un rapport du Comiteacute des Affaires fiscales sur les propositions de regraveglements au titre de lrsquoarticle 482 du Code des impocircts (IRC) des Eacutetats-Unis OCDE Paris 1993 pp 27-28 la conformiteacute au principe de pleine concurrence de la nouvelle meacutethode de deacutetermination de prix de transfert introduite dans les regraveglements ameacutericains est mise en doute par lrsquoOCDE

laquo Le Groupe drsquoeacutetude considegravere que mecircme si [sic] en theacuteorie la meacutethode des beacuteneacutefices comparables qui sous-tend [sic] les propositions de regraveglements peut reflegraveter [sic] un beacuteneacutefice de pleine concurrence de mecircme qursquoun prix comparable peut reflegraveter [sic] un prix de pleine concurrence la mise en pratique de la theacuteorie soulegraveve de graves difficulteacutes Le poids consideacuterable confeacutereacute agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables dans les propositions de regraveglements accentue le risque de parvenir agrave un reacutesultat qui ne soit pas conforme au principe de pleine concurrence Srsquoil est souvent difficile de trouver un prix comparable il peut ecirctre tout aussi difficile de trouver un beacuteneacutefice comparable Le Groupe drsquoeacutetude estime que lrsquoapproche du partage des beacuteneacutefices pose moins de problegravemes bien qursquoil ne srsquoagisse pas non plus drsquoune approche baseacutee sur les transactions Crsquoest pourquoi elle a eacuteteacute utiliseacutee de preacutefeacuterence agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables par les administrations fiscales dans le cas ougrave les meacutethodes baseacutees sur les transactions ne sont pas disponibles raquo (Notre soulignement)

99 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 16 Agrave lrsquoinstar du Rapport de 1979 ils nrsquoexpliquent pas lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence

100 F M HORNER preacuteciteacute note 96 pp 579-586 101 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 115-135

468 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Eacutetats-Unis102 Qui plus est lrsquointroduction de la notion ineacutedite de laquo meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices raquo accentue encore plus lrsquoapproche transactionnelle adopteacutee par lrsquoOCDE en 1979 Compte tenu de ce qui preacutecegravede il est vraisemblable que ces Principes directeurs soient dans les circonstances le reacutesultat drsquoun compromis neacutegocieacute qui dissimule les diffeacuterences theacuteoriques et pratiques en matiegravere de prix de transfert entre les Eacutetats-Unis et les autres pays de lrsquoOCDE Certains avancent lrsquoopinion que lrsquoOCDE aurait consenti agrave permettre lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices sous reacuteserve que les Eacutetats-Unis acceptent de maintenir une application prioritaire des trois meacutethodes de base fondeacutees sur les transactions103

Si tant est que cette solution intermeacutediaire ait permis de deacutenouer lrsquoimpasse dans laquelle srsquoeacutetaient enfermeacutes lrsquoOCDE et les Eacutetats-Unis elle contribue bien entendu agrave maintenir le consensus international autour du principe de pleine concurrence104 Agrave compter du milieu des anneacutees 1990 des dizaines de pays choisissent drsquointeacutegrer dans leur leacutegislation fiscale nationale respective des mesures leacutegislatives conformes au principe de pleine concurrence de sorte que ce dernier est veacuteritablement devenu une norme accepteacutee agrave lrsquoeacutechelon international comme mesure leacutegislative fiscale pour reacutegir les prix de transfert105 Pour les pays membres de lrsquoOCDE plusieurs raisons justifient le refus de lrsquoabandon du principe de pleine concurrence la neutraliteacute dans le traitement des socieacuteteacutes lieacutees et des socieacuteteacutes indeacutependantes la faciliteacute drsquoapplication dans la plupart des cas la soliditeacute des fondements theacuteoriques le caractegravere satisfaisant des niveaux de beacuteneacutefices deacutetermineacutes pour les administrations fiscales la reacutepartition proportionnelle des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees membres du groupe calculeacutee en fonction des activiteacutes

102 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 94-97 En bref

lrsquoanalyse fonctionnelle vise agrave deacuteterminer les entiteacutes speacutecifiques qui ont la responsabiliteacute des risques et la proprieacuteteacute des biens incorporels au sein du groupe multinational drsquoentreprises Valerie AMERKHAIL laquo Armrsquos Length or Formulary Aportionment Sometimes the Best Choice is Both raquo (2000) vol 9 no 13 Tax Management Transfer Pricing Report 25 p 29

103 J LI preacuteciteacute note 92 p 861 et R VANN preacuteciteacute note 35 p 137 104 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 113-114 105 La plupart des pays adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave la fin

de lrsquoanneacutee 2011 quelque 100 pays avaient adopteacute des regravegles sur les prix de transfert UN Practical Transfer Pricing Manual for Developing Countries chap 1 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm) par 192 (laquo Manuel de lrsquoONU raquo)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 469

eacuteconomiques de chacune drsquoelles lrsquoacceptation de la norme sur le plan international et lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement reacutealiste106

En parallegravele ces mecircmes pays membres rejettent la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme solution de remplacement au principe de pleine concurrence Le refus agrave la diffeacuterence des lignes directrices de 1979 est exprimeacute de faccedilon cateacutegorique107 Loin drsquoecirctre entiegraverement nouveaux les principaux arguments invoqueacutes agrave lrsquoappui de ce refus soit les difficulteacutes lieacutees agrave la coordination et agrave la coopeacuteration internationales sur les formules preacuteeacutetablies agrave la deacutetermination de la composition du groupe multinational agrave la neacutecessiteacute drsquoun systegraveme comptable commun ainsi qursquoagrave lrsquoutilisation des formules arbitraires srsquoapparentent agrave ceux mentionneacutes au deacutebut des anneacutees 1930 dans les conclusions de lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices dirigeacutee par Carroll108

313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE

Agrave partir de 1995 les Principes directeurs sont lrsquoobjet drsquoune reacutevision permanente Durant la peacuteriode de 1996 agrave 1999 le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE srsquoaffaire notamment agrave formuler des Principes directeurs additionnels visant entre autres les services intragroupes les biens incorporels les accords de reacutepartition de coucircts et les accords preacutealables de prix Puis en 2010 lrsquoOCDE reacutevise en profondeur les chapitres I agrave III des Principes directeurs lesquels traitent du principe de pleine concurrence et des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert et ajoute le nouveau chapitre IX relatif aux prix de transfert des reacuteorganisations drsquoentreprises Deux sujets prioritaires preacuteoccupent lrsquoOCDE les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices et la reacutealisation de lrsquoanalyse de comparabiliteacute

Forte de lrsquoexpeacuterience acquise depuis 1995 dans lrsquoapplication des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices lrsquoOCDE abandonne la hieacuterarchie des meacutethodes de prix de transfert et recommande deacutesormais que la meacutethode de deacutetermination des prix de transfert choisie soit laquo la meacutethode la plus approprieacutee dans un cas speacutecifique raquo109 Virage important srsquoil en est un 106 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 17 18 113 et 114 107 Id par 114 et 358 agrave 374 108 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 109 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes de lrsquoOCDE applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales juillet 2010 (OECDiLibrary) (laquo Principes directeurs de 2010 raquo) par 22

470 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE ayant toujours accordeacute depuis 1979 la preacutefeacuterence aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles110 Quant aux analyses de comparabiliteacute lrsquoOCDE reconduit les indications geacuteneacuterales eacutenonceacutees au chapitre I relativement aux cinq critegraveres de comparabiliteacute et fournit dans le chapitre III reacuteviseacute des explications deacutetailleacutees au sujet du processus relatif agrave la reacutealisation de telles analyses lequel nrsquoinclut pas moins de neuf eacutetapes111

Les modifications de lrsquoOCDE sont calqueacutees grosso modo sur la position eacutenonceacutee dans les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code adopteacutes en juillet 1994 par le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis112 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous pouvons argumenter en faveur de lrsquoexistence drsquoune grande similitude entre drsquoune part certaines regravegles et meacutethodes preacutevues dans les lignes directrices de lrsquoOCDE publieacutees en 1979 1995 et 2010 et drsquoautre part les regraveglements ameacutericains qui ont trait aux prix de transfert Certains qui conjecturent sur cette similitude sont porteacutes agrave induire que celle-ci serait le fruit de la politique fiscale ameacutericaine deacutefendue dans les anneacutees 1960 par Stanley Surrey visant agrave propager les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et agrave les faire accepter dans les pays partout dans le monde comme regravegles de reacutepartition des beacuteneacutefices113

Agrave force de raffiner lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence les Principes directeurs de 2010 totalisent un nombre de pages presque quatre fois plus eacuteleveacute que les lignes directrices publieacutees en 1979114 Le cadre drsquoanalyse proposeacute par lrsquoOCDE est de plus en plus structureacute deacutetailleacute et complexe alors que les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent une importance de plus en plus grande Concept theacuteorique geacuteneacuteral au deacutepart il ne fait pas de doute que le principe de 110 ERNST amp YOUNG 2010 Global Transfer Pricing Survey Addressing the Challenges

of Globalization EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublication vwLUAssetsGlobal_transfer_pricing_survey_2010$FILE2010Globaltransferpricingsurvey_17Janpdf) p 13

111 Lrsquoobligation drsquoaccomplir une analyse de comparabiliteacute drsquoabord deacuteveloppeacutee dans les Principes directeurs de 1995 puis raffineacutee en 2010 nrsquoest pas preacutevue expresseacutement dans le texte du paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE

112 TD 8552 1994-2 CB 93 Sur ce point voir US DEPARTMENT OF THE TREASURY Report on the Application and Administration of Section 482 Washington 21 avril 1999 (en ligne httpwwwirsgovpubirs-pdfp3218pdf) chap 2 partie II section A

113 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 Voir eacutegalement J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 109

114 Le document reacuteviseacute en 2010 comporte 408 pages

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 471

pleine concurrence a gagneacute depuis en sophistication juridique et eacuteconomique115 Ainsi la tendance de lrsquoOCDE agrave la technicisation du principe de pleine concurrence manifesteacutee depuis un peu plus de 30 ans favorise le deacuteveloppement de multiples regravegles deacutetailleacutees souvent compliqueacutees couvrant des champs drsquoapplication de plus en plus pointus116

Le deacuteploiement est si consideacuterable que la somme des eacutenonceacutes des regravegles preacutecises et des meacutethodes speacutecifiques contribue de toute eacutevidence agrave nourrir le dogme de lrsquoapproche transactionnelle instaureacute par lrsquoOCDE pour appliquer le principe de pleine concurrence De plus cette tendance ne paraicirct pas vouloir disparaicirctre tant srsquoen faut dans un avenir rapprocheacute Nous pouvons deacutejagrave infeacuterer sans faire preuve drsquoune grande perspicaciteacute que la prochaine reacutevision des Principes directeurs augmentera assureacutement encore lrsquoeacutetendue des principes regroupeacutes dans la version publieacutee en 2010 car lrsquoOCDE poursuit des travaux dans drsquoautres projets drsquoenvergure notamment les prix de transfert des actifs incorporels et les aspects administratifs des prix de transfert

115 J OWENS preacuteciteacute note 67 p 3

laquo What began as a relatively straightforward expression of a simple principle has since developed into an increasingly sophisticated technical matter which involves both legal and economic concepts On the conceptual level an inherent and acknowledged difficulty is how to allocate profits to various parts of multinational enterprises as if they were independent parties while recognising that multinational enterprises are more than ever behaving globally On the more technical side we are seeing the development of increasingly sophisticated economic analysis of risks comparability adjustments intangible valuation etc This creates challenges for tax administrations ndash particularly in developing countries ndash and taxpayers alike as enforcement and compliance are becoming ever more complex and resource-intensive raquo

116 J Scott WILKIE laquo Reflecting on the ldquoArmrsquos Length Principlerdquo What is the ldquoPrinciplerdquo Where Next raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 137 (en ligne httplinkspringercom book101007978-3-642-25980-7page1) p 144

laquo The TPG [Transfer Pricing Guidelines] are not the armrsquos length principle But sometimes this is hard to tell [hellip] Together with countriesrsquo transfer pricing rules and practices the TPG are directed to and indeed have become consumed by methodological rules-based and often mechanical ldquoanalysesrdquo directed to somehow divining the ldquorightrdquo price for discrete transfers apparently similar to those involving outsiders It is then assumed that the aggregation of these outcomes should necessarily yield income satisfying the armrsquos length ldquoprinciplerdquo raquo

472 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

En somme les Principes directeurs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE au fil du temps revecirctent aujourdrsquohui un caractegravere pour ainsi dire sacreacute qui srsquoapparente agrave celui drsquoune bible117 Mecircme si les pays membres ne sont pas contraints du point de vue juridique de les appliquer118 les Principes directeurs sont pourvus drsquoune autoriteacute morale et constituent le seul guide international de reacutefeacuterence concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Cette assertion nrsquoest du moins qursquoen partie exacte puisque la reacutedaction drsquoun autre guide est en cours sous lrsquoeacutegide de lrsquoONU

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT

Degraves lrsquoadoption en 1979 du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU les pays membres de cette organisation internationale conviennent drsquoadheacuterer entiegraverement aux fins de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees au contenu descriptif deacuteveloppeacute par lrsquoOCDE relativement au principe de pleine concurrence119 Si bien que jusqursquoagrave maintenant les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement tentent de mettre en œuvre des Principes directeurs qui ne prennent pas en compte les inadeacutequations agrave la reacutealiteacute leacutegislative et eacuteconomique ni agrave la reacutealiteacute de la main-drsquoœuvre speacutecialiseacutee en fiscaliteacute des prix de transfert Pour pallier le deacutecalage entre la theacuteorie eacutelaboreacutee par lrsquoOCDE et sa mise en pratique lrsquoONU deacutecide en 2008 de se lancer agrave son tour dans la conception drsquoun manuel sur les regravegles de prix de transfert120

117 John J A BURKE laquo Re-Thinking First Principles of Transfer Pricing Rules raquo

(2011) vol 30 no 3 Virginia Tax Review 613 (Proquest ABIInform Complete) p 618

118 Voir la section 42 ci-dessous 119 Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 80 120 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration

internationale en matiegravere fiscale Manuel pratique des prix de transfert pour les pays en deacuteveloppement Note du Secreacutetariat Doc NU EC1820095 18 aoucirct 2009 (en ligne httpwwwunorgfrenchdocumentsview_docaspsymbol=E2Fc182F 20092F5ampSubmit=RechercheampLang=F) p 4 Plus preacuteciseacutement le projet de manuel est dirigeacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale un organe subsidiaire du Bureau du financement du deacuteveloppement du Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales (DAES) lequel fait partie du Secreacutetariat des Nations Unies

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 473

321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes directrices de lrsquoOCDE

Parmi les nombreux pays membres de lrsquoONU il y a des pays en deacuteveloppement sur le plan eacuteconomique financier et social Certains sont deacutesigneacutes officiellement comme les pays les moins avanceacutes121 tandis que drsquoautres se voient attribuer de maniegravere informelle lrsquoappellation laquo pays eacutemergents raquo122 Ces derniers dont la situation tend vers celle des pays deacuteveloppeacutes qui avait cours dans les anneacutees 1970 agrave 1990123 profitent de la mondialisation des marcheacutes et jouissent drsquoune croissance eacuteconomique rapide Comme les Principes directeurs sont conccedilus par lrsquoOCDE agrave lrsquointention speacutecifique des pays deacuteveloppeacutes les administrations fiscales et les entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales dans les pays en deacuteveloppement se mesurent en particulier agrave deux principaux eacutecueils pour fixer les prix de cession interne transfrontaliers124

Premiegraverement lrsquoexercice de trouver des transactions comparables aux fins de la mise en pratique de la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence se reacutevegravele ardu voire impossible pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales des pays en deacuteveloppement En fait le marcheacute inteacuterieur restreint dont disposent ces pays justifie naturellement lrsquoabsence de transaction comparable Eacutetant donneacute lrsquoimportance accordeacutee agrave la meacutethode transactionnelle du prix comparable sur le marcheacute libre par lrsquoOCDE depuis 1979 dans les Principes directeurs ce premier

121 Voir la liste eacutetablie en 2012 par le Conseil eacuteconomique et social des Nations Unies

(ECOSOC) laquelle est mise agrave jour tous les trois ans et qui comprend actuellement 48 pays principalement des pays drsquoAfrique UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT The Least Developed Countries Report 2012 Doc NU UNCTADLDC2012 (en ligne httpunctadorgenPublicationsLibrary ldc2012_enpdf) p iii

122 Notamment lrsquoAfrique du Sud le Breacutesil la Reacutepublique populaire de Chine lrsquoInde et lrsquoIndoneacutesie lesquels font drsquoailleurs lrsquoobjet drsquoun programme drsquolaquo engagement renforceacute raquo de lrsquoOCDE Agrave ce sujet voir le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorgfraproposmembresetpartenaires Toutefois il nrsquoexiste pas de deacutefinition eacuteconomique formelle du concept de pays eacutemergents ANONYME laquo Les pays eacutemergents dans le monde raquo Le Monde 25 janvier 2010 (en ligne httpwwwlemondefreconomiearticle20100125les-pays-emergents-dans-le-monde_1296196_3234html)

123 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1810 124 Les difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont cours dans les pays

deacuteveloppeacutes voir la section 41 ci-dessous Toutefois elles sont davantage criantes dans les pays en deacuteveloppement

474 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacutecueil constitue de loin la difficulteacute la plus grave pour les entreprises multinationales et les administrations fiscales Et pour cause lrsquoampleur de la tacircche srsquoapparenterait au fait de chercher une aiguille dans une botte de foin125

Deuxiegravemement la complexiteacute et le coucirct en temps requis pour appliquer les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence posent un lourd deacutefi aux administrations fiscales des pays en deacuteveloppement Il va sans dire que le caractegravere hautement theacuteorique des Principes directeurs de lrsquoOCDE ne facilite en rien lrsquoapplication pratique dans le contexte convenu de veacuterifications au cas par cas drsquoune meacutethode plutocirct qursquoune autre Vu lrsquoabsence de transaction comparable la rareteacute de lrsquoexpertise en matiegravere de prix de transfert dans les administrations fiscales complique encore davantage la fixation des prix de transfert en ce qursquoelle entrave lrsquoindispensable analyse des eacuteleacutements factuels propre agrave chaque cas

322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de lrsquoONU

Amorceacutes en 2009 les travaux du sous-comiteacute chargeacute des questions pratiques sur les prix de transfert ont pour but de concevoir un manuel agrave lrsquointention des administrations fiscales des pays en deacuteveloppement plus pratique que les Principes directeurs de lrsquoOCDE Le projet de manuel srsquoappuie sur la preacutemisse tenue pour certaine du bien-fondeacute et de la pertinence du principe de pleine concurrence eacutenonceacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices Approuveacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale agrave lrsquoautomne 2012126 il aborde diffeacuterents problegravemes auxquels sont confronteacutes les pays en deacuteveloppement y compris le manque de donneacutees comparables lrsquoinsuffisance de personnel posseacutedant des connaissances speacutecialiseacutees en matiegravere de prix de transfert et la croissance de lrsquoeacuteconomie intangible

125 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1107 126 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax

Matters Eighth Session Note on UN Transfer Pricing Manual for Developing Countries Doc NU EC182012CRP1 2 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 475

Dans un style de reacutedaction plus simple et plus clair que celui utiliseacute par lrsquoOCDE lrsquoONU srsquoefforce de vulgariser les concepts pertinents au domaine des prix de transfert agrave lrsquointeacuterieur des 10 chapitres du nouveau manuel dont le texte est deacutejagrave disponible en ligne127 Les efforts des nombreux reacutedacteurs provenant des cinq continents du monde soit des praticiens de pratique priveacutee quelques universitaires et des officiers gouvernementaux sont agrave cet eacutegard notables128 Crsquoest ainsi que les paragraphes sont tregraves courts et fournissent plusieurs exemples des tableaux et des scheacutemas

Par ailleurs les objectifs poursuivis par ce manuel deacutebordent lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence Outre notamment la simplification des notions et concepts en termes concrets et la preacutesentation drsquoexemples pratiques pour illustrer la theacuteorie lrsquoONU propose du point de vue juridique et administratif une deacutemarche globale pour aider les pays en deacuteveloppement agrave reacutediger un projet de loi sur les prix de transfert129 agrave organiser des services au sein des administrations fiscales pour deacuteterminer les prix de transfert130 et agrave instaurer des programmes de veacuterification des prix de transfert131

127 Ce manuel comme les Principes directeurs de lrsquoOCDE ne traite pas de lrsquoaspect

historique du principe de pleine concurrence 128 Drsquoaucuns soulegravevent la deacutelicate question de la soi-disant apparence drsquoindeacutependance

drsquoesprit et drsquoimpartialiteacute des reacutedacteurs qui sont des praticiens de pratique priveacutee et dont les inteacuterecircts financiers en tant que professionnels pourraient potentiellement aller agrave lrsquoencontre du mandat confieacute au Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale pour ce qui concerne le controcircle des coucircts de conformiteacute aux regravegles sur les prix de transfert Michael C DURST exprime lrsquoopinion dans laquo OECD UN Tax Panel Need to Preserve Their Independence raquo (2011) 130 Tax Notes 1603 (Tax Analysts) que les pays membres de lrsquoONU devraient exiger que ce Comiteacute puisse beacuteneacuteficier du personnel neacutecessaire afin de mener de maniegravere autonome les travaux relatifs au manuel sur les regravegles de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement sans recourir agrave lrsquoaide beacuteneacutevole de praticiens

129 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 3 130 Id chap 4 131 Id chap 8

476 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Ouvrage inacheveacute il sera reacuteviseacute au besoin et abordera lors de la seconde phase du projet le sujet des biens incorporels et des services132 De toute eacutevidence la reacutedaction par lrsquoONU drsquoun guide drsquoapplication du principe de pleine concurrence pour venir en aide aux pays en deacuteveloppement donne ouverture agrave la possibiliteacute de positions divergentes de celles de lrsquoOCDE quant agrave lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du concept de pleine concurrence Il nrsquoest pas deacuteraisonnable drsquoavancer que les reacutepercussions eacuteventuelles de la premiegravere incursion de lrsquoONU dans la chasse gardeacutee de lrsquoexpertise deacuteveloppeacutee par lrsquoOCDE en ce qui concerne le principe de pleine concurrence pourraient inclure une possible lutte de pouvoir agrave venir entre les deux organisations intergouvernementales Cela est drsquoautant plus probable que dans lrsquoavenir de plus en plus de pays en deacuteveloppement drsquoAfrique et drsquoAsie concluront des conventions fiscales bilateacuterales

Nul doute que lrsquoOCDE et lrsquoONU exercent aujourdrsquohui une autoriteacute manifeste de plus en plus grande dans le domaine de la fiscaliteacute agrave lrsquoeacutechelon international133 Avec le concours de lrsquoOCDE le principe de pleine concurrence devient apregraves la Seconde Guerre mondiale la seule reacutefeacuterence normative internationale autant pour les pays deacuteveloppeacutes que pour les pays en deacuteveloppement afin drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees entre les juridictions fiscales et ce agrave la deacutefaveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices De plus lrsquoexamen du contexte historique permet de conclure que lrsquoascension de la pratique administrative nationale de la meacutethode de la comptabiliteacute distincte au rang de standard leacutegislatif national srsquoest opeacutereacutee en deux phases sous lrsquoinfluence preacutepondeacuterante des Eacutetats-Unis Drsquoabord la SDN dans les anneacutees 1930 et ensuite lrsquoOCDE dans les anneacutees 1960 srsquoapproprient des pratiques administratives et reacuteglementaires du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain sur les prix de transfert

Les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale et les lignes directrices conccedilus par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE et le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale de lrsquoONU ont eu au XXe siegravecle une influence deacutecisive sur lrsquoeacutelaboration et lrsquoapplication

132 UNITED NATIONS preacuteciteacute note 126 pp 2-3 Toutefois en lrsquoabsence de

renseignements preacutecis sur les intentions futures de lrsquoONU les auteurs ne peuvent affirmer que cette derniegravere a pour but immeacutediat ou eacuteventuel de modifier le dogme en fonction de la reacutealiteacute eacuteconomique des pays de lrsquoONU

133 ERNST amp YOUNG 2011-2012 Tax Risk and Controversy Survey A New Era of Global Risk and Uncertainty EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublicationvwLUAssets20112012_Tax_risk_and_controversy_survey$FILE2011-2012_Tax_risk_and_controversy_surveypdf) p 20

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 477

des regravegles leacutegislatives et des pratiques administratives des gouvernements nationaux Ils continuent drsquoavoir au deacutebut du XXIe siegravecle la mecircme influence deacutecisive mais des organisations non gouvernementales telles Christian Aid134 Actionaid135 et Tax Justice Network136 jouent un rocircle de plus en plus actif qui contrebalance le soutien dont font lrsquoobjet aupregraves de lrsquoOCDE les inteacuterecircts des entreprises multinationales et des pays deacuteveloppeacutes137 De plus ces organisations participent agrave remettre en question la pertinence du critegravere du principe de pleine concurrence et son application dans le monde drsquoaujourdrsquohui

Deuxiegraveme partie minus Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour drsquoune norme internationale

Degraves le deacutebut des anneacutees 1970 la controverse autour du principe de pleine concurrence bat son plein aux Eacutetats-Unis138 Drsquoores et deacutejagrave les experts 134 Organisme de bienfaisance enregistreacute au Royaume-Uni Christian Reconstruction

dont le nom a eacuteteacute remplaceacute par Christian Aid en 1964 est creacuteeacute dans les anneacutees 1940 afin de combattre la pauvreteacute Pour plus de renseignements voir en ligne httpwwwchristianaidorgukaboutuswhohistoryindexaspx

135 Fondeacute en 1972 en Grande-Bretagne ActionAid alors appeleacute Action in Distress cherche agrave enrayer la pauvreteacute dans le monde Le siegravege social est situeacute en Afrique du Sud depuis 2003 Source en ligne httpwwwactionaidorgintl=

136 Tax Justice Network (Reacuteseau mondial pour la justice fiscale) est une organisation internationale indeacutependante sans but lucratif creacuteeacutee en 2003 et immatriculeacutee conformeacutement agrave la loi de la Belgique Elle cherche agrave promouvoir la justice fiscale et la coopeacuteration fiscale ainsi qursquoagrave combattre lrsquoeacutevitement fiscal lrsquoeacutevasion fiscale et la concurrence fiscale Les conseillers principaux de lrsquoorganisation consistent en les suivants Jack Blum avocat œuvrant pour le cabinet Baker Hostetler agrave Washington Michael J McIntyre professeur de droit au Wayne State University des Eacutetats-Unis Richard Murphy comptable agreacuteeacute directeur du Tax Research LLP au Royaume-Uni Sol Picciotto professeur eacutemeacuterite de droit agrave lrsquoUniversiteacute Lancaster au Royaume-Uni Prem Sikka professeur de comptabiliteacute agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEssex au Royaume-Uni David Spencer avocat agrave New York speacutecialiseacute en droit fiscal et bancaire Oscar Ugarteche eacuteconomiste agrave lrsquoInstitute of Economic Research de lrsquoUniversidad Nacional Autoacutenoma de Mexico et Edmund Valpy Fitzgerald professeur en deacuteveloppement international agrave lrsquoUniversiteacute drsquoOxford au Royaume-Uni Pour plus de deacutetails voir en ligne httpwwwtaxjusticenetcmsfront_contentphpidcat=81ampidart=96ampclient= 1ampchangelang=1

137 M C DURST preacuteciteacute note 128 p 1604 138 Ayant fait le choix de traiter le principe de pleine concurrence uniquement du point de

vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont donc pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays de lrsquoOCDE ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales Pour ce qui concerne le Canada

(agrave suivrehellip)

478 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en fiscaliteacute les entreprises multinationales lrsquoadministration fiscale ameacutericaine ndash lrsquoIRS ndash et les tribunaux deacutesapprouvent lrsquoimpreacutevisibiliteacute ainsi que la subjectiviteacute des prix de transfert des socieacuteteacutes lieacutees deacutetermineacutes en vertu de lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et surtout des premiers regraveglements adopteacutes en 1968139 Lrsquoeacutelaboration de ces regraveglements un terreau leacutegislatif propice aux deacutebats donne suite agrave lrsquoentente sur les mesures leacutegislatives conclue en 1962 entre la Chambre des repreacutesentants ndash qui initialement proposait lrsquoinstauration de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee agrave lrsquoeacutegard des cessions internes de biens corporels ndash et le Seacutenat140

Puis dans la peacuteriode 1985-1995141 cette controverse prend de lrsquoampleur agrave la suite de lrsquoadoption des propositions de regraveglements modifieacutes concernant la reacuteforme fiscale ameacutericaine de 1986 notamment de la regravegle de la meilleure meacutethode de deacutetermination des prix de transfert et de la publication en 1995 des lignes directrices reacuteviseacutees de lrsquoOCDE sur lrsquoapplication du principe de pleine concurrence142 Les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

(hellipsuite)

lrsquoanalyse du deacuteveloppement leacutegislatif des regravegles canadiennes sur les prix de transfert permet de conclure que ce dernier a adheacutereacute au principe de pleine concurrence en plusieurs eacutetapes et ce sur une peacuteriode de plus de 40 ans (1952-1998) sans qursquoil existe de controverse analogue agrave celle ayant cours aux Eacutetats-Unis Notamment lrsquointroduction de lrsquoarticle 247 de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu (LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo)) qui srsquoapplique aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves 1997 et remplace les paragraphes 69(2) et 69(3) LIR marque lrsquointeacutegration formelle du principe de pleine concurrence dans la loi canadienne

139 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE Report to the Chairman House Committee on Ways and Means laquo IRS Could Better Protect US Tax Interests in Determining the Income of Multinational Corporations raquo 1981 (en ligne httparchivegaogovf0102116575pdf) pp 43-47

140 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25 Michael C DURST et Robert E CULBERTSON laquo Clearing Away the Sand Retrospective Methods and Prospective Documentation in Transfer Pricing Today raquo (2003-2004) vol 57 no 1 Tax Law Review 37 (HeinOnline Law Journal Library) pp 48-52 Michael C DURST laquo OECD Guidelines Causes and Consequences raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 129-130

141 Peacuteriode deacutesigneacutee sous le vocable de laquo partie de bras de fer raquo entre le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis et plusieurs gouvernements des pays eacutetrangers ainsi que les entreprises multinationales M C DURST preacuteciteacute note 140 p 128

142 Id pp 61-90 Stanley I LANGBEIN laquo Cognitive Capture Parliamentary Parentheses and the Rise of Fractional Apportionment raquo (2010) vol 39 no 10

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 479

marquent momentaneacutement des points sur le terrain de la politique une reacutesolution en faveur drsquoun changement du paradigme existant est adopteacutee en 1994 par le Seacutenat ameacutericain agrave lrsquoinitiative du seacutenateur deacutemocrate Dorgan143 lequel considegravere le principe de pleine concurrence comme un vestige du passeacute permettant aux entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales aux Eacutetats-Unis de payer peu drsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou de nrsquoen payer aucun144

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU

COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES

BEacuteNEacuteFICES

Plus de 15 ans apregraves le deacutebut de la partie de bras de fer aux Eacutetats-Unis des universitaires et des praticiens de pratique priveacutee continuent dans la deacutecennie 2000-2010 de contester lrsquoefficaciteacute de la reacuteglementation ameacutericaine Certains se prennent mecircme drsquoengouement pour lrsquoideacutee drsquoappliquer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie au niveau national145 Agrave vrai dire la revue de la litteacuterature ameacutericaine montre que les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont plus nombreux agrave prendre la plume que les deacutefenseurs du principe de pleine concurrence Deux courants drsquoopinions en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se dessinent parmi les principaux acteurs de

(hellipsuite)

Tax Management International Journal 567 (ProQuest AbINFORM Global) pp 571-573

143 Eugene E LESTER laquo International Transfer Pricing Rules Unconventional Wisdom raquo (1995) vol 2 ILSA Journal of International amp Comparative Law 283 (HeinOnline Law Journal Library) p 294

144 Byron L DORGAN laquo Dorgan Tells Treasury to Reject OECD Draft on Transfer Pricing raquo 94 Tax Notes International 190-27 (Tax Analysts) Dans une correspondance eacutecrite il srsquoadresse comme suit au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

laquo There are many members of Congress tax experts and tax administrators who share my view that this massive tax avoidance by large international firms is perpetuated by the Treasury Departmentrsquos adherence to the ldquoarms lengthrdquo standard As you know I have advocated that we replace this nineteenth-century relic with a simple formula approach similar to that used by the several states in the United States to determine the income of foreign-based corporations operating within their borders raquo

145 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 572

480 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

la controverse certains exigent une reacuteforme du systegraveme actuel et drsquoautres une simple retouche

Drsquoune part les deacutefenseurs de la reacuteforme (laquo les reacuteformateurs raquo) lesquels clament lrsquoeacutechec du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence en invoquant ses lacunes importantes suggegraverent de le remplacer par un systegraveme fondeacute sur le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux146 Ce dernier srsquoeacutecarte du principe de pleine concurrence car lrsquoobjectif annonceacute semble ecirctre drsquoobtenir une reacutepartition juste des beacuteneacutefices totaux sans tenir compte du comportement du marcheacute147 Les reacuteformateurs se fondent agrave cette fin sur lrsquoexpeacuterience de gouvernements infranationaux notamment les Eacutetats ameacutericains et les provinces canadiennes comme modegravele drsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices148

Drsquoautre part les partisans de la retouche (laquo les conservateurs raquo) promeuvent le maintien du principe de pleine concurrence tout en deacutefendant lrsquoideacutee de lrsquoinstauration ndash par un pays de maniegravere unilateacuterale dans les

146 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo 2009 (en ligne

httpwwwtaxjusticenetcmsuploadpdfTP_in_developing_countriespdf) Reuven S AVI-YONAH laquo The Rise and Fall of Armrsquos Length A Study in the Evolution of US International Taxation raquo (1995) vol 15 Virginia Tax Review 89 (HeinOnline Law Journal Library) Reuven S AVI-YONAH Kimberly A CLAUSING et Michael C DURST laquo Allocating Business Profits for Tax Purposes A Proposal to Adopt a Formulary Profit Split raquo (2008-2009) vol 9 no 5 Florida Tax Review 497 (HeinOnline Law Journal Library) Steve CHRISTENSEN laquo Formulary Apportionment More Simple minus on Balance Better raquo (1996-1997) vol 28 no 4 Law amp Policy in International Business 1133 (HeinOnline Law Journal Library) Kimberley A CLAUSING et Reuven S AVI-YONAH laquo The Hamilton Project Reforming Corporate Taxation in a Global Economy A Proposal to Adopt Formulary Apportionment raquo University of Michigan Public Law and Legal Theory Working Paper No 85 2007 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id= 995202) E E LESTER preacuteciteacute note 143 Michael MAZEROV laquo Why Armrsquos Length Falls Short raquo vol 5 no 2 International Tax Review 28 (HeinOnline Law Journal Library) Martin A SULLIVAN laquo Economic Analysis Transfer Pricing Abuse Is Job-Killing Corporate Welfare raquo (2010) 128 Tax Notes 461 (Tax Analysts) R VANN preacuteciteacute note 35 J M WEINER preacuteciteacute note 1

147 S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 415 148 Michael C DURST laquo Itrsquos Not Just Academic The OECD Should Reevaluate

Transfer Pricing Laws raquo (2010) 57 Tax Notes International 247 (Tax Analysts) p 253 Joann Martens WEINER laquo Formulary Apportionment and Group Taxation In the European Union Insights From the United States and Canada raquo Working Paper No 8 2005 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocuments taxationgen_infoeconomic_analysistax_papers2004_2073_EN_web_final_versionpdf) pp 10-15

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 481

conventions fiscales bilateacuterales dont il est signataire ou encore par lrsquoOCDE ndash drsquoune gamme de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert Outre les meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave applicables cette gamme inclurait la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique preacuteeacutetablie149 Au contraire des reacuteformateurs les conservateurs cherchant plutocirct agrave faire contrepoids au deacutebat ne cristallisent pas la polariteacute du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale illimiteacutee des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie150 Ils se reacuteclament de lrsquoideacutee du continuum de meacutethodes formuleacutee par un groupe drsquoexperts en fiscaliteacute lors drsquoune confeacuterence sur les prix de transfert en 1993 qui preacutesuppose que les meacutethodes de pleine concurrence et la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices ne sont pas des meacutethodes antinomiques151

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES

CRITIQUES ET DES CONJECTURES

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale les reacuteformateurs et les conservateurs deacutecrient tous les lacunes les plus importantes du principe de pleine concurrence sur les plans theacuteorique et pratique pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Ils signalent au total quatre failles principales les critiques formuleacutees eacutetant en substance les mecircmes que celles deacutejagrave exprimeacutees dans les anneacutees 1970 Crsquoest donc dans un esprit de continuiteacute que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se preacutesente volontiers aux

149 V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 25 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146

p 93 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 pp 519-522 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 304-305 J LI preacuteciteacute note 92 pp 857-867 Michael McINTYRE laquo Contrasting Methodologies A Systematic Presentation of the Differences Between an Armrsquos-LengthSource-Rule System and a Combined-ReportingFormulary-Apportionment System raquo 1994 (en ligne httpfacultylawwayneedumcintyretextmcintyre_articlesMultistatecontrasting_methodpdf) Actuellement lrsquoOCDE et lrsquoONU nrsquoadmettent que deux cateacutegories de meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert qui satisfont au principe de pleine concurrence les meacutethodes traditionnelles fondeacutees sur les transactions (depuis 1979) et les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices (depuis 1995) Selon les conservateurs lrsquoapplication de la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux serait restreinte aux transactions pour lesquelles il nrsquoexiste pas de transaction comparable

150 E E LESTER preacuteciteacute note 143 p 304 151 Brian J ARNOLD et Thomas E McDONNELL laquo Report on the Invitational

Conference on Transfer Pricing The Allocation of Income and Expenses Among Countries raquo (1993) vol 41 no 5 Revue fiscale canadienne 899-922 (Taxfind) p 905

482 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteformateurs comme la panaceacutee aux difficulteacutes de la reacutepartition internationale de lrsquoassiette fiscale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees

411 Les failles du concept de pleine concurrence selon les acteurs de la controverse

Premiegraverement le principe de pleine concurrence repose sur une hypothegravese ndash les socieacuteteacutes lieacutees transigent entre elles comme si elles eacutetaient des socieacuteteacutes indeacutependantes ndash qui ne tient pas compte de lrsquointerdeacutependance et de lrsquointeacutegration des opeacuterations des entreprises multinationales modernes Partant elle constitue une limite systeacutemique gecircnant la prise en consideacuteration des beacuteneacutefices reacutesiduels deacutecoulant de lrsquointernalisation des synergies ou des eacuteconomies drsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire les beacuteneacutefices qui ne reacutesultent pas drsquoactiviteacutes eacuteconomiques dont la source geacuteographique peut ecirctre identifieacutee152 Mecircme si pour lrsquoOCDE le prix de pleine concurrence repreacutesente par rapport aux conditions normales du marcheacute la meilleure estimation de la reacutealiteacute eacuteconomique drsquoune socieacuteteacute membre drsquoune entreprise multinationale qui fait des affaires avec des socieacuteteacutes lieacutees il nrsquoy a pas en fait de critegraveres objectifs geacuteneacuteralement admis pour attribuer les eacuteconomies drsquoeacutechelle et les avantages agrave

152 Reuven S AVI-YONAH et Ilan BENSHALOM laquo Formulary Apportionment Myths

and Prospects ndash Promoting Better International Tax Policy by Utilizing the Misunderstood and Under-Theorized Formulary Alternative raquo University of Michigan Law School Empirical Legal Studies Center Paper No 10-029 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id=1693105) chap I section C J J A BURKE preacuteciteacute note 117 pp 619-620 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1159-1158 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 124 Robert A GREEN laquo The Future of Source-Based Taxation of the Income of Multinational Enterprises raquo (1993) 79 Cornell Law Review 18 (HeinOnline Law Journal Library) p 46 Walter HELLERSTEIN laquo Income Allocation in the 21st Century the End of Transfer Pricing The Case for Formulary Apportionment raquo (2005) International Transfer Pricing Journal 103 p 108 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 653-655 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 295-297 J LI preacuteciteacute note 92 pp 834-835 Jinyan LI laquo Soft Law Hard Realities and Pragmatic Suggestions Critiquing the OECD Transfer Pricing Guidelines raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 82-83 Julie ROIN laquo Can the Income Tax Be Saved The Promise and Pitfalls of Adopting Worlwide Formulary Apportionment raquo (2008) vol 61 no 3 Tax Law Review 169 (Hein Online Law Journal Library) p 185 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo preacuteciteacute note 146 chap 7 section 712 Jens WITTENDORFF laquo The Armrsquos-Length Principle and Fair Value Identical Twins or Just Close Relatives raquo (2011) 62 Tax Notes International 223 (Tax Analysts) pp 239-240

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 483

lrsquointeacutegration entre les entreprises lieacutees153 Qui plus est la deacutetermination transaction par transaction de la source de revenus des socieacuteteacutes lieacutees se reacutevegravele sur le plan theacuteorique fort discutable et en pratique difficile agrave trouver vu que les activiteacutes eacuteconomiques transfrontaliegraveres des groupes drsquoentreprises multinationales sont aujourdrsquohui de plus en plus organiseacutees et coordonneacutees agrave lrsquointeacuterieur mecircme de ces groupes154

Ainsi les entreprises multinationales ne transigent pas comme le font les socieacuteteacutes non lieacutees En regravegle geacuteneacuterale ce sont des organisations qui effectuent des transactions intragroupes avant ou apregraves avoir ajouteacute dans au moins un pays eacutetranger ougrave elles deacutetiennent des actifs une valeur aux biens produits ou aux services rendus155 Selon la theacuteorie eacuteconomique de la firme deacuteveloppeacutee initialement par Coase le but preacutecis de la formation des entreprises multinationales consiste agrave reacuteduire les coucircts autrement engageacutes dans un marcheacute libre ndash par exemple les frais de recherche et de deacuteveloppement les frais drsquoexploitation les coucircts pour obtenir des renseignements ainsi que les frais de gestion et les frais financiers ndash en tirant parti drsquoune coordination interne des deacutecisions et des orientations strateacutegiques concernant lrsquoensemble du groupe ce qui permet de maximiser les beacuteneacutefices totaux156

Deuxiegravemement il est difficile voire impossible pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales de trouver en pratique des donneacutees concernant des transactions conclues sur le marcheacute libre entre des socieacuteteacutes tierces qui sont suffisamment comparables agrave celles conclues entre des socieacuteteacutes lieacutees157 Crsquoest que posteacuterieurement agrave la Deuxiegraveme Guerre mondiale la nature des cessions internes transfrontaliegraveres

153 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 110 et 114 154 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 109 155 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 3 156 Richard J VANN laquo Taxing International Business Income Hard-Boiled Wonderland

and the End of the World raquo (2010) vol 2 no 3 World Tax Journal 291 (IBFD Tax Research Platform) pp 293-294

157 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 503 Michael C DURST laquo The Two Worlds of Transfer Pricing Policymaking raquo (2011) 61 Tax Notes International 439 (Tax Analysts) p 439 M C DURST preacuteciteacute note 148 p 249 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 pp 27-36 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 183 Dans lrsquoarticle laquo With Billions at Stake Glaxo Puts APA Program on Trial raquo (2004) 103 Tax Notes 388 (Tax Analysts) Martin SULLIVAN ironise agrave la page 389 sur les embucircches relatives aux donneacutees comparables laquo Administering the armrsquos length method without comparables is like playing hockey without a puck raquo

484 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

srsquoest complexifieacutee du fait du processus continu drsquointeacutegration des entreprises multinationales158 Aussi les eacutechanges entre les socieacuteteacutes lieacutees se rapportent-ils deacutesormais agrave des biens intermeacutediaires agrave des biens incorporels uniques de grande valeur et agrave des services speacutecialiseacutes et non pas seulement agrave des matiegraveres premiegraveres et agrave des produits agricoles industriels ndash par exemple les meacutetaux le peacutetrole le bleacute le cafeacute le theacute et le caoutchouc ndash dont le prix est deacutejagrave fixeacute sur le marcheacute libre LrsquoOCDE reconnaicirct neacuteanmoins dans ces cas preacutecis la difficulteacute drsquoapplication du principe de pleine concurrence159

Troisiegravemement lrsquoapplication du principe de pleine concurrence est devenue un veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Objets drsquoun deacuteveloppement freacuteneacutetique au cours des 15 derniegraveres anneacutees160 les lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE se font de plus en plus complexes si bien que dans les circonstances lrsquoanalyse au cas par cas contribue agrave accroicirctre lrsquoincertitude relative aux prix de transfert161 Il srsquoen trouve mecircme qui preacutetendent que le principe de pleine concurrence rencontre aujourdrsquohui les limites de son deacuteveloppement

158 M C DURST preacuteciteacute note 140 illustre aux pages 124-125 la situation comme suit

laquo The fact is that in many industries in many markets only integrated multi-national commonly controlled businesses are active in the market because a non-integrated structure would be too costly to survive

This means that as a general rule for transactions entered into among members of commonly controlled groups ndash that is the very transactions for which transfer pricing rules are needed ndash ldquouncontrolled comparablesrdquo as we transfer pricing practitioners call them simply do not exist Even when say a company sells to an affiliate a commodity ndash say a bushel of wheat of a specified grade and at a specific location ndash the economically correct price is different from that in an identical sale between unrelated parties because the sale exposes the unrelated parties to costs and risks that the commonly controlled parties do not bear And of course once the product is more differentiated than a barrel of oil or a bushel of wheat the notion of comparability is even more implausible raquo

159 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 19 160 Les lignes directrices contenues dans les Principes directeurs de 2010 id comportent

plus de 400 pages mais nrsquoen comptaient il y a 30 ans que 100 Voir la section 3 ci-dessus

161 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505 M C DURST preacuteciteacute note 148 pp 249-250 De lrsquoopinion de Byron L Dorgan seacutenateur deacutemocrate ameacutericain laquo [t]he whole armrsquos length approach is to go back and reconstruct transactions It is like taking a giant plate of spaghetti and trying to separate each noodle Thatrsquos the audit test raquo John TURRO laquo TNI Interviews Senator Byron L Dorgan On Formulary Apportionment raquo 94 Tax Notes International 243-5

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 485

consideacuterant que les regravegles leacutegislatives nationales et les Principes directeurs de lrsquoOCDE mettent surtout lrsquoaccent sur des critegraveres externes aux entreprises multinationales soit les donneacutees comparables difficiles agrave obtenir et que les meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices ne sont en reacutealiteacute que la variante moderne de la meacutethode empirique appliqueacutee par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930162 Le domaine des prix de transfert a geacuteneacutereacute par la force des choses une veacuteritable industrie de professionnels speacutecialiseacutes soit des avocats des comptables et des eacuteconomistes qui offrent aux entreprises multinationales geacuteneacuteralement dans de grands cabinets internationaux des services relatifs agrave la planification agrave la documentation et agrave la reacutesolution des litiges Faute de ressources humaines et technologiques suffisantes pour deacuteterminer les prix de transfert conformeacutement aux lignes directrices de lrsquoOCDE les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement sont deacutepasseacutees par lrsquoexpertise des entreprises multinationales et de leurs conseillers externes163

Quatriegravemement le fait pour les administrations fiscales de respecter la liberteacute contractuelle164 sert les manipulations des prix de transfert effectueacutees par les entreprises multinationales Ces derniegraveres peuvent donc leacutegitimement deacuteplacer des actifs et des risques agrave des socieacuteteacutes qui reacutesident dans des refuges fiscaux pour eacuteviter de payer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices dans des juridictions fiscales dont le taux drsquoimposition est eacuteleveacute165 Deacutecrites dans les meacutedias ameacutericains comme laquo la technique des prix de transfert raquo les manipulations en particulier les transferts transfrontaliers drsquoactifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis constituent la source principale des litiges fiscaux en matiegravere de prix de transfert166 Les planifications fiscales conformes aux regravegles sur 162 H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 39 163 ACTIONAID Calling Time Why SABMiller Should Stop Dodging Taxes in Africa

2010 (en ligne httpwwwactionaidorgukdoc_libcalling_time_on_tax_ avoidancepdf) p 28 ANONYME laquo UN Delegates Split on the Armrsquos Length Standard and Apportionment raquo TP Week 19 janvier 2010 Voir la section 32 du preacutesent texte

164 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 136-141 165 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505

M C DURST preacuteciteacute note 157 p 444 Michael C DURST laquo Congress Fix Transfer Pricing and Protect US Competitiveness raquo (2010) 128 Tax Notes 401 (Tax Analysts) pp 401-402

166 JOINT COMMITTEE ON TAXATION Present Law and Background Related to Possible Income Shifting and Transfer Pricing (JCX-37-10) 20 juillet 2010 (en ligne httpwwwjctgovpublicationshtmlfunc=startdownampid=3692) pp 31-34 Voir aussi Jesse DRUCKER laquo US Companies Dodge $ 60 Billion in Taxes With Global Odyssey raquo 13 mai 2010 (en ligne httpwwwbloombergcomnewsprint2010-05-

(agrave suivrehellip)

486 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence occasionneraient des pertes de recettes fiscales gigantesques pour le fisc ameacutericain Dans la litteacuterature ameacutericaine lrsquoampleur de lrsquoeacutevitement fiscal fait lrsquoobjet drsquoune estimation dont le montant varie de 28 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2007 agrave 60 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2004 et qui reacutesulte en geacuteneacuteral drsquoun examen comparatif des statistiques sur lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger des entreprises multinationales ameacutericaines avec celles sur lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger167 Drsquoougrave les eacutelans agrave lrsquoeacutegard du paradigme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices chez les reacuteformateurs qui y voient un moyen strateacutegique de contrer les failles theacuteoriques et pratiques du principe de pleine concurrence

412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse

Les reacuteformateurs preacutetendent que la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comporte de nombreux avantages sur le principe de pleine concurrence En premier lieu ils mettent en avant la simpliciteacute accrue du concept Comme le

(hellipsuite)

13american-companies-dodge-60-billion-in-taxes-even-tea-party-would condemnhtml) Le journaliste expose la laquo technique des prix de transfert raquo qui permet aux socieacuteteacutes pharmaceutiques ameacutericaines minus telles Forest Laboratories Inc Oracle Corp Eli Lilly amp Co et Pfizer Inc minus drsquoeacuteviter de payer en toute leacutegaliteacute des impocircts au fisc ameacutericain agrave lrsquoaide de transactions purement theacuteoriques Notamment Forest Laboratories Inc utilise des filiales reacutesidentes de lrsquoIrlande (planification appeleacutee Double Irish laquelle implique lrsquoutilisation de deux filiales irlandaises dont lrsquoune est reacutesidente des Bermudes) des Bermudes et des Pays-Bas (planification appeleacutee Dutch Sandwich une variante du Double Irish en vertu de laquelle une filiale neacuteerlandaise nrsquoayant aucun employeacute sert agrave acheminer les paiements entre les deux filiales irlandaises)

167 David S MILLER laquo How US Tax Law Encourages Investment Through Tax Havens raquo (2011) 131 Tax Notes 167 (Tax Analysts) p 170 Testimony of Martin A Sullivan Economist and Contributing Editor Tax Analysts before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovuploadedfilessullivan_written_testimony_wm_jan_20pdf) (laquo Sullivan raquo) pp 5-6 En ce qui concerne les pays en deacuteveloppement Christian Aid estime les pertes de recettes fiscales corporatives attribuables agrave lrsquoeacutevasion fiscale en particulier la surfacturation et la sous-facturation agrave dessein des prix de transfert (transfer mispricing) ainsi que la facturation mensongegravere entre les socieacuteteacutes non lieacutees (false invoicing) au montant de 160 milliards de dollars annuellement pour la peacuteriode de 2000 agrave 2006 Voir Christian Aid Death and Taxes The True Toll of Tax Dodging 2008 (en ligne httpwwwchristianaidorgukimagesdeathandtaxespdf) pp 2 et 51-53

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 487

calcul du revenu imposable mondial de lrsquoentreprise multinationale srsquoeffectuerait sur une base consolideacutee plutocirct que distincte les prix de cession interne transfrontaliers deviennent sans importance et par conseacutequent les dispositions de lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE ne seraient plus pertinentes168 En deuxiegraveme lieu les reacuteformateurs invoquent la justesse accrue de la reacutepartition des beacuteneacutefices en raison du fait que la reacutepartition globale srsquoapparente plus agrave la reacutealiteacute eacuteconomique des entreprises multinationales hautement inteacutegreacutees qui sont exploiteacutees comme des entreprises uniques169 Ils arguent en troisiegraveme lieu de lrsquoefficaciteacute accrue de ce concept pour contrer lrsquoeacutevitement fiscal dans la mesure ougrave les entreprises multinationales chercheraient agrave maximiser les beacuteneacutefices de preacutefeacuterence agrave structurer des transactions pour des raisons de conformiteacute fiscale170 En dernier lieu ils opposent la reacuteduction eacuteventuelle des coucircts administratifs et de conformiteacute notamment la disparition de lrsquoobligation de produire la documentation ponctuelle

Toutefois il est difficile vu la nature diffeacuterente de leur structure respective de comparer le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices avec celui du principe de pleine concurrence171 En fait les caracteacuteristiques des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont diameacutetralement opposeacutees agrave celles des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de pleine concurrence Si tant est que lrsquoaugmentation nette de lrsquoeau drsquoun lac situeacute sur la frontiegravere commune des pays A et B puisse illustrer les modaliteacutes distinctes de la reacutepartition des beacuteneacutefices selon les deux systegravemes lrsquoapproche de pleine concurrence permet de deacuteterminer lrsquoapport drsquoeau fraicircche ajouteacutee au lac par chacun des pays Par contre lrsquoapproche unitaire cherche plutocirct agrave reacutepartir conformeacutement agrave lrsquoaccord conclu entre les deux pays la quantiteacute totale drsquoeau fraicircche contenue dans le lac172

168 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 3)

M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 9 169 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146 pp 148-149 Robert H CUTLER laquo Formulary

Apportionment ndash Is this Alternative to the Armrsquos Length Standard Possible and Practical Under the United Statesrsquo Current Tax Treaties raquo (1997) 3 International Trade amp Business Law Annual 153 (HeinOnLine) pp 162-163 R A GREEN preacuteciteacute note 152 p 67

170 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1161 171 Id p 1162 172 Michael J McINTYRE laquo Theory and Practice of Combined Reporting with

Formulary Apportionment raquo 2009 (en ligne httpwwwmtcgovuploadedFiles Multistate_Tax_CommissionUniformityUniformity_Committee_and_Subcommittees09_Winter_Committee_MeetingMcIntyre20-20theory20of20apportionmentpdf)

(agrave suivrehellip)

488 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Pour commencer le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices se fonde non pas sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte mais sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire laquelle requiert que les membres composant un groupe multinational drsquoentreprises soient consideacutereacutes comme ne formant qursquoune seule entreprise unifieacutee173 Notamment ce systegraveme implique une deacutemarche orienteacutee sur les facteurs de reacutepartition plutocirct que sur les circonstances factuelles des transactions Par exemple la formule Massachusetts eacutelaboreacutee degraves 1957 afin drsquoeacutetablir un moyen uniforme drsquoattribuer aux administrations fiscales infranationales ameacutericaines les revenus drsquoentreprise des socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat aux Eacutetats-Unis inclut trois facteurs relatifs agrave une juridiction fiscale donneacutee les actifs les salaires et les recettes brutes174 La formule qui vise agrave deacuteterminer la portion attribuable agrave une administration fiscale du revenu imposable mondial drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales qui y est assujetti donne lieu agrave une reacutepartition territoriale plutocirct que transactionnelle

En effet lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices repose sur lrsquohypothegravese implicite suivant laquelle la portion de chaque dollar du revenu imposable total reacutesultant de transactions transfrontaliegraveres se rapporte agrave toutes les juridictions fiscales dans lesquelles sont situeacutes les facteurs de reacutepartition de lrsquoentreprise unitaire175 Agrave lrsquoinverse lrsquoapproche du principe de pleine concurrence suppose qursquoune source localiseacutee dans une seule juridiction fiscale se rattache agrave chaque eacuteleacutement du revenu imposable total gagneacute par lrsquoentreprise multinationale dans les pays ougrave elle exerce des activiteacutes commerciales176 De plus dans le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la comptabilisation des beacuteneacutefices de lrsquoentreprise multinationale est

(hellipsuite)

diapositive no 4 Cette analogie agrave nrsquoen pas douter suggegravere lrsquoideacutee que lrsquoapproche unitaire est en apparence plus simple et pragmatique que lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

173 Dans la doctrine la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte est opposeacutee agrave la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire une doctrine judiciaire eacutelaboreacutee agrave lrsquoorigine par les tribunaux des Eacutetats ameacutericains pour deacutefinir sur le plan fiscal le concept de groupe drsquoentreprises Agrave ce propos consulter V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 28 J M WEINER preacuteciteacute note 148 pp 28-32

174 Les trois critegraveres retenus par le National Conference of Commissioners on Uniform State Laws drsquoeacutegale pondeacuteration dans la formule matheacutematique sont deacutefinis dans lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act (laquo UDITPA raquo) Sur ce point voir R H CUTLER preacuteciteacute note 169 p 161

175 M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 10 176 Id p 11

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 489

consolideacutee alors que dans le systegraveme de pleine concurrence la comptabilisation des beacuteneacutefices srsquoeffectue de faccedilon distincte agrave lrsquoeacutegard de chaque membre de lrsquoentreprise multinationale Finalement le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoadmet comme meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert que celles fondeacutees sur des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies

En reacutealiteacute les soi-disant avantages de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoont jamais eacuteteacute deacutemontreacutes par les deacutefenseurs de la reacuteforme dont les affirmations ne reposent sur aucune eacutetude approfondie ni expeacuterience empirique pour ce qui concerne la reacutepartition de lrsquoassiette internationale Crsquoest donc en cela que reacuteside la principale faiblesse de la proposition des reacuteformateurs La plupart drsquoentre eux nrsquoappuient leur point de vue que sur lrsquoeacutenonceacute drsquoune opinion preacutesenteacutee comme une veacuteriteacute eacutevidente177 et certains autres sur lrsquointerpreacutetation de donneacutees statistiques publiques concernant essentiellement les activiteacutes et les beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par les entreprises multinationales178 Du reste le projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) des 27 pays faisant partie de lrsquoUnion europeacuteenne renforce lrsquointeacuterecirct des reacuteformateurs pour le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices179 Il y a drsquoailleurs un certain cousinage drsquoesprit entre les reacuteformateurs et la Commission europeacuteenne cette derniegravere preacutesumant dans lrsquoexposeacute des motifs au soutien de la proposition drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) que le principe de pleine concurrence est maintenant deacutepasseacute180 Par-delagrave lrsquoabsence notoire

177 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1164 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152

pp 108-109 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30 178 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146

pp 501-502 et 527-533 Sullivan preacuteciteacute note 167 179 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 515

Ce projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes a eacuteteacute lanceacute en 2001 dans le but notamment de reacuteduire les coucircts eacuteleveacutes de conformiteacute fiscale lieacutes aux prix de transfert fondeacutes sur le principe de pleine concurrence Les modaliteacutes du calcul de lrsquoassiette imposable consolideacutee des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes paneuropeacuteennes annonceacutees en 2011 incluent une formule de reacutepartition composeacutee de trois facteurs dont la pondeacuteration est identique main-drsquoœuvre immobilisations et chiffre drsquoaffaires Agrave ce sujet voir COMMISSION EUROPEacuteENNE Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes (ACCIS) 2011 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxation company_taxcommon_tax_basecom_2011_121_frpdf)

180 COMMISSION EUROPEacuteENNE preacuteciteacute note 179 p 4

laquo Actuellement lrsquoun des obstacles principaux dans le marcheacute unique est constitueacute par les coucircts eacuteleveacutes engendreacutes par le respect des formaliteacutes lieacutees

(agrave suivrehellip)

490 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoeacutetude comparative sur lrsquoefficaciteacute du systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices et celui du principe de pleine concurrence reste agrave savoir si drsquoun point de vue juridique les propositions soutenues par les acteurs de la controverse peuvent se deacutefendre

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES

INCERTITUDES

Parmi les reacuteformateurs et les conservateurs peu nombreux sont ceux qui abordent de front le sujet de la conformiteacute des propositions de reacuteforme ou de retouche selon le cas du reacutegime actuel de regravegles sur les prix de transfert avec le droit fiscal international actuel des traiteacutes Pourtant ce sujet de reacuteflexion ne consiste pas en un point de deacutetail Tout au contraire la question de la leacutegitimiteacute juridique du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices srsquoavegravere eacuteleacutementaire Le nœud du deacutebat susciteacute par les acteurs de la controverse ne consiste-t-il pas agrave savoir si une seule norme internationale est valide en lrsquooccurrence le principe de pleine concurrence pour reacutepartir les revenus drsquoentreprise reacutesultant des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales

421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence comme norme de reacutefeacuterence

Au cours du XXe siegravecle les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont eu une influence consideacuterable sur la politique fiscale des pays membres et non membres Les conventions fiscales bilateacuterales conclues par ces derniers contiennent en geacuteneacuteral une disposition concernant les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes associeacutees calqueacutee sur le paragraphe 9(1) de lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles susmentionneacutes Le terme laquo peuvent raquo (may suivant la version anglaise) dans le texte du paragraphe 9(1) confegravere

(hellipsuite)

aux prix de transfert selon lrsquoapproche de pleine concurrence De plus la faccedilon dont les groupes eacutetroitement inteacutegreacutes ont tendance agrave srsquoorganiser indique clairement que la fixation des prix transaction par transaction sur la base du principe de pleine concurrence nrsquoest peut-ecirctre plus la meacutethode la mieux approprieacutee en matiegravere de reacutepartition des beacuteneacutefices raquo

Toutefois la question de savoir si le principe de pleine concurrence convient toujours aux entreprises multinationales modernes nrsquoest pas abordeacutee dans le rapport anteacuterieur de la Commission europeacuteenne sur lrsquoeacutetude analytique de la fiscaliteacute des entreprises dans la Communauteacute europeacuteenne COMMISSION EUROPEacuteENNE La fiscaliteacute des entreprises dans le marcheacute inteacuterieur 2001 (en ligne httpeceuropaeutaxation_ customsresourcesdocumentscompany_tax_study_frpdf)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 491

aux pays signataires le droit de rajuster les beacuteneacutefices intersocieacuteteacutes en prenant comme base que les socieacuteteacutes sont des entreprises indeacutependantes181 Il expose la norme agrave savoir le principe de pleine concurrence qui srsquoimpose depuis 1977 comme reacutefeacuterence et qui laquo constitue lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute raquo dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes182

Agrave premiegravere vue le paragraphe 9(1) nrsquoeacutenonce pas en termes expregraves la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence ni ne preacutecise la meacutethode pour appliquer cette norme Loin drsquoecirctre claire la formulation peut susciter de la confusion et conduire agrave des divergences drsquointerpreacutetation Effectivement lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo nrsquoapparaicirct pas dans le texte les reacutedacteurs ayant utiliseacute la locution laquo entreprises indeacutependantes raquo pour eacutevoquer le concept de pleine concurrence Il nrsquoempecircche que le texte peut paraicirctre eacutenoncer une norme speacutecifique vu que les conditions drsquoapplication et les conseacutequences juridiques sont deacutecrites par comparaison avec des entreprises indeacutependantes183

De mecircme le libelleacute du paragraphe 9(1) ne speacutecifie pas que les administrations fiscales des Eacutetats contractants doivent utiliser une meacutethode transactionnelle de pleine concurrence pour effectuer les rajustements des beacuteneacutefices Cependant la signification implicite de lrsquoexpression laquo deux entreprises sont [hellip] dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions convenues ou imposeacutees raquo peut soutenir lrsquousage des meacutethodes transactionnelles de pleine concurrence184 et mecircme exclure lrsquousage de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sur une base consolideacutee185 Ainsi les

181 Pour le texte complet du paragraphe 9(1) voir la section 21 ci-dessus Selon le droit

international public les pays signataires doivent respecter les traiteacutes auxquels ils sont parties pacta sunt servanda Voir ORGANISATION DES NATIONS UNIES Convention de Vienne sur le droit des traiteacutes 23 mai 1969 (en ligne httpuntreatyunorgilctextsinstrumentsfrancaistraites1_1_1969_francaispdf) art 26 Par ailleurs les pays signataires exercent le droit de rajuster les beacuteneacutefices des transferts transfrontaliers en vertu des dispositions de la leacutegislation nationale et non pas celles des conventions fiscales Agrave ce sujet consulter J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 110

182 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-1 et C(9)-8 Les reacutedacteurs des Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) utilisaient avant le 23 octobre 1997 lrsquoexpression laquo marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance) raquo

183 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 112 184 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 129 185 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579

492 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

conditions speacuteciales des relations commerciales ou financiegraveres qui sont agrave lrsquoorigine des beacuteneacutefices inapproprieacutes peuvent tacitement se rattacher agrave des transactions opeacuterations ententes accords contrats ou arrangements conclus entre des entreprises associeacutees La mention du terme laquo beacuteneacutefices raquo dans le libelleacute peut aussi laisser entendre que les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert autre que les meacutethodes transactionnelles sont autoriseacutees

La reacutedaction du paragraphe 9(1) pose le problegraveme de savoir si lrsquoinclusion mecircme de ce paragraphe dans les conventions fiscales bilateacuterales emporte en droit international des traiteacutes lrsquoobligation contraignante pour les pays signataires drsquoutiliser la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence Notamment les Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) ne mentionnent pas que les pays signataires doivent adopter dans les leacutegislations nationales des dispositions inteacutegrant le principe de pleine concurrence Qui plus est les pays membres ne srsquoentendent pas sur la question de savoir si le paragraphe 9(1) restreint ou non le droit des pays signataires de redresser les beacuteneacutefices reacutesultant des transferts internationaux en vertu des dispositions de leacutegislations nationales dans des laquo conditions raquo autres que celles eacutenonceacutees dans ce paragraphe186 Quoique le terme laquo conditions raquo ne soit pas deacutefini dans les Commentaires il peut aussi bien signifier laquo norme ou meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert non conformes au principe de pleine concurrence raquo187

Quant aux Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE qui depuis 1992 font partie inteacutegrante des Commentaires relatifs au paragraphe 9(1) ils tiennent pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative agrave lrsquoexclusion de toute autre norme188 De plus les Commentaires de lrsquoOCDE font de lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de pleine concurrence la condition drsquooffice pour fixer un prix de pleine concurrence189 Encore que en droit fiscal international des traiteacutes 186 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-2 et

C(9)-3 (voir les Commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 par 4) 187 Meneacutee au deacutebut des anneacutees 1990 lrsquoeacutetude sur les meacutethodes de substitution aupregraves des

39 pays de lrsquoIFA reacuteveacutelait que pour la majoriteacute des pays le paragraphe 9(1) ne preacutevalait pas sur le droit interne des prix de transfert mecircme si la meacutethode utiliseacutee par les administrations fiscales deacuterogeait au principe de pleine concurrence IFA 1992 preacuteciteacute note 97 pp 123-124 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 111 souligne que la lecture du contenu des rapports des pays permet plutocirct de conclure que le paragraphe 9(1) a pour effet de restreindre le droit drsquoimposition national agrave lrsquoapplication de meacutethodes respectant le principe de pleine concurrence

188 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 11-115 189 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579 K SADIQ preacuteciteacute note 1 pp 228-229

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 493

lrsquoautoriteacute juridique des Commentaires soit ambigueuml puisque le Conseil de lrsquoOCDE les adopte indirectement au moyen de recommandations prises agrave lrsquoeacutegard du modegravele theacuteorique190 La plupart des experts tendent agrave conclure que les pays signataires drsquoune convention fiscale ne sont pas juridiquement tenus de suivre lrsquointerpreacutetation exprimeacutee par lrsquoOCDE dans les Commentaires191 En drsquoautres termes ces recommandations de lrsquoOCDE constituent des instruments juridiques sans aucune force contraignante agrave lrsquoeacutegard des pays membres192 mais les Commentaires de lrsquoOCDE publieacutes avant la signature drsquoun traiteacute font partie du contexte juridique de la convention et possegravedent agrave ce titre une grande force morale193 Pour ce qui est des Principes directeurs il srsquoagit de directives agrave caractegravere non contraignant (soft law rules) en droit fiscal international194

190 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil relative au Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune C(97)195FINAL 23 octobre 1997 (en ligne httpwebnetoecdorgoecdacts) s-par I(2)

191 Hans PIJL laquo Beyond Legal Bindingness raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 95 pp 112-113 David A WARD laquo Is There an Obligation in International Law of OECD Member Countries to Follow the Commentaries on the Model raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 73 pp 73-75

192 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 par 29 de lrsquointroduction Voir eacutegalement Convention relative agrave lrsquoOrganisation de Coopeacuteration et de Deacuteveloppement Eacuteconomiques Paris 14 deacutecembre 1960 (en ligne httpwwwoecdorgfrgeneral conventionrelativealorganisationdecooperationetdedeveloppementeconomiqueshtm) par 5b) ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Regraveglement de proceacutedure de lrsquoOrganisation juillet 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrjuridique 41455235pdf) par 18b)

193 D A WARD preacuteciteacute note 191 p 85 Lrsquoauteur renvoie agrave lrsquoarrecirct Crown Forest Industries Ltd c Canada [1995] 2 RCS 802 par 54-55

194 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 16 de la preacuteface

laquo Les pays membres sont encourageacutes agrave suivre ces principes dans leurs pratiques internes en matiegravere de prix de transfert et les contribuables sont inviteacutes agrave les suivre dans lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de leurs prix de transfert au principe de pleine concurrence [hellip] raquo

J LI preacuteciteacute note 152 p 78 preacutecise que laquo [t]he term ldquosoft lawrdquo [hellip] can be used to describe a quasi-legal instrument which does not have any legally binding force but is intended to have a direct influence on the practice of states and taxpayers raquo [notes omises] et que laquo [t]he Guidelines are clealy a type of soft law and represent arguably the most important source of information on transfer pricing raquo (italiques dans lrsquooriginal) Drsquoailleurs comme pour les Commentaires lrsquoOCDE enjoint les

(agrave suivrehellip)

494 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE

Depuis le deacutebut de la controverse autour du remplacement du principe de pleine concurrence le deacutebat se confine dans lrsquoexamen des meacuterites drsquoune seule autre option normative agrave savoir la reacutepartition globale des beacuteneacutefices En effet la revue de la litteacuterature ameacutericaine permet de constater que hormis les options contradictoires du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices il nrsquoy a pas drsquoautre option de reacutepartition195 Les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU font donc toujours face aux deux mecircmes choix que ceux auxquels eacutetaient confronteacutes en 1933 les pays membres de la SDN pour ce qui concerne la norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale196 Excepteacute que 80 anneacutees plus tard soit en 2013 lrsquooption du principe de pleine concurrence est confirmeacutee de faccedilon reacutecurrente les pays membres eacutetant appeleacutes agrave prendre position sur la reacutevision eacutepisodique des modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ainsi que des Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE197

Inexistant au cours de lrsquoegravere de la SDN un consensus autour du principe de pleine concurrence se deacuteveloppe posteacuterieurement agrave la Seconde Guerre mondiale entre les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Aussi sur le plan politique la reacutealiteacute de ce consensus paraicirct-elle constituer par

(hellipsuite)

administrations fiscales des pays membres agrave suivre les Principes directeurs par le truchement de recommandations prises par le Conseil de lrsquoOCDE lrsquoorgane deacutecisionnel de lrsquoorganisation internationale Agrave ce propos consulter ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil sur la deacutetermination des prix de transfert entre entreprises associeacutees C(95)126FINAL 13 juillet 1995 amendeacutee les 11 avril 1996 24 juillet 1997 28 octobre 1999 16 juillet 2009 et 22 juillet 2010 Au Canada le plus haut tribunal du pays a preacuteciseacute au paragraphe 20 de lrsquoarrecirct Canada c GlaxoSmithKline Inc [2012] 3 RCS 3 que

laquo [les Principes directeurs] nrsquoont pas la mecircme force contraignante qursquoune loi canadienne et en derniegravere analyse le critegravere agrave appliquer agrave un ensemble drsquoopeacuterations ou de prix doit ecirctre eacutetabli suivant le par 69(2) [de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu] et non pas selon quelque commentaire ou meacutethode eacutenonceacute dans les Principes raquo

195 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 240 196 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 664 197 Voir les sections 2 et 3 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 495

comparaison avec les anneacutees 1930 1940 et 1950 un obstacle de taille agrave lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus entre les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU au sujet de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Drsquoautant plus que malgreacute la transformation du contexte international les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont montreacute peu ou pas drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadoption eacuteventuelle de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme nouvelle norme de reacutepartition en droit fiscal international public

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE

PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS

Construit graduellement au fil des 30 derniegraveres anneacutees le consensus international sur le principe de pleine concurrence et de la perspective exclusivement transactionnelle mise de lrsquoavant par lrsquoOCDE est deacutesormais acquis Agrave compter de la fin des anneacutees 1990 la plupart des pays dans le monde qursquoils soient membres ou non membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU adhegraverent exclusivement au principe de pleine concurrence198 La deacutecision des pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU de reconduire le principe de pleine concurrence comme norme srsquoinscrit dans un contexte eacuteconomique commercial et leacutegislatif aujourdrsquohui bien diffeacuterent de celui qui avait cours alors que la SDN reacutealisait au deacutebut des anneacutees 1930 lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices199 Neacuteanmoins le principe de pleine concurrence demeure en droit fiscal international public la norme attitreacutee des pays membres de lrsquoOCDE ainsi que de lrsquoONU et la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la becircte noire

511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial et leacutegislatif

Mises en œuvre de maniegravere progressive apregraves la Seconde Guerre mondiale les politiques de libeacuteralisation du commerce favorisent lrsquointeacutegration croissante des eacuteconomies nationales agrave lrsquoeacuteconomie mondiale200 198 Voir la section 312 ci-dessus 199 Voir la section 1 ci-dessus 200 En particulier les Accords de Bretton Woods signeacutes aux Eacutetats-Unis en 1944 sont agrave

lrsquoorigine de la creacuteation de deux organismes internationaux le Fond moneacutetaire international et la Banque mondiale Agrave ce sujet voir Christian DEBLOCK et Bruno HAMEL laquo Bretton Woods et lrsquoordre eacuteconomique drsquoapregraves-guerre raquo (1994-1995) no 26 Interventions eacuteconomiques Pour une alternative sociale (en ligne httpclassiquesuqaccacontemporainsdeblock_christianbretton_woods_ordre_econoBretton_Woods_ordre_ecopdf) p 6 et Perrine CREacuteQUY laquo Les accords de Brettons Woods moteur des Trente Glorieuses raquo Le Figaro 10 octobre 2008 (en

(agrave suivrehellip)

496 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Il en va de mecircme pour lrsquoacceacuteleacuteration des eacutechanges commerciaux201 et le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication202 Les entreprises multinationales jouent un rocircle de premier plan dans la mondialisation des eacutechanges et des investissements transnationaux Et leur nombre ne cesse de srsquoaccroicirctre pas moins de 82 000 entreprises multinationales deacutetiennent 810 000 filiales eacutetrangegraveres en 2009 comparativement agrave 24 000 entreprises multinationales en 1990 et seulement 7 000 agrave la fin des anneacutees 1960203 Au deacutebut du XXIe siegravecle les entreprises multinationales effectuent plus de 60 du commerce international204 Essentiellement caracteacuteriseacutee par les matiegraveres premiegraveres et les produits agricoles industriels dont le prix au marcheacute est clairement eacutetabli la nature des eacutechanges commerciaux drsquoantan srsquoest eacutelargie de sorte que ceux-ci comprennent agrave preacutesent des produits intermeacutediaires des biens incorporels uniques et des services speacutecialiseacutes

En outre les structures organisationnelles des entreprises multinationales sont agrave preacutesent plus complexes205 Dans la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres les filiales eacutetrangegraveres ne servent qursquoagrave fournir aux

(hellipsuite)

ligne httpwwwlefigarofreconomie2008101004001-20081010ARTFIG00284-les-accords-de-bretton-woods-moteur-des-trente-glorieuses-php)

201 Par exemple lrsquoouverture de nouveaux marcheacutes potentiels agrave la suite de la chute de lrsquoURSS du passage des pays de lrsquoEurope de lrsquoEst agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute de la creacuteation de marcheacutes eacuteconomiques communs (lrsquoUnion europeacuteenne lrsquoAccord de libre-eacutechange nord-ameacutericain la Coopeacuteration eacuteconomique pour la zone Asie-Pacifique et lrsquoIndian Ocean Rim Association for Regional Cooperation) et de lrsquoeacutemergence des pays BRICS (Breacutesil Russie Inde Chine et Afrique du Sud) Agrave ce sujet voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 77

202 Notamment lrsquoautomatisation lrsquoinformatisation et le commerce eacutelectronique Voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 78 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739 et 742-745

203 Selon les chiffres estimeacutes pour lrsquoanneacutee 2009 par la Confeacuterence des Nations Unies sur le commerce et le deacuteveloppement (CNUCED) relativement agrave 14 pays membres de lrsquoOCDE UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT World Investment Report 2009 Transnational Corporations Agricultural Production and Development New York et Genegraveve 2009 (en ligne httpunctadorgendocswir2009_enpdf) p xxi et Torbjoumlrn FREDRIKSSON Transnational Corporations Forty Years of UNCTAD Research on FDI UNCTADITEIIT35 vol 12 no 3 2003 (en ligne httpunctadorg endocsiteiit35v12n3a1_enpdf) p 8

204 ONU Transfer Pricing History preacuteciteacute note 98 p 2 205 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739-740

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 497

socieacuteteacutes megraveres un accegraves aux marcheacutes eacutetrangers Toutefois la production eacutetrangegravere augmente apregraves la Seconde Guerre et les entreprises multinationales tendent alors agrave inteacutegrer et agrave controcircler les activiteacutes commerciales internationales Puis alors que le nombre de refuges fiscaux explose206 elles reacuteorganisent la production des biens et des services en proceacutedant au remaniement et agrave la deacutelocalisation des fonctions et des risques assumeacutes par les entiteacutes lieacutees et non lieacutees qui sont parties prenantes de la chaicircne drsquoapprovisionnement207 Au deacutebut des anneacutees 2000 les formes drsquoorganisations des entreprises multinationales comportent des ententes contractuelles de plus en plus varieacutees avec des socieacuteteacutes tierces

Tandis que le principe de pleine concurrence a lrsquoair en adeacutequation avec le contexte eacuteconomique et commercial des anneacutees 1930 le contexte eacuteconomique et commercial actuel en complique davantage lrsquoapplication courante Entre autres choses les administrations fiscales sont aujourdrsquohui aux prises avec des transactions transfrontaliegraveres plus nombreuses des types uniques de transactions conclues par des entreprises multinationales inteacutegreacutees verticalement ainsi que des planifications fiscales combinant des formes organisationnelles complexes et des refuges fiscaux Pareillement lrsquoeacutevolution de la politique fiscale nationale de nombreux pays tend drsquoune maniegravere geacuteneacuterale agrave raffiner sur la mise en œuvre du principe de pleine concurrence ndash par exemple la preacuteparation obligatoire de la documentation ponctuelle par les entreprises multinationales et accessoirement lrsquoeacutelaboration implicite par ces derniegraveres drsquoune strateacutegie de deacutefense pour justifier lors des veacuterifications fiscales la politique interne de prix de transfert ndash pour les entreprises multinationales Ainsi quelque 50 pays y compris le Canada208 adoptent de front des mesures leacutegislatives fiscales nationales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence alors qursquoils se dotent progressivement apregraves la Seconde Guerre mondiale de vastes

206 R PALAN preacuteciteacute note 36 Lrsquoauteur situe lrsquoacircge drsquoor du deacuteveloppement des refuges

fiscaux au cours de la peacuteriode des anneacutees 1960 aux anneacutees 1990 207 La chaicircne drsquoapprovisionnement des entreprises multinationales modernes se

caracteacuterise plus souvent comparativement aux anneacutees 1950 par la speacutecialisation des activiteacutes ou des fonctions sans deacutedoublement drsquoun pays agrave lrsquoautre Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 p 12 Les reacuteorganisations drsquoentreprises combinent geacuteneacuteralement la transformation des distributeurs de plein exercice en distributeurs limiteacutes la transformation des fabricants de plein exercice en sous-traitants ou faccedilonniers la rationalisation ou la speacutecialisation des activiteacutes et la centralisation des actifs incorporels Agrave ce sujet voir Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 pp 259-260

208 Voir supra note 138

498 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteseaux de conventions fiscales bilateacuterales sur la base des modegraveles theacuteoriques de convention fiscale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU209

512 La persistance du rejet international de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

Malgreacute les difficulteacutes notoires drsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutechanges internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees la longue controverse ameacutericaine nrsquoa apparemment pas fragiliseacute ni menaceacute drsquoeacuteclatement le consensus partageacute par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU sur le principe de pleine concurrence Non seulement ces derniers nrsquoont jamais manifesteacute depuis la publication du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE lrsquointention drsquoabandonner le principe de pleine concurrence pour cause drsquoobsolescence mais de plus en plus drsquoadministrations fiscales ont eu tendance agrave lrsquointeacutegrer dans les leacutegislations nationales210 Parallegravelement les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU continuent de rejeter depuis plus de 30 ans deacutejagrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme solution de remplacement reacutealiste au principe de pleine concurrence sans mecircme qursquoune eacutetude approfondie sur les plans theacuteorique et pratique nrsquoait eacuteteacute meneacutee sur les meacuterites de son application au niveau national211

Degraves lors cette curieuse absence drsquoeacutetude peut naturellement laisser agrave entendre que les organisations intergouvernementales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne se sont jamais pris drsquointeacuterecirct pour la reacutepartition globale des beacuteneacutefices au titre de norme internationale pour reacutegir la reacutepartition entre plusieurs administrations fiscales des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees212 Le

209 Lorraine EDEN laquo Transfer Price Manipulation Tax Ethics and Developing

Countries raquo 2009 (en ligne httpwwwpublicpolicyumdedufilesphpfaculty reuterIllicitFlowsEden-TPM-World-Bank-090609pdf) (consulteacute en feacutevrier 2011) p 7

210 ANONYME laquo OECD Reaffirms Armrsquos Lengthrsquos Future raquo TP Week 23 septembre 2009 Caroline Silberztein alors chef de lrsquoUniteacute des prix de transfert deacuteclarait que laquo [u]ntil we have a better simpler and fairer alternative then we are going to stay with the armrsquos-length principle raquo

211 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 par 14 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 374 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 132

212 M C DURST preacuteciteacute note 140 srsquoexprime comme suit agrave la page 134

laquo The OECD has been especially deficient I believe in its lack of willingness to give serious and open-minded attention to the possibility of alternatives to comparables-based transfer pricing rules [hellip] The OECD has

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 499

point de vue srsquoapplique aussi aux Eacutetats-Unis drsquoautant que le deacutepartement du Treacutesor nrsquoa pas donneacute suite agrave la recommandation du US Government Accountability Office en 1981 de faire une eacutetude afin de deacutevelopper une preuve empirique favorable ou non agrave lrsquoadoption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie213 Faute drsquoeacutetude seacuterieuse il srsquoavegravere que personne ne sait vraiment si la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices augmenterait ou diminuerait les recettes fiscales annuelles ameacutericaines214

Bref les arguments de lrsquoOCDE pour justifier le refus de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices215 qui sont en gros similaires agrave ceux mentionneacutes dans le Rapport Carroll216 se fondent entiegraverement sur les commentaires des pays membres217 En particulier il convient de souligner que lrsquoargument principal

(hellipsuite)

never however attempted a systematic and quantitative comparison between their approach and alternatives such as the formulary system that has been in place among the US states for about one hundred years ndash a longevity that suggests such a system is at least to some extent ldquorealisticrdquo ndash or alternatives based on the OECDrsquos own profit split method [hellip] It should be possible to compare alternative systems by use of realistic and quantitative case studies with respect to such criteria as avoidance of both double taxation and double under-taxation and feasibility and cost of compliance and enforcement I believe the worldrsquos governments deserve ndash and need ndash a much more thorough systematic and open-minded comparison of possible alternatives insulated from the participation of financially interested parties than the OECD has offered to date [note omise] raquo (Notre soulignement)

213 GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56 Selon le US Government Accountability Office si le deacutepartement du Treacutesor agrave la suite de lrsquoeacutetude avait deacutecideacute drsquoutiliser la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie cette derniegravere applicable seulement aux entreprises unitaires nrsquoaurait constitueacute qursquoun outil additionnel pour parfaire lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

214 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1153 En outre il nrsquoest nullement certain que lrsquoeacutevitement fiscal qui reacutesulte de la manipulation des regravegles actuelles sur les prix de transfert serait moindre si la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie devenait la nouvelle norme internationale car il est fort probable que de nouvelles techniques seraient deacuteveloppeacutees ou encore il est mecircme possible que les techniques deacutejagrave existantes soient toujours efficaces Agrave ce propos voir J ROIN preacuteciteacute note 152 pp 174-175

215 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 122-131 216 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669-670 217 Les commentaires des pays membres de lrsquoOCDE publieacutes dans le rapport de 1979

nrsquoeacutetant pas fondeacutes sur des donneacutees empiriques le US Government Accountability (agrave suivrehellip)

500 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

contre la reacutepartition globale des beacuteneacutefices mis de lrsquoavant sans ambages dans le Rapport Carroll soit le refus des pays membres de perdre leur souveraineteacute fiscale nrsquoest pas formuleacute expresseacutement dans les lignes directrices de 1979 de 1995 et de 2010218 Pour le reste lrsquoOCDE reacuteitegravere que la mise en œuvre drsquoun nouveau systegraveme de regravegles fiscales visant agrave preacutevenir les doubles impositions eacuteconomiques impliquerait une coordination et une coopeacuteration internationales sans preacuteceacutedent de la part des grands pays dans lesquels les entreprises multinationales exercent des activiteacutes commerciales et que lrsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices serait aussi arbitraire sinon plus que le principe de pleine concurrence

Exprimeacute par un rejet cateacutegorique explicite dans les Principes directeurs le durcissement de la position de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices remonte agrave 1995 Lrsquointransigeance et la fermeteacute de lrsquoOCDE confegraverent ouvertement au principe de pleine concurrence un statut de dogme quasi planeacutetaire irremplaccedilable dont la veacuteriteacute est en apparence indiscutable Pourtant lrsquoOCDE semblait permettre dans le rapport de 1979 la possibiliteacute drsquoutiliser les meacutethodes de partage de beacuteneacutefices et y compris vraisemblablement la reacutepartition globale selon une formule afin de valider les prix de pleine concurrence ou encore lorsque les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence eacutetaient inapplicables et que les pays concerneacutes partageaient cette mecircme approche de reacutepartition219

En reacutealiteacute le consensus autour du principe de pleine concurrence paraicirct ineacutebranlable Continuant agrave maintenir que lrsquoapproche de pleine concurrence fondeacutee sur le marcheacute demeure malgreacute les critiques le meilleur principe de reacutepartition theacuteorique des beacuteneacutefices les Eacutetats-Unis exercent toujours une autoriteacute morale et politique en tant que chef de file des regravegles sur les prix de transfert et contribuent agrave renforcer lrsquoeacutedification du concept comme norme

(hellipsuite)

Office a drsquoailleurs choisi de ne pas en discuter dans son rapport concernant les beacuteneacutefices des entreprises multinationales GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56

218 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669

laquo Will countries in which profits have clearly accrued agree to giving up a part or all of such profits as a result of an apportionment of the total net income or loss of the enterprise The great majority of administrations have definitely indicated that they would not [note omise] raquo

219 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 15-16 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 76

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 501

internationale de reacutepartition220 La profession de foi de lrsquoIRS et du deacutepartement du Treacutesor contenue dans le Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute revecirct encore aujourdrsquohui une tregraves grande importance du point de vue de la politique gouvernementale ameacutericaine dans le contexte du deacutebat sur le principe de pleine concurrence221

En outre les associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines sont aussi favorables au maintien du principe de pleine concurrence222 Mais encore les fiscalistes dont le travail consiste agrave preacuteparer la documentation ponctuelle et agrave eacutelaborer les planifications fiscales qui permettent de deacuteplacer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide des contrats intersocieacuteteacutes ont tout inteacuterecirct agrave ce que le reacutegime actuel demeure en place223 Pourquoi les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU remplaceraient-ils le principe de pleine concurrence alors que les Eacutetats-Unis un joueur mondialement puissant rejettent cateacutegoriquement cette ideacutee

220 Depuis le deacutebut de lrsquohistoire des prix de transfert les Eacutetats-Unis ont joueacute un rocircle de

premier plan Les recherches meneacutees par les auteurs concernant les travaux de la SDN et de lrsquoOCDE ne permettent pas drsquoaffirmer que drsquoautres pays ont exerceacute une influence aussi marqueacutee que celle des Eacutetats-Unis en matiegravere de prix de transfert

221 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 p 86 Plus reacutecemment Michael Danilack Commissaire adjoint agrave lrsquoIRS Large Business and International Division a reacuteiteacutereacute lors de la confeacuterence annuelle de lrsquoOCDE tenue en juin 2011 agrave Washington que les Eacutetats-Unis adheacuteraient au principe de pleine concurrence ANONYME laquo PwC Reports on OECD Tax Conference raquo (2011) Worldwide Tax Daily 118-26 (Tax Analysts) Toutefois le refus en 2010 du deacutepartement du Treacutesor de reacuteveacuteler devant le Comiteacute des voies et moyens agrave lrsquooccasion de la deacuteposition orale de Stephen E Shay alors Secreacutetaire adjoint aux affaires fiscales internationales srsquoil srsquoopposerait ou non agrave lrsquoadoption eacuteventuelle par le Congregraves de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule preacuteeacutetablie en remplacement du principe de pleine concurrence fait ombre au tableau US HOUSE OF REPRESENTATIVES Hearing on Transfer Pricing Issues Before the Committee on Ways and Means 111e Congregraves Deuxiegraveme session juillet 2010 Seacuterie 111-66 (en ligne httpdemocratswaysandmeanshousegovHearingstranscriptaspxNewsID=11273) (laquo Hearing on Transfer Pricing 2010 raquo) sans pagination (consulteacute le 22 feacutevrier 2011)

222 Celles ayant preacutesenteacute en juillet 2010 des commentaires eacutecrits au Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants des Eacutetats-Unis reacuteclament unanimement le maintien du principe de pleine concurrence comme norme internationale

223 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 131

502 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA

CONJONCTURE ACTUELLE

Sauf un improbable coup de theacuteacirctre il est inconcevable de croire que dans le cadre de la controverse autour de la norme de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU fassent table rase du consensus sur le principe de pleine concurrence et repartent de zeacutero Forceacutes de choisir entre deux options contradictoires ils srsquoobstinent agrave reconduire le choix initial et agrave maintenir le statu quo en deacutepit drsquoun contexte international diffeacuterent de celui des anneacutees 1930 Pour le moment la conclusion drsquoun nouveau consensus international agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices est au point de vue politique illusoire

Mecircme agrave supposer que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent eacuteventuellement agrave deacutegager un consensus pour adopter la reacutepartition globale des beacuteneacutefices encore faudrait-il que ceux-ci viennent agrave bout de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition conjugueacute avec une formule matheacutematique de reacutepartition des beacuteneacutefices qui soient applicables agrave lrsquoeacutechelon international Que voilagrave un gigantesque deacutefi agrave relever pour peu que lrsquoexemple des Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains et la tentative de lrsquoUnion europeacuteenne preacutefigurent les difficulteacutes inheacuterentes sur le plan mondial agrave la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial

En theacuteorie lrsquohypotheacutetique eacutemergence drsquoun consensus international relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence devrait entraicircner pour corollaire direct la substitution de ce dernier par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Le deacutelaissement de la norme actuelle par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU impliquerait neacutecessairement lrsquoadheacutesion internationale agrave la seconde option car lrsquoadoption de la norme de reacutepartition de lrsquoassiette mondiale de revenu imposable des socieacuteteacutes lieacutees relegraveve drsquoun choix binaire224 Ainsi avec lrsquoavegravenement de la reacuteforme les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU se verraient contraints de srsquoaccorder agrave partager une conception

224 La reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoest pas synonyme de systegraveme unitaire mais

lrsquooption de remplacement proposeacutee en conjugue lrsquoapplication depuis les anneacutees 1930 Sur la question de la distinction entre les deux expressions voir R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap II

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 503

commune drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition y compris une ou le cas eacutecheacuteant plusieurs formules matheacutematiques preacuteeacutetablies afin de preacutevenir les conseacutequences neacutefastes de la double imposition des beacuteneacutefices des entreprises multinationales

Agrave ce sujet des opinions srsquoeacutelegravevent afin de faire valoir que des eacuteleacutements fondamentaux de ce nouveau systegraveme sont susceptibles de susciter des difficulteacutes importantes voire des impasses politiques au sein de la communauteacute internationale et dont lrsquoampleur pourrait mecircme surpasser les inconveacutenients deacutecoulant de lrsquoapplication du systegraveme actuel225 Premiegraverement il faudrait deacutefinir agrave des fins fiscales la composition drsquoune entreprise unitaire Pour cela les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU devraient eacutetablir les critegraveres geacuteneacuteraux ndash par exemple controcircle de droit et de fait inteacutegration eacuteconomique ndash permettant de distinguer parmi les entiteacutes membres du groupe drsquoentreprises multinationales celles qui feraient partie de lrsquoentreprise unifieacutee et dont les beacuteneacutefices comptables seraient combineacutes preacutealablement agrave lrsquoexercice de la reacutepartition selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Deuxiegravemement les pays seraient aussi tenus de speacutecifier lrsquoassiette fiscale imposable consolideacutee crsquoest-agrave-dire de preacuteciser les revenus drsquoentreprise totaux faisant lrsquoobjet de la reacutepartition entre les administrations fiscales Ne conviendrait-il pas drsquoinclure dans cette assiette lrsquoensemble des revenus gagneacutes par lrsquoentreprise unitaire ou seulement les revenus geacuteneacutereacutes directement par les activiteacutes commerciales agrave lrsquoexclusion de certaines cateacutegories de revenus notamment les revenus drsquointeacuterecircts et de redevances226

Puis les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU auraient agrave seacutelectionner les facteurs de reacutepartition des beacuteneacutefices consolideacutes ainsi qursquoagrave fixer la pondeacuteration de chacun de ces facteurs dans la formule matheacutematique Y aurait-il lieu dans les circonstances de simplement retenir les trois facteurs de lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act soit les immobilisations corporelles les salaires et les ventes Sinon comment reacutesoudre alors lrsquoeacutepineuse question des actifs incorporels doivent-ils ecirctre pris en compte ou non en tant que facteur de reacutepartition227

225 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 110 226 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1146 227 Les biens incorporels sont difficiles agrave eacutevaluer vu leur nature unique Outre le fait de ne

pas avoir de localisation geacuteographique concregravete ils font rarement lrsquoobjet drsquoun transfert agrave des tiers par vente contrat de licence ou autres de sorte que les prix du marcheacute comparables se reacutevegravelent introuvables Sur ce point voir J LI preacuteciteacute note 92 pp 848-849 Drsquoautre part certains soutiennent que le coucirct de production et de

(agrave suivrehellip)

504 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Plusieurs laissent entendre que la creacuteation drsquoun consensus international relativement aux eacuteleacutements susmentionneacutes serait pour le moins ardue du fait que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques228 En effet les marcheacutes financiers les regravegles comptables les monnaies nationales et les systegravemes juridiques sont aujourdrsquohui rarement identiques drsquoun pays agrave lrsquoautre En de pareilles circonstances il semble douteux de pouvoir un jour accorder toutes les divergences nationales potentielles vis-agrave-vis de cette reacuteforme de faccedilon que son implantation rallie les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Lrsquoideacutee mecircme de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition mondial et une formule matheacutematique uniforme de reacutepartition constitue au XXIe siegravecle une vue de lrsquoesprit une utopie

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes

Depuis au moins un siegravecle la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie est utiliseacutee par les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains qui perccediloivent un impocirct corporatif sur les beacuteneacutefices des entreprises exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat Crsquoest lrsquoEacutetat du Wisconsin qui au deacutepart lrsquoaurait preacutefeacutereacutee agrave la comptabilisation distincte afin drsquoeacuteviter tous les eacutecueils relatifs agrave lrsquoestimation de la portion des beacuteneacutefices totaux attribuable aux Eacutetats ougrave les entreprises se livrent agrave des activiteacutes commerciales229 Parmi les Eacutetats qui se servent drsquoune telle formule pour diviser les beacuteneacutefices seuls quelques-uns ont instaureacute un systegraveme drsquoimposition unitaire230

(hellipsuite)

conservation des biens incorporels est deacutejagrave refleacuteteacute dans les trois facteurs UDITPA S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1150-1151

228 H David ROSEMBLOOM laquo Angels on a Pin Armrsquos Length in the World raquo (2005) 38 Tax Notes International 523 (Tax Analysts) p 524 Stanley S SURREY laquo Reflections on the Allocation of Income and Expenses Among National Tax Jurisdictions raquo (1978) vol 10 no 2 Law amp Policy International Business 409 (HeinOnline Law Journal Library) p 416 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT preacuteciteacute note 78 p 12

229 Joann M WEINER laquo Using the Experience in the US States to Evaluate Issues in Implementing Formula Apportionment at the International Level raquo OTA Paper No 83 1999 (en ligne httpipv6treasurygovresource-centertax-policytax-analysisDocumentsota83pdf) p 6

230 Id p 17

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 505

Au terme drsquoune longue bataille juridique la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis confirme en 1983 la constitutionnaliteacute de la notion drsquoentreprise unitaire alors appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie pour reacutepartir notamment les revenus de source eacutetrangegravere drsquoune entreprise multinationale ameacutericaine231 Pourtant le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis propose agrave la suite de ce jugement un compromis soit la waterrsquos edge formula aux Eacutetats ameacutericains qui ont adopteacute une approche fiscale mondiale Mise en pratique degraves 1986 la proposition de lrsquoadministration Reagan conjugue dans le but de mettre fin aux seacuterieuses dissensions entre les Eacutetats ameacutericains et les entreprises multinationales eacutetrangegraveres lrsquoapplication de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie aux revenus corporatifs de source ameacutericaine et celle de la comptabiliteacute distincte et du principe de pleine concurrence aux revenus corporatifs de source eacutetrangegravere232

Certes le caractegravere meacutecanique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie seacuteduit agrave premiegravere vue par sa simpliciteacute drsquoexeacutecution Mais la longue expeacuterience des administrations fiscales infranationales ameacutericaines relativement agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices afin de reacutepartir les beacuteneacutefices intereacutetatiques des socieacuteteacutes srsquoavegravere-t-elle suffisamment concluante pour constituer un incitatif seacuterieux agrave lrsquoadoption de celle-ci au niveau national Quoique les regravegles comptables et les devises soient les mecircmes dans tous les Eacutetats ameacutericains il ressort assez clairement tout drsquoabord que la notion drsquolaquo entreprise unitaire raquo varie drsquoun Eacutetat agrave lrsquoautre selon diffeacuterents critegraveres leacutegislatifs et jurisprudentiels233 Quant aux formules matheacutematiques mecircme si les trois facteurs deacutetermineacutes par lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act srsquoy trouvent combineacutes elles ne sont pas identiques puisque depuis les anneacutees 1980 les Eacutetats ameacutericains tendent agrave augmenter diffeacuteremment la pondeacuteration des recettes brutes234

231 Container Corp v Franchise Tax Board 463 US 159 (1983) (en ligne

httpsupremejustiacomcasesfederalus463159casehtml) Voir eacutegalement la cause Barclays Bank PLC v Franchise Tax Board of California 114 S Ct 2268 (1994) (en ligne httpsupremejustiacomcasesfederalus512298) dans la laquelle la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis valide la constitutionnaliteacute de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie agrave une entreprise multinationale eacutetrangegravere

232 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 573 C THOMAS preacuteciteacute note 68 pp 105-106

233 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 114-1145 J M WEINER preacuteciteacute note 229 pp 17-18

234 J M WEINER preacuteciteacute note 148 p 12

506 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Partant lrsquoexpeacuterience acquise par les Eacutetats-Unis au niveau infranational donne agrave penser que le passage en droit fiscal international public du principe de pleine concurrence agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique ne serait pas garant de la simpliciteacute ni de la preacutevisibiliteacute pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales Une fois transposeacutee agrave lrsquoeacutechelon international cette expeacuterience ameacutericaine laisse aussi supposer des diffeacuterences entre les systegravemes nationaux de reacutepartition globale Eacutetant donneacute que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques une augmentation des risques de doubles impositions encore plus grande que dans le systegraveme actuel serait agrave redouter pour les entreprises multinationales En un mot les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains illustrent au mieux un modegravele agrave parfaire au pire un repoussoir agrave lrsquooption de la reacuteforme

En outre lrsquoimprobabiliteacute que les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent agrave un accord agrave lrsquoeacutechelon international est drsquoautant plus grande que le projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes deacutemarreacute depuis plus de 10 ans ne reacuteussit toujours pas agrave rallier les pays de lrsquoUnion europeacuteenne sur lrsquoideacutee de la mise en œuvre de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices dans un marcheacute eacuteconomique commun Une douzaine de pays considegraverent que ce projet ne respecte pas le principe de subsidiariteacute preacutevu dans le Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne voulant que lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoagisse que lorsque les reacutesultats attendus ne peuvent ecirctre atteints au niveau national235 Les Pays-Bas rejettent formellement le projet en raison de lrsquoaugmentation des coucircts de conformiteacute des gouvernements qui devront geacuterer deux systegravemes fiscaux en mecircme temps ndash national et europeacuteen ndash et de lrsquoabsence des biens incorporels et des actifs financiers dans les cleacutes de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale236 Aussi certains observateurs soutiennent-ils qursquoil se peut que le projet demeure lettre morte237 Il va de soi que lrsquoenlisement du projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des

235 Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne 1er novembre 1993 (en ligne httpeur-

lexeuropaeufrtreatiesnew-2-48htm) par 5(3) Agrave ce sujet voir Kristen A PARILLO laquo 9 EU Countries Express Subsidiarity Concerns Over CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 102-1 (Tax Analysts) et du mecircme auteur laquo Irish UK Parliaments Reject CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 100-1 (Tax Analysts)

236 ANONYME laquo PwC Reviews Netherlandsrsquo Reaction to CCCTB raquo (2011) Worldwide Tax Daily 89-35 (Tax Analysts)

237 Kristen A PARILLO laquo CCCTB Could Be Adopted by Subset of EU Countries Austrian Academics Says raquo (2011) Worldwide Tax Daily 197-7 (Tax Analysts)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 507

socieacuteteacutes (ACCIS) fait lrsquoeffet drsquoune douche froide pour les partisans de la reacuteforme Crsquoest le cas de lrsquoun des plus ardents deacutefenseurs de lrsquooption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices parmi les universitaires ameacutericains le professeur Avi-Yonah238 Ce dernier se dit maintenant convaincu devant les difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne que la mise en place drsquoun systegraveme unitaire international drsquoimposition est irreacutealisable239

En fin de compte le remplacement du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence et la theacuteorie de la comptabiliteacute distincte prend la forme drsquoune proposition doublement illusoire dans le contexte international actuel Drsquoune part les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU refusent systeacutematiquement drsquoexplorer la question de la supeacuterioriteacute de lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacuteconomie mondiale moderne et drsquoen mesurer par le truchement de lrsquoobservation empirique les avantages reacuteels sur le principe de pleine concurrence Perpeacutetuant la ligne de penseacutee suivie par la SDN lrsquoOCDE et lrsquoONU maintiennent le cap sur le principe de pleine concurrence Drsquoautre part la prise en compte des embucircches lieacutees agrave lrsquoexpeacuterience des Eacutetats ameacutericains et au dessein europeacuteen rend quasi impossible lrsquoideacutee mecircme drsquoinstaurer une formule matheacutematique et un systegraveme unitaire drsquoimposition universels

Dans un monde ideacuteal lrsquoinstauration drsquoune gamme de meacutethodes pour deacuteterminer les prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure ndash meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre ndash agrave lrsquoestimation pure ndash meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacutedeacutetermineacutee ndash reacutesoudrait la plupart des difficulteacutes actuelles Toutefois lrsquoabsence drsquointeacuterecirct des pays membres de lrsquoOCDE en ce moment agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale tend agrave confirmer le caractegravere illusoire drsquoun possible consensus sur lrsquoajout dans les Principes directeurs de la meacutethode de la reacutepartition totale illimiteacutee des beacuteneacutefices aux meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave accepteacutees par lrsquoOCDE Un tel continuum qui impliquerait en quelque sorte la coexistence au niveau national de deux systegravemes de regravegles de prix de transfert serait susceptible drsquoexposer davantage les entreprises multinationales agrave la double imposition en raison de lrsquoutilisation de formules matheacutematiques diffeacuterentes drsquoun pays agrave lrsquoautre

238 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 239 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 au chap III (Myth 2)

Ce changement de position semble attribuable entre autres aux difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la tentative drsquoadopter une assiette fiscale commune

508 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX

DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU

Le refus continuel de consideacuterer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme la panaceacutee aux difficulteacutes relatives agrave la reacutepartition mondiale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees contraint les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU agrave composer avec le principe de pleine concurrence Il nrsquoest pas eacutetonnant que agrave deacutefaut drsquoautres options reacutealistes ce dernier se voie rangeacute sous lrsquoeacutetiquette de laquo meilleure option pratique raquo dans la conjoncture actuelle240 Lrsquoeacutetat des choses pourrait mecircme laisser croire en admettant que le principe de pleine concurrence ait atteint au siegravecle dernier la limite de son deacuteveloppement et qursquoil relegraveverait de lrsquoanachronisme que lrsquoOCDE et lrsquoONU se sont enfermeacutees dans un cul-de-sac dont elles ne peuvent srsquoextirper

Leitmotiv des reacuteformateurs lrsquoideacutee que le principe de pleine concurrence soit maintenant frappeacute drsquoobsolescence peut-elle reacutesister agrave lrsquoanalyse Le principe de pleine concurrence se reacuteduit-il en fin de compte agrave une norme internationale de reacutepartition agrave preacutesent deacutepasseacutee Une chose est sucircre le contexte international du XXIe siegravecle nrsquoa plus rien agrave voir avec celui qui a vu naicirctre cette norme Pour cette raison le statu quo semble difficilement tenable drsquoougrave la neacutecessiteacute pour lrsquoOCDE et lrsquoONU de concevoir la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence en vue de lrsquoadapter au monde eacuteconomique drsquoaujourdrsquohui

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE

CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION

Adopteacute voilagrave 80 ans par la SDN le principe de pleine concurrence est un concept de reacutepartition des beacuteneacutefices aussi ancien que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie241 Dans le contexte de la controverse autour du principe de pleine concurrence les reacuteformateurs ont agiteacute les questions drsquoobsolescence quelques-uns osant mecircme qualifier ce dernier drsquoanachronisme242 Il est vrai que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence reconnus par lrsquoOCDE nrsquoont pas eacuteteacute reacuteellement adapteacutes agrave lrsquoeacutevolution rapide du commerce

240 Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines

Jr) Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 par 323 ANONYME preacuteciteacute note 210 241 Voir la section 11 ci-dessus 242 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 J M WEINER preacuteciteacute note 1

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 509

international amorceacutee apregraves la Seconde Guerre mondiale Devant lrsquoeacutemergence de certaines pratiques plus souples et comportant des eacuteleacutements de formules dans certains pays non membres la reacutenovation du systegraveme de regravegles sur les prix de transfert srsquoimpose au XXIe siegravecle de faccedilon que puisse renaicirctre le pragmatisme existant au milieu du siegravecle preacuteceacutedent

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international

Au contraire de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie le principe de pleine concurrence est toujours en usage dans le monde pour attribuer au niveau national les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Depuis respectivement 1990 et 2006 la Suisse et lrsquoEspagne qui avaient adopteacute degraves les anneacutees 1920 la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique srsquoappuient sur le principe de pleine concurrence et mettent en pratique les meacutethodes de prix de transfert recommandeacutees par lrsquoOCDE243 De plus le nombre de pays qui appliquent le principe de pleine concurrence nrsquoa pas cesseacute drsquoaugmenter depuis les anneacutees 1970244 Par conseacutequent le principe de pleine concurrence ne saurait ecirctre qualifieacute de concept peacuterimeacute en droit fiscal international moderne ce qui est par contre le cas de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices une relique du siegravecle dernier245

Dans son essence le concept de pleine concurrence est demeureacute exactement le mecircme que du temps ougrave la SDN se preacuteoccupait du problegraveme de la double imposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Lrsquoideacutee que les prix des transactions internes des socieacuteteacutes lieacutees devraient ecirctre similaires agrave ceux convenus sur le marcheacute libre par des socieacuteteacutes tierces agrave lrsquoeacutegard de transactions analogues a traverseacute la seconde partie du XXe siegravecle en se muant avec le concours de lrsquoOCDE et des Eacutetats-Unis en un dogme immuable Diffuseacutes initialement dans les premiegraveres lignes directrices de

243 Il en va de mecircme pour lrsquoAutriche (pays fondateur de lrsquoOCDE) la Tcheacutecoslovaquie

(membre de lrsquoOCDE depuis 1995) et la Hongrie (membre de lrsquoOCDE depuis 1996) Sur ce point voir les fiches pays des pays susmentionneacutes en matiegravere de prix de transfert disponibles sur le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorg document1503746fr_2649_33753_37837967_1_1_1_100html

244 Sur ce point voir supra note 105 245 Aucun pays de lrsquoOCDE ni de lrsquoONU nrsquoutilise vraisemblablement de nos jours la

reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Voir Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines Jr) IFA 1992 preacuteciteacute note 97 p 113

510 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE agrave la fin des anneacutees 1970 les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont fait lrsquoobjet de reacutevisions majeures mais avec une lenteur de tortue

Souvent agrave la remorque des innovations de lrsquoadministration fiscale des Eacutetats-Unis lrsquoOCDE a tenteacute mollement de mieux adapter la norme de pleine concurrence agrave la nouvelle reacutealiteacute du contexte international246 Or le contexte actuel diffegravere grandement du contexte des anneacutees 1930 deacutecrit dans la premiegravere eacutetude internationale sur les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices Le rapport de ces diffeacuterences deacutenote le passage agrave un autre monde eacuteconomique et commercial tant la meacutetamorphose accomplie se reacutevegravele importante Notamment le nombre des entreprises multinationales et des eacutechanges internationaux srsquoest beaucoup accru les eacutechanges transfrontaliers internes incluent geacuteneacuteralement de nos jours des biens incorporels uniques de grande valeur ainsi que la prestation de services speacutecialiseacutes Aussi le nombre de refuges fiscaux de mecircme que le nombre drsquoadministrations fiscales nationales doteacutees de regravegles fiscales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence ont connu une forte augmentation

Certes la transformation progressive sur le plan mondial du contexte eacuteconomique et commercial a contribueacute agrave mettre en relief les lacunes intrinsegraveques drsquoun concept qui comme lrsquoont exprimeacute les acteurs de la controverse247 est imparfaitement adapteacute aux entreprises multinationales modernes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de 1995 que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence connaissent dans les Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE une tregraves lente eacutevolution modeleacutee sur les modifications leacutegislatives ameacutericaines248 Notamment cette eacutevolution marque lrsquointroduction du concept drsquointervalle de prix de pleine concurrence lequel favorise lrsquoapplication de la norme de comparabiliteacute drsquoune maniegravere moins stricte De plus elle donne ouverture agrave lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices pour deacuteterminer les prix de transfert comme solutions pratiques dans les cas ougrave les meacutethodes traditionnelles sont difficiles agrave appliquer et aux arrangements preacutealables en matiegravere de prix de

246 Sur ce point voir John NEIGHBOUR et Jeffrey OWENS laquo Transfer Pricing in the

New Millennium Will the Armrsquos Length Principle Survive raquo (2001-2002) vol 10 no 1 George Mason Law Review 951 (HeinOnline Law Journal Library)

247 Voir la section 4 ci-dessus 248 Voir la section 31 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 511

transfert (APP) qui consistent en une nouvelle approche pour reacutesoudre par anticipation les litiges relatifs aux prix de transfert249

Finalement lrsquoabandon de la hieacuterarchie des meacutethodes pour la meacutethode la plus approprieacutee affermit en 2010 lrsquoutilisation accrue des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices dans le but avoueacute drsquoatteacutenuer les difficulteacutes drsquoapplication des meacutethodes transactionnelles traditionnelles dans le contexte international actuel Cet abandon constitue drsquoailleurs jusqursquoagrave maintenant lrsquoeacutetape la plus significative de la deacutemarche de lrsquoOCDE pour actualiser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence En fait lrsquoapprobation manifeste des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices par lrsquoOCDE pourrait mecircme paraicirctre annonciatrice de lrsquoorientation agrave privileacutegier pour reacutesoudre les difficulteacutes courantes drsquoapplication

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication

Lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement accepteacutee internationalement condamne le principe de pleine concurrence agrave fonctionner coucircte que coucircte250 Il est entendu que dans cette optique terre-agrave-terre lrsquoOCDE nrsquoa pas drsquoautre choix au beacuteneacutefice des pays membres que de continuer de concentrer ses efforts sur la mise au point de modes drsquoapplication plus souples du principe de pleine concurrence qui srsquoaccordent aux reacutealiteacutes eacuteconomiques et commerciales du XXIe siegravecle Toutefois nous croyons qursquoun coup de barre pourrait devoir srsquoimposer rapidement afin de moderniser davantage la mise en pratique du principe de pleine concurrence Eacutetant donneacute la pression implicite exerceacutee en droit fiscal international public par les pays non membres en faveur de lrsquoutilisation de regravegles simplifieacutees non reconnues par lrsquoOCDE il vaudrait probablement mieux pour cette derniegravere drsquoacceacuteleacuterer le rythme eacutevolutif des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence

Non seulement des pays non membres de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente parmi les plus grandes au monde notamment le Breacutesil lrsquoInde et la Chine intensifient lrsquoapplication de regravegles leacutegislatives et administratives

249 J NEIGHBOUR et J OWENS preacuteciteacute note 246 pp 956-957 250 Stig SOLLUND laquo What Are the Key Transfer Pricing Concerns of Governments raquo

dans The Future of the Armrsquos Length Principle International Tax Review Global Transfer Pricing Forum Amsterdam septembre 2010 souligne que laquo Wersquove got to make the ALP [Armrsquos Length Principle] work there is no realistic alternative in the global world raquo

512 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

sur les prix de transfert251 mais ils tendent agrave adopter des mesures simplifieacutees baseacutees sur des formules pour deacuteterminer les prix de cession internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees252 Alors qursquoils beacuteneacuteficient drsquoun programme drsquoengagement renforceacute aupregraves de lrsquoOCDE depuis 2007 ces pays appliquent agrave des fins de simpliciteacute et de ceacuteleacuteriteacute des formes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee des beacuteneacutefices lesquelles admettent lrsquoutilisation entre autres de la moyenne arithmeacutetique des prix comparables et drsquoun taux de beacuteneacutefices reacuteputeacutes

Par exemple le systegraveme breacutesilien de regravegles sur les prix de transfert ne peut ecirctre compareacute agrave aucun autre systegraveme dans le monde Instaureacute en 1997 il combine des meacutethodes analogues aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles de lrsquoOCDE et des marges beacuteneacuteficiaires brutes minimales et maximales prescrites Il comprend aussi des reacutegimes de protection affecteacutes agrave la fixation des prix de pleine concurrence des transactions drsquoexportation253 Le Breacutesil nrsquoapplique pas sur son territoire les Principes directeurs de lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert254 preacutefeacuterant agrave lrsquoinstar des Eacutetats-Unis interpreacuteter et appliquer le principe de pleine concurrence agrave sa maniegravere255

Qui plus est le fosseacute deacutejagrave ouvert entre les pays membres de lrsquoONU et ceux de lrsquoOCDE quant agrave leur situation particuliegravere agrave lrsquoeacutegard des seacuterieux problegravemes deacutecoulant de lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence laquo agrave la maniegravere de lrsquoOCDE raquo risque de se creuser davantage agrave lrsquoavenir Comme nous lrsquoavons mentionneacute anteacuterieurement il y a que le manuel de lrsquoONU sur les prix de transfert qui une fois acheveacute deviendra alors lrsquooutil interpreacutetatif de preacutedilection des pays en deacuteveloppement256 Quoi 251 ERNST amp YOUNG preacuteciteacute note 110 p 1 252 ANONYME laquo Baker amp McKenzie Answers OECDrsquos Call for Consultation on

Transfer Pricing raquo (2011) Worldwide Tax Daily 133-19 (Tax Analysts) partie I 253 Luiz Felipe FERRAZ et Alexandre de S ALMEIDA laquo Questions Raised Over

Brazilrsquos Transfer Pricing Rules raquo TP Week 26 novembre 2009 254 Les Principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales

OCDE 2011 (OECDilibrary) p 74 255 Plusieurs partenaires commerciaux des Eacutetats-Unis sont drsquoavis contrairement au

deacutepartement du Treacutesor ameacutericain que la meacutethode empirique des beacuteneacutefices comparables (CPM) et la regravegle de la proportionnaliteacute avec le revenu enfreignent le principe de pleine concurrence du fait notamment que lrsquoexamen comparatif se concentre sur les beacuteneacutefices de grandes cateacutegories drsquoentreprises plutocirct que sur les beacuteneacutefices de transactions particuliegraveres Voir B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 52

256 Voir la section 32 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 513

qursquoon en dise la recherche de regravegles drsquoapplication plus simples dans le but drsquoaplanir les difficulteacutes majeures de mise en pratique de la norme actuelle de reacutepartition pourrait eacuteventuellement conduire les pays membres de lrsquoONU agrave adopter comme certains pays eacutemergents des mesures leacutegislatives ou mecircme administratives fondeacutees sur des formules matheacutematiques

Crsquoest pourquoi il nous semble tout agrave fait naturel que dans les circonstances la modernisation du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert se reacutealise par la voie drsquoun certain retour au pragmatisme pratiqueacute par les administrations fiscales nationales du temps de la SDN257 Selon ce que nous avons dit plus haut la plupart drsquoentre elles utilisaient avec satisfaction des meacutethodes estimatives speacutecialement les meacutethodes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee comme meacutethodes subsidiaires pour reacutepartir jusque dans les anneacutees 1970 les beacuteneacutefices des eacutetablissements stables dans le cas ougrave les meacutethodes traditionnelles eacutetaient inapplicables258 Avant que lrsquoOCDE ne proscrive ce type de meacutethodes dans les premiegraveres lignes directrices publieacutees en 1979 la meacutethode de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee la plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutegard des entreprises commerciales et industrielles eacutetait la meacutethode du pourcentage du chiffre drsquoaffaires crsquoest-agrave-dire que en regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales faisaient appel au pourcentage repreacutesenteacute par la proportion entre le beacuteneacutefice net et les recettes brutes drsquoentreprises similaires259

En fait un pragmatisme renouveleacute pourrait se manifester aujourdrsquohui au sein de lrsquoOCDE notamment par une ouverture agrave preacutevoir comme moyens utiles de se rapprocher des conditions de pleine concurrence des exceptions dans les Principes directeurs lorsque les meacutethodes usuelles sont difficiles ou impossibles agrave appliquer260 Ce vent de pragmatisme commence peut-ecirctre deacutejagrave

257 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 signale avec justesse agrave la page 670 que les

pratiques en usage dans les anneacutees 1930 reacutepertorieacutees dans le Rapport Carroll eacutetaient le fruit du simple bon sens

258 Voir la section 11 ci-dessus 259 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 156 260 La conclusion tireacutee en 1976 par les participants agrave une discussion entre experts sur la

meacutethode agrave privileacutegier pour reacutepartir les beacuteneacutefices des entiteacutes lieacutees ne montre aucune ride et conserve encore aujourdrsquohui toute sa pertinence H Bartlett BROWN David S FOSTER Robert J PATRICK Jr R Alan SHORT Dr Jakob STROBL et David A WARD convenaient agrave la page 352 dans le cadre du laquo Panel Discussion Comparing the Separate and Unitary Entity Approaches to Income Allocation raquo dans Third Annual (1976) Proceedings of the Fordham Corporate Law Institute International Taxation and Transfert Pricing New York Edward Yorio 1977 337 que laquo [i]t seems that all the panelists [hellip] are in agreement that we have a system

(agrave suivrehellip)

514 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

agrave souffler sur lrsquoOCDE la preuve concregravete en eacutetant le projet en cours de lrsquoOCDE sur les aspects administratifs des prix de transfert Deacutemarreacute en 2011 il concerne entre autres la mise agrave jour de la position sur les reacutegimes de protection et srsquoinscrit dans un esprit de simplification de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Jusqursquoagrave preacutesent lrsquoOCDE nrsquoa pas cesseacute de soutenir que laquo les reacutegimes de protection ne sont geacuteneacuteralement pas compatibles avec lrsquoapplication de prix de transfert conformes au principe de pleine concurrence raquo du fait que notamment les prix ainsi deacutetermineacutes seraient impreacutecis et arbitraires261 Aussi deacutesigneacutes sous lrsquoexpression laquo regravegles refuges raquo les reacutegimes de protection qui repreacutesentent une opportuniteacute de simplifier les regravegles applicables agrave lrsquoeacutegard des transactions de peu de valeur restent un champ inexploreacute par lrsquoOCDE Si la reacutevision des lignes directrices eacutenonceacutees dans le chapitre IV des Principes directeurs avalisait lrsquoadoption de reacutegimes de protection en matiegravere de prix de transfert ceux-ci en fixant soit des seuils ou des intervalles de prix preacutedeacutetermineacutes pourraient permettre aux administrations fiscales de nrsquoexaminer que les dossiers pour lesquels lrsquoapproche au cas par cas srsquoavegravere reacuteellement neacutecessaire262

Outre les reacutegimes de protection les exceptions pourraient prendre la forme entre autres drsquoeacuteleacutements de formules matheacutematiques inteacutegreacutes dans les meacutethodes de reacutepartition fondeacutees sur les beacuteneacutefices permettant ainsi drsquoassurer sous le parapluie du principe de pleine concurrence le rajeunissement des regravegles actuelles Mecircme srsquoil est impossible pour lrsquoOCDE de retourner en arriegravere cela srsquoentend rien ne lrsquoempecirccherait de retrouver lrsquoesprit et le bon sens des anneacutees 1930 1940 et 1950 soit la peacuteriode au cours de laquelle lrsquoapproche transactionnelle pure nrsquoavait pas encore eacuteteacute diffuseacutee afin de stimuler une adaptation orienteacutee sur la souplesse des modes drsquoapplication du (hellipsuite)

now which may not be great but we might as well graft exceptions on the present system rather than adopt a new system and graft exceptions on it raquo

261 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 4120 et 4102-4119 M C DURST preacuteciteacute note 140 explique agrave la page 128 lrsquoattitude de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des reacutegimes de protection comme suit

laquo Why would the OECD Guidelines take a position with respect to safe harbors that seems so divorced from reality The reason I believe lies in politics [hellip] the working party that wrote the Guidelines appears to have been frightened of saying anything that might challenge the fantasy that transfer pricing rules can be administered on the basis of ldquocomparables searchesrdquo Safe harbors expose that fantasy and hence their specter had to be exorcised from the Guidelines Today the economies of many countries continue to suffer the resulting costs raquo

262 S S SURREY preacuteciteacute note 228 pp 445-448

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 515

principe de pleine concurrence LrsquoOCDE serait ainsi ameneacutee pour ce qui regarde lrsquoapproche transactionnelle agrave jeter du lest sans toutefois lrsquoabandonner du moins pour le moment et agrave tirer de lrsquooubli le bon sens rudimentaire qui sous-tendait agrave une eacutepoque anteacuterieure agrave la creacuteation de lrsquoOCDE lrsquoapplication par les administrations fiscales des meacutethodes secondaires263

Sans avoir proceacutedeacute agrave une analyse comparative formelle des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert reconnues par lrsquoOCDE nous ne pouvons affirmer avec certitude que les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices sont des meacutethodes purement transactionnelles Agrave lrsquoeacutevidence elles concernent toutes agrave des degreacutes diffeacuterents la reacutepartition des beacuteneacutefices deacutecoulant de transactions en particulier Intuitivement nous pouvons induire que le degreacute drsquoestimation du prix de transfert obtenu varie drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre le point de reacutefeacuterence eacutetant la comparaison pure en application de la meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre En conseacutequence nous pouvons conclure que lrsquoexactitude de la comparaison srsquoamenuise drsquoun point de vue theacuteorique degraves lors qursquoune meacutethode autre que celle du prix comparable sur le marcheacute libre est utiliseacutee Seules les meacutethodes transactionnelles traditionnelles par opposition aux meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices semblent pouvoir ecirctre qualifieacutees de meacutethodes purement transactionnelles

En drsquoautres termes les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices reconnues actuellement par lrsquoOCDE seraient pour ainsi dire une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee264 Bien entendu il srsquoagit drsquoune forme imparfaite puisque la deacutetermination des taux de rendement des fonctions et des biens incorporels ne reacutesulte pas de la simple application drsquoune formule matheacutematique mais requiert une analyse factuelle De nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire celles comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle combineacute agrave lrsquoapplication drsquoune formule matheacutematique multifactorielle pourraient donc constituer une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee convenable au mecircme titre que les meacutethodes

263 Dans S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 agrave la page 670 lrsquoauteur deacutesigne la norme

internationale en application dans les anneacutees 1930 sous lrsquoappellation laquo norme de la reacutepartition fractionneacutee raquo et ce en raison des eacuteleacutements de formules preacutedominants et du fait que son statut de meacutethode secondaire ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre la meacutethode utiliseacutee la plus freacutequemment

264 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 1) W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 106 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30

516 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

empiriques utiliseacutees par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930 1940 et 1950265

Dans la gamme theacuteorique des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert ces meacutethodes subsidiaires se positionneraient entre les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence et la reacutepartition globale classique des beacuteneacutefices selon une formule En lrsquoabsence de solutions miracles nous croyons que la possibiliteacute de la coexistence comme au temps des anneacutees 1930 drsquoun eacuteventail de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure agrave lrsquoestimation des prix ou des beacuteneacutefices de pleine concurrence au moyen de meacutethodes empiriques incluant la reacutepartition fractionneacutee limiteacutee reste une solution intermeacutediaire senseacutee dans les circonstances Agrave cette fin il serait opportun que lrsquoOCDE effectue une eacutetude et megravene des consultations aupregraves des pays membres et des entreprises multinationales sur le sujet des meacutethodes hybrides Du reste cette solution intermeacutediaire cadre avec lrsquoideacutee du continuum des meacutethodes dont se reacuteclament dans le deacutebat sur la controverse autour du principe de pleine concurrence les partisans de la retouche du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE

NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES

Le deacuteveloppement cloisonneacute des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence par lrsquoOCDE dont lrsquoaboutissement correspond aux lignes directrices a eu pour effet drsquoeacuteclipser des enjeux eacutethiques internationaux majeurs interrelieacutes agrave la question probleacutematique des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees Rarement abordeacutes en matiegravere de fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes les enjeux eacutethiques contemporains meacuteriteraient pourtant examen et reacuteflexion de la part de lrsquoOCDE de lrsquoONU des gouvernements nationaux et des entreprises multinationales Il suffit de penser agrave lrsquoarbitrage de lrsquoabus un enjeu eacutethique souleveacute par lrsquooptimisation fiscale des prix de transfert agrave laquelle se livrent les entreprises multinationales de mecircme qursquoagrave lrsquoeacutequiteacute de la concurrence fiscale mis en peacuteril en raison de lrsquoabaissement par certains pays du taux effectif

265 Crsquoest le cas par exemple du reacutegime hybride proposeacute par les auteurs

R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 2) lequel preacutevoit des meacutecanismes agrave base de formules applicables speacutecifiquement pour reacutepartir le beacuteneacutefice reacutesiduel lorsqursquoil nrsquoexiste pas de donneacutees comparables

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 517

drsquoimposition sous les taux eacutetablis par les autres pays pour favoriser les investissements sur leurs territoires

Crsquoest que les pheacutenomegravenes mondiaux de lrsquoeacutevitement fiscal et de la concurrence fiscale deacuteloyale participent agrave lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des administrations fiscales nationales en contribuant au deacuteplacement des beacuteneacutefices des entreprises multinationales Depuis peu lrsquoOCDE manifeste drsquoailleurs la volonteacute agrave suivre cette nouvelle voie266 sans toutefois aller aussi loin que drsquoamorcer une reacuteflexion eacutethique pour guider la recherche de solutions permettant drsquoajuster les politiques fiscales nationales

621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international

Tous les teacutemoignages et les commentaires preacutesenteacutes en 2010 lors de lrsquoaudience sur les prix de transfert tenue par lrsquoinfluent Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants du Congregraves des Eacutetats-Unis ont indiqueacute que de grandes entreprises multinationales ameacutericaines manipulent en toute leacutegaliteacute les regravegles sur les prix de transfert Certaines associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines jugent acceptable la manipulation licite des regravegles sur les prix de transfert mais condamnent la manipulation illeacutegale267 Guideacutees par lrsquoideacutee fixe de maximiser le rendement des actionnaires les entreprises multinationales mettent en pratique les conseils prodigueacutes par des professionnels de la fiscaliteacute internationale œuvrant dans les grands cabinets comptables et juridiques Les planifications internationales sophistiqueacutees permettent ultimement de localiser les transactions et les beacuteneacutefices imposables y affeacuterents dans les pays dont le taux drsquoimposition est peu eacuteleveacute et de diminuer le fardeau fiscal global des entreprises multinationales

Bien entendu plusieurs facteurs internes et externes qui ne sont pas exclusivement drsquoordre fiscal peuvent justifier du point de vue des entreprises multinationales la manipulation des prix de transfert Il y a notamment lrsquoatteinte de cibles strateacutegiques propres agrave lrsquoentreprise ndash par exemple la reacutealisation volontaire de pertes afin drsquoobtenir de lrsquoaide financiegravere

266 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Lutter contre lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE feacutevrier 2013 (OECDilibrary)

267 Voir notamment The Information Technology Industry Council before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010july22_information_technology_industry_council_submissionpdf)

518 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gouvernementale ndash lrsquoeacutevitement ou la diminution des tarifs douaniers et la minimisation des risques de change de devises268 La reacuteduction du fardeau fiscal proprement dite lrsquoun des facteurs internes incitatifs agrave la manipulation les plus puissants peut reacutesulter soit de manipulations illicites en particulier la surfacturation et la sous-facturation des biens et des services soit de manipulations licites Dans ce dernier cas les manipulations prennent la forme drsquoarrangements contractuels conclus avec des filiales eacutetrangegraveres nouvellement creacuteeacutees ou des entiteacutes non lieacutees afin de deacuteplacer les risques les plus eacuteleveacutes et les fonctions les plus rentables ndash comme le financement lrsquoapprovisionnement la proprieacuteteacute des actifs incorporels lrsquoassurance la gestion et la distribution ndash dans des pays eacutetrangers dont la fiscaliteacute est particuliegraverement avantageuse pour les entreprises multinationales269

Les entreprises multinationales qui tout en se conformant aux lois fiscales nationales se reacuteorganisent en mettant en place des formes organisationnelles audacieuses et en convenant de reacutepartitions contractuelles des risques pour mieux manipuler les prix de transfert sont-elles agrave blacircmer Qursquoen est-il des professionnels chevronneacutes qui conccediloivent les planifications dans les grands cabinets comptables et juridiques drsquoenvergure internationale Agrave supposer que nous adoptions le point de vue de lrsquoeacutethique professionnelle ndash un point de vue largement partageacute par les entreprises multinationales et lrsquoOCDE270 ndash la reacuteponse apporteacutee serait neacutegative En effet toute planification 268 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 622 269 Ce type drsquoarrangements contractuels correspond au modegravele geacuteneacuteral organisationnel

utiliseacute reacutecemment par les entreprises multinationales ameacutericaines pour transfeacuterer outre-mer des actifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 pp 103-104 Il ressort de lrsquoeacutetude des six socieacuteteacutes publiques examineacutees par IrsquoIRS en 2010 que des filiales eacutetrangegraveres ont eacuteteacute creacuteeacutees dans les pays suivants lesquels sont pour la plupart des refuges fiscaux Pays-Bas Chine Bermudes Suisse Porto Rico icircles Caiumlmans Delaware Irlande Singapour et Hong Kong Peu sujets agrave une requalification les arrangements contractuels sont habituellement fondeacutes sur des relations juridiques veacuteritables Au mecircme effet le reportage eacutelaboreacute publieacute par The Guardian sur les strateacutegies fiscales de trois entreprises multinationales ameacutericaines speacutecialiseacutees dans le commerce des bananes soit Dole Chiquita et Fresh Del Monte lesquelles leur permettent drsquoeacutetablir un taux drsquoimposition reacuteel moyen de 143 agrave lrsquoeacutegard des anneacutees drsquoimposition 2002 agrave 2006 alors que le taux drsquoimposition reacutegulier des socieacuteteacutes aux Eacutetats-Unis est de 35 Ian GRIFFITHS et Felicity LAWRENCE laquo Bananas to UK Via the Channel Islands It Pays For Tax Reasons raquo The Guardian 6 novembre 2007 (en ligne httpwwwguardiancoukbusiness2007nov0612print)

270 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 p 32 voir eacutegalement laquo Eacuterosion de la base drsquoimposition et transfert de beacuteneacutefices questions freacutequemment poseacutees raquo (en ligne httpwwwoecdorgfrctpquestionsfrequemmentposeeshtm) dont la reacuteponse agrave la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 519

fiscale qui respecte la lettre et lrsquoesprit des regravegles nationales sur les prix de transfert sera geacuteneacuteralement jugeacutee tout agrave fait convenable par les administrations fiscales271

En revanche si nous appreacutecions cette mecircme planification du point de vue de lrsquoeacutethique morale elle peut paraicirctre discutable du fait que les entreprises multinationales ont lrsquoobligation comme les individus et les entreprises nationales drsquoagir en bons citoyens et de payer un impocirct juste272 Mecircme si le concept de responsabiliteacute sociale des socieacuteteacutes srsquoest deacuteveloppeacute au fil du temps pour ce qui est notamment de lrsquoenvironnement des normes du travail et des droits de la personne il nrsquoest guegravere associeacute au fardeau fiscal et aux prix de transfert273 De toute eacutevidence lrsquoopinion exprimeacutee en 1970 par lrsquoeacuteconomiste ameacutericain Milton Friedman selon laquelle les entreprises nrsquoont pas de responsabiliteacute sociale continue de trouver plus de 40 ans plus tard un eacutecho favorable274

Mecircme si la reacutealiteacute de lrsquoeacutevitement fiscal relatif aux prix de transfert semble deacutesormais admise lrsquoampleur et lrsquoimportance de ce pheacutenomegravene sont difficiles agrave mesurer tant dans les pays deacuteveloppeacutes que dans les pays en deacuteveloppement Malgreacute la controverse autour du principe de pleine concurrence aucune eacutetude nrsquoa encore pu quantifier avec preacutecision faute de donneacutees statistiques fiables le montant annuel des recettes fiscales perdues par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine deacutecoulant de la manipulation des prix de transfert275 Aux Eacutetats-Unis lrsquointerpreacutetation des donneacutees statistiques

(hellipsuite)

question 9 mentionne que laquo [l]es pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher aux entreprises drsquoappliquer des regravegles qursquoils ont eux-mecircmes mises en place Par conseacutequent il incombe aux pouvoirs publics de revoir les regravegles existantes ou drsquoen adopter de nouvelles raquo

271 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 18 Voir aussi Don R HANSEN Rick L CROSSER et Doug LAUFER laquo Moral Ethics v Tax Ethics The Case of Transfer Pricing Among Multinational raquo (1992) vol 11 Journal of Business Ethics 679 (SpringerLink) p 684

272 L EDEN preacuteciteacute note 209 pp 18-19 273 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 650 274 Milton FRIEDMAN laquo The Social Responsability of Business is to Increase its

Profits raquo The New York Times Magazine 23 septembre 1970 (en ligne httpwww-rohansdsuedufacultydunnwebrprntsfriedmandunnpdf)

275 Testimony of James R Hines Jr Professor of University of Michigan School of Law before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010jul22_hines_testimonypdf)

(agrave suivrehellip)

520 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

disponibles qui sont utiliseacutees dans les eacutetudes notamment la mesure de lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par rapport agrave la mesure de lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger ne fait pas lrsquounanimiteacute276

Pourtant deacutejagrave signaleacute dans le Rapport Carroll le pheacutenomegravene de la manipulation des prix de transfert comme strateacutegie drsquoeacutevitement fiscal international nrsquoa pas retenu lrsquoattention de lrsquoOCDE au cours de la seconde moitieacute du XXe siegravecle Contrairement agrave ce qursquoelle laissait entendre en 1998 agrave lrsquooccasion des premiers travaux meneacutes sur la concurrence des systegravemes fiscaux nationaux lrsquoOCDE nrsquoa jamais approfondi la question de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux prix de cession interne transfrontaliers impliquant des socieacuteteacutes lieacutees reacutesidant dans des refuges fiscaux ou des reacutegimes fiscaux preacutefeacuterentiels ni compleacuteteacute les lignes directrices sur ce point277 Certes nous trouvons le terme laquo manipulations raquo dans les lignes directrices lrsquoOCDE mettant en garde les administrations fiscales de ne laquo [hellip] pas preacutesumer systeacutematiquement que des entreprises associeacutees ont essayeacute de se livrer agrave des manipulations concernant leurs beacuteneacutefices raquo278 Quant au terme laquo eacutethique raquo il nrsquoapparaicirct pas non plus dans les lignes directrices en matiegravere de prix de transfert ni mecircme dans le court chapitre traitant de la fiscaliteacute inseacutereacute au sein du code de conduite responsable de lrsquoOCDE destineacute aux entreprises multinationales279

(hellipsuite)

(laquo Hines raquo) Se fondant sur lrsquoanalyse de la preuve directe de lrsquoIRS (application des regravegles ameacutericaines sur les prix de transfert) et de la preuve indirecte empirique (donneacutees extraites des deacuteclarations fiscales produites par les entreprises multinationales ameacutericaines) le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis conclut en 2010 que des revenus importants sont vraisemblablement deacutetourneacutes agrave lrsquoeacutetranger pour des motifs fiscaux au moyen du meacutecanisme des prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees Testimony of Stephen E Shay Deputy Assistant Secretary for International Tax Affairs US Department of Treasury before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwwwtreasurygovresource-centertax-policyDocumentsOTPTest-2010-7-22-Shay-Testimonypdf)

276 Hines preacuteciteacute note 275 p 6 277 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport sur la concurrence fiscale dommageable Un problegraveme mondial 1998 (OECDilibrary) par 166-167

278 Principes de 2010 preacuteciteacute note 109 par 12 Pour ce qui concerne le terme laquo manipulation raquo il apparaicirct aux paragraphes 123 et 723 lesquels ne traitent pas des refuges fiscaux

279 Les principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales OCDE 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrdafinvmne48004355pdf) pp 71-74

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 521

Voici que 15 anneacutees plus tard en 2013 lrsquoOCDE mandateacutee par le G20 srsquoattaque sur fond de crise financiegravere internationale au pheacutenomegravene de la manipulation licite des prix de transfert Apregraves avoir tant tardeacute lrsquoOCDE se penche enfin sur le problegraveme de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des gouvernements nationaux deacutecoulant des pratiques agressives de transferts de beacuteneacutefices auxquelles ont recours les entreprises multinationales280 Deacutetermineacutee agrave sauvegarder lrsquointeacutegriteacute du systegraveme fiscal international drsquoimposition des socieacuteteacutes lrsquoOCDE embrasse pour ce faire une laquo approche holistique raquo Crsquoest ainsi que le plan drsquoaction mondial lanceacute en juillet 2013 aborde plusieurs aspects de ce problegraveme et propose drsquoinstaurer laquo [d]es changements fondamentaux [hellip] pour empecirccher efficacement la double non-imposition mais aussi les cas drsquoimposition faible ou nulle associeacutes agrave des pratiques qui seacuteparent artificiellement les beacuteneacutefices des activiteacutes qui les geacutenegraverent raquo281 Il appert que parmi lrsquoeacuteventail de changements requis certains permettront de preacuteciser les regravegles sur les prix de transfert en particulier celles relatives au transfert drsquoactifs incorporels et de risques ainsi qursquoagrave lrsquoattribution drsquoune fraction excessive du capital entre les membres drsquoun groupe multinational drsquoentreprises282

280 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Communiqueacute laquo LrsquoOCDE plaide en faveur drsquoune intensification de la coopeacuteration internationale concernant la fiscaliteacute des entreprises raquo 12 feacutevrier 2013 (en ligne httpwwwoecdorgfrpresselocde-plaide-en-faveur-dune-intensification-de-la-cooperation-internationale-concernant-la-fiscalite-des-entrepriseshtm)

281 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Plan drsquoaction concernant lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE 2013 (OECDilibrary) p 13 Ce plan fait suite agrave la publication du rapport sur lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 Pour des commentaires sur le plan voir Lee A SHEPPARD laquo OECD BEPS Action Plan Trying to Save the System raquo (2013) Tax Notes Today 140-1 (Tax Analysts)

282 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 281 pp 21-22 Les autres changements requis verront entre autres agrave renforcer lrsquoefficaciteacute des regravegles preacutevues dans les leacutegislations nationales et les conventions fiscales (par exemple la limitation des deacuteductions drsquointeacuterecircts les regravegles relatives aux socieacuteteacutes eacutetrangegraveres controcircleacutees et la deacutefinition de lrsquoeacutetablissement stable) agrave fixer des regravegles relatives agrave la deacuteductibiliteacute des frais financiers intragroupe agrave eacuteliminer les avantages de lrsquoarbitrage fiscal et des montages impliquant des entiteacutes hybrides agrave lutter plus activement contre les reacutegimes fiscaux dommageables agrave obliger les contribuables agrave deacuteclarer les planifications fiscales agressives ainsi qursquoagrave eacutelaborer une convention fiscale multilateacuterale laquelle permettrait la mise en œuvre de nouvelles regravegles sans avoir agrave reacuteviser les conventions fiscales bilateacuterales existantes

522 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Sans meacutesestimer la valeur du projet de lrsquoOCDE sur lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale force est de constater que lrsquoOCDE persiste agrave neacutegliger lrsquoeacutethique morale des comportements des entreprises multinationales et des professionnels des grands cabinets drsquoexperts-comptables et drsquoavocats qui fournissent des services-conseils de planification fiscale Mecircme si ce projet aura le meacuterite drsquoeacutevaluer les pertes de recettes fiscales relativement agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes283 il ne cherche pas agrave introduire la notion drsquoeacutethique morale dans la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes pour tenter de policer les comportements des entreprises multinationales en ce qui concerne les prix de transfert Agrave supposer que plusieurs des entreprises multinationales soient deacutepourvues drsquoeacutethique morale elles utilisent aujourdrsquohui agrave leur avantage pour se soustraire agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou reacuteduire leur fardeau fiscal les divergences entre les regravegles nationales sur les prix de transfert qui paradoxalement ont eacuteteacute mises en place au fil du temps en reacuteponse agrave leur demande formuleacutee degraves 1920 aupregraves de la SDN pour preacutevenir la double imposition

622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale

Mecircme si jusqursquoagrave preacutesent la controverse autour du principe de pleine concurrence a fait couler beaucoup drsquoencre parmi les universitaires et les praticiens aux Eacutetats-Unis le deacutebat sur la norme de la reacutepartition internationale constitue possiblement un faux problegraveme contemporain dans le contexte du deacutebat sur les prix de transfert Le veacuteritable problegraveme serait plutocirct agrave notre avis le pheacutenomegravene mondial de la concurrence fiscale deacuteloyale En particulier depuis le dernier quart du XXe siegravecle les politiques fiscales nationales des pays de reacutesidence et drsquoaccueil des investissements directs eacutetrangers rivalisent de plus en plus drsquoaudace pour attirer les entreprises multinationales agrave y exercer des activiteacutes commerciales Favorisant des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes nuls ou faibles et drsquoautres mesures fiscales incitatives telles entre autres le secret bancaire et le cantonnement des avantages aux non-reacutesidents plusieurs pays se transforment en refuges fiscaux

La compeacutetition fiscale entre les Eacutetats dont reacutesulte la creacuteation drsquoeacutecarts consideacuterables entre les taux drsquoimposition des socieacuteteacutes peut indiscutablement inciter les entreprises multinationales agrave optimiser les deacuteplacements de leurs beacuteneacutefices au moyen de manipulations licites ou illicites des prix de transfert

283 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 280

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 523

dans les pays ayant un taux drsquoimposition parmi les plus faibles284 Dans le passeacute le sujet de la concurrence fiscale deacuteloyale a eacuteteacute lrsquoobjet drsquoune eacutetude de lrsquoOCDE285 laquelle a conduit agrave la creacuteation drsquoun Forum sur les pratiques dommageables et des accords drsquoeacutechange de renseignements en matiegravere fiscale (AERF) Preacutetextant des deacutecisions politiques prises par les gouvernements nationaux lrsquoOCDE refuse de srsquoimmiscer directement dans la sphegravere de la souveraineteacute nationale et srsquoabstient de critiquer lrsquoeacutecart important entre les taux drsquoimposition effectifs de lrsquoensemble des pays dans le monde deacutecoulant de lrsquoabaissement des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes ou de lrsquoadoption de mesures fiscales avantageuses pour favoriser les investissements sur certains territoires286 Dans les circonstances actuelles il est permis de srsquointerroger sur le fait que lrsquoOCDE agrave deacutefaut de deacutenoncer le pheacutenomegravene de la concurrence fiscale se trouve pour tout dire agrave lrsquoapprouver tacitement

En reacutealiteacute lrsquoimportance relative de la question des prix de transfert comme enjeu de politique fiscale nrsquoest plus du tout la mecircme que dans les anneacutees 1960 et 1970 eacutetant donneacute la mouvance mondiale vers la reacuteduction des taux leacutegaux drsquoimposition sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Dans les pays de lrsquoOCDE les taux leacutegaux drsquoimposition de lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes diminuent geacuteneacuteralement depuis les anneacutees 1980 drsquoune maniegravere constante287 Au cours du XXIe siegravecle par exemple le taux drsquoimposition moyen des pays de lrsquoOCDE est passeacute de 341 en 2000288 agrave 252 en 2013289 En revanche les taxes indirectes notamment la taxe sur la valeur

284 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 3 285 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 277 286 Id p 15 287 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES laquo Reacuteformer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes synthegraveses raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE 2008 (en ligne httpwwwoecdorg frfiscaliteanalysedespolitiquesfiscales41106903pdf) (consulteacute en octobre 2012) p 3

288 KPMGrsquos Corporate and Indirect Tax Rate Survey 2007 2007 (en ligne httpwwwinkpmgcompdfcorptaxratesurvey2007pdf) p 9

289 KPMG Tax rates on line (en ligne httpwwwkpmgcomglobalenservicestaxtax-tools-and-resourcespagestax-rates-onlineaspx)

524 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ajouteacutee tendent agrave augmenter en Europe au Moyen-Orient en Afrique et en Ameacuterique du Nord et du Sud290

Il paraicirct donc opportun de se demander jusqursquoagrave quel point les taux drsquoimposition nominaux des socieacuteteacutes peuvent diminuer Cette mouvance mondiale agrave la reacuteduction des taux megravenera-t-elle agrave lrsquoabolition pure et simple agrave moyen ou agrave long terme de lrsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes De plus il y a lieu de se demander si cette abolition ne serait pas la panaceacutee aux difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence Deacutebordant le sujet de la preacutesente eacutetude ces questions cruciales seront sans nul doute deacutebattues agrave lrsquoavenir par lrsquoOCDE et lrsquoONU

CONCLUSION

En deacutefinitive le principe de pleine concurrence demeure au XXIe siegravecle agrave deacutefaut drsquoune solution de rechange miraculeuse la moins mauvaise des options pour reacutegir la reacutepartition en droit fiscal international public des beacuteneacutefices reacutesultant des cessions internes de biens et de services entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale En ce sens il nrsquoest donc pas anachronique Inteacutegreacute dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU vers la fin des anneacutees 1970 ce principe dont lrsquoeacutenonceacute est exprimeacute au paragraphe 9(1) consiste en la seule reacutefeacuterence normative accepteacutee dans les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et il reacutecolte de nos jours lrsquoadheacutesion de la majoriteacute des pays dans le monde

La longue controverse aux Eacutetats-Unis sur les principales lacunes du principe de pleine concurrence qui oppose partisans et adversaires du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie nrsquoa pas reacuteussi agrave leacutezarder le solide consensus construit apregraves la Seconde Guerre mondiale autour du principe de pleine concurrence Quoique lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique et commercial mondiaux ait eu pour conseacutequence de transformer lrsquoapplication du principe de pleine concurrence en veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU persistent depuis 1995 agrave rejeter expresseacutement la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique refusant de voir en cette derniegravere une norme soi-disant plus simple et plus efficace Le consensus actuel

290 ERNST amp YOUNG Communiqueacute laquo Une pression fiscale mondiale agrave la hausse raquo

6 janvier 2012 (en ligne httpwwweycomFTfrNewsroomNews-releasesCommunique-de-presse---Observatoire-des-Politiques-Budgetaires-et-Fiscales-2012---OPBF)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 525

entrave donc toute possibiliteacute de voir eacutemerger agrave court ou agrave moyen terme un nouveau consensus international en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie

Reste que la tendance des pays agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente agrave utiliser des regravegles simplifieacutees baseacutees sur des formules matheacutematiques appelle lrsquoOCDE agrave moderniser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence afin drsquoen ameacuteliorer lrsquoadeacutequation avec les contextes eacuteconomique et commercial mondiaux Projetant lrsquoexpeacuterience du passeacute sur lrsquoavenir lrsquoOCDE pourrait ainsi assouplir ces modes drsquoapplication en faisant preuve du mecircme esprit de pragmatisme que celui des administrations fiscales nationales lors de lrsquoutilisation dans les anneacutees drsquoimposition 1930 1940 et 1950 des meacutethodes estimatives Dans cette optique il serait opportun pour lrsquoOCDE drsquoexplorer lrsquoideacutee drsquointroduire de nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle et une reacutepartition fractionneacutee limiteacutee au moyen drsquoune formule matheacutematique

Le reacutecent changement drsquoapproche de lrsquoOCDE vis-agrave-vis du pheacutenomegravene de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale paraicirct annoncer une reacutevolution en droit fiscal international public La nouvelle approche globaliste qui tient compte de tous les aspects de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes y compris les prix de transfert pourra-t-elle reacuteussir agrave mettre en avant des solutions innovatrices pour contrer efficacement lrsquoeacutevitement fiscal reacutesultant de la manipulation licite par les entreprises multinationales des interactions entre les regravegles nationales sur les prix de transfert Publieacute en juillet 2013 le plan drsquoaction mondial de lrsquoOCDE qui sera deacuteployeacute au cours des anneacutees 2014 et 2015 aura sans contredit des conseacutequences futures importantes sur les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence pour fixer les prix de transfert

526 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 527

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES

BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE

Pierre Brosseau CPA CA LLM fisc

Directeur ndash fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

PREacuteCIS

Les reacutecents efforts de deacuteveloppement entrepris dans le Nord du Queacutebec stimulent grandement lrsquoeacuteconomie de cette reacutegion Des communauteacutes autochtones occupent une partie non neacutegligeable de ce territoire Pour celles-ci les occasions drsquoaffaires avec lrsquoexteacuterieur sont donc de plus en plus freacutequentes et lrsquoutilisation de la socieacuteteacute par actions comme veacutehicule juridique est monnaie courante Lrsquoauteur se penche sur la possibiliteacute que les socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts du Queacutebec Il tente de mettre en eacutevidence les zones grises et les nuances que renferment ces dispositions leacutegislatives Il le fait en analysant la jurisprudence lrsquohistorique de ces dispositions leacutegislatives ainsi que les diverses notions que ces mecircmes dispositions renferment Le texte aborde aussi certains eacuteleacutements de planification visant agrave optimiser la situation fiscale des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes

528 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ABSTRACT

The recent developmental efforts undertaken in Queacutebecrsquos North have greatly stimulated the economy of that region A significant part of this territory is occupied by aboriginal communities For them business opportunities with the outside world have become more and more frequent and the use of a business corporation as a legal structure is a common practice This text focuses on the possibility for such corporations owned by Indian bands to benefit from the tax exemption under paragraphs 149(1)(d5) and 149(1)(d6) of the Income Tax Act and paragraphs 985(f) and 985(g) of the Taxation Act of Queacutebec The author attempts to identify the grey areas and the subtleties contained in these statutory provisions by analyzing the case law the history of the provisions and as well the various notions found in the provisions This text also discusses certain planning options which aim to optimize the tax situation of corporations owned by Indian bands

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 529

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 531

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL 531

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES 531 12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS 532 13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET 533

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES 534

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE 534

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES 534 221 Situation avant 1999 534 222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux 535 223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999 538

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES 541

3 NOTIONS FONDAMENTALES 542

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE 542 311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich 542 312 Positions administratives 544 313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec 547 314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public

remplissant une fonction gouvernementale 549 32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES 550

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR 550 322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois 551 323 Positions administratives 554 324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte 555 325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques 560

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU 561 331 Notion de revenu 561 332 Notion de lieu (situs) 564 333 Notion drsquoactiviteacutes 565 334 Notion de peacuteriode 569 335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de

revenu 571

530 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR 572 341 Application de lrsquoexception et notion de convention

eacutecrite 573 342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR 575

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE 575

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE 576 42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES 577 43 REacuteDACTION DES CONTRATS 579 44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS 580

CONCLUSION 580

ANNEXE 582

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 531

INTRODUCTION

Le preacutesent texte est un outil qui vise agrave eacuteclairer les communauteacutes des Premiegraveres Nations dans lrsquoorganisation de leurs affaires agrave caractegravere commercial Avec les reacutecents efforts de deacuteveloppement eacuteconomique du Nord queacutebeacutecois la participation de ces communauteacutes agrave des activiteacutes commerciales a commenceacute agrave croicirctre et ne fera que continuer de croicirctre au cours des prochaines anneacutees Dans cette optique notre but est drsquoapporter des preacutecisions sur lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes

Cette analyse srsquoapplique de faccedilon geacuteneacuterale agrave toutes les bandes indiennes Toutefois les communauteacutes cries1 du Queacutebec sont assujetties agrave un reacutegime particulier qui a pris naissance au moment de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois2 Crsquoest surtout lorsqursquointerviendra la notion de limites geacuteographiques que le reacutegime propre aux Cris du Queacutebec ressortira

Dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne peut-elle se preacutevaloir de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu3 et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts4 du Queacutebec Telle est la question qui orientera notre analyse

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES

Le terme laquo autochtone raquo englobe tous les aborigegravenes du Canada crsquoest- agrave-dire les Premiegraveres Nations ameacuterindiennes les communauteacutes inuites et les meacutetis Lrsquoexpression laquo Premiegraveres Nations raquo quant agrave elle regroupe les nations

1 Les particulariteacutes du reacutegime des Cris du Queacutebec srsquoappliquent eacutegalement agrave la

communauteacute naskapie situeacutee pregraves de la ville de Schefferville 2 Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois le 11 novembre 1975

(laquo Convention de la Baie-James raquo) 3 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 4 LRQ c I-3 (laquo LI raquo)

532 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

qui sont reacutegies agrave la base par la Loi sur les Indiens5 Les nations huronne-wendate mohawk naskapie et crie en sont des exemples

Contrairement au mythe ce ne sont pas tous les autochtones qui beacuteneacuteficient drsquoune exemption fiscale sur leurs revenus Lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens preacutevoit malgreacute toutes autres lois que les droits et biens drsquoun Indien ou drsquoune bande indienne sont exempts de taxation srsquoils sont situeacutes sur une reacuteserve Il y a donc deux limites agrave lrsquoexemption le contribuable doit ecirctre un Indien ou une bande indienne et le revenu doit ecirctre situeacute sur la reacuteserve Cette exemption fiscale est reconnue par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR alors qursquoau Queacutebec elle prend la forme drsquoune deacuteduction du revenu imposable en vertu du paragraphe 725e) LI

Les tribunaux considegraverent avec reacuteserve qursquoune socieacuteteacute par actions puisse beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne agrave des fins fiscales6 Par le fait mecircme une telle socieacuteteacute ne peut pas se soustraire agrave lrsquoimposition en invoquant lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens Cet article ne sera donc pas une avenue possible pour une bande indienne qui voudrait exempter le revenu reacutealiseacute par une socieacuteteacute dont elle est actionnaire

Bien que le preacutesent texte ne porte pas sur lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens il est impensable drsquoen faire complegravetement abstraction Les diverses conclusions des tribunaux entourant son application reposent sur des reacutealiteacutes qui sont analogues agrave celles concernant les socieacuteteacutes des bandes indiennes Apregraves tout une bande indienne reste une bande indienne dans un contexte ou dans un autre De surcroicirct le recours aux deacutecisions concernant lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens est indispensable agrave lrsquoanalyse des dispositions leacutegislatives propres aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes Les contribuables viseacutes doivent jongler avec des dispositions relativement reacutecentes sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute suffisamment appeleacutes agrave se prononcer

12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS

Puisqursquoune socieacuteteacute par actions ne peut pas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne on peut se questionner sur les motivations drsquoun 5 LRC 1985 ch I-5 6 Canadian Pacific Ltd c Matsqui Indian Band [2000] 1 CF 325 par 37 et par 175

renvoyant agrave la note 100 (CAF) Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in Right of Saskatchewan [1979] 6 WWR 84 (CA Sask)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 533

conseil de bande agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute La raison la plus eacutevidente de renoncer agrave lrsquoexemption preacutevue par la Loi sur les Indiens pourrait ecirctre qursquoun Indien ou une bande indienne nrsquoy aurait pas droit de toute maniegravere en raison du situs hors reacuteserve du revenu geacuteneacutereacute par lrsquoentreprise7 Ce sont surtout des consideacuterations juridiques et commerciales qui font que les conseils de bande peuvent favoriser la constitution de socieacuteteacutes par actions ou y soient contraints8 Par exemple une bande indienne peut vouloir limiter sa responsabiliteacute dans certains projets On peut aussi vouloir garantir une gouvernance plus stable qui ne changera pas agrave chacune des eacutelections auxquelles sont soumis les conseils de bande De plus certaines reacuteglementations sectorielles obligent les entiteacutes agrave ecirctre constitueacutees en socieacuteteacutes Il ne faut pas oublier aussi que pour une bande indienne les possibiliteacutes de faire affaire avec lrsquoexteacuterieur sont limiteacutees en raison du fait que les proceacutedures de saisie peuvent ecirctre difficiles voire impossibles pour les creacuteanciers9

13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI renferment plusieurs dimensions La plupart de ces dimensions seront traiteacutees dans le preacutesent texte Toutefois la composition de lrsquoactionnariat du type de socieacuteteacutes eacutetudieacutees ne sera pas abordeacutee directement eacutetant donneacute que les dispositions leacutegislatives sont relativement claires agrave ce sujet Ainsi nous orienterons notre eacutetude sur les aspects les plus neacutebuleux contenus dans les dispositions leacutegislatives Il faut garder en tecircte que notre but est de nous concentrer sur les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes et non sur divers sceacutenarios drsquoactionnariat possibles avec drsquoautres entiteacutes exoneacutereacutees ou imposables En conseacutequence crsquoest la situation drsquoune socieacuteteacute deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne qui sera expresseacutement analyseacutee 7 Mitchell c Bande indienne Peguis [1990] 2 RCS 85 par 5

laquo Lrsquoarticle 90 [concernant lrsquoexemption de saisie] doit ecirctre interpreacuteteacute conjointement avec les art 87 et 89 [de la Loi sur les Indiens] Il faut eacuteviter drsquoaccorder une porteacutee trop large agrave ces dispositions Elles nrsquoont pas pour but drsquoaccorder des privilegraveges aux Indiens agrave lrsquoeacutegard des biens qursquoils peuvent acqueacuterir et posseacuteder peu importe lrsquoendroit ougrave ils sont situeacutes Leur but est plutocirct de proteacuteger des ingeacuterences et des entraves de la socieacuteteacute en geacuteneacuteral les droits de proprieacuteteacute des Indiens sur leurs terres reacuteserveacutees pour veiller agrave ce que ceux-ci ne soient pas deacutepouilleacutes de leurs droits raquo

8 Voir notamment Kimberley THOMAS et Merle ALEXANDER The Taxation and Financing of Aboriginal Businesses in Canada feuilles mobiles Scarborough Ont Carswell 1998 agrave la page 5-53

9 Art 89 de la Loi sur les Indiens

534 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX

SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE

Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment les socieacuteteacutes par actions ne peuvent en aucun cas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne Elles ne peuvent donc pas espeacuterer se soustraire agrave lrsquoimposition en recourant agrave la Loi sur les Indiens Y a-t-il une porte de sortie

On srsquoest interrogeacute sur les parallegraveles qui existent entre une bande indienne et une municipaliteacute Au mecircme titre qursquoune ville une bande indienne est dirigeacutee par un conseil eacutelu et assume plusieurs responsabiliteacutes vis-agrave-vis de la population Les fonctions drsquoun conseil de bande peuvent mecircme aller au-delagrave de celles des villes du Queacutebec car le conseil de bande participe souvent au deacuteveloppement eacuteconomique de sa communauteacute Cette reacutealiteacute a laisseacute croire agrave certains conseils de bande qursquoils pouvaient beacuteneacuteficier des mecircmes avantages fiscaux que les municipaliteacutes canadiennes

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES

221 Situation avant 1999

En 197210 les passages de lrsquoarticle 149 LIR pertinents agrave lrsquoanalyse se lisaient comme suit11

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente Partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

c) une municipaliteacute au Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada

d) une corporation commission ou association dont au moins 90 des actions ou du capital appartenaient agrave Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou agrave une municipaliteacute canadienne ou une corporation filiale posseacutedeacutee en

10 Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1970-71-72 ch 63 11 De faccedilon geacuteneacuterale les dispositions de la Loi sur les impocircts du Queacutebec qui

srsquoharmonisent avec les dispositions de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne seront pas traiteacutees en deacutetail Agrave lrsquooccasion il y sera toutefois fait briegravevement reacutefeacuterence par souci de commoditeacute

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 535

proprieacuteteacute exclusive par une semblable corporation commission ou association mais le preacutesent alineacutea ne sapplique pas

(i) agrave une telle corporation commission ou association si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette corporation commission ou association ou un droit drsquoacqueacuterir ces actions ou ce capital et

(ii) agrave une telle corporation filiale si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette filiale ou de la corporation commission ou association dont elle est une filiale posseacutedeacutee en proprieacuteteacute exclusive ou un droit dacqueacuterir ces actions ou ce capital raquo (Notre soulignement)

Il est inteacuteressant de noter que cette version du paragraphe 149(1) LIR datant de 1972 reconnaissait agrave lrsquoalineacutea c) le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et preacutevoyait qursquoun tel organisme eacutetait exempteacute drsquoimpocirct Toutefois lrsquoexemption ne srsquoeacutetendait pas aux socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient la proprieacuteteacute drsquoun tel organisme Certains conseils de bande ont tout de mecircme tenu pour acquis que les socieacuteteacutes dont ils eacutetaient actionnaires pouvaient beacuteneacuteficier de lrsquoexemption de la mecircme faccedilon que les socieacuteteacutes dont les municipaliteacutes sont actionnaires en beacuteneacuteficient

222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux

Au deacutebut des anneacutees 1990 la position voulant qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne soit consideacutereacutee comme une entiteacute exempteacutee drsquoimpocirct fut soumise pour la premiegravere fois aux tribunaux Dans lrsquoaffaire Otineka Development Corporation Limited c La Reine12 les socieacuteteacutes appelantes soutenaient que la bande drsquoOpaskwayak (communauteacute crie du Manitoba) devait ecirctre consideacutereacutee comme une municipaliteacute Le terme laquo municipaliteacute raquo nrsquoeacutetant pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu le juge Bowman de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a ducirc recourir aux regravegles drsquointerpreacutetation Il opta pour une approche teacuteleacuteologique pour interpreacuteter lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR Selon lui puisque la bande remplissait effectivement les fonctions drsquoune municipaliteacute canadienne il nrsquoy avait aucune raison de refuser lrsquoexemption agrave ses socieacuteteacutes Lorsque la deacutecision fut rendue le 28 janvier 1994

12 94 DTC 1234 (CCI) (laquo Otineka raquo)

536 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoAgence du revenu du Canada (laquo ARC raquo) accepta cette interpreacutetation et lrsquointeacutegra dans sa politique administrative13

Quelques anneacutees plus tard soit le 8 mai 2000 lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec Corporation de Deacuteveloppement Tawich c SMRQ14 a brouilleacute les cartes Lrsquoaffaire Tawich concernait la bande crie de Wemindji situeacutee au Queacutebec La socieacuteteacute dont la bande eacutetait lrsquounique actionnaire consideacuterait qursquoelle devait beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale au mecircme titre que les socieacuteteacutes en cause dans lrsquoaffaire Otineka

Dans leur interpreacutetation le juge de la Cour du Queacutebec et les juges de la Cour drsquoappel du Queacutebec ont opteacute pour une analyse logique baseacutee sur la globaliteacute du systegraveme juridique canadien La Cour du Queacutebec a fermement rejeteacute lrsquointerpreacutetation litteacuterale retenue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui srsquoeacutetait entre autres reacutefeacutereacutee agrave des dictionnaires pour circonscrire le sens courant du terme laquo municipaliteacute raquo Le raisonnement de la Cour du Queacutebec qui a eacuteteacute confirmeacute par la Cour drsquoappel du Queacutebec eacutetait que ce terme avait un sens juridique et que seul lrsquoacte constitutif drsquoune municipaliteacute pouvait lui confeacuterer son statut Puisque la question autochtone relegraveve du gouvernement feacutedeacuteral alors que les municipaliteacutes sont de compeacutetence exclusivement provinciale15 on ne pouvait ecirctre en preacutesence drsquoune municipaliteacute Pour les tribunaux du Queacutebec il eacutetait hors de question de faire abstraction des regravegles drsquointerpreacutetation visant la coheacuterence des lois entre elles La Corporation de Deacuteveloppement Tawich a interjeteacute appel de lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec devant le plus haut tribunal du pays Bien que la demande de pourvoi ait eacuteteacute accepteacutee16 la Cour suprecircme du Canada nrsquoa pas eu agrave se prononcer sur la question puisque lrsquoEntente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris du Queacutebec17 signeacutee en 2002 exigeait un deacutesistement de plusieurs proceacutedures dont celles de la Corporation de Deacuteveloppement Tawich

13 Tax Window Files dans Tax Works (CD-ROM) Don Mills Ont CCH Canadian

interpreacutetations techniques 9420917 laquo Tax-Exempt Indian Corporations raquo 15 novembre 1994 9502805 laquo Indians ndash Municipal Corporation raquo 27 juin 1995 et 9917773 laquo Bande indienne ndash Municipaliteacute raquo 5 janvier 2000

14 [2000] RDFQ 21 (CA) confirmant [1997] RJQ 211 (CQ) (laquo Tawich raquo) 15 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 reproduite dans

LRC 1985 app II no 5 par 92(8) 16 Dossier 28033 demande drsquoautorisation drsquoappel accordeacutee le 19 avril 2001 17 Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris

du Queacutebec (surnommeacutee laquo Paix des Braves raquo) le 7 feacutevrier 2002 art 926

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 537

Malgreacute lrsquoarrecirct Tawich de la Cour drsquoappel du Queacutebec lrsquoARC a continueacute drsquoappliquer les principes de la deacutecision de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka18 La position officielle eacutetait que tant qursquoune cour feacutedeacuterale de plus haute instance nrsquoinfirmerait pas la deacutecision rendue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka lrsquoARC allait srsquoen tenir agrave cette interpreacutetation19 Cette situation contraignit les contribuables queacutebeacutecois viseacutes agrave jongler avec deux statuts fiscaux diffeacuterents ils eacutetaient exempteacutes au feacutedeacuteral et imposables au provincial La position de Revenu Queacutebec eacutetait sans eacutequivoque laquo seule une entiteacute eacuteleveacutee au plan juridique au rang de municipaliteacute peut ecirctre reconnue comme telle en regard de la loi raquo20 Une socieacuteteacute reacutesidente du Queacutebec qui est deacutetenue par une bande indienne ne pouvait donc pas ecirctre exempteacutee drsquoimpocirct alors que si elle eacutetait reacutesidente drsquoune autre province elle avait ce privilegravege21 Ceux qui au sein de la communauteacute fiscale eacutetaient au courant de cette situation voyaient lagrave un grave problegraveme drsquoeacutequiteacute

Mecircme si la Cour canadienne de lrsquoimpocirct et les tribunaux du Queacutebec ont eu des interpreacutetations divergentes du terme laquo municipaliteacute raquo les administrations fiscales srsquoentendaient tout de mecircme pour dire qursquoune bande indienne pouvait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale22 Eacutetant donneacute le cadre leacutegislatif de lrsquoeacutepoque cela signifiait qursquoune bande indienne pouvait se preacutevaloir de lrsquoexemption en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR mais que les socieacuteteacutes dont la bande eacutetait actionnaire nrsquoy avaient pas droit puisque le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale nrsquoeacutetait pas preacutevu agrave lrsquoalineacutea 149(1)d) LIR

18 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 1999-0013323 laquo Indian

Band ndash Municipality raquo 20 deacutecembre 2000 19 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 et 2001-0114767 laquo Indian Bands As Mun Authorities raquo 8 janvier 2002

20 REVENU QUEacuteBEC lettre drsquointerpreacutetation 99-011245 laquo Exoneacuteration des corps publics ndash Statut des bandes indiennes et des conseils de bande raquo 23 novembre 1999

21 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0020555 laquo Munic Corp ndash Indian Bands raquo 11 mai 2000

22 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 et Tax Window Files preacuteciteacute note 21

538 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999

Devant ce problegraveme drsquoeacutequiteacute les leacutegislateurs nrsquoavaient drsquoautre choix que de reacuteagir Les dispositions tant feacutedeacuterales que provinciales ont eacuteteacute remodeleacutees pour les anneacutees drsquoimposition commenccedilant apregraves 199823 Lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR a eacuteteacute diviseacute en plusieurs alineacuteas agrave savoir les alineacuteas 149(1)d) et 149(1)d1) agrave 149(1)d6) LIR pour traiter seacutepareacutement les socieacuteteacutes drsquoEacutetat des socieacuteteacutes municipales et leurs filiales Ces modifications ont aussi eu pour effet de limiter par un test de revenu lrsquoexemption fiscale disponible aux socieacuteteacutes municipales Elles ne venaient toutefois pas reacutegler lrsquoiniquiteacute exposeacutee preacuteceacutedemment

Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2004 le gouvernement feacutedeacuteral annonccedila drsquoautres modifications il proposa drsquointroduire le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR24 Ces modifications corrigeraient le problegraveme drsquoiniquiteacute dans la mesure ougrave le gouvernement du Queacutebec srsquoy arrimerait Bien que ces propositions leacutegislatives aient fait lrsquoobjet de deux projets de loi qui sont morts au feuilleton25 le gouvernement feacutedeacuteral a confirmeacute reacuteguliegraverement son intention drsquoaller de lrsquoavant avec les modifications proposeacutees ce nrsquoest toutefois qursquoen juin 2013 qursquoelles ont eacuteteacute adopteacutees26

Du cocircteacute queacutebeacutecois la proposition leacutegislative est arriveacutee plus tardivement soit en 2006 car on voulait attendre la sanction de la loi

23 Loi de 1997 modifiant lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1998 ch 19 par 178(1)

Loi modifiant la Loi sur les impocircts et drsquoautres dispositions leacutegislatives LQ 2000 c 5 art 229 et 230 modifiant lrsquoarticle 985 LI et eacutedictant les articles 98501 et 98502 LI LQ 2004 c 8 art 173 modifiant lrsquoarticle 985 LI

24 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives et avant-projets de regraveglement concernant limpocirct sur le revenu (reacuteviseacutees) 27 feacutevrier 2004 art 87

25 Projet de loi C-10 (29102007) mort au feuilleton le 7 septembre 2008 par la dissolution du Parlement reprenant le projet de loi C-33 (29112006) mort au feuilleton le 14 septembre 2007 avec la prorogation du Parlement

26 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives ndash Modifications techniques et bijuridisme 16 juillet 2010 art 108 Budget du 6 juin 2011 Annexe 3 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Budget du 29 mars 2012 Annexe 4 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Projet de loi C-48 deacuteposeacute en premiegravere lecture agrave la Chambre des communes le 21 novembre 2012 et sanctionneacute par le Parlement du Canada le 26 juin 2013 Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant lrsquoimpocirct et les taxes LC 2013 ch 34 art 307

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 539

feacutedeacuterale au cas ougrave srsquoy ajouteraient des modifications techniques27 Mais devant la lenteur du Parlement du Canada agrave adopter la loi lrsquoAssembleacutee nationale du Queacutebec srsquoest reacutesolue agrave modifier en 2009 les paragraphes 985f) et 985g) LI28

Tant le gouvernement feacutedeacuteral que le gouvernement du Queacutebec ont affirmeacute que drsquoun point de vue de politique fiscale il eacutetait souhaitable que les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes puissent beacuteneacuteficier drsquoune exemption drsquoimposition au mecircme titre que les municipaliteacutes29 Lrsquoapplication de ces nouvelles dispositions est reacutetroactive aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves le 8 mai 2000 tant dans le cas de la Loi sur les impocircts du Queacutebec que dans le cas de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Le 8 mai 2000 est la date agrave laquelle la Cour drsquoappel du Queacutebec a rendu sa deacutecision dans lrsquoaffaire Tawich Voici donc les dispositions feacutedeacuterales et les dispositions queacutebeacutecoises qui permettent lrsquoharmonisation des deux reacutegimes fiscaux

Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute commission ou association dont au moins 90 du capital appartenait agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute commission ou association pour la peacuteriode provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

d6) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute donneacutee dont les actions (sauf les actions confeacuterant lrsquoadmissibiliteacute agrave des postes drsquoadministrateurs)

27 QUEacuteBEC ministegravere des Finances Budget 2006-2007 Renseignements additionnels

sur les mesures du budget 23 mars 2006 section 492 28 PL 2 Loi donnant suite au discours sur le budget du 24 mai 2007 agrave la deacuteclaration

ministeacuterielle du 1er juin 2007 concernant la politique budgeacutetaire 2007-2008 du gouvernement et agrave certains autres eacutenonceacutes budgeacutetaires 1re sess 39e leacuteg Queacutebec 2007 art 398 et suiv (sanctionneacute le 15 mai 2009) LQ 2009 c 5

29 CANADA ministegravere des Finances Notes explicatives concernant la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu la Loi sur la taxe drsquoaccise et des textes connexes octobre 2012 art 307 QUEacuteBEC ministegravere du Revenu Notes explicatives du Projet de loi no 2 art 398 et suiv

540 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ou le capital appartenaient agrave une socieacuteteacute commission ou association agrave laquelle lrsquoalineacutea d5) ou le preacutesent alineacutea srsquoapplique pour la peacuteriode ou agrave plusieurs de ces personnes si le revenu de la socieacuteteacute donneacutee pour la peacuteriode provenant des activiteacutes suivantes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

(i) si lrsquoalineacutea d5) srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees agrave cet alineacutea quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association

(ii) si le preacutesent alineacutea srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees au sous-alineacutea (i) quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association raquo

Loi sur les impocircts

laquo 985 Une personne est exoneacutereacutee drsquoimpocirct pour une peacuteriode ougrave elle est

[hellip]

f) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute une commission ou une association dont au moins 90 du capital appartient agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute canadienne ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire de ces entiteacutes

g) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute dont la totaliteacute du capital des biens ou des actions autres que les actions de qualification appartient agrave une ou plusieurs personnes dont chacune est une autre socieacuteteacute une commission ou une association agrave laquelle le preacutesent paragraphe ou le paragraphe f srsquoapplique pour la peacuteriode et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode

i dans le cas ougrave le paragraphe f srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute agrave la commission ou agrave lrsquoassociation drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees agrave ce paragraphe f lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute agrave cette commission ou agrave cette association selon le cas

ii dans le cas ougrave le preacutesent paragraphe srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees au preacutesent paragraphe lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute raquo

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 541

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES

Bien que ces dispositions aient eacuteteacute modifieacutees preacuteciseacutement pour permettre lrsquoexemption fiscale aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par des bandes indiennes leur application nrsquoest pas tregraves bien encadreacutee En effet lorsque vient le temps de se demander si une socieacuteteacute peut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption on est confronteacute agrave plusieurs zones grises

En bref on constate que ces dispositions leacutegislatives permettent lrsquoexemption agrave une socieacuteteacute qui est deacutetenue agrave 90 ou plus par un organisme public remplissant une fonction gouvernementale (ou une combinaison drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et de municipaliteacute) et dont le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors de ses limites geacuteographiques (ou en dehors de celles des entiteacutes combineacutees le cas eacutecheacuteant) ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux30 Une filiale en proprieacuteteacute exclusive drsquoune telle socieacuteteacute ou drsquoune socieacuteteacute pareillement exempteacutee peut aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption pourvu que le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute ultimement actionnaire ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux31

Avant de consideacuterer une socieacuteteacute par actions comme eacutetant exempteacutee on doit donc srsquointerroger sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale sur la notion de limites geacuteographiques et sur le sens des termes laquo revenu raquo laquo lieu raquo laquo activiteacutes raquo et laquo peacuteriode raquo puisque ce sont tous ces eacuteleacutements qui permettront de deacuteterminer si la socieacuteteacute est admissible agrave lrsquoexemption

Il ne faut pas oublier non plus que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR srsquoappliquent sous reacuteserve des paragraphes 149(12) et 149(13) LIR Nous ne traiterons pas du paragraphe 149(13) LIR32 en deacutetail car il ne pose pas de problegraveme drsquointerpreacutetation particulier Il sert seulement agrave preacuteciser que pour posseacuteder au moins 90 des actions de la socieacuteteacute aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale doit aussi avoir 90 des voix On a ainsi vraisemblablement voulu eacuteviter qursquoune socieacuteteacute puisse ecirctre exempteacutee lorsque des personnes non viseacutees par lrsquoexemption possegravedent des actions agrave votes

30 Al 149(1)d5) LIR et par 985f) LI 31 Al 149(1)d6) LIR et par 985g) LI 32 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(13) LIR est lrsquoarticle 98502 LI

542 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multiples Ainsi les actionnaires non viseacutes par lrsquoexemption ne doivent pas avoir une influence importante sur une socieacuteteacute exempteacutee drsquoimpocirct Dans le preacutesent texte nous nous attarderons surtout agrave la situation drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne

3 NOTIONS FONDAMENTALES

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE

Ni lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR ni le paragraphe 985f) LI ne deacutefinissent ce qursquoest un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Tel qursquoil a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment les tribunaux du Queacutebec ont cateacutegoriquement refuseacute de consideacuterer une bande indienne comme une municipaliteacute Dans ces circonstances le seul moyen restant pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption est que son actionnaire soit consideacutereacute comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Si on deacutecompose cette expression on a le terme laquo organisme raquo le volet public et la notion de gouvernance Rappelons ici que le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale a eacuteteacute ajouteacute agrave la loi dans le but preacutecis de permettre aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale disponible aux entiteacutes municipales33 Malgreacute cette claire intention on se retrouve tout de mecircme avec des dispositions larges renfermant plusieurs zones grises Les critegraveres utiliseacutes pour consideacuterer la bande drsquoOpaskwayak comme une municipaliteacute dans lrsquoaffaire Otineka sont un bon point de deacutepart pour avoir une ideacutee de ce qursquoil faut entendre par ce concept

311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich

Dans la deacutecision Otineka le juge Bowman qualifia la bande indienne de self-governing entity34 en raison du fait que le conseil de bande avait adopteacute plusieurs regraveglements administratifs par les pouvoirs que lui confeacuteraient les articles 81 et 851 de la Loi sur les Indiens Toutes les bandes reacutegies par la Loi sur les Indiens possegravedent ces pouvoirs mais le facteur deacuteterminant est le fait qursquoune bande ait useacute de ce pouvoir Le juge nota aussi que la bande avait atteint un stade de deacuteveloppement avanceacute puisqursquoelle avait aussi eu recours aux pouvoirs que lui confeacuterait lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens en

33 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 34 Preacuteciteacute note 12 par 4

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 543

adoptant des mesures de taxation ces mesures ne furent toutefois jamais implanteacutees35 Le juge mit aussi lrsquoaccent sur le fait que la bande avait une structure de gouvernance sophistiqueacutee qui sous-entendait des eacutelections deacutemocratiques des assembleacutees freacutequentes et divers comiteacutes (travaux publics services communautaires eacuteducation deacuteveloppement eacuteconomique etc)36 Eacutetant donneacute que la structure gouvernementale de la bande ressemblait suffisamment agrave celle drsquoune municipaliteacute et qursquoelle fournissait essentiellement les mecircmes services que nrsquoimporte quelle ville drsquoune taille comparable le juge Bowman consideacutera qursquoil nrsquoavait nul besoin de srsquoeacutetendre davantage sur le sujet pour accorder agrave une bande indienne le statut fiscal de municipaliteacute37

Malheureusement les tribunaux du Queacutebec nrsquoont pas pris clairement position sur la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale dans lrsquoaffaire Tawich Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec a toutefois passeacute la remarque suivante

laquo Le Tribunal nrsquoa pas agrave deacuteterminer si la bande Old Factory lrsquoancecirctre de la bande Wemindji et la bande depuis la Loi sur les Cris peuvent ecirctre consideacutereacutees un ldquoorganisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementalesrdquo au sens de larticle 984 de la Loi sur les impocircts quoiqursquoil trouve qursquoelles pourraient se qualifier agrave ce titre Le Tribunal nrsquoa pas agrave le faire vu que la corporation posseacutedeacutee par un tel organisme ne beacuteneacuteficie pas de lrsquoexemption de lrsquoarticle 98538 raquo (Notre soulignement)

Agrave ce stade rien de ce qui preacutecegravede ne permet drsquoaffirmer avec certitude qursquoune bande indienne est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il srsquoagit donc de deacutecomposer ce concept multidimensionnel et de srsquoen remettre agrave drsquoautres deacutecisions rendues par les tribunaux

En ce qui concerne la notion drsquoorganisme les doutes se sont dissipeacutes quand la Cour suprecircme du Canada a consideacutereacute en 1982 qursquoune bande indienne eacutetait bel et bien un organisme39 Pour ce qui est des volets public et gouvernemental la Cour du Queacutebec a eu agrave se prononcer en 2010 sur la question dans lrsquoaffaire Centre de deacuteveloppement de Queacutebec c SMRQ40 Dans 35 Id par 5 36 Id par 7 37 Id par 8 38 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14 par 19 39 Alliance de la Fonction publique du Canada c Francis [1982] 2 RCS 72 40 2010 QCCQ 2124 (laquo Centre de deacuteveloppement de Queacutebec raquo)

544 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

cette affaire on cherchait agrave deacuteterminer si le Centre de deacuteveloppement de Queacutebec eacutetait un organisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementales au sens de lrsquoarticle 984 LI (eacutequivalent de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR) Le juge Godbout preacutecisa notamment que puisque le qualificatif laquo public raquo nrsquoest pas deacutefini dans la loi la Cour devait opter pour une analyse baseacutee sur le sens ordinaire des mots41 Ce terme est deacutefini dans le dictionnaire Le Petit Robert comme suit laquo Qui concerne le peuple pris dans son ensemble qui appartient agrave la collectiviteacute sociale politique et en eacutemane qui appartient agrave lrsquoEacutetat ou agrave une personne administrative42 raquo Il appert assez clairement de cette deacutefinition qursquoune bande indienne peut ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public en raison du fait qursquoelle existe dans lrsquointeacuterecirct de sa collectiviteacute Quant agrave lrsquoaspect gouvernemental le juge Godbout preacutecise qursquoil ne faut pas automatiquement consideacuterer qursquoun organisme public remplit toujours des fonctions gouvernementales43 Il srsquoappuie ici sur lrsquoexistence drsquoun mandat provenant drsquoun ministegravere ou drsquoorganismes du gouvernement qui dans le cas du Centre de deacuteveloppement de Queacutebec est inheacuterent agrave sa loi constitutive44 Dans le cas des bandes indiennes un tel engagement existe vis-agrave-vis du ministegravere des Affaires indiennes et du Nord canadien (deacutesigneacute par le gouvernement du Canada depuis 2011 sous le nom Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada) de qui relegraveve la question autochtone au Canada45

312 Positions administratives

Srsquoil nrsquoest pas si facile drsquoeacutetablir directement le lien entre une bande indienne et un organisme public remplissant une fonction gouvernementale dans la jurisprudence il en est autrement dans la politique des administrations fiscales Comme il a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment bien que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI soient relativement reacutecents le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale les a toutefois preacuteceacutedeacutes46 Dans une deacutecision anticipeacutee de 2009 ougrave lrsquoon refusait de consideacuterer une socieacuteteacute comme eacutetant un organisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoARC a

41 Id par 27 42 Id par 27 citant Le Petit Robert 2002 laquo public ique raquo 43 Id par 34 44 Id par 36 45 Art 3 de la Loi sur les Indiens 46 Al 149(1)c) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 545

deacutevoileacute le fond de sa penseacutee sur ce concept47 La logique qui ressortait de la deacutecision Centre de deacuteveloppement de Queacutebec48 semble ecirctre respecteacutee par lrsquoARC qui est aussi drsquoavis que lrsquoon doit donner agrave cette expression son sens ordinaire Elle deacutecompose la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en deux termes soit la notion drsquoorganisme public et celle de fonction gouvernementale Pour ce qui est de la notion drsquoorganisme public lrsquoARC met lrsquoemphase sur la fourniture de services aux individus pour lesquels lrsquoorganisme public est creacuteeacute ainsi que sur lrsquoimputabiliteacute qui doit exister envers un gouvernement ou directement envers les individus qursquoil repreacutesente Pour ce qui est de la notion de fonction gouvernementale lrsquoARC revient sur la fourniture de services publics et amegravene aussi une nouvelle dimension agrave savoir la neacutecessiteacute drsquoavoir le pouvoir de gouverner

LrsquoARC a aussi eacuteteacute appeleacutee agrave se prononcer directement sur le cas des bandes indiennes En mars 2000 agrave la demande du Comiteacute de lrsquoavancement de lrsquoemploi des autochtones des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada lrsquoARC a donneacute son avis sur plusieurs questions relieacutees agrave la fiscaliteacute des autochtones Dans une interpreacutetation technique49 lrsquoARC preacutecise tout drsquoabord que la deacutesignation drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale est une question de fait Selon elle une bande indienne serait un tel organisme si elle prenait des regraveglements administratifs en vertu agrave la fois de lrsquoarticle 81 et de lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC indique aussi que si une bande indienne a atteint un haut niveau drsquoavancement elle sera consideacutereacutee comme remplissant des fonctions gouvernementales De plus lrsquoARC ajoute srsquoecirctre toujours montreacutee favorable au cas des nations ayant participeacute agrave des neacutegociations territoriales Il est inteacuteressant de constater ici que les critegraveres utiliseacutes par lrsquoARC ressemblent eacutetrangement agrave ceux utiliseacutes par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka pour consideacuterer qursquoune bande indienne srsquoapparente agrave une municipaliteacute

Dans une autre interpreacutetation technique publieacutee environ deux mois plus tard50 lrsquoARC reacutepondait agrave une demande sur les faits agrave prendre en 47 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0306281I7

laquo Application of Paragraph 149(1)(c) raquo 12 mai 2009 48 Preacuteciteacute note 40 49 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 50 Id interpreacutetation technique 2000-0025807 laquo Indian Bands As Public Bodies raquo

20 mai 2000

546 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

consideacuteration pour qursquoune bande indienne puisse ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR LrsquoARC preacutecisa qursquoanciennement elle accordait ce statut agrave une bande indienne uniquement lorsque celle-ci avait adopteacute des regraveglements en vertu de chacun des articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens ou lorsqursquoelle avait atteint un niveau avanceacute de deacuteveloppement tel que requis par lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC explique ensuite qursquoune bande qui ne respecterait aucun de ces critegraveres pourrait quand mecircme ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Elle consideacuterera qursquoune bande exerce des fonctions gouvernementales si

bull elle prend part agrave des ententes de transfert avec le gouvernement feacutedeacuteral visant les services de santeacute

bull elle fournit des services drsquoeacuteducation primaire et secondaire par lrsquointermeacutediaire des eacutecoles qursquoelle exploite

bull elle a pris part agrave des neacutegociations territoriales avec le gouvernement feacutedeacuteral et continue drsquoy prendre part dans leur administration et leur implantation

bull et enfin elle a pris des arrangements avec le gouvernement feacutedeacuteral pour devenir responsable de la gestion du territoire des programmes sociaux de deacuteveloppement eacuteconomique et drsquoinfrastructures

Agrave la fin de 2003 lrsquoARC se fit poser exactement la mecircme question dans une nouvelle demande drsquointerpreacutetation51 La reacuteponse fut identique agrave la preacuteceacutedente agrave la seule diffeacuterence que lrsquoon y inteacutegra la fourniture et lrsquoadministration des travaux publics des services sociaux et des programmes drsquoinfrastructures pour les membres LrsquoARC ajouta que la mesure dans laquelle la bande pouvait deacutemontrer son engagement dans les eacuteleacutements en question serait consideacutereacutee dans la deacutecision de lui attribuer le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Au cours des quinze derniegraveres anneacutees lrsquoARC a reacutepondu agrave environ une cinquantaine de demandes drsquointerpreacutetation sur la question de lrsquoadmissibiliteacute drsquoune bande indienne au statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans la presque totaliteacute des cas la reacuteponse de lrsquoARC a eacuteteacute 51 Id interpreacutetation technique 2003-0039437 laquo Public Body Performing Function

Govt raquo 30 octobre 2003

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 547

favorable aux bandes indiennes Malheureusement lrsquoARC nrsquoa pas toujours indiqueacute dans ses deacutecisions les eacuteleacutements qui lrsquoont fait pencher vers le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale En revanche on peut reacutepertorier une trentaine de deacutecisions favorables (voir annexe 1) qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC essentiellement pour les raisons suivantes lrsquoadoption de regraveglements les services aux membres lrsquoaspect deacutemocratique la nature des fonctions et la neacutegociation drsquoententes On peut remarquer que les eacuteleacutements qui ressortent le plus souvent de lrsquoanalyse sont lrsquoadoption de regraveglements le fait de fournir des services aux membres de la communauteacute et le fait drsquoavoir neacutegocieacute des ententes avec les gouvernements

Du cocircteacute de Revenu Queacutebec le seul document rendu public est une lettre drsquointerpreacutetation52 de 1999 affirmant notamment que lorsque la bande use des pouvoirs que lui confegravere lrsquoarticle 81 de la Loi sur les Indiens elle pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale

313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec

Pour deacutecider si une bande indienne est ou non un organisme public remplissant une fonction gouvernementale il faut proceacuteder agrave une analyse cas par cas en utilisant les critegraveres deacutecrits preacuteceacutedemment On ne peut fournir une reacuteponse geacuteneacuterale agrave cette question puisque les bandes indiennes nrsquoont pas toutes atteint le mecircme stade de deacuteveloppement tel que le preacutecise le site Internet des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada53

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute dans lrsquointroduction les neuf communauteacutes cries preacutesentes dans la Jameacutesie ont un reacutegime bien particulier qui les distingue des autres bandes indiennes Les eacuteveacutenements historico-politiques qui ont conduit agrave cette situation seront abordeacutes agrave la sous-section 322 Pour lrsquoinstant ce qui importe de savoir est que les bandes cries du Queacutebec sont reacutegies par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec54 et non par la Loi sur les Indiens Bien que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec constitue un reacutegime distinct elle fait occasionnellement reacutefeacuterence agrave la Loi sur les Indiens et on y trouve des dispositions eacutequivalentes Par exemple

52 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 53 CANADA Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada Gouvernance

15 septembre 2010 par 3 (en ligne httpwwwaadnc-aandcgccafra 11001000138031100100013807)

54 SC 1984 ch 18

548 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexemption fiscale de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens et les pouvoirs des bandes preacutevus aux articles 81 et 83 de cette mecircme loi y sont repris presque mot pour mot Agrave la diffeacuterence de la Loi sur les Indiens la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec limite les activiteacutes commerciales qui peuvent ecirctre exerceacutees par une bande indienne Le paragraphe 22(3) de cette loi preacutevoit toutefois une deacuterogation agrave cette restriction lorsque la bande est lrsquoactionnaire drsquoune personne morale Voilagrave donc une autre raison pouvant inciter une bande crie agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute par actions

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec a eacuteteacute adopteacutee par le Parlement du Canada afin de mettre en application la Convention de la Baie-James55 qui fut signeacutee en 1975 Lrsquoarticle 21 de cette loi se lit comme suit

laquo 21 La bande a pour mission

a) drsquoexercer les pouvoirs drsquoune administration locale sur les terres de cateacutegorie IA ou IA-N qui lui sont attribueacutees

b) drsquoassurer lrsquousage la gestion lrsquoadministration et la reacuteglementation relatives agrave ses terres ainsi qursquoaux ressources naturelles qui srsquoy trouvent

c) de reacutegir les octrois de droits et drsquointeacuterecircts sur ces terres et sur leurs ressources naturelles y compris les ressources de leur sous-sol

d) de reacuteglementer lrsquousage des bacirctiments qui se trouvent sur ces terres

e) drsquoutiliser de geacuterer et drsquoadministrer ses deniers et autres eacuteleacutements drsquoactif

f) de promouvoir le bien-ecirctre geacuteneacuteral de ses membres

g) de promouvoir et assurer le deacuteveloppement communautaire et les œuvres de bienfaisance au sein de la communauteacute

h) drsquoassurer les services programmes et projets voulus pour ses membres pour les autres personnes reacutesidant sur les terres des cateacutegories IA et IA-N ainsi que pour les personnes reacutesidant sur les terres de cateacutegorie III qui sont viseacutees agrave lrsquoalineacutea 6b)

i) de preacuteserver et promouvoir la culture les valeurs et les traditions cries ou naskapies selon le cas

55 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 549

j) drsquoexercer les pouvoirs et fonctions que les lois feacutedeacuterales ou leurs regraveglements ainsi que les Conventions lui confegraverent ou confeacuteraient agrave la bande anteacuterieure raquo

De par lrsquoacte qui a creacuteeacute les bandes cries du Queacutebec il serait bien difficile de preacutetendre qursquoelles nrsquoont pas un caractegravere public et qursquoelles nrsquoexercent pas une fonction gouvernementale En effet cette disposition preacutevoit notamment lrsquoexercice drsquoun pouvoir reconnu sur un territoire et la responsabiliteacute du bien-ecirctre du deacuteveloppement communautaire et de la fourniture de services pour ses membres Un autre eacuteleacutement non neacutegligeable est le fait que les Cris du Queacutebec ont participeacute agrave des neacutegociations territoriales menant agrave la Convention de la Baie-James agrave ses modifications et agrave la Paix des Braves Il est aussi inteacuteressant de rappeler la remarque du juge Vermette de la Cour du Queacutebec dans lrsquoaffaire Tawich qui laissait entendre que la bande crie de Wemindji au Queacutebec aurait probablement pu ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Compte tenu de tous ces eacuteleacutements les administrations fiscales seraient mal venues de preacutetendre que les bandes cries du Queacutebec ne constitueraient pas des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoarticle 149 LIR

314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Il a eacuteteacute reconnu qursquoune bande indienne est un organisme Il ressort de la jurisprudence que pour reacutepondre au concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoorganisme doit ecirctre imputable envers la collectiviteacute et ecirctre mandateacute par un gouvernement LrsquoARC semble se rattacher agrave plusieurs eacuteleacutements concrets provenant de la deacutecision Otineka de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct pour consideacuterer qursquoune bande est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale On cherche essentiellement agrave savoir si elle a adopteacute des regraveglements en vertu des pouvoirs qui lui sont confeacutereacutes si elle offre des services publics et si elle a participeacute agrave des neacutegociations et revendications

Le fait que les diverses communauteacutes cries du Queacutebec respectent ces exigences et qursquoelles aient atteint un stade avanceacute de deacuteveloppement permet de les consideacuterer comme des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale Pour ce qui est des autres communauteacutes une analyse cas par cas baseacutee sur les critegraveres identifieacutes doit ecirctre effectueacutee

550 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES

Il est important drsquoeacutetablir clairement les limites geacuteographiques des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale En effet ces limites sont essentielles agrave la reacutealisation du test baseacute sur les revenus Afin drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption la socieacuteteacute doit ecirctre en mesure de deacuteterminer si ses activiteacutes sont agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de ces limites Elle pourra ensuite eacutetablir si le revenu attribuable aux activiteacutes externes deacutepasse ou non le seuil toleacutereacute de 10 du revenu total Il est relativement facile drsquoeacutetablir les limites geacuteographiques drsquoune ville dans les grands centres lorsque celles-ci sont partageacutees avec les villes voisines et que lrsquoon se trouve dans un contexte urbain Il en est tout autrement lorsque lrsquoobjet de la deacutelimitation est situeacute en pleine forecirct agrave des kilomegravetres de toute zone habiteacutee

Il faut aussi ajouter les particulariteacutes de la question territoriale des Cris du Queacutebec Si lrsquoanalyse de la section preacuteceacutedente a permis de circonscrire relativement bien le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le travail est bien plus ardu avec la notion de limites geacuteographiques Une des difficulteacutes intrinsegraveques agrave lrsquoanalyse de cet eacuteleacutement est lieacutee au fait que la leacutegislation fiscale renvoie agrave plusieurs autres lois relativement meacuteconnues comme nous allons le voir

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR

Avec lrsquoajout des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale dans les entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on a tenteacute de fournir certaines preacutecisions quant aux limites geacuteographiques de ces organismes Ces preacutecisions se trouvent au paragraphe 149(11) LIR56 qui se lit comme suit

laquo 149 (11) Pour lrsquoapplication du preacutesent article les limites geacuteographiques drsquoun organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale sont les suivantes

a) celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel le pouvoir de percevoir des impocircts ou taxes est reconnu ou confeacutereacute agrave lrsquoorganisme par une loi feacutedeacuterale ou par un accord mis en vigueur par une telle loi

b) en cas drsquoinapplication de lrsquoalineacutea a) celles agrave lrsquointeacuterieur desquelles lrsquoorganisme est autoriseacute par les lois feacutedeacuterales ou provinciales agrave exercer cette fonction raquo

56 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(11) LIR est lrsquoarticle 98503 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 551

Cette disposition ne donne pas de directives claires sur la faccedilon de deacutelimiter le territoire drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale elle renvoie plutocirct aux lois feacutedeacuterales ou provinciales qui confegraverent agrave lrsquoorganisme ses pouvoirs gouvernementaux

Les tribunaux nrsquoont pas encore eu agrave se prononcer directement sur un cas de deacutelimitation territoriale de bande indienne ou mecircme drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Toutefois les notes explicatives du ministegravere des Finances qui ont trait au paragraphe 149(11) LIR apportent un peu plus de lumiegravere sur lrsquointention du leacutegislateur57 On y utilise lrsquoexemple drsquoune bande indienne qui constituerait un organisme public remplissant une fonction gouvernementale et on affirme que dans ce cas les limites geacuteographiques seraient celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel la bande indienne a le pouvoir drsquoimposer des taxes directes selon laquo un accord drsquoautonomie gouvernementale ou de la loi qui lui confegravere son autonomie gouvernementale raquo58 On ajoute que plus preacuteciseacutement ses limites geacuteographiques seraient celles de ses reacuteserves La politique de lrsquoARC va aussi en ce sens lorsque lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en question est une bande indienne59

Dans le cas des bandes indiennes reacutegies par la Loi sur les Indiens tout cela est assez facile agrave mettre en perspective puisque la notion de reacuteserve y est bien deacutefinie60 Les principales difficulteacutes dans lrsquoeacutetablissement des limites geacuteographiques drsquoune reacuteserve sont davantage de nature technique que leacutegale Cependant comme il a eacuteteacute mentionneacute les communauteacutes cries du Queacutebec ne sont pas reacutegies par la Loi sur les Indiens61 Pour cette raison les principaux eacuteleacutements relevant de lrsquoadministration et de la question territoriale crie doivent ecirctre abordeacutes

322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois

Les questions territoriales autochtones sont tregraves complexes de faccedilon geacuteneacuterale et celles des communauteacutes cries nrsquoeacutechappent pas agrave cette regravegle Nous

57 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 58 Id 59 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2009-0310851I7 laquo Business Income Earned by First Nation raquo 15 septembre 2009 60 Par 2(1) de la Loi sur les Indiens 61 Art 5 de la Loi sur les Cris et le Naskapis du Queacutebec

552 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

nrsquoavons pas lrsquointention de deacutecrire en deacutetail toute la question territoriale des Cris du Queacutebec mais il est neacutecessaire drsquoen dresser les grandes lignes puisqursquoelle est essentielle agrave lrsquoeacutetude des dispositions fiscales en cause

La geacuteographie du Nord queacutebeacutecois telle qursquoon la connaicirct aujourdrsquohui date essentiellement du 1er avril 1912 Cette date correspond agrave la sanction royale de la Loi de lrsquoextension des frontiegraveres de Queacutebec 191262 La superficie de la province avait alors plus que doubleacute par lrsquoajout du territoire actuellement situeacute au nord du 52e parallegravele Cette loi preacutevoyait notamment que le gouvernement du Queacutebec devait reconnaicirctre sur le territoire ceacutedeacute les droits des autochtones en obtenir la remise et en payer les frais63 Agrave la suite de lrsquoannexion de ce vaste territoire le gouvernement avait toujours laisseacute flotter la question territoriale du Nord queacutebeacutecois

Lrsquoannonce du projet de la Baie-James par lrsquoancien premier ministre Robert Bourassa en 1971 a mis cette question agrave lrsquoavant-scegravene Nrsquoayant pas eacuteteacute consulteacutes et eacutetant donneacute tous les effets environnementaux drsquoun tel projet sur les terres traditionnelles des peuples cris et inuits ces derniers srsquoopposegraverent farouchement au projet Ils eurent gain de cause le 15 novembre 1973 lorsque la Cour supeacuterieure du Queacutebec se montra favorable agrave leur demande drsquoinjonction Eacutetant donneacute que les projets de deacuteveloppement hydro-eacutelectrique de la Baie-James se trouvegraverent paralyseacutes le gouvernement du Queacutebec nrsquoeut drsquoautre choix que drsquoinviter les autochtones viseacutes agrave la table de neacutegociations

Ces eacuteveacutenements qui ont marqueacute lrsquohistoire du Queacutebec ont donneacute naissance agrave la Convention de la Baie-James64 qui fut signeacutee le 11 novembre 1975 par le gouvernement feacutedeacuteral et le gouvernement du Queacutebec par les autochtones et par les socieacuteteacutes de deacuteveloppement engageacutees dans le projet de la Baie-James Lrsquoentente renferme plusieurs dispositions qui rendent les communauteacutes cries distinctives tant sur le plan de leur administration que sur celui de leurs territoires Sur le plan territorial la notion de reacuteserve est proscrite M John Ciaccia alors repreacutesentant speacutecial du premier ministre srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Je crois sincegraverement que la faccedilon traditionnelle drsquoaborder les questions indiennes dans ce pays nrsquoest plus reacuteellement valable ni mecircme acceptable et qursquoelle aurait certainement eacuteteacute tout agrave fait inefficace dans la situation agrave laquelle

62 (R-U) 2 Geo V c 45 63 Id al 2a) 64 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 553

nous avons eu agrave faire face dans le Nord queacutebeacutecois et que nous avons tenteacute de reacutesoudre par des neacutegociations qui ont eacuteteacute agrave la fois patientes longues et extrecircmement complexes

Nous nrsquoavons pas voulu creacuteer de ldquoreacuteservesrdquo au sens conventionnel du mot et effectivement nous nrsquoen creacuteons pas65 raquo

Dans cet esprit le reacutegime des terres de cette vaste eacutetendue se deacutecompose en trois cateacutegories les terres de cateacutegorie I (environ 14 000 km2 dont 5 500 km2 pour les Cris) qui sont agrave lrsquousage exclusif des communauteacutes autochtones66 les terres de cateacutegorie II (environ 150 000 km2) qui sont des terres publiques sur lesquelles les autochtones ont des droits exclusifs pour leurs activiteacutes traditionnelles comme la chasse la pecircche et le trappage67 et les terres de cateacutegorie III (environ 1 000 000 km2) qui sont des terres publiques68

On comprend donc que le territoire administreacute par une communauteacute autochtone du Nord queacutebeacutecois est lrsquoensemble des terres de cateacutegorie I qui lui ont eacuteteacute octroyeacutees Dans le cas des Cris la Convention de la Baie-James seacutepare aussi les terres de cateacutegorie I en deux autres cateacutegories soit essentiellement les terres de cateacutegorie IA (environ 3 300 km2) qui sont de juridiction feacutedeacuterale69 et les terres de cateacutegorie IB (environ 2 200 km2) qui sont de juridiction provinciale70 Agrave titre drsquoexemple la superficie des terres de cateacutegorie I pour la bande de Wemindji qui eacutetait agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire Tawich est drsquoun peu plus de 500 kilomegravetres carreacutes dont environ 60 sont constitueacutes de terres de cateacutegorie IA Cette seacuteparation additionnelle des terres de cateacutegorie I est neacutecessaire car seul le Parlement du Canada a le pouvoir constitutionnel de leacutegifeacuterer de maniegravere directe sur le mode de vie des Indiens71

65 QUEacuteBEC Assembleacutee nationale Commission parlementaire sur les richesses

naturelles et les terres et forecircts laquo Philosophie de la Convention raquo dans Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois Queacutebec Eacutediteur officiel du Queacutebec 5 novembre 1975 aux pages XVIII-XIX

66 Al 511 de la Convention de la Baie-James 67 Al 521 de la Convention de la Baie-James 68 Al 531 de la Convention de la Baie-James 69 Al 512 de la Convention de la Baie-James 70 Al 513 de la Convention de la Baie-James 71 Par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

554 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Les dispositions de la Convention de la Baie-James relatives agrave lrsquoadministration des terres feacutedeacuterales ont eacuteteacute officialiseacutees dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec alors que celles relatives aux terres de juridiction provinciale lrsquoont eacuteteacute par lrsquoadoption de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec72 et de la Loi sur les villages cris et le village naskapi73 Sur les terres de cateacutegorie IB le reacutegime provincial constitue des municipaliteacutes74 assujetties aux lois municipales dont la Loi sur les citeacutes et villes75

Mais quelle est la position des administrations fiscales quant agrave la notion de limites geacuteographiques que le paragraphe 149(11) LIR et lrsquoarticle 98503 LI tentent de preacuteciser

323 Positions administratives

De faccedilon geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation de lrsquoARC semble aller dans le mecircme sens que ce qui ressort des notes explicatives76 accompagnant le paragraphe 149(11) LIR Tel qursquoil est indiqueacute dans ces notes dans le cas drsquoune bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale les limites geacuteographiques agrave consideacuterer seraient celles de ses reacuteserves

La neacutecessiteacute de situer geacuteographiquement les activiteacutes dans le cadre de lrsquoexemption eacutetudieacutee est apparue en 1998 On a demandeacute alors agrave lrsquoARC de preacuteciser la notion de limites geacuteographiques dans le contexte des bandes indiennes un peu avant lrsquointroduction de cette notion dans la loi LrsquoARC expliqua que selon elle les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne devraient englober les terres de la reacuteserve77 Un an plus tard lrsquoARC donna la mecircme reacuteponse dans le cadre drsquoune autre interpreacutetation technique et elle ajouta qursquoil fallait srsquoen remettre agrave la Loi sur les Indiens pour appreacutecier le

72 LRQ c I-3 73 LRQ c V-51 74 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 75 LRQ c C-19 76 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 77 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9805985 laquo Canadian

Municipal Owned Corporation Indian raquo 30 octobre 1998

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 555

sens du mot laquo reacuteserve raquo78 Afin drsquoeacuteviter toute confusion eacutemanant drsquoun parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale de la Loi sur les Indiens lrsquoARC preacutecisa par la suite que les limites geacuteographiques dont il eacutetait question agrave lrsquoarticle 149 LIR dans le cas drsquoune bande indienne comprenaient uniquement sa reacuteserve et non toutes les reacuteserves indiennes du Canada79 La position voulant que les terres de la reacuteserve drsquoune bande constituent ses limites geacuteographiques fut reacuteiteacutereacutee dans drsquoautres interpreacutetations publieacutees subseacutequemment80 Une interpreacutetation technique relativement reacutecente a donneacute plus de preacutecisions en indiquant que les limites geacuteographiques drsquoune bande englobaient sa reacuteserve ou les terres qui lui eacutetaient transfeacutereacutees agrave la suite drsquoune entente de revendication territoriale ou drsquoune entente drsquoautonomie gouvernementale81

La notion de reacuteserve agrave laquelle fait abondamment reacutefeacuterence lrsquoARC semble tout agrave fait justifieacutee puisque le pouvoir de taxation des bandes indiennes est justement limiteacute agrave leur reacuteserve82 Cette politique administrative paraicirct correspondre au texte du paragraphe 149(11) LIR Revenu Queacutebec nrsquoa pas exprimeacute de position agrave cet eacutegard

324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte

Dans sa politique administrative lrsquoARC fait reacutefeacuterence agrave la notion de reacuteserve qui est deacutefinie au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens comme suit

laquo 2 (1) Les deacutefinitions qui suivent srsquoappliquent agrave la preacutesente loi

[hellip]

ldquoreacuteserverdquo Parcelle de terrain dont Sa Majesteacute est proprieacutetaire et qursquoelle a mise de cocircteacute agrave lrsquousage et au profit drsquoune bande y sont assimileacutees les terres deacutesigneacutees sauf pour lrsquoapplication du paragraphe 18(2) des articles 20 agrave 25 28 36 agrave 38 42 44 46 48 agrave 51 58 et 60 ou des regraveglements pris sous leur reacutegime

78 Id interpreacutetation technique 9910937 laquo Indian Band as a Municipality raquo 22 octobre

1999 79 Tax Window Files preacuteciteacute note 21 80 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques

2009-0311861I7 laquo Issues par 149(1)(c) and Proposed par 149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010 2004-0061221E5 laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 et 2001-0099085 laquo Indian Band Corporations raquo 24 octobre 2001

81 Tax Window Files preacuteciteacute note 47 82 Par 83(1) de la Loi sur les Indiens

556 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

[hellip]

ldquoterres deacutesigneacuteesrdquo Parcelle de terrain ou tout droit sur celle-ci proprieacuteteacute de Sa Majesteacute et relativement agrave laquelle la bande agrave lrsquousage et au profit de laquelle elle a eacuteteacute mise de cocircteacute agrave titre de reacuteserve a ceacutedeacute avant ou apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la preacutesente deacutefinition ses droits autrement qursquoagrave titre absolu raquo

On peut donc sommairement consideacuterer qursquoune reacuteserve est un ensemble de terres qui sont la proprieacuteteacute du gouvernement et qui sont reacuteserveacutees agrave un groupe drsquoIndiens Dans le cas drsquoune bande indienne reacutegie par la Loi sur les Indiens il est donc assez facile de deacuteterminer conceptuellement la zone geacuteographique dont il est question au paragraphe 149(11) LIR

En ce qui concerne les Cris du Queacutebec crsquoest la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec qui a preacuteseacuteance sur la Loi sur les Indiens83 et pour ecirctre en accord avec la Convention de la Baie-James le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas utiliseacute pour parler du territoire des Cris Aux fins de deacuteterminer les limites geacuteographiques de ces communauteacutes la solution la plus logique est de se rallier par analogie au concept de reacuteserve dont il est question dans les notes explicatives84 accompagnant les modifications leacutegislatives On comprend que les terres de cateacutegories II et III ne reacutepondent pas agrave la deacutefinition de laquo reacuteserve raquo preacutevue dans la Loi sur les Indiens car elles constituent des terres publiques et par le fait mecircme ne sont pas agrave lrsquousage exclusif des Cris Agrave lrsquoinverse les terres de cateacutegorie I drsquoune communauteacute donneacutee sont reacuteserveacutees agrave son usage et sont entiegraverement agrave sa disposition

Le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu en revanche la Loi sur les impocircts du Queacutebec a donneacute un sens agrave ce terme Une reacuteserve deacutesigne notamment laquo une terre de cateacutegorie IA [hellip] au sens du paragraphe 1 de lrsquoarticle 2 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec (LC 1984 ch 18)85 raquo Il faut toutefois preacuteciser que lrsquoapplication de cette deacutefinition est limiteacutee au contexte de la deacuteduction disponible agrave un particulier indien Tel qursquoil est indiqueacute plus haut lrsquoimmuniteacute fiscale dont beacuteneacuteficie un Indien provient de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens qui est repris agrave lrsquoarticle 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Lrsquoexemption fiscale srsquoapplique sur les reacuteserves pour ce qui est de la Loi sur les Indiens et sur les terres de cateacutegorie IA dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Dans les deux cas lrsquoapplication de cette

83 Art 5 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 84 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 85 Par 72501b) laquo reacuteserve raquo LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 557

exemption fiscale se fait par deacuterogation agrave toutes autres lois feacutedeacuterales ou provinciales La leacutegislation fiscale se doit donc de reconnaicirctre cette immuniteacute sur ces territoires comme elle le fait agrave lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et au paragraphe 725a) LI Cependant lrsquoexemption dont il est question ici srsquoinscrit dans un autre contexte soit celui de lrsquoarticle 149 LIR Crsquoest pourquoi il ne faut pas arrecircter le raisonnement agrave la deacutefinition limitative du terme laquo reacuteserve raquo contenue dans la Loi sur les impocircts du Queacutebec

Revenons au paragraphe 149(11) LIR dont le but est de baliser la deacutelimitation geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il est indeacuteniable que la Convention de la Baie-James constitue un laquo accord mis en vigueur par une loi feacutedeacuterale raquo86 qui confegravere aux Cris un pouvoir de taxation tant sur les terres de cateacutegorie IA87 que sur les terres de cateacutegorie IB88 En reprenant lrsquoalineacutea 149(11)a) LIR ne peut-on pas conclure que les limites geacuteographiques drsquoune communauteacute crie englobent ces terres Bien que cette position soit raisonnable agrave premiegravere vue il ne semble pas que les terres de cateacutegorie IB puissent ecirctre incluses dans les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne crie

Mecircme srsquoil peut ecirctre logique que les terres de cateacutegorie IB soient consideacutereacutees comme des reacuteserves aux fins fiscales il ne faut pas perdre de vue que lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI vise une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans cette perspective les limites geacuteographiques qui doivent ecirctre eacutetablies sont celles de la bande qui est lrsquoactionnaire de cette socieacuteteacute

Dans le contexte juridique et territorial cri il existe trois entiteacutes constitueacutees en personnes morales distinctes la bande elle-mecircme pour la gestion des terres de cateacutegorie IA89 une corporation fonciegravere pour la deacutetention des titres de proprieacuteteacute des terres de cateacutegorie IB90 et une personne 86 Voir notamment le preacuteambule de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 87 S-al 901d) de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoalineacutea 45(1)h) de la Loi sur

les Cris et les Naskapis du Queacutebec 88 Al 100101 de la Convention de la Baie-James repris partiellement agrave lrsquoarticle 26 de

la Loi sur les villages cris et le village naskapi 89 S-al 901a) de la Convention de la Baie-James repris au paragraphe 12(1) de la

Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 90 Al 1001 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 7 de la Loi sur le

reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec

558 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

morale de droit public ayant le statut de municipaliteacute pour la gestion de ces mecircmes terres de cateacutegorie IB91 Il se trouve qursquoaux fins fiscales lrsquoactionnaire de la socieacuteteacute qui veut obtenir lrsquoexemption est la bande indienne et non lrsquoune des deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB Dans ces circonstances il apparaicirct plus logique de consideacuterer seulement le pouvoir de taxation de la bande indienne pour deacuteterminer ses limites geacuteographiques aux fins du paragraphe 149(11) LIR Puisque ce pouvoir est preacutevu par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec sur les terres de cateacutegorie IA les limites geacuteographiques de cet organisme public remplissant une fonction gouvernementale seraient donc uniquement celles de ces terres

Certains peuvent consideacuterer un tel reacutesultat comme eacutetant injuste dans la mesure ougrave la bande indienne la corporation fonciegravere92 et la municipaliteacute existent de faccedilon distincte uniquement pour respecter la juridiction feacutedeacuterale sur les terres de cateacutegorie IA et la juridiction provinciale sur les terres de cateacutegorie IB Il est clair que la volonteacute des gouvernements est drsquoavoir une seule gestion peu importe la juridiction sur les terres93 Toutefois mecircme si le reacutegime provincial preacutevoit que le conseil de la municipaliteacute doit ecirctre composeacute des mecircmes individus que celui de la bande indienne il nrsquoest pas question ici drsquoune fiction juridique Les trois entiteacutes ont bel et bien une existence leacutegale reacuteelle et distincte Les tribunaux nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette question mais la Cour drsquoappel du Queacutebec a eacuteteacute sans eacutequivoque dans lrsquoarrecirct Tawich il y a une distinction eacutevidente agrave faire entre lrsquoentiteacute qui gegravere les terres de cateacutegorie IA et celle qui gegravere les terres de cateacutegorie IB94 De plus les principes reacutegissant la leveacutee du voile corporatif sont clairs dans le Code civil du Queacutebec95 on ne peut lrsquoinvoquer qursquoen preacutesence drsquointentions frauduleuses abusives ou contraires aux regravegles drsquoordre public

Dans ces circonstances pourrait-il y avoir une solution advenant que la socieacuteteacute deacutetenue par une bande crie exerce une partie importante de ses activiteacutes sur les terres de cateacutegorie IB et veuille tout de mecircme se preacutevaloir de

91 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 92 Art 2 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 93 Al 1004 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 14 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 94 Tawich (CA) preacuteciteacute note 14 par 6 95 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) art 317

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 559

lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR preacutecise qursquoau moins 90 du capital doit appartenir agrave laquo une ou plusieurs entiteacutes raquo qui sont des municipaliteacutes ou des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au Canada La deacutetention partageacutee des actions drsquoune socieacuteteacute par une bande indienne et par une municipaliteacute aurait pour effet que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR seraient celles des deux entiteacutes Une ideacutee assez eacutevidente de planification fiscale serait que la municipaliteacute reacutegissant les terres de cateacutegorie IB deacutetienne au moins une action du capital-actions de la socieacuteteacute deacutetenue par la bande indienne Ainsi la socieacuteteacute pourrait exercer ses activiteacutes sans crainte autant sur les terres de cateacutegorie IA que sur les terres de cateacutegorie IB puisque la zone geacuteographique globale des deux entiteacutes serait les terres de cateacutegorie I

Malheureusement il existe des enclaves non neacutegligeables agrave la mise en œuvre drsquoune telle solution Le droit municipal est beaucoup plus restrictif que les lois reacutegissant les bandes indiennes relativement agrave la participation agrave des activiteacutes commerciales Le problegraveme relegraveve du fait que les deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB ne seraient probablement pas en droit de posseacuteder de telles actions de socieacuteteacutes exploitant des entreprises agrave but lucratif Dans le cas de la corporation fonciegravere la loi preacutevoyant sa creacuteation est claire et preacutecise que la socieacuteteacute doit ecirctre agrave but non lucratif et sans gain peacutecuniaire pour ses membres96 Pour ce qui est de la municipaliteacute crsquoest un peu plus neacutebuleux Les municipaliteacutes creacuteeacutees pour geacuterer les terres de cateacutegorie IB doivent comme toutes les municipaliteacutes du Queacutebec se soumettre au droit municipal97

La principale embucircche pour une municipaliteacute qui veut souscrire des actions drsquoune socieacuteteacute agrave but lucratif est la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales98 Cette loi preacutevoit qursquoune municipaliteacute ne peut pas venir en aide agrave un eacutetablissement industriel ou commercial en prenant ou souscrivant des actions de son capital99 Il serait bien entendu difficile pour les administrations fiscales de soutenir qursquoune souscription de 1 $ puisse constituer une subvention municipale aupregraves drsquoune socieacuteteacute Toutefois la

96 Art 9 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 97 Al 1007 et 10017 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la

Loi sur les villages cris et le village naskapi 98 LRQ c I-15 99 Art 1 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales

560 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales utilise lrsquoexpression laquo venir en aide raquo Il faut donc se demander si un tel geste constitue une aide pour la socieacuteteacute en question Lorsqursquoon considegravere que cette souscription permettrait agrave la socieacuteteacute de beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale il serait difficile de preacutetendre que la municipaliteacute ne vient pas en aide agrave cet eacutetablissement commercial Advenant une contravention agrave la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales les administrations fiscales pourraient intenter une action en nulliteacute contre la municipaliteacute et lrsquoachat ou la souscription de lrsquoaction serait preacutesumeacute ne jamais avoir eacuteteacute fait100

Dans un autre ordre drsquoideacutees il ne faut pas perdre de vue que les municipaliteacutes sont constitueacutees pour rendre des services et favoriser le deacuteveloppement collectif Les conseillers municipaux sont imputables agrave lrsquoeacutegard des citoyens Comment une municipaliteacute pourrait-elle justifier collectivement une reacutesolution autorisant une participation dans une socieacuteteacute priveacutee qui cherche agrave enrichir ses actionnaires La multitude de lois qui reacutegissent nos villes preacutevoit des obligations et pouvoirs qui vont en ce sens Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec reacutesume tregraves bien cette reacutealiteacute dans le passage qui suit

laquo Le contexte du droit municipal canadien indique par ailleurs que les corporations que peuvent posseacuteder les municipaliteacutes sont des cas dexception et alors elles sont controcircleacutees et limiteacutees soit quant agrave leur objet soit quant au territoire limiteacute ougrave elles peuvent opeacuterer Le plus souvent leurs opeacuterations sont limiteacutees au territoire de la municipaliteacute101 raquo (Notes omises)

Bien qursquoa priori la solution consistant agrave faire de la municipaliteacute un coactionnaire peut sembler judicieuse cette option est extrecircmement risqueacutee et probablement non reacutealisable leacutegalement Dans ces circonstances il convient donc de consideacuterer que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR sont pour une bande indienne crie les limites de ses terres de cateacutegorie IA

325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques

Les tribunaux ne se sont pas encore prononceacutes sur la notion de limites geacuteographiques Le libelleacute du paragraphe 149(11) LIR lrsquointention du leacutegislateur le recours aux autres lois ainsi que la politique administrative permettent de comprendre que les limites geacuteographiques applicables dans le

100 Art 2 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales 101 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 561

cas des bandes indiennes sont celles de ses reacuteserves selon la deacutefinition qursquoen donne la Loi sur les Indiens

Dans le cas des Cris le concept juridique de reacuteserve est inexistant Il faut donc appliquer la mecircme logique que celle qui a permis de circonscrire la notion de limites geacuteographiques au concept de reacuteserve pour les bandes indiennes assujetties agrave la Loi sur les Indiens De plus il faut garder bien en vue qui est veacuteritablement lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale actionnaire de la socieacuteteacute Ainsi on comprend que les limites geacuteographiques applicables aux bandes cries du Queacutebec sont celles de ses terres de cateacutegorie IA deacutefinies dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU

Bien que la notion de limites geacuteographiques soit circonscrite on doit encore srsquointerroger sur drsquoautres notions preacutesentes aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ces alineacuteas preacutevoient que le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques ne doit pas deacutepasser 10 du revenu total pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Cette restriction constitue un test fiscal dans lequel les notions de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode doivent ecirctre preacuteciseacutees

331 Notion de revenu

Quel sens doit-on donner au mot laquo revenu raquo dans les dispositions en cause Srsquoagit-il tout simplement des recettes Doit-on consideacuterer les deacutepenses Est-ce qursquoon parle de revenu comptable ou de revenu fiscal

En 1997 la juge LrsquoHeureux-Dubeacute de la Cour suprecircme du Canada srsquoexprima ainsi relativement agrave lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu laquo Le mot ldquorevenurdquo peut avoir deux significations ldquorevenu brutrdquo ou ldquorevenu netrdquo (profit)102 raquo On comprend donc qursquoon est tout agrave fait en droit de se questionner sur le sens agrave accorder agrave ce vocable qui peut ecirctre utiliseacute dans plusieurs contextes

Il a eacuteteacute reconnu que lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo agrave lrsquoarticle 9 LIR faisait reacutefeacuterence aux revenus une fois les deacutepenses soustraites103 Il est 102 Hickman Motors Ltd c Canada [1997] 2 RCS 336 par 64 103 Voir lrsquoaffaire Canderel lteacutee c Canada [1998] 1 RCS 147 par 30-31 voir

eacutegalement lrsquoaffaire Symes c Canada [1993] 4 RCS 695 722-723

562 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

important de noter que dans cet article on fait un lien direct entre le mot laquo revenu raquo et la notion de beacuteneacutefice Toutefois doit-on accorder le mecircme sens agrave ce terme dans le contexte des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Peu apregraves lrsquointroduction de ces alineacuteas lrsquoARC eacutetait drsquoavis qursquoun parallegravele existait avec lrsquoarticle 9 LIR et qursquoil nrsquoy avait aucune raison de donner un autre sens au mot laquo revenu raquo aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR104 Sa position eacutetait donc que lrsquoobjet du test que contiennent ces deux alineacuteas est le revenu net fiscal105 Quelques anneacutees plus tard lrsquoARC srsquoest encore fait questionner sur le sens du terme laquo revenu raquo agrave ces alineacuteas elle reacuteiteacutera la mecircme position en 2005106 et en 2011107

Malgreacute la position bien ancreacutee de lrsquoARC on a quand mecircme raison de se demander si lrsquoon peut consideacuterer que le revenu est le revenu brut En effet dans lrsquoaffaire Entreprises Ludco lteacutee c Canada108 le plus haut tribunal du pays a consideacutereacute le terme laquo revenu raquo comme eacutetant le revenu avant la deacuteduction des deacutepenses Le juge Iacobucci srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Vu lrsquoabsence de deacutefinition dans la Loi notre Cour doit appliquer les principes drsquointerpreacutetation leacutegislative pour deacutegager le sens du terme ldquorevenurdquo au sous-al 20(1)c)(i) Le sens ordinaire de cette disposition nrsquoappuie pas lrsquointerpreacutetation selon laquelle ldquorevenurdquo eacutequivaut agrave ldquoprofitrdquo ou agrave ldquorevenu netrdquo109 raquo

Agrave la lecture de cet arrecirct on reacutealise que lrsquointerpreacutetation du mot laquo revenu raquo deacutepend de lrsquoobjectif viseacute par la disposition qui contient ce vocable Il a eacuteteacute avanceacute que la Cour suprecircme du Canada dans lrsquoarrecirct Ludco a sembleacute accepter lrsquoargument de lrsquoappelante voulant que le terme laquo revenu raquo nrsquoait pas le sens de revenu net sauf si la leacutegislation renvoie directement agrave la notion de profit110 Cette conclusion est un peu hasardeuse puisque le

104 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2001-0114125

laquo Municipal Corporations raquo 13 mai 2002 Tax Window Files preacuteciteacute note 77 105 Id 106 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0118301I7

laquo Activities Carried on Outside Municipality raquo 6 juillet 2005 107 Id interpreacutetation technique 2011-0395521I7 laquo Activities carried on outside the

municipality raquo 20 octobre 2011 108 [2001] 2 RCS 1082 (laquo Ludco raquo) 109 Id par 59 110 Kay LEUNG laquo Meaning of ldquoIncomerdquo After Ludco raquo (2001) 3 Tax Profile 24

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 563

tribunal nrsquoa pas commenteacute cet aspect de lrsquoargumentation de lrsquoappelante dans son analyse ou dans la conclusion de son jugement

Il est important de comprendre que lrsquoutilisation du revenu brut dans lrsquoapplication du test serait avantageuse uniquement si les marges nettes des projets exeacutecuteacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques eacutetaient plus eacuteleveacutees que la marge nette globale de lrsquoentreprise Puisque les projets agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sont plus loin du siegravege social de la socieacuteteacute on pourrait penser qursquoils consomment plus de ressources (supervision deacuteplacements des employeacutes etc) et que leur marge nette est donc moins inteacuteressante Toutefois cette relation intuitive nrsquoest probablement pas valable puisque la nature lrsquoampleur ainsi que les risques associeacutes aux projets meneacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques ont sans doute davantage drsquoeffet sur leur marge nette que leur situation geacuteographique

Dans le cas ougrave lrsquoon voudrait deacutefendre lrsquoutilisation du revenu brut plutocirct que celle du revenu net dans le test preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR il faudrait probablement orienter lrsquoargumentation en fonction de lrsquoobjectif des dispositions fiscales contenant le terme laquo revenu raquo Il semble assez clair que lrsquoobjectif des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est drsquoexempter drsquoimpocirct les socieacuteteacutes viseacutees mais de srsquoassurer que cette exemption ne leur soit pas accordeacutee si elles nrsquoexercent pas leurs activiteacutes presque exclusivement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques deacutetermineacutees Ainsi on cherche agrave situer geacuteographiquement les revenus geacuteneacutereacutes par les activiteacutes de la socieacuteteacute Lorsqursquoon analyse les proportions de revenu gagneacute agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sur la base du revenu net les reacutesultats sont manipulables puisque lrsquoattribution des deacutepenses donne une certaine latitude au contribuable bien qursquoelle se doit drsquoecirctre raisonnable De plus le tribunal pourrait ecirctre sensible au fait que la faccedilon de faire de lrsquoARC conduirait agrave exempter drsquoimpocirct une socieacuteteacute dont les activiteacutes se deacuteroulent majoritairement agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques dans la mesure ougrave ses projets exteacuterieurs seraient peu profitables Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nrsquoont sucircrement pas pour objectif drsquoen arriver agrave de tels reacutesultats Bien entendu tout cela nrsquoest que speacuteculation jusqursquoagrave ce qursquoun tribunal se prononce directement sur la question mais il faut comprendre que la position de lrsquoARC qui procircne lrsquoutilisation du revenu net nrsquoest pas tregraves eacutetoffeacutee

564 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

332 Notion de lieu (situs)

Il nrsquoy a pas que dans le cadre des alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR que lrsquoon doit se situer geacuteographiquement pour beacuteneacuteficier drsquoune exemption On peut faire ici un parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens111 dans le cadre de laquelle la notion de situs a eacuteteacute largement deacutebattue au fils des ans Cette immuniteacute fiscale vise les biens drsquoun Indien qui sont situeacutes sur une reacuteserve ou sur des terres de cateacutegorie IA selon le cas112 Il est inteacuteressant de noter que la zone geacuteographique relative agrave lrsquoimmuniteacute est exactement la mecircme que celle drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue par une bande indienne Dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens la Cour suprecircme du Canada a eacutetabli qursquoun revenu eacutetait un bien113 Dans ces circonstances on doit se questionner sur le situs du revenu que lrsquoon cherche agrave exempter

Il a aussi eacuteteacute eacutetabli par le plus haut tribunal du pays que pour deacuteterminer le situs drsquoun revenu on doit srsquoen remettre agrave une analyse multifactorielle qui est pondeacutereacutee en fonction de lrsquoobjet de lrsquoexemption du genre de bien et de la nature de lrsquoimposition114 Il faut donc analyser plusieurs facteurs de rattachement lorsqursquoon tente de situer geacuteographiquement un bien qui est un revenu Mecircme si ce travail ne porte pas sur lrsquoimmuniteacute des Indiens il est inteacuteressant de srsquoattarder ici au revenu drsquoentreprise puisque crsquoest souvent ce type de revenu que lrsquoon retrouve dans une socieacuteteacute par actions Dans le cas du revenu drsquoentreprise crsquoest lrsquoarrecirct Southwind c La Reine115 qui est venu indiquer la marche agrave suivre pour les deacutecisions subseacutequentes Le facteur de rattachement srsquoeacutetant le plus deacutemarqueacute est lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuterant le revenu116

Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est donc inteacuteressant agrave cet eacutegard mais il faut toutefois ecirctre vigilant dans cette comparaison En effet dans le contexte de lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes cries lrsquoobjet agrave situer geacuteographiquement est lrsquoactiviteacute geacuteneacuterant le

111 Art 87 de la Loi sur les Indiens et art 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du

Queacutebec reconnus agrave la fois par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et le paragraphe 725a) LI 112 Id 113 Nowegijick c La Reine [1983] 1 RCS 29 38 114 Williams c Canada [1992] 1 RCS 877 (prestations drsquoassurance-chocircmage) 115 98 DTC 6084 1998 CanLII 7300 (CAF) (laquo Southwind raquo) 116 K THOMAS et M ALEXANDER preacuteciteacute note 8 agrave la page 5-33

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 565

revenu et non le revenu lui-mecircme117 En quelque sorte les leacutegislateurs ont faciliteacute la tacircche des contribuables en eacutedictant un seul facteur de rattachement agrave la zone geacuteographique de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Cette deacutecision apparaicirct logique lorsqursquoon garde agrave lrsquoesprit que le but premier de constituer une socieacuteteacute par actions est habituellement lrsquoexploitation drsquoune entreprise118

Dans la tacircche visant agrave deacuteterminer lrsquoendroit ougrave les activiteacutes sont exerceacutees il a eacuteteacute eacutetabli que lrsquoon devait srsquoattarder davantage au processus consistant agrave geacuteneacuterer du revenu en particulier plutocirct qursquoaux activiteacutes accessoires telles que lrsquoadministration des activiteacutes principales119 Le fait qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne ait dans la grande majoriteacute des cas son siegravege social dans la zone geacuteographique qursquoelle administre nrsquoest donc pas un facteur agrave consideacuterer pour deacuteterminer le lieu des activiteacutes qursquoelle megravene Il faut vraisemblablement tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute elle-mecircme crsquoest-agrave-dire le lieu ougrave les services sont fournis et les principales tacircches accomplies120 LrsquoARC srsquoest drsquoailleurs prononceacutee sur le sujet et applique ce principe dans sa politique administrative121

333 Notion drsquoactiviteacutes

Afin drsquoappliquer le test de revenu correctement il faut aussi srsquointerroger sur la notion drsquoactiviteacutes qui nrsquoest pas deacutefinie dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Cette notion fait reacutefeacuterence agrave lrsquoaction122 et suppose donc un effort minimal menant au reacutesultat viseacute Bien que les tribunaux ne se soient pas pencheacutes sur cette question lrsquoARC est drsquoavis que le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention nrsquoest pas en soi une activiteacute et par le fait mecircme qursquoun tel revenu ne devrait pas ecirctre consideacutereacute dans le calcul de la limite de 10 dont il est question dans le test de revenu123 Les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en utilisant le pluriel Il semble donc clair que lrsquoon doive consideacuterer chaque type drsquoactiviteacutes indeacutependamment les unes des autres ce qui semble logique lorsqursquoon garde 117 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 118 Canadian Marconi Company c La Reine [1986] 2 RCS 522 par 9 119 Southwind preacuteciteacute note 115 par 13 120 Id 121 Tax Window Files preacuteciteacute note 49 122 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo activiteacute raquo 123 Tax Window Files preacuteciteacute note 77

566 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en tecircte qursquoune seule socieacuteteacute peut exploiter plusieurs entreprises Il faut aussi noter qursquoil est possible que pour un mecircme type drsquoactiviteacutes on ait plusieurs lieux drsquoexeacutecution Dans ce cas il faudrait segmenter lrsquoactiviteacute et isoler la portion exerceacutee agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee124

Un contribuable srsquoest aussi questionneacute quant aux revenus de location drsquoun immeuble qui se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale LrsquoARC a reacutepondu que mecircme si le revenu eacutetait passif il y avait une activiteacute et qursquoil eacutetait raisonnable de consideacuterer qursquoelle se situait au mecircme endroit que le bien loueacute125 LrsquoARC a aussi confirmeacute que geacuteneacuterer un revenu de bien constituait agrave son sens une activiteacute126 Cette interpreacutetation eacutetait fondeacutee sur la situation hypotheacutetique drsquoune socieacuteteacute qui avait accessoirement un placement en actions et qui se questionnait sur ses revenus de dividendes et sur le gain en capital que le placement avait geacuteneacutereacute Le raisonnement de lrsquoARC eacutetait que lrsquoactiviteacute se deacuteroulait agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de la bande parce que toutes les opeacuterations inheacuterentes agrave la deacutetention drsquoactions (acquisition deacutetention et disposition) avaient eacuteteacute effectueacutees sur la reacuteserve

Dans le cas drsquoune socieacuteteacute dont lrsquoactiviteacute premiegravere eacutetait la gestion de placements lrsquoARC a indiqueacute que crsquoeacutetaient vraiment les activiteacutes de la socieacuteteacute elle-mecircme qui devaient ecirctre analyseacutees et non celles des socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient deacutetenues127 Ce raisonnement ne semble pas correspondre agrave celui qui preacutevaut dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Dans une telle situation on considegravere en quelque sorte que la personne qui gegravere le capital agit agrave titre de mandataire pour le contribuable et que crsquoest le lieu de lrsquoactiviteacute du mandataire qui importe128 Cette logique eacutemane de lrsquoarrecirct Recalma c La Reine129 de la Cour drsquoappel feacutedeacuterale qui est encore suivi aujourdrsquohui lorsqursquoon est en preacutesence drsquoun revenu de placement que lrsquoon

124 Pete c La Reine 91 DTC 204 (CCI) voir aussi Tax Window Files preacuteciteacute

note 49 125 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2004-0061221E5

laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 126 Id interpreacutetation technique 2010-0376961E5 laquo Passive Income and 149(1)(d5) raquo

11 janvier 2011 confirmant interpreacutetation technique 1999-0006955 laquo Municipal Corporation Passive Investments raquo 21 feacutevrier 2000

127 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 128 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2006-0202991M4 laquo Revenu de placement sur une reacuteserve raquo 18 septembre 2006 129 98 DTC 6238 1998 CanLII 7621 (CAF) (laquo Recalma raquo)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 567

doit situer geacuteographiquement dans le contexte de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Pour ce type de revenu lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuteratrices de revenus est encore une fois un facteur tregraves important Mecircme si cet arrecirct portait sur des acceptations bancaires et des fonds communs de placement le principe fut appliqueacute agrave tous les revenus de placement et il a constitueacute un arrecirct cleacute pour les deacutecisions subseacutequentes130

Bien que lrsquoARC soutienne officiellement qursquoil faut seulement srsquoattarder aux activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut ecirctre admissible agrave lrsquoexemption elle nrsquoapplique pas systeacutematiquement cette logique Le principe eacutemanant de lrsquoarrecirct Recalma semble aussi avoir eacuteteacute appliqueacute par le passeacute Crsquoest drsquoailleurs ce qui semble avoir eacuteteacute fait dans un cas visant des revenus de location de nature passive Lrsquoargument de lrsquoARC eacutetait que lrsquoimmeuble se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui eacutetait actionnaire de la socieacuteteacute131 Puisque lrsquoactiviteacute locative ne constituait pas une entreprise active aux fins de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu les principales activiteacutes consistant en des tacircches administratives (gestion des baux encaissement des loyers etc) ne devraient-elles pas toutes ecirctre consideacutereacutees sur la reacuteserve

Une autre interpreacutetation technique de lrsquoARC donne lrsquoimpression qursquoelle se colle davantage agrave lrsquoarrecirct Recalma plutocirct qursquoagrave sa directive officielle pour consideacuterer un revenu de biens comme eacutetant non exempteacute Il eacutetait question cette fois drsquoune socieacuteteacute qui tirait un revenu de bien sous forme de redevances sur la coupe de bois132 Voici un extrait des commentaires de lrsquoARC

laquo La question agrave savoir si le revenu pour la peacuteriode provenant dune activiteacute est exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve en est une de fait Toutefois le fait que le revenu soit un revenu de bien nest pas suffisant en soi pour conclure que ce revenu provient dune activiteacute exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve Dans la situation ougrave le revenu provient dun droit de reacutecolter un volume de bois nous sommes davis que malgreacute le fait que des activiteacutes administratives accessoires soient effectueacutees sur la reacuteserve il est raisonnable de consideacuterer que lactiviteacute geacuteneacuteratrice de revenus qui est une

130 Voir notamment Dubeacute c La Reine 2009 CAF 109 inf par [2011] 2 RCS 764

Sero c La Reine 2004 CAF 6 Gros-Louis c La Reine 2007 CCI 725 Vachon c La Reine 2007 CCI 641 Large c La Reine 2006 CCI 509 conf par 2007 CAF 360 Lewin c La Reine 2001 DTC 479 2001 CanLII 502 (CCI) conf par 2002 CAF 461

131 Supra note 124 132 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0139031E5

laquo Activiteacutes exerceacutees en dehors de la reacuteserve raquo 17 octobre 2005

568 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

redevance calculeacutee en fonction de la reacutecolte de bois a lieu agrave lendroit ougrave le bois est reacutecolteacute133 raquo

Bien que la gestion des droits de coupe ait eacuteteacute faite sur la reacuteserve au siegravege social de la socieacuteteacute et que la socieacuteteacute ne menait aucune activiteacute de coupe on a consideacutereacute que le lieu de lrsquoactiviteacute eacutetait lrsquoendroit ougrave eacutetait coupeacute le bois soit agrave lrsquoexteacuterieur de la reacuteserve On voit ici que le principe directeur voulant que lrsquoon srsquoattarde uniquement aux activiteacutes meneacutees par la socieacuteteacute elle-mecircme nrsquoest pas respecteacute

On peut se demander si lrsquoARC pourrait deacuteroger aussi agrave son principe directeur dans le cas de revenus de biens de nature plus courante comme les revenus drsquointeacuterecircts ou de dividendes provenant de titres acquis sur les marcheacutes financiers Il serait inteacuteressant de voir si la position des autoriteacutes fiscales sur le revenu drsquointeacuterecircts des socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes serait influenceacutee par les arrecircts Bastien (Succession) c Canada134 et Dubeacute c Canada135 rendus en 2011 Dans ces arrecircts la Cour suprecircme du Canada a partiellement briseacute la logique de lrsquoarrecirct Recalma en matiegravere de revenu de biens Le deacutebat portait encore une fois sur lrsquoexemption destineacutee aux Indiens Le plus haut tribunal du pays a jugeacute que la nature contractuelle drsquoun deacutepocirct agrave terme nrsquoeacutetait pas celle drsquoun mandat et que par le fait mecircme le marcheacute sur lequel lrsquoinstitution financiegravere placcedilait lrsquoargent ne devait pas interfeacuterer dans lrsquoanalyse de lrsquoexemption du contribuable Les autoriteacutes fiscales ont rapidement inteacutegreacute ce nouveau principe dans leur politique visant lrsquoexemption fiscale disponible aux Indiens136

Est-ce que ce raisonnement est applicable aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes Il est difficile de reacutepondre agrave cette question tant que les tribunaux ne se seront pas prononceacutes directement dans ce contexte Un eacuteleacutement non neacutegligeable qui devra ecirctre consideacutereacute est le fait que les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en geacuteneacuteral et rien dans le texte de la loi fiscale nrsquoindique qursquoil srsquoagit uniquement des

133 Id 134 [2011] 2 RCS 710 135 [2011] 2 RCS 764 136 AGENCE DU REVENU DU CANADA Renseignements pour les Indiens section

laquo Revenu drsquointeacuterecircts et de placements [Reacuteviseacute 2011-12-22]raquo en ligne httpwwwcra-arcgccabrgnlsstts-frahtmlhdng2 Voir aussi REVENU QUEacuteBEC Bulletin drsquointerpreacutetation IMP 725-1R3 laquo Revenu de placement gagneacute par un Indien raquo 28 deacutecembre 2012

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 569

activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption comme semble le preacutetendre lrsquoARC

334 Notion de peacuteriode

La compreacutehension de la notion de peacuteriode est aussi essentielle afin drsquoappliquer correctement le test baseacute sur les revenus Agrave premiegravere vue on pourrait penser qursquoil ne srsquoagit que drsquoappliquer le test annuellement lors de lrsquoarrecircteacute des comptes agrave la fin de lrsquoexercice financier Pourtant une lecture plus attentive des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR placeacutes dans le contexte global de lrsquoarticle 149 LIR peut amener le lecteur agrave avoir un autre point de vue et agrave douter de cette premiegravere assertion Le terme laquo peacuteriode raquo revient trois fois dans le texte lorsqursquoon tente de rendre une socieacuteteacute admissible agrave lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ce mot apparaicirct seulement deux fois dans lrsquoun ou lrsquoautre des alineacuteas mais il apparaicirct aussi dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR Voici agrave des fins drsquoillustration ce passage introductif mis en relation avec lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable [hellip] pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) [hellip] une socieacuteteacute [hellip] dont au moins 90 du capital appartenait agrave [hellip] un organisme [hellip] public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute [hellip] pour la peacuteriode provenant dactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode [hellip] raquo (Notre soulignement)

Il y a lieu ici de se poser une question essentielle srsquoagit-il toujours de la mecircme peacuteriode Il semble assez clair que le double emploi du mot dans le corps mecircme de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR fait reacutefeacuterence agrave la mecircme peacuteriode En effet dans les deux cas on utilise ce terme pour parler du laps de temps durant lequel on deacutetermine le revenu de la socieacuteteacute Dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR le vocable laquo peacuteriode raquo fait vraisemblablement reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps durant lequel la socieacuteteacute viseacutee par lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR est exempteacutee drsquoimpocirct Puisque la peacuteriode dont il est question agrave cet alineacutea fait reacutefeacuterence agrave la condition neacutecessaire pour ecirctre exempteacute drsquoimpocirct et que ce mecircme mot dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR fait reacutefeacuterence agrave la peacuteriode drsquoexemption elle-mecircme il est tout agrave fait logique de consideacuterer que la triple utilisation de ce terme renvoie agrave la mecircme peacuteriode de temps

570 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Dans la plupart des cas le respect de la condition intrinsegraveque agrave lrsquoexemption dans les divers alineacuteas du paragraphe 149(1) LIR est facilement deacuteterminable Par exemple quand on se demande si une personne est une socieacuteteacute drsquoEacutetat137 ou un fonctionnaire drsquoun pays eacutetranger obligeacute de reacutesider au Canada138 la personne a le statut voulu ou elle ne lrsquoa pas Agrave lrsquoopposeacute agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on doit se demander non seulement si la socieacuteteacute est deacutetenue agrave au moins 90 par une municipaliteacute ou un organisme public remplissant une fonction gouvernementale mais aussi si le test baseacute sur le concept de revenu dont on exige habituellement lrsquoeacutetablissement de faccedilon cyclique est rempli Le revenu est effectivement eacutetabli sur une base annuelle et il peut ecirctre difficile de le connaicirctre agrave tout moment durant lrsquoanneacutee La loi force parfois les socieacuteteacutes agrave eacutetablir leur revenu en cours drsquoanneacutee une fin drsquoanneacutee eacutetant alors reacuteputeacutee crsquoest le cas notamment lors drsquoune acquisition de controcircle ou drsquoun changement de statut Dans ces situations un signal eacutevident est envoyeacute au contribuable afin qursquoil arrecircte les comptes et qursquoil procegravede agrave lrsquoeacutetablissement de son revenu

En revanche le test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est beaucoup moins commode Il suffit drsquoimaginer une socieacuteteacute dont le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee serait assez pregraves de 10 Il faut comprendre que theacuteoriquement cette socieacuteteacute devra avoir au jour le jour une ideacutee assez juste de son revenu et de sa composition pour connaicirctre exactement le jour ougrave une fin drsquoanneacutee devra ecirctre reacuteputeacutee139 Eacutetant donneacute le libelleacute de la loi il semble qursquoun chiffre annuel ou trimestriel ne soit pas suffisant pour srsquoy conformer

En effet le test de revenu eacutedicteacute par les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR semble devoir srsquoappliquer sur une peacuteriode continue et non sur une anneacutee Srsquoil srsquoagissait tout simplement drsquoun test annuel le leacutegislateur aurait exigeacute de la socieacuteteacute qursquoelle applique le test de faccedilon peacuteriodique anneacutee apregraves anneacutee et les alineacuteas auraient eacuteteacute reacutedigeacutes en ce sens Toutefois le leacutegislateur nrsquoa pas agi ainsi et semble avoir preacutefeacutereacute un test continu sur une seule et unique peacuteriode pluriannuelle Le test de revenu serait donc un test cumulatif plutocirct que seacutequentiel

En partant de cette constatation on peut srsquointerroger sur la situation hypotheacutetique suivante Supposons qursquoune socieacuteteacute a toujours eu le mecircme

137 Al 149(1)d) LIR 138 Al 149(1)a) LIR 139 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 571

revenu annuel anneacutee apregraves anneacutee Dans ses 10 premiegraveres anneacutees drsquoexploitation elle a exerceacute ses activiteacutes uniquement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de son entiteacute actionnaire Agrave lrsquoinverse dans sa 11e anneacutee (ou durant les derniers mois de cette anneacutee) cette mecircme socieacuteteacute a eu seulement des activiteacutes hors de la zone drsquoexemption Cette socieacuteteacute est-elle toujours exempteacutee dans sa 11e anneacutee Si on applique le test en suivant la logique ci-dessus sur les 11 anneacutees la reacuteponse est positive Malheureusement ni les tribunaux ni les administrations fiscales nrsquoont encadreacute la notion de peacuteriode qui est essentielle agrave lrsquoapplication du test de revenu Le contribuable est ainsi laisseacute agrave lui-mecircme en ce qui concerne la deacutetermination des moments auxquels le test de revenu doit ecirctre fait

De ce fait il ne serait pas impossible de voir les administrations fiscales affirmer qursquoagrave lrsquoinverse la socieacuteteacute perde son exemption dans sa 11e anneacutee Elles pourraient soutenir que cette peacuteriode drsquoun an ou mecircme de quelques mois prise isoleacutement ne permet pas agrave la socieacuteteacute de remplir le test de revenu et drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption Toutefois agrave notre avis cela serait surprenant puisqursquoil existe plusieurs endroits dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ougrave le leacutegislateur a pris la peine de preacuteciser le laps de temps qursquoil fallait consideacuterer140 or il ne lrsquoa pas fait au paragraphe 149(1) LIR

335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de revenu

Nous avons traiteacute de quatre notions inheacuterentes au test contenu dans les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR celles de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale disponible aux Indiens aide les socieacuteteacutes viseacutees agrave srsquoorienter dans lrsquoaccomplissement de ce test de revenu Une fois de plus il faut rappeler que les tribunaux ne se sont pas encore pencheacutes directement sur la faccedilon dont ce test doit ecirctre effectueacute Selon la situation certaines prises de position pourraient engendrer des risques fiscaux importants Il serait donc judicieux drsquoadresser une demande de deacutecision anticipeacutee agrave la Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct de lrsquoARC afin drsquoeacuteviter toute surprise quant agrave lrsquointerpreacutetation qursquoelle pourrait faire de ces diverses notions

En ce qui concerne le terme laquo revenu raquo le premier reacuteflexe serait drsquoopter pour le revenu net Toutefois une argumentation en faveur du revenu brut

140 Voir notamment lrsquoalineacutea 8(1)h) ainsi que les paragraphes 18(93) 89(1) laquo compte de

dividendes en capital raquo 1106(1) laquo action admissible de petite entreprise raquo et 161(1) LIR

572 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

serait possible mais elle megravenerait presque ineacutevitablement agrave un diffeacuterend avec lrsquoARC en cas de veacuterification

Le lieu drsquoune activiteacute quant agrave lui sera deacutetermineacute selon lrsquoendroit ougrave est situeacute le processus consistant agrave geacuteneacuterer un revenu On ne doit pas srsquoattarder aux activiteacutes accessoires mais tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute principale elle-mecircme

Pour ce qui est de la notion drsquoactiviteacutes on comprend qursquoelle suppose un effort minimal Du point de vue de lrsquoARC le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention ne serait pas une activiteacute alors que le fait de geacuteneacuterer un revenu de biens le serait On doit consideacuterer chaque type drsquoactiviteacute indeacutependamment et si une seule activiteacute srsquoeffectue agrave plusieurs endroits elle doit ecirctre segmenteacutee

Enfin le mot laquo peacuteriode raquo semble faire reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps total pendant lequel lrsquoexemption srsquoapplique Il ne srsquoagirait donc pas drsquoun concept seacutequentiel mais plutocirct drsquoune dureacutee qui cumule plusieurs anneacutees Il y a toutefois un risque drsquointerpreacutetation divergente de la part des administrations fiscales puisqursquoelles nrsquoont rien publieacute sur le sens agrave donner agrave ce terme dans lrsquoaccomplissement du test baseacute sur les revenus

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR commencent par preacuteciser que leur application est sous reacuteserve notamment du paragraphe 149(12) LIR141 Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR se lit comme suit

laquo 149 (12) Pour lrsquoapplication des alineacuteas (1) d5) et d6) le revenu drsquoune socieacuteteacute commission ou association provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques drsquoune municipaliteacute ou drsquoun organisme municipal ou public ne comprend pas le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees selon le cas

a) aux termes drsquoune convention eacutecrite dont les parties sont

(i) la socieacuteteacute commission ou association

(ii) Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province une municipaliteacute un organisme municipal ou public ou une socieacuteteacute agrave laquelle srsquoapplique lrsquoun des alineacuteas (1) d) agrave d6) qui est controcircleacutee par Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province par une

141 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(12) LIR est lrsquoarticle 98501 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 573

municipaliteacute du Canada ou par un organisme municipal ou public du Canada

dans les limites geacuteographiques suivantes

(iii) si la convention est conclue avec Sa Majesteacute du chef du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles du Canada

(iv) si elle est conclue avec Sa Majesteacute du chef drsquoune province ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la province

(v) si elle est conclue avec une municipaliteacute du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la municipaliteacute

(vi) si elle est conclue avec un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celui-ci celles viseacutees au paragraphe (11) relativement agrave cet organisme ou cette socieacuteteacute [hellip] raquo

341 Application de lrsquoexception et notion de convention eacutecrite

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit donc une exception pour certains revenus provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee et qui normalement auraient eacuteteacute assujettis agrave la limite de 10 preacutevue dans le test de revenu Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR a pour effet drsquoajouter agrave la zone geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale la zone geacuteographique drsquoune personne viseacutee avec qui une convention eacutecrite est conclue Ces personnes peuvent ecirctre le gouvernement du Canada le gouvernement drsquoune province une municipaliteacute un autre organisme public remplissant une fonction gouvernementale ou toute socieacuteteacute exempteacutee en vertu drsquoun des alineacuteas 149(1)d) agrave 149(1)d6) LIR et controcircleacutee par une des personnes qui preacutecegravedent Cette disposition est particuliegraverement inteacuteressante dans le contexte des bandes indiennes car plusieurs contrats leur sont octroyeacutes par les gouvernements

Cela eacutetant dit il faut srsquointerroger sur les effets concrets de cette disposition sur le test de revenu Encore une fois puisque cette disposition est relativement reacutecente les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute tregraves prolifiques dans leurs directives De son cocircteacute lrsquoARC a confirmeacute que le revenu exclu par le paragraphe 149(12) LIR du revenu reacutealiseacute agrave lrsquoexteacuterieur des limites

574 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

geacuteographiques ne doit pas ecirctre aussi exclu du calcul du revenu total pour la peacuteriode aux fins des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR142

Il y a aussi lieu de srsquointerroger sur le sens que lrsquoon doit accorder agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Par le passeacute lrsquoARC a deacutejagrave soutenu qursquoune convention eacutecrite eacutetait en fait un contrat143 Le sens ordinaire de cette expression est pourtant tout simplement un accord entre deux ou plusieurs personnes sur un fait preacutecis144 qui est consigneacute par eacutecrit

En 2008 la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoest prononceacutee sur le sens que lrsquoon devait donner agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Dans cette affaire on cherchait justement agrave savoir si une entiteacute municipale avait droit agrave lrsquoexemption fiscale deacutecoulant de lrsquoapplication des alineacuteas 149(12)a) et 149(1)d5) LIR quant au revenu gagneacute en dehors des limites geacuteographiques de la municipaliteacute Le juge Sheridan srsquoexprima ainsi laquo Je retiens eacutegalement la thegravese de lrsquoappelante selon laquelle il nrsquoy a pas lieu de restreindre le sens du terme ldquoconventionrdquo agrave celui de contrat en bonne et due forme145 raquo Il rappelle que la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a eacuteteacute claire agrave ce sujet en preacutecisant qursquoune convention ne creacutee pas forceacutement des droits et obligations de nature contractuelle ce qui lrsquoa conduit agrave conclure qursquoune seacuterie de lettres constituaient une convention eacutecrite146 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct a donc accepteacute de consideacuterer un regraveglement interne de lrsquoentiteacute actionnaire de la socieacuteteacute Sakitawak comme eacutetant une convention eacutecrite au sens du paragraphe 149(12) LIR entre la province de la Saskatchewan et la socieacuteteacute mecircme si cette derniegravere nrsquoavait ni signeacute ni eacutecrit quoi que ce soit147 Le raisonnement du juge reposait sur le fait que le regraveglement adopteacute avait eacuteteacute indirectement approuveacute par la province

Bien que cette affaire srsquoinscrive dans un contexte leacutegal bien particulier drsquoune socieacuteteacute constitueacutee en vertu de la Northern Municipalities Act148 elle 142 Tax Window Files preacuteciteacute note 104 143 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9426215 laquo Bien agricole

admissible ndash Acquis par leg ndash Conjoint raquo 30 janvier 1995 144 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo convention raquo 145 Sakitawak Development Corporation c La Reine 2008 CCI 529 (laquo Sakitawak raquo)

par 33 146 Id par 34 renvoyant agrave lrsquoarrecirct Bow River Pipe Lines Ltd c La Reine 97 DTC

5385 5398 (CAF) 147 Id par 53 148 Statutes of Saskatchewan 1983 c N-51

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 575

permet de constater que les tribunaux peuvent donner un sens tregraves large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Il y a donc lieu de se demander jusqursquoougrave les tribunaux seraient precircts agrave aller dans leur interpreacutetation libeacuterale de cette expression Si un regraveglement interne peut ecirctre consideacutereacute comme une convention eacutecrite ne pourrait-on pas penser qursquoun simple bon de commande ou une facture pourrait aussi constituer une convention eacutecrite

Retenons en tout cas qursquoune convention eacutecrite nrsquoest pas neacutecessairement un contrat mais qursquoagrave lrsquoinverse un contrat serait forceacutement une convention eacutecrite Il semble aussi important selon lrsquoARC qursquoil y ait un lien direct entre la convention et le revenu puisqursquoelle est drsquoavis que le revenu provenant de la sous-traitance drsquoun des contrats agrave un tiers ne peut pas ecirctre exclu par le paragraphe 149(12) LIR149 Le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone geacuteographique doit donc ecirctre la conseacutequence directe de la convention eacutecrite

342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit lrsquoexclusion de certains revenus provenant de conventions eacutecrites conclues avec les gouvernements canadiens les municipaliteacutes les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale et les socieacuteteacutes exempteacutees que ces entiteacutes controcirclent Le principe veut que lrsquoon ajoute les limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute avec laquelle on a conclu lrsquoentente agrave celles de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui est actionnaire de la socieacuteteacute constitueacutee

Les tribunaux ont donneacute un sens assez large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo en ne la restreignant pas agrave un contrat Il est important de comprendre que le lien entre le revenu et la convention doit absolument ecirctre direct Le fait de sous-traiter avec un tiers des travaux relatifs agrave une convention conclue par deux autres entiteacutes nrsquoa pas pour effet de faire du tiers une partie agrave cette convention

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE

Il convient de sensibiliser le lecteur agrave certains piegraveges et agrave quelques eacuteleacutements de planification fiscale importants pour optimiser la situation fiscale drsquoune bande indienne et de ses socieacuteteacutes Nous aborderons quatre questions la perte de statut drsquoentiteacute exempteacutee quelques astuces lorsqursquoune socieacuteteacute ne peut ecirctre exempteacutee la reacutedaction des contrats avec les entiteacutes viseacutees 149 Tax Window Files preacuteciteacute note 132

576 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

par lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR et enfin quelques remarques touchant les employeacutes des socieacuteteacutes viseacutees par lrsquoexemption

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE

Le premier eacuteleacutement qursquoil est important de faire ressortir concerne les cascades de socieacuteteacutes Les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes nrsquoeacutechappent pas aux structures de socieacuteteacutes classiques composeacutees drsquoune socieacuteteacute de gestion qui est actionnaire drsquoune ou de plusieurs socieacuteteacutes exploitantes Nous avons vu que les filiales des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes pouvaient aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d6) LIR rend en effet admissibles agrave lrsquoexemption toutes les filiales en proprieacuteteacute exclusive de socieacuteteacutes qui sont exempteacutees en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR

Dans la situation ougrave il existe une socieacuteteacute de gestion et une filiale il faut cependant accorder une importance particuliegravere agrave lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexemption de la socieacuteteacute megravere Le simple fait que la socieacuteteacute megravere deacutecide drsquoexeacutecuter elle-mecircme un contrat important agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale pourrait compromettre non seulement son statut drsquoentiteacute exempteacutee mais aussi celui de toutes ses filiales Il est donc crucial drsquoeacuteviter lrsquoexploitation drsquoentreprises au sein de la socieacuteteacute megravere et de lui reacuteserver uniquement les activiteacutes de gestion de ses filiales afin de ne pas risquer de faire perdre le statut drsquoentiteacute exempteacutee agrave toutes les socieacuteteacutes du groupe

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lorsqursquoil a eacuteteacute question du test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nous avons indiqueacute que ce test doit ecirctre appliqueacute de maniegravere constante et continuelle Cela signifie qursquoune socieacuteteacute qui se situe pregraves de la limite de 10 pourrait ecirctre exempteacutee agrave un certain moment ne plus lrsquoecirctre quelques semaines plus tard et redevenir exempteacutee agrave nouveau par la suite Lrsquoeffet drsquoun tel changement de statut est beaucoup plus lourd qursquoon pourrait le penser Plusieurs conseacutequences fiscales seraient alors deacuteclencheacutees Il y aurait ainsi une fin drsquoanneacutee reacuteputeacutee une disposition agrave la juste valeur marchande de tous les biens et tous les soldes de pertes seraient rameneacutes agrave zeacutero150 On comprend donc que les changements successifs de statut sont agrave eacuteviter

Une bonne faccedilon drsquoeacutechapper agrave ces conseacutequences neacutegatives est de deacuteterminer quels sont les projets hors limite qui sont susceptibles de mettre

150 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 577

en peacuteril le statut drsquoentiteacute exempteacutee de la socieacuteteacute en question et drsquoexeacutecuter ces projets agrave lrsquointeacuterieur drsquoune filiale deacutedieacutee agrave cette fin Ainsi on eacuteviterait de contaminer les autres socieacuteteacutes qui pourraient toujours beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Bien entendu cela neacutecessite un suivi assez serreacute et on doit ecirctre en mesure de preacutevoir les revenus et les coucircts de maniegravere assez preacutecise

Drsquoautres solutions peuvent aussi ecirctre envisageacutees afin de preacuteserver le statut drsquoentiteacute exempteacutee des socieacuteteacutes viseacutees On pourrait attribuer les projets contaminants du point de vue du test de revenu entre les diverses filiales du groupe afin que les revenus qui en deacutecoulent constituent moins de 10 des revenus totaux de chacune des socieacuteteacutes Lrsquoanalyse plus pousseacutee de lrsquoimputation des coucircts indirects offre aussi une piste inteacuteressante Il est possible qursquoune reacutepartition diffeacuterente mais toujours raisonnable permette de garantir ou de faciliter le statut drsquoentiteacute exempteacutee Dans tous les cas une bonne connaissance des activiteacutes du groupe de socieacuteteacutes sera indispensable et permettra drsquoidentifier les strateacutegies optimales agrave adopter

42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES

On a vu qursquoune socieacuteteacute deacutesirant exercer ses activiteacutes de faccedilon importante agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoune bande indienne et qui ne traite pas avec des entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne pourra pas se preacutevaloir de lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR Puisque cette socieacuteteacute serait assujettie agrave lrsquoimpocirct il y a lieu de srsquointerroger sur la faccedilon drsquoorganiser ses affaires afin drsquoobtenir une situation fiscale optimale

Une faccedilon simple de reacuteduire le fardeau fiscal de la socieacuteteacute serait le recours aux frais de gestion que la bande indienne ou la socieacuteteacute megravere pourrait facturer agrave la socieacuteteacute non exempteacutee Le profit de celle-ci serait ainsi partiellement transfeacutereacute agrave une entiteacute exempteacutee Il ne faut pas oublier que la deacuteductibiliteacute de ces frais de gestion serait toutefois soumise au critegravere de raisonnabiliteacute preacutevu agrave lrsquoarticle 67 LIR LrsquoARC a drsquoailleurs eacuteteacute reacutecemment appeleacutee agrave se prononcer sur cette pratique151 On lui a soumis la situation drsquoune socieacuteteacute qui annulait systeacutematiquement tous ses profits par des frais de gestion qui ne faisaient pas lrsquoobjet drsquoun contrat et qui variaient drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre selon le niveau de profit de la socieacuteteacute non exempteacutee La position de lrsquoARC agrave lrsquoeacutegard de cette faccedilon de faire ne semble pas se soucier des motivations conduisant ou non agrave la facturation de frais de gestion

151 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0311861I7 laquo Issues

par 149(1)(c) and Proposed par149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010

578 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

On explique simplement qursquoon doit veacuterifier le caractegravere raisonnable des frais qui selon lrsquoARC doit correspondre agrave la valeur marchande des services de gestion rendus Le recours aux frais de gestion est donc limiteacute et on ne peut pas envisager de ramener un revenu imposable important agrave zeacutero si les services de gestion identifiables ne le justifient pas

Il existe une autre possibiliteacute pour reacuteduire le revenu imposable drsquoune socieacuteteacute non exempteacutee drsquoimpocirct Les leacutegislateurs au moment mecircme ougrave ils ajoutaient les socieacuteteacutes deacutetenues par des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au libelleacute des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et des paragraphes 985f) et 985g) LI ont aussi ajouteacute les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale agrave la liste des donataires reconnus aux articles 1101 et 1181 LIR ainsi qursquoaux articles 710 et 7520101 LI Les bandes indiennes ayant le statut drsquoorganismes publics remplissant une fonction gouvernementale sont donc maintenant en mesure de deacutelivrer des reccedilus fiscaux pour dons comme les organismes de bienfaisance ou les municipaliteacutes152 Une socieacuteteacute faisant un don agrave la bande indienne pourrait alors deacuteduire ce montant de son revenu imposable153 Toutefois il serait impossible de ramener le revenu agrave zeacutero puisque la deacuteduction est limiteacutee en fonction du revenu net154 Il est important de preacuteciser que pour ecirctre deacuteductible dans une anneacutee drsquoimposition le don doit avoir eacuteteacute laquo fait au courant de lrsquoanneacutee raquo155 Selon lrsquoarticle 1806 CcQ la donation suppose un transfert en conseacutequence si les sommes ne sont pas transfeacutereacutees dans lrsquoanneacutee lrsquoadministration fiscale pourrait contester le fait qursquoil y ait vraiment eu un don entre le donateur et le donataire

Les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette faccedilon de faire il est donc actuellement impossible de deacuteterminer si cette pratique pourrait ecirctre jugeacutee abusive en vertu de la regravegle geacuteneacuterale antieacutevitement Advenant une contestation justifieacutee de lrsquoadministration fiscale agrave cet eacutegard il nrsquoy aurait pas de conseacutequence fiscale pour la bande indienne puisque celle-ci est exempteacutee mais la socieacuteteacute risquerait de perdre sa deacuteduction pour dons et de devoir payer lrsquoimpocirct suppleacutementaire et les inteacuterecircts srsquoy rattachant Aussi serait-il judicieux drsquoobtenir lrsquoopinion de lrsquoARC sur cette faccedilon de proceacuteder aupregraves de la

152 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2011-0405881E5 laquo Qualified Donee for Receipting Purposes raquo 1er juin 2011 153 S-al 1101(1)a)(iv1) LIR et s-par 710a)v01) LI 154 Al 1101(1)a) LIR et art 711 LI 155 Tax Window Files preacuteciteacute note 151

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 579

Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct avant de mettre de lrsquoavant une telle pratique

43 REacuteDACTION DES CONTRATS

Nous avons vu qursquoune convention eacutecrite ne suppose pas neacutecessairement une obligation contractuelle Nous recommandons toutefois agrave toute socieacuteteacute qui veut se preacutevaloir de lrsquoexception preacutevue au paragraphe 149(12) LIR de conclure un contrat en bonne et due forme pour des raisons commerciales et pour eacuteviter que les autoriteacutes fiscales puissent douter de lrsquoexistence de la convention eacutecrite Pour des raisons tant politiques que juridiques les gouvernements ont tendance agrave vouloir conclure les ententes directement avec les conseils de bande Rappelons cependant que les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont des personnes morales distinctes et ne beacuteneacuteficient pas du statut drsquoIndien Malgreacute cette reacutealiteacute certaines entiteacutes gouvernementales peuvent leur attribuer des contrats sans passer par le processus drsquoappel drsquooffres156 Neacuteanmoins les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont normalement assujetties agrave ce processus au mecircme titre que les autres socieacuteteacutes157 Il est donc possible qursquoune bande indienne ait agrave conclure directement une entente de services afin drsquoobtenir de faccedilon preacutefeacuterentielle un contrat158

Dans de telles circonstances ougrave une entente serait conclue directement avec la bande indienne qui sous-traiterait lrsquoouvrage agrave lrsquoune de ses socieacuteteacutes il faudrait srsquointerroger sur lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR Puisque la deacutecision Sakitawak159 repose sur des faits bien particuliers lrsquoARC pourrait en faire abstraction et consideacuterer que la socieacuteteacute sous-traitante qui veut ecirctre exempteacutee aurait une convention eacutecrite seulement avec la bande indienne et non pas avec le gouvernement Les limites geacuteographiques applicables agrave lrsquoexemption ne srsquoeacutetendraient donc pas agrave celles du gouvernement en question mais elles seraient plutocirct restreintes agrave celles de la bande Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne serait alors drsquoaucune utiliteacute

156 Voir par exemple SOCIEacuteTEacute DE DEacuteVELOPPEMENT DE LA BAIE-JAMES

Politique RS-10 laquo Acquisition de biens et de services raquo 1er octobre 2008 art 47 (en ligne httpwwwsdbjgouvqccapdfdocumentsPolitique20acquisition20de 20biens20et20de20servicespdf)

157 Voir notamment Loi sur le ministegravere des Transports LRQ c M-28 art 3 158 Voir par exemple GRAND COUNCIL OF THE CREES Joint Press Release of Cree

Nation of Mistissini and Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) 26 janvier 2012 (en ligne httpwwwgcccanewsarticlephpid=261)

159 Preacuteciteacute note 145

580 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une faccedilon de reacutegler cette situation facirccheuse serait de preacutevoir la sous-traitance de la bande avec sa socieacuteteacute dans le corps mecircme de lrsquoentente qui serait signeacutee avec le gouvernement srsquoil y consent La volonteacute du gouvernement de traiter directement avec la bande indienne serait ainsi respecteacutee et la socieacuteteacute sous-traitante quant agrave elle serait partie agrave une convention eacutecrite entre elle son actionnaire et le gouvernement Le texte de lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne preacutecise pas que la convention doit ecirctre conclue uniquement entre deux parties Encore une fois il est important de rappeler que les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jusqursquoici pas eu lrsquooccasion de se prononcer sur une telle situation Toutefois lrsquoouverture dont la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a fait preuve dans lrsquoaffaire Sakitawak est drsquoun certain reacuteconfort advenant une meacutesentente avec lrsquoadministration fiscale agrave ce sujet

44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS

Lorsque nous avons abordeacute lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens il a eacuteteacute question de la meacutethode baseacutee sur les facteurs de rattachement pour situer geacuteographiquement un revenu Comme il a eacuteteacute mentionneacute lrsquoendroit ougrave se situe le siegravege social de la socieacuteteacute nrsquoest pas important pour qursquoelle puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Par contre le fait que la reacutesidence de lrsquoemployeur soit sur la reacuteserve est un facteur tregraves important dans la deacutetermination du situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien

Deux des quatre lignes directrices publieacutees par lrsquoARC160 sur le situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien reposent en partie sur la reacutesidence de lrsquoemployeur La ligne directrice no 2 preacutevoit que le revenu drsquoemploi sera habituellement exoneacutereacute si lrsquoIndien et lrsquoemployeur reacutesident sur la reacuteserve La ligne directrice no 3 propose drsquoexoneacuterer drsquoimpocirct le mecircme revenu si lrsquoIndien ou lrsquoemployeur reacuteside sur la reacuteserve et que plus de 50 des tacircches lieacutees agrave lrsquoemploi sont accomplies dans la reacuteserve Il est donc important que la socieacuteteacute ait son siegravege social sur la reacuteserve afin de ne pas peacutenaliser ses employeacutes indiens et par le fait mecircme pour faciliter le recrutement et la reacutetention de sa main-drsquoœuvre

CONCLUSION

Nous avions comme objectif principal de deacuteterminer dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne pouvait se preacutevaloir de

160 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 4M00908 laquo Indiens ndash

Exoneacuteration du revenu ndash Lignes directrices raquo 29 juin 1994

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 581

lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR ainsi qursquoaux paragraphes 985f) et 985g) LI Malgreacute le remaniement de ces dispositions pour y pourvoir plusieurs zones grises sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer subsistent

Mecircme srsquoil peut ecirctre relativement simple pour une bande indienne de beacuteneacuteficier du statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le statut drsquoentiteacute exempteacutee nrsquoest pas pour autant acquis par les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient

Dans cette tacircche ardue visant agrave ce que ces socieacuteteacutes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption le recours aux principes deacutecoulant de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est un outil preacutecieux En effet les tribunaux ont eacuteteacute tregraves actifs en ce qui a trait agrave lrsquoimmuniteacute fiscale deacutecoulant du statut drsquoIndien

De plus une tregraves bonne connaissance du contexte juridique entourant une bande indienne est requise afin de deacuteterminer si les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient peuvent beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Crsquoest encore plus vrai lorsque vient le temps de deacuteterminer la zone geacuteographique permettant lrsquoexemption Les questions territoriales des Premiegraveres Nations sont agrave prendre en compte dans cette deacutetermination

Nous avons fait aussi ressortir les particulariteacutes importantes du test baseacute sur les revenus preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI Il est important agrave cet eacutegard drsquoecirctre sensibiliseacute agrave la preacutecariteacute de lrsquoexemption fiscale et aux conseacutequences indeacutesirables qui peuvent survenir advenant sa perte

En deacutefinitive il est assez facile pour une socieacuteteacute nrsquoexploitant son entreprise que sur les terres de la communauteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Toutefois lrsquoincertitude apparaicirct quand les occasions drsquoaffaires proviennent de lrsquoexteacuterieur

Les pratiques fiscales actuelles reposent en grande partie sur le fait que les administrations fiscales se sont montreacutees relativement transparentes et accommodantes dans leurs positions administratives Il faut toutefois garder agrave lrsquoesprit que les positions administratives peuvent changer

Dans la mesure ougrave les bandes indiennes prendront de plus en plus drsquoimportance dans le deacuteveloppement du Nord queacutebeacutecois on peut srsquoattendre agrave ce que lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication de la leacutegislation fiscale que nous avons eacutevoqueacutee eacutevoluent au cours des anneacutees agrave venir

582 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ANNEXE

Statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Sommaire des interpreacutetations favorables aux bandes indiennes

qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC

Adoption Services aux Deacutemocratie Nature des Neacutegociationde regraveglements membres (no te 1) imputabiliteacute fonctions dententes (no te 2)

2012-0447241R3 x x2011-0391831R3 x x2010-0360361R3 x2010-0362371R3 x x x x2010-0372611R3 x x2009-0311861I7 x x2009-0310851I7 x x2009-0311171R3 x x x2008-0294231R3 x x2008-0272731R3 x2008-0282491R3 x x x2008-0295711R3 x x x2006-0173611R3 x x x2006-0201611R3 x2006-0168841R3 x x2006-0166731R3 x x x2005-0126261R3 x x2005-0136981R3 x x x2003-0035821R3 x

2003-0028403 x x2003-0000463 x2003-0035443 x2003-0028343 x x2002-0170903 x x2002-0127663 x x2001-0068273 x x x2001-0091433 x2001-0106633 x x1999-0006543 x x1999-0005513 x x x

9917483 x x

Note 1 Travaux publics services sociaux et programmes dinfrastructure

Note 2 Revendications territoriales ententes en matiegravere de santeacute etc

Interpreacutetations techniques

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 583

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI

SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES

Alex Boisvert Maxime Dupuis LL B LL B Direction du contentieux Direction du contentieux fiscal et civil fiscal et civil Revenu Queacutebec Revenu Queacutebec

PREacuteCIS

En 1940 le Parlement du Canada a instaureacute un reacutegime drsquoassurance-chocircmage Au fil des anneacutees ce reacutegime a subi diverses modifications Toutefois lrsquoobjectif de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi est demeureacute sensiblement le mecircme eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui cherche agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs qui perdent leur revenu drsquoemploi par le versement temporaire de prestations

Pour ecirctre admissible au reacutegime drsquoassurance-emploi il faut occuper un laquo emploi assurable raquo La Loi sur lrsquoassurance-emploi preacutevoit plusieurs types drsquoemplois assurables Les auteurs srsquoen tiennent agrave analyser les cas ougrave lrsquoemployeacute et lrsquoemployeur ont un lien de deacutependance entre eux notamment

584 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

parce qursquoils sont lieacutes par le sang le mariage ou une union civile ou par une deacutetention drsquoactions dans la socieacuteteacute laquo employeur raquo

La regravegle veut qursquoun employeacute ayant avec son employeur un lien de deacutependance de fait ou un lien de deacutependance de droit (personnes lieacutees) au sens de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne peut occuper un emploi assurable et par le fait mecircme ne peut beacuteneacuteficier de prestations drsquoassurance-emploi Cependant si lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lieacutes montrent qursquoils auraient conclu un contrat de travail similaire srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance lrsquoemployeacute pourra faire exception agrave la regravegle et beacuteneacuteficier du reacutegime Il srsquoagit de lrsquoapplication de lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Les auteurs analysent les critegraveres preacutevus agrave cet alineacutea et utiliseacutes par les tribunaux pour deacuteterminer si un emploi entre personnes lieacutees peut ou non ecirctre consideacutereacute comme assurable

ABSTRACT

In 1940 the Parliament of Canada has introduced an unemployment insurance program Various changes have been made in the program over the years However the purpose of the Unemployment Insurance Act which was replaced by the Employment Insurance Act in 1996 has remained essentially the same namely the establishment of an insurance program that is based on the concept of social risk and which preserves the economic security of workers for loss of income from their employment through temporary income replacement benefits

To be entitled to those benefits a claimant must have performed services under an ldquoinsurable employmentrdquo The Employment Insurance Act provides for several types of insurable employment The authors stick to analyze cases where the employee and the employer are not dealing with each other at armrsquos length because they are related by blood marriage civil union or shareholding in the ldquoemployerrdquo corporation

The rule is that where an employee and an employer are not dealing with each other at armrsquos length within the meaning of the Income Tax Act (in a de facto non-armrsquos length relationship or as related persons) the employment does not qualify as an insurable employment and as a consequence thereof the employee is not eligible to employment insurance benefits However if it is demonstrated that the employer and the employee who are related persons would have entered into a similar contract of employment if they have been dealing with each other at armrsquos length subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act makes an exception to the rule and the employee will qualify for employment insurance benefits

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 585

Subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act sets out various factors to be examined In this paper the authors analyze the application of those factors by the courts when deciding whether or not an employment is insurable

Agrave la suite du deacutecegraves accidentel de Me Jacques Cocircteacute lequel avait eacuteteacute preacutesident du conseil drsquoadministration de lrsquoAPFF celle-ci a contribueacute au Fonds Jacques-Cocircteacute geacutereacute par la Fondation de lrsquoUniversiteacute Laval Les revenus geacuteneacutereacutes par ce fonds servent agrave lrsquooctroi de bourses aux eacutetudiants du baccalaureacuteat en droit qui ont reacutedigeacute un travail de qualiteacute en droit fiscal

LrsquoAPFF est fiegravere de publier dans ce numeacutero de la Revue le texte reacutedigeacute par les deux premiers reacutecipiendaires de cette bourse

Au moment de la publication Mme Alex Boisvert avait eacuteteacute assermenteacutee comme avocate pour sa part M Maxime Dupuis sera assermenteacute comme avocat en novembre 2013

586 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 587

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN CONTRAT DE TRAVAIL 590

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE 591

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE 591

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo 593

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE 594

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE 596

31 LA REacuteMUNEacuteRATION 596 32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI 599 33 LA DUREacuteE 600 34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES 602

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS 604

CONCLUSION 608

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 587

INTRODUCTION

Le reacutegime drsquoassurance-emploi a eacuteteacute instaureacute au Canada par la Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage1 adopteacutee par le Parlement du Canada en reacuteponse agrave la situation eacuteconomique et sociale difficile qui avait cours alors

Lrsquoabsence de seacutecuriteacute financiegravere chez les travailleurs avait poseacute de nombreux problegravemes au deacutebut du XXe siegravecle Le Rapport de la Commission royale sur les relations industrielles au Canada de 1919 recommandait lrsquoimplantation drsquoun systegraveme de seacutecuriteacute sociale pour les travailleurs2 Ce rapport avait comme objectif de proposer des solutions aux nombreux problegravemes qui marquaient les relations patronales-ouvriegraveres notamment augmenter le salaire reacuteduire les heures de travail et pallier le risque de chocircmage3 La situation eacuteconomique des anneacutees 1930 et lrsquoindustrie du secteur primaire qui eacutetait plus propice au chocircmage creacuteaient une preacutecariteacute drsquoemploi pour lrsquoensemble de la classe ouvriegravere En 1935 la premiegravere tentative du Parlement du Canada de creacuteer un systegraveme de seacutecuriteacute sociale fut la Loi sur le placement et les assurances sociales4 mais celle-ci srsquoest heurteacutee aux limites constitutionnelles canadiennes et fut invalideacutee La Cour suprecircme du Canada jugea en effet que le Parlement du Canada ne deacutetenait pas la compeacutetence constitutionnelle neacutecessaire pour adopter un tel reacutegime de seacutecuriteacute sociale puisque celui-ci touchait agrave la compeacutetence provinciale en matiegravere de proprieacuteteacute et de droits civils5 Cette deacutecision fut confirmeacutee par le Comiteacute judiciaire du Conseil priveacute de Londres6 En reacuteaction agrave cet arrecirct lrsquoActe de lrsquoAmeacuterique du Nord britannique (connu depuis 1982 sous le titre de Loi constitutionnelle

1 Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage SC 1940 ch 44 2 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES Rapport de la

commission pour srsquoenqueacuterir des relations industrielles au Canada Ottawa 1919 DA SMITH laquo Employment Insurance raquo The Canadian Encyclopedia (en ligne httpwwwthecanadianencyclopediacomarticlesemployment-insurance)

3 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES preacuteciteacute note 2 Section 21 du Rapport

4 SC 1935 ch 38 5 Reference re legislative jurisdiction of Parliament of Canada to enact the Employment

and Social Insurance Act (1935 c 48) [1936] SCR 427 6 Canada (AG) v Ontario (AG) [1937] AC 355 (CP) T Stephen LAVENDER

The 2010 Annotated Employment Insurance Act Toronto Carswell 2010 p v

588 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

de 18677) fut modifieacute pour confeacuterer au Parlement du Canada compeacutetence en matiegravere drsquoassurance-chocircmage8

Degraves 1940 la premiegravere loi visant agrave instaurer une assurance sociale contre le risque de chocircmage fut adopteacutee9 Au deacutepart les prestations preacutevues dans la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage eacutetaient accessibles agrave un nombre limiteacute de cateacutegories drsquoemplois10 La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage11 qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi12 a fait lrsquoobjet de plusieurs modifications qui ont notamment eacutelargi son champ drsquoapplication en incluant drsquoautres types drsquoemplois admissibles aux avantages offerts par le reacutegime13 En deacutepit de lrsquoeacutevolution de la protection offerte lrsquoobjectif de la loi est demeureacute sensiblement le mecircme depuis son adoption14 La Loi sur lrsquoassurance-emploi actuelle continue de viser agrave eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui tend agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs par le versement temporaire de prestations en cas de cessation drsquoemploi ainsi que le rattachement de ces derniers au marcheacute du travail15 Lrsquoassurabiliteacute est le principe cardinal qui permet de beacuteneacuteficier de ce reacutegime Cette notion srsquoharmonise avec lrsquoobjectif de la loi qui consiste agrave venir en aide aux personnes qui peuvent travailler mais qui sont momentaneacutement sans emploi Cependant la Loi sur lrsquoassurance-emploi nrsquoest pas une loi qui srsquointerpregravete aiseacutement et les critegraveres deacuteveloppeacutes par les tribunaux manquent parfois de limpiditeacute16

7 Constitution Act 1940 3-4 Geo VI c 36 (UK) ajoutant la cateacutegorie 91(2A) aux

pouvoirs du Parlement du Canada Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 art 91(2A)

8 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v 9 Georges CAMPEAU De lrsquoassurance-chocircmage agrave lrsquoassurance-emploi ndash Lrsquohistoire du

reacutegime canadien et son deacutetournement Montreacuteal Boreacuteal 2001 p 9 10 Zhengxi LIN laquo Eacutevolution de lrsquoassurance-emploi au Canada raquo dans Lrsquoemploi et le

revenu en perspective Eacuteteacute 1998 vol 10 no 2 Statistique Canada pp 45-51 (en ligne httpwwwstatcangccastudies-etudes75-001archivef-pdf3828-frapdf)

11 Loi de 1971 sur lrsquoassurance-chocircmage LC 1970-71-72 ch 48 et mod (laquo LAC raquo) 12 LC 1996 ch 23 (laquo LAE raquo) 13 Renvoi relatif agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi (Can) art 22 et 23 [2005] 2 RCS

669 par 18 et 60 14 Id par 18 15 Id par 24 et 48 16 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 589

Parmi lrsquoensemble des conditions drsquoadmissibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-emploi lrsquoune drsquoentre elles pose particuliegraverement problegraveme il srsquoagit de la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi lorsque lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont un lien de deacutependance17 Les alineacuteas 5(2)i) 5(3)a) et 5(3)b) LAE preacutevoient cette condition

laquo (2) Nrsquoest pas un emploi assurable

[hellip]

i) lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance

[hellip]

(3) Pour lrsquoapplication de lrsquoalineacutea (2)i)

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de deacutependance est deacutetermineacutee conformeacutement agrave la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

A priori selon lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE cette relation drsquoemploi nrsquoest pas couverte par le champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Toutefois si lrsquoemploi drsquoune personne lieacutee agrave lrsquoemployeur remplit les conditions preacutevues par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE il sera reacuteputeacute ecirctre assurable et le travailleur pourra jouir des diffeacuterents avantages offerts par ce reacutegime leacutegislatif Le preacutesent texte a pour objet drsquoanalyser la position des tribunaux en matiegravere drsquoassurabiliteacute drsquoun emploi entre personnes ayant un lien de deacutependance

Tout drsquoabord il est primordial de srsquointerroger sur lrsquoexistence drsquoun contrat de travail comme condition preacuteliminaire drsquoassujettissement agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi avant drsquoaborder la question de lrsquoassurabiliteacute Dans le mecircme ordre drsquoideacutees le fonctionnement de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant lrsquoassurabiliteacute des emplois sera analyseacute plus preacuteciseacutement

17 Al 3(2)c) LAC devenu lrsquoalineacutea 5(2)i) et le paragraphe 5(3) LAE

590 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexclusion a priori par lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE des emplois caracteacuteriseacutes par un lien de deacutependance Ensuite il sera traiteacute de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui permet lrsquoinclusion des emplois entre personnes lieacutees Une fois le contexte leacutegislatif eacutetabli les critegraveres permettant de beacuteneacuteficier de la preacutesomption seront successivement eacutetudieacutes

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN

CONTRAT DE TRAVAIL

Avant mecircme de se pencher sur la notion drsquoassurabiliteacute il faut deacuteterminer si les parties entretiennent entre elles une relation drsquoemploi Pour conclure agrave lrsquoexistence de cette relation la preuve drsquoun contrat de travail doit ecirctre faite En conseacutequence la personne qui exploite une entreprise est exclue du champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Dans lrsquoordre juridique queacutebeacutecois le contrat de travail est deacutefini par lrsquoarticle 2085 du Code civil du Queacutebec18 Agrave cet effet le lien de subordination entre lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute est la pierre angulaire de lrsquoexistence drsquoun contrat de travail Traditionnellement les tribunaux se sont reacutefeacutereacutes aux critegraveres deacuteveloppeacutes en common law dans lrsquoarrecirct Wiebe Door Services Ltd c MRN19 pour caracteacuteriser la relation entre les parties En 2005 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale dans lrsquoaffaire 9041-6868 Queacutebec inc c MRN20 avanccedila que les critegraveres de common law issus de cet arrecirct nrsquoeacutetaient pas applicables pour qualifier une relation drsquoemploi reacutegie par le droit queacutebeacutecois Le Code civil du Queacutebec eacutetant lrsquounique source de droit pertinente dans lrsquoanalyse il fallait se concentrer exclusivement sur lrsquoarticle 2085 CcQ21 Par la suite dans lrsquoaffaire Grimard c La Reine22 le juge Archambault de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoappuyant sur les motifs de lrsquoarrecirct 9041-6868 Queacutebec Inc appliqua le mecircme raisonnement dans le cadre drsquoun litige viseacute par la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu23 Cette deacutecision fut porteacutee en appel et le tribunal drsquoappel atteacutenua la porteacutee des propos du juge Archambault24 Selon la Cour

18 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) 19 [1986] 3 CF 553 (CAF) (laquo Wiebe Door Services raquo) Les critegraveres de common law

sont 1) le controcircle 2) la proprieacuteteacute des instruments de travail 3) la possibiliteacute de profit 4) le risque de perte et 5) lrsquointeacutegration dans lrsquoentreprise

20 2005 CAF 334 (laquo 9041-6868 Queacutebec Inc raquo) 21 Id Lacroix c MRN 2007 CCI 81 (laquo Lacroix raquo) 22 2007 CCI 755 23 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 24 Grimard c Canada 2009 CAF 47 (laquo Grimard raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 591

drsquoappel feacutedeacuterale les critegraveres de lrsquoarrecirct Wiebe Door Services peuvent servir drsquoindices drsquoencadrement pour deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun contrat de travail25 Ce mecircme tribunal dans lrsquoaffaire NCJ Educational Services Ltd c Canada26 est venu confirmer que lrsquoarrecirct Grimard srsquoappliquait eacutegalement en matiegravere drsquoassurance-emploi venant mettre deacutefinitivement un terme agrave la controverse

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE

Une fois que lrsquoexistence drsquoun contrat de travail est eacutetablie il est neacutecessaire de srsquointerroger sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi exerceacute par le travailleur Un emploi est consideacutereacute comme assurable degraves qursquoil est viseacute par une des situations preacutevues au paragraphe 5(1) LAE

Toutefois le paragraphe 5(2) LAE preacutevoit plusieurs cas drsquoexclusion qui font en sorte que certains emplois ne peuvent beacuteneacuteficier du statut drsquolaquo emploi assurable raquo

Lrsquoexclusion qui sera traiteacutee ici est la situation viseacutee agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE soit laquo lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance raquo

Lrsquoalineacutea 5(3)a) LAE preacutevoit que lrsquoexistence du lien de deacutependance entre les parties au contrat est deacutetermineacutee en vertu de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Il peut srsquoagir drsquoun lien de deacutependance de droit lorsqursquoil est question de personnes lieacutees ou drsquoun lien de deacutependance de fait au sens des alineacuteas 251(1)a) et 251(1)c) LIR

laquo 251 (1) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes lieacutees sont reacuteputeacutees avoir entre elles un lien de deacutependance

[hellip]

c) [hellip] la question de savoir si des personnes non lieacutees entre elles nrsquoont aucun lien de deacutependance agrave un moment donneacute est une question de fait raquo

25 Id par 43 26 2009 CAF 131

592 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Voici lrsquoexplication du lien de deacutependance de fait donneacutee par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Mercer c MRN

laquo [14] Les relations avec lien de deacutependance se caracteacuterisent par la preacutesence drsquoune entiteacute responsable de la neacutegociation pour les deux parties agrave une transaction par le fait que les parties agrave une transaction agissent ensemble sans inteacuterecirct distinct ou parce que chaque partie agrave la transaction avait le pouvoir drsquoinfluencer lrsquoautre ou drsquoexercer un controcircle sur lrsquoautre et que les neacutegociations des parties ne sont pas conformes agrave lrsquoobjet et agrave lrsquoesprit des dispositions de la loi et qursquoelles ne deacutemontrent pas qursquoelles participent de faccedilon eacutequitable dans le jeu normal des forces eacuteconomiques du marcheacute [hellip]27 raquo (Soulignement par la Cour)

Le lien de deacutependance de droit deacutecoule du fait que deux personnes sont lieacutees parce qursquoelles sont unies par les liens du sang du mariage drsquoune union de fait ou de lrsquoadoption28 ou lieacutees par la deacutetention drsquoactions au sein drsquoune mecircme socieacuteteacute29 Ainsi une personne lieacutee agrave son employeur voit son emploi exclu des beacuteneacutefices de lrsquoassurance-emploi Par exemple la conjointe de lrsquoactionnaire majoritaire drsquoune socieacuteteacute qui travaille au sein de cette socieacuteteacute nrsquooccupe pas a priori un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi30

27 2003 CCI 652 (laquo Mercer raquo) 28 Lrsquoalineacutea 251(2)a) et le paragraphe 251(6) LIR ndash citeacute ci-dessous ndash preacutevoient les

deacutefinitions applicables aux personnes lieacutees

laquo (6) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes sont unies par les liens du sang si lrsquoune est lrsquoenfant ou un autre descendant de lrsquoautre ou si lrsquoune est le fregravere ou la sœur de lrsquoautre

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si lrsquoune est marieacutee agrave lrsquoautre ou agrave une personne qui est ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

b1) des personnes sont unies par les liens drsquoune union de fait si lrsquoune vit en union de fait avec lrsquoautre ou avec une personne qui est unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

c) des personnes sont unies par les liens de lrsquoadoption si lrsquoune a eacuteteacute adopteacutee en droit ou de fait comme enfant de lrsquoautre ou comme enfant drsquoune personne ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang (autrement qursquoen qualiteacute de fregravere ou de sœur) raquo

29 Voir plus particuliegraverement lrsquoalineacutea 251(2)b) LIR 30 Gagneacute c MRN 2005 CCI 310

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 593

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE

LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo

Par lrsquoeffet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE un emploi viseacute agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE peut cependant agrave certaines conditions ecirctre consideacutereacute comme un emploi sans lien de deacutependance et par conseacutequent devenir un emploi assurable aux fins de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Pour rappel lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE se lit ainsi

laquo b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

Le ministre du Revenu national doit prendre en consideacuteration les facteurs pertinents preacutevus agrave cet alineacutea lorsqursquoil rend une deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi caracteacuteriseacute par un lien de deacutependance (art 90 et 91 LAE) Lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE met en eacutevidence les critegraveres agrave analyser pour en arriver agrave la conclusion qursquoun employeur et un employeacute nrsquoayant pas de lien de deacutependance auraient conclu un contrat de travail agrave peu pregraves semblable Il preacutevoit une liste non exhaustive des facteurs agrave prendre en consideacuteration soit la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli La deacutecision du ministre du Revenu national repose sur lrsquoexercice drsquoun pouvoir discreacutetionnaire consistant agrave effectuer une analyse factuelle de la relation entre les parties En ce sens la personne qui souhaite contester la deacutecision du ministre devra donc deacutemontrer que ce pouvoir a eacuteteacute exerceacute drsquoune maniegravere deacuteraisonnable31 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans le cadre drsquoun appel de la deacutecision du ministre pourra recevoir tout eacuteleacutement de preuve servant agrave deacutemontrer que la deacutecision du ministre selon laquelle un contrat drsquoemploi similaire nrsquoaurait pas eacuteteacute conclu entre des parties nrsquoayant aucun lien de deacutependance est deacuteraisonnable Pour que lrsquoappel soit accueilli lrsquoappelant devra deacutemontrer que le ministre selon le cas

31 Peacuterusse c Canada [2000] CanLII 15136 (CAF)

594 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

laquo i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites

ii) nrsquoa pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme lrsquoexige expresseacutement le sous-alineacutea 3(2)c)(ii) [LAC devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE]

iii) a tenu compte drsquoun facteur non pertinent32 raquo

Il importe de preacuteciser que la Cour canadienne de lrsquoimpocirct doit faire preuve de deacutefeacuterence envers la deacutecision du ministre du Revenu national33 Cependant lorsque la nature du contrat entre les parties est en litige la Cour procegravede agrave un examen indeacutependant de celui du ministre34 Dans ce cas elle nrsquoest pas tenue laquo de faire preuve de retenue agrave lrsquoeacutegard de la deacutecision du ministre raquo35

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE

Il est neacutecessaire de traiter briegravevement de lrsquoobjet des alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE Dans lrsquointerpreacutetation de ces dispositions il faut rechercher si les parties ont envisageacute de conclure un reacuteel contrat de travail Lrsquointention du leacutegislateur est drsquoeacuteviter drsquoassurer des emplois aux liens factices contracteacutes dans le but de beacuteneacuteficier inducircment de la Loi sur lrsquoassurance-emploi36 Les personnes lieacutees eacutetant plus susceptibles que drsquoautres de creacuteer des emplois laquo avec des conditions farfelues raquo37 un examen pousseacute doit ecirctre effectueacute pour deacuteterminer si la relation drsquoemploi convenue entre les personnes lieacutees aurait pu ecirctre la mecircme qursquoentre deux personnes nrsquoayant pas de lien de deacutependance La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage devenue la Loi sur lrsquoassurance-emploi a eacuteteacute adopteacutee pour venir en aide aux travailleurs qui perdent reacuteellement leurs emplois Le reacutegime drsquoassurance-emploi vise agrave assurer le risque de chocircmage38 et ce depuis son adoption au XXe siegravecle39 Lrsquoassurance-emploi

32 Canada c Jencan Ltd [1998] 1 CF 187 par 37 Huntley c MRN 2010 CCI 625

par 24 33 Porter c MRN 2005 CCI 364 34 Craigmyle c MRN 2011 CCI 128 par 43 et suiv 35 Id par 43 36 Bergen c MRN [2002] CanLII 1215 (CCI) (laquo Bergen raquo) par 10 37 Campbell c MRN 2008 CCI 170 par 47-48 38 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 39 Claude E FORGET Rapport de la commission drsquoenquecircte sur lrsquoassurance-chocircmage

Canada 1986 p 28

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 595

comme tout reacutegime drsquoassurance impose agrave lrsquoassureacute drsquoeacuteviter de creacuteer volontairement le risque pour lequel il est assureacute40 Le risque doit ecirctre indeacutependant du comportement individuel de chaque travailleur Or un emploi temporaire creacuteeacute de connivence entre les parties en vue de remplir les conditions exigeacutees par la Loi sur lrsquoassurance-emploi pour beacuteneacuteficier des prestations accroicirct deacutelibeacutereacutement le risque assureacute Les alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE visent agrave eacuteviter de tels types de comportements en srsquoassurant que des personnes lieacutees nrsquoeacutelaborent pas des strateacutegies dans le but de deacutetourner le reacutegime de sa finaliteacute

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lrsquoobjet de ces dispositions concerne la prohibition drsquoententes frauduleuses convenues pour faire beacuteneacuteficier le salarieacute drsquoune reacutemuneacuteration sans avoir agrave fournir une prestation de travail41 En outre ces alineacuteas tendent eacutegalement agrave proscrire les ententes qui auraient pour effet de subventionner en partie les activiteacutes commerciales drsquoun employeur Lrsquoassurance-emploi est une mesure qui nrsquoa pas eacuteteacute implanteacutee dans le but de venir en aide aux entreprises Les tribunaux ont eu lrsquooccasion de le rappeler dans de nombreuses affaires particuliegraverement dans la deacutecision Martineau c MRN ougrave le juge suppleacuteant Charron de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct reacuteaffirmait laquo que lrsquoassurance-emploi est une mesure sociale pour venir en aide agrave ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subvention pour venir en aide agrave lrsquoentreprise [hellip] raquo42 Lrsquoentrepreneur qui deacutesire essuyer des pertes en creacuteant des postes de travail fictifs et en consignant frauduleusement des heures de travail dans ses registres est un exemple classique43 Ce stratagegraveme effectueacute en vue de pouvoir ultimement financer ses activiteacutes par le truchement des prestations du reacutegime public ne cadre indubitablement pas avec les objectifs de la Loi sur lrsquoassurance-emploi

Or ces ententes frauduleuses ont manifestement plus de chance drsquoecirctre conclues en raison des liens de confiance qui existent entre des personnes lieacutees Lrsquoexclusion preacutevue agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE reflegravete ces consideacuterations et permet de preacutevenir les abus dans lrsquoapplication du reacutegime drsquoassurance-emploi Toutefois la preacutesomption permettant de passer outre au lien de deacutependance entre les parties a eacuteteacute instaureacutee en vue de permettre aux travailleurs lieacutes agrave leur payeur de toucher des prestations en vertu de la

40 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 41 Bouchard c MRN 2009 CCI 234 (laquo Bouchard raquo) par 15 42 [2000] CanLII 22883 (CCI) par 12 43 Duplin c MRN [2001] CanLII 498 (CCI) par 31

596 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquoassurance-emploi lorsque les circonstances le justifiaient Cette exception fut adopteacutee en 199044 puisque la regravegle rigide qui avait cours anteacuterieurement avait engendreacute des situations ineacutequitables pour plusieurs travailleurs canadiens45 Le secteur agricole eacutetait particuliegraverement toucheacute par cette exclusion puisque les entreprises œuvrant dans ce domaine sont souvent des entreprises familiales46 En effet il est erroneacute de croire que lrsquoexistence drsquoun lien de deacutependance reacutevegravele ipso facto la preacutesence drsquoune entente frauduleuse En ce sens comme le disait le juge Rowe de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct laquo [l]es en exclure sans raison valable est une mesure ineacutequitable qui va agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de la loi raquo47 La neacutecessiteacute drsquoadopter une disposition atteacutenuant lrsquoinflexibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage drsquoalors allait de soi et crsquoest ce que le leacutegislateur a fait avec lrsquoadoption du sous-alineacutea 3(2)c)(ii) LAC qui est devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE

Il est maintenant temps de passer en revue les facteurs deacuteterminants pour ecirctre en mesure de beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Bien que la liste de critegraveres preacutevue agrave cet alineacutea ne soit pas exhaustive ce sont ces critegraveres qui sont majoritairement analyseacutes par les tribunaux Chaque critegravere fera lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement succinct afin de deacutegager lrsquoapproche retenue par les tribunaux lors de lrsquoapplication de cette disposition

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE

31 LA REacuteMUNEacuteRATION

En ce qui a trait agrave la reacutemuneacuteration le fardeau de la preuve appartient au salarieacute qui doit deacutemontrer que laquo la reacutetribution verseacutee est raisonnable compte tenu de la nature et de la quantiteacute du travail effectueacute raquo48 Drsquoune part le salarieacute doit deacutemontrer que sa reacutemuneacuteration est raisonnable comparativement agrave celle des autres salarieacutes de lrsquoentreprise Drsquoautre part le salarieacute peut recourir agrave une analyse globale des conditions de travail de lrsquoensemble des travailleurs œuvrant dans un domaine similaire au sien

44 Loi modifiant la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage et la Loi sur le ministegravere et sur la

Commission de lrsquoemploi et de lrsquoimmigration LC 1990 ch 40 45 Bergen preacuteciteacute note 36 46 Theacuteberge c Canada 2002 CAF 123 (laquo Theacuteberge raquo) 47 Docherty c MRN [2000] CanLII 381 (CCI) (laquo Docherty raquo) 48 Primeau Meacutetal Inc c MRN 2005 CCI 111 (laquo Primeau Meacutetal raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 597

Plusieurs modaliteacutes doivent ecirctre analyseacutees afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere raisonnable de la reacutemuneacuteration toucheacutee par lrsquoemployeacute comparativement aux autres employeacutes preacutesents dans la mecircme entreprise La jurisprudence contient de nombreuses illustrations ougrave la reacutemuneacuteration a eacuteteacute un enjeu important dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi Les principaux facteurs retenus par les tribunaux pour trancher cette question sont le salaire et le mode de paiement de la prestation

Concernant le salaire il faut drsquoabord deacuteterminer srsquoil est sensiblement identique agrave celui des employeacutes sans lien de deacutependance Il est opportun de rappeler que le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne requiert pas une identiteacute absolue dans la comparaison En deacutefinitive il suffit de deacutemontrer que le salaire est agrave peu pregraves semblable au salaire que reccediloit une personne sans lien de deacutependance Pour y arriver il faut notamment tenir compte de lrsquoexpertise de la formation du poste occupeacute et de lrsquoancienneteacute au sein de lrsquoentreprise49 Voici quelques exemples qui permettent de bien saisir la porteacutee de lrsquoanalyse agrave effectuer Un employeacute lieacute agrave lrsquoemployeur pourrait recevoir un salaire plus eacuteleveacute que les autres employeacutes en raison de sa formation et neacuteanmoins occuper un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct lrsquoa deacutecideacute dans lrsquoaffaire Portes et Fenecirctres Abritek Inc50 Dans cette affaire lrsquoeacutecart salarial provenait du fait que lrsquoemployeur avait pondeacutereacute le salaire en tenant compte de la scolariteacute de lrsquoemployeacute et non en vertu du lien de deacutependance Dans la deacutecision Primeau Meacutetal lrsquoimportance du salaire a eacuteteacute jugeacutee raisonnable en raison des anneacutees drsquoexpeacuterience de lrsquoemployeacute au sein de la socieacuteteacute51 La stabiliteacute du taux de reacutemuneacuteration est un autre eacuteleacutement agrave consideacuterer Lrsquoemploi dont la reacutemuneacuteration varie en fonction de la capaciteacute de payer de lrsquoemployeur montre que des parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient probablement pas conclu un contrat de travail similaire52 En effet laquo il serait inhabituel pour un employeacute sans lien de deacutependance drsquoaccepter lrsquoexistence drsquoun lien entre son salaire et la rentabiliteacute de la socieacuteteacute raquo53 Agrave titre drsquoexemple un emploi dont le taux horaire a eacuteteacute modifieacute trois fois dans une peacuteriode nrsquoexceacutedant pas un an a

49 Portes et Fenecirctres Abritek Inc c MRN 2009 CCI 285 (laquo Portes et Fenecirctres Abritek

Inc raquo) par 37 50 Id par 24 51 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48 par 35 52 Bacon c MRN 2004 CCI 70 par 12 Boucher c MRN 2007 CCI 467 par 7

Putter c MRN [2000] CanLII 191 (CCI) par 16 53 Caldwell Industries Co c MRN 2009 CCI 59 (laquo Caldwell Industries raquo)

598 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacuteteacute jugeacute non assurable54 De plus un employeacute acceptant une diminution de salaire sans reacuteduction de la charge de travail tend agrave montrer qursquoun employeacute sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas conclu un contrat de travail similaire55

Un autre facteur agrave analyser impeacuterativement est la reacutemuneacuteration des heures suppleacutementaires Lrsquoemployeacute qui effectue de nombreuses heures en dehors de la semaine normale de travail sans toucher de reacutemuneacuteration verra le statut drsquoassurabiliteacute de son emploi vicieacute56 agrave moins que cette pratique soit reacutepandue dans lrsquoentreprise Toutefois il est important de souligner que des heures suppleacutementaires non reacutemuneacutereacutees peuvent srsquoexpliquer par le fait que lrsquoemployeacute occupe un poste de gestion au sein de lrsquoentreprise pourvu que cela ne diminue pas substantiellement le taux horaire de son salaire57 Cependant renoncer agrave une bonification du taux pour les heures suppleacutementaires agrave laquelle les autres employeacutes ont droit est reacuteveacutelateur drsquoun emploi non assurable qui ne peut beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE58

Il est eacutegalement important de souligner que plusieurs deacutecisions nrsquoont pas accordeacute drsquoimportance au fait que la prestation de travail eacutetait reacutetribueacutee en fonction drsquoun taux hebdomadaire59 Il faut plutocirct srsquoattarder agrave deacuteterminer si la reacutemuneacuteration eacutetait raisonnable et ce peu importe si elle est eacutetablie selon un taux hebdomadaire ou mensuel Un employeacute lieacute agrave son employeur ne jouissant pas des mecircmes avantages sociaux et peacutecuniaires que les autres employeacutes amegravene les tribunaux agrave infeacuterer qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait jamais accepteacute des conditions de travail semblables60

Quant au mode de reacutetribution de la prestation de travail les tribunaux analysent si le versement de la reacutemuneacuteration est effectueacute de la mecircme maniegravere que les autres employeacutes dans lrsquoorganisation Lorsque le travailleur est aussi

54 Leliegravevre c MRN 2006 CCI 109 (laquo Leliegravevre raquo) par 51 55 Caldwell Industries preacuteciteacute note 53 par 16 56 Lessard c MRN 2008 CCI 122 57 Dumais c MRN 2007 CCI 261 (laquo Dumais CCI raquo) 58 Michel Trottier entrepreneur eacutelectricien c MRN 2004 CCI 4 (laquo Michel Trottier raquo)

par 9 59 Girard c MRN 2008 CCI 245 (laquo Girard raquo) par 26 Theacuteberge preacuteciteacute note 46

par 8 agrave 10 Castonguay c MRN 2004 CCI 324 (laquo Castonguay raquo) par 17 60 Armoires G Baron inc c MRN 2004 CCI 238 par 36 Primeau Meacutetal preacuteciteacute

note 48 par 34 Domart Energy Services Ltd c MRN 2007 CCI 585 par 13

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 599

un actionnaire de la socieacuteteacute la situation est particuliegravere et meacuterite drsquoecirctre briegravevement analyseacutee Il peut arriver que le salaire du salarieacute-actionnaire soit verseacute sous forme de dividendes afin de permettre agrave ce dernier de profiter drsquoun avantage fiscal La jurisprudence est drsquoavis que cette forme de reacutetribution doit ecirctre prise en compte lorsqursquoil faut deacuteterminer si un employeacute non lieacute agrave la socieacuteteacute aurait accepteacute de telles conditions de travail Il est certain que les relations salarieacute-actionnaire et simple employeacute de la socieacuteteacute sont totalement diffeacuterentes Cependant laquo lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi nrsquoindique pas qursquoil faille faire abstraction des inteacuterecircts financiers que des travailleurs peuvent avoir dans un payeur raquo61 Ainsi il suffira de comparer la relation de travail non pas avec un employeacute-salarieacute mais avec un actionnaire minoritaire nrsquoayant pas de lien de parenteacute avec lrsquoactionnaire majoritaire ni de lien de deacutependance avec la socieacuteteacute62 Cela se justifie par le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui indique que toutes les circonstances doivent ecirctre prises en consideacuteration dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Lrsquoemployeacute qui est en mecircme temps actionnaire de la socieacuteteacute deacutesire souvent reacuteduire son impocirct payable et srsquoengage freacutequemment dans cette voie de fournir des services en eacutechange de dividendes63 En revanche un employeacute sans lien de deacutependance exigera normalement un salaire contre les services fournis agrave lrsquoemployeur64 Eacutegalement le versement du salaire en argent comptant nrsquoest geacuteneacuteralement pas un facteur deacuteterminant65

32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI

Les modaliteacutes drsquoemploi constituent un critegravere drsquoapplication assez large que la jurisprudence traite comme un critegravere reacutesiduaire66 Il srsquoagit drsquoun facteur qui srsquoanalyse difficilement seul il est plutocirct relieacute intrinsegravequement aux autres critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Les modaliteacutes peuvent toucher notamment lrsquoutilisation personnelle des outils de lrsquoentreprise67 les avantages sociaux la disponibiliteacute de lrsquoemployeacute68 la flexibiliteacute de son

61 Assurances Jones Inc c MRN 2009 CCI 273 par 13 62 Id Les Entreprises Charles Maisonneuve Lteacutee c MRN 2008 CCI 269 63 Lacroix preacuteciteacute note 21 par 42 64 Michel Trottier preacuteciteacute note 58 par 32 65 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 19 66 Lenover c MRN 2007 CCI 594 67 Reynders c MRN 2007 CCI 219 68 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48

600 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

horaire la possibiliteacute de travailler agrave domicile69 et le controcircle effectueacute par le payeur70 Eacutevidemment ce controcircle sera moduleacute en fonction des compeacutetences des employeacutes71

Agrave titre drsquoexemple dans lrsquoaffaire CampB Woodcraft c MRN72 le juge Woods eacutetait drsquoavis que les modaliteacutes drsquoemploi doivent se comparer avec ce qui est offert aux employeacutes par lrsquoentreprise et non par un employeur hypotheacutetique contrairement au salaire qui lui peut ecirctre analyseacute par rapport au marcheacute Par ailleurs le ministre du Revenu national a deacutejagrave avanceacute comme modaliteacute drsquoemploi deacuteraisonnable le fait que lrsquoemployeacute precircte une somme drsquoargent sans inteacuterecirct au payeur Toutefois dans certaines deacutecisions les tribunaux ont deacutecideacute que cela nrsquoeacutetait pas pertinent puisque le precirct avait plutocirct eacuteteacute consenti en raison du fait que le payeur et lrsquoemployeacute eacutetaient conjoints et non parce qursquoils eacutetaient un employeacute et un employeur lieacutes73 Des modaliteacutes concernant lrsquohoraire fixeacute en fonction des besoins de lrsquoentreprise ont eacuteteacute jugeacutees raisonnables dans la mesure ougrave le teacutemoignage des appelants a eacuteteacute estimeacute creacutedible74 Agrave lrsquoopposeacute attendre plusieurs semaines avant de deacuteposer un chegraveque du payeur vu les difficulteacutes financiegraveres de ce dernier deacutemontre qursquoune personne non lieacutee agrave son employeur nrsquoaurait pas accepteacute des modaliteacutes drsquoemploi semblables75 Il est manifeste que le critegravere des modaliteacutes drsquoemploi deacutepend de toutes les circonstances particuliegraveres agrave chaque affaire et il est difficile drsquoeacutetablir une norme drsquoapplication geacuteneacuterale Il faudra donc se reacutefeacuterer agrave la situation ayant cours au sein de lrsquoentreprise pour veiller agrave ce que lrsquoemployeacute lieacute ne soit pas le seul agrave beacuteneacuteficier drsquoune modaliteacute drsquoemploi particuliegravere

33 LA DUREacuteE

La dureacutee des prestations de travail de lrsquoemployeacute entre les diffeacuterentes peacuteriodes de chocircmage et la quantiteacute drsquoheures travailleacutees doivent faire lrsquoobjet drsquoune analyse en vertu de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Lorsqursquoun employeacute effectue

69 Johnston c MRN 2011 CCI 501 70 Lacroix preacuteciteacute note 21 62 71 Id 72 2004 CCI 477 73 Girard preacuteciteacute note 59 74 Eagle Canyon Adventures Inc c MRN 2008 CCI 563 (laquo Eagle Canyon

Adventures raquo) 75 Benguaich c MRN [1998] CanLII 569 (CCI)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 601

le nombre drsquoheures minimal pour se qualifier au reacutegime drsquoassurance-emploi et ce successivement il est neacutecessaire de cerner les motifs expliquant les mises agrave pied76 La dureacutee de lrsquoemploi doit ecirctre fixeacutee par rapport aux besoins de main-drsquoœuvre de lrsquoemployeur77 Un emploi dont la peacuteriode a eacuteteacute convenue en fonction des exigences pour toucher des prestations est contraire agrave lrsquoobjet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Si la cessation drsquoemploi survient dans une entreprise qui a des activiteacutes reacuteguliegraveres tout au long de lrsquoanneacutee la jurisprudence est encline agrave scruter davantage les motifs entourant le licenciement Cependant les tribunaux accordent geacuteneacuteralement moins drsquoimportance agrave la dureacutee lorsque la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute porte sur un travail saisonnier78 Dans ce cas ils se limiteront agrave veacuterifier si les mises agrave pied coiumlncident avec la fin de la saison active de lrsquoindustrie79 Il serait contraire aux objectifs historiques du reacutegime drsquoexclure des emplois saisonniers en raison de mises agrave pied reacutepeacutetitives80 Quant aux motifs pour justifier des cessations drsquoemploi reacutecurrentes les baisses drsquoachalandage et le ralentissement des activiteacutes sont freacutequemment invoqueacutes par les travailleurs et les payeurs81 Ainsi un licenciement motiveacute par un manque reacuteel de travail est un indice reacuteveacutelateur de la preacutesence drsquoun emploi assurable Agrave lrsquoopposeacute des peacuteriodes de chocircmage survenant dans la peacuteriode drsquoactiviteacute du payeur tendent agrave deacutemontrer la situation contraire82

Concernant les heures de travail il faut veacuterifier si les heures consigneacutees reflegravetent reacuteellement le nombre drsquoheures travailleacutees Une pratique communeacutement deacutesigneacutee sous le vocable laquo banquage raquo ou laquo cumul drsquoheures raquo srsquoest deacuteveloppeacutee au sein de nombreuses entreprises Cette pratique consiste agrave fournir une prestation de travail sans reacutemuneacuteration pendant une peacuteriode de chocircmage Les heures travailleacutees pendant la cessation drsquoemploi sont porteacutees dans une banque drsquoheures au nom de lrsquoemployeacute Lors drsquoune nouvelle demande de prestation les parties inscrivent frauduleusement sur le releveacute drsquoemploi les heures de travail en banque dans le but de maximiser la

76 Peacuterusse c MRN 2003 CCI 313 (laquo Peacuterusse raquo) par 72 77 Bouchard preacuteciteacute note 41 par 3 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 28 in fine 78 Peacuterusse preacuteciteacute note 76 par 72 79 Labonteacute c MRN 2008 CCI 367 par 15 80 Howell c MRN [1998] CanLII 211 (CCI) par 27 in fine 81 Voir par exemple Stevens c MRN 2009 CCI 633 par 20 Pannu c MRN 2010 CCI

562 par 18 Fradette c MRN 2004 CCI 749 par 27 Girard preacuteciteacute note 59 par 31

82 Labrie c MRN 2003 CCI 540 par 107

602 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutemuneacuteration assurable et de bonifier les prestations de chocircmage Ce stratagegraveme survient freacutequemment lorsque les parties sont lieacutees83 Lrsquoemployeur en retire manifestement un avantage puisqursquoil reccediloit une prestation de travail agrave titre gratuit Surtout ce dernier peut neacutegocier des conditions de travail avantageuses en tenant compte du fait que lrsquoemployeacute recevra laquo pour plusieurs mois des prestations drsquoassurance-emploi raquo84 En examinant la dureacutee les tribunaux srsquoassurent que les parties nrsquoont pas envisageacute de creacuteer un lien drsquoemploi factice en vue de profiter du reacutegime drsquoassurance-emploi

La consignation des heures de travail est eacutegalement un facteur important agrave consideacuterer dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Si les heures effectueacutees par le travailleur ne sont pas inscrites dans les registres de lrsquoentreprise cela peut mener agrave conclure que lrsquoemploi a eacuteteacute modeleacute en fonction du lien de deacutependance85 Eacutegalement le critegravere concernant la dureacutee consiste agrave analyser si lrsquoemployeacute exerce un nombre drsquoheures raisonnable compte tenu du secteur drsquoactiviteacutes dans lequel il œuvre86 Une charge de travail eacuteleveacutee peut amener le ministre du Revenu national ou le tribunal agrave conclure qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas accepteacute des conditions de travail similaires Si lrsquoemployeacute fournit un apport substantiel agrave lrsquoentreprise en effectuant de nombreuses heures de travail lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre vicieacutee Dans lrsquoaffaire Rodrigue c MRN87 lrsquoemploi fut jugeacute non assurable puisque lrsquoemployeacute travaillait de nombreuses heures et nrsquoavait pris que quelques jours de congeacute durant lrsquoanneacutee Le juge Savoie a conclu que la prestation de travail de lrsquoemployeacute avait grandement contribueacute agrave lrsquoexpansion de lrsquoentreprise Cet apport important laissait preacutesager que deux personnes sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire

34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES

Dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi le ministre du Revenu national et les tribunaux doivent analyser si les tacircches sont neacutecessaires agrave laquo la bonne marche des activiteacutes raquo88 de lrsquoentreprise Des tacircches

83 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 16 84 Id 85 Dumont c MRN 2011 CCI 385 par 24 et suiv 86 Lieffertz c MRN 2003 CCI 704 par 10 87 2006 CCI 547 par 25 agrave 27 88 Chiarella c MRN 2005 CCI 41 par 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 603

purement marginales deacutemontrent que la conclusion du contrat fut influenceacutee par le lien de deacutependance unissant les parties89 Les tacircches exeacutecuteacutees par lrsquoemployeacute doivent donc faire partie inteacutegrante de lrsquoentreprise90 Lorsque les fonctions exerceacutees dans le cadre de lrsquoemploi nrsquoont aucun lien avec les activiteacutes du payeur le statut drsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque probablement drsquoecirctre nieacute Le poste de travail ne doit pas ecirctre exclusivement creacuteeacute pour le travailleur mais doit encore une fois refleacuteter les besoins reacuteels de lrsquoemployeur91

Dans plusieurs deacutecisions lrsquoemploi dont le caractegravere assurable eacutetait contesteacute se composait essentiellement de tacircches meacutenagegraveres92 ou comptables93 Agrave lrsquooccasion le payeur soutenait qursquoil aurait eacuteteacute trop oneacutereux drsquoexiger qursquoun employeacute reacutegulier accomplisse ce travail Ainsi lrsquoemployeur avanccedilait que lrsquoembauche drsquoun employeacute uniquement pour exercer ces tacircches repreacutesentait une eacuteconomie car son taux salarial eacutetait neacutecessairement moins eacuteleveacute Cependant les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute reacuteceptifs agrave lrsquoeacutegard de cette argumentation Le caractegravere purement accessoire des tacircches amegravene donc une infeacuterence neacutegative sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi Cette derniegravere sera renforceacutee quand la preuve reacutevegravele que le poste de lrsquoemployeacute nrsquoa jamais eacuteteacute remplaceacute apregraves la deacutecision de ne pas reacuteinteacutegrer le travailleur dans lrsquoentreprise Toutefois si les tacircches du travailleur eacutetaient importantes et neacutecessaires pour le bon fonctionnement de lrsquoentreprise du payeur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre eacutetablie

89 Berthiaume c MRN [1998] CanLII 518 (CCI) par 34 90 Leblanc c MRN [2002] CanLII 838 (CCI) par 21 agrave 23 91 Agrimeacutetal inc c MRN 2008 CCI 266 par 3 92 2530-8552 inc c MRN 2005 CCI 133 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bernier c MRN

[1999] ACI no 840 par 3 (assurabiliteacute rejeteacutee) Garneau c MRN 2004 CCI 508 par 9 agrave 11 (assurabiliteacute rejeteacutee) Ross c MRN [1998] ACI no 950 par 8-9 (assurabiliteacute rejeteacutee) Savoie c MRN [1999] CanLII 547 (CCI) par 10 (assurabiliteacute rejeteacutee) Artisan en tuyauterie et speacutecialiteacutes en plomberie ATS c MRN 2003 CCI 605 par 54 agrave 57 (assurabiliteacute rejeteacutee) Latullipe c MRN 2004 CCI 567 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bellerive c MRN 2004 CCI 279 par 19 agrave 21 (assurabiliteacute accueillie) Duchesne c Canada 2005 CCI 576 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee)

93 Gauthier c MRN [2000] CanLII 25985 (CCI) par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Denis c MRN 2003 CCI 304 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Docherty preacuteciteacute note 47 par 24 (assurabiliteacute accueillie) Johnson c MRN 2011 CCI 501 par 27 (assurabiliteacute rejeteacutee) Kayal c MRN 2005 CCI 273 par 21 (assurabiliteacute rejeteacutee) Malenfant c MRN 2005 CCI 686 par 41 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 25 (assurabiliteacute rejeteacutee) Eagle Canyon Adventures preacuteciteacute note 74 par 27 (assurabiliteacute accueillie) Papineau c MRN 2004 CCI 768 par 38 (assurabiliteacute rejeteacutee)

604 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une entente eacutetablissant des tacircches dont la nature et lrsquoimportance sont indispensables pour lrsquoentreprise peut parfois prouver que les parties nrsquoont pas conclu entre elles un contrat de travail (art 2085 CcQ) mais plutocirct un contrat drsquoentreprise (art 2098 CcQ) Si la personne est lrsquolaquo acircme dirigeante raquo ou le laquo cerveau directeur raquo de lrsquoentreprise la nature de lrsquoentente concernant les tacircches exeacutecuteacutees en cette qualiteacute ne peut ecirctre celle drsquoun contrat de travail94 Le lien de subordination est la condition sine qua non pour que la relation entre les parties soit qualifieacutee de contrat de travail En cas drsquoabsence manifeste de controcircle lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne peut trouver application95 Dans ce cas lrsquoimportance et la nature des tacircches ne reacutevegravelent pas neacutecessairement que deux parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire mais plutocirct que lrsquoentente convenue ne peut tout simplement pas remplir la premiegravere condition drsquoapplication de la loi soit la preacutesence drsquoune relation employeur-employeacute Il convient de noter qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire de prouver que la partie eacutetait lrsquoacircme dirigeante de lrsquoentreprise une simple absence de subordination fait eacutechec agrave lrsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi En reacutesumeacute lrsquoimportance et la nature des tacircches constituent un critegravere bipolaire ougrave deux situations aux antipodes peuvent amener agrave la non-assurabiliteacute drsquoun emploi Selon les circonstances des tacircches minimes dans lrsquoexploitation de lrsquoentreprise peuvent compromettre le caractegravere assurable de lrsquoemploi Agrave lrsquoopposeacute des tacircches drsquoune importance capitale ne refleacutetant pas la raisonnabiliteacute des autres critegraveres vicieront eacutegalement la qualification de lrsquoassurabiliteacute Il est donc impeacuteratif de bien deacuteterminer ce critegravere en comparaison avec ce qursquoun employeacute non lieacute serait precirct agrave accepter comme conditions de travail

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS

Lrsquoexercice de tacircches non reacutemuneacutereacutees pendant lrsquoemploi et les peacuteriodes de chocircmage ont donneacute lieu agrave une jurisprudence abondante de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct Tout drsquoabord il importe de souligner que la preacutesence de tacircches beacuteneacutevoles nrsquoentraicircne pas automatiquement lrsquoexclusion drsquoun emploi des beacuteneacutefices preacutevus par la Loi sur lrsquoassurance-emploi En tenant compte de

94 Hoobanoff Logging Ltd c MRN [1999] CanLII 491 (CCI) par 40 Leliegravevre

preacuteciteacute note 54 par 47 Bergen preacuteciteacute note 36 par 63 Lepage c MRN 2008 CCI 656 par 67 Cossette c MRN 2011 CCI 482 par 21 Concernant la possibiliteacute qursquoune acircme dirigeante ait conclu un contrat de travail pour les tacircches exeacutecuteacutees en qualiteacute drsquoemployeacute de la compagnie les auteurs se reacutefegraverent aux deacutecisions Roxboro Excavation Inc c MRN [2000] CanLII 15316 (CAF) et Ventilex Inc c MRN 2005 CCI 350

95 Marcheacute Duchemin amp Fregraveres Inc c MRN 2005 CCI 274 par 12

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 605

toutes les circonstances affeacuterentes agrave la conclusion du contrat les tribunaux ont reconnu que certaines particulariteacutes peuvent faccedilonner le lien drsquoemploi unissant les parties Dans les reacutegions rurales lrsquoentraide et la solidariteacute sont des qualiteacutes plus reacutepandues Le beacuteneacutevolat au sein drsquoune entreprise situeacutee dans une petite communauteacute se pratique freacutequemment et les tribunaux sont davantage flexibles dans ces cas drsquoespegravece Comme lrsquoaffirmait avec justesse le juge Tardif dans lrsquoaffaire Marin c Canada lrsquoentraide et le beacuteneacutevolat laquo sont plus reacutepandues dans les reacutegions ougrave tout le monde se connaicirct raquo96 Cependant lrsquoultime question est de deacuteterminer si le beacuteneacutevolat est laquo un preacutetexte [hellip] pour deacutevier la Loi ou abuser du programme social de lrsquoassurance-emploi raquo97 et ce peu importe la localisation geacuteographique de lrsquoentreprise En preacutesence de tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement les tribunaux megraveneront leur analyse en fonction de cette consideacuteration

Le beacuteneacutevolat touche lrsquoensemble des critegraveres preacutevus par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE soit la reacutetribution la dureacutee et lrsquoimportance du travail exerceacute Le travail beacuteneacutevole nrsquoest pas reacutemuneacutereacute cela est axiomatique En conseacutequence le critegravere de reacutetribution ne suscite pas drsquointerrogation et les facteurs les plus pertinents sont la dureacutee du beacuteneacutevolat et son importance Il est eacutegalement possible drsquoaffirmer que le beacuteneacutevolat peut remettre en cause lrsquoexistence drsquoun reacuteel contrat de travail en raison de lrsquoabsence de lrsquoune des conditions preacutevues agrave lrsquoarticle 2085 CcQ soit la reacutemuneacuteration Par conseacutequent le beacuteneacutevolat est un critegravere sui generis puisqursquoil neacutecessite la prise en consideacuteration de lrsquoensemble des critegraveres preacutevus agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Agrave la lumiegravere drsquoune synthegravese des deacutecisions rendues par les tribunaux nous proposons une analyse composeacutee de trois eacutetapes afin de deacuteterminer si un emploi est assurable en preacutesence de lrsquoexercice de tacircches beacuteneacutevoles

Le premier volet consiste agrave deacuteterminer srsquoil y a continuiteacute dans la prestation des services lors des peacuteriodes drsquoemploi et lors des peacuteriodes de beacuteneacutevolat En preacutesence drsquoune reacuteponse positive lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi est vicieacutee et il nrsquoest pas neacutecessaire de pousser davantage lrsquoanalyse

Quant au deuxiegraveme volet il consiste agrave srsquointerroger sur lrsquoimportance pour lrsquoentreprise des tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement

Le dernier volet repose sur la quantification des tacircches beacuteneacutevoles En drsquoautres termes il faut deacuteterminer le nombre drsquoheures consacreacutees

96 [2002] ACI no 553 (laquo Marin raquo) par 29 97 Id

606 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutevolement agrave lrsquoentreprise pour ecirctre en mesure de se prononcer sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi

1) La continuiteacute dans la prestation de services vicie ipso facto le caractegravere assurable de lrsquoemploi Les tacircches beacuteneacutevoles ne doivent pas ecirctre identiques aux tacircches confieacutees agrave lrsquoemployeacute aux termes du contrat de travail unissant les parties98 Agrave maintes reprises les tribunaux ont conclu qursquoun emploi perd son caractegravere assurable si les tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement sont sensiblement les mecircmes que celles accomplies dans la peacuteriode drsquoemploi La continuiteacute dans la prestation de services amegravene ineacutevitablement laquo la conclusion que lrsquoemploi doit ecirctre exclu raquo99 des beacuteneacutefices du reacutegime Lrsquoanalyse de lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles srsquoaveacuterera neacutecessaire seulement si lrsquoeacuteleacutement de continuiteacute nrsquoest pas preacutesent

2) Concernant lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles il faut deacuteterminer si les tacircches sont accessoires ou essentielles au deacuteroulement des activiteacutes de lrsquoentreprise Si les services beacuteneacutevoles sont marginaux lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi pourra ecirctre eacutetablie selon le nombre drsquoheures consacreacutees agrave lrsquoexercice de ces tacircches Par exemple il a eacuteteacute consideacutereacute qursquoun employeacute ayant reacutepondu occasionnellement au teacuteleacutephone lorsqursquoil eacutetait sur les lieux de travail pouvait tout de mecircme beacuteneacuteficier des avantages du reacutegime100 Dans ce cas le payeur exploitait un bar et il eacutetait clair que les tacircches beacuteneacutevoles nrsquoeacutetaient pas essentielles agrave lrsquoentreprise Toutefois dans les situations ougrave les tacircches sont essentielles aux activiteacutes du payeur il sera extrecircmement difficile de soutenir que lrsquoemploi est assurable101

3) Le nombre drsquoheures consacreacutees au beacuteneacutevolat doit ecirctre eacutetabli afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere assurable de lrsquoemploi Tout drsquoabord il faut analyser si les tacircches sont exerceacutees de faccedilon reacutepeacutetitive ou ponctuelle Les tacircches beacuteneacutevoles exerceacutees agrave reacutepeacutetition ne doivent pas requeacuterir un temps substantiel Lorsque les services beacuteneacutevoles effectueacutes sont minimes et peu importants pour le fonctionnement de lrsquoentreprise la jurisprudence a deacutejagrave consideacutereacute que lrsquoemploi eacutetait assurable mecircme si les tacircches neacutecessitaient un travail de plus ou moins 10 heures par semaine102

98 Id par 35 99 Dumais c Canada 2008 CAF 301 (laquo Dumais CAF raquo) par 32 100 Moreau c MRN 2003 CCI 339 101 Marin preacuteciteacute note 96 par 29 agrave 32 102 Pareacute c MRN 2004 CCI 540 par 13 agrave 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 607

Dans lrsquoarrecirct Theacuteberge103 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a deacutecideacute qursquoun travail beacuteneacutevole avoisinant 10 heures par semaine ne viciait pas lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi La Cour a tenu compte du fait que le beacuteneacutevolat eacutetait exerceacute dans une entreprise agricole familiale et de surcroicirct en dehors de la saison active de lrsquoindustrie Nous croyons que le tribunal a fait preuve de souplesse dans son appreacuteciation de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE en raison des objectifs historiques de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant le travail saisonnier Les deacutecisions rendues posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Theacuteberge ont systeacutematiquement fait usage de cette affaire comme drsquoun baromegravetre pour deacuteterminer si le beacuteneacutevolat exerceacute devait entraicircner lrsquoexclusion de ce travail des emplois assurables Cependant dans lrsquoarrecirct Denis c Canada104 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale nrsquoa pas repris le raisonnement deacuteveloppeacute dans lrsquoarrecirct Theacuteberge105 La Cour a refuseacute de reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi puisque lrsquoemployeacute mis agrave pied avait continueacute sans reacutemuneacuteration la tenue des livres pour lrsquoemployeur le nombre drsquoheures eacutetant par ailleurs absent des motifs composant le ratio decidendi En raison de cette deacutecision nous croyons donc que les tribunaux seront davantage reacuteticents agrave reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en preacutesence de services beacuteneacutevoles En reacutesumeacute il sera tregraves difficile drsquoavancer qursquoun emploi est assurable si la preuve reacutevegravele que plus de cinq heures de beacuteneacutevolat par semaine ont eacuteteacute effectueacutees pour lrsquoemployeur et ce drsquoune faccedilon reacutepeacutetitive106 Toutefois en preacutesence de tacircches minimes marginales et effectueacutees de faccedilon ponctuelle en dehors des peacuteriodes

103 Preacuteciteacute note 46 par 27 et 28 104 2004 CAF 26 105 Preacuteciteacute note 46 106 Bernard c MRN 2010 CCI 577 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de

5 heuressem) Roy c MRN 2011 CCI 384 par 33 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 5 heuressem) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 14 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 5 heuressem) Duchesne c MRN [2000] CanLII 544 (CCI) (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de 1 heuresem) Bourgouin c MRN 2008 CCI 59 par 8 (assurabiliteacute rejeteacutee 15 heuressem) Melvin c MRN 2004 CCI 410 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) Marin preacuteciteacute note 96 par 22 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 10 heuressem) Beaulieu c Canada [1999] ACI no 234 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 8 heuressem) Tremblay c MRN [2001] ACI no 516 par 16 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 30 heuressem) Serres de la pointe Inc c Canada 2005 CCI 44 par 54 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) 2158-3331 Inc c MRN 2006 CCI 489 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 1 heuresem)

608 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoemploi le beacuteneacutevolat pris isoleacutement ne pourra faire eacutechec agrave lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi107

CONCLUSION

En deacutefinitive lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi est une question neacutecessitant un examen approfondi de la relation unissant les parties Le caractegravere assurable nrsquoest pas figeacute dans le temps et agrave tout moment un emploi jugeacute assurable pourrait faire lrsquoobjet drsquoune nouvelle deacutetermination Le statut drsquoassurabiliteacute drsquoune relation de travail entre personnes ayant un lien de deacutependance est donc preacutecaire et lrsquoemployeacute aura tout inteacuterecirct agrave veiller agrave ce qursquoil nrsquoy ait pas de modifications substantielles agrave ses conditions de travail

Nous profitons de cette occasion pour souligner un problegraveme concernant lrsquoadministration de prestations qui deacutecoulent des deacutecisions relatives agrave lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en vertu de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Comme nous lrsquoavons vu les deacutecisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu des articles 91 et 92 LAE qui portent notamment sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi peuvent faire lrsquoobjet drsquoun appel devant la Cour canadienne de lrsquoimpocirct comme le preacutevoient les articles 103 et suivants LAE Cependant lorsqursquoil srsquoagit drsquoexaminer une demande au sujet des prestations qui deacutecoulent de la deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute ou non de lrsquoemploi crsquoest la Commission de lrsquoassurance-emploi du Canada (laquo Commission raquo) qui en deacutecide si la demande est faite dans les 36 mois suivant le moment ougrave les prestations ont eacuteteacute payeacutees ou sont devenues payables108 La Commission dispose toutefois drsquoun deacutelai de 72 mois si elle estime qursquoil y a eu laquo deacuteclaration ou affirmation fausse ou trompeuse raquo109 La deacutecision de la Commission ne peut ecirctre porteacutee en appel que devant le Tribunal de la seacutecuriteacute sociale instance remplaccedilant le deacutefunt Conseil arbitral110 comme le preacutevoient les articles 114 et suivants LAE

Il est selon nous anormal qursquoun tribunal comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui dans un contexte fiscal entend des causes de reacuteouverture drsquoanneacutees drsquoimposition au-delagrave de la peacuteriode normale de nouvelle cotisation en vertu de lrsquoarticle 152 LIR et qui deacutetient donc une expertise en matiegravere de fausses deacuteclarations ne soit pas habiliteacute par la Loi sur lrsquoassurance-emploi

107 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 34 108 Par 52(1) et suiv LAE 109 Par 52(5) LAE 110 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable LC 2012 ch 19 art 247

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 609

agrave statuer sur la question du remboursement des prestations en matiegravere drsquoassurance-emploi en dehors de la peacuteriode normale de reacutevision de 36 mois Apregraves avoir entendu la preuve sur lrsquoassurabiliteacute ou non drsquoun emploi la Cour canadienne de lrsquoimpocirct disposerait de lrsquoensemble des informations neacutecessaires pour deacuteterminer lrsquoexistence ou non de deacuteclarations fausses ou trompeuses Pourtant la Cour nrsquoaura pas compeacutetence pour deacuteterminer si la Commission pouvait proceacuteder agrave un nouvel examen concernant le remboursement des prestations au-delagrave du deacutelai de 36 mois Ainsi deux procegraves devant des forums distincts avec les mecircmes intervenants devront avoir lieu pour reacutegler des questions qui sont fondamentalement rattacheacutees faisant ressortir les laquo anomalies [qui] peuvent reacutesulter du systegraveme biceacutephale eacutetabli par le leacutegislateur en matiegravere drsquoassurance-[emploi] raquo111 Le juge de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct devra statuer sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi mecircme srsquoil sait pertinemment qursquoil y a absence de deacuteclarations fausses ou trompeuses et que par conseacutequent en dehors du deacutelai de 36 mois la Commission ne pourrait pas exiger le remboursement des prestations si lrsquoemploi est jugeacute non assurable

Agrave cet effet il arrive que les juges sans avoir la juridiction neacutecessaire pour le faire estiment non justifieacutee lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute sur le trop-payeacute de prestations pour de soi-disant fausses deacuteclarations

laquo [39] Conseacutequemment il nrsquoy avait pas lieu de peacutenaliser lrsquoappelante drsquoougrave je recommande tregraves fortement que son dossier fasse lrsquoobjet drsquoune reacutevision administrative pour qursquoil soit tenu compte de cette absence de mauvaise foi et de ce qui mrsquoapparaicirct ecirctre une exageacuteration grossiegravere eu eacutegard aux faits et circonstances entourant ce dossier

[40] Je suis cependant conscient que cette recommandation deacuteborde la juridiction qui mrsquoest attribueacutee ce qui mrsquoempecircche de pouvoir conclure de maniegravere coercitive112 raquo

Pour reprendre les propos du juge en chef Rip de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct nous sommes drsquoavis qursquolaquo [i]deacutealement la Cour devrait ecirctre un ldquoguichet uniquerdquo pour les personnes qui veulent intenter une action en vertu de la Loi raquo113 Bien que ces propos aient eacuteteacute tenus dans le cadre drsquoune affaire portant sur la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu nous sommes drsquoavis qursquoils sont eacutegalement drsquoactualiteacute en matiegravere drsquoassurance-emploi En eacuteliminant la

111 Universiteacute Laval c Canada (Ministre du revenu national) 2002 CAF 171 par 11 112 Poirier c Canada [2001] CanLII 952 (CCI) par 39-40 113 Tozzi c La Reine 2010 CCI 545 par 13

610 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multipliciteacute des recours une eacuteconomie des ressources judiciaires srsquoensuivrait Il est regrettable que le leacutegislateur feacutedeacuteral nrsquoait pas agi en ce sens lors de la reacuteforme du reacutegime de lrsquoassurance-emploi en 2012114 Une modification agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi agrave cet effet serait profitable autant pour les prestataires de lrsquoassurance-emploi que pour lrsquoEacutetat

114 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable preacuteciteacute note 110

LrsquoASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE

NATURE ET MISSION DE LrsquoORGANISME

LrsquoAPFF est un organisme agrave but non lucratif indeacutependant et non gouvernemental deacutedieacute agrave lrsquoavancement et agrave la diffusion des connaissances ainsi qursquoagrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences de ses membres en matiegravere de fiscaliteacute LrsquoAPFF reacuteunit des professionnels de disciplines diverses issus de tous les secteurs drsquoactiviteacutes de lrsquoeacuteconomie

EFFECTIFS

LrsquoAPFF regroupe des professionnels issus de diffeacuterentes disciplines principalement des comptables avocats conseillers en seacutecuriteacute financiegravere notaires et planificateurs financiers De plus elle reacutepond aux besoins des eacuteconomistes administrateurs agreacuteeacutes conseillers en placement banquiers et actuaires de mecircme qursquoagrave ceux de toute personne inteacuteresseacutee directement ou indirectement au domaine de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF compte plus de 2 500 membres

ACTIVITEacuteS DE FORMATION

LrsquoAPFF organise dans quatre reacutegions administratives du Queacutebec des seacuteminaires colloques symposiums et autres confeacuterences animeacutes par des confeacuterenciers chevronneacutes sur toutes les dimensions de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF donne eacutegalement agrave raison de deux sessions par anneacutee des cours en fiscaliteacute (Impocirct des socieacuteteacutes ndash seacuterie 1 Acquisition et reacuteorganisation corporative ndash seacuterie 2 Planification fiscale et financiegravere ndash seacuterie 3 Gestion du patrimoine fiscal et financier ndash seacuterie 4 TPS et TVQ ndash seacuterie 5 Fiscaliteacute internationale ndash seacuterie 6 incluant volumes et service de mise agrave jour dans chacun des cas) Ces cours sont eacutegalement offerts en ligne

En octobre lrsquoAPFF tient son congregraves annuel de trois jours en alternance entre Montreacuteal Queacutebec et Gatineau

PUBLICATIONS

LrsquoAPFF publie annuellement de nombreux ouvrages couvrant tous les aspects de la planification fiscale successorale et financiegravere

Les membres de lrsquoAPFF reccediloivent eacutelectroniquement depuis 2010 la Revue de planification fiscale et financiegravere le Livre du Congregraves ainsi que le magazine Strategravege Le reacutesumeacute des budgets des gouvernements du Queacutebec et du Canada est preacutesenteacute sur le site Internet de lrsquoAPFF le lendemain des budgets

Un bulletin drsquoinformation consacreacute agrave lrsquoactualiteacute fiscale le Flash fiscal maintenant compris avec lrsquoadheacutesion est publieacute environ 20 fois par anneacutee habituellement toutes les deux semaines Des numeacuteros speacuteciaux paraissent eacutegalement agrave lrsquooccasion du congregraves annuel

Toutes les publications de lrsquoAPFF depuis sa fondation sont eacutegalement reacutepertorieacutees dans un recueil intituleacute Liste des publications

Depuis octobre 1998 un service drsquoinformation fiscale eacutelectronique la Collection de lrsquoAPFF est offert par Internet Cette collection preacutesente la documentation eacutemise par lrsquoAPFF (depuis 1991 les textes des congregraves des colloques de la Revue de planification fiscale et financiegravere et depuis 2002 les textes du magazine Strategravege et des cours en fiscaliteacute des seacuteries 3 et 4) La Collection de lrsquoAPFF est maintenant commercialiseacutee par Carswell une socieacuteteacute Thomson par Knotia et par Publications CCH lteacutee et est vendue par abonnement

ADHEacuteSION

Toute personne qui deacutesire devenir membre de lrsquoAPFF peut le faire en se rendant sur le site Internet de lrsquoAPFF (wwwapfforg)

MEMBRES CORPORATIFS DE LrsquoAPFF

LrsquoAPFF accueille agrave titre de membres corporatifs pregraves de 70 entreprises provenant de diffeacuterents secteurs drsquoactiviteacutes et ordres professionnels

Toutes les entreprises deacutesirant participer agrave lrsquoessor de la planification fiscale et financiegravere peuvent le faire en adheacuterant agrave lrsquoAPFF par une contribution de 1 300 $ + taxes annuellement sous forme de cotisation de membre corporatif agrave lrsquoAPFF

SIEgraveGE SOCIAL DE LrsquoAPFF

Le siegravege social de lrsquoAPFF est situeacute au 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal Queacutebec H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ou (sans frais) 1 877 866-2733 Internet wwwapfforg ndash Courriel apffapfforg

LrsquoAPFF SE VEUT UN PHARE DE PROGREgraveS DANS LE DOMAINE DE LA PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE POUR

LrsquoENSEMBLE DE LA COMMUNAUTEacute

CONSEIL DrsquoADMINISTRATION 2012-2013

Preacutesident du conseil Reneacute Roy avocat CPA CA associeacute Fasken Martineau DuMoulin sencrl srl

Vice-preacutesident Alain Meacutenard avocat BA MBA associeacute Cain Lamarre Casgrain Wells sencrlAvocats

Treacutesorier Steacutephane Leblanc CPA CA associeacute fiscaliteacute Ernst amp Young srlsencrl

Secreacutetaire Martin Lord avocat M Fisc JD TEP associeacute fiscaliteacute Robinson Sheppard Shapiro sencrl Avocats

Preacutesident sortant Maurice Freacutechette CPA CGA Power Corporation du Canada

Membres Annette Beshwaty CPA CGA KPMG srlsencrl Eacuteric Brassard CPA CA Pl Fin associeacute Brassard Goulet Yargeau Services financiers inteacutegreacutes Yves Coallier BAA Fin Intrsquol M Fisc preacutesident GCI inc ǀ Gallant amp Associeacutes sencrl Andreacutee Couture BAA AVA Pl Fin FLMI Conseils PPI Benoicirct Desjardins CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Deloitte sencrl Suzanne Landry Ph D M Fisc FCPA FCA FCMA HEC Montreacuteal Bernard Poulin CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl Diane Tsonos avocate TEP associeacutee fiscaliteacute Richter

Preacutesident-directeur geacuteneacuteral Maurice Mongrain avocat APFF

MEMBRES CORPORATIFS APFF

AGENCE DU REVENU DU CANADA

ALMA CONSULTING GROUP CANADA INC

ALTRO LEVY SENCRL

ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES DrsquoASSURANCES DE PERSONNES INC

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

BANQUE NATIONALE GESTION PRIVEacuteE 1859

BDO CANADA SRLSENCRL

BELL CANADA

BLUE BRIDGE

BMO BANQUE PRIVEacuteE HARRIS

BMO SOCIEacuteTEacute DrsquoASSURANCE-VIE

BOILY HANDFIELD CA

BRASSARD GOULET YARGEAU SERVICES FINANCIERS INTEacuteGREacuteS

CANADIEN NATIONAL

CARSWELL UNE SOCIEacuteTEacute THOMSON REUTERS

CENTRE QUEacuteBEacuteCOIS DE FORMATION EN FISCALITEacute ndash CQFF INC

CHAMBRE DE LA SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE

CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUEacuteBEC

CIRQUE DU SOLEIL

CONSEILS PPI

DELOITTE SENCRL

DEMERS BEAULNE SENCRL

DENTONS CANADA SENCRL

DESJARDINS SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE ndash MONTREacuteAL

DUFOUR CHARBONNEAU BRUNET amp ASSOCIEacuteS INC COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS

DYNAVISIONRS amp DE

EKITAS

ENGEL CHEVALIER ndash PROTECTION DU PATRIMOINE

ERNST amp YOUNG SRLSENCRL

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN SENCRL SRL

FEacuteDEacuteRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUEacuteBEC

FINALTA CAPITAL CII-ITC INC

FINANCIEgraveRE MANUVIE

FINANCIEgraveRE SUN LIFE

FISC-CAP SERVICES CONSEILS INC

FONDAFIP

GALLANT amp ASSOCIEacuteS SENCRL

GAZ MEacuteTRO

GESTION PLACEMENTS DESJARDINS

GESTION PRIVEacuteE DE PATRIMOINE CIBC

GROUPE CLOUTIER INC

GROUPE FINANCIER MULTI COURTAGE INC

HARDY NORMAND amp ASSOCIEacuteS SENCRL

INDUSTRIELLE ALLIANCE ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC

INOVEX CONSEILS INC

INSTITUT QUEacuteBEacuteCOIS DE PLANIFICATION FINANCIEgraveRE (IQPF)

INTACT CORPORATION FINANCIEgraveRE

INVESTISSEMENT QUEacuteBEC

INVESTISSEMENTS MANUVIE

KPMG SRLSENCRL

LA CAPITALE ASSURANCES MFQ INC

LA COMPAGNIE DrsquoASSURANCE DU CANADA SUR LA VIE

LA COOP FEacuteDEacuteREacuteE

LAVERY

LEMIEUX CANTIN SENCRL

LEMIEUX NOLET COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS SENCRL

MALLETTE SENCRL

MNP SENCRL SRL

OPTION FORTUNE CABINET DE SERVICES FINANCIERS

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS DU QUEacuteBEC

OSLER HOSKIN amp HARCOURT SENCRLSRL

PETRIE RAYMOND CPA SENCRL

POWER CORPORATION DU CANADA

PREMTEC ndash GEacuteNIE-CONSEIL EN CREacuteDITS DrsquoIMPOcircT DE RS amp DE

PUBLICATIONS CCH LTEacuteE

PWC

RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON SENCRL

RICHARDSON GMP LTEacuteE

RICHTER

RIO TINTO CANADA

SERVICES DE GESTION DE PATRIMOINE RBCDOMINION VALEURS MOBILIEgraveRES

TE MIRADOR

TROWBRIDGE PROFESSIONAL CORPORATIONCABINET DE FISCALITEacute

UNIVERSITEacute DE MONTREacuteAL ndash DIVISION DES DONS MAJEURS ET PLANIFIEacuteS

VILLENEUVE VENNE SENCRL

  • Revue de planification fiscale et financiegravere
  • COMITEacute DE LA REVUE
  • POLITIQUE EacuteDITORIALE
  • SOMMAIRE
  • LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES
  • TABLE DES MATIEgraveRES
Page 3: pages debut 33-3

Cette publication doit ecirctre citeacutee (2013) vol 33 no 3 Revue de planification fiscale et financiegravere

Les opinions exprimeacutees dans cette publication sont propres aux auteurs des articles Lrsquoexactitude des citations et des reacutefeacuterences relegraveve de la responsabiliteacute des auteurs

Veuillez adresser toute correspondance agrave

APFF 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal (Queacutebec) H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ndash (sans frais) 1 877 866-2733 Teacuteleacutecopieur (514) 866-0113 ndash (sans frais) 1 877 866-0113 Courriel apffapfforg ndash Site Internet wwwapfforg

copy 2013 Association de planification fiscale et financiegravere Tous droits reacuteserveacutes La reproduction ou transmission sous quelque forme ou par quelque moyen (eacutelectronique ou meacutecanique y compris la photocopie lrsquoenregistrement ou lrsquointroduction dans tout systegraveme informatique ou de recherche documentaire) actuellement connu ou non encore inventeacute de toute partie de la preacutesente publication faite sans le consentement eacutecrit de lrsquoeacutediteur est interdite sauf dans le cas ougrave quelqursquoun deacutesire citer de courts extraits Dans ce dernier cas mention doit absolument ecirctre faite et de lrsquoauteur et de la revue comme source de reacutefeacuterence ISSN 1924-9837 Deacutepocirct leacutegal 3e trimestre 2013 Bibliothegraveque nationale du Queacutebec Bibliothegraveque nationale du Canada Courrier de la 2e classe enregistrement no 40065217

COMITEacute DE LA REVUE PREacuteSIDENTE

Chantal Jacquier avocate LL M COORDONNATRICE

Diane Gagnon avocate Directrice de lrsquoeacutedition APFF MEMBRES

Marie-Pierre Allard avocate M Fisc Professeure titulaire Faculteacute drsquoadministration Universiteacute de Sherbrooke

Kathleen Comeau M Fisc Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

Christiane Maurice avocate LLM fisc Richter

Michel Ostiguy avocat LL B M Fisc

Dave Santerre CPA CA LLM fisc PwC

Hugo Tremblay CPA CA KPMG srlsencrl

Julie Heacutelegravene Tremblay avocate M Fisc Dufour Charbonneau Brunet amp Associeacutes inc Comptables professionnels agreacuteeacutes

Jean-Pierre Vidal CPA CA Ph D Professeur agreacutegeacute HEC Montreacuteal MEMBRE DrsquoOFFICE Maurice Mongrain avocat Preacutesident-directeur geacuteneacuteral APFF

POLITIQUE EacuteDITORIALE

La Revue est geacuteneacuteralement publieacutee quatre fois par anneacutee et est distribueacutee agrave tous les membres de lrsquoAPFF Elle preacutesente des textes qui contribuent agrave lrsquoavancement des connaissances et agrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences en matiegravere fiscale et financiegravere Ses lecteurs sont des experts chevronneacutes avocats notaires experts-comptables eacuteconomistes et autres professionnels

Les textes soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue ne doivent pas avoir eacuteteacute publieacutes ailleurs ni ecirctre soumis agrave un autre eacutediteur sauf exception et selon entente entre lrsquoAPFF et un autre eacutediteur Ils doivent ecirctre non seulement ineacutedits mais aussi drsquoune grande rigueur Ils sont soumis agrave titre gracieux au beacuteneacutefice de lrsquoAPFF Tout texte soumis doit ecirctre reacutedigeacute en franccedilais Il ne doit normalement pas deacutepasser 17 500 mots (environ 35 pages) Il est recommandeacute de suivre le guide de preacutesentation des textes de lrsquoAPFF

Les textes soumis font lrsquoobjet drsquoune double lecture agrave lrsquoaveugle lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur nrsquoest pas connue des reacuteviseurs au moment de lrsquoeacutevaluation Bien que certains reacuteviseurs ad hoc puissent aussi ecirctre consulteacutes les reacuteviseurs sont geacuteneacuteralement choisis parmi les membres du comiteacute de la Revue

Un texte soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue peut ecirctre

1) accepteacute drsquoembleacutee

2) accepteacute apregraves que lrsquoauteur eut apporteacute les modifications requises par le preacutesident du comiteacute sur lrsquoavis des reacuteviseurs

3) refuseacute

Lrsquoauteur dont le texte est accepteacute pour publication doit soumettre un reacutesumeacute de 200 agrave 300 mots en franccedilais et en anglais (preacutecisabstract)

Les textes accepteacutes sont ensuite revus et corrigeacutes par le service drsquoeacutedition de lrsquoAPFF conformeacutement aux normes de preacutesentation de lrsquoAPFF pour leur publication dans la Revue

Toute personne inteacuteresseacutee agrave publier dans la Revue de planification fiscale et financiegravere est inviteacutee agrave soumettre un texte agrave lrsquoAPFF et agrave communiquer agrave cet effet avec Me Diane Gagnon directrice de lrsquoeacutedition et coordonnatrice du comiteacute de la Revue par teacuteleacutephone au 514 866-2733 (poste 209) ou sans frais au 1 877 866-2733 (poste 209) ou agrave lrsquoadresse eacutelectronique suivante gagnondapfforg

SOMMAIRE

Vol 33 no 3 2013

Le casse-tecircte de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees le principe de pleine concurrence au XXIe siegravecle Gilles Larin et Sylvie Beaulieu 429

Dans quelle mesure les socieacuteteacutes deacutetenues

par les bandes indiennes beacuteneacuteficient-elles drsquoune exemption fiscale Pierre Brosseau 527

Bourse Jacques-Cocircteacute ndash

Lrsquoeffet du lien de deacutependance sur lrsquoassurabiliteacute dans le cadre de la Loi sur lrsquoassurance-emploi synthegravese des critegraveres applicables Alex Boisvert et Maxime Dupuis 583

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 429

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION

INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE

Gilles Larin Ph D Professeur

Deacutepartement de fiscaliteacute Faculteacute drsquoadministration

Universiteacute de Sherbrooke et Titulaire de la Chaire de recherche

en fiscaliteacute et en finances publiques de lrsquoUniversiteacute de Sherbrooke

et Sylvie Beaulieu

Notaire M Fisclowast Revenu Queacutebec

lowast Me Beaulieu eacutetait professionnelle de recherche agrave la CFFP lors de la reacutealisation de

cette eacutetude Les opinions exprimeacutees nrsquoengagent que les auteurs ces derniers assumant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des commentaires et des interpreacutetations figurant dans cette eacutetude et ne repreacutesentent en aucune faccedilon celles de Revenu Queacutebec

430 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

PREacuteCIS

Les principes de la fiscaliteacute internationale ont eacuteteacute eacutetablis en fonction drsquoun monde eacuteconomique dont la nature a aujourdrsquohui consideacuterablement changeacute du fait notamment de la croissance de la mondialisation ainsi que du deacuteveloppement des systegravemes de communication sophistiqueacutes et de la technologie de lrsquoinformation Il en reacutesulte que lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux fins de fixer les prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees drsquoune entreprise multinationale hautement inteacutegreacutee constitue maintenant un deacutefi tant pour les administrations fiscales des pays deacuteveloppeacutes et des pays en deacuteveloppement que pour les entreprises multinationales Cette eacutetude rend compte de lrsquoeacutetat de la question sur lrsquoanachronisme preacutetendu du principe de pleine concurrence comme norme internationale de reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoune entreprise multinationale En particulier elle retrace lrsquoeacutevolution historique de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et traite de la technicisation du concept dans les guides interpreacutetatifs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE En outre elle met en lumiegravere les aspects theacuteorique juridique et politique du deacutebat controverseacute relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence et son remplacement eacuteventuel par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Pour terminer lrsquoeacutetude discute des efforts consentis par lrsquoOCDE pour adapter les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence au contexte du commerce international moderne Les auteurs concluent que faute drsquoune meilleure solution de rechange la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence est requise mais ne pourra avoir lieu que si elle est guideacutee par un esprit de pragmatisme similaire agrave celui qui animait dans les anneacutees 1930 1940 et 1950 les administrations fiscales nationales

ABSTRACT

World economic events were quite different when the armrsquos length principle was established in international taxation Since those times international trade especially within related groups of companies has grown at an unprecedented rate It was fueled by instantaneous communication and forever evolving information technologies As a consequence the application of the armrsquos length principle in order to set internal pricing between highly integrated companies at home and abroad often referred to as a multinational enterprise (MNE) has provided a serious challenge This is true for tax administrations worldwide both in developed and emerging countries while planning and compliance has for its part created substantial burdens for MNEs This article addresses the issue as to whether the

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 431

opponents of the armrsquos length principle are on firm grounds when they assert that the principle is supposedly ill-suited to the current times In particular the article reviews in detail the historical trends which were present in the evolution of the principle through the theoretical models of the OECD and United Nations bilateral tax treaties It also illustrates how the principle came to be moored in ever increasing technicalities throughout the interpretive guidelines developed by the OECD It also brings forward the theoretical judicial and political aspects of the controversy generated by those who argued that the armrsquos length principle should be thrown out and rapidly replaced by some version of a global distribution of profits using a predetermined mathematical formula Furthermore the article shows the energy deployed by the OECD to adapt the armrsquos length principle to current standards of international trade The authors conclude that failing any better solution what is required is for the OECD to continue refining how the armrsquos length principle should be applied This option is however unlikely to succeed unless it is inspired by the pragmatic spirit present throughout national tax administrations in the 1930s 1940s and the 1950s

432 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 435

Premiegravere partie ndash Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor dune norme internationale

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 439

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL 441

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935 448

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 453

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE (1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES EacuteTATS-UNIS 454

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU (1980) 458

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES 462

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS 463 311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE 463 312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE 466 313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE 469

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT 472 321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes

directrices de lrsquoOCDE 473 322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de

lrsquoONU 474

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 433

Deuxiegraveme partie ndash Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour dune norme internationale

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES 479

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES CRITIQUES ET DES CONJECTURES 481 411 Les failles du concept de pleine concurrence selon

les acteurs de la controverse 482 412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse 486

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES INCERTITUDES 490 421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence

comme norme de reacutefeacuterence 490

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE 494

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS 495 511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial

et leacutegislatif 495 512 La persistance du rejet international de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices 498 52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE 502 521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les

eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial 502

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes 504

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU 508

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION 508

434 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international 509

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication 511

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES 516 621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international 517 622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale 522

CONCLUSION 524

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 435

INTRODUCTION

Domaine eacuteminemment mysteacuterieux pour le grand public la deacutetermination des prix de transfert nrsquoa longtemps souleveacute lrsquointeacuterecirct que drsquoun cercle restreint de professionnels de la fiscaliteacute internationale speacutecialiseacutes en la matiegravere Malgreacute sa consideacuterable complexiteacute il nrsquoen constitue pas moins un sujet de grande actualiteacute Les noms de Google Apple Dole Starbucks Glaxo et Pfizer font agrave preacutesent la manchette des pages eacuteconomiques de la presse eacutecrite internationale y compris celles des revues de prestige Depuis quelques anneacutees deacutejagrave les meacutedias de presse reacuteveillent les esprits en deacutevoilant au grand jour quelques strateacutegies drsquooptimisation fiscale deacuteployeacutees par les entreprises multinationales pour minimiser leur fardeau fiscal mondial

La description de ces strateacutegies ingeacutenieuses en geacuteneacuteral parfaitement leacutegales attire et retient lrsquoattention drsquoun lectorat souvent indigneacute Les journalistes deacutetaillent la mise en place de structures et de formes organisationnelles complexes conccedilues pour reacutepartir et coordonner les activiteacutes internationales notamment des filiales reacutesidant dans des pays qui servent de refuges fiscaux De plus ces strateacutegies comportent la conclusion drsquoententes contractuelles concernant les risques assumeacutes et les fonctions exerceacutees par les socieacuteteacutes membres des entreprises multinationales drsquoougrave les risques de manipulations des prix de transfert

Mais que sont au juste les prix de transfert Bien qursquoils soient souvent deacutefinis par les meacutedias comme une technique de planification fiscale ils deacutesignent plutocirct en fait les prix convenus agrave lrsquooccasion des cessions internes de biens et de services entre des socieacuteteacutes qui sont assujetties agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices par des pays diffeacuterents et qui sont membres drsquoune mecircme entreprise multinationale Les administrations fiscales eacutevaluent les prix de transfert des entreprises multinationales agrave lrsquoaune de prix hypotheacutetiques soit ceux qui auraient eacuteteacute convenus par des socieacuteteacutes transigeant agrave distance dans des transactions similaires Le concept theacuteorique internationalement accepteacute qui reacutegit les rajustements des prix de transfert des transactions transfrontaliegraveres effectueacutees entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale est appeleacute laquo principe de pleine concurrence raquo

Quelques auteurs expriment lrsquoopinion que le principe de pleine concurrence lrsquoun des concepts cleacutes du systegraveme actuel de la fiscaliteacute internationale des entreprises consiste en un concept totalement deacutepasseacute

436 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

voire anachronique1 Dans la litteacuterature fiscale un certain courant de penseacutee remet en question lrsquoutilisation du principe de pleine concurrence agrave lrsquoeacutechelon international et parallegravelement envisage mecircme son remplacement par un concept jugeacute plus moderne soit la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Nous proposons drsquoexplorer ici lrsquohypothegravese de travail sous-tendant ce courant de penseacutee et drsquoen examiner les aspects theacuteorique juridique et politique Vu lrsquoenvergure du sujet lrsquoeacutetude se limite agrave deacuteterminer dans le contexte preacutecis de la reacutepartition des beacuteneacutefices reacutesultant des transactions intersocieacuteteacutes au sein des entreprises multinationales agrave lrsquoexclusion des eacutetablissements stables si le principe de pleine concurrence est toujours un principe adeacutequat au XXIe siegravecle pour fixer les prix de transfert

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude nous preacutesentons un panorama de la genegravese de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit fiscal international public et mettons en eacutevidence lrsquoinfluence importante exerceacutee par les Eacutetats-Unis sur cet essor Nous analysons agrave cette fin les phases du deacuteveloppement du texte de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale Puis nous eacutetudions les instruments et les outils fiscaux eacutelaboreacutes agrave compter des anneacutees 1960 par les organisations internationales dans le but de preacuteciser srsquoils tiennent ou non pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative

Dans la deuxiegraveme partie nous passons en revue les arguments de la controverse ameacutericaine autour du principe de pleine concurrence2 En plus drsquoexposer les failles conceptuelles du principe de pleine concurrence nous 1 Dans lrsquoarticle intituleacute laquo The Unitary Method and the Myth of Armrsquos Length raquo (1986)

30 Tax Notes 625 (LexisNexis) Stanley I LANGBEIN affirme agrave la page 596 que laquo there is general agreement that armrsquos-length is an anachronism either because of a change in the nature of international business or because it served political purposes that are guarded against political dangers that are no longer potent forces in the world economy raquo Voir aussi Kerrie SADIQ laquo The Traditional Rationale of the Armrsquos Length Approach to Transfer Pricing minus Should the Separate Accounting Model Be Maintained for Modern Multinational Entities raquo (2004) vol 7 no 2 Journal of Australian Taxation 196 (en ligne httpwwwbusecomonasheduaubltjat2004-issue2-sadiqpdf) p 232 Joann M WEINER laquo Itrsquos Time to Adopt Formulary Apportionment raquo (2009) Worldwide Tax Daily 173-17 (Tax Analysts)

2 La preacutesente eacutetude ne traitant le principe de pleine concurrence que du point de vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays dans le monde ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 437

scrutons les reacutepercussions de cette controverse sur le consensus international en faveur du principe de pleine concurrence comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale En particulier nous nous questionnons sur la possibiliteacute pour un pays signataire de conventions fiscales calqueacutees sur les modegraveles theacuteoriques drsquoadopter unilateacuteralement dans une leacutegislation fiscale nationale une norme autre que le principe de pleine concurrence Nous discutons eacutegalement de la vraisemblance ou non de lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus international sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie eu eacutegard au contexte eacuteconomique mondial actuel Enfin nous eacutenumeacuterons quelques esquisses de solutions afin de moderniser les regravegles sur les prix de transfert

Premiegravere partie minus Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor drsquoune norme internationale

Lrsquohistoire des prix de transfert transfrontaliers deacutebute agrave peu de choses pregraves voilagrave presque un siegravecle avec la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations (laquo SDN raquo)3 et de la Chambre de commerce internationale (International Chamber of Commerce)4 Un groupe influent de chefs drsquoentreprises membres de lrsquoInternational Chamber of Commerce pousse alors la nouvelle organisation internationale qui regroupe au deacutebut 42 pays membres5 principalement des pays deacuteveloppeacutes agrave se pencher sur un problegraveme commenccedilant agrave poindre au lendemain de la Premiegravere Guerre mondiale la double imposition potentielle des entreprises multinationales engendreacutee par lrsquoasymeacutetrie des systegravemes drsquoimposition nationaux6 Le problegraveme de

3 Le pacte constitutif de la SDN est incorporeacute dans la partie I du Traiteacute de Versailles

28 juin 1919 Paris Berger-Levrault 1922 pp 1-22 lequel a eacuteteacute conclu entre les pays allieacutes et lrsquoAllemagne pour mettre fin agrave la Premiegravere Guerre mondiale Ce traiteacute et ce pacte ont pris effet le 10 janvier 1920 Agrave ce propos consulter en ligne httpwwwunogch80256EDD006B8954(httpAssets)B8138644CCCD10BEC1256F3400484CA3$filesdn_chronologiepdf

4 Fondeacutee agrave Paris en 1919 lrsquoInternational Chamber of Commerce consiste en une organisation mondiale des entreprises Pour un bref historique de cette organisation voir en ligne httpiccwboorgabout-icchistorythe-merchants-of-peace

5 Voir en ligne httpcyberschoolbusunorgunintrounintro3htm et Traiteacute de Versailles preacuteciteacute note 3 p 22 Bien que lrsquoideacutee de creacuteer la SDN ait eacuteteacute lanceacutee par le preacutesident ameacutericain Woodrow Wilson les Eacutetats-Unis nrsquoy ont jamais adheacutereacute puisque le Seacutenat ameacutericain nrsquoa pas ratifieacute le Traiteacute de Versailles Sur ce point consulter en ligne httpwwwsenategovreferencereference_itemVersailleshtm

6 Les textes des reacutesolutions preacutesenteacutees par lrsquoInternational Chamber of Commerce lors de la Confeacuterence financiegravere internationale organiseacutee par la SDN agrave Bruxelles en 1920 en

(agrave suivrehellip)

438 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale devient vite une preacuteoccupation importante de la SDN car les entreprises multinationales ameacutericaines et europeacuteennes tendent de plus en plus agrave utiliser durant la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres des filiales eacutetrangegraveres pour acceacuteder aux marcheacutes exteacuterieurs7 Bien que certains Eacutetats recourent deacutejagrave agrave des conventions fiscales internationales pour reacutepartir les revenus des entreprises dont les activiteacutes sont exerceacutees dans plus drsquoun pays lrsquousage de telles conventions demeure encore peu reacutepandu dans le monde8

Degraves 1921 le Comiteacute financier formeacute par la SDN confie agrave quatre eacuteconomistes le mandat de reacutealiser une eacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition Appeleacutes agrave deacuteterminer si notamment des principes geacuteneacuteraux peuvent ecirctre formuleacutes comme fondement drsquoune convention fiscale internationale pour eacuteliminer les conseacutequences neacutefastes de la double imposition les professeurs universitaires Bruins Einaudi Seligman et Stamp se gardent dans le rapport publieacute en 19239 de recommander un critegravere en particulier pour diviser les beacuteneacutefices geacuteneacutereacutes par les activiteacutes exerceacutees dans plusieurs Eacutetats Prudents ils suggegraverent plutocirct drsquoexaminer au preacutealable lrsquoexpeacuterience pratique des pays qui appliquent deacutejagrave

(hellipsuite)

font foi LEAGUE OF NATIONS Brussels Financial Conference 1920 The Recommendations and their Application A Review After Two Years C10M71923II Genegraveve 1922 annexe 1 p 228

7 John H DUNNING et Sarianna M LUNDAN Multinational Enterprises and the Global Economy 2e eacuted Northampton Edward Elgar 2008 pp 735-737

8 Notamment lrsquoAutriche la Tcheacutecoslovaquie la Hongrie lrsquoItalie la Pologne le Royaume des Serbes Croates et Slovegravenes ainsi que la Roumanie agrave savoir les pays neacutes agrave la suite de la dislocation apregraves la Premiegravere Guerre mondiale de lrsquoEmpire austro-hongrois et les pays signataires en 1921 de la convention fiscale multilateacuterale de Rome Agrave ce sujet voir Double Taxation and Tax Evasion Report and Resolutions Submitted by the Technical Experts to the Financial Committee of the League of Nations F212 Genegraveve 1925 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 4 1962 pp 4071-4072 (HeinOnline) La premiegravere convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition a drsquoailleurs eacuteteacute conclue entre lrsquoEmpire austro-hongrois et la Prusse degraves 1899 Sur ce point consulter Sunita JOGARAJAN laquo Prelude to the International Tax Treaty Network 1815-1914 Early Tax Treaties and the Conditions for Action raquo (2011) vol 31 no 1 Oxford Journal of Legal Studies 679 pp 690 et suiv (HeinOnline Law Journal Library)

9 LEAGUE OF NATIONS Economic and Financial Commission Report on Double Taxation submitted to the Financial Committee by Professors Bruins Einaudi Seligman and Sir Josiah Stamp Genegraveve Imp Atar 1923

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 439

des critegraveres de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices avant de fixer ceux-ci dans un modegravele de convention fiscale internationale10

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

Les tout premiers modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales eacutelaboreacutes par la SDN ne renferment aucune meacutethode speacutecifique de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices pour les eacutetablissements stables ni pour les socieacuteteacutes lieacutees11 Contrairement au projet de convention fiscale bilateacuterale preacutesenteacute en 192712 les modegraveles approuveacutes en 192813 nrsquoassimilent plus les socieacuteteacutes lieacutees agrave des eacutetablissements stables mais ils sont muets quant agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices de celles-ci Ainsi lrsquoarticle 514 qui ne srsquoapplique qursquoaux beacuteneacutefices

10 Id pp 52-53 La courte liste des critegraveres de reacutepartition recenseacutes dans lrsquoaddenda au

rapport soit la valeur des ventes le capital total investi dans chaque pays lrsquoinventaire total dans chaque pays la valeur totale des biens immobiliers et les salaires et deacutepenses drsquoun eacutetablissement deacutenote agrave premiegravere vue la tendance naturelle des pays agrave attribuer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide drsquoune formule matheacutematique comportant au moins un facteur

11 Il srsquoagit bien entendu drsquoune omission intentionnelle Voir LEAGUE OF NATIONS Report to the Council on the Fourth Session of the Committee C399M2041933IIA Genegraveve 1933 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 p 4242 (HeinOnline)

12 Les alineacuteas 1 3 et 4 de lrsquoarticle 5 reacutedigeacute par le Comiteacute drsquoexperts techniques sur la double imposition introduisent respectivement le concept drsquoeacutetablissement stable lrsquoideacutee de la reacutepartition des revenus selon la source et la tenue implicite drsquoune comptabiliteacute distincte agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables tandis que lrsquoalineacutea 2 preacutevoit notamment que les laquo affiliated companies [hellip] shall be regard as permanent establishments raquo Voir LEAGUE OF NATIONS Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the Committee of Technical Experts on Double Taxation and Tax Evasion C216M851927II Genegraveve 1927 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4124-4125 (HeinOnline)

13 Vu lrsquoabsence drsquouniformiteacute des diffeacuterents systegravemes fiscaux les modegraveles incluent trois variantes soit les textes Ia Ib et Ic selon que les pays preacutelegravevent ou non des impocircts reacuteels (impersonal taxes) et des impocircts personnels (personal taxes) Voir LEAGUE OF NATIONS General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion C562M1781928II Genegraveve 1928 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4161-4175 (HeinOnline)

14 Texte Ia id p 4162

(agrave suivrehellip)

440 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gagneacutes par les eacutetablissements stables se limite agrave eacutenoncer que lorsque les succursales nrsquoont pas de comptes comptables distincts de ceux de la socieacuteteacute megravere les Eacutetats contractants dans lesquels une entreprise possegravede un eacutetablissement stable doivent convenir entre eux des regravegles de la reacutepartition des beacuteneacutefices Or comme ces regravegles peuvent suivant les commentaires reacutedigeacutes par la SDN relativement agrave lrsquoarticle 5 du modegravele Ia ecirctre baseacutees entre autres sur le capital investi et les salaires verseacutes15 elles leacutegitiment ouvertement du moins agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables la reacutepartition par les administrations fiscales des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique simple

Quoi qursquoil en soit crsquoest en 1930 que la proposition drsquoune enquecircte sur le terrain formuleacutee sept ans auparavant par les universitaires auteurs de lrsquoeacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition devient reacutealiteacute16 Du coup lrsquoeacutelan initial agrave lrsquoeacutemergence du concept de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales au XXe siegravecle est donneacute Incorporeacutees pendant les anneacutees 1930 et 1940 dans les modegraveles eacutelaboreacutes par la SDN les dispositions speacutecifiques concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees seront reprises par lrsquoOrganisation

(hellipsuite)

laquo Article 5

Income not referred to in Article 7 from any industrial commercial or agricultural undertaking and from any other trades or professions shall be taxable in the State in which the permanent establishments are situated

The real centres of management branches mining and oilfields factories workshops agencies warehouses offices depots shall be regarded as permanent establishments [hellip]

Should the undertaking possess permanent establishments in both Contracting States each of the two States shall tax the portion of the income produced in its territory The competent administrations of the two Contracting States shall come to an arrangement as to the basis for apportionment raquo (Notre soulignement)

Les dispositions de lrsquoarticle 5 du texte Ia reprennent en substance sauf pour ce qui concerne le rapprochement des socieacuteteacutes lieacutees avec les succursales le texte de lrsquoarticle 5 tel qursquoil se lisait dans le projet de convention de 1927 de la SDN C216M851927II preacuteciteacute note 12

15 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 p 4166 16 LEAGUE OF NATIONS Fiscal Committee Report to the Council of the Work of the

Second Session of the Committee C340M1401930II Genegraveve 1930 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4209-4210 (HeinOnline)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 441

de coopeacuteration et de deacuteveloppement eacuteconomiques (laquo OCDE raquo) et lrsquoOrganisation des Nations unies (laquo ONU raquo) apregraves la Seconde Guerre mondiale pour tenter de reacutesoudre le problegraveme de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale

Cette vaste enquecircte dont les travaux srsquoeacutetendent de 1930 agrave 1933 consiste en la toute premiegravere eacutetude de droit compareacute sur la question de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale en droit international public Reacutealiseacutee sous les auspices de la SDN elle est dirigeacutee par un avocat ameacutericain speacutecialiseacute en droit fiscal international Mitchell B Carroll alors chef de la section de la leacutegislation et des impocircts europeacuteens au deacutepartement du Commerce des Eacutetats-Unis17 Les conclusions tireacutees par Carroll servent de point de deacutepart agrave lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence tel que nous le connaissons aujourdrsquohui dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU18 En fait tous les modegraveles theacuteoriques eacutelaboreacutes par la SDN avant la Seconde Guerre mondiale integravegrent sans exception le concept de pleine concurrence

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION

DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL

Financeacutee par la fondation ameacutericaine Rockefeller19 cette eacutetude a pour but drsquoinvestiguer aupregraves des administrations fiscales de 35 pays les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des entreprises y compris les socieacuteteacutes megraveres les succursales et les filiales exerccedilant des activiteacutes dans au moins deux pays20 Au deacutebut de lrsquoanneacutee 1931 Carroll entreprend une expeacutedition fiscale autour du monde Il se rend dans pas moins de 27 pays pour srsquoinstruire des leacutegislations fiscales nationales et rencontrer certains cadres supeacuterieurs des bureaux drsquoimpocirct Agrave vrai dire la reacutepartition comptable des

17 Membre en tant que repreacutesentant des Eacutetats-Unis du Comiteacute drsquoexperts fiscaux sur la

double imposition mandateacute par la SDN pour reacutediger le projet de convention bilateacuterale de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 il est preacutesident du Comiteacute fiscal de la SDN de 1938 agrave 1946 et premier preacutesident de lrsquoAssociation fiscale internationale de 1939 agrave 1978

18 Mitchell B CARROLL Methods of Allocating Taxable Income dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol IV Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpsetislibraryusydeduaupubotbintoccer-newid=cartaxasgmlamptag= lawampimages=acdpgifsampdata=usrotamppart=0) (laquo Rapport Carroll raquo)

19 La SDN a reccedilu deux dons en argent pour un total de 140 000 $ 90 000 $ en 1930 et 50 000 $ en 1933 Voir LEAGUE OF NATIONS C340M1401930II preacuteciteacute note 16 et C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4241

20 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 p 9

442 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutefices ne constitue pas agrave ce moment-lagrave un problegraveme urgent pour tous les types drsquoentreprises et tous les pays Ce sont les Eacutetats-Unis le Royaume-Uni lrsquoAllemagne et le Japon qui rencontrent des difficulteacutes lieacutees surtout aux activiteacutes commerciales des entreprises industrielles en particulier les revenus tireacutes de la production dans un pays et de la vente dans un autre pays de matiegraveres premiegraveres telles le caoutchouc les meacutetaux et le peacutetrole21

Les conclusions de cette eacutetude publieacutees en 1933 posent les premiers jalons historiques du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public22 Apregraves avoir examineacute les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales relatives aux meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Carroll propose deux principes fondamentaux comme piliers drsquoun systegraveme eacutequitable de reacutepartition des beacuteneacutefices de tous les types drsquoentreprises multinationales le principe de lrsquoentreprise indeacutependante et le principe de la comptabilisation seacutepareacutee23 Notion cleacute du rapport le premier principe qui eacutenonce que les filiales et dans la mesure du possible les succursales doivent ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises

21 Id par 1 Dans une moindre mesure les revenus des entreprises commerciales tireacutes

de la production et de la vente dans des pays diffeacuterents de produits manufactureacutes font aussi problegraveme Au contraire les entreprises œuvrant dans le secteur des services (assurance transport eacutenergie eacutelectriciteacute gaz teacuteleacutegraphe teacuteleacutephone radio et cacircble) et des mines ne geacutenegraverent guegravere de difficulteacutes car tel qursquoil est exprimeacute aux paragraphes 489 et suivants elles nrsquoimpliquent en geacuteneacuteral que peu ou pas de transactions internationales

22 Lrsquoeacutetude comprend un total de cinq volumes distincts Les volumes I II et III contiennent les rapports des administrations fiscales de 23 pays et de trois Eacutetats ameacutericains deacutecrivant les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales concernant lrsquoimposition des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres et nationales Constituant le rapport principal le volume IV preacuteciteacute note 18 reacutedigeacute par Carroll est diviseacute en 12 chapitres les chapitres 1 agrave 11 preacutesentent une compilation succincte de la leacutegislation et des pratiques relatives agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices et le chapitre 12 les recommandations et conclusions La question de la reacutepartition y est abordeacutee selon deux points de vue les entreprises eacutetrangegraveres qui possegravedent des filiales ou des succursales nationales et les entreprises nationales qui possegravedent des filiales ou des succursales agrave lrsquoeacutetranger Bien que les mecircmes principes et meacutethodes srsquoappliquent aux entreprises eacutetrangegraveres et aux entreprises nationales la quasi-totaliteacute du rapport est neacuteanmoins consacreacutee aux entreprises eacutetrangegraveres vu qursquoelles ont susciteacute un plus grand nombre de difficulteacutes de reacutepartition que les entreprises nationales Quant au volume V preacutepareacute par le professeur Ralph C JONES Allocation Accounting for the Taxable Income of Industrial Enterprises dans Taxation of Foreign and National Enterprises Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 il analyse les meacutethodes de reacutepartition comptable pouvant ecirctre appliqueacutees

23 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 629 et 674

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 443

indeacutependantes24 supplante le concept de reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee lequel consiste agrave partager selon une formule matheacutematique le revenu net total provenant de toutes les activiteacutes commerciales drsquoune entreprise deacutejagrave utiliseacutee en Espagne et en Suisse25 Quant au second principe il exprime de maniegravere expresse la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation implicite deacutejagrave formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 de lrsquoun des modegraveles de convention fiscale bilateacuterale de 192826 de comptabiliser seacutepareacutement les activiteacutes des eacutetablissements stables de celles des autres entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale27

24 Lrsquoeacutetude reacutevegravele que plusieurs entreprises multinationales assimilent agrave des fins fiscales

les filiales agrave des succursales et incluent les beacuteneacutefices des filiales agrave leurs beacuteneacutefices annuels totaux Ce comportement des entreprises est conforme agrave lrsquoesprit et agrave la lettre de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 lequel consideacuterait les filiales et les succursales comme des eacutetablissements stables Par ailleurs les administrations fiscales de la plupart des pays tiennent compte de lrsquoexistence juridique distincte des filiales domestiques qui transigent dans des conditions normales de concurrence avec une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere elles appliquent la meacutethode de la comptabilisation distincte examinent les beacuteneacutefices lieacutes aux transactions intersocieacuteteacutes pour veacuterifier lrsquoexactitude des comptes comptables des filiales et si les comptes sont inadeacutequats estiment les beacuteneacutefices au moyen de lrsquoune des meacutethodes empiriques employeacutees pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 384 Cependant certaines administrations fiscales srsquoappuient sur lrsquoune ou lrsquoautre des theacuteories suivantes pour rajuster la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere et ses filiales domestiques qui ne transigent pas dans des conditions normales de concurrence les filiales sont soit des entreprises indeacutependantes du point de vue juridique des mandataires de la socieacuteteacute megravere (cotisation de la socieacuteteacute megravere sur les beacuteneacutefices reacuteputeacutes gagneacutes par les filiales) ou elles ne constituent qursquoune seule entiteacute eacuteconomique avec la socieacuteteacute megravere Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 386 agrave 398

25 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 122 et 173 Il srsquoagit drsquoune meacutethode empirique qui comporte une formule matheacutematique en vertu de laquelle le revenu net total consolideacute drsquoune entreprise est diviseacute entre toutes les entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale soit la socieacuteteacute megravere les filiales et les succursales en proportion de facteurs comme les actifs le chiffre drsquoaffaires le registre des salaires ou un pourcentage preacutedeacutetermineacute Toutefois la reacutepartition fractionneacutee est dite limiteacutee lorsque le revenu net total de lrsquoentreprise objet de la reacutepartition provient seulement de certaines activiteacutes commerciales

26 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 27 La grande majoriteacute des entreprises ne traitait pas les eacutetablissements locaux

(succursales et filiales) comme des entreprises virtuellement indeacutependantes ou des uniteacutes autonomes et les veacuterificateurs fiscaux devaient rajuster les comptes comptables en se fondant sur les renseignements disponibles ou des meacutethodes empiriques y compris la reacutepartition fractionneacutee Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6

444 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Toutefois agrave la lecture du rapport la conclusion de Carroll voulant que la meacutethode de la comptabilisation distincte preacutevale sur les autres meacutethodes en usage pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et les eacutetablissements stables eacutetonne de prime abord28 Les reacutesultats de lrsquoeacutetude reacutevegravelent certes que les administrations fiscales appliquent en geacuteneacuteral des meacutethodes de reacutepartition issues de la pratique administrative car les systegravemes fiscaux nationaux de la plupart des 35 pays examineacutes ne comportent pas de mesures leacutegislatives concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes dans plus drsquoun pays eacutetablissements stables et filiales confondus29 Sans mecircme connaicirctre le degreacute drsquoefficaciteacute reacuteel de cette meacutethode ni le pourcentage des administrations fiscales ayant recours aux meacutethodes empiriques comme meacutethodes secondaires Carroll srsquoen tient agrave infeacuterer que la meacutethode de la comptabilisation distincte est adopteacutee par le plus grand nombre de pays comme meacutethode principale30 Il paraicirct drsquoailleurs accorder

28 Id par 120-122 Carroll classifie les diffeacuterentes meacutethodes de reacutepartition en usage

dans les trois cateacutegories suivantes la meacutethode de la comptabilisation distincte les meacutethodes empiriques et la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee La meacutethode de la comptabilisation distincte deacutesigne simplement lrsquoutilisation par les administrations fiscales des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables comme point de deacutepart des veacuterifications En outre les meacutethodes empiriques permettent aux administrations fiscales drsquoestimer le revenu drsquoune entreprise lorsque les comptes comptables sont inexistants ou qursquoils ne reflegravetent pas correctement les revenus attribuables aux cessions internes Les administrations fiscales procegravedent dans ces cas par comparaison directe du revenu drsquoune entreprise donneacutee avec celui drsquoune entreprise analogue ou encore par comparaison indirecte agrave lrsquoaide drsquoindicateurs par exemple les chiffres des ventes les actifs ou autres Fait agrave noter Carroll choisit drsquoinclure la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee dans une cateacutegorie distincte car deux pays lrsquoEspagne et la Suisse lrsquoutilisent comme meacutethode principale

29 Seuls les systegravemes fiscaux de lrsquoEspagne de lrsquoAutriche et des Eacutetats ameacutericains du Wisconsin de New York et du Massachusetts renferment des dispositions leacutegislatives mettant en œuvre la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25

30 Comme lrsquoindique R C JONES preacuteciteacute note 22 p 17 la meacutethode de la comptabilisation distincte nrsquoest pas une meacutethode de reacutepartition agrave proprement parler

laquo The term separate accounting does not refer to a single well-defined method but rather to a whole group of methods with a common aim Indeed separate accounting is only a point of view or an avenue of approach to the general problem of allocating business profits on a geographical basis The accounting methods by which the alllocation of profit may be accomplished must be as diverse as the conditions within the different industries are varied Separate accounting rests on the assumption that the different branches of an enterprise are separate business units which may be treated for accounting purposes practically as independent concerns raquo

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 445

une plus grande importance au fait que cette meacutethode est suivie dans les pays reacuteputeacutes pour leur grande expeacuterience de lrsquoimpocirct sur le revenu et leur niveau eacuteleveacute des normes professionnelles comptables soit le Royaume-Uni le Commonwealth britannique des nations et les Eacutetats-Unis et que lrsquoInternational Chamber of Commerce la National Tax Association des Eacutetats-Unis ainsi que lrsquoAmerican Institute of Accountants en ont fait leur meacutethode de preacutedilection31

Aussi le sort de la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la division entre les entiteacutes formant une entreprise internationale au moyen drsquoune formule matheacutematique du revenu total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise est-il scelleacute prestement en quelques paragraphes32 Carroll nrsquoanalyse pas les avantages et les qualiteacutes intrinsegraveques de la meacutethode proposeacutee il se contente de souligner les inconveacutenients associeacutes agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique33 Crsquoest ainsi que non seulement les administrations fiscales de la plupart des pays examineacutes refusent de renoncer agrave exercer leur pouvoir drsquoimposition sur les beacuteneacutefices gagneacutes par les entreprises multinationales sur leur territoire respectif pour en permettre la reacutepartition conformeacutement agrave des facteurs arbitraires mais encore elles reconnaissent la difficulteacute en pratique de veacuterifier les comptes comptables drsquoun eacutetablissement stable preacutepareacutes dans une langue et une monnaie eacutetrangegraveres et selon des regravegles comptables diffeacuterentes Sans compter que la conclusion drsquoun accord entre les pays sur les beacuteneacutefices nets totaux et sur les critegraveres de reacutepartition repreacutesente eacutegalement un obstacle insurmontable34

(hellipsuite) Voir eacutegalement S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 qui agrave la page 635 exprime

lrsquoopinion que cette meacutethode ne comporte aucune regravegle de fond sur la faccedilon drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices notamment la recherche de donneacutees comparables ou la prise en consideacuteration de transactions fictives convenues entre des entreprises hypotheacutetiquement indeacutependantes

31 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 128 129 et 671 Voir aussi R C JONES preacuteciteacute note 22 p 15

32 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 33 Lindsay C CEacuteLESTIN The Formulary Approach to the Taxation of Transnational

Corporations A Realistic Alernative essai Universiteacute de Sydney 2000 (en ligne httpseslibraryusydeduaubitstream21238462adtU2002091713313802wholepdf) pp 33-34

34 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 288 et 670

446 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Par ailleurs le Rapport Carroll laisse lrsquoimpression que le principe de lrsquoentreprise indeacutependante ndash devenu aujourdrsquohui le principe de pleine concurrence ndash srsquoest imposeacute avant tout sur le plan du droit international afin de reacutesoudre les difficulteacutes lieacutees agrave la reacutepartition des eacutetablissements stables35 Carroll recommande aux administrations fiscales une meacutethode principale et des meacutethodes secondaires applicables agrave tous les types drsquoentreprises mais destineacutees uniquement agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses eacutetablissements stables La meacutethode principale se reacutesume agrave appliquer conjointement les deux principes fondamentaux crsquoest-agrave-dire traiter les eacutetablissements stables comme des entreprises non lieacutees entre elles ni agrave la socieacuteteacute megravere et imposer les beacuteneacutefices sur la base des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables Les meacutethodes empiriques y compris la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee des beacuteneacutefices se trouvent en conseacutequence cantonneacutees au titre de meacutethodes secondaires pour les eacutetablissements stables dans les cas ougrave la meacutethode dite principale est inapplicable

La reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoentreprise entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales agrave lrsquoeacutetranger occupe ainsi une place preacutepondeacuterante dans lrsquoeacutetude celle entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales eacutetrangegraveres eacutetant releacutegueacutee au second plan Drsquoautant plus que Carroll ne preacuteconise formellement aucune meacutethode pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales36 La

35 Id par 4 Agrave ce sujet voir Hubert HAMAEKERS laquo Armrsquos Length minus How Long raquo

(2001) MarsAvril International Transfer Pricing Journal 30 p 34 Sol PICCIOTTO laquo International Taxation and Intrafirm Pricing in Transnational Corporate Groups raquo (1992) vol 17 no 8 Accounting Organizations and Society 759-792 pp 766-767 et Richard VANN laquo Reflections on Business Profits and the Armrsquos-Length Principle raquo Legal Studies Research Paper No 10127 University of Sydney novembre 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfm abstract_id=1710945) pp 135-139

36 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 Pour Carroll les problegravemes de prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees contrairement aux eacutetablissements stables ne surgissent que dans le contexte de la manipulation deacutelibeacutereacutee des prix pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune socieacuteteacute lieacutee agrave une autre le but de la reacutepartition par les administrations fiscales eacutetant de deacuteterminer les beacuteneacutefices que la socieacuteteacute lieacutee aurait gagneacutes si elle avait traiteacute avec une entreprise indeacutependante En regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales tentent de recouvrer les beacuteneacutefices deacuteplaceacutes en analysant les transactions intersocieacuteteacutes agrave lrsquoaide des principes juridiques et commerciaux ou des comparaisons avec drsquoautres socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes similaires voir id par 627 Carroll nrsquointerdit pas explicitement lrsquoutilisation des meacutethodes empiriques bien que son point de vue ne semble pas admettre la possibiliteacute drsquoestimer les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees agrave lrsquoaide de meacutethodes secondaires Eacutenumeacutereacutees au paragraphe 385 les meacutethodes alors en usage pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune filiale nationale agrave la socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere sont les suivantes surfacturation des achats de la filiale sous-facturation des ventes de la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 447

litteacuterature fiscale ne permet pas de preacuteciser les raisons exactes qui expliquent cet eacutetat des choses Il est loisible de speacuteculer que dans les anneacutees 1930 la SDN montre en apparence moins drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard des filiales parce que la reacutepartition relative aux succursales des entreprises eacutetrangegraveres soulegraveve des difficulteacutes plus nombreuses que celle relative aux filiales37

Chose digne de remarque la meacutethode principale recommandeacutee par Carroll srsquoapparente agrave la pratique administrative deacuteveloppeacutee par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine pour reacutepartir les beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes sous controcircle commun Cette pratique qui facilite alors lrsquoapplication de lrsquoarticle 45 du United States Revenue Act of 192838 admet dans le cas ougrave (hellipsuite)

filiale agrave la socieacuteteacute megravere location intersocieacuteteacutes agrave un coucirct minime ou exorbitant et frais disproportionneacutes reacuteclameacutes pour des redevances ou drsquoautres services Mecircme srsquoil est parmi les premiers agrave affirmer que la manipulation des prix de cession interne permet aux entreprises multinationales de deacuteplacer leurs beacuteneacutefices dans les pays agrave faible taux drsquoimposition Carroll nrsquoaborde pas la question des refuges fiscaux lesquels commencent pourtant agrave se deacutevelopper dans les anneacutees 1930 Voir Ronen PALAN laquo The History of Tax Havens raquo octobre 2009 (en ligne httpwwwhistoryandpolicyorgpaperspolicy-paper-92html) et Christophe FARQUET laquo Lutte contre lrsquoeacutevasion fiscale lrsquoeacutechec de la SDN durant lrsquoentre-deux-guerres raquo (2009) vol 44 no 4 LrsquoEacuteconomie politique 93-112 (en ligne httpwwwcairninforevue-l-economie-politique-2009-4-page-93htm)

37 Le nombre eacuteleveacute de succursales et lrsquoabsence de comptabiliteacute distincte tenue agrave lrsquoeacutegard de celles-ci par les socieacuteteacutes megraveres sont vraisemblablement agrave lrsquoorigine de la multiplication des difficulteacutes

38 Pub L No 70-562 sect 45 XLV Stat 806 (en ligne httpconstitutionorguslawsal 045_itaxpdf) Eacutedicteacute en mai 1928 lrsquoarticle 45 qui preacuteceacutedait les articles 77 et 78 des Regulations No 41 Relative to War Excess Profits Tax Imposed by the War Revenue Act of 1917 (en ligne httparchiveorgdetailsregulationsrelat00unit) est une disposition leacutegislative anti-eacutevitement dont le texte est similaire agrave lrsquoactuel article 482 de lrsquoInternal Revenue Code of 1986 et mod qui confeacuterait au Commissaire de lrsquoInternal Revenue Service (laquo IRS raquo) dans les cas impliquant deux ou plusieurs entreprises controcircleacutees par les mecircmes inteacuterecircts le pouvoir de distribuer de reacutepartir et drsquoattribuer les revenus bruts ou les deacuteductions mais ne speacutecifiait aucune meacutethode de reacutepartition

laquo SEC 45 ALLOCATION OF INCOME AND DEDUCTIONS In any case of two or more trades or businesses (whether or not incorporated whether or not organized in the United States and whether or not affiliated) owned or controlled directly or indirectly by the same interests the Commissioner is authorized to distribute apportion or allocate gross income or deductions between or among such trades or businesses if he determines that such distribution apportionment or allocation is necessary in order to prevent evasion of taxes or clearly to reflect the income of any of such trades or businesses raquo

448 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les beacuteneacutefices drsquoune filiale ameacutericaine sont deacutelibeacutereacutement deacuteplaceacutes agrave une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere ou lorsque ceux drsquoune socieacuteteacute megravere ameacutericaine sont deacuteplaceacutes agrave une filiale eacutetrangegravere un rajustement des beacuteneacutefices comme si les transactions avaient eu lieu entre des personnes qui transigent dans des conditions de concurrence normale (as if they were dealing at armrsquos length with each other)39 Bien que les expressions dealing at armrsquos length et armrsquos length soient utiliseacutees agrave quelques reprises dans lrsquoeacutetude de Carroll40 lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo (armrsquos length principle) nrsquoy apparaicirct pas Pour tout dire rien ne permet drsquoaffirmer que du point de vue historique Carroll est le veacuteritable creacuteateur du concept theacuteorique de pleine concurrence41

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET

LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935

Souscrivant aux recommandations de Carroll le Comiteacute fiscal de la SDN propose en 1933 un projet de convention fiscale multilateacuterale pour reacutesoudre le problegraveme relatif agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices42 Reacutedigeacute par Carroll lui-mecircme43 ce projet de convention multilateacuterale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices gagneacutes par des socieacuteteacutes faisant des affaires dans plusieurs juridictions fiscales escamote les meacutethodes preacutecises pour ne comporter que les principes geacuteneacuteraux qui formulent les assises mecircmes du systegraveme actuel 39 Lrsquoadministration fiscale ameacutericaine utilise en pratique la meacutethode de la comptabiliteacute

distincte pour deacuteterminer les beacuteneacutefices des filiales ameacutericaines des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres Sur ce point voir le rapport preacutepareacute par les Eacutetats-Unis agrave lrsquooccasion de lrsquoeacutetude de Carroll Joseph WEARE et M L McMORRIS Tax System and Allocations Methods in the United States of America dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol I (France Germany Spain the United Kingdom and the United States of America) Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpadclibraryusydeduau searchsmode=simpleampkeyword=taxation+foreign+national+enterprises) partie III(A)I(d agrave f) Cette pratique administrative a drsquoailleurs eacuteteacute inteacutegreacutee dans le texte de lrsquoarticle 45-1(b) des Regulations 86 Relating to the Income Tax Under the Revenue Act of 1934 (en ligne httpwwwconstitutionorgtaxus-icregsRegs_86_for_1934_actpdf) adopteacute en 1935 il srsquoagit de la norme du contribuable non controcircleacute

40 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6 384 385 694 et 713 41 Certains auteurs en attribuent la paterniteacute au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

consulter H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 32 Malgreacute tout lrsquoabsence de certitude sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur et la date drsquoeacutelaboration laisse planer le mystegravere sur lrsquoorigine exacte du principe de pleine concurrence

42 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 43 Mitchell B CARROLL Global Perspectives of an International Tax Lawyer

Hicksville Exposition Press 1978 p 66

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 449

des regravegles sur les prix de transfert Le modegravele esquisseacute pose les seconds jalons du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public Incorporant sans surprise lrsquoideacutee de la fiction juridique de lrsquoentreprise indeacutependante et celle de la comptabiliteacute distincte exprimeacutees par Carroll dans lrsquoeacutetude internationale44 il ouvre ainsi la voie agrave lrsquointeacutegration reacuteelle du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale

Drsquoaucuns preacutetendent que Carroll avait un parti pris en faveur de lrsquoapplication conjugueacutee des principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoentreprise indeacutependante et cherchait agrave empecirccher lrsquoeacutemergence agrave lrsquoeacutechelon international de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee deacutejagrave appliqueacutee au niveau infranational aux Eacutetats-Unis45 Il est vrai que peu apregraves la publication des conclusions de lrsquoeacutetude Carroll affirmait que le projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de la SDN illustrait la victoire des partisans du principe de lrsquoentreprise indeacutependante sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices46 et qursquoil soutenait que le Comiteacute fiscal nrsquoadheacuterait pas au concept de lrsquoentreprise unitaire47 Il est mecircme possible que Carroll lequel avant de diriger lrsquoeacutetude de la SDN avait participeacute aux neacutegociations du traiteacute fiscal bilateacuteral Eacutetats-Unis-France48 ait eu accegraves aux renseignements sur les discussions et

44 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 45 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra

note 25 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 637 et L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 40 Pour un point de vue contraire voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 767 Parti pris ou non pour le concept qui deviendra le principe de pleine concurrence le reacutesultat associeacute agrave lrsquointention precircteacutee agrave tort ou agrave raison agrave Carroll sera neacuteanmoins atteint Le consensus international deacutegageacute agrave partir des anneacutees 1970 autour de ce concept aura pour ultime conseacutequence de supprimer toute velleacuteiteacute de la communauteacute internationale de passer agrave la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Sur ce point consulter la section 6 ci-dessous

46 Mitchell B CARROLL laquo Allocation of Business Income The Draft Convention of the League of Nations raquo (1934) vol 34 Columbia Law Review 473 (JSTOR) p 473

47 Mitchell B CARROLL laquo Taxation of Enterprises with International Interests raquo dans Lrsquoimposition des beacuteneacutefices et des profits de socieacuteteacutes anonymes agrave inteacuterecircts internationaux dans Cahiers de droit fiscal international vol I La Haye IFA 1939 p 254

48 Convention with France on the Subject of Double Taxation 27 avril 1932 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 1 1962 805 (HeinOnline) Ce traiteacute est la premiegravere convention fiscale internationale conclue par les Eacutetats-Unis pour preacutevenir la double imposition Agrave ce sujet voir Adrian A KRAGEN laquo Double Income Taxation Treaties The OECD Draft raquo (1964) vol 52 no 2 California Law Review 306-333 (HeinOnLine) p 306 Lrsquoarticle IV qui integravegre les dispositions de lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code preacutevoit une reacutepartition des beacuteneacutefices des

(agrave suivrehellip)

450 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les travaux du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain preacutealablement agrave lrsquoadoption en 1935 du principe de pleine concurrence dans le texte leacutegislatif de la reacuteglementation relative agrave lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code Vu ces circonstances il nrsquoest pas deacuteraisonnable de penser sans que nous puissions toutefois le prouver qursquoune lutte doctrinale ait pu ecirctre meneacutee contre la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee mise en application dans certains Eacutetats ameacutericains ainsi qursquoen Espagne et en Suisse pour reacutepartir entre les entiteacutes formant une entreprise multinationale selon une formule matheacutematique le revenu net total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise

Le projet de convention de 1933 distingue agrave la maniegravere du Rapport Carroll le cas des eacutetablissements stables de celui des filiales En particulier les articles 3 et 5 exposent respectivement les principes geacuteneacuteraux concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere les eacutetablissements stables et les filiales Comme seul critegravere pour la reacutepartition internationale des revenus des eacutetablissements stables lrsquoarticle 3 met en avant le prix qui aurait eacuteteacute convenu entre des personnes indeacutependantes transigeant dans des conditions de concurrence normale (the price that would be agreed upon by independant persons dealing at armrsquos length)

laquo Article 3

If an enterprise with its fiscal domicile in one contracting State has permanent establishments in other contracting States there shall be attributed to each permanent establishment the net business income which it might be expected to derive if it were an independent enterprise engaged in the same or similar activities under the same or similar conditions Such net income will in principle be determined on the basis of the separate accounts pertaining to such establishment [hellip]

The fiscal authorities of the contracting States shall when necessary in execution of the preceding paragraph rectify the accounts produced notably to correct errors or omissions or to re-establish the prices or remunerations entered in the books at the value which would prevail between independent persons dealing at armrsquos length

If an establishment does not produce an accounting showing its own operations [hellip] the fiscal authorities may determine empirically the business income by applying a percentage to the turnover of that establishment [hellip]

(hellipsuite)

socieacuteteacutes lieacutees fondeacutee sur le principe de pleine concurrence M B CARROLL preacuteciteacute note 43 pp 38-42

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 451

If the methods of determination described in the preceding paragraphs are found to be inapplicable the net business income of the permanent establishment may be determined by a computation based on the total income derived by the enterprise from the activities in which such establishment has participated [hellip]49 raquo (Notre soulignement)

Lrsquoutilisation explicite de lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length (laquo des personnes indeacutependantes qui font des affaires dans des conditions normales de concurrence raquo) laquelle deacutefinit une notion deacutejagrave connue et appliqueacutee au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis pour ce qui concerne les socieacuteteacutes lieacutees concourt agrave eacutenoncer sous une forme rudimentaire le principe de pleine concurrence Mecircme si en geacuteneacuteral ce principe srsquoapplique conjointement avec le principe de la comptabiliteacute seacutepareacutee lrsquoarticle 3 permet expresseacutement aux Eacutetats contractants en lrsquoabsence drsquoune comptabiliteacute distincte ou lorsque les comptes comptables distincts ne reflegravetent pas adeacutequatement la situation factuelle de recourir aux meacutethodes empiriques de reacutepartition dites meacutethodes secondaires50 La SDN dote ainsi les pays deacuteveloppeacutes aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables entre les juridictions fiscales de regravegles souples refleacutetant la pratique deacutejagrave eacutetablie et reacutepandue pour ce qui regarde lrsquousage des meacutethodes empiriques

Par ailleurs lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 consiste en la toute premiegravere disposition traitant speacutecifiquement dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale de la reacutepartition des beacuteneacutefices des filiales eacutetrangegraveres De fait il srsquoagit de lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 9 du Modegravele actuel de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE51 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 tire vraisemblablement son origine de lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France52 Constitueacute drsquoun seul court paragraphe le texte de 49 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4244 Lrsquoarticle

3 est lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 7 du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune version abreacutegeacutee juillet 2010 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 2010 raquo) (OECDilibrary)

50 Pour la revue de ces meacutethodes voir supra note 28 Les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutetablissements stables et celles applicables aux socieacuteteacutes lieacutees ont eacuteteacute eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE de maniegravere tout agrave fait distincte Agrave ce propos consulter la section 3 ci-dessous

51 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 52 Emmet M McCAFFERY laquo The Franco-American Convention Relative to Double

Taxation raquo (1936) vol 36 Columbia Law Review 382 (HeinOnLine Law Journal Library) p 382 Or lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France preacuteciteacute note 48 se fonde

(agrave suivrehellip)

452 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoarticle 5 agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 3 ne contient pas lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length et passe sous silence la possibiliteacute pour les administrations fiscales de recourir aux meacutethodes secondaires

laquo Article 5

When an enterprise of one contracting State has a dominant participation in the management or capital of an enterprise of another contracting State or when both enterprises are owned or controlled by the same interests and as the result of such situation there exists in their commercial of financial relations conditions different from those which would have been made between independant enterprises any item of profit or loss which should normally have appeared in the accounts of one enterprise but which has been in this manner diverted to the other enterprise shall be entered in the accounts of such former enterprise subject to the rights of appeal allowed under the law of the State of such enterprise53 raquo (Notre soulignement)

Toutefois le Comiteacute fiscal de la SDN deacutelaisse en 1935 lrsquoideacutee drsquoune convention multilateacuterale jugeant que la conclusion de conventions fiscales bilateacuterales repreacutesentait un moyen plus judicieux pour eacuteliminer la double imposition Le texte du nouveau projet de convention fiscale bilateacuterale54 qui concreacutetise la seconde tentative drsquointeacutegration du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale reproduit neacuteanmoins en substance celui du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 En particulier le libelleacute de lrsquoarticle 5 du projet de convention de 1933 est repris mot agrave mot dans le nouvel article VI du projet

(hellipsuite)

lui-mecircme sur lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 preacuteciteacute note 38 Agrave ce sujet voir M B CARROLL preacuteciteacute note 43 p 144 Brian D LEPARD laquo Is the United States Obligated To Drive on the Right A Multidisciplinary Inquiry into the Normative Authority of Contemporary International Law Using the Armrsquos Length Standard as a Case Study raquo (1999) vol 10 no 1 Duke Journal of Comparative amp International Law 43 (HeinOnline) p 69 Richard VANN laquo Do We Need 7(3) History and Purpose of the Business Profits Deduction Rule in Tax Treaties raquo Legal Studies Research Paper No 1018 University of Sydney mars 2011 (en ligne httppapersssrncomsol3 paperscfmabstract_id=1787805) p 11 Jens WITTENDORFF laquo The Transactional Ghost of Article 9(1) of the OECD Model raquo (2009) vol 63 no 3 Bulletin for International Taxation 107 p 108 (IBFD)

53 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4245 Les commentaires formuleacutes par la SDN ne fournissent aucun deacutetail sur les meacutethodes applicables

54 LEAGUE OF NATIONS Report to the Council of the Fifth Session of the Committee C252M1241935IIA Genegraveve 1935 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4249 (HeinOnline) pp 4253 et suiv

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 453

de 193555 Aussi vaine que celle de 1933 cette seconde tentative eacutechoue du fait que le projet nrsquoa jamais fait lrsquoobjet drsquoune approbation formelle des pays membres de la SDN Par contre les dispositions qursquoil contient sont inteacutegreacutees dans les projets de protocoles drsquoun modegravele theacuteorique adopteacute agrave Mexico en 1943 et reacuteviseacute subseacutequemment en 1946 agrave Londres56 La plupart des conventions fiscales bilateacuterales conclues apregraves la Deuxiegraveme Guerre mondiale sont drsquoailleurs reacutedigeacutees jusqursquoagrave lrsquoapparition du modegravele de lrsquoOCDE au deacutebut des anneacutees 1960 sur lrsquoexemple de Mexico ou de Londres57

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE

MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

La peacuteriode suivant la Deuxiegraveme Guerre mondiale donne lieu agrave la naissance des deux principaux modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales toujours en usage aujourdrsquohui aux fins de reacutegir les neacutegociations lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des conventions fiscales bilateacuterales Tant le modegravele de lrsquoOCDE que celui de lrsquoONU comprennent pour ce qui concerne la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees un eacutenonceacute du principe de pleine concurrence dont le contenu srsquoinspire fortement des projets de conventions multilateacuterales et bilateacuterales conccedilus par la SDN Il revient agrave lrsquoOrganisation europeacuteenne de coopeacuteration eacuteconomique (laquo OECE raquo) qui voit le jour en 1948 dans le contexte de la mise en œuvre du Plan Marshall suivie ensuite de lrsquoOCDE58 de prendre le relais des travaux meneacutes par la SDN sur la double imposition59

55 Id p 4254 56 LEAGUE OF NATIONS London and Mexico Model Tax Conventions Commentary

and Text C88M881946IIA Genegraveve 1946 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4319 (HeinOnline) Agrave la suite drsquoune renumeacuterotation les articles VI (eacutetablissements stables) et VII (socieacuteteacutes lieacutees) du protocole des modegraveles de Mexico et de Londres remplacent respectivement les articles III et VI du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1935 supra note 54 Le texte de lrsquoarticle VII du protocole des modegraveles de Mexico et Londres est quasi identique agrave celui de lrsquoarticle VI du projet de Modegravele de convention de 1935

57 The Elimination of Double Taxation Report of the Fiscal Committee of the OEEC Paris 1958 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4445 (HeinOnline) p 4455

58 Organisation creacuteeacutee en 1961 dont le siegravege social est situeacute agrave Paris elle se preacutesente comme un forum mondial de politique eacuteconomique ayant pour mission drsquolaquo aider les gouvernements agrave reacutealiser une croissance durable de lrsquoeacuteconomie et de lrsquoemploi ainsi qursquoune progression du niveau de vie dans les pays membres tout en maintenant la stabiliteacute financiegravere et agrave favoriser ainsi le deacuteveloppement de lrsquoeacuteconomie mondiale raquo

(agrave suivrehellip)

454 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE

(1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES

EacuteTATS-UNIS

Creacuteeacute en 1956 le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE se voit confier le mandat drsquoeacutelaborer une nouvelle proposition de convention fiscale bilateacuterale dans le but drsquouniformiser les regravegles des pays membres afin de preacutevenir la double imposition des beacuteneacutefices et de la fortune De septembre 1958 agrave aoucirct 1961 il expose dans quatre rapports distincts lrsquoensemble des articles et des commentaires qui servent drsquoassises au projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale concernant le revenu et la fortune acheveacute en 196360 Ayant succeacutedeacute entre-temps agrave lrsquoOECE lrsquoOCDE ne publie qursquoen 1977 le nouveau Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale Modegravele de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune61 Bien que ce dernier

(hellipsuite)

LrsquoOCDE compte actuellement 34 pays membres un pays est candidat agrave lrsquoadheacutesion (Russie) et cinq pays beacuteneacuteficient drsquoun laquo engagement renforceacute en vue drsquoune eacuteventuelle adheacutesion raquo (Breacutesil Chine Inde Indoneacutesie et Afrique du Sud) Le financement de lrsquoOCDE est assureacute par les pays membres les Eacutetats-Unis le pays contributeurs le plus important concourant agrave plus de 20 du budget Voir en ligne httpwwwoecdorgfrapropos Pour certains lrsquoOCDE consiste en un centre intergouvernemental drsquoeacutetudes et de recherches un club de pays riches voire un cartel Sur ce point consulter respectivement Paul KRUGMAN laquo Against Learned Helplessness raquo The New York Times 30 mai 2011 p A19 (en ligne httpwwwnytimescom20110530opinion30krugmanhtml_r=0) laquo Richrsquos Man Club (Organization for Economic Cooperation and Development) raquo The Economist (US) 30 janvier 1988 et Eduardo MORGAN Jr laquo Panama Finds Tax Haven Label Discriminatory raquo (2011) 62 Tax Notes International 483 p 484 (Tax Analysts)

59 Fondeacutee en 1945 lrsquoONU remplace la SDN laquelle est dissoute lrsquoanneacutee suivante Agrave ce sujet voir en ligne httpwwwunescoorgarchivessioFrepresentation_frphp idOrg=1024 Lrsquointeacuterecirct de la nouvelle organisation internationale pour le problegraveme de la double imposition disparaicirct au milieu des anneacutees 1950 mais renaicirct au milieu des anneacutees 1960 Voir la section 22 ci-dessous LrsquoONU compte actuellement 192 membres dont plusieurs sont aussi membres de lrsquoOCDE (en ligne httpwwwunorgfrmembers)

60 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Draft Double Taxation Convention on Income and Capital OECD Paris 1963 (laquo Projet de lrsquoOCDE 1963 raquo)

61 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Model Double Taxation Convention on Income and on Capital OECD Paris 1977 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 1977 raquo) LrsquoOCDE justifie le deacutelai de plus de 10 ans eacutecouleacute entre la publication du projet de 1963 preacuteciteacute et celle du Modegravele de 1977 par la neacutecessiteacute de reacuteviser le projet de 1963 afin de prendre en compte laquo lrsquoexpeacuterience acquise dans les pays membres lors de la neacutegociation ou de lrsquoapplication pratique de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 455

deacutecoule sans conteste de lrsquointerminable reacutevision du projet publieacute en 1963 crsquoest lrsquoanneacutee 1958 qui marque pourtant officiellement sa creacuteation62

Telle qursquoelle est exprimeacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de 1977 la reacutefeacuterence normative dans les pays deacuteveloppeacutes pour la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ne bouscule pas le passeacute Autant dire que le paragraphe 9(1) reprend sans le mentionner preacuteciseacutement le principe de pleine concurrence Crsquoest ainsi qursquoagrave deacutefaut de la mention explicite de lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo lrsquoeacutenonceacute de lrsquoOCDE officiel srsquoaligne sur le concept de lrsquoentreprise indeacutependante

laquo 9(1)

Lorsque

une entreprise drsquoun Eacutetat contractant participe directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant ou que

les mecircmes personnes participent directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise drsquoun Eacutetat contractant et drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant

(hellipsuite)

conventions bilateacuterales ainsi que des modifications intervenues dans les systegravemes fiscaux de ces pays du renforcement des relations fiscales internationales du deacuteveloppement de nouveaux secteurs drsquoactiviteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouvelles formes complexes drsquoorganisations des entreprises au niveau international raquo Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune vol I feuilles mobiles OCDE Paris 2004 (laquo Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 raquo) p I-3 Qui plus est le Modegravele de 1977 introduit le paragraphe 9(2) lequel preacutevoit un ajustement approprieacute du montant de lrsquoimpocirct deacutejagrave perccedilu par un autre Eacutetat contractant sur des beacuteneacutefices qui si les conditions convenues entre les deux socieacuteteacutes lieacutees avaient eacuteteacute celles convenues entre des entreprises indeacutependantes auraient eacuteteacute reacutealiseacutes dans le premier Eacutetat contractant

62 Jeffrey OWENS et Mary BENNETT laquo Le Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE no 269 octobre 2008 (en ligne httpwwwobservateurocdeorgnewsfullstoryphpaid2352Le_Mod_E8le_de_convention_fiscale_de_l_92OCDEhtml)

laquo En 1963 un projet complet eacutetait precirct mais il fallut attendre 1977 pour que le Modegravele de convention de double imposition soit publieacute Le texte de 1963 syntheacutetisait essentiellement quatre versions anteacuterieures dont la premiegravere avait eacuteteacute publieacutee en 1958 Crsquoest pourquoi le 1er juillet 1958 est consideacutereacute comme la date de naissance du Modegravele de lrsquoOCDE raquo

456 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

et que dans lrsquoun et lrsquoautre cas les deux entreprises sont dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions accepteacutees ou imposeacutees qui diffegraverent de celles qui seraient conclues entre les entreprises indeacutependantes les beacuteneacutefices qui sans ces conditions auraient eacuteteacute obtenus par lrsquoune des entreprises mais nrsquoont pu lrsquoecirctre en fait agrave cause de ces conditions peuvent ecirctre inclus dans les beacuteneacutefices de cette entreprise et imposeacutes en conseacutequence63 raquo (Notre soulignement)

Le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE64 demeureacute inchangeacute agrave ce jour comporte un libelleacute identique au texte de lrsquoarticle 9 du projet tel qursquoil a eacuteteacute publieacute en 196365 En fait les fondements historiques du paragraphe 9(1) remontent aussi loin qursquoau deacutebut des anneacutees 1930 Le fond de lrsquoarticle 9 est analogue agrave tous les articles relatifs agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees inclus dans les projets de conventions fiscales ou les conventions fiscales proposeacutes par la SDN agrave cette exception que lrsquoOECE remplace le terme laquo doivent raquo (shall) par laquo peuvent raquo (may) Ainsi lrsquoOCDE confegravere aux Eacutetats contractants le pouvoir de redresser les beacuteneacutefices sur la base de la notion drsquoentreprise indeacutependante alors que la SDN en imposait lrsquoobligation en vertu de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de lrsquoarticle VI du projet de convention fiscale bilateacuterale de 1935 ainsi que des articles VII du Protocole des conventions de Mexico et de Londres

Cependant les preacutecisions sur la faccedilon de mettre en œuvre le concept drsquoentreprise indeacutependante sont manquantes dans les commentaires reacutedigeacutes par lrsquoOCDE pour appliquer et interpreacuteter le paragraphe 9(1) du Modegravele publieacute en 197766 De ce point de vue lrsquoOCDE persiste comme la SDN agrave traiter la question de la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees en parent pauvre Brefs et laconiques les commentaires de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard du

63 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp M-21 et

M-22 64 Apregraves 1977 le titre du modegravele theacuteorique devient laquo Modegravele de convention fiscale

concernant le revenu et la fortune raquo id p I-6 Le contenu du modegravele de lrsquoOCDE sera modifieacute agrave quelques reprises la derniegravere reacutevision ayant eacuteteacute approuveacutee en juillet 2010 Voir Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49

65 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 p 47 Voir eacutegalement le texte de lrsquoarticle XVI contenu dans le troisiegraveme rapport preacutepareacute par le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE en 1960 ORGANISATION FOR EUROPEAN ECONOMIC CO-OPERATION The Elimination of Double Taxation Third Report of the Fiscal Committee 1960 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4567 (HeinOnline) p 4588

66 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 457

paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE de 1977 ne comportent qursquoun seul paragraphe

laquo Cet article traite des entreprises associeacutees (socieacuteteacutes megraveres et leurs filiales et socieacuteteacutes placeacutees sous controcircle commun) et son paragraphe 1 stipule que dans ces cas les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et ce paragraphe ne semble guegravere appeler de Commentaires Peut-ecirctre y a-t-il lieu de rappeler que les dispositions de ce paragraphe ne srsquoappliquent que lorsque des conditions speacuteciales ont eacuteteacute convenues ou imposeacutees entre les deux entreprises Aucune rectification des comptabiliteacutes des entreprises associeacutees nrsquoest autoriseacutee si leurs transactions se sont deacuterouleacutees aux conditions commerciales normales du marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance)67 raquo (Notre soulignement)

Drsquoun autre cocircteacute les Eacutetats-Unis deacuteveloppent en 1976 leur propre modegravele de convention fiscale bilateacuterale Le texte du paragraphe 9(1) du modegravele ameacutericain reproduit en substance celui du modegravele de lrsquoOCDE mis agrave part lrsquoajout drsquoun passage pour preacutevoir que le paragraphe 9(1) ne restreint pas les dispositions de la loi de lrsquoun ou lrsquoautre des Eacutetats contractants concernant la distribution la reacutepartition ou lrsquoallocation de revenus68 Comme les termes initiaux du modegravele ameacutericain sont suffisamment larges il nrsquoest pas exclu que

67 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p P C(9)-8

Jeffrey OWENS alors directeur du Centre de Politique et drsquoAdministration fiscale de lrsquoOCDE explique agrave la page 2 de son laquo Opening Speech raquo dans OECD Conference Transfer Princing and Treaties in a Changing World Paris 2009 (en ligne httpwwwoecdorgdataoecd182543744164pdf) lrsquoabsence de commentaires explicatifs comme suit

laquo The drafters of the 1963 Draft Convention did an excellent job of drafting Article 9 but perhaps lacked vision when they wrote that Commentary We all know now that this Article does in fact call for significant comment as our later work has shown raquo

Dans le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) comprennent quatre paragraphes Sur ce dernier point voir la section 3 ci-dessous Par comparaison les commentaires au sujet de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables preacutevue au paragraphe 7(2) du Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 pp 145-155 totalisent pas moins de 29 paragraphes

68 Chantal THOMAS laquo Customary International Law and State Taxation of Corporate Income The Case for the Separate Accounting Method raquo (1996) vol 14 no 1 Berkeley Journal of International Law 99-136 (HeinOnLine Law Journal Library) p 128

458 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ceux-ci puissent permettre aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees lrsquousage drsquoune meacutethode autre que celle fondeacutee sur les principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoindeacutependance des entreprises69 Toutefois en 1996 agrave la suite drsquoune modification leacutegislative le texte de lrsquoarticle 9 du modegravele ameacutericain devient en tout point similaire agrave celui du Modegravele de lrsquoOCDE70

Depuis plus de 50 ans le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE traduit la preacuteoccupation drsquoassurer la peacuterenniteacute en droit fiscal international public drsquoune norme pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees qui agrave lrsquoeacutepoque ougrave Carroll a meneacute son eacutetude nrsquoeacutetait qursquoune simple regravegle administrative71 Partant lrsquoOCDE exerce une influence preacutepondeacuterante sur la mise en place de leacutegislations et de pratiques administratives nationales en promouvant une utilisation reacutepandue du concept de pleine concurrence dans les pays deacuteveloppeacutes De surcroicirct cette autoriteacute se manifeste bien au-delagrave des pays membres de lrsquoOCDE allant mecircme jusqursquoagrave lrsquoutilisation du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale comme mateacuteriau de base des travaux meneacutes par lrsquoONU pour contrer la double imposition

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU

(1980)

Lrsquointeacuterecirct de lrsquoONU pour la question de lrsquoeacutelimination de la double imposition resurgit en reacuteaction contre le projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE diffuseacute en 1963 Les pays en deacuteveloppement manifestent en ce temps-lagrave de la reacuteticence agrave employer un projet de modegravele agrave lrsquoeacutelaboration duquel ils nrsquoont pas participeacute et qui privileacutegie davantage le pays de la reacutesidence que celui de la source pour attribuer les droits drsquoimposition des revenus entre les juridictions fiscales72 Formeacute en 1968 le groupe de travail de lrsquoONU sur les conventions fiscales fait le choix utilitaire de 69 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 pp 111-112 70 Id p 112 71 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 72 Stanley S SURREY laquo United Nations Group of Experts and the Guidelines for Tax

Treaties Between Developed and Developing Countries raquo (1978) vol 19 no 3 Harvard International Law Journal 1 (HeinOnline) pp 6-7 Suivant le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE le pays de reacutesidence drsquoune socieacuteteacute peut imposer le revenu de source mondiale de cette derniegravere alors que le pays de la source ne peut imposer que le revenu de cette socieacuteteacute eacutetrangegravere dont la source est situeacutee dans ce pays

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 459

prendre comme point de deacutepart de ses reacuteflexions le projet et le modegravele theacuteorique de convention fiscale publieacutes respectivement en 196373 et en 197774 par lrsquoOCDE75 Lors de la derniegravere reacuteunion tenue en 1977 ce groupe de travail recommande la reacutedaction drsquoun projet de Modegravele de convention fiscale Il est inteacuteressant de constater que lrsquoexposeacute des grandes lignes des principes geacuteneacuteraux devant reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees coiumlncide avec celles deacutefinies par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE dans le Modegravele theacuteorique de convention de 197776

73 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 74 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61 75 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et

sociales internationales Modegravele de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESA102 New York 1980 (laquo Modegravele de lrsquoONU 1980 raquo) p 4

laquo [L]e Groupe drsquoexperts avait deacutecideacute drsquoutiliser le Modegravele de convention de lrsquoOCDE comme principal texte de reacutefeacuterence en vue de tirer parti de la compeacutetence technique accumuleacutee par lrsquoOCDE telle qursquoelle est concreacutetiseacutee dans ce modegravele et dans les commentaires y relatifs compte tenu de consideacuterations de commoditeacute pratique lieacutees au fait que ce modegravele est utiliseacute par les pays membres de lrsquoOCDE dans la neacutegociation de conventions fiscales non seulement entre eux mais avec des pays en deacuteveloppement raquo

76 UNITED NATIONS DEPARTMENT OF ECONOMIC AND SOCIAL AFFAIRS Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Seventh Report Report of the Group of Experts on Tax Treaties Between Developed and Developing Countries on the Work of its Seventh Meeting Doc NU STESA79 New York 1978 Degraves les deux premiegraveres reacuteunions le groupe de travail convient de fonder la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les entiteacutes lieacutees sur le principe de pleine concurrence et estime agrave la page 30 que la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee crsquoest-agrave-dire laquo [w]hat was sometimes called the direct method of arriving at the profit of a branch or subsidiary by apportioning to it some part of the global profits of the whole enterprise of the group was not strictly a method of arriving at the armrsquos length price but was not necessarily incompatible with the objective of attributing the armrsquos length profit to the relevant taxpayer raquo peut ecirctre utiliseacutee en dernier recours par les administrations fiscales pour reacutepartir les beacuteneacutefices des succursales et des filiales seulement si la meacutethode des prix comparables sur le marcheacute la meacutethode du prix de revente et la meacutethode du prix de revient majoreacute ne sont pas applicables Lrsquoexposeacute des grandes lignes suppose que le futur modegravele de convention fiscale contiendra notamment un article similaire agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE visant les transactions entre les socieacuteteacutes megraveres et ses filiales Sur ce point voir S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 54

460 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Adopteacute en 1979 et publieacute en 198077 le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU est semblable au Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 agrave plusieurs eacutegards en particulier quant au texte du paragraphe 9(1)78 Il nrsquoy a pas de distinction entre les points de vue de lrsquoONU et de lrsquoOCDE quant au choix de la norme internationale agrave appliquer pour reacutepartir les beacuteneacutefices parmi les juridictions fiscales les deux organisations internationales optent pour le principe de pleine concurrence Par contre le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comporte des diffeacuterences significatives agrave lrsquoavantage des pays en deacuteveloppement Notamment les pays de la source y conservent des droits drsquoimposition plus importants que ceux preacutevus dans le Modegravele de lrsquoOCDE drsquoougrave entre autres une deacutefinition de lrsquoexpression laquo eacutetablissement stable raquo dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU plus large que celle dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE79

Quant agrave la faccedilon drsquoappliquer et drsquointerpreacuteter le principe de pleine concurrence les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoONU reacuteitegraverent essentiellement les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE80 Depuis 1999 les commentaires mentionnent

77 Supra note 75 Il est reacuteviseacute en 1999 (mise agrave jour publieacutee en 2001) et en 2011 Voir

ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales Modegravele de Convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESAPASSERE21 2001 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxunmodelhtm) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2001 raquo) UNITED NATIONS Economic and Social Affairs United Nations Model Double Taxation Convention Between Developed and Developing Countries New York 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffddocumentsUN_Model_2011_ Updatepdf) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2011 raquo)

78 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT Transfer Pricing UNCTAD Series on Issues in International Investment Agreements New York 1999 (en ligne httpwwwunctadorgendocspsiteiitd11v1enpdf) p 18 Toutefois le paragraphe 9(3) ajouteacute en 1999 eacutenonce qursquoun pays nrsquoa pas lrsquoobligation drsquoeffectuer le rajustement correacutelatif preacutevu au paragraphe 9(2) lorsque lrsquoune des entreprises est en vertu drsquoune proceacutedure leacutegale trouveacutee passible drsquoune peacutenaliteacute pour fraude faute lourde ou deacutefaillance agrave lrsquoeacutegard drsquoactions lieacutees au rajustement des beacuteneacutefices Voir Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 pp 16 et 129-130

79 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 art 5 Par exemple un chantier de construction se prolongeant plus de six mois constitue un eacutetablissement stable alors que suivant le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 art 5 sa dureacutee doit ecirctre de plus de 12 mois

80 Dans le Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 75 les commentaires incorporent sous la forme drsquoextraits placeacutes entre guillemets une grande partie des commentaires de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 461

explicitement que les Eacutetats contractants appliquent le principe de pleine concurrence en se conformant aux lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert81 Neacuteanmoins la derniegravere mise agrave jour adopteacutee agrave lrsquoautomne 2011 nuance le renvoi aux lignes directrices de lrsquoOCDE en preacutecisant que les Eacutetats contractants suivront ces lignes directrices dans la plupart des cas (normally)82

Il srsquoest donc eacutecouleacute une peacuteriode de plus de 40 ans entre la publication des conclusions de lrsquoeacutetude internationale de droit compareacute de la SDN (1933) et lrsquoeacutelaboration des Modegraveles theacuteoriques de lrsquoOCDE (1977) et de lrsquoONU (1980) Instigatrice de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit international public la SDN promeut au rang de critegravere principal pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees degraves les anneacutees 1930 une notion appliqueacutee sur le plan administratif par le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain et lrsquoIRS Faisant siennes les conclusions de Mitchell Carroll la SDN importe cette notion dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes deacuteclassant ainsi la reacutepartition globale des beacuteneacutefices pourtant deacutejagrave mise en œuvre leacutegislativement dans deux pays (Espagne et Suisse)83 Le processus de deacuteveloppement du concept de pleine concurrence deacutebute presque au mecircme moment que la publication du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE

(hellipsuite)

lrsquoOCDE diffuseacutes en 1977 En 2001 le modegravele de lrsquoONU omet les guillemets et fait siens mot pour mot les commentaires de lrsquoOCDE supra note 77 p 125

laquo Ce paragraphe [9(1)] dispose que les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et le paragraphe nrsquoappelle guegravere de commentaires [hellip] raquo

81 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 p 124 Pour ce qui concerne les lignes directrices de lrsquoOCDE voir la section 3 ci-dessous

82 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax Matters Seventh Session Note on Proposed Update of United Nations Model Tax Convention Doc NU EC182011CRP2Add1 Genegraveve 12 octobre 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxseventhsessionindexhtm) p 126

83 LrsquoEspagne et la Suisse adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave ce sujet voir la section 611 du preacutesent texte

462 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT

DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE

APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES

Instruments juridiques deacutesormais indispensables les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU enchacircssent le principe de pleine concurrence pour reacutepartir entre les pays lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices imposables deacutecoulant des relations commerciales internes eacutetablies parmi les socieacuteteacutes lieacutees drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales Les paragraphes 9(1) des Modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU expriment assureacutement une norme si tant est qursquoen theacuteorie une norme (standard) se distingue drsquoune regravegle (rule) par le fait que sa signification preacutecise contrairement agrave celle drsquoune regravegle nrsquoest pas compte tenu de sa formulation deacutejagrave connue drsquoavance84 De surcroicirct les commentaires relatifs aux paragraphes 9(1) des modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU publieacutes initialement en 1977 et en 1980 ne preacutecisent en rien la faccedilon drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer en pratique le principe de pleine concurrence85

Cependant au milieu des anneacutees 1970 les pays deacuteveloppeacutes amorcent et contribuent sans surprise agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun compleacutement drsquoinformation au paragraphe 9(1) du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE afin de deacutefinir le principe de pleine concurrence La reacutedaction drsquoun premier guide drsquoinstructions destineacute agrave eacuteclairer les administrations fiscales et les entreprises multinationales dont la version remanieacutee srsquoapplique encore aujourdrsquohui ne se reacutealise en droit fiscal international public que plus de 45 ans apregraves lrsquoeacutetude de Carroll et lrsquoadoption par la SDN de principes geacuteneacuteraux sous-tendant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Il nrsquoy a pas de doute que lrsquoaventure du deacuteploiement du contenu descriptif et explicatif du principe de pleine concurrence est lrsquoaffaire exclusive de lrsquoOCDE lrsquoONU nrsquoy accordant de lrsquoattention qursquoagrave partir de la fin des anneacutees 2000

84 Eduardo BAISTROCCHI laquo The Transfer Pricing Problem A Global Proposal for

Simplification raquo (2005-2006) vol 59 no 4 Tax Lawyer 941 (HeinOnline Law Journal Library) pp 951-952

85 Voir la section 2 ci-dessus En 1973 le groupe de travail creacuteeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement conccediloit des directives en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement Fondeacutees sur le principe de pleine concurrence et eacutenonceacutees dans le mecircme ordre de preacutesentation que les articles du projet de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1963 aucune drsquoelles ne concerne speacutecifiquement le paragraphe 9(1) UNITED NATIONS Department of Economic and Social Affairs Guidelines for Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Doc NU STESA14 New York 1974

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 463

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE

CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS

Pour commencer lrsquoOCDE publie en 1979 un rapport qui expose les premiegraveres lignes directrices deacutetailleacutees sur les prix de cession interne convenus entre les socieacuteteacutes lieacutees86 Depuis lors lrsquoOCDE srsquoefforce dans le cadre drsquoun processus de reacutevision continu drsquoimplanter lrsquoideacutee de la fixation des prix de transfert transaction par transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence Le rocircle preacutedominant et soutenu joueacute par lrsquoOCDE dans la conception de multiples lignes directrices conduit apregraves plus de trois deacutecennies au deacuteploiement de plus en plus ample drsquoun ensemble de regravegles agrave observer autant par les pays membres de lrsquoOCDE que ceux de lrsquoONU aux fins de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence

311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE

Bien que le rapport diffuseacute en 1979 se borne sans plus agrave sous-entendre que le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 serait lrsquoexpression du principe de pleine concurrence87 il nrsquoen reste pas moins vrai que ces lignes directrices constituent les ancecirctres des actuels Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert Crsquoest que ce rapport preacutesente un cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse issu justement du paragraphe 9(1) pour

86 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport du Comiteacute des Affaires Fiscales Prix de transfert et entreprises multinationales OCDE Paris 1979 (laquo Rapport de 1979 raquo) Il comporte 106 pages et sa porteacutee est geacuteneacuteralement restreinte tel qursquoil est indiqueacute dans la note de bas de page no 1 agrave la page 11 aux transactions intersocieacuteteacutes Les lignes directrices contenues dans ce rapport deviennent en 1992 une partie inteacutegrante des commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE en raison de lrsquoajout dans les commentaires mecircmes drsquoun renvoi expregraves agrave celles-ci Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p C(9)-8 La Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales adopteacutee en 1976 reacuteexamineacutee et reconduite en 1979 1982 1984 1991 2000 2010 et 2011 prend la forme drsquoun code de conduite reacutedigeacute en termes geacuteneacuteraux et se limite agrave suggeacuterer aux entreprises multinationales de ne pas user des prix de cession interne non conformes aux prix de libre concurrence Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Investissement international et entreprises multinationales Paris 1979 pp 19-20

87 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 8-9 Il ne fournit aucune explication quant agrave lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence mais preacutesente aux pages 23 agrave 25 le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 et des extraits de la Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales de 1976 supra note 86 comme des textes de reacutefeacuterence

464 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

orienter les administrations fiscales et les entreprises multinationales sur la faccedilon drsquoappliquer en pratique le principe du prix de pleine concurrence En outre il marque le deacutebut par lrsquoOCDE de lrsquolaquo opeacuterationnalisation raquo du principe de pleine concurrence88 Fait indeacuteniable lrsquoOCDE nrsquoa pas de cesse agrave partir du moment ougrave ce cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse est mis en avant de srsquoemployer par la suite agrave formuler le contenu du concept theacuteorique de pleine concurrence et agrave concevoir des indicateurs permettant drsquoeacutevaluer les prix de transfert de pleine concurrence89

Du point de vue des pays deacuteveloppeacutes le rapport de 1979 incarne le passage deacutecisif de lrsquoeacutenonceacute drsquoun principe geacuteneacuteral pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ndash soit le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ndash agrave des lignes directrices preacutecises deacutefinissant les regravegles et les meacutethodes speacutecifiques pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions en particulier Agrave vrai dire la perspective transactionnelle procircneacutee dans le rapport nrsquoest pas une innovation attribuable agrave lrsquoOCDE et reflegravete lrsquoimportante influence ameacutericaine en matiegravere de prix de transfert sur lrsquoOCDE Les Eacutetats-Unis ont les premiers chercheacute agrave fixer des regravegles leacutegislatives deacutetailleacutees pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions speacutecifiques et deacuteveloppeacute sous la houlette de Stanley Surrey90 une

88 S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 770 Le terme laquo opeacuterationnalisation raquo signifie

laquo donner un contenu descriptif agrave des concepts theacuteoriques raquo Voir la banque de donneacutees terminologiques Termium Plus (en ligne httpwwwbtbtermiumplusgcca tpv2alphaalphafrahtmllang=fraampi=1ampindex=entamp__index=entampsrchtxt=operationalizationampcomencsrchx=9ampcomencsrchy=12)

89 Voir les sections 312 et 313 du preacutesent texte 90 Professeur de droit fiscal agrave la faculteacute de droit de lrsquoUniversiteacute Harvard il occupe sous

les administrations Kennedy et Johnson la fonction de Secreacutetaire adjoint au deacutepartement du Treacutesor ameacutericain de 1961 agrave 1969 Paul R McDANIEL laquo Celebrating Stanleyrsquos Gifts raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 341 (HeinOnline Law Journal Library) p 341 Certains preacutetendent qursquoil a domineacute la politique fiscale ameacutericaine et internationale au cours de ces huit anneacutees Consulter Donald C LUBICK laquo A View from Washington raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 338 (HeinOnline Law Journal Library) p 338 Comme Surrey exerccedilait la fonction de conseiller speacutecial du Comiteacute exeacutecutif du groupe drsquoexperts formeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement il est possible qursquoil ait promu la vision ameacutericaine du principe de pleine concurrence et pu ainsi exercer une quelconque influence sur lrsquoONU dans le contexte de lrsquoeacutelaboration du Modegravele de convention fiscale de lrsquoONU quant au choix du principe de pleine concurrence (approche transactionnelle) comme norme pour reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Sur ce point voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 771 et S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 652 Agrave supposer que cela soit le cas lrsquoapproche ameacutericaine apparaicirct ecirctre un eacuteleacutement deacuteterminant pour le deacuteveloppement en droit international public des canons en matiegravere de prix de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 465

perspective transactionnelle pour mettre en application le principe de pleine concurrence au niveau national

Notamment les trois meacutethodes principales recommandeacutees par lrsquoOCDE aux fins drsquoeacutetablir un prix de transfert agrave lrsquoeacutegard drsquoune transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence sont exactement les mecircmes que celles eacutedicteacutees en 1968 dans la reacuteglementation ameacutericaine relative agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code91 la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence la meacutethode du coucirct majoreacute et la meacutethode du prix de revente92 Quant agrave la meacutethode globale des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la reacutepartition des beacuteneacutefices totaux drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales selon des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies le rapport de 1979 la rejette sans aucune autre explication que son incompatibiliteacute supposeacutee avec les articles 7 et 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE93 Drsquoun autre cocircteacute mecircme si lrsquoOCDE admet theacuteoriquement lrsquoutilisation de meacutethodes de substitution dans le cas ougrave les trois meacutethodes de base susmentionneacutees sont inapplicables agrave certaines transactions lrsquoacceptation de telles meacutethodes paraicirct

(hellipsuite)

transfert Pour lrsquohistorique du deacuteveloppement de lrsquoapproche transactionnelle radicale ameacutericaine dans la reacuteglementation adopteacutee en 1968 laquelle favorise notamment la recherche de transactions comparables voir S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 642-649

91 Avant 1968 les regraveglements ameacutericains se limitaient agrave eacutenoncer le principe de pleine concurrence comme principe fondamental sous-tendant lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code ou sa version leacutegislative anteacuterieure lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 sans prescrire lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de deacutetermination des prix de transfert en particulier UNITED STATES Treasury Department and Internal Revenue Service A Study of Intercompany Pricing Claitorrsquos Baton Rouge 1988 (en ligne httpwwwarchiveorgdetailsstudyofintercomp00unit) pp 6-12 (laquo Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute raquo)

92 Jinyan LI laquo Global Profit Split An Approach to International Income Allocation raquo (2002) vol 50 no 3 Revue fiscale canadienne 823-883 (Taxfind) p 860 Le chapitre 1 du Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 13-14 deacutefinit sommairement les meacutethodes susmentionneacutees lesquelles srsquoappliquent geacuteneacuteralement agrave toutes les cateacutegories de transactions comme suit la premiegravere meacutethode consiste agrave laquo [s]e reacutefeacuterer directement au prix qui serait pratiqueacute dans des transactions comparables entre des entreprises indeacutependantes ou entre une entreprise drsquoun groupe et une entreprise indeacutependante raquo la seconde implique que lrsquolaquo on part du coucirct de la fourniture des biens ou services et [qursquo]on y ajoute les coucircts et la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo tandis que dans la meacutethode du prix de revente laquo on part du prix de vente final dont on deacutefalque la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo LrsquoOCDE recommande aussi comme quatriegraveme meacutethode toutes autres meacutethodes jugeacutees acceptables

93 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 p 14

466 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

incertaine vu la confusion eacutevidente dans le rapport de 1979 des meacutethodes du partage des beacuteneacutefices avec la meacutethode globale94

312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE

Coupant court agrave lrsquoambiguiumlteacute des meacutethodes de substitution deacutecoulant du rapport de 1979 les Principes directeurs publieacutes en 199595 qui annulent et remplacent les premiegraveres lignes directrices teacutemoignent par-dessus tout de lrsquointeacuterecirct manifeste de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices en particulier la meacutethode du partage des beacuteneacutefices pour estimer les prix de pleine concurrence96 De ce point de vue les nouvelles lignes directrices convergent avec les conclusions de lrsquoeacutetude reacutealiseacutee au deacutebut des anneacutees 1990 par lrsquoAssociation fiscale internationale (laquo IFA raquo) sur la compatibiliteacute des meacutethodes de substitution avec le principe de pleine concurrence la meacutethode de la division des beacuteneacutefices consiste en la meacutethode de substitution la plus utiliseacutee dans les pays membres de lrsquoIFA97 Prise en 1992 la deacutecision du Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE de reacuteviser les lignes directrices eacutenonceacutees 13 ans auparavant surgit en reacuteaction contre la diffusion de regraveglements ameacutericains introduisant une nouvelle meacutethode de deacutetermination des prix de transfert fondeacutee sur les beacuteneacutefices98

94 Id pp 46-47 95 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales feuilles mobiles Paris 1995 (laquo Principes directeurs de 1995 raquo) Comportant 175 pages le document est diviseacute en cinq chapitres

96 Frances M HORNER laquo International Cooperation and Understanding Whatrsquos New About The OECDrsquos Transfer Pricing Guidelines raquo (1996) vol 50 no 2 University of Miami Law Review 577 (HeinOnline Law Journal Library) pp 589-591

97 Guglielmo MAISTO laquo Rapport geacuteneacuteral raquo dans laquo Deacutetermination des prix de transfert en lrsquoabsence de prix de marcheacute comparables raquo vol LXXVIIa Cahiers de droit fiscal international IFA Cancun 1992 (laquo IFA 1992 raquo) pp 114-116 Les facteurs de reacutepartition (deacutepenses actifs chiffre drsquoaffaires etc) de la meacutethode de la division des beacuteneacutefices ne sont pas preacuteeacutetablis mais deacutetermineacutes par lrsquoadministration fiscale agrave la suite drsquoune analyse des fonctions exerceacutees par lrsquoentreprise multinationale

98 AD HOC GROUP OF EXPERTS ON INTERNATIONAL COOPERATION IN TAX MATTERS Tenth Meeting Transfer Pricing History State of the Art Perspectives Doc NU STSGAC82001CRP6 26 juin 2001 (en ligne httpunpan1unorg intradocgroupspublicdocumentsununpan004399pdf) (laquo ONU Transfer Pricing History raquo) pp 12-19 Lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code tel que modifieacute par la Tax Reform Act of 1986 preacutevoit que les beacuteneacutefices reacutesultant du transfert ou de lrsquooctroi drsquoune licence drsquoun bien incorporel doivent ecirctre proportionnels aux beacuteneacutefices

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 467

Fait agrave noter ces Principes directeurs preacutesentent explicitement le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE comme lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute agrave lrsquoeacutegard du principe de pleine concurrence99 Du reste ils preacutecisent davantage les regravegles et la deacutemarche concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence que ne le faisait le rapport de 1979100 Le cadre drsquoanalyse suggeacutereacute est plus structureacute et les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent deacutesormais une plus grande importance

Plusieurs eacuteleacutements nouveaux apparaissent dans les lignes directrices notamment lrsquoanalyse de comparabiliteacute101 dont lrsquoune des eacutetapes de reacutealisation lrsquoanalyse fonctionnelle est degraves 1988 mise de lrsquoavant aux (hellipsuite)

attribuables agrave ce bien incorporel Le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain cherche ainsi agrave reacutesoudre les difficulteacutes relatives agrave la deacutetermination des prix des biens incorporels qui possegravedent un potentiel de profits eacuteleveacutes pour lesquels il nrsquoexiste pas de transactions comparables et qui sont transfeacutereacutes des Eacutetats-Unis vers des refuges fiscaux Voir Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 45-55 Comme le preacutecise le document de lrsquoOCDE intituleacute Les aspects fiscaux des prix de transfert pratiqueacutes au sein des entreprises multinationales ndash Les propositions ameacutericaines de regraveglements Un rapport du Comiteacute des Affaires fiscales sur les propositions de regraveglements au titre de lrsquoarticle 482 du Code des impocircts (IRC) des Eacutetats-Unis OCDE Paris 1993 pp 27-28 la conformiteacute au principe de pleine concurrence de la nouvelle meacutethode de deacutetermination de prix de transfert introduite dans les regraveglements ameacutericains est mise en doute par lrsquoOCDE

laquo Le Groupe drsquoeacutetude considegravere que mecircme si [sic] en theacuteorie la meacutethode des beacuteneacutefices comparables qui sous-tend [sic] les propositions de regraveglements peut reflegraveter [sic] un beacuteneacutefice de pleine concurrence de mecircme qursquoun prix comparable peut reflegraveter [sic] un prix de pleine concurrence la mise en pratique de la theacuteorie soulegraveve de graves difficulteacutes Le poids consideacuterable confeacutereacute agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables dans les propositions de regraveglements accentue le risque de parvenir agrave un reacutesultat qui ne soit pas conforme au principe de pleine concurrence Srsquoil est souvent difficile de trouver un prix comparable il peut ecirctre tout aussi difficile de trouver un beacuteneacutefice comparable Le Groupe drsquoeacutetude estime que lrsquoapproche du partage des beacuteneacutefices pose moins de problegravemes bien qursquoil ne srsquoagisse pas non plus drsquoune approche baseacutee sur les transactions Crsquoest pourquoi elle a eacuteteacute utiliseacutee de preacutefeacuterence agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables par les administrations fiscales dans le cas ougrave les meacutethodes baseacutees sur les transactions ne sont pas disponibles raquo (Notre soulignement)

99 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 16 Agrave lrsquoinstar du Rapport de 1979 ils nrsquoexpliquent pas lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence

100 F M HORNER preacuteciteacute note 96 pp 579-586 101 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 115-135

468 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Eacutetats-Unis102 Qui plus est lrsquointroduction de la notion ineacutedite de laquo meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices raquo accentue encore plus lrsquoapproche transactionnelle adopteacutee par lrsquoOCDE en 1979 Compte tenu de ce qui preacutecegravede il est vraisemblable que ces Principes directeurs soient dans les circonstances le reacutesultat drsquoun compromis neacutegocieacute qui dissimule les diffeacuterences theacuteoriques et pratiques en matiegravere de prix de transfert entre les Eacutetats-Unis et les autres pays de lrsquoOCDE Certains avancent lrsquoopinion que lrsquoOCDE aurait consenti agrave permettre lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices sous reacuteserve que les Eacutetats-Unis acceptent de maintenir une application prioritaire des trois meacutethodes de base fondeacutees sur les transactions103

Si tant est que cette solution intermeacutediaire ait permis de deacutenouer lrsquoimpasse dans laquelle srsquoeacutetaient enfermeacutes lrsquoOCDE et les Eacutetats-Unis elle contribue bien entendu agrave maintenir le consensus international autour du principe de pleine concurrence104 Agrave compter du milieu des anneacutees 1990 des dizaines de pays choisissent drsquointeacutegrer dans leur leacutegislation fiscale nationale respective des mesures leacutegislatives conformes au principe de pleine concurrence de sorte que ce dernier est veacuteritablement devenu une norme accepteacutee agrave lrsquoeacutechelon international comme mesure leacutegislative fiscale pour reacutegir les prix de transfert105 Pour les pays membres de lrsquoOCDE plusieurs raisons justifient le refus de lrsquoabandon du principe de pleine concurrence la neutraliteacute dans le traitement des socieacuteteacutes lieacutees et des socieacuteteacutes indeacutependantes la faciliteacute drsquoapplication dans la plupart des cas la soliditeacute des fondements theacuteoriques le caractegravere satisfaisant des niveaux de beacuteneacutefices deacutetermineacutes pour les administrations fiscales la reacutepartition proportionnelle des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees membres du groupe calculeacutee en fonction des activiteacutes

102 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 94-97 En bref

lrsquoanalyse fonctionnelle vise agrave deacuteterminer les entiteacutes speacutecifiques qui ont la responsabiliteacute des risques et la proprieacuteteacute des biens incorporels au sein du groupe multinational drsquoentreprises Valerie AMERKHAIL laquo Armrsquos Length or Formulary Aportionment Sometimes the Best Choice is Both raquo (2000) vol 9 no 13 Tax Management Transfer Pricing Report 25 p 29

103 J LI preacuteciteacute note 92 p 861 et R VANN preacuteciteacute note 35 p 137 104 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 113-114 105 La plupart des pays adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave la fin

de lrsquoanneacutee 2011 quelque 100 pays avaient adopteacute des regravegles sur les prix de transfert UN Practical Transfer Pricing Manual for Developing Countries chap 1 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm) par 192 (laquo Manuel de lrsquoONU raquo)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 469

eacuteconomiques de chacune drsquoelles lrsquoacceptation de la norme sur le plan international et lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement reacutealiste106

En parallegravele ces mecircmes pays membres rejettent la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme solution de remplacement au principe de pleine concurrence Le refus agrave la diffeacuterence des lignes directrices de 1979 est exprimeacute de faccedilon cateacutegorique107 Loin drsquoecirctre entiegraverement nouveaux les principaux arguments invoqueacutes agrave lrsquoappui de ce refus soit les difficulteacutes lieacutees agrave la coordination et agrave la coopeacuteration internationales sur les formules preacuteeacutetablies agrave la deacutetermination de la composition du groupe multinational agrave la neacutecessiteacute drsquoun systegraveme comptable commun ainsi qursquoagrave lrsquoutilisation des formules arbitraires srsquoapparentent agrave ceux mentionneacutes au deacutebut des anneacutees 1930 dans les conclusions de lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices dirigeacutee par Carroll108

313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE

Agrave partir de 1995 les Principes directeurs sont lrsquoobjet drsquoune reacutevision permanente Durant la peacuteriode de 1996 agrave 1999 le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE srsquoaffaire notamment agrave formuler des Principes directeurs additionnels visant entre autres les services intragroupes les biens incorporels les accords de reacutepartition de coucircts et les accords preacutealables de prix Puis en 2010 lrsquoOCDE reacutevise en profondeur les chapitres I agrave III des Principes directeurs lesquels traitent du principe de pleine concurrence et des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert et ajoute le nouveau chapitre IX relatif aux prix de transfert des reacuteorganisations drsquoentreprises Deux sujets prioritaires preacuteoccupent lrsquoOCDE les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices et la reacutealisation de lrsquoanalyse de comparabiliteacute

Forte de lrsquoexpeacuterience acquise depuis 1995 dans lrsquoapplication des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices lrsquoOCDE abandonne la hieacuterarchie des meacutethodes de prix de transfert et recommande deacutesormais que la meacutethode de deacutetermination des prix de transfert choisie soit laquo la meacutethode la plus approprieacutee dans un cas speacutecifique raquo109 Virage important srsquoil en est un 106 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 17 18 113 et 114 107 Id par 114 et 358 agrave 374 108 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 109 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes de lrsquoOCDE applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales juillet 2010 (OECDiLibrary) (laquo Principes directeurs de 2010 raquo) par 22

470 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE ayant toujours accordeacute depuis 1979 la preacutefeacuterence aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles110 Quant aux analyses de comparabiliteacute lrsquoOCDE reconduit les indications geacuteneacuterales eacutenonceacutees au chapitre I relativement aux cinq critegraveres de comparabiliteacute et fournit dans le chapitre III reacuteviseacute des explications deacutetailleacutees au sujet du processus relatif agrave la reacutealisation de telles analyses lequel nrsquoinclut pas moins de neuf eacutetapes111

Les modifications de lrsquoOCDE sont calqueacutees grosso modo sur la position eacutenonceacutee dans les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code adopteacutes en juillet 1994 par le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis112 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous pouvons argumenter en faveur de lrsquoexistence drsquoune grande similitude entre drsquoune part certaines regravegles et meacutethodes preacutevues dans les lignes directrices de lrsquoOCDE publieacutees en 1979 1995 et 2010 et drsquoautre part les regraveglements ameacutericains qui ont trait aux prix de transfert Certains qui conjecturent sur cette similitude sont porteacutes agrave induire que celle-ci serait le fruit de la politique fiscale ameacutericaine deacutefendue dans les anneacutees 1960 par Stanley Surrey visant agrave propager les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et agrave les faire accepter dans les pays partout dans le monde comme regravegles de reacutepartition des beacuteneacutefices113

Agrave force de raffiner lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence les Principes directeurs de 2010 totalisent un nombre de pages presque quatre fois plus eacuteleveacute que les lignes directrices publieacutees en 1979114 Le cadre drsquoanalyse proposeacute par lrsquoOCDE est de plus en plus structureacute deacutetailleacute et complexe alors que les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent une importance de plus en plus grande Concept theacuteorique geacuteneacuteral au deacutepart il ne fait pas de doute que le principe de 110 ERNST amp YOUNG 2010 Global Transfer Pricing Survey Addressing the Challenges

of Globalization EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublication vwLUAssetsGlobal_transfer_pricing_survey_2010$FILE2010Globaltransferpricingsurvey_17Janpdf) p 13

111 Lrsquoobligation drsquoaccomplir une analyse de comparabiliteacute drsquoabord deacuteveloppeacutee dans les Principes directeurs de 1995 puis raffineacutee en 2010 nrsquoest pas preacutevue expresseacutement dans le texte du paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE

112 TD 8552 1994-2 CB 93 Sur ce point voir US DEPARTMENT OF THE TREASURY Report on the Application and Administration of Section 482 Washington 21 avril 1999 (en ligne httpwwwirsgovpubirs-pdfp3218pdf) chap 2 partie II section A

113 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 Voir eacutegalement J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 109

114 Le document reacuteviseacute en 2010 comporte 408 pages

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 471

pleine concurrence a gagneacute depuis en sophistication juridique et eacuteconomique115 Ainsi la tendance de lrsquoOCDE agrave la technicisation du principe de pleine concurrence manifesteacutee depuis un peu plus de 30 ans favorise le deacuteveloppement de multiples regravegles deacutetailleacutees souvent compliqueacutees couvrant des champs drsquoapplication de plus en plus pointus116

Le deacuteploiement est si consideacuterable que la somme des eacutenonceacutes des regravegles preacutecises et des meacutethodes speacutecifiques contribue de toute eacutevidence agrave nourrir le dogme de lrsquoapproche transactionnelle instaureacute par lrsquoOCDE pour appliquer le principe de pleine concurrence De plus cette tendance ne paraicirct pas vouloir disparaicirctre tant srsquoen faut dans un avenir rapprocheacute Nous pouvons deacutejagrave infeacuterer sans faire preuve drsquoune grande perspicaciteacute que la prochaine reacutevision des Principes directeurs augmentera assureacutement encore lrsquoeacutetendue des principes regroupeacutes dans la version publieacutee en 2010 car lrsquoOCDE poursuit des travaux dans drsquoautres projets drsquoenvergure notamment les prix de transfert des actifs incorporels et les aspects administratifs des prix de transfert

115 J OWENS preacuteciteacute note 67 p 3

laquo What began as a relatively straightforward expression of a simple principle has since developed into an increasingly sophisticated technical matter which involves both legal and economic concepts On the conceptual level an inherent and acknowledged difficulty is how to allocate profits to various parts of multinational enterprises as if they were independent parties while recognising that multinational enterprises are more than ever behaving globally On the more technical side we are seeing the development of increasingly sophisticated economic analysis of risks comparability adjustments intangible valuation etc This creates challenges for tax administrations ndash particularly in developing countries ndash and taxpayers alike as enforcement and compliance are becoming ever more complex and resource-intensive raquo

116 J Scott WILKIE laquo Reflecting on the ldquoArmrsquos Length Principlerdquo What is the ldquoPrinciplerdquo Where Next raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 137 (en ligne httplinkspringercom book101007978-3-642-25980-7page1) p 144

laquo The TPG [Transfer Pricing Guidelines] are not the armrsquos length principle But sometimes this is hard to tell [hellip] Together with countriesrsquo transfer pricing rules and practices the TPG are directed to and indeed have become consumed by methodological rules-based and often mechanical ldquoanalysesrdquo directed to somehow divining the ldquorightrdquo price for discrete transfers apparently similar to those involving outsiders It is then assumed that the aggregation of these outcomes should necessarily yield income satisfying the armrsquos length ldquoprinciplerdquo raquo

472 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

En somme les Principes directeurs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE au fil du temps revecirctent aujourdrsquohui un caractegravere pour ainsi dire sacreacute qui srsquoapparente agrave celui drsquoune bible117 Mecircme si les pays membres ne sont pas contraints du point de vue juridique de les appliquer118 les Principes directeurs sont pourvus drsquoune autoriteacute morale et constituent le seul guide international de reacutefeacuterence concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Cette assertion nrsquoest du moins qursquoen partie exacte puisque la reacutedaction drsquoun autre guide est en cours sous lrsquoeacutegide de lrsquoONU

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT

Degraves lrsquoadoption en 1979 du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU les pays membres de cette organisation internationale conviennent drsquoadheacuterer entiegraverement aux fins de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees au contenu descriptif deacuteveloppeacute par lrsquoOCDE relativement au principe de pleine concurrence119 Si bien que jusqursquoagrave maintenant les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement tentent de mettre en œuvre des Principes directeurs qui ne prennent pas en compte les inadeacutequations agrave la reacutealiteacute leacutegislative et eacuteconomique ni agrave la reacutealiteacute de la main-drsquoœuvre speacutecialiseacutee en fiscaliteacute des prix de transfert Pour pallier le deacutecalage entre la theacuteorie eacutelaboreacutee par lrsquoOCDE et sa mise en pratique lrsquoONU deacutecide en 2008 de se lancer agrave son tour dans la conception drsquoun manuel sur les regravegles de prix de transfert120

117 John J A BURKE laquo Re-Thinking First Principles of Transfer Pricing Rules raquo

(2011) vol 30 no 3 Virginia Tax Review 613 (Proquest ABIInform Complete) p 618

118 Voir la section 42 ci-dessous 119 Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 80 120 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration

internationale en matiegravere fiscale Manuel pratique des prix de transfert pour les pays en deacuteveloppement Note du Secreacutetariat Doc NU EC1820095 18 aoucirct 2009 (en ligne httpwwwunorgfrenchdocumentsview_docaspsymbol=E2Fc182F 20092F5ampSubmit=RechercheampLang=F) p 4 Plus preacuteciseacutement le projet de manuel est dirigeacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale un organe subsidiaire du Bureau du financement du deacuteveloppement du Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales (DAES) lequel fait partie du Secreacutetariat des Nations Unies

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 473

321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes directrices de lrsquoOCDE

Parmi les nombreux pays membres de lrsquoONU il y a des pays en deacuteveloppement sur le plan eacuteconomique financier et social Certains sont deacutesigneacutes officiellement comme les pays les moins avanceacutes121 tandis que drsquoautres se voient attribuer de maniegravere informelle lrsquoappellation laquo pays eacutemergents raquo122 Ces derniers dont la situation tend vers celle des pays deacuteveloppeacutes qui avait cours dans les anneacutees 1970 agrave 1990123 profitent de la mondialisation des marcheacutes et jouissent drsquoune croissance eacuteconomique rapide Comme les Principes directeurs sont conccedilus par lrsquoOCDE agrave lrsquointention speacutecifique des pays deacuteveloppeacutes les administrations fiscales et les entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales dans les pays en deacuteveloppement se mesurent en particulier agrave deux principaux eacutecueils pour fixer les prix de cession interne transfrontaliers124

Premiegraverement lrsquoexercice de trouver des transactions comparables aux fins de la mise en pratique de la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence se reacutevegravele ardu voire impossible pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales des pays en deacuteveloppement En fait le marcheacute inteacuterieur restreint dont disposent ces pays justifie naturellement lrsquoabsence de transaction comparable Eacutetant donneacute lrsquoimportance accordeacutee agrave la meacutethode transactionnelle du prix comparable sur le marcheacute libre par lrsquoOCDE depuis 1979 dans les Principes directeurs ce premier

121 Voir la liste eacutetablie en 2012 par le Conseil eacuteconomique et social des Nations Unies

(ECOSOC) laquelle est mise agrave jour tous les trois ans et qui comprend actuellement 48 pays principalement des pays drsquoAfrique UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT The Least Developed Countries Report 2012 Doc NU UNCTADLDC2012 (en ligne httpunctadorgenPublicationsLibrary ldc2012_enpdf) p iii

122 Notamment lrsquoAfrique du Sud le Breacutesil la Reacutepublique populaire de Chine lrsquoInde et lrsquoIndoneacutesie lesquels font drsquoailleurs lrsquoobjet drsquoun programme drsquolaquo engagement renforceacute raquo de lrsquoOCDE Agrave ce sujet voir le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorgfraproposmembresetpartenaires Toutefois il nrsquoexiste pas de deacutefinition eacuteconomique formelle du concept de pays eacutemergents ANONYME laquo Les pays eacutemergents dans le monde raquo Le Monde 25 janvier 2010 (en ligne httpwwwlemondefreconomiearticle20100125les-pays-emergents-dans-le-monde_1296196_3234html)

123 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1810 124 Les difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont cours dans les pays

deacuteveloppeacutes voir la section 41 ci-dessous Toutefois elles sont davantage criantes dans les pays en deacuteveloppement

474 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacutecueil constitue de loin la difficulteacute la plus grave pour les entreprises multinationales et les administrations fiscales Et pour cause lrsquoampleur de la tacircche srsquoapparenterait au fait de chercher une aiguille dans une botte de foin125

Deuxiegravemement la complexiteacute et le coucirct en temps requis pour appliquer les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence posent un lourd deacutefi aux administrations fiscales des pays en deacuteveloppement Il va sans dire que le caractegravere hautement theacuteorique des Principes directeurs de lrsquoOCDE ne facilite en rien lrsquoapplication pratique dans le contexte convenu de veacuterifications au cas par cas drsquoune meacutethode plutocirct qursquoune autre Vu lrsquoabsence de transaction comparable la rareteacute de lrsquoexpertise en matiegravere de prix de transfert dans les administrations fiscales complique encore davantage la fixation des prix de transfert en ce qursquoelle entrave lrsquoindispensable analyse des eacuteleacutements factuels propre agrave chaque cas

322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de lrsquoONU

Amorceacutes en 2009 les travaux du sous-comiteacute chargeacute des questions pratiques sur les prix de transfert ont pour but de concevoir un manuel agrave lrsquointention des administrations fiscales des pays en deacuteveloppement plus pratique que les Principes directeurs de lrsquoOCDE Le projet de manuel srsquoappuie sur la preacutemisse tenue pour certaine du bien-fondeacute et de la pertinence du principe de pleine concurrence eacutenonceacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices Approuveacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale agrave lrsquoautomne 2012126 il aborde diffeacuterents problegravemes auxquels sont confronteacutes les pays en deacuteveloppement y compris le manque de donneacutees comparables lrsquoinsuffisance de personnel posseacutedant des connaissances speacutecialiseacutees en matiegravere de prix de transfert et la croissance de lrsquoeacuteconomie intangible

125 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1107 126 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax

Matters Eighth Session Note on UN Transfer Pricing Manual for Developing Countries Doc NU EC182012CRP1 2 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 475

Dans un style de reacutedaction plus simple et plus clair que celui utiliseacute par lrsquoOCDE lrsquoONU srsquoefforce de vulgariser les concepts pertinents au domaine des prix de transfert agrave lrsquointeacuterieur des 10 chapitres du nouveau manuel dont le texte est deacutejagrave disponible en ligne127 Les efforts des nombreux reacutedacteurs provenant des cinq continents du monde soit des praticiens de pratique priveacutee quelques universitaires et des officiers gouvernementaux sont agrave cet eacutegard notables128 Crsquoest ainsi que les paragraphes sont tregraves courts et fournissent plusieurs exemples des tableaux et des scheacutemas

Par ailleurs les objectifs poursuivis par ce manuel deacutebordent lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence Outre notamment la simplification des notions et concepts en termes concrets et la preacutesentation drsquoexemples pratiques pour illustrer la theacuteorie lrsquoONU propose du point de vue juridique et administratif une deacutemarche globale pour aider les pays en deacuteveloppement agrave reacutediger un projet de loi sur les prix de transfert129 agrave organiser des services au sein des administrations fiscales pour deacuteterminer les prix de transfert130 et agrave instaurer des programmes de veacuterification des prix de transfert131

127 Ce manuel comme les Principes directeurs de lrsquoOCDE ne traite pas de lrsquoaspect

historique du principe de pleine concurrence 128 Drsquoaucuns soulegravevent la deacutelicate question de la soi-disant apparence drsquoindeacutependance

drsquoesprit et drsquoimpartialiteacute des reacutedacteurs qui sont des praticiens de pratique priveacutee et dont les inteacuterecircts financiers en tant que professionnels pourraient potentiellement aller agrave lrsquoencontre du mandat confieacute au Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale pour ce qui concerne le controcircle des coucircts de conformiteacute aux regravegles sur les prix de transfert Michael C DURST exprime lrsquoopinion dans laquo OECD UN Tax Panel Need to Preserve Their Independence raquo (2011) 130 Tax Notes 1603 (Tax Analysts) que les pays membres de lrsquoONU devraient exiger que ce Comiteacute puisse beacuteneacuteficier du personnel neacutecessaire afin de mener de maniegravere autonome les travaux relatifs au manuel sur les regravegles de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement sans recourir agrave lrsquoaide beacuteneacutevole de praticiens

129 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 3 130 Id chap 4 131 Id chap 8

476 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Ouvrage inacheveacute il sera reacuteviseacute au besoin et abordera lors de la seconde phase du projet le sujet des biens incorporels et des services132 De toute eacutevidence la reacutedaction par lrsquoONU drsquoun guide drsquoapplication du principe de pleine concurrence pour venir en aide aux pays en deacuteveloppement donne ouverture agrave la possibiliteacute de positions divergentes de celles de lrsquoOCDE quant agrave lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du concept de pleine concurrence Il nrsquoest pas deacuteraisonnable drsquoavancer que les reacutepercussions eacuteventuelles de la premiegravere incursion de lrsquoONU dans la chasse gardeacutee de lrsquoexpertise deacuteveloppeacutee par lrsquoOCDE en ce qui concerne le principe de pleine concurrence pourraient inclure une possible lutte de pouvoir agrave venir entre les deux organisations intergouvernementales Cela est drsquoautant plus probable que dans lrsquoavenir de plus en plus de pays en deacuteveloppement drsquoAfrique et drsquoAsie concluront des conventions fiscales bilateacuterales

Nul doute que lrsquoOCDE et lrsquoONU exercent aujourdrsquohui une autoriteacute manifeste de plus en plus grande dans le domaine de la fiscaliteacute agrave lrsquoeacutechelon international133 Avec le concours de lrsquoOCDE le principe de pleine concurrence devient apregraves la Seconde Guerre mondiale la seule reacutefeacuterence normative internationale autant pour les pays deacuteveloppeacutes que pour les pays en deacuteveloppement afin drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees entre les juridictions fiscales et ce agrave la deacutefaveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices De plus lrsquoexamen du contexte historique permet de conclure que lrsquoascension de la pratique administrative nationale de la meacutethode de la comptabiliteacute distincte au rang de standard leacutegislatif national srsquoest opeacutereacutee en deux phases sous lrsquoinfluence preacutepondeacuterante des Eacutetats-Unis Drsquoabord la SDN dans les anneacutees 1930 et ensuite lrsquoOCDE dans les anneacutees 1960 srsquoapproprient des pratiques administratives et reacuteglementaires du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain sur les prix de transfert

Les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale et les lignes directrices conccedilus par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE et le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale de lrsquoONU ont eu au XXe siegravecle une influence deacutecisive sur lrsquoeacutelaboration et lrsquoapplication

132 UNITED NATIONS preacuteciteacute note 126 pp 2-3 Toutefois en lrsquoabsence de

renseignements preacutecis sur les intentions futures de lrsquoONU les auteurs ne peuvent affirmer que cette derniegravere a pour but immeacutediat ou eacuteventuel de modifier le dogme en fonction de la reacutealiteacute eacuteconomique des pays de lrsquoONU

133 ERNST amp YOUNG 2011-2012 Tax Risk and Controversy Survey A New Era of Global Risk and Uncertainty EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublicationvwLUAssets20112012_Tax_risk_and_controversy_survey$FILE2011-2012_Tax_risk_and_controversy_surveypdf) p 20

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 477

des regravegles leacutegislatives et des pratiques administratives des gouvernements nationaux Ils continuent drsquoavoir au deacutebut du XXIe siegravecle la mecircme influence deacutecisive mais des organisations non gouvernementales telles Christian Aid134 Actionaid135 et Tax Justice Network136 jouent un rocircle de plus en plus actif qui contrebalance le soutien dont font lrsquoobjet aupregraves de lrsquoOCDE les inteacuterecircts des entreprises multinationales et des pays deacuteveloppeacutes137 De plus ces organisations participent agrave remettre en question la pertinence du critegravere du principe de pleine concurrence et son application dans le monde drsquoaujourdrsquohui

Deuxiegraveme partie minus Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour drsquoune norme internationale

Degraves le deacutebut des anneacutees 1970 la controverse autour du principe de pleine concurrence bat son plein aux Eacutetats-Unis138 Drsquoores et deacutejagrave les experts 134 Organisme de bienfaisance enregistreacute au Royaume-Uni Christian Reconstruction

dont le nom a eacuteteacute remplaceacute par Christian Aid en 1964 est creacuteeacute dans les anneacutees 1940 afin de combattre la pauvreteacute Pour plus de renseignements voir en ligne httpwwwchristianaidorgukaboutuswhohistoryindexaspx

135 Fondeacute en 1972 en Grande-Bretagne ActionAid alors appeleacute Action in Distress cherche agrave enrayer la pauvreteacute dans le monde Le siegravege social est situeacute en Afrique du Sud depuis 2003 Source en ligne httpwwwactionaidorgintl=

136 Tax Justice Network (Reacuteseau mondial pour la justice fiscale) est une organisation internationale indeacutependante sans but lucratif creacuteeacutee en 2003 et immatriculeacutee conformeacutement agrave la loi de la Belgique Elle cherche agrave promouvoir la justice fiscale et la coopeacuteration fiscale ainsi qursquoagrave combattre lrsquoeacutevitement fiscal lrsquoeacutevasion fiscale et la concurrence fiscale Les conseillers principaux de lrsquoorganisation consistent en les suivants Jack Blum avocat œuvrant pour le cabinet Baker Hostetler agrave Washington Michael J McIntyre professeur de droit au Wayne State University des Eacutetats-Unis Richard Murphy comptable agreacuteeacute directeur du Tax Research LLP au Royaume-Uni Sol Picciotto professeur eacutemeacuterite de droit agrave lrsquoUniversiteacute Lancaster au Royaume-Uni Prem Sikka professeur de comptabiliteacute agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEssex au Royaume-Uni David Spencer avocat agrave New York speacutecialiseacute en droit fiscal et bancaire Oscar Ugarteche eacuteconomiste agrave lrsquoInstitute of Economic Research de lrsquoUniversidad Nacional Autoacutenoma de Mexico et Edmund Valpy Fitzgerald professeur en deacuteveloppement international agrave lrsquoUniversiteacute drsquoOxford au Royaume-Uni Pour plus de deacutetails voir en ligne httpwwwtaxjusticenetcmsfront_contentphpidcat=81ampidart=96ampclient= 1ampchangelang=1

137 M C DURST preacuteciteacute note 128 p 1604 138 Ayant fait le choix de traiter le principe de pleine concurrence uniquement du point de

vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont donc pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays de lrsquoOCDE ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales Pour ce qui concerne le Canada

(agrave suivrehellip)

478 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en fiscaliteacute les entreprises multinationales lrsquoadministration fiscale ameacutericaine ndash lrsquoIRS ndash et les tribunaux deacutesapprouvent lrsquoimpreacutevisibiliteacute ainsi que la subjectiviteacute des prix de transfert des socieacuteteacutes lieacutees deacutetermineacutes en vertu de lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et surtout des premiers regraveglements adopteacutes en 1968139 Lrsquoeacutelaboration de ces regraveglements un terreau leacutegislatif propice aux deacutebats donne suite agrave lrsquoentente sur les mesures leacutegislatives conclue en 1962 entre la Chambre des repreacutesentants ndash qui initialement proposait lrsquoinstauration de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee agrave lrsquoeacutegard des cessions internes de biens corporels ndash et le Seacutenat140

Puis dans la peacuteriode 1985-1995141 cette controverse prend de lrsquoampleur agrave la suite de lrsquoadoption des propositions de regraveglements modifieacutes concernant la reacuteforme fiscale ameacutericaine de 1986 notamment de la regravegle de la meilleure meacutethode de deacutetermination des prix de transfert et de la publication en 1995 des lignes directrices reacuteviseacutees de lrsquoOCDE sur lrsquoapplication du principe de pleine concurrence142 Les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

(hellipsuite)

lrsquoanalyse du deacuteveloppement leacutegislatif des regravegles canadiennes sur les prix de transfert permet de conclure que ce dernier a adheacutereacute au principe de pleine concurrence en plusieurs eacutetapes et ce sur une peacuteriode de plus de 40 ans (1952-1998) sans qursquoil existe de controverse analogue agrave celle ayant cours aux Eacutetats-Unis Notamment lrsquointroduction de lrsquoarticle 247 de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu (LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo)) qui srsquoapplique aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves 1997 et remplace les paragraphes 69(2) et 69(3) LIR marque lrsquointeacutegration formelle du principe de pleine concurrence dans la loi canadienne

139 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE Report to the Chairman House Committee on Ways and Means laquo IRS Could Better Protect US Tax Interests in Determining the Income of Multinational Corporations raquo 1981 (en ligne httparchivegaogovf0102116575pdf) pp 43-47

140 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25 Michael C DURST et Robert E CULBERTSON laquo Clearing Away the Sand Retrospective Methods and Prospective Documentation in Transfer Pricing Today raquo (2003-2004) vol 57 no 1 Tax Law Review 37 (HeinOnline Law Journal Library) pp 48-52 Michael C DURST laquo OECD Guidelines Causes and Consequences raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 129-130

141 Peacuteriode deacutesigneacutee sous le vocable de laquo partie de bras de fer raquo entre le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis et plusieurs gouvernements des pays eacutetrangers ainsi que les entreprises multinationales M C DURST preacuteciteacute note 140 p 128

142 Id pp 61-90 Stanley I LANGBEIN laquo Cognitive Capture Parliamentary Parentheses and the Rise of Fractional Apportionment raquo (2010) vol 39 no 10

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 479

marquent momentaneacutement des points sur le terrain de la politique une reacutesolution en faveur drsquoun changement du paradigme existant est adopteacutee en 1994 par le Seacutenat ameacutericain agrave lrsquoinitiative du seacutenateur deacutemocrate Dorgan143 lequel considegravere le principe de pleine concurrence comme un vestige du passeacute permettant aux entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales aux Eacutetats-Unis de payer peu drsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou de nrsquoen payer aucun144

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU

COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES

BEacuteNEacuteFICES

Plus de 15 ans apregraves le deacutebut de la partie de bras de fer aux Eacutetats-Unis des universitaires et des praticiens de pratique priveacutee continuent dans la deacutecennie 2000-2010 de contester lrsquoefficaciteacute de la reacuteglementation ameacutericaine Certains se prennent mecircme drsquoengouement pour lrsquoideacutee drsquoappliquer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie au niveau national145 Agrave vrai dire la revue de la litteacuterature ameacutericaine montre que les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont plus nombreux agrave prendre la plume que les deacutefenseurs du principe de pleine concurrence Deux courants drsquoopinions en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se dessinent parmi les principaux acteurs de

(hellipsuite)

Tax Management International Journal 567 (ProQuest AbINFORM Global) pp 571-573

143 Eugene E LESTER laquo International Transfer Pricing Rules Unconventional Wisdom raquo (1995) vol 2 ILSA Journal of International amp Comparative Law 283 (HeinOnline Law Journal Library) p 294

144 Byron L DORGAN laquo Dorgan Tells Treasury to Reject OECD Draft on Transfer Pricing raquo 94 Tax Notes International 190-27 (Tax Analysts) Dans une correspondance eacutecrite il srsquoadresse comme suit au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

laquo There are many members of Congress tax experts and tax administrators who share my view that this massive tax avoidance by large international firms is perpetuated by the Treasury Departmentrsquos adherence to the ldquoarms lengthrdquo standard As you know I have advocated that we replace this nineteenth-century relic with a simple formula approach similar to that used by the several states in the United States to determine the income of foreign-based corporations operating within their borders raquo

145 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 572

480 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

la controverse certains exigent une reacuteforme du systegraveme actuel et drsquoautres une simple retouche

Drsquoune part les deacutefenseurs de la reacuteforme (laquo les reacuteformateurs raquo) lesquels clament lrsquoeacutechec du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence en invoquant ses lacunes importantes suggegraverent de le remplacer par un systegraveme fondeacute sur le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux146 Ce dernier srsquoeacutecarte du principe de pleine concurrence car lrsquoobjectif annonceacute semble ecirctre drsquoobtenir une reacutepartition juste des beacuteneacutefices totaux sans tenir compte du comportement du marcheacute147 Les reacuteformateurs se fondent agrave cette fin sur lrsquoexpeacuterience de gouvernements infranationaux notamment les Eacutetats ameacutericains et les provinces canadiennes comme modegravele drsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices148

Drsquoautre part les partisans de la retouche (laquo les conservateurs raquo) promeuvent le maintien du principe de pleine concurrence tout en deacutefendant lrsquoideacutee de lrsquoinstauration ndash par un pays de maniegravere unilateacuterale dans les

146 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo 2009 (en ligne

httpwwwtaxjusticenetcmsuploadpdfTP_in_developing_countriespdf) Reuven S AVI-YONAH laquo The Rise and Fall of Armrsquos Length A Study in the Evolution of US International Taxation raquo (1995) vol 15 Virginia Tax Review 89 (HeinOnline Law Journal Library) Reuven S AVI-YONAH Kimberly A CLAUSING et Michael C DURST laquo Allocating Business Profits for Tax Purposes A Proposal to Adopt a Formulary Profit Split raquo (2008-2009) vol 9 no 5 Florida Tax Review 497 (HeinOnline Law Journal Library) Steve CHRISTENSEN laquo Formulary Apportionment More Simple minus on Balance Better raquo (1996-1997) vol 28 no 4 Law amp Policy in International Business 1133 (HeinOnline Law Journal Library) Kimberley A CLAUSING et Reuven S AVI-YONAH laquo The Hamilton Project Reforming Corporate Taxation in a Global Economy A Proposal to Adopt Formulary Apportionment raquo University of Michigan Public Law and Legal Theory Working Paper No 85 2007 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id= 995202) E E LESTER preacuteciteacute note 143 Michael MAZEROV laquo Why Armrsquos Length Falls Short raquo vol 5 no 2 International Tax Review 28 (HeinOnline Law Journal Library) Martin A SULLIVAN laquo Economic Analysis Transfer Pricing Abuse Is Job-Killing Corporate Welfare raquo (2010) 128 Tax Notes 461 (Tax Analysts) R VANN preacuteciteacute note 35 J M WEINER preacuteciteacute note 1

147 S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 415 148 Michael C DURST laquo Itrsquos Not Just Academic The OECD Should Reevaluate

Transfer Pricing Laws raquo (2010) 57 Tax Notes International 247 (Tax Analysts) p 253 Joann Martens WEINER laquo Formulary Apportionment and Group Taxation In the European Union Insights From the United States and Canada raquo Working Paper No 8 2005 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocuments taxationgen_infoeconomic_analysistax_papers2004_2073_EN_web_final_versionpdf) pp 10-15

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 481

conventions fiscales bilateacuterales dont il est signataire ou encore par lrsquoOCDE ndash drsquoune gamme de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert Outre les meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave applicables cette gamme inclurait la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique preacuteeacutetablie149 Au contraire des reacuteformateurs les conservateurs cherchant plutocirct agrave faire contrepoids au deacutebat ne cristallisent pas la polariteacute du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale illimiteacutee des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie150 Ils se reacuteclament de lrsquoideacutee du continuum de meacutethodes formuleacutee par un groupe drsquoexperts en fiscaliteacute lors drsquoune confeacuterence sur les prix de transfert en 1993 qui preacutesuppose que les meacutethodes de pleine concurrence et la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices ne sont pas des meacutethodes antinomiques151

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES

CRITIQUES ET DES CONJECTURES

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale les reacuteformateurs et les conservateurs deacutecrient tous les lacunes les plus importantes du principe de pleine concurrence sur les plans theacuteorique et pratique pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Ils signalent au total quatre failles principales les critiques formuleacutees eacutetant en substance les mecircmes que celles deacutejagrave exprimeacutees dans les anneacutees 1970 Crsquoest donc dans un esprit de continuiteacute que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se preacutesente volontiers aux

149 V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 25 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146

p 93 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 pp 519-522 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 304-305 J LI preacuteciteacute note 92 pp 857-867 Michael McINTYRE laquo Contrasting Methodologies A Systematic Presentation of the Differences Between an Armrsquos-LengthSource-Rule System and a Combined-ReportingFormulary-Apportionment System raquo 1994 (en ligne httpfacultylawwayneedumcintyretextmcintyre_articlesMultistatecontrasting_methodpdf) Actuellement lrsquoOCDE et lrsquoONU nrsquoadmettent que deux cateacutegories de meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert qui satisfont au principe de pleine concurrence les meacutethodes traditionnelles fondeacutees sur les transactions (depuis 1979) et les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices (depuis 1995) Selon les conservateurs lrsquoapplication de la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux serait restreinte aux transactions pour lesquelles il nrsquoexiste pas de transaction comparable

150 E E LESTER preacuteciteacute note 143 p 304 151 Brian J ARNOLD et Thomas E McDONNELL laquo Report on the Invitational

Conference on Transfer Pricing The Allocation of Income and Expenses Among Countries raquo (1993) vol 41 no 5 Revue fiscale canadienne 899-922 (Taxfind) p 905

482 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteformateurs comme la panaceacutee aux difficulteacutes de la reacutepartition internationale de lrsquoassiette fiscale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees

411 Les failles du concept de pleine concurrence selon les acteurs de la controverse

Premiegraverement le principe de pleine concurrence repose sur une hypothegravese ndash les socieacuteteacutes lieacutees transigent entre elles comme si elles eacutetaient des socieacuteteacutes indeacutependantes ndash qui ne tient pas compte de lrsquointerdeacutependance et de lrsquointeacutegration des opeacuterations des entreprises multinationales modernes Partant elle constitue une limite systeacutemique gecircnant la prise en consideacuteration des beacuteneacutefices reacutesiduels deacutecoulant de lrsquointernalisation des synergies ou des eacuteconomies drsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire les beacuteneacutefices qui ne reacutesultent pas drsquoactiviteacutes eacuteconomiques dont la source geacuteographique peut ecirctre identifieacutee152 Mecircme si pour lrsquoOCDE le prix de pleine concurrence repreacutesente par rapport aux conditions normales du marcheacute la meilleure estimation de la reacutealiteacute eacuteconomique drsquoune socieacuteteacute membre drsquoune entreprise multinationale qui fait des affaires avec des socieacuteteacutes lieacutees il nrsquoy a pas en fait de critegraveres objectifs geacuteneacuteralement admis pour attribuer les eacuteconomies drsquoeacutechelle et les avantages agrave

152 Reuven S AVI-YONAH et Ilan BENSHALOM laquo Formulary Apportionment Myths

and Prospects ndash Promoting Better International Tax Policy by Utilizing the Misunderstood and Under-Theorized Formulary Alternative raquo University of Michigan Law School Empirical Legal Studies Center Paper No 10-029 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id=1693105) chap I section C J J A BURKE preacuteciteacute note 117 pp 619-620 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1159-1158 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 124 Robert A GREEN laquo The Future of Source-Based Taxation of the Income of Multinational Enterprises raquo (1993) 79 Cornell Law Review 18 (HeinOnline Law Journal Library) p 46 Walter HELLERSTEIN laquo Income Allocation in the 21st Century the End of Transfer Pricing The Case for Formulary Apportionment raquo (2005) International Transfer Pricing Journal 103 p 108 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 653-655 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 295-297 J LI preacuteciteacute note 92 pp 834-835 Jinyan LI laquo Soft Law Hard Realities and Pragmatic Suggestions Critiquing the OECD Transfer Pricing Guidelines raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 82-83 Julie ROIN laquo Can the Income Tax Be Saved The Promise and Pitfalls of Adopting Worlwide Formulary Apportionment raquo (2008) vol 61 no 3 Tax Law Review 169 (Hein Online Law Journal Library) p 185 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo preacuteciteacute note 146 chap 7 section 712 Jens WITTENDORFF laquo The Armrsquos-Length Principle and Fair Value Identical Twins or Just Close Relatives raquo (2011) 62 Tax Notes International 223 (Tax Analysts) pp 239-240

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 483

lrsquointeacutegration entre les entreprises lieacutees153 Qui plus est la deacutetermination transaction par transaction de la source de revenus des socieacuteteacutes lieacutees se reacutevegravele sur le plan theacuteorique fort discutable et en pratique difficile agrave trouver vu que les activiteacutes eacuteconomiques transfrontaliegraveres des groupes drsquoentreprises multinationales sont aujourdrsquohui de plus en plus organiseacutees et coordonneacutees agrave lrsquointeacuterieur mecircme de ces groupes154

Ainsi les entreprises multinationales ne transigent pas comme le font les socieacuteteacutes non lieacutees En regravegle geacuteneacuterale ce sont des organisations qui effectuent des transactions intragroupes avant ou apregraves avoir ajouteacute dans au moins un pays eacutetranger ougrave elles deacutetiennent des actifs une valeur aux biens produits ou aux services rendus155 Selon la theacuteorie eacuteconomique de la firme deacuteveloppeacutee initialement par Coase le but preacutecis de la formation des entreprises multinationales consiste agrave reacuteduire les coucircts autrement engageacutes dans un marcheacute libre ndash par exemple les frais de recherche et de deacuteveloppement les frais drsquoexploitation les coucircts pour obtenir des renseignements ainsi que les frais de gestion et les frais financiers ndash en tirant parti drsquoune coordination interne des deacutecisions et des orientations strateacutegiques concernant lrsquoensemble du groupe ce qui permet de maximiser les beacuteneacutefices totaux156

Deuxiegravemement il est difficile voire impossible pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales de trouver en pratique des donneacutees concernant des transactions conclues sur le marcheacute libre entre des socieacuteteacutes tierces qui sont suffisamment comparables agrave celles conclues entre des socieacuteteacutes lieacutees157 Crsquoest que posteacuterieurement agrave la Deuxiegraveme Guerre mondiale la nature des cessions internes transfrontaliegraveres

153 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 110 et 114 154 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 109 155 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 3 156 Richard J VANN laquo Taxing International Business Income Hard-Boiled Wonderland

and the End of the World raquo (2010) vol 2 no 3 World Tax Journal 291 (IBFD Tax Research Platform) pp 293-294

157 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 503 Michael C DURST laquo The Two Worlds of Transfer Pricing Policymaking raquo (2011) 61 Tax Notes International 439 (Tax Analysts) p 439 M C DURST preacuteciteacute note 148 p 249 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 pp 27-36 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 183 Dans lrsquoarticle laquo With Billions at Stake Glaxo Puts APA Program on Trial raquo (2004) 103 Tax Notes 388 (Tax Analysts) Martin SULLIVAN ironise agrave la page 389 sur les embucircches relatives aux donneacutees comparables laquo Administering the armrsquos length method without comparables is like playing hockey without a puck raquo

484 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

srsquoest complexifieacutee du fait du processus continu drsquointeacutegration des entreprises multinationales158 Aussi les eacutechanges entre les socieacuteteacutes lieacutees se rapportent-ils deacutesormais agrave des biens intermeacutediaires agrave des biens incorporels uniques de grande valeur et agrave des services speacutecialiseacutes et non pas seulement agrave des matiegraveres premiegraveres et agrave des produits agricoles industriels ndash par exemple les meacutetaux le peacutetrole le bleacute le cafeacute le theacute et le caoutchouc ndash dont le prix est deacutejagrave fixeacute sur le marcheacute libre LrsquoOCDE reconnaicirct neacuteanmoins dans ces cas preacutecis la difficulteacute drsquoapplication du principe de pleine concurrence159

Troisiegravemement lrsquoapplication du principe de pleine concurrence est devenue un veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Objets drsquoun deacuteveloppement freacuteneacutetique au cours des 15 derniegraveres anneacutees160 les lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE se font de plus en plus complexes si bien que dans les circonstances lrsquoanalyse au cas par cas contribue agrave accroicirctre lrsquoincertitude relative aux prix de transfert161 Il srsquoen trouve mecircme qui preacutetendent que le principe de pleine concurrence rencontre aujourdrsquohui les limites de son deacuteveloppement

158 M C DURST preacuteciteacute note 140 illustre aux pages 124-125 la situation comme suit

laquo The fact is that in many industries in many markets only integrated multi-national commonly controlled businesses are active in the market because a non-integrated structure would be too costly to survive

This means that as a general rule for transactions entered into among members of commonly controlled groups ndash that is the very transactions for which transfer pricing rules are needed ndash ldquouncontrolled comparablesrdquo as we transfer pricing practitioners call them simply do not exist Even when say a company sells to an affiliate a commodity ndash say a bushel of wheat of a specified grade and at a specific location ndash the economically correct price is different from that in an identical sale between unrelated parties because the sale exposes the unrelated parties to costs and risks that the commonly controlled parties do not bear And of course once the product is more differentiated than a barrel of oil or a bushel of wheat the notion of comparability is even more implausible raquo

159 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 19 160 Les lignes directrices contenues dans les Principes directeurs de 2010 id comportent

plus de 400 pages mais nrsquoen comptaient il y a 30 ans que 100 Voir la section 3 ci-dessus

161 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505 M C DURST preacuteciteacute note 148 pp 249-250 De lrsquoopinion de Byron L Dorgan seacutenateur deacutemocrate ameacutericain laquo [t]he whole armrsquos length approach is to go back and reconstruct transactions It is like taking a giant plate of spaghetti and trying to separate each noodle Thatrsquos the audit test raquo John TURRO laquo TNI Interviews Senator Byron L Dorgan On Formulary Apportionment raquo 94 Tax Notes International 243-5

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 485

consideacuterant que les regravegles leacutegislatives nationales et les Principes directeurs de lrsquoOCDE mettent surtout lrsquoaccent sur des critegraveres externes aux entreprises multinationales soit les donneacutees comparables difficiles agrave obtenir et que les meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices ne sont en reacutealiteacute que la variante moderne de la meacutethode empirique appliqueacutee par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930162 Le domaine des prix de transfert a geacuteneacutereacute par la force des choses une veacuteritable industrie de professionnels speacutecialiseacutes soit des avocats des comptables et des eacuteconomistes qui offrent aux entreprises multinationales geacuteneacuteralement dans de grands cabinets internationaux des services relatifs agrave la planification agrave la documentation et agrave la reacutesolution des litiges Faute de ressources humaines et technologiques suffisantes pour deacuteterminer les prix de transfert conformeacutement aux lignes directrices de lrsquoOCDE les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement sont deacutepasseacutees par lrsquoexpertise des entreprises multinationales et de leurs conseillers externes163

Quatriegravemement le fait pour les administrations fiscales de respecter la liberteacute contractuelle164 sert les manipulations des prix de transfert effectueacutees par les entreprises multinationales Ces derniegraveres peuvent donc leacutegitimement deacuteplacer des actifs et des risques agrave des socieacuteteacutes qui reacutesident dans des refuges fiscaux pour eacuteviter de payer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices dans des juridictions fiscales dont le taux drsquoimposition est eacuteleveacute165 Deacutecrites dans les meacutedias ameacutericains comme laquo la technique des prix de transfert raquo les manipulations en particulier les transferts transfrontaliers drsquoactifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis constituent la source principale des litiges fiscaux en matiegravere de prix de transfert166 Les planifications fiscales conformes aux regravegles sur 162 H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 39 163 ACTIONAID Calling Time Why SABMiller Should Stop Dodging Taxes in Africa

2010 (en ligne httpwwwactionaidorgukdoc_libcalling_time_on_tax_ avoidancepdf) p 28 ANONYME laquo UN Delegates Split on the Armrsquos Length Standard and Apportionment raquo TP Week 19 janvier 2010 Voir la section 32 du preacutesent texte

164 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 136-141 165 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505

M C DURST preacuteciteacute note 157 p 444 Michael C DURST laquo Congress Fix Transfer Pricing and Protect US Competitiveness raquo (2010) 128 Tax Notes 401 (Tax Analysts) pp 401-402

166 JOINT COMMITTEE ON TAXATION Present Law and Background Related to Possible Income Shifting and Transfer Pricing (JCX-37-10) 20 juillet 2010 (en ligne httpwwwjctgovpublicationshtmlfunc=startdownampid=3692) pp 31-34 Voir aussi Jesse DRUCKER laquo US Companies Dodge $ 60 Billion in Taxes With Global Odyssey raquo 13 mai 2010 (en ligne httpwwwbloombergcomnewsprint2010-05-

(agrave suivrehellip)

486 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence occasionneraient des pertes de recettes fiscales gigantesques pour le fisc ameacutericain Dans la litteacuterature ameacutericaine lrsquoampleur de lrsquoeacutevitement fiscal fait lrsquoobjet drsquoune estimation dont le montant varie de 28 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2007 agrave 60 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2004 et qui reacutesulte en geacuteneacuteral drsquoun examen comparatif des statistiques sur lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger des entreprises multinationales ameacutericaines avec celles sur lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger167 Drsquoougrave les eacutelans agrave lrsquoeacutegard du paradigme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices chez les reacuteformateurs qui y voient un moyen strateacutegique de contrer les failles theacuteoriques et pratiques du principe de pleine concurrence

412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse

Les reacuteformateurs preacutetendent que la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comporte de nombreux avantages sur le principe de pleine concurrence En premier lieu ils mettent en avant la simpliciteacute accrue du concept Comme le

(hellipsuite)

13american-companies-dodge-60-billion-in-taxes-even-tea-party-would condemnhtml) Le journaliste expose la laquo technique des prix de transfert raquo qui permet aux socieacuteteacutes pharmaceutiques ameacutericaines minus telles Forest Laboratories Inc Oracle Corp Eli Lilly amp Co et Pfizer Inc minus drsquoeacuteviter de payer en toute leacutegaliteacute des impocircts au fisc ameacutericain agrave lrsquoaide de transactions purement theacuteoriques Notamment Forest Laboratories Inc utilise des filiales reacutesidentes de lrsquoIrlande (planification appeleacutee Double Irish laquelle implique lrsquoutilisation de deux filiales irlandaises dont lrsquoune est reacutesidente des Bermudes) des Bermudes et des Pays-Bas (planification appeleacutee Dutch Sandwich une variante du Double Irish en vertu de laquelle une filiale neacuteerlandaise nrsquoayant aucun employeacute sert agrave acheminer les paiements entre les deux filiales irlandaises)

167 David S MILLER laquo How US Tax Law Encourages Investment Through Tax Havens raquo (2011) 131 Tax Notes 167 (Tax Analysts) p 170 Testimony of Martin A Sullivan Economist and Contributing Editor Tax Analysts before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovuploadedfilessullivan_written_testimony_wm_jan_20pdf) (laquo Sullivan raquo) pp 5-6 En ce qui concerne les pays en deacuteveloppement Christian Aid estime les pertes de recettes fiscales corporatives attribuables agrave lrsquoeacutevasion fiscale en particulier la surfacturation et la sous-facturation agrave dessein des prix de transfert (transfer mispricing) ainsi que la facturation mensongegravere entre les socieacuteteacutes non lieacutees (false invoicing) au montant de 160 milliards de dollars annuellement pour la peacuteriode de 2000 agrave 2006 Voir Christian Aid Death and Taxes The True Toll of Tax Dodging 2008 (en ligne httpwwwchristianaidorgukimagesdeathandtaxespdf) pp 2 et 51-53

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 487

calcul du revenu imposable mondial de lrsquoentreprise multinationale srsquoeffectuerait sur une base consolideacutee plutocirct que distincte les prix de cession interne transfrontaliers deviennent sans importance et par conseacutequent les dispositions de lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE ne seraient plus pertinentes168 En deuxiegraveme lieu les reacuteformateurs invoquent la justesse accrue de la reacutepartition des beacuteneacutefices en raison du fait que la reacutepartition globale srsquoapparente plus agrave la reacutealiteacute eacuteconomique des entreprises multinationales hautement inteacutegreacutees qui sont exploiteacutees comme des entreprises uniques169 Ils arguent en troisiegraveme lieu de lrsquoefficaciteacute accrue de ce concept pour contrer lrsquoeacutevitement fiscal dans la mesure ougrave les entreprises multinationales chercheraient agrave maximiser les beacuteneacutefices de preacutefeacuterence agrave structurer des transactions pour des raisons de conformiteacute fiscale170 En dernier lieu ils opposent la reacuteduction eacuteventuelle des coucircts administratifs et de conformiteacute notamment la disparition de lrsquoobligation de produire la documentation ponctuelle

Toutefois il est difficile vu la nature diffeacuterente de leur structure respective de comparer le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices avec celui du principe de pleine concurrence171 En fait les caracteacuteristiques des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont diameacutetralement opposeacutees agrave celles des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de pleine concurrence Si tant est que lrsquoaugmentation nette de lrsquoeau drsquoun lac situeacute sur la frontiegravere commune des pays A et B puisse illustrer les modaliteacutes distinctes de la reacutepartition des beacuteneacutefices selon les deux systegravemes lrsquoapproche de pleine concurrence permet de deacuteterminer lrsquoapport drsquoeau fraicircche ajouteacutee au lac par chacun des pays Par contre lrsquoapproche unitaire cherche plutocirct agrave reacutepartir conformeacutement agrave lrsquoaccord conclu entre les deux pays la quantiteacute totale drsquoeau fraicircche contenue dans le lac172

168 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 3)

M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 9 169 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146 pp 148-149 Robert H CUTLER laquo Formulary

Apportionment ndash Is this Alternative to the Armrsquos Length Standard Possible and Practical Under the United Statesrsquo Current Tax Treaties raquo (1997) 3 International Trade amp Business Law Annual 153 (HeinOnLine) pp 162-163 R A GREEN preacuteciteacute note 152 p 67

170 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1161 171 Id p 1162 172 Michael J McINTYRE laquo Theory and Practice of Combined Reporting with

Formulary Apportionment raquo 2009 (en ligne httpwwwmtcgovuploadedFiles Multistate_Tax_CommissionUniformityUniformity_Committee_and_Subcommittees09_Winter_Committee_MeetingMcIntyre20-20theory20of20apportionmentpdf)

(agrave suivrehellip)

488 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Pour commencer le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices se fonde non pas sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte mais sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire laquelle requiert que les membres composant un groupe multinational drsquoentreprises soient consideacutereacutes comme ne formant qursquoune seule entreprise unifieacutee173 Notamment ce systegraveme implique une deacutemarche orienteacutee sur les facteurs de reacutepartition plutocirct que sur les circonstances factuelles des transactions Par exemple la formule Massachusetts eacutelaboreacutee degraves 1957 afin drsquoeacutetablir un moyen uniforme drsquoattribuer aux administrations fiscales infranationales ameacutericaines les revenus drsquoentreprise des socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat aux Eacutetats-Unis inclut trois facteurs relatifs agrave une juridiction fiscale donneacutee les actifs les salaires et les recettes brutes174 La formule qui vise agrave deacuteterminer la portion attribuable agrave une administration fiscale du revenu imposable mondial drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales qui y est assujetti donne lieu agrave une reacutepartition territoriale plutocirct que transactionnelle

En effet lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices repose sur lrsquohypothegravese implicite suivant laquelle la portion de chaque dollar du revenu imposable total reacutesultant de transactions transfrontaliegraveres se rapporte agrave toutes les juridictions fiscales dans lesquelles sont situeacutes les facteurs de reacutepartition de lrsquoentreprise unitaire175 Agrave lrsquoinverse lrsquoapproche du principe de pleine concurrence suppose qursquoune source localiseacutee dans une seule juridiction fiscale se rattache agrave chaque eacuteleacutement du revenu imposable total gagneacute par lrsquoentreprise multinationale dans les pays ougrave elle exerce des activiteacutes commerciales176 De plus dans le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la comptabilisation des beacuteneacutefices de lrsquoentreprise multinationale est

(hellipsuite)

diapositive no 4 Cette analogie agrave nrsquoen pas douter suggegravere lrsquoideacutee que lrsquoapproche unitaire est en apparence plus simple et pragmatique que lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

173 Dans la doctrine la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte est opposeacutee agrave la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire une doctrine judiciaire eacutelaboreacutee agrave lrsquoorigine par les tribunaux des Eacutetats ameacutericains pour deacutefinir sur le plan fiscal le concept de groupe drsquoentreprises Agrave ce propos consulter V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 28 J M WEINER preacuteciteacute note 148 pp 28-32

174 Les trois critegraveres retenus par le National Conference of Commissioners on Uniform State Laws drsquoeacutegale pondeacuteration dans la formule matheacutematique sont deacutefinis dans lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act (laquo UDITPA raquo) Sur ce point voir R H CUTLER preacuteciteacute note 169 p 161

175 M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 10 176 Id p 11

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 489

consolideacutee alors que dans le systegraveme de pleine concurrence la comptabilisation des beacuteneacutefices srsquoeffectue de faccedilon distincte agrave lrsquoeacutegard de chaque membre de lrsquoentreprise multinationale Finalement le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoadmet comme meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert que celles fondeacutees sur des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies

En reacutealiteacute les soi-disant avantages de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoont jamais eacuteteacute deacutemontreacutes par les deacutefenseurs de la reacuteforme dont les affirmations ne reposent sur aucune eacutetude approfondie ni expeacuterience empirique pour ce qui concerne la reacutepartition de lrsquoassiette internationale Crsquoest donc en cela que reacuteside la principale faiblesse de la proposition des reacuteformateurs La plupart drsquoentre eux nrsquoappuient leur point de vue que sur lrsquoeacutenonceacute drsquoune opinion preacutesenteacutee comme une veacuteriteacute eacutevidente177 et certains autres sur lrsquointerpreacutetation de donneacutees statistiques publiques concernant essentiellement les activiteacutes et les beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par les entreprises multinationales178 Du reste le projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) des 27 pays faisant partie de lrsquoUnion europeacuteenne renforce lrsquointeacuterecirct des reacuteformateurs pour le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices179 Il y a drsquoailleurs un certain cousinage drsquoesprit entre les reacuteformateurs et la Commission europeacuteenne cette derniegravere preacutesumant dans lrsquoexposeacute des motifs au soutien de la proposition drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) que le principe de pleine concurrence est maintenant deacutepasseacute180 Par-delagrave lrsquoabsence notoire

177 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1164 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152

pp 108-109 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30 178 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146

pp 501-502 et 527-533 Sullivan preacuteciteacute note 167 179 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 515

Ce projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes a eacuteteacute lanceacute en 2001 dans le but notamment de reacuteduire les coucircts eacuteleveacutes de conformiteacute fiscale lieacutes aux prix de transfert fondeacutes sur le principe de pleine concurrence Les modaliteacutes du calcul de lrsquoassiette imposable consolideacutee des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes paneuropeacuteennes annonceacutees en 2011 incluent une formule de reacutepartition composeacutee de trois facteurs dont la pondeacuteration est identique main-drsquoœuvre immobilisations et chiffre drsquoaffaires Agrave ce sujet voir COMMISSION EUROPEacuteENNE Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes (ACCIS) 2011 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxation company_taxcommon_tax_basecom_2011_121_frpdf)

180 COMMISSION EUROPEacuteENNE preacuteciteacute note 179 p 4

laquo Actuellement lrsquoun des obstacles principaux dans le marcheacute unique est constitueacute par les coucircts eacuteleveacutes engendreacutes par le respect des formaliteacutes lieacutees

(agrave suivrehellip)

490 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoeacutetude comparative sur lrsquoefficaciteacute du systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices et celui du principe de pleine concurrence reste agrave savoir si drsquoun point de vue juridique les propositions soutenues par les acteurs de la controverse peuvent se deacutefendre

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES

INCERTITUDES

Parmi les reacuteformateurs et les conservateurs peu nombreux sont ceux qui abordent de front le sujet de la conformiteacute des propositions de reacuteforme ou de retouche selon le cas du reacutegime actuel de regravegles sur les prix de transfert avec le droit fiscal international actuel des traiteacutes Pourtant ce sujet de reacuteflexion ne consiste pas en un point de deacutetail Tout au contraire la question de la leacutegitimiteacute juridique du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices srsquoavegravere eacuteleacutementaire Le nœud du deacutebat susciteacute par les acteurs de la controverse ne consiste-t-il pas agrave savoir si une seule norme internationale est valide en lrsquooccurrence le principe de pleine concurrence pour reacutepartir les revenus drsquoentreprise reacutesultant des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales

421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence comme norme de reacutefeacuterence

Au cours du XXe siegravecle les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont eu une influence consideacuterable sur la politique fiscale des pays membres et non membres Les conventions fiscales bilateacuterales conclues par ces derniers contiennent en geacuteneacuteral une disposition concernant les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes associeacutees calqueacutee sur le paragraphe 9(1) de lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles susmentionneacutes Le terme laquo peuvent raquo (may suivant la version anglaise) dans le texte du paragraphe 9(1) confegravere

(hellipsuite)

aux prix de transfert selon lrsquoapproche de pleine concurrence De plus la faccedilon dont les groupes eacutetroitement inteacutegreacutes ont tendance agrave srsquoorganiser indique clairement que la fixation des prix transaction par transaction sur la base du principe de pleine concurrence nrsquoest peut-ecirctre plus la meacutethode la mieux approprieacutee en matiegravere de reacutepartition des beacuteneacutefices raquo

Toutefois la question de savoir si le principe de pleine concurrence convient toujours aux entreprises multinationales modernes nrsquoest pas abordeacutee dans le rapport anteacuterieur de la Commission europeacuteenne sur lrsquoeacutetude analytique de la fiscaliteacute des entreprises dans la Communauteacute europeacuteenne COMMISSION EUROPEacuteENNE La fiscaliteacute des entreprises dans le marcheacute inteacuterieur 2001 (en ligne httpeceuropaeutaxation_ customsresourcesdocumentscompany_tax_study_frpdf)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 491

aux pays signataires le droit de rajuster les beacuteneacutefices intersocieacuteteacutes en prenant comme base que les socieacuteteacutes sont des entreprises indeacutependantes181 Il expose la norme agrave savoir le principe de pleine concurrence qui srsquoimpose depuis 1977 comme reacutefeacuterence et qui laquo constitue lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute raquo dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes182

Agrave premiegravere vue le paragraphe 9(1) nrsquoeacutenonce pas en termes expregraves la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence ni ne preacutecise la meacutethode pour appliquer cette norme Loin drsquoecirctre claire la formulation peut susciter de la confusion et conduire agrave des divergences drsquointerpreacutetation Effectivement lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo nrsquoapparaicirct pas dans le texte les reacutedacteurs ayant utiliseacute la locution laquo entreprises indeacutependantes raquo pour eacutevoquer le concept de pleine concurrence Il nrsquoempecircche que le texte peut paraicirctre eacutenoncer une norme speacutecifique vu que les conditions drsquoapplication et les conseacutequences juridiques sont deacutecrites par comparaison avec des entreprises indeacutependantes183

De mecircme le libelleacute du paragraphe 9(1) ne speacutecifie pas que les administrations fiscales des Eacutetats contractants doivent utiliser une meacutethode transactionnelle de pleine concurrence pour effectuer les rajustements des beacuteneacutefices Cependant la signification implicite de lrsquoexpression laquo deux entreprises sont [hellip] dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions convenues ou imposeacutees raquo peut soutenir lrsquousage des meacutethodes transactionnelles de pleine concurrence184 et mecircme exclure lrsquousage de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sur une base consolideacutee185 Ainsi les

181 Pour le texte complet du paragraphe 9(1) voir la section 21 ci-dessus Selon le droit

international public les pays signataires doivent respecter les traiteacutes auxquels ils sont parties pacta sunt servanda Voir ORGANISATION DES NATIONS UNIES Convention de Vienne sur le droit des traiteacutes 23 mai 1969 (en ligne httpuntreatyunorgilctextsinstrumentsfrancaistraites1_1_1969_francaispdf) art 26 Par ailleurs les pays signataires exercent le droit de rajuster les beacuteneacutefices des transferts transfrontaliers en vertu des dispositions de la leacutegislation nationale et non pas celles des conventions fiscales Agrave ce sujet consulter J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 110

182 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-1 et C(9)-8 Les reacutedacteurs des Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) utilisaient avant le 23 octobre 1997 lrsquoexpression laquo marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance) raquo

183 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 112 184 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 129 185 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579

492 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

conditions speacuteciales des relations commerciales ou financiegraveres qui sont agrave lrsquoorigine des beacuteneacutefices inapproprieacutes peuvent tacitement se rattacher agrave des transactions opeacuterations ententes accords contrats ou arrangements conclus entre des entreprises associeacutees La mention du terme laquo beacuteneacutefices raquo dans le libelleacute peut aussi laisser entendre que les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert autre que les meacutethodes transactionnelles sont autoriseacutees

La reacutedaction du paragraphe 9(1) pose le problegraveme de savoir si lrsquoinclusion mecircme de ce paragraphe dans les conventions fiscales bilateacuterales emporte en droit international des traiteacutes lrsquoobligation contraignante pour les pays signataires drsquoutiliser la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence Notamment les Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) ne mentionnent pas que les pays signataires doivent adopter dans les leacutegislations nationales des dispositions inteacutegrant le principe de pleine concurrence Qui plus est les pays membres ne srsquoentendent pas sur la question de savoir si le paragraphe 9(1) restreint ou non le droit des pays signataires de redresser les beacuteneacutefices reacutesultant des transferts internationaux en vertu des dispositions de leacutegislations nationales dans des laquo conditions raquo autres que celles eacutenonceacutees dans ce paragraphe186 Quoique le terme laquo conditions raquo ne soit pas deacutefini dans les Commentaires il peut aussi bien signifier laquo norme ou meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert non conformes au principe de pleine concurrence raquo187

Quant aux Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE qui depuis 1992 font partie inteacutegrante des Commentaires relatifs au paragraphe 9(1) ils tiennent pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative agrave lrsquoexclusion de toute autre norme188 De plus les Commentaires de lrsquoOCDE font de lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de pleine concurrence la condition drsquooffice pour fixer un prix de pleine concurrence189 Encore que en droit fiscal international des traiteacutes 186 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-2 et

C(9)-3 (voir les Commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 par 4) 187 Meneacutee au deacutebut des anneacutees 1990 lrsquoeacutetude sur les meacutethodes de substitution aupregraves des

39 pays de lrsquoIFA reacuteveacutelait que pour la majoriteacute des pays le paragraphe 9(1) ne preacutevalait pas sur le droit interne des prix de transfert mecircme si la meacutethode utiliseacutee par les administrations fiscales deacuterogeait au principe de pleine concurrence IFA 1992 preacuteciteacute note 97 pp 123-124 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 111 souligne que la lecture du contenu des rapports des pays permet plutocirct de conclure que le paragraphe 9(1) a pour effet de restreindre le droit drsquoimposition national agrave lrsquoapplication de meacutethodes respectant le principe de pleine concurrence

188 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 11-115 189 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579 K SADIQ preacuteciteacute note 1 pp 228-229

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 493

lrsquoautoriteacute juridique des Commentaires soit ambigueuml puisque le Conseil de lrsquoOCDE les adopte indirectement au moyen de recommandations prises agrave lrsquoeacutegard du modegravele theacuteorique190 La plupart des experts tendent agrave conclure que les pays signataires drsquoune convention fiscale ne sont pas juridiquement tenus de suivre lrsquointerpreacutetation exprimeacutee par lrsquoOCDE dans les Commentaires191 En drsquoautres termes ces recommandations de lrsquoOCDE constituent des instruments juridiques sans aucune force contraignante agrave lrsquoeacutegard des pays membres192 mais les Commentaires de lrsquoOCDE publieacutes avant la signature drsquoun traiteacute font partie du contexte juridique de la convention et possegravedent agrave ce titre une grande force morale193 Pour ce qui est des Principes directeurs il srsquoagit de directives agrave caractegravere non contraignant (soft law rules) en droit fiscal international194

190 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil relative au Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune C(97)195FINAL 23 octobre 1997 (en ligne httpwebnetoecdorgoecdacts) s-par I(2)

191 Hans PIJL laquo Beyond Legal Bindingness raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 95 pp 112-113 David A WARD laquo Is There an Obligation in International Law of OECD Member Countries to Follow the Commentaries on the Model raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 73 pp 73-75

192 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 par 29 de lrsquointroduction Voir eacutegalement Convention relative agrave lrsquoOrganisation de Coopeacuteration et de Deacuteveloppement Eacuteconomiques Paris 14 deacutecembre 1960 (en ligne httpwwwoecdorgfrgeneral conventionrelativealorganisationdecooperationetdedeveloppementeconomiqueshtm) par 5b) ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Regraveglement de proceacutedure de lrsquoOrganisation juillet 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrjuridique 41455235pdf) par 18b)

193 D A WARD preacuteciteacute note 191 p 85 Lrsquoauteur renvoie agrave lrsquoarrecirct Crown Forest Industries Ltd c Canada [1995] 2 RCS 802 par 54-55

194 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 16 de la preacuteface

laquo Les pays membres sont encourageacutes agrave suivre ces principes dans leurs pratiques internes en matiegravere de prix de transfert et les contribuables sont inviteacutes agrave les suivre dans lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de leurs prix de transfert au principe de pleine concurrence [hellip] raquo

J LI preacuteciteacute note 152 p 78 preacutecise que laquo [t]he term ldquosoft lawrdquo [hellip] can be used to describe a quasi-legal instrument which does not have any legally binding force but is intended to have a direct influence on the practice of states and taxpayers raquo [notes omises] et que laquo [t]he Guidelines are clealy a type of soft law and represent arguably the most important source of information on transfer pricing raquo (italiques dans lrsquooriginal) Drsquoailleurs comme pour les Commentaires lrsquoOCDE enjoint les

(agrave suivrehellip)

494 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE

Depuis le deacutebut de la controverse autour du remplacement du principe de pleine concurrence le deacutebat se confine dans lrsquoexamen des meacuterites drsquoune seule autre option normative agrave savoir la reacutepartition globale des beacuteneacutefices En effet la revue de la litteacuterature ameacutericaine permet de constater que hormis les options contradictoires du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices il nrsquoy a pas drsquoautre option de reacutepartition195 Les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU font donc toujours face aux deux mecircmes choix que ceux auxquels eacutetaient confronteacutes en 1933 les pays membres de la SDN pour ce qui concerne la norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale196 Excepteacute que 80 anneacutees plus tard soit en 2013 lrsquooption du principe de pleine concurrence est confirmeacutee de faccedilon reacutecurrente les pays membres eacutetant appeleacutes agrave prendre position sur la reacutevision eacutepisodique des modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ainsi que des Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE197

Inexistant au cours de lrsquoegravere de la SDN un consensus autour du principe de pleine concurrence se deacuteveloppe posteacuterieurement agrave la Seconde Guerre mondiale entre les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Aussi sur le plan politique la reacutealiteacute de ce consensus paraicirct-elle constituer par

(hellipsuite)

administrations fiscales des pays membres agrave suivre les Principes directeurs par le truchement de recommandations prises par le Conseil de lrsquoOCDE lrsquoorgane deacutecisionnel de lrsquoorganisation internationale Agrave ce propos consulter ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil sur la deacutetermination des prix de transfert entre entreprises associeacutees C(95)126FINAL 13 juillet 1995 amendeacutee les 11 avril 1996 24 juillet 1997 28 octobre 1999 16 juillet 2009 et 22 juillet 2010 Au Canada le plus haut tribunal du pays a preacuteciseacute au paragraphe 20 de lrsquoarrecirct Canada c GlaxoSmithKline Inc [2012] 3 RCS 3 que

laquo [les Principes directeurs] nrsquoont pas la mecircme force contraignante qursquoune loi canadienne et en derniegravere analyse le critegravere agrave appliquer agrave un ensemble drsquoopeacuterations ou de prix doit ecirctre eacutetabli suivant le par 69(2) [de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu] et non pas selon quelque commentaire ou meacutethode eacutenonceacute dans les Principes raquo

195 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 240 196 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 664 197 Voir les sections 2 et 3 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 495

comparaison avec les anneacutees 1930 1940 et 1950 un obstacle de taille agrave lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus entre les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU au sujet de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Drsquoautant plus que malgreacute la transformation du contexte international les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont montreacute peu ou pas drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadoption eacuteventuelle de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme nouvelle norme de reacutepartition en droit fiscal international public

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE

PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS

Construit graduellement au fil des 30 derniegraveres anneacutees le consensus international sur le principe de pleine concurrence et de la perspective exclusivement transactionnelle mise de lrsquoavant par lrsquoOCDE est deacutesormais acquis Agrave compter de la fin des anneacutees 1990 la plupart des pays dans le monde qursquoils soient membres ou non membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU adhegraverent exclusivement au principe de pleine concurrence198 La deacutecision des pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU de reconduire le principe de pleine concurrence comme norme srsquoinscrit dans un contexte eacuteconomique commercial et leacutegislatif aujourdrsquohui bien diffeacuterent de celui qui avait cours alors que la SDN reacutealisait au deacutebut des anneacutees 1930 lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices199 Neacuteanmoins le principe de pleine concurrence demeure en droit fiscal international public la norme attitreacutee des pays membres de lrsquoOCDE ainsi que de lrsquoONU et la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la becircte noire

511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial et leacutegislatif

Mises en œuvre de maniegravere progressive apregraves la Seconde Guerre mondiale les politiques de libeacuteralisation du commerce favorisent lrsquointeacutegration croissante des eacuteconomies nationales agrave lrsquoeacuteconomie mondiale200 198 Voir la section 312 ci-dessus 199 Voir la section 1 ci-dessus 200 En particulier les Accords de Bretton Woods signeacutes aux Eacutetats-Unis en 1944 sont agrave

lrsquoorigine de la creacuteation de deux organismes internationaux le Fond moneacutetaire international et la Banque mondiale Agrave ce sujet voir Christian DEBLOCK et Bruno HAMEL laquo Bretton Woods et lrsquoordre eacuteconomique drsquoapregraves-guerre raquo (1994-1995) no 26 Interventions eacuteconomiques Pour une alternative sociale (en ligne httpclassiquesuqaccacontemporainsdeblock_christianbretton_woods_ordre_econoBretton_Woods_ordre_ecopdf) p 6 et Perrine CREacuteQUY laquo Les accords de Brettons Woods moteur des Trente Glorieuses raquo Le Figaro 10 octobre 2008 (en

(agrave suivrehellip)

496 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Il en va de mecircme pour lrsquoacceacuteleacuteration des eacutechanges commerciaux201 et le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication202 Les entreprises multinationales jouent un rocircle de premier plan dans la mondialisation des eacutechanges et des investissements transnationaux Et leur nombre ne cesse de srsquoaccroicirctre pas moins de 82 000 entreprises multinationales deacutetiennent 810 000 filiales eacutetrangegraveres en 2009 comparativement agrave 24 000 entreprises multinationales en 1990 et seulement 7 000 agrave la fin des anneacutees 1960203 Au deacutebut du XXIe siegravecle les entreprises multinationales effectuent plus de 60 du commerce international204 Essentiellement caracteacuteriseacutee par les matiegraveres premiegraveres et les produits agricoles industriels dont le prix au marcheacute est clairement eacutetabli la nature des eacutechanges commerciaux drsquoantan srsquoest eacutelargie de sorte que ceux-ci comprennent agrave preacutesent des produits intermeacutediaires des biens incorporels uniques et des services speacutecialiseacutes

En outre les structures organisationnelles des entreprises multinationales sont agrave preacutesent plus complexes205 Dans la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres les filiales eacutetrangegraveres ne servent qursquoagrave fournir aux

(hellipsuite)

ligne httpwwwlefigarofreconomie2008101004001-20081010ARTFIG00284-les-accords-de-bretton-woods-moteur-des-trente-glorieuses-php)

201 Par exemple lrsquoouverture de nouveaux marcheacutes potentiels agrave la suite de la chute de lrsquoURSS du passage des pays de lrsquoEurope de lrsquoEst agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute de la creacuteation de marcheacutes eacuteconomiques communs (lrsquoUnion europeacuteenne lrsquoAccord de libre-eacutechange nord-ameacutericain la Coopeacuteration eacuteconomique pour la zone Asie-Pacifique et lrsquoIndian Ocean Rim Association for Regional Cooperation) et de lrsquoeacutemergence des pays BRICS (Breacutesil Russie Inde Chine et Afrique du Sud) Agrave ce sujet voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 77

202 Notamment lrsquoautomatisation lrsquoinformatisation et le commerce eacutelectronique Voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 78 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739 et 742-745

203 Selon les chiffres estimeacutes pour lrsquoanneacutee 2009 par la Confeacuterence des Nations Unies sur le commerce et le deacuteveloppement (CNUCED) relativement agrave 14 pays membres de lrsquoOCDE UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT World Investment Report 2009 Transnational Corporations Agricultural Production and Development New York et Genegraveve 2009 (en ligne httpunctadorgendocswir2009_enpdf) p xxi et Torbjoumlrn FREDRIKSSON Transnational Corporations Forty Years of UNCTAD Research on FDI UNCTADITEIIT35 vol 12 no 3 2003 (en ligne httpunctadorg endocsiteiit35v12n3a1_enpdf) p 8

204 ONU Transfer Pricing History preacuteciteacute note 98 p 2 205 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739-740

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 497

socieacuteteacutes megraveres un accegraves aux marcheacutes eacutetrangers Toutefois la production eacutetrangegravere augmente apregraves la Seconde Guerre et les entreprises multinationales tendent alors agrave inteacutegrer et agrave controcircler les activiteacutes commerciales internationales Puis alors que le nombre de refuges fiscaux explose206 elles reacuteorganisent la production des biens et des services en proceacutedant au remaniement et agrave la deacutelocalisation des fonctions et des risques assumeacutes par les entiteacutes lieacutees et non lieacutees qui sont parties prenantes de la chaicircne drsquoapprovisionnement207 Au deacutebut des anneacutees 2000 les formes drsquoorganisations des entreprises multinationales comportent des ententes contractuelles de plus en plus varieacutees avec des socieacuteteacutes tierces

Tandis que le principe de pleine concurrence a lrsquoair en adeacutequation avec le contexte eacuteconomique et commercial des anneacutees 1930 le contexte eacuteconomique et commercial actuel en complique davantage lrsquoapplication courante Entre autres choses les administrations fiscales sont aujourdrsquohui aux prises avec des transactions transfrontaliegraveres plus nombreuses des types uniques de transactions conclues par des entreprises multinationales inteacutegreacutees verticalement ainsi que des planifications fiscales combinant des formes organisationnelles complexes et des refuges fiscaux Pareillement lrsquoeacutevolution de la politique fiscale nationale de nombreux pays tend drsquoune maniegravere geacuteneacuterale agrave raffiner sur la mise en œuvre du principe de pleine concurrence ndash par exemple la preacuteparation obligatoire de la documentation ponctuelle par les entreprises multinationales et accessoirement lrsquoeacutelaboration implicite par ces derniegraveres drsquoune strateacutegie de deacutefense pour justifier lors des veacuterifications fiscales la politique interne de prix de transfert ndash pour les entreprises multinationales Ainsi quelque 50 pays y compris le Canada208 adoptent de front des mesures leacutegislatives fiscales nationales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence alors qursquoils se dotent progressivement apregraves la Seconde Guerre mondiale de vastes

206 R PALAN preacuteciteacute note 36 Lrsquoauteur situe lrsquoacircge drsquoor du deacuteveloppement des refuges

fiscaux au cours de la peacuteriode des anneacutees 1960 aux anneacutees 1990 207 La chaicircne drsquoapprovisionnement des entreprises multinationales modernes se

caracteacuterise plus souvent comparativement aux anneacutees 1950 par la speacutecialisation des activiteacutes ou des fonctions sans deacutedoublement drsquoun pays agrave lrsquoautre Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 p 12 Les reacuteorganisations drsquoentreprises combinent geacuteneacuteralement la transformation des distributeurs de plein exercice en distributeurs limiteacutes la transformation des fabricants de plein exercice en sous-traitants ou faccedilonniers la rationalisation ou la speacutecialisation des activiteacutes et la centralisation des actifs incorporels Agrave ce sujet voir Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 pp 259-260

208 Voir supra note 138

498 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteseaux de conventions fiscales bilateacuterales sur la base des modegraveles theacuteoriques de convention fiscale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU209

512 La persistance du rejet international de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

Malgreacute les difficulteacutes notoires drsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutechanges internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees la longue controverse ameacutericaine nrsquoa apparemment pas fragiliseacute ni menaceacute drsquoeacuteclatement le consensus partageacute par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU sur le principe de pleine concurrence Non seulement ces derniers nrsquoont jamais manifesteacute depuis la publication du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE lrsquointention drsquoabandonner le principe de pleine concurrence pour cause drsquoobsolescence mais de plus en plus drsquoadministrations fiscales ont eu tendance agrave lrsquointeacutegrer dans les leacutegislations nationales210 Parallegravelement les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU continuent de rejeter depuis plus de 30 ans deacutejagrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme solution de remplacement reacutealiste au principe de pleine concurrence sans mecircme qursquoune eacutetude approfondie sur les plans theacuteorique et pratique nrsquoait eacuteteacute meneacutee sur les meacuterites de son application au niveau national211

Degraves lors cette curieuse absence drsquoeacutetude peut naturellement laisser agrave entendre que les organisations intergouvernementales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne se sont jamais pris drsquointeacuterecirct pour la reacutepartition globale des beacuteneacutefices au titre de norme internationale pour reacutegir la reacutepartition entre plusieurs administrations fiscales des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees212 Le

209 Lorraine EDEN laquo Transfer Price Manipulation Tax Ethics and Developing

Countries raquo 2009 (en ligne httpwwwpublicpolicyumdedufilesphpfaculty reuterIllicitFlowsEden-TPM-World-Bank-090609pdf) (consulteacute en feacutevrier 2011) p 7

210 ANONYME laquo OECD Reaffirms Armrsquos Lengthrsquos Future raquo TP Week 23 septembre 2009 Caroline Silberztein alors chef de lrsquoUniteacute des prix de transfert deacuteclarait que laquo [u]ntil we have a better simpler and fairer alternative then we are going to stay with the armrsquos-length principle raquo

211 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 par 14 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 374 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 132

212 M C DURST preacuteciteacute note 140 srsquoexprime comme suit agrave la page 134

laquo The OECD has been especially deficient I believe in its lack of willingness to give serious and open-minded attention to the possibility of alternatives to comparables-based transfer pricing rules [hellip] The OECD has

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 499

point de vue srsquoapplique aussi aux Eacutetats-Unis drsquoautant que le deacutepartement du Treacutesor nrsquoa pas donneacute suite agrave la recommandation du US Government Accountability Office en 1981 de faire une eacutetude afin de deacutevelopper une preuve empirique favorable ou non agrave lrsquoadoption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie213 Faute drsquoeacutetude seacuterieuse il srsquoavegravere que personne ne sait vraiment si la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices augmenterait ou diminuerait les recettes fiscales annuelles ameacutericaines214

Bref les arguments de lrsquoOCDE pour justifier le refus de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices215 qui sont en gros similaires agrave ceux mentionneacutes dans le Rapport Carroll216 se fondent entiegraverement sur les commentaires des pays membres217 En particulier il convient de souligner que lrsquoargument principal

(hellipsuite)

never however attempted a systematic and quantitative comparison between their approach and alternatives such as the formulary system that has been in place among the US states for about one hundred years ndash a longevity that suggests such a system is at least to some extent ldquorealisticrdquo ndash or alternatives based on the OECDrsquos own profit split method [hellip] It should be possible to compare alternative systems by use of realistic and quantitative case studies with respect to such criteria as avoidance of both double taxation and double under-taxation and feasibility and cost of compliance and enforcement I believe the worldrsquos governments deserve ndash and need ndash a much more thorough systematic and open-minded comparison of possible alternatives insulated from the participation of financially interested parties than the OECD has offered to date [note omise] raquo (Notre soulignement)

213 GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56 Selon le US Government Accountability Office si le deacutepartement du Treacutesor agrave la suite de lrsquoeacutetude avait deacutecideacute drsquoutiliser la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie cette derniegravere applicable seulement aux entreprises unitaires nrsquoaurait constitueacute qursquoun outil additionnel pour parfaire lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

214 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1153 En outre il nrsquoest nullement certain que lrsquoeacutevitement fiscal qui reacutesulte de la manipulation des regravegles actuelles sur les prix de transfert serait moindre si la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie devenait la nouvelle norme internationale car il est fort probable que de nouvelles techniques seraient deacuteveloppeacutees ou encore il est mecircme possible que les techniques deacutejagrave existantes soient toujours efficaces Agrave ce propos voir J ROIN preacuteciteacute note 152 pp 174-175

215 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 122-131 216 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669-670 217 Les commentaires des pays membres de lrsquoOCDE publieacutes dans le rapport de 1979

nrsquoeacutetant pas fondeacutes sur des donneacutees empiriques le US Government Accountability (agrave suivrehellip)

500 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

contre la reacutepartition globale des beacuteneacutefices mis de lrsquoavant sans ambages dans le Rapport Carroll soit le refus des pays membres de perdre leur souveraineteacute fiscale nrsquoest pas formuleacute expresseacutement dans les lignes directrices de 1979 de 1995 et de 2010218 Pour le reste lrsquoOCDE reacuteitegravere que la mise en œuvre drsquoun nouveau systegraveme de regravegles fiscales visant agrave preacutevenir les doubles impositions eacuteconomiques impliquerait une coordination et une coopeacuteration internationales sans preacuteceacutedent de la part des grands pays dans lesquels les entreprises multinationales exercent des activiteacutes commerciales et que lrsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices serait aussi arbitraire sinon plus que le principe de pleine concurrence

Exprimeacute par un rejet cateacutegorique explicite dans les Principes directeurs le durcissement de la position de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices remonte agrave 1995 Lrsquointransigeance et la fermeteacute de lrsquoOCDE confegraverent ouvertement au principe de pleine concurrence un statut de dogme quasi planeacutetaire irremplaccedilable dont la veacuteriteacute est en apparence indiscutable Pourtant lrsquoOCDE semblait permettre dans le rapport de 1979 la possibiliteacute drsquoutiliser les meacutethodes de partage de beacuteneacutefices et y compris vraisemblablement la reacutepartition globale selon une formule afin de valider les prix de pleine concurrence ou encore lorsque les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence eacutetaient inapplicables et que les pays concerneacutes partageaient cette mecircme approche de reacutepartition219

En reacutealiteacute le consensus autour du principe de pleine concurrence paraicirct ineacutebranlable Continuant agrave maintenir que lrsquoapproche de pleine concurrence fondeacutee sur le marcheacute demeure malgreacute les critiques le meilleur principe de reacutepartition theacuteorique des beacuteneacutefices les Eacutetats-Unis exercent toujours une autoriteacute morale et politique en tant que chef de file des regravegles sur les prix de transfert et contribuent agrave renforcer lrsquoeacutedification du concept comme norme

(hellipsuite)

Office a drsquoailleurs choisi de ne pas en discuter dans son rapport concernant les beacuteneacutefices des entreprises multinationales GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56

218 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669

laquo Will countries in which profits have clearly accrued agree to giving up a part or all of such profits as a result of an apportionment of the total net income or loss of the enterprise The great majority of administrations have definitely indicated that they would not [note omise] raquo

219 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 15-16 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 76

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 501

internationale de reacutepartition220 La profession de foi de lrsquoIRS et du deacutepartement du Treacutesor contenue dans le Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute revecirct encore aujourdrsquohui une tregraves grande importance du point de vue de la politique gouvernementale ameacutericaine dans le contexte du deacutebat sur le principe de pleine concurrence221

En outre les associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines sont aussi favorables au maintien du principe de pleine concurrence222 Mais encore les fiscalistes dont le travail consiste agrave preacuteparer la documentation ponctuelle et agrave eacutelaborer les planifications fiscales qui permettent de deacuteplacer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide des contrats intersocieacuteteacutes ont tout inteacuterecirct agrave ce que le reacutegime actuel demeure en place223 Pourquoi les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU remplaceraient-ils le principe de pleine concurrence alors que les Eacutetats-Unis un joueur mondialement puissant rejettent cateacutegoriquement cette ideacutee

220 Depuis le deacutebut de lrsquohistoire des prix de transfert les Eacutetats-Unis ont joueacute un rocircle de

premier plan Les recherches meneacutees par les auteurs concernant les travaux de la SDN et de lrsquoOCDE ne permettent pas drsquoaffirmer que drsquoautres pays ont exerceacute une influence aussi marqueacutee que celle des Eacutetats-Unis en matiegravere de prix de transfert

221 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 p 86 Plus reacutecemment Michael Danilack Commissaire adjoint agrave lrsquoIRS Large Business and International Division a reacuteiteacutereacute lors de la confeacuterence annuelle de lrsquoOCDE tenue en juin 2011 agrave Washington que les Eacutetats-Unis adheacuteraient au principe de pleine concurrence ANONYME laquo PwC Reports on OECD Tax Conference raquo (2011) Worldwide Tax Daily 118-26 (Tax Analysts) Toutefois le refus en 2010 du deacutepartement du Treacutesor de reacuteveacuteler devant le Comiteacute des voies et moyens agrave lrsquooccasion de la deacuteposition orale de Stephen E Shay alors Secreacutetaire adjoint aux affaires fiscales internationales srsquoil srsquoopposerait ou non agrave lrsquoadoption eacuteventuelle par le Congregraves de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule preacuteeacutetablie en remplacement du principe de pleine concurrence fait ombre au tableau US HOUSE OF REPRESENTATIVES Hearing on Transfer Pricing Issues Before the Committee on Ways and Means 111e Congregraves Deuxiegraveme session juillet 2010 Seacuterie 111-66 (en ligne httpdemocratswaysandmeanshousegovHearingstranscriptaspxNewsID=11273) (laquo Hearing on Transfer Pricing 2010 raquo) sans pagination (consulteacute le 22 feacutevrier 2011)

222 Celles ayant preacutesenteacute en juillet 2010 des commentaires eacutecrits au Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants des Eacutetats-Unis reacuteclament unanimement le maintien du principe de pleine concurrence comme norme internationale

223 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 131

502 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA

CONJONCTURE ACTUELLE

Sauf un improbable coup de theacuteacirctre il est inconcevable de croire que dans le cadre de la controverse autour de la norme de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU fassent table rase du consensus sur le principe de pleine concurrence et repartent de zeacutero Forceacutes de choisir entre deux options contradictoires ils srsquoobstinent agrave reconduire le choix initial et agrave maintenir le statu quo en deacutepit drsquoun contexte international diffeacuterent de celui des anneacutees 1930 Pour le moment la conclusion drsquoun nouveau consensus international agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices est au point de vue politique illusoire

Mecircme agrave supposer que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent eacuteventuellement agrave deacutegager un consensus pour adopter la reacutepartition globale des beacuteneacutefices encore faudrait-il que ceux-ci viennent agrave bout de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition conjugueacute avec une formule matheacutematique de reacutepartition des beacuteneacutefices qui soient applicables agrave lrsquoeacutechelon international Que voilagrave un gigantesque deacutefi agrave relever pour peu que lrsquoexemple des Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains et la tentative de lrsquoUnion europeacuteenne preacutefigurent les difficulteacutes inheacuterentes sur le plan mondial agrave la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial

En theacuteorie lrsquohypotheacutetique eacutemergence drsquoun consensus international relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence devrait entraicircner pour corollaire direct la substitution de ce dernier par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Le deacutelaissement de la norme actuelle par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU impliquerait neacutecessairement lrsquoadheacutesion internationale agrave la seconde option car lrsquoadoption de la norme de reacutepartition de lrsquoassiette mondiale de revenu imposable des socieacuteteacutes lieacutees relegraveve drsquoun choix binaire224 Ainsi avec lrsquoavegravenement de la reacuteforme les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU se verraient contraints de srsquoaccorder agrave partager une conception

224 La reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoest pas synonyme de systegraveme unitaire mais

lrsquooption de remplacement proposeacutee en conjugue lrsquoapplication depuis les anneacutees 1930 Sur la question de la distinction entre les deux expressions voir R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap II

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 503

commune drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition y compris une ou le cas eacutecheacuteant plusieurs formules matheacutematiques preacuteeacutetablies afin de preacutevenir les conseacutequences neacutefastes de la double imposition des beacuteneacutefices des entreprises multinationales

Agrave ce sujet des opinions srsquoeacutelegravevent afin de faire valoir que des eacuteleacutements fondamentaux de ce nouveau systegraveme sont susceptibles de susciter des difficulteacutes importantes voire des impasses politiques au sein de la communauteacute internationale et dont lrsquoampleur pourrait mecircme surpasser les inconveacutenients deacutecoulant de lrsquoapplication du systegraveme actuel225 Premiegraverement il faudrait deacutefinir agrave des fins fiscales la composition drsquoune entreprise unitaire Pour cela les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU devraient eacutetablir les critegraveres geacuteneacuteraux ndash par exemple controcircle de droit et de fait inteacutegration eacuteconomique ndash permettant de distinguer parmi les entiteacutes membres du groupe drsquoentreprises multinationales celles qui feraient partie de lrsquoentreprise unifieacutee et dont les beacuteneacutefices comptables seraient combineacutes preacutealablement agrave lrsquoexercice de la reacutepartition selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Deuxiegravemement les pays seraient aussi tenus de speacutecifier lrsquoassiette fiscale imposable consolideacutee crsquoest-agrave-dire de preacuteciser les revenus drsquoentreprise totaux faisant lrsquoobjet de la reacutepartition entre les administrations fiscales Ne conviendrait-il pas drsquoinclure dans cette assiette lrsquoensemble des revenus gagneacutes par lrsquoentreprise unitaire ou seulement les revenus geacuteneacutereacutes directement par les activiteacutes commerciales agrave lrsquoexclusion de certaines cateacutegories de revenus notamment les revenus drsquointeacuterecircts et de redevances226

Puis les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU auraient agrave seacutelectionner les facteurs de reacutepartition des beacuteneacutefices consolideacutes ainsi qursquoagrave fixer la pondeacuteration de chacun de ces facteurs dans la formule matheacutematique Y aurait-il lieu dans les circonstances de simplement retenir les trois facteurs de lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act soit les immobilisations corporelles les salaires et les ventes Sinon comment reacutesoudre alors lrsquoeacutepineuse question des actifs incorporels doivent-ils ecirctre pris en compte ou non en tant que facteur de reacutepartition227

225 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 110 226 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1146 227 Les biens incorporels sont difficiles agrave eacutevaluer vu leur nature unique Outre le fait de ne

pas avoir de localisation geacuteographique concregravete ils font rarement lrsquoobjet drsquoun transfert agrave des tiers par vente contrat de licence ou autres de sorte que les prix du marcheacute comparables se reacutevegravelent introuvables Sur ce point voir J LI preacuteciteacute note 92 pp 848-849 Drsquoautre part certains soutiennent que le coucirct de production et de

(agrave suivrehellip)

504 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Plusieurs laissent entendre que la creacuteation drsquoun consensus international relativement aux eacuteleacutements susmentionneacutes serait pour le moins ardue du fait que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques228 En effet les marcheacutes financiers les regravegles comptables les monnaies nationales et les systegravemes juridiques sont aujourdrsquohui rarement identiques drsquoun pays agrave lrsquoautre En de pareilles circonstances il semble douteux de pouvoir un jour accorder toutes les divergences nationales potentielles vis-agrave-vis de cette reacuteforme de faccedilon que son implantation rallie les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Lrsquoideacutee mecircme de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition mondial et une formule matheacutematique uniforme de reacutepartition constitue au XXIe siegravecle une vue de lrsquoesprit une utopie

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes

Depuis au moins un siegravecle la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie est utiliseacutee par les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains qui perccediloivent un impocirct corporatif sur les beacuteneacutefices des entreprises exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat Crsquoest lrsquoEacutetat du Wisconsin qui au deacutepart lrsquoaurait preacutefeacutereacutee agrave la comptabilisation distincte afin drsquoeacuteviter tous les eacutecueils relatifs agrave lrsquoestimation de la portion des beacuteneacutefices totaux attribuable aux Eacutetats ougrave les entreprises se livrent agrave des activiteacutes commerciales229 Parmi les Eacutetats qui se servent drsquoune telle formule pour diviser les beacuteneacutefices seuls quelques-uns ont instaureacute un systegraveme drsquoimposition unitaire230

(hellipsuite)

conservation des biens incorporels est deacutejagrave refleacuteteacute dans les trois facteurs UDITPA S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1150-1151

228 H David ROSEMBLOOM laquo Angels on a Pin Armrsquos Length in the World raquo (2005) 38 Tax Notes International 523 (Tax Analysts) p 524 Stanley S SURREY laquo Reflections on the Allocation of Income and Expenses Among National Tax Jurisdictions raquo (1978) vol 10 no 2 Law amp Policy International Business 409 (HeinOnline Law Journal Library) p 416 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT preacuteciteacute note 78 p 12

229 Joann M WEINER laquo Using the Experience in the US States to Evaluate Issues in Implementing Formula Apportionment at the International Level raquo OTA Paper No 83 1999 (en ligne httpipv6treasurygovresource-centertax-policytax-analysisDocumentsota83pdf) p 6

230 Id p 17

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 505

Au terme drsquoune longue bataille juridique la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis confirme en 1983 la constitutionnaliteacute de la notion drsquoentreprise unitaire alors appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie pour reacutepartir notamment les revenus de source eacutetrangegravere drsquoune entreprise multinationale ameacutericaine231 Pourtant le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis propose agrave la suite de ce jugement un compromis soit la waterrsquos edge formula aux Eacutetats ameacutericains qui ont adopteacute une approche fiscale mondiale Mise en pratique degraves 1986 la proposition de lrsquoadministration Reagan conjugue dans le but de mettre fin aux seacuterieuses dissensions entre les Eacutetats ameacutericains et les entreprises multinationales eacutetrangegraveres lrsquoapplication de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie aux revenus corporatifs de source ameacutericaine et celle de la comptabiliteacute distincte et du principe de pleine concurrence aux revenus corporatifs de source eacutetrangegravere232

Certes le caractegravere meacutecanique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie seacuteduit agrave premiegravere vue par sa simpliciteacute drsquoexeacutecution Mais la longue expeacuterience des administrations fiscales infranationales ameacutericaines relativement agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices afin de reacutepartir les beacuteneacutefices intereacutetatiques des socieacuteteacutes srsquoavegravere-t-elle suffisamment concluante pour constituer un incitatif seacuterieux agrave lrsquoadoption de celle-ci au niveau national Quoique les regravegles comptables et les devises soient les mecircmes dans tous les Eacutetats ameacutericains il ressort assez clairement tout drsquoabord que la notion drsquolaquo entreprise unitaire raquo varie drsquoun Eacutetat agrave lrsquoautre selon diffeacuterents critegraveres leacutegislatifs et jurisprudentiels233 Quant aux formules matheacutematiques mecircme si les trois facteurs deacutetermineacutes par lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act srsquoy trouvent combineacutes elles ne sont pas identiques puisque depuis les anneacutees 1980 les Eacutetats ameacutericains tendent agrave augmenter diffeacuteremment la pondeacuteration des recettes brutes234

231 Container Corp v Franchise Tax Board 463 US 159 (1983) (en ligne

httpsupremejustiacomcasesfederalus463159casehtml) Voir eacutegalement la cause Barclays Bank PLC v Franchise Tax Board of California 114 S Ct 2268 (1994) (en ligne httpsupremejustiacomcasesfederalus512298) dans la laquelle la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis valide la constitutionnaliteacute de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie agrave une entreprise multinationale eacutetrangegravere

232 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 573 C THOMAS preacuteciteacute note 68 pp 105-106

233 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 114-1145 J M WEINER preacuteciteacute note 229 pp 17-18

234 J M WEINER preacuteciteacute note 148 p 12

506 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Partant lrsquoexpeacuterience acquise par les Eacutetats-Unis au niveau infranational donne agrave penser que le passage en droit fiscal international public du principe de pleine concurrence agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique ne serait pas garant de la simpliciteacute ni de la preacutevisibiliteacute pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales Une fois transposeacutee agrave lrsquoeacutechelon international cette expeacuterience ameacutericaine laisse aussi supposer des diffeacuterences entre les systegravemes nationaux de reacutepartition globale Eacutetant donneacute que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques une augmentation des risques de doubles impositions encore plus grande que dans le systegraveme actuel serait agrave redouter pour les entreprises multinationales En un mot les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains illustrent au mieux un modegravele agrave parfaire au pire un repoussoir agrave lrsquooption de la reacuteforme

En outre lrsquoimprobabiliteacute que les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent agrave un accord agrave lrsquoeacutechelon international est drsquoautant plus grande que le projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes deacutemarreacute depuis plus de 10 ans ne reacuteussit toujours pas agrave rallier les pays de lrsquoUnion europeacuteenne sur lrsquoideacutee de la mise en œuvre de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices dans un marcheacute eacuteconomique commun Une douzaine de pays considegraverent que ce projet ne respecte pas le principe de subsidiariteacute preacutevu dans le Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne voulant que lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoagisse que lorsque les reacutesultats attendus ne peuvent ecirctre atteints au niveau national235 Les Pays-Bas rejettent formellement le projet en raison de lrsquoaugmentation des coucircts de conformiteacute des gouvernements qui devront geacuterer deux systegravemes fiscaux en mecircme temps ndash national et europeacuteen ndash et de lrsquoabsence des biens incorporels et des actifs financiers dans les cleacutes de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale236 Aussi certains observateurs soutiennent-ils qursquoil se peut que le projet demeure lettre morte237 Il va de soi que lrsquoenlisement du projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des

235 Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne 1er novembre 1993 (en ligne httpeur-

lexeuropaeufrtreatiesnew-2-48htm) par 5(3) Agrave ce sujet voir Kristen A PARILLO laquo 9 EU Countries Express Subsidiarity Concerns Over CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 102-1 (Tax Analysts) et du mecircme auteur laquo Irish UK Parliaments Reject CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 100-1 (Tax Analysts)

236 ANONYME laquo PwC Reviews Netherlandsrsquo Reaction to CCCTB raquo (2011) Worldwide Tax Daily 89-35 (Tax Analysts)

237 Kristen A PARILLO laquo CCCTB Could Be Adopted by Subset of EU Countries Austrian Academics Says raquo (2011) Worldwide Tax Daily 197-7 (Tax Analysts)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 507

socieacuteteacutes (ACCIS) fait lrsquoeffet drsquoune douche froide pour les partisans de la reacuteforme Crsquoest le cas de lrsquoun des plus ardents deacutefenseurs de lrsquooption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices parmi les universitaires ameacutericains le professeur Avi-Yonah238 Ce dernier se dit maintenant convaincu devant les difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne que la mise en place drsquoun systegraveme unitaire international drsquoimposition est irreacutealisable239

En fin de compte le remplacement du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence et la theacuteorie de la comptabiliteacute distincte prend la forme drsquoune proposition doublement illusoire dans le contexte international actuel Drsquoune part les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU refusent systeacutematiquement drsquoexplorer la question de la supeacuterioriteacute de lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacuteconomie mondiale moderne et drsquoen mesurer par le truchement de lrsquoobservation empirique les avantages reacuteels sur le principe de pleine concurrence Perpeacutetuant la ligne de penseacutee suivie par la SDN lrsquoOCDE et lrsquoONU maintiennent le cap sur le principe de pleine concurrence Drsquoautre part la prise en compte des embucircches lieacutees agrave lrsquoexpeacuterience des Eacutetats ameacutericains et au dessein europeacuteen rend quasi impossible lrsquoideacutee mecircme drsquoinstaurer une formule matheacutematique et un systegraveme unitaire drsquoimposition universels

Dans un monde ideacuteal lrsquoinstauration drsquoune gamme de meacutethodes pour deacuteterminer les prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure ndash meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre ndash agrave lrsquoestimation pure ndash meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacutedeacutetermineacutee ndash reacutesoudrait la plupart des difficulteacutes actuelles Toutefois lrsquoabsence drsquointeacuterecirct des pays membres de lrsquoOCDE en ce moment agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale tend agrave confirmer le caractegravere illusoire drsquoun possible consensus sur lrsquoajout dans les Principes directeurs de la meacutethode de la reacutepartition totale illimiteacutee des beacuteneacutefices aux meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave accepteacutees par lrsquoOCDE Un tel continuum qui impliquerait en quelque sorte la coexistence au niveau national de deux systegravemes de regravegles de prix de transfert serait susceptible drsquoexposer davantage les entreprises multinationales agrave la double imposition en raison de lrsquoutilisation de formules matheacutematiques diffeacuterentes drsquoun pays agrave lrsquoautre

238 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 239 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 au chap III (Myth 2)

Ce changement de position semble attribuable entre autres aux difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la tentative drsquoadopter une assiette fiscale commune

508 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX

DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU

Le refus continuel de consideacuterer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme la panaceacutee aux difficulteacutes relatives agrave la reacutepartition mondiale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees contraint les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU agrave composer avec le principe de pleine concurrence Il nrsquoest pas eacutetonnant que agrave deacutefaut drsquoautres options reacutealistes ce dernier se voie rangeacute sous lrsquoeacutetiquette de laquo meilleure option pratique raquo dans la conjoncture actuelle240 Lrsquoeacutetat des choses pourrait mecircme laisser croire en admettant que le principe de pleine concurrence ait atteint au siegravecle dernier la limite de son deacuteveloppement et qursquoil relegraveverait de lrsquoanachronisme que lrsquoOCDE et lrsquoONU se sont enfermeacutees dans un cul-de-sac dont elles ne peuvent srsquoextirper

Leitmotiv des reacuteformateurs lrsquoideacutee que le principe de pleine concurrence soit maintenant frappeacute drsquoobsolescence peut-elle reacutesister agrave lrsquoanalyse Le principe de pleine concurrence se reacuteduit-il en fin de compte agrave une norme internationale de reacutepartition agrave preacutesent deacutepasseacutee Une chose est sucircre le contexte international du XXIe siegravecle nrsquoa plus rien agrave voir avec celui qui a vu naicirctre cette norme Pour cette raison le statu quo semble difficilement tenable drsquoougrave la neacutecessiteacute pour lrsquoOCDE et lrsquoONU de concevoir la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence en vue de lrsquoadapter au monde eacuteconomique drsquoaujourdrsquohui

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE

CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION

Adopteacute voilagrave 80 ans par la SDN le principe de pleine concurrence est un concept de reacutepartition des beacuteneacutefices aussi ancien que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie241 Dans le contexte de la controverse autour du principe de pleine concurrence les reacuteformateurs ont agiteacute les questions drsquoobsolescence quelques-uns osant mecircme qualifier ce dernier drsquoanachronisme242 Il est vrai que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence reconnus par lrsquoOCDE nrsquoont pas eacuteteacute reacuteellement adapteacutes agrave lrsquoeacutevolution rapide du commerce

240 Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines

Jr) Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 par 323 ANONYME preacuteciteacute note 210 241 Voir la section 11 ci-dessus 242 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 J M WEINER preacuteciteacute note 1

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 509

international amorceacutee apregraves la Seconde Guerre mondiale Devant lrsquoeacutemergence de certaines pratiques plus souples et comportant des eacuteleacutements de formules dans certains pays non membres la reacutenovation du systegraveme de regravegles sur les prix de transfert srsquoimpose au XXIe siegravecle de faccedilon que puisse renaicirctre le pragmatisme existant au milieu du siegravecle preacuteceacutedent

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international

Au contraire de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie le principe de pleine concurrence est toujours en usage dans le monde pour attribuer au niveau national les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Depuis respectivement 1990 et 2006 la Suisse et lrsquoEspagne qui avaient adopteacute degraves les anneacutees 1920 la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique srsquoappuient sur le principe de pleine concurrence et mettent en pratique les meacutethodes de prix de transfert recommandeacutees par lrsquoOCDE243 De plus le nombre de pays qui appliquent le principe de pleine concurrence nrsquoa pas cesseacute drsquoaugmenter depuis les anneacutees 1970244 Par conseacutequent le principe de pleine concurrence ne saurait ecirctre qualifieacute de concept peacuterimeacute en droit fiscal international moderne ce qui est par contre le cas de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices une relique du siegravecle dernier245

Dans son essence le concept de pleine concurrence est demeureacute exactement le mecircme que du temps ougrave la SDN se preacuteoccupait du problegraveme de la double imposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Lrsquoideacutee que les prix des transactions internes des socieacuteteacutes lieacutees devraient ecirctre similaires agrave ceux convenus sur le marcheacute libre par des socieacuteteacutes tierces agrave lrsquoeacutegard de transactions analogues a traverseacute la seconde partie du XXe siegravecle en se muant avec le concours de lrsquoOCDE et des Eacutetats-Unis en un dogme immuable Diffuseacutes initialement dans les premiegraveres lignes directrices de

243 Il en va de mecircme pour lrsquoAutriche (pays fondateur de lrsquoOCDE) la Tcheacutecoslovaquie

(membre de lrsquoOCDE depuis 1995) et la Hongrie (membre de lrsquoOCDE depuis 1996) Sur ce point voir les fiches pays des pays susmentionneacutes en matiegravere de prix de transfert disponibles sur le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorg document1503746fr_2649_33753_37837967_1_1_1_100html

244 Sur ce point voir supra note 105 245 Aucun pays de lrsquoOCDE ni de lrsquoONU nrsquoutilise vraisemblablement de nos jours la

reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Voir Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines Jr) IFA 1992 preacuteciteacute note 97 p 113

510 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE agrave la fin des anneacutees 1970 les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont fait lrsquoobjet de reacutevisions majeures mais avec une lenteur de tortue

Souvent agrave la remorque des innovations de lrsquoadministration fiscale des Eacutetats-Unis lrsquoOCDE a tenteacute mollement de mieux adapter la norme de pleine concurrence agrave la nouvelle reacutealiteacute du contexte international246 Or le contexte actuel diffegravere grandement du contexte des anneacutees 1930 deacutecrit dans la premiegravere eacutetude internationale sur les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices Le rapport de ces diffeacuterences deacutenote le passage agrave un autre monde eacuteconomique et commercial tant la meacutetamorphose accomplie se reacutevegravele importante Notamment le nombre des entreprises multinationales et des eacutechanges internationaux srsquoest beaucoup accru les eacutechanges transfrontaliers internes incluent geacuteneacuteralement de nos jours des biens incorporels uniques de grande valeur ainsi que la prestation de services speacutecialiseacutes Aussi le nombre de refuges fiscaux de mecircme que le nombre drsquoadministrations fiscales nationales doteacutees de regravegles fiscales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence ont connu une forte augmentation

Certes la transformation progressive sur le plan mondial du contexte eacuteconomique et commercial a contribueacute agrave mettre en relief les lacunes intrinsegraveques drsquoun concept qui comme lrsquoont exprimeacute les acteurs de la controverse247 est imparfaitement adapteacute aux entreprises multinationales modernes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de 1995 que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence connaissent dans les Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE une tregraves lente eacutevolution modeleacutee sur les modifications leacutegislatives ameacutericaines248 Notamment cette eacutevolution marque lrsquointroduction du concept drsquointervalle de prix de pleine concurrence lequel favorise lrsquoapplication de la norme de comparabiliteacute drsquoune maniegravere moins stricte De plus elle donne ouverture agrave lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices pour deacuteterminer les prix de transfert comme solutions pratiques dans les cas ougrave les meacutethodes traditionnelles sont difficiles agrave appliquer et aux arrangements preacutealables en matiegravere de prix de

246 Sur ce point voir John NEIGHBOUR et Jeffrey OWENS laquo Transfer Pricing in the

New Millennium Will the Armrsquos Length Principle Survive raquo (2001-2002) vol 10 no 1 George Mason Law Review 951 (HeinOnline Law Journal Library)

247 Voir la section 4 ci-dessus 248 Voir la section 31 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 511

transfert (APP) qui consistent en une nouvelle approche pour reacutesoudre par anticipation les litiges relatifs aux prix de transfert249

Finalement lrsquoabandon de la hieacuterarchie des meacutethodes pour la meacutethode la plus approprieacutee affermit en 2010 lrsquoutilisation accrue des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices dans le but avoueacute drsquoatteacutenuer les difficulteacutes drsquoapplication des meacutethodes transactionnelles traditionnelles dans le contexte international actuel Cet abandon constitue drsquoailleurs jusqursquoagrave maintenant lrsquoeacutetape la plus significative de la deacutemarche de lrsquoOCDE pour actualiser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence En fait lrsquoapprobation manifeste des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices par lrsquoOCDE pourrait mecircme paraicirctre annonciatrice de lrsquoorientation agrave privileacutegier pour reacutesoudre les difficulteacutes courantes drsquoapplication

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication

Lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement accepteacutee internationalement condamne le principe de pleine concurrence agrave fonctionner coucircte que coucircte250 Il est entendu que dans cette optique terre-agrave-terre lrsquoOCDE nrsquoa pas drsquoautre choix au beacuteneacutefice des pays membres que de continuer de concentrer ses efforts sur la mise au point de modes drsquoapplication plus souples du principe de pleine concurrence qui srsquoaccordent aux reacutealiteacutes eacuteconomiques et commerciales du XXIe siegravecle Toutefois nous croyons qursquoun coup de barre pourrait devoir srsquoimposer rapidement afin de moderniser davantage la mise en pratique du principe de pleine concurrence Eacutetant donneacute la pression implicite exerceacutee en droit fiscal international public par les pays non membres en faveur de lrsquoutilisation de regravegles simplifieacutees non reconnues par lrsquoOCDE il vaudrait probablement mieux pour cette derniegravere drsquoacceacuteleacuterer le rythme eacutevolutif des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence

Non seulement des pays non membres de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente parmi les plus grandes au monde notamment le Breacutesil lrsquoInde et la Chine intensifient lrsquoapplication de regravegles leacutegislatives et administratives

249 J NEIGHBOUR et J OWENS preacuteciteacute note 246 pp 956-957 250 Stig SOLLUND laquo What Are the Key Transfer Pricing Concerns of Governments raquo

dans The Future of the Armrsquos Length Principle International Tax Review Global Transfer Pricing Forum Amsterdam septembre 2010 souligne que laquo Wersquove got to make the ALP [Armrsquos Length Principle] work there is no realistic alternative in the global world raquo

512 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

sur les prix de transfert251 mais ils tendent agrave adopter des mesures simplifieacutees baseacutees sur des formules pour deacuteterminer les prix de cession internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees252 Alors qursquoils beacuteneacuteficient drsquoun programme drsquoengagement renforceacute aupregraves de lrsquoOCDE depuis 2007 ces pays appliquent agrave des fins de simpliciteacute et de ceacuteleacuteriteacute des formes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee des beacuteneacutefices lesquelles admettent lrsquoutilisation entre autres de la moyenne arithmeacutetique des prix comparables et drsquoun taux de beacuteneacutefices reacuteputeacutes

Par exemple le systegraveme breacutesilien de regravegles sur les prix de transfert ne peut ecirctre compareacute agrave aucun autre systegraveme dans le monde Instaureacute en 1997 il combine des meacutethodes analogues aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles de lrsquoOCDE et des marges beacuteneacuteficiaires brutes minimales et maximales prescrites Il comprend aussi des reacutegimes de protection affecteacutes agrave la fixation des prix de pleine concurrence des transactions drsquoexportation253 Le Breacutesil nrsquoapplique pas sur son territoire les Principes directeurs de lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert254 preacutefeacuterant agrave lrsquoinstar des Eacutetats-Unis interpreacuteter et appliquer le principe de pleine concurrence agrave sa maniegravere255

Qui plus est le fosseacute deacutejagrave ouvert entre les pays membres de lrsquoONU et ceux de lrsquoOCDE quant agrave leur situation particuliegravere agrave lrsquoeacutegard des seacuterieux problegravemes deacutecoulant de lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence laquo agrave la maniegravere de lrsquoOCDE raquo risque de se creuser davantage agrave lrsquoavenir Comme nous lrsquoavons mentionneacute anteacuterieurement il y a que le manuel de lrsquoONU sur les prix de transfert qui une fois acheveacute deviendra alors lrsquooutil interpreacutetatif de preacutedilection des pays en deacuteveloppement256 Quoi 251 ERNST amp YOUNG preacuteciteacute note 110 p 1 252 ANONYME laquo Baker amp McKenzie Answers OECDrsquos Call for Consultation on

Transfer Pricing raquo (2011) Worldwide Tax Daily 133-19 (Tax Analysts) partie I 253 Luiz Felipe FERRAZ et Alexandre de S ALMEIDA laquo Questions Raised Over

Brazilrsquos Transfer Pricing Rules raquo TP Week 26 novembre 2009 254 Les Principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales

OCDE 2011 (OECDilibrary) p 74 255 Plusieurs partenaires commerciaux des Eacutetats-Unis sont drsquoavis contrairement au

deacutepartement du Treacutesor ameacutericain que la meacutethode empirique des beacuteneacutefices comparables (CPM) et la regravegle de la proportionnaliteacute avec le revenu enfreignent le principe de pleine concurrence du fait notamment que lrsquoexamen comparatif se concentre sur les beacuteneacutefices de grandes cateacutegories drsquoentreprises plutocirct que sur les beacuteneacutefices de transactions particuliegraveres Voir B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 52

256 Voir la section 32 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 513

qursquoon en dise la recherche de regravegles drsquoapplication plus simples dans le but drsquoaplanir les difficulteacutes majeures de mise en pratique de la norme actuelle de reacutepartition pourrait eacuteventuellement conduire les pays membres de lrsquoONU agrave adopter comme certains pays eacutemergents des mesures leacutegislatives ou mecircme administratives fondeacutees sur des formules matheacutematiques

Crsquoest pourquoi il nous semble tout agrave fait naturel que dans les circonstances la modernisation du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert se reacutealise par la voie drsquoun certain retour au pragmatisme pratiqueacute par les administrations fiscales nationales du temps de la SDN257 Selon ce que nous avons dit plus haut la plupart drsquoentre elles utilisaient avec satisfaction des meacutethodes estimatives speacutecialement les meacutethodes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee comme meacutethodes subsidiaires pour reacutepartir jusque dans les anneacutees 1970 les beacuteneacutefices des eacutetablissements stables dans le cas ougrave les meacutethodes traditionnelles eacutetaient inapplicables258 Avant que lrsquoOCDE ne proscrive ce type de meacutethodes dans les premiegraveres lignes directrices publieacutees en 1979 la meacutethode de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee la plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutegard des entreprises commerciales et industrielles eacutetait la meacutethode du pourcentage du chiffre drsquoaffaires crsquoest-agrave-dire que en regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales faisaient appel au pourcentage repreacutesenteacute par la proportion entre le beacuteneacutefice net et les recettes brutes drsquoentreprises similaires259

En fait un pragmatisme renouveleacute pourrait se manifester aujourdrsquohui au sein de lrsquoOCDE notamment par une ouverture agrave preacutevoir comme moyens utiles de se rapprocher des conditions de pleine concurrence des exceptions dans les Principes directeurs lorsque les meacutethodes usuelles sont difficiles ou impossibles agrave appliquer260 Ce vent de pragmatisme commence peut-ecirctre deacutejagrave

257 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 signale avec justesse agrave la page 670 que les

pratiques en usage dans les anneacutees 1930 reacutepertorieacutees dans le Rapport Carroll eacutetaient le fruit du simple bon sens

258 Voir la section 11 ci-dessus 259 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 156 260 La conclusion tireacutee en 1976 par les participants agrave une discussion entre experts sur la

meacutethode agrave privileacutegier pour reacutepartir les beacuteneacutefices des entiteacutes lieacutees ne montre aucune ride et conserve encore aujourdrsquohui toute sa pertinence H Bartlett BROWN David S FOSTER Robert J PATRICK Jr R Alan SHORT Dr Jakob STROBL et David A WARD convenaient agrave la page 352 dans le cadre du laquo Panel Discussion Comparing the Separate and Unitary Entity Approaches to Income Allocation raquo dans Third Annual (1976) Proceedings of the Fordham Corporate Law Institute International Taxation and Transfert Pricing New York Edward Yorio 1977 337 que laquo [i]t seems that all the panelists [hellip] are in agreement that we have a system

(agrave suivrehellip)

514 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

agrave souffler sur lrsquoOCDE la preuve concregravete en eacutetant le projet en cours de lrsquoOCDE sur les aspects administratifs des prix de transfert Deacutemarreacute en 2011 il concerne entre autres la mise agrave jour de la position sur les reacutegimes de protection et srsquoinscrit dans un esprit de simplification de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Jusqursquoagrave preacutesent lrsquoOCDE nrsquoa pas cesseacute de soutenir que laquo les reacutegimes de protection ne sont geacuteneacuteralement pas compatibles avec lrsquoapplication de prix de transfert conformes au principe de pleine concurrence raquo du fait que notamment les prix ainsi deacutetermineacutes seraient impreacutecis et arbitraires261 Aussi deacutesigneacutes sous lrsquoexpression laquo regravegles refuges raquo les reacutegimes de protection qui repreacutesentent une opportuniteacute de simplifier les regravegles applicables agrave lrsquoeacutegard des transactions de peu de valeur restent un champ inexploreacute par lrsquoOCDE Si la reacutevision des lignes directrices eacutenonceacutees dans le chapitre IV des Principes directeurs avalisait lrsquoadoption de reacutegimes de protection en matiegravere de prix de transfert ceux-ci en fixant soit des seuils ou des intervalles de prix preacutedeacutetermineacutes pourraient permettre aux administrations fiscales de nrsquoexaminer que les dossiers pour lesquels lrsquoapproche au cas par cas srsquoavegravere reacuteellement neacutecessaire262

Outre les reacutegimes de protection les exceptions pourraient prendre la forme entre autres drsquoeacuteleacutements de formules matheacutematiques inteacutegreacutes dans les meacutethodes de reacutepartition fondeacutees sur les beacuteneacutefices permettant ainsi drsquoassurer sous le parapluie du principe de pleine concurrence le rajeunissement des regravegles actuelles Mecircme srsquoil est impossible pour lrsquoOCDE de retourner en arriegravere cela srsquoentend rien ne lrsquoempecirccherait de retrouver lrsquoesprit et le bon sens des anneacutees 1930 1940 et 1950 soit la peacuteriode au cours de laquelle lrsquoapproche transactionnelle pure nrsquoavait pas encore eacuteteacute diffuseacutee afin de stimuler une adaptation orienteacutee sur la souplesse des modes drsquoapplication du (hellipsuite)

now which may not be great but we might as well graft exceptions on the present system rather than adopt a new system and graft exceptions on it raquo

261 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 4120 et 4102-4119 M C DURST preacuteciteacute note 140 explique agrave la page 128 lrsquoattitude de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des reacutegimes de protection comme suit

laquo Why would the OECD Guidelines take a position with respect to safe harbors that seems so divorced from reality The reason I believe lies in politics [hellip] the working party that wrote the Guidelines appears to have been frightened of saying anything that might challenge the fantasy that transfer pricing rules can be administered on the basis of ldquocomparables searchesrdquo Safe harbors expose that fantasy and hence their specter had to be exorcised from the Guidelines Today the economies of many countries continue to suffer the resulting costs raquo

262 S S SURREY preacuteciteacute note 228 pp 445-448

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 515

principe de pleine concurrence LrsquoOCDE serait ainsi ameneacutee pour ce qui regarde lrsquoapproche transactionnelle agrave jeter du lest sans toutefois lrsquoabandonner du moins pour le moment et agrave tirer de lrsquooubli le bon sens rudimentaire qui sous-tendait agrave une eacutepoque anteacuterieure agrave la creacuteation de lrsquoOCDE lrsquoapplication par les administrations fiscales des meacutethodes secondaires263

Sans avoir proceacutedeacute agrave une analyse comparative formelle des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert reconnues par lrsquoOCDE nous ne pouvons affirmer avec certitude que les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices sont des meacutethodes purement transactionnelles Agrave lrsquoeacutevidence elles concernent toutes agrave des degreacutes diffeacuterents la reacutepartition des beacuteneacutefices deacutecoulant de transactions en particulier Intuitivement nous pouvons induire que le degreacute drsquoestimation du prix de transfert obtenu varie drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre le point de reacutefeacuterence eacutetant la comparaison pure en application de la meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre En conseacutequence nous pouvons conclure que lrsquoexactitude de la comparaison srsquoamenuise drsquoun point de vue theacuteorique degraves lors qursquoune meacutethode autre que celle du prix comparable sur le marcheacute libre est utiliseacutee Seules les meacutethodes transactionnelles traditionnelles par opposition aux meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices semblent pouvoir ecirctre qualifieacutees de meacutethodes purement transactionnelles

En drsquoautres termes les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices reconnues actuellement par lrsquoOCDE seraient pour ainsi dire une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee264 Bien entendu il srsquoagit drsquoune forme imparfaite puisque la deacutetermination des taux de rendement des fonctions et des biens incorporels ne reacutesulte pas de la simple application drsquoune formule matheacutematique mais requiert une analyse factuelle De nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire celles comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle combineacute agrave lrsquoapplication drsquoune formule matheacutematique multifactorielle pourraient donc constituer une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee convenable au mecircme titre que les meacutethodes

263 Dans S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 agrave la page 670 lrsquoauteur deacutesigne la norme

internationale en application dans les anneacutees 1930 sous lrsquoappellation laquo norme de la reacutepartition fractionneacutee raquo et ce en raison des eacuteleacutements de formules preacutedominants et du fait que son statut de meacutethode secondaire ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre la meacutethode utiliseacutee la plus freacutequemment

264 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 1) W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 106 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30

516 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

empiriques utiliseacutees par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930 1940 et 1950265

Dans la gamme theacuteorique des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert ces meacutethodes subsidiaires se positionneraient entre les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence et la reacutepartition globale classique des beacuteneacutefices selon une formule En lrsquoabsence de solutions miracles nous croyons que la possibiliteacute de la coexistence comme au temps des anneacutees 1930 drsquoun eacuteventail de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure agrave lrsquoestimation des prix ou des beacuteneacutefices de pleine concurrence au moyen de meacutethodes empiriques incluant la reacutepartition fractionneacutee limiteacutee reste une solution intermeacutediaire senseacutee dans les circonstances Agrave cette fin il serait opportun que lrsquoOCDE effectue une eacutetude et megravene des consultations aupregraves des pays membres et des entreprises multinationales sur le sujet des meacutethodes hybrides Du reste cette solution intermeacutediaire cadre avec lrsquoideacutee du continuum des meacutethodes dont se reacuteclament dans le deacutebat sur la controverse autour du principe de pleine concurrence les partisans de la retouche du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE

NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES

Le deacuteveloppement cloisonneacute des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence par lrsquoOCDE dont lrsquoaboutissement correspond aux lignes directrices a eu pour effet drsquoeacuteclipser des enjeux eacutethiques internationaux majeurs interrelieacutes agrave la question probleacutematique des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees Rarement abordeacutes en matiegravere de fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes les enjeux eacutethiques contemporains meacuteriteraient pourtant examen et reacuteflexion de la part de lrsquoOCDE de lrsquoONU des gouvernements nationaux et des entreprises multinationales Il suffit de penser agrave lrsquoarbitrage de lrsquoabus un enjeu eacutethique souleveacute par lrsquooptimisation fiscale des prix de transfert agrave laquelle se livrent les entreprises multinationales de mecircme qursquoagrave lrsquoeacutequiteacute de la concurrence fiscale mis en peacuteril en raison de lrsquoabaissement par certains pays du taux effectif

265 Crsquoest le cas par exemple du reacutegime hybride proposeacute par les auteurs

R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 2) lequel preacutevoit des meacutecanismes agrave base de formules applicables speacutecifiquement pour reacutepartir le beacuteneacutefice reacutesiduel lorsqursquoil nrsquoexiste pas de donneacutees comparables

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 517

drsquoimposition sous les taux eacutetablis par les autres pays pour favoriser les investissements sur leurs territoires

Crsquoest que les pheacutenomegravenes mondiaux de lrsquoeacutevitement fiscal et de la concurrence fiscale deacuteloyale participent agrave lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des administrations fiscales nationales en contribuant au deacuteplacement des beacuteneacutefices des entreprises multinationales Depuis peu lrsquoOCDE manifeste drsquoailleurs la volonteacute agrave suivre cette nouvelle voie266 sans toutefois aller aussi loin que drsquoamorcer une reacuteflexion eacutethique pour guider la recherche de solutions permettant drsquoajuster les politiques fiscales nationales

621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international

Tous les teacutemoignages et les commentaires preacutesenteacutes en 2010 lors de lrsquoaudience sur les prix de transfert tenue par lrsquoinfluent Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants du Congregraves des Eacutetats-Unis ont indiqueacute que de grandes entreprises multinationales ameacutericaines manipulent en toute leacutegaliteacute les regravegles sur les prix de transfert Certaines associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines jugent acceptable la manipulation licite des regravegles sur les prix de transfert mais condamnent la manipulation illeacutegale267 Guideacutees par lrsquoideacutee fixe de maximiser le rendement des actionnaires les entreprises multinationales mettent en pratique les conseils prodigueacutes par des professionnels de la fiscaliteacute internationale œuvrant dans les grands cabinets comptables et juridiques Les planifications internationales sophistiqueacutees permettent ultimement de localiser les transactions et les beacuteneacutefices imposables y affeacuterents dans les pays dont le taux drsquoimposition est peu eacuteleveacute et de diminuer le fardeau fiscal global des entreprises multinationales

Bien entendu plusieurs facteurs internes et externes qui ne sont pas exclusivement drsquoordre fiscal peuvent justifier du point de vue des entreprises multinationales la manipulation des prix de transfert Il y a notamment lrsquoatteinte de cibles strateacutegiques propres agrave lrsquoentreprise ndash par exemple la reacutealisation volontaire de pertes afin drsquoobtenir de lrsquoaide financiegravere

266 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Lutter contre lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE feacutevrier 2013 (OECDilibrary)

267 Voir notamment The Information Technology Industry Council before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010july22_information_technology_industry_council_submissionpdf)

518 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gouvernementale ndash lrsquoeacutevitement ou la diminution des tarifs douaniers et la minimisation des risques de change de devises268 La reacuteduction du fardeau fiscal proprement dite lrsquoun des facteurs internes incitatifs agrave la manipulation les plus puissants peut reacutesulter soit de manipulations illicites en particulier la surfacturation et la sous-facturation des biens et des services soit de manipulations licites Dans ce dernier cas les manipulations prennent la forme drsquoarrangements contractuels conclus avec des filiales eacutetrangegraveres nouvellement creacuteeacutees ou des entiteacutes non lieacutees afin de deacuteplacer les risques les plus eacuteleveacutes et les fonctions les plus rentables ndash comme le financement lrsquoapprovisionnement la proprieacuteteacute des actifs incorporels lrsquoassurance la gestion et la distribution ndash dans des pays eacutetrangers dont la fiscaliteacute est particuliegraverement avantageuse pour les entreprises multinationales269

Les entreprises multinationales qui tout en se conformant aux lois fiscales nationales se reacuteorganisent en mettant en place des formes organisationnelles audacieuses et en convenant de reacutepartitions contractuelles des risques pour mieux manipuler les prix de transfert sont-elles agrave blacircmer Qursquoen est-il des professionnels chevronneacutes qui conccediloivent les planifications dans les grands cabinets comptables et juridiques drsquoenvergure internationale Agrave supposer que nous adoptions le point de vue de lrsquoeacutethique professionnelle ndash un point de vue largement partageacute par les entreprises multinationales et lrsquoOCDE270 ndash la reacuteponse apporteacutee serait neacutegative En effet toute planification 268 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 622 269 Ce type drsquoarrangements contractuels correspond au modegravele geacuteneacuteral organisationnel

utiliseacute reacutecemment par les entreprises multinationales ameacutericaines pour transfeacuterer outre-mer des actifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 pp 103-104 Il ressort de lrsquoeacutetude des six socieacuteteacutes publiques examineacutees par IrsquoIRS en 2010 que des filiales eacutetrangegraveres ont eacuteteacute creacuteeacutees dans les pays suivants lesquels sont pour la plupart des refuges fiscaux Pays-Bas Chine Bermudes Suisse Porto Rico icircles Caiumlmans Delaware Irlande Singapour et Hong Kong Peu sujets agrave une requalification les arrangements contractuels sont habituellement fondeacutes sur des relations juridiques veacuteritables Au mecircme effet le reportage eacutelaboreacute publieacute par The Guardian sur les strateacutegies fiscales de trois entreprises multinationales ameacutericaines speacutecialiseacutees dans le commerce des bananes soit Dole Chiquita et Fresh Del Monte lesquelles leur permettent drsquoeacutetablir un taux drsquoimposition reacuteel moyen de 143 agrave lrsquoeacutegard des anneacutees drsquoimposition 2002 agrave 2006 alors que le taux drsquoimposition reacutegulier des socieacuteteacutes aux Eacutetats-Unis est de 35 Ian GRIFFITHS et Felicity LAWRENCE laquo Bananas to UK Via the Channel Islands It Pays For Tax Reasons raquo The Guardian 6 novembre 2007 (en ligne httpwwwguardiancoukbusiness2007nov0612print)

270 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 p 32 voir eacutegalement laquo Eacuterosion de la base drsquoimposition et transfert de beacuteneacutefices questions freacutequemment poseacutees raquo (en ligne httpwwwoecdorgfrctpquestionsfrequemmentposeeshtm) dont la reacuteponse agrave la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 519

fiscale qui respecte la lettre et lrsquoesprit des regravegles nationales sur les prix de transfert sera geacuteneacuteralement jugeacutee tout agrave fait convenable par les administrations fiscales271

En revanche si nous appreacutecions cette mecircme planification du point de vue de lrsquoeacutethique morale elle peut paraicirctre discutable du fait que les entreprises multinationales ont lrsquoobligation comme les individus et les entreprises nationales drsquoagir en bons citoyens et de payer un impocirct juste272 Mecircme si le concept de responsabiliteacute sociale des socieacuteteacutes srsquoest deacuteveloppeacute au fil du temps pour ce qui est notamment de lrsquoenvironnement des normes du travail et des droits de la personne il nrsquoest guegravere associeacute au fardeau fiscal et aux prix de transfert273 De toute eacutevidence lrsquoopinion exprimeacutee en 1970 par lrsquoeacuteconomiste ameacutericain Milton Friedman selon laquelle les entreprises nrsquoont pas de responsabiliteacute sociale continue de trouver plus de 40 ans plus tard un eacutecho favorable274

Mecircme si la reacutealiteacute de lrsquoeacutevitement fiscal relatif aux prix de transfert semble deacutesormais admise lrsquoampleur et lrsquoimportance de ce pheacutenomegravene sont difficiles agrave mesurer tant dans les pays deacuteveloppeacutes que dans les pays en deacuteveloppement Malgreacute la controverse autour du principe de pleine concurrence aucune eacutetude nrsquoa encore pu quantifier avec preacutecision faute de donneacutees statistiques fiables le montant annuel des recettes fiscales perdues par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine deacutecoulant de la manipulation des prix de transfert275 Aux Eacutetats-Unis lrsquointerpreacutetation des donneacutees statistiques

(hellipsuite)

question 9 mentionne que laquo [l]es pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher aux entreprises drsquoappliquer des regravegles qursquoils ont eux-mecircmes mises en place Par conseacutequent il incombe aux pouvoirs publics de revoir les regravegles existantes ou drsquoen adopter de nouvelles raquo

271 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 18 Voir aussi Don R HANSEN Rick L CROSSER et Doug LAUFER laquo Moral Ethics v Tax Ethics The Case of Transfer Pricing Among Multinational raquo (1992) vol 11 Journal of Business Ethics 679 (SpringerLink) p 684

272 L EDEN preacuteciteacute note 209 pp 18-19 273 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 650 274 Milton FRIEDMAN laquo The Social Responsability of Business is to Increase its

Profits raquo The New York Times Magazine 23 septembre 1970 (en ligne httpwww-rohansdsuedufacultydunnwebrprntsfriedmandunnpdf)

275 Testimony of James R Hines Jr Professor of University of Michigan School of Law before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010jul22_hines_testimonypdf)

(agrave suivrehellip)

520 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

disponibles qui sont utiliseacutees dans les eacutetudes notamment la mesure de lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par rapport agrave la mesure de lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger ne fait pas lrsquounanimiteacute276

Pourtant deacutejagrave signaleacute dans le Rapport Carroll le pheacutenomegravene de la manipulation des prix de transfert comme strateacutegie drsquoeacutevitement fiscal international nrsquoa pas retenu lrsquoattention de lrsquoOCDE au cours de la seconde moitieacute du XXe siegravecle Contrairement agrave ce qursquoelle laissait entendre en 1998 agrave lrsquooccasion des premiers travaux meneacutes sur la concurrence des systegravemes fiscaux nationaux lrsquoOCDE nrsquoa jamais approfondi la question de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux prix de cession interne transfrontaliers impliquant des socieacuteteacutes lieacutees reacutesidant dans des refuges fiscaux ou des reacutegimes fiscaux preacutefeacuterentiels ni compleacuteteacute les lignes directrices sur ce point277 Certes nous trouvons le terme laquo manipulations raquo dans les lignes directrices lrsquoOCDE mettant en garde les administrations fiscales de ne laquo [hellip] pas preacutesumer systeacutematiquement que des entreprises associeacutees ont essayeacute de se livrer agrave des manipulations concernant leurs beacuteneacutefices raquo278 Quant au terme laquo eacutethique raquo il nrsquoapparaicirct pas non plus dans les lignes directrices en matiegravere de prix de transfert ni mecircme dans le court chapitre traitant de la fiscaliteacute inseacutereacute au sein du code de conduite responsable de lrsquoOCDE destineacute aux entreprises multinationales279

(hellipsuite)

(laquo Hines raquo) Se fondant sur lrsquoanalyse de la preuve directe de lrsquoIRS (application des regravegles ameacutericaines sur les prix de transfert) et de la preuve indirecte empirique (donneacutees extraites des deacuteclarations fiscales produites par les entreprises multinationales ameacutericaines) le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis conclut en 2010 que des revenus importants sont vraisemblablement deacutetourneacutes agrave lrsquoeacutetranger pour des motifs fiscaux au moyen du meacutecanisme des prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees Testimony of Stephen E Shay Deputy Assistant Secretary for International Tax Affairs US Department of Treasury before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwwwtreasurygovresource-centertax-policyDocumentsOTPTest-2010-7-22-Shay-Testimonypdf)

276 Hines preacuteciteacute note 275 p 6 277 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport sur la concurrence fiscale dommageable Un problegraveme mondial 1998 (OECDilibrary) par 166-167

278 Principes de 2010 preacuteciteacute note 109 par 12 Pour ce qui concerne le terme laquo manipulation raquo il apparaicirct aux paragraphes 123 et 723 lesquels ne traitent pas des refuges fiscaux

279 Les principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales OCDE 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrdafinvmne48004355pdf) pp 71-74

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 521

Voici que 15 anneacutees plus tard en 2013 lrsquoOCDE mandateacutee par le G20 srsquoattaque sur fond de crise financiegravere internationale au pheacutenomegravene de la manipulation licite des prix de transfert Apregraves avoir tant tardeacute lrsquoOCDE se penche enfin sur le problegraveme de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des gouvernements nationaux deacutecoulant des pratiques agressives de transferts de beacuteneacutefices auxquelles ont recours les entreprises multinationales280 Deacutetermineacutee agrave sauvegarder lrsquointeacutegriteacute du systegraveme fiscal international drsquoimposition des socieacuteteacutes lrsquoOCDE embrasse pour ce faire une laquo approche holistique raquo Crsquoest ainsi que le plan drsquoaction mondial lanceacute en juillet 2013 aborde plusieurs aspects de ce problegraveme et propose drsquoinstaurer laquo [d]es changements fondamentaux [hellip] pour empecirccher efficacement la double non-imposition mais aussi les cas drsquoimposition faible ou nulle associeacutes agrave des pratiques qui seacuteparent artificiellement les beacuteneacutefices des activiteacutes qui les geacutenegraverent raquo281 Il appert que parmi lrsquoeacuteventail de changements requis certains permettront de preacuteciser les regravegles sur les prix de transfert en particulier celles relatives au transfert drsquoactifs incorporels et de risques ainsi qursquoagrave lrsquoattribution drsquoune fraction excessive du capital entre les membres drsquoun groupe multinational drsquoentreprises282

280 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Communiqueacute laquo LrsquoOCDE plaide en faveur drsquoune intensification de la coopeacuteration internationale concernant la fiscaliteacute des entreprises raquo 12 feacutevrier 2013 (en ligne httpwwwoecdorgfrpresselocde-plaide-en-faveur-dune-intensification-de-la-cooperation-internationale-concernant-la-fiscalite-des-entrepriseshtm)

281 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Plan drsquoaction concernant lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE 2013 (OECDilibrary) p 13 Ce plan fait suite agrave la publication du rapport sur lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 Pour des commentaires sur le plan voir Lee A SHEPPARD laquo OECD BEPS Action Plan Trying to Save the System raquo (2013) Tax Notes Today 140-1 (Tax Analysts)

282 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 281 pp 21-22 Les autres changements requis verront entre autres agrave renforcer lrsquoefficaciteacute des regravegles preacutevues dans les leacutegislations nationales et les conventions fiscales (par exemple la limitation des deacuteductions drsquointeacuterecircts les regravegles relatives aux socieacuteteacutes eacutetrangegraveres controcircleacutees et la deacutefinition de lrsquoeacutetablissement stable) agrave fixer des regravegles relatives agrave la deacuteductibiliteacute des frais financiers intragroupe agrave eacuteliminer les avantages de lrsquoarbitrage fiscal et des montages impliquant des entiteacutes hybrides agrave lutter plus activement contre les reacutegimes fiscaux dommageables agrave obliger les contribuables agrave deacuteclarer les planifications fiscales agressives ainsi qursquoagrave eacutelaborer une convention fiscale multilateacuterale laquelle permettrait la mise en œuvre de nouvelles regravegles sans avoir agrave reacuteviser les conventions fiscales bilateacuterales existantes

522 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Sans meacutesestimer la valeur du projet de lrsquoOCDE sur lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale force est de constater que lrsquoOCDE persiste agrave neacutegliger lrsquoeacutethique morale des comportements des entreprises multinationales et des professionnels des grands cabinets drsquoexperts-comptables et drsquoavocats qui fournissent des services-conseils de planification fiscale Mecircme si ce projet aura le meacuterite drsquoeacutevaluer les pertes de recettes fiscales relativement agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes283 il ne cherche pas agrave introduire la notion drsquoeacutethique morale dans la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes pour tenter de policer les comportements des entreprises multinationales en ce qui concerne les prix de transfert Agrave supposer que plusieurs des entreprises multinationales soient deacutepourvues drsquoeacutethique morale elles utilisent aujourdrsquohui agrave leur avantage pour se soustraire agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou reacuteduire leur fardeau fiscal les divergences entre les regravegles nationales sur les prix de transfert qui paradoxalement ont eacuteteacute mises en place au fil du temps en reacuteponse agrave leur demande formuleacutee degraves 1920 aupregraves de la SDN pour preacutevenir la double imposition

622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale

Mecircme si jusqursquoagrave preacutesent la controverse autour du principe de pleine concurrence a fait couler beaucoup drsquoencre parmi les universitaires et les praticiens aux Eacutetats-Unis le deacutebat sur la norme de la reacutepartition internationale constitue possiblement un faux problegraveme contemporain dans le contexte du deacutebat sur les prix de transfert Le veacuteritable problegraveme serait plutocirct agrave notre avis le pheacutenomegravene mondial de la concurrence fiscale deacuteloyale En particulier depuis le dernier quart du XXe siegravecle les politiques fiscales nationales des pays de reacutesidence et drsquoaccueil des investissements directs eacutetrangers rivalisent de plus en plus drsquoaudace pour attirer les entreprises multinationales agrave y exercer des activiteacutes commerciales Favorisant des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes nuls ou faibles et drsquoautres mesures fiscales incitatives telles entre autres le secret bancaire et le cantonnement des avantages aux non-reacutesidents plusieurs pays se transforment en refuges fiscaux

La compeacutetition fiscale entre les Eacutetats dont reacutesulte la creacuteation drsquoeacutecarts consideacuterables entre les taux drsquoimposition des socieacuteteacutes peut indiscutablement inciter les entreprises multinationales agrave optimiser les deacuteplacements de leurs beacuteneacutefices au moyen de manipulations licites ou illicites des prix de transfert

283 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 280

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 523

dans les pays ayant un taux drsquoimposition parmi les plus faibles284 Dans le passeacute le sujet de la concurrence fiscale deacuteloyale a eacuteteacute lrsquoobjet drsquoune eacutetude de lrsquoOCDE285 laquelle a conduit agrave la creacuteation drsquoun Forum sur les pratiques dommageables et des accords drsquoeacutechange de renseignements en matiegravere fiscale (AERF) Preacutetextant des deacutecisions politiques prises par les gouvernements nationaux lrsquoOCDE refuse de srsquoimmiscer directement dans la sphegravere de la souveraineteacute nationale et srsquoabstient de critiquer lrsquoeacutecart important entre les taux drsquoimposition effectifs de lrsquoensemble des pays dans le monde deacutecoulant de lrsquoabaissement des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes ou de lrsquoadoption de mesures fiscales avantageuses pour favoriser les investissements sur certains territoires286 Dans les circonstances actuelles il est permis de srsquointerroger sur le fait que lrsquoOCDE agrave deacutefaut de deacutenoncer le pheacutenomegravene de la concurrence fiscale se trouve pour tout dire agrave lrsquoapprouver tacitement

En reacutealiteacute lrsquoimportance relative de la question des prix de transfert comme enjeu de politique fiscale nrsquoest plus du tout la mecircme que dans les anneacutees 1960 et 1970 eacutetant donneacute la mouvance mondiale vers la reacuteduction des taux leacutegaux drsquoimposition sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Dans les pays de lrsquoOCDE les taux leacutegaux drsquoimposition de lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes diminuent geacuteneacuteralement depuis les anneacutees 1980 drsquoune maniegravere constante287 Au cours du XXIe siegravecle par exemple le taux drsquoimposition moyen des pays de lrsquoOCDE est passeacute de 341 en 2000288 agrave 252 en 2013289 En revanche les taxes indirectes notamment la taxe sur la valeur

284 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 3 285 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 277 286 Id p 15 287 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES laquo Reacuteformer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes synthegraveses raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE 2008 (en ligne httpwwwoecdorg frfiscaliteanalysedespolitiquesfiscales41106903pdf) (consulteacute en octobre 2012) p 3

288 KPMGrsquos Corporate and Indirect Tax Rate Survey 2007 2007 (en ligne httpwwwinkpmgcompdfcorptaxratesurvey2007pdf) p 9

289 KPMG Tax rates on line (en ligne httpwwwkpmgcomglobalenservicestaxtax-tools-and-resourcespagestax-rates-onlineaspx)

524 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ajouteacutee tendent agrave augmenter en Europe au Moyen-Orient en Afrique et en Ameacuterique du Nord et du Sud290

Il paraicirct donc opportun de se demander jusqursquoagrave quel point les taux drsquoimposition nominaux des socieacuteteacutes peuvent diminuer Cette mouvance mondiale agrave la reacuteduction des taux megravenera-t-elle agrave lrsquoabolition pure et simple agrave moyen ou agrave long terme de lrsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes De plus il y a lieu de se demander si cette abolition ne serait pas la panaceacutee aux difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence Deacutebordant le sujet de la preacutesente eacutetude ces questions cruciales seront sans nul doute deacutebattues agrave lrsquoavenir par lrsquoOCDE et lrsquoONU

CONCLUSION

En deacutefinitive le principe de pleine concurrence demeure au XXIe siegravecle agrave deacutefaut drsquoune solution de rechange miraculeuse la moins mauvaise des options pour reacutegir la reacutepartition en droit fiscal international public des beacuteneacutefices reacutesultant des cessions internes de biens et de services entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale En ce sens il nrsquoest donc pas anachronique Inteacutegreacute dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU vers la fin des anneacutees 1970 ce principe dont lrsquoeacutenonceacute est exprimeacute au paragraphe 9(1) consiste en la seule reacutefeacuterence normative accepteacutee dans les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et il reacutecolte de nos jours lrsquoadheacutesion de la majoriteacute des pays dans le monde

La longue controverse aux Eacutetats-Unis sur les principales lacunes du principe de pleine concurrence qui oppose partisans et adversaires du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie nrsquoa pas reacuteussi agrave leacutezarder le solide consensus construit apregraves la Seconde Guerre mondiale autour du principe de pleine concurrence Quoique lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique et commercial mondiaux ait eu pour conseacutequence de transformer lrsquoapplication du principe de pleine concurrence en veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU persistent depuis 1995 agrave rejeter expresseacutement la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique refusant de voir en cette derniegravere une norme soi-disant plus simple et plus efficace Le consensus actuel

290 ERNST amp YOUNG Communiqueacute laquo Une pression fiscale mondiale agrave la hausse raquo

6 janvier 2012 (en ligne httpwwweycomFTfrNewsroomNews-releasesCommunique-de-presse---Observatoire-des-Politiques-Budgetaires-et-Fiscales-2012---OPBF)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 525

entrave donc toute possibiliteacute de voir eacutemerger agrave court ou agrave moyen terme un nouveau consensus international en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie

Reste que la tendance des pays agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente agrave utiliser des regravegles simplifieacutees baseacutees sur des formules matheacutematiques appelle lrsquoOCDE agrave moderniser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence afin drsquoen ameacuteliorer lrsquoadeacutequation avec les contextes eacuteconomique et commercial mondiaux Projetant lrsquoexpeacuterience du passeacute sur lrsquoavenir lrsquoOCDE pourrait ainsi assouplir ces modes drsquoapplication en faisant preuve du mecircme esprit de pragmatisme que celui des administrations fiscales nationales lors de lrsquoutilisation dans les anneacutees drsquoimposition 1930 1940 et 1950 des meacutethodes estimatives Dans cette optique il serait opportun pour lrsquoOCDE drsquoexplorer lrsquoideacutee drsquointroduire de nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle et une reacutepartition fractionneacutee limiteacutee au moyen drsquoune formule matheacutematique

Le reacutecent changement drsquoapproche de lrsquoOCDE vis-agrave-vis du pheacutenomegravene de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale paraicirct annoncer une reacutevolution en droit fiscal international public La nouvelle approche globaliste qui tient compte de tous les aspects de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes y compris les prix de transfert pourra-t-elle reacuteussir agrave mettre en avant des solutions innovatrices pour contrer efficacement lrsquoeacutevitement fiscal reacutesultant de la manipulation licite par les entreprises multinationales des interactions entre les regravegles nationales sur les prix de transfert Publieacute en juillet 2013 le plan drsquoaction mondial de lrsquoOCDE qui sera deacuteployeacute au cours des anneacutees 2014 et 2015 aura sans contredit des conseacutequences futures importantes sur les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence pour fixer les prix de transfert

526 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 527

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES

BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE

Pierre Brosseau CPA CA LLM fisc

Directeur ndash fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

PREacuteCIS

Les reacutecents efforts de deacuteveloppement entrepris dans le Nord du Queacutebec stimulent grandement lrsquoeacuteconomie de cette reacutegion Des communauteacutes autochtones occupent une partie non neacutegligeable de ce territoire Pour celles-ci les occasions drsquoaffaires avec lrsquoexteacuterieur sont donc de plus en plus freacutequentes et lrsquoutilisation de la socieacuteteacute par actions comme veacutehicule juridique est monnaie courante Lrsquoauteur se penche sur la possibiliteacute que les socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts du Queacutebec Il tente de mettre en eacutevidence les zones grises et les nuances que renferment ces dispositions leacutegislatives Il le fait en analysant la jurisprudence lrsquohistorique de ces dispositions leacutegislatives ainsi que les diverses notions que ces mecircmes dispositions renferment Le texte aborde aussi certains eacuteleacutements de planification visant agrave optimiser la situation fiscale des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes

528 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ABSTRACT

The recent developmental efforts undertaken in Queacutebecrsquos North have greatly stimulated the economy of that region A significant part of this territory is occupied by aboriginal communities For them business opportunities with the outside world have become more and more frequent and the use of a business corporation as a legal structure is a common practice This text focuses on the possibility for such corporations owned by Indian bands to benefit from the tax exemption under paragraphs 149(1)(d5) and 149(1)(d6) of the Income Tax Act and paragraphs 985(f) and 985(g) of the Taxation Act of Queacutebec The author attempts to identify the grey areas and the subtleties contained in these statutory provisions by analyzing the case law the history of the provisions and as well the various notions found in the provisions This text also discusses certain planning options which aim to optimize the tax situation of corporations owned by Indian bands

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 529

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 531

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL 531

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES 531 12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS 532 13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET 533

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES 534

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE 534

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES 534 221 Situation avant 1999 534 222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux 535 223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999 538

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES 541

3 NOTIONS FONDAMENTALES 542

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE 542 311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich 542 312 Positions administratives 544 313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec 547 314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public

remplissant une fonction gouvernementale 549 32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES 550

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR 550 322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois 551 323 Positions administratives 554 324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte 555 325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques 560

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU 561 331 Notion de revenu 561 332 Notion de lieu (situs) 564 333 Notion drsquoactiviteacutes 565 334 Notion de peacuteriode 569 335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de

revenu 571

530 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR 572 341 Application de lrsquoexception et notion de convention

eacutecrite 573 342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR 575

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE 575

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE 576 42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES 577 43 REacuteDACTION DES CONTRATS 579 44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS 580

CONCLUSION 580

ANNEXE 582

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 531

INTRODUCTION

Le preacutesent texte est un outil qui vise agrave eacuteclairer les communauteacutes des Premiegraveres Nations dans lrsquoorganisation de leurs affaires agrave caractegravere commercial Avec les reacutecents efforts de deacuteveloppement eacuteconomique du Nord queacutebeacutecois la participation de ces communauteacutes agrave des activiteacutes commerciales a commenceacute agrave croicirctre et ne fera que continuer de croicirctre au cours des prochaines anneacutees Dans cette optique notre but est drsquoapporter des preacutecisions sur lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes

Cette analyse srsquoapplique de faccedilon geacuteneacuterale agrave toutes les bandes indiennes Toutefois les communauteacutes cries1 du Queacutebec sont assujetties agrave un reacutegime particulier qui a pris naissance au moment de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois2 Crsquoest surtout lorsqursquointerviendra la notion de limites geacuteographiques que le reacutegime propre aux Cris du Queacutebec ressortira

Dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne peut-elle se preacutevaloir de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu3 et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts4 du Queacutebec Telle est la question qui orientera notre analyse

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES

Le terme laquo autochtone raquo englobe tous les aborigegravenes du Canada crsquoest- agrave-dire les Premiegraveres Nations ameacuterindiennes les communauteacutes inuites et les meacutetis Lrsquoexpression laquo Premiegraveres Nations raquo quant agrave elle regroupe les nations

1 Les particulariteacutes du reacutegime des Cris du Queacutebec srsquoappliquent eacutegalement agrave la

communauteacute naskapie situeacutee pregraves de la ville de Schefferville 2 Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois le 11 novembre 1975

(laquo Convention de la Baie-James raquo) 3 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 4 LRQ c I-3 (laquo LI raquo)

532 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

qui sont reacutegies agrave la base par la Loi sur les Indiens5 Les nations huronne-wendate mohawk naskapie et crie en sont des exemples

Contrairement au mythe ce ne sont pas tous les autochtones qui beacuteneacuteficient drsquoune exemption fiscale sur leurs revenus Lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens preacutevoit malgreacute toutes autres lois que les droits et biens drsquoun Indien ou drsquoune bande indienne sont exempts de taxation srsquoils sont situeacutes sur une reacuteserve Il y a donc deux limites agrave lrsquoexemption le contribuable doit ecirctre un Indien ou une bande indienne et le revenu doit ecirctre situeacute sur la reacuteserve Cette exemption fiscale est reconnue par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR alors qursquoau Queacutebec elle prend la forme drsquoune deacuteduction du revenu imposable en vertu du paragraphe 725e) LI

Les tribunaux considegraverent avec reacuteserve qursquoune socieacuteteacute par actions puisse beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne agrave des fins fiscales6 Par le fait mecircme une telle socieacuteteacute ne peut pas se soustraire agrave lrsquoimposition en invoquant lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens Cet article ne sera donc pas une avenue possible pour une bande indienne qui voudrait exempter le revenu reacutealiseacute par une socieacuteteacute dont elle est actionnaire

Bien que le preacutesent texte ne porte pas sur lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens il est impensable drsquoen faire complegravetement abstraction Les diverses conclusions des tribunaux entourant son application reposent sur des reacutealiteacutes qui sont analogues agrave celles concernant les socieacuteteacutes des bandes indiennes Apregraves tout une bande indienne reste une bande indienne dans un contexte ou dans un autre De surcroicirct le recours aux deacutecisions concernant lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens est indispensable agrave lrsquoanalyse des dispositions leacutegislatives propres aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes Les contribuables viseacutes doivent jongler avec des dispositions relativement reacutecentes sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute suffisamment appeleacutes agrave se prononcer

12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS

Puisqursquoune socieacuteteacute par actions ne peut pas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne on peut se questionner sur les motivations drsquoun 5 LRC 1985 ch I-5 6 Canadian Pacific Ltd c Matsqui Indian Band [2000] 1 CF 325 par 37 et par 175

renvoyant agrave la note 100 (CAF) Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in Right of Saskatchewan [1979] 6 WWR 84 (CA Sask)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 533

conseil de bande agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute La raison la plus eacutevidente de renoncer agrave lrsquoexemption preacutevue par la Loi sur les Indiens pourrait ecirctre qursquoun Indien ou une bande indienne nrsquoy aurait pas droit de toute maniegravere en raison du situs hors reacuteserve du revenu geacuteneacutereacute par lrsquoentreprise7 Ce sont surtout des consideacuterations juridiques et commerciales qui font que les conseils de bande peuvent favoriser la constitution de socieacuteteacutes par actions ou y soient contraints8 Par exemple une bande indienne peut vouloir limiter sa responsabiliteacute dans certains projets On peut aussi vouloir garantir une gouvernance plus stable qui ne changera pas agrave chacune des eacutelections auxquelles sont soumis les conseils de bande De plus certaines reacuteglementations sectorielles obligent les entiteacutes agrave ecirctre constitueacutees en socieacuteteacutes Il ne faut pas oublier aussi que pour une bande indienne les possibiliteacutes de faire affaire avec lrsquoexteacuterieur sont limiteacutees en raison du fait que les proceacutedures de saisie peuvent ecirctre difficiles voire impossibles pour les creacuteanciers9

13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI renferment plusieurs dimensions La plupart de ces dimensions seront traiteacutees dans le preacutesent texte Toutefois la composition de lrsquoactionnariat du type de socieacuteteacutes eacutetudieacutees ne sera pas abordeacutee directement eacutetant donneacute que les dispositions leacutegislatives sont relativement claires agrave ce sujet Ainsi nous orienterons notre eacutetude sur les aspects les plus neacutebuleux contenus dans les dispositions leacutegislatives Il faut garder en tecircte que notre but est de nous concentrer sur les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes et non sur divers sceacutenarios drsquoactionnariat possibles avec drsquoautres entiteacutes exoneacutereacutees ou imposables En conseacutequence crsquoest la situation drsquoune socieacuteteacute deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne qui sera expresseacutement analyseacutee 7 Mitchell c Bande indienne Peguis [1990] 2 RCS 85 par 5

laquo Lrsquoarticle 90 [concernant lrsquoexemption de saisie] doit ecirctre interpreacuteteacute conjointement avec les art 87 et 89 [de la Loi sur les Indiens] Il faut eacuteviter drsquoaccorder une porteacutee trop large agrave ces dispositions Elles nrsquoont pas pour but drsquoaccorder des privilegraveges aux Indiens agrave lrsquoeacutegard des biens qursquoils peuvent acqueacuterir et posseacuteder peu importe lrsquoendroit ougrave ils sont situeacutes Leur but est plutocirct de proteacuteger des ingeacuterences et des entraves de la socieacuteteacute en geacuteneacuteral les droits de proprieacuteteacute des Indiens sur leurs terres reacuteserveacutees pour veiller agrave ce que ceux-ci ne soient pas deacutepouilleacutes de leurs droits raquo

8 Voir notamment Kimberley THOMAS et Merle ALEXANDER The Taxation and Financing of Aboriginal Businesses in Canada feuilles mobiles Scarborough Ont Carswell 1998 agrave la page 5-53

9 Art 89 de la Loi sur les Indiens

534 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX

SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE

Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment les socieacuteteacutes par actions ne peuvent en aucun cas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne Elles ne peuvent donc pas espeacuterer se soustraire agrave lrsquoimposition en recourant agrave la Loi sur les Indiens Y a-t-il une porte de sortie

On srsquoest interrogeacute sur les parallegraveles qui existent entre une bande indienne et une municipaliteacute Au mecircme titre qursquoune ville une bande indienne est dirigeacutee par un conseil eacutelu et assume plusieurs responsabiliteacutes vis-agrave-vis de la population Les fonctions drsquoun conseil de bande peuvent mecircme aller au-delagrave de celles des villes du Queacutebec car le conseil de bande participe souvent au deacuteveloppement eacuteconomique de sa communauteacute Cette reacutealiteacute a laisseacute croire agrave certains conseils de bande qursquoils pouvaient beacuteneacuteficier des mecircmes avantages fiscaux que les municipaliteacutes canadiennes

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES

221 Situation avant 1999

En 197210 les passages de lrsquoarticle 149 LIR pertinents agrave lrsquoanalyse se lisaient comme suit11

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente Partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

c) une municipaliteacute au Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada

d) une corporation commission ou association dont au moins 90 des actions ou du capital appartenaient agrave Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou agrave une municipaliteacute canadienne ou une corporation filiale posseacutedeacutee en

10 Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1970-71-72 ch 63 11 De faccedilon geacuteneacuterale les dispositions de la Loi sur les impocircts du Queacutebec qui

srsquoharmonisent avec les dispositions de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne seront pas traiteacutees en deacutetail Agrave lrsquooccasion il y sera toutefois fait briegravevement reacutefeacuterence par souci de commoditeacute

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 535

proprieacuteteacute exclusive par une semblable corporation commission ou association mais le preacutesent alineacutea ne sapplique pas

(i) agrave une telle corporation commission ou association si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette corporation commission ou association ou un droit drsquoacqueacuterir ces actions ou ce capital et

(ii) agrave une telle corporation filiale si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette filiale ou de la corporation commission ou association dont elle est une filiale posseacutedeacutee en proprieacuteteacute exclusive ou un droit dacqueacuterir ces actions ou ce capital raquo (Notre soulignement)

Il est inteacuteressant de noter que cette version du paragraphe 149(1) LIR datant de 1972 reconnaissait agrave lrsquoalineacutea c) le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et preacutevoyait qursquoun tel organisme eacutetait exempteacute drsquoimpocirct Toutefois lrsquoexemption ne srsquoeacutetendait pas aux socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient la proprieacuteteacute drsquoun tel organisme Certains conseils de bande ont tout de mecircme tenu pour acquis que les socieacuteteacutes dont ils eacutetaient actionnaires pouvaient beacuteneacuteficier de lrsquoexemption de la mecircme faccedilon que les socieacuteteacutes dont les municipaliteacutes sont actionnaires en beacuteneacuteficient

222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux

Au deacutebut des anneacutees 1990 la position voulant qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne soit consideacutereacutee comme une entiteacute exempteacutee drsquoimpocirct fut soumise pour la premiegravere fois aux tribunaux Dans lrsquoaffaire Otineka Development Corporation Limited c La Reine12 les socieacuteteacutes appelantes soutenaient que la bande drsquoOpaskwayak (communauteacute crie du Manitoba) devait ecirctre consideacutereacutee comme une municipaliteacute Le terme laquo municipaliteacute raquo nrsquoeacutetant pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu le juge Bowman de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a ducirc recourir aux regravegles drsquointerpreacutetation Il opta pour une approche teacuteleacuteologique pour interpreacuteter lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR Selon lui puisque la bande remplissait effectivement les fonctions drsquoune municipaliteacute canadienne il nrsquoy avait aucune raison de refuser lrsquoexemption agrave ses socieacuteteacutes Lorsque la deacutecision fut rendue le 28 janvier 1994

12 94 DTC 1234 (CCI) (laquo Otineka raquo)

536 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoAgence du revenu du Canada (laquo ARC raquo) accepta cette interpreacutetation et lrsquointeacutegra dans sa politique administrative13

Quelques anneacutees plus tard soit le 8 mai 2000 lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec Corporation de Deacuteveloppement Tawich c SMRQ14 a brouilleacute les cartes Lrsquoaffaire Tawich concernait la bande crie de Wemindji situeacutee au Queacutebec La socieacuteteacute dont la bande eacutetait lrsquounique actionnaire consideacuterait qursquoelle devait beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale au mecircme titre que les socieacuteteacutes en cause dans lrsquoaffaire Otineka

Dans leur interpreacutetation le juge de la Cour du Queacutebec et les juges de la Cour drsquoappel du Queacutebec ont opteacute pour une analyse logique baseacutee sur la globaliteacute du systegraveme juridique canadien La Cour du Queacutebec a fermement rejeteacute lrsquointerpreacutetation litteacuterale retenue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui srsquoeacutetait entre autres reacutefeacutereacutee agrave des dictionnaires pour circonscrire le sens courant du terme laquo municipaliteacute raquo Le raisonnement de la Cour du Queacutebec qui a eacuteteacute confirmeacute par la Cour drsquoappel du Queacutebec eacutetait que ce terme avait un sens juridique et que seul lrsquoacte constitutif drsquoune municipaliteacute pouvait lui confeacuterer son statut Puisque la question autochtone relegraveve du gouvernement feacutedeacuteral alors que les municipaliteacutes sont de compeacutetence exclusivement provinciale15 on ne pouvait ecirctre en preacutesence drsquoune municipaliteacute Pour les tribunaux du Queacutebec il eacutetait hors de question de faire abstraction des regravegles drsquointerpreacutetation visant la coheacuterence des lois entre elles La Corporation de Deacuteveloppement Tawich a interjeteacute appel de lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec devant le plus haut tribunal du pays Bien que la demande de pourvoi ait eacuteteacute accepteacutee16 la Cour suprecircme du Canada nrsquoa pas eu agrave se prononcer sur la question puisque lrsquoEntente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris du Queacutebec17 signeacutee en 2002 exigeait un deacutesistement de plusieurs proceacutedures dont celles de la Corporation de Deacuteveloppement Tawich

13 Tax Window Files dans Tax Works (CD-ROM) Don Mills Ont CCH Canadian

interpreacutetations techniques 9420917 laquo Tax-Exempt Indian Corporations raquo 15 novembre 1994 9502805 laquo Indians ndash Municipal Corporation raquo 27 juin 1995 et 9917773 laquo Bande indienne ndash Municipaliteacute raquo 5 janvier 2000

14 [2000] RDFQ 21 (CA) confirmant [1997] RJQ 211 (CQ) (laquo Tawich raquo) 15 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 reproduite dans

LRC 1985 app II no 5 par 92(8) 16 Dossier 28033 demande drsquoautorisation drsquoappel accordeacutee le 19 avril 2001 17 Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris

du Queacutebec (surnommeacutee laquo Paix des Braves raquo) le 7 feacutevrier 2002 art 926

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 537

Malgreacute lrsquoarrecirct Tawich de la Cour drsquoappel du Queacutebec lrsquoARC a continueacute drsquoappliquer les principes de la deacutecision de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka18 La position officielle eacutetait que tant qursquoune cour feacutedeacuterale de plus haute instance nrsquoinfirmerait pas la deacutecision rendue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka lrsquoARC allait srsquoen tenir agrave cette interpreacutetation19 Cette situation contraignit les contribuables queacutebeacutecois viseacutes agrave jongler avec deux statuts fiscaux diffeacuterents ils eacutetaient exempteacutes au feacutedeacuteral et imposables au provincial La position de Revenu Queacutebec eacutetait sans eacutequivoque laquo seule une entiteacute eacuteleveacutee au plan juridique au rang de municipaliteacute peut ecirctre reconnue comme telle en regard de la loi raquo20 Une socieacuteteacute reacutesidente du Queacutebec qui est deacutetenue par une bande indienne ne pouvait donc pas ecirctre exempteacutee drsquoimpocirct alors que si elle eacutetait reacutesidente drsquoune autre province elle avait ce privilegravege21 Ceux qui au sein de la communauteacute fiscale eacutetaient au courant de cette situation voyaient lagrave un grave problegraveme drsquoeacutequiteacute

Mecircme si la Cour canadienne de lrsquoimpocirct et les tribunaux du Queacutebec ont eu des interpreacutetations divergentes du terme laquo municipaliteacute raquo les administrations fiscales srsquoentendaient tout de mecircme pour dire qursquoune bande indienne pouvait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale22 Eacutetant donneacute le cadre leacutegislatif de lrsquoeacutepoque cela signifiait qursquoune bande indienne pouvait se preacutevaloir de lrsquoexemption en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR mais que les socieacuteteacutes dont la bande eacutetait actionnaire nrsquoy avaient pas droit puisque le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale nrsquoeacutetait pas preacutevu agrave lrsquoalineacutea 149(1)d) LIR

18 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 1999-0013323 laquo Indian

Band ndash Municipality raquo 20 deacutecembre 2000 19 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 et 2001-0114767 laquo Indian Bands As Mun Authorities raquo 8 janvier 2002

20 REVENU QUEacuteBEC lettre drsquointerpreacutetation 99-011245 laquo Exoneacuteration des corps publics ndash Statut des bandes indiennes et des conseils de bande raquo 23 novembre 1999

21 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0020555 laquo Munic Corp ndash Indian Bands raquo 11 mai 2000

22 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 et Tax Window Files preacuteciteacute note 21

538 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999

Devant ce problegraveme drsquoeacutequiteacute les leacutegislateurs nrsquoavaient drsquoautre choix que de reacuteagir Les dispositions tant feacutedeacuterales que provinciales ont eacuteteacute remodeleacutees pour les anneacutees drsquoimposition commenccedilant apregraves 199823 Lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR a eacuteteacute diviseacute en plusieurs alineacuteas agrave savoir les alineacuteas 149(1)d) et 149(1)d1) agrave 149(1)d6) LIR pour traiter seacutepareacutement les socieacuteteacutes drsquoEacutetat des socieacuteteacutes municipales et leurs filiales Ces modifications ont aussi eu pour effet de limiter par un test de revenu lrsquoexemption fiscale disponible aux socieacuteteacutes municipales Elles ne venaient toutefois pas reacutegler lrsquoiniquiteacute exposeacutee preacuteceacutedemment

Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2004 le gouvernement feacutedeacuteral annonccedila drsquoautres modifications il proposa drsquointroduire le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR24 Ces modifications corrigeraient le problegraveme drsquoiniquiteacute dans la mesure ougrave le gouvernement du Queacutebec srsquoy arrimerait Bien que ces propositions leacutegislatives aient fait lrsquoobjet de deux projets de loi qui sont morts au feuilleton25 le gouvernement feacutedeacuteral a confirmeacute reacuteguliegraverement son intention drsquoaller de lrsquoavant avec les modifications proposeacutees ce nrsquoest toutefois qursquoen juin 2013 qursquoelles ont eacuteteacute adopteacutees26

Du cocircteacute queacutebeacutecois la proposition leacutegislative est arriveacutee plus tardivement soit en 2006 car on voulait attendre la sanction de la loi

23 Loi de 1997 modifiant lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1998 ch 19 par 178(1)

Loi modifiant la Loi sur les impocircts et drsquoautres dispositions leacutegislatives LQ 2000 c 5 art 229 et 230 modifiant lrsquoarticle 985 LI et eacutedictant les articles 98501 et 98502 LI LQ 2004 c 8 art 173 modifiant lrsquoarticle 985 LI

24 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives et avant-projets de regraveglement concernant limpocirct sur le revenu (reacuteviseacutees) 27 feacutevrier 2004 art 87

25 Projet de loi C-10 (29102007) mort au feuilleton le 7 septembre 2008 par la dissolution du Parlement reprenant le projet de loi C-33 (29112006) mort au feuilleton le 14 septembre 2007 avec la prorogation du Parlement

26 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives ndash Modifications techniques et bijuridisme 16 juillet 2010 art 108 Budget du 6 juin 2011 Annexe 3 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Budget du 29 mars 2012 Annexe 4 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Projet de loi C-48 deacuteposeacute en premiegravere lecture agrave la Chambre des communes le 21 novembre 2012 et sanctionneacute par le Parlement du Canada le 26 juin 2013 Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant lrsquoimpocirct et les taxes LC 2013 ch 34 art 307

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 539

feacutedeacuterale au cas ougrave srsquoy ajouteraient des modifications techniques27 Mais devant la lenteur du Parlement du Canada agrave adopter la loi lrsquoAssembleacutee nationale du Queacutebec srsquoest reacutesolue agrave modifier en 2009 les paragraphes 985f) et 985g) LI28

Tant le gouvernement feacutedeacuteral que le gouvernement du Queacutebec ont affirmeacute que drsquoun point de vue de politique fiscale il eacutetait souhaitable que les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes puissent beacuteneacuteficier drsquoune exemption drsquoimposition au mecircme titre que les municipaliteacutes29 Lrsquoapplication de ces nouvelles dispositions est reacutetroactive aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves le 8 mai 2000 tant dans le cas de la Loi sur les impocircts du Queacutebec que dans le cas de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Le 8 mai 2000 est la date agrave laquelle la Cour drsquoappel du Queacutebec a rendu sa deacutecision dans lrsquoaffaire Tawich Voici donc les dispositions feacutedeacuterales et les dispositions queacutebeacutecoises qui permettent lrsquoharmonisation des deux reacutegimes fiscaux

Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute commission ou association dont au moins 90 du capital appartenait agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute commission ou association pour la peacuteriode provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

d6) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute donneacutee dont les actions (sauf les actions confeacuterant lrsquoadmissibiliteacute agrave des postes drsquoadministrateurs)

27 QUEacuteBEC ministegravere des Finances Budget 2006-2007 Renseignements additionnels

sur les mesures du budget 23 mars 2006 section 492 28 PL 2 Loi donnant suite au discours sur le budget du 24 mai 2007 agrave la deacuteclaration

ministeacuterielle du 1er juin 2007 concernant la politique budgeacutetaire 2007-2008 du gouvernement et agrave certains autres eacutenonceacutes budgeacutetaires 1re sess 39e leacuteg Queacutebec 2007 art 398 et suiv (sanctionneacute le 15 mai 2009) LQ 2009 c 5

29 CANADA ministegravere des Finances Notes explicatives concernant la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu la Loi sur la taxe drsquoaccise et des textes connexes octobre 2012 art 307 QUEacuteBEC ministegravere du Revenu Notes explicatives du Projet de loi no 2 art 398 et suiv

540 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ou le capital appartenaient agrave une socieacuteteacute commission ou association agrave laquelle lrsquoalineacutea d5) ou le preacutesent alineacutea srsquoapplique pour la peacuteriode ou agrave plusieurs de ces personnes si le revenu de la socieacuteteacute donneacutee pour la peacuteriode provenant des activiteacutes suivantes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

(i) si lrsquoalineacutea d5) srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees agrave cet alineacutea quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association

(ii) si le preacutesent alineacutea srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees au sous-alineacutea (i) quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association raquo

Loi sur les impocircts

laquo 985 Une personne est exoneacutereacutee drsquoimpocirct pour une peacuteriode ougrave elle est

[hellip]

f) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute une commission ou une association dont au moins 90 du capital appartient agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute canadienne ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire de ces entiteacutes

g) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute dont la totaliteacute du capital des biens ou des actions autres que les actions de qualification appartient agrave une ou plusieurs personnes dont chacune est une autre socieacuteteacute une commission ou une association agrave laquelle le preacutesent paragraphe ou le paragraphe f srsquoapplique pour la peacuteriode et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode

i dans le cas ougrave le paragraphe f srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute agrave la commission ou agrave lrsquoassociation drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees agrave ce paragraphe f lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute agrave cette commission ou agrave cette association selon le cas

ii dans le cas ougrave le preacutesent paragraphe srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees au preacutesent paragraphe lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute raquo

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 541

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES

Bien que ces dispositions aient eacuteteacute modifieacutees preacuteciseacutement pour permettre lrsquoexemption fiscale aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par des bandes indiennes leur application nrsquoest pas tregraves bien encadreacutee En effet lorsque vient le temps de se demander si une socieacuteteacute peut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption on est confronteacute agrave plusieurs zones grises

En bref on constate que ces dispositions leacutegislatives permettent lrsquoexemption agrave une socieacuteteacute qui est deacutetenue agrave 90 ou plus par un organisme public remplissant une fonction gouvernementale (ou une combinaison drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et de municipaliteacute) et dont le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors de ses limites geacuteographiques (ou en dehors de celles des entiteacutes combineacutees le cas eacutecheacuteant) ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux30 Une filiale en proprieacuteteacute exclusive drsquoune telle socieacuteteacute ou drsquoune socieacuteteacute pareillement exempteacutee peut aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption pourvu que le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute ultimement actionnaire ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux31

Avant de consideacuterer une socieacuteteacute par actions comme eacutetant exempteacutee on doit donc srsquointerroger sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale sur la notion de limites geacuteographiques et sur le sens des termes laquo revenu raquo laquo lieu raquo laquo activiteacutes raquo et laquo peacuteriode raquo puisque ce sont tous ces eacuteleacutements qui permettront de deacuteterminer si la socieacuteteacute est admissible agrave lrsquoexemption

Il ne faut pas oublier non plus que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR srsquoappliquent sous reacuteserve des paragraphes 149(12) et 149(13) LIR Nous ne traiterons pas du paragraphe 149(13) LIR32 en deacutetail car il ne pose pas de problegraveme drsquointerpreacutetation particulier Il sert seulement agrave preacuteciser que pour posseacuteder au moins 90 des actions de la socieacuteteacute aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale doit aussi avoir 90 des voix On a ainsi vraisemblablement voulu eacuteviter qursquoune socieacuteteacute puisse ecirctre exempteacutee lorsque des personnes non viseacutees par lrsquoexemption possegravedent des actions agrave votes

30 Al 149(1)d5) LIR et par 985f) LI 31 Al 149(1)d6) LIR et par 985g) LI 32 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(13) LIR est lrsquoarticle 98502 LI

542 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multiples Ainsi les actionnaires non viseacutes par lrsquoexemption ne doivent pas avoir une influence importante sur une socieacuteteacute exempteacutee drsquoimpocirct Dans le preacutesent texte nous nous attarderons surtout agrave la situation drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne

3 NOTIONS FONDAMENTALES

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE

Ni lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR ni le paragraphe 985f) LI ne deacutefinissent ce qursquoest un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Tel qursquoil a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment les tribunaux du Queacutebec ont cateacutegoriquement refuseacute de consideacuterer une bande indienne comme une municipaliteacute Dans ces circonstances le seul moyen restant pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption est que son actionnaire soit consideacutereacute comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Si on deacutecompose cette expression on a le terme laquo organisme raquo le volet public et la notion de gouvernance Rappelons ici que le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale a eacuteteacute ajouteacute agrave la loi dans le but preacutecis de permettre aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale disponible aux entiteacutes municipales33 Malgreacute cette claire intention on se retrouve tout de mecircme avec des dispositions larges renfermant plusieurs zones grises Les critegraveres utiliseacutes pour consideacuterer la bande drsquoOpaskwayak comme une municipaliteacute dans lrsquoaffaire Otineka sont un bon point de deacutepart pour avoir une ideacutee de ce qursquoil faut entendre par ce concept

311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich

Dans la deacutecision Otineka le juge Bowman qualifia la bande indienne de self-governing entity34 en raison du fait que le conseil de bande avait adopteacute plusieurs regraveglements administratifs par les pouvoirs que lui confeacuteraient les articles 81 et 851 de la Loi sur les Indiens Toutes les bandes reacutegies par la Loi sur les Indiens possegravedent ces pouvoirs mais le facteur deacuteterminant est le fait qursquoune bande ait useacute de ce pouvoir Le juge nota aussi que la bande avait atteint un stade de deacuteveloppement avanceacute puisqursquoelle avait aussi eu recours aux pouvoirs que lui confeacuterait lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens en

33 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 34 Preacuteciteacute note 12 par 4

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 543

adoptant des mesures de taxation ces mesures ne furent toutefois jamais implanteacutees35 Le juge mit aussi lrsquoaccent sur le fait que la bande avait une structure de gouvernance sophistiqueacutee qui sous-entendait des eacutelections deacutemocratiques des assembleacutees freacutequentes et divers comiteacutes (travaux publics services communautaires eacuteducation deacuteveloppement eacuteconomique etc)36 Eacutetant donneacute que la structure gouvernementale de la bande ressemblait suffisamment agrave celle drsquoune municipaliteacute et qursquoelle fournissait essentiellement les mecircmes services que nrsquoimporte quelle ville drsquoune taille comparable le juge Bowman consideacutera qursquoil nrsquoavait nul besoin de srsquoeacutetendre davantage sur le sujet pour accorder agrave une bande indienne le statut fiscal de municipaliteacute37

Malheureusement les tribunaux du Queacutebec nrsquoont pas pris clairement position sur la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale dans lrsquoaffaire Tawich Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec a toutefois passeacute la remarque suivante

laquo Le Tribunal nrsquoa pas agrave deacuteterminer si la bande Old Factory lrsquoancecirctre de la bande Wemindji et la bande depuis la Loi sur les Cris peuvent ecirctre consideacutereacutees un ldquoorganisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementalesrdquo au sens de larticle 984 de la Loi sur les impocircts quoiqursquoil trouve qursquoelles pourraient se qualifier agrave ce titre Le Tribunal nrsquoa pas agrave le faire vu que la corporation posseacutedeacutee par un tel organisme ne beacuteneacuteficie pas de lrsquoexemption de lrsquoarticle 98538 raquo (Notre soulignement)

Agrave ce stade rien de ce qui preacutecegravede ne permet drsquoaffirmer avec certitude qursquoune bande indienne est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il srsquoagit donc de deacutecomposer ce concept multidimensionnel et de srsquoen remettre agrave drsquoautres deacutecisions rendues par les tribunaux

En ce qui concerne la notion drsquoorganisme les doutes se sont dissipeacutes quand la Cour suprecircme du Canada a consideacutereacute en 1982 qursquoune bande indienne eacutetait bel et bien un organisme39 Pour ce qui est des volets public et gouvernemental la Cour du Queacutebec a eu agrave se prononcer en 2010 sur la question dans lrsquoaffaire Centre de deacuteveloppement de Queacutebec c SMRQ40 Dans 35 Id par 5 36 Id par 7 37 Id par 8 38 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14 par 19 39 Alliance de la Fonction publique du Canada c Francis [1982] 2 RCS 72 40 2010 QCCQ 2124 (laquo Centre de deacuteveloppement de Queacutebec raquo)

544 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

cette affaire on cherchait agrave deacuteterminer si le Centre de deacuteveloppement de Queacutebec eacutetait un organisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementales au sens de lrsquoarticle 984 LI (eacutequivalent de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR) Le juge Godbout preacutecisa notamment que puisque le qualificatif laquo public raquo nrsquoest pas deacutefini dans la loi la Cour devait opter pour une analyse baseacutee sur le sens ordinaire des mots41 Ce terme est deacutefini dans le dictionnaire Le Petit Robert comme suit laquo Qui concerne le peuple pris dans son ensemble qui appartient agrave la collectiviteacute sociale politique et en eacutemane qui appartient agrave lrsquoEacutetat ou agrave une personne administrative42 raquo Il appert assez clairement de cette deacutefinition qursquoune bande indienne peut ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public en raison du fait qursquoelle existe dans lrsquointeacuterecirct de sa collectiviteacute Quant agrave lrsquoaspect gouvernemental le juge Godbout preacutecise qursquoil ne faut pas automatiquement consideacuterer qursquoun organisme public remplit toujours des fonctions gouvernementales43 Il srsquoappuie ici sur lrsquoexistence drsquoun mandat provenant drsquoun ministegravere ou drsquoorganismes du gouvernement qui dans le cas du Centre de deacuteveloppement de Queacutebec est inheacuterent agrave sa loi constitutive44 Dans le cas des bandes indiennes un tel engagement existe vis-agrave-vis du ministegravere des Affaires indiennes et du Nord canadien (deacutesigneacute par le gouvernement du Canada depuis 2011 sous le nom Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada) de qui relegraveve la question autochtone au Canada45

312 Positions administratives

Srsquoil nrsquoest pas si facile drsquoeacutetablir directement le lien entre une bande indienne et un organisme public remplissant une fonction gouvernementale dans la jurisprudence il en est autrement dans la politique des administrations fiscales Comme il a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment bien que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI soient relativement reacutecents le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale les a toutefois preacuteceacutedeacutes46 Dans une deacutecision anticipeacutee de 2009 ougrave lrsquoon refusait de consideacuterer une socieacuteteacute comme eacutetant un organisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoARC a

41 Id par 27 42 Id par 27 citant Le Petit Robert 2002 laquo public ique raquo 43 Id par 34 44 Id par 36 45 Art 3 de la Loi sur les Indiens 46 Al 149(1)c) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 545

deacutevoileacute le fond de sa penseacutee sur ce concept47 La logique qui ressortait de la deacutecision Centre de deacuteveloppement de Queacutebec48 semble ecirctre respecteacutee par lrsquoARC qui est aussi drsquoavis que lrsquoon doit donner agrave cette expression son sens ordinaire Elle deacutecompose la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en deux termes soit la notion drsquoorganisme public et celle de fonction gouvernementale Pour ce qui est de la notion drsquoorganisme public lrsquoARC met lrsquoemphase sur la fourniture de services aux individus pour lesquels lrsquoorganisme public est creacuteeacute ainsi que sur lrsquoimputabiliteacute qui doit exister envers un gouvernement ou directement envers les individus qursquoil repreacutesente Pour ce qui est de la notion de fonction gouvernementale lrsquoARC revient sur la fourniture de services publics et amegravene aussi une nouvelle dimension agrave savoir la neacutecessiteacute drsquoavoir le pouvoir de gouverner

LrsquoARC a aussi eacuteteacute appeleacutee agrave se prononcer directement sur le cas des bandes indiennes En mars 2000 agrave la demande du Comiteacute de lrsquoavancement de lrsquoemploi des autochtones des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada lrsquoARC a donneacute son avis sur plusieurs questions relieacutees agrave la fiscaliteacute des autochtones Dans une interpreacutetation technique49 lrsquoARC preacutecise tout drsquoabord que la deacutesignation drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale est une question de fait Selon elle une bande indienne serait un tel organisme si elle prenait des regraveglements administratifs en vertu agrave la fois de lrsquoarticle 81 et de lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC indique aussi que si une bande indienne a atteint un haut niveau drsquoavancement elle sera consideacutereacutee comme remplissant des fonctions gouvernementales De plus lrsquoARC ajoute srsquoecirctre toujours montreacutee favorable au cas des nations ayant participeacute agrave des neacutegociations territoriales Il est inteacuteressant de constater ici que les critegraveres utiliseacutes par lrsquoARC ressemblent eacutetrangement agrave ceux utiliseacutes par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka pour consideacuterer qursquoune bande indienne srsquoapparente agrave une municipaliteacute

Dans une autre interpreacutetation technique publieacutee environ deux mois plus tard50 lrsquoARC reacutepondait agrave une demande sur les faits agrave prendre en 47 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0306281I7

laquo Application of Paragraph 149(1)(c) raquo 12 mai 2009 48 Preacuteciteacute note 40 49 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 50 Id interpreacutetation technique 2000-0025807 laquo Indian Bands As Public Bodies raquo

20 mai 2000

546 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

consideacuteration pour qursquoune bande indienne puisse ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR LrsquoARC preacutecisa qursquoanciennement elle accordait ce statut agrave une bande indienne uniquement lorsque celle-ci avait adopteacute des regraveglements en vertu de chacun des articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens ou lorsqursquoelle avait atteint un niveau avanceacute de deacuteveloppement tel que requis par lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC explique ensuite qursquoune bande qui ne respecterait aucun de ces critegraveres pourrait quand mecircme ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Elle consideacuterera qursquoune bande exerce des fonctions gouvernementales si

bull elle prend part agrave des ententes de transfert avec le gouvernement feacutedeacuteral visant les services de santeacute

bull elle fournit des services drsquoeacuteducation primaire et secondaire par lrsquointermeacutediaire des eacutecoles qursquoelle exploite

bull elle a pris part agrave des neacutegociations territoriales avec le gouvernement feacutedeacuteral et continue drsquoy prendre part dans leur administration et leur implantation

bull et enfin elle a pris des arrangements avec le gouvernement feacutedeacuteral pour devenir responsable de la gestion du territoire des programmes sociaux de deacuteveloppement eacuteconomique et drsquoinfrastructures

Agrave la fin de 2003 lrsquoARC se fit poser exactement la mecircme question dans une nouvelle demande drsquointerpreacutetation51 La reacuteponse fut identique agrave la preacuteceacutedente agrave la seule diffeacuterence que lrsquoon y inteacutegra la fourniture et lrsquoadministration des travaux publics des services sociaux et des programmes drsquoinfrastructures pour les membres LrsquoARC ajouta que la mesure dans laquelle la bande pouvait deacutemontrer son engagement dans les eacuteleacutements en question serait consideacutereacutee dans la deacutecision de lui attribuer le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Au cours des quinze derniegraveres anneacutees lrsquoARC a reacutepondu agrave environ une cinquantaine de demandes drsquointerpreacutetation sur la question de lrsquoadmissibiliteacute drsquoune bande indienne au statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans la presque totaliteacute des cas la reacuteponse de lrsquoARC a eacuteteacute 51 Id interpreacutetation technique 2003-0039437 laquo Public Body Performing Function

Govt raquo 30 octobre 2003

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 547

favorable aux bandes indiennes Malheureusement lrsquoARC nrsquoa pas toujours indiqueacute dans ses deacutecisions les eacuteleacutements qui lrsquoont fait pencher vers le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale En revanche on peut reacutepertorier une trentaine de deacutecisions favorables (voir annexe 1) qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC essentiellement pour les raisons suivantes lrsquoadoption de regraveglements les services aux membres lrsquoaspect deacutemocratique la nature des fonctions et la neacutegociation drsquoententes On peut remarquer que les eacuteleacutements qui ressortent le plus souvent de lrsquoanalyse sont lrsquoadoption de regraveglements le fait de fournir des services aux membres de la communauteacute et le fait drsquoavoir neacutegocieacute des ententes avec les gouvernements

Du cocircteacute de Revenu Queacutebec le seul document rendu public est une lettre drsquointerpreacutetation52 de 1999 affirmant notamment que lorsque la bande use des pouvoirs que lui confegravere lrsquoarticle 81 de la Loi sur les Indiens elle pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale

313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec

Pour deacutecider si une bande indienne est ou non un organisme public remplissant une fonction gouvernementale il faut proceacuteder agrave une analyse cas par cas en utilisant les critegraveres deacutecrits preacuteceacutedemment On ne peut fournir une reacuteponse geacuteneacuterale agrave cette question puisque les bandes indiennes nrsquoont pas toutes atteint le mecircme stade de deacuteveloppement tel que le preacutecise le site Internet des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada53

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute dans lrsquointroduction les neuf communauteacutes cries preacutesentes dans la Jameacutesie ont un reacutegime bien particulier qui les distingue des autres bandes indiennes Les eacuteveacutenements historico-politiques qui ont conduit agrave cette situation seront abordeacutes agrave la sous-section 322 Pour lrsquoinstant ce qui importe de savoir est que les bandes cries du Queacutebec sont reacutegies par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec54 et non par la Loi sur les Indiens Bien que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec constitue un reacutegime distinct elle fait occasionnellement reacutefeacuterence agrave la Loi sur les Indiens et on y trouve des dispositions eacutequivalentes Par exemple

52 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 53 CANADA Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada Gouvernance

15 septembre 2010 par 3 (en ligne httpwwwaadnc-aandcgccafra 11001000138031100100013807)

54 SC 1984 ch 18

548 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexemption fiscale de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens et les pouvoirs des bandes preacutevus aux articles 81 et 83 de cette mecircme loi y sont repris presque mot pour mot Agrave la diffeacuterence de la Loi sur les Indiens la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec limite les activiteacutes commerciales qui peuvent ecirctre exerceacutees par une bande indienne Le paragraphe 22(3) de cette loi preacutevoit toutefois une deacuterogation agrave cette restriction lorsque la bande est lrsquoactionnaire drsquoune personne morale Voilagrave donc une autre raison pouvant inciter une bande crie agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute par actions

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec a eacuteteacute adopteacutee par le Parlement du Canada afin de mettre en application la Convention de la Baie-James55 qui fut signeacutee en 1975 Lrsquoarticle 21 de cette loi se lit comme suit

laquo 21 La bande a pour mission

a) drsquoexercer les pouvoirs drsquoune administration locale sur les terres de cateacutegorie IA ou IA-N qui lui sont attribueacutees

b) drsquoassurer lrsquousage la gestion lrsquoadministration et la reacuteglementation relatives agrave ses terres ainsi qursquoaux ressources naturelles qui srsquoy trouvent

c) de reacutegir les octrois de droits et drsquointeacuterecircts sur ces terres et sur leurs ressources naturelles y compris les ressources de leur sous-sol

d) de reacuteglementer lrsquousage des bacirctiments qui se trouvent sur ces terres

e) drsquoutiliser de geacuterer et drsquoadministrer ses deniers et autres eacuteleacutements drsquoactif

f) de promouvoir le bien-ecirctre geacuteneacuteral de ses membres

g) de promouvoir et assurer le deacuteveloppement communautaire et les œuvres de bienfaisance au sein de la communauteacute

h) drsquoassurer les services programmes et projets voulus pour ses membres pour les autres personnes reacutesidant sur les terres des cateacutegories IA et IA-N ainsi que pour les personnes reacutesidant sur les terres de cateacutegorie III qui sont viseacutees agrave lrsquoalineacutea 6b)

i) de preacuteserver et promouvoir la culture les valeurs et les traditions cries ou naskapies selon le cas

55 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 549

j) drsquoexercer les pouvoirs et fonctions que les lois feacutedeacuterales ou leurs regraveglements ainsi que les Conventions lui confegraverent ou confeacuteraient agrave la bande anteacuterieure raquo

De par lrsquoacte qui a creacuteeacute les bandes cries du Queacutebec il serait bien difficile de preacutetendre qursquoelles nrsquoont pas un caractegravere public et qursquoelles nrsquoexercent pas une fonction gouvernementale En effet cette disposition preacutevoit notamment lrsquoexercice drsquoun pouvoir reconnu sur un territoire et la responsabiliteacute du bien-ecirctre du deacuteveloppement communautaire et de la fourniture de services pour ses membres Un autre eacuteleacutement non neacutegligeable est le fait que les Cris du Queacutebec ont participeacute agrave des neacutegociations territoriales menant agrave la Convention de la Baie-James agrave ses modifications et agrave la Paix des Braves Il est aussi inteacuteressant de rappeler la remarque du juge Vermette de la Cour du Queacutebec dans lrsquoaffaire Tawich qui laissait entendre que la bande crie de Wemindji au Queacutebec aurait probablement pu ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Compte tenu de tous ces eacuteleacutements les administrations fiscales seraient mal venues de preacutetendre que les bandes cries du Queacutebec ne constitueraient pas des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoarticle 149 LIR

314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Il a eacuteteacute reconnu qursquoune bande indienne est un organisme Il ressort de la jurisprudence que pour reacutepondre au concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoorganisme doit ecirctre imputable envers la collectiviteacute et ecirctre mandateacute par un gouvernement LrsquoARC semble se rattacher agrave plusieurs eacuteleacutements concrets provenant de la deacutecision Otineka de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct pour consideacuterer qursquoune bande est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale On cherche essentiellement agrave savoir si elle a adopteacute des regraveglements en vertu des pouvoirs qui lui sont confeacutereacutes si elle offre des services publics et si elle a participeacute agrave des neacutegociations et revendications

Le fait que les diverses communauteacutes cries du Queacutebec respectent ces exigences et qursquoelles aient atteint un stade avanceacute de deacuteveloppement permet de les consideacuterer comme des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale Pour ce qui est des autres communauteacutes une analyse cas par cas baseacutee sur les critegraveres identifieacutes doit ecirctre effectueacutee

550 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES

Il est important drsquoeacutetablir clairement les limites geacuteographiques des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale En effet ces limites sont essentielles agrave la reacutealisation du test baseacute sur les revenus Afin drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption la socieacuteteacute doit ecirctre en mesure de deacuteterminer si ses activiteacutes sont agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de ces limites Elle pourra ensuite eacutetablir si le revenu attribuable aux activiteacutes externes deacutepasse ou non le seuil toleacutereacute de 10 du revenu total Il est relativement facile drsquoeacutetablir les limites geacuteographiques drsquoune ville dans les grands centres lorsque celles-ci sont partageacutees avec les villes voisines et que lrsquoon se trouve dans un contexte urbain Il en est tout autrement lorsque lrsquoobjet de la deacutelimitation est situeacute en pleine forecirct agrave des kilomegravetres de toute zone habiteacutee

Il faut aussi ajouter les particulariteacutes de la question territoriale des Cris du Queacutebec Si lrsquoanalyse de la section preacuteceacutedente a permis de circonscrire relativement bien le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le travail est bien plus ardu avec la notion de limites geacuteographiques Une des difficulteacutes intrinsegraveques agrave lrsquoanalyse de cet eacuteleacutement est lieacutee au fait que la leacutegislation fiscale renvoie agrave plusieurs autres lois relativement meacuteconnues comme nous allons le voir

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR

Avec lrsquoajout des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale dans les entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on a tenteacute de fournir certaines preacutecisions quant aux limites geacuteographiques de ces organismes Ces preacutecisions se trouvent au paragraphe 149(11) LIR56 qui se lit comme suit

laquo 149 (11) Pour lrsquoapplication du preacutesent article les limites geacuteographiques drsquoun organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale sont les suivantes

a) celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel le pouvoir de percevoir des impocircts ou taxes est reconnu ou confeacutereacute agrave lrsquoorganisme par une loi feacutedeacuterale ou par un accord mis en vigueur par une telle loi

b) en cas drsquoinapplication de lrsquoalineacutea a) celles agrave lrsquointeacuterieur desquelles lrsquoorganisme est autoriseacute par les lois feacutedeacuterales ou provinciales agrave exercer cette fonction raquo

56 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(11) LIR est lrsquoarticle 98503 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 551

Cette disposition ne donne pas de directives claires sur la faccedilon de deacutelimiter le territoire drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale elle renvoie plutocirct aux lois feacutedeacuterales ou provinciales qui confegraverent agrave lrsquoorganisme ses pouvoirs gouvernementaux

Les tribunaux nrsquoont pas encore eu agrave se prononcer directement sur un cas de deacutelimitation territoriale de bande indienne ou mecircme drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Toutefois les notes explicatives du ministegravere des Finances qui ont trait au paragraphe 149(11) LIR apportent un peu plus de lumiegravere sur lrsquointention du leacutegislateur57 On y utilise lrsquoexemple drsquoune bande indienne qui constituerait un organisme public remplissant une fonction gouvernementale et on affirme que dans ce cas les limites geacuteographiques seraient celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel la bande indienne a le pouvoir drsquoimposer des taxes directes selon laquo un accord drsquoautonomie gouvernementale ou de la loi qui lui confegravere son autonomie gouvernementale raquo58 On ajoute que plus preacuteciseacutement ses limites geacuteographiques seraient celles de ses reacuteserves La politique de lrsquoARC va aussi en ce sens lorsque lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en question est une bande indienne59

Dans le cas des bandes indiennes reacutegies par la Loi sur les Indiens tout cela est assez facile agrave mettre en perspective puisque la notion de reacuteserve y est bien deacutefinie60 Les principales difficulteacutes dans lrsquoeacutetablissement des limites geacuteographiques drsquoune reacuteserve sont davantage de nature technique que leacutegale Cependant comme il a eacuteteacute mentionneacute les communauteacutes cries du Queacutebec ne sont pas reacutegies par la Loi sur les Indiens61 Pour cette raison les principaux eacuteleacutements relevant de lrsquoadministration et de la question territoriale crie doivent ecirctre abordeacutes

322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois

Les questions territoriales autochtones sont tregraves complexes de faccedilon geacuteneacuterale et celles des communauteacutes cries nrsquoeacutechappent pas agrave cette regravegle Nous

57 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 58 Id 59 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2009-0310851I7 laquo Business Income Earned by First Nation raquo 15 septembre 2009 60 Par 2(1) de la Loi sur les Indiens 61 Art 5 de la Loi sur les Cris et le Naskapis du Queacutebec

552 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

nrsquoavons pas lrsquointention de deacutecrire en deacutetail toute la question territoriale des Cris du Queacutebec mais il est neacutecessaire drsquoen dresser les grandes lignes puisqursquoelle est essentielle agrave lrsquoeacutetude des dispositions fiscales en cause

La geacuteographie du Nord queacutebeacutecois telle qursquoon la connaicirct aujourdrsquohui date essentiellement du 1er avril 1912 Cette date correspond agrave la sanction royale de la Loi de lrsquoextension des frontiegraveres de Queacutebec 191262 La superficie de la province avait alors plus que doubleacute par lrsquoajout du territoire actuellement situeacute au nord du 52e parallegravele Cette loi preacutevoyait notamment que le gouvernement du Queacutebec devait reconnaicirctre sur le territoire ceacutedeacute les droits des autochtones en obtenir la remise et en payer les frais63 Agrave la suite de lrsquoannexion de ce vaste territoire le gouvernement avait toujours laisseacute flotter la question territoriale du Nord queacutebeacutecois

Lrsquoannonce du projet de la Baie-James par lrsquoancien premier ministre Robert Bourassa en 1971 a mis cette question agrave lrsquoavant-scegravene Nrsquoayant pas eacuteteacute consulteacutes et eacutetant donneacute tous les effets environnementaux drsquoun tel projet sur les terres traditionnelles des peuples cris et inuits ces derniers srsquoopposegraverent farouchement au projet Ils eurent gain de cause le 15 novembre 1973 lorsque la Cour supeacuterieure du Queacutebec se montra favorable agrave leur demande drsquoinjonction Eacutetant donneacute que les projets de deacuteveloppement hydro-eacutelectrique de la Baie-James se trouvegraverent paralyseacutes le gouvernement du Queacutebec nrsquoeut drsquoautre choix que drsquoinviter les autochtones viseacutes agrave la table de neacutegociations

Ces eacuteveacutenements qui ont marqueacute lrsquohistoire du Queacutebec ont donneacute naissance agrave la Convention de la Baie-James64 qui fut signeacutee le 11 novembre 1975 par le gouvernement feacutedeacuteral et le gouvernement du Queacutebec par les autochtones et par les socieacuteteacutes de deacuteveloppement engageacutees dans le projet de la Baie-James Lrsquoentente renferme plusieurs dispositions qui rendent les communauteacutes cries distinctives tant sur le plan de leur administration que sur celui de leurs territoires Sur le plan territorial la notion de reacuteserve est proscrite M John Ciaccia alors repreacutesentant speacutecial du premier ministre srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Je crois sincegraverement que la faccedilon traditionnelle drsquoaborder les questions indiennes dans ce pays nrsquoest plus reacuteellement valable ni mecircme acceptable et qursquoelle aurait certainement eacuteteacute tout agrave fait inefficace dans la situation agrave laquelle

62 (R-U) 2 Geo V c 45 63 Id al 2a) 64 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 553

nous avons eu agrave faire face dans le Nord queacutebeacutecois et que nous avons tenteacute de reacutesoudre par des neacutegociations qui ont eacuteteacute agrave la fois patientes longues et extrecircmement complexes

Nous nrsquoavons pas voulu creacuteer de ldquoreacuteservesrdquo au sens conventionnel du mot et effectivement nous nrsquoen creacuteons pas65 raquo

Dans cet esprit le reacutegime des terres de cette vaste eacutetendue se deacutecompose en trois cateacutegories les terres de cateacutegorie I (environ 14 000 km2 dont 5 500 km2 pour les Cris) qui sont agrave lrsquousage exclusif des communauteacutes autochtones66 les terres de cateacutegorie II (environ 150 000 km2) qui sont des terres publiques sur lesquelles les autochtones ont des droits exclusifs pour leurs activiteacutes traditionnelles comme la chasse la pecircche et le trappage67 et les terres de cateacutegorie III (environ 1 000 000 km2) qui sont des terres publiques68

On comprend donc que le territoire administreacute par une communauteacute autochtone du Nord queacutebeacutecois est lrsquoensemble des terres de cateacutegorie I qui lui ont eacuteteacute octroyeacutees Dans le cas des Cris la Convention de la Baie-James seacutepare aussi les terres de cateacutegorie I en deux autres cateacutegories soit essentiellement les terres de cateacutegorie IA (environ 3 300 km2) qui sont de juridiction feacutedeacuterale69 et les terres de cateacutegorie IB (environ 2 200 km2) qui sont de juridiction provinciale70 Agrave titre drsquoexemple la superficie des terres de cateacutegorie I pour la bande de Wemindji qui eacutetait agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire Tawich est drsquoun peu plus de 500 kilomegravetres carreacutes dont environ 60 sont constitueacutes de terres de cateacutegorie IA Cette seacuteparation additionnelle des terres de cateacutegorie I est neacutecessaire car seul le Parlement du Canada a le pouvoir constitutionnel de leacutegifeacuterer de maniegravere directe sur le mode de vie des Indiens71

65 QUEacuteBEC Assembleacutee nationale Commission parlementaire sur les richesses

naturelles et les terres et forecircts laquo Philosophie de la Convention raquo dans Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois Queacutebec Eacutediteur officiel du Queacutebec 5 novembre 1975 aux pages XVIII-XIX

66 Al 511 de la Convention de la Baie-James 67 Al 521 de la Convention de la Baie-James 68 Al 531 de la Convention de la Baie-James 69 Al 512 de la Convention de la Baie-James 70 Al 513 de la Convention de la Baie-James 71 Par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

554 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Les dispositions de la Convention de la Baie-James relatives agrave lrsquoadministration des terres feacutedeacuterales ont eacuteteacute officialiseacutees dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec alors que celles relatives aux terres de juridiction provinciale lrsquoont eacuteteacute par lrsquoadoption de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec72 et de la Loi sur les villages cris et le village naskapi73 Sur les terres de cateacutegorie IB le reacutegime provincial constitue des municipaliteacutes74 assujetties aux lois municipales dont la Loi sur les citeacutes et villes75

Mais quelle est la position des administrations fiscales quant agrave la notion de limites geacuteographiques que le paragraphe 149(11) LIR et lrsquoarticle 98503 LI tentent de preacuteciser

323 Positions administratives

De faccedilon geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation de lrsquoARC semble aller dans le mecircme sens que ce qui ressort des notes explicatives76 accompagnant le paragraphe 149(11) LIR Tel qursquoil est indiqueacute dans ces notes dans le cas drsquoune bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale les limites geacuteographiques agrave consideacuterer seraient celles de ses reacuteserves

La neacutecessiteacute de situer geacuteographiquement les activiteacutes dans le cadre de lrsquoexemption eacutetudieacutee est apparue en 1998 On a demandeacute alors agrave lrsquoARC de preacuteciser la notion de limites geacuteographiques dans le contexte des bandes indiennes un peu avant lrsquointroduction de cette notion dans la loi LrsquoARC expliqua que selon elle les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne devraient englober les terres de la reacuteserve77 Un an plus tard lrsquoARC donna la mecircme reacuteponse dans le cadre drsquoune autre interpreacutetation technique et elle ajouta qursquoil fallait srsquoen remettre agrave la Loi sur les Indiens pour appreacutecier le

72 LRQ c I-3 73 LRQ c V-51 74 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 75 LRQ c C-19 76 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 77 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9805985 laquo Canadian

Municipal Owned Corporation Indian raquo 30 octobre 1998

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 555

sens du mot laquo reacuteserve raquo78 Afin drsquoeacuteviter toute confusion eacutemanant drsquoun parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale de la Loi sur les Indiens lrsquoARC preacutecisa par la suite que les limites geacuteographiques dont il eacutetait question agrave lrsquoarticle 149 LIR dans le cas drsquoune bande indienne comprenaient uniquement sa reacuteserve et non toutes les reacuteserves indiennes du Canada79 La position voulant que les terres de la reacuteserve drsquoune bande constituent ses limites geacuteographiques fut reacuteiteacutereacutee dans drsquoautres interpreacutetations publieacutees subseacutequemment80 Une interpreacutetation technique relativement reacutecente a donneacute plus de preacutecisions en indiquant que les limites geacuteographiques drsquoune bande englobaient sa reacuteserve ou les terres qui lui eacutetaient transfeacutereacutees agrave la suite drsquoune entente de revendication territoriale ou drsquoune entente drsquoautonomie gouvernementale81

La notion de reacuteserve agrave laquelle fait abondamment reacutefeacuterence lrsquoARC semble tout agrave fait justifieacutee puisque le pouvoir de taxation des bandes indiennes est justement limiteacute agrave leur reacuteserve82 Cette politique administrative paraicirct correspondre au texte du paragraphe 149(11) LIR Revenu Queacutebec nrsquoa pas exprimeacute de position agrave cet eacutegard

324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte

Dans sa politique administrative lrsquoARC fait reacutefeacuterence agrave la notion de reacuteserve qui est deacutefinie au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens comme suit

laquo 2 (1) Les deacutefinitions qui suivent srsquoappliquent agrave la preacutesente loi

[hellip]

ldquoreacuteserverdquo Parcelle de terrain dont Sa Majesteacute est proprieacutetaire et qursquoelle a mise de cocircteacute agrave lrsquousage et au profit drsquoune bande y sont assimileacutees les terres deacutesigneacutees sauf pour lrsquoapplication du paragraphe 18(2) des articles 20 agrave 25 28 36 agrave 38 42 44 46 48 agrave 51 58 et 60 ou des regraveglements pris sous leur reacutegime

78 Id interpreacutetation technique 9910937 laquo Indian Band as a Municipality raquo 22 octobre

1999 79 Tax Window Files preacuteciteacute note 21 80 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques

2009-0311861I7 laquo Issues par 149(1)(c) and Proposed par 149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010 2004-0061221E5 laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 et 2001-0099085 laquo Indian Band Corporations raquo 24 octobre 2001

81 Tax Window Files preacuteciteacute note 47 82 Par 83(1) de la Loi sur les Indiens

556 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

[hellip]

ldquoterres deacutesigneacuteesrdquo Parcelle de terrain ou tout droit sur celle-ci proprieacuteteacute de Sa Majesteacute et relativement agrave laquelle la bande agrave lrsquousage et au profit de laquelle elle a eacuteteacute mise de cocircteacute agrave titre de reacuteserve a ceacutedeacute avant ou apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la preacutesente deacutefinition ses droits autrement qursquoagrave titre absolu raquo

On peut donc sommairement consideacuterer qursquoune reacuteserve est un ensemble de terres qui sont la proprieacuteteacute du gouvernement et qui sont reacuteserveacutees agrave un groupe drsquoIndiens Dans le cas drsquoune bande indienne reacutegie par la Loi sur les Indiens il est donc assez facile de deacuteterminer conceptuellement la zone geacuteographique dont il est question au paragraphe 149(11) LIR

En ce qui concerne les Cris du Queacutebec crsquoest la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec qui a preacuteseacuteance sur la Loi sur les Indiens83 et pour ecirctre en accord avec la Convention de la Baie-James le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas utiliseacute pour parler du territoire des Cris Aux fins de deacuteterminer les limites geacuteographiques de ces communauteacutes la solution la plus logique est de se rallier par analogie au concept de reacuteserve dont il est question dans les notes explicatives84 accompagnant les modifications leacutegislatives On comprend que les terres de cateacutegories II et III ne reacutepondent pas agrave la deacutefinition de laquo reacuteserve raquo preacutevue dans la Loi sur les Indiens car elles constituent des terres publiques et par le fait mecircme ne sont pas agrave lrsquousage exclusif des Cris Agrave lrsquoinverse les terres de cateacutegorie I drsquoune communauteacute donneacutee sont reacuteserveacutees agrave son usage et sont entiegraverement agrave sa disposition

Le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu en revanche la Loi sur les impocircts du Queacutebec a donneacute un sens agrave ce terme Une reacuteserve deacutesigne notamment laquo une terre de cateacutegorie IA [hellip] au sens du paragraphe 1 de lrsquoarticle 2 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec (LC 1984 ch 18)85 raquo Il faut toutefois preacuteciser que lrsquoapplication de cette deacutefinition est limiteacutee au contexte de la deacuteduction disponible agrave un particulier indien Tel qursquoil est indiqueacute plus haut lrsquoimmuniteacute fiscale dont beacuteneacuteficie un Indien provient de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens qui est repris agrave lrsquoarticle 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Lrsquoexemption fiscale srsquoapplique sur les reacuteserves pour ce qui est de la Loi sur les Indiens et sur les terres de cateacutegorie IA dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Dans les deux cas lrsquoapplication de cette

83 Art 5 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 84 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 85 Par 72501b) laquo reacuteserve raquo LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 557

exemption fiscale se fait par deacuterogation agrave toutes autres lois feacutedeacuterales ou provinciales La leacutegislation fiscale se doit donc de reconnaicirctre cette immuniteacute sur ces territoires comme elle le fait agrave lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et au paragraphe 725a) LI Cependant lrsquoexemption dont il est question ici srsquoinscrit dans un autre contexte soit celui de lrsquoarticle 149 LIR Crsquoest pourquoi il ne faut pas arrecircter le raisonnement agrave la deacutefinition limitative du terme laquo reacuteserve raquo contenue dans la Loi sur les impocircts du Queacutebec

Revenons au paragraphe 149(11) LIR dont le but est de baliser la deacutelimitation geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il est indeacuteniable que la Convention de la Baie-James constitue un laquo accord mis en vigueur par une loi feacutedeacuterale raquo86 qui confegravere aux Cris un pouvoir de taxation tant sur les terres de cateacutegorie IA87 que sur les terres de cateacutegorie IB88 En reprenant lrsquoalineacutea 149(11)a) LIR ne peut-on pas conclure que les limites geacuteographiques drsquoune communauteacute crie englobent ces terres Bien que cette position soit raisonnable agrave premiegravere vue il ne semble pas que les terres de cateacutegorie IB puissent ecirctre incluses dans les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne crie

Mecircme srsquoil peut ecirctre logique que les terres de cateacutegorie IB soient consideacutereacutees comme des reacuteserves aux fins fiscales il ne faut pas perdre de vue que lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI vise une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans cette perspective les limites geacuteographiques qui doivent ecirctre eacutetablies sont celles de la bande qui est lrsquoactionnaire de cette socieacuteteacute

Dans le contexte juridique et territorial cri il existe trois entiteacutes constitueacutees en personnes morales distinctes la bande elle-mecircme pour la gestion des terres de cateacutegorie IA89 une corporation fonciegravere pour la deacutetention des titres de proprieacuteteacute des terres de cateacutegorie IB90 et une personne 86 Voir notamment le preacuteambule de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 87 S-al 901d) de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoalineacutea 45(1)h) de la Loi sur

les Cris et les Naskapis du Queacutebec 88 Al 100101 de la Convention de la Baie-James repris partiellement agrave lrsquoarticle 26 de

la Loi sur les villages cris et le village naskapi 89 S-al 901a) de la Convention de la Baie-James repris au paragraphe 12(1) de la

Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 90 Al 1001 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 7 de la Loi sur le

reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec

558 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

morale de droit public ayant le statut de municipaliteacute pour la gestion de ces mecircmes terres de cateacutegorie IB91 Il se trouve qursquoaux fins fiscales lrsquoactionnaire de la socieacuteteacute qui veut obtenir lrsquoexemption est la bande indienne et non lrsquoune des deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB Dans ces circonstances il apparaicirct plus logique de consideacuterer seulement le pouvoir de taxation de la bande indienne pour deacuteterminer ses limites geacuteographiques aux fins du paragraphe 149(11) LIR Puisque ce pouvoir est preacutevu par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec sur les terres de cateacutegorie IA les limites geacuteographiques de cet organisme public remplissant une fonction gouvernementale seraient donc uniquement celles de ces terres

Certains peuvent consideacuterer un tel reacutesultat comme eacutetant injuste dans la mesure ougrave la bande indienne la corporation fonciegravere92 et la municipaliteacute existent de faccedilon distincte uniquement pour respecter la juridiction feacutedeacuterale sur les terres de cateacutegorie IA et la juridiction provinciale sur les terres de cateacutegorie IB Il est clair que la volonteacute des gouvernements est drsquoavoir une seule gestion peu importe la juridiction sur les terres93 Toutefois mecircme si le reacutegime provincial preacutevoit que le conseil de la municipaliteacute doit ecirctre composeacute des mecircmes individus que celui de la bande indienne il nrsquoest pas question ici drsquoune fiction juridique Les trois entiteacutes ont bel et bien une existence leacutegale reacuteelle et distincte Les tribunaux nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette question mais la Cour drsquoappel du Queacutebec a eacuteteacute sans eacutequivoque dans lrsquoarrecirct Tawich il y a une distinction eacutevidente agrave faire entre lrsquoentiteacute qui gegravere les terres de cateacutegorie IA et celle qui gegravere les terres de cateacutegorie IB94 De plus les principes reacutegissant la leveacutee du voile corporatif sont clairs dans le Code civil du Queacutebec95 on ne peut lrsquoinvoquer qursquoen preacutesence drsquointentions frauduleuses abusives ou contraires aux regravegles drsquoordre public

Dans ces circonstances pourrait-il y avoir une solution advenant que la socieacuteteacute deacutetenue par une bande crie exerce une partie importante de ses activiteacutes sur les terres de cateacutegorie IB et veuille tout de mecircme se preacutevaloir de

91 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 92 Art 2 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 93 Al 1004 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 14 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 94 Tawich (CA) preacuteciteacute note 14 par 6 95 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) art 317

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 559

lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR preacutecise qursquoau moins 90 du capital doit appartenir agrave laquo une ou plusieurs entiteacutes raquo qui sont des municipaliteacutes ou des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au Canada La deacutetention partageacutee des actions drsquoune socieacuteteacute par une bande indienne et par une municipaliteacute aurait pour effet que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR seraient celles des deux entiteacutes Une ideacutee assez eacutevidente de planification fiscale serait que la municipaliteacute reacutegissant les terres de cateacutegorie IB deacutetienne au moins une action du capital-actions de la socieacuteteacute deacutetenue par la bande indienne Ainsi la socieacuteteacute pourrait exercer ses activiteacutes sans crainte autant sur les terres de cateacutegorie IA que sur les terres de cateacutegorie IB puisque la zone geacuteographique globale des deux entiteacutes serait les terres de cateacutegorie I

Malheureusement il existe des enclaves non neacutegligeables agrave la mise en œuvre drsquoune telle solution Le droit municipal est beaucoup plus restrictif que les lois reacutegissant les bandes indiennes relativement agrave la participation agrave des activiteacutes commerciales Le problegraveme relegraveve du fait que les deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB ne seraient probablement pas en droit de posseacuteder de telles actions de socieacuteteacutes exploitant des entreprises agrave but lucratif Dans le cas de la corporation fonciegravere la loi preacutevoyant sa creacuteation est claire et preacutecise que la socieacuteteacute doit ecirctre agrave but non lucratif et sans gain peacutecuniaire pour ses membres96 Pour ce qui est de la municipaliteacute crsquoest un peu plus neacutebuleux Les municipaliteacutes creacuteeacutees pour geacuterer les terres de cateacutegorie IB doivent comme toutes les municipaliteacutes du Queacutebec se soumettre au droit municipal97

La principale embucircche pour une municipaliteacute qui veut souscrire des actions drsquoune socieacuteteacute agrave but lucratif est la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales98 Cette loi preacutevoit qursquoune municipaliteacute ne peut pas venir en aide agrave un eacutetablissement industriel ou commercial en prenant ou souscrivant des actions de son capital99 Il serait bien entendu difficile pour les administrations fiscales de soutenir qursquoune souscription de 1 $ puisse constituer une subvention municipale aupregraves drsquoune socieacuteteacute Toutefois la

96 Art 9 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 97 Al 1007 et 10017 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la

Loi sur les villages cris et le village naskapi 98 LRQ c I-15 99 Art 1 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales

560 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales utilise lrsquoexpression laquo venir en aide raquo Il faut donc se demander si un tel geste constitue une aide pour la socieacuteteacute en question Lorsqursquoon considegravere que cette souscription permettrait agrave la socieacuteteacute de beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale il serait difficile de preacutetendre que la municipaliteacute ne vient pas en aide agrave cet eacutetablissement commercial Advenant une contravention agrave la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales les administrations fiscales pourraient intenter une action en nulliteacute contre la municipaliteacute et lrsquoachat ou la souscription de lrsquoaction serait preacutesumeacute ne jamais avoir eacuteteacute fait100

Dans un autre ordre drsquoideacutees il ne faut pas perdre de vue que les municipaliteacutes sont constitueacutees pour rendre des services et favoriser le deacuteveloppement collectif Les conseillers municipaux sont imputables agrave lrsquoeacutegard des citoyens Comment une municipaliteacute pourrait-elle justifier collectivement une reacutesolution autorisant une participation dans une socieacuteteacute priveacutee qui cherche agrave enrichir ses actionnaires La multitude de lois qui reacutegissent nos villes preacutevoit des obligations et pouvoirs qui vont en ce sens Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec reacutesume tregraves bien cette reacutealiteacute dans le passage qui suit

laquo Le contexte du droit municipal canadien indique par ailleurs que les corporations que peuvent posseacuteder les municipaliteacutes sont des cas dexception et alors elles sont controcircleacutees et limiteacutees soit quant agrave leur objet soit quant au territoire limiteacute ougrave elles peuvent opeacuterer Le plus souvent leurs opeacuterations sont limiteacutees au territoire de la municipaliteacute101 raquo (Notes omises)

Bien qursquoa priori la solution consistant agrave faire de la municipaliteacute un coactionnaire peut sembler judicieuse cette option est extrecircmement risqueacutee et probablement non reacutealisable leacutegalement Dans ces circonstances il convient donc de consideacuterer que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR sont pour une bande indienne crie les limites de ses terres de cateacutegorie IA

325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques

Les tribunaux ne se sont pas encore prononceacutes sur la notion de limites geacuteographiques Le libelleacute du paragraphe 149(11) LIR lrsquointention du leacutegislateur le recours aux autres lois ainsi que la politique administrative permettent de comprendre que les limites geacuteographiques applicables dans le

100 Art 2 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales 101 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 561

cas des bandes indiennes sont celles de ses reacuteserves selon la deacutefinition qursquoen donne la Loi sur les Indiens

Dans le cas des Cris le concept juridique de reacuteserve est inexistant Il faut donc appliquer la mecircme logique que celle qui a permis de circonscrire la notion de limites geacuteographiques au concept de reacuteserve pour les bandes indiennes assujetties agrave la Loi sur les Indiens De plus il faut garder bien en vue qui est veacuteritablement lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale actionnaire de la socieacuteteacute Ainsi on comprend que les limites geacuteographiques applicables aux bandes cries du Queacutebec sont celles de ses terres de cateacutegorie IA deacutefinies dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU

Bien que la notion de limites geacuteographiques soit circonscrite on doit encore srsquointerroger sur drsquoautres notions preacutesentes aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ces alineacuteas preacutevoient que le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques ne doit pas deacutepasser 10 du revenu total pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Cette restriction constitue un test fiscal dans lequel les notions de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode doivent ecirctre preacuteciseacutees

331 Notion de revenu

Quel sens doit-on donner au mot laquo revenu raquo dans les dispositions en cause Srsquoagit-il tout simplement des recettes Doit-on consideacuterer les deacutepenses Est-ce qursquoon parle de revenu comptable ou de revenu fiscal

En 1997 la juge LrsquoHeureux-Dubeacute de la Cour suprecircme du Canada srsquoexprima ainsi relativement agrave lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu laquo Le mot ldquorevenurdquo peut avoir deux significations ldquorevenu brutrdquo ou ldquorevenu netrdquo (profit)102 raquo On comprend donc qursquoon est tout agrave fait en droit de se questionner sur le sens agrave accorder agrave ce vocable qui peut ecirctre utiliseacute dans plusieurs contextes

Il a eacuteteacute reconnu que lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo agrave lrsquoarticle 9 LIR faisait reacutefeacuterence aux revenus une fois les deacutepenses soustraites103 Il est 102 Hickman Motors Ltd c Canada [1997] 2 RCS 336 par 64 103 Voir lrsquoaffaire Canderel lteacutee c Canada [1998] 1 RCS 147 par 30-31 voir

eacutegalement lrsquoaffaire Symes c Canada [1993] 4 RCS 695 722-723

562 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

important de noter que dans cet article on fait un lien direct entre le mot laquo revenu raquo et la notion de beacuteneacutefice Toutefois doit-on accorder le mecircme sens agrave ce terme dans le contexte des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Peu apregraves lrsquointroduction de ces alineacuteas lrsquoARC eacutetait drsquoavis qursquoun parallegravele existait avec lrsquoarticle 9 LIR et qursquoil nrsquoy avait aucune raison de donner un autre sens au mot laquo revenu raquo aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR104 Sa position eacutetait donc que lrsquoobjet du test que contiennent ces deux alineacuteas est le revenu net fiscal105 Quelques anneacutees plus tard lrsquoARC srsquoest encore fait questionner sur le sens du terme laquo revenu raquo agrave ces alineacuteas elle reacuteiteacutera la mecircme position en 2005106 et en 2011107

Malgreacute la position bien ancreacutee de lrsquoARC on a quand mecircme raison de se demander si lrsquoon peut consideacuterer que le revenu est le revenu brut En effet dans lrsquoaffaire Entreprises Ludco lteacutee c Canada108 le plus haut tribunal du pays a consideacutereacute le terme laquo revenu raquo comme eacutetant le revenu avant la deacuteduction des deacutepenses Le juge Iacobucci srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Vu lrsquoabsence de deacutefinition dans la Loi notre Cour doit appliquer les principes drsquointerpreacutetation leacutegislative pour deacutegager le sens du terme ldquorevenurdquo au sous-al 20(1)c)(i) Le sens ordinaire de cette disposition nrsquoappuie pas lrsquointerpreacutetation selon laquelle ldquorevenurdquo eacutequivaut agrave ldquoprofitrdquo ou agrave ldquorevenu netrdquo109 raquo

Agrave la lecture de cet arrecirct on reacutealise que lrsquointerpreacutetation du mot laquo revenu raquo deacutepend de lrsquoobjectif viseacute par la disposition qui contient ce vocable Il a eacuteteacute avanceacute que la Cour suprecircme du Canada dans lrsquoarrecirct Ludco a sembleacute accepter lrsquoargument de lrsquoappelante voulant que le terme laquo revenu raquo nrsquoait pas le sens de revenu net sauf si la leacutegislation renvoie directement agrave la notion de profit110 Cette conclusion est un peu hasardeuse puisque le

104 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2001-0114125

laquo Municipal Corporations raquo 13 mai 2002 Tax Window Files preacuteciteacute note 77 105 Id 106 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0118301I7

laquo Activities Carried on Outside Municipality raquo 6 juillet 2005 107 Id interpreacutetation technique 2011-0395521I7 laquo Activities carried on outside the

municipality raquo 20 octobre 2011 108 [2001] 2 RCS 1082 (laquo Ludco raquo) 109 Id par 59 110 Kay LEUNG laquo Meaning of ldquoIncomerdquo After Ludco raquo (2001) 3 Tax Profile 24

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 563

tribunal nrsquoa pas commenteacute cet aspect de lrsquoargumentation de lrsquoappelante dans son analyse ou dans la conclusion de son jugement

Il est important de comprendre que lrsquoutilisation du revenu brut dans lrsquoapplication du test serait avantageuse uniquement si les marges nettes des projets exeacutecuteacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques eacutetaient plus eacuteleveacutees que la marge nette globale de lrsquoentreprise Puisque les projets agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sont plus loin du siegravege social de la socieacuteteacute on pourrait penser qursquoils consomment plus de ressources (supervision deacuteplacements des employeacutes etc) et que leur marge nette est donc moins inteacuteressante Toutefois cette relation intuitive nrsquoest probablement pas valable puisque la nature lrsquoampleur ainsi que les risques associeacutes aux projets meneacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques ont sans doute davantage drsquoeffet sur leur marge nette que leur situation geacuteographique

Dans le cas ougrave lrsquoon voudrait deacutefendre lrsquoutilisation du revenu brut plutocirct que celle du revenu net dans le test preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR il faudrait probablement orienter lrsquoargumentation en fonction de lrsquoobjectif des dispositions fiscales contenant le terme laquo revenu raquo Il semble assez clair que lrsquoobjectif des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est drsquoexempter drsquoimpocirct les socieacuteteacutes viseacutees mais de srsquoassurer que cette exemption ne leur soit pas accordeacutee si elles nrsquoexercent pas leurs activiteacutes presque exclusivement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques deacutetermineacutees Ainsi on cherche agrave situer geacuteographiquement les revenus geacuteneacutereacutes par les activiteacutes de la socieacuteteacute Lorsqursquoon analyse les proportions de revenu gagneacute agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sur la base du revenu net les reacutesultats sont manipulables puisque lrsquoattribution des deacutepenses donne une certaine latitude au contribuable bien qursquoelle se doit drsquoecirctre raisonnable De plus le tribunal pourrait ecirctre sensible au fait que la faccedilon de faire de lrsquoARC conduirait agrave exempter drsquoimpocirct une socieacuteteacute dont les activiteacutes se deacuteroulent majoritairement agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques dans la mesure ougrave ses projets exteacuterieurs seraient peu profitables Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nrsquoont sucircrement pas pour objectif drsquoen arriver agrave de tels reacutesultats Bien entendu tout cela nrsquoest que speacuteculation jusqursquoagrave ce qursquoun tribunal se prononce directement sur la question mais il faut comprendre que la position de lrsquoARC qui procircne lrsquoutilisation du revenu net nrsquoest pas tregraves eacutetoffeacutee

564 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

332 Notion de lieu (situs)

Il nrsquoy a pas que dans le cadre des alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR que lrsquoon doit se situer geacuteographiquement pour beacuteneacuteficier drsquoune exemption On peut faire ici un parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens111 dans le cadre de laquelle la notion de situs a eacuteteacute largement deacutebattue au fils des ans Cette immuniteacute fiscale vise les biens drsquoun Indien qui sont situeacutes sur une reacuteserve ou sur des terres de cateacutegorie IA selon le cas112 Il est inteacuteressant de noter que la zone geacuteographique relative agrave lrsquoimmuniteacute est exactement la mecircme que celle drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue par une bande indienne Dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens la Cour suprecircme du Canada a eacutetabli qursquoun revenu eacutetait un bien113 Dans ces circonstances on doit se questionner sur le situs du revenu que lrsquoon cherche agrave exempter

Il a aussi eacuteteacute eacutetabli par le plus haut tribunal du pays que pour deacuteterminer le situs drsquoun revenu on doit srsquoen remettre agrave une analyse multifactorielle qui est pondeacutereacutee en fonction de lrsquoobjet de lrsquoexemption du genre de bien et de la nature de lrsquoimposition114 Il faut donc analyser plusieurs facteurs de rattachement lorsqursquoon tente de situer geacuteographiquement un bien qui est un revenu Mecircme si ce travail ne porte pas sur lrsquoimmuniteacute des Indiens il est inteacuteressant de srsquoattarder ici au revenu drsquoentreprise puisque crsquoest souvent ce type de revenu que lrsquoon retrouve dans une socieacuteteacute par actions Dans le cas du revenu drsquoentreprise crsquoest lrsquoarrecirct Southwind c La Reine115 qui est venu indiquer la marche agrave suivre pour les deacutecisions subseacutequentes Le facteur de rattachement srsquoeacutetant le plus deacutemarqueacute est lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuterant le revenu116

Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est donc inteacuteressant agrave cet eacutegard mais il faut toutefois ecirctre vigilant dans cette comparaison En effet dans le contexte de lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes cries lrsquoobjet agrave situer geacuteographiquement est lrsquoactiviteacute geacuteneacuterant le

111 Art 87 de la Loi sur les Indiens et art 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du

Queacutebec reconnus agrave la fois par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et le paragraphe 725a) LI 112 Id 113 Nowegijick c La Reine [1983] 1 RCS 29 38 114 Williams c Canada [1992] 1 RCS 877 (prestations drsquoassurance-chocircmage) 115 98 DTC 6084 1998 CanLII 7300 (CAF) (laquo Southwind raquo) 116 K THOMAS et M ALEXANDER preacuteciteacute note 8 agrave la page 5-33

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 565

revenu et non le revenu lui-mecircme117 En quelque sorte les leacutegislateurs ont faciliteacute la tacircche des contribuables en eacutedictant un seul facteur de rattachement agrave la zone geacuteographique de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Cette deacutecision apparaicirct logique lorsqursquoon garde agrave lrsquoesprit que le but premier de constituer une socieacuteteacute par actions est habituellement lrsquoexploitation drsquoune entreprise118

Dans la tacircche visant agrave deacuteterminer lrsquoendroit ougrave les activiteacutes sont exerceacutees il a eacuteteacute eacutetabli que lrsquoon devait srsquoattarder davantage au processus consistant agrave geacuteneacuterer du revenu en particulier plutocirct qursquoaux activiteacutes accessoires telles que lrsquoadministration des activiteacutes principales119 Le fait qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne ait dans la grande majoriteacute des cas son siegravege social dans la zone geacuteographique qursquoelle administre nrsquoest donc pas un facteur agrave consideacuterer pour deacuteterminer le lieu des activiteacutes qursquoelle megravene Il faut vraisemblablement tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute elle-mecircme crsquoest-agrave-dire le lieu ougrave les services sont fournis et les principales tacircches accomplies120 LrsquoARC srsquoest drsquoailleurs prononceacutee sur le sujet et applique ce principe dans sa politique administrative121

333 Notion drsquoactiviteacutes

Afin drsquoappliquer le test de revenu correctement il faut aussi srsquointerroger sur la notion drsquoactiviteacutes qui nrsquoest pas deacutefinie dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Cette notion fait reacutefeacuterence agrave lrsquoaction122 et suppose donc un effort minimal menant au reacutesultat viseacute Bien que les tribunaux ne se soient pas pencheacutes sur cette question lrsquoARC est drsquoavis que le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention nrsquoest pas en soi une activiteacute et par le fait mecircme qursquoun tel revenu ne devrait pas ecirctre consideacutereacute dans le calcul de la limite de 10 dont il est question dans le test de revenu123 Les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en utilisant le pluriel Il semble donc clair que lrsquoon doive consideacuterer chaque type drsquoactiviteacutes indeacutependamment les unes des autres ce qui semble logique lorsqursquoon garde 117 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 118 Canadian Marconi Company c La Reine [1986] 2 RCS 522 par 9 119 Southwind preacuteciteacute note 115 par 13 120 Id 121 Tax Window Files preacuteciteacute note 49 122 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo activiteacute raquo 123 Tax Window Files preacuteciteacute note 77

566 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en tecircte qursquoune seule socieacuteteacute peut exploiter plusieurs entreprises Il faut aussi noter qursquoil est possible que pour un mecircme type drsquoactiviteacutes on ait plusieurs lieux drsquoexeacutecution Dans ce cas il faudrait segmenter lrsquoactiviteacute et isoler la portion exerceacutee agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee124

Un contribuable srsquoest aussi questionneacute quant aux revenus de location drsquoun immeuble qui se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale LrsquoARC a reacutepondu que mecircme si le revenu eacutetait passif il y avait une activiteacute et qursquoil eacutetait raisonnable de consideacuterer qursquoelle se situait au mecircme endroit que le bien loueacute125 LrsquoARC a aussi confirmeacute que geacuteneacuterer un revenu de bien constituait agrave son sens une activiteacute126 Cette interpreacutetation eacutetait fondeacutee sur la situation hypotheacutetique drsquoune socieacuteteacute qui avait accessoirement un placement en actions et qui se questionnait sur ses revenus de dividendes et sur le gain en capital que le placement avait geacuteneacutereacute Le raisonnement de lrsquoARC eacutetait que lrsquoactiviteacute se deacuteroulait agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de la bande parce que toutes les opeacuterations inheacuterentes agrave la deacutetention drsquoactions (acquisition deacutetention et disposition) avaient eacuteteacute effectueacutees sur la reacuteserve

Dans le cas drsquoune socieacuteteacute dont lrsquoactiviteacute premiegravere eacutetait la gestion de placements lrsquoARC a indiqueacute que crsquoeacutetaient vraiment les activiteacutes de la socieacuteteacute elle-mecircme qui devaient ecirctre analyseacutees et non celles des socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient deacutetenues127 Ce raisonnement ne semble pas correspondre agrave celui qui preacutevaut dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Dans une telle situation on considegravere en quelque sorte que la personne qui gegravere le capital agit agrave titre de mandataire pour le contribuable et que crsquoest le lieu de lrsquoactiviteacute du mandataire qui importe128 Cette logique eacutemane de lrsquoarrecirct Recalma c La Reine129 de la Cour drsquoappel feacutedeacuterale qui est encore suivi aujourdrsquohui lorsqursquoon est en preacutesence drsquoun revenu de placement que lrsquoon

124 Pete c La Reine 91 DTC 204 (CCI) voir aussi Tax Window Files preacuteciteacute

note 49 125 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2004-0061221E5

laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 126 Id interpreacutetation technique 2010-0376961E5 laquo Passive Income and 149(1)(d5) raquo

11 janvier 2011 confirmant interpreacutetation technique 1999-0006955 laquo Municipal Corporation Passive Investments raquo 21 feacutevrier 2000

127 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 128 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2006-0202991M4 laquo Revenu de placement sur une reacuteserve raquo 18 septembre 2006 129 98 DTC 6238 1998 CanLII 7621 (CAF) (laquo Recalma raquo)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 567

doit situer geacuteographiquement dans le contexte de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Pour ce type de revenu lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuteratrices de revenus est encore une fois un facteur tregraves important Mecircme si cet arrecirct portait sur des acceptations bancaires et des fonds communs de placement le principe fut appliqueacute agrave tous les revenus de placement et il a constitueacute un arrecirct cleacute pour les deacutecisions subseacutequentes130

Bien que lrsquoARC soutienne officiellement qursquoil faut seulement srsquoattarder aux activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut ecirctre admissible agrave lrsquoexemption elle nrsquoapplique pas systeacutematiquement cette logique Le principe eacutemanant de lrsquoarrecirct Recalma semble aussi avoir eacuteteacute appliqueacute par le passeacute Crsquoest drsquoailleurs ce qui semble avoir eacuteteacute fait dans un cas visant des revenus de location de nature passive Lrsquoargument de lrsquoARC eacutetait que lrsquoimmeuble se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui eacutetait actionnaire de la socieacuteteacute131 Puisque lrsquoactiviteacute locative ne constituait pas une entreprise active aux fins de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu les principales activiteacutes consistant en des tacircches administratives (gestion des baux encaissement des loyers etc) ne devraient-elles pas toutes ecirctre consideacutereacutees sur la reacuteserve

Une autre interpreacutetation technique de lrsquoARC donne lrsquoimpression qursquoelle se colle davantage agrave lrsquoarrecirct Recalma plutocirct qursquoagrave sa directive officielle pour consideacuterer un revenu de biens comme eacutetant non exempteacute Il eacutetait question cette fois drsquoune socieacuteteacute qui tirait un revenu de bien sous forme de redevances sur la coupe de bois132 Voici un extrait des commentaires de lrsquoARC

laquo La question agrave savoir si le revenu pour la peacuteriode provenant dune activiteacute est exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve en est une de fait Toutefois le fait que le revenu soit un revenu de bien nest pas suffisant en soi pour conclure que ce revenu provient dune activiteacute exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve Dans la situation ougrave le revenu provient dun droit de reacutecolter un volume de bois nous sommes davis que malgreacute le fait que des activiteacutes administratives accessoires soient effectueacutees sur la reacuteserve il est raisonnable de consideacuterer que lactiviteacute geacuteneacuteratrice de revenus qui est une

130 Voir notamment Dubeacute c La Reine 2009 CAF 109 inf par [2011] 2 RCS 764

Sero c La Reine 2004 CAF 6 Gros-Louis c La Reine 2007 CCI 725 Vachon c La Reine 2007 CCI 641 Large c La Reine 2006 CCI 509 conf par 2007 CAF 360 Lewin c La Reine 2001 DTC 479 2001 CanLII 502 (CCI) conf par 2002 CAF 461

131 Supra note 124 132 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0139031E5

laquo Activiteacutes exerceacutees en dehors de la reacuteserve raquo 17 octobre 2005

568 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

redevance calculeacutee en fonction de la reacutecolte de bois a lieu agrave lendroit ougrave le bois est reacutecolteacute133 raquo

Bien que la gestion des droits de coupe ait eacuteteacute faite sur la reacuteserve au siegravege social de la socieacuteteacute et que la socieacuteteacute ne menait aucune activiteacute de coupe on a consideacutereacute que le lieu de lrsquoactiviteacute eacutetait lrsquoendroit ougrave eacutetait coupeacute le bois soit agrave lrsquoexteacuterieur de la reacuteserve On voit ici que le principe directeur voulant que lrsquoon srsquoattarde uniquement aux activiteacutes meneacutees par la socieacuteteacute elle-mecircme nrsquoest pas respecteacute

On peut se demander si lrsquoARC pourrait deacuteroger aussi agrave son principe directeur dans le cas de revenus de biens de nature plus courante comme les revenus drsquointeacuterecircts ou de dividendes provenant de titres acquis sur les marcheacutes financiers Il serait inteacuteressant de voir si la position des autoriteacutes fiscales sur le revenu drsquointeacuterecircts des socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes serait influenceacutee par les arrecircts Bastien (Succession) c Canada134 et Dubeacute c Canada135 rendus en 2011 Dans ces arrecircts la Cour suprecircme du Canada a partiellement briseacute la logique de lrsquoarrecirct Recalma en matiegravere de revenu de biens Le deacutebat portait encore une fois sur lrsquoexemption destineacutee aux Indiens Le plus haut tribunal du pays a jugeacute que la nature contractuelle drsquoun deacutepocirct agrave terme nrsquoeacutetait pas celle drsquoun mandat et que par le fait mecircme le marcheacute sur lequel lrsquoinstitution financiegravere placcedilait lrsquoargent ne devait pas interfeacuterer dans lrsquoanalyse de lrsquoexemption du contribuable Les autoriteacutes fiscales ont rapidement inteacutegreacute ce nouveau principe dans leur politique visant lrsquoexemption fiscale disponible aux Indiens136

Est-ce que ce raisonnement est applicable aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes Il est difficile de reacutepondre agrave cette question tant que les tribunaux ne se seront pas prononceacutes directement dans ce contexte Un eacuteleacutement non neacutegligeable qui devra ecirctre consideacutereacute est le fait que les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en geacuteneacuteral et rien dans le texte de la loi fiscale nrsquoindique qursquoil srsquoagit uniquement des

133 Id 134 [2011] 2 RCS 710 135 [2011] 2 RCS 764 136 AGENCE DU REVENU DU CANADA Renseignements pour les Indiens section

laquo Revenu drsquointeacuterecircts et de placements [Reacuteviseacute 2011-12-22]raquo en ligne httpwwwcra-arcgccabrgnlsstts-frahtmlhdng2 Voir aussi REVENU QUEacuteBEC Bulletin drsquointerpreacutetation IMP 725-1R3 laquo Revenu de placement gagneacute par un Indien raquo 28 deacutecembre 2012

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 569

activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption comme semble le preacutetendre lrsquoARC

334 Notion de peacuteriode

La compreacutehension de la notion de peacuteriode est aussi essentielle afin drsquoappliquer correctement le test baseacute sur les revenus Agrave premiegravere vue on pourrait penser qursquoil ne srsquoagit que drsquoappliquer le test annuellement lors de lrsquoarrecircteacute des comptes agrave la fin de lrsquoexercice financier Pourtant une lecture plus attentive des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR placeacutes dans le contexte global de lrsquoarticle 149 LIR peut amener le lecteur agrave avoir un autre point de vue et agrave douter de cette premiegravere assertion Le terme laquo peacuteriode raquo revient trois fois dans le texte lorsqursquoon tente de rendre une socieacuteteacute admissible agrave lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ce mot apparaicirct seulement deux fois dans lrsquoun ou lrsquoautre des alineacuteas mais il apparaicirct aussi dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR Voici agrave des fins drsquoillustration ce passage introductif mis en relation avec lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable [hellip] pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) [hellip] une socieacuteteacute [hellip] dont au moins 90 du capital appartenait agrave [hellip] un organisme [hellip] public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute [hellip] pour la peacuteriode provenant dactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode [hellip] raquo (Notre soulignement)

Il y a lieu ici de se poser une question essentielle srsquoagit-il toujours de la mecircme peacuteriode Il semble assez clair que le double emploi du mot dans le corps mecircme de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR fait reacutefeacuterence agrave la mecircme peacuteriode En effet dans les deux cas on utilise ce terme pour parler du laps de temps durant lequel on deacutetermine le revenu de la socieacuteteacute Dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR le vocable laquo peacuteriode raquo fait vraisemblablement reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps durant lequel la socieacuteteacute viseacutee par lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR est exempteacutee drsquoimpocirct Puisque la peacuteriode dont il est question agrave cet alineacutea fait reacutefeacuterence agrave la condition neacutecessaire pour ecirctre exempteacute drsquoimpocirct et que ce mecircme mot dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR fait reacutefeacuterence agrave la peacuteriode drsquoexemption elle-mecircme il est tout agrave fait logique de consideacuterer que la triple utilisation de ce terme renvoie agrave la mecircme peacuteriode de temps

570 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Dans la plupart des cas le respect de la condition intrinsegraveque agrave lrsquoexemption dans les divers alineacuteas du paragraphe 149(1) LIR est facilement deacuteterminable Par exemple quand on se demande si une personne est une socieacuteteacute drsquoEacutetat137 ou un fonctionnaire drsquoun pays eacutetranger obligeacute de reacutesider au Canada138 la personne a le statut voulu ou elle ne lrsquoa pas Agrave lrsquoopposeacute agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on doit se demander non seulement si la socieacuteteacute est deacutetenue agrave au moins 90 par une municipaliteacute ou un organisme public remplissant une fonction gouvernementale mais aussi si le test baseacute sur le concept de revenu dont on exige habituellement lrsquoeacutetablissement de faccedilon cyclique est rempli Le revenu est effectivement eacutetabli sur une base annuelle et il peut ecirctre difficile de le connaicirctre agrave tout moment durant lrsquoanneacutee La loi force parfois les socieacuteteacutes agrave eacutetablir leur revenu en cours drsquoanneacutee une fin drsquoanneacutee eacutetant alors reacuteputeacutee crsquoest le cas notamment lors drsquoune acquisition de controcircle ou drsquoun changement de statut Dans ces situations un signal eacutevident est envoyeacute au contribuable afin qursquoil arrecircte les comptes et qursquoil procegravede agrave lrsquoeacutetablissement de son revenu

En revanche le test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est beaucoup moins commode Il suffit drsquoimaginer une socieacuteteacute dont le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee serait assez pregraves de 10 Il faut comprendre que theacuteoriquement cette socieacuteteacute devra avoir au jour le jour une ideacutee assez juste de son revenu et de sa composition pour connaicirctre exactement le jour ougrave une fin drsquoanneacutee devra ecirctre reacuteputeacutee139 Eacutetant donneacute le libelleacute de la loi il semble qursquoun chiffre annuel ou trimestriel ne soit pas suffisant pour srsquoy conformer

En effet le test de revenu eacutedicteacute par les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR semble devoir srsquoappliquer sur une peacuteriode continue et non sur une anneacutee Srsquoil srsquoagissait tout simplement drsquoun test annuel le leacutegislateur aurait exigeacute de la socieacuteteacute qursquoelle applique le test de faccedilon peacuteriodique anneacutee apregraves anneacutee et les alineacuteas auraient eacuteteacute reacutedigeacutes en ce sens Toutefois le leacutegislateur nrsquoa pas agi ainsi et semble avoir preacutefeacutereacute un test continu sur une seule et unique peacuteriode pluriannuelle Le test de revenu serait donc un test cumulatif plutocirct que seacutequentiel

En partant de cette constatation on peut srsquointerroger sur la situation hypotheacutetique suivante Supposons qursquoune socieacuteteacute a toujours eu le mecircme

137 Al 149(1)d) LIR 138 Al 149(1)a) LIR 139 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 571

revenu annuel anneacutee apregraves anneacutee Dans ses 10 premiegraveres anneacutees drsquoexploitation elle a exerceacute ses activiteacutes uniquement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de son entiteacute actionnaire Agrave lrsquoinverse dans sa 11e anneacutee (ou durant les derniers mois de cette anneacutee) cette mecircme socieacuteteacute a eu seulement des activiteacutes hors de la zone drsquoexemption Cette socieacuteteacute est-elle toujours exempteacutee dans sa 11e anneacutee Si on applique le test en suivant la logique ci-dessus sur les 11 anneacutees la reacuteponse est positive Malheureusement ni les tribunaux ni les administrations fiscales nrsquoont encadreacute la notion de peacuteriode qui est essentielle agrave lrsquoapplication du test de revenu Le contribuable est ainsi laisseacute agrave lui-mecircme en ce qui concerne la deacutetermination des moments auxquels le test de revenu doit ecirctre fait

De ce fait il ne serait pas impossible de voir les administrations fiscales affirmer qursquoagrave lrsquoinverse la socieacuteteacute perde son exemption dans sa 11e anneacutee Elles pourraient soutenir que cette peacuteriode drsquoun an ou mecircme de quelques mois prise isoleacutement ne permet pas agrave la socieacuteteacute de remplir le test de revenu et drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption Toutefois agrave notre avis cela serait surprenant puisqursquoil existe plusieurs endroits dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ougrave le leacutegislateur a pris la peine de preacuteciser le laps de temps qursquoil fallait consideacuterer140 or il ne lrsquoa pas fait au paragraphe 149(1) LIR

335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de revenu

Nous avons traiteacute de quatre notions inheacuterentes au test contenu dans les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR celles de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale disponible aux Indiens aide les socieacuteteacutes viseacutees agrave srsquoorienter dans lrsquoaccomplissement de ce test de revenu Une fois de plus il faut rappeler que les tribunaux ne se sont pas encore pencheacutes directement sur la faccedilon dont ce test doit ecirctre effectueacute Selon la situation certaines prises de position pourraient engendrer des risques fiscaux importants Il serait donc judicieux drsquoadresser une demande de deacutecision anticipeacutee agrave la Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct de lrsquoARC afin drsquoeacuteviter toute surprise quant agrave lrsquointerpreacutetation qursquoelle pourrait faire de ces diverses notions

En ce qui concerne le terme laquo revenu raquo le premier reacuteflexe serait drsquoopter pour le revenu net Toutefois une argumentation en faveur du revenu brut

140 Voir notamment lrsquoalineacutea 8(1)h) ainsi que les paragraphes 18(93) 89(1) laquo compte de

dividendes en capital raquo 1106(1) laquo action admissible de petite entreprise raquo et 161(1) LIR

572 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

serait possible mais elle megravenerait presque ineacutevitablement agrave un diffeacuterend avec lrsquoARC en cas de veacuterification

Le lieu drsquoune activiteacute quant agrave lui sera deacutetermineacute selon lrsquoendroit ougrave est situeacute le processus consistant agrave geacuteneacuterer un revenu On ne doit pas srsquoattarder aux activiteacutes accessoires mais tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute principale elle-mecircme

Pour ce qui est de la notion drsquoactiviteacutes on comprend qursquoelle suppose un effort minimal Du point de vue de lrsquoARC le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention ne serait pas une activiteacute alors que le fait de geacuteneacuterer un revenu de biens le serait On doit consideacuterer chaque type drsquoactiviteacute indeacutependamment et si une seule activiteacute srsquoeffectue agrave plusieurs endroits elle doit ecirctre segmenteacutee

Enfin le mot laquo peacuteriode raquo semble faire reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps total pendant lequel lrsquoexemption srsquoapplique Il ne srsquoagirait donc pas drsquoun concept seacutequentiel mais plutocirct drsquoune dureacutee qui cumule plusieurs anneacutees Il y a toutefois un risque drsquointerpreacutetation divergente de la part des administrations fiscales puisqursquoelles nrsquoont rien publieacute sur le sens agrave donner agrave ce terme dans lrsquoaccomplissement du test baseacute sur les revenus

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR commencent par preacuteciser que leur application est sous reacuteserve notamment du paragraphe 149(12) LIR141 Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR se lit comme suit

laquo 149 (12) Pour lrsquoapplication des alineacuteas (1) d5) et d6) le revenu drsquoune socieacuteteacute commission ou association provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques drsquoune municipaliteacute ou drsquoun organisme municipal ou public ne comprend pas le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees selon le cas

a) aux termes drsquoune convention eacutecrite dont les parties sont

(i) la socieacuteteacute commission ou association

(ii) Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province une municipaliteacute un organisme municipal ou public ou une socieacuteteacute agrave laquelle srsquoapplique lrsquoun des alineacuteas (1) d) agrave d6) qui est controcircleacutee par Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province par une

141 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(12) LIR est lrsquoarticle 98501 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 573

municipaliteacute du Canada ou par un organisme municipal ou public du Canada

dans les limites geacuteographiques suivantes

(iii) si la convention est conclue avec Sa Majesteacute du chef du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles du Canada

(iv) si elle est conclue avec Sa Majesteacute du chef drsquoune province ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la province

(v) si elle est conclue avec une municipaliteacute du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la municipaliteacute

(vi) si elle est conclue avec un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celui-ci celles viseacutees au paragraphe (11) relativement agrave cet organisme ou cette socieacuteteacute [hellip] raquo

341 Application de lrsquoexception et notion de convention eacutecrite

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit donc une exception pour certains revenus provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee et qui normalement auraient eacuteteacute assujettis agrave la limite de 10 preacutevue dans le test de revenu Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR a pour effet drsquoajouter agrave la zone geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale la zone geacuteographique drsquoune personne viseacutee avec qui une convention eacutecrite est conclue Ces personnes peuvent ecirctre le gouvernement du Canada le gouvernement drsquoune province une municipaliteacute un autre organisme public remplissant une fonction gouvernementale ou toute socieacuteteacute exempteacutee en vertu drsquoun des alineacuteas 149(1)d) agrave 149(1)d6) LIR et controcircleacutee par une des personnes qui preacutecegravedent Cette disposition est particuliegraverement inteacuteressante dans le contexte des bandes indiennes car plusieurs contrats leur sont octroyeacutes par les gouvernements

Cela eacutetant dit il faut srsquointerroger sur les effets concrets de cette disposition sur le test de revenu Encore une fois puisque cette disposition est relativement reacutecente les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute tregraves prolifiques dans leurs directives De son cocircteacute lrsquoARC a confirmeacute que le revenu exclu par le paragraphe 149(12) LIR du revenu reacutealiseacute agrave lrsquoexteacuterieur des limites

574 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

geacuteographiques ne doit pas ecirctre aussi exclu du calcul du revenu total pour la peacuteriode aux fins des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR142

Il y a aussi lieu de srsquointerroger sur le sens que lrsquoon doit accorder agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Par le passeacute lrsquoARC a deacutejagrave soutenu qursquoune convention eacutecrite eacutetait en fait un contrat143 Le sens ordinaire de cette expression est pourtant tout simplement un accord entre deux ou plusieurs personnes sur un fait preacutecis144 qui est consigneacute par eacutecrit

En 2008 la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoest prononceacutee sur le sens que lrsquoon devait donner agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Dans cette affaire on cherchait justement agrave savoir si une entiteacute municipale avait droit agrave lrsquoexemption fiscale deacutecoulant de lrsquoapplication des alineacuteas 149(12)a) et 149(1)d5) LIR quant au revenu gagneacute en dehors des limites geacuteographiques de la municipaliteacute Le juge Sheridan srsquoexprima ainsi laquo Je retiens eacutegalement la thegravese de lrsquoappelante selon laquelle il nrsquoy a pas lieu de restreindre le sens du terme ldquoconventionrdquo agrave celui de contrat en bonne et due forme145 raquo Il rappelle que la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a eacuteteacute claire agrave ce sujet en preacutecisant qursquoune convention ne creacutee pas forceacutement des droits et obligations de nature contractuelle ce qui lrsquoa conduit agrave conclure qursquoune seacuterie de lettres constituaient une convention eacutecrite146 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct a donc accepteacute de consideacuterer un regraveglement interne de lrsquoentiteacute actionnaire de la socieacuteteacute Sakitawak comme eacutetant une convention eacutecrite au sens du paragraphe 149(12) LIR entre la province de la Saskatchewan et la socieacuteteacute mecircme si cette derniegravere nrsquoavait ni signeacute ni eacutecrit quoi que ce soit147 Le raisonnement du juge reposait sur le fait que le regraveglement adopteacute avait eacuteteacute indirectement approuveacute par la province

Bien que cette affaire srsquoinscrive dans un contexte leacutegal bien particulier drsquoune socieacuteteacute constitueacutee en vertu de la Northern Municipalities Act148 elle 142 Tax Window Files preacuteciteacute note 104 143 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9426215 laquo Bien agricole

admissible ndash Acquis par leg ndash Conjoint raquo 30 janvier 1995 144 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo convention raquo 145 Sakitawak Development Corporation c La Reine 2008 CCI 529 (laquo Sakitawak raquo)

par 33 146 Id par 34 renvoyant agrave lrsquoarrecirct Bow River Pipe Lines Ltd c La Reine 97 DTC

5385 5398 (CAF) 147 Id par 53 148 Statutes of Saskatchewan 1983 c N-51

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 575

permet de constater que les tribunaux peuvent donner un sens tregraves large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Il y a donc lieu de se demander jusqursquoougrave les tribunaux seraient precircts agrave aller dans leur interpreacutetation libeacuterale de cette expression Si un regraveglement interne peut ecirctre consideacutereacute comme une convention eacutecrite ne pourrait-on pas penser qursquoun simple bon de commande ou une facture pourrait aussi constituer une convention eacutecrite

Retenons en tout cas qursquoune convention eacutecrite nrsquoest pas neacutecessairement un contrat mais qursquoagrave lrsquoinverse un contrat serait forceacutement une convention eacutecrite Il semble aussi important selon lrsquoARC qursquoil y ait un lien direct entre la convention et le revenu puisqursquoelle est drsquoavis que le revenu provenant de la sous-traitance drsquoun des contrats agrave un tiers ne peut pas ecirctre exclu par le paragraphe 149(12) LIR149 Le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone geacuteographique doit donc ecirctre la conseacutequence directe de la convention eacutecrite

342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit lrsquoexclusion de certains revenus provenant de conventions eacutecrites conclues avec les gouvernements canadiens les municipaliteacutes les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale et les socieacuteteacutes exempteacutees que ces entiteacutes controcirclent Le principe veut que lrsquoon ajoute les limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute avec laquelle on a conclu lrsquoentente agrave celles de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui est actionnaire de la socieacuteteacute constitueacutee

Les tribunaux ont donneacute un sens assez large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo en ne la restreignant pas agrave un contrat Il est important de comprendre que le lien entre le revenu et la convention doit absolument ecirctre direct Le fait de sous-traiter avec un tiers des travaux relatifs agrave une convention conclue par deux autres entiteacutes nrsquoa pas pour effet de faire du tiers une partie agrave cette convention

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE

Il convient de sensibiliser le lecteur agrave certains piegraveges et agrave quelques eacuteleacutements de planification fiscale importants pour optimiser la situation fiscale drsquoune bande indienne et de ses socieacuteteacutes Nous aborderons quatre questions la perte de statut drsquoentiteacute exempteacutee quelques astuces lorsqursquoune socieacuteteacute ne peut ecirctre exempteacutee la reacutedaction des contrats avec les entiteacutes viseacutees 149 Tax Window Files preacuteciteacute note 132

576 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

par lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR et enfin quelques remarques touchant les employeacutes des socieacuteteacutes viseacutees par lrsquoexemption

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE

Le premier eacuteleacutement qursquoil est important de faire ressortir concerne les cascades de socieacuteteacutes Les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes nrsquoeacutechappent pas aux structures de socieacuteteacutes classiques composeacutees drsquoune socieacuteteacute de gestion qui est actionnaire drsquoune ou de plusieurs socieacuteteacutes exploitantes Nous avons vu que les filiales des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes pouvaient aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d6) LIR rend en effet admissibles agrave lrsquoexemption toutes les filiales en proprieacuteteacute exclusive de socieacuteteacutes qui sont exempteacutees en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR

Dans la situation ougrave il existe une socieacuteteacute de gestion et une filiale il faut cependant accorder une importance particuliegravere agrave lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexemption de la socieacuteteacute megravere Le simple fait que la socieacuteteacute megravere deacutecide drsquoexeacutecuter elle-mecircme un contrat important agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale pourrait compromettre non seulement son statut drsquoentiteacute exempteacutee mais aussi celui de toutes ses filiales Il est donc crucial drsquoeacuteviter lrsquoexploitation drsquoentreprises au sein de la socieacuteteacute megravere et de lui reacuteserver uniquement les activiteacutes de gestion de ses filiales afin de ne pas risquer de faire perdre le statut drsquoentiteacute exempteacutee agrave toutes les socieacuteteacutes du groupe

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lorsqursquoil a eacuteteacute question du test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nous avons indiqueacute que ce test doit ecirctre appliqueacute de maniegravere constante et continuelle Cela signifie qursquoune socieacuteteacute qui se situe pregraves de la limite de 10 pourrait ecirctre exempteacutee agrave un certain moment ne plus lrsquoecirctre quelques semaines plus tard et redevenir exempteacutee agrave nouveau par la suite Lrsquoeffet drsquoun tel changement de statut est beaucoup plus lourd qursquoon pourrait le penser Plusieurs conseacutequences fiscales seraient alors deacuteclencheacutees Il y aurait ainsi une fin drsquoanneacutee reacuteputeacutee une disposition agrave la juste valeur marchande de tous les biens et tous les soldes de pertes seraient rameneacutes agrave zeacutero150 On comprend donc que les changements successifs de statut sont agrave eacuteviter

Une bonne faccedilon drsquoeacutechapper agrave ces conseacutequences neacutegatives est de deacuteterminer quels sont les projets hors limite qui sont susceptibles de mettre

150 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 577

en peacuteril le statut drsquoentiteacute exempteacutee de la socieacuteteacute en question et drsquoexeacutecuter ces projets agrave lrsquointeacuterieur drsquoune filiale deacutedieacutee agrave cette fin Ainsi on eacuteviterait de contaminer les autres socieacuteteacutes qui pourraient toujours beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Bien entendu cela neacutecessite un suivi assez serreacute et on doit ecirctre en mesure de preacutevoir les revenus et les coucircts de maniegravere assez preacutecise

Drsquoautres solutions peuvent aussi ecirctre envisageacutees afin de preacuteserver le statut drsquoentiteacute exempteacutee des socieacuteteacutes viseacutees On pourrait attribuer les projets contaminants du point de vue du test de revenu entre les diverses filiales du groupe afin que les revenus qui en deacutecoulent constituent moins de 10 des revenus totaux de chacune des socieacuteteacutes Lrsquoanalyse plus pousseacutee de lrsquoimputation des coucircts indirects offre aussi une piste inteacuteressante Il est possible qursquoune reacutepartition diffeacuterente mais toujours raisonnable permette de garantir ou de faciliter le statut drsquoentiteacute exempteacutee Dans tous les cas une bonne connaissance des activiteacutes du groupe de socieacuteteacutes sera indispensable et permettra drsquoidentifier les strateacutegies optimales agrave adopter

42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES

On a vu qursquoune socieacuteteacute deacutesirant exercer ses activiteacutes de faccedilon importante agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoune bande indienne et qui ne traite pas avec des entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne pourra pas se preacutevaloir de lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR Puisque cette socieacuteteacute serait assujettie agrave lrsquoimpocirct il y a lieu de srsquointerroger sur la faccedilon drsquoorganiser ses affaires afin drsquoobtenir une situation fiscale optimale

Une faccedilon simple de reacuteduire le fardeau fiscal de la socieacuteteacute serait le recours aux frais de gestion que la bande indienne ou la socieacuteteacute megravere pourrait facturer agrave la socieacuteteacute non exempteacutee Le profit de celle-ci serait ainsi partiellement transfeacutereacute agrave une entiteacute exempteacutee Il ne faut pas oublier que la deacuteductibiliteacute de ces frais de gestion serait toutefois soumise au critegravere de raisonnabiliteacute preacutevu agrave lrsquoarticle 67 LIR LrsquoARC a drsquoailleurs eacuteteacute reacutecemment appeleacutee agrave se prononcer sur cette pratique151 On lui a soumis la situation drsquoune socieacuteteacute qui annulait systeacutematiquement tous ses profits par des frais de gestion qui ne faisaient pas lrsquoobjet drsquoun contrat et qui variaient drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre selon le niveau de profit de la socieacuteteacute non exempteacutee La position de lrsquoARC agrave lrsquoeacutegard de cette faccedilon de faire ne semble pas se soucier des motivations conduisant ou non agrave la facturation de frais de gestion

151 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0311861I7 laquo Issues

par 149(1)(c) and Proposed par149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010

578 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

On explique simplement qursquoon doit veacuterifier le caractegravere raisonnable des frais qui selon lrsquoARC doit correspondre agrave la valeur marchande des services de gestion rendus Le recours aux frais de gestion est donc limiteacute et on ne peut pas envisager de ramener un revenu imposable important agrave zeacutero si les services de gestion identifiables ne le justifient pas

Il existe une autre possibiliteacute pour reacuteduire le revenu imposable drsquoune socieacuteteacute non exempteacutee drsquoimpocirct Les leacutegislateurs au moment mecircme ougrave ils ajoutaient les socieacuteteacutes deacutetenues par des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au libelleacute des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et des paragraphes 985f) et 985g) LI ont aussi ajouteacute les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale agrave la liste des donataires reconnus aux articles 1101 et 1181 LIR ainsi qursquoaux articles 710 et 7520101 LI Les bandes indiennes ayant le statut drsquoorganismes publics remplissant une fonction gouvernementale sont donc maintenant en mesure de deacutelivrer des reccedilus fiscaux pour dons comme les organismes de bienfaisance ou les municipaliteacutes152 Une socieacuteteacute faisant un don agrave la bande indienne pourrait alors deacuteduire ce montant de son revenu imposable153 Toutefois il serait impossible de ramener le revenu agrave zeacutero puisque la deacuteduction est limiteacutee en fonction du revenu net154 Il est important de preacuteciser que pour ecirctre deacuteductible dans une anneacutee drsquoimposition le don doit avoir eacuteteacute laquo fait au courant de lrsquoanneacutee raquo155 Selon lrsquoarticle 1806 CcQ la donation suppose un transfert en conseacutequence si les sommes ne sont pas transfeacutereacutees dans lrsquoanneacutee lrsquoadministration fiscale pourrait contester le fait qursquoil y ait vraiment eu un don entre le donateur et le donataire

Les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette faccedilon de faire il est donc actuellement impossible de deacuteterminer si cette pratique pourrait ecirctre jugeacutee abusive en vertu de la regravegle geacuteneacuterale antieacutevitement Advenant une contestation justifieacutee de lrsquoadministration fiscale agrave cet eacutegard il nrsquoy aurait pas de conseacutequence fiscale pour la bande indienne puisque celle-ci est exempteacutee mais la socieacuteteacute risquerait de perdre sa deacuteduction pour dons et de devoir payer lrsquoimpocirct suppleacutementaire et les inteacuterecircts srsquoy rattachant Aussi serait-il judicieux drsquoobtenir lrsquoopinion de lrsquoARC sur cette faccedilon de proceacuteder aupregraves de la

152 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2011-0405881E5 laquo Qualified Donee for Receipting Purposes raquo 1er juin 2011 153 S-al 1101(1)a)(iv1) LIR et s-par 710a)v01) LI 154 Al 1101(1)a) LIR et art 711 LI 155 Tax Window Files preacuteciteacute note 151

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 579

Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct avant de mettre de lrsquoavant une telle pratique

43 REacuteDACTION DES CONTRATS

Nous avons vu qursquoune convention eacutecrite ne suppose pas neacutecessairement une obligation contractuelle Nous recommandons toutefois agrave toute socieacuteteacute qui veut se preacutevaloir de lrsquoexception preacutevue au paragraphe 149(12) LIR de conclure un contrat en bonne et due forme pour des raisons commerciales et pour eacuteviter que les autoriteacutes fiscales puissent douter de lrsquoexistence de la convention eacutecrite Pour des raisons tant politiques que juridiques les gouvernements ont tendance agrave vouloir conclure les ententes directement avec les conseils de bande Rappelons cependant que les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont des personnes morales distinctes et ne beacuteneacuteficient pas du statut drsquoIndien Malgreacute cette reacutealiteacute certaines entiteacutes gouvernementales peuvent leur attribuer des contrats sans passer par le processus drsquoappel drsquooffres156 Neacuteanmoins les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont normalement assujetties agrave ce processus au mecircme titre que les autres socieacuteteacutes157 Il est donc possible qursquoune bande indienne ait agrave conclure directement une entente de services afin drsquoobtenir de faccedilon preacutefeacuterentielle un contrat158

Dans de telles circonstances ougrave une entente serait conclue directement avec la bande indienne qui sous-traiterait lrsquoouvrage agrave lrsquoune de ses socieacuteteacutes il faudrait srsquointerroger sur lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR Puisque la deacutecision Sakitawak159 repose sur des faits bien particuliers lrsquoARC pourrait en faire abstraction et consideacuterer que la socieacuteteacute sous-traitante qui veut ecirctre exempteacutee aurait une convention eacutecrite seulement avec la bande indienne et non pas avec le gouvernement Les limites geacuteographiques applicables agrave lrsquoexemption ne srsquoeacutetendraient donc pas agrave celles du gouvernement en question mais elles seraient plutocirct restreintes agrave celles de la bande Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne serait alors drsquoaucune utiliteacute

156 Voir par exemple SOCIEacuteTEacute DE DEacuteVELOPPEMENT DE LA BAIE-JAMES

Politique RS-10 laquo Acquisition de biens et de services raquo 1er octobre 2008 art 47 (en ligne httpwwwsdbjgouvqccapdfdocumentsPolitique20acquisition20de 20biens20et20de20servicespdf)

157 Voir notamment Loi sur le ministegravere des Transports LRQ c M-28 art 3 158 Voir par exemple GRAND COUNCIL OF THE CREES Joint Press Release of Cree

Nation of Mistissini and Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) 26 janvier 2012 (en ligne httpwwwgcccanewsarticlephpid=261)

159 Preacuteciteacute note 145

580 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une faccedilon de reacutegler cette situation facirccheuse serait de preacutevoir la sous-traitance de la bande avec sa socieacuteteacute dans le corps mecircme de lrsquoentente qui serait signeacutee avec le gouvernement srsquoil y consent La volonteacute du gouvernement de traiter directement avec la bande indienne serait ainsi respecteacutee et la socieacuteteacute sous-traitante quant agrave elle serait partie agrave une convention eacutecrite entre elle son actionnaire et le gouvernement Le texte de lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne preacutecise pas que la convention doit ecirctre conclue uniquement entre deux parties Encore une fois il est important de rappeler que les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jusqursquoici pas eu lrsquooccasion de se prononcer sur une telle situation Toutefois lrsquoouverture dont la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a fait preuve dans lrsquoaffaire Sakitawak est drsquoun certain reacuteconfort advenant une meacutesentente avec lrsquoadministration fiscale agrave ce sujet

44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS

Lorsque nous avons abordeacute lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens il a eacuteteacute question de la meacutethode baseacutee sur les facteurs de rattachement pour situer geacuteographiquement un revenu Comme il a eacuteteacute mentionneacute lrsquoendroit ougrave se situe le siegravege social de la socieacuteteacute nrsquoest pas important pour qursquoelle puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Par contre le fait que la reacutesidence de lrsquoemployeur soit sur la reacuteserve est un facteur tregraves important dans la deacutetermination du situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien

Deux des quatre lignes directrices publieacutees par lrsquoARC160 sur le situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien reposent en partie sur la reacutesidence de lrsquoemployeur La ligne directrice no 2 preacutevoit que le revenu drsquoemploi sera habituellement exoneacutereacute si lrsquoIndien et lrsquoemployeur reacutesident sur la reacuteserve La ligne directrice no 3 propose drsquoexoneacuterer drsquoimpocirct le mecircme revenu si lrsquoIndien ou lrsquoemployeur reacuteside sur la reacuteserve et que plus de 50 des tacircches lieacutees agrave lrsquoemploi sont accomplies dans la reacuteserve Il est donc important que la socieacuteteacute ait son siegravege social sur la reacuteserve afin de ne pas peacutenaliser ses employeacutes indiens et par le fait mecircme pour faciliter le recrutement et la reacutetention de sa main-drsquoœuvre

CONCLUSION

Nous avions comme objectif principal de deacuteterminer dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne pouvait se preacutevaloir de

160 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 4M00908 laquo Indiens ndash

Exoneacuteration du revenu ndash Lignes directrices raquo 29 juin 1994

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 581

lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR ainsi qursquoaux paragraphes 985f) et 985g) LI Malgreacute le remaniement de ces dispositions pour y pourvoir plusieurs zones grises sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer subsistent

Mecircme srsquoil peut ecirctre relativement simple pour une bande indienne de beacuteneacuteficier du statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le statut drsquoentiteacute exempteacutee nrsquoest pas pour autant acquis par les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient

Dans cette tacircche ardue visant agrave ce que ces socieacuteteacutes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption le recours aux principes deacutecoulant de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est un outil preacutecieux En effet les tribunaux ont eacuteteacute tregraves actifs en ce qui a trait agrave lrsquoimmuniteacute fiscale deacutecoulant du statut drsquoIndien

De plus une tregraves bonne connaissance du contexte juridique entourant une bande indienne est requise afin de deacuteterminer si les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient peuvent beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Crsquoest encore plus vrai lorsque vient le temps de deacuteterminer la zone geacuteographique permettant lrsquoexemption Les questions territoriales des Premiegraveres Nations sont agrave prendre en compte dans cette deacutetermination

Nous avons fait aussi ressortir les particulariteacutes importantes du test baseacute sur les revenus preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI Il est important agrave cet eacutegard drsquoecirctre sensibiliseacute agrave la preacutecariteacute de lrsquoexemption fiscale et aux conseacutequences indeacutesirables qui peuvent survenir advenant sa perte

En deacutefinitive il est assez facile pour une socieacuteteacute nrsquoexploitant son entreprise que sur les terres de la communauteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Toutefois lrsquoincertitude apparaicirct quand les occasions drsquoaffaires proviennent de lrsquoexteacuterieur

Les pratiques fiscales actuelles reposent en grande partie sur le fait que les administrations fiscales se sont montreacutees relativement transparentes et accommodantes dans leurs positions administratives Il faut toutefois garder agrave lrsquoesprit que les positions administratives peuvent changer

Dans la mesure ougrave les bandes indiennes prendront de plus en plus drsquoimportance dans le deacuteveloppement du Nord queacutebeacutecois on peut srsquoattendre agrave ce que lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication de la leacutegislation fiscale que nous avons eacutevoqueacutee eacutevoluent au cours des anneacutees agrave venir

582 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ANNEXE

Statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Sommaire des interpreacutetations favorables aux bandes indiennes

qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC

Adoption Services aux Deacutemocratie Nature des Neacutegociationde regraveglements membres (no te 1) imputabiliteacute fonctions dententes (no te 2)

2012-0447241R3 x x2011-0391831R3 x x2010-0360361R3 x2010-0362371R3 x x x x2010-0372611R3 x x2009-0311861I7 x x2009-0310851I7 x x2009-0311171R3 x x x2008-0294231R3 x x2008-0272731R3 x2008-0282491R3 x x x2008-0295711R3 x x x2006-0173611R3 x x x2006-0201611R3 x2006-0168841R3 x x2006-0166731R3 x x x2005-0126261R3 x x2005-0136981R3 x x x2003-0035821R3 x

2003-0028403 x x2003-0000463 x2003-0035443 x2003-0028343 x x2002-0170903 x x2002-0127663 x x2001-0068273 x x x2001-0091433 x2001-0106633 x x1999-0006543 x x1999-0005513 x x x

9917483 x x

Note 1 Travaux publics services sociaux et programmes dinfrastructure

Note 2 Revendications territoriales ententes en matiegravere de santeacute etc

Interpreacutetations techniques

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 583

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI

SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES

Alex Boisvert Maxime Dupuis LL B LL B Direction du contentieux Direction du contentieux fiscal et civil fiscal et civil Revenu Queacutebec Revenu Queacutebec

PREacuteCIS

En 1940 le Parlement du Canada a instaureacute un reacutegime drsquoassurance-chocircmage Au fil des anneacutees ce reacutegime a subi diverses modifications Toutefois lrsquoobjectif de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi est demeureacute sensiblement le mecircme eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui cherche agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs qui perdent leur revenu drsquoemploi par le versement temporaire de prestations

Pour ecirctre admissible au reacutegime drsquoassurance-emploi il faut occuper un laquo emploi assurable raquo La Loi sur lrsquoassurance-emploi preacutevoit plusieurs types drsquoemplois assurables Les auteurs srsquoen tiennent agrave analyser les cas ougrave lrsquoemployeacute et lrsquoemployeur ont un lien de deacutependance entre eux notamment

584 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

parce qursquoils sont lieacutes par le sang le mariage ou une union civile ou par une deacutetention drsquoactions dans la socieacuteteacute laquo employeur raquo

La regravegle veut qursquoun employeacute ayant avec son employeur un lien de deacutependance de fait ou un lien de deacutependance de droit (personnes lieacutees) au sens de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne peut occuper un emploi assurable et par le fait mecircme ne peut beacuteneacuteficier de prestations drsquoassurance-emploi Cependant si lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lieacutes montrent qursquoils auraient conclu un contrat de travail similaire srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance lrsquoemployeacute pourra faire exception agrave la regravegle et beacuteneacuteficier du reacutegime Il srsquoagit de lrsquoapplication de lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Les auteurs analysent les critegraveres preacutevus agrave cet alineacutea et utiliseacutes par les tribunaux pour deacuteterminer si un emploi entre personnes lieacutees peut ou non ecirctre consideacutereacute comme assurable

ABSTRACT

In 1940 the Parliament of Canada has introduced an unemployment insurance program Various changes have been made in the program over the years However the purpose of the Unemployment Insurance Act which was replaced by the Employment Insurance Act in 1996 has remained essentially the same namely the establishment of an insurance program that is based on the concept of social risk and which preserves the economic security of workers for loss of income from their employment through temporary income replacement benefits

To be entitled to those benefits a claimant must have performed services under an ldquoinsurable employmentrdquo The Employment Insurance Act provides for several types of insurable employment The authors stick to analyze cases where the employee and the employer are not dealing with each other at armrsquos length because they are related by blood marriage civil union or shareholding in the ldquoemployerrdquo corporation

The rule is that where an employee and an employer are not dealing with each other at armrsquos length within the meaning of the Income Tax Act (in a de facto non-armrsquos length relationship or as related persons) the employment does not qualify as an insurable employment and as a consequence thereof the employee is not eligible to employment insurance benefits However if it is demonstrated that the employer and the employee who are related persons would have entered into a similar contract of employment if they have been dealing with each other at armrsquos length subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act makes an exception to the rule and the employee will qualify for employment insurance benefits

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 585

Subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act sets out various factors to be examined In this paper the authors analyze the application of those factors by the courts when deciding whether or not an employment is insurable

Agrave la suite du deacutecegraves accidentel de Me Jacques Cocircteacute lequel avait eacuteteacute preacutesident du conseil drsquoadministration de lrsquoAPFF celle-ci a contribueacute au Fonds Jacques-Cocircteacute geacutereacute par la Fondation de lrsquoUniversiteacute Laval Les revenus geacuteneacutereacutes par ce fonds servent agrave lrsquooctroi de bourses aux eacutetudiants du baccalaureacuteat en droit qui ont reacutedigeacute un travail de qualiteacute en droit fiscal

LrsquoAPFF est fiegravere de publier dans ce numeacutero de la Revue le texte reacutedigeacute par les deux premiers reacutecipiendaires de cette bourse

Au moment de la publication Mme Alex Boisvert avait eacuteteacute assermenteacutee comme avocate pour sa part M Maxime Dupuis sera assermenteacute comme avocat en novembre 2013

586 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 587

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN CONTRAT DE TRAVAIL 590

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE 591

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE 591

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo 593

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE 594

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE 596

31 LA REacuteMUNEacuteRATION 596 32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI 599 33 LA DUREacuteE 600 34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES 602

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS 604

CONCLUSION 608

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 587

INTRODUCTION

Le reacutegime drsquoassurance-emploi a eacuteteacute instaureacute au Canada par la Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage1 adopteacutee par le Parlement du Canada en reacuteponse agrave la situation eacuteconomique et sociale difficile qui avait cours alors

Lrsquoabsence de seacutecuriteacute financiegravere chez les travailleurs avait poseacute de nombreux problegravemes au deacutebut du XXe siegravecle Le Rapport de la Commission royale sur les relations industrielles au Canada de 1919 recommandait lrsquoimplantation drsquoun systegraveme de seacutecuriteacute sociale pour les travailleurs2 Ce rapport avait comme objectif de proposer des solutions aux nombreux problegravemes qui marquaient les relations patronales-ouvriegraveres notamment augmenter le salaire reacuteduire les heures de travail et pallier le risque de chocircmage3 La situation eacuteconomique des anneacutees 1930 et lrsquoindustrie du secteur primaire qui eacutetait plus propice au chocircmage creacuteaient une preacutecariteacute drsquoemploi pour lrsquoensemble de la classe ouvriegravere En 1935 la premiegravere tentative du Parlement du Canada de creacuteer un systegraveme de seacutecuriteacute sociale fut la Loi sur le placement et les assurances sociales4 mais celle-ci srsquoest heurteacutee aux limites constitutionnelles canadiennes et fut invalideacutee La Cour suprecircme du Canada jugea en effet que le Parlement du Canada ne deacutetenait pas la compeacutetence constitutionnelle neacutecessaire pour adopter un tel reacutegime de seacutecuriteacute sociale puisque celui-ci touchait agrave la compeacutetence provinciale en matiegravere de proprieacuteteacute et de droits civils5 Cette deacutecision fut confirmeacutee par le Comiteacute judiciaire du Conseil priveacute de Londres6 En reacuteaction agrave cet arrecirct lrsquoActe de lrsquoAmeacuterique du Nord britannique (connu depuis 1982 sous le titre de Loi constitutionnelle

1 Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage SC 1940 ch 44 2 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES Rapport de la

commission pour srsquoenqueacuterir des relations industrielles au Canada Ottawa 1919 DA SMITH laquo Employment Insurance raquo The Canadian Encyclopedia (en ligne httpwwwthecanadianencyclopediacomarticlesemployment-insurance)

3 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES preacuteciteacute note 2 Section 21 du Rapport

4 SC 1935 ch 38 5 Reference re legislative jurisdiction of Parliament of Canada to enact the Employment

and Social Insurance Act (1935 c 48) [1936] SCR 427 6 Canada (AG) v Ontario (AG) [1937] AC 355 (CP) T Stephen LAVENDER

The 2010 Annotated Employment Insurance Act Toronto Carswell 2010 p v

588 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

de 18677) fut modifieacute pour confeacuterer au Parlement du Canada compeacutetence en matiegravere drsquoassurance-chocircmage8

Degraves 1940 la premiegravere loi visant agrave instaurer une assurance sociale contre le risque de chocircmage fut adopteacutee9 Au deacutepart les prestations preacutevues dans la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage eacutetaient accessibles agrave un nombre limiteacute de cateacutegories drsquoemplois10 La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage11 qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi12 a fait lrsquoobjet de plusieurs modifications qui ont notamment eacutelargi son champ drsquoapplication en incluant drsquoautres types drsquoemplois admissibles aux avantages offerts par le reacutegime13 En deacutepit de lrsquoeacutevolution de la protection offerte lrsquoobjectif de la loi est demeureacute sensiblement le mecircme depuis son adoption14 La Loi sur lrsquoassurance-emploi actuelle continue de viser agrave eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui tend agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs par le versement temporaire de prestations en cas de cessation drsquoemploi ainsi que le rattachement de ces derniers au marcheacute du travail15 Lrsquoassurabiliteacute est le principe cardinal qui permet de beacuteneacuteficier de ce reacutegime Cette notion srsquoharmonise avec lrsquoobjectif de la loi qui consiste agrave venir en aide aux personnes qui peuvent travailler mais qui sont momentaneacutement sans emploi Cependant la Loi sur lrsquoassurance-emploi nrsquoest pas une loi qui srsquointerpregravete aiseacutement et les critegraveres deacuteveloppeacutes par les tribunaux manquent parfois de limpiditeacute16

7 Constitution Act 1940 3-4 Geo VI c 36 (UK) ajoutant la cateacutegorie 91(2A) aux

pouvoirs du Parlement du Canada Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 art 91(2A)

8 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v 9 Georges CAMPEAU De lrsquoassurance-chocircmage agrave lrsquoassurance-emploi ndash Lrsquohistoire du

reacutegime canadien et son deacutetournement Montreacuteal Boreacuteal 2001 p 9 10 Zhengxi LIN laquo Eacutevolution de lrsquoassurance-emploi au Canada raquo dans Lrsquoemploi et le

revenu en perspective Eacuteteacute 1998 vol 10 no 2 Statistique Canada pp 45-51 (en ligne httpwwwstatcangccastudies-etudes75-001archivef-pdf3828-frapdf)

11 Loi de 1971 sur lrsquoassurance-chocircmage LC 1970-71-72 ch 48 et mod (laquo LAC raquo) 12 LC 1996 ch 23 (laquo LAE raquo) 13 Renvoi relatif agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi (Can) art 22 et 23 [2005] 2 RCS

669 par 18 et 60 14 Id par 18 15 Id par 24 et 48 16 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 589

Parmi lrsquoensemble des conditions drsquoadmissibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-emploi lrsquoune drsquoentre elles pose particuliegraverement problegraveme il srsquoagit de la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi lorsque lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont un lien de deacutependance17 Les alineacuteas 5(2)i) 5(3)a) et 5(3)b) LAE preacutevoient cette condition

laquo (2) Nrsquoest pas un emploi assurable

[hellip]

i) lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance

[hellip]

(3) Pour lrsquoapplication de lrsquoalineacutea (2)i)

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de deacutependance est deacutetermineacutee conformeacutement agrave la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

A priori selon lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE cette relation drsquoemploi nrsquoest pas couverte par le champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Toutefois si lrsquoemploi drsquoune personne lieacutee agrave lrsquoemployeur remplit les conditions preacutevues par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE il sera reacuteputeacute ecirctre assurable et le travailleur pourra jouir des diffeacuterents avantages offerts par ce reacutegime leacutegislatif Le preacutesent texte a pour objet drsquoanalyser la position des tribunaux en matiegravere drsquoassurabiliteacute drsquoun emploi entre personnes ayant un lien de deacutependance

Tout drsquoabord il est primordial de srsquointerroger sur lrsquoexistence drsquoun contrat de travail comme condition preacuteliminaire drsquoassujettissement agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi avant drsquoaborder la question de lrsquoassurabiliteacute Dans le mecircme ordre drsquoideacutees le fonctionnement de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant lrsquoassurabiliteacute des emplois sera analyseacute plus preacuteciseacutement

17 Al 3(2)c) LAC devenu lrsquoalineacutea 5(2)i) et le paragraphe 5(3) LAE

590 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexclusion a priori par lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE des emplois caracteacuteriseacutes par un lien de deacutependance Ensuite il sera traiteacute de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui permet lrsquoinclusion des emplois entre personnes lieacutees Une fois le contexte leacutegislatif eacutetabli les critegraveres permettant de beacuteneacuteficier de la preacutesomption seront successivement eacutetudieacutes

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN

CONTRAT DE TRAVAIL

Avant mecircme de se pencher sur la notion drsquoassurabiliteacute il faut deacuteterminer si les parties entretiennent entre elles une relation drsquoemploi Pour conclure agrave lrsquoexistence de cette relation la preuve drsquoun contrat de travail doit ecirctre faite En conseacutequence la personne qui exploite une entreprise est exclue du champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Dans lrsquoordre juridique queacutebeacutecois le contrat de travail est deacutefini par lrsquoarticle 2085 du Code civil du Queacutebec18 Agrave cet effet le lien de subordination entre lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute est la pierre angulaire de lrsquoexistence drsquoun contrat de travail Traditionnellement les tribunaux se sont reacutefeacutereacutes aux critegraveres deacuteveloppeacutes en common law dans lrsquoarrecirct Wiebe Door Services Ltd c MRN19 pour caracteacuteriser la relation entre les parties En 2005 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale dans lrsquoaffaire 9041-6868 Queacutebec inc c MRN20 avanccedila que les critegraveres de common law issus de cet arrecirct nrsquoeacutetaient pas applicables pour qualifier une relation drsquoemploi reacutegie par le droit queacutebeacutecois Le Code civil du Queacutebec eacutetant lrsquounique source de droit pertinente dans lrsquoanalyse il fallait se concentrer exclusivement sur lrsquoarticle 2085 CcQ21 Par la suite dans lrsquoaffaire Grimard c La Reine22 le juge Archambault de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoappuyant sur les motifs de lrsquoarrecirct 9041-6868 Queacutebec Inc appliqua le mecircme raisonnement dans le cadre drsquoun litige viseacute par la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu23 Cette deacutecision fut porteacutee en appel et le tribunal drsquoappel atteacutenua la porteacutee des propos du juge Archambault24 Selon la Cour

18 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) 19 [1986] 3 CF 553 (CAF) (laquo Wiebe Door Services raquo) Les critegraveres de common law

sont 1) le controcircle 2) la proprieacuteteacute des instruments de travail 3) la possibiliteacute de profit 4) le risque de perte et 5) lrsquointeacutegration dans lrsquoentreprise

20 2005 CAF 334 (laquo 9041-6868 Queacutebec Inc raquo) 21 Id Lacroix c MRN 2007 CCI 81 (laquo Lacroix raquo) 22 2007 CCI 755 23 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 24 Grimard c Canada 2009 CAF 47 (laquo Grimard raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 591

drsquoappel feacutedeacuterale les critegraveres de lrsquoarrecirct Wiebe Door Services peuvent servir drsquoindices drsquoencadrement pour deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun contrat de travail25 Ce mecircme tribunal dans lrsquoaffaire NCJ Educational Services Ltd c Canada26 est venu confirmer que lrsquoarrecirct Grimard srsquoappliquait eacutegalement en matiegravere drsquoassurance-emploi venant mettre deacutefinitivement un terme agrave la controverse

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE

Une fois que lrsquoexistence drsquoun contrat de travail est eacutetablie il est neacutecessaire de srsquointerroger sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi exerceacute par le travailleur Un emploi est consideacutereacute comme assurable degraves qursquoil est viseacute par une des situations preacutevues au paragraphe 5(1) LAE

Toutefois le paragraphe 5(2) LAE preacutevoit plusieurs cas drsquoexclusion qui font en sorte que certains emplois ne peuvent beacuteneacuteficier du statut drsquolaquo emploi assurable raquo

Lrsquoexclusion qui sera traiteacutee ici est la situation viseacutee agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE soit laquo lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance raquo

Lrsquoalineacutea 5(3)a) LAE preacutevoit que lrsquoexistence du lien de deacutependance entre les parties au contrat est deacutetermineacutee en vertu de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Il peut srsquoagir drsquoun lien de deacutependance de droit lorsqursquoil est question de personnes lieacutees ou drsquoun lien de deacutependance de fait au sens des alineacuteas 251(1)a) et 251(1)c) LIR

laquo 251 (1) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes lieacutees sont reacuteputeacutees avoir entre elles un lien de deacutependance

[hellip]

c) [hellip] la question de savoir si des personnes non lieacutees entre elles nrsquoont aucun lien de deacutependance agrave un moment donneacute est une question de fait raquo

25 Id par 43 26 2009 CAF 131

592 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Voici lrsquoexplication du lien de deacutependance de fait donneacutee par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Mercer c MRN

laquo [14] Les relations avec lien de deacutependance se caracteacuterisent par la preacutesence drsquoune entiteacute responsable de la neacutegociation pour les deux parties agrave une transaction par le fait que les parties agrave une transaction agissent ensemble sans inteacuterecirct distinct ou parce que chaque partie agrave la transaction avait le pouvoir drsquoinfluencer lrsquoautre ou drsquoexercer un controcircle sur lrsquoautre et que les neacutegociations des parties ne sont pas conformes agrave lrsquoobjet et agrave lrsquoesprit des dispositions de la loi et qursquoelles ne deacutemontrent pas qursquoelles participent de faccedilon eacutequitable dans le jeu normal des forces eacuteconomiques du marcheacute [hellip]27 raquo (Soulignement par la Cour)

Le lien de deacutependance de droit deacutecoule du fait que deux personnes sont lieacutees parce qursquoelles sont unies par les liens du sang du mariage drsquoune union de fait ou de lrsquoadoption28 ou lieacutees par la deacutetention drsquoactions au sein drsquoune mecircme socieacuteteacute29 Ainsi une personne lieacutee agrave son employeur voit son emploi exclu des beacuteneacutefices de lrsquoassurance-emploi Par exemple la conjointe de lrsquoactionnaire majoritaire drsquoune socieacuteteacute qui travaille au sein de cette socieacuteteacute nrsquooccupe pas a priori un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi30

27 2003 CCI 652 (laquo Mercer raquo) 28 Lrsquoalineacutea 251(2)a) et le paragraphe 251(6) LIR ndash citeacute ci-dessous ndash preacutevoient les

deacutefinitions applicables aux personnes lieacutees

laquo (6) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes sont unies par les liens du sang si lrsquoune est lrsquoenfant ou un autre descendant de lrsquoautre ou si lrsquoune est le fregravere ou la sœur de lrsquoautre

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si lrsquoune est marieacutee agrave lrsquoautre ou agrave une personne qui est ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

b1) des personnes sont unies par les liens drsquoune union de fait si lrsquoune vit en union de fait avec lrsquoautre ou avec une personne qui est unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

c) des personnes sont unies par les liens de lrsquoadoption si lrsquoune a eacuteteacute adopteacutee en droit ou de fait comme enfant de lrsquoautre ou comme enfant drsquoune personne ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang (autrement qursquoen qualiteacute de fregravere ou de sœur) raquo

29 Voir plus particuliegraverement lrsquoalineacutea 251(2)b) LIR 30 Gagneacute c MRN 2005 CCI 310

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 593

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE

LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo

Par lrsquoeffet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE un emploi viseacute agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE peut cependant agrave certaines conditions ecirctre consideacutereacute comme un emploi sans lien de deacutependance et par conseacutequent devenir un emploi assurable aux fins de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Pour rappel lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE se lit ainsi

laquo b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

Le ministre du Revenu national doit prendre en consideacuteration les facteurs pertinents preacutevus agrave cet alineacutea lorsqursquoil rend une deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi caracteacuteriseacute par un lien de deacutependance (art 90 et 91 LAE) Lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE met en eacutevidence les critegraveres agrave analyser pour en arriver agrave la conclusion qursquoun employeur et un employeacute nrsquoayant pas de lien de deacutependance auraient conclu un contrat de travail agrave peu pregraves semblable Il preacutevoit une liste non exhaustive des facteurs agrave prendre en consideacuteration soit la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli La deacutecision du ministre du Revenu national repose sur lrsquoexercice drsquoun pouvoir discreacutetionnaire consistant agrave effectuer une analyse factuelle de la relation entre les parties En ce sens la personne qui souhaite contester la deacutecision du ministre devra donc deacutemontrer que ce pouvoir a eacuteteacute exerceacute drsquoune maniegravere deacuteraisonnable31 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans le cadre drsquoun appel de la deacutecision du ministre pourra recevoir tout eacuteleacutement de preuve servant agrave deacutemontrer que la deacutecision du ministre selon laquelle un contrat drsquoemploi similaire nrsquoaurait pas eacuteteacute conclu entre des parties nrsquoayant aucun lien de deacutependance est deacuteraisonnable Pour que lrsquoappel soit accueilli lrsquoappelant devra deacutemontrer que le ministre selon le cas

31 Peacuterusse c Canada [2000] CanLII 15136 (CAF)

594 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

laquo i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites

ii) nrsquoa pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme lrsquoexige expresseacutement le sous-alineacutea 3(2)c)(ii) [LAC devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE]

iii) a tenu compte drsquoun facteur non pertinent32 raquo

Il importe de preacuteciser que la Cour canadienne de lrsquoimpocirct doit faire preuve de deacutefeacuterence envers la deacutecision du ministre du Revenu national33 Cependant lorsque la nature du contrat entre les parties est en litige la Cour procegravede agrave un examen indeacutependant de celui du ministre34 Dans ce cas elle nrsquoest pas tenue laquo de faire preuve de retenue agrave lrsquoeacutegard de la deacutecision du ministre raquo35

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE

Il est neacutecessaire de traiter briegravevement de lrsquoobjet des alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE Dans lrsquointerpreacutetation de ces dispositions il faut rechercher si les parties ont envisageacute de conclure un reacuteel contrat de travail Lrsquointention du leacutegislateur est drsquoeacuteviter drsquoassurer des emplois aux liens factices contracteacutes dans le but de beacuteneacuteficier inducircment de la Loi sur lrsquoassurance-emploi36 Les personnes lieacutees eacutetant plus susceptibles que drsquoautres de creacuteer des emplois laquo avec des conditions farfelues raquo37 un examen pousseacute doit ecirctre effectueacute pour deacuteterminer si la relation drsquoemploi convenue entre les personnes lieacutees aurait pu ecirctre la mecircme qursquoentre deux personnes nrsquoayant pas de lien de deacutependance La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage devenue la Loi sur lrsquoassurance-emploi a eacuteteacute adopteacutee pour venir en aide aux travailleurs qui perdent reacuteellement leurs emplois Le reacutegime drsquoassurance-emploi vise agrave assurer le risque de chocircmage38 et ce depuis son adoption au XXe siegravecle39 Lrsquoassurance-emploi

32 Canada c Jencan Ltd [1998] 1 CF 187 par 37 Huntley c MRN 2010 CCI 625

par 24 33 Porter c MRN 2005 CCI 364 34 Craigmyle c MRN 2011 CCI 128 par 43 et suiv 35 Id par 43 36 Bergen c MRN [2002] CanLII 1215 (CCI) (laquo Bergen raquo) par 10 37 Campbell c MRN 2008 CCI 170 par 47-48 38 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 39 Claude E FORGET Rapport de la commission drsquoenquecircte sur lrsquoassurance-chocircmage

Canada 1986 p 28

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 595

comme tout reacutegime drsquoassurance impose agrave lrsquoassureacute drsquoeacuteviter de creacuteer volontairement le risque pour lequel il est assureacute40 Le risque doit ecirctre indeacutependant du comportement individuel de chaque travailleur Or un emploi temporaire creacuteeacute de connivence entre les parties en vue de remplir les conditions exigeacutees par la Loi sur lrsquoassurance-emploi pour beacuteneacuteficier des prestations accroicirct deacutelibeacutereacutement le risque assureacute Les alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE visent agrave eacuteviter de tels types de comportements en srsquoassurant que des personnes lieacutees nrsquoeacutelaborent pas des strateacutegies dans le but de deacutetourner le reacutegime de sa finaliteacute

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lrsquoobjet de ces dispositions concerne la prohibition drsquoententes frauduleuses convenues pour faire beacuteneacuteficier le salarieacute drsquoune reacutemuneacuteration sans avoir agrave fournir une prestation de travail41 En outre ces alineacuteas tendent eacutegalement agrave proscrire les ententes qui auraient pour effet de subventionner en partie les activiteacutes commerciales drsquoun employeur Lrsquoassurance-emploi est une mesure qui nrsquoa pas eacuteteacute implanteacutee dans le but de venir en aide aux entreprises Les tribunaux ont eu lrsquooccasion de le rappeler dans de nombreuses affaires particuliegraverement dans la deacutecision Martineau c MRN ougrave le juge suppleacuteant Charron de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct reacuteaffirmait laquo que lrsquoassurance-emploi est une mesure sociale pour venir en aide agrave ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subvention pour venir en aide agrave lrsquoentreprise [hellip] raquo42 Lrsquoentrepreneur qui deacutesire essuyer des pertes en creacuteant des postes de travail fictifs et en consignant frauduleusement des heures de travail dans ses registres est un exemple classique43 Ce stratagegraveme effectueacute en vue de pouvoir ultimement financer ses activiteacutes par le truchement des prestations du reacutegime public ne cadre indubitablement pas avec les objectifs de la Loi sur lrsquoassurance-emploi

Or ces ententes frauduleuses ont manifestement plus de chance drsquoecirctre conclues en raison des liens de confiance qui existent entre des personnes lieacutees Lrsquoexclusion preacutevue agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE reflegravete ces consideacuterations et permet de preacutevenir les abus dans lrsquoapplication du reacutegime drsquoassurance-emploi Toutefois la preacutesomption permettant de passer outre au lien de deacutependance entre les parties a eacuteteacute instaureacutee en vue de permettre aux travailleurs lieacutes agrave leur payeur de toucher des prestations en vertu de la

40 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 41 Bouchard c MRN 2009 CCI 234 (laquo Bouchard raquo) par 15 42 [2000] CanLII 22883 (CCI) par 12 43 Duplin c MRN [2001] CanLII 498 (CCI) par 31

596 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquoassurance-emploi lorsque les circonstances le justifiaient Cette exception fut adopteacutee en 199044 puisque la regravegle rigide qui avait cours anteacuterieurement avait engendreacute des situations ineacutequitables pour plusieurs travailleurs canadiens45 Le secteur agricole eacutetait particuliegraverement toucheacute par cette exclusion puisque les entreprises œuvrant dans ce domaine sont souvent des entreprises familiales46 En effet il est erroneacute de croire que lrsquoexistence drsquoun lien de deacutependance reacutevegravele ipso facto la preacutesence drsquoune entente frauduleuse En ce sens comme le disait le juge Rowe de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct laquo [l]es en exclure sans raison valable est une mesure ineacutequitable qui va agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de la loi raquo47 La neacutecessiteacute drsquoadopter une disposition atteacutenuant lrsquoinflexibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage drsquoalors allait de soi et crsquoest ce que le leacutegislateur a fait avec lrsquoadoption du sous-alineacutea 3(2)c)(ii) LAC qui est devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE

Il est maintenant temps de passer en revue les facteurs deacuteterminants pour ecirctre en mesure de beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Bien que la liste de critegraveres preacutevue agrave cet alineacutea ne soit pas exhaustive ce sont ces critegraveres qui sont majoritairement analyseacutes par les tribunaux Chaque critegravere fera lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement succinct afin de deacutegager lrsquoapproche retenue par les tribunaux lors de lrsquoapplication de cette disposition

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE

31 LA REacuteMUNEacuteRATION

En ce qui a trait agrave la reacutemuneacuteration le fardeau de la preuve appartient au salarieacute qui doit deacutemontrer que laquo la reacutetribution verseacutee est raisonnable compte tenu de la nature et de la quantiteacute du travail effectueacute raquo48 Drsquoune part le salarieacute doit deacutemontrer que sa reacutemuneacuteration est raisonnable comparativement agrave celle des autres salarieacutes de lrsquoentreprise Drsquoautre part le salarieacute peut recourir agrave une analyse globale des conditions de travail de lrsquoensemble des travailleurs œuvrant dans un domaine similaire au sien

44 Loi modifiant la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage et la Loi sur le ministegravere et sur la

Commission de lrsquoemploi et de lrsquoimmigration LC 1990 ch 40 45 Bergen preacuteciteacute note 36 46 Theacuteberge c Canada 2002 CAF 123 (laquo Theacuteberge raquo) 47 Docherty c MRN [2000] CanLII 381 (CCI) (laquo Docherty raquo) 48 Primeau Meacutetal Inc c MRN 2005 CCI 111 (laquo Primeau Meacutetal raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 597

Plusieurs modaliteacutes doivent ecirctre analyseacutees afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere raisonnable de la reacutemuneacuteration toucheacutee par lrsquoemployeacute comparativement aux autres employeacutes preacutesents dans la mecircme entreprise La jurisprudence contient de nombreuses illustrations ougrave la reacutemuneacuteration a eacuteteacute un enjeu important dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi Les principaux facteurs retenus par les tribunaux pour trancher cette question sont le salaire et le mode de paiement de la prestation

Concernant le salaire il faut drsquoabord deacuteterminer srsquoil est sensiblement identique agrave celui des employeacutes sans lien de deacutependance Il est opportun de rappeler que le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne requiert pas une identiteacute absolue dans la comparaison En deacutefinitive il suffit de deacutemontrer que le salaire est agrave peu pregraves semblable au salaire que reccediloit une personne sans lien de deacutependance Pour y arriver il faut notamment tenir compte de lrsquoexpertise de la formation du poste occupeacute et de lrsquoancienneteacute au sein de lrsquoentreprise49 Voici quelques exemples qui permettent de bien saisir la porteacutee de lrsquoanalyse agrave effectuer Un employeacute lieacute agrave lrsquoemployeur pourrait recevoir un salaire plus eacuteleveacute que les autres employeacutes en raison de sa formation et neacuteanmoins occuper un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct lrsquoa deacutecideacute dans lrsquoaffaire Portes et Fenecirctres Abritek Inc50 Dans cette affaire lrsquoeacutecart salarial provenait du fait que lrsquoemployeur avait pondeacutereacute le salaire en tenant compte de la scolariteacute de lrsquoemployeacute et non en vertu du lien de deacutependance Dans la deacutecision Primeau Meacutetal lrsquoimportance du salaire a eacuteteacute jugeacutee raisonnable en raison des anneacutees drsquoexpeacuterience de lrsquoemployeacute au sein de la socieacuteteacute51 La stabiliteacute du taux de reacutemuneacuteration est un autre eacuteleacutement agrave consideacuterer Lrsquoemploi dont la reacutemuneacuteration varie en fonction de la capaciteacute de payer de lrsquoemployeur montre que des parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient probablement pas conclu un contrat de travail similaire52 En effet laquo il serait inhabituel pour un employeacute sans lien de deacutependance drsquoaccepter lrsquoexistence drsquoun lien entre son salaire et la rentabiliteacute de la socieacuteteacute raquo53 Agrave titre drsquoexemple un emploi dont le taux horaire a eacuteteacute modifieacute trois fois dans une peacuteriode nrsquoexceacutedant pas un an a

49 Portes et Fenecirctres Abritek Inc c MRN 2009 CCI 285 (laquo Portes et Fenecirctres Abritek

Inc raquo) par 37 50 Id par 24 51 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48 par 35 52 Bacon c MRN 2004 CCI 70 par 12 Boucher c MRN 2007 CCI 467 par 7

Putter c MRN [2000] CanLII 191 (CCI) par 16 53 Caldwell Industries Co c MRN 2009 CCI 59 (laquo Caldwell Industries raquo)

598 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacuteteacute jugeacute non assurable54 De plus un employeacute acceptant une diminution de salaire sans reacuteduction de la charge de travail tend agrave montrer qursquoun employeacute sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas conclu un contrat de travail similaire55

Un autre facteur agrave analyser impeacuterativement est la reacutemuneacuteration des heures suppleacutementaires Lrsquoemployeacute qui effectue de nombreuses heures en dehors de la semaine normale de travail sans toucher de reacutemuneacuteration verra le statut drsquoassurabiliteacute de son emploi vicieacute56 agrave moins que cette pratique soit reacutepandue dans lrsquoentreprise Toutefois il est important de souligner que des heures suppleacutementaires non reacutemuneacutereacutees peuvent srsquoexpliquer par le fait que lrsquoemployeacute occupe un poste de gestion au sein de lrsquoentreprise pourvu que cela ne diminue pas substantiellement le taux horaire de son salaire57 Cependant renoncer agrave une bonification du taux pour les heures suppleacutementaires agrave laquelle les autres employeacutes ont droit est reacuteveacutelateur drsquoun emploi non assurable qui ne peut beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE58

Il est eacutegalement important de souligner que plusieurs deacutecisions nrsquoont pas accordeacute drsquoimportance au fait que la prestation de travail eacutetait reacutetribueacutee en fonction drsquoun taux hebdomadaire59 Il faut plutocirct srsquoattarder agrave deacuteterminer si la reacutemuneacuteration eacutetait raisonnable et ce peu importe si elle est eacutetablie selon un taux hebdomadaire ou mensuel Un employeacute lieacute agrave son employeur ne jouissant pas des mecircmes avantages sociaux et peacutecuniaires que les autres employeacutes amegravene les tribunaux agrave infeacuterer qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait jamais accepteacute des conditions de travail semblables60

Quant au mode de reacutetribution de la prestation de travail les tribunaux analysent si le versement de la reacutemuneacuteration est effectueacute de la mecircme maniegravere que les autres employeacutes dans lrsquoorganisation Lorsque le travailleur est aussi

54 Leliegravevre c MRN 2006 CCI 109 (laquo Leliegravevre raquo) par 51 55 Caldwell Industries preacuteciteacute note 53 par 16 56 Lessard c MRN 2008 CCI 122 57 Dumais c MRN 2007 CCI 261 (laquo Dumais CCI raquo) 58 Michel Trottier entrepreneur eacutelectricien c MRN 2004 CCI 4 (laquo Michel Trottier raquo)

par 9 59 Girard c MRN 2008 CCI 245 (laquo Girard raquo) par 26 Theacuteberge preacuteciteacute note 46

par 8 agrave 10 Castonguay c MRN 2004 CCI 324 (laquo Castonguay raquo) par 17 60 Armoires G Baron inc c MRN 2004 CCI 238 par 36 Primeau Meacutetal preacuteciteacute

note 48 par 34 Domart Energy Services Ltd c MRN 2007 CCI 585 par 13

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 599

un actionnaire de la socieacuteteacute la situation est particuliegravere et meacuterite drsquoecirctre briegravevement analyseacutee Il peut arriver que le salaire du salarieacute-actionnaire soit verseacute sous forme de dividendes afin de permettre agrave ce dernier de profiter drsquoun avantage fiscal La jurisprudence est drsquoavis que cette forme de reacutetribution doit ecirctre prise en compte lorsqursquoil faut deacuteterminer si un employeacute non lieacute agrave la socieacuteteacute aurait accepteacute de telles conditions de travail Il est certain que les relations salarieacute-actionnaire et simple employeacute de la socieacuteteacute sont totalement diffeacuterentes Cependant laquo lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi nrsquoindique pas qursquoil faille faire abstraction des inteacuterecircts financiers que des travailleurs peuvent avoir dans un payeur raquo61 Ainsi il suffira de comparer la relation de travail non pas avec un employeacute-salarieacute mais avec un actionnaire minoritaire nrsquoayant pas de lien de parenteacute avec lrsquoactionnaire majoritaire ni de lien de deacutependance avec la socieacuteteacute62 Cela se justifie par le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui indique que toutes les circonstances doivent ecirctre prises en consideacuteration dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Lrsquoemployeacute qui est en mecircme temps actionnaire de la socieacuteteacute deacutesire souvent reacuteduire son impocirct payable et srsquoengage freacutequemment dans cette voie de fournir des services en eacutechange de dividendes63 En revanche un employeacute sans lien de deacutependance exigera normalement un salaire contre les services fournis agrave lrsquoemployeur64 Eacutegalement le versement du salaire en argent comptant nrsquoest geacuteneacuteralement pas un facteur deacuteterminant65

32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI

Les modaliteacutes drsquoemploi constituent un critegravere drsquoapplication assez large que la jurisprudence traite comme un critegravere reacutesiduaire66 Il srsquoagit drsquoun facteur qui srsquoanalyse difficilement seul il est plutocirct relieacute intrinsegravequement aux autres critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Les modaliteacutes peuvent toucher notamment lrsquoutilisation personnelle des outils de lrsquoentreprise67 les avantages sociaux la disponibiliteacute de lrsquoemployeacute68 la flexibiliteacute de son

61 Assurances Jones Inc c MRN 2009 CCI 273 par 13 62 Id Les Entreprises Charles Maisonneuve Lteacutee c MRN 2008 CCI 269 63 Lacroix preacuteciteacute note 21 par 42 64 Michel Trottier preacuteciteacute note 58 par 32 65 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 19 66 Lenover c MRN 2007 CCI 594 67 Reynders c MRN 2007 CCI 219 68 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48

600 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

horaire la possibiliteacute de travailler agrave domicile69 et le controcircle effectueacute par le payeur70 Eacutevidemment ce controcircle sera moduleacute en fonction des compeacutetences des employeacutes71

Agrave titre drsquoexemple dans lrsquoaffaire CampB Woodcraft c MRN72 le juge Woods eacutetait drsquoavis que les modaliteacutes drsquoemploi doivent se comparer avec ce qui est offert aux employeacutes par lrsquoentreprise et non par un employeur hypotheacutetique contrairement au salaire qui lui peut ecirctre analyseacute par rapport au marcheacute Par ailleurs le ministre du Revenu national a deacutejagrave avanceacute comme modaliteacute drsquoemploi deacuteraisonnable le fait que lrsquoemployeacute precircte une somme drsquoargent sans inteacuterecirct au payeur Toutefois dans certaines deacutecisions les tribunaux ont deacutecideacute que cela nrsquoeacutetait pas pertinent puisque le precirct avait plutocirct eacuteteacute consenti en raison du fait que le payeur et lrsquoemployeacute eacutetaient conjoints et non parce qursquoils eacutetaient un employeacute et un employeur lieacutes73 Des modaliteacutes concernant lrsquohoraire fixeacute en fonction des besoins de lrsquoentreprise ont eacuteteacute jugeacutees raisonnables dans la mesure ougrave le teacutemoignage des appelants a eacuteteacute estimeacute creacutedible74 Agrave lrsquoopposeacute attendre plusieurs semaines avant de deacuteposer un chegraveque du payeur vu les difficulteacutes financiegraveres de ce dernier deacutemontre qursquoune personne non lieacutee agrave son employeur nrsquoaurait pas accepteacute des modaliteacutes drsquoemploi semblables75 Il est manifeste que le critegravere des modaliteacutes drsquoemploi deacutepend de toutes les circonstances particuliegraveres agrave chaque affaire et il est difficile drsquoeacutetablir une norme drsquoapplication geacuteneacuterale Il faudra donc se reacutefeacuterer agrave la situation ayant cours au sein de lrsquoentreprise pour veiller agrave ce que lrsquoemployeacute lieacute ne soit pas le seul agrave beacuteneacuteficier drsquoune modaliteacute drsquoemploi particuliegravere

33 LA DUREacuteE

La dureacutee des prestations de travail de lrsquoemployeacute entre les diffeacuterentes peacuteriodes de chocircmage et la quantiteacute drsquoheures travailleacutees doivent faire lrsquoobjet drsquoune analyse en vertu de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Lorsqursquoun employeacute effectue

69 Johnston c MRN 2011 CCI 501 70 Lacroix preacuteciteacute note 21 62 71 Id 72 2004 CCI 477 73 Girard preacuteciteacute note 59 74 Eagle Canyon Adventures Inc c MRN 2008 CCI 563 (laquo Eagle Canyon

Adventures raquo) 75 Benguaich c MRN [1998] CanLII 569 (CCI)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 601

le nombre drsquoheures minimal pour se qualifier au reacutegime drsquoassurance-emploi et ce successivement il est neacutecessaire de cerner les motifs expliquant les mises agrave pied76 La dureacutee de lrsquoemploi doit ecirctre fixeacutee par rapport aux besoins de main-drsquoœuvre de lrsquoemployeur77 Un emploi dont la peacuteriode a eacuteteacute convenue en fonction des exigences pour toucher des prestations est contraire agrave lrsquoobjet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Si la cessation drsquoemploi survient dans une entreprise qui a des activiteacutes reacuteguliegraveres tout au long de lrsquoanneacutee la jurisprudence est encline agrave scruter davantage les motifs entourant le licenciement Cependant les tribunaux accordent geacuteneacuteralement moins drsquoimportance agrave la dureacutee lorsque la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute porte sur un travail saisonnier78 Dans ce cas ils se limiteront agrave veacuterifier si les mises agrave pied coiumlncident avec la fin de la saison active de lrsquoindustrie79 Il serait contraire aux objectifs historiques du reacutegime drsquoexclure des emplois saisonniers en raison de mises agrave pied reacutepeacutetitives80 Quant aux motifs pour justifier des cessations drsquoemploi reacutecurrentes les baisses drsquoachalandage et le ralentissement des activiteacutes sont freacutequemment invoqueacutes par les travailleurs et les payeurs81 Ainsi un licenciement motiveacute par un manque reacuteel de travail est un indice reacuteveacutelateur de la preacutesence drsquoun emploi assurable Agrave lrsquoopposeacute des peacuteriodes de chocircmage survenant dans la peacuteriode drsquoactiviteacute du payeur tendent agrave deacutemontrer la situation contraire82

Concernant les heures de travail il faut veacuterifier si les heures consigneacutees reflegravetent reacuteellement le nombre drsquoheures travailleacutees Une pratique communeacutement deacutesigneacutee sous le vocable laquo banquage raquo ou laquo cumul drsquoheures raquo srsquoest deacuteveloppeacutee au sein de nombreuses entreprises Cette pratique consiste agrave fournir une prestation de travail sans reacutemuneacuteration pendant une peacuteriode de chocircmage Les heures travailleacutees pendant la cessation drsquoemploi sont porteacutees dans une banque drsquoheures au nom de lrsquoemployeacute Lors drsquoune nouvelle demande de prestation les parties inscrivent frauduleusement sur le releveacute drsquoemploi les heures de travail en banque dans le but de maximiser la

76 Peacuterusse c MRN 2003 CCI 313 (laquo Peacuterusse raquo) par 72 77 Bouchard preacuteciteacute note 41 par 3 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 28 in fine 78 Peacuterusse preacuteciteacute note 76 par 72 79 Labonteacute c MRN 2008 CCI 367 par 15 80 Howell c MRN [1998] CanLII 211 (CCI) par 27 in fine 81 Voir par exemple Stevens c MRN 2009 CCI 633 par 20 Pannu c MRN 2010 CCI

562 par 18 Fradette c MRN 2004 CCI 749 par 27 Girard preacuteciteacute note 59 par 31

82 Labrie c MRN 2003 CCI 540 par 107

602 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutemuneacuteration assurable et de bonifier les prestations de chocircmage Ce stratagegraveme survient freacutequemment lorsque les parties sont lieacutees83 Lrsquoemployeur en retire manifestement un avantage puisqursquoil reccediloit une prestation de travail agrave titre gratuit Surtout ce dernier peut neacutegocier des conditions de travail avantageuses en tenant compte du fait que lrsquoemployeacute recevra laquo pour plusieurs mois des prestations drsquoassurance-emploi raquo84 En examinant la dureacutee les tribunaux srsquoassurent que les parties nrsquoont pas envisageacute de creacuteer un lien drsquoemploi factice en vue de profiter du reacutegime drsquoassurance-emploi

La consignation des heures de travail est eacutegalement un facteur important agrave consideacuterer dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Si les heures effectueacutees par le travailleur ne sont pas inscrites dans les registres de lrsquoentreprise cela peut mener agrave conclure que lrsquoemploi a eacuteteacute modeleacute en fonction du lien de deacutependance85 Eacutegalement le critegravere concernant la dureacutee consiste agrave analyser si lrsquoemployeacute exerce un nombre drsquoheures raisonnable compte tenu du secteur drsquoactiviteacutes dans lequel il œuvre86 Une charge de travail eacuteleveacutee peut amener le ministre du Revenu national ou le tribunal agrave conclure qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas accepteacute des conditions de travail similaires Si lrsquoemployeacute fournit un apport substantiel agrave lrsquoentreprise en effectuant de nombreuses heures de travail lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre vicieacutee Dans lrsquoaffaire Rodrigue c MRN87 lrsquoemploi fut jugeacute non assurable puisque lrsquoemployeacute travaillait de nombreuses heures et nrsquoavait pris que quelques jours de congeacute durant lrsquoanneacutee Le juge Savoie a conclu que la prestation de travail de lrsquoemployeacute avait grandement contribueacute agrave lrsquoexpansion de lrsquoentreprise Cet apport important laissait preacutesager que deux personnes sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire

34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES

Dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi le ministre du Revenu national et les tribunaux doivent analyser si les tacircches sont neacutecessaires agrave laquo la bonne marche des activiteacutes raquo88 de lrsquoentreprise Des tacircches

83 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 16 84 Id 85 Dumont c MRN 2011 CCI 385 par 24 et suiv 86 Lieffertz c MRN 2003 CCI 704 par 10 87 2006 CCI 547 par 25 agrave 27 88 Chiarella c MRN 2005 CCI 41 par 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 603

purement marginales deacutemontrent que la conclusion du contrat fut influenceacutee par le lien de deacutependance unissant les parties89 Les tacircches exeacutecuteacutees par lrsquoemployeacute doivent donc faire partie inteacutegrante de lrsquoentreprise90 Lorsque les fonctions exerceacutees dans le cadre de lrsquoemploi nrsquoont aucun lien avec les activiteacutes du payeur le statut drsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque probablement drsquoecirctre nieacute Le poste de travail ne doit pas ecirctre exclusivement creacuteeacute pour le travailleur mais doit encore une fois refleacuteter les besoins reacuteels de lrsquoemployeur91

Dans plusieurs deacutecisions lrsquoemploi dont le caractegravere assurable eacutetait contesteacute se composait essentiellement de tacircches meacutenagegraveres92 ou comptables93 Agrave lrsquooccasion le payeur soutenait qursquoil aurait eacuteteacute trop oneacutereux drsquoexiger qursquoun employeacute reacutegulier accomplisse ce travail Ainsi lrsquoemployeur avanccedilait que lrsquoembauche drsquoun employeacute uniquement pour exercer ces tacircches repreacutesentait une eacuteconomie car son taux salarial eacutetait neacutecessairement moins eacuteleveacute Cependant les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute reacuteceptifs agrave lrsquoeacutegard de cette argumentation Le caractegravere purement accessoire des tacircches amegravene donc une infeacuterence neacutegative sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi Cette derniegravere sera renforceacutee quand la preuve reacutevegravele que le poste de lrsquoemployeacute nrsquoa jamais eacuteteacute remplaceacute apregraves la deacutecision de ne pas reacuteinteacutegrer le travailleur dans lrsquoentreprise Toutefois si les tacircches du travailleur eacutetaient importantes et neacutecessaires pour le bon fonctionnement de lrsquoentreprise du payeur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre eacutetablie

89 Berthiaume c MRN [1998] CanLII 518 (CCI) par 34 90 Leblanc c MRN [2002] CanLII 838 (CCI) par 21 agrave 23 91 Agrimeacutetal inc c MRN 2008 CCI 266 par 3 92 2530-8552 inc c MRN 2005 CCI 133 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bernier c MRN

[1999] ACI no 840 par 3 (assurabiliteacute rejeteacutee) Garneau c MRN 2004 CCI 508 par 9 agrave 11 (assurabiliteacute rejeteacutee) Ross c MRN [1998] ACI no 950 par 8-9 (assurabiliteacute rejeteacutee) Savoie c MRN [1999] CanLII 547 (CCI) par 10 (assurabiliteacute rejeteacutee) Artisan en tuyauterie et speacutecialiteacutes en plomberie ATS c MRN 2003 CCI 605 par 54 agrave 57 (assurabiliteacute rejeteacutee) Latullipe c MRN 2004 CCI 567 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bellerive c MRN 2004 CCI 279 par 19 agrave 21 (assurabiliteacute accueillie) Duchesne c Canada 2005 CCI 576 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee)

93 Gauthier c MRN [2000] CanLII 25985 (CCI) par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Denis c MRN 2003 CCI 304 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Docherty preacuteciteacute note 47 par 24 (assurabiliteacute accueillie) Johnson c MRN 2011 CCI 501 par 27 (assurabiliteacute rejeteacutee) Kayal c MRN 2005 CCI 273 par 21 (assurabiliteacute rejeteacutee) Malenfant c MRN 2005 CCI 686 par 41 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 25 (assurabiliteacute rejeteacutee) Eagle Canyon Adventures preacuteciteacute note 74 par 27 (assurabiliteacute accueillie) Papineau c MRN 2004 CCI 768 par 38 (assurabiliteacute rejeteacutee)

604 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une entente eacutetablissant des tacircches dont la nature et lrsquoimportance sont indispensables pour lrsquoentreprise peut parfois prouver que les parties nrsquoont pas conclu entre elles un contrat de travail (art 2085 CcQ) mais plutocirct un contrat drsquoentreprise (art 2098 CcQ) Si la personne est lrsquolaquo acircme dirigeante raquo ou le laquo cerveau directeur raquo de lrsquoentreprise la nature de lrsquoentente concernant les tacircches exeacutecuteacutees en cette qualiteacute ne peut ecirctre celle drsquoun contrat de travail94 Le lien de subordination est la condition sine qua non pour que la relation entre les parties soit qualifieacutee de contrat de travail En cas drsquoabsence manifeste de controcircle lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne peut trouver application95 Dans ce cas lrsquoimportance et la nature des tacircches ne reacutevegravelent pas neacutecessairement que deux parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire mais plutocirct que lrsquoentente convenue ne peut tout simplement pas remplir la premiegravere condition drsquoapplication de la loi soit la preacutesence drsquoune relation employeur-employeacute Il convient de noter qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire de prouver que la partie eacutetait lrsquoacircme dirigeante de lrsquoentreprise une simple absence de subordination fait eacutechec agrave lrsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi En reacutesumeacute lrsquoimportance et la nature des tacircches constituent un critegravere bipolaire ougrave deux situations aux antipodes peuvent amener agrave la non-assurabiliteacute drsquoun emploi Selon les circonstances des tacircches minimes dans lrsquoexploitation de lrsquoentreprise peuvent compromettre le caractegravere assurable de lrsquoemploi Agrave lrsquoopposeacute des tacircches drsquoune importance capitale ne refleacutetant pas la raisonnabiliteacute des autres critegraveres vicieront eacutegalement la qualification de lrsquoassurabiliteacute Il est donc impeacuteratif de bien deacuteterminer ce critegravere en comparaison avec ce qursquoun employeacute non lieacute serait precirct agrave accepter comme conditions de travail

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS

Lrsquoexercice de tacircches non reacutemuneacutereacutees pendant lrsquoemploi et les peacuteriodes de chocircmage ont donneacute lieu agrave une jurisprudence abondante de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct Tout drsquoabord il importe de souligner que la preacutesence de tacircches beacuteneacutevoles nrsquoentraicircne pas automatiquement lrsquoexclusion drsquoun emploi des beacuteneacutefices preacutevus par la Loi sur lrsquoassurance-emploi En tenant compte de

94 Hoobanoff Logging Ltd c MRN [1999] CanLII 491 (CCI) par 40 Leliegravevre

preacuteciteacute note 54 par 47 Bergen preacuteciteacute note 36 par 63 Lepage c MRN 2008 CCI 656 par 67 Cossette c MRN 2011 CCI 482 par 21 Concernant la possibiliteacute qursquoune acircme dirigeante ait conclu un contrat de travail pour les tacircches exeacutecuteacutees en qualiteacute drsquoemployeacute de la compagnie les auteurs se reacutefegraverent aux deacutecisions Roxboro Excavation Inc c MRN [2000] CanLII 15316 (CAF) et Ventilex Inc c MRN 2005 CCI 350

95 Marcheacute Duchemin amp Fregraveres Inc c MRN 2005 CCI 274 par 12

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 605

toutes les circonstances affeacuterentes agrave la conclusion du contrat les tribunaux ont reconnu que certaines particulariteacutes peuvent faccedilonner le lien drsquoemploi unissant les parties Dans les reacutegions rurales lrsquoentraide et la solidariteacute sont des qualiteacutes plus reacutepandues Le beacuteneacutevolat au sein drsquoune entreprise situeacutee dans une petite communauteacute se pratique freacutequemment et les tribunaux sont davantage flexibles dans ces cas drsquoespegravece Comme lrsquoaffirmait avec justesse le juge Tardif dans lrsquoaffaire Marin c Canada lrsquoentraide et le beacuteneacutevolat laquo sont plus reacutepandues dans les reacutegions ougrave tout le monde se connaicirct raquo96 Cependant lrsquoultime question est de deacuteterminer si le beacuteneacutevolat est laquo un preacutetexte [hellip] pour deacutevier la Loi ou abuser du programme social de lrsquoassurance-emploi raquo97 et ce peu importe la localisation geacuteographique de lrsquoentreprise En preacutesence de tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement les tribunaux megraveneront leur analyse en fonction de cette consideacuteration

Le beacuteneacutevolat touche lrsquoensemble des critegraveres preacutevus par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE soit la reacutetribution la dureacutee et lrsquoimportance du travail exerceacute Le travail beacuteneacutevole nrsquoest pas reacutemuneacutereacute cela est axiomatique En conseacutequence le critegravere de reacutetribution ne suscite pas drsquointerrogation et les facteurs les plus pertinents sont la dureacutee du beacuteneacutevolat et son importance Il est eacutegalement possible drsquoaffirmer que le beacuteneacutevolat peut remettre en cause lrsquoexistence drsquoun reacuteel contrat de travail en raison de lrsquoabsence de lrsquoune des conditions preacutevues agrave lrsquoarticle 2085 CcQ soit la reacutemuneacuteration Par conseacutequent le beacuteneacutevolat est un critegravere sui generis puisqursquoil neacutecessite la prise en consideacuteration de lrsquoensemble des critegraveres preacutevus agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Agrave la lumiegravere drsquoune synthegravese des deacutecisions rendues par les tribunaux nous proposons une analyse composeacutee de trois eacutetapes afin de deacuteterminer si un emploi est assurable en preacutesence de lrsquoexercice de tacircches beacuteneacutevoles

Le premier volet consiste agrave deacuteterminer srsquoil y a continuiteacute dans la prestation des services lors des peacuteriodes drsquoemploi et lors des peacuteriodes de beacuteneacutevolat En preacutesence drsquoune reacuteponse positive lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi est vicieacutee et il nrsquoest pas neacutecessaire de pousser davantage lrsquoanalyse

Quant au deuxiegraveme volet il consiste agrave srsquointerroger sur lrsquoimportance pour lrsquoentreprise des tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement

Le dernier volet repose sur la quantification des tacircches beacuteneacutevoles En drsquoautres termes il faut deacuteterminer le nombre drsquoheures consacreacutees

96 [2002] ACI no 553 (laquo Marin raquo) par 29 97 Id

606 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutevolement agrave lrsquoentreprise pour ecirctre en mesure de se prononcer sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi

1) La continuiteacute dans la prestation de services vicie ipso facto le caractegravere assurable de lrsquoemploi Les tacircches beacuteneacutevoles ne doivent pas ecirctre identiques aux tacircches confieacutees agrave lrsquoemployeacute aux termes du contrat de travail unissant les parties98 Agrave maintes reprises les tribunaux ont conclu qursquoun emploi perd son caractegravere assurable si les tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement sont sensiblement les mecircmes que celles accomplies dans la peacuteriode drsquoemploi La continuiteacute dans la prestation de services amegravene ineacutevitablement laquo la conclusion que lrsquoemploi doit ecirctre exclu raquo99 des beacuteneacutefices du reacutegime Lrsquoanalyse de lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles srsquoaveacuterera neacutecessaire seulement si lrsquoeacuteleacutement de continuiteacute nrsquoest pas preacutesent

2) Concernant lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles il faut deacuteterminer si les tacircches sont accessoires ou essentielles au deacuteroulement des activiteacutes de lrsquoentreprise Si les services beacuteneacutevoles sont marginaux lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi pourra ecirctre eacutetablie selon le nombre drsquoheures consacreacutees agrave lrsquoexercice de ces tacircches Par exemple il a eacuteteacute consideacutereacute qursquoun employeacute ayant reacutepondu occasionnellement au teacuteleacutephone lorsqursquoil eacutetait sur les lieux de travail pouvait tout de mecircme beacuteneacuteficier des avantages du reacutegime100 Dans ce cas le payeur exploitait un bar et il eacutetait clair que les tacircches beacuteneacutevoles nrsquoeacutetaient pas essentielles agrave lrsquoentreprise Toutefois dans les situations ougrave les tacircches sont essentielles aux activiteacutes du payeur il sera extrecircmement difficile de soutenir que lrsquoemploi est assurable101

3) Le nombre drsquoheures consacreacutees au beacuteneacutevolat doit ecirctre eacutetabli afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere assurable de lrsquoemploi Tout drsquoabord il faut analyser si les tacircches sont exerceacutees de faccedilon reacutepeacutetitive ou ponctuelle Les tacircches beacuteneacutevoles exerceacutees agrave reacutepeacutetition ne doivent pas requeacuterir un temps substantiel Lorsque les services beacuteneacutevoles effectueacutes sont minimes et peu importants pour le fonctionnement de lrsquoentreprise la jurisprudence a deacutejagrave consideacutereacute que lrsquoemploi eacutetait assurable mecircme si les tacircches neacutecessitaient un travail de plus ou moins 10 heures par semaine102

98 Id par 35 99 Dumais c Canada 2008 CAF 301 (laquo Dumais CAF raquo) par 32 100 Moreau c MRN 2003 CCI 339 101 Marin preacuteciteacute note 96 par 29 agrave 32 102 Pareacute c MRN 2004 CCI 540 par 13 agrave 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 607

Dans lrsquoarrecirct Theacuteberge103 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a deacutecideacute qursquoun travail beacuteneacutevole avoisinant 10 heures par semaine ne viciait pas lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi La Cour a tenu compte du fait que le beacuteneacutevolat eacutetait exerceacute dans une entreprise agricole familiale et de surcroicirct en dehors de la saison active de lrsquoindustrie Nous croyons que le tribunal a fait preuve de souplesse dans son appreacuteciation de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE en raison des objectifs historiques de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant le travail saisonnier Les deacutecisions rendues posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Theacuteberge ont systeacutematiquement fait usage de cette affaire comme drsquoun baromegravetre pour deacuteterminer si le beacuteneacutevolat exerceacute devait entraicircner lrsquoexclusion de ce travail des emplois assurables Cependant dans lrsquoarrecirct Denis c Canada104 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale nrsquoa pas repris le raisonnement deacuteveloppeacute dans lrsquoarrecirct Theacuteberge105 La Cour a refuseacute de reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi puisque lrsquoemployeacute mis agrave pied avait continueacute sans reacutemuneacuteration la tenue des livres pour lrsquoemployeur le nombre drsquoheures eacutetant par ailleurs absent des motifs composant le ratio decidendi En raison de cette deacutecision nous croyons donc que les tribunaux seront davantage reacuteticents agrave reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en preacutesence de services beacuteneacutevoles En reacutesumeacute il sera tregraves difficile drsquoavancer qursquoun emploi est assurable si la preuve reacutevegravele que plus de cinq heures de beacuteneacutevolat par semaine ont eacuteteacute effectueacutees pour lrsquoemployeur et ce drsquoune faccedilon reacutepeacutetitive106 Toutefois en preacutesence de tacircches minimes marginales et effectueacutees de faccedilon ponctuelle en dehors des peacuteriodes

103 Preacuteciteacute note 46 par 27 et 28 104 2004 CAF 26 105 Preacuteciteacute note 46 106 Bernard c MRN 2010 CCI 577 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de

5 heuressem) Roy c MRN 2011 CCI 384 par 33 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 5 heuressem) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 14 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 5 heuressem) Duchesne c MRN [2000] CanLII 544 (CCI) (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de 1 heuresem) Bourgouin c MRN 2008 CCI 59 par 8 (assurabiliteacute rejeteacutee 15 heuressem) Melvin c MRN 2004 CCI 410 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) Marin preacuteciteacute note 96 par 22 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 10 heuressem) Beaulieu c Canada [1999] ACI no 234 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 8 heuressem) Tremblay c MRN [2001] ACI no 516 par 16 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 30 heuressem) Serres de la pointe Inc c Canada 2005 CCI 44 par 54 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) 2158-3331 Inc c MRN 2006 CCI 489 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 1 heuresem)

608 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoemploi le beacuteneacutevolat pris isoleacutement ne pourra faire eacutechec agrave lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi107

CONCLUSION

En deacutefinitive lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi est une question neacutecessitant un examen approfondi de la relation unissant les parties Le caractegravere assurable nrsquoest pas figeacute dans le temps et agrave tout moment un emploi jugeacute assurable pourrait faire lrsquoobjet drsquoune nouvelle deacutetermination Le statut drsquoassurabiliteacute drsquoune relation de travail entre personnes ayant un lien de deacutependance est donc preacutecaire et lrsquoemployeacute aura tout inteacuterecirct agrave veiller agrave ce qursquoil nrsquoy ait pas de modifications substantielles agrave ses conditions de travail

Nous profitons de cette occasion pour souligner un problegraveme concernant lrsquoadministration de prestations qui deacutecoulent des deacutecisions relatives agrave lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en vertu de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Comme nous lrsquoavons vu les deacutecisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu des articles 91 et 92 LAE qui portent notamment sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi peuvent faire lrsquoobjet drsquoun appel devant la Cour canadienne de lrsquoimpocirct comme le preacutevoient les articles 103 et suivants LAE Cependant lorsqursquoil srsquoagit drsquoexaminer une demande au sujet des prestations qui deacutecoulent de la deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute ou non de lrsquoemploi crsquoest la Commission de lrsquoassurance-emploi du Canada (laquo Commission raquo) qui en deacutecide si la demande est faite dans les 36 mois suivant le moment ougrave les prestations ont eacuteteacute payeacutees ou sont devenues payables108 La Commission dispose toutefois drsquoun deacutelai de 72 mois si elle estime qursquoil y a eu laquo deacuteclaration ou affirmation fausse ou trompeuse raquo109 La deacutecision de la Commission ne peut ecirctre porteacutee en appel que devant le Tribunal de la seacutecuriteacute sociale instance remplaccedilant le deacutefunt Conseil arbitral110 comme le preacutevoient les articles 114 et suivants LAE

Il est selon nous anormal qursquoun tribunal comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui dans un contexte fiscal entend des causes de reacuteouverture drsquoanneacutees drsquoimposition au-delagrave de la peacuteriode normale de nouvelle cotisation en vertu de lrsquoarticle 152 LIR et qui deacutetient donc une expertise en matiegravere de fausses deacuteclarations ne soit pas habiliteacute par la Loi sur lrsquoassurance-emploi

107 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 34 108 Par 52(1) et suiv LAE 109 Par 52(5) LAE 110 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable LC 2012 ch 19 art 247

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 609

agrave statuer sur la question du remboursement des prestations en matiegravere drsquoassurance-emploi en dehors de la peacuteriode normale de reacutevision de 36 mois Apregraves avoir entendu la preuve sur lrsquoassurabiliteacute ou non drsquoun emploi la Cour canadienne de lrsquoimpocirct disposerait de lrsquoensemble des informations neacutecessaires pour deacuteterminer lrsquoexistence ou non de deacuteclarations fausses ou trompeuses Pourtant la Cour nrsquoaura pas compeacutetence pour deacuteterminer si la Commission pouvait proceacuteder agrave un nouvel examen concernant le remboursement des prestations au-delagrave du deacutelai de 36 mois Ainsi deux procegraves devant des forums distincts avec les mecircmes intervenants devront avoir lieu pour reacutegler des questions qui sont fondamentalement rattacheacutees faisant ressortir les laquo anomalies [qui] peuvent reacutesulter du systegraveme biceacutephale eacutetabli par le leacutegislateur en matiegravere drsquoassurance-[emploi] raquo111 Le juge de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct devra statuer sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi mecircme srsquoil sait pertinemment qursquoil y a absence de deacuteclarations fausses ou trompeuses et que par conseacutequent en dehors du deacutelai de 36 mois la Commission ne pourrait pas exiger le remboursement des prestations si lrsquoemploi est jugeacute non assurable

Agrave cet effet il arrive que les juges sans avoir la juridiction neacutecessaire pour le faire estiment non justifieacutee lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute sur le trop-payeacute de prestations pour de soi-disant fausses deacuteclarations

laquo [39] Conseacutequemment il nrsquoy avait pas lieu de peacutenaliser lrsquoappelante drsquoougrave je recommande tregraves fortement que son dossier fasse lrsquoobjet drsquoune reacutevision administrative pour qursquoil soit tenu compte de cette absence de mauvaise foi et de ce qui mrsquoapparaicirct ecirctre une exageacuteration grossiegravere eu eacutegard aux faits et circonstances entourant ce dossier

[40] Je suis cependant conscient que cette recommandation deacuteborde la juridiction qui mrsquoest attribueacutee ce qui mrsquoempecircche de pouvoir conclure de maniegravere coercitive112 raquo

Pour reprendre les propos du juge en chef Rip de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct nous sommes drsquoavis qursquolaquo [i]deacutealement la Cour devrait ecirctre un ldquoguichet uniquerdquo pour les personnes qui veulent intenter une action en vertu de la Loi raquo113 Bien que ces propos aient eacuteteacute tenus dans le cadre drsquoune affaire portant sur la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu nous sommes drsquoavis qursquoils sont eacutegalement drsquoactualiteacute en matiegravere drsquoassurance-emploi En eacuteliminant la

111 Universiteacute Laval c Canada (Ministre du revenu national) 2002 CAF 171 par 11 112 Poirier c Canada [2001] CanLII 952 (CCI) par 39-40 113 Tozzi c La Reine 2010 CCI 545 par 13

610 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multipliciteacute des recours une eacuteconomie des ressources judiciaires srsquoensuivrait Il est regrettable que le leacutegislateur feacutedeacuteral nrsquoait pas agi en ce sens lors de la reacuteforme du reacutegime de lrsquoassurance-emploi en 2012114 Une modification agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi agrave cet effet serait profitable autant pour les prestataires de lrsquoassurance-emploi que pour lrsquoEacutetat

114 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable preacuteciteacute note 110

LrsquoASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE

NATURE ET MISSION DE LrsquoORGANISME

LrsquoAPFF est un organisme agrave but non lucratif indeacutependant et non gouvernemental deacutedieacute agrave lrsquoavancement et agrave la diffusion des connaissances ainsi qursquoagrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences de ses membres en matiegravere de fiscaliteacute LrsquoAPFF reacuteunit des professionnels de disciplines diverses issus de tous les secteurs drsquoactiviteacutes de lrsquoeacuteconomie

EFFECTIFS

LrsquoAPFF regroupe des professionnels issus de diffeacuterentes disciplines principalement des comptables avocats conseillers en seacutecuriteacute financiegravere notaires et planificateurs financiers De plus elle reacutepond aux besoins des eacuteconomistes administrateurs agreacuteeacutes conseillers en placement banquiers et actuaires de mecircme qursquoagrave ceux de toute personne inteacuteresseacutee directement ou indirectement au domaine de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF compte plus de 2 500 membres

ACTIVITEacuteS DE FORMATION

LrsquoAPFF organise dans quatre reacutegions administratives du Queacutebec des seacuteminaires colloques symposiums et autres confeacuterences animeacutes par des confeacuterenciers chevronneacutes sur toutes les dimensions de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF donne eacutegalement agrave raison de deux sessions par anneacutee des cours en fiscaliteacute (Impocirct des socieacuteteacutes ndash seacuterie 1 Acquisition et reacuteorganisation corporative ndash seacuterie 2 Planification fiscale et financiegravere ndash seacuterie 3 Gestion du patrimoine fiscal et financier ndash seacuterie 4 TPS et TVQ ndash seacuterie 5 Fiscaliteacute internationale ndash seacuterie 6 incluant volumes et service de mise agrave jour dans chacun des cas) Ces cours sont eacutegalement offerts en ligne

En octobre lrsquoAPFF tient son congregraves annuel de trois jours en alternance entre Montreacuteal Queacutebec et Gatineau

PUBLICATIONS

LrsquoAPFF publie annuellement de nombreux ouvrages couvrant tous les aspects de la planification fiscale successorale et financiegravere

Les membres de lrsquoAPFF reccediloivent eacutelectroniquement depuis 2010 la Revue de planification fiscale et financiegravere le Livre du Congregraves ainsi que le magazine Strategravege Le reacutesumeacute des budgets des gouvernements du Queacutebec et du Canada est preacutesenteacute sur le site Internet de lrsquoAPFF le lendemain des budgets

Un bulletin drsquoinformation consacreacute agrave lrsquoactualiteacute fiscale le Flash fiscal maintenant compris avec lrsquoadheacutesion est publieacute environ 20 fois par anneacutee habituellement toutes les deux semaines Des numeacuteros speacuteciaux paraissent eacutegalement agrave lrsquooccasion du congregraves annuel

Toutes les publications de lrsquoAPFF depuis sa fondation sont eacutegalement reacutepertorieacutees dans un recueil intituleacute Liste des publications

Depuis octobre 1998 un service drsquoinformation fiscale eacutelectronique la Collection de lrsquoAPFF est offert par Internet Cette collection preacutesente la documentation eacutemise par lrsquoAPFF (depuis 1991 les textes des congregraves des colloques de la Revue de planification fiscale et financiegravere et depuis 2002 les textes du magazine Strategravege et des cours en fiscaliteacute des seacuteries 3 et 4) La Collection de lrsquoAPFF est maintenant commercialiseacutee par Carswell une socieacuteteacute Thomson par Knotia et par Publications CCH lteacutee et est vendue par abonnement

ADHEacuteSION

Toute personne qui deacutesire devenir membre de lrsquoAPFF peut le faire en se rendant sur le site Internet de lrsquoAPFF (wwwapfforg)

MEMBRES CORPORATIFS DE LrsquoAPFF

LrsquoAPFF accueille agrave titre de membres corporatifs pregraves de 70 entreprises provenant de diffeacuterents secteurs drsquoactiviteacutes et ordres professionnels

Toutes les entreprises deacutesirant participer agrave lrsquoessor de la planification fiscale et financiegravere peuvent le faire en adheacuterant agrave lrsquoAPFF par une contribution de 1 300 $ + taxes annuellement sous forme de cotisation de membre corporatif agrave lrsquoAPFF

SIEgraveGE SOCIAL DE LrsquoAPFF

Le siegravege social de lrsquoAPFF est situeacute au 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal Queacutebec H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ou (sans frais) 1 877 866-2733 Internet wwwapfforg ndash Courriel apffapfforg

LrsquoAPFF SE VEUT UN PHARE DE PROGREgraveS DANS LE DOMAINE DE LA PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE POUR

LrsquoENSEMBLE DE LA COMMUNAUTEacute

CONSEIL DrsquoADMINISTRATION 2012-2013

Preacutesident du conseil Reneacute Roy avocat CPA CA associeacute Fasken Martineau DuMoulin sencrl srl

Vice-preacutesident Alain Meacutenard avocat BA MBA associeacute Cain Lamarre Casgrain Wells sencrlAvocats

Treacutesorier Steacutephane Leblanc CPA CA associeacute fiscaliteacute Ernst amp Young srlsencrl

Secreacutetaire Martin Lord avocat M Fisc JD TEP associeacute fiscaliteacute Robinson Sheppard Shapiro sencrl Avocats

Preacutesident sortant Maurice Freacutechette CPA CGA Power Corporation du Canada

Membres Annette Beshwaty CPA CGA KPMG srlsencrl Eacuteric Brassard CPA CA Pl Fin associeacute Brassard Goulet Yargeau Services financiers inteacutegreacutes Yves Coallier BAA Fin Intrsquol M Fisc preacutesident GCI inc ǀ Gallant amp Associeacutes sencrl Andreacutee Couture BAA AVA Pl Fin FLMI Conseils PPI Benoicirct Desjardins CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Deloitte sencrl Suzanne Landry Ph D M Fisc FCPA FCA FCMA HEC Montreacuteal Bernard Poulin CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl Diane Tsonos avocate TEP associeacutee fiscaliteacute Richter

Preacutesident-directeur geacuteneacuteral Maurice Mongrain avocat APFF

MEMBRES CORPORATIFS APFF

AGENCE DU REVENU DU CANADA

ALMA CONSULTING GROUP CANADA INC

ALTRO LEVY SENCRL

ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES DrsquoASSURANCES DE PERSONNES INC

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

BANQUE NATIONALE GESTION PRIVEacuteE 1859

BDO CANADA SRLSENCRL

BELL CANADA

BLUE BRIDGE

BMO BANQUE PRIVEacuteE HARRIS

BMO SOCIEacuteTEacute DrsquoASSURANCE-VIE

BOILY HANDFIELD CA

BRASSARD GOULET YARGEAU SERVICES FINANCIERS INTEacuteGREacuteS

CANADIEN NATIONAL

CARSWELL UNE SOCIEacuteTEacute THOMSON REUTERS

CENTRE QUEacuteBEacuteCOIS DE FORMATION EN FISCALITEacute ndash CQFF INC

CHAMBRE DE LA SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE

CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUEacuteBEC

CIRQUE DU SOLEIL

CONSEILS PPI

DELOITTE SENCRL

DEMERS BEAULNE SENCRL

DENTONS CANADA SENCRL

DESJARDINS SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE ndash MONTREacuteAL

DUFOUR CHARBONNEAU BRUNET amp ASSOCIEacuteS INC COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS

DYNAVISIONRS amp DE

EKITAS

ENGEL CHEVALIER ndash PROTECTION DU PATRIMOINE

ERNST amp YOUNG SRLSENCRL

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN SENCRL SRL

FEacuteDEacuteRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUEacuteBEC

FINALTA CAPITAL CII-ITC INC

FINANCIEgraveRE MANUVIE

FINANCIEgraveRE SUN LIFE

FISC-CAP SERVICES CONSEILS INC

FONDAFIP

GALLANT amp ASSOCIEacuteS SENCRL

GAZ MEacuteTRO

GESTION PLACEMENTS DESJARDINS

GESTION PRIVEacuteE DE PATRIMOINE CIBC

GROUPE CLOUTIER INC

GROUPE FINANCIER MULTI COURTAGE INC

HARDY NORMAND amp ASSOCIEacuteS SENCRL

INDUSTRIELLE ALLIANCE ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC

INOVEX CONSEILS INC

INSTITUT QUEacuteBEacuteCOIS DE PLANIFICATION FINANCIEgraveRE (IQPF)

INTACT CORPORATION FINANCIEgraveRE

INVESTISSEMENT QUEacuteBEC

INVESTISSEMENTS MANUVIE

KPMG SRLSENCRL

LA CAPITALE ASSURANCES MFQ INC

LA COMPAGNIE DrsquoASSURANCE DU CANADA SUR LA VIE

LA COOP FEacuteDEacuteREacuteE

LAVERY

LEMIEUX CANTIN SENCRL

LEMIEUX NOLET COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS SENCRL

MALLETTE SENCRL

MNP SENCRL SRL

OPTION FORTUNE CABINET DE SERVICES FINANCIERS

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS DU QUEacuteBEC

OSLER HOSKIN amp HARCOURT SENCRLSRL

PETRIE RAYMOND CPA SENCRL

POWER CORPORATION DU CANADA

PREMTEC ndash GEacuteNIE-CONSEIL EN CREacuteDITS DrsquoIMPOcircT DE RS amp DE

PUBLICATIONS CCH LTEacuteE

PWC

RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON SENCRL

RICHARDSON GMP LTEacuteE

RICHTER

RIO TINTO CANADA

SERVICES DE GESTION DE PATRIMOINE RBCDOMINION VALEURS MOBILIEgraveRES

TE MIRADOR

TROWBRIDGE PROFESSIONAL CORPORATIONCABINET DE FISCALITEacute

UNIVERSITEacute DE MONTREacuteAL ndash DIVISION DES DONS MAJEURS ET PLANIFIEacuteS

VILLENEUVE VENNE SENCRL

  • Revue de planification fiscale et financiegravere
  • COMITEacute DE LA REVUE
  • POLITIQUE EacuteDITORIALE
  • SOMMAIRE
  • LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES
  • TABLE DES MATIEgraveRES
Page 4: pages debut 33-3

COMITEacute DE LA REVUE PREacuteSIDENTE

Chantal Jacquier avocate LL M COORDONNATRICE

Diane Gagnon avocate Directrice de lrsquoeacutedition APFF MEMBRES

Marie-Pierre Allard avocate M Fisc Professeure titulaire Faculteacute drsquoadministration Universiteacute de Sherbrooke

Kathleen Comeau M Fisc Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

Christiane Maurice avocate LLM fisc Richter

Michel Ostiguy avocat LL B M Fisc

Dave Santerre CPA CA LLM fisc PwC

Hugo Tremblay CPA CA KPMG srlsencrl

Julie Heacutelegravene Tremblay avocate M Fisc Dufour Charbonneau Brunet amp Associeacutes inc Comptables professionnels agreacuteeacutes

Jean-Pierre Vidal CPA CA Ph D Professeur agreacutegeacute HEC Montreacuteal MEMBRE DrsquoOFFICE Maurice Mongrain avocat Preacutesident-directeur geacuteneacuteral APFF

POLITIQUE EacuteDITORIALE

La Revue est geacuteneacuteralement publieacutee quatre fois par anneacutee et est distribueacutee agrave tous les membres de lrsquoAPFF Elle preacutesente des textes qui contribuent agrave lrsquoavancement des connaissances et agrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences en matiegravere fiscale et financiegravere Ses lecteurs sont des experts chevronneacutes avocats notaires experts-comptables eacuteconomistes et autres professionnels

Les textes soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue ne doivent pas avoir eacuteteacute publieacutes ailleurs ni ecirctre soumis agrave un autre eacutediteur sauf exception et selon entente entre lrsquoAPFF et un autre eacutediteur Ils doivent ecirctre non seulement ineacutedits mais aussi drsquoune grande rigueur Ils sont soumis agrave titre gracieux au beacuteneacutefice de lrsquoAPFF Tout texte soumis doit ecirctre reacutedigeacute en franccedilais Il ne doit normalement pas deacutepasser 17 500 mots (environ 35 pages) Il est recommandeacute de suivre le guide de preacutesentation des textes de lrsquoAPFF

Les textes soumis font lrsquoobjet drsquoune double lecture agrave lrsquoaveugle lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur nrsquoest pas connue des reacuteviseurs au moment de lrsquoeacutevaluation Bien que certains reacuteviseurs ad hoc puissent aussi ecirctre consulteacutes les reacuteviseurs sont geacuteneacuteralement choisis parmi les membres du comiteacute de la Revue

Un texte soumis pour une eacuteventuelle publication dans la Revue peut ecirctre

1) accepteacute drsquoembleacutee

2) accepteacute apregraves que lrsquoauteur eut apporteacute les modifications requises par le preacutesident du comiteacute sur lrsquoavis des reacuteviseurs

3) refuseacute

Lrsquoauteur dont le texte est accepteacute pour publication doit soumettre un reacutesumeacute de 200 agrave 300 mots en franccedilais et en anglais (preacutecisabstract)

Les textes accepteacutes sont ensuite revus et corrigeacutes par le service drsquoeacutedition de lrsquoAPFF conformeacutement aux normes de preacutesentation de lrsquoAPFF pour leur publication dans la Revue

Toute personne inteacuteresseacutee agrave publier dans la Revue de planification fiscale et financiegravere est inviteacutee agrave soumettre un texte agrave lrsquoAPFF et agrave communiquer agrave cet effet avec Me Diane Gagnon directrice de lrsquoeacutedition et coordonnatrice du comiteacute de la Revue par teacuteleacutephone au 514 866-2733 (poste 209) ou sans frais au 1 877 866-2733 (poste 209) ou agrave lrsquoadresse eacutelectronique suivante gagnondapfforg

SOMMAIRE

Vol 33 no 3 2013

Le casse-tecircte de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees le principe de pleine concurrence au XXIe siegravecle Gilles Larin et Sylvie Beaulieu 429

Dans quelle mesure les socieacuteteacutes deacutetenues

par les bandes indiennes beacuteneacuteficient-elles drsquoune exemption fiscale Pierre Brosseau 527

Bourse Jacques-Cocircteacute ndash

Lrsquoeffet du lien de deacutependance sur lrsquoassurabiliteacute dans le cadre de la Loi sur lrsquoassurance-emploi synthegravese des critegraveres applicables Alex Boisvert et Maxime Dupuis 583

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 429

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION

INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE

Gilles Larin Ph D Professeur

Deacutepartement de fiscaliteacute Faculteacute drsquoadministration

Universiteacute de Sherbrooke et Titulaire de la Chaire de recherche

en fiscaliteacute et en finances publiques de lrsquoUniversiteacute de Sherbrooke

et Sylvie Beaulieu

Notaire M Fisclowast Revenu Queacutebec

lowast Me Beaulieu eacutetait professionnelle de recherche agrave la CFFP lors de la reacutealisation de

cette eacutetude Les opinions exprimeacutees nrsquoengagent que les auteurs ces derniers assumant lrsquoentiegravere responsabiliteacute des commentaires et des interpreacutetations figurant dans cette eacutetude et ne repreacutesentent en aucune faccedilon celles de Revenu Queacutebec

430 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

PREacuteCIS

Les principes de la fiscaliteacute internationale ont eacuteteacute eacutetablis en fonction drsquoun monde eacuteconomique dont la nature a aujourdrsquohui consideacuterablement changeacute du fait notamment de la croissance de la mondialisation ainsi que du deacuteveloppement des systegravemes de communication sophistiqueacutes et de la technologie de lrsquoinformation Il en reacutesulte que lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux fins de fixer les prix de cession interne transfrontaliers entre les socieacuteteacutes lieacutees drsquoune entreprise multinationale hautement inteacutegreacutee constitue maintenant un deacutefi tant pour les administrations fiscales des pays deacuteveloppeacutes et des pays en deacuteveloppement que pour les entreprises multinationales Cette eacutetude rend compte de lrsquoeacutetat de la question sur lrsquoanachronisme preacutetendu du principe de pleine concurrence comme norme internationale de reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoune entreprise multinationale En particulier elle retrace lrsquoeacutevolution historique de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et traite de la technicisation du concept dans les guides interpreacutetatifs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE En outre elle met en lumiegravere les aspects theacuteorique juridique et politique du deacutebat controverseacute relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence et son remplacement eacuteventuel par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Pour terminer lrsquoeacutetude discute des efforts consentis par lrsquoOCDE pour adapter les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence au contexte du commerce international moderne Les auteurs concluent que faute drsquoune meilleure solution de rechange la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence est requise mais ne pourra avoir lieu que si elle est guideacutee par un esprit de pragmatisme similaire agrave celui qui animait dans les anneacutees 1930 1940 et 1950 les administrations fiscales nationales

ABSTRACT

World economic events were quite different when the armrsquos length principle was established in international taxation Since those times international trade especially within related groups of companies has grown at an unprecedented rate It was fueled by instantaneous communication and forever evolving information technologies As a consequence the application of the armrsquos length principle in order to set internal pricing between highly integrated companies at home and abroad often referred to as a multinational enterprise (MNE) has provided a serious challenge This is true for tax administrations worldwide both in developed and emerging countries while planning and compliance has for its part created substantial burdens for MNEs This article addresses the issue as to whether the

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 431

opponents of the armrsquos length principle are on firm grounds when they assert that the principle is supposedly ill-suited to the current times In particular the article reviews in detail the historical trends which were present in the evolution of the principle through the theoretical models of the OECD and United Nations bilateral tax treaties It also illustrates how the principle came to be moored in ever increasing technicalities throughout the interpretive guidelines developed by the OECD It also brings forward the theoretical judicial and political aspects of the controversy generated by those who argued that the armrsquos length principle should be thrown out and rapidly replaced by some version of a global distribution of profits using a predetermined mathematical formula Furthermore the article shows the energy deployed by the OECD to adapt the armrsquos length principle to current standards of international trade The authors conclude that failing any better solution what is required is for the OECD to continue refining how the armrsquos length principle should be applied This option is however unlikely to succeed unless it is inspired by the pragmatic spirit present throughout national tax administrations in the 1930s 1940s and the 1950s

432 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 435

Premiegravere partie ndash Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor dune norme internationale

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 439

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL 441

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935 448

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE MOITIEacute DU XXE

SIEgraveCLE 453

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE (1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES EacuteTATS-UNIS 454

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU (1980) 458

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES 462

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS 463 311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE 463 312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE 466 313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE 469

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT 472 321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes

directrices de lrsquoOCDE 473 322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de

lrsquoONU 474

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 433

Deuxiegraveme partie ndash Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour dune norme internationale

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES 479

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES CRITIQUES ET DES CONJECTURES 481 411 Les failles du concept de pleine concurrence selon

les acteurs de la controverse 482 412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse 486

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES INCERTITUDES 490 421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence

comme norme de reacutefeacuterence 490

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE 494

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS 495 511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial

et leacutegislatif 495 512 La persistance du rejet international de la reacutepartition

globale des beacuteneacutefices 498 52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA CONJONCTURE ACTUELLE 502 521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les

eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial 502

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes 504

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU 508

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION 508

434 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international 509

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication 511

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES 516 621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international 517 622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale 522

CONCLUSION 524

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 435

INTRODUCTION

Domaine eacuteminemment mysteacuterieux pour le grand public la deacutetermination des prix de transfert nrsquoa longtemps souleveacute lrsquointeacuterecirct que drsquoun cercle restreint de professionnels de la fiscaliteacute internationale speacutecialiseacutes en la matiegravere Malgreacute sa consideacuterable complexiteacute il nrsquoen constitue pas moins un sujet de grande actualiteacute Les noms de Google Apple Dole Starbucks Glaxo et Pfizer font agrave preacutesent la manchette des pages eacuteconomiques de la presse eacutecrite internationale y compris celles des revues de prestige Depuis quelques anneacutees deacutejagrave les meacutedias de presse reacuteveillent les esprits en deacutevoilant au grand jour quelques strateacutegies drsquooptimisation fiscale deacuteployeacutees par les entreprises multinationales pour minimiser leur fardeau fiscal mondial

La description de ces strateacutegies ingeacutenieuses en geacuteneacuteral parfaitement leacutegales attire et retient lrsquoattention drsquoun lectorat souvent indigneacute Les journalistes deacutetaillent la mise en place de structures et de formes organisationnelles complexes conccedilues pour reacutepartir et coordonner les activiteacutes internationales notamment des filiales reacutesidant dans des pays qui servent de refuges fiscaux De plus ces strateacutegies comportent la conclusion drsquoententes contractuelles concernant les risques assumeacutes et les fonctions exerceacutees par les socieacuteteacutes membres des entreprises multinationales drsquoougrave les risques de manipulations des prix de transfert

Mais que sont au juste les prix de transfert Bien qursquoils soient souvent deacutefinis par les meacutedias comme une technique de planification fiscale ils deacutesignent plutocirct en fait les prix convenus agrave lrsquooccasion des cessions internes de biens et de services entre des socieacuteteacutes qui sont assujetties agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices par des pays diffeacuterents et qui sont membres drsquoune mecircme entreprise multinationale Les administrations fiscales eacutevaluent les prix de transfert des entreprises multinationales agrave lrsquoaune de prix hypotheacutetiques soit ceux qui auraient eacuteteacute convenus par des socieacuteteacutes transigeant agrave distance dans des transactions similaires Le concept theacuteorique internationalement accepteacute qui reacutegit les rajustements des prix de transfert des transactions transfrontaliegraveres effectueacutees entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale est appeleacute laquo principe de pleine concurrence raquo

Quelques auteurs expriment lrsquoopinion que le principe de pleine concurrence lrsquoun des concepts cleacutes du systegraveme actuel de la fiscaliteacute internationale des entreprises consiste en un concept totalement deacutepasseacute

436 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

voire anachronique1 Dans la litteacuterature fiscale un certain courant de penseacutee remet en question lrsquoutilisation du principe de pleine concurrence agrave lrsquoeacutechelon international et parallegravelement envisage mecircme son remplacement par un concept jugeacute plus moderne soit la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Nous proposons drsquoexplorer ici lrsquohypothegravese de travail sous-tendant ce courant de penseacutee et drsquoen examiner les aspects theacuteorique juridique et politique Vu lrsquoenvergure du sujet lrsquoeacutetude se limite agrave deacuteterminer dans le contexte preacutecis de la reacutepartition des beacuteneacutefices reacutesultant des transactions intersocieacuteteacutes au sein des entreprises multinationales agrave lrsquoexclusion des eacutetablissements stables si le principe de pleine concurrence est toujours un principe adeacutequat au XXIe siegravecle pour fixer les prix de transfert

Dans la premiegravere partie de lrsquoeacutetude nous preacutesentons un panorama de la genegravese de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit fiscal international public et mettons en eacutevidence lrsquoinfluence importante exerceacutee par les Eacutetats-Unis sur cet essor Nous analysons agrave cette fin les phases du deacuteveloppement du texte de lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale Puis nous eacutetudions les instruments et les outils fiscaux eacutelaboreacutes agrave compter des anneacutees 1960 par les organisations internationales dans le but de preacuteciser srsquoils tiennent ou non pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative

Dans la deuxiegraveme partie nous passons en revue les arguments de la controverse ameacutericaine autour du principe de pleine concurrence2 En plus drsquoexposer les failles conceptuelles du principe de pleine concurrence nous 1 Dans lrsquoarticle intituleacute laquo The Unitary Method and the Myth of Armrsquos Length raquo (1986)

30 Tax Notes 625 (LexisNexis) Stanley I LANGBEIN affirme agrave la page 596 que laquo there is general agreement that armrsquos-length is an anachronism either because of a change in the nature of international business or because it served political purposes that are guarded against political dangers that are no longer potent forces in the world economy raquo Voir aussi Kerrie SADIQ laquo The Traditional Rationale of the Armrsquos Length Approach to Transfer Pricing minus Should the Separate Accounting Model Be Maintained for Modern Multinational Entities raquo (2004) vol 7 no 2 Journal of Australian Taxation 196 (en ligne httpwwwbusecomonasheduaubltjat2004-issue2-sadiqpdf) p 232 Joann M WEINER laquo Itrsquos Time to Adopt Formulary Apportionment raquo (2009) Worldwide Tax Daily 173-17 (Tax Analysts)

2 La preacutesente eacutetude ne traitant le principe de pleine concurrence que du point de vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays dans le monde ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 437

scrutons les reacutepercussions de cette controverse sur le consensus international en faveur du principe de pleine concurrence comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale En particulier nous nous questionnons sur la possibiliteacute pour un pays signataire de conventions fiscales calqueacutees sur les modegraveles theacuteoriques drsquoadopter unilateacuteralement dans une leacutegislation fiscale nationale une norme autre que le principe de pleine concurrence Nous discutons eacutegalement de la vraisemblance ou non de lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus international sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie eu eacutegard au contexte eacuteconomique mondial actuel Enfin nous eacutenumeacuterons quelques esquisses de solutions afin de moderniser les regravegles sur les prix de transfert

Premiegravere partie minus Le concept de pleine concurrence la genegravese de lrsquoessor drsquoune norme internationale

Lrsquohistoire des prix de transfert transfrontaliers deacutebute agrave peu de choses pregraves voilagrave presque un siegravecle avec la creacuteation de la Socieacuteteacute des Nations (laquo SDN raquo)3 et de la Chambre de commerce internationale (International Chamber of Commerce)4 Un groupe influent de chefs drsquoentreprises membres de lrsquoInternational Chamber of Commerce pousse alors la nouvelle organisation internationale qui regroupe au deacutebut 42 pays membres5 principalement des pays deacuteveloppeacutes agrave se pencher sur un problegraveme commenccedilant agrave poindre au lendemain de la Premiegravere Guerre mondiale la double imposition potentielle des entreprises multinationales engendreacutee par lrsquoasymeacutetrie des systegravemes drsquoimposition nationaux6 Le problegraveme de

3 Le pacte constitutif de la SDN est incorporeacute dans la partie I du Traiteacute de Versailles

28 juin 1919 Paris Berger-Levrault 1922 pp 1-22 lequel a eacuteteacute conclu entre les pays allieacutes et lrsquoAllemagne pour mettre fin agrave la Premiegravere Guerre mondiale Ce traiteacute et ce pacte ont pris effet le 10 janvier 1920 Agrave ce propos consulter en ligne httpwwwunogch80256EDD006B8954(httpAssets)B8138644CCCD10BEC1256F3400484CA3$filesdn_chronologiepdf

4 Fondeacutee agrave Paris en 1919 lrsquoInternational Chamber of Commerce consiste en une organisation mondiale des entreprises Pour un bref historique de cette organisation voir en ligne httpiccwboorgabout-icchistorythe-merchants-of-peace

5 Voir en ligne httpcyberschoolbusunorgunintrounintro3htm et Traiteacute de Versailles preacuteciteacute note 3 p 22 Bien que lrsquoideacutee de creacuteer la SDN ait eacuteteacute lanceacutee par le preacutesident ameacutericain Woodrow Wilson les Eacutetats-Unis nrsquoy ont jamais adheacutereacute puisque le Seacutenat ameacutericain nrsquoa pas ratifieacute le Traiteacute de Versailles Sur ce point consulter en ligne httpwwwsenategovreferencereference_itemVersailleshtm

6 Les textes des reacutesolutions preacutesenteacutees par lrsquoInternational Chamber of Commerce lors de la Confeacuterence financiegravere internationale organiseacutee par la SDN agrave Bruxelles en 1920 en

(agrave suivrehellip)

438 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale devient vite une preacuteoccupation importante de la SDN car les entreprises multinationales ameacutericaines et europeacuteennes tendent de plus en plus agrave utiliser durant la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres des filiales eacutetrangegraveres pour acceacuteder aux marcheacutes exteacuterieurs7 Bien que certains Eacutetats recourent deacutejagrave agrave des conventions fiscales internationales pour reacutepartir les revenus des entreprises dont les activiteacutes sont exerceacutees dans plus drsquoun pays lrsquousage de telles conventions demeure encore peu reacutepandu dans le monde8

Degraves 1921 le Comiteacute financier formeacute par la SDN confie agrave quatre eacuteconomistes le mandat de reacutealiser une eacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition Appeleacutes agrave deacuteterminer si notamment des principes geacuteneacuteraux peuvent ecirctre formuleacutes comme fondement drsquoune convention fiscale internationale pour eacuteliminer les conseacutequences neacutefastes de la double imposition les professeurs universitaires Bruins Einaudi Seligman et Stamp se gardent dans le rapport publieacute en 19239 de recommander un critegravere en particulier pour diviser les beacuteneacutefices geacuteneacutereacutes par les activiteacutes exerceacutees dans plusieurs Eacutetats Prudents ils suggegraverent plutocirct drsquoexaminer au preacutealable lrsquoexpeacuterience pratique des pays qui appliquent deacutejagrave

(hellipsuite)

font foi LEAGUE OF NATIONS Brussels Financial Conference 1920 The Recommendations and their Application A Review After Two Years C10M71923II Genegraveve 1922 annexe 1 p 228

7 John H DUNNING et Sarianna M LUNDAN Multinational Enterprises and the Global Economy 2e eacuted Northampton Edward Elgar 2008 pp 735-737

8 Notamment lrsquoAutriche la Tcheacutecoslovaquie la Hongrie lrsquoItalie la Pologne le Royaume des Serbes Croates et Slovegravenes ainsi que la Roumanie agrave savoir les pays neacutes agrave la suite de la dislocation apregraves la Premiegravere Guerre mondiale de lrsquoEmpire austro-hongrois et les pays signataires en 1921 de la convention fiscale multilateacuterale de Rome Agrave ce sujet voir Double Taxation and Tax Evasion Report and Resolutions Submitted by the Technical Experts to the Financial Committee of the League of Nations F212 Genegraveve 1925 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 4 1962 pp 4071-4072 (HeinOnline) La premiegravere convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition a drsquoailleurs eacuteteacute conclue entre lrsquoEmpire austro-hongrois et la Prusse degraves 1899 Sur ce point consulter Sunita JOGARAJAN laquo Prelude to the International Tax Treaty Network 1815-1914 Early Tax Treaties and the Conditions for Action raquo (2011) vol 31 no 1 Oxford Journal of Legal Studies 679 pp 690 et suiv (HeinOnline Law Journal Library)

9 LEAGUE OF NATIONS Economic and Financial Commission Report on Double Taxation submitted to the Financial Committee by Professors Bruins Einaudi Seligman and Sir Josiah Stamp Genegraveve Imp Atar 1923

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 439

des critegraveres de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices avant de fixer ceux-ci dans un modegravele de convention fiscale internationale10

1 LES TRAVAUX PREacuteCURSEURS DE LA SOCIEacuteTEacute DES NATIONS PREMIEgraveRE MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

Les tout premiers modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales eacutelaboreacutes par la SDN ne renferment aucune meacutethode speacutecifique de reacutepartition comptable des beacuteneacutefices pour les eacutetablissements stables ni pour les socieacuteteacutes lieacutees11 Contrairement au projet de convention fiscale bilateacuterale preacutesenteacute en 192712 les modegraveles approuveacutes en 192813 nrsquoassimilent plus les socieacuteteacutes lieacutees agrave des eacutetablissements stables mais ils sont muets quant agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices de celles-ci Ainsi lrsquoarticle 514 qui ne srsquoapplique qursquoaux beacuteneacutefices

10 Id pp 52-53 La courte liste des critegraveres de reacutepartition recenseacutes dans lrsquoaddenda au

rapport soit la valeur des ventes le capital total investi dans chaque pays lrsquoinventaire total dans chaque pays la valeur totale des biens immobiliers et les salaires et deacutepenses drsquoun eacutetablissement deacutenote agrave premiegravere vue la tendance naturelle des pays agrave attribuer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide drsquoune formule matheacutematique comportant au moins un facteur

11 Il srsquoagit bien entendu drsquoune omission intentionnelle Voir LEAGUE OF NATIONS Report to the Council on the Fourth Session of the Committee C399M2041933IIA Genegraveve 1933 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 p 4242 (HeinOnline)

12 Les alineacuteas 1 3 et 4 de lrsquoarticle 5 reacutedigeacute par le Comiteacute drsquoexperts techniques sur la double imposition introduisent respectivement le concept drsquoeacutetablissement stable lrsquoideacutee de la reacutepartition des revenus selon la source et la tenue implicite drsquoune comptabiliteacute distincte agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables tandis que lrsquoalineacutea 2 preacutevoit notamment que les laquo affiliated companies [hellip] shall be regard as permanent establishments raquo Voir LEAGUE OF NATIONS Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the Committee of Technical Experts on Double Taxation and Tax Evasion C216M851927II Genegraveve 1927 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4124-4125 (HeinOnline)

13 Vu lrsquoabsence drsquouniformiteacute des diffeacuterents systegravemes fiscaux les modegraveles incluent trois variantes soit les textes Ia Ib et Ic selon que les pays preacutelegravevent ou non des impocircts reacuteels (impersonal taxes) et des impocircts personnels (personal taxes) Voir LEAGUE OF NATIONS General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion Double Taxation and Tax Evasion Report Presented by the General Meeting of Government Experts on Double Taxation and Tax Evasion C562M1781928II Genegraveve 1928 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4161-4175 (HeinOnline)

14 Texte Ia id p 4162

(agrave suivrehellip)

440 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gagneacutes par les eacutetablissements stables se limite agrave eacutenoncer que lorsque les succursales nrsquoont pas de comptes comptables distincts de ceux de la socieacuteteacute megravere les Eacutetats contractants dans lesquels une entreprise possegravede un eacutetablissement stable doivent convenir entre eux des regravegles de la reacutepartition des beacuteneacutefices Or comme ces regravegles peuvent suivant les commentaires reacutedigeacutes par la SDN relativement agrave lrsquoarticle 5 du modegravele Ia ecirctre baseacutees entre autres sur le capital investi et les salaires verseacutes15 elles leacutegitiment ouvertement du moins agrave lrsquoeacutegard des eacutetablissements stables la reacutepartition par les administrations fiscales des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique simple

Quoi qursquoil en soit crsquoest en 1930 que la proposition drsquoune enquecircte sur le terrain formuleacutee sept ans auparavant par les universitaires auteurs de lrsquoeacutetude theacuteorique sur les conseacutequences eacuteconomiques de la double imposition devient reacutealiteacute16 Du coup lrsquoeacutelan initial agrave lrsquoeacutemergence du concept de pleine concurrence dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales au XXe siegravecle est donneacute Incorporeacutees pendant les anneacutees 1930 et 1940 dans les modegraveles eacutelaboreacutes par la SDN les dispositions speacutecifiques concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees seront reprises par lrsquoOrganisation

(hellipsuite)

laquo Article 5

Income not referred to in Article 7 from any industrial commercial or agricultural undertaking and from any other trades or professions shall be taxable in the State in which the permanent establishments are situated

The real centres of management branches mining and oilfields factories workshops agencies warehouses offices depots shall be regarded as permanent establishments [hellip]

Should the undertaking possess permanent establishments in both Contracting States each of the two States shall tax the portion of the income produced in its territory The competent administrations of the two Contracting States shall come to an arrangement as to the basis for apportionment raquo (Notre soulignement)

Les dispositions de lrsquoarticle 5 du texte Ia reprennent en substance sauf pour ce qui concerne le rapprochement des socieacuteteacutes lieacutees avec les succursales le texte de lrsquoarticle 5 tel qursquoil se lisait dans le projet de convention de 1927 de la SDN C216M851927II preacuteciteacute note 12

15 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 p 4166 16 LEAGUE OF NATIONS Fiscal Committee Report to the Council of the Work of the

Second Session of the Committee C340M1401930II Genegraveve 1930 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 pp 4209-4210 (HeinOnline)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 441

de coopeacuteration et de deacuteveloppement eacuteconomiques (laquo OCDE raquo) et lrsquoOrganisation des Nations unies (laquo ONU raquo) apregraves la Seconde Guerre mondiale pour tenter de reacutesoudre le problegraveme de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale

Cette vaste enquecircte dont les travaux srsquoeacutetendent de 1930 agrave 1933 consiste en la toute premiegravere eacutetude de droit compareacute sur la question de la reacutepartition de lrsquoassiette fiscale en droit international public Reacutealiseacutee sous les auspices de la SDN elle est dirigeacutee par un avocat ameacutericain speacutecialiseacute en droit fiscal international Mitchell B Carroll alors chef de la section de la leacutegislation et des impocircts europeacuteens au deacutepartement du Commerce des Eacutetats-Unis17 Les conclusions tireacutees par Carroll servent de point de deacutepart agrave lrsquoeacutenonceacute du principe de pleine concurrence tel que nous le connaissons aujourdrsquohui dans les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU18 En fait tous les modegraveles theacuteoriques eacutelaboreacutes par la SDN avant la Seconde Guerre mondiale integravegrent sans exception le concept de pleine concurrence

11 LrsquoEacuteTUDE INTERNATIONALE SUR LES MEacuteTHODES DE REacutePARTITION

DES BEacuteNEacuteFICES LE RAPPORT CARROLL

Financeacutee par la fondation ameacutericaine Rockefeller19 cette eacutetude a pour but drsquoinvestiguer aupregraves des administrations fiscales de 35 pays les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des entreprises y compris les socieacuteteacutes megraveres les succursales et les filiales exerccedilant des activiteacutes dans au moins deux pays20 Au deacutebut de lrsquoanneacutee 1931 Carroll entreprend une expeacutedition fiscale autour du monde Il se rend dans pas moins de 27 pays pour srsquoinstruire des leacutegislations fiscales nationales et rencontrer certains cadres supeacuterieurs des bureaux drsquoimpocirct Agrave vrai dire la reacutepartition comptable des

17 Membre en tant que repreacutesentant des Eacutetats-Unis du Comiteacute drsquoexperts fiscaux sur la

double imposition mandateacute par la SDN pour reacutediger le projet de convention bilateacuterale de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 il est preacutesident du Comiteacute fiscal de la SDN de 1938 agrave 1946 et premier preacutesident de lrsquoAssociation fiscale internationale de 1939 agrave 1978

18 Mitchell B CARROLL Methods of Allocating Taxable Income dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol IV Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpsetislibraryusydeduaupubotbintoccer-newid=cartaxasgmlamptag= lawampimages=acdpgifsampdata=usrotamppart=0) (laquo Rapport Carroll raquo)

19 La SDN a reccedilu deux dons en argent pour un total de 140 000 $ 90 000 $ en 1930 et 50 000 $ en 1933 Voir LEAGUE OF NATIONS C340M1401930II preacuteciteacute note 16 et C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4241

20 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 p 9

442 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutefices ne constitue pas agrave ce moment-lagrave un problegraveme urgent pour tous les types drsquoentreprises et tous les pays Ce sont les Eacutetats-Unis le Royaume-Uni lrsquoAllemagne et le Japon qui rencontrent des difficulteacutes lieacutees surtout aux activiteacutes commerciales des entreprises industrielles en particulier les revenus tireacutes de la production dans un pays et de la vente dans un autre pays de matiegraveres premiegraveres telles le caoutchouc les meacutetaux et le peacutetrole21

Les conclusions de cette eacutetude publieacutees en 1933 posent les premiers jalons historiques du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public22 Apregraves avoir examineacute les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales relatives aux meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Carroll propose deux principes fondamentaux comme piliers drsquoun systegraveme eacutequitable de reacutepartition des beacuteneacutefices de tous les types drsquoentreprises multinationales le principe de lrsquoentreprise indeacutependante et le principe de la comptabilisation seacutepareacutee23 Notion cleacute du rapport le premier principe qui eacutenonce que les filiales et dans la mesure du possible les succursales doivent ecirctre consideacutereacutees comme des entreprises

21 Id par 1 Dans une moindre mesure les revenus des entreprises commerciales tireacutes

de la production et de la vente dans des pays diffeacuterents de produits manufactureacutes font aussi problegraveme Au contraire les entreprises œuvrant dans le secteur des services (assurance transport eacutenergie eacutelectriciteacute gaz teacuteleacutegraphe teacuteleacutephone radio et cacircble) et des mines ne geacutenegraverent guegravere de difficulteacutes car tel qursquoil est exprimeacute aux paragraphes 489 et suivants elles nrsquoimpliquent en geacuteneacuteral que peu ou pas de transactions internationales

22 Lrsquoeacutetude comprend un total de cinq volumes distincts Les volumes I II et III contiennent les rapports des administrations fiscales de 23 pays et de trois Eacutetats ameacutericains deacutecrivant les regravegles leacutegislatives et les pratiques administratives nationales concernant lrsquoimposition des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres et nationales Constituant le rapport principal le volume IV preacuteciteacute note 18 reacutedigeacute par Carroll est diviseacute en 12 chapitres les chapitres 1 agrave 11 preacutesentent une compilation succincte de la leacutegislation et des pratiques relatives agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices et le chapitre 12 les recommandations et conclusions La question de la reacutepartition y est abordeacutee selon deux points de vue les entreprises eacutetrangegraveres qui possegravedent des filiales ou des succursales nationales et les entreprises nationales qui possegravedent des filiales ou des succursales agrave lrsquoeacutetranger Bien que les mecircmes principes et meacutethodes srsquoappliquent aux entreprises eacutetrangegraveres et aux entreprises nationales la quasi-totaliteacute du rapport est neacuteanmoins consacreacutee aux entreprises eacutetrangegraveres vu qursquoelles ont susciteacute un plus grand nombre de difficulteacutes de reacutepartition que les entreprises nationales Quant au volume V preacutepareacute par le professeur Ralph C JONES Allocation Accounting for the Taxable Income of Industrial Enterprises dans Taxation of Foreign and National Enterprises Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 il analyse les meacutethodes de reacutepartition comptable pouvant ecirctre appliqueacutees

23 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 629 et 674

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 443

indeacutependantes24 supplante le concept de reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee lequel consiste agrave partager selon une formule matheacutematique le revenu net total provenant de toutes les activiteacutes commerciales drsquoune entreprise deacutejagrave utiliseacutee en Espagne et en Suisse25 Quant au second principe il exprime de maniegravere expresse la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte crsquoest-agrave-dire lrsquoobligation implicite deacutejagrave formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 de lrsquoun des modegraveles de convention fiscale bilateacuterale de 192826 de comptabiliser seacutepareacutement les activiteacutes des eacutetablissements stables de celles des autres entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale27

24 Lrsquoeacutetude reacutevegravele que plusieurs entreprises multinationales assimilent agrave des fins fiscales

les filiales agrave des succursales et incluent les beacuteneacutefices des filiales agrave leurs beacuteneacutefices annuels totaux Ce comportement des entreprises est conforme agrave lrsquoesprit et agrave la lettre de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1927 LEAGUE OF NATIONS C216M851927II preacuteciteacute note 12 lequel consideacuterait les filiales et les succursales comme des eacutetablissements stables Par ailleurs les administrations fiscales de la plupart des pays tiennent compte de lrsquoexistence juridique distincte des filiales domestiques qui transigent dans des conditions normales de concurrence avec une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere elles appliquent la meacutethode de la comptabilisation distincte examinent les beacuteneacutefices lieacutes aux transactions intersocieacuteteacutes pour veacuterifier lrsquoexactitude des comptes comptables des filiales et si les comptes sont inadeacutequats estiment les beacuteneacutefices au moyen de lrsquoune des meacutethodes empiriques employeacutees pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 384 Cependant certaines administrations fiscales srsquoappuient sur lrsquoune ou lrsquoautre des theacuteories suivantes pour rajuster la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere et ses filiales domestiques qui ne transigent pas dans des conditions normales de concurrence les filiales sont soit des entreprises indeacutependantes du point de vue juridique des mandataires de la socieacuteteacute megravere (cotisation de la socieacuteteacute megravere sur les beacuteneacutefices reacuteputeacutes gagneacutes par les filiales) ou elles ne constituent qursquoune seule entiteacute eacuteconomique avec la socieacuteteacute megravere Voir Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 386 agrave 398

25 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 122 et 173 Il srsquoagit drsquoune meacutethode empirique qui comporte une formule matheacutematique en vertu de laquelle le revenu net total consolideacute drsquoune entreprise est diviseacute entre toutes les entiteacutes composant lrsquoentreprise multinationale soit la socieacuteteacute megravere les filiales et les succursales en proportion de facteurs comme les actifs le chiffre drsquoaffaires le registre des salaires ou un pourcentage preacutedeacutetermineacute Toutefois la reacutepartition fractionneacutee est dite limiteacutee lorsque le revenu net total de lrsquoentreprise objet de la reacutepartition provient seulement de certaines activiteacutes commerciales

26 LEAGUE OF NATIONS C562M1781928II preacuteciteacute note 13 27 La grande majoriteacute des entreprises ne traitait pas les eacutetablissements locaux

(succursales et filiales) comme des entreprises virtuellement indeacutependantes ou des uniteacutes autonomes et les veacuterificateurs fiscaux devaient rajuster les comptes comptables en se fondant sur les renseignements disponibles ou des meacutethodes empiriques y compris la reacutepartition fractionneacutee Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6

444 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Toutefois agrave la lecture du rapport la conclusion de Carroll voulant que la meacutethode de la comptabilisation distincte preacutevale sur les autres meacutethodes en usage pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et les eacutetablissements stables eacutetonne de prime abord28 Les reacutesultats de lrsquoeacutetude reacutevegravelent certes que les administrations fiscales appliquent en geacuteneacuteral des meacutethodes de reacutepartition issues de la pratique administrative car les systegravemes fiscaux nationaux de la plupart des 35 pays examineacutes ne comportent pas de mesures leacutegislatives concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes dans plus drsquoun pays eacutetablissements stables et filiales confondus29 Sans mecircme connaicirctre le degreacute drsquoefficaciteacute reacuteel de cette meacutethode ni le pourcentage des administrations fiscales ayant recours aux meacutethodes empiriques comme meacutethodes secondaires Carroll srsquoen tient agrave infeacuterer que la meacutethode de la comptabilisation distincte est adopteacutee par le plus grand nombre de pays comme meacutethode principale30 Il paraicirct drsquoailleurs accorder

28 Id par 120-122 Carroll classifie les diffeacuterentes meacutethodes de reacutepartition en usage

dans les trois cateacutegories suivantes la meacutethode de la comptabilisation distincte les meacutethodes empiriques et la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee La meacutethode de la comptabilisation distincte deacutesigne simplement lrsquoutilisation par les administrations fiscales des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables comme point de deacutepart des veacuterifications En outre les meacutethodes empiriques permettent aux administrations fiscales drsquoestimer le revenu drsquoune entreprise lorsque les comptes comptables sont inexistants ou qursquoils ne reflegravetent pas correctement les revenus attribuables aux cessions internes Les administrations fiscales procegravedent dans ces cas par comparaison directe du revenu drsquoune entreprise donneacutee avec celui drsquoune entreprise analogue ou encore par comparaison indirecte agrave lrsquoaide drsquoindicateurs par exemple les chiffres des ventes les actifs ou autres Fait agrave noter Carroll choisit drsquoinclure la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee dans une cateacutegorie distincte car deux pays lrsquoEspagne et la Suisse lrsquoutilisent comme meacutethode principale

29 Seuls les systegravemes fiscaux de lrsquoEspagne de lrsquoAutriche et des Eacutetats ameacutericains du Wisconsin de New York et du Massachusetts renferment des dispositions leacutegislatives mettant en œuvre la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25

30 Comme lrsquoindique R C JONES preacuteciteacute note 22 p 17 la meacutethode de la comptabilisation distincte nrsquoest pas une meacutethode de reacutepartition agrave proprement parler

laquo The term separate accounting does not refer to a single well-defined method but rather to a whole group of methods with a common aim Indeed separate accounting is only a point of view or an avenue of approach to the general problem of allocating business profits on a geographical basis The accounting methods by which the alllocation of profit may be accomplished must be as diverse as the conditions within the different industries are varied Separate accounting rests on the assumption that the different branches of an enterprise are separate business units which may be treated for accounting purposes practically as independent concerns raquo

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 445

une plus grande importance au fait que cette meacutethode est suivie dans les pays reacuteputeacutes pour leur grande expeacuterience de lrsquoimpocirct sur le revenu et leur niveau eacuteleveacute des normes professionnelles comptables soit le Royaume-Uni le Commonwealth britannique des nations et les Eacutetats-Unis et que lrsquoInternational Chamber of Commerce la National Tax Association des Eacutetats-Unis ainsi que lrsquoAmerican Institute of Accountants en ont fait leur meacutethode de preacutedilection31

Aussi le sort de la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la division entre les entiteacutes formant une entreprise internationale au moyen drsquoune formule matheacutematique du revenu total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise est-il scelleacute prestement en quelques paragraphes32 Carroll nrsquoanalyse pas les avantages et les qualiteacutes intrinsegraveques de la meacutethode proposeacutee il se contente de souligner les inconveacutenients associeacutes agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique33 Crsquoest ainsi que non seulement les administrations fiscales de la plupart des pays examineacutes refusent de renoncer agrave exercer leur pouvoir drsquoimposition sur les beacuteneacutefices gagneacutes par les entreprises multinationales sur leur territoire respectif pour en permettre la reacutepartition conformeacutement agrave des facteurs arbitraires mais encore elles reconnaissent la difficulteacute en pratique de veacuterifier les comptes comptables drsquoun eacutetablissement stable preacutepareacutes dans une langue et une monnaie eacutetrangegraveres et selon des regravegles comptables diffeacuterentes Sans compter que la conclusion drsquoun accord entre les pays sur les beacuteneacutefices nets totaux et sur les critegraveres de reacutepartition repreacutesente eacutegalement un obstacle insurmontable34

(hellipsuite) Voir eacutegalement S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 qui agrave la page 635 exprime

lrsquoopinion que cette meacutethode ne comporte aucune regravegle de fond sur la faccedilon drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices notamment la recherche de donneacutees comparables ou la prise en consideacuteration de transactions fictives convenues entre des entreprises hypotheacutetiquement indeacutependantes

31 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 128 129 et 671 Voir aussi R C JONES preacuteciteacute note 22 p 15

32 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 33 Lindsay C CEacuteLESTIN The Formulary Approach to the Taxation of Transnational

Corporations A Realistic Alernative essai Universiteacute de Sydney 2000 (en ligne httpseslibraryusydeduaubitstream21238462adtU2002091713313802wholepdf) pp 33-34

34 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 288 et 670

446 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Par ailleurs le Rapport Carroll laisse lrsquoimpression que le principe de lrsquoentreprise indeacutependante ndash devenu aujourdrsquohui le principe de pleine concurrence ndash srsquoest imposeacute avant tout sur le plan du droit international afin de reacutesoudre les difficulteacutes lieacutees agrave la reacutepartition des eacutetablissements stables35 Carroll recommande aux administrations fiscales une meacutethode principale et des meacutethodes secondaires applicables agrave tous les types drsquoentreprises mais destineacutees uniquement agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses eacutetablissements stables La meacutethode principale se reacutesume agrave appliquer conjointement les deux principes fondamentaux crsquoest-agrave-dire traiter les eacutetablissements stables comme des entreprises non lieacutees entre elles ni agrave la socieacuteteacute megravere et imposer les beacuteneacutefices sur la base des comptes comptables distincts des eacutetablissements stables Les meacutethodes empiriques y compris la meacutethode de la reacutepartition fractionneacutee des beacuteneacutefices se trouvent en conseacutequence cantonneacutees au titre de meacutethodes secondaires pour les eacutetablissements stables dans les cas ougrave la meacutethode dite principale est inapplicable

La reacutepartition des beacuteneacutefices drsquoentreprise entre une socieacuteteacute megravere et ses succursales agrave lrsquoeacutetranger occupe ainsi une place preacutepondeacuterante dans lrsquoeacutetude celle entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales eacutetrangegraveres eacutetant releacutegueacutee au second plan Drsquoautant plus que Carroll ne preacuteconise formellement aucune meacutethode pour la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere et ses filiales36 La

35 Id par 4 Agrave ce sujet voir Hubert HAMAEKERS laquo Armrsquos Length minus How Long raquo

(2001) MarsAvril International Transfer Pricing Journal 30 p 34 Sol PICCIOTTO laquo International Taxation and Intrafirm Pricing in Transnational Corporate Groups raquo (1992) vol 17 no 8 Accounting Organizations and Society 759-792 pp 766-767 et Richard VANN laquo Reflections on Business Profits and the Armrsquos-Length Principle raquo Legal Studies Research Paper No 10127 University of Sydney novembre 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfm abstract_id=1710945) pp 135-139

36 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 628 Pour Carroll les problegravemes de prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees contrairement aux eacutetablissements stables ne surgissent que dans le contexte de la manipulation deacutelibeacutereacutee des prix pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune socieacuteteacute lieacutee agrave une autre le but de la reacutepartition par les administrations fiscales eacutetant de deacuteterminer les beacuteneacutefices que la socieacuteteacute lieacutee aurait gagneacutes si elle avait traiteacute avec une entreprise indeacutependante En regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales tentent de recouvrer les beacuteneacutefices deacuteplaceacutes en analysant les transactions intersocieacuteteacutes agrave lrsquoaide des principes juridiques et commerciaux ou des comparaisons avec drsquoautres socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes similaires voir id par 627 Carroll nrsquointerdit pas explicitement lrsquoutilisation des meacutethodes empiriques bien que son point de vue ne semble pas admettre la possibiliteacute drsquoestimer les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees agrave lrsquoaide de meacutethodes secondaires Eacutenumeacutereacutees au paragraphe 385 les meacutethodes alors en usage pour deacuteplacer les beacuteneacutefices drsquoune filiale nationale agrave la socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere sont les suivantes surfacturation des achats de la filiale sous-facturation des ventes de la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 447

litteacuterature fiscale ne permet pas de preacuteciser les raisons exactes qui expliquent cet eacutetat des choses Il est loisible de speacuteculer que dans les anneacutees 1930 la SDN montre en apparence moins drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard des filiales parce que la reacutepartition relative aux succursales des entreprises eacutetrangegraveres soulegraveve des difficulteacutes plus nombreuses que celle relative aux filiales37

Chose digne de remarque la meacutethode principale recommandeacutee par Carroll srsquoapparente agrave la pratique administrative deacuteveloppeacutee par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine pour reacutepartir les beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes sous controcircle commun Cette pratique qui facilite alors lrsquoapplication de lrsquoarticle 45 du United States Revenue Act of 192838 admet dans le cas ougrave (hellipsuite)

filiale agrave la socieacuteteacute megravere location intersocieacuteteacutes agrave un coucirct minime ou exorbitant et frais disproportionneacutes reacuteclameacutes pour des redevances ou drsquoautres services Mecircme srsquoil est parmi les premiers agrave affirmer que la manipulation des prix de cession interne permet aux entreprises multinationales de deacuteplacer leurs beacuteneacutefices dans les pays agrave faible taux drsquoimposition Carroll nrsquoaborde pas la question des refuges fiscaux lesquels commencent pourtant agrave se deacutevelopper dans les anneacutees 1930 Voir Ronen PALAN laquo The History of Tax Havens raquo octobre 2009 (en ligne httpwwwhistoryandpolicyorgpaperspolicy-paper-92html) et Christophe FARQUET laquo Lutte contre lrsquoeacutevasion fiscale lrsquoeacutechec de la SDN durant lrsquoentre-deux-guerres raquo (2009) vol 44 no 4 LrsquoEacuteconomie politique 93-112 (en ligne httpwwwcairninforevue-l-economie-politique-2009-4-page-93htm)

37 Le nombre eacuteleveacute de succursales et lrsquoabsence de comptabiliteacute distincte tenue agrave lrsquoeacutegard de celles-ci par les socieacuteteacutes megraveres sont vraisemblablement agrave lrsquoorigine de la multiplication des difficulteacutes

38 Pub L No 70-562 sect 45 XLV Stat 806 (en ligne httpconstitutionorguslawsal 045_itaxpdf) Eacutedicteacute en mai 1928 lrsquoarticle 45 qui preacuteceacutedait les articles 77 et 78 des Regulations No 41 Relative to War Excess Profits Tax Imposed by the War Revenue Act of 1917 (en ligne httparchiveorgdetailsregulationsrelat00unit) est une disposition leacutegislative anti-eacutevitement dont le texte est similaire agrave lrsquoactuel article 482 de lrsquoInternal Revenue Code of 1986 et mod qui confeacuterait au Commissaire de lrsquoInternal Revenue Service (laquo IRS raquo) dans les cas impliquant deux ou plusieurs entreprises controcircleacutees par les mecircmes inteacuterecircts le pouvoir de distribuer de reacutepartir et drsquoattribuer les revenus bruts ou les deacuteductions mais ne speacutecifiait aucune meacutethode de reacutepartition

laquo SEC 45 ALLOCATION OF INCOME AND DEDUCTIONS In any case of two or more trades or businesses (whether or not incorporated whether or not organized in the United States and whether or not affiliated) owned or controlled directly or indirectly by the same interests the Commissioner is authorized to distribute apportion or allocate gross income or deductions between or among such trades or businesses if he determines that such distribution apportionment or allocation is necessary in order to prevent evasion of taxes or clearly to reflect the income of any of such trades or businesses raquo

448 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les beacuteneacutefices drsquoune filiale ameacutericaine sont deacutelibeacutereacutement deacuteplaceacutes agrave une socieacuteteacute megravere eacutetrangegravere ou lorsque ceux drsquoune socieacuteteacute megravere ameacutericaine sont deacuteplaceacutes agrave une filiale eacutetrangegravere un rajustement des beacuteneacutefices comme si les transactions avaient eu lieu entre des personnes qui transigent dans des conditions de concurrence normale (as if they were dealing at armrsquos length with each other)39 Bien que les expressions dealing at armrsquos length et armrsquos length soient utiliseacutees agrave quelques reprises dans lrsquoeacutetude de Carroll40 lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo (armrsquos length principle) nrsquoy apparaicirct pas Pour tout dire rien ne permet drsquoaffirmer que du point de vue historique Carroll est le veacuteritable creacuteateur du concept theacuteorique de pleine concurrence41

12 LE PROJET DE CONVENTION FISCALE MULTILATEacuteRALE DE 1933 ET

LE PROJET DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE 1935

Souscrivant aux recommandations de Carroll le Comiteacute fiscal de la SDN propose en 1933 un projet de convention fiscale multilateacuterale pour reacutesoudre le problegraveme relatif agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices42 Reacutedigeacute par Carroll lui-mecircme43 ce projet de convention multilateacuterale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices gagneacutes par des socieacuteteacutes faisant des affaires dans plusieurs juridictions fiscales escamote les meacutethodes preacutecises pour ne comporter que les principes geacuteneacuteraux qui formulent les assises mecircmes du systegraveme actuel 39 Lrsquoadministration fiscale ameacutericaine utilise en pratique la meacutethode de la comptabiliteacute

distincte pour deacuteterminer les beacuteneacutefices des filiales ameacutericaines des socieacuteteacutes eacutetrangegraveres Sur ce point voir le rapport preacutepareacute par les Eacutetats-Unis agrave lrsquooccasion de lrsquoeacutetude de Carroll Joseph WEARE et M L McMORRIS Tax System and Allocations Methods in the United States of America dans Taxation of Foreign and National Enterprises vol I (France Germany Spain the United Kingdom and the United States of America) Socieacuteteacute des Nations Genegraveve 1933 (en ligne httpadclibraryusydeduau searchsmode=simpleampkeyword=taxation+foreign+national+enterprises) partie III(A)I(d agrave f) Cette pratique administrative a drsquoailleurs eacuteteacute inteacutegreacutee dans le texte de lrsquoarticle 45-1(b) des Regulations 86 Relating to the Income Tax Under the Revenue Act of 1934 (en ligne httpwwwconstitutionorgtaxus-icregsRegs_86_for_1934_actpdf) adopteacute en 1935 il srsquoagit de la norme du contribuable non controcircleacute

40 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 6 384 385 694 et 713 41 Certains auteurs en attribuent la paterniteacute au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

consulter H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 32 Malgreacute tout lrsquoabsence de certitude sur lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur et la date drsquoeacutelaboration laisse planer le mystegravere sur lrsquoorigine exacte du principe de pleine concurrence

42 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 43 Mitchell B CARROLL Global Perspectives of an International Tax Lawyer

Hicksville Exposition Press 1978 p 66

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 449

des regravegles sur les prix de transfert Le modegravele esquisseacute pose les seconds jalons du concept de pleine concurrence en droit fiscal international public Incorporant sans surprise lrsquoideacutee de la fiction juridique de lrsquoentreprise indeacutependante et celle de la comptabiliteacute distincte exprimeacutees par Carroll dans lrsquoeacutetude internationale44 il ouvre ainsi la voie agrave lrsquointeacutegration reacuteelle du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale

Drsquoaucuns preacutetendent que Carroll avait un parti pris en faveur de lrsquoapplication conjugueacutee des principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoentreprise indeacutependante et cherchait agrave empecirccher lrsquoeacutemergence agrave lrsquoeacutechelon international de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee deacutejagrave appliqueacutee au niveau infranational aux Eacutetats-Unis45 Il est vrai que peu apregraves la publication des conclusions de lrsquoeacutetude Carroll affirmait que le projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de la SDN illustrait la victoire des partisans du principe de lrsquoentreprise indeacutependante sur la reacutepartition globale des beacuteneacutefices46 et qursquoil soutenait que le Comiteacute fiscal nrsquoadheacuterait pas au concept de lrsquoentreprise unitaire47 Il est mecircme possible que Carroll lequel avant de diriger lrsquoeacutetude de la SDN avait participeacute aux neacutegociations du traiteacute fiscal bilateacuteral Eacutetats-Unis-France48 ait eu accegraves aux renseignements sur les discussions et

44 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 45 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra

note 25 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 637 et L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 40 Pour un point de vue contraire voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 767 Parti pris ou non pour le concept qui deviendra le principe de pleine concurrence le reacutesultat associeacute agrave lrsquointention precircteacutee agrave tort ou agrave raison agrave Carroll sera neacuteanmoins atteint Le consensus international deacutegageacute agrave partir des anneacutees 1970 autour de ce concept aura pour ultime conseacutequence de supprimer toute velleacuteiteacute de la communauteacute internationale de passer agrave la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee Sur ce point consulter la section 6 ci-dessous

46 Mitchell B CARROLL laquo Allocation of Business Income The Draft Convention of the League of Nations raquo (1934) vol 34 Columbia Law Review 473 (JSTOR) p 473

47 Mitchell B CARROLL laquo Taxation of Enterprises with International Interests raquo dans Lrsquoimposition des beacuteneacutefices et des profits de socieacuteteacutes anonymes agrave inteacuterecircts internationaux dans Cahiers de droit fiscal international vol I La Haye IFA 1939 p 254

48 Convention with France on the Subject of Double Taxation 27 avril 1932 dans Legislative History of United States Tax Conventions vol 1 1962 805 (HeinOnline) Ce traiteacute est la premiegravere convention fiscale internationale conclue par les Eacutetats-Unis pour preacutevenir la double imposition Agrave ce sujet voir Adrian A KRAGEN laquo Double Income Taxation Treaties The OECD Draft raquo (1964) vol 52 no 2 California Law Review 306-333 (HeinOnLine) p 306 Lrsquoarticle IV qui integravegre les dispositions de lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code preacutevoit une reacutepartition des beacuteneacutefices des

(agrave suivrehellip)

450 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les travaux du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain preacutealablement agrave lrsquoadoption en 1935 du principe de pleine concurrence dans le texte leacutegislatif de la reacuteglementation relative agrave lrsquoarticle 45 de lrsquoInternal Revenue Code Vu ces circonstances il nrsquoest pas deacuteraisonnable de penser sans que nous puissions toutefois le prouver qursquoune lutte doctrinale ait pu ecirctre meneacutee contre la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee mise en application dans certains Eacutetats ameacutericains ainsi qursquoen Espagne et en Suisse pour reacutepartir entre les entiteacutes formant une entreprise multinationale selon une formule matheacutematique le revenu net total tireacute de toutes les activiteacutes commerciales de lrsquoentreprise

Le projet de convention de 1933 distingue agrave la maniegravere du Rapport Carroll le cas des eacutetablissements stables de celui des filiales En particulier les articles 3 et 5 exposent respectivement les principes geacuteneacuteraux concernant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre une socieacuteteacute megravere les eacutetablissements stables et les filiales Comme seul critegravere pour la reacutepartition internationale des revenus des eacutetablissements stables lrsquoarticle 3 met en avant le prix qui aurait eacuteteacute convenu entre des personnes indeacutependantes transigeant dans des conditions de concurrence normale (the price that would be agreed upon by independant persons dealing at armrsquos length)

laquo Article 3

If an enterprise with its fiscal domicile in one contracting State has permanent establishments in other contracting States there shall be attributed to each permanent establishment the net business income which it might be expected to derive if it were an independent enterprise engaged in the same or similar activities under the same or similar conditions Such net income will in principle be determined on the basis of the separate accounts pertaining to such establishment [hellip]

The fiscal authorities of the contracting States shall when necessary in execution of the preceding paragraph rectify the accounts produced notably to correct errors or omissions or to re-establish the prices or remunerations entered in the books at the value which would prevail between independent persons dealing at armrsquos length

If an establishment does not produce an accounting showing its own operations [hellip] the fiscal authorities may determine empirically the business income by applying a percentage to the turnover of that establishment [hellip]

(hellipsuite)

socieacuteteacutes lieacutees fondeacutee sur le principe de pleine concurrence M B CARROLL preacuteciteacute note 43 pp 38-42

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 451

If the methods of determination described in the preceding paragraphs are found to be inapplicable the net business income of the permanent establishment may be determined by a computation based on the total income derived by the enterprise from the activities in which such establishment has participated [hellip]49 raquo (Notre soulignement)

Lrsquoutilisation explicite de lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length (laquo des personnes indeacutependantes qui font des affaires dans des conditions normales de concurrence raquo) laquelle deacutefinit une notion deacutejagrave connue et appliqueacutee au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis pour ce qui concerne les socieacuteteacutes lieacutees concourt agrave eacutenoncer sous une forme rudimentaire le principe de pleine concurrence Mecircme si en geacuteneacuteral ce principe srsquoapplique conjointement avec le principe de la comptabiliteacute seacutepareacutee lrsquoarticle 3 permet expresseacutement aux Eacutetats contractants en lrsquoabsence drsquoune comptabiliteacute distincte ou lorsque les comptes comptables distincts ne reflegravetent pas adeacutequatement la situation factuelle de recourir aux meacutethodes empiriques de reacutepartition dites meacutethodes secondaires50 La SDN dote ainsi les pays deacuteveloppeacutes aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables entre les juridictions fiscales de regravegles souples refleacutetant la pratique deacutejagrave eacutetablie et reacutepandue pour ce qui regarde lrsquousage des meacutethodes empiriques

Par ailleurs lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 consiste en la toute premiegravere disposition traitant speacutecifiquement dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale de la reacutepartition des beacuteneacutefices des filiales eacutetrangegraveres De fait il srsquoagit de lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 9 du Modegravele actuel de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE51 Le libelleacute de lrsquoarticle 5 tire vraisemblablement son origine de lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France52 Constitueacute drsquoun seul court paragraphe le texte de 49 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4244 Lrsquoarticle

3 est lrsquoarticle preacutedeacutecesseur de lrsquoarticle 7 du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune version abreacutegeacutee juillet 2010 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 2010 raquo) (OECDilibrary)

50 Pour la revue de ces meacutethodes voir supra note 28 Les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutetablissements stables et celles applicables aux socieacuteteacutes lieacutees ont eacuteteacute eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE de maniegravere tout agrave fait distincte Agrave ce propos consulter la section 3 ci-dessous

51 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 52 Emmet M McCAFFERY laquo The Franco-American Convention Relative to Double

Taxation raquo (1936) vol 36 Columbia Law Review 382 (HeinOnLine Law Journal Library) p 382 Or lrsquoarticle IV du traiteacute Eacutetats-Unis-France preacuteciteacute note 48 se fonde

(agrave suivrehellip)

452 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoarticle 5 agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 3 ne contient pas lrsquoexpression independant persons dealing at armrsquos length et passe sous silence la possibiliteacute pour les administrations fiscales de recourir aux meacutethodes secondaires

laquo Article 5

When an enterprise of one contracting State has a dominant participation in the management or capital of an enterprise of another contracting State or when both enterprises are owned or controlled by the same interests and as the result of such situation there exists in their commercial of financial relations conditions different from those which would have been made between independant enterprises any item of profit or loss which should normally have appeared in the accounts of one enterprise but which has been in this manner diverted to the other enterprise shall be entered in the accounts of such former enterprise subject to the rights of appeal allowed under the law of the State of such enterprise53 raquo (Notre soulignement)

Toutefois le Comiteacute fiscal de la SDN deacutelaisse en 1935 lrsquoideacutee drsquoune convention multilateacuterale jugeant que la conclusion de conventions fiscales bilateacuterales repreacutesentait un moyen plus judicieux pour eacuteliminer la double imposition Le texte du nouveau projet de convention fiscale bilateacuterale54 qui concreacutetise la seconde tentative drsquointeacutegration du principe de pleine concurrence dans un modegravele theacuteorique de convention fiscale internationale reproduit neacuteanmoins en substance celui du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 En particulier le libelleacute de lrsquoarticle 5 du projet de convention de 1933 est repris mot agrave mot dans le nouvel article VI du projet

(hellipsuite)

lui-mecircme sur lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 preacuteciteacute note 38 Agrave ce sujet voir M B CARROLL preacuteciteacute note 43 p 144 Brian D LEPARD laquo Is the United States Obligated To Drive on the Right A Multidisciplinary Inquiry into the Normative Authority of Contemporary International Law Using the Armrsquos Length Standard as a Case Study raquo (1999) vol 10 no 1 Duke Journal of Comparative amp International Law 43 (HeinOnline) p 69 Richard VANN laquo Do We Need 7(3) History and Purpose of the Business Profits Deduction Rule in Tax Treaties raquo Legal Studies Research Paper No 1018 University of Sydney mars 2011 (en ligne httppapersssrncomsol3 paperscfmabstract_id=1787805) p 11 Jens WITTENDORFF laquo The Transactional Ghost of Article 9(1) of the OECD Model raquo (2009) vol 63 no 3 Bulletin for International Taxation 107 p 108 (IBFD)

53 LEAGUE OF NATIONS C399M2041933IIA preacuteciteacute note 11 p 4245 Les commentaires formuleacutes par la SDN ne fournissent aucun deacutetail sur les meacutethodes applicables

54 LEAGUE OF NATIONS Report to the Council of the Fifth Session of the Committee C252M1241935IIA Genegraveve 1935 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4249 (HeinOnline) pp 4253 et suiv

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 453

de 193555 Aussi vaine que celle de 1933 cette seconde tentative eacutechoue du fait que le projet nrsquoa jamais fait lrsquoobjet drsquoune approbation formelle des pays membres de la SDN Par contre les dispositions qursquoil contient sont inteacutegreacutees dans les projets de protocoles drsquoun modegravele theacuteorique adopteacute agrave Mexico en 1943 et reacuteviseacute subseacutequemment en 1946 agrave Londres56 La plupart des conventions fiscales bilateacuterales conclues apregraves la Deuxiegraveme Guerre mondiale sont drsquoailleurs reacutedigeacutees jusqursquoagrave lrsquoapparition du modegravele de lrsquoOCDE au deacutebut des anneacutees 1960 sur lrsquoexemple de Mexico ou de Londres57

2 LES TRAVAUX RELAYEacuteS PAR LrsquoOCDE ET LrsquoONU SECONDE

MOITIEacute DU XXE SIEgraveCLE

La peacuteriode suivant la Deuxiegraveme Guerre mondiale donne lieu agrave la naissance des deux principaux modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales toujours en usage aujourdrsquohui aux fins de reacutegir les neacutegociations lrsquoapplication et lrsquointerpreacutetation des conventions fiscales bilateacuterales Tant le modegravele de lrsquoOCDE que celui de lrsquoONU comprennent pour ce qui concerne la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees un eacutenonceacute du principe de pleine concurrence dont le contenu srsquoinspire fortement des projets de conventions multilateacuterales et bilateacuterales conccedilus par la SDN Il revient agrave lrsquoOrganisation europeacuteenne de coopeacuteration eacuteconomique (laquo OECE raquo) qui voit le jour en 1948 dans le contexte de la mise en œuvre du Plan Marshall suivie ensuite de lrsquoOCDE58 de prendre le relais des travaux meneacutes par la SDN sur la double imposition59

55 Id p 4254 56 LEAGUE OF NATIONS London and Mexico Model Tax Conventions Commentary

and Text C88M881946IIA Genegraveve 1946 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4319 (HeinOnline) Agrave la suite drsquoune renumeacuterotation les articles VI (eacutetablissements stables) et VII (socieacuteteacutes lieacutees) du protocole des modegraveles de Mexico et de Londres remplacent respectivement les articles III et VI du projet de convention fiscale bilateacuterale pour preacutevenir la double imposition de 1935 supra note 54 Le texte de lrsquoarticle VII du protocole des modegraveles de Mexico et Londres est quasi identique agrave celui de lrsquoarticle VI du projet de Modegravele de convention de 1935

57 The Elimination of Double Taxation Report of the Fiscal Committee of the OEEC Paris 1958 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4445 (HeinOnline) p 4455

58 Organisation creacuteeacutee en 1961 dont le siegravege social est situeacute agrave Paris elle se preacutesente comme un forum mondial de politique eacuteconomique ayant pour mission drsquolaquo aider les gouvernements agrave reacutealiser une croissance durable de lrsquoeacuteconomie et de lrsquoemploi ainsi qursquoune progression du niveau de vie dans les pays membres tout en maintenant la stabiliteacute financiegravere et agrave favoriser ainsi le deacuteveloppement de lrsquoeacuteconomie mondiale raquo

(agrave suivrehellip)

454 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

21 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoOCDE

(1977) ET LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DES

EacuteTATS-UNIS

Creacuteeacute en 1956 le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE se voit confier le mandat drsquoeacutelaborer une nouvelle proposition de convention fiscale bilateacuterale dans le but drsquouniformiser les regravegles des pays membres afin de preacutevenir la double imposition des beacuteneacutefices et de la fortune De septembre 1958 agrave aoucirct 1961 il expose dans quatre rapports distincts lrsquoensemble des articles et des commentaires qui servent drsquoassises au projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale concernant le revenu et la fortune acheveacute en 196360 Ayant succeacutedeacute entre-temps agrave lrsquoOECE lrsquoOCDE ne publie qursquoen 1977 le nouveau Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale Modegravele de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune61 Bien que ce dernier

(hellipsuite)

LrsquoOCDE compte actuellement 34 pays membres un pays est candidat agrave lrsquoadheacutesion (Russie) et cinq pays beacuteneacuteficient drsquoun laquo engagement renforceacute en vue drsquoune eacuteventuelle adheacutesion raquo (Breacutesil Chine Inde Indoneacutesie et Afrique du Sud) Le financement de lrsquoOCDE est assureacute par les pays membres les Eacutetats-Unis le pays contributeurs le plus important concourant agrave plus de 20 du budget Voir en ligne httpwwwoecdorgfrapropos Pour certains lrsquoOCDE consiste en un centre intergouvernemental drsquoeacutetudes et de recherches un club de pays riches voire un cartel Sur ce point consulter respectivement Paul KRUGMAN laquo Against Learned Helplessness raquo The New York Times 30 mai 2011 p A19 (en ligne httpwwwnytimescom20110530opinion30krugmanhtml_r=0) laquo Richrsquos Man Club (Organization for Economic Cooperation and Development) raquo The Economist (US) 30 janvier 1988 et Eduardo MORGAN Jr laquo Panama Finds Tax Haven Label Discriminatory raquo (2011) 62 Tax Notes International 483 p 484 (Tax Analysts)

59 Fondeacutee en 1945 lrsquoONU remplace la SDN laquelle est dissoute lrsquoanneacutee suivante Agrave ce sujet voir en ligne httpwwwunescoorgarchivessioFrepresentation_frphp idOrg=1024 Lrsquointeacuterecirct de la nouvelle organisation internationale pour le problegraveme de la double imposition disparaicirct au milieu des anneacutees 1950 mais renaicirct au milieu des anneacutees 1960 Voir la section 22 ci-dessous LrsquoONU compte actuellement 192 membres dont plusieurs sont aussi membres de lrsquoOCDE (en ligne httpwwwunorgfrmembers)

60 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Draft Double Taxation Convention on Income and Capital OECD Paris 1963 (laquo Projet de lrsquoOCDE 1963 raquo)

61 ORGANISATION FOR ECONOMIC CO-OPERATION AND DEVELOPMENT Model Double Taxation Convention on Income and on Capital OECD Paris 1977 (laquo Modegravele de lrsquoOCDE 1977 raquo) LrsquoOCDE justifie le deacutelai de plus de 10 ans eacutecouleacute entre la publication du projet de 1963 preacuteciteacute et celle du Modegravele de 1977 par la neacutecessiteacute de reacuteviser le projet de 1963 afin de prendre en compte laquo lrsquoexpeacuterience acquise dans les pays membres lors de la neacutegociation ou de lrsquoapplication pratique de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 455

deacutecoule sans conteste de lrsquointerminable reacutevision du projet publieacute en 1963 crsquoest lrsquoanneacutee 1958 qui marque pourtant officiellement sa creacuteation62

Telle qursquoelle est exprimeacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de 1977 la reacutefeacuterence normative dans les pays deacuteveloppeacutes pour la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ne bouscule pas le passeacute Autant dire que le paragraphe 9(1) reprend sans le mentionner preacuteciseacutement le principe de pleine concurrence Crsquoest ainsi qursquoagrave deacutefaut de la mention explicite de lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo lrsquoeacutenonceacute de lrsquoOCDE officiel srsquoaligne sur le concept de lrsquoentreprise indeacutependante

laquo 9(1)

Lorsque

une entreprise drsquoun Eacutetat contractant participe directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant ou que

les mecircmes personnes participent directement ou indirectement agrave la direction au controcircle ou au capital drsquoune entreprise drsquoun Eacutetat contractant et drsquoune entreprise de lrsquoautre Eacutetat contractant

(hellipsuite)

conventions bilateacuterales ainsi que des modifications intervenues dans les systegravemes fiscaux de ces pays du renforcement des relations fiscales internationales du deacuteveloppement de nouveaux secteurs drsquoactiviteacutes et de lrsquoeacutemergence de nouvelles formes complexes drsquoorganisations des entreprises au niveau international raquo Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune vol I feuilles mobiles OCDE Paris 2004 (laquo Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 raquo) p I-3 Qui plus est le Modegravele de 1977 introduit le paragraphe 9(2) lequel preacutevoit un ajustement approprieacute du montant de lrsquoimpocirct deacutejagrave perccedilu par un autre Eacutetat contractant sur des beacuteneacutefices qui si les conditions convenues entre les deux socieacuteteacutes lieacutees avaient eacuteteacute celles convenues entre des entreprises indeacutependantes auraient eacuteteacute reacutealiseacutes dans le premier Eacutetat contractant

62 Jeffrey OWENS et Mary BENNETT laquo Le Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE no 269 octobre 2008 (en ligne httpwwwobservateurocdeorgnewsfullstoryphpaid2352Le_Mod_E8le_de_convention_fiscale_de_l_92OCDEhtml)

laquo En 1963 un projet complet eacutetait precirct mais il fallut attendre 1977 pour que le Modegravele de convention de double imposition soit publieacute Le texte de 1963 syntheacutetisait essentiellement quatre versions anteacuterieures dont la premiegravere avait eacuteteacute publieacutee en 1958 Crsquoest pourquoi le 1er juillet 1958 est consideacutereacute comme la date de naissance du Modegravele de lrsquoOCDE raquo

456 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

et que dans lrsquoun et lrsquoautre cas les deux entreprises sont dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions accepteacutees ou imposeacutees qui diffegraverent de celles qui seraient conclues entre les entreprises indeacutependantes les beacuteneacutefices qui sans ces conditions auraient eacuteteacute obtenus par lrsquoune des entreprises mais nrsquoont pu lrsquoecirctre en fait agrave cause de ces conditions peuvent ecirctre inclus dans les beacuteneacutefices de cette entreprise et imposeacutes en conseacutequence63 raquo (Notre soulignement)

Le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE64 demeureacute inchangeacute agrave ce jour comporte un libelleacute identique au texte de lrsquoarticle 9 du projet tel qursquoil a eacuteteacute publieacute en 196365 En fait les fondements historiques du paragraphe 9(1) remontent aussi loin qursquoau deacutebut des anneacutees 1930 Le fond de lrsquoarticle 9 est analogue agrave tous les articles relatifs agrave la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees inclus dans les projets de conventions fiscales ou les conventions fiscales proposeacutes par la SDN agrave cette exception que lrsquoOECE remplace le terme laquo doivent raquo (shall) par laquo peuvent raquo (may) Ainsi lrsquoOCDE confegravere aux Eacutetats contractants le pouvoir de redresser les beacuteneacutefices sur la base de la notion drsquoentreprise indeacutependante alors que la SDN en imposait lrsquoobligation en vertu de lrsquoarticle 5 du projet de convention fiscale multilateacuterale de 1933 de lrsquoarticle VI du projet de convention fiscale bilateacuterale de 1935 ainsi que des articles VII du Protocole des conventions de Mexico et de Londres

Cependant les preacutecisions sur la faccedilon de mettre en œuvre le concept drsquoentreprise indeacutependante sont manquantes dans les commentaires reacutedigeacutes par lrsquoOCDE pour appliquer et interpreacuteter le paragraphe 9(1) du Modegravele publieacute en 197766 De ce point de vue lrsquoOCDE persiste comme la SDN agrave traiter la question de la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees en parent pauvre Brefs et laconiques les commentaires de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard du

63 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp M-21 et

M-22 64 Apregraves 1977 le titre du modegravele theacuteorique devient laquo Modegravele de convention fiscale

concernant le revenu et la fortune raquo id p I-6 Le contenu du modegravele de lrsquoOCDE sera modifieacute agrave quelques reprises la derniegravere reacutevision ayant eacuteteacute approuveacutee en juillet 2010 Voir Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49

65 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 p 47 Voir eacutegalement le texte de lrsquoarticle XVI contenu dans le troisiegraveme rapport preacutepareacute par le Comiteacute fiscal de lrsquoOECE en 1960 ORGANISATION FOR EUROPEAN ECONOMIC CO-OPERATION The Elimination of Double Taxation Third Report of the Fiscal Committee 1960 dans Legislative History of United States Tax Conventions preacuteciteacute note 8 4567 (HeinOnline) p 4588

66 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 457

paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE de 1977 ne comportent qursquoun seul paragraphe

laquo Cet article traite des entreprises associeacutees (socieacuteteacutes megraveres et leurs filiales et socieacuteteacutes placeacutees sous controcircle commun) et son paragraphe 1 stipule que dans ces cas les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et ce paragraphe ne semble guegravere appeler de Commentaires Peut-ecirctre y a-t-il lieu de rappeler que les dispositions de ce paragraphe ne srsquoappliquent que lorsque des conditions speacuteciales ont eacuteteacute convenues ou imposeacutees entre les deux entreprises Aucune rectification des comptabiliteacutes des entreprises associeacutees nrsquoest autoriseacutee si leurs transactions se sont deacuterouleacutees aux conditions commerciales normales du marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance)67 raquo (Notre soulignement)

Drsquoun autre cocircteacute les Eacutetats-Unis deacuteveloppent en 1976 leur propre modegravele de convention fiscale bilateacuterale Le texte du paragraphe 9(1) du modegravele ameacutericain reproduit en substance celui du modegravele de lrsquoOCDE mis agrave part lrsquoajout drsquoun passage pour preacutevoir que le paragraphe 9(1) ne restreint pas les dispositions de la loi de lrsquoun ou lrsquoautre des Eacutetats contractants concernant la distribution la reacutepartition ou lrsquoallocation de revenus68 Comme les termes initiaux du modegravele ameacutericain sont suffisamment larges il nrsquoest pas exclu que

67 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p P C(9)-8

Jeffrey OWENS alors directeur du Centre de Politique et drsquoAdministration fiscale de lrsquoOCDE explique agrave la page 2 de son laquo Opening Speech raquo dans OECD Conference Transfer Princing and Treaties in a Changing World Paris 2009 (en ligne httpwwwoecdorgdataoecd182543744164pdf) lrsquoabsence de commentaires explicatifs comme suit

laquo The drafters of the 1963 Draft Convention did an excellent job of drafting Article 9 but perhaps lacked vision when they wrote that Commentary We all know now that this Article does in fact call for significant comment as our later work has shown raquo

Dans le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) comprennent quatre paragraphes Sur ce dernier point voir la section 3 ci-dessous Par comparaison les commentaires au sujet de la reacutepartition des beacuteneacutefices des eacutetablissements stables preacutevue au paragraphe 7(2) du Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 pp 145-155 totalisent pas moins de 29 paragraphes

68 Chantal THOMAS laquo Customary International Law and State Taxation of Corporate Income The Case for the Separate Accounting Method raquo (1996) vol 14 no 1 Berkeley Journal of International Law 99-136 (HeinOnLine Law Journal Library) p 128

458 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ceux-ci puissent permettre aux fins de la reacutepartition des beacuteneacutefices tireacutes des opeacuterations entre les socieacuteteacutes lieacutees lrsquousage drsquoune meacutethode autre que celle fondeacutee sur les principes de la comptabiliteacute distincte et de lrsquoindeacutependance des entreprises69 Toutefois en 1996 agrave la suite drsquoune modification leacutegislative le texte de lrsquoarticle 9 du modegravele ameacutericain devient en tout point similaire agrave celui du Modegravele de lrsquoOCDE70

Depuis plus de 50 ans le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE traduit la preacuteoccupation drsquoassurer la peacuterenniteacute en droit fiscal international public drsquoune norme pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees qui agrave lrsquoeacutepoque ougrave Carroll a meneacute son eacutetude nrsquoeacutetait qursquoune simple regravegle administrative71 Partant lrsquoOCDE exerce une influence preacutepondeacuterante sur la mise en place de leacutegislations et de pratiques administratives nationales en promouvant une utilisation reacutepandue du concept de pleine concurrence dans les pays deacuteveloppeacutes De surcroicirct cette autoriteacute se manifeste bien au-delagrave des pays membres de lrsquoOCDE allant mecircme jusqursquoagrave lrsquoutilisation du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale comme mateacuteriau de base des travaux meneacutes par lrsquoONU pour contrer la double imposition

22 LE MODEgraveLE DE CONVENTION FISCALE BILATEacuteRALE DE LrsquoONU

(1980)

Lrsquointeacuterecirct de lrsquoONU pour la question de lrsquoeacutelimination de la double imposition resurgit en reacuteaction contre le projet de Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE diffuseacute en 1963 Les pays en deacuteveloppement manifestent en ce temps-lagrave de la reacuteticence agrave employer un projet de modegravele agrave lrsquoeacutelaboration duquel ils nrsquoont pas participeacute et qui privileacutegie davantage le pays de la reacutesidence que celui de la source pour attribuer les droits drsquoimposition des revenus entre les juridictions fiscales72 Formeacute en 1968 le groupe de travail de lrsquoONU sur les conventions fiscales fait le choix utilitaire de 69 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 pp 111-112 70 Id p 112 71 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 72 Stanley S SURREY laquo United Nations Group of Experts and the Guidelines for Tax

Treaties Between Developed and Developing Countries raquo (1978) vol 19 no 3 Harvard International Law Journal 1 (HeinOnline) pp 6-7 Suivant le modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE le pays de reacutesidence drsquoune socieacuteteacute peut imposer le revenu de source mondiale de cette derniegravere alors que le pays de la source ne peut imposer que le revenu de cette socieacuteteacute eacutetrangegravere dont la source est situeacutee dans ce pays

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 459

prendre comme point de deacutepart de ses reacuteflexions le projet et le modegravele theacuteorique de convention fiscale publieacutes respectivement en 196373 et en 197774 par lrsquoOCDE75 Lors de la derniegravere reacuteunion tenue en 1977 ce groupe de travail recommande la reacutedaction drsquoun projet de Modegravele de convention fiscale Il est inteacuteressant de constater que lrsquoexposeacute des grandes lignes des principes geacuteneacuteraux devant reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees coiumlncide avec celles deacutefinies par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE dans le Modegravele theacuteorique de convention de 197776

73 Projet de lrsquoOCDE 1963 preacuteciteacute note 60 74 Modegravele de lrsquoOCDE 1977 preacuteciteacute note 61 75 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et

sociales internationales Modegravele de convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESA102 New York 1980 (laquo Modegravele de lrsquoONU 1980 raquo) p 4

laquo [L]e Groupe drsquoexperts avait deacutecideacute drsquoutiliser le Modegravele de convention de lrsquoOCDE comme principal texte de reacutefeacuterence en vue de tirer parti de la compeacutetence technique accumuleacutee par lrsquoOCDE telle qursquoelle est concreacutetiseacutee dans ce modegravele et dans les commentaires y relatifs compte tenu de consideacuterations de commoditeacute pratique lieacutees au fait que ce modegravele est utiliseacute par les pays membres de lrsquoOCDE dans la neacutegociation de conventions fiscales non seulement entre eux mais avec des pays en deacuteveloppement raquo

76 UNITED NATIONS DEPARTMENT OF ECONOMIC AND SOCIAL AFFAIRS Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Seventh Report Report of the Group of Experts on Tax Treaties Between Developed and Developing Countries on the Work of its Seventh Meeting Doc NU STESA79 New York 1978 Degraves les deux premiegraveres reacuteunions le groupe de travail convient de fonder la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les entiteacutes lieacutees sur le principe de pleine concurrence et estime agrave la page 30 que la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee crsquoest-agrave-dire laquo [w]hat was sometimes called the direct method of arriving at the profit of a branch or subsidiary by apportioning to it some part of the global profits of the whole enterprise of the group was not strictly a method of arriving at the armrsquos length price but was not necessarily incompatible with the objective of attributing the armrsquos length profit to the relevant taxpayer raquo peut ecirctre utiliseacutee en dernier recours par les administrations fiscales pour reacutepartir les beacuteneacutefices des succursales et des filiales seulement si la meacutethode des prix comparables sur le marcheacute la meacutethode du prix de revente et la meacutethode du prix de revient majoreacute ne sont pas applicables Lrsquoexposeacute des grandes lignes suppose que le futur modegravele de convention fiscale contiendra notamment un article similaire agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE visant les transactions entre les socieacuteteacutes megraveres et ses filiales Sur ce point voir S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 54

460 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Adopteacute en 1979 et publieacute en 198077 le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU est semblable au Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 agrave plusieurs eacutegards en particulier quant au texte du paragraphe 9(1)78 Il nrsquoy a pas de distinction entre les points de vue de lrsquoONU et de lrsquoOCDE quant au choix de la norme internationale agrave appliquer pour reacutepartir les beacuteneacutefices parmi les juridictions fiscales les deux organisations internationales optent pour le principe de pleine concurrence Par contre le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comporte des diffeacuterences significatives agrave lrsquoavantage des pays en deacuteveloppement Notamment les pays de la source y conservent des droits drsquoimposition plus importants que ceux preacutevus dans le Modegravele de lrsquoOCDE drsquoougrave entre autres une deacutefinition de lrsquoexpression laquo eacutetablissement stable raquo dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU plus large que celle dans le Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE79

Quant agrave la faccedilon drsquoappliquer et drsquointerpreacuteter le principe de pleine concurrence les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoONU reacuteitegraverent essentiellement les commentaires relatifs au paragraphe 9(1) du Modegravele de lrsquoOCDE80 Depuis 1999 les commentaires mentionnent

77 Supra note 75 Il est reacuteviseacute en 1999 (mise agrave jour publieacutee en 2001) et en 2011 Voir

ORGANISATION DES NATIONS UNIES Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales Modegravele de Convention des Nations Unies concernant les doubles impositions entre pays deacuteveloppeacutes et pays en deacuteveloppement Doc NU STESAPASSERE21 2001 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxunmodelhtm) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2001 raquo) UNITED NATIONS Economic and Social Affairs United Nations Model Double Taxation Convention Between Developed and Developing Countries New York 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffddocumentsUN_Model_2011_ Updatepdf) (laquo Modegravele de lrsquoONU 2011 raquo)

78 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT Transfer Pricing UNCTAD Series on Issues in International Investment Agreements New York 1999 (en ligne httpwwwunctadorgendocspsiteiitd11v1enpdf) p 18 Toutefois le paragraphe 9(3) ajouteacute en 1999 eacutenonce qursquoun pays nrsquoa pas lrsquoobligation drsquoeffectuer le rajustement correacutelatif preacutevu au paragraphe 9(2) lorsque lrsquoune des entreprises est en vertu drsquoune proceacutedure leacutegale trouveacutee passible drsquoune peacutenaliteacute pour fraude faute lourde ou deacutefaillance agrave lrsquoeacutegard drsquoactions lieacutees au rajustement des beacuteneacutefices Voir Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 pp 16 et 129-130

79 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 art 5 Par exemple un chantier de construction se prolongeant plus de six mois constitue un eacutetablissement stable alors que suivant le Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 art 5 sa dureacutee doit ecirctre de plus de 12 mois

80 Dans le Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 75 les commentaires incorporent sous la forme drsquoextraits placeacutes entre guillemets une grande partie des commentaires de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 461

explicitement que les Eacutetats contractants appliquent le principe de pleine concurrence en se conformant aux lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert81 Neacuteanmoins la derniegravere mise agrave jour adopteacutee agrave lrsquoautomne 2011 nuance le renvoi aux lignes directrices de lrsquoOCDE en preacutecisant que les Eacutetats contractants suivront ces lignes directrices dans la plupart des cas (normally)82

Il srsquoest donc eacutecouleacute une peacuteriode de plus de 40 ans entre la publication des conclusions de lrsquoeacutetude internationale de droit compareacute de la SDN (1933) et lrsquoeacutelaboration des Modegraveles theacuteoriques de lrsquoOCDE (1977) et de lrsquoONU (1980) Instigatrice de lrsquoessor du principe de pleine concurrence en droit international public la SDN promeut au rang de critegravere principal pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees degraves les anneacutees 1930 une notion appliqueacutee sur le plan administratif par le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain et lrsquoIRS Faisant siennes les conclusions de Mitchell Carroll la SDN importe cette notion dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes deacuteclassant ainsi la reacutepartition globale des beacuteneacutefices pourtant deacutejagrave mise en œuvre leacutegislativement dans deux pays (Espagne et Suisse)83 Le processus de deacuteveloppement du concept de pleine concurrence deacutebute presque au mecircme moment que la publication du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE

(hellipsuite)

lrsquoOCDE diffuseacutes en 1977 En 2001 le modegravele de lrsquoONU omet les guillemets et fait siens mot pour mot les commentaires de lrsquoOCDE supra note 77 p 125

laquo Ce paragraphe [9(1)] dispose que les autoriteacutes fiscales drsquoun Eacutetat contractant peuvent pour calculer les sommes imposables rectifier la comptabiliteacute des entreprises si par suite des relations speacuteciales existant entre ces derniegraveres leurs livres ne font pas apparaicirctre les beacuteneacutefices reacuteels imposables qursquoelles reacutealisent dans cet Eacutetat Il est eacutevidemment normal de preacutevoir une rectification en pareil cas et le paragraphe nrsquoappelle guegravere de commentaires [hellip] raquo

81 Modegravele de lrsquoONU 2001 preacuteciteacute note 77 p 124 Pour ce qui concerne les lignes directrices de lrsquoOCDE voir la section 3 ci-dessous

82 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax Matters Seventh Session Note on Proposed Update of United Nations Model Tax Convention Doc NU EC182011CRP2Add1 Genegraveve 12 octobre 2011 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxseventhsessionindexhtm) p 126

83 LrsquoEspagne et la Suisse adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave ce sujet voir la section 611 du preacutesent texte

462 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

3 LES GUIDES INTERPREacuteTATIFS INTERNATIONAUX LE DEacutePLOIEMENT

DU CONTENU DESCRIPTIF DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE

APPLICABLE AUX SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES

Instruments juridiques deacutesormais indispensables les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU enchacircssent le principe de pleine concurrence pour reacutepartir entre les pays lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices imposables deacutecoulant des relations commerciales internes eacutetablies parmi les socieacuteteacutes lieacutees drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales Les paragraphes 9(1) des Modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU expriment assureacutement une norme si tant est qursquoen theacuteorie une norme (standard) se distingue drsquoune regravegle (rule) par le fait que sa signification preacutecise contrairement agrave celle drsquoune regravegle nrsquoest pas compte tenu de sa formulation deacutejagrave connue drsquoavance84 De surcroicirct les commentaires relatifs aux paragraphes 9(1) des modegraveles de lrsquoOCDE et de lrsquoONU publieacutes initialement en 1977 et en 1980 ne preacutecisent en rien la faccedilon drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer en pratique le principe de pleine concurrence85

Cependant au milieu des anneacutees 1970 les pays deacuteveloppeacutes amorcent et contribuent sans surprise agrave lrsquoeacutelaboration drsquoun compleacutement drsquoinformation au paragraphe 9(1) du modegravele theacuteorique de lrsquoOCDE afin de deacutefinir le principe de pleine concurrence La reacutedaction drsquoun premier guide drsquoinstructions destineacute agrave eacuteclairer les administrations fiscales et les entreprises multinationales dont la version remanieacutee srsquoapplique encore aujourdrsquohui ne se reacutealise en droit fiscal international public que plus de 45 ans apregraves lrsquoeacutetude de Carroll et lrsquoadoption par la SDN de principes geacuteneacuteraux sous-tendant la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Il nrsquoy a pas de doute que lrsquoaventure du deacuteploiement du contenu descriptif et explicatif du principe de pleine concurrence est lrsquoaffaire exclusive de lrsquoOCDE lrsquoONU nrsquoy accordant de lrsquoattention qursquoagrave partir de la fin des anneacutees 2000

84 Eduardo BAISTROCCHI laquo The Transfer Pricing Problem A Global Proposal for

Simplification raquo (2005-2006) vol 59 no 4 Tax Lawyer 941 (HeinOnline Law Journal Library) pp 951-952

85 Voir la section 2 ci-dessus En 1973 le groupe de travail creacuteeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement conccediloit des directives en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement Fondeacutees sur le principe de pleine concurrence et eacutenonceacutees dans le mecircme ordre de preacutesentation que les articles du projet de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1963 aucune drsquoelles ne concerne speacutecifiquement le paragraphe 9(1) UNITED NATIONS Department of Economic and Social Affairs Guidelines for Tax Treaties Between Developed and Developing Countries Doc NU STESA14 New York 1974

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 463

31 LE DOGME DE LA PERSPECTIVE TRANSACTIONNELLE UNE

CONSTRUCTION DES PAYS DEacuteVELOPPEacuteS

Pour commencer lrsquoOCDE publie en 1979 un rapport qui expose les premiegraveres lignes directrices deacutetailleacutees sur les prix de cession interne convenus entre les socieacuteteacutes lieacutees86 Depuis lors lrsquoOCDE srsquoefforce dans le cadre drsquoun processus de reacutevision continu drsquoimplanter lrsquoideacutee de la fixation des prix de transfert transaction par transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence Le rocircle preacutedominant et soutenu joueacute par lrsquoOCDE dans la conception de multiples lignes directrices conduit apregraves plus de trois deacutecennies au deacuteploiement de plus en plus ample drsquoun ensemble de regravegles agrave observer autant par les pays membres de lrsquoOCDE que ceux de lrsquoONU aux fins de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence

311 Les lignes directrices de 1979 de lrsquoOCDE

Bien que le rapport diffuseacute en 1979 se borne sans plus agrave sous-entendre que le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 serait lrsquoexpression du principe de pleine concurrence87 il nrsquoen reste pas moins vrai que ces lignes directrices constituent les ancecirctres des actuels Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert Crsquoest que ce rapport preacutesente un cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse issu justement du paragraphe 9(1) pour

86 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport du Comiteacute des Affaires Fiscales Prix de transfert et entreprises multinationales OCDE Paris 1979 (laquo Rapport de 1979 raquo) Il comporte 106 pages et sa porteacutee est geacuteneacuteralement restreinte tel qursquoil est indiqueacute dans la note de bas de page no 1 agrave la page 11 aux transactions intersocieacuteteacutes Les lignes directrices contenues dans ce rapport deviennent en 1992 une partie inteacutegrante des commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE en raison de lrsquoajout dans les commentaires mecircmes drsquoun renvoi expregraves agrave celles-ci Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 p C(9)-8 La Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales adopteacutee en 1976 reacuteexamineacutee et reconduite en 1979 1982 1984 1991 2000 2010 et 2011 prend la forme drsquoun code de conduite reacutedigeacute en termes geacuteneacuteraux et se limite agrave suggeacuterer aux entreprises multinationales de ne pas user des prix de cession interne non conformes aux prix de libre concurrence Voir ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Investissement international et entreprises multinationales Paris 1979 pp 19-20

87 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 8-9 Il ne fournit aucune explication quant agrave lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence mais preacutesente aux pages 23 agrave 25 le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE de 1977 et des extraits de la Deacuteclaration sur lrsquoinvestissement international et les entreprises multinationales de 1976 supra note 86 comme des textes de reacutefeacuterence

464 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

orienter les administrations fiscales et les entreprises multinationales sur la faccedilon drsquoappliquer en pratique le principe du prix de pleine concurrence En outre il marque le deacutebut par lrsquoOCDE de lrsquolaquo opeacuterationnalisation raquo du principe de pleine concurrence88 Fait indeacuteniable lrsquoOCDE nrsquoa pas de cesse agrave partir du moment ougrave ce cadre geacuteneacuteral drsquoanalyse est mis en avant de srsquoemployer par la suite agrave formuler le contenu du concept theacuteorique de pleine concurrence et agrave concevoir des indicateurs permettant drsquoeacutevaluer les prix de transfert de pleine concurrence89

Du point de vue des pays deacuteveloppeacutes le rapport de 1979 incarne le passage deacutecisif de lrsquoeacutenonceacute drsquoun principe geacuteneacuteral pour reacutepartir les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees ndash soit le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE ndash agrave des lignes directrices preacutecises deacutefinissant les regravegles et les meacutethodes speacutecifiques pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions en particulier Agrave vrai dire la perspective transactionnelle procircneacutee dans le rapport nrsquoest pas une innovation attribuable agrave lrsquoOCDE et reflegravete lrsquoimportante influence ameacutericaine en matiegravere de prix de transfert sur lrsquoOCDE Les Eacutetats-Unis ont les premiers chercheacute agrave fixer des regravegles leacutegislatives deacutetailleacutees pour deacuteterminer le prix de transfert de transactions speacutecifiques et deacuteveloppeacute sous la houlette de Stanley Surrey90 une

88 S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 770 Le terme laquo opeacuterationnalisation raquo signifie

laquo donner un contenu descriptif agrave des concepts theacuteoriques raquo Voir la banque de donneacutees terminologiques Termium Plus (en ligne httpwwwbtbtermiumplusgcca tpv2alphaalphafrahtmllang=fraampi=1ampindex=entamp__index=entampsrchtxt=operationalizationampcomencsrchx=9ampcomencsrchy=12)

89 Voir les sections 312 et 313 du preacutesent texte 90 Professeur de droit fiscal agrave la faculteacute de droit de lrsquoUniversiteacute Harvard il occupe sous

les administrations Kennedy et Johnson la fonction de Secreacutetaire adjoint au deacutepartement du Treacutesor ameacutericain de 1961 agrave 1969 Paul R McDANIEL laquo Celebrating Stanleyrsquos Gifts raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 341 (HeinOnline Law Journal Library) p 341 Certains preacutetendent qursquoil a domineacute la politique fiscale ameacutericaine et internationale au cours de ces huit anneacutees Consulter Donald C LUBICK laquo A View from Washington raquo (1984) vol 98 no 2 Harvard Law Review 338 (HeinOnline Law Journal Library) p 338 Comme Surrey exerccedilait la fonction de conseiller speacutecial du Comiteacute exeacutecutif du groupe drsquoexperts formeacute par lrsquoONU sur les conventions fiscales conclues entre les pays deacuteveloppeacutes et les pays en deacuteveloppement il est possible qursquoil ait promu la vision ameacutericaine du principe de pleine concurrence et pu ainsi exercer une quelconque influence sur lrsquoONU dans le contexte de lrsquoeacutelaboration du Modegravele de convention fiscale de lrsquoONU quant au choix du principe de pleine concurrence (approche transactionnelle) comme norme pour reacutegir la reacutepartition des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees Sur ce point voir S PICCIOTTO preacuteciteacute note 35 p 771 et S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 p 652 Agrave supposer que cela soit le cas lrsquoapproche ameacutericaine apparaicirct ecirctre un eacuteleacutement deacuteterminant pour le deacuteveloppement en droit international public des canons en matiegravere de prix de

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 465

perspective transactionnelle pour mettre en application le principe de pleine concurrence au niveau national

Notamment les trois meacutethodes principales recommandeacutees par lrsquoOCDE aux fins drsquoeacutetablir un prix de transfert agrave lrsquoeacutegard drsquoune transaction en conformiteacute avec le principe de pleine concurrence sont exactement les mecircmes que celles eacutedicteacutees en 1968 dans la reacuteglementation ameacutericaine relative agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code91 la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence la meacutethode du coucirct majoreacute et la meacutethode du prix de revente92 Quant agrave la meacutethode globale des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire la reacutepartition des beacuteneacutefices totaux drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales selon des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies le rapport de 1979 la rejette sans aucune autre explication que son incompatibiliteacute supposeacutee avec les articles 7 et 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE93 Drsquoun autre cocircteacute mecircme si lrsquoOCDE admet theacuteoriquement lrsquoutilisation de meacutethodes de substitution dans le cas ougrave les trois meacutethodes de base susmentionneacutees sont inapplicables agrave certaines transactions lrsquoacceptation de telles meacutethodes paraicirct

(hellipsuite)

transfert Pour lrsquohistorique du deacuteveloppement de lrsquoapproche transactionnelle radicale ameacutericaine dans la reacuteglementation adopteacutee en 1968 laquelle favorise notamment la recherche de transactions comparables voir S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 642-649

91 Avant 1968 les regraveglements ameacutericains se limitaient agrave eacutenoncer le principe de pleine concurrence comme principe fondamental sous-tendant lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code ou sa version leacutegislative anteacuterieure lrsquoarticle 45 du Revenue Act of 1928 sans prescrire lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de deacutetermination des prix de transfert en particulier UNITED STATES Treasury Department and Internal Revenue Service A Study of Intercompany Pricing Claitorrsquos Baton Rouge 1988 (en ligne httpwwwarchiveorgdetailsstudyofintercomp00unit) pp 6-12 (laquo Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute raquo)

92 Jinyan LI laquo Global Profit Split An Approach to International Income Allocation raquo (2002) vol 50 no 3 Revue fiscale canadienne 823-883 (Taxfind) p 860 Le chapitre 1 du Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 13-14 deacutefinit sommairement les meacutethodes susmentionneacutees lesquelles srsquoappliquent geacuteneacuteralement agrave toutes les cateacutegories de transactions comme suit la premiegravere meacutethode consiste agrave laquo [s]e reacutefeacuterer directement au prix qui serait pratiqueacute dans des transactions comparables entre des entreprises indeacutependantes ou entre une entreprise drsquoun groupe et une entreprise indeacutependante raquo la seconde implique que lrsquolaquo on part du coucirct de la fourniture des biens ou services et [qursquo]on y ajoute les coucircts et la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo tandis que dans la meacutethode du prix de revente laquo on part du prix de vente final dont on deacutefalque la marge beacuteneacuteficiaire approprieacutee raquo LrsquoOCDE recommande aussi comme quatriegraveme meacutethode toutes autres meacutethodes jugeacutees acceptables

93 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 p 14

466 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

incertaine vu la confusion eacutevidente dans le rapport de 1979 des meacutethodes du partage des beacuteneacutefices avec la meacutethode globale94

312 Les lignes directrices de 1995 de lrsquoOCDE

Coupant court agrave lrsquoambiguiumlteacute des meacutethodes de substitution deacutecoulant du rapport de 1979 les Principes directeurs publieacutes en 199595 qui annulent et remplacent les premiegraveres lignes directrices teacutemoignent par-dessus tout de lrsquointeacuterecirct manifeste de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices en particulier la meacutethode du partage des beacuteneacutefices pour estimer les prix de pleine concurrence96 De ce point de vue les nouvelles lignes directrices convergent avec les conclusions de lrsquoeacutetude reacutealiseacutee au deacutebut des anneacutees 1990 par lrsquoAssociation fiscale internationale (laquo IFA raquo) sur la compatibiliteacute des meacutethodes de substitution avec le principe de pleine concurrence la meacutethode de la division des beacuteneacutefices consiste en la meacutethode de substitution la plus utiliseacutee dans les pays membres de lrsquoIFA97 Prise en 1992 la deacutecision du Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE de reacuteviser les lignes directrices eacutenonceacutees 13 ans auparavant surgit en reacuteaction contre la diffusion de regraveglements ameacutericains introduisant une nouvelle meacutethode de deacutetermination des prix de transfert fondeacutee sur les beacuteneacutefices98

94 Id pp 46-47 95 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales feuilles mobiles Paris 1995 (laquo Principes directeurs de 1995 raquo) Comportant 175 pages le document est diviseacute en cinq chapitres

96 Frances M HORNER laquo International Cooperation and Understanding Whatrsquos New About The OECDrsquos Transfer Pricing Guidelines raquo (1996) vol 50 no 2 University of Miami Law Review 577 (HeinOnline Law Journal Library) pp 589-591

97 Guglielmo MAISTO laquo Rapport geacuteneacuteral raquo dans laquo Deacutetermination des prix de transfert en lrsquoabsence de prix de marcheacute comparables raquo vol LXXVIIa Cahiers de droit fiscal international IFA Cancun 1992 (laquo IFA 1992 raquo) pp 114-116 Les facteurs de reacutepartition (deacutepenses actifs chiffre drsquoaffaires etc) de la meacutethode de la division des beacuteneacutefices ne sont pas preacuteeacutetablis mais deacutetermineacutes par lrsquoadministration fiscale agrave la suite drsquoune analyse des fonctions exerceacutees par lrsquoentreprise multinationale

98 AD HOC GROUP OF EXPERTS ON INTERNATIONAL COOPERATION IN TAX MATTERS Tenth Meeting Transfer Pricing History State of the Art Perspectives Doc NU STSGAC82001CRP6 26 juin 2001 (en ligne httpunpan1unorg intradocgroupspublicdocumentsununpan004399pdf) (laquo ONU Transfer Pricing History raquo) pp 12-19 Lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code tel que modifieacute par la Tax Reform Act of 1986 preacutevoit que les beacuteneacutefices reacutesultant du transfert ou de lrsquooctroi drsquoune licence drsquoun bien incorporel doivent ecirctre proportionnels aux beacuteneacutefices

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 467

Fait agrave noter ces Principes directeurs preacutesentent explicitement le paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE comme lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute agrave lrsquoeacutegard du principe de pleine concurrence99 Du reste ils preacutecisent davantage les regravegles et la deacutemarche concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence que ne le faisait le rapport de 1979100 Le cadre drsquoanalyse suggeacutereacute est plus structureacute et les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent deacutesormais une plus grande importance

Plusieurs eacuteleacutements nouveaux apparaissent dans les lignes directrices notamment lrsquoanalyse de comparabiliteacute101 dont lrsquoune des eacutetapes de reacutealisation lrsquoanalyse fonctionnelle est degraves 1988 mise de lrsquoavant aux (hellipsuite)

attribuables agrave ce bien incorporel Le deacutepartement du Treacutesor ameacutericain cherche ainsi agrave reacutesoudre les difficulteacutes relatives agrave la deacutetermination des prix des biens incorporels qui possegravedent un potentiel de profits eacuteleveacutes pour lesquels il nrsquoexiste pas de transactions comparables et qui sont transfeacutereacutes des Eacutetats-Unis vers des refuges fiscaux Voir Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 45-55 Comme le preacutecise le document de lrsquoOCDE intituleacute Les aspects fiscaux des prix de transfert pratiqueacutes au sein des entreprises multinationales ndash Les propositions ameacutericaines de regraveglements Un rapport du Comiteacute des Affaires fiscales sur les propositions de regraveglements au titre de lrsquoarticle 482 du Code des impocircts (IRC) des Eacutetats-Unis OCDE Paris 1993 pp 27-28 la conformiteacute au principe de pleine concurrence de la nouvelle meacutethode de deacutetermination de prix de transfert introduite dans les regraveglements ameacutericains est mise en doute par lrsquoOCDE

laquo Le Groupe drsquoeacutetude considegravere que mecircme si [sic] en theacuteorie la meacutethode des beacuteneacutefices comparables qui sous-tend [sic] les propositions de regraveglements peut reflegraveter [sic] un beacuteneacutefice de pleine concurrence de mecircme qursquoun prix comparable peut reflegraveter [sic] un prix de pleine concurrence la mise en pratique de la theacuteorie soulegraveve de graves difficulteacutes Le poids consideacuterable confeacutereacute agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables dans les propositions de regraveglements accentue le risque de parvenir agrave un reacutesultat qui ne soit pas conforme au principe de pleine concurrence Srsquoil est souvent difficile de trouver un prix comparable il peut ecirctre tout aussi difficile de trouver un beacuteneacutefice comparable Le Groupe drsquoeacutetude estime que lrsquoapproche du partage des beacuteneacutefices pose moins de problegravemes bien qursquoil ne srsquoagisse pas non plus drsquoune approche baseacutee sur les transactions Crsquoest pourquoi elle a eacuteteacute utiliseacutee de preacutefeacuterence agrave la meacutethode des beacuteneacutefices comparables par les administrations fiscales dans le cas ougrave les meacutethodes baseacutees sur les transactions ne sont pas disponibles raquo (Notre soulignement)

99 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 16 Agrave lrsquoinstar du Rapport de 1979 ils nrsquoexpliquent pas lrsquoorigine historique du principe de pleine concurrence

100 F M HORNER preacuteciteacute note 96 pp 579-586 101 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 115-135

468 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Eacutetats-Unis102 Qui plus est lrsquointroduction de la notion ineacutedite de laquo meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices raquo accentue encore plus lrsquoapproche transactionnelle adopteacutee par lrsquoOCDE en 1979 Compte tenu de ce qui preacutecegravede il est vraisemblable que ces Principes directeurs soient dans les circonstances le reacutesultat drsquoun compromis neacutegocieacute qui dissimule les diffeacuterences theacuteoriques et pratiques en matiegravere de prix de transfert entre les Eacutetats-Unis et les autres pays de lrsquoOCDE Certains avancent lrsquoopinion que lrsquoOCDE aurait consenti agrave permettre lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices sous reacuteserve que les Eacutetats-Unis acceptent de maintenir une application prioritaire des trois meacutethodes de base fondeacutees sur les transactions103

Si tant est que cette solution intermeacutediaire ait permis de deacutenouer lrsquoimpasse dans laquelle srsquoeacutetaient enfermeacutes lrsquoOCDE et les Eacutetats-Unis elle contribue bien entendu agrave maintenir le consensus international autour du principe de pleine concurrence104 Agrave compter du milieu des anneacutees 1990 des dizaines de pays choisissent drsquointeacutegrer dans leur leacutegislation fiscale nationale respective des mesures leacutegislatives conformes au principe de pleine concurrence de sorte que ce dernier est veacuteritablement devenu une norme accepteacutee agrave lrsquoeacutechelon international comme mesure leacutegislative fiscale pour reacutegir les prix de transfert105 Pour les pays membres de lrsquoOCDE plusieurs raisons justifient le refus de lrsquoabandon du principe de pleine concurrence la neutraliteacute dans le traitement des socieacuteteacutes lieacutees et des socieacuteteacutes indeacutependantes la faciliteacute drsquoapplication dans la plupart des cas la soliditeacute des fondements theacuteoriques le caractegravere satisfaisant des niveaux de beacuteneacutefices deacutetermineacutes pour les administrations fiscales la reacutepartition proportionnelle des beacuteneacutefices entre les socieacuteteacutes lieacutees membres du groupe calculeacutee en fonction des activiteacutes

102 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 pp 94-97 En bref

lrsquoanalyse fonctionnelle vise agrave deacuteterminer les entiteacutes speacutecifiques qui ont la responsabiliteacute des risques et la proprieacuteteacute des biens incorporels au sein du groupe multinational drsquoentreprises Valerie AMERKHAIL laquo Armrsquos Length or Formulary Aportionment Sometimes the Best Choice is Both raquo (2000) vol 9 no 13 Tax Management Transfer Pricing Report 25 p 29

103 J LI preacuteciteacute note 92 p 861 et R VANN preacuteciteacute note 35 p 137 104 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 113-114 105 La plupart des pays adhegraverent aujourdrsquohui au principe de pleine concurrence Agrave la fin

de lrsquoanneacutee 2011 quelque 100 pays avaient adopteacute des regravegles sur les prix de transfert UN Practical Transfer Pricing Manual for Developing Countries chap 1 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm) par 192 (laquo Manuel de lrsquoONU raquo)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 469

eacuteconomiques de chacune drsquoelles lrsquoacceptation de la norme sur le plan international et lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement reacutealiste106

En parallegravele ces mecircmes pays membres rejettent la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme solution de remplacement au principe de pleine concurrence Le refus agrave la diffeacuterence des lignes directrices de 1979 est exprimeacute de faccedilon cateacutegorique107 Loin drsquoecirctre entiegraverement nouveaux les principaux arguments invoqueacutes agrave lrsquoappui de ce refus soit les difficulteacutes lieacutees agrave la coordination et agrave la coopeacuteration internationales sur les formules preacuteeacutetablies agrave la deacutetermination de la composition du groupe multinational agrave la neacutecessiteacute drsquoun systegraveme comptable commun ainsi qursquoagrave lrsquoutilisation des formules arbitraires srsquoapparentent agrave ceux mentionneacutes au deacutebut des anneacutees 1930 dans les conclusions de lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices dirigeacutee par Carroll108

313 Les lignes directrices de 2010 de lrsquoOCDE

Agrave partir de 1995 les Principes directeurs sont lrsquoobjet drsquoune reacutevision permanente Durant la peacuteriode de 1996 agrave 1999 le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE srsquoaffaire notamment agrave formuler des Principes directeurs additionnels visant entre autres les services intragroupes les biens incorporels les accords de reacutepartition de coucircts et les accords preacutealables de prix Puis en 2010 lrsquoOCDE reacutevise en profondeur les chapitres I agrave III des Principes directeurs lesquels traitent du principe de pleine concurrence et des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert et ajoute le nouveau chapitre IX relatif aux prix de transfert des reacuteorganisations drsquoentreprises Deux sujets prioritaires preacuteoccupent lrsquoOCDE les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices et la reacutealisation de lrsquoanalyse de comparabiliteacute

Forte de lrsquoexpeacuterience acquise depuis 1995 dans lrsquoapplication des meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices lrsquoOCDE abandonne la hieacuterarchie des meacutethodes de prix de transfert et recommande deacutesormais que la meacutethode de deacutetermination des prix de transfert choisie soit laquo la meacutethode la plus approprieacutee dans un cas speacutecifique raquo109 Virage important srsquoil en est un 106 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 17 18 113 et 114 107 Id par 114 et 358 agrave 374 108 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 666-670 109 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Principes de lrsquoOCDE applicables en matiegravere de prix de transfert agrave lrsquointention des entreprises multinationales et des administrations fiscales juillet 2010 (OECDiLibrary) (laquo Principes directeurs de 2010 raquo) par 22

470 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE ayant toujours accordeacute depuis 1979 la preacutefeacuterence aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles110 Quant aux analyses de comparabiliteacute lrsquoOCDE reconduit les indications geacuteneacuterales eacutenonceacutees au chapitre I relativement aux cinq critegraveres de comparabiliteacute et fournit dans le chapitre III reacuteviseacute des explications deacutetailleacutees au sujet du processus relatif agrave la reacutealisation de telles analyses lequel nrsquoinclut pas moins de neuf eacutetapes111

Les modifications de lrsquoOCDE sont calqueacutees grosso modo sur la position eacutenonceacutee dans les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code adopteacutes en juillet 1994 par le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis112 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous pouvons argumenter en faveur de lrsquoexistence drsquoune grande similitude entre drsquoune part certaines regravegles et meacutethodes preacutevues dans les lignes directrices de lrsquoOCDE publieacutees en 1979 1995 et 2010 et drsquoautre part les regraveglements ameacutericains qui ont trait aux prix de transfert Certains qui conjecturent sur cette similitude sont porteacutes agrave induire que celle-ci serait le fruit de la politique fiscale ameacutericaine deacutefendue dans les anneacutees 1960 par Stanley Surrey visant agrave propager les regraveglements relatifs agrave lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et agrave les faire accepter dans les pays partout dans le monde comme regravegles de reacutepartition des beacuteneacutefices113

Agrave force de raffiner lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence les Principes directeurs de 2010 totalisent un nombre de pages presque quatre fois plus eacuteleveacute que les lignes directrices publieacutees en 1979114 Le cadre drsquoanalyse proposeacute par lrsquoOCDE est de plus en plus structureacute deacutetailleacute et complexe alors que les aspects techniques des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert occupent une importance de plus en plus grande Concept theacuteorique geacuteneacuteral au deacutepart il ne fait pas de doute que le principe de 110 ERNST amp YOUNG 2010 Global Transfer Pricing Survey Addressing the Challenges

of Globalization EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublication vwLUAssetsGlobal_transfer_pricing_survey_2010$FILE2010Globaltransferpricingsurvey_17Janpdf) p 13

111 Lrsquoobligation drsquoaccomplir une analyse de comparabiliteacute drsquoabord deacuteveloppeacutee dans les Principes directeurs de 1995 puis raffineacutee en 2010 nrsquoest pas preacutevue expresseacutement dans le texte du paragraphe 9(1) du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE

112 TD 8552 1994-2 CB 93 Sur ce point voir US DEPARTMENT OF THE TREASURY Report on the Application and Administration of Section 482 Washington 21 avril 1999 (en ligne httpwwwirsgovpubirs-pdfp3218pdf) chap 2 partie II section A

113 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 Voir eacutegalement J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 109

114 Le document reacuteviseacute en 2010 comporte 408 pages

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 471

pleine concurrence a gagneacute depuis en sophistication juridique et eacuteconomique115 Ainsi la tendance de lrsquoOCDE agrave la technicisation du principe de pleine concurrence manifesteacutee depuis un peu plus de 30 ans favorise le deacuteveloppement de multiples regravegles deacutetailleacutees souvent compliqueacutees couvrant des champs drsquoapplication de plus en plus pointus116

Le deacuteploiement est si consideacuterable que la somme des eacutenonceacutes des regravegles preacutecises et des meacutethodes speacutecifiques contribue de toute eacutevidence agrave nourrir le dogme de lrsquoapproche transactionnelle instaureacute par lrsquoOCDE pour appliquer le principe de pleine concurrence De plus cette tendance ne paraicirct pas vouloir disparaicirctre tant srsquoen faut dans un avenir rapprocheacute Nous pouvons deacutejagrave infeacuterer sans faire preuve drsquoune grande perspicaciteacute que la prochaine reacutevision des Principes directeurs augmentera assureacutement encore lrsquoeacutetendue des principes regroupeacutes dans la version publieacutee en 2010 car lrsquoOCDE poursuit des travaux dans drsquoautres projets drsquoenvergure notamment les prix de transfert des actifs incorporels et les aspects administratifs des prix de transfert

115 J OWENS preacuteciteacute note 67 p 3

laquo What began as a relatively straightforward expression of a simple principle has since developed into an increasingly sophisticated technical matter which involves both legal and economic concepts On the conceptual level an inherent and acknowledged difficulty is how to allocate profits to various parts of multinational enterprises as if they were independent parties while recognising that multinational enterprises are more than ever behaving globally On the more technical side we are seeing the development of increasingly sophisticated economic analysis of risks comparability adjustments intangible valuation etc This creates challenges for tax administrations ndash particularly in developing countries ndash and taxpayers alike as enforcement and compliance are becoming ever more complex and resource-intensive raquo

116 J Scott WILKIE laquo Reflecting on the ldquoArmrsquos Length Principlerdquo What is the ldquoPrinciplerdquo Where Next raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 137 (en ligne httplinkspringercom book101007978-3-642-25980-7page1) p 144

laquo The TPG [Transfer Pricing Guidelines] are not the armrsquos length principle But sometimes this is hard to tell [hellip] Together with countriesrsquo transfer pricing rules and practices the TPG are directed to and indeed have become consumed by methodological rules-based and often mechanical ldquoanalysesrdquo directed to somehow divining the ldquorightrdquo price for discrete transfers apparently similar to those involving outsiders It is then assumed that the aggregation of these outcomes should necessarily yield income satisfying the armrsquos length ldquoprinciplerdquo raquo

472 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

En somme les Principes directeurs eacutelaboreacutes par lrsquoOCDE au fil du temps revecirctent aujourdrsquohui un caractegravere pour ainsi dire sacreacute qui srsquoapparente agrave celui drsquoune bible117 Mecircme si les pays membres ne sont pas contraints du point de vue juridique de les appliquer118 les Principes directeurs sont pourvus drsquoune autoriteacute morale et constituent le seul guide international de reacutefeacuterence concernant lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Cette assertion nrsquoest du moins qursquoen partie exacte puisque la reacutedaction drsquoun autre guide est en cours sous lrsquoeacutegide de lrsquoONU

32 LA REFORMULATION DU DOGME DE LA PERSPECTIVE

TRANSACTIONNELLE POUR LE RENDRE PLUS COMPREacuteHENSIBLE UNE VOLONTEacute DES PAYS EN DEacuteVELOPPEMENT

Degraves lrsquoadoption en 1979 du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU les pays membres de cette organisation internationale conviennent drsquoadheacuterer entiegraverement aux fins de la deacutetermination des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees au contenu descriptif deacuteveloppeacute par lrsquoOCDE relativement au principe de pleine concurrence119 Si bien que jusqursquoagrave maintenant les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement tentent de mettre en œuvre des Principes directeurs qui ne prennent pas en compte les inadeacutequations agrave la reacutealiteacute leacutegislative et eacuteconomique ni agrave la reacutealiteacute de la main-drsquoœuvre speacutecialiseacutee en fiscaliteacute des prix de transfert Pour pallier le deacutecalage entre la theacuteorie eacutelaboreacutee par lrsquoOCDE et sa mise en pratique lrsquoONU deacutecide en 2008 de se lancer agrave son tour dans la conception drsquoun manuel sur les regravegles de prix de transfert120

117 John J A BURKE laquo Re-Thinking First Principles of Transfer Pricing Rules raquo

(2011) vol 30 no 3 Virginia Tax Review 613 (Proquest ABIInform Complete) p 618

118 Voir la section 42 ci-dessous 119 Modegravele de lrsquoONU 1980 preacuteciteacute note 80 120 ORGANISATION DES NATIONS UNIES Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration

internationale en matiegravere fiscale Manuel pratique des prix de transfert pour les pays en deacuteveloppement Note du Secreacutetariat Doc NU EC1820095 18 aoucirct 2009 (en ligne httpwwwunorgfrenchdocumentsview_docaspsymbol=E2Fc182F 20092F5ampSubmit=RechercheampLang=F) p 4 Plus preacuteciseacutement le projet de manuel est dirigeacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale un organe subsidiaire du Bureau du financement du deacuteveloppement du Deacutepartement des affaires eacuteconomiques et sociales (DAES) lequel fait partie du Secreacutetariat des Nations Unies

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 473

321 Les eacutecueils de la mise en pratique des lignes directrices de lrsquoOCDE

Parmi les nombreux pays membres de lrsquoONU il y a des pays en deacuteveloppement sur le plan eacuteconomique financier et social Certains sont deacutesigneacutes officiellement comme les pays les moins avanceacutes121 tandis que drsquoautres se voient attribuer de maniegravere informelle lrsquoappellation laquo pays eacutemergents raquo122 Ces derniers dont la situation tend vers celle des pays deacuteveloppeacutes qui avait cours dans les anneacutees 1970 agrave 1990123 profitent de la mondialisation des marcheacutes et jouissent drsquoune croissance eacuteconomique rapide Comme les Principes directeurs sont conccedilus par lrsquoOCDE agrave lrsquointention speacutecifique des pays deacuteveloppeacutes les administrations fiscales et les entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales dans les pays en deacuteveloppement se mesurent en particulier agrave deux principaux eacutecueils pour fixer les prix de cession interne transfrontaliers124

Premiegraverement lrsquoexercice de trouver des transactions comparables aux fins de la mise en pratique de la meacutethode comparable du marcheacute de pleine concurrence se reacutevegravele ardu voire impossible pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales des pays en deacuteveloppement En fait le marcheacute inteacuterieur restreint dont disposent ces pays justifie naturellement lrsquoabsence de transaction comparable Eacutetant donneacute lrsquoimportance accordeacutee agrave la meacutethode transactionnelle du prix comparable sur le marcheacute libre par lrsquoOCDE depuis 1979 dans les Principes directeurs ce premier

121 Voir la liste eacutetablie en 2012 par le Conseil eacuteconomique et social des Nations Unies

(ECOSOC) laquelle est mise agrave jour tous les trois ans et qui comprend actuellement 48 pays principalement des pays drsquoAfrique UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT The Least Developed Countries Report 2012 Doc NU UNCTADLDC2012 (en ligne httpunctadorgenPublicationsLibrary ldc2012_enpdf) p iii

122 Notamment lrsquoAfrique du Sud le Breacutesil la Reacutepublique populaire de Chine lrsquoInde et lrsquoIndoneacutesie lesquels font drsquoailleurs lrsquoobjet drsquoun programme drsquolaquo engagement renforceacute raquo de lrsquoOCDE Agrave ce sujet voir le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorgfraproposmembresetpartenaires Toutefois il nrsquoexiste pas de deacutefinition eacuteconomique formelle du concept de pays eacutemergents ANONYME laquo Les pays eacutemergents dans le monde raquo Le Monde 25 janvier 2010 (en ligne httpwwwlemondefreconomiearticle20100125les-pays-emergents-dans-le-monde_1296196_3234html)

123 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1810 124 Les difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont cours dans les pays

deacuteveloppeacutes voir la section 41 ci-dessous Toutefois elles sont davantage criantes dans les pays en deacuteveloppement

474 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacutecueil constitue de loin la difficulteacute la plus grave pour les entreprises multinationales et les administrations fiscales Et pour cause lrsquoampleur de la tacircche srsquoapparenterait au fait de chercher une aiguille dans une botte de foin125

Deuxiegravemement la complexiteacute et le coucirct en temps requis pour appliquer les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence posent un lourd deacutefi aux administrations fiscales des pays en deacuteveloppement Il va sans dire que le caractegravere hautement theacuteorique des Principes directeurs de lrsquoOCDE ne facilite en rien lrsquoapplication pratique dans le contexte convenu de veacuterifications au cas par cas drsquoune meacutethode plutocirct qursquoune autre Vu lrsquoabsence de transaction comparable la rareteacute de lrsquoexpertise en matiegravere de prix de transfert dans les administrations fiscales complique encore davantage la fixation des prix de transfert en ce qursquoelle entrave lrsquoindispensable analyse des eacuteleacutements factuels propre agrave chaque cas

322 Le projet de manuel sur les prix de transfert de lrsquoONU

Amorceacutes en 2009 les travaux du sous-comiteacute chargeacute des questions pratiques sur les prix de transfert ont pour but de concevoir un manuel agrave lrsquointention des administrations fiscales des pays en deacuteveloppement plus pratique que les Principes directeurs de lrsquoOCDE Le projet de manuel srsquoappuie sur la preacutemisse tenue pour certaine du bien-fondeacute et de la pertinence du principe de pleine concurrence eacutenonceacutee au paragraphe 9(1) du Modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoONU comme norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale des beacuteneacutefices Approuveacute par le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale agrave lrsquoautomne 2012126 il aborde diffeacuterents problegravemes auxquels sont confronteacutes les pays en deacuteveloppement y compris le manque de donneacutees comparables lrsquoinsuffisance de personnel posseacutedant des connaissances speacutecialiseacutees en matiegravere de prix de transfert et la croissance de lrsquoeacuteconomie intangible

125 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 1 par 1107 126 UNITED NATIONS Committee of Experts on International Cooperation in Tax

Matters Eighth Session Note on UN Transfer Pricing Manual for Developing Countries Doc NU EC182012CRP1 2 octobre 2012 (en ligne httpwwwunorgesaffdtaxdocumentsbgrd_tphtm)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 475

Dans un style de reacutedaction plus simple et plus clair que celui utiliseacute par lrsquoOCDE lrsquoONU srsquoefforce de vulgariser les concepts pertinents au domaine des prix de transfert agrave lrsquointeacuterieur des 10 chapitres du nouveau manuel dont le texte est deacutejagrave disponible en ligne127 Les efforts des nombreux reacutedacteurs provenant des cinq continents du monde soit des praticiens de pratique priveacutee quelques universitaires et des officiers gouvernementaux sont agrave cet eacutegard notables128 Crsquoest ainsi que les paragraphes sont tregraves courts et fournissent plusieurs exemples des tableaux et des scheacutemas

Par ailleurs les objectifs poursuivis par ce manuel deacutebordent lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence Outre notamment la simplification des notions et concepts en termes concrets et la preacutesentation drsquoexemples pratiques pour illustrer la theacuteorie lrsquoONU propose du point de vue juridique et administratif une deacutemarche globale pour aider les pays en deacuteveloppement agrave reacutediger un projet de loi sur les prix de transfert129 agrave organiser des services au sein des administrations fiscales pour deacuteterminer les prix de transfert130 et agrave instaurer des programmes de veacuterification des prix de transfert131

127 Ce manuel comme les Principes directeurs de lrsquoOCDE ne traite pas de lrsquoaspect

historique du principe de pleine concurrence 128 Drsquoaucuns soulegravevent la deacutelicate question de la soi-disant apparence drsquoindeacutependance

drsquoesprit et drsquoimpartialiteacute des reacutedacteurs qui sont des praticiens de pratique priveacutee et dont les inteacuterecircts financiers en tant que professionnels pourraient potentiellement aller agrave lrsquoencontre du mandat confieacute au Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale pour ce qui concerne le controcircle des coucircts de conformiteacute aux regravegles sur les prix de transfert Michael C DURST exprime lrsquoopinion dans laquo OECD UN Tax Panel Need to Preserve Their Independence raquo (2011) 130 Tax Notes 1603 (Tax Analysts) que les pays membres de lrsquoONU devraient exiger que ce Comiteacute puisse beacuteneacuteficier du personnel neacutecessaire afin de mener de maniegravere autonome les travaux relatifs au manuel sur les regravegles de prix de transfert agrave lrsquointention des pays en deacuteveloppement sans recourir agrave lrsquoaide beacuteneacutevole de praticiens

129 Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 chap 3 130 Id chap 4 131 Id chap 8

476 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Ouvrage inacheveacute il sera reacuteviseacute au besoin et abordera lors de la seconde phase du projet le sujet des biens incorporels et des services132 De toute eacutevidence la reacutedaction par lrsquoONU drsquoun guide drsquoapplication du principe de pleine concurrence pour venir en aide aux pays en deacuteveloppement donne ouverture agrave la possibiliteacute de positions divergentes de celles de lrsquoOCDE quant agrave lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du concept de pleine concurrence Il nrsquoest pas deacuteraisonnable drsquoavancer que les reacutepercussions eacuteventuelles de la premiegravere incursion de lrsquoONU dans la chasse gardeacutee de lrsquoexpertise deacuteveloppeacutee par lrsquoOCDE en ce qui concerne le principe de pleine concurrence pourraient inclure une possible lutte de pouvoir agrave venir entre les deux organisations intergouvernementales Cela est drsquoautant plus probable que dans lrsquoavenir de plus en plus de pays en deacuteveloppement drsquoAfrique et drsquoAsie concluront des conventions fiscales bilateacuterales

Nul doute que lrsquoOCDE et lrsquoONU exercent aujourdrsquohui une autoriteacute manifeste de plus en plus grande dans le domaine de la fiscaliteacute agrave lrsquoeacutechelon international133 Avec le concours de lrsquoOCDE le principe de pleine concurrence devient apregraves la Seconde Guerre mondiale la seule reacutefeacuterence normative internationale autant pour les pays deacuteveloppeacutes que pour les pays en deacuteveloppement afin drsquoeffectuer la reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees entre les juridictions fiscales et ce agrave la deacutefaveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices De plus lrsquoexamen du contexte historique permet de conclure que lrsquoascension de la pratique administrative nationale de la meacutethode de la comptabiliteacute distincte au rang de standard leacutegislatif national srsquoest opeacutereacutee en deux phases sous lrsquoinfluence preacutepondeacuterante des Eacutetats-Unis Drsquoabord la SDN dans les anneacutees 1930 et ensuite lrsquoOCDE dans les anneacutees 1960 srsquoapproprient des pratiques administratives et reacuteglementaires du deacutepartement du Treacutesor ameacutericain sur les prix de transfert

Les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale et les lignes directrices conccedilus par le Comiteacute des affaires fiscales de lrsquoOCDE et le Comiteacute drsquoexperts de la coopeacuteration internationale en matiegravere fiscale de lrsquoONU ont eu au XXe siegravecle une influence deacutecisive sur lrsquoeacutelaboration et lrsquoapplication

132 UNITED NATIONS preacuteciteacute note 126 pp 2-3 Toutefois en lrsquoabsence de

renseignements preacutecis sur les intentions futures de lrsquoONU les auteurs ne peuvent affirmer que cette derniegravere a pour but immeacutediat ou eacuteventuel de modifier le dogme en fonction de la reacutealiteacute eacuteconomique des pays de lrsquoONU

133 ERNST amp YOUNG 2011-2012 Tax Risk and Controversy Survey A New Era of Global Risk and Uncertainty EYGM Limited 2011 (en ligne httpwwweycomPublicationvwLUAssets20112012_Tax_risk_and_controversy_survey$FILE2011-2012_Tax_risk_and_controversy_surveypdf) p 20

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 477

des regravegles leacutegislatives et des pratiques administratives des gouvernements nationaux Ils continuent drsquoavoir au deacutebut du XXIe siegravecle la mecircme influence deacutecisive mais des organisations non gouvernementales telles Christian Aid134 Actionaid135 et Tax Justice Network136 jouent un rocircle de plus en plus actif qui contrebalance le soutien dont font lrsquoobjet aupregraves de lrsquoOCDE les inteacuterecircts des entreprises multinationales et des pays deacuteveloppeacutes137 De plus ces organisations participent agrave remettre en question la pertinence du critegravere du principe de pleine concurrence et son application dans le monde drsquoaujourdrsquohui

Deuxiegraveme partie minus Le concept de pleine concurrence lrsquoenjeu de la controverse autour drsquoune norme internationale

Degraves le deacutebut des anneacutees 1970 la controverse autour du principe de pleine concurrence bat son plein aux Eacutetats-Unis138 Drsquoores et deacutejagrave les experts 134 Organisme de bienfaisance enregistreacute au Royaume-Uni Christian Reconstruction

dont le nom a eacuteteacute remplaceacute par Christian Aid en 1964 est creacuteeacute dans les anneacutees 1940 afin de combattre la pauvreteacute Pour plus de renseignements voir en ligne httpwwwchristianaidorgukaboutuswhohistoryindexaspx

135 Fondeacute en 1972 en Grande-Bretagne ActionAid alors appeleacute Action in Distress cherche agrave enrayer la pauvreteacute dans le monde Le siegravege social est situeacute en Afrique du Sud depuis 2003 Source en ligne httpwwwactionaidorgintl=

136 Tax Justice Network (Reacuteseau mondial pour la justice fiscale) est une organisation internationale indeacutependante sans but lucratif creacuteeacutee en 2003 et immatriculeacutee conformeacutement agrave la loi de la Belgique Elle cherche agrave promouvoir la justice fiscale et la coopeacuteration fiscale ainsi qursquoagrave combattre lrsquoeacutevitement fiscal lrsquoeacutevasion fiscale et la concurrence fiscale Les conseillers principaux de lrsquoorganisation consistent en les suivants Jack Blum avocat œuvrant pour le cabinet Baker Hostetler agrave Washington Michael J McIntyre professeur de droit au Wayne State University des Eacutetats-Unis Richard Murphy comptable agreacuteeacute directeur du Tax Research LLP au Royaume-Uni Sol Picciotto professeur eacutemeacuterite de droit agrave lrsquoUniversiteacute Lancaster au Royaume-Uni Prem Sikka professeur de comptabiliteacute agrave lrsquoUniversiteacute drsquoEssex au Royaume-Uni David Spencer avocat agrave New York speacutecialiseacute en droit fiscal et bancaire Oscar Ugarteche eacuteconomiste agrave lrsquoInstitute of Economic Research de lrsquoUniversidad Nacional Autoacutenoma de Mexico et Edmund Valpy Fitzgerald professeur en deacuteveloppement international agrave lrsquoUniversiteacute drsquoOxford au Royaume-Uni Pour plus de deacutetails voir en ligne httpwwwtaxjusticenetcmsfront_contentphpidcat=81ampidart=96ampclient= 1ampchangelang=1

137 M C DURST preacuteciteacute note 128 p 1604 138 Ayant fait le choix de traiter le principe de pleine concurrence uniquement du point de

vue du droit fiscal international public les auteurs nrsquoont donc pas examineacute en deacutetail agrave lrsquoexception du Canada lrsquointeacutegration de ce principe dans les systegravemes fiscaux nationaux drsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes des principaux pays de lrsquoOCDE ni compareacute les particulariteacutes des leacutegislations nationales Pour ce qui concerne le Canada

(agrave suivrehellip)

478 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en fiscaliteacute les entreprises multinationales lrsquoadministration fiscale ameacutericaine ndash lrsquoIRS ndash et les tribunaux deacutesapprouvent lrsquoimpreacutevisibiliteacute ainsi que la subjectiviteacute des prix de transfert des socieacuteteacutes lieacutees deacutetermineacutes en vertu de lrsquoarticle 482 de lrsquoInternal Revenue Code et surtout des premiers regraveglements adopteacutes en 1968139 Lrsquoeacutelaboration de ces regraveglements un terreau leacutegislatif propice aux deacutebats donne suite agrave lrsquoentente sur les mesures leacutegislatives conclue en 1962 entre la Chambre des repreacutesentants ndash qui initialement proposait lrsquoinstauration de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee agrave lrsquoeacutegard des cessions internes de biens corporels ndash et le Seacutenat140

Puis dans la peacuteriode 1985-1995141 cette controverse prend de lrsquoampleur agrave la suite de lrsquoadoption des propositions de regraveglements modifieacutes concernant la reacuteforme fiscale ameacutericaine de 1986 notamment de la regravegle de la meilleure meacutethode de deacutetermination des prix de transfert et de la publication en 1995 des lignes directrices reacuteviseacutees de lrsquoOCDE sur lrsquoapplication du principe de pleine concurrence142 Les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

(hellipsuite)

lrsquoanalyse du deacuteveloppement leacutegislatif des regravegles canadiennes sur les prix de transfert permet de conclure que ce dernier a adheacutereacute au principe de pleine concurrence en plusieurs eacutetapes et ce sur une peacuteriode de plus de 40 ans (1952-1998) sans qursquoil existe de controverse analogue agrave celle ayant cours aux Eacutetats-Unis Notamment lrsquointroduction de lrsquoarticle 247 de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu (LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo)) qui srsquoapplique aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves 1997 et remplace les paragraphes 69(2) et 69(3) LIR marque lrsquointeacutegration formelle du principe de pleine concurrence dans la loi canadienne

139 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE Report to the Chairman House Committee on Ways and Means laquo IRS Could Better Protect US Tax Interests in Determining the Income of Multinational Corporations raquo 1981 (en ligne httparchivegaogovf0102116575pdf) pp 43-47

140 Pour la deacutefinition du concept de la reacutepartition fractionneacutee illimiteacutee voir supra note 25 Michael C DURST et Robert E CULBERTSON laquo Clearing Away the Sand Retrospective Methods and Prospective Documentation in Transfer Pricing Today raquo (2003-2004) vol 57 no 1 Tax Law Review 37 (HeinOnline Law Journal Library) pp 48-52 Michael C DURST laquo OECD Guidelines Causes and Consequences raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 129-130

141 Peacuteriode deacutesigneacutee sous le vocable de laquo partie de bras de fer raquo entre le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis et plusieurs gouvernements des pays eacutetrangers ainsi que les entreprises multinationales M C DURST preacuteciteacute note 140 p 128

142 Id pp 61-90 Stanley I LANGBEIN laquo Cognitive Capture Parliamentary Parentheses and the Rise of Fractional Apportionment raquo (2010) vol 39 no 10

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 479

marquent momentaneacutement des points sur le terrain de la politique une reacutesolution en faveur drsquoun changement du paradigme existant est adopteacutee en 1994 par le Seacutenat ameacutericain agrave lrsquoinitiative du seacutenateur deacutemocrate Dorgan143 lequel considegravere le principe de pleine concurrence comme un vestige du passeacute permettant aux entreprises multinationales qui exercent des activiteacutes commerciales aux Eacutetats-Unis de payer peu drsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou de nrsquoen payer aucun144

4 LE CHANGEMENT DE PARADIGME DANS LE CONTEXTE DU

COMMERCE MONDIAL MODERNE LA REacutePARTITION GLOBALE DES

BEacuteNEacuteFICES

Plus de 15 ans apregraves le deacutebut de la partie de bras de fer aux Eacutetats-Unis des universitaires et des praticiens de pratique priveacutee continuent dans la deacutecennie 2000-2010 de contester lrsquoefficaciteacute de la reacuteglementation ameacutericaine Certains se prennent mecircme drsquoengouement pour lrsquoideacutee drsquoappliquer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie au niveau national145 Agrave vrai dire la revue de la litteacuterature ameacutericaine montre que les partisans de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont plus nombreux agrave prendre la plume que les deacutefenseurs du principe de pleine concurrence Deux courants drsquoopinions en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se dessinent parmi les principaux acteurs de

(hellipsuite)

Tax Management International Journal 567 (ProQuest AbINFORM Global) pp 571-573

143 Eugene E LESTER laquo International Transfer Pricing Rules Unconventional Wisdom raquo (1995) vol 2 ILSA Journal of International amp Comparative Law 283 (HeinOnline Law Journal Library) p 294

144 Byron L DORGAN laquo Dorgan Tells Treasury to Reject OECD Draft on Transfer Pricing raquo 94 Tax Notes International 190-27 (Tax Analysts) Dans une correspondance eacutecrite il srsquoadresse comme suit au deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis

laquo There are many members of Congress tax experts and tax administrators who share my view that this massive tax avoidance by large international firms is perpetuated by the Treasury Departmentrsquos adherence to the ldquoarms lengthrdquo standard As you know I have advocated that we replace this nineteenth-century relic with a simple formula approach similar to that used by the several states in the United States to determine the income of foreign-based corporations operating within their borders raquo

145 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 572

480 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

la controverse certains exigent une reacuteforme du systegraveme actuel et drsquoautres une simple retouche

Drsquoune part les deacutefenseurs de la reacuteforme (laquo les reacuteformateurs raquo) lesquels clament lrsquoeacutechec du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence en invoquant ses lacunes importantes suggegraverent de le remplacer par un systegraveme fondeacute sur le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux146 Ce dernier srsquoeacutecarte du principe de pleine concurrence car lrsquoobjectif annonceacute semble ecirctre drsquoobtenir une reacutepartition juste des beacuteneacutefices totaux sans tenir compte du comportement du marcheacute147 Les reacuteformateurs se fondent agrave cette fin sur lrsquoexpeacuterience de gouvernements infranationaux notamment les Eacutetats ameacutericains et les provinces canadiennes comme modegravele drsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices148

Drsquoautre part les partisans de la retouche (laquo les conservateurs raquo) promeuvent le maintien du principe de pleine concurrence tout en deacutefendant lrsquoideacutee de lrsquoinstauration ndash par un pays de maniegravere unilateacuterale dans les

146 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo 2009 (en ligne

httpwwwtaxjusticenetcmsuploadpdfTP_in_developing_countriespdf) Reuven S AVI-YONAH laquo The Rise and Fall of Armrsquos Length A Study in the Evolution of US International Taxation raquo (1995) vol 15 Virginia Tax Review 89 (HeinOnline Law Journal Library) Reuven S AVI-YONAH Kimberly A CLAUSING et Michael C DURST laquo Allocating Business Profits for Tax Purposes A Proposal to Adopt a Formulary Profit Split raquo (2008-2009) vol 9 no 5 Florida Tax Review 497 (HeinOnline Law Journal Library) Steve CHRISTENSEN laquo Formulary Apportionment More Simple minus on Balance Better raquo (1996-1997) vol 28 no 4 Law amp Policy in International Business 1133 (HeinOnline Law Journal Library) Kimberley A CLAUSING et Reuven S AVI-YONAH laquo The Hamilton Project Reforming Corporate Taxation in a Global Economy A Proposal to Adopt Formulary Apportionment raquo University of Michigan Public Law and Legal Theory Working Paper No 85 2007 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id= 995202) E E LESTER preacuteciteacute note 143 Michael MAZEROV laquo Why Armrsquos Length Falls Short raquo vol 5 no 2 International Tax Review 28 (HeinOnline Law Journal Library) Martin A SULLIVAN laquo Economic Analysis Transfer Pricing Abuse Is Job-Killing Corporate Welfare raquo (2010) 128 Tax Notes 461 (Tax Analysts) R VANN preacuteciteacute note 35 J M WEINER preacuteciteacute note 1

147 S S SURREY preacuteciteacute note 72 p 415 148 Michael C DURST laquo Itrsquos Not Just Academic The OECD Should Reevaluate

Transfer Pricing Laws raquo (2010) 57 Tax Notes International 247 (Tax Analysts) p 253 Joann Martens WEINER laquo Formulary Apportionment and Group Taxation In the European Union Insights From the United States and Canada raquo Working Paper No 8 2005 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocuments taxationgen_infoeconomic_analysistax_papers2004_2073_EN_web_final_versionpdf) pp 10-15

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 481

conventions fiscales bilateacuterales dont il est signataire ou encore par lrsquoOCDE ndash drsquoune gamme de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert Outre les meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave applicables cette gamme inclurait la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux fondeacutee sur une formule matheacutematique preacuteeacutetablie149 Au contraire des reacuteformateurs les conservateurs cherchant plutocirct agrave faire contrepoids au deacutebat ne cristallisent pas la polariteacute du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale illimiteacutee des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie150 Ils se reacuteclament de lrsquoideacutee du continuum de meacutethodes formuleacutee par un groupe drsquoexperts en fiscaliteacute lors drsquoune confeacuterence sur les prix de transfert en 1993 qui preacutesuppose que les meacutethodes de pleine concurrence et la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices ne sont pas des meacutethodes antinomiques151

41 LA MISE EN PERSPECTIVE THEacuteORIQUE ET PRATIQUE DES

CRITIQUES ET DES CONJECTURES

Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale les reacuteformateurs et les conservateurs deacutecrient tous les lacunes les plus importantes du principe de pleine concurrence sur les plans theacuteorique et pratique pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Ils signalent au total quatre failles principales les critiques formuleacutees eacutetant en substance les mecircmes que celles deacutejagrave exprimeacutees dans les anneacutees 1970 Crsquoest donc dans un esprit de continuiteacute que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices se preacutesente volontiers aux

149 V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 25 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146

p 93 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 pp 519-522 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 304-305 J LI preacuteciteacute note 92 pp 857-867 Michael McINTYRE laquo Contrasting Methodologies A Systematic Presentation of the Differences Between an Armrsquos-LengthSource-Rule System and a Combined-ReportingFormulary-Apportionment System raquo 1994 (en ligne httpfacultylawwayneedumcintyretextmcintyre_articlesMultistatecontrasting_methodpdf) Actuellement lrsquoOCDE et lrsquoONU nrsquoadmettent que deux cateacutegories de meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert qui satisfont au principe de pleine concurrence les meacutethodes traditionnelles fondeacutees sur les transactions (depuis 1979) et les meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices (depuis 1995) Selon les conservateurs lrsquoapplication de la meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices totaux serait restreinte aux transactions pour lesquelles il nrsquoexiste pas de transaction comparable

150 E E LESTER preacuteciteacute note 143 p 304 151 Brian J ARNOLD et Thomas E McDONNELL laquo Report on the Invitational

Conference on Transfer Pricing The Allocation of Income and Expenses Among Countries raquo (1993) vol 41 no 5 Revue fiscale canadienne 899-922 (Taxfind) p 905

482 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteformateurs comme la panaceacutee aux difficulteacutes de la reacutepartition internationale de lrsquoassiette fiscale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees

411 Les failles du concept de pleine concurrence selon les acteurs de la controverse

Premiegraverement le principe de pleine concurrence repose sur une hypothegravese ndash les socieacuteteacutes lieacutees transigent entre elles comme si elles eacutetaient des socieacuteteacutes indeacutependantes ndash qui ne tient pas compte de lrsquointerdeacutependance et de lrsquointeacutegration des opeacuterations des entreprises multinationales modernes Partant elle constitue une limite systeacutemique gecircnant la prise en consideacuteration des beacuteneacutefices reacutesiduels deacutecoulant de lrsquointernalisation des synergies ou des eacuteconomies drsquoeacutechelle crsquoest-agrave-dire les beacuteneacutefices qui ne reacutesultent pas drsquoactiviteacutes eacuteconomiques dont la source geacuteographique peut ecirctre identifieacutee152 Mecircme si pour lrsquoOCDE le prix de pleine concurrence repreacutesente par rapport aux conditions normales du marcheacute la meilleure estimation de la reacutealiteacute eacuteconomique drsquoune socieacuteteacute membre drsquoune entreprise multinationale qui fait des affaires avec des socieacuteteacutes lieacutees il nrsquoy a pas en fait de critegraveres objectifs geacuteneacuteralement admis pour attribuer les eacuteconomies drsquoeacutechelle et les avantages agrave

152 Reuven S AVI-YONAH et Ilan BENSHALOM laquo Formulary Apportionment Myths

and Prospects ndash Promoting Better International Tax Policy by Utilizing the Misunderstood and Under-Theorized Formulary Alternative raquo University of Michigan Law School Empirical Legal Studies Center Paper No 10-029 2010 (en ligne httppapersssrncomsol3paperscfmabstract_id=1693105) chap I section C J J A BURKE preacuteciteacute note 117 pp 619-620 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1159-1158 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 124 Robert A GREEN laquo The Future of Source-Based Taxation of the Income of Multinational Enterprises raquo (1993) 79 Cornell Law Review 18 (HeinOnline Law Journal Library) p 46 Walter HELLERSTEIN laquo Income Allocation in the 21st Century the End of Transfer Pricing The Case for Formulary Apportionment raquo (2005) International Transfer Pricing Journal 103 p 108 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 pp 653-655 E E LESTER preacuteciteacute note 143 pp 295-297 J LI preacuteciteacute note 92 pp 834-835 Jinyan LI laquo Soft Law Hard Realities and Pragmatic Suggestions Critiquing the OECD Transfer Pricing Guidelines raquo dans Fundamentals of International Transfer Pricing in Law and Economics MPI Studies in Tax Law and Public Finance vol 1 Berlin Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2012 (en ligne httplinkspringercombook101007978-3-642-25980-7page1) pp 82-83 Julie ROIN laquo Can the Income Tax Be Saved The Promise and Pitfalls of Adopting Worlwide Formulary Apportionment raquo (2008) vol 61 no 3 Tax Law Review 169 (Hein Online Law Journal Library) p 185 ANONYME laquo Transfer Pricing in Developing Countries raquo preacuteciteacute note 146 chap 7 section 712 Jens WITTENDORFF laquo The Armrsquos-Length Principle and Fair Value Identical Twins or Just Close Relatives raquo (2011) 62 Tax Notes International 223 (Tax Analysts) pp 239-240

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 483

lrsquointeacutegration entre les entreprises lieacutees153 Qui plus est la deacutetermination transaction par transaction de la source de revenus des socieacuteteacutes lieacutees se reacutevegravele sur le plan theacuteorique fort discutable et en pratique difficile agrave trouver vu que les activiteacutes eacuteconomiques transfrontaliegraveres des groupes drsquoentreprises multinationales sont aujourdrsquohui de plus en plus organiseacutees et coordonneacutees agrave lrsquointeacuterieur mecircme de ces groupes154

Ainsi les entreprises multinationales ne transigent pas comme le font les socieacuteteacutes non lieacutees En regravegle geacuteneacuterale ce sont des organisations qui effectuent des transactions intragroupes avant ou apregraves avoir ajouteacute dans au moins un pays eacutetranger ougrave elles deacutetiennent des actifs une valeur aux biens produits ou aux services rendus155 Selon la theacuteorie eacuteconomique de la firme deacuteveloppeacutee initialement par Coase le but preacutecis de la formation des entreprises multinationales consiste agrave reacuteduire les coucircts autrement engageacutes dans un marcheacute libre ndash par exemple les frais de recherche et de deacuteveloppement les frais drsquoexploitation les coucircts pour obtenir des renseignements ainsi que les frais de gestion et les frais financiers ndash en tirant parti drsquoune coordination interne des deacutecisions et des orientations strateacutegiques concernant lrsquoensemble du groupe ce qui permet de maximiser les beacuteneacutefices totaux156

Deuxiegravemement il est difficile voire impossible pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales de trouver en pratique des donneacutees concernant des transactions conclues sur le marcheacute libre entre des socieacuteteacutes tierces qui sont suffisamment comparables agrave celles conclues entre des socieacuteteacutes lieacutees157 Crsquoest que posteacuterieurement agrave la Deuxiegraveme Guerre mondiale la nature des cessions internes transfrontaliegraveres

153 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 110 et 114 154 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 109 155 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 3 156 Richard J VANN laquo Taxing International Business Income Hard-Boiled Wonderland

and the End of the World raquo (2010) vol 2 no 3 World Tax Journal 291 (IBFD Tax Research Platform) pp 293-294

157 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 503 Michael C DURST laquo The Two Worlds of Transfer Pricing Policymaking raquo (2011) 61 Tax Notes International 439 (Tax Analysts) p 439 M C DURST preacuteciteacute note 148 p 249 US GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 pp 27-36 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 183 Dans lrsquoarticle laquo With Billions at Stake Glaxo Puts APA Program on Trial raquo (2004) 103 Tax Notes 388 (Tax Analysts) Martin SULLIVAN ironise agrave la page 389 sur les embucircches relatives aux donneacutees comparables laquo Administering the armrsquos length method without comparables is like playing hockey without a puck raquo

484 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

srsquoest complexifieacutee du fait du processus continu drsquointeacutegration des entreprises multinationales158 Aussi les eacutechanges entre les socieacuteteacutes lieacutees se rapportent-ils deacutesormais agrave des biens intermeacutediaires agrave des biens incorporels uniques de grande valeur et agrave des services speacutecialiseacutes et non pas seulement agrave des matiegraveres premiegraveres et agrave des produits agricoles industriels ndash par exemple les meacutetaux le peacutetrole le bleacute le cafeacute le theacute et le caoutchouc ndash dont le prix est deacutejagrave fixeacute sur le marcheacute libre LrsquoOCDE reconnaicirct neacuteanmoins dans ces cas preacutecis la difficulteacute drsquoapplication du principe de pleine concurrence159

Troisiegravemement lrsquoapplication du principe de pleine concurrence est devenue un veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et pour les entreprises multinationales Objets drsquoun deacuteveloppement freacuteneacutetique au cours des 15 derniegraveres anneacutees160 les lignes directrices eacutelaboreacutees par lrsquoOCDE se font de plus en plus complexes si bien que dans les circonstances lrsquoanalyse au cas par cas contribue agrave accroicirctre lrsquoincertitude relative aux prix de transfert161 Il srsquoen trouve mecircme qui preacutetendent que le principe de pleine concurrence rencontre aujourdrsquohui les limites de son deacuteveloppement

158 M C DURST preacuteciteacute note 140 illustre aux pages 124-125 la situation comme suit

laquo The fact is that in many industries in many markets only integrated multi-national commonly controlled businesses are active in the market because a non-integrated structure would be too costly to survive

This means that as a general rule for transactions entered into among members of commonly controlled groups ndash that is the very transactions for which transfer pricing rules are needed ndash ldquouncontrolled comparablesrdquo as we transfer pricing practitioners call them simply do not exist Even when say a company sells to an affiliate a commodity ndash say a bushel of wheat of a specified grade and at a specific location ndash the economically correct price is different from that in an identical sale between unrelated parties because the sale exposes the unrelated parties to costs and risks that the commonly controlled parties do not bear And of course once the product is more differentiated than a barrel of oil or a bushel of wheat the notion of comparability is even more implausible raquo

159 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 19 160 Les lignes directrices contenues dans les Principes directeurs de 2010 id comportent

plus de 400 pages mais nrsquoen comptaient il y a 30 ans que 100 Voir la section 3 ci-dessus

161 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505 M C DURST preacuteciteacute note 148 pp 249-250 De lrsquoopinion de Byron L Dorgan seacutenateur deacutemocrate ameacutericain laquo [t]he whole armrsquos length approach is to go back and reconstruct transactions It is like taking a giant plate of spaghetti and trying to separate each noodle Thatrsquos the audit test raquo John TURRO laquo TNI Interviews Senator Byron L Dorgan On Formulary Apportionment raquo 94 Tax Notes International 243-5

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 485

consideacuterant que les regravegles leacutegislatives nationales et les Principes directeurs de lrsquoOCDE mettent surtout lrsquoaccent sur des critegraveres externes aux entreprises multinationales soit les donneacutees comparables difficiles agrave obtenir et que les meacutethodes fondeacutees sur les beacuteneacutefices ne sont en reacutealiteacute que la variante moderne de la meacutethode empirique appliqueacutee par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930162 Le domaine des prix de transfert a geacuteneacutereacute par la force des choses une veacuteritable industrie de professionnels speacutecialiseacutes soit des avocats des comptables et des eacuteconomistes qui offrent aux entreprises multinationales geacuteneacuteralement dans de grands cabinets internationaux des services relatifs agrave la planification agrave la documentation et agrave la reacutesolution des litiges Faute de ressources humaines et technologiques suffisantes pour deacuteterminer les prix de transfert conformeacutement aux lignes directrices de lrsquoOCDE les administrations fiscales des pays en deacuteveloppement sont deacutepasseacutees par lrsquoexpertise des entreprises multinationales et de leurs conseillers externes163

Quatriegravemement le fait pour les administrations fiscales de respecter la liberteacute contractuelle164 sert les manipulations des prix de transfert effectueacutees par les entreprises multinationales Ces derniegraveres peuvent donc leacutegitimement deacuteplacer des actifs et des risques agrave des socieacuteteacutes qui reacutesident dans des refuges fiscaux pour eacuteviter de payer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices dans des juridictions fiscales dont le taux drsquoimposition est eacuteleveacute165 Deacutecrites dans les meacutedias ameacutericains comme laquo la technique des prix de transfert raquo les manipulations en particulier les transferts transfrontaliers drsquoactifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis constituent la source principale des litiges fiscaux en matiegravere de prix de transfert166 Les planifications fiscales conformes aux regravegles sur 162 H HAMAEKERS preacuteciteacute note 35 p 39 163 ACTIONAID Calling Time Why SABMiller Should Stop Dodging Taxes in Africa

2010 (en ligne httpwwwactionaidorgukdoc_libcalling_time_on_tax_ avoidancepdf) p 28 ANONYME laquo UN Delegates Split on the Armrsquos Length Standard and Apportionment raquo TP Week 19 janvier 2010 Voir la section 32 du preacutesent texte

164 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 136-141 165 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 505

M C DURST preacuteciteacute note 157 p 444 Michael C DURST laquo Congress Fix Transfer Pricing and Protect US Competitiveness raquo (2010) 128 Tax Notes 401 (Tax Analysts) pp 401-402

166 JOINT COMMITTEE ON TAXATION Present Law and Background Related to Possible Income Shifting and Transfer Pricing (JCX-37-10) 20 juillet 2010 (en ligne httpwwwjctgovpublicationshtmlfunc=startdownampid=3692) pp 31-34 Voir aussi Jesse DRUCKER laquo US Companies Dodge $ 60 Billion in Taxes With Global Odyssey raquo 13 mai 2010 (en ligne httpwwwbloombergcomnewsprint2010-05-

(agrave suivrehellip)

486 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

les prix de transfert fondeacutees sur le principe de pleine concurrence occasionneraient des pertes de recettes fiscales gigantesques pour le fisc ameacutericain Dans la litteacuterature ameacutericaine lrsquoampleur de lrsquoeacutevitement fiscal fait lrsquoobjet drsquoune estimation dont le montant varie de 28 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2007 agrave 60 milliards de dollars pour lrsquoanneacutee 2004 et qui reacutesulte en geacuteneacuteral drsquoun examen comparatif des statistiques sur lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger des entreprises multinationales ameacutericaines avec celles sur lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger167 Drsquoougrave les eacutelans agrave lrsquoeacutegard du paradigme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices chez les reacuteformateurs qui y voient un moyen strateacutegique de contrer les failles theacuteoriques et pratiques du principe de pleine concurrence

412 Les avantages anticipeacutes du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon les acteurs de la controverse

Les reacuteformateurs preacutetendent que la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comporte de nombreux avantages sur le principe de pleine concurrence En premier lieu ils mettent en avant la simpliciteacute accrue du concept Comme le

(hellipsuite)

13american-companies-dodge-60-billion-in-taxes-even-tea-party-would condemnhtml) Le journaliste expose la laquo technique des prix de transfert raquo qui permet aux socieacuteteacutes pharmaceutiques ameacutericaines minus telles Forest Laboratories Inc Oracle Corp Eli Lilly amp Co et Pfizer Inc minus drsquoeacuteviter de payer en toute leacutegaliteacute des impocircts au fisc ameacutericain agrave lrsquoaide de transactions purement theacuteoriques Notamment Forest Laboratories Inc utilise des filiales reacutesidentes de lrsquoIrlande (planification appeleacutee Double Irish laquelle implique lrsquoutilisation de deux filiales irlandaises dont lrsquoune est reacutesidente des Bermudes) des Bermudes et des Pays-Bas (planification appeleacutee Dutch Sandwich une variante du Double Irish en vertu de laquelle une filiale neacuteerlandaise nrsquoayant aucun employeacute sert agrave acheminer les paiements entre les deux filiales irlandaises)

167 David S MILLER laquo How US Tax Law Encourages Investment Through Tax Havens raquo (2011) 131 Tax Notes 167 (Tax Analysts) p 170 Testimony of Martin A Sullivan Economist and Contributing Editor Tax Analysts before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovuploadedfilessullivan_written_testimony_wm_jan_20pdf) (laquo Sullivan raquo) pp 5-6 En ce qui concerne les pays en deacuteveloppement Christian Aid estime les pertes de recettes fiscales corporatives attribuables agrave lrsquoeacutevasion fiscale en particulier la surfacturation et la sous-facturation agrave dessein des prix de transfert (transfer mispricing) ainsi que la facturation mensongegravere entre les socieacuteteacutes non lieacutees (false invoicing) au montant de 160 milliards de dollars annuellement pour la peacuteriode de 2000 agrave 2006 Voir Christian Aid Death and Taxes The True Toll of Tax Dodging 2008 (en ligne httpwwwchristianaidorgukimagesdeathandtaxespdf) pp 2 et 51-53

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 487

calcul du revenu imposable mondial de lrsquoentreprise multinationale srsquoeffectuerait sur une base consolideacutee plutocirct que distincte les prix de cession interne transfrontaliers deviennent sans importance et par conseacutequent les dispositions de lrsquoarticle 9 du Modegravele de convention fiscale de lrsquoOCDE ne seraient plus pertinentes168 En deuxiegraveme lieu les reacuteformateurs invoquent la justesse accrue de la reacutepartition des beacuteneacutefices en raison du fait que la reacutepartition globale srsquoapparente plus agrave la reacutealiteacute eacuteconomique des entreprises multinationales hautement inteacutegreacutees qui sont exploiteacutees comme des entreprises uniques169 Ils arguent en troisiegraveme lieu de lrsquoefficaciteacute accrue de ce concept pour contrer lrsquoeacutevitement fiscal dans la mesure ougrave les entreprises multinationales chercheraient agrave maximiser les beacuteneacutefices de preacutefeacuterence agrave structurer des transactions pour des raisons de conformiteacute fiscale170 En dernier lieu ils opposent la reacuteduction eacuteventuelle des coucircts administratifs et de conformiteacute notamment la disparition de lrsquoobligation de produire la documentation ponctuelle

Toutefois il est difficile vu la nature diffeacuterente de leur structure respective de comparer le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices avec celui du principe de pleine concurrence171 En fait les caracteacuteristiques des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sont diameacutetralement opposeacutees agrave celles des eacuteleacutements constitutifs du systegraveme de pleine concurrence Si tant est que lrsquoaugmentation nette de lrsquoeau drsquoun lac situeacute sur la frontiegravere commune des pays A et B puisse illustrer les modaliteacutes distinctes de la reacutepartition des beacuteneacutefices selon les deux systegravemes lrsquoapproche de pleine concurrence permet de deacuteterminer lrsquoapport drsquoeau fraicircche ajouteacutee au lac par chacun des pays Par contre lrsquoapproche unitaire cherche plutocirct agrave reacutepartir conformeacutement agrave lrsquoaccord conclu entre les deux pays la quantiteacute totale drsquoeau fraicircche contenue dans le lac172

168 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 3)

M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 9 169 R S AVI-YONAH preacuteciteacute note 146 pp 148-149 Robert H CUTLER laquo Formulary

Apportionment ndash Is this Alternative to the Armrsquos Length Standard Possible and Practical Under the United Statesrsquo Current Tax Treaties raquo (1997) 3 International Trade amp Business Law Annual 153 (HeinOnLine) pp 162-163 R A GREEN preacuteciteacute note 152 p 67

170 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1161 171 Id p 1162 172 Michael J McINTYRE laquo Theory and Practice of Combined Reporting with

Formulary Apportionment raquo 2009 (en ligne httpwwwmtcgovuploadedFiles Multistate_Tax_CommissionUniformityUniformity_Committee_and_Subcommittees09_Winter_Committee_MeetingMcIntyre20-20theory20of20apportionmentpdf)

(agrave suivrehellip)

488 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Pour commencer le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices se fonde non pas sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte mais sur la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire laquelle requiert que les membres composant un groupe multinational drsquoentreprises soient consideacutereacutes comme ne formant qursquoune seule entreprise unifieacutee173 Notamment ce systegraveme implique une deacutemarche orienteacutee sur les facteurs de reacutepartition plutocirct que sur les circonstances factuelles des transactions Par exemple la formule Massachusetts eacutelaboreacutee degraves 1957 afin drsquoeacutetablir un moyen uniforme drsquoattribuer aux administrations fiscales infranationales ameacutericaines les revenus drsquoentreprise des socieacuteteacutes exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat aux Eacutetats-Unis inclut trois facteurs relatifs agrave une juridiction fiscale donneacutee les actifs les salaires et les recettes brutes174 La formule qui vise agrave deacuteterminer la portion attribuable agrave une administration fiscale du revenu imposable mondial drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales qui y est assujetti donne lieu agrave une reacutepartition territoriale plutocirct que transactionnelle

En effet lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices repose sur lrsquohypothegravese implicite suivant laquelle la portion de chaque dollar du revenu imposable total reacutesultant de transactions transfrontaliegraveres se rapporte agrave toutes les juridictions fiscales dans lesquelles sont situeacutes les facteurs de reacutepartition de lrsquoentreprise unitaire175 Agrave lrsquoinverse lrsquoapproche du principe de pleine concurrence suppose qursquoune source localiseacutee dans une seule juridiction fiscale se rattache agrave chaque eacuteleacutement du revenu imposable total gagneacute par lrsquoentreprise multinationale dans les pays ougrave elle exerce des activiteacutes commerciales176 De plus dans le systegraveme de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la comptabilisation des beacuteneacutefices de lrsquoentreprise multinationale est

(hellipsuite)

diapositive no 4 Cette analogie agrave nrsquoen pas douter suggegravere lrsquoideacutee que lrsquoapproche unitaire est en apparence plus simple et pragmatique que lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

173 Dans la doctrine la theacuteorie de lrsquoentiteacute distincte est opposeacutee agrave la theacuteorie de lrsquoentiteacute unitaire une doctrine judiciaire eacutelaboreacutee agrave lrsquoorigine par les tribunaux des Eacutetats ameacutericains pour deacutefinir sur le plan fiscal le concept de groupe drsquoentreprises Agrave ce propos consulter V AMERKHAIL preacuteciteacute note 102 p 28 J M WEINER preacuteciteacute note 148 pp 28-32

174 Les trois critegraveres retenus par le National Conference of Commissioners on Uniform State Laws drsquoeacutegale pondeacuteration dans la formule matheacutematique sont deacutefinis dans lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act (laquo UDITPA raquo) Sur ce point voir R H CUTLER preacuteciteacute note 169 p 161

175 M McINTYRE preacuteciteacute note 149 p 10 176 Id p 11

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 489

consolideacutee alors que dans le systegraveme de pleine concurrence la comptabilisation des beacuteneacutefices srsquoeffectue de faccedilon distincte agrave lrsquoeacutegard de chaque membre de lrsquoentreprise multinationale Finalement le systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoadmet comme meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert que celles fondeacutees sur des formules matheacutematiques preacuteeacutetablies

En reacutealiteacute les soi-disant avantages de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoont jamais eacuteteacute deacutemontreacutes par les deacutefenseurs de la reacuteforme dont les affirmations ne reposent sur aucune eacutetude approfondie ni expeacuterience empirique pour ce qui concerne la reacutepartition de lrsquoassiette internationale Crsquoest donc en cela que reacuteside la principale faiblesse de la proposition des reacuteformateurs La plupart drsquoentre eux nrsquoappuient leur point de vue que sur lrsquoeacutenonceacute drsquoune opinion preacutesenteacutee comme une veacuteriteacute eacutevidente177 et certains autres sur lrsquointerpreacutetation de donneacutees statistiques publiques concernant essentiellement les activiteacutes et les beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par les entreprises multinationales178 Du reste le projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) des 27 pays faisant partie de lrsquoUnion europeacuteenne renforce lrsquointeacuterecirct des reacuteformateurs pour le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices179 Il y a drsquoailleurs un certain cousinage drsquoesprit entre les reacuteformateurs et la Commission europeacuteenne cette derniegravere preacutesumant dans lrsquoexposeacute des motifs au soutien de la proposition drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes (ACCIS) que le principe de pleine concurrence est maintenant deacutepasseacute180 Par-delagrave lrsquoabsence notoire

177 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1164 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152

pp 108-109 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30 178 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146

pp 501-502 et 527-533 Sullivan preacuteciteacute note 167 179 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 p 515

Ce projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes a eacuteteacute lanceacute en 2001 dans le but notamment de reacuteduire les coucircts eacuteleveacutes de conformiteacute fiscale lieacutes aux prix de transfert fondeacutes sur le principe de pleine concurrence Les modaliteacutes du calcul de lrsquoassiette imposable consolideacutee des socieacuteteacutes qui exercent des activiteacutes paneuropeacuteennes annonceacutees en 2011 incluent une formule de reacutepartition composeacutee de trois facteurs dont la pondeacuteration est identique main-drsquoœuvre immobilisations et chiffre drsquoaffaires Agrave ce sujet voir COMMISSION EUROPEacuteENNE Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct sur les socieacuteteacutes (ACCIS) 2011 (en ligne httpeceuropaeutaxation_customsresourcesdocumentstaxation company_taxcommon_tax_basecom_2011_121_frpdf)

180 COMMISSION EUROPEacuteENNE preacuteciteacute note 179 p 4

laquo Actuellement lrsquoun des obstacles principaux dans le marcheacute unique est constitueacute par les coucircts eacuteleveacutes engendreacutes par le respect des formaliteacutes lieacutees

(agrave suivrehellip)

490 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoeacutetude comparative sur lrsquoefficaciteacute du systegraveme de reacutepartition globale des beacuteneacutefices et celui du principe de pleine concurrence reste agrave savoir si drsquoun point de vue juridique les propositions soutenues par les acteurs de la controverse peuvent se deacutefendre

42 LA MISE EN PERSPECTIVE JURIDIQUE DES DIVERGENCES ET DES

INCERTITUDES

Parmi les reacuteformateurs et les conservateurs peu nombreux sont ceux qui abordent de front le sujet de la conformiteacute des propositions de reacuteforme ou de retouche selon le cas du reacutegime actuel de regravegles sur les prix de transfert avec le droit fiscal international actuel des traiteacutes Pourtant ce sujet de reacuteflexion ne consiste pas en un point de deacutetail Tout au contraire la question de la leacutegitimiteacute juridique du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices srsquoavegravere eacuteleacutementaire Le nœud du deacutebat susciteacute par les acteurs de la controverse ne consiste-t-il pas agrave savoir si une seule norme internationale est valide en lrsquooccurrence le principe de pleine concurrence pour reacutepartir les revenus drsquoentreprise reacutesultant des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoun groupe drsquoentreprises multinationales

421 La preacuteeacuteminence du concept de pleine concurrence comme norme de reacutefeacuterence

Au cours du XXe siegravecle les modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont eu une influence consideacuterable sur la politique fiscale des pays membres et non membres Les conventions fiscales bilateacuterales conclues par ces derniers contiennent en geacuteneacuteral une disposition concernant les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes associeacutees calqueacutee sur le paragraphe 9(1) de lrsquoun ou lrsquoautre des modegraveles susmentionneacutes Le terme laquo peuvent raquo (may suivant la version anglaise) dans le texte du paragraphe 9(1) confegravere

(hellipsuite)

aux prix de transfert selon lrsquoapproche de pleine concurrence De plus la faccedilon dont les groupes eacutetroitement inteacutegreacutes ont tendance agrave srsquoorganiser indique clairement que la fixation des prix transaction par transaction sur la base du principe de pleine concurrence nrsquoest peut-ecirctre plus la meacutethode la mieux approprieacutee en matiegravere de reacutepartition des beacuteneacutefices raquo

Toutefois la question de savoir si le principe de pleine concurrence convient toujours aux entreprises multinationales modernes nrsquoest pas abordeacutee dans le rapport anteacuterieur de la Commission europeacuteenne sur lrsquoeacutetude analytique de la fiscaliteacute des entreprises dans la Communauteacute europeacuteenne COMMISSION EUROPEacuteENNE La fiscaliteacute des entreprises dans le marcheacute inteacuterieur 2001 (en ligne httpeceuropaeutaxation_ customsresourcesdocumentscompany_tax_study_frpdf)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 491

aux pays signataires le droit de rajuster les beacuteneacutefices intersocieacuteteacutes en prenant comme base que les socieacuteteacutes sont des entreprises indeacutependantes181 Il expose la norme agrave savoir le principe de pleine concurrence qui srsquoimpose depuis 1977 comme reacutefeacuterence et qui laquo constitue lrsquoeacutenonceacute faisant autoriteacute raquo dans le domaine de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes182

Agrave premiegravere vue le paragraphe 9(1) nrsquoeacutenonce pas en termes expregraves la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence ni ne preacutecise la meacutethode pour appliquer cette norme Loin drsquoecirctre claire la formulation peut susciter de la confusion et conduire agrave des divergences drsquointerpreacutetation Effectivement lrsquoexpression laquo principe de pleine concurrence raquo nrsquoapparaicirct pas dans le texte les reacutedacteurs ayant utiliseacute la locution laquo entreprises indeacutependantes raquo pour eacutevoquer le concept de pleine concurrence Il nrsquoempecircche que le texte peut paraicirctre eacutenoncer une norme speacutecifique vu que les conditions drsquoapplication et les conseacutequences juridiques sont deacutecrites par comparaison avec des entreprises indeacutependantes183

De mecircme le libelleacute du paragraphe 9(1) ne speacutecifie pas que les administrations fiscales des Eacutetats contractants doivent utiliser une meacutethode transactionnelle de pleine concurrence pour effectuer les rajustements des beacuteneacutefices Cependant la signification implicite de lrsquoexpression laquo deux entreprises sont [hellip] dans leurs relations commerciales ou financiegraveres lieacutees par des conditions convenues ou imposeacutees raquo peut soutenir lrsquousage des meacutethodes transactionnelles de pleine concurrence184 et mecircme exclure lrsquousage de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices sur une base consolideacutee185 Ainsi les

181 Pour le texte complet du paragraphe 9(1) voir la section 21 ci-dessus Selon le droit

international public les pays signataires doivent respecter les traiteacutes auxquels ils sont parties pacta sunt servanda Voir ORGANISATION DES NATIONS UNIES Convention de Vienne sur le droit des traiteacutes 23 mai 1969 (en ligne httpuntreatyunorgilctextsinstrumentsfrancaistraites1_1_1969_francaispdf) art 26 Par ailleurs les pays signataires exercent le droit de rajuster les beacuteneacutefices des transferts transfrontaliers en vertu des dispositions de la leacutegislation nationale et non pas celles des conventions fiscales Agrave ce sujet consulter J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 110

182 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-1 et C(9)-8 Les reacutedacteurs des Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) utilisaient avant le 23 octobre 1997 lrsquoexpression laquo marcheacute libre (de pleine concurrence ou en toute indeacutependance) raquo

183 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 112 184 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 129 185 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579

492 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

conditions speacuteciales des relations commerciales ou financiegraveres qui sont agrave lrsquoorigine des beacuteneacutefices inapproprieacutes peuvent tacitement se rattacher agrave des transactions opeacuterations ententes accords contrats ou arrangements conclus entre des entreprises associeacutees La mention du terme laquo beacuteneacutefices raquo dans le libelleacute peut aussi laisser entendre que les meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert autre que les meacutethodes transactionnelles sont autoriseacutees

La reacutedaction du paragraphe 9(1) pose le problegraveme de savoir si lrsquoinclusion mecircme de ce paragraphe dans les conventions fiscales bilateacuterales emporte en droit international des traiteacutes lrsquoobligation contraignante pour les pays signataires drsquoutiliser la norme speacutecifique du principe de pleine concurrence Notamment les Commentaires de lrsquoOCDE relatifs au paragraphe 9(1) ne mentionnent pas que les pays signataires doivent adopter dans les leacutegislations nationales des dispositions inteacutegrant le principe de pleine concurrence Qui plus est les pays membres ne srsquoentendent pas sur la question de savoir si le paragraphe 9(1) restreint ou non le droit des pays signataires de redresser les beacuteneacutefices reacutesultant des transferts internationaux en vertu des dispositions de leacutegislations nationales dans des laquo conditions raquo autres que celles eacutenonceacutees dans ce paragraphe186 Quoique le terme laquo conditions raquo ne soit pas deacutefini dans les Commentaires il peut aussi bien signifier laquo norme ou meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert non conformes au principe de pleine concurrence raquo187

Quant aux Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE qui depuis 1992 font partie inteacutegrante des Commentaires relatifs au paragraphe 9(1) ils tiennent pour admis que le principe de pleine concurrence est la seule reacutefeacuterence normative agrave lrsquoexclusion de toute autre norme188 De plus les Commentaires de lrsquoOCDE font de lrsquoutilisation drsquoune meacutethode de pleine concurrence la condition drsquooffice pour fixer un prix de pleine concurrence189 Encore que en droit fiscal international des traiteacutes 186 Modegravele feuilles mobiles mis agrave jour au 28 janvier 2003 preacuteciteacute note 61 pp C(9)-2 et

C(9)-3 (voir les Commentaires relatifs agrave lrsquoarticle 9 par 4) 187 Meneacutee au deacutebut des anneacutees 1990 lrsquoeacutetude sur les meacutethodes de substitution aupregraves des

39 pays de lrsquoIFA reacuteveacutelait que pour la majoriteacute des pays le paragraphe 9(1) ne preacutevalait pas sur le droit interne des prix de transfert mecircme si la meacutethode utiliseacutee par les administrations fiscales deacuterogeait au principe de pleine concurrence IFA 1992 preacuteciteacute note 97 pp 123-124 J WITTENDORFF preacuteciteacute note 52 p 111 souligne que la lecture du contenu des rapports des pays permet plutocirct de conclure que le paragraphe 9(1) a pour effet de restreindre le droit drsquoimposition national agrave lrsquoapplication de meacutethodes respectant le principe de pleine concurrence

188 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 11-115 189 F M HORNER preacuteciteacute note 96 p 579 K SADIQ preacuteciteacute note 1 pp 228-229

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 493

lrsquoautoriteacute juridique des Commentaires soit ambigueuml puisque le Conseil de lrsquoOCDE les adopte indirectement au moyen de recommandations prises agrave lrsquoeacutegard du modegravele theacuteorique190 La plupart des experts tendent agrave conclure que les pays signataires drsquoune convention fiscale ne sont pas juridiquement tenus de suivre lrsquointerpreacutetation exprimeacutee par lrsquoOCDE dans les Commentaires191 En drsquoautres termes ces recommandations de lrsquoOCDE constituent des instruments juridiques sans aucune force contraignante agrave lrsquoeacutegard des pays membres192 mais les Commentaires de lrsquoOCDE publieacutes avant la signature drsquoun traiteacute font partie du contexte juridique de la convention et possegravedent agrave ce titre une grande force morale193 Pour ce qui est des Principes directeurs il srsquoagit de directives agrave caractegravere non contraignant (soft law rules) en droit fiscal international194

190 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil relative au Modegravele de convention fiscale concernant le revenu et la fortune C(97)195FINAL 23 octobre 1997 (en ligne httpwebnetoecdorgoecdacts) s-par I(2)

191 Hans PIJL laquo Beyond Legal Bindingness raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 95 pp 112-113 David A WARD laquo Is There an Obligation in International Law of OECD Member Countries to Follow the Commentaries on the Model raquo dans The Legal Status of the OECD Commentaries Conflict of Norms in International Tax Law Series vol 1 Amsterdam IBFD 2008 73 pp 73-75

192 Modegravele de lrsquoOCDE 2010 preacuteciteacute note 49 par 29 de lrsquointroduction Voir eacutegalement Convention relative agrave lrsquoOrganisation de Coopeacuteration et de Deacuteveloppement Eacuteconomiques Paris 14 deacutecembre 1960 (en ligne httpwwwoecdorgfrgeneral conventionrelativealorganisationdecooperationetdedeveloppementeconomiqueshtm) par 5b) ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Regraveglement de proceacutedure de lrsquoOrganisation juillet 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrjuridique 41455235pdf) par 18b)

193 D A WARD preacuteciteacute note 191 p 85 Lrsquoauteur renvoie agrave lrsquoarrecirct Crown Forest Industries Ltd c Canada [1995] 2 RCS 802 par 54-55

194 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 16 de la preacuteface

laquo Les pays membres sont encourageacutes agrave suivre ces principes dans leurs pratiques internes en matiegravere de prix de transfert et les contribuables sont inviteacutes agrave les suivre dans lrsquoeacutevaluation de la conformiteacute de leurs prix de transfert au principe de pleine concurrence [hellip] raquo

J LI preacuteciteacute note 152 p 78 preacutecise que laquo [t]he term ldquosoft lawrdquo [hellip] can be used to describe a quasi-legal instrument which does not have any legally binding force but is intended to have a direct influence on the practice of states and taxpayers raquo [notes omises] et que laquo [t]he Guidelines are clealy a type of soft law and represent arguably the most important source of information on transfer pricing raquo (italiques dans lrsquooriginal) Drsquoailleurs comme pour les Commentaires lrsquoOCDE enjoint les

(agrave suivrehellip)

494 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

5 LE REMPLACEMENT DU CONCEPT DE PLEINE CONCURRENCE PAR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE OPTION CONTESTEacuteE

Depuis le deacutebut de la controverse autour du remplacement du principe de pleine concurrence le deacutebat se confine dans lrsquoexamen des meacuterites drsquoune seule autre option normative agrave savoir la reacutepartition globale des beacuteneacutefices En effet la revue de la litteacuterature ameacutericaine permet de constater que hormis les options contradictoires du principe de pleine concurrence et du principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices il nrsquoy a pas drsquoautre option de reacutepartition195 Les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU font donc toujours face aux deux mecircmes choix que ceux auxquels eacutetaient confronteacutes en 1933 les pays membres de la SDN pour ce qui concerne la norme de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale internationale196 Excepteacute que 80 anneacutees plus tard soit en 2013 lrsquooption du principe de pleine concurrence est confirmeacutee de faccedilon reacutecurrente les pays membres eacutetant appeleacutes agrave prendre position sur la reacutevision eacutepisodique des modegraveles theacuteoriques de conventions fiscales bilateacuterales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ainsi que des Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE197

Inexistant au cours de lrsquoegravere de la SDN un consensus autour du principe de pleine concurrence se deacuteveloppe posteacuterieurement agrave la Seconde Guerre mondiale entre les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Aussi sur le plan politique la reacutealiteacute de ce consensus paraicirct-elle constituer par

(hellipsuite)

administrations fiscales des pays membres agrave suivre les Principes directeurs par le truchement de recommandations prises par le Conseil de lrsquoOCDE lrsquoorgane deacutecisionnel de lrsquoorganisation internationale Agrave ce propos consulter ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Recommandation du Conseil sur la deacutetermination des prix de transfert entre entreprises associeacutees C(95)126FINAL 13 juillet 1995 amendeacutee les 11 avril 1996 24 juillet 1997 28 octobre 1999 16 juillet 2009 et 22 juillet 2010 Au Canada le plus haut tribunal du pays a preacuteciseacute au paragraphe 20 de lrsquoarrecirct Canada c GlaxoSmithKline Inc [2012] 3 RCS 3 que

laquo [les Principes directeurs] nrsquoont pas la mecircme force contraignante qursquoune loi canadienne et en derniegravere analyse le critegravere agrave appliquer agrave un ensemble drsquoopeacuterations ou de prix doit ecirctre eacutetabli suivant le par 69(2) [de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu] et non pas selon quelque commentaire ou meacutethode eacutenonceacute dans les Principes raquo

195 J ROIN preacuteciteacute note 152 p 240 196 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 664 197 Voir les sections 2 et 3 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 495

comparaison avec les anneacutees 1930 1940 et 1950 un obstacle de taille agrave lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau consensus entre les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU au sujet de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Drsquoautant plus que malgreacute la transformation du contexte international les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ont montreacute peu ou pas drsquointeacuterecirct agrave lrsquoeacutegard de lrsquoadoption eacuteventuelle de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme nouvelle norme de reacutepartition en droit fiscal international public

51 LrsquoEacuteTAT DU CONSENSUS INTERNATIONAL AUTOUR DU CONCEPT DE

PLEINE CONCURRENCE LE RALLIEMENT DE LA MAJORITEacute DES PAYS

Construit graduellement au fil des 30 derniegraveres anneacutees le consensus international sur le principe de pleine concurrence et de la perspective exclusivement transactionnelle mise de lrsquoavant par lrsquoOCDE est deacutesormais acquis Agrave compter de la fin des anneacutees 1990 la plupart des pays dans le monde qursquoils soient membres ou non membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU adhegraverent exclusivement au principe de pleine concurrence198 La deacutecision des pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU de reconduire le principe de pleine concurrence comme norme srsquoinscrit dans un contexte eacuteconomique commercial et leacutegislatif aujourdrsquohui bien diffeacuterent de celui qui avait cours alors que la SDN reacutealisait au deacutebut des anneacutees 1930 lrsquoeacutetude internationale sur la reacutepartition des beacuteneacutefices199 Neacuteanmoins le principe de pleine concurrence demeure en droit fiscal international public la norme attitreacutee des pays membres de lrsquoOCDE ainsi que de lrsquoONU et la reacutepartition globale des beacuteneacutefices la becircte noire

511 Lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique commercial et leacutegislatif

Mises en œuvre de maniegravere progressive apregraves la Seconde Guerre mondiale les politiques de libeacuteralisation du commerce favorisent lrsquointeacutegration croissante des eacuteconomies nationales agrave lrsquoeacuteconomie mondiale200 198 Voir la section 312 ci-dessus 199 Voir la section 1 ci-dessus 200 En particulier les Accords de Bretton Woods signeacutes aux Eacutetats-Unis en 1944 sont agrave

lrsquoorigine de la creacuteation de deux organismes internationaux le Fond moneacutetaire international et la Banque mondiale Agrave ce sujet voir Christian DEBLOCK et Bruno HAMEL laquo Bretton Woods et lrsquoordre eacuteconomique drsquoapregraves-guerre raquo (1994-1995) no 26 Interventions eacuteconomiques Pour une alternative sociale (en ligne httpclassiquesuqaccacontemporainsdeblock_christianbretton_woods_ordre_econoBretton_Woods_ordre_ecopdf) p 6 et Perrine CREacuteQUY laquo Les accords de Brettons Woods moteur des Trente Glorieuses raquo Le Figaro 10 octobre 2008 (en

(agrave suivrehellip)

496 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Il en va de mecircme pour lrsquoacceacuteleacuteration des eacutechanges commerciaux201 et le deacuteveloppement des nouvelles technologies de lrsquoinformation et de la communication202 Les entreprises multinationales jouent un rocircle de premier plan dans la mondialisation des eacutechanges et des investissements transnationaux Et leur nombre ne cesse de srsquoaccroicirctre pas moins de 82 000 entreprises multinationales deacutetiennent 810 000 filiales eacutetrangegraveres en 2009 comparativement agrave 24 000 entreprises multinationales en 1990 et seulement 7 000 agrave la fin des anneacutees 1960203 Au deacutebut du XXIe siegravecle les entreprises multinationales effectuent plus de 60 du commerce international204 Essentiellement caracteacuteriseacutee par les matiegraveres premiegraveres et les produits agricoles industriels dont le prix au marcheacute est clairement eacutetabli la nature des eacutechanges commerciaux drsquoantan srsquoest eacutelargie de sorte que ceux-ci comprennent agrave preacutesent des produits intermeacutediaires des biens incorporels uniques et des services speacutecialiseacutes

En outre les structures organisationnelles des entreprises multinationales sont agrave preacutesent plus complexes205 Dans la peacuteriode de lrsquoentre-deux-guerres les filiales eacutetrangegraveres ne servent qursquoagrave fournir aux

(hellipsuite)

ligne httpwwwlefigarofreconomie2008101004001-20081010ARTFIG00284-les-accords-de-bretton-woods-moteur-des-trente-glorieuses-php)

201 Par exemple lrsquoouverture de nouveaux marcheacutes potentiels agrave la suite de la chute de lrsquoURSS du passage des pays de lrsquoEurope de lrsquoEst agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute de la creacuteation de marcheacutes eacuteconomiques communs (lrsquoUnion europeacuteenne lrsquoAccord de libre-eacutechange nord-ameacutericain la Coopeacuteration eacuteconomique pour la zone Asie-Pacifique et lrsquoIndian Ocean Rim Association for Regional Cooperation) et de lrsquoeacutemergence des pays BRICS (Breacutesil Russie Inde Chine et Afrique du Sud) Agrave ce sujet voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 77

202 Notamment lrsquoautomatisation lrsquoinformatisation et le commerce eacutelectronique Voir L C CEacuteLESTIN preacuteciteacute note 33 p 78 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739 et 742-745

203 Selon les chiffres estimeacutes pour lrsquoanneacutee 2009 par la Confeacuterence des Nations Unies sur le commerce et le deacuteveloppement (CNUCED) relativement agrave 14 pays membres de lrsquoOCDE UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT World Investment Report 2009 Transnational Corporations Agricultural Production and Development New York et Genegraveve 2009 (en ligne httpunctadorgendocswir2009_enpdf) p xxi et Torbjoumlrn FREDRIKSSON Transnational Corporations Forty Years of UNCTAD Research on FDI UNCTADITEIIT35 vol 12 no 3 2003 (en ligne httpunctadorg endocsiteiit35v12n3a1_enpdf) p 8

204 ONU Transfer Pricing History preacuteciteacute note 98 p 2 205 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 pp 739-740

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 497

socieacuteteacutes megraveres un accegraves aux marcheacutes eacutetrangers Toutefois la production eacutetrangegravere augmente apregraves la Seconde Guerre et les entreprises multinationales tendent alors agrave inteacutegrer et agrave controcircler les activiteacutes commerciales internationales Puis alors que le nombre de refuges fiscaux explose206 elles reacuteorganisent la production des biens et des services en proceacutedant au remaniement et agrave la deacutelocalisation des fonctions et des risques assumeacutes par les entiteacutes lieacutees et non lieacutees qui sont parties prenantes de la chaicircne drsquoapprovisionnement207 Au deacutebut des anneacutees 2000 les formes drsquoorganisations des entreprises multinationales comportent des ententes contractuelles de plus en plus varieacutees avec des socieacuteteacutes tierces

Tandis que le principe de pleine concurrence a lrsquoair en adeacutequation avec le contexte eacuteconomique et commercial des anneacutees 1930 le contexte eacuteconomique et commercial actuel en complique davantage lrsquoapplication courante Entre autres choses les administrations fiscales sont aujourdrsquohui aux prises avec des transactions transfrontaliegraveres plus nombreuses des types uniques de transactions conclues par des entreprises multinationales inteacutegreacutees verticalement ainsi que des planifications fiscales combinant des formes organisationnelles complexes et des refuges fiscaux Pareillement lrsquoeacutevolution de la politique fiscale nationale de nombreux pays tend drsquoune maniegravere geacuteneacuterale agrave raffiner sur la mise en œuvre du principe de pleine concurrence ndash par exemple la preacuteparation obligatoire de la documentation ponctuelle par les entreprises multinationales et accessoirement lrsquoeacutelaboration implicite par ces derniegraveres drsquoune strateacutegie de deacutefense pour justifier lors des veacuterifications fiscales la politique interne de prix de transfert ndash pour les entreprises multinationales Ainsi quelque 50 pays y compris le Canada208 adoptent de front des mesures leacutegislatives fiscales nationales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence alors qursquoils se dotent progressivement apregraves la Seconde Guerre mondiale de vastes

206 R PALAN preacuteciteacute note 36 Lrsquoauteur situe lrsquoacircge drsquoor du deacuteveloppement des refuges

fiscaux au cours de la peacuteriode des anneacutees 1960 aux anneacutees 1990 207 La chaicircne drsquoapprovisionnement des entreprises multinationales modernes se

caracteacuterise plus souvent comparativement aux anneacutees 1950 par la speacutecialisation des activiteacutes ou des fonctions sans deacutedoublement drsquoun pays agrave lrsquoautre Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 p 12 Les reacuteorganisations drsquoentreprises combinent geacuteneacuteralement la transformation des distributeurs de plein exercice en distributeurs limiteacutes la transformation des fabricants de plein exercice en sous-traitants ou faccedilonniers la rationalisation ou la speacutecialisation des activiteacutes et la centralisation des actifs incorporels Agrave ce sujet voir Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 pp 259-260

208 Voir supra note 138

498 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacuteseaux de conventions fiscales bilateacuterales sur la base des modegraveles theacuteoriques de convention fiscale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU209

512 La persistance du rejet international de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

Malgreacute les difficulteacutes notoires drsquoapplication du principe de pleine concurrence aux eacutechanges internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees la longue controverse ameacutericaine nrsquoa apparemment pas fragiliseacute ni menaceacute drsquoeacuteclatement le consensus partageacute par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU sur le principe de pleine concurrence Non seulement ces derniers nrsquoont jamais manifesteacute depuis la publication du modegravele theacuteorique de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE lrsquointention drsquoabandonner le principe de pleine concurrence pour cause drsquoobsolescence mais de plus en plus drsquoadministrations fiscales ont eu tendance agrave lrsquointeacutegrer dans les leacutegislations nationales210 Parallegravelement les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU continuent de rejeter depuis plus de 30 ans deacutejagrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices comme solution de remplacement reacutealiste au principe de pleine concurrence sans mecircme qursquoune eacutetude approfondie sur les plans theacuteorique et pratique nrsquoait eacuteteacute meneacutee sur les meacuterites de son application au niveau national211

Degraves lors cette curieuse absence drsquoeacutetude peut naturellement laisser agrave entendre que les organisations intergouvernementales de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne se sont jamais pris drsquointeacuterecirct pour la reacutepartition globale des beacuteneacutefices au titre de norme internationale pour reacutegir la reacutepartition entre plusieurs administrations fiscales des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees212 Le

209 Lorraine EDEN laquo Transfer Price Manipulation Tax Ethics and Developing

Countries raquo 2009 (en ligne httpwwwpublicpolicyumdedufilesphpfaculty reuterIllicitFlowsEden-TPM-World-Bank-090609pdf) (consulteacute en feacutevrier 2011) p 7

210 ANONYME laquo OECD Reaffirms Armrsquos Lengthrsquos Future raquo TP Week 23 septembre 2009 Caroline Silberztein alors chef de lrsquoUniteacute des prix de transfert deacuteclarait que laquo [u]ntil we have a better simpler and fairer alternative then we are going to stay with the armrsquos-length principle raquo

211 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 par 14 Principes directeurs de 1995 preacuteciteacute note 95 par 374 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 132

212 M C DURST preacuteciteacute note 140 srsquoexprime comme suit agrave la page 134

laquo The OECD has been especially deficient I believe in its lack of willingness to give serious and open-minded attention to the possibility of alternatives to comparables-based transfer pricing rules [hellip] The OECD has

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 499

point de vue srsquoapplique aussi aux Eacutetats-Unis drsquoautant que le deacutepartement du Treacutesor nrsquoa pas donneacute suite agrave la recommandation du US Government Accountability Office en 1981 de faire une eacutetude afin de deacutevelopper une preuve empirique favorable ou non agrave lrsquoadoption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie213 Faute drsquoeacutetude seacuterieuse il srsquoavegravere que personne ne sait vraiment si la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices augmenterait ou diminuerait les recettes fiscales annuelles ameacutericaines214

Bref les arguments de lrsquoOCDE pour justifier le refus de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices215 qui sont en gros similaires agrave ceux mentionneacutes dans le Rapport Carroll216 se fondent entiegraverement sur les commentaires des pays membres217 En particulier il convient de souligner que lrsquoargument principal

(hellipsuite)

never however attempted a systematic and quantitative comparison between their approach and alternatives such as the formulary system that has been in place among the US states for about one hundred years ndash a longevity that suggests such a system is at least to some extent ldquorealisticrdquo ndash or alternatives based on the OECDrsquos own profit split method [hellip] It should be possible to compare alternative systems by use of realistic and quantitative case studies with respect to such criteria as avoidance of both double taxation and double under-taxation and feasibility and cost of compliance and enforcement I believe the worldrsquos governments deserve ndash and need ndash a much more thorough systematic and open-minded comparison of possible alternatives insulated from the participation of financially interested parties than the OECD has offered to date [note omise] raquo (Notre soulignement)

213 GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56 Selon le US Government Accountability Office si le deacutepartement du Treacutesor agrave la suite de lrsquoeacutetude avait deacutecideacute drsquoutiliser la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie cette derniegravere applicable seulement aux entreprises unitaires nrsquoaurait constitueacute qursquoun outil additionnel pour parfaire lrsquoapproche du principe de pleine concurrence

214 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1153 En outre il nrsquoest nullement certain que lrsquoeacutevitement fiscal qui reacutesulte de la manipulation des regravegles actuelles sur les prix de transfert serait moindre si la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie devenait la nouvelle norme internationale car il est fort probable que de nouvelles techniques seraient deacuteveloppeacutees ou encore il est mecircme possible que les techniques deacutejagrave existantes soient toujours efficaces Agrave ce propos voir J ROIN preacuteciteacute note 152 pp 174-175

215 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 122-131 216 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669-670 217 Les commentaires des pays membres de lrsquoOCDE publieacutes dans le rapport de 1979

nrsquoeacutetant pas fondeacutes sur des donneacutees empiriques le US Government Accountability (agrave suivrehellip)

500 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

contre la reacutepartition globale des beacuteneacutefices mis de lrsquoavant sans ambages dans le Rapport Carroll soit le refus des pays membres de perdre leur souveraineteacute fiscale nrsquoest pas formuleacute expresseacutement dans les lignes directrices de 1979 de 1995 et de 2010218 Pour le reste lrsquoOCDE reacuteitegravere que la mise en œuvre drsquoun nouveau systegraveme de regravegles fiscales visant agrave preacutevenir les doubles impositions eacuteconomiques impliquerait une coordination et une coopeacuteration internationales sans preacuteceacutedent de la part des grands pays dans lesquels les entreprises multinationales exercent des activiteacutes commerciales et que lrsquoapplication de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices serait aussi arbitraire sinon plus que le principe de pleine concurrence

Exprimeacute par un rejet cateacutegorique explicite dans les Principes directeurs le durcissement de la position de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices remonte agrave 1995 Lrsquointransigeance et la fermeteacute de lrsquoOCDE confegraverent ouvertement au principe de pleine concurrence un statut de dogme quasi planeacutetaire irremplaccedilable dont la veacuteriteacute est en apparence indiscutable Pourtant lrsquoOCDE semblait permettre dans le rapport de 1979 la possibiliteacute drsquoutiliser les meacutethodes de partage de beacuteneacutefices et y compris vraisemblablement la reacutepartition globale selon une formule afin de valider les prix de pleine concurrence ou encore lorsque les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence eacutetaient inapplicables et que les pays concerneacutes partageaient cette mecircme approche de reacutepartition219

En reacutealiteacute le consensus autour du principe de pleine concurrence paraicirct ineacutebranlable Continuant agrave maintenir que lrsquoapproche de pleine concurrence fondeacutee sur le marcheacute demeure malgreacute les critiques le meilleur principe de reacutepartition theacuteorique des beacuteneacutefices les Eacutetats-Unis exercent toujours une autoriteacute morale et politique en tant que chef de file des regravegles sur les prix de transfert et contribuent agrave renforcer lrsquoeacutedification du concept comme norme

(hellipsuite)

Office a drsquoailleurs choisi de ne pas en discuter dans son rapport concernant les beacuteneacutefices des entreprises multinationales GENERAL ACCOUNTING OFFICE preacuteciteacute note 139 p 56

218 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 669

laquo Will countries in which profits have clearly accrued agree to giving up a part or all of such profits as a result of an apportionment of the total net income or loss of the enterprise The great majority of administrations have definitely indicated that they would not [note omise] raquo

219 Rapport de 1979 preacuteciteacute note 86 pp 15-16 B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 76

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 501

internationale de reacutepartition220 La profession de foi de lrsquoIRS et du deacutepartement du Treacutesor contenue dans le Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute revecirct encore aujourdrsquohui une tregraves grande importance du point de vue de la politique gouvernementale ameacutericaine dans le contexte du deacutebat sur le principe de pleine concurrence221

En outre les associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines sont aussi favorables au maintien du principe de pleine concurrence222 Mais encore les fiscalistes dont le travail consiste agrave preacuteparer la documentation ponctuelle et agrave eacutelaborer les planifications fiscales qui permettent de deacuteplacer les beacuteneacutefices des entreprises multinationales agrave lrsquoaide des contrats intersocieacuteteacutes ont tout inteacuterecirct agrave ce que le reacutegime actuel demeure en place223 Pourquoi les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU remplaceraient-ils le principe de pleine concurrence alors que les Eacutetats-Unis un joueur mondialement puissant rejettent cateacutegoriquement cette ideacutee

220 Depuis le deacutebut de lrsquohistoire des prix de transfert les Eacutetats-Unis ont joueacute un rocircle de

premier plan Les recherches meneacutees par les auteurs concernant les travaux de la SDN et de lrsquoOCDE ne permettent pas drsquoaffirmer que drsquoautres pays ont exerceacute une influence aussi marqueacutee que celle des Eacutetats-Unis en matiegravere de prix de transfert

221 Livre blanc ameacutericain de 1988 sur la fiscaliteacute preacuteciteacute note 91 p 86 Plus reacutecemment Michael Danilack Commissaire adjoint agrave lrsquoIRS Large Business and International Division a reacuteiteacutereacute lors de la confeacuterence annuelle de lrsquoOCDE tenue en juin 2011 agrave Washington que les Eacutetats-Unis adheacuteraient au principe de pleine concurrence ANONYME laquo PwC Reports on OECD Tax Conference raquo (2011) Worldwide Tax Daily 118-26 (Tax Analysts) Toutefois le refus en 2010 du deacutepartement du Treacutesor de reacuteveacuteler devant le Comiteacute des voies et moyens agrave lrsquooccasion de la deacuteposition orale de Stephen E Shay alors Secreacutetaire adjoint aux affaires fiscales internationales srsquoil srsquoopposerait ou non agrave lrsquoadoption eacuteventuelle par le Congregraves de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule preacuteeacutetablie en remplacement du principe de pleine concurrence fait ombre au tableau US HOUSE OF REPRESENTATIVES Hearing on Transfer Pricing Issues Before the Committee on Ways and Means 111e Congregraves Deuxiegraveme session juillet 2010 Seacuterie 111-66 (en ligne httpdemocratswaysandmeanshousegovHearingstranscriptaspxNewsID=11273) (laquo Hearing on Transfer Pricing 2010 raquo) sans pagination (consulteacute le 22 feacutevrier 2011)

222 Celles ayant preacutesenteacute en juillet 2010 des commentaires eacutecrits au Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants des Eacutetats-Unis reacuteclament unanimement le maintien du principe de pleine concurrence comme norme internationale

223 M C DURST preacuteciteacute note 140 p 131

502 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

52 LA CONCLUSION DrsquoUN CONSENSUS INTERNATIONAL SUR LA

REacutePARTITION GLOBALE DES BEacuteNEacuteFICES UNE UTOPIE DANS LA

CONJONCTURE ACTUELLE

Sauf un improbable coup de theacuteacirctre il est inconcevable de croire que dans le cadre de la controverse autour de la norme de reacutepartition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU fassent table rase du consensus sur le principe de pleine concurrence et repartent de zeacutero Forceacutes de choisir entre deux options contradictoires ils srsquoobstinent agrave reconduire le choix initial et agrave maintenir le statu quo en deacutepit drsquoun contexte international diffeacuterent de celui des anneacutees 1930 Pour le moment la conclusion drsquoun nouveau consensus international agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices est au point de vue politique illusoire

Mecircme agrave supposer que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent eacuteventuellement agrave deacutegager un consensus pour adopter la reacutepartition globale des beacuteneacutefices encore faudrait-il que ceux-ci viennent agrave bout de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition conjugueacute avec une formule matheacutematique de reacutepartition des beacuteneacutefices qui soient applicables agrave lrsquoeacutechelon international Que voilagrave un gigantesque deacutefi agrave relever pour peu que lrsquoexemple des Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains et la tentative de lrsquoUnion europeacuteenne preacutefigurent les difficulteacutes inheacuterentes sur le plan mondial agrave la mise en pratique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices

521 Lrsquoimprobabiliteacute drsquoun accord international sur les eacuteleacutements fondamentaux drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition mondial

En theacuteorie lrsquohypotheacutetique eacutemergence drsquoun consensus international relatif agrave lrsquoabandon du principe de pleine concurrence devrait entraicircner pour corollaire direct la substitution de ce dernier par la reacutepartition globale des beacuteneacutefices Le deacutelaissement de la norme actuelle par les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU impliquerait neacutecessairement lrsquoadheacutesion internationale agrave la seconde option car lrsquoadoption de la norme de reacutepartition de lrsquoassiette mondiale de revenu imposable des socieacuteteacutes lieacutees relegraveve drsquoun choix binaire224 Ainsi avec lrsquoavegravenement de la reacuteforme les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU se verraient contraints de srsquoaccorder agrave partager une conception

224 La reacutepartition globale des beacuteneacutefices nrsquoest pas synonyme de systegraveme unitaire mais

lrsquooption de remplacement proposeacutee en conjugue lrsquoapplication depuis les anneacutees 1930 Sur la question de la distinction entre les deux expressions voir R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap II

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 503

commune drsquoun systegraveme unitaire drsquoimposition y compris une ou le cas eacutecheacuteant plusieurs formules matheacutematiques preacuteeacutetablies afin de preacutevenir les conseacutequences neacutefastes de la double imposition des beacuteneacutefices des entreprises multinationales

Agrave ce sujet des opinions srsquoeacutelegravevent afin de faire valoir que des eacuteleacutements fondamentaux de ce nouveau systegraveme sont susceptibles de susciter des difficulteacutes importantes voire des impasses politiques au sein de la communauteacute internationale et dont lrsquoampleur pourrait mecircme surpasser les inconveacutenients deacutecoulant de lrsquoapplication du systegraveme actuel225 Premiegraverement il faudrait deacutefinir agrave des fins fiscales la composition drsquoune entreprise unitaire Pour cela les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU devraient eacutetablir les critegraveres geacuteneacuteraux ndash par exemple controcircle de droit et de fait inteacutegration eacuteconomique ndash permettant de distinguer parmi les entiteacutes membres du groupe drsquoentreprises multinationales celles qui feraient partie de lrsquoentreprise unifieacutee et dont les beacuteneacutefices comptables seraient combineacutes preacutealablement agrave lrsquoexercice de la reacutepartition selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Deuxiegravemement les pays seraient aussi tenus de speacutecifier lrsquoassiette fiscale imposable consolideacutee crsquoest-agrave-dire de preacuteciser les revenus drsquoentreprise totaux faisant lrsquoobjet de la reacutepartition entre les administrations fiscales Ne conviendrait-il pas drsquoinclure dans cette assiette lrsquoensemble des revenus gagneacutes par lrsquoentreprise unitaire ou seulement les revenus geacuteneacutereacutes directement par les activiteacutes commerciales agrave lrsquoexclusion de certaines cateacutegories de revenus notamment les revenus drsquointeacuterecircts et de redevances226

Puis les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU auraient agrave seacutelectionner les facteurs de reacutepartition des beacuteneacutefices consolideacutes ainsi qursquoagrave fixer la pondeacuteration de chacun de ces facteurs dans la formule matheacutematique Y aurait-il lieu dans les circonstances de simplement retenir les trois facteurs de lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act soit les immobilisations corporelles les salaires et les ventes Sinon comment reacutesoudre alors lrsquoeacutepineuse question des actifs incorporels doivent-ils ecirctre pris en compte ou non en tant que facteur de reacutepartition227

225 W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 110 226 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 p 1146 227 Les biens incorporels sont difficiles agrave eacutevaluer vu leur nature unique Outre le fait de ne

pas avoir de localisation geacuteographique concregravete ils font rarement lrsquoobjet drsquoun transfert agrave des tiers par vente contrat de licence ou autres de sorte que les prix du marcheacute comparables se reacutevegravelent introuvables Sur ce point voir J LI preacuteciteacute note 92 pp 848-849 Drsquoautre part certains soutiennent que le coucirct de production et de

(agrave suivrehellip)

504 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Plusieurs laissent entendre que la creacuteation drsquoun consensus international relativement aux eacuteleacutements susmentionneacutes serait pour le moins ardue du fait que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques228 En effet les marcheacutes financiers les regravegles comptables les monnaies nationales et les systegravemes juridiques sont aujourdrsquohui rarement identiques drsquoun pays agrave lrsquoautre En de pareilles circonstances il semble douteux de pouvoir un jour accorder toutes les divergences nationales potentielles vis-agrave-vis de cette reacuteforme de faccedilon que son implantation rallie les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU Lrsquoideacutee mecircme de concevoir un systegraveme unitaire drsquoimposition mondial et une formule matheacutematique uniforme de reacutepartition constitue au XXIe siegravecle une vue de lrsquoesprit une utopie

522 Le mirage de lrsquoexpeacuterience infranationale ameacutericaine et du projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes

Depuis au moins un siegravecle la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie est utiliseacutee par les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains qui perccediloivent un impocirct corporatif sur les beacuteneacutefices des entreprises exerccedilant des activiteacutes commerciales dans plus drsquoun Eacutetat Crsquoest lrsquoEacutetat du Wisconsin qui au deacutepart lrsquoaurait preacutefeacutereacutee agrave la comptabilisation distincte afin drsquoeacuteviter tous les eacutecueils relatifs agrave lrsquoestimation de la portion des beacuteneacutefices totaux attribuable aux Eacutetats ougrave les entreprises se livrent agrave des activiteacutes commerciales229 Parmi les Eacutetats qui se servent drsquoune telle formule pour diviser les beacuteneacutefices seuls quelques-uns ont instaureacute un systegraveme drsquoimposition unitaire230

(hellipsuite)

conservation des biens incorporels est deacutejagrave refleacuteteacute dans les trois facteurs UDITPA S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 1150-1151

228 H David ROSEMBLOOM laquo Angels on a Pin Armrsquos Length in the World raquo (2005) 38 Tax Notes International 523 (Tax Analysts) p 524 Stanley S SURREY laquo Reflections on the Allocation of Income and Expenses Among National Tax Jurisdictions raquo (1978) vol 10 no 2 Law amp Policy International Business 409 (HeinOnline Law Journal Library) p 416 UNITED NATIONS CONFERENCE ON TRADE AND DEVELOPMENT preacuteciteacute note 78 p 12

229 Joann M WEINER laquo Using the Experience in the US States to Evaluate Issues in Implementing Formula Apportionment at the International Level raquo OTA Paper No 83 1999 (en ligne httpipv6treasurygovresource-centertax-policytax-analysisDocumentsota83pdf) p 6

230 Id p 17

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 505

Au terme drsquoune longue bataille juridique la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis confirme en 1983 la constitutionnaliteacute de la notion drsquoentreprise unitaire alors appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie pour reacutepartir notamment les revenus de source eacutetrangegravere drsquoune entreprise multinationale ameacutericaine231 Pourtant le gouvernement feacutedeacuteral des Eacutetats-Unis propose agrave la suite de ce jugement un compromis soit la waterrsquos edge formula aux Eacutetats ameacutericains qui ont adopteacute une approche fiscale mondiale Mise en pratique degraves 1986 la proposition de lrsquoadministration Reagan conjugue dans le but de mettre fin aux seacuterieuses dissensions entre les Eacutetats ameacutericains et les entreprises multinationales eacutetrangegraveres lrsquoapplication de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie aux revenus corporatifs de source ameacutericaine et celle de la comptabiliteacute distincte et du principe de pleine concurrence aux revenus corporatifs de source eacutetrangegravere232

Certes le caractegravere meacutecanique de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie seacuteduit agrave premiegravere vue par sa simpliciteacute drsquoexeacutecution Mais la longue expeacuterience des administrations fiscales infranationales ameacutericaines relativement agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices afin de reacutepartir les beacuteneacutefices intereacutetatiques des socieacuteteacutes srsquoavegravere-t-elle suffisamment concluante pour constituer un incitatif seacuterieux agrave lrsquoadoption de celle-ci au niveau national Quoique les regravegles comptables et les devises soient les mecircmes dans tous les Eacutetats ameacutericains il ressort assez clairement tout drsquoabord que la notion drsquolaquo entreprise unitaire raquo varie drsquoun Eacutetat agrave lrsquoautre selon diffeacuterents critegraveres leacutegislatifs et jurisprudentiels233 Quant aux formules matheacutematiques mecircme si les trois facteurs deacutetermineacutes par lrsquoUniform Division of Income for Tax Purposes Act srsquoy trouvent combineacutes elles ne sont pas identiques puisque depuis les anneacutees 1980 les Eacutetats ameacutericains tendent agrave augmenter diffeacuteremment la pondeacuteration des recettes brutes234

231 Container Corp v Franchise Tax Board 463 US 159 (1983) (en ligne

httpsupremejustiacomcasesfederalus463159casehtml) Voir eacutegalement la cause Barclays Bank PLC v Franchise Tax Board of California 114 S Ct 2268 (1994) (en ligne httpsupremejustiacomcasesfederalus512298) dans la laquelle la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis valide la constitutionnaliteacute de la reacutepartition globale selon une formule preacuteeacutetablie appliqueacutee par lrsquoEacutetat de la Californie agrave une entreprise multinationale eacutetrangegravere

232 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 142 p 573 C THOMAS preacuteciteacute note 68 pp 105-106

233 S CHRISTENSEN preacuteciteacute note 146 pp 114-1145 J M WEINER preacuteciteacute note 229 pp 17-18

234 J M WEINER preacuteciteacute note 148 p 12

506 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Partant lrsquoexpeacuterience acquise par les Eacutetats-Unis au niveau infranational donne agrave penser que le passage en droit fiscal international public du principe de pleine concurrence agrave la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique ne serait pas garant de la simpliciteacute ni de la preacutevisibiliteacute pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales Une fois transposeacutee agrave lrsquoeacutechelon international cette expeacuterience ameacutericaine laisse aussi supposer des diffeacuterences entre les systegravemes nationaux de reacutepartition globale Eacutetant donneacute que les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU ne partagent pas les mecircmes inteacuterecircts eacuteconomiques et politiques une augmentation des risques de doubles impositions encore plus grande que dans le systegraveme actuel serait agrave redouter pour les entreprises multinationales En un mot les Eacutetats feacutedeacutereacutes ameacutericains illustrent au mieux un modegravele agrave parfaire au pire un repoussoir agrave lrsquooption de la reacuteforme

En outre lrsquoimprobabiliteacute que les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU parviennent agrave un accord agrave lrsquoeacutechelon international est drsquoautant plus grande que le projet europeacuteen drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des socieacuteteacutes deacutemarreacute depuis plus de 10 ans ne reacuteussit toujours pas agrave rallier les pays de lrsquoUnion europeacuteenne sur lrsquoideacutee de la mise en œuvre de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices dans un marcheacute eacuteconomique commun Une douzaine de pays considegraverent que ce projet ne respecte pas le principe de subsidiariteacute preacutevu dans le Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne voulant que lrsquoUnion europeacuteenne nrsquoagisse que lorsque les reacutesultats attendus ne peuvent ecirctre atteints au niveau national235 Les Pays-Bas rejettent formellement le projet en raison de lrsquoaugmentation des coucircts de conformiteacute des gouvernements qui devront geacuterer deux systegravemes fiscaux en mecircme temps ndash national et europeacuteen ndash et de lrsquoabsence des biens incorporels et des actifs financiers dans les cleacutes de reacutepartition de lrsquoassiette fiscale236 Aussi certains observateurs soutiennent-ils qursquoil se peut que le projet demeure lettre morte237 Il va de soi que lrsquoenlisement du projet drsquoassiette commune consolideacutee pour lrsquoimpocirct des

235 Traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne 1er novembre 1993 (en ligne httpeur-

lexeuropaeufrtreatiesnew-2-48htm) par 5(3) Agrave ce sujet voir Kristen A PARILLO laquo 9 EU Countries Express Subsidiarity Concerns Over CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 102-1 (Tax Analysts) et du mecircme auteur laquo Irish UK Parliaments Reject CCCTB Proposal raquo (2011) Worldwide Tax Daily 100-1 (Tax Analysts)

236 ANONYME laquo PwC Reviews Netherlandsrsquo Reaction to CCCTB raquo (2011) Worldwide Tax Daily 89-35 (Tax Analysts)

237 Kristen A PARILLO laquo CCCTB Could Be Adopted by Subset of EU Countries Austrian Academics Says raquo (2011) Worldwide Tax Daily 197-7 (Tax Analysts)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 507

socieacuteteacutes (ACCIS) fait lrsquoeffet drsquoune douche froide pour les partisans de la reacuteforme Crsquoest le cas de lrsquoun des plus ardents deacutefenseurs de lrsquooption de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices parmi les universitaires ameacutericains le professeur Avi-Yonah238 Ce dernier se dit maintenant convaincu devant les difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne que la mise en place drsquoun systegraveme unitaire international drsquoimposition est irreacutealisable239

En fin de compte le remplacement du systegraveme fondeacute sur le principe de pleine concurrence et la theacuteorie de la comptabiliteacute distincte prend la forme drsquoune proposition doublement illusoire dans le contexte international actuel Drsquoune part les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU refusent systeacutematiquement drsquoexplorer la question de la supeacuterioriteacute de lrsquoapproche de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices agrave lrsquoeacutegard de lrsquoeacuteconomie mondiale moderne et drsquoen mesurer par le truchement de lrsquoobservation empirique les avantages reacuteels sur le principe de pleine concurrence Perpeacutetuant la ligne de penseacutee suivie par la SDN lrsquoOCDE et lrsquoONU maintiennent le cap sur le principe de pleine concurrence Drsquoautre part la prise en compte des embucircches lieacutees agrave lrsquoexpeacuterience des Eacutetats ameacutericains et au dessein europeacuteen rend quasi impossible lrsquoideacutee mecircme drsquoinstaurer une formule matheacutematique et un systegraveme unitaire drsquoimposition universels

Dans un monde ideacuteal lrsquoinstauration drsquoune gamme de meacutethodes pour deacuteterminer les prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure ndash meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre ndash agrave lrsquoestimation pure ndash meacutethode de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacutedeacutetermineacutee ndash reacutesoudrait la plupart des difficulteacutes actuelles Toutefois lrsquoabsence drsquointeacuterecirct des pays membres de lrsquoOCDE en ce moment agrave lrsquoeacutegard de la reacutepartition globale tend agrave confirmer le caractegravere illusoire drsquoun possible consensus sur lrsquoajout dans les Principes directeurs de la meacutethode de la reacutepartition totale illimiteacutee des beacuteneacutefices aux meacutethodes de pleine concurrence deacutejagrave accepteacutees par lrsquoOCDE Un tel continuum qui impliquerait en quelque sorte la coexistence au niveau national de deux systegravemes de regravegles de prix de transfert serait susceptible drsquoexposer davantage les entreprises multinationales agrave la double imposition en raison de lrsquoutilisation de formules matheacutematiques diffeacuterentes drsquoun pays agrave lrsquoautre

238 R S AVI-YONAH K A CLAUSING et M C DURST preacuteciteacute note 146 239 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 au chap III (Myth 2)

Ce changement de position semble attribuable entre autres aux difficulteacutes de lrsquoUnion europeacuteenne relatives agrave la tentative drsquoadopter une assiette fiscale commune

508 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

6 LA MODERNISATION DU SYSTEgraveME ACTUEL DE REgraveGLES SUR LES PRIX

DE TRANSFERT LA NEacuteCESSITEacute DrsquoAGIR DE LrsquoOCDE ET DE LrsquoONU

Le refus continuel de consideacuterer la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie comme la panaceacutee aux difficulteacutes relatives agrave la reacutepartition mondiale des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees contraint les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU agrave composer avec le principe de pleine concurrence Il nrsquoest pas eacutetonnant que agrave deacutefaut drsquoautres options reacutealistes ce dernier se voie rangeacute sous lrsquoeacutetiquette de laquo meilleure option pratique raquo dans la conjoncture actuelle240 Lrsquoeacutetat des choses pourrait mecircme laisser croire en admettant que le principe de pleine concurrence ait atteint au siegravecle dernier la limite de son deacuteveloppement et qursquoil relegraveverait de lrsquoanachronisme que lrsquoOCDE et lrsquoONU se sont enfermeacutees dans un cul-de-sac dont elles ne peuvent srsquoextirper

Leitmotiv des reacuteformateurs lrsquoideacutee que le principe de pleine concurrence soit maintenant frappeacute drsquoobsolescence peut-elle reacutesister agrave lrsquoanalyse Le principe de pleine concurrence se reacuteduit-il en fin de compte agrave une norme internationale de reacutepartition agrave preacutesent deacutepasseacutee Une chose est sucircre le contexte international du XXIe siegravecle nrsquoa plus rien agrave voir avec celui qui a vu naicirctre cette norme Pour cette raison le statu quo semble difficilement tenable drsquoougrave la neacutecessiteacute pour lrsquoOCDE et lrsquoONU de concevoir la modernisation des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence en vue de lrsquoadapter au monde eacuteconomique drsquoaujourdrsquohui

61 LrsquoANACHRONISME PREacuteTENDU DU CONCEPT DE PLEINE

CONCURRENCE LE POINT SUR LA QUESTION

Adopteacute voilagrave 80 ans par la SDN le principe de pleine concurrence est un concept de reacutepartition des beacuteneacutefices aussi ancien que le principe de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie241 Dans le contexte de la controverse autour du principe de pleine concurrence les reacuteformateurs ont agiteacute les questions drsquoobsolescence quelques-uns osant mecircme qualifier ce dernier drsquoanachronisme242 Il est vrai que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence reconnus par lrsquoOCDE nrsquoont pas eacuteteacute reacuteellement adapteacutes agrave lrsquoeacutevolution rapide du commerce

240 Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines

Jr) Manuel de lrsquoONU preacuteciteacute note 105 par 323 ANONYME preacuteciteacute note 210 241 Voir la section 11 ci-dessus 242 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 J M WEINER preacuteciteacute note 1

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 509

international amorceacutee apregraves la Seconde Guerre mondiale Devant lrsquoeacutemergence de certaines pratiques plus souples et comportant des eacuteleacutements de formules dans certains pays non membres la reacutenovation du systegraveme de regravegles sur les prix de transfert srsquoimpose au XXIe siegravecle de faccedilon que puisse renaicirctre le pragmatisme existant au milieu du siegravecle preacuteceacutedent

611 Les efforts pour adapter les modes drsquoapplication au contexte international

Au contraire de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie le principe de pleine concurrence est toujours en usage dans le monde pour attribuer au niveau national les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Depuis respectivement 1990 et 2006 la Suisse et lrsquoEspagne qui avaient adopteacute degraves les anneacutees 1920 la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique srsquoappuient sur le principe de pleine concurrence et mettent en pratique les meacutethodes de prix de transfert recommandeacutees par lrsquoOCDE243 De plus le nombre de pays qui appliquent le principe de pleine concurrence nrsquoa pas cesseacute drsquoaugmenter depuis les anneacutees 1970244 Par conseacutequent le principe de pleine concurrence ne saurait ecirctre qualifieacute de concept peacuterimeacute en droit fiscal international moderne ce qui est par contre le cas de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices une relique du siegravecle dernier245

Dans son essence le concept de pleine concurrence est demeureacute exactement le mecircme que du temps ougrave la SDN se preacuteoccupait du problegraveme de la double imposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes lieacutees Lrsquoideacutee que les prix des transactions internes des socieacuteteacutes lieacutees devraient ecirctre similaires agrave ceux convenus sur le marcheacute libre par des socieacuteteacutes tierces agrave lrsquoeacutegard de transactions analogues a traverseacute la seconde partie du XXe siegravecle en se muant avec le concours de lrsquoOCDE et des Eacutetats-Unis en un dogme immuable Diffuseacutes initialement dans les premiegraveres lignes directrices de

243 Il en va de mecircme pour lrsquoAutriche (pays fondateur de lrsquoOCDE) la Tcheacutecoslovaquie

(membre de lrsquoOCDE depuis 1995) et la Hongrie (membre de lrsquoOCDE depuis 1996) Sur ce point voir les fiches pays des pays susmentionneacutes en matiegravere de prix de transfert disponibles sur le site de lrsquoOCDE httpwwwoecdorg document1503746fr_2649_33753_37837967_1_1_1_100html

244 Sur ce point voir supra note 105 245 Aucun pays de lrsquoOCDE ni de lrsquoONU nrsquoutilise vraisemblablement de nos jours la

reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie Voir Hearing on Transfer Pricing 2010 preacuteciteacute note 221 (teacutemoignage de James R Hines Jr) IFA 1992 preacuteciteacute note 97 p 113

510 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoOCDE agrave la fin des anneacutees 1970 les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence ont fait lrsquoobjet de reacutevisions majeures mais avec une lenteur de tortue

Souvent agrave la remorque des innovations de lrsquoadministration fiscale des Eacutetats-Unis lrsquoOCDE a tenteacute mollement de mieux adapter la norme de pleine concurrence agrave la nouvelle reacutealiteacute du contexte international246 Or le contexte actuel diffegravere grandement du contexte des anneacutees 1930 deacutecrit dans la premiegravere eacutetude internationale sur les meacutethodes de reacutepartition des beacuteneacutefices Le rapport de ces diffeacuterences deacutenote le passage agrave un autre monde eacuteconomique et commercial tant la meacutetamorphose accomplie se reacutevegravele importante Notamment le nombre des entreprises multinationales et des eacutechanges internationaux srsquoest beaucoup accru les eacutechanges transfrontaliers internes incluent geacuteneacuteralement de nos jours des biens incorporels uniques de grande valeur ainsi que la prestation de services speacutecialiseacutes Aussi le nombre de refuges fiscaux de mecircme que le nombre drsquoadministrations fiscales nationales doteacutees de regravegles fiscales fondeacutees sur le principe de pleine concurrence ont connu une forte augmentation

Certes la transformation progressive sur le plan mondial du contexte eacuteconomique et commercial a contribueacute agrave mettre en relief les lacunes intrinsegraveques drsquoun concept qui comme lrsquoont exprimeacute les acteurs de la controverse247 est imparfaitement adapteacute aux entreprises multinationales modernes Ce nrsquoest qursquoagrave partir de 1995 que les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence connaissent dans les Principes directeurs en matiegravere de prix de transfert de lrsquoOCDE une tregraves lente eacutevolution modeleacutee sur les modifications leacutegislatives ameacutericaines248 Notamment cette eacutevolution marque lrsquointroduction du concept drsquointervalle de prix de pleine concurrence lequel favorise lrsquoapplication de la norme de comparabiliteacute drsquoune maniegravere moins stricte De plus elle donne ouverture agrave lrsquoutilisation des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices pour deacuteterminer les prix de transfert comme solutions pratiques dans les cas ougrave les meacutethodes traditionnelles sont difficiles agrave appliquer et aux arrangements preacutealables en matiegravere de prix de

246 Sur ce point voir John NEIGHBOUR et Jeffrey OWENS laquo Transfer Pricing in the

New Millennium Will the Armrsquos Length Principle Survive raquo (2001-2002) vol 10 no 1 George Mason Law Review 951 (HeinOnline Law Journal Library)

247 Voir la section 4 ci-dessus 248 Voir la section 31 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 511

transfert (APP) qui consistent en une nouvelle approche pour reacutesoudre par anticipation les litiges relatifs aux prix de transfert249

Finalement lrsquoabandon de la hieacuterarchie des meacutethodes pour la meacutethode la plus approprieacutee affermit en 2010 lrsquoutilisation accrue des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices dans le but avoueacute drsquoatteacutenuer les difficulteacutes drsquoapplication des meacutethodes transactionnelles traditionnelles dans le contexte international actuel Cet abandon constitue drsquoailleurs jusqursquoagrave maintenant lrsquoeacutetape la plus significative de la deacutemarche de lrsquoOCDE pour actualiser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence En fait lrsquoapprobation manifeste des meacutethodes transactionnelles des beacuteneacutefices par lrsquoOCDE pourrait mecircme paraicirctre annonciatrice de lrsquoorientation agrave privileacutegier pour reacutesoudre les difficulteacutes courantes drsquoapplication

612 Lrsquoouverture au pragmatisme drsquoantan comme esquisse de solution aux problegravemes drsquoapplication

Lrsquoabsence drsquoune solution de remplacement accepteacutee internationalement condamne le principe de pleine concurrence agrave fonctionner coucircte que coucircte250 Il est entendu que dans cette optique terre-agrave-terre lrsquoOCDE nrsquoa pas drsquoautre choix au beacuteneacutefice des pays membres que de continuer de concentrer ses efforts sur la mise au point de modes drsquoapplication plus souples du principe de pleine concurrence qui srsquoaccordent aux reacutealiteacutes eacuteconomiques et commerciales du XXIe siegravecle Toutefois nous croyons qursquoun coup de barre pourrait devoir srsquoimposer rapidement afin de moderniser davantage la mise en pratique du principe de pleine concurrence Eacutetant donneacute la pression implicite exerceacutee en droit fiscal international public par les pays non membres en faveur de lrsquoutilisation de regravegles simplifieacutees non reconnues par lrsquoOCDE il vaudrait probablement mieux pour cette derniegravere drsquoacceacuteleacuterer le rythme eacutevolutif des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence

Non seulement des pays non membres de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente parmi les plus grandes au monde notamment le Breacutesil lrsquoInde et la Chine intensifient lrsquoapplication de regravegles leacutegislatives et administratives

249 J NEIGHBOUR et J OWENS preacuteciteacute note 246 pp 956-957 250 Stig SOLLUND laquo What Are the Key Transfer Pricing Concerns of Governments raquo

dans The Future of the Armrsquos Length Principle International Tax Review Global Transfer Pricing Forum Amsterdam septembre 2010 souligne que laquo Wersquove got to make the ALP [Armrsquos Length Principle] work there is no realistic alternative in the global world raquo

512 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

sur les prix de transfert251 mais ils tendent agrave adopter des mesures simplifieacutees baseacutees sur des formules pour deacuteterminer les prix de cession internes transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees252 Alors qursquoils beacuteneacuteficient drsquoun programme drsquoengagement renforceacute aupregraves de lrsquoOCDE depuis 2007 ces pays appliquent agrave des fins de simpliciteacute et de ceacuteleacuteriteacute des formes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee des beacuteneacutefices lesquelles admettent lrsquoutilisation entre autres de la moyenne arithmeacutetique des prix comparables et drsquoun taux de beacuteneacutefices reacuteputeacutes

Par exemple le systegraveme breacutesilien de regravegles sur les prix de transfert ne peut ecirctre compareacute agrave aucun autre systegraveme dans le monde Instaureacute en 1997 il combine des meacutethodes analogues aux meacutethodes transactionnelles traditionnelles de lrsquoOCDE et des marges beacuteneacuteficiaires brutes minimales et maximales prescrites Il comprend aussi des reacutegimes de protection affecteacutes agrave la fixation des prix de pleine concurrence des transactions drsquoexportation253 Le Breacutesil nrsquoapplique pas sur son territoire les Principes directeurs de lrsquoOCDE en matiegravere de prix de transfert254 preacutefeacuterant agrave lrsquoinstar des Eacutetats-Unis interpreacuteter et appliquer le principe de pleine concurrence agrave sa maniegravere255

Qui plus est le fosseacute deacutejagrave ouvert entre les pays membres de lrsquoONU et ceux de lrsquoOCDE quant agrave leur situation particuliegravere agrave lrsquoeacutegard des seacuterieux problegravemes deacutecoulant de lrsquoapplication pratique du principe de pleine concurrence laquo agrave la maniegravere de lrsquoOCDE raquo risque de se creuser davantage agrave lrsquoavenir Comme nous lrsquoavons mentionneacute anteacuterieurement il y a que le manuel de lrsquoONU sur les prix de transfert qui une fois acheveacute deviendra alors lrsquooutil interpreacutetatif de preacutedilection des pays en deacuteveloppement256 Quoi 251 ERNST amp YOUNG preacuteciteacute note 110 p 1 252 ANONYME laquo Baker amp McKenzie Answers OECDrsquos Call for Consultation on

Transfer Pricing raquo (2011) Worldwide Tax Daily 133-19 (Tax Analysts) partie I 253 Luiz Felipe FERRAZ et Alexandre de S ALMEIDA laquo Questions Raised Over

Brazilrsquos Transfer Pricing Rules raquo TP Week 26 novembre 2009 254 Les Principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales

OCDE 2011 (OECDilibrary) p 74 255 Plusieurs partenaires commerciaux des Eacutetats-Unis sont drsquoavis contrairement au

deacutepartement du Treacutesor ameacutericain que la meacutethode empirique des beacuteneacutefices comparables (CPM) et la regravegle de la proportionnaliteacute avec le revenu enfreignent le principe de pleine concurrence du fait notamment que lrsquoexamen comparatif se concentre sur les beacuteneacutefices de grandes cateacutegories drsquoentreprises plutocirct que sur les beacuteneacutefices de transactions particuliegraveres Voir B D LEPARD preacuteciteacute note 52 p 52

256 Voir la section 32 ci-dessus

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 513

qursquoon en dise la recherche de regravegles drsquoapplication plus simples dans le but drsquoaplanir les difficulteacutes majeures de mise en pratique de la norme actuelle de reacutepartition pourrait eacuteventuellement conduire les pays membres de lrsquoONU agrave adopter comme certains pays eacutemergents des mesures leacutegislatives ou mecircme administratives fondeacutees sur des formules matheacutematiques

Crsquoest pourquoi il nous semble tout agrave fait naturel que dans les circonstances la modernisation du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert se reacutealise par la voie drsquoun certain retour au pragmatisme pratiqueacute par les administrations fiscales nationales du temps de la SDN257 Selon ce que nous avons dit plus haut la plupart drsquoentre elles utilisaient avec satisfaction des meacutethodes estimatives speacutecialement les meacutethodes de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee comme meacutethodes subsidiaires pour reacutepartir jusque dans les anneacutees 1970 les beacuteneacutefices des eacutetablissements stables dans le cas ougrave les meacutethodes traditionnelles eacutetaient inapplicables258 Avant que lrsquoOCDE ne proscrive ce type de meacutethodes dans les premiegraveres lignes directrices publieacutees en 1979 la meacutethode de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee la plus utiliseacutee agrave lrsquoeacutegard des entreprises commerciales et industrielles eacutetait la meacutethode du pourcentage du chiffre drsquoaffaires crsquoest-agrave-dire que en regravegle geacuteneacuterale les administrations fiscales faisaient appel au pourcentage repreacutesenteacute par la proportion entre le beacuteneacutefice net et les recettes brutes drsquoentreprises similaires259

En fait un pragmatisme renouveleacute pourrait se manifester aujourdrsquohui au sein de lrsquoOCDE notamment par une ouverture agrave preacutevoir comme moyens utiles de se rapprocher des conditions de pleine concurrence des exceptions dans les Principes directeurs lorsque les meacutethodes usuelles sont difficiles ou impossibles agrave appliquer260 Ce vent de pragmatisme commence peut-ecirctre deacutejagrave

257 S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 signale avec justesse agrave la page 670 que les

pratiques en usage dans les anneacutees 1930 reacutepertorieacutees dans le Rapport Carroll eacutetaient le fruit du simple bon sens

258 Voir la section 11 ci-dessus 259 Rapport Carroll preacuteciteacute note 18 par 156 260 La conclusion tireacutee en 1976 par les participants agrave une discussion entre experts sur la

meacutethode agrave privileacutegier pour reacutepartir les beacuteneacutefices des entiteacutes lieacutees ne montre aucune ride et conserve encore aujourdrsquohui toute sa pertinence H Bartlett BROWN David S FOSTER Robert J PATRICK Jr R Alan SHORT Dr Jakob STROBL et David A WARD convenaient agrave la page 352 dans le cadre du laquo Panel Discussion Comparing the Separate and Unitary Entity Approaches to Income Allocation raquo dans Third Annual (1976) Proceedings of the Fordham Corporate Law Institute International Taxation and Transfert Pricing New York Edward Yorio 1977 337 que laquo [i]t seems that all the panelists [hellip] are in agreement that we have a system

(agrave suivrehellip)

514 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

agrave souffler sur lrsquoOCDE la preuve concregravete en eacutetant le projet en cours de lrsquoOCDE sur les aspects administratifs des prix de transfert Deacutemarreacute en 2011 il concerne entre autres la mise agrave jour de la position sur les reacutegimes de protection et srsquoinscrit dans un esprit de simplification de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence Jusqursquoagrave preacutesent lrsquoOCDE nrsquoa pas cesseacute de soutenir que laquo les reacutegimes de protection ne sont geacuteneacuteralement pas compatibles avec lrsquoapplication de prix de transfert conformes au principe de pleine concurrence raquo du fait que notamment les prix ainsi deacutetermineacutes seraient impreacutecis et arbitraires261 Aussi deacutesigneacutes sous lrsquoexpression laquo regravegles refuges raquo les reacutegimes de protection qui repreacutesentent une opportuniteacute de simplifier les regravegles applicables agrave lrsquoeacutegard des transactions de peu de valeur restent un champ inexploreacute par lrsquoOCDE Si la reacutevision des lignes directrices eacutenonceacutees dans le chapitre IV des Principes directeurs avalisait lrsquoadoption de reacutegimes de protection en matiegravere de prix de transfert ceux-ci en fixant soit des seuils ou des intervalles de prix preacutedeacutetermineacutes pourraient permettre aux administrations fiscales de nrsquoexaminer que les dossiers pour lesquels lrsquoapproche au cas par cas srsquoavegravere reacuteellement neacutecessaire262

Outre les reacutegimes de protection les exceptions pourraient prendre la forme entre autres drsquoeacuteleacutements de formules matheacutematiques inteacutegreacutes dans les meacutethodes de reacutepartition fondeacutees sur les beacuteneacutefices permettant ainsi drsquoassurer sous le parapluie du principe de pleine concurrence le rajeunissement des regravegles actuelles Mecircme srsquoil est impossible pour lrsquoOCDE de retourner en arriegravere cela srsquoentend rien ne lrsquoempecirccherait de retrouver lrsquoesprit et le bon sens des anneacutees 1930 1940 et 1950 soit la peacuteriode au cours de laquelle lrsquoapproche transactionnelle pure nrsquoavait pas encore eacuteteacute diffuseacutee afin de stimuler une adaptation orienteacutee sur la souplesse des modes drsquoapplication du (hellipsuite)

now which may not be great but we might as well graft exceptions on the present system rather than adopt a new system and graft exceptions on it raquo

261 Principes directeurs de 2010 preacuteciteacute note 109 par 4120 et 4102-4119 M C DURST preacuteciteacute note 140 explique agrave la page 128 lrsquoattitude de lrsquoOCDE agrave lrsquoeacutegard des reacutegimes de protection comme suit

laquo Why would the OECD Guidelines take a position with respect to safe harbors that seems so divorced from reality The reason I believe lies in politics [hellip] the working party that wrote the Guidelines appears to have been frightened of saying anything that might challenge the fantasy that transfer pricing rules can be administered on the basis of ldquocomparables searchesrdquo Safe harbors expose that fantasy and hence their specter had to be exorcised from the Guidelines Today the economies of many countries continue to suffer the resulting costs raquo

262 S S SURREY preacuteciteacute note 228 pp 445-448

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 515

principe de pleine concurrence LrsquoOCDE serait ainsi ameneacutee pour ce qui regarde lrsquoapproche transactionnelle agrave jeter du lest sans toutefois lrsquoabandonner du moins pour le moment et agrave tirer de lrsquooubli le bon sens rudimentaire qui sous-tendait agrave une eacutepoque anteacuterieure agrave la creacuteation de lrsquoOCDE lrsquoapplication par les administrations fiscales des meacutethodes secondaires263

Sans avoir proceacutedeacute agrave une analyse comparative formelle des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert reconnues par lrsquoOCDE nous ne pouvons affirmer avec certitude que les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices sont des meacutethodes purement transactionnelles Agrave lrsquoeacutevidence elles concernent toutes agrave des degreacutes diffeacuterents la reacutepartition des beacuteneacutefices deacutecoulant de transactions en particulier Intuitivement nous pouvons induire que le degreacute drsquoestimation du prix de transfert obtenu varie drsquoune meacutethode agrave lrsquoautre le point de reacutefeacuterence eacutetant la comparaison pure en application de la meacutethode du prix comparable sur le marcheacute libre En conseacutequence nous pouvons conclure que lrsquoexactitude de la comparaison srsquoamenuise drsquoun point de vue theacuteorique degraves lors qursquoune meacutethode autre que celle du prix comparable sur le marcheacute libre est utiliseacutee Seules les meacutethodes transactionnelles traditionnelles par opposition aux meacutethodes transactionnelles de beacuteneacutefices semblent pouvoir ecirctre qualifieacutees de meacutethodes purement transactionnelles

En drsquoautres termes les meacutethodes de partage des beacuteneacutefices reconnues actuellement par lrsquoOCDE seraient pour ainsi dire une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee264 Bien entendu il srsquoagit drsquoune forme imparfaite puisque la deacutetermination des taux de rendement des fonctions et des biens incorporels ne reacutesulte pas de la simple application drsquoune formule matheacutematique mais requiert une analyse factuelle De nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices crsquoest-agrave-dire celles comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle combineacute agrave lrsquoapplication drsquoune formule matheacutematique multifactorielle pourraient donc constituer une forme de reacutepartition fractionneacutee limiteacutee convenable au mecircme titre que les meacutethodes

263 Dans S I LANGBEIN preacuteciteacute note 1 agrave la page 670 lrsquoauteur deacutesigne la norme

internationale en application dans les anneacutees 1930 sous lrsquoappellation laquo norme de la reacutepartition fractionneacutee raquo et ce en raison des eacuteleacutements de formules preacutedominants et du fait que son statut de meacutethode secondaire ne lrsquoempecircchait pas drsquoecirctre la meacutethode utiliseacutee la plus freacutequemment

264 R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 1) W HELLERSTEIN preacuteciteacute note 152 p 106 M MAZEROV preacuteciteacute note 146 p 30

516 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

empiriques utiliseacutees par les administrations fiscales dans les anneacutees 1930 1940 et 1950265

Dans la gamme theacuteorique des meacutethodes de deacutetermination des prix de transfert ces meacutethodes subsidiaires se positionneraient entre les meacutethodes traditionnelles de pleine concurrence et la reacutepartition globale classique des beacuteneacutefices selon une formule En lrsquoabsence de solutions miracles nous croyons que la possibiliteacute de la coexistence comme au temps des anneacutees 1930 drsquoun eacuteventail de meacutethodes de deacutetermination de prix de transfert allant de la comparabiliteacute pure agrave lrsquoestimation des prix ou des beacuteneacutefices de pleine concurrence au moyen de meacutethodes empiriques incluant la reacutepartition fractionneacutee limiteacutee reste une solution intermeacutediaire senseacutee dans les circonstances Agrave cette fin il serait opportun que lrsquoOCDE effectue une eacutetude et megravene des consultations aupregraves des pays membres et des entreprises multinationales sur le sujet des meacutethodes hybrides Du reste cette solution intermeacutediaire cadre avec lrsquoideacutee du continuum des meacutethodes dont se reacuteclament dans le deacutebat sur la controverse autour du principe de pleine concurrence les partisans de la retouche du systegraveme actuel de regravegles sur les prix de transfert

62 LrsquoEacuteBAUCHE DE REacuteFLEXIONS SUR LA POLITIQUE FISCALE

NATIONALE DES PRIX DE TRANSFERT LES ENJEUX FISCAUX

INTERNATIONAUX CONNEXES

Le deacuteveloppement cloisonneacute des modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence par lrsquoOCDE dont lrsquoaboutissement correspond aux lignes directrices a eu pour effet drsquoeacuteclipser des enjeux eacutethiques internationaux majeurs interrelieacutes agrave la question probleacutematique des prix de cession interne transfrontaliers des socieacuteteacutes lieacutees Rarement abordeacutes en matiegravere de fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes les enjeux eacutethiques contemporains meacuteriteraient pourtant examen et reacuteflexion de la part de lrsquoOCDE de lrsquoONU des gouvernements nationaux et des entreprises multinationales Il suffit de penser agrave lrsquoarbitrage de lrsquoabus un enjeu eacutethique souleveacute par lrsquooptimisation fiscale des prix de transfert agrave laquelle se livrent les entreprises multinationales de mecircme qursquoagrave lrsquoeacutequiteacute de la concurrence fiscale mis en peacuteril en raison de lrsquoabaissement par certains pays du taux effectif

265 Crsquoest le cas par exemple du reacutegime hybride proposeacute par les auteurs

R S AVI-YONAH et I BENSHALOM preacuteciteacute note 152 chap III (Myth 2) lequel preacutevoit des meacutecanismes agrave base de formules applicables speacutecifiquement pour reacutepartir le beacuteneacutefice reacutesiduel lorsqursquoil nrsquoexiste pas de donneacutees comparables

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 517

drsquoimposition sous les taux eacutetablis par les autres pays pour favoriser les investissements sur leurs territoires

Crsquoest que les pheacutenomegravenes mondiaux de lrsquoeacutevitement fiscal et de la concurrence fiscale deacuteloyale participent agrave lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des administrations fiscales nationales en contribuant au deacuteplacement des beacuteneacutefices des entreprises multinationales Depuis peu lrsquoOCDE manifeste drsquoailleurs la volonteacute agrave suivre cette nouvelle voie266 sans toutefois aller aussi loin que drsquoamorcer une reacuteflexion eacutethique pour guider la recherche de solutions permettant drsquoajuster les politiques fiscales nationales

621 Les prix de transfert et lrsquoeacutevitement fiscal international

Tous les teacutemoignages et les commentaires preacutesenteacutes en 2010 lors de lrsquoaudience sur les prix de transfert tenue par lrsquoinfluent Comiteacute des voies et moyens de la Chambre des Repreacutesentants du Congregraves des Eacutetats-Unis ont indiqueacute que de grandes entreprises multinationales ameacutericaines manipulent en toute leacutegaliteacute les regravegles sur les prix de transfert Certaines associations drsquoentreprises multinationales ameacutericaines jugent acceptable la manipulation licite des regravegles sur les prix de transfert mais condamnent la manipulation illeacutegale267 Guideacutees par lrsquoideacutee fixe de maximiser le rendement des actionnaires les entreprises multinationales mettent en pratique les conseils prodigueacutes par des professionnels de la fiscaliteacute internationale œuvrant dans les grands cabinets comptables et juridiques Les planifications internationales sophistiqueacutees permettent ultimement de localiser les transactions et les beacuteneacutefices imposables y affeacuterents dans les pays dont le taux drsquoimposition est peu eacuteleveacute et de diminuer le fardeau fiscal global des entreprises multinationales

Bien entendu plusieurs facteurs internes et externes qui ne sont pas exclusivement drsquoordre fiscal peuvent justifier du point de vue des entreprises multinationales la manipulation des prix de transfert Il y a notamment lrsquoatteinte de cibles strateacutegiques propres agrave lrsquoentreprise ndash par exemple la reacutealisation volontaire de pertes afin drsquoobtenir de lrsquoaide financiegravere

266 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Lutter contre lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE feacutevrier 2013 (OECDilibrary)

267 Voir notamment The Information Technology Industry Council before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010july22_information_technology_industry_council_submissionpdf)

518 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

gouvernementale ndash lrsquoeacutevitement ou la diminution des tarifs douaniers et la minimisation des risques de change de devises268 La reacuteduction du fardeau fiscal proprement dite lrsquoun des facteurs internes incitatifs agrave la manipulation les plus puissants peut reacutesulter soit de manipulations illicites en particulier la surfacturation et la sous-facturation des biens et des services soit de manipulations licites Dans ce dernier cas les manipulations prennent la forme drsquoarrangements contractuels conclus avec des filiales eacutetrangegraveres nouvellement creacuteeacutees ou des entiteacutes non lieacutees afin de deacuteplacer les risques les plus eacuteleveacutes et les fonctions les plus rentables ndash comme le financement lrsquoapprovisionnement la proprieacuteteacute des actifs incorporels lrsquoassurance la gestion et la distribution ndash dans des pays eacutetrangers dont la fiscaliteacute est particuliegraverement avantageuse pour les entreprises multinationales269

Les entreprises multinationales qui tout en se conformant aux lois fiscales nationales se reacuteorganisent en mettant en place des formes organisationnelles audacieuses et en convenant de reacutepartitions contractuelles des risques pour mieux manipuler les prix de transfert sont-elles agrave blacircmer Qursquoen est-il des professionnels chevronneacutes qui conccediloivent les planifications dans les grands cabinets comptables et juridiques drsquoenvergure internationale Agrave supposer que nous adoptions le point de vue de lrsquoeacutethique professionnelle ndash un point de vue largement partageacute par les entreprises multinationales et lrsquoOCDE270 ndash la reacuteponse apporteacutee serait neacutegative En effet toute planification 268 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 622 269 Ce type drsquoarrangements contractuels correspond au modegravele geacuteneacuteral organisationnel

utiliseacute reacutecemment par les entreprises multinationales ameacutericaines pour transfeacuterer outre-mer des actifs incorporels deacuteveloppeacutes aux Eacutetats-Unis Voir JOINT COMMITTEE ON TAXATION preacuteciteacute note 166 pp 103-104 Il ressort de lrsquoeacutetude des six socieacuteteacutes publiques examineacutees par IrsquoIRS en 2010 que des filiales eacutetrangegraveres ont eacuteteacute creacuteeacutees dans les pays suivants lesquels sont pour la plupart des refuges fiscaux Pays-Bas Chine Bermudes Suisse Porto Rico icircles Caiumlmans Delaware Irlande Singapour et Hong Kong Peu sujets agrave une requalification les arrangements contractuels sont habituellement fondeacutes sur des relations juridiques veacuteritables Au mecircme effet le reportage eacutelaboreacute publieacute par The Guardian sur les strateacutegies fiscales de trois entreprises multinationales ameacutericaines speacutecialiseacutees dans le commerce des bananes soit Dole Chiquita et Fresh Del Monte lesquelles leur permettent drsquoeacutetablir un taux drsquoimposition reacuteel moyen de 143 agrave lrsquoeacutegard des anneacutees drsquoimposition 2002 agrave 2006 alors que le taux drsquoimposition reacutegulier des socieacuteteacutes aux Eacutetats-Unis est de 35 Ian GRIFFITHS et Felicity LAWRENCE laquo Bananas to UK Via the Channel Islands It Pays For Tax Reasons raquo The Guardian 6 novembre 2007 (en ligne httpwwwguardiancoukbusiness2007nov0612print)

270 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 p 32 voir eacutegalement laquo Eacuterosion de la base drsquoimposition et transfert de beacuteneacutefices questions freacutequemment poseacutees raquo (en ligne httpwwwoecdorgfrctpquestionsfrequemmentposeeshtm) dont la reacuteponse agrave la

(agrave suivrehellip)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 519

fiscale qui respecte la lettre et lrsquoesprit des regravegles nationales sur les prix de transfert sera geacuteneacuteralement jugeacutee tout agrave fait convenable par les administrations fiscales271

En revanche si nous appreacutecions cette mecircme planification du point de vue de lrsquoeacutethique morale elle peut paraicirctre discutable du fait que les entreprises multinationales ont lrsquoobligation comme les individus et les entreprises nationales drsquoagir en bons citoyens et de payer un impocirct juste272 Mecircme si le concept de responsabiliteacute sociale des socieacuteteacutes srsquoest deacuteveloppeacute au fil du temps pour ce qui est notamment de lrsquoenvironnement des normes du travail et des droits de la personne il nrsquoest guegravere associeacute au fardeau fiscal et aux prix de transfert273 De toute eacutevidence lrsquoopinion exprimeacutee en 1970 par lrsquoeacuteconomiste ameacutericain Milton Friedman selon laquelle les entreprises nrsquoont pas de responsabiliteacute sociale continue de trouver plus de 40 ans plus tard un eacutecho favorable274

Mecircme si la reacutealiteacute de lrsquoeacutevitement fiscal relatif aux prix de transfert semble deacutesormais admise lrsquoampleur et lrsquoimportance de ce pheacutenomegravene sont difficiles agrave mesurer tant dans les pays deacuteveloppeacutes que dans les pays en deacuteveloppement Malgreacute la controverse autour du principe de pleine concurrence aucune eacutetude nrsquoa encore pu quantifier avec preacutecision faute de donneacutees statistiques fiables le montant annuel des recettes fiscales perdues par lrsquoadministration fiscale ameacutericaine deacutecoulant de la manipulation des prix de transfert275 Aux Eacutetats-Unis lrsquointerpreacutetation des donneacutees statistiques

(hellipsuite)

question 9 mentionne que laquo [l]es pouvoirs publics ne peuvent pas reprocher aux entreprises drsquoappliquer des regravegles qursquoils ont eux-mecircmes mises en place Par conseacutequent il incombe aux pouvoirs publics de revoir les regravegles existantes ou drsquoen adopter de nouvelles raquo

271 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 18 Voir aussi Don R HANSEN Rick L CROSSER et Doug LAUFER laquo Moral Ethics v Tax Ethics The Case of Transfer Pricing Among Multinational raquo (1992) vol 11 Journal of Business Ethics 679 (SpringerLink) p 684

272 L EDEN preacuteciteacute note 209 pp 18-19 273 J H DUNNING et S M LUNDAN preacuteciteacute note 7 p 650 274 Milton FRIEDMAN laquo The Social Responsability of Business is to Increase its

Profits raquo The New York Times Magazine 23 septembre 1970 (en ligne httpwww-rohansdsuedufacultydunnwebrprntsfriedmandunnpdf)

275 Testimony of James R Hines Jr Professor of University of Michigan School of Law before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwaysandmeanshousegovmediapdf1112010jul22_hines_testimonypdf)

(agrave suivrehellip)

520 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

disponibles qui sont utiliseacutees dans les eacutetudes notamment la mesure de lrsquoaugmentation des beacuteneacutefices gagneacutes agrave lrsquoeacutetranger par rapport agrave la mesure de lrsquoaugmentation des activiteacutes agrave lrsquoeacutetranger ne fait pas lrsquounanimiteacute276

Pourtant deacutejagrave signaleacute dans le Rapport Carroll le pheacutenomegravene de la manipulation des prix de transfert comme strateacutegie drsquoeacutevitement fiscal international nrsquoa pas retenu lrsquoattention de lrsquoOCDE au cours de la seconde moitieacute du XXe siegravecle Contrairement agrave ce qursquoelle laissait entendre en 1998 agrave lrsquooccasion des premiers travaux meneacutes sur la concurrence des systegravemes fiscaux nationaux lrsquoOCDE nrsquoa jamais approfondi la question de lrsquoapplication du principe de pleine concurrence aux prix de cession interne transfrontaliers impliquant des socieacuteteacutes lieacutees reacutesidant dans des refuges fiscaux ou des reacutegimes fiscaux preacutefeacuterentiels ni compleacuteteacute les lignes directrices sur ce point277 Certes nous trouvons le terme laquo manipulations raquo dans les lignes directrices lrsquoOCDE mettant en garde les administrations fiscales de ne laquo [hellip] pas preacutesumer systeacutematiquement que des entreprises associeacutees ont essayeacute de se livrer agrave des manipulations concernant leurs beacuteneacutefices raquo278 Quant au terme laquo eacutethique raquo il nrsquoapparaicirct pas non plus dans les lignes directrices en matiegravere de prix de transfert ni mecircme dans le court chapitre traitant de la fiscaliteacute inseacutereacute au sein du code de conduite responsable de lrsquoOCDE destineacute aux entreprises multinationales279

(hellipsuite)

(laquo Hines raquo) Se fondant sur lrsquoanalyse de la preuve directe de lrsquoIRS (application des regravegles ameacutericaines sur les prix de transfert) et de la preuve indirecte empirique (donneacutees extraites des deacuteclarations fiscales produites par les entreprises multinationales ameacutericaines) le deacutepartement du Treacutesor des Eacutetats-Unis conclut en 2010 que des revenus importants sont vraisemblablement deacutetourneacutes agrave lrsquoeacutetranger pour des motifs fiscaux au moyen du meacutecanisme des prix de transfert entre les socieacuteteacutes lieacutees Testimony of Stephen E Shay Deputy Assistant Secretary for International Tax Affairs US Department of Treasury before the US House Committee on Ways and Means juillet 2010 (en ligne httpwwwtreasurygovresource-centertax-policyDocumentsOTPTest-2010-7-22-Shay-Testimonypdf)

276 Hines preacuteciteacute note 275 p 6 277 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Rapport sur la concurrence fiscale dommageable Un problegraveme mondial 1998 (OECDilibrary) par 166-167

278 Principes de 2010 preacuteciteacute note 109 par 12 Pour ce qui concerne le terme laquo manipulation raquo il apparaicirct aux paragraphes 123 et 723 lesquels ne traitent pas des refuges fiscaux

279 Les principes directeurs de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des entreprises multinationales OCDE 2011 (en ligne httpwwwoecdorgfrdafinvmne48004355pdf) pp 71-74

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 521

Voici que 15 anneacutees plus tard en 2013 lrsquoOCDE mandateacutee par le G20 srsquoattaque sur fond de crise financiegravere internationale au pheacutenomegravene de la manipulation licite des prix de transfert Apregraves avoir tant tardeacute lrsquoOCDE se penche enfin sur le problegraveme de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale des gouvernements nationaux deacutecoulant des pratiques agressives de transferts de beacuteneacutefices auxquelles ont recours les entreprises multinationales280 Deacutetermineacutee agrave sauvegarder lrsquointeacutegriteacute du systegraveme fiscal international drsquoimposition des socieacuteteacutes lrsquoOCDE embrasse pour ce faire une laquo approche holistique raquo Crsquoest ainsi que le plan drsquoaction mondial lanceacute en juillet 2013 aborde plusieurs aspects de ce problegraveme et propose drsquoinstaurer laquo [d]es changements fondamentaux [hellip] pour empecirccher efficacement la double non-imposition mais aussi les cas drsquoimposition faible ou nulle associeacutes agrave des pratiques qui seacuteparent artificiellement les beacuteneacutefices des activiteacutes qui les geacutenegraverent raquo281 Il appert que parmi lrsquoeacuteventail de changements requis certains permettront de preacuteciser les regravegles sur les prix de transfert en particulier celles relatives au transfert drsquoactifs incorporels et de risques ainsi qursquoagrave lrsquoattribution drsquoune fraction excessive du capital entre les membres drsquoun groupe multinational drsquoentreprises282

280 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES Communiqueacute laquo LrsquoOCDE plaide en faveur drsquoune intensification de la coopeacuteration internationale concernant la fiscaliteacute des entreprises raquo 12 feacutevrier 2013 (en ligne httpwwwoecdorgfrpresselocde-plaide-en-faveur-dune-intensification-de-la-cooperation-internationale-concernant-la-fiscalite-des-entrepriseshtm)

281 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES Plan drsquoaction concernant lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices Eacuteditions OCDE 2013 (OECDilibrary) p 13 Ce plan fait suite agrave la publication du rapport sur lrsquoeacuterosion de la base drsquoimposition et le transfert des beacuteneacutefices ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 266 Pour des commentaires sur le plan voir Lee A SHEPPARD laquo OECD BEPS Action Plan Trying to Save the System raquo (2013) Tax Notes Today 140-1 (Tax Analysts)

282 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 281 pp 21-22 Les autres changements requis verront entre autres agrave renforcer lrsquoefficaciteacute des regravegles preacutevues dans les leacutegislations nationales et les conventions fiscales (par exemple la limitation des deacuteductions drsquointeacuterecircts les regravegles relatives aux socieacuteteacutes eacutetrangegraveres controcircleacutees et la deacutefinition de lrsquoeacutetablissement stable) agrave fixer des regravegles relatives agrave la deacuteductibiliteacute des frais financiers intragroupe agrave eacuteliminer les avantages de lrsquoarbitrage fiscal et des montages impliquant des entiteacutes hybrides agrave lutter plus activement contre les reacutegimes fiscaux dommageables agrave obliger les contribuables agrave deacuteclarer les planifications fiscales agressives ainsi qursquoagrave eacutelaborer une convention fiscale multilateacuterale laquelle permettrait la mise en œuvre de nouvelles regravegles sans avoir agrave reacuteviser les conventions fiscales bilateacuterales existantes

522 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Sans meacutesestimer la valeur du projet de lrsquoOCDE sur lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale force est de constater que lrsquoOCDE persiste agrave neacutegliger lrsquoeacutethique morale des comportements des entreprises multinationales et des professionnels des grands cabinets drsquoexperts-comptables et drsquoavocats qui fournissent des services-conseils de planification fiscale Mecircme si ce projet aura le meacuterite drsquoeacutevaluer les pertes de recettes fiscales relativement agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes283 il ne cherche pas agrave introduire la notion drsquoeacutethique morale dans la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes pour tenter de policer les comportements des entreprises multinationales en ce qui concerne les prix de transfert Agrave supposer que plusieurs des entreprises multinationales soient deacutepourvues drsquoeacutethique morale elles utilisent aujourdrsquohui agrave leur avantage pour se soustraire agrave lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices ou reacuteduire leur fardeau fiscal les divergences entre les regravegles nationales sur les prix de transfert qui paradoxalement ont eacuteteacute mises en place au fil du temps en reacuteponse agrave leur demande formuleacutee degraves 1920 aupregraves de la SDN pour preacutevenir la double imposition

622 Les prix de transfert et la concurrence fiscale deacuteloyale

Mecircme si jusqursquoagrave preacutesent la controverse autour du principe de pleine concurrence a fait couler beaucoup drsquoencre parmi les universitaires et les praticiens aux Eacutetats-Unis le deacutebat sur la norme de la reacutepartition internationale constitue possiblement un faux problegraveme contemporain dans le contexte du deacutebat sur les prix de transfert Le veacuteritable problegraveme serait plutocirct agrave notre avis le pheacutenomegravene mondial de la concurrence fiscale deacuteloyale En particulier depuis le dernier quart du XXe siegravecle les politiques fiscales nationales des pays de reacutesidence et drsquoaccueil des investissements directs eacutetrangers rivalisent de plus en plus drsquoaudace pour attirer les entreprises multinationales agrave y exercer des activiteacutes commerciales Favorisant des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes nuls ou faibles et drsquoautres mesures fiscales incitatives telles entre autres le secret bancaire et le cantonnement des avantages aux non-reacutesidents plusieurs pays se transforment en refuges fiscaux

La compeacutetition fiscale entre les Eacutetats dont reacutesulte la creacuteation drsquoeacutecarts consideacuterables entre les taux drsquoimposition des socieacuteteacutes peut indiscutablement inciter les entreprises multinationales agrave optimiser les deacuteplacements de leurs beacuteneacutefices au moyen de manipulations licites ou illicites des prix de transfert

283 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 280

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 523

dans les pays ayant un taux drsquoimposition parmi les plus faibles284 Dans le passeacute le sujet de la concurrence fiscale deacuteloyale a eacuteteacute lrsquoobjet drsquoune eacutetude de lrsquoOCDE285 laquelle a conduit agrave la creacuteation drsquoun Forum sur les pratiques dommageables et des accords drsquoeacutechange de renseignements en matiegravere fiscale (AERF) Preacutetextant des deacutecisions politiques prises par les gouvernements nationaux lrsquoOCDE refuse de srsquoimmiscer directement dans la sphegravere de la souveraineteacute nationale et srsquoabstient de critiquer lrsquoeacutecart important entre les taux drsquoimposition effectifs de lrsquoensemble des pays dans le monde deacutecoulant de lrsquoabaissement des taux drsquoimposition des socieacuteteacutes ou de lrsquoadoption de mesures fiscales avantageuses pour favoriser les investissements sur certains territoires286 Dans les circonstances actuelles il est permis de srsquointerroger sur le fait que lrsquoOCDE agrave deacutefaut de deacutenoncer le pheacutenomegravene de la concurrence fiscale se trouve pour tout dire agrave lrsquoapprouver tacitement

En reacutealiteacute lrsquoimportance relative de la question des prix de transfert comme enjeu de politique fiscale nrsquoest plus du tout la mecircme que dans les anneacutees 1960 et 1970 eacutetant donneacute la mouvance mondiale vers la reacuteduction des taux leacutegaux drsquoimposition sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes Dans les pays de lrsquoOCDE les taux leacutegaux drsquoimposition de lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes diminuent geacuteneacuteralement depuis les anneacutees 1980 drsquoune maniegravere constante287 Au cours du XXIe siegravecle par exemple le taux drsquoimposition moyen des pays de lrsquoOCDE est passeacute de 341 en 2000288 agrave 252 en 2013289 En revanche les taxes indirectes notamment la taxe sur la valeur

284 L EDEN preacuteciteacute note 209 p 3 285 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES preacuteciteacute note 277 286 Id p 15 287 ORGANISATION DE COOPEacuteRATION ET DE DEacuteVELOPPEMENT

EacuteCONOMIQUES laquo Reacuteformer lrsquoimpocirct sur les beacuteneacutefices des socieacuteteacutes synthegraveses raquo LrsquoObservateur de lrsquoOCDE 2008 (en ligne httpwwwoecdorg frfiscaliteanalysedespolitiquesfiscales41106903pdf) (consulteacute en octobre 2012) p 3

288 KPMGrsquos Corporate and Indirect Tax Rate Survey 2007 2007 (en ligne httpwwwinkpmgcompdfcorptaxratesurvey2007pdf) p 9

289 KPMG Tax rates on line (en ligne httpwwwkpmgcomglobalenservicestaxtax-tools-and-resourcespagestax-rates-onlineaspx)

524 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ajouteacutee tendent agrave augmenter en Europe au Moyen-Orient en Afrique et en Ameacuterique du Nord et du Sud290

Il paraicirct donc opportun de se demander jusqursquoagrave quel point les taux drsquoimposition nominaux des socieacuteteacutes peuvent diminuer Cette mouvance mondiale agrave la reacuteduction des taux megravenera-t-elle agrave lrsquoabolition pure et simple agrave moyen ou agrave long terme de lrsquoimposition des beacuteneacutefices des socieacuteteacutes De plus il y a lieu de se demander si cette abolition ne serait pas la panaceacutee aux difficulteacutes drsquoapplication du principe de pleine concurrence Deacutebordant le sujet de la preacutesente eacutetude ces questions cruciales seront sans nul doute deacutebattues agrave lrsquoavenir par lrsquoOCDE et lrsquoONU

CONCLUSION

En deacutefinitive le principe de pleine concurrence demeure au XXIe siegravecle agrave deacutefaut drsquoune solution de rechange miraculeuse la moins mauvaise des options pour reacutegir la reacutepartition en droit fiscal international public des beacuteneacutefices reacutesultant des cessions internes de biens et de services entre les socieacuteteacutes lieacutees membres drsquoune entreprise multinationale En ce sens il nrsquoest donc pas anachronique Inteacutegreacute dans les modegraveles theacuteoriques de convention fiscale bilateacuterale de lrsquoOCDE et de lrsquoONU vers la fin des anneacutees 1970 ce principe dont lrsquoeacutenonceacute est exprimeacute au paragraphe 9(1) consiste en la seule reacutefeacuterence normative accepteacutee dans les pays de lrsquoOCDE et de lrsquoONU et il reacutecolte de nos jours lrsquoadheacutesion de la majoriteacute des pays dans le monde

La longue controverse aux Eacutetats-Unis sur les principales lacunes du principe de pleine concurrence qui oppose partisans et adversaires du concept de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie nrsquoa pas reacuteussi agrave leacutezarder le solide consensus construit apregraves la Seconde Guerre mondiale autour du principe de pleine concurrence Quoique lrsquoeacutevolution des contextes eacuteconomique et commercial mondiaux ait eu pour conseacutequence de transformer lrsquoapplication du principe de pleine concurrence en veacuteritable casse-tecircte pour les administrations fiscales et les entreprises multinationales les pays membres de lrsquoOCDE et de lrsquoONU persistent depuis 1995 agrave rejeter expresseacutement la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique refusant de voir en cette derniegravere une norme soi-disant plus simple et plus efficace Le consensus actuel

290 ERNST amp YOUNG Communiqueacute laquo Une pression fiscale mondiale agrave la hausse raquo

6 janvier 2012 (en ligne httpwwweycomFTfrNewsroomNews-releasesCommunique-de-presse---Observatoire-des-Politiques-Budgetaires-et-Fiscales-2012---OPBF)

LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNEhellip 525

entrave donc toute possibiliteacute de voir eacutemerger agrave court ou agrave moyen terme un nouveau consensus international en faveur de la reacutepartition globale des beacuteneacutefices selon une formule matheacutematique preacuteeacutetablie

Reste que la tendance des pays agrave lrsquoeacuteconomie eacutemergente agrave utiliser des regravegles simplifieacutees baseacutees sur des formules matheacutematiques appelle lrsquoOCDE agrave moderniser les modes drsquoapplication du principe de pleine concurrence afin drsquoen ameacuteliorer lrsquoadeacutequation avec les contextes eacuteconomique et commercial mondiaux Projetant lrsquoexpeacuterience du passeacute sur lrsquoavenir lrsquoOCDE pourrait ainsi assouplir ces modes drsquoapplication en faisant preuve du mecircme esprit de pragmatisme que celui des administrations fiscales nationales lors de lrsquoutilisation dans les anneacutees drsquoimposition 1930 1940 et 1950 des meacutethodes estimatives Dans cette optique il serait opportun pour lrsquoOCDE drsquoexplorer lrsquoideacutee drsquointroduire de nouvelles meacutethodes hybrides de partage des beacuteneacutefices comportant un exercice de comparabiliteacute transactionnelle et une reacutepartition fractionneacutee limiteacutee au moyen drsquoune formule matheacutematique

Le reacutecent changement drsquoapproche de lrsquoOCDE vis-agrave-vis du pheacutenomegravene de lrsquoeacuterosion de lrsquoassiette fiscale internationale paraicirct annoncer une reacutevolution en droit fiscal international public La nouvelle approche globaliste qui tient compte de tous les aspects de la fiscaliteacute internationale des socieacuteteacutes y compris les prix de transfert pourra-t-elle reacuteussir agrave mettre en avant des solutions innovatrices pour contrer efficacement lrsquoeacutevitement fiscal reacutesultant de la manipulation licite par les entreprises multinationales des interactions entre les regravegles nationales sur les prix de transfert Publieacute en juillet 2013 le plan drsquoaction mondial de lrsquoOCDE qui sera deacuteployeacute au cours des anneacutees 2014 et 2015 aura sans contredit des conseacutequences futures importantes sur les regravegles relatives agrave lrsquoapplication du principe de pleine concurrence pour fixer les prix de transfert

526 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 527

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES

BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE

Pierre Brosseau CPA CA LLM fisc

Directeur ndash fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl

PREacuteCIS

Les reacutecents efforts de deacuteveloppement entrepris dans le Nord du Queacutebec stimulent grandement lrsquoeacuteconomie de cette reacutegion Des communauteacutes autochtones occupent une partie non neacutegligeable de ce territoire Pour celles-ci les occasions drsquoaffaires avec lrsquoexteacuterieur sont donc de plus en plus freacutequentes et lrsquoutilisation de la socieacuteteacute par actions comme veacutehicule juridique est monnaie courante Lrsquoauteur se penche sur la possibiliteacute que les socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts du Queacutebec Il tente de mettre en eacutevidence les zones grises et les nuances que renferment ces dispositions leacutegislatives Il le fait en analysant la jurisprudence lrsquohistorique de ces dispositions leacutegislatives ainsi que les diverses notions que ces mecircmes dispositions renferment Le texte aborde aussi certains eacuteleacutements de planification visant agrave optimiser la situation fiscale des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes

528 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ABSTRACT

The recent developmental efforts undertaken in Queacutebecrsquos North have greatly stimulated the economy of that region A significant part of this territory is occupied by aboriginal communities For them business opportunities with the outside world have become more and more frequent and the use of a business corporation as a legal structure is a common practice This text focuses on the possibility for such corporations owned by Indian bands to benefit from the tax exemption under paragraphs 149(1)(d5) and 149(1)(d6) of the Income Tax Act and paragraphs 985(f) and 985(g) of the Taxation Act of Queacutebec The author attempts to identify the grey areas and the subtleties contained in these statutory provisions by analyzing the case law the history of the provisions and as well the various notions found in the provisions This text also discusses certain planning options which aim to optimize the tax situation of corporations owned by Indian bands

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 529

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 531

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL 531

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES 531 12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS 532 13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET 533

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES 534

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE 534

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES 534 221 Situation avant 1999 534 222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux 535 223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999 538

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES 541

3 NOTIONS FONDAMENTALES 542

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE 542 311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich 542 312 Positions administratives 544 313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec 547 314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public

remplissant une fonction gouvernementale 549 32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES 550

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR 550 322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois 551 323 Positions administratives 554 324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte 555 325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques 560

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU 561 331 Notion de revenu 561 332 Notion de lieu (situs) 564 333 Notion drsquoactiviteacutes 565 334 Notion de peacuteriode 569 335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de

revenu 571

530 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR 572 341 Application de lrsquoexception et notion de convention

eacutecrite 573 342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR 575

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE 575

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE 576 42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES 577 43 REacuteDACTION DES CONTRATS 579 44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS 580

CONCLUSION 580

ANNEXE 582

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 531

INTRODUCTION

Le preacutesent texte est un outil qui vise agrave eacuteclairer les communauteacutes des Premiegraveres Nations dans lrsquoorganisation de leurs affaires agrave caractegravere commercial Avec les reacutecents efforts de deacuteveloppement eacuteconomique du Nord queacutebeacutecois la participation de ces communauteacutes agrave des activiteacutes commerciales a commenceacute agrave croicirctre et ne fera que continuer de croicirctre au cours des prochaines anneacutees Dans cette optique notre but est drsquoapporter des preacutecisions sur lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes

Cette analyse srsquoapplique de faccedilon geacuteneacuterale agrave toutes les bandes indiennes Toutefois les communauteacutes cries1 du Queacutebec sont assujetties agrave un reacutegime particulier qui a pris naissance au moment de la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois2 Crsquoest surtout lorsqursquointerviendra la notion de limites geacuteographiques que le reacutegime propre aux Cris du Queacutebec ressortira

Dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne peut-elle se preacutevaloir de lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu3 et aux paragraphes 985f) et 985g) de la Loi sur les impocircts4 du Queacutebec Telle est la question qui orientera notre analyse

1 CONTEXTE GEacuteNEacuteRAL

11 AUTOCHTONES ET PERSONNES MORALES

Le terme laquo autochtone raquo englobe tous les aborigegravenes du Canada crsquoest- agrave-dire les Premiegraveres Nations ameacuterindiennes les communauteacutes inuites et les meacutetis Lrsquoexpression laquo Premiegraveres Nations raquo quant agrave elle regroupe les nations

1 Les particulariteacutes du reacutegime des Cris du Queacutebec srsquoappliquent eacutegalement agrave la

communauteacute naskapie situeacutee pregraves de la ville de Schefferville 2 Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois le 11 novembre 1975

(laquo Convention de la Baie-James raquo) 3 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 4 LRQ c I-3 (laquo LI raquo)

532 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

qui sont reacutegies agrave la base par la Loi sur les Indiens5 Les nations huronne-wendate mohawk naskapie et crie en sont des exemples

Contrairement au mythe ce ne sont pas tous les autochtones qui beacuteneacuteficient drsquoune exemption fiscale sur leurs revenus Lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens preacutevoit malgreacute toutes autres lois que les droits et biens drsquoun Indien ou drsquoune bande indienne sont exempts de taxation srsquoils sont situeacutes sur une reacuteserve Il y a donc deux limites agrave lrsquoexemption le contribuable doit ecirctre un Indien ou une bande indienne et le revenu doit ecirctre situeacute sur la reacuteserve Cette exemption fiscale est reconnue par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR alors qursquoau Queacutebec elle prend la forme drsquoune deacuteduction du revenu imposable en vertu du paragraphe 725e) LI

Les tribunaux considegraverent avec reacuteserve qursquoune socieacuteteacute par actions puisse beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne agrave des fins fiscales6 Par le fait mecircme une telle socieacuteteacute ne peut pas se soustraire agrave lrsquoimposition en invoquant lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens Cet article ne sera donc pas une avenue possible pour une bande indienne qui voudrait exempter le revenu reacutealiseacute par une socieacuteteacute dont elle est actionnaire

Bien que le preacutesent texte ne porte pas sur lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens il est impensable drsquoen faire complegravetement abstraction Les diverses conclusions des tribunaux entourant son application reposent sur des reacutealiteacutes qui sont analogues agrave celles concernant les socieacuteteacutes des bandes indiennes Apregraves tout une bande indienne reste une bande indienne dans un contexte ou dans un autre De surcroicirct le recours aux deacutecisions concernant lrsquoexemption fiscale preacutevue par la Loi sur les Indiens est indispensable agrave lrsquoanalyse des dispositions leacutegislatives propres aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par les bandes indiennes Les contribuables viseacutes doivent jongler avec des dispositions relativement reacutecentes sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute suffisamment appeleacutes agrave se prononcer

12 MOTIVATIONS POUVANT MENER Agrave LA CONSTITUTION DrsquoUNE

SOCIEacuteTEacute PAR ACTIONS

Puisqursquoune socieacuteteacute par actions ne peut pas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne on peut se questionner sur les motivations drsquoun 5 LRC 1985 ch I-5 6 Canadian Pacific Ltd c Matsqui Indian Band [2000] 1 CF 325 par 37 et par 175

renvoyant agrave la note 100 (CAF) Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in Right of Saskatchewan [1979] 6 WWR 84 (CA Sask)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 533

conseil de bande agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute La raison la plus eacutevidente de renoncer agrave lrsquoexemption preacutevue par la Loi sur les Indiens pourrait ecirctre qursquoun Indien ou une bande indienne nrsquoy aurait pas droit de toute maniegravere en raison du situs hors reacuteserve du revenu geacuteneacutereacute par lrsquoentreprise7 Ce sont surtout des consideacuterations juridiques et commerciales qui font que les conseils de bande peuvent favoriser la constitution de socieacuteteacutes par actions ou y soient contraints8 Par exemple une bande indienne peut vouloir limiter sa responsabiliteacute dans certains projets On peut aussi vouloir garantir une gouvernance plus stable qui ne changera pas agrave chacune des eacutelections auxquelles sont soumis les conseils de bande De plus certaines reacuteglementations sectorielles obligent les entiteacutes agrave ecirctre constitueacutees en socieacuteteacutes Il ne faut pas oublier aussi que pour une bande indienne les possibiliteacutes de faire affaire avec lrsquoexteacuterieur sont limiteacutees en raison du fait que les proceacutedures de saisie peuvent ecirctre difficiles voire impossibles pour les creacuteanciers9

13 PREacuteCISION ET DEacuteLIMITATION DU SUJET

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI renferment plusieurs dimensions La plupart de ces dimensions seront traiteacutees dans le preacutesent texte Toutefois la composition de lrsquoactionnariat du type de socieacuteteacutes eacutetudieacutees ne sera pas abordeacutee directement eacutetant donneacute que les dispositions leacutegislatives sont relativement claires agrave ce sujet Ainsi nous orienterons notre eacutetude sur les aspects les plus neacutebuleux contenus dans les dispositions leacutegislatives Il faut garder en tecircte que notre but est de nous concentrer sur les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes et non sur divers sceacutenarios drsquoactionnariat possibles avec drsquoautres entiteacutes exoneacutereacutees ou imposables En conseacutequence crsquoest la situation drsquoune socieacuteteacute deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne qui sera expresseacutement analyseacutee 7 Mitchell c Bande indienne Peguis [1990] 2 RCS 85 par 5

laquo Lrsquoarticle 90 [concernant lrsquoexemption de saisie] doit ecirctre interpreacuteteacute conjointement avec les art 87 et 89 [de la Loi sur les Indiens] Il faut eacuteviter drsquoaccorder une porteacutee trop large agrave ces dispositions Elles nrsquoont pas pour but drsquoaccorder des privilegraveges aux Indiens agrave lrsquoeacutegard des biens qursquoils peuvent acqueacuterir et posseacuteder peu importe lrsquoendroit ougrave ils sont situeacutes Leur but est plutocirct de proteacuteger des ingeacuterences et des entraves de la socieacuteteacute en geacuteneacuteral les droits de proprieacuteteacute des Indiens sur leurs terres reacuteserveacutees pour veiller agrave ce que ceux-ci ne soient pas deacutepouilleacutes de leurs droits raquo

8 Voir notamment Kimberley THOMAS et Merle ALEXANDER The Taxation and Financing of Aboriginal Businesses in Canada feuilles mobiles Scarborough Ont Carswell 1998 agrave la page 5-53

9 Art 89 de la Loi sur les Indiens

534 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

2 EacuteVOLUTION DES DISPOSITIONS FISCALES

21 CONTEXTE DrsquoAPPLICATION DE LrsquoEXEMPTION DISPONIBLE AUX

SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR UNE BANDE INDIENNE

Tel qursquoindiqueacute preacuteceacutedemment les socieacuteteacutes par actions ne peuvent en aucun cas beacuteneacuteficier du statut drsquoIndien ou de bande indienne Elles ne peuvent donc pas espeacuterer se soustraire agrave lrsquoimposition en recourant agrave la Loi sur les Indiens Y a-t-il une porte de sortie

On srsquoest interrogeacute sur les parallegraveles qui existent entre une bande indienne et une municipaliteacute Au mecircme titre qursquoune ville une bande indienne est dirigeacutee par un conseil eacutelu et assume plusieurs responsabiliteacutes vis-agrave-vis de la population Les fonctions drsquoun conseil de bande peuvent mecircme aller au-delagrave de celles des villes du Queacutebec car le conseil de bande participe souvent au deacuteveloppement eacuteconomique de sa communauteacute Cette reacutealiteacute a laisseacute croire agrave certains conseils de bande qursquoils pouvaient beacuteneacuteficier des mecircmes avantages fiscaux que les municipaliteacutes canadiennes

22 HISTORIQUE DES DISPOSITIONS LEacuteGISLATIVES

221 Situation avant 1999

En 197210 les passages de lrsquoarticle 149 LIR pertinents agrave lrsquoanalyse se lisaient comme suit11

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente Partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

c) une municipaliteacute au Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada

d) une corporation commission ou association dont au moins 90 des actions ou du capital appartenaient agrave Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou agrave une municipaliteacute canadienne ou une corporation filiale posseacutedeacutee en

10 Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1970-71-72 ch 63 11 De faccedilon geacuteneacuterale les dispositions de la Loi sur les impocircts du Queacutebec qui

srsquoharmonisent avec les dispositions de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne seront pas traiteacutees en deacutetail Agrave lrsquooccasion il y sera toutefois fait briegravevement reacutefeacuterence par souci de commoditeacute

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 535

proprieacuteteacute exclusive par une semblable corporation commission ou association mais le preacutesent alineacutea ne sapplique pas

(i) agrave une telle corporation commission ou association si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette corporation commission ou association ou un droit drsquoacqueacuterir ces actions ou ce capital et

(ii) agrave une telle corporation filiale si une personne autre que Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province ou une municipaliteacute canadienne avait durant cette peacuteriode un droit contractuel immeacutediat ou futur sur les actions ou le capital de cette filiale ou de la corporation commission ou association dont elle est une filiale posseacutedeacutee en proprieacuteteacute exclusive ou un droit dacqueacuterir ces actions ou ce capital raquo (Notre soulignement)

Il est inteacuteressant de noter que cette version du paragraphe 149(1) LIR datant de 1972 reconnaissait agrave lrsquoalineacutea c) le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et preacutevoyait qursquoun tel organisme eacutetait exempteacute drsquoimpocirct Toutefois lrsquoexemption ne srsquoeacutetendait pas aux socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient la proprieacuteteacute drsquoun tel organisme Certains conseils de bande ont tout de mecircme tenu pour acquis que les socieacuteteacutes dont ils eacutetaient actionnaires pouvaient beacuteneacuteficier de lrsquoexemption de la mecircme faccedilon que les socieacuteteacutes dont les municipaliteacutes sont actionnaires en beacuteneacuteficient

222 Divergence drsquointerpreacutetation par les tribunaux

Au deacutebut des anneacutees 1990 la position voulant qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne soit consideacutereacutee comme une entiteacute exempteacutee drsquoimpocirct fut soumise pour la premiegravere fois aux tribunaux Dans lrsquoaffaire Otineka Development Corporation Limited c La Reine12 les socieacuteteacutes appelantes soutenaient que la bande drsquoOpaskwayak (communauteacute crie du Manitoba) devait ecirctre consideacutereacutee comme une municipaliteacute Le terme laquo municipaliteacute raquo nrsquoeacutetant pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu le juge Bowman de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a ducirc recourir aux regravegles drsquointerpreacutetation Il opta pour une approche teacuteleacuteologique pour interpreacuteter lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR Selon lui puisque la bande remplissait effectivement les fonctions drsquoune municipaliteacute canadienne il nrsquoy avait aucune raison de refuser lrsquoexemption agrave ses socieacuteteacutes Lorsque la deacutecision fut rendue le 28 janvier 1994

12 94 DTC 1234 (CCI) (laquo Otineka raquo)

536 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoAgence du revenu du Canada (laquo ARC raquo) accepta cette interpreacutetation et lrsquointeacutegra dans sa politique administrative13

Quelques anneacutees plus tard soit le 8 mai 2000 lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec Corporation de Deacuteveloppement Tawich c SMRQ14 a brouilleacute les cartes Lrsquoaffaire Tawich concernait la bande crie de Wemindji situeacutee au Queacutebec La socieacuteteacute dont la bande eacutetait lrsquounique actionnaire consideacuterait qursquoelle devait beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale au mecircme titre que les socieacuteteacutes en cause dans lrsquoaffaire Otineka

Dans leur interpreacutetation le juge de la Cour du Queacutebec et les juges de la Cour drsquoappel du Queacutebec ont opteacute pour une analyse logique baseacutee sur la globaliteacute du systegraveme juridique canadien La Cour du Queacutebec a fermement rejeteacute lrsquointerpreacutetation litteacuterale retenue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui srsquoeacutetait entre autres reacutefeacutereacutee agrave des dictionnaires pour circonscrire le sens courant du terme laquo municipaliteacute raquo Le raisonnement de la Cour du Queacutebec qui a eacuteteacute confirmeacute par la Cour drsquoappel du Queacutebec eacutetait que ce terme avait un sens juridique et que seul lrsquoacte constitutif drsquoune municipaliteacute pouvait lui confeacuterer son statut Puisque la question autochtone relegraveve du gouvernement feacutedeacuteral alors que les municipaliteacutes sont de compeacutetence exclusivement provinciale15 on ne pouvait ecirctre en preacutesence drsquoune municipaliteacute Pour les tribunaux du Queacutebec il eacutetait hors de question de faire abstraction des regravegles drsquointerpreacutetation visant la coheacuterence des lois entre elles La Corporation de Deacuteveloppement Tawich a interjeteacute appel de lrsquoarrecirct de la Cour drsquoappel du Queacutebec devant le plus haut tribunal du pays Bien que la demande de pourvoi ait eacuteteacute accepteacutee16 la Cour suprecircme du Canada nrsquoa pas eu agrave se prononcer sur la question puisque lrsquoEntente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris du Queacutebec17 signeacutee en 2002 exigeait un deacutesistement de plusieurs proceacutedures dont celles de la Corporation de Deacuteveloppement Tawich

13 Tax Window Files dans Tax Works (CD-ROM) Don Mills Ont CCH Canadian

interpreacutetations techniques 9420917 laquo Tax-Exempt Indian Corporations raquo 15 novembre 1994 9502805 laquo Indians ndash Municipal Corporation raquo 27 juin 1995 et 9917773 laquo Bande indienne ndash Municipaliteacute raquo 5 janvier 2000

14 [2000] RDFQ 21 (CA) confirmant [1997] RJQ 211 (CQ) (laquo Tawich raquo) 15 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 reproduite dans

LRC 1985 app II no 5 par 92(8) 16 Dossier 28033 demande drsquoautorisation drsquoappel accordeacutee le 19 avril 2001 17 Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Queacutebec et les Cris

du Queacutebec (surnommeacutee laquo Paix des Braves raquo) le 7 feacutevrier 2002 art 926

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 537

Malgreacute lrsquoarrecirct Tawich de la Cour drsquoappel du Queacutebec lrsquoARC a continueacute drsquoappliquer les principes de la deacutecision de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka18 La position officielle eacutetait que tant qursquoune cour feacutedeacuterale de plus haute instance nrsquoinfirmerait pas la deacutecision rendue par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka lrsquoARC allait srsquoen tenir agrave cette interpreacutetation19 Cette situation contraignit les contribuables queacutebeacutecois viseacutes agrave jongler avec deux statuts fiscaux diffeacuterents ils eacutetaient exempteacutes au feacutedeacuteral et imposables au provincial La position de Revenu Queacutebec eacutetait sans eacutequivoque laquo seule une entiteacute eacuteleveacutee au plan juridique au rang de municipaliteacute peut ecirctre reconnue comme telle en regard de la loi raquo20 Une socieacuteteacute reacutesidente du Queacutebec qui est deacutetenue par une bande indienne ne pouvait donc pas ecirctre exempteacutee drsquoimpocirct alors que si elle eacutetait reacutesidente drsquoune autre province elle avait ce privilegravege21 Ceux qui au sein de la communauteacute fiscale eacutetaient au courant de cette situation voyaient lagrave un grave problegraveme drsquoeacutequiteacute

Mecircme si la Cour canadienne de lrsquoimpocirct et les tribunaux du Queacutebec ont eu des interpreacutetations divergentes du terme laquo municipaliteacute raquo les administrations fiscales srsquoentendaient tout de mecircme pour dire qursquoune bande indienne pouvait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale22 Eacutetant donneacute le cadre leacutegislatif de lrsquoeacutepoque cela signifiait qursquoune bande indienne pouvait se preacutevaloir de lrsquoexemption en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR mais que les socieacuteteacutes dont la bande eacutetait actionnaire nrsquoy avaient pas droit puisque le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale nrsquoeacutetait pas preacutevu agrave lrsquoalineacutea 149(1)d) LIR

18 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 1999-0013323 laquo Indian

Band ndash Municipality raquo 20 deacutecembre 2000 19 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 et 2001-0114767 laquo Indian Bands As Mun Authorities raquo 8 janvier 2002

20 REVENU QUEacuteBEC lettre drsquointerpreacutetation 99-011245 laquo Exoneacuteration des corps publics ndash Statut des bandes indiennes et des conseils de bande raquo 23 novembre 1999

21 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0020555 laquo Munic Corp ndash Indian Bands raquo 11 mai 2000

22 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 et Tax Window Files preacuteciteacute note 21

538 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

223 Modifications leacutegislatives agrave compter de 1999

Devant ce problegraveme drsquoeacutequiteacute les leacutegislateurs nrsquoavaient drsquoautre choix que de reacuteagir Les dispositions tant feacutedeacuterales que provinciales ont eacuteteacute remodeleacutees pour les anneacutees drsquoimposition commenccedilant apregraves 199823 Lrsquoancien alineacutea 149(1)d) LIR a eacuteteacute diviseacute en plusieurs alineacuteas agrave savoir les alineacuteas 149(1)d) et 149(1)d1) agrave 149(1)d6) LIR pour traiter seacutepareacutement les socieacuteteacutes drsquoEacutetat des socieacuteteacutes municipales et leurs filiales Ces modifications ont aussi eu pour effet de limiter par un test de revenu lrsquoexemption fiscale disponible aux socieacuteteacutes municipales Elles ne venaient toutefois pas reacutegler lrsquoiniquiteacute exposeacutee preacuteceacutedemment

Au deacutebut de lrsquoanneacutee 2004 le gouvernement feacutedeacuteral annonccedila drsquoautres modifications il proposa drsquointroduire le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR24 Ces modifications corrigeraient le problegraveme drsquoiniquiteacute dans la mesure ougrave le gouvernement du Queacutebec srsquoy arrimerait Bien que ces propositions leacutegislatives aient fait lrsquoobjet de deux projets de loi qui sont morts au feuilleton25 le gouvernement feacutedeacuteral a confirmeacute reacuteguliegraverement son intention drsquoaller de lrsquoavant avec les modifications proposeacutees ce nrsquoest toutefois qursquoen juin 2013 qursquoelles ont eacuteteacute adopteacutees26

Du cocircteacute queacutebeacutecois la proposition leacutegislative est arriveacutee plus tardivement soit en 2006 car on voulait attendre la sanction de la loi

23 Loi de 1997 modifiant lrsquoimpocirct sur le revenu LC 1998 ch 19 par 178(1)

Loi modifiant la Loi sur les impocircts et drsquoautres dispositions leacutegislatives LQ 2000 c 5 art 229 et 230 modifiant lrsquoarticle 985 LI et eacutedictant les articles 98501 et 98502 LI LQ 2004 c 8 art 173 modifiant lrsquoarticle 985 LI

24 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives et avant-projets de regraveglement concernant limpocirct sur le revenu (reacuteviseacutees) 27 feacutevrier 2004 art 87

25 Projet de loi C-10 (29102007) mort au feuilleton le 7 septembre 2008 par la dissolution du Parlement reprenant le projet de loi C-33 (29112006) mort au feuilleton le 14 septembre 2007 avec la prorogation du Parlement

26 CANADA ministegravere des Finances Propositions leacutegislatives ndash Modifications techniques et bijuridisme 16 juillet 2010 art 108 Budget du 6 juin 2011 Annexe 3 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Budget du 29 mars 2012 Annexe 4 Mesures fiscales Renseignements suppleacutementaires confirmant les mesures annonceacutees preacuteceacutedemment Projet de loi C-48 deacuteposeacute en premiegravere lecture agrave la Chambre des communes le 21 novembre 2012 et sanctionneacute par le Parlement du Canada le 26 juin 2013 Loi de 2012 apportant des modifications techniques concernant lrsquoimpocirct et les taxes LC 2013 ch 34 art 307

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 539

feacutedeacuterale au cas ougrave srsquoy ajouteraient des modifications techniques27 Mais devant la lenteur du Parlement du Canada agrave adopter la loi lrsquoAssembleacutee nationale du Queacutebec srsquoest reacutesolue agrave modifier en 2009 les paragraphes 985f) et 985g) LI28

Tant le gouvernement feacutedeacuteral que le gouvernement du Queacutebec ont affirmeacute que drsquoun point de vue de politique fiscale il eacutetait souhaitable que les socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes puissent beacuteneacuteficier drsquoune exemption drsquoimposition au mecircme titre que les municipaliteacutes29 Lrsquoapplication de ces nouvelles dispositions est reacutetroactive aux anneacutees drsquoimposition qui commencent apregraves le 8 mai 2000 tant dans le cas de la Loi sur les impocircts du Queacutebec que dans le cas de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Le 8 mai 2000 est la date agrave laquelle la Cour drsquoappel du Queacutebec a rendu sa deacutecision dans lrsquoaffaire Tawich Voici donc les dispositions feacutedeacuterales et les dispositions queacutebeacutecoises qui permettent lrsquoharmonisation des deux reacutegimes fiscaux

Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable en vertu de la preacutesente partie sur le revenu imposable drsquoune personne pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute commission ou association dont au moins 90 du capital appartenait agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute du Canada ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute commission ou association pour la peacuteriode provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

d6) sous reacuteserve des paragraphes (12) et (13) une socieacuteteacute donneacutee dont les actions (sauf les actions confeacuterant lrsquoadmissibiliteacute agrave des postes drsquoadministrateurs)

27 QUEacuteBEC ministegravere des Finances Budget 2006-2007 Renseignements additionnels

sur les mesures du budget 23 mars 2006 section 492 28 PL 2 Loi donnant suite au discours sur le budget du 24 mai 2007 agrave la deacuteclaration

ministeacuterielle du 1er juin 2007 concernant la politique budgeacutetaire 2007-2008 du gouvernement et agrave certains autres eacutenonceacutes budgeacutetaires 1re sess 39e leacuteg Queacutebec 2007 art 398 et suiv (sanctionneacute le 15 mai 2009) LQ 2009 c 5

29 CANADA ministegravere des Finances Notes explicatives concernant la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu la Loi sur la taxe drsquoaccise et des textes connexes octobre 2012 art 307 QUEacuteBEC ministegravere du Revenu Notes explicatives du Projet de loi no 2 art 398 et suiv

540 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ou le capital appartenaient agrave une socieacuteteacute commission ou association agrave laquelle lrsquoalineacutea d5) ou le preacutesent alineacutea srsquoapplique pour la peacuteriode ou agrave plusieurs de ces personnes si le revenu de la socieacuteteacute donneacutee pour la peacuteriode provenant des activiteacutes suivantes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode

(i) si lrsquoalineacutea d5) srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees agrave cet alineacutea quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association

(ii) si le preacutesent alineacutea srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute commission ou association les activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes viseacutees au sous-alineacutea (i) quant agrave son application agrave cette autre socieacuteteacute commission ou association raquo

Loi sur les impocircts

laquo 985 Une personne est exoneacutereacutee drsquoimpocirct pour une peacuteriode ougrave elle est

[hellip]

f) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute une commission ou une association dont au moins 90 du capital appartient agrave une ou plusieurs entiteacutes dont chacune est une municipaliteacute canadienne ou un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire de ces entiteacutes

g) sous reacuteserve des articles 98501 et 98502 une socieacuteteacute dont la totaliteacute du capital des biens ou des actions autres que les actions de qualification appartient agrave une ou plusieurs personnes dont chacune est une autre socieacuteteacute une commission ou une association agrave laquelle le preacutesent paragraphe ou le paragraphe f srsquoapplique pour la peacuteriode et dont au plus 10 du revenu provient pour la peacuteriode

i dans le cas ougrave le paragraphe f srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute agrave la commission ou agrave lrsquoassociation drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees agrave ce paragraphe f lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute agrave cette commission ou agrave cette association selon le cas

ii dans le cas ougrave le preacutesent paragraphe srsquoapplique agrave lrsquoautre socieacuteteacute drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques du territoire des entiteacutes viseacutees au preacutesent paragraphe lorsqursquoil srsquoapplique agrave cette autre socieacuteteacute raquo

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 541

23 PROBLEgraveME DrsquoINTERPREacuteTATION DES NOUVELLES DISPOSITIONS

FISCALES

Bien que ces dispositions aient eacuteteacute modifieacutees preacuteciseacutement pour permettre lrsquoexemption fiscale aux socieacuteteacutes par actions deacutetenues par des bandes indiennes leur application nrsquoest pas tregraves bien encadreacutee En effet lorsque vient le temps de se demander si une socieacuteteacute peut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption on est confronteacute agrave plusieurs zones grises

En bref on constate que ces dispositions leacutegislatives permettent lrsquoexemption agrave une socieacuteteacute qui est deacutetenue agrave 90 ou plus par un organisme public remplissant une fonction gouvernementale (ou une combinaison drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale et de municipaliteacute) et dont le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors de ses limites geacuteographiques (ou en dehors de celles des entiteacutes combineacutees le cas eacutecheacuteant) ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux30 Une filiale en proprieacuteteacute exclusive drsquoune telle socieacuteteacute ou drsquoune socieacuteteacute pareillement exempteacutee peut aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption pourvu que le revenu relatif agrave ses activiteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute ultimement actionnaire ne deacutepasse pas 10 de ses revenus totaux31

Avant de consideacuterer une socieacuteteacute par actions comme eacutetant exempteacutee on doit donc srsquointerroger sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale sur la notion de limites geacuteographiques et sur le sens des termes laquo revenu raquo laquo lieu raquo laquo activiteacutes raquo et laquo peacuteriode raquo puisque ce sont tous ces eacuteleacutements qui permettront de deacuteterminer si la socieacuteteacute est admissible agrave lrsquoexemption

Il ne faut pas oublier non plus que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR srsquoappliquent sous reacuteserve des paragraphes 149(12) et 149(13) LIR Nous ne traiterons pas du paragraphe 149(13) LIR32 en deacutetail car il ne pose pas de problegraveme drsquointerpreacutetation particulier Il sert seulement agrave preacuteciser que pour posseacuteder au moins 90 des actions de la socieacuteteacute aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale doit aussi avoir 90 des voix On a ainsi vraisemblablement voulu eacuteviter qursquoune socieacuteteacute puisse ecirctre exempteacutee lorsque des personnes non viseacutees par lrsquoexemption possegravedent des actions agrave votes

30 Al 149(1)d5) LIR et par 985f) LI 31 Al 149(1)d6) LIR et par 985g) LI 32 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(13) LIR est lrsquoarticle 98502 LI

542 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multiples Ainsi les actionnaires non viseacutes par lrsquoexemption ne doivent pas avoir une influence importante sur une socieacuteteacute exempteacutee drsquoimpocirct Dans le preacutesent texte nous nous attarderons surtout agrave la situation drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue en proprieacuteteacute exclusive par une bande indienne

3 NOTIONS FONDAMENTALES

31 NOTION DrsquoORGANISME PUBLIC REMPLISSANT UNE FONCTION

GOUVERNEMENTALE

Ni lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR ni le paragraphe 985f) LI ne deacutefinissent ce qursquoest un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Tel qursquoil a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment les tribunaux du Queacutebec ont cateacutegoriquement refuseacute de consideacuterer une bande indienne comme une municipaliteacute Dans ces circonstances le seul moyen restant pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption est que son actionnaire soit consideacutereacute comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Si on deacutecompose cette expression on a le terme laquo organisme raquo le volet public et la notion de gouvernance Rappelons ici que le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale a eacuteteacute ajouteacute agrave la loi dans le but preacutecis de permettre aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale disponible aux entiteacutes municipales33 Malgreacute cette claire intention on se retrouve tout de mecircme avec des dispositions larges renfermant plusieurs zones grises Les critegraveres utiliseacutes pour consideacuterer la bande drsquoOpaskwayak comme une municipaliteacute dans lrsquoaffaire Otineka sont un bon point de deacutepart pour avoir une ideacutee de ce qursquoil faut entendre par ce concept

311 Retour sur les affaires Otineka et Tawich

Dans la deacutecision Otineka le juge Bowman qualifia la bande indienne de self-governing entity34 en raison du fait que le conseil de bande avait adopteacute plusieurs regraveglements administratifs par les pouvoirs que lui confeacuteraient les articles 81 et 851 de la Loi sur les Indiens Toutes les bandes reacutegies par la Loi sur les Indiens possegravedent ces pouvoirs mais le facteur deacuteterminant est le fait qursquoune bande ait useacute de ce pouvoir Le juge nota aussi que la bande avait atteint un stade de deacuteveloppement avanceacute puisqursquoelle avait aussi eu recours aux pouvoirs que lui confeacuterait lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens en

33 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 34 Preacuteciteacute note 12 par 4

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 543

adoptant des mesures de taxation ces mesures ne furent toutefois jamais implanteacutees35 Le juge mit aussi lrsquoaccent sur le fait que la bande avait une structure de gouvernance sophistiqueacutee qui sous-entendait des eacutelections deacutemocratiques des assembleacutees freacutequentes et divers comiteacutes (travaux publics services communautaires eacuteducation deacuteveloppement eacuteconomique etc)36 Eacutetant donneacute que la structure gouvernementale de la bande ressemblait suffisamment agrave celle drsquoune municipaliteacute et qursquoelle fournissait essentiellement les mecircmes services que nrsquoimporte quelle ville drsquoune taille comparable le juge Bowman consideacutera qursquoil nrsquoavait nul besoin de srsquoeacutetendre davantage sur le sujet pour accorder agrave une bande indienne le statut fiscal de municipaliteacute37

Malheureusement les tribunaux du Queacutebec nrsquoont pas pris clairement position sur la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale dans lrsquoaffaire Tawich Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec a toutefois passeacute la remarque suivante

laquo Le Tribunal nrsquoa pas agrave deacuteterminer si la bande Old Factory lrsquoancecirctre de la bande Wemindji et la bande depuis la Loi sur les Cris peuvent ecirctre consideacutereacutees un ldquoorganisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementalesrdquo au sens de larticle 984 de la Loi sur les impocircts quoiqursquoil trouve qursquoelles pourraient se qualifier agrave ce titre Le Tribunal nrsquoa pas agrave le faire vu que la corporation posseacutedeacutee par un tel organisme ne beacuteneacuteficie pas de lrsquoexemption de lrsquoarticle 98538 raquo (Notre soulignement)

Agrave ce stade rien de ce qui preacutecegravede ne permet drsquoaffirmer avec certitude qursquoune bande indienne est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il srsquoagit donc de deacutecomposer ce concept multidimensionnel et de srsquoen remettre agrave drsquoautres deacutecisions rendues par les tribunaux

En ce qui concerne la notion drsquoorganisme les doutes se sont dissipeacutes quand la Cour suprecircme du Canada a consideacutereacute en 1982 qursquoune bande indienne eacutetait bel et bien un organisme39 Pour ce qui est des volets public et gouvernemental la Cour du Queacutebec a eu agrave se prononcer en 2010 sur la question dans lrsquoaffaire Centre de deacuteveloppement de Queacutebec c SMRQ40 Dans 35 Id par 5 36 Id par 7 37 Id par 8 38 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14 par 19 39 Alliance de la Fonction publique du Canada c Francis [1982] 2 RCS 72 40 2010 QCCQ 2124 (laquo Centre de deacuteveloppement de Queacutebec raquo)

544 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

cette affaire on cherchait agrave deacuteterminer si le Centre de deacuteveloppement de Queacutebec eacutetait un organisme public canadien exerccedilant des fonctions gouvernementales au sens de lrsquoarticle 984 LI (eacutequivalent de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR) Le juge Godbout preacutecisa notamment que puisque le qualificatif laquo public raquo nrsquoest pas deacutefini dans la loi la Cour devait opter pour une analyse baseacutee sur le sens ordinaire des mots41 Ce terme est deacutefini dans le dictionnaire Le Petit Robert comme suit laquo Qui concerne le peuple pris dans son ensemble qui appartient agrave la collectiviteacute sociale politique et en eacutemane qui appartient agrave lrsquoEacutetat ou agrave une personne administrative42 raquo Il appert assez clairement de cette deacutefinition qursquoune bande indienne peut ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public en raison du fait qursquoelle existe dans lrsquointeacuterecirct de sa collectiviteacute Quant agrave lrsquoaspect gouvernemental le juge Godbout preacutecise qursquoil ne faut pas automatiquement consideacuterer qursquoun organisme public remplit toujours des fonctions gouvernementales43 Il srsquoappuie ici sur lrsquoexistence drsquoun mandat provenant drsquoun ministegravere ou drsquoorganismes du gouvernement qui dans le cas du Centre de deacuteveloppement de Queacutebec est inheacuterent agrave sa loi constitutive44 Dans le cas des bandes indiennes un tel engagement existe vis-agrave-vis du ministegravere des Affaires indiennes et du Nord canadien (deacutesigneacute par le gouvernement du Canada depuis 2011 sous le nom Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada) de qui relegraveve la question autochtone au Canada45

312 Positions administratives

Srsquoil nrsquoest pas si facile drsquoeacutetablir directement le lien entre une bande indienne et un organisme public remplissant une fonction gouvernementale dans la jurisprudence il en est autrement dans la politique des administrations fiscales Comme il a eacuteteacute mentionneacute preacuteceacutedemment bien que les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et les paragraphes 985f) et 985g) LI soient relativement reacutecents le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale les a toutefois preacuteceacutedeacutes46 Dans une deacutecision anticipeacutee de 2009 ougrave lrsquoon refusait de consideacuterer une socieacuteteacute comme eacutetant un organisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoARC a

41 Id par 27 42 Id par 27 citant Le Petit Robert 2002 laquo public ique raquo 43 Id par 34 44 Id par 36 45 Art 3 de la Loi sur les Indiens 46 Al 149(1)c) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 545

deacutevoileacute le fond de sa penseacutee sur ce concept47 La logique qui ressortait de la deacutecision Centre de deacuteveloppement de Queacutebec48 semble ecirctre respecteacutee par lrsquoARC qui est aussi drsquoavis que lrsquoon doit donner agrave cette expression son sens ordinaire Elle deacutecompose la notion drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en deux termes soit la notion drsquoorganisme public et celle de fonction gouvernementale Pour ce qui est de la notion drsquoorganisme public lrsquoARC met lrsquoemphase sur la fourniture de services aux individus pour lesquels lrsquoorganisme public est creacuteeacute ainsi que sur lrsquoimputabiliteacute qui doit exister envers un gouvernement ou directement envers les individus qursquoil repreacutesente Pour ce qui est de la notion de fonction gouvernementale lrsquoARC revient sur la fourniture de services publics et amegravene aussi une nouvelle dimension agrave savoir la neacutecessiteacute drsquoavoir le pouvoir de gouverner

LrsquoARC a aussi eacuteteacute appeleacutee agrave se prononcer directement sur le cas des bandes indiennes En mars 2000 agrave la demande du Comiteacute de lrsquoavancement de lrsquoemploi des autochtones des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada lrsquoARC a donneacute son avis sur plusieurs questions relieacutees agrave la fiscaliteacute des autochtones Dans une interpreacutetation technique49 lrsquoARC preacutecise tout drsquoabord que la deacutesignation drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale est une question de fait Selon elle une bande indienne serait un tel organisme si elle prenait des regraveglements administratifs en vertu agrave la fois de lrsquoarticle 81 et de lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC indique aussi que si une bande indienne a atteint un haut niveau drsquoavancement elle sera consideacutereacutee comme remplissant des fonctions gouvernementales De plus lrsquoARC ajoute srsquoecirctre toujours montreacutee favorable au cas des nations ayant participeacute agrave des neacutegociations territoriales Il est inteacuteressant de constater ici que les critegraveres utiliseacutes par lrsquoARC ressemblent eacutetrangement agrave ceux utiliseacutes par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Otineka pour consideacuterer qursquoune bande indienne srsquoapparente agrave une municipaliteacute

Dans une autre interpreacutetation technique publieacutee environ deux mois plus tard50 lrsquoARC reacutepondait agrave une demande sur les faits agrave prendre en 47 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0306281I7

laquo Application of Paragraph 149(1)(c) raquo 12 mai 2009 48 Preacuteciteacute note 40 49 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2000-0M20360

laquo Presentation on Indian Taxation raquo 2 mars 2000 50 Id interpreacutetation technique 2000-0025807 laquo Indian Bands As Public Bodies raquo

20 mai 2000

546 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

consideacuteration pour qursquoune bande indienne puisse ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoalineacutea 149(1)c) LIR LrsquoARC preacutecisa qursquoanciennement elle accordait ce statut agrave une bande indienne uniquement lorsque celle-ci avait adopteacute des regraveglements en vertu de chacun des articles 81 et 83 de la Loi sur les Indiens ou lorsqursquoelle avait atteint un niveau avanceacute de deacuteveloppement tel que requis par lrsquoarticle 83 de la Loi sur les Indiens LrsquoARC explique ensuite qursquoune bande qui ne respecterait aucun de ces critegraveres pourrait quand mecircme ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Elle consideacuterera qursquoune bande exerce des fonctions gouvernementales si

bull elle prend part agrave des ententes de transfert avec le gouvernement feacutedeacuteral visant les services de santeacute

bull elle fournit des services drsquoeacuteducation primaire et secondaire par lrsquointermeacutediaire des eacutecoles qursquoelle exploite

bull elle a pris part agrave des neacutegociations territoriales avec le gouvernement feacutedeacuteral et continue drsquoy prendre part dans leur administration et leur implantation

bull et enfin elle a pris des arrangements avec le gouvernement feacutedeacuteral pour devenir responsable de la gestion du territoire des programmes sociaux de deacuteveloppement eacuteconomique et drsquoinfrastructures

Agrave la fin de 2003 lrsquoARC se fit poser exactement la mecircme question dans une nouvelle demande drsquointerpreacutetation51 La reacuteponse fut identique agrave la preacuteceacutedente agrave la seule diffeacuterence que lrsquoon y inteacutegra la fourniture et lrsquoadministration des travaux publics des services sociaux et des programmes drsquoinfrastructures pour les membres LrsquoARC ajouta que la mesure dans laquelle la bande pouvait deacutemontrer son engagement dans les eacuteleacutements en question serait consideacutereacutee dans la deacutecision de lui attribuer le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Au cours des quinze derniegraveres anneacutees lrsquoARC a reacutepondu agrave environ une cinquantaine de demandes drsquointerpreacutetation sur la question de lrsquoadmissibiliteacute drsquoune bande indienne au statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans la presque totaliteacute des cas la reacuteponse de lrsquoARC a eacuteteacute 51 Id interpreacutetation technique 2003-0039437 laquo Public Body Performing Function

Govt raquo 30 octobre 2003

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 547

favorable aux bandes indiennes Malheureusement lrsquoARC nrsquoa pas toujours indiqueacute dans ses deacutecisions les eacuteleacutements qui lrsquoont fait pencher vers le statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale En revanche on peut reacutepertorier une trentaine de deacutecisions favorables (voir annexe 1) qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC essentiellement pour les raisons suivantes lrsquoadoption de regraveglements les services aux membres lrsquoaspect deacutemocratique la nature des fonctions et la neacutegociation drsquoententes On peut remarquer que les eacuteleacutements qui ressortent le plus souvent de lrsquoanalyse sont lrsquoadoption de regraveglements le fait de fournir des services aux membres de la communauteacute et le fait drsquoavoir neacutegocieacute des ententes avec les gouvernements

Du cocircteacute de Revenu Queacutebec le seul document rendu public est une lettre drsquointerpreacutetation52 de 1999 affirmant notamment que lorsque la bande use des pouvoirs que lui confegravere lrsquoarticle 81 de la Loi sur les Indiens elle pourrait ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale

313 Particulariteacutes relatives aux Cris du Queacutebec

Pour deacutecider si une bande indienne est ou non un organisme public remplissant une fonction gouvernementale il faut proceacuteder agrave une analyse cas par cas en utilisant les critegraveres deacutecrits preacuteceacutedemment On ne peut fournir une reacuteponse geacuteneacuterale agrave cette question puisque les bandes indiennes nrsquoont pas toutes atteint le mecircme stade de deacuteveloppement tel que le preacutecise le site Internet des Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada53

Comme nous lrsquoavons preacuteciseacute dans lrsquointroduction les neuf communauteacutes cries preacutesentes dans la Jameacutesie ont un reacutegime bien particulier qui les distingue des autres bandes indiennes Les eacuteveacutenements historico-politiques qui ont conduit agrave cette situation seront abordeacutes agrave la sous-section 322 Pour lrsquoinstant ce qui importe de savoir est que les bandes cries du Queacutebec sont reacutegies par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec54 et non par la Loi sur les Indiens Bien que la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec constitue un reacutegime distinct elle fait occasionnellement reacutefeacuterence agrave la Loi sur les Indiens et on y trouve des dispositions eacutequivalentes Par exemple

52 REVENU QUEacuteBEC preacuteciteacute note 20 53 CANADA Affaires autochtones et Deacuteveloppement du Nord Canada Gouvernance

15 septembre 2010 par 3 (en ligne httpwwwaadnc-aandcgccafra 11001000138031100100013807)

54 SC 1984 ch 18

548 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexemption fiscale de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens et les pouvoirs des bandes preacutevus aux articles 81 et 83 de cette mecircme loi y sont repris presque mot pour mot Agrave la diffeacuterence de la Loi sur les Indiens la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec limite les activiteacutes commerciales qui peuvent ecirctre exerceacutees par une bande indienne Le paragraphe 22(3) de cette loi preacutevoit toutefois une deacuterogation agrave cette restriction lorsque la bande est lrsquoactionnaire drsquoune personne morale Voilagrave donc une autre raison pouvant inciter une bande crie agrave constituer une entreprise en socieacuteteacute par actions

La Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec a eacuteteacute adopteacutee par le Parlement du Canada afin de mettre en application la Convention de la Baie-James55 qui fut signeacutee en 1975 Lrsquoarticle 21 de cette loi se lit comme suit

laquo 21 La bande a pour mission

a) drsquoexercer les pouvoirs drsquoune administration locale sur les terres de cateacutegorie IA ou IA-N qui lui sont attribueacutees

b) drsquoassurer lrsquousage la gestion lrsquoadministration et la reacuteglementation relatives agrave ses terres ainsi qursquoaux ressources naturelles qui srsquoy trouvent

c) de reacutegir les octrois de droits et drsquointeacuterecircts sur ces terres et sur leurs ressources naturelles y compris les ressources de leur sous-sol

d) de reacuteglementer lrsquousage des bacirctiments qui se trouvent sur ces terres

e) drsquoutiliser de geacuterer et drsquoadministrer ses deniers et autres eacuteleacutements drsquoactif

f) de promouvoir le bien-ecirctre geacuteneacuteral de ses membres

g) de promouvoir et assurer le deacuteveloppement communautaire et les œuvres de bienfaisance au sein de la communauteacute

h) drsquoassurer les services programmes et projets voulus pour ses membres pour les autres personnes reacutesidant sur les terres des cateacutegories IA et IA-N ainsi que pour les personnes reacutesidant sur les terres de cateacutegorie III qui sont viseacutees agrave lrsquoalineacutea 6b)

i) de preacuteserver et promouvoir la culture les valeurs et les traditions cries ou naskapies selon le cas

55 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 549

j) drsquoexercer les pouvoirs et fonctions que les lois feacutedeacuterales ou leurs regraveglements ainsi que les Conventions lui confegraverent ou confeacuteraient agrave la bande anteacuterieure raquo

De par lrsquoacte qui a creacuteeacute les bandes cries du Queacutebec il serait bien difficile de preacutetendre qursquoelles nrsquoont pas un caractegravere public et qursquoelles nrsquoexercent pas une fonction gouvernementale En effet cette disposition preacutevoit notamment lrsquoexercice drsquoun pouvoir reconnu sur un territoire et la responsabiliteacute du bien-ecirctre du deacuteveloppement communautaire et de la fourniture de services pour ses membres Un autre eacuteleacutement non neacutegligeable est le fait que les Cris du Queacutebec ont participeacute agrave des neacutegociations territoriales menant agrave la Convention de la Baie-James agrave ses modifications et agrave la Paix des Braves Il est aussi inteacuteressant de rappeler la remarque du juge Vermette de la Cour du Queacutebec dans lrsquoaffaire Tawich qui laissait entendre que la bande crie de Wemindji au Queacutebec aurait probablement pu ecirctre consideacutereacutee comme un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Compte tenu de tous ces eacuteleacutements les administrations fiscales seraient mal venues de preacutetendre que les bandes cries du Queacutebec ne constitueraient pas des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale aux fins de lrsquoarticle 149 LIR

314 Conclusions sur le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale

Il a eacuteteacute reconnu qursquoune bande indienne est un organisme Il ressort de la jurisprudence que pour reacutepondre au concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale lrsquoorganisme doit ecirctre imputable envers la collectiviteacute et ecirctre mandateacute par un gouvernement LrsquoARC semble se rattacher agrave plusieurs eacuteleacutements concrets provenant de la deacutecision Otineka de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct pour consideacuterer qursquoune bande est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale On cherche essentiellement agrave savoir si elle a adopteacute des regraveglements en vertu des pouvoirs qui lui sont confeacutereacutes si elle offre des services publics et si elle a participeacute agrave des neacutegociations et revendications

Le fait que les diverses communauteacutes cries du Queacutebec respectent ces exigences et qursquoelles aient atteint un stade avanceacute de deacuteveloppement permet de les consideacuterer comme des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale Pour ce qui est des autres communauteacutes une analyse cas par cas baseacutee sur les critegraveres identifieacutes doit ecirctre effectueacutee

550 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

32 NOTION DE LIMITES GEacuteOGRAPHIQUES

Il est important drsquoeacutetablir clairement les limites geacuteographiques des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale En effet ces limites sont essentielles agrave la reacutealisation du test baseacute sur les revenus Afin drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption la socieacuteteacute doit ecirctre en mesure de deacuteterminer si ses activiteacutes sont agrave lrsquointeacuterieur ou agrave lrsquoexteacuterieur de ces limites Elle pourra ensuite eacutetablir si le revenu attribuable aux activiteacutes externes deacutepasse ou non le seuil toleacutereacute de 10 du revenu total Il est relativement facile drsquoeacutetablir les limites geacuteographiques drsquoune ville dans les grands centres lorsque celles-ci sont partageacutees avec les villes voisines et que lrsquoon se trouve dans un contexte urbain Il en est tout autrement lorsque lrsquoobjet de la deacutelimitation est situeacute en pleine forecirct agrave des kilomegravetres de toute zone habiteacutee

Il faut aussi ajouter les particulariteacutes de la question territoriale des Cris du Queacutebec Si lrsquoanalyse de la section preacuteceacutedente a permis de circonscrire relativement bien le concept drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le travail est bien plus ardu avec la notion de limites geacuteographiques Une des difficulteacutes intrinsegraveques agrave lrsquoanalyse de cet eacuteleacutement est lieacutee au fait que la leacutegislation fiscale renvoie agrave plusieurs autres lois relativement meacuteconnues comme nous allons le voir

321 Preacutecisions apporteacutees par le paragraphe 149(11) LIR

Avec lrsquoajout des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale dans les entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on a tenteacute de fournir certaines preacutecisions quant aux limites geacuteographiques de ces organismes Ces preacutecisions se trouvent au paragraphe 149(11) LIR56 qui se lit comme suit

laquo 149 (11) Pour lrsquoapplication du preacutesent article les limites geacuteographiques drsquoun organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale sont les suivantes

a) celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel le pouvoir de percevoir des impocircts ou taxes est reconnu ou confeacutereacute agrave lrsquoorganisme par une loi feacutedeacuterale ou par un accord mis en vigueur par une telle loi

b) en cas drsquoinapplication de lrsquoalineacutea a) celles agrave lrsquointeacuterieur desquelles lrsquoorganisme est autoriseacute par les lois feacutedeacuterales ou provinciales agrave exercer cette fonction raquo

56 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(11) LIR est lrsquoarticle 98503 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 551

Cette disposition ne donne pas de directives claires sur la faccedilon de deacutelimiter le territoire drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale elle renvoie plutocirct aux lois feacutedeacuterales ou provinciales qui confegraverent agrave lrsquoorganisme ses pouvoirs gouvernementaux

Les tribunaux nrsquoont pas encore eu agrave se prononcer directement sur un cas de deacutelimitation territoriale de bande indienne ou mecircme drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Toutefois les notes explicatives du ministegravere des Finances qui ont trait au paragraphe 149(11) LIR apportent un peu plus de lumiegravere sur lrsquointention du leacutegislateur57 On y utilise lrsquoexemple drsquoune bande indienne qui constituerait un organisme public remplissant une fonction gouvernementale et on affirme que dans ce cas les limites geacuteographiques seraient celles du territoire agrave lrsquoeacutegard duquel la bande indienne a le pouvoir drsquoimposer des taxes directes selon laquo un accord drsquoautonomie gouvernementale ou de la loi qui lui confegravere son autonomie gouvernementale raquo58 On ajoute que plus preacuteciseacutement ses limites geacuteographiques seraient celles de ses reacuteserves La politique de lrsquoARC va aussi en ce sens lorsque lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale en question est une bande indienne59

Dans le cas des bandes indiennes reacutegies par la Loi sur les Indiens tout cela est assez facile agrave mettre en perspective puisque la notion de reacuteserve y est bien deacutefinie60 Les principales difficulteacutes dans lrsquoeacutetablissement des limites geacuteographiques drsquoune reacuteserve sont davantage de nature technique que leacutegale Cependant comme il a eacuteteacute mentionneacute les communauteacutes cries du Queacutebec ne sont pas reacutegies par la Loi sur les Indiens61 Pour cette raison les principaux eacuteleacutements relevant de lrsquoadministration et de la question territoriale crie doivent ecirctre abordeacutes

322 Questions territoriales du Nord queacutebeacutecois

Les questions territoriales autochtones sont tregraves complexes de faccedilon geacuteneacuterale et celles des communauteacutes cries nrsquoeacutechappent pas agrave cette regravegle Nous

57 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 58 Id 59 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2009-0310851I7 laquo Business Income Earned by First Nation raquo 15 septembre 2009 60 Par 2(1) de la Loi sur les Indiens 61 Art 5 de la Loi sur les Cris et le Naskapis du Queacutebec

552 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

nrsquoavons pas lrsquointention de deacutecrire en deacutetail toute la question territoriale des Cris du Queacutebec mais il est neacutecessaire drsquoen dresser les grandes lignes puisqursquoelle est essentielle agrave lrsquoeacutetude des dispositions fiscales en cause

La geacuteographie du Nord queacutebeacutecois telle qursquoon la connaicirct aujourdrsquohui date essentiellement du 1er avril 1912 Cette date correspond agrave la sanction royale de la Loi de lrsquoextension des frontiegraveres de Queacutebec 191262 La superficie de la province avait alors plus que doubleacute par lrsquoajout du territoire actuellement situeacute au nord du 52e parallegravele Cette loi preacutevoyait notamment que le gouvernement du Queacutebec devait reconnaicirctre sur le territoire ceacutedeacute les droits des autochtones en obtenir la remise et en payer les frais63 Agrave la suite de lrsquoannexion de ce vaste territoire le gouvernement avait toujours laisseacute flotter la question territoriale du Nord queacutebeacutecois

Lrsquoannonce du projet de la Baie-James par lrsquoancien premier ministre Robert Bourassa en 1971 a mis cette question agrave lrsquoavant-scegravene Nrsquoayant pas eacuteteacute consulteacutes et eacutetant donneacute tous les effets environnementaux drsquoun tel projet sur les terres traditionnelles des peuples cris et inuits ces derniers srsquoopposegraverent farouchement au projet Ils eurent gain de cause le 15 novembre 1973 lorsque la Cour supeacuterieure du Queacutebec se montra favorable agrave leur demande drsquoinjonction Eacutetant donneacute que les projets de deacuteveloppement hydro-eacutelectrique de la Baie-James se trouvegraverent paralyseacutes le gouvernement du Queacutebec nrsquoeut drsquoautre choix que drsquoinviter les autochtones viseacutes agrave la table de neacutegociations

Ces eacuteveacutenements qui ont marqueacute lrsquohistoire du Queacutebec ont donneacute naissance agrave la Convention de la Baie-James64 qui fut signeacutee le 11 novembre 1975 par le gouvernement feacutedeacuteral et le gouvernement du Queacutebec par les autochtones et par les socieacuteteacutes de deacuteveloppement engageacutees dans le projet de la Baie-James Lrsquoentente renferme plusieurs dispositions qui rendent les communauteacutes cries distinctives tant sur le plan de leur administration que sur celui de leurs territoires Sur le plan territorial la notion de reacuteserve est proscrite M John Ciaccia alors repreacutesentant speacutecial du premier ministre srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Je crois sincegraverement que la faccedilon traditionnelle drsquoaborder les questions indiennes dans ce pays nrsquoest plus reacuteellement valable ni mecircme acceptable et qursquoelle aurait certainement eacuteteacute tout agrave fait inefficace dans la situation agrave laquelle

62 (R-U) 2 Geo V c 45 63 Id al 2a) 64 Preacuteciteacute note 2

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 553

nous avons eu agrave faire face dans le Nord queacutebeacutecois et que nous avons tenteacute de reacutesoudre par des neacutegociations qui ont eacuteteacute agrave la fois patientes longues et extrecircmement complexes

Nous nrsquoavons pas voulu creacuteer de ldquoreacuteservesrdquo au sens conventionnel du mot et effectivement nous nrsquoen creacuteons pas65 raquo

Dans cet esprit le reacutegime des terres de cette vaste eacutetendue se deacutecompose en trois cateacutegories les terres de cateacutegorie I (environ 14 000 km2 dont 5 500 km2 pour les Cris) qui sont agrave lrsquousage exclusif des communauteacutes autochtones66 les terres de cateacutegorie II (environ 150 000 km2) qui sont des terres publiques sur lesquelles les autochtones ont des droits exclusifs pour leurs activiteacutes traditionnelles comme la chasse la pecircche et le trappage67 et les terres de cateacutegorie III (environ 1 000 000 km2) qui sont des terres publiques68

On comprend donc que le territoire administreacute par une communauteacute autochtone du Nord queacutebeacutecois est lrsquoensemble des terres de cateacutegorie I qui lui ont eacuteteacute octroyeacutees Dans le cas des Cris la Convention de la Baie-James seacutepare aussi les terres de cateacutegorie I en deux autres cateacutegories soit essentiellement les terres de cateacutegorie IA (environ 3 300 km2) qui sont de juridiction feacutedeacuterale69 et les terres de cateacutegorie IB (environ 2 200 km2) qui sont de juridiction provinciale70 Agrave titre drsquoexemple la superficie des terres de cateacutegorie I pour la bande de Wemindji qui eacutetait agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire Tawich est drsquoun peu plus de 500 kilomegravetres carreacutes dont environ 60 sont constitueacutes de terres de cateacutegorie IA Cette seacuteparation additionnelle des terres de cateacutegorie I est neacutecessaire car seul le Parlement du Canada a le pouvoir constitutionnel de leacutegifeacuterer de maniegravere directe sur le mode de vie des Indiens71

65 QUEacuteBEC Assembleacutee nationale Commission parlementaire sur les richesses

naturelles et les terres et forecircts laquo Philosophie de la Convention raquo dans Convention de la Baie-James et du Nord queacutebeacutecois Queacutebec Eacutediteur officiel du Queacutebec 5 novembre 1975 aux pages XVIII-XIX

66 Al 511 de la Convention de la Baie-James 67 Al 521 de la Convention de la Baie-James 68 Al 531 de la Convention de la Baie-James 69 Al 512 de la Convention de la Baie-James 70 Al 513 de la Convention de la Baie-James 71 Par 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867

554 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Les dispositions de la Convention de la Baie-James relatives agrave lrsquoadministration des terres feacutedeacuterales ont eacuteteacute officialiseacutees dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec alors que celles relatives aux terres de juridiction provinciale lrsquoont eacuteteacute par lrsquoadoption de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec72 et de la Loi sur les villages cris et le village naskapi73 Sur les terres de cateacutegorie IB le reacutegime provincial constitue des municipaliteacutes74 assujetties aux lois municipales dont la Loi sur les citeacutes et villes75

Mais quelle est la position des administrations fiscales quant agrave la notion de limites geacuteographiques que le paragraphe 149(11) LIR et lrsquoarticle 98503 LI tentent de preacuteciser

323 Positions administratives

De faccedilon geacuteneacuterale lrsquointerpreacutetation de lrsquoARC semble aller dans le mecircme sens que ce qui ressort des notes explicatives76 accompagnant le paragraphe 149(11) LIR Tel qursquoil est indiqueacute dans ces notes dans le cas drsquoune bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale les limites geacuteographiques agrave consideacuterer seraient celles de ses reacuteserves

La neacutecessiteacute de situer geacuteographiquement les activiteacutes dans le cadre de lrsquoexemption eacutetudieacutee est apparue en 1998 On a demandeacute alors agrave lrsquoARC de preacuteciser la notion de limites geacuteographiques dans le contexte des bandes indiennes un peu avant lrsquointroduction de cette notion dans la loi LrsquoARC expliqua que selon elle les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne devraient englober les terres de la reacuteserve77 Un an plus tard lrsquoARC donna la mecircme reacuteponse dans le cadre drsquoune autre interpreacutetation technique et elle ajouta qursquoil fallait srsquoen remettre agrave la Loi sur les Indiens pour appreacutecier le

72 LRQ c I-3 73 LRQ c V-51 74 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 75 LRQ c C-19 76 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 77 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9805985 laquo Canadian

Municipal Owned Corporation Indian raquo 30 octobre 1998

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 555

sens du mot laquo reacuteserve raquo78 Afin drsquoeacuteviter toute confusion eacutemanant drsquoun parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale de la Loi sur les Indiens lrsquoARC preacutecisa par la suite que les limites geacuteographiques dont il eacutetait question agrave lrsquoarticle 149 LIR dans le cas drsquoune bande indienne comprenaient uniquement sa reacuteserve et non toutes les reacuteserves indiennes du Canada79 La position voulant que les terres de la reacuteserve drsquoune bande constituent ses limites geacuteographiques fut reacuteiteacutereacutee dans drsquoautres interpreacutetations publieacutees subseacutequemment80 Une interpreacutetation technique relativement reacutecente a donneacute plus de preacutecisions en indiquant que les limites geacuteographiques drsquoune bande englobaient sa reacuteserve ou les terres qui lui eacutetaient transfeacutereacutees agrave la suite drsquoune entente de revendication territoriale ou drsquoune entente drsquoautonomie gouvernementale81

La notion de reacuteserve agrave laquelle fait abondamment reacutefeacuterence lrsquoARC semble tout agrave fait justifieacutee puisque le pouvoir de taxation des bandes indiennes est justement limiteacute agrave leur reacuteserve82 Cette politique administrative paraicirct correspondre au texte du paragraphe 149(11) LIR Revenu Queacutebec nrsquoa pas exprimeacute de position agrave cet eacutegard

324 Deacutefinition de laquo reacuteserve raquo et mise en contexte

Dans sa politique administrative lrsquoARC fait reacutefeacuterence agrave la notion de reacuteserve qui est deacutefinie au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens comme suit

laquo 2 (1) Les deacutefinitions qui suivent srsquoappliquent agrave la preacutesente loi

[hellip]

ldquoreacuteserverdquo Parcelle de terrain dont Sa Majesteacute est proprieacutetaire et qursquoelle a mise de cocircteacute agrave lrsquousage et au profit drsquoune bande y sont assimileacutees les terres deacutesigneacutees sauf pour lrsquoapplication du paragraphe 18(2) des articles 20 agrave 25 28 36 agrave 38 42 44 46 48 agrave 51 58 et 60 ou des regraveglements pris sous leur reacutegime

78 Id interpreacutetation technique 9910937 laquo Indian Band as a Municipality raquo 22 octobre

1999 79 Tax Window Files preacuteciteacute note 21 80 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetations techniques

2009-0311861I7 laquo Issues par 149(1)(c) and Proposed par 149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010 2004-0061221E5 laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 et 2001-0099085 laquo Indian Band Corporations raquo 24 octobre 2001

81 Tax Window Files preacuteciteacute note 47 82 Par 83(1) de la Loi sur les Indiens

556 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

[hellip]

ldquoterres deacutesigneacuteesrdquo Parcelle de terrain ou tout droit sur celle-ci proprieacuteteacute de Sa Majesteacute et relativement agrave laquelle la bande agrave lrsquousage et au profit de laquelle elle a eacuteteacute mise de cocircteacute agrave titre de reacuteserve a ceacutedeacute avant ou apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la preacutesente deacutefinition ses droits autrement qursquoagrave titre absolu raquo

On peut donc sommairement consideacuterer qursquoune reacuteserve est un ensemble de terres qui sont la proprieacuteteacute du gouvernement et qui sont reacuteserveacutees agrave un groupe drsquoIndiens Dans le cas drsquoune bande indienne reacutegie par la Loi sur les Indiens il est donc assez facile de deacuteterminer conceptuellement la zone geacuteographique dont il est question au paragraphe 149(11) LIR

En ce qui concerne les Cris du Queacutebec crsquoest la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec qui a preacuteseacuteance sur la Loi sur les Indiens83 et pour ecirctre en accord avec la Convention de la Baie-James le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas utiliseacute pour parler du territoire des Cris Aux fins de deacuteterminer les limites geacuteographiques de ces communauteacutes la solution la plus logique est de se rallier par analogie au concept de reacuteserve dont il est question dans les notes explicatives84 accompagnant les modifications leacutegislatives On comprend que les terres de cateacutegories II et III ne reacutepondent pas agrave la deacutefinition de laquo reacuteserve raquo preacutevue dans la Loi sur les Indiens car elles constituent des terres publiques et par le fait mecircme ne sont pas agrave lrsquousage exclusif des Cris Agrave lrsquoinverse les terres de cateacutegorie I drsquoune communauteacute donneacutee sont reacuteserveacutees agrave son usage et sont entiegraverement agrave sa disposition

Le terme laquo reacuteserve raquo nrsquoest pas deacutefini dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu en revanche la Loi sur les impocircts du Queacutebec a donneacute un sens agrave ce terme Une reacuteserve deacutesigne notamment laquo une terre de cateacutegorie IA [hellip] au sens du paragraphe 1 de lrsquoarticle 2 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec (LC 1984 ch 18)85 raquo Il faut toutefois preacuteciser que lrsquoapplication de cette deacutefinition est limiteacutee au contexte de la deacuteduction disponible agrave un particulier indien Tel qursquoil est indiqueacute plus haut lrsquoimmuniteacute fiscale dont beacuteneacuteficie un Indien provient de lrsquoarticle 87 de la Loi sur les Indiens qui est repris agrave lrsquoarticle 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Lrsquoexemption fiscale srsquoapplique sur les reacuteserves pour ce qui est de la Loi sur les Indiens et sur les terres de cateacutegorie IA dans le cas de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec Dans les deux cas lrsquoapplication de cette

83 Art 5 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 84 CANADA ministegravere des Finances preacuteciteacute note 29 85 Par 72501b) laquo reacuteserve raquo LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 557

exemption fiscale se fait par deacuterogation agrave toutes autres lois feacutedeacuterales ou provinciales La leacutegislation fiscale se doit donc de reconnaicirctre cette immuniteacute sur ces territoires comme elle le fait agrave lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et au paragraphe 725a) LI Cependant lrsquoexemption dont il est question ici srsquoinscrit dans un autre contexte soit celui de lrsquoarticle 149 LIR Crsquoest pourquoi il ne faut pas arrecircter le raisonnement agrave la deacutefinition limitative du terme laquo reacuteserve raquo contenue dans la Loi sur les impocircts du Queacutebec

Revenons au paragraphe 149(11) LIR dont le but est de baliser la deacutelimitation geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale Il est indeacuteniable que la Convention de la Baie-James constitue un laquo accord mis en vigueur par une loi feacutedeacuterale raquo86 qui confegravere aux Cris un pouvoir de taxation tant sur les terres de cateacutegorie IA87 que sur les terres de cateacutegorie IB88 En reprenant lrsquoalineacutea 149(11)a) LIR ne peut-on pas conclure que les limites geacuteographiques drsquoune communauteacute crie englobent ces terres Bien que cette position soit raisonnable agrave premiegravere vue il ne semble pas que les terres de cateacutegorie IB puissent ecirctre incluses dans les limites geacuteographiques drsquoune bande indienne crie

Mecircme srsquoil peut ecirctre logique que les terres de cateacutegorie IB soient consideacutereacutees comme des reacuteserves aux fins fiscales il ne faut pas perdre de vue que lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI vise une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne qui est un organisme public remplissant une fonction gouvernementale Dans cette perspective les limites geacuteographiques qui doivent ecirctre eacutetablies sont celles de la bande qui est lrsquoactionnaire de cette socieacuteteacute

Dans le contexte juridique et territorial cri il existe trois entiteacutes constitueacutees en personnes morales distinctes la bande elle-mecircme pour la gestion des terres de cateacutegorie IA89 une corporation fonciegravere pour la deacutetention des titres de proprieacuteteacute des terres de cateacutegorie IB90 et une personne 86 Voir notamment le preacuteambule de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 87 S-al 901d) de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoalineacutea 45(1)h) de la Loi sur

les Cris et les Naskapis du Queacutebec 88 Al 100101 de la Convention de la Baie-James repris partiellement agrave lrsquoarticle 26 de

la Loi sur les villages cris et le village naskapi 89 S-al 901a) de la Convention de la Baie-James repris au paragraphe 12(1) de la

Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec 90 Al 1001 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 7 de la Loi sur le

reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du Nouveau-Queacutebec

558 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

morale de droit public ayant le statut de municipaliteacute pour la gestion de ces mecircmes terres de cateacutegorie IB91 Il se trouve qursquoaux fins fiscales lrsquoactionnaire de la socieacuteteacute qui veut obtenir lrsquoexemption est la bande indienne et non lrsquoune des deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB Dans ces circonstances il apparaicirct plus logique de consideacuterer seulement le pouvoir de taxation de la bande indienne pour deacuteterminer ses limites geacuteographiques aux fins du paragraphe 149(11) LIR Puisque ce pouvoir est preacutevu par la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec sur les terres de cateacutegorie IA les limites geacuteographiques de cet organisme public remplissant une fonction gouvernementale seraient donc uniquement celles de ces terres

Certains peuvent consideacuterer un tel reacutesultat comme eacutetant injuste dans la mesure ougrave la bande indienne la corporation fonciegravere92 et la municipaliteacute existent de faccedilon distincte uniquement pour respecter la juridiction feacutedeacuterale sur les terres de cateacutegorie IA et la juridiction provinciale sur les terres de cateacutegorie IB Il est clair que la volonteacute des gouvernements est drsquoavoir une seule gestion peu importe la juridiction sur les terres93 Toutefois mecircme si le reacutegime provincial preacutevoit que le conseil de la municipaliteacute doit ecirctre composeacute des mecircmes individus que celui de la bande indienne il nrsquoest pas question ici drsquoune fiction juridique Les trois entiteacutes ont bel et bien une existence leacutegale reacuteelle et distincte Les tribunaux nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette question mais la Cour drsquoappel du Queacutebec a eacuteteacute sans eacutequivoque dans lrsquoarrecirct Tawich il y a une distinction eacutevidente agrave faire entre lrsquoentiteacute qui gegravere les terres de cateacutegorie IA et celle qui gegravere les terres de cateacutegorie IB94 De plus les principes reacutegissant la leveacutee du voile corporatif sont clairs dans le Code civil du Queacutebec95 on ne peut lrsquoinvoquer qursquoen preacutesence drsquointentions frauduleuses abusives ou contraires aux regravegles drsquoordre public

Dans ces circonstances pourrait-il y avoir une solution advenant que la socieacuteteacute deacutetenue par une bande crie exerce une partie importante de ses activiteacutes sur les terres de cateacutegorie IB et veuille tout de mecircme se preacutevaloir de

91 Al 1007 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 92 Art 2 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 93 Al 1004 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 14 de la Loi sur les

villages cris et le village naskapi 94 Tawich (CA) preacuteciteacute note 14 par 6 95 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) art 317

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 559

lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR preacutecise qursquoau moins 90 du capital doit appartenir agrave laquo une ou plusieurs entiteacutes raquo qui sont des municipaliteacutes ou des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au Canada La deacutetention partageacutee des actions drsquoune socieacuteteacute par une bande indienne et par une municipaliteacute aurait pour effet que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR seraient celles des deux entiteacutes Une ideacutee assez eacutevidente de planification fiscale serait que la municipaliteacute reacutegissant les terres de cateacutegorie IB deacutetienne au moins une action du capital-actions de la socieacuteteacute deacutetenue par la bande indienne Ainsi la socieacuteteacute pourrait exercer ses activiteacutes sans crainte autant sur les terres de cateacutegorie IA que sur les terres de cateacutegorie IB puisque la zone geacuteographique globale des deux entiteacutes serait les terres de cateacutegorie I

Malheureusement il existe des enclaves non neacutegligeables agrave la mise en œuvre drsquoune telle solution Le droit municipal est beaucoup plus restrictif que les lois reacutegissant les bandes indiennes relativement agrave la participation agrave des activiteacutes commerciales Le problegraveme relegraveve du fait que les deux socieacuteteacutes relatives aux terres de cateacutegorie IB ne seraient probablement pas en droit de posseacuteder de telles actions de socieacuteteacutes exploitant des entreprises agrave but lucratif Dans le cas de la corporation fonciegravere la loi preacutevoyant sa creacuteation est claire et preacutecise que la socieacuteteacute doit ecirctre agrave but non lucratif et sans gain peacutecuniaire pour ses membres96 Pour ce qui est de la municipaliteacute crsquoest un peu plus neacutebuleux Les municipaliteacutes creacuteeacutees pour geacuterer les terres de cateacutegorie IB doivent comme toutes les municipaliteacutes du Queacutebec se soumettre au droit municipal97

La principale embucircche pour une municipaliteacute qui veut souscrire des actions drsquoune socieacuteteacute agrave but lucratif est la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales98 Cette loi preacutevoit qursquoune municipaliteacute ne peut pas venir en aide agrave un eacutetablissement industriel ou commercial en prenant ou souscrivant des actions de son capital99 Il serait bien entendu difficile pour les administrations fiscales de soutenir qursquoune souscription de 1 $ puisse constituer une subvention municipale aupregraves drsquoune socieacuteteacute Toutefois la

96 Art 9 de la Loi sur le reacutegime des terres dans les territoires de la Baie-James et du

Nouveau-Queacutebec 97 Al 1007 et 10017 de la Convention de la Baie-James repris agrave lrsquoarticle 2 de la

Loi sur les villages cris et le village naskapi 98 LRQ c I-15 99 Art 1 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales

560 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales utilise lrsquoexpression laquo venir en aide raquo Il faut donc se demander si un tel geste constitue une aide pour la socieacuteteacute en question Lorsqursquoon considegravere que cette souscription permettrait agrave la socieacuteteacute de beacuteneacuteficier drsquoune exemption fiscale il serait difficile de preacutetendre que la municipaliteacute ne vient pas en aide agrave cet eacutetablissement commercial Advenant une contravention agrave la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales les administrations fiscales pourraient intenter une action en nulliteacute contre la municipaliteacute et lrsquoachat ou la souscription de lrsquoaction serait preacutesumeacute ne jamais avoir eacuteteacute fait100

Dans un autre ordre drsquoideacutees il ne faut pas perdre de vue que les municipaliteacutes sont constitueacutees pour rendre des services et favoriser le deacuteveloppement collectif Les conseillers municipaux sont imputables agrave lrsquoeacutegard des citoyens Comment une municipaliteacute pourrait-elle justifier collectivement une reacutesolution autorisant une participation dans une socieacuteteacute priveacutee qui cherche agrave enrichir ses actionnaires La multitude de lois qui reacutegissent nos villes preacutevoit des obligations et pouvoirs qui vont en ce sens Le juge Vermette de la Cour du Queacutebec reacutesume tregraves bien cette reacutealiteacute dans le passage qui suit

laquo Le contexte du droit municipal canadien indique par ailleurs que les corporations que peuvent posseacuteder les municipaliteacutes sont des cas dexception et alors elles sont controcircleacutees et limiteacutees soit quant agrave leur objet soit quant au territoire limiteacute ougrave elles peuvent opeacuterer Le plus souvent leurs opeacuterations sont limiteacutees au territoire de la municipaliteacute101 raquo (Notes omises)

Bien qursquoa priori la solution consistant agrave faire de la municipaliteacute un coactionnaire peut sembler judicieuse cette option est extrecircmement risqueacutee et probablement non reacutealisable leacutegalement Dans ces circonstances il convient donc de consideacuterer que les limites geacuteographiques dont il est question aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR sont pour une bande indienne crie les limites de ses terres de cateacutegorie IA

325 Conclusions sur la notion de limites geacuteographiques

Les tribunaux ne se sont pas encore prononceacutes sur la notion de limites geacuteographiques Le libelleacute du paragraphe 149(11) LIR lrsquointention du leacutegislateur le recours aux autres lois ainsi que la politique administrative permettent de comprendre que les limites geacuteographiques applicables dans le

100 Art 2 de la Loi sur lrsquointerdiction de subventions municipales 101 Tawich (CQ) preacuteciteacute note 14

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 561

cas des bandes indiennes sont celles de ses reacuteserves selon la deacutefinition qursquoen donne la Loi sur les Indiens

Dans le cas des Cris le concept juridique de reacuteserve est inexistant Il faut donc appliquer la mecircme logique que celle qui a permis de circonscrire la notion de limites geacuteographiques au concept de reacuteserve pour les bandes indiennes assujetties agrave la Loi sur les Indiens De plus il faut garder bien en vue qui est veacuteritablement lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale actionnaire de la socieacuteteacute Ainsi on comprend que les limites geacuteographiques applicables aux bandes cries du Queacutebec sont celles de ses terres de cateacutegorie IA deacutefinies dans la Loi sur les Cris et les Naskapis du Queacutebec

33 AUTRES NOTIONS LIEacuteES AU TEST DE REVENU

Bien que la notion de limites geacuteographiques soit circonscrite on doit encore srsquointerroger sur drsquoautres notions preacutesentes aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ces alineacuteas preacutevoient que le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques ne doit pas deacutepasser 10 du revenu total pour qursquoune socieacuteteacute puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Cette restriction constitue un test fiscal dans lequel les notions de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode doivent ecirctre preacuteciseacutees

331 Notion de revenu

Quel sens doit-on donner au mot laquo revenu raquo dans les dispositions en cause Srsquoagit-il tout simplement des recettes Doit-on consideacuterer les deacutepenses Est-ce qursquoon parle de revenu comptable ou de revenu fiscal

En 1997 la juge LrsquoHeureux-Dubeacute de la Cour suprecircme du Canada srsquoexprima ainsi relativement agrave lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu laquo Le mot ldquorevenurdquo peut avoir deux significations ldquorevenu brutrdquo ou ldquorevenu netrdquo (profit)102 raquo On comprend donc qursquoon est tout agrave fait en droit de se questionner sur le sens agrave accorder agrave ce vocable qui peut ecirctre utiliseacute dans plusieurs contextes

Il a eacuteteacute reconnu que lrsquoutilisation du terme laquo revenu raquo agrave lrsquoarticle 9 LIR faisait reacutefeacuterence aux revenus une fois les deacutepenses soustraites103 Il est 102 Hickman Motors Ltd c Canada [1997] 2 RCS 336 par 64 103 Voir lrsquoaffaire Canderel lteacutee c Canada [1998] 1 RCS 147 par 30-31 voir

eacutegalement lrsquoaffaire Symes c Canada [1993] 4 RCS 695 722-723

562 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

important de noter que dans cet article on fait un lien direct entre le mot laquo revenu raquo et la notion de beacuteneacutefice Toutefois doit-on accorder le mecircme sens agrave ce terme dans le contexte des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Peu apregraves lrsquointroduction de ces alineacuteas lrsquoARC eacutetait drsquoavis qursquoun parallegravele existait avec lrsquoarticle 9 LIR et qursquoil nrsquoy avait aucune raison de donner un autre sens au mot laquo revenu raquo aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR104 Sa position eacutetait donc que lrsquoobjet du test que contiennent ces deux alineacuteas est le revenu net fiscal105 Quelques anneacutees plus tard lrsquoARC srsquoest encore fait questionner sur le sens du terme laquo revenu raquo agrave ces alineacuteas elle reacuteiteacutera la mecircme position en 2005106 et en 2011107

Malgreacute la position bien ancreacutee de lrsquoARC on a quand mecircme raison de se demander si lrsquoon peut consideacuterer que le revenu est le revenu brut En effet dans lrsquoaffaire Entreprises Ludco lteacutee c Canada108 le plus haut tribunal du pays a consideacutereacute le terme laquo revenu raquo comme eacutetant le revenu avant la deacuteduction des deacutepenses Le juge Iacobucci srsquoexprima ainsi sur la question

laquo Vu lrsquoabsence de deacutefinition dans la Loi notre Cour doit appliquer les principes drsquointerpreacutetation leacutegislative pour deacutegager le sens du terme ldquorevenurdquo au sous-al 20(1)c)(i) Le sens ordinaire de cette disposition nrsquoappuie pas lrsquointerpreacutetation selon laquelle ldquorevenurdquo eacutequivaut agrave ldquoprofitrdquo ou agrave ldquorevenu netrdquo109 raquo

Agrave la lecture de cet arrecirct on reacutealise que lrsquointerpreacutetation du mot laquo revenu raquo deacutepend de lrsquoobjectif viseacute par la disposition qui contient ce vocable Il a eacuteteacute avanceacute que la Cour suprecircme du Canada dans lrsquoarrecirct Ludco a sembleacute accepter lrsquoargument de lrsquoappelante voulant que le terme laquo revenu raquo nrsquoait pas le sens de revenu net sauf si la leacutegislation renvoie directement agrave la notion de profit110 Cette conclusion est un peu hasardeuse puisque le

104 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2001-0114125

laquo Municipal Corporations raquo 13 mai 2002 Tax Window Files preacuteciteacute note 77 105 Id 106 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0118301I7

laquo Activities Carried on Outside Municipality raquo 6 juillet 2005 107 Id interpreacutetation technique 2011-0395521I7 laquo Activities carried on outside the

municipality raquo 20 octobre 2011 108 [2001] 2 RCS 1082 (laquo Ludco raquo) 109 Id par 59 110 Kay LEUNG laquo Meaning of ldquoIncomerdquo After Ludco raquo (2001) 3 Tax Profile 24

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 563

tribunal nrsquoa pas commenteacute cet aspect de lrsquoargumentation de lrsquoappelante dans son analyse ou dans la conclusion de son jugement

Il est important de comprendre que lrsquoutilisation du revenu brut dans lrsquoapplication du test serait avantageuse uniquement si les marges nettes des projets exeacutecuteacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques eacutetaient plus eacuteleveacutees que la marge nette globale de lrsquoentreprise Puisque les projets agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sont plus loin du siegravege social de la socieacuteteacute on pourrait penser qursquoils consomment plus de ressources (supervision deacuteplacements des employeacutes etc) et que leur marge nette est donc moins inteacuteressante Toutefois cette relation intuitive nrsquoest probablement pas valable puisque la nature lrsquoampleur ainsi que les risques associeacutes aux projets meneacutes agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques ont sans doute davantage drsquoeffet sur leur marge nette que leur situation geacuteographique

Dans le cas ougrave lrsquoon voudrait deacutefendre lrsquoutilisation du revenu brut plutocirct que celle du revenu net dans le test preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR il faudrait probablement orienter lrsquoargumentation en fonction de lrsquoobjectif des dispositions fiscales contenant le terme laquo revenu raquo Il semble assez clair que lrsquoobjectif des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est drsquoexempter drsquoimpocirct les socieacuteteacutes viseacutees mais de srsquoassurer que cette exemption ne leur soit pas accordeacutee si elles nrsquoexercent pas leurs activiteacutes presque exclusivement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques deacutetermineacutees Ainsi on cherche agrave situer geacuteographiquement les revenus geacuteneacutereacutes par les activiteacutes de la socieacuteteacute Lorsqursquoon analyse les proportions de revenu gagneacute agrave lrsquointeacuterieur et agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques sur la base du revenu net les reacutesultats sont manipulables puisque lrsquoattribution des deacutepenses donne une certaine latitude au contribuable bien qursquoelle se doit drsquoecirctre raisonnable De plus le tribunal pourrait ecirctre sensible au fait que la faccedilon de faire de lrsquoARC conduirait agrave exempter drsquoimpocirct une socieacuteteacute dont les activiteacutes se deacuteroulent majoritairement agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques dans la mesure ougrave ses projets exteacuterieurs seraient peu profitables Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nrsquoont sucircrement pas pour objectif drsquoen arriver agrave de tels reacutesultats Bien entendu tout cela nrsquoest que speacuteculation jusqursquoagrave ce qursquoun tribunal se prononce directement sur la question mais il faut comprendre que la position de lrsquoARC qui procircne lrsquoutilisation du revenu net nrsquoest pas tregraves eacutetoffeacutee

564 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

332 Notion de lieu (situs)

Il nrsquoy a pas que dans le cadre des alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR que lrsquoon doit se situer geacuteographiquement pour beacuteneacuteficier drsquoune exemption On peut faire ici un parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens111 dans le cadre de laquelle la notion de situs a eacuteteacute largement deacutebattue au fils des ans Cette immuniteacute fiscale vise les biens drsquoun Indien qui sont situeacutes sur une reacuteserve ou sur des terres de cateacutegorie IA selon le cas112 Il est inteacuteressant de noter que la zone geacuteographique relative agrave lrsquoimmuniteacute est exactement la mecircme que celle drsquoune socieacuteteacute qui serait deacutetenue par une bande indienne Dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens la Cour suprecircme du Canada a eacutetabli qursquoun revenu eacutetait un bien113 Dans ces circonstances on doit se questionner sur le situs du revenu que lrsquoon cherche agrave exempter

Il a aussi eacuteteacute eacutetabli par le plus haut tribunal du pays que pour deacuteterminer le situs drsquoun revenu on doit srsquoen remettre agrave une analyse multifactorielle qui est pondeacutereacutee en fonction de lrsquoobjet de lrsquoexemption du genre de bien et de la nature de lrsquoimposition114 Il faut donc analyser plusieurs facteurs de rattachement lorsqursquoon tente de situer geacuteographiquement un bien qui est un revenu Mecircme si ce travail ne porte pas sur lrsquoimmuniteacute des Indiens il est inteacuteressant de srsquoattarder ici au revenu drsquoentreprise puisque crsquoest souvent ce type de revenu que lrsquoon retrouve dans une socieacuteteacute par actions Dans le cas du revenu drsquoentreprise crsquoest lrsquoarrecirct Southwind c La Reine115 qui est venu indiquer la marche agrave suivre pour les deacutecisions subseacutequentes Le facteur de rattachement srsquoeacutetant le plus deacutemarqueacute est lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuterant le revenu116

Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est donc inteacuteressant agrave cet eacutegard mais il faut toutefois ecirctre vigilant dans cette comparaison En effet dans le contexte de lrsquoexemption disponible aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes cries lrsquoobjet agrave situer geacuteographiquement est lrsquoactiviteacute geacuteneacuterant le

111 Art 87 de la Loi sur les Indiens et art 188 de la Loi sur les Cris et les Naskapis du

Queacutebec reconnus agrave la fois par lrsquoalineacutea 81(1)a) LIR et le paragraphe 725a) LI 112 Id 113 Nowegijick c La Reine [1983] 1 RCS 29 38 114 Williams c Canada [1992] 1 RCS 877 (prestations drsquoassurance-chocircmage) 115 98 DTC 6084 1998 CanLII 7300 (CAF) (laquo Southwind raquo) 116 K THOMAS et M ALEXANDER preacuteciteacute note 8 agrave la page 5-33

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 565

revenu et non le revenu lui-mecircme117 En quelque sorte les leacutegislateurs ont faciliteacute la tacircche des contribuables en eacutedictant un seul facteur de rattachement agrave la zone geacuteographique de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Cette deacutecision apparaicirct logique lorsqursquoon garde agrave lrsquoesprit que le but premier de constituer une socieacuteteacute par actions est habituellement lrsquoexploitation drsquoune entreprise118

Dans la tacircche visant agrave deacuteterminer lrsquoendroit ougrave les activiteacutes sont exerceacutees il a eacuteteacute eacutetabli que lrsquoon devait srsquoattarder davantage au processus consistant agrave geacuteneacuterer du revenu en particulier plutocirct qursquoaux activiteacutes accessoires telles que lrsquoadministration des activiteacutes principales119 Le fait qursquoune socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne ait dans la grande majoriteacute des cas son siegravege social dans la zone geacuteographique qursquoelle administre nrsquoest donc pas un facteur agrave consideacuterer pour deacuteterminer le lieu des activiteacutes qursquoelle megravene Il faut vraisemblablement tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute elle-mecircme crsquoest-agrave-dire le lieu ougrave les services sont fournis et les principales tacircches accomplies120 LrsquoARC srsquoest drsquoailleurs prononceacutee sur le sujet et applique ce principe dans sa politique administrative121

333 Notion drsquoactiviteacutes

Afin drsquoappliquer le test de revenu correctement il faut aussi srsquointerroger sur la notion drsquoactiviteacutes qui nrsquoest pas deacutefinie dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Cette notion fait reacutefeacuterence agrave lrsquoaction122 et suppose donc un effort minimal menant au reacutesultat viseacute Bien que les tribunaux ne se soient pas pencheacutes sur cette question lrsquoARC est drsquoavis que le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention nrsquoest pas en soi une activiteacute et par le fait mecircme qursquoun tel revenu ne devrait pas ecirctre consideacutereacute dans le calcul de la limite de 10 dont il est question dans le test de revenu123 Les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en utilisant le pluriel Il semble donc clair que lrsquoon doive consideacuterer chaque type drsquoactiviteacutes indeacutependamment les unes des autres ce qui semble logique lorsqursquoon garde 117 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 118 Canadian Marconi Company c La Reine [1986] 2 RCS 522 par 9 119 Southwind preacuteciteacute note 115 par 13 120 Id 121 Tax Window Files preacuteciteacute note 49 122 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo activiteacute raquo 123 Tax Window Files preacuteciteacute note 77

566 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

en tecircte qursquoune seule socieacuteteacute peut exploiter plusieurs entreprises Il faut aussi noter qursquoil est possible que pour un mecircme type drsquoactiviteacutes on ait plusieurs lieux drsquoexeacutecution Dans ce cas il faudrait segmenter lrsquoactiviteacute et isoler la portion exerceacutee agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee124

Un contribuable srsquoest aussi questionneacute quant aux revenus de location drsquoun immeuble qui se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale LrsquoARC a reacutepondu que mecircme si le revenu eacutetait passif il y avait une activiteacute et qursquoil eacutetait raisonnable de consideacuterer qursquoelle se situait au mecircme endroit que le bien loueacute125 LrsquoARC a aussi confirmeacute que geacuteneacuterer un revenu de bien constituait agrave son sens une activiteacute126 Cette interpreacutetation eacutetait fondeacutee sur la situation hypotheacutetique drsquoune socieacuteteacute qui avait accessoirement un placement en actions et qui se questionnait sur ses revenus de dividendes et sur le gain en capital que le placement avait geacuteneacutereacute Le raisonnement de lrsquoARC eacutetait que lrsquoactiviteacute se deacuteroulait agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de la bande parce que toutes les opeacuterations inheacuterentes agrave la deacutetention drsquoactions (acquisition deacutetention et disposition) avaient eacuteteacute effectueacutees sur la reacuteserve

Dans le cas drsquoune socieacuteteacute dont lrsquoactiviteacute premiegravere eacutetait la gestion de placements lrsquoARC a indiqueacute que crsquoeacutetaient vraiment les activiteacutes de la socieacuteteacute elle-mecircme qui devaient ecirctre analyseacutees et non celles des socieacuteteacutes dont les actions eacutetaient deacutetenues127 Ce raisonnement ne semble pas correspondre agrave celui qui preacutevaut dans le cas de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Dans une telle situation on considegravere en quelque sorte que la personne qui gegravere le capital agit agrave titre de mandataire pour le contribuable et que crsquoest le lieu de lrsquoactiviteacute du mandataire qui importe128 Cette logique eacutemane de lrsquoarrecirct Recalma c La Reine129 de la Cour drsquoappel feacutedeacuterale qui est encore suivi aujourdrsquohui lorsqursquoon est en preacutesence drsquoun revenu de placement que lrsquoon

124 Pete c La Reine 91 DTC 204 (CCI) voir aussi Tax Window Files preacuteciteacute

note 49 125 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2004-0061221E5

laquo Meaning of ldquoActivitiesrdquo in Paragraph 149(1)(d5) raquo 3 juin 2004 126 Id interpreacutetation technique 2010-0376961E5 laquo Passive Income and 149(1)(d5) raquo

11 janvier 2011 confirmant interpreacutetation technique 1999-0006955 laquo Municipal Corporation Passive Investments raquo 21 feacutevrier 2000

127 Tax Window Files preacuteciteacute note 106 128 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2006-0202991M4 laquo Revenu de placement sur une reacuteserve raquo 18 septembre 2006 129 98 DTC 6238 1998 CanLII 7621 (CAF) (laquo Recalma raquo)

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 567

doit situer geacuteographiquement dans le contexte de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens Pour ce type de revenu lrsquoendroit ougrave sont exerceacutees les activiteacutes geacuteneacuteratrices de revenus est encore une fois un facteur tregraves important Mecircme si cet arrecirct portait sur des acceptations bancaires et des fonds communs de placement le principe fut appliqueacute agrave tous les revenus de placement et il a constitueacute un arrecirct cleacute pour les deacutecisions subseacutequentes130

Bien que lrsquoARC soutienne officiellement qursquoil faut seulement srsquoattarder aux activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut ecirctre admissible agrave lrsquoexemption elle nrsquoapplique pas systeacutematiquement cette logique Le principe eacutemanant de lrsquoarrecirct Recalma semble aussi avoir eacuteteacute appliqueacute par le passeacute Crsquoest drsquoailleurs ce qui semble avoir eacuteteacute fait dans un cas visant des revenus de location de nature passive Lrsquoargument de lrsquoARC eacutetait que lrsquoimmeuble se situait agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui eacutetait actionnaire de la socieacuteteacute131 Puisque lrsquoactiviteacute locative ne constituait pas une entreprise active aux fins de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu les principales activiteacutes consistant en des tacircches administratives (gestion des baux encaissement des loyers etc) ne devraient-elles pas toutes ecirctre consideacutereacutees sur la reacuteserve

Une autre interpreacutetation technique de lrsquoARC donne lrsquoimpression qursquoelle se colle davantage agrave lrsquoarrecirct Recalma plutocirct qursquoagrave sa directive officielle pour consideacuterer un revenu de biens comme eacutetant non exempteacute Il eacutetait question cette fois drsquoune socieacuteteacute qui tirait un revenu de bien sous forme de redevances sur la coupe de bois132 Voici un extrait des commentaires de lrsquoARC

laquo La question agrave savoir si le revenu pour la peacuteriode provenant dune activiteacute est exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve en est une de fait Toutefois le fait que le revenu soit un revenu de bien nest pas suffisant en soi pour conclure que ce revenu provient dune activiteacute exerceacutee agrave linteacuterieur des limites geacuteographiques de la reacuteserve Dans la situation ougrave le revenu provient dun droit de reacutecolter un volume de bois nous sommes davis que malgreacute le fait que des activiteacutes administratives accessoires soient effectueacutees sur la reacuteserve il est raisonnable de consideacuterer que lactiviteacute geacuteneacuteratrice de revenus qui est une

130 Voir notamment Dubeacute c La Reine 2009 CAF 109 inf par [2011] 2 RCS 764

Sero c La Reine 2004 CAF 6 Gros-Louis c La Reine 2007 CCI 725 Vachon c La Reine 2007 CCI 641 Large c La Reine 2006 CCI 509 conf par 2007 CAF 360 Lewin c La Reine 2001 DTC 479 2001 CanLII 502 (CCI) conf par 2002 CAF 461

131 Supra note 124 132 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2005-0139031E5

laquo Activiteacutes exerceacutees en dehors de la reacuteserve raquo 17 octobre 2005

568 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

redevance calculeacutee en fonction de la reacutecolte de bois a lieu agrave lendroit ougrave le bois est reacutecolteacute133 raquo

Bien que la gestion des droits de coupe ait eacuteteacute faite sur la reacuteserve au siegravege social de la socieacuteteacute et que la socieacuteteacute ne menait aucune activiteacute de coupe on a consideacutereacute que le lieu de lrsquoactiviteacute eacutetait lrsquoendroit ougrave eacutetait coupeacute le bois soit agrave lrsquoexteacuterieur de la reacuteserve On voit ici que le principe directeur voulant que lrsquoon srsquoattarde uniquement aux activiteacutes meneacutees par la socieacuteteacute elle-mecircme nrsquoest pas respecteacute

On peut se demander si lrsquoARC pourrait deacuteroger aussi agrave son principe directeur dans le cas de revenus de biens de nature plus courante comme les revenus drsquointeacuterecircts ou de dividendes provenant de titres acquis sur les marcheacutes financiers Il serait inteacuteressant de voir si la position des autoriteacutes fiscales sur le revenu drsquointeacuterecircts des socieacuteteacutes deacutetenues par les bandes indiennes serait influenceacutee par les arrecircts Bastien (Succession) c Canada134 et Dubeacute c Canada135 rendus en 2011 Dans ces arrecircts la Cour suprecircme du Canada a partiellement briseacute la logique de lrsquoarrecirct Recalma en matiegravere de revenu de biens Le deacutebat portait encore une fois sur lrsquoexemption destineacutee aux Indiens Le plus haut tribunal du pays a jugeacute que la nature contractuelle drsquoun deacutepocirct agrave terme nrsquoeacutetait pas celle drsquoun mandat et que par le fait mecircme le marcheacute sur lequel lrsquoinstitution financiegravere placcedilait lrsquoargent ne devait pas interfeacuterer dans lrsquoanalyse de lrsquoexemption du contribuable Les autoriteacutes fiscales ont rapidement inteacutegreacute ce nouveau principe dans leur politique visant lrsquoexemption fiscale disponible aux Indiens136

Est-ce que ce raisonnement est applicable aux socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes Il est difficile de reacutepondre agrave cette question tant que les tribunaux ne se seront pas prononceacutes directement dans ce contexte Un eacuteleacutement non neacutegligeable qui devra ecirctre consideacutereacute est le fait que les libelleacutes des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR parlent drsquoactiviteacutes en geacuteneacuteral et rien dans le texte de la loi fiscale nrsquoindique qursquoil srsquoagit uniquement des

133 Id 134 [2011] 2 RCS 710 135 [2011] 2 RCS 764 136 AGENCE DU REVENU DU CANADA Renseignements pour les Indiens section

laquo Revenu drsquointeacuterecircts et de placements [Reacuteviseacute 2011-12-22]raquo en ligne httpwwwcra-arcgccabrgnlsstts-frahtmlhdng2 Voir aussi REVENU QUEacuteBEC Bulletin drsquointerpreacutetation IMP 725-1R3 laquo Revenu de placement gagneacute par un Indien raquo 28 deacutecembre 2012

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 569

activiteacutes de la socieacuteteacute qui veut beacuteneacuteficier de lrsquoexemption comme semble le preacutetendre lrsquoARC

334 Notion de peacuteriode

La compreacutehension de la notion de peacuteriode est aussi essentielle afin drsquoappliquer correctement le test baseacute sur les revenus Agrave premiegravere vue on pourrait penser qursquoil ne srsquoagit que drsquoappliquer le test annuellement lors de lrsquoarrecircteacute des comptes agrave la fin de lrsquoexercice financier Pourtant une lecture plus attentive des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR placeacutes dans le contexte global de lrsquoarticle 149 LIR peut amener le lecteur agrave avoir un autre point de vue et agrave douter de cette premiegravere assertion Le terme laquo peacuteriode raquo revient trois fois dans le texte lorsqursquoon tente de rendre une socieacuteteacute admissible agrave lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR Ce mot apparaicirct seulement deux fois dans lrsquoun ou lrsquoautre des alineacuteas mais il apparaicirct aussi dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR Voici agrave des fins drsquoillustration ce passage introductif mis en relation avec lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR

laquo 149 (1) Aucun impocirct nrsquoest payable [hellip] pour la peacuteriode ougrave cette personne eacutetait

[hellip]

d5) [hellip] une socieacuteteacute [hellip] dont au moins 90 du capital appartenait agrave [hellip] un organisme [hellip] public remplissant une fonction gouvernementale au Canada pourvu que le revenu de la socieacuteteacute [hellip] pour la peacuteriode provenant dactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques des entiteacutes ne deacutepasse pas 10 de son revenu pour la peacuteriode [hellip] raquo (Notre soulignement)

Il y a lieu ici de se poser une question essentielle srsquoagit-il toujours de la mecircme peacuteriode Il semble assez clair que le double emploi du mot dans le corps mecircme de lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR fait reacutefeacuterence agrave la mecircme peacuteriode En effet dans les deux cas on utilise ce terme pour parler du laps de temps durant lequel on deacutetermine le revenu de la socieacuteteacute Dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR le vocable laquo peacuteriode raquo fait vraisemblablement reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps durant lequel la socieacuteteacute viseacutee par lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR est exempteacutee drsquoimpocirct Puisque la peacuteriode dont il est question agrave cet alineacutea fait reacutefeacuterence agrave la condition neacutecessaire pour ecirctre exempteacute drsquoimpocirct et que ce mecircme mot dans le passage introductif du paragraphe 149(1) LIR fait reacutefeacuterence agrave la peacuteriode drsquoexemption elle-mecircme il est tout agrave fait logique de consideacuterer que la triple utilisation de ce terme renvoie agrave la mecircme peacuteriode de temps

570 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Dans la plupart des cas le respect de la condition intrinsegraveque agrave lrsquoexemption dans les divers alineacuteas du paragraphe 149(1) LIR est facilement deacuteterminable Par exemple quand on se demande si une personne est une socieacuteteacute drsquoEacutetat137 ou un fonctionnaire drsquoun pays eacutetranger obligeacute de reacutesider au Canada138 la personne a le statut voulu ou elle ne lrsquoa pas Agrave lrsquoopposeacute agrave lrsquoalineacutea 149(1)d5) LIR on doit se demander non seulement si la socieacuteteacute est deacutetenue agrave au moins 90 par une municipaliteacute ou un organisme public remplissant une fonction gouvernementale mais aussi si le test baseacute sur le concept de revenu dont on exige habituellement lrsquoeacutetablissement de faccedilon cyclique est rempli Le revenu est effectivement eacutetabli sur une base annuelle et il peut ecirctre difficile de le connaicirctre agrave tout moment durant lrsquoanneacutee La loi force parfois les socieacuteteacutes agrave eacutetablir leur revenu en cours drsquoanneacutee une fin drsquoanneacutee eacutetant alors reacuteputeacutee crsquoest le cas notamment lors drsquoune acquisition de controcircle ou drsquoun changement de statut Dans ces situations un signal eacutevident est envoyeacute au contribuable afin qursquoil arrecircte les comptes et qursquoil procegravede agrave lrsquoeacutetablissement de son revenu

En revanche le test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR est beaucoup moins commode Il suffit drsquoimaginer une socieacuteteacute dont le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee serait assez pregraves de 10 Il faut comprendre que theacuteoriquement cette socieacuteteacute devra avoir au jour le jour une ideacutee assez juste de son revenu et de sa composition pour connaicirctre exactement le jour ougrave une fin drsquoanneacutee devra ecirctre reacuteputeacutee139 Eacutetant donneacute le libelleacute de la loi il semble qursquoun chiffre annuel ou trimestriel ne soit pas suffisant pour srsquoy conformer

En effet le test de revenu eacutedicteacute par les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR semble devoir srsquoappliquer sur une peacuteriode continue et non sur une anneacutee Srsquoil srsquoagissait tout simplement drsquoun test annuel le leacutegislateur aurait exigeacute de la socieacuteteacute qursquoelle applique le test de faccedilon peacuteriodique anneacutee apregraves anneacutee et les alineacuteas auraient eacuteteacute reacutedigeacutes en ce sens Toutefois le leacutegislateur nrsquoa pas agi ainsi et semble avoir preacutefeacutereacute un test continu sur une seule et unique peacuteriode pluriannuelle Le test de revenu serait donc un test cumulatif plutocirct que seacutequentiel

En partant de cette constatation on peut srsquointerroger sur la situation hypotheacutetique suivante Supposons qursquoune socieacuteteacute a toujours eu le mecircme

137 Al 149(1)d) LIR 138 Al 149(1)a) LIR 139 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 571

revenu annuel anneacutee apregraves anneacutee Dans ses 10 premiegraveres anneacutees drsquoexploitation elle a exerceacute ses activiteacutes uniquement agrave lrsquointeacuterieur des limites geacuteographiques de son entiteacute actionnaire Agrave lrsquoinverse dans sa 11e anneacutee (ou durant les derniers mois de cette anneacutee) cette mecircme socieacuteteacute a eu seulement des activiteacutes hors de la zone drsquoexemption Cette socieacuteteacute est-elle toujours exempteacutee dans sa 11e anneacutee Si on applique le test en suivant la logique ci-dessus sur les 11 anneacutees la reacuteponse est positive Malheureusement ni les tribunaux ni les administrations fiscales nrsquoont encadreacute la notion de peacuteriode qui est essentielle agrave lrsquoapplication du test de revenu Le contribuable est ainsi laisseacute agrave lui-mecircme en ce qui concerne la deacutetermination des moments auxquels le test de revenu doit ecirctre fait

De ce fait il ne serait pas impossible de voir les administrations fiscales affirmer qursquoagrave lrsquoinverse la socieacuteteacute perde son exemption dans sa 11e anneacutee Elles pourraient soutenir que cette peacuteriode drsquoun an ou mecircme de quelques mois prise isoleacutement ne permet pas agrave la socieacuteteacute de remplir le test de revenu et drsquoecirctre admissible agrave lrsquoexemption Toutefois agrave notre avis cela serait surprenant puisqursquoil existe plusieurs endroits dans la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ougrave le leacutegislateur a pris la peine de preacuteciser le laps de temps qursquoil fallait consideacuterer140 or il ne lrsquoa pas fait au paragraphe 149(1) LIR

335 Conclusions sur les autres notions lieacutees au test de revenu

Nous avons traiteacute de quatre notions inheacuterentes au test contenu dans les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR celles de revenu de lieu drsquoactiviteacutes et de peacuteriode Le parallegravele avec lrsquoimmuniteacute fiscale disponible aux Indiens aide les socieacuteteacutes viseacutees agrave srsquoorienter dans lrsquoaccomplissement de ce test de revenu Une fois de plus il faut rappeler que les tribunaux ne se sont pas encore pencheacutes directement sur la faccedilon dont ce test doit ecirctre effectueacute Selon la situation certaines prises de position pourraient engendrer des risques fiscaux importants Il serait donc judicieux drsquoadresser une demande de deacutecision anticipeacutee agrave la Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct de lrsquoARC afin drsquoeacuteviter toute surprise quant agrave lrsquointerpreacutetation qursquoelle pourrait faire de ces diverses notions

En ce qui concerne le terme laquo revenu raquo le premier reacuteflexe serait drsquoopter pour le revenu net Toutefois une argumentation en faveur du revenu brut

140 Voir notamment lrsquoalineacutea 8(1)h) ainsi que les paragraphes 18(93) 89(1) laquo compte de

dividendes en capital raquo 1106(1) laquo action admissible de petite entreprise raquo et 161(1) LIR

572 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

serait possible mais elle megravenerait presque ineacutevitablement agrave un diffeacuterend avec lrsquoARC en cas de veacuterification

Le lieu drsquoune activiteacute quant agrave lui sera deacutetermineacute selon lrsquoendroit ougrave est situeacute le processus consistant agrave geacuteneacuterer un revenu On ne doit pas srsquoattarder aux activiteacutes accessoires mais tenter de situer lrsquoeffort qui est sous-jacent agrave lrsquoactiviteacute principale elle-mecircme

Pour ce qui est de la notion drsquoactiviteacutes on comprend qursquoelle suppose un effort minimal Du point de vue de lrsquoARC le processus menant agrave lrsquoobtention drsquoune subvention ne serait pas une activiteacute alors que le fait de geacuteneacuterer un revenu de biens le serait On doit consideacuterer chaque type drsquoactiviteacute indeacutependamment et si une seule activiteacute srsquoeffectue agrave plusieurs endroits elle doit ecirctre segmenteacutee

Enfin le mot laquo peacuteriode raquo semble faire reacutefeacuterence agrave lrsquointervalle de temps total pendant lequel lrsquoexemption srsquoapplique Il ne srsquoagirait donc pas drsquoun concept seacutequentiel mais plutocirct drsquoune dureacutee qui cumule plusieurs anneacutees Il y a toutefois un risque drsquointerpreacutetation divergente de la part des administrations fiscales puisqursquoelles nrsquoont rien publieacute sur le sens agrave donner agrave ce terme dans lrsquoaccomplissement du test baseacute sur les revenus

34 EXCEPTION PREacuteVUE AU PARAGRAPHE 149(12) LIR

Les alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR commencent par preacuteciser que leur application est sous reacuteserve notamment du paragraphe 149(12) LIR141 Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR se lit comme suit

laquo 149 (12) Pour lrsquoapplication des alineacuteas (1) d5) et d6) le revenu drsquoune socieacuteteacute commission ou association provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees en dehors des limites geacuteographiques drsquoune municipaliteacute ou drsquoun organisme municipal ou public ne comprend pas le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees selon le cas

a) aux termes drsquoune convention eacutecrite dont les parties sont

(i) la socieacuteteacute commission ou association

(ii) Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province une municipaliteacute un organisme municipal ou public ou une socieacuteteacute agrave laquelle srsquoapplique lrsquoun des alineacuteas (1) d) agrave d6) qui est controcircleacutee par Sa Majesteacute du chef du Canada ou drsquoune province par une

141 Lrsquoeacutequivalent queacutebeacutecois du paragraphe 149(12) LIR est lrsquoarticle 98501 LI

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 573

municipaliteacute du Canada ou par un organisme municipal ou public du Canada

dans les limites geacuteographiques suivantes

(iii) si la convention est conclue avec Sa Majesteacute du chef du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles du Canada

(iv) si elle est conclue avec Sa Majesteacute du chef drsquoune province ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la province

(v) si elle est conclue avec une municipaliteacute du Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celle-ci celles de la municipaliteacute

(vi) si elle est conclue avec un organisme municipal ou public remplissant une fonction gouvernementale au Canada ou une socieacuteteacute controcircleacutee par celui-ci celles viseacutees au paragraphe (11) relativement agrave cet organisme ou cette socieacuteteacute [hellip] raquo

341 Application de lrsquoexception et notion de convention eacutecrite

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit donc une exception pour certains revenus provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone exempteacutee et qui normalement auraient eacuteteacute assujettis agrave la limite de 10 preacutevue dans le test de revenu Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR a pour effet drsquoajouter agrave la zone geacuteographique drsquoun organisme public remplissant une fonction gouvernementale la zone geacuteographique drsquoune personne viseacutee avec qui une convention eacutecrite est conclue Ces personnes peuvent ecirctre le gouvernement du Canada le gouvernement drsquoune province une municipaliteacute un autre organisme public remplissant une fonction gouvernementale ou toute socieacuteteacute exempteacutee en vertu drsquoun des alineacuteas 149(1)d) agrave 149(1)d6) LIR et controcircleacutee par une des personnes qui preacutecegravedent Cette disposition est particuliegraverement inteacuteressante dans le contexte des bandes indiennes car plusieurs contrats leur sont octroyeacutes par les gouvernements

Cela eacutetant dit il faut srsquointerroger sur les effets concrets de cette disposition sur le test de revenu Encore une fois puisque cette disposition est relativement reacutecente les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute tregraves prolifiques dans leurs directives De son cocircteacute lrsquoARC a confirmeacute que le revenu exclu par le paragraphe 149(12) LIR du revenu reacutealiseacute agrave lrsquoexteacuterieur des limites

574 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

geacuteographiques ne doit pas ecirctre aussi exclu du calcul du revenu total pour la peacuteriode aux fins des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR142

Il y a aussi lieu de srsquointerroger sur le sens que lrsquoon doit accorder agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Par le passeacute lrsquoARC a deacutejagrave soutenu qursquoune convention eacutecrite eacutetait en fait un contrat143 Le sens ordinaire de cette expression est pourtant tout simplement un accord entre deux ou plusieurs personnes sur un fait preacutecis144 qui est consigneacute par eacutecrit

En 2008 la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoest prononceacutee sur le sens que lrsquoon devait donner agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Dans cette affaire on cherchait justement agrave savoir si une entiteacute municipale avait droit agrave lrsquoexemption fiscale deacutecoulant de lrsquoapplication des alineacuteas 149(12)a) et 149(1)d5) LIR quant au revenu gagneacute en dehors des limites geacuteographiques de la municipaliteacute Le juge Sheridan srsquoexprima ainsi laquo Je retiens eacutegalement la thegravese de lrsquoappelante selon laquelle il nrsquoy a pas lieu de restreindre le sens du terme ldquoconventionrdquo agrave celui de contrat en bonne et due forme145 raquo Il rappelle que la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a eacuteteacute claire agrave ce sujet en preacutecisant qursquoune convention ne creacutee pas forceacutement des droits et obligations de nature contractuelle ce qui lrsquoa conduit agrave conclure qursquoune seacuterie de lettres constituaient une convention eacutecrite146 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct a donc accepteacute de consideacuterer un regraveglement interne de lrsquoentiteacute actionnaire de la socieacuteteacute Sakitawak comme eacutetant une convention eacutecrite au sens du paragraphe 149(12) LIR entre la province de la Saskatchewan et la socieacuteteacute mecircme si cette derniegravere nrsquoavait ni signeacute ni eacutecrit quoi que ce soit147 Le raisonnement du juge reposait sur le fait que le regraveglement adopteacute avait eacuteteacute indirectement approuveacute par la province

Bien que cette affaire srsquoinscrive dans un contexte leacutegal bien particulier drsquoune socieacuteteacute constitueacutee en vertu de la Northern Municipalities Act148 elle 142 Tax Window Files preacuteciteacute note 104 143 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 9426215 laquo Bien agricole

admissible ndash Acquis par leg ndash Conjoint raquo 30 janvier 1995 144 Le Petit Robert 1 Paris Les dictionnaires Le Robert 2010 laquo convention raquo 145 Sakitawak Development Corporation c La Reine 2008 CCI 529 (laquo Sakitawak raquo)

par 33 146 Id par 34 renvoyant agrave lrsquoarrecirct Bow River Pipe Lines Ltd c La Reine 97 DTC

5385 5398 (CAF) 147 Id par 53 148 Statutes of Saskatchewan 1983 c N-51

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 575

permet de constater que les tribunaux peuvent donner un sens tregraves large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo Il y a donc lieu de se demander jusqursquoougrave les tribunaux seraient precircts agrave aller dans leur interpreacutetation libeacuterale de cette expression Si un regraveglement interne peut ecirctre consideacutereacute comme une convention eacutecrite ne pourrait-on pas penser qursquoun simple bon de commande ou une facture pourrait aussi constituer une convention eacutecrite

Retenons en tout cas qursquoune convention eacutecrite nrsquoest pas neacutecessairement un contrat mais qursquoagrave lrsquoinverse un contrat serait forceacutement une convention eacutecrite Il semble aussi important selon lrsquoARC qursquoil y ait un lien direct entre la convention et le revenu puisqursquoelle est drsquoavis que le revenu provenant de la sous-traitance drsquoun des contrats agrave un tiers ne peut pas ecirctre exclu par le paragraphe 149(12) LIR149 Le revenu provenant drsquoactiviteacutes exerceacutees agrave lrsquoexteacuterieur de la zone geacuteographique doit donc ecirctre la conseacutequence directe de la convention eacutecrite

342 Conclusion sur le paragraphe 149(12) LIR

Le paragraphe 149(12) LIR preacutevoit lrsquoexclusion de certains revenus provenant de conventions eacutecrites conclues avec les gouvernements canadiens les municipaliteacutes les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale et les socieacuteteacutes exempteacutees que ces entiteacutes controcirclent Le principe veut que lrsquoon ajoute les limites geacuteographiques de lrsquoentiteacute avec laquelle on a conclu lrsquoentente agrave celles de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale qui est actionnaire de la socieacuteteacute constitueacutee

Les tribunaux ont donneacute un sens assez large agrave lrsquoexpression laquo convention eacutecrite raquo en ne la restreignant pas agrave un contrat Il est important de comprendre que le lien entre le revenu et la convention doit absolument ecirctre direct Le fait de sous-traiter avec un tiers des travaux relatifs agrave une convention conclue par deux autres entiteacutes nrsquoa pas pour effet de faire du tiers une partie agrave cette convention

4 EacuteLEacuteMENTS DE PLANIFICATION FISCALE

Il convient de sensibiliser le lecteur agrave certains piegraveges et agrave quelques eacuteleacutements de planification fiscale importants pour optimiser la situation fiscale drsquoune bande indienne et de ses socieacuteteacutes Nous aborderons quatre questions la perte de statut drsquoentiteacute exempteacutee quelques astuces lorsqursquoune socieacuteteacute ne peut ecirctre exempteacutee la reacutedaction des contrats avec les entiteacutes viseacutees 149 Tax Window Files preacuteciteacute note 132

576 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

par lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR et enfin quelques remarques touchant les employeacutes des socieacuteteacutes viseacutees par lrsquoexemption

41 PREacuteCARITEacute DU STATUT DrsquoENTITEacute EXEMPTEacuteE

Le premier eacuteleacutement qursquoil est important de faire ressortir concerne les cascades de socieacuteteacutes Les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes nrsquoeacutechappent pas aux structures de socieacuteteacutes classiques composeacutees drsquoune socieacuteteacute de gestion qui est actionnaire drsquoune ou de plusieurs socieacuteteacutes exploitantes Nous avons vu que les filiales des socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes pouvaient aussi beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Lrsquoalineacutea 149(1)d6) LIR rend en effet admissibles agrave lrsquoexemption toutes les filiales en proprieacuteteacute exclusive de socieacuteteacutes qui sont exempteacutees en vertu de lrsquoalineacutea 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR

Dans la situation ougrave il existe une socieacuteteacute de gestion et une filiale il faut cependant accorder une importance particuliegravere agrave lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexemption de la socieacuteteacute megravere Le simple fait que la socieacuteteacute megravere deacutecide drsquoexeacutecuter elle-mecircme un contrat important agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques de lrsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale pourrait compromettre non seulement son statut drsquoentiteacute exempteacutee mais aussi celui de toutes ses filiales Il est donc crucial drsquoeacuteviter lrsquoexploitation drsquoentreprises au sein de la socieacuteteacute megravere et de lui reacuteserver uniquement les activiteacutes de gestion de ses filiales afin de ne pas risquer de faire perdre le statut drsquoentiteacute exempteacutee agrave toutes les socieacuteteacutes du groupe

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lorsqursquoil a eacuteteacute question du test de revenu preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR nous avons indiqueacute que ce test doit ecirctre appliqueacute de maniegravere constante et continuelle Cela signifie qursquoune socieacuteteacute qui se situe pregraves de la limite de 10 pourrait ecirctre exempteacutee agrave un certain moment ne plus lrsquoecirctre quelques semaines plus tard et redevenir exempteacutee agrave nouveau par la suite Lrsquoeffet drsquoun tel changement de statut est beaucoup plus lourd qursquoon pourrait le penser Plusieurs conseacutequences fiscales seraient alors deacuteclencheacutees Il y aurait ainsi une fin drsquoanneacutee reacuteputeacutee une disposition agrave la juste valeur marchande de tous les biens et tous les soldes de pertes seraient rameneacutes agrave zeacutero150 On comprend donc que les changements successifs de statut sont agrave eacuteviter

Une bonne faccedilon drsquoeacutechapper agrave ces conseacutequences neacutegatives est de deacuteterminer quels sont les projets hors limite qui sont susceptibles de mettre

150 Par 149(10) LIR

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 577

en peacuteril le statut drsquoentiteacute exempteacutee de la socieacuteteacute en question et drsquoexeacutecuter ces projets agrave lrsquointeacuterieur drsquoune filiale deacutedieacutee agrave cette fin Ainsi on eacuteviterait de contaminer les autres socieacuteteacutes qui pourraient toujours beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Bien entendu cela neacutecessite un suivi assez serreacute et on doit ecirctre en mesure de preacutevoir les revenus et les coucircts de maniegravere assez preacutecise

Drsquoautres solutions peuvent aussi ecirctre envisageacutees afin de preacuteserver le statut drsquoentiteacute exempteacutee des socieacuteteacutes viseacutees On pourrait attribuer les projets contaminants du point de vue du test de revenu entre les diverses filiales du groupe afin que les revenus qui en deacutecoulent constituent moins de 10 des revenus totaux de chacune des socieacuteteacutes Lrsquoanalyse plus pousseacutee de lrsquoimputation des coucircts indirects offre aussi une piste inteacuteressante Il est possible qursquoune reacutepartition diffeacuterente mais toujours raisonnable permette de garantir ou de faciliter le statut drsquoentiteacute exempteacutee Dans tous les cas une bonne connaissance des activiteacutes du groupe de socieacuteteacutes sera indispensable et permettra drsquoidentifier les strateacutegies optimales agrave adopter

42 OPTIMISATION DE LA SITUATION FISCALE EN PREacuteSENCE DE

SOCIEacuteTEacuteS NON EXEMPTEacuteES

On a vu qursquoune socieacuteteacute deacutesirant exercer ses activiteacutes de faccedilon importante agrave lrsquoexteacuterieur des limites geacuteographiques drsquoune bande indienne et qui ne traite pas avec des entiteacutes viseacutees agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne pourra pas se preacutevaloir de lrsquoexemption preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) ou 149(1)d6) LIR Puisque cette socieacuteteacute serait assujettie agrave lrsquoimpocirct il y a lieu de srsquointerroger sur la faccedilon drsquoorganiser ses affaires afin drsquoobtenir une situation fiscale optimale

Une faccedilon simple de reacuteduire le fardeau fiscal de la socieacuteteacute serait le recours aux frais de gestion que la bande indienne ou la socieacuteteacute megravere pourrait facturer agrave la socieacuteteacute non exempteacutee Le profit de celle-ci serait ainsi partiellement transfeacutereacute agrave une entiteacute exempteacutee Il ne faut pas oublier que la deacuteductibiliteacute de ces frais de gestion serait toutefois soumise au critegravere de raisonnabiliteacute preacutevu agrave lrsquoarticle 67 LIR LrsquoARC a drsquoailleurs eacuteteacute reacutecemment appeleacutee agrave se prononcer sur cette pratique151 On lui a soumis la situation drsquoune socieacuteteacute qui annulait systeacutematiquement tous ses profits par des frais de gestion qui ne faisaient pas lrsquoobjet drsquoun contrat et qui variaient drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre selon le niveau de profit de la socieacuteteacute non exempteacutee La position de lrsquoARC agrave lrsquoeacutegard de cette faccedilon de faire ne semble pas se soucier des motivations conduisant ou non agrave la facturation de frais de gestion

151 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 2009-0311861I7 laquo Issues

par 149(1)(c) and Proposed par149(1)(d5) raquo 21 juillet 2010

578 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

On explique simplement qursquoon doit veacuterifier le caractegravere raisonnable des frais qui selon lrsquoARC doit correspondre agrave la valeur marchande des services de gestion rendus Le recours aux frais de gestion est donc limiteacute et on ne peut pas envisager de ramener un revenu imposable important agrave zeacutero si les services de gestion identifiables ne le justifient pas

Il existe une autre possibiliteacute pour reacuteduire le revenu imposable drsquoune socieacuteteacute non exempteacutee drsquoimpocirct Les leacutegislateurs au moment mecircme ougrave ils ajoutaient les socieacuteteacutes deacutetenues par des organismes publics remplissant une fonction gouvernementale au libelleacute des alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et des paragraphes 985f) et 985g) LI ont aussi ajouteacute les organismes publics remplissant une fonction gouvernementale agrave la liste des donataires reconnus aux articles 1101 et 1181 LIR ainsi qursquoaux articles 710 et 7520101 LI Les bandes indiennes ayant le statut drsquoorganismes publics remplissant une fonction gouvernementale sont donc maintenant en mesure de deacutelivrer des reccedilus fiscaux pour dons comme les organismes de bienfaisance ou les municipaliteacutes152 Une socieacuteteacute faisant un don agrave la bande indienne pourrait alors deacuteduire ce montant de son revenu imposable153 Toutefois il serait impossible de ramener le revenu agrave zeacutero puisque la deacuteduction est limiteacutee en fonction du revenu net154 Il est important de preacuteciser que pour ecirctre deacuteductible dans une anneacutee drsquoimposition le don doit avoir eacuteteacute laquo fait au courant de lrsquoanneacutee raquo155 Selon lrsquoarticle 1806 CcQ la donation suppose un transfert en conseacutequence si les sommes ne sont pas transfeacutereacutees dans lrsquoanneacutee lrsquoadministration fiscale pourrait contester le fait qursquoil y ait vraiment eu un don entre le donateur et le donataire

Les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jamais eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer sur cette faccedilon de faire il est donc actuellement impossible de deacuteterminer si cette pratique pourrait ecirctre jugeacutee abusive en vertu de la regravegle geacuteneacuterale antieacutevitement Advenant une contestation justifieacutee de lrsquoadministration fiscale agrave cet eacutegard il nrsquoy aurait pas de conseacutequence fiscale pour la bande indienne puisque celle-ci est exempteacutee mais la socieacuteteacute risquerait de perdre sa deacuteduction pour dons et de devoir payer lrsquoimpocirct suppleacutementaire et les inteacuterecircts srsquoy rattachant Aussi serait-il judicieux drsquoobtenir lrsquoopinion de lrsquoARC sur cette faccedilon de proceacuteder aupregraves de la

152 Voir notamment Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique

2011-0405881E5 laquo Qualified Donee for Receipting Purposes raquo 1er juin 2011 153 S-al 1101(1)a)(iv1) LIR et s-par 710a)v01) LI 154 Al 1101(1)a) LIR et art 711 LI 155 Tax Window Files preacuteciteacute note 151

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 579

Direction des deacutecisions de lrsquoimpocirct avant de mettre de lrsquoavant une telle pratique

43 REacuteDACTION DES CONTRATS

Nous avons vu qursquoune convention eacutecrite ne suppose pas neacutecessairement une obligation contractuelle Nous recommandons toutefois agrave toute socieacuteteacute qui veut se preacutevaloir de lrsquoexception preacutevue au paragraphe 149(12) LIR de conclure un contrat en bonne et due forme pour des raisons commerciales et pour eacuteviter que les autoriteacutes fiscales puissent douter de lrsquoexistence de la convention eacutecrite Pour des raisons tant politiques que juridiques les gouvernements ont tendance agrave vouloir conclure les ententes directement avec les conseils de bande Rappelons cependant que les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont des personnes morales distinctes et ne beacuteneacuteficient pas du statut drsquoIndien Malgreacute cette reacutealiteacute certaines entiteacutes gouvernementales peuvent leur attribuer des contrats sans passer par le processus drsquoappel drsquooffres156 Neacuteanmoins les socieacuteteacutes deacutetenues par des bandes indiennes sont normalement assujetties agrave ce processus au mecircme titre que les autres socieacuteteacutes157 Il est donc possible qursquoune bande indienne ait agrave conclure directement une entente de services afin drsquoobtenir de faccedilon preacutefeacuterentielle un contrat158

Dans de telles circonstances ougrave une entente serait conclue directement avec la bande indienne qui sous-traiterait lrsquoouvrage agrave lrsquoune de ses socieacuteteacutes il faudrait srsquointerroger sur lrsquoadmissibiliteacute agrave lrsquoexception preacutevue agrave lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR Puisque la deacutecision Sakitawak159 repose sur des faits bien particuliers lrsquoARC pourrait en faire abstraction et consideacuterer que la socieacuteteacute sous-traitante qui veut ecirctre exempteacutee aurait une convention eacutecrite seulement avec la bande indienne et non pas avec le gouvernement Les limites geacuteographiques applicables agrave lrsquoexemption ne srsquoeacutetendraient donc pas agrave celles du gouvernement en question mais elles seraient plutocirct restreintes agrave celles de la bande Lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne serait alors drsquoaucune utiliteacute

156 Voir par exemple SOCIEacuteTEacute DE DEacuteVELOPPEMENT DE LA BAIE-JAMES

Politique RS-10 laquo Acquisition de biens et de services raquo 1er octobre 2008 art 47 (en ligne httpwwwsdbjgouvqccapdfdocumentsPolitique20acquisition20de 20biens20et20de20servicespdf)

157 Voir notamment Loi sur le ministegravere des Transports LRQ c M-28 art 3 158 Voir par exemple GRAND COUNCIL OF THE CREES Joint Press Release of Cree

Nation of Mistissini and Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) 26 janvier 2012 (en ligne httpwwwgcccanewsarticlephpid=261)

159 Preacuteciteacute note 145

580 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une faccedilon de reacutegler cette situation facirccheuse serait de preacutevoir la sous-traitance de la bande avec sa socieacuteteacute dans le corps mecircme de lrsquoentente qui serait signeacutee avec le gouvernement srsquoil y consent La volonteacute du gouvernement de traiter directement avec la bande indienne serait ainsi respecteacutee et la socieacuteteacute sous-traitante quant agrave elle serait partie agrave une convention eacutecrite entre elle son actionnaire et le gouvernement Le texte de lrsquoalineacutea 149(12)a) LIR ne preacutecise pas que la convention doit ecirctre conclue uniquement entre deux parties Encore une fois il est important de rappeler que les tribunaux et les administrations fiscales nrsquoont jusqursquoici pas eu lrsquooccasion de se prononcer sur une telle situation Toutefois lrsquoouverture dont la Cour canadienne de lrsquoimpocirct a fait preuve dans lrsquoaffaire Sakitawak est drsquoun certain reacuteconfort advenant une meacutesentente avec lrsquoadministration fiscale agrave ce sujet

44 CONSIDEacuteRATIONS VISANT LES EMPLOYEacuteS

Lorsque nous avons abordeacute lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens il a eacuteteacute question de la meacutethode baseacutee sur les facteurs de rattachement pour situer geacuteographiquement un revenu Comme il a eacuteteacute mentionneacute lrsquoendroit ougrave se situe le siegravege social de la socieacuteteacute nrsquoest pas important pour qursquoelle puisse beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Par contre le fait que la reacutesidence de lrsquoemployeur soit sur la reacuteserve est un facteur tregraves important dans la deacutetermination du situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien

Deux des quatre lignes directrices publieacutees par lrsquoARC160 sur le situs du revenu drsquoemploi drsquoun Indien reposent en partie sur la reacutesidence de lrsquoemployeur La ligne directrice no 2 preacutevoit que le revenu drsquoemploi sera habituellement exoneacutereacute si lrsquoIndien et lrsquoemployeur reacutesident sur la reacuteserve La ligne directrice no 3 propose drsquoexoneacuterer drsquoimpocirct le mecircme revenu si lrsquoIndien ou lrsquoemployeur reacuteside sur la reacuteserve et que plus de 50 des tacircches lieacutees agrave lrsquoemploi sont accomplies dans la reacuteserve Il est donc important que la socieacuteteacute ait son siegravege social sur la reacuteserve afin de ne pas peacutenaliser ses employeacutes indiens et par le fait mecircme pour faciliter le recrutement et la reacutetention de sa main-drsquoœuvre

CONCLUSION

Nous avions comme objectif principal de deacuteterminer dans quelle mesure une socieacuteteacute deacutetenue par une bande indienne pouvait se preacutevaloir de

160 Tax Window Files preacuteciteacute note 13 interpreacutetation technique 4M00908 laquo Indiens ndash

Exoneacuteration du revenu ndash Lignes directrices raquo 29 juin 1994

DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNEShellip 581

lrsquoexemption fiscale preacutevue aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR ainsi qursquoaux paragraphes 985f) et 985g) LI Malgreacute le remaniement de ces dispositions pour y pourvoir plusieurs zones grises sur lesquelles les tribunaux nrsquoont pas encore eacuteteacute appeleacutes agrave se prononcer subsistent

Mecircme srsquoil peut ecirctre relativement simple pour une bande indienne de beacuteneacuteficier du statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale le statut drsquoentiteacute exempteacutee nrsquoest pas pour autant acquis par les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient

Dans cette tacircche ardue visant agrave ce que ces socieacuteteacutes beacuteneacuteficient de lrsquoexemption le recours aux principes deacutecoulant de lrsquoimmuniteacute fiscale des Indiens est un outil preacutecieux En effet les tribunaux ont eacuteteacute tregraves actifs en ce qui a trait agrave lrsquoimmuniteacute fiscale deacutecoulant du statut drsquoIndien

De plus une tregraves bonne connaissance du contexte juridique entourant une bande indienne est requise afin de deacuteterminer si les socieacuteteacutes qursquoelle deacutetient peuvent beacuteneacuteficier de lrsquoexemption fiscale Crsquoest encore plus vrai lorsque vient le temps de deacuteterminer la zone geacuteographique permettant lrsquoexemption Les questions territoriales des Premiegraveres Nations sont agrave prendre en compte dans cette deacutetermination

Nous avons fait aussi ressortir les particulariteacutes importantes du test baseacute sur les revenus preacutevu aux alineacuteas 149(1)d5) et 149(1)d6) LIR et aux paragraphes 985f) et 985g) LI Il est important agrave cet eacutegard drsquoecirctre sensibiliseacute agrave la preacutecariteacute de lrsquoexemption fiscale et aux conseacutequences indeacutesirables qui peuvent survenir advenant sa perte

En deacutefinitive il est assez facile pour une socieacuteteacute nrsquoexploitant son entreprise que sur les terres de la communauteacute de beacuteneacuteficier de lrsquoexemption Toutefois lrsquoincertitude apparaicirct quand les occasions drsquoaffaires proviennent de lrsquoexteacuterieur

Les pratiques fiscales actuelles reposent en grande partie sur le fait que les administrations fiscales se sont montreacutees relativement transparentes et accommodantes dans leurs positions administratives Il faut toutefois garder agrave lrsquoesprit que les positions administratives peuvent changer

Dans la mesure ougrave les bandes indiennes prendront de plus en plus drsquoimportance dans le deacuteveloppement du Nord queacutebeacutecois on peut srsquoattendre agrave ce que lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication de la leacutegislation fiscale que nous avons eacutevoqueacutee eacutevoluent au cours des anneacutees agrave venir

582 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

ANNEXE

Statut drsquoorganisme public remplissant une fonction gouvernementale Sommaire des interpreacutetations favorables aux bandes indiennes

qui ont eacuteteacute justifieacutees par lrsquoARC

Adoption Services aux Deacutemocratie Nature des Neacutegociationde regraveglements membres (no te 1) imputabiliteacute fonctions dententes (no te 2)

2012-0447241R3 x x2011-0391831R3 x x2010-0360361R3 x2010-0362371R3 x x x x2010-0372611R3 x x2009-0311861I7 x x2009-0310851I7 x x2009-0311171R3 x x x2008-0294231R3 x x2008-0272731R3 x2008-0282491R3 x x x2008-0295711R3 x x x2006-0173611R3 x x x2006-0201611R3 x2006-0168841R3 x x2006-0166731R3 x x x2005-0126261R3 x x2005-0136981R3 x x x2003-0035821R3 x

2003-0028403 x x2003-0000463 x2003-0035443 x2003-0028343 x x2002-0170903 x x2002-0127663 x x2001-0068273 x x x2001-0091433 x2001-0106633 x x1999-0006543 x x1999-0005513 x x x

9917483 x x

Note 1 Travaux publics services sociaux et programmes dinfrastructure

Note 2 Revendications territoriales ententes en matiegravere de santeacute etc

Interpreacutetations techniques

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 583

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI

SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES

Alex Boisvert Maxime Dupuis LL B LL B Direction du contentieux Direction du contentieux fiscal et civil fiscal et civil Revenu Queacutebec Revenu Queacutebec

PREacuteCIS

En 1940 le Parlement du Canada a instaureacute un reacutegime drsquoassurance-chocircmage Au fil des anneacutees ce reacutegime a subi diverses modifications Toutefois lrsquoobjectif de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi est demeureacute sensiblement le mecircme eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui cherche agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs qui perdent leur revenu drsquoemploi par le versement temporaire de prestations

Pour ecirctre admissible au reacutegime drsquoassurance-emploi il faut occuper un laquo emploi assurable raquo La Loi sur lrsquoassurance-emploi preacutevoit plusieurs types drsquoemplois assurables Les auteurs srsquoen tiennent agrave analyser les cas ougrave lrsquoemployeacute et lrsquoemployeur ont un lien de deacutependance entre eux notamment

584 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

parce qursquoils sont lieacutes par le sang le mariage ou une union civile ou par une deacutetention drsquoactions dans la socieacuteteacute laquo employeur raquo

La regravegle veut qursquoun employeacute ayant avec son employeur un lien de deacutependance de fait ou un lien de deacutependance de droit (personnes lieacutees) au sens de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu ne peut occuper un emploi assurable et par le fait mecircme ne peut beacuteneacuteficier de prestations drsquoassurance-emploi Cependant si lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lieacutes montrent qursquoils auraient conclu un contrat de travail similaire srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance lrsquoemployeacute pourra faire exception agrave la regravegle et beacuteneacuteficier du reacutegime Il srsquoagit de lrsquoapplication de lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Les auteurs analysent les critegraveres preacutevus agrave cet alineacutea et utiliseacutes par les tribunaux pour deacuteterminer si un emploi entre personnes lieacutees peut ou non ecirctre consideacutereacute comme assurable

ABSTRACT

In 1940 the Parliament of Canada has introduced an unemployment insurance program Various changes have been made in the program over the years However the purpose of the Unemployment Insurance Act which was replaced by the Employment Insurance Act in 1996 has remained essentially the same namely the establishment of an insurance program that is based on the concept of social risk and which preserves the economic security of workers for loss of income from their employment through temporary income replacement benefits

To be entitled to those benefits a claimant must have performed services under an ldquoinsurable employmentrdquo The Employment Insurance Act provides for several types of insurable employment The authors stick to analyze cases where the employee and the employer are not dealing with each other at armrsquos length because they are related by blood marriage civil union or shareholding in the ldquoemployerrdquo corporation

The rule is that where an employee and an employer are not dealing with each other at armrsquos length within the meaning of the Income Tax Act (in a de facto non-armrsquos length relationship or as related persons) the employment does not qualify as an insurable employment and as a consequence thereof the employee is not eligible to employment insurance benefits However if it is demonstrated that the employer and the employee who are related persons would have entered into a similar contract of employment if they have been dealing with each other at armrsquos length subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act makes an exception to the rule and the employee will qualify for employment insurance benefits

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 585

Subparagraph 5(3)(b) of the Employment Insurance Act sets out various factors to be examined In this paper the authors analyze the application of those factors by the courts when deciding whether or not an employment is insurable

Agrave la suite du deacutecegraves accidentel de Me Jacques Cocircteacute lequel avait eacuteteacute preacutesident du conseil drsquoadministration de lrsquoAPFF celle-ci a contribueacute au Fonds Jacques-Cocircteacute geacutereacute par la Fondation de lrsquoUniversiteacute Laval Les revenus geacuteneacutereacutes par ce fonds servent agrave lrsquooctroi de bourses aux eacutetudiants du baccalaureacuteat en droit qui ont reacutedigeacute un travail de qualiteacute en droit fiscal

LrsquoAPFF est fiegravere de publier dans ce numeacutero de la Revue le texte reacutedigeacute par les deux premiers reacutecipiendaires de cette bourse

Au moment de la publication Mme Alex Boisvert avait eacuteteacute assermenteacutee comme avocate pour sa part M Maxime Dupuis sera assermenteacute comme avocat en novembre 2013

586 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

TABLE DES MATIEgraveRES

INTRODUCTION 587

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN CONTRAT DE TRAVAIL 590

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE 591

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE 591

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo 593

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE 594

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE 596

31 LA REacuteMUNEacuteRATION 596 32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI 599 33 LA DUREacuteE 600 34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES 602

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS 604

CONCLUSION 608

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 587

INTRODUCTION

Le reacutegime drsquoassurance-emploi a eacuteteacute instaureacute au Canada par la Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage1 adopteacutee par le Parlement du Canada en reacuteponse agrave la situation eacuteconomique et sociale difficile qui avait cours alors

Lrsquoabsence de seacutecuriteacute financiegravere chez les travailleurs avait poseacute de nombreux problegravemes au deacutebut du XXe siegravecle Le Rapport de la Commission royale sur les relations industrielles au Canada de 1919 recommandait lrsquoimplantation drsquoun systegraveme de seacutecuriteacute sociale pour les travailleurs2 Ce rapport avait comme objectif de proposer des solutions aux nombreux problegravemes qui marquaient les relations patronales-ouvriegraveres notamment augmenter le salaire reacuteduire les heures de travail et pallier le risque de chocircmage3 La situation eacuteconomique des anneacutees 1930 et lrsquoindustrie du secteur primaire qui eacutetait plus propice au chocircmage creacuteaient une preacutecariteacute drsquoemploi pour lrsquoensemble de la classe ouvriegravere En 1935 la premiegravere tentative du Parlement du Canada de creacuteer un systegraveme de seacutecuriteacute sociale fut la Loi sur le placement et les assurances sociales4 mais celle-ci srsquoest heurteacutee aux limites constitutionnelles canadiennes et fut invalideacutee La Cour suprecircme du Canada jugea en effet que le Parlement du Canada ne deacutetenait pas la compeacutetence constitutionnelle neacutecessaire pour adopter un tel reacutegime de seacutecuriteacute sociale puisque celui-ci touchait agrave la compeacutetence provinciale en matiegravere de proprieacuteteacute et de droits civils5 Cette deacutecision fut confirmeacutee par le Comiteacute judiciaire du Conseil priveacute de Londres6 En reacuteaction agrave cet arrecirct lrsquoActe de lrsquoAmeacuterique du Nord britannique (connu depuis 1982 sous le titre de Loi constitutionnelle

1 Loi de 1940 sur lrsquoassurance-chocircmage SC 1940 ch 44 2 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES Rapport de la

commission pour srsquoenqueacuterir des relations industrielles au Canada Ottawa 1919 DA SMITH laquo Employment Insurance raquo The Canadian Encyclopedia (en ligne httpwwwthecanadianencyclopediacomarticlesemployment-insurance)

3 COMMISSION ROYALE SUR LES RELATIONS INDUSTRIELLES preacuteciteacute note 2 Section 21 du Rapport

4 SC 1935 ch 38 5 Reference re legislative jurisdiction of Parliament of Canada to enact the Employment

and Social Insurance Act (1935 c 48) [1936] SCR 427 6 Canada (AG) v Ontario (AG) [1937] AC 355 (CP) T Stephen LAVENDER

The 2010 Annotated Employment Insurance Act Toronto Carswell 2010 p v

588 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

de 18677) fut modifieacute pour confeacuterer au Parlement du Canada compeacutetence en matiegravere drsquoassurance-chocircmage8

Degraves 1940 la premiegravere loi visant agrave instaurer une assurance sociale contre le risque de chocircmage fut adopteacutee9 Au deacutepart les prestations preacutevues dans la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage eacutetaient accessibles agrave un nombre limiteacute de cateacutegories drsquoemplois10 La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage11 qui est devenue en 1996 la Loi sur lrsquoassurance-emploi12 a fait lrsquoobjet de plusieurs modifications qui ont notamment eacutelargi son champ drsquoapplication en incluant drsquoautres types drsquoemplois admissibles aux avantages offerts par le reacutegime13 En deacutepit de lrsquoeacutevolution de la protection offerte lrsquoobjectif de la loi est demeureacute sensiblement le mecircme depuis son adoption14 La Loi sur lrsquoassurance-emploi actuelle continue de viser agrave eacutetablir un programme fondeacute sur le risque social qui tend agrave preacuteserver la seacutecuriteacute eacuteconomique des travailleurs par le versement temporaire de prestations en cas de cessation drsquoemploi ainsi que le rattachement de ces derniers au marcheacute du travail15 Lrsquoassurabiliteacute est le principe cardinal qui permet de beacuteneacuteficier de ce reacutegime Cette notion srsquoharmonise avec lrsquoobjectif de la loi qui consiste agrave venir en aide aux personnes qui peuvent travailler mais qui sont momentaneacutement sans emploi Cependant la Loi sur lrsquoassurance-emploi nrsquoest pas une loi qui srsquointerpregravete aiseacutement et les critegraveres deacuteveloppeacutes par les tribunaux manquent parfois de limpiditeacute16

7 Constitution Act 1940 3-4 Geo VI c 36 (UK) ajoutant la cateacutegorie 91(2A) aux

pouvoirs du Parlement du Canada Loi constitutionnelle de 1867 (R-U) 30 amp 31 Vict ch 3 art 91(2A)

8 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v 9 Georges CAMPEAU De lrsquoassurance-chocircmage agrave lrsquoassurance-emploi ndash Lrsquohistoire du

reacutegime canadien et son deacutetournement Montreacuteal Boreacuteal 2001 p 9 10 Zhengxi LIN laquo Eacutevolution de lrsquoassurance-emploi au Canada raquo dans Lrsquoemploi et le

revenu en perspective Eacuteteacute 1998 vol 10 no 2 Statistique Canada pp 45-51 (en ligne httpwwwstatcangccastudies-etudes75-001archivef-pdf3828-frapdf)

11 Loi de 1971 sur lrsquoassurance-chocircmage LC 1970-71-72 ch 48 et mod (laquo LAC raquo) 12 LC 1996 ch 23 (laquo LAE raquo) 13 Renvoi relatif agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi (Can) art 22 et 23 [2005] 2 RCS

669 par 18 et 60 14 Id par 18 15 Id par 24 et 48 16 TS LAVENDER preacuteciteacute note 6 p v

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 589

Parmi lrsquoensemble des conditions drsquoadmissibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-emploi lrsquoune drsquoentre elles pose particuliegraverement problegraveme il srsquoagit de la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi lorsque lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont un lien de deacutependance17 Les alineacuteas 5(2)i) 5(3)a) et 5(3)b) LAE preacutevoient cette condition

laquo (2) Nrsquoest pas un emploi assurable

[hellip]

i) lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance

[hellip]

(3) Pour lrsquoapplication de lrsquoalineacutea (2)i)

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de deacutependance est deacutetermineacutee conformeacutement agrave la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu

b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

A priori selon lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE cette relation drsquoemploi nrsquoest pas couverte par le champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Toutefois si lrsquoemploi drsquoune personne lieacutee agrave lrsquoemployeur remplit les conditions preacutevues par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE il sera reacuteputeacute ecirctre assurable et le travailleur pourra jouir des diffeacuterents avantages offerts par ce reacutegime leacutegislatif Le preacutesent texte a pour objet drsquoanalyser la position des tribunaux en matiegravere drsquoassurabiliteacute drsquoun emploi entre personnes ayant un lien de deacutependance

Tout drsquoabord il est primordial de srsquointerroger sur lrsquoexistence drsquoun contrat de travail comme condition preacuteliminaire drsquoassujettissement agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi avant drsquoaborder la question de lrsquoassurabiliteacute Dans le mecircme ordre drsquoideacutees le fonctionnement de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant lrsquoassurabiliteacute des emplois sera analyseacute plus preacuteciseacutement

17 Al 3(2)c) LAC devenu lrsquoalineacutea 5(2)i) et le paragraphe 5(3) LAE

590 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

lrsquoexclusion a priori par lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE des emplois caracteacuteriseacutes par un lien de deacutependance Ensuite il sera traiteacute de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui permet lrsquoinclusion des emplois entre personnes lieacutees Une fois le contexte leacutegislatif eacutetabli les critegraveres permettant de beacuteneacuteficier de la preacutesomption seront successivement eacutetudieacutes

1 LA CONDITION PREacuteLIMINAIRE Agrave LrsquoASSURABILITEacute PREacuteSENCE DrsquoUN

CONTRAT DE TRAVAIL

Avant mecircme de se pencher sur la notion drsquoassurabiliteacute il faut deacuteterminer si les parties entretiennent entre elles une relation drsquoemploi Pour conclure agrave lrsquoexistence de cette relation la preuve drsquoun contrat de travail doit ecirctre faite En conseacutequence la personne qui exploite une entreprise est exclue du champ drsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Dans lrsquoordre juridique queacutebeacutecois le contrat de travail est deacutefini par lrsquoarticle 2085 du Code civil du Queacutebec18 Agrave cet effet le lien de subordination entre lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute est la pierre angulaire de lrsquoexistence drsquoun contrat de travail Traditionnellement les tribunaux se sont reacutefeacutereacutes aux critegraveres deacuteveloppeacutes en common law dans lrsquoarrecirct Wiebe Door Services Ltd c MRN19 pour caracteacuteriser la relation entre les parties En 2005 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale dans lrsquoaffaire 9041-6868 Queacutebec inc c MRN20 avanccedila que les critegraveres de common law issus de cet arrecirct nrsquoeacutetaient pas applicables pour qualifier une relation drsquoemploi reacutegie par le droit queacutebeacutecois Le Code civil du Queacutebec eacutetant lrsquounique source de droit pertinente dans lrsquoanalyse il fallait se concentrer exclusivement sur lrsquoarticle 2085 CcQ21 Par la suite dans lrsquoaffaire Grimard c La Reine22 le juge Archambault de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct srsquoappuyant sur les motifs de lrsquoarrecirct 9041-6868 Queacutebec Inc appliqua le mecircme raisonnement dans le cadre drsquoun litige viseacute par la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu23 Cette deacutecision fut porteacutee en appel et le tribunal drsquoappel atteacutenua la porteacutee des propos du juge Archambault24 Selon la Cour

18 LQ 1991 c 64 (laquo CcQ raquo) 19 [1986] 3 CF 553 (CAF) (laquo Wiebe Door Services raquo) Les critegraveres de common law

sont 1) le controcircle 2) la proprieacuteteacute des instruments de travail 3) la possibiliteacute de profit 4) le risque de perte et 5) lrsquointeacutegration dans lrsquoentreprise

20 2005 CAF 334 (laquo 9041-6868 Queacutebec Inc raquo) 21 Id Lacroix c MRN 2007 CCI 81 (laquo Lacroix raquo) 22 2007 CCI 755 23 LRC 1985 ch 1 (5e suppl) et mod (laquo LIR raquo) 24 Grimard c Canada 2009 CAF 47 (laquo Grimard raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 591

drsquoappel feacutedeacuterale les critegraveres de lrsquoarrecirct Wiebe Door Services peuvent servir drsquoindices drsquoencadrement pour deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun contrat de travail25 Ce mecircme tribunal dans lrsquoaffaire NCJ Educational Services Ltd c Canada26 est venu confirmer que lrsquoarrecirct Grimard srsquoappliquait eacutegalement en matiegravere drsquoassurance-emploi venant mettre deacutefinitivement un terme agrave la controverse

2 LrsquoASSURABILITEacute DE LrsquoEMPLOI ET LE LIEN DE DEacutePENDANCE

21 EXCLUSION DES EMPLOIS CARACTEacuteRISEacuteS PAR UN LIEN DE DEacutePENDANCE

Une fois que lrsquoexistence drsquoun contrat de travail est eacutetablie il est neacutecessaire de srsquointerroger sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi exerceacute par le travailleur Un emploi est consideacutereacute comme assurable degraves qursquoil est viseacute par une des situations preacutevues au paragraphe 5(1) LAE

Toutefois le paragraphe 5(2) LAE preacutevoit plusieurs cas drsquoexclusion qui font en sorte que certains emplois ne peuvent beacuteneacuteficier du statut drsquolaquo emploi assurable raquo

Lrsquoexclusion qui sera traiteacutee ici est la situation viseacutee agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE soit laquo lrsquoemploi dans le cadre duquel lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute ont entre eux un lien de deacutependance raquo

Lrsquoalineacutea 5(3)a) LAE preacutevoit que lrsquoexistence du lien de deacutependance entre les parties au contrat est deacutetermineacutee en vertu de la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu Il peut srsquoagir drsquoun lien de deacutependance de droit lorsqursquoil est question de personnes lieacutees ou drsquoun lien de deacutependance de fait au sens des alineacuteas 251(1)a) et 251(1)c) LIR

laquo 251 (1) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes lieacutees sont reacuteputeacutees avoir entre elles un lien de deacutependance

[hellip]

c) [hellip] la question de savoir si des personnes non lieacutees entre elles nrsquoont aucun lien de deacutependance agrave un moment donneacute est une question de fait raquo

25 Id par 43 26 2009 CAF 131

592 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Voici lrsquoexplication du lien de deacutependance de fait donneacutee par la Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans lrsquoaffaire Mercer c MRN

laquo [14] Les relations avec lien de deacutependance se caracteacuterisent par la preacutesence drsquoune entiteacute responsable de la neacutegociation pour les deux parties agrave une transaction par le fait que les parties agrave une transaction agissent ensemble sans inteacuterecirct distinct ou parce que chaque partie agrave la transaction avait le pouvoir drsquoinfluencer lrsquoautre ou drsquoexercer un controcircle sur lrsquoautre et que les neacutegociations des parties ne sont pas conformes agrave lrsquoobjet et agrave lrsquoesprit des dispositions de la loi et qursquoelles ne deacutemontrent pas qursquoelles participent de faccedilon eacutequitable dans le jeu normal des forces eacuteconomiques du marcheacute [hellip]27 raquo (Soulignement par la Cour)

Le lien de deacutependance de droit deacutecoule du fait que deux personnes sont lieacutees parce qursquoelles sont unies par les liens du sang du mariage drsquoune union de fait ou de lrsquoadoption28 ou lieacutees par la deacutetention drsquoactions au sein drsquoune mecircme socieacuteteacute29 Ainsi une personne lieacutee agrave son employeur voit son emploi exclu des beacuteneacutefices de lrsquoassurance-emploi Par exemple la conjointe de lrsquoactionnaire majoritaire drsquoune socieacuteteacute qui travaille au sein de cette socieacuteteacute nrsquooccupe pas a priori un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi30

27 2003 CCI 652 (laquo Mercer raquo) 28 Lrsquoalineacutea 251(2)a) et le paragraphe 251(6) LIR ndash citeacute ci-dessous ndash preacutevoient les

deacutefinitions applicables aux personnes lieacutees

laquo (6) Pour lrsquoapplication de la preacutesente loi

a) des personnes sont unies par les liens du sang si lrsquoune est lrsquoenfant ou un autre descendant de lrsquoautre ou si lrsquoune est le fregravere ou la sœur de lrsquoautre

b) des personnes sont unies par les liens du mariage si lrsquoune est marieacutee agrave lrsquoautre ou agrave une personne qui est ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

b1) des personnes sont unies par les liens drsquoune union de fait si lrsquoune vit en union de fait avec lrsquoautre ou avec une personne qui est unie agrave lrsquoautre par les liens du sang

c) des personnes sont unies par les liens de lrsquoadoption si lrsquoune a eacuteteacute adopteacutee en droit ou de fait comme enfant de lrsquoautre ou comme enfant drsquoune personne ainsi unie agrave lrsquoautre par les liens du sang (autrement qursquoen qualiteacute de fregravere ou de sœur) raquo

29 Voir plus particuliegraverement lrsquoalineacutea 251(2)b) LIR 30 Gagneacute c MRN 2005 CCI 310

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 593

22 PREacuteSOMPTION DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE INCLUSION DE

LrsquoEMPLOI Agrave TITRE Drsquolaquo EMPLOI ASSURABLE raquo

Par lrsquoeffet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE un emploi viseacute agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE peut cependant agrave certaines conditions ecirctre consideacutereacute comme un emploi sans lien de deacutependance et par conseacutequent devenir un emploi assurable aux fins de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Pour rappel lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE se lit ainsi

laquo b) lrsquoemployeur et lrsquoemployeacute lorsqursquoils sont des personnes lieacutees au sens de cette loi sont reacuteputeacutes ne pas avoir de lien de deacutependance si le ministre du Revenu national est convaincu qursquoil est raisonnable de conclure compte tenu de toutes les circonstances notamment la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi ainsi que la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli qursquoils auraient conclu entre eux un contrat de travail agrave peu pregraves semblable srsquoils nrsquoavaient pas eu de lien de deacutependance raquo

Le ministre du Revenu national doit prendre en consideacuteration les facteurs pertinents preacutevus agrave cet alineacutea lorsqursquoil rend une deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi caracteacuteriseacute par un lien de deacutependance (art 90 et 91 LAE) Lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE met en eacutevidence les critegraveres agrave analyser pour en arriver agrave la conclusion qursquoun employeur et un employeacute nrsquoayant pas de lien de deacutependance auraient conclu un contrat de travail agrave peu pregraves semblable Il preacutevoit une liste non exhaustive des facteurs agrave prendre en consideacuteration soit la reacutetribution verseacutee les modaliteacutes drsquoemploi la dureacutee la nature et lrsquoimportance du travail accompli La deacutecision du ministre du Revenu national repose sur lrsquoexercice drsquoun pouvoir discreacutetionnaire consistant agrave effectuer une analyse factuelle de la relation entre les parties En ce sens la personne qui souhaite contester la deacutecision du ministre devra donc deacutemontrer que ce pouvoir a eacuteteacute exerceacute drsquoune maniegravere deacuteraisonnable31 La Cour canadienne de lrsquoimpocirct dans le cadre drsquoun appel de la deacutecision du ministre pourra recevoir tout eacuteleacutement de preuve servant agrave deacutemontrer que la deacutecision du ministre selon laquelle un contrat drsquoemploi similaire nrsquoaurait pas eacuteteacute conclu entre des parties nrsquoayant aucun lien de deacutependance est deacuteraisonnable Pour que lrsquoappel soit accueilli lrsquoappelant devra deacutemontrer que le ministre selon le cas

31 Peacuterusse c Canada [2000] CanLII 15136 (CAF)

594 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

laquo i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites

ii) nrsquoa pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes comme lrsquoexige expresseacutement le sous-alineacutea 3(2)c)(ii) [LAC devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE]

iii) a tenu compte drsquoun facteur non pertinent32 raquo

Il importe de preacuteciser que la Cour canadienne de lrsquoimpocirct doit faire preuve de deacutefeacuterence envers la deacutecision du ministre du Revenu national33 Cependant lorsque la nature du contrat entre les parties est en litige la Cour procegravede agrave un examen indeacutependant de celui du ministre34 Dans ce cas elle nrsquoest pas tenue laquo de faire preuve de retenue agrave lrsquoeacutegard de la deacutecision du ministre raquo35

23 LrsquoOBJET DES ALINEacuteAS 5(2)I) ET 5(3)B) LAE

Il est neacutecessaire de traiter briegravevement de lrsquoobjet des alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE Dans lrsquointerpreacutetation de ces dispositions il faut rechercher si les parties ont envisageacute de conclure un reacuteel contrat de travail Lrsquointention du leacutegislateur est drsquoeacuteviter drsquoassurer des emplois aux liens factices contracteacutes dans le but de beacuteneacuteficier inducircment de la Loi sur lrsquoassurance-emploi36 Les personnes lieacutees eacutetant plus susceptibles que drsquoautres de creacuteer des emplois laquo avec des conditions farfelues raquo37 un examen pousseacute doit ecirctre effectueacute pour deacuteterminer si la relation drsquoemploi convenue entre les personnes lieacutees aurait pu ecirctre la mecircme qursquoentre deux personnes nrsquoayant pas de lien de deacutependance La Loi sur lrsquoassurance-chocircmage devenue la Loi sur lrsquoassurance-emploi a eacuteteacute adopteacutee pour venir en aide aux travailleurs qui perdent reacuteellement leurs emplois Le reacutegime drsquoassurance-emploi vise agrave assurer le risque de chocircmage38 et ce depuis son adoption au XXe siegravecle39 Lrsquoassurance-emploi

32 Canada c Jencan Ltd [1998] 1 CF 187 par 37 Huntley c MRN 2010 CCI 625

par 24 33 Porter c MRN 2005 CCI 364 34 Craigmyle c MRN 2011 CCI 128 par 43 et suiv 35 Id par 43 36 Bergen c MRN [2002] CanLII 1215 (CCI) (laquo Bergen raquo) par 10 37 Campbell c MRN 2008 CCI 170 par 47-48 38 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 39 Claude E FORGET Rapport de la commission drsquoenquecircte sur lrsquoassurance-chocircmage

Canada 1986 p 28

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 595

comme tout reacutegime drsquoassurance impose agrave lrsquoassureacute drsquoeacuteviter de creacuteer volontairement le risque pour lequel il est assureacute40 Le risque doit ecirctre indeacutependant du comportement individuel de chaque travailleur Or un emploi temporaire creacuteeacute de connivence entre les parties en vue de remplir les conditions exigeacutees par la Loi sur lrsquoassurance-emploi pour beacuteneacuteficier des prestations accroicirct deacutelibeacutereacutement le risque assureacute Les alineacuteas 5(2)i) et 5(3)b) LAE visent agrave eacuteviter de tels types de comportements en srsquoassurant que des personnes lieacutees nrsquoeacutelaborent pas des strateacutegies dans le but de deacutetourner le reacutegime de sa finaliteacute

Dans le mecircme ordre drsquoideacutees lrsquoobjet de ces dispositions concerne la prohibition drsquoententes frauduleuses convenues pour faire beacuteneacuteficier le salarieacute drsquoune reacutemuneacuteration sans avoir agrave fournir une prestation de travail41 En outre ces alineacuteas tendent eacutegalement agrave proscrire les ententes qui auraient pour effet de subventionner en partie les activiteacutes commerciales drsquoun employeur Lrsquoassurance-emploi est une mesure qui nrsquoa pas eacuteteacute implanteacutee dans le but de venir en aide aux entreprises Les tribunaux ont eu lrsquooccasion de le rappeler dans de nombreuses affaires particuliegraverement dans la deacutecision Martineau c MRN ougrave le juge suppleacuteant Charron de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct reacuteaffirmait laquo que lrsquoassurance-emploi est une mesure sociale pour venir en aide agrave ceux qui perdent vraiment leur emploi et non un programme de subvention pour venir en aide agrave lrsquoentreprise [hellip] raquo42 Lrsquoentrepreneur qui deacutesire essuyer des pertes en creacuteant des postes de travail fictifs et en consignant frauduleusement des heures de travail dans ses registres est un exemple classique43 Ce stratagegraveme effectueacute en vue de pouvoir ultimement financer ses activiteacutes par le truchement des prestations du reacutegime public ne cadre indubitablement pas avec les objectifs de la Loi sur lrsquoassurance-emploi

Or ces ententes frauduleuses ont manifestement plus de chance drsquoecirctre conclues en raison des liens de confiance qui existent entre des personnes lieacutees Lrsquoexclusion preacutevue agrave lrsquoalineacutea 5(2)i) LAE reflegravete ces consideacuterations et permet de preacutevenir les abus dans lrsquoapplication du reacutegime drsquoassurance-emploi Toutefois la preacutesomption permettant de passer outre au lien de deacutependance entre les parties a eacuteteacute instaureacutee en vue de permettre aux travailleurs lieacutes agrave leur payeur de toucher des prestations en vertu de la

40 Mercer preacuteciteacute note 27 par 31 41 Bouchard c MRN 2009 CCI 234 (laquo Bouchard raquo) par 15 42 [2000] CanLII 22883 (CCI) par 12 43 Duplin c MRN [2001] CanLII 498 (CCI) par 31

596 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Loi sur lrsquoassurance-emploi lorsque les circonstances le justifiaient Cette exception fut adopteacutee en 199044 puisque la regravegle rigide qui avait cours anteacuterieurement avait engendreacute des situations ineacutequitables pour plusieurs travailleurs canadiens45 Le secteur agricole eacutetait particuliegraverement toucheacute par cette exclusion puisque les entreprises œuvrant dans ce domaine sont souvent des entreprises familiales46 En effet il est erroneacute de croire que lrsquoexistence drsquoun lien de deacutependance reacutevegravele ipso facto la preacutesence drsquoune entente frauduleuse En ce sens comme le disait le juge Rowe de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct laquo [l]es en exclure sans raison valable est une mesure ineacutequitable qui va agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de la loi raquo47 La neacutecessiteacute drsquoadopter une disposition atteacutenuant lrsquoinflexibiliteacute de la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage drsquoalors allait de soi et crsquoest ce que le leacutegislateur a fait avec lrsquoadoption du sous-alineacutea 3(2)c)(ii) LAC qui est devenu lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE

Il est maintenant temps de passer en revue les facteurs deacuteterminants pour ecirctre en mesure de beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Bien que la liste de critegraveres preacutevue agrave cet alineacutea ne soit pas exhaustive ce sont ces critegraveres qui sont majoritairement analyseacutes par les tribunaux Chaque critegravere fera lrsquoobjet drsquoun deacuteveloppement succinct afin de deacutegager lrsquoapproche retenue par les tribunaux lors de lrsquoapplication de cette disposition

3 LES CRITEgraveRES DE LrsquoALINEacuteA 5(3)B) LAE

31 LA REacuteMUNEacuteRATION

En ce qui a trait agrave la reacutemuneacuteration le fardeau de la preuve appartient au salarieacute qui doit deacutemontrer que laquo la reacutetribution verseacutee est raisonnable compte tenu de la nature et de la quantiteacute du travail effectueacute raquo48 Drsquoune part le salarieacute doit deacutemontrer que sa reacutemuneacuteration est raisonnable comparativement agrave celle des autres salarieacutes de lrsquoentreprise Drsquoautre part le salarieacute peut recourir agrave une analyse globale des conditions de travail de lrsquoensemble des travailleurs œuvrant dans un domaine similaire au sien

44 Loi modifiant la Loi sur lrsquoassurance-chocircmage et la Loi sur le ministegravere et sur la

Commission de lrsquoemploi et de lrsquoimmigration LC 1990 ch 40 45 Bergen preacuteciteacute note 36 46 Theacuteberge c Canada 2002 CAF 123 (laquo Theacuteberge raquo) 47 Docherty c MRN [2000] CanLII 381 (CCI) (laquo Docherty raquo) 48 Primeau Meacutetal Inc c MRN 2005 CCI 111 (laquo Primeau Meacutetal raquo)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 597

Plusieurs modaliteacutes doivent ecirctre analyseacutees afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere raisonnable de la reacutemuneacuteration toucheacutee par lrsquoemployeacute comparativement aux autres employeacutes preacutesents dans la mecircme entreprise La jurisprudence contient de nombreuses illustrations ougrave la reacutemuneacuteration a eacuteteacute un enjeu important dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi Les principaux facteurs retenus par les tribunaux pour trancher cette question sont le salaire et le mode de paiement de la prestation

Concernant le salaire il faut drsquoabord deacuteterminer srsquoil est sensiblement identique agrave celui des employeacutes sans lien de deacutependance Il est opportun de rappeler que le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne requiert pas une identiteacute absolue dans la comparaison En deacutefinitive il suffit de deacutemontrer que le salaire est agrave peu pregraves semblable au salaire que reccediloit une personne sans lien de deacutependance Pour y arriver il faut notamment tenir compte de lrsquoexpertise de la formation du poste occupeacute et de lrsquoancienneteacute au sein de lrsquoentreprise49 Voici quelques exemples qui permettent de bien saisir la porteacutee de lrsquoanalyse agrave effectuer Un employeacute lieacute agrave lrsquoemployeur pourrait recevoir un salaire plus eacuteleveacute que les autres employeacutes en raison de sa formation et neacuteanmoins occuper un emploi assurable au sens de la Loi sur lrsquoassurance-emploi comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct lrsquoa deacutecideacute dans lrsquoaffaire Portes et Fenecirctres Abritek Inc50 Dans cette affaire lrsquoeacutecart salarial provenait du fait que lrsquoemployeur avait pondeacutereacute le salaire en tenant compte de la scolariteacute de lrsquoemployeacute et non en vertu du lien de deacutependance Dans la deacutecision Primeau Meacutetal lrsquoimportance du salaire a eacuteteacute jugeacutee raisonnable en raison des anneacutees drsquoexpeacuterience de lrsquoemployeacute au sein de la socieacuteteacute51 La stabiliteacute du taux de reacutemuneacuteration est un autre eacuteleacutement agrave consideacuterer Lrsquoemploi dont la reacutemuneacuteration varie en fonction de la capaciteacute de payer de lrsquoemployeur montre que des parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient probablement pas conclu un contrat de travail similaire52 En effet laquo il serait inhabituel pour un employeacute sans lien de deacutependance drsquoaccepter lrsquoexistence drsquoun lien entre son salaire et la rentabiliteacute de la socieacuteteacute raquo53 Agrave titre drsquoexemple un emploi dont le taux horaire a eacuteteacute modifieacute trois fois dans une peacuteriode nrsquoexceacutedant pas un an a

49 Portes et Fenecirctres Abritek Inc c MRN 2009 CCI 285 (laquo Portes et Fenecirctres Abritek

Inc raquo) par 37 50 Id par 24 51 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48 par 35 52 Bacon c MRN 2004 CCI 70 par 12 Boucher c MRN 2007 CCI 467 par 7

Putter c MRN [2000] CanLII 191 (CCI) par 16 53 Caldwell Industries Co c MRN 2009 CCI 59 (laquo Caldwell Industries raquo)

598 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

eacuteteacute jugeacute non assurable54 De plus un employeacute acceptant une diminution de salaire sans reacuteduction de la charge de travail tend agrave montrer qursquoun employeacute sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas conclu un contrat de travail similaire55

Un autre facteur agrave analyser impeacuterativement est la reacutemuneacuteration des heures suppleacutementaires Lrsquoemployeacute qui effectue de nombreuses heures en dehors de la semaine normale de travail sans toucher de reacutemuneacuteration verra le statut drsquoassurabiliteacute de son emploi vicieacute56 agrave moins que cette pratique soit reacutepandue dans lrsquoentreprise Toutefois il est important de souligner que des heures suppleacutementaires non reacutemuneacutereacutees peuvent srsquoexpliquer par le fait que lrsquoemployeacute occupe un poste de gestion au sein de lrsquoentreprise pourvu que cela ne diminue pas substantiellement le taux horaire de son salaire57 Cependant renoncer agrave une bonification du taux pour les heures suppleacutementaires agrave laquelle les autres employeacutes ont droit est reacuteveacutelateur drsquoun emploi non assurable qui ne peut beacuteneacuteficier de la preacutesomption de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE58

Il est eacutegalement important de souligner que plusieurs deacutecisions nrsquoont pas accordeacute drsquoimportance au fait que la prestation de travail eacutetait reacutetribueacutee en fonction drsquoun taux hebdomadaire59 Il faut plutocirct srsquoattarder agrave deacuteterminer si la reacutemuneacuteration eacutetait raisonnable et ce peu importe si elle est eacutetablie selon un taux hebdomadaire ou mensuel Un employeacute lieacute agrave son employeur ne jouissant pas des mecircmes avantages sociaux et peacutecuniaires que les autres employeacutes amegravene les tribunaux agrave infeacuterer qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait jamais accepteacute des conditions de travail semblables60

Quant au mode de reacutetribution de la prestation de travail les tribunaux analysent si le versement de la reacutemuneacuteration est effectueacute de la mecircme maniegravere que les autres employeacutes dans lrsquoorganisation Lorsque le travailleur est aussi

54 Leliegravevre c MRN 2006 CCI 109 (laquo Leliegravevre raquo) par 51 55 Caldwell Industries preacuteciteacute note 53 par 16 56 Lessard c MRN 2008 CCI 122 57 Dumais c MRN 2007 CCI 261 (laquo Dumais CCI raquo) 58 Michel Trottier entrepreneur eacutelectricien c MRN 2004 CCI 4 (laquo Michel Trottier raquo)

par 9 59 Girard c MRN 2008 CCI 245 (laquo Girard raquo) par 26 Theacuteberge preacuteciteacute note 46

par 8 agrave 10 Castonguay c MRN 2004 CCI 324 (laquo Castonguay raquo) par 17 60 Armoires G Baron inc c MRN 2004 CCI 238 par 36 Primeau Meacutetal preacuteciteacute

note 48 par 34 Domart Energy Services Ltd c MRN 2007 CCI 585 par 13

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 599

un actionnaire de la socieacuteteacute la situation est particuliegravere et meacuterite drsquoecirctre briegravevement analyseacutee Il peut arriver que le salaire du salarieacute-actionnaire soit verseacute sous forme de dividendes afin de permettre agrave ce dernier de profiter drsquoun avantage fiscal La jurisprudence est drsquoavis que cette forme de reacutetribution doit ecirctre prise en compte lorsqursquoil faut deacuteterminer si un employeacute non lieacute agrave la socieacuteteacute aurait accepteacute de telles conditions de travail Il est certain que les relations salarieacute-actionnaire et simple employeacute de la socieacuteteacute sont totalement diffeacuterentes Cependant laquo lrsquoalineacutea 5(3)b) de la Loi nrsquoindique pas qursquoil faille faire abstraction des inteacuterecircts financiers que des travailleurs peuvent avoir dans un payeur raquo61 Ainsi il suffira de comparer la relation de travail non pas avec un employeacute-salarieacute mais avec un actionnaire minoritaire nrsquoayant pas de lien de parenteacute avec lrsquoactionnaire majoritaire ni de lien de deacutependance avec la socieacuteteacute62 Cela se justifie par le libelleacute de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE qui indique que toutes les circonstances doivent ecirctre prises en consideacuteration dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Lrsquoemployeacute qui est en mecircme temps actionnaire de la socieacuteteacute deacutesire souvent reacuteduire son impocirct payable et srsquoengage freacutequemment dans cette voie de fournir des services en eacutechange de dividendes63 En revanche un employeacute sans lien de deacutependance exigera normalement un salaire contre les services fournis agrave lrsquoemployeur64 Eacutegalement le versement du salaire en argent comptant nrsquoest geacuteneacuteralement pas un facteur deacuteterminant65

32 LES MODALITEacuteS DrsquoEMPLOI

Les modaliteacutes drsquoemploi constituent un critegravere drsquoapplication assez large que la jurisprudence traite comme un critegravere reacutesiduaire66 Il srsquoagit drsquoun facteur qui srsquoanalyse difficilement seul il est plutocirct relieacute intrinsegravequement aux autres critegraveres eacutenonceacutes agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Les modaliteacutes peuvent toucher notamment lrsquoutilisation personnelle des outils de lrsquoentreprise67 les avantages sociaux la disponibiliteacute de lrsquoemployeacute68 la flexibiliteacute de son

61 Assurances Jones Inc c MRN 2009 CCI 273 par 13 62 Id Les Entreprises Charles Maisonneuve Lteacutee c MRN 2008 CCI 269 63 Lacroix preacuteciteacute note 21 par 42 64 Michel Trottier preacuteciteacute note 58 par 32 65 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 19 66 Lenover c MRN 2007 CCI 594 67 Reynders c MRN 2007 CCI 219 68 Primeau Meacutetal preacuteciteacute note 48

600 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

horaire la possibiliteacute de travailler agrave domicile69 et le controcircle effectueacute par le payeur70 Eacutevidemment ce controcircle sera moduleacute en fonction des compeacutetences des employeacutes71

Agrave titre drsquoexemple dans lrsquoaffaire CampB Woodcraft c MRN72 le juge Woods eacutetait drsquoavis que les modaliteacutes drsquoemploi doivent se comparer avec ce qui est offert aux employeacutes par lrsquoentreprise et non par un employeur hypotheacutetique contrairement au salaire qui lui peut ecirctre analyseacute par rapport au marcheacute Par ailleurs le ministre du Revenu national a deacutejagrave avanceacute comme modaliteacute drsquoemploi deacuteraisonnable le fait que lrsquoemployeacute precircte une somme drsquoargent sans inteacuterecirct au payeur Toutefois dans certaines deacutecisions les tribunaux ont deacutecideacute que cela nrsquoeacutetait pas pertinent puisque le precirct avait plutocirct eacuteteacute consenti en raison du fait que le payeur et lrsquoemployeacute eacutetaient conjoints et non parce qursquoils eacutetaient un employeacute et un employeur lieacutes73 Des modaliteacutes concernant lrsquohoraire fixeacute en fonction des besoins de lrsquoentreprise ont eacuteteacute jugeacutees raisonnables dans la mesure ougrave le teacutemoignage des appelants a eacuteteacute estimeacute creacutedible74 Agrave lrsquoopposeacute attendre plusieurs semaines avant de deacuteposer un chegraveque du payeur vu les difficulteacutes financiegraveres de ce dernier deacutemontre qursquoune personne non lieacutee agrave son employeur nrsquoaurait pas accepteacute des modaliteacutes drsquoemploi semblables75 Il est manifeste que le critegravere des modaliteacutes drsquoemploi deacutepend de toutes les circonstances particuliegraveres agrave chaque affaire et il est difficile drsquoeacutetablir une norme drsquoapplication geacuteneacuterale Il faudra donc se reacutefeacuterer agrave la situation ayant cours au sein de lrsquoentreprise pour veiller agrave ce que lrsquoemployeacute lieacute ne soit pas le seul agrave beacuteneacuteficier drsquoune modaliteacute drsquoemploi particuliegravere

33 LA DUREacuteE

La dureacutee des prestations de travail de lrsquoemployeacute entre les diffeacuterentes peacuteriodes de chocircmage et la quantiteacute drsquoheures travailleacutees doivent faire lrsquoobjet drsquoune analyse en vertu de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Lorsqursquoun employeacute effectue

69 Johnston c MRN 2011 CCI 501 70 Lacroix preacuteciteacute note 21 62 71 Id 72 2004 CCI 477 73 Girard preacuteciteacute note 59 74 Eagle Canyon Adventures Inc c MRN 2008 CCI 563 (laquo Eagle Canyon

Adventures raquo) 75 Benguaich c MRN [1998] CanLII 569 (CCI)

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 601

le nombre drsquoheures minimal pour se qualifier au reacutegime drsquoassurance-emploi et ce successivement il est neacutecessaire de cerner les motifs expliquant les mises agrave pied76 La dureacutee de lrsquoemploi doit ecirctre fixeacutee par rapport aux besoins de main-drsquoœuvre de lrsquoemployeur77 Un emploi dont la peacuteriode a eacuteteacute convenue en fonction des exigences pour toucher des prestations est contraire agrave lrsquoobjet de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Si la cessation drsquoemploi survient dans une entreprise qui a des activiteacutes reacuteguliegraveres tout au long de lrsquoanneacutee la jurisprudence est encline agrave scruter davantage les motifs entourant le licenciement Cependant les tribunaux accordent geacuteneacuteralement moins drsquoimportance agrave la dureacutee lorsque la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute porte sur un travail saisonnier78 Dans ce cas ils se limiteront agrave veacuterifier si les mises agrave pied coiumlncident avec la fin de la saison active de lrsquoindustrie79 Il serait contraire aux objectifs historiques du reacutegime drsquoexclure des emplois saisonniers en raison de mises agrave pied reacutepeacutetitives80 Quant aux motifs pour justifier des cessations drsquoemploi reacutecurrentes les baisses drsquoachalandage et le ralentissement des activiteacutes sont freacutequemment invoqueacutes par les travailleurs et les payeurs81 Ainsi un licenciement motiveacute par un manque reacuteel de travail est un indice reacuteveacutelateur de la preacutesence drsquoun emploi assurable Agrave lrsquoopposeacute des peacuteriodes de chocircmage survenant dans la peacuteriode drsquoactiviteacute du payeur tendent agrave deacutemontrer la situation contraire82

Concernant les heures de travail il faut veacuterifier si les heures consigneacutees reflegravetent reacuteellement le nombre drsquoheures travailleacutees Une pratique communeacutement deacutesigneacutee sous le vocable laquo banquage raquo ou laquo cumul drsquoheures raquo srsquoest deacuteveloppeacutee au sein de nombreuses entreprises Cette pratique consiste agrave fournir une prestation de travail sans reacutemuneacuteration pendant une peacuteriode de chocircmage Les heures travailleacutees pendant la cessation drsquoemploi sont porteacutees dans une banque drsquoheures au nom de lrsquoemployeacute Lors drsquoune nouvelle demande de prestation les parties inscrivent frauduleusement sur le releveacute drsquoemploi les heures de travail en banque dans le but de maximiser la

76 Peacuterusse c MRN 2003 CCI 313 (laquo Peacuterusse raquo) par 72 77 Bouchard preacuteciteacute note 41 par 3 Castonguay preacuteciteacute note 59 par 28 in fine 78 Peacuterusse preacuteciteacute note 76 par 72 79 Labonteacute c MRN 2008 CCI 367 par 15 80 Howell c MRN [1998] CanLII 211 (CCI) par 27 in fine 81 Voir par exemple Stevens c MRN 2009 CCI 633 par 20 Pannu c MRN 2010 CCI

562 par 18 Fradette c MRN 2004 CCI 749 par 27 Girard preacuteciteacute note 59 par 31

82 Labrie c MRN 2003 CCI 540 par 107

602 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

reacutemuneacuteration assurable et de bonifier les prestations de chocircmage Ce stratagegraveme survient freacutequemment lorsque les parties sont lieacutees83 Lrsquoemployeur en retire manifestement un avantage puisqursquoil reccediloit une prestation de travail agrave titre gratuit Surtout ce dernier peut neacutegocier des conditions de travail avantageuses en tenant compte du fait que lrsquoemployeacute recevra laquo pour plusieurs mois des prestations drsquoassurance-emploi raquo84 En examinant la dureacutee les tribunaux srsquoassurent que les parties nrsquoont pas envisageacute de creacuteer un lien drsquoemploi factice en vue de profiter du reacutegime drsquoassurance-emploi

La consignation des heures de travail est eacutegalement un facteur important agrave consideacuterer dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute Si les heures effectueacutees par le travailleur ne sont pas inscrites dans les registres de lrsquoentreprise cela peut mener agrave conclure que lrsquoemploi a eacuteteacute modeleacute en fonction du lien de deacutependance85 Eacutegalement le critegravere concernant la dureacutee consiste agrave analyser si lrsquoemployeacute exerce un nombre drsquoheures raisonnable compte tenu du secteur drsquoactiviteacutes dans lequel il œuvre86 Une charge de travail eacuteleveacutee peut amener le ministre du Revenu national ou le tribunal agrave conclure qursquoune personne sans lien de deacutependance nrsquoaurait pas accepteacute des conditions de travail similaires Si lrsquoemployeacute fournit un apport substantiel agrave lrsquoentreprise en effectuant de nombreuses heures de travail lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre vicieacutee Dans lrsquoaffaire Rodrigue c MRN87 lrsquoemploi fut jugeacute non assurable puisque lrsquoemployeacute travaillait de nombreuses heures et nrsquoavait pris que quelques jours de congeacute durant lrsquoanneacutee Le juge Savoie a conclu que la prestation de travail de lrsquoemployeacute avait grandement contribueacute agrave lrsquoexpansion de lrsquoentreprise Cet apport important laissait preacutesager que deux personnes sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire

34 LA NATURE ET LrsquoIMPORTANCE DES TAcircCHES ACCOMPLIES

Dans la deacutetermination de lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi le ministre du Revenu national et les tribunaux doivent analyser si les tacircches sont neacutecessaires agrave laquo la bonne marche des activiteacutes raquo88 de lrsquoentreprise Des tacircches

83 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 16 84 Id 85 Dumont c MRN 2011 CCI 385 par 24 et suiv 86 Lieffertz c MRN 2003 CCI 704 par 10 87 2006 CCI 547 par 25 agrave 27 88 Chiarella c MRN 2005 CCI 41 par 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 603

purement marginales deacutemontrent que la conclusion du contrat fut influenceacutee par le lien de deacutependance unissant les parties89 Les tacircches exeacutecuteacutees par lrsquoemployeacute doivent donc faire partie inteacutegrante de lrsquoentreprise90 Lorsque les fonctions exerceacutees dans le cadre de lrsquoemploi nrsquoont aucun lien avec les activiteacutes du payeur le statut drsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque probablement drsquoecirctre nieacute Le poste de travail ne doit pas ecirctre exclusivement creacuteeacute pour le travailleur mais doit encore une fois refleacuteter les besoins reacuteels de lrsquoemployeur91

Dans plusieurs deacutecisions lrsquoemploi dont le caractegravere assurable eacutetait contesteacute se composait essentiellement de tacircches meacutenagegraveres92 ou comptables93 Agrave lrsquooccasion le payeur soutenait qursquoil aurait eacuteteacute trop oneacutereux drsquoexiger qursquoun employeacute reacutegulier accomplisse ce travail Ainsi lrsquoemployeur avanccedilait que lrsquoembauche drsquoun employeacute uniquement pour exercer ces tacircches repreacutesentait une eacuteconomie car son taux salarial eacutetait neacutecessairement moins eacuteleveacute Cependant les tribunaux nrsquoont pas eacuteteacute reacuteceptifs agrave lrsquoeacutegard de cette argumentation Le caractegravere purement accessoire des tacircches amegravene donc une infeacuterence neacutegative sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi Cette derniegravere sera renforceacutee quand la preuve reacutevegravele que le poste de lrsquoemployeacute nrsquoa jamais eacuteteacute remplaceacute apregraves la deacutecision de ne pas reacuteinteacutegrer le travailleur dans lrsquoentreprise Toutefois si les tacircches du travailleur eacutetaient importantes et neacutecessaires pour le bon fonctionnement de lrsquoentreprise du payeur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi risque drsquoecirctre eacutetablie

89 Berthiaume c MRN [1998] CanLII 518 (CCI) par 34 90 Leblanc c MRN [2002] CanLII 838 (CCI) par 21 agrave 23 91 Agrimeacutetal inc c MRN 2008 CCI 266 par 3 92 2530-8552 inc c MRN 2005 CCI 133 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bernier c MRN

[1999] ACI no 840 par 3 (assurabiliteacute rejeteacutee) Garneau c MRN 2004 CCI 508 par 9 agrave 11 (assurabiliteacute rejeteacutee) Ross c MRN [1998] ACI no 950 par 8-9 (assurabiliteacute rejeteacutee) Savoie c MRN [1999] CanLII 547 (CCI) par 10 (assurabiliteacute rejeteacutee) Artisan en tuyauterie et speacutecialiteacutes en plomberie ATS c MRN 2003 CCI 605 par 54 agrave 57 (assurabiliteacute rejeteacutee) Latullipe c MRN 2004 CCI 567 par 12 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bellerive c MRN 2004 CCI 279 par 19 agrave 21 (assurabiliteacute accueillie) Duchesne c Canada 2005 CCI 576 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee)

93 Gauthier c MRN [2000] CanLII 25985 (CCI) par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Denis c MRN 2003 CCI 304 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee) Docherty preacuteciteacute note 47 par 24 (assurabiliteacute accueillie) Johnson c MRN 2011 CCI 501 par 27 (assurabiliteacute rejeteacutee) Kayal c MRN 2005 CCI 273 par 21 (assurabiliteacute rejeteacutee) Malenfant c MRN 2005 CCI 686 par 41 (assurabiliteacute rejeteacutee) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 25 (assurabiliteacute rejeteacutee) Eagle Canyon Adventures preacuteciteacute note 74 par 27 (assurabiliteacute accueillie) Papineau c MRN 2004 CCI 768 par 38 (assurabiliteacute rejeteacutee)

604 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

Une entente eacutetablissant des tacircches dont la nature et lrsquoimportance sont indispensables pour lrsquoentreprise peut parfois prouver que les parties nrsquoont pas conclu entre elles un contrat de travail (art 2085 CcQ) mais plutocirct un contrat drsquoentreprise (art 2098 CcQ) Si la personne est lrsquolaquo acircme dirigeante raquo ou le laquo cerveau directeur raquo de lrsquoentreprise la nature de lrsquoentente concernant les tacircches exeacutecuteacutees en cette qualiteacute ne peut ecirctre celle drsquoun contrat de travail94 Le lien de subordination est la condition sine qua non pour que la relation entre les parties soit qualifieacutee de contrat de travail En cas drsquoabsence manifeste de controcircle lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE ne peut trouver application95 Dans ce cas lrsquoimportance et la nature des tacircches ne reacutevegravelent pas neacutecessairement que deux parties sans lien de deacutependance nrsquoauraient pas conclu un contrat de travail similaire mais plutocirct que lrsquoentente convenue ne peut tout simplement pas remplir la premiegravere condition drsquoapplication de la loi soit la preacutesence drsquoune relation employeur-employeacute Il convient de noter qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire de prouver que la partie eacutetait lrsquoacircme dirigeante de lrsquoentreprise une simple absence de subordination fait eacutechec agrave lrsquoapplication de la Loi sur lrsquoassurance-emploi En reacutesumeacute lrsquoimportance et la nature des tacircches constituent un critegravere bipolaire ougrave deux situations aux antipodes peuvent amener agrave la non-assurabiliteacute drsquoun emploi Selon les circonstances des tacircches minimes dans lrsquoexploitation de lrsquoentreprise peuvent compromettre le caractegravere assurable de lrsquoemploi Agrave lrsquoopposeacute des tacircches drsquoune importance capitale ne refleacutetant pas la raisonnabiliteacute des autres critegraveres vicieront eacutegalement la qualification de lrsquoassurabiliteacute Il est donc impeacuteratif de bien deacuteterminer ce critegravere en comparaison avec ce qursquoun employeacute non lieacute serait precirct agrave accepter comme conditions de travail

4 LE BEacuteNEacuteVOLAT COMME SITUATION SUI GENERIS

Lrsquoexercice de tacircches non reacutemuneacutereacutees pendant lrsquoemploi et les peacuteriodes de chocircmage ont donneacute lieu agrave une jurisprudence abondante de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct Tout drsquoabord il importe de souligner que la preacutesence de tacircches beacuteneacutevoles nrsquoentraicircne pas automatiquement lrsquoexclusion drsquoun emploi des beacuteneacutefices preacutevus par la Loi sur lrsquoassurance-emploi En tenant compte de

94 Hoobanoff Logging Ltd c MRN [1999] CanLII 491 (CCI) par 40 Leliegravevre

preacuteciteacute note 54 par 47 Bergen preacuteciteacute note 36 par 63 Lepage c MRN 2008 CCI 656 par 67 Cossette c MRN 2011 CCI 482 par 21 Concernant la possibiliteacute qursquoune acircme dirigeante ait conclu un contrat de travail pour les tacircches exeacutecuteacutees en qualiteacute drsquoemployeacute de la compagnie les auteurs se reacutefegraverent aux deacutecisions Roxboro Excavation Inc c MRN [2000] CanLII 15316 (CAF) et Ventilex Inc c MRN 2005 CCI 350

95 Marcheacute Duchemin amp Fregraveres Inc c MRN 2005 CCI 274 par 12

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 605

toutes les circonstances affeacuterentes agrave la conclusion du contrat les tribunaux ont reconnu que certaines particulariteacutes peuvent faccedilonner le lien drsquoemploi unissant les parties Dans les reacutegions rurales lrsquoentraide et la solidariteacute sont des qualiteacutes plus reacutepandues Le beacuteneacutevolat au sein drsquoune entreprise situeacutee dans une petite communauteacute se pratique freacutequemment et les tribunaux sont davantage flexibles dans ces cas drsquoespegravece Comme lrsquoaffirmait avec justesse le juge Tardif dans lrsquoaffaire Marin c Canada lrsquoentraide et le beacuteneacutevolat laquo sont plus reacutepandues dans les reacutegions ougrave tout le monde se connaicirct raquo96 Cependant lrsquoultime question est de deacuteterminer si le beacuteneacutevolat est laquo un preacutetexte [hellip] pour deacutevier la Loi ou abuser du programme social de lrsquoassurance-emploi raquo97 et ce peu importe la localisation geacuteographique de lrsquoentreprise En preacutesence de tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement les tribunaux megraveneront leur analyse en fonction de cette consideacuteration

Le beacuteneacutevolat touche lrsquoensemble des critegraveres preacutevus par lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE soit la reacutetribution la dureacutee et lrsquoimportance du travail exerceacute Le travail beacuteneacutevole nrsquoest pas reacutemuneacutereacute cela est axiomatique En conseacutequence le critegravere de reacutetribution ne suscite pas drsquointerrogation et les facteurs les plus pertinents sont la dureacutee du beacuteneacutevolat et son importance Il est eacutegalement possible drsquoaffirmer que le beacuteneacutevolat peut remettre en cause lrsquoexistence drsquoun reacuteel contrat de travail en raison de lrsquoabsence de lrsquoune des conditions preacutevues agrave lrsquoarticle 2085 CcQ soit la reacutemuneacuteration Par conseacutequent le beacuteneacutevolat est un critegravere sui generis puisqursquoil neacutecessite la prise en consideacuteration de lrsquoensemble des critegraveres preacutevus agrave lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE Agrave la lumiegravere drsquoune synthegravese des deacutecisions rendues par les tribunaux nous proposons une analyse composeacutee de trois eacutetapes afin de deacuteterminer si un emploi est assurable en preacutesence de lrsquoexercice de tacircches beacuteneacutevoles

Le premier volet consiste agrave deacuteterminer srsquoil y a continuiteacute dans la prestation des services lors des peacuteriodes drsquoemploi et lors des peacuteriodes de beacuteneacutevolat En preacutesence drsquoune reacuteponse positive lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi est vicieacutee et il nrsquoest pas neacutecessaire de pousser davantage lrsquoanalyse

Quant au deuxiegraveme volet il consiste agrave srsquointerroger sur lrsquoimportance pour lrsquoentreprise des tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement

Le dernier volet repose sur la quantification des tacircches beacuteneacutevoles En drsquoautres termes il faut deacuteterminer le nombre drsquoheures consacreacutees

96 [2002] ACI no 553 (laquo Marin raquo) par 29 97 Id

606 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

beacuteneacutevolement agrave lrsquoentreprise pour ecirctre en mesure de se prononcer sur lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi

1) La continuiteacute dans la prestation de services vicie ipso facto le caractegravere assurable de lrsquoemploi Les tacircches beacuteneacutevoles ne doivent pas ecirctre identiques aux tacircches confieacutees agrave lrsquoemployeacute aux termes du contrat de travail unissant les parties98 Agrave maintes reprises les tribunaux ont conclu qursquoun emploi perd son caractegravere assurable si les tacircches exerceacutees beacuteneacutevolement sont sensiblement les mecircmes que celles accomplies dans la peacuteriode drsquoemploi La continuiteacute dans la prestation de services amegravene ineacutevitablement laquo la conclusion que lrsquoemploi doit ecirctre exclu raquo99 des beacuteneacutefices du reacutegime Lrsquoanalyse de lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles srsquoaveacuterera neacutecessaire seulement si lrsquoeacuteleacutement de continuiteacute nrsquoest pas preacutesent

2) Concernant lrsquoimportance des tacircches beacuteneacutevoles il faut deacuteterminer si les tacircches sont accessoires ou essentielles au deacuteroulement des activiteacutes de lrsquoentreprise Si les services beacuteneacutevoles sont marginaux lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi pourra ecirctre eacutetablie selon le nombre drsquoheures consacreacutees agrave lrsquoexercice de ces tacircches Par exemple il a eacuteteacute consideacutereacute qursquoun employeacute ayant reacutepondu occasionnellement au teacuteleacutephone lorsqursquoil eacutetait sur les lieux de travail pouvait tout de mecircme beacuteneacuteficier des avantages du reacutegime100 Dans ce cas le payeur exploitait un bar et il eacutetait clair que les tacircches beacuteneacutevoles nrsquoeacutetaient pas essentielles agrave lrsquoentreprise Toutefois dans les situations ougrave les tacircches sont essentielles aux activiteacutes du payeur il sera extrecircmement difficile de soutenir que lrsquoemploi est assurable101

3) Le nombre drsquoheures consacreacutees au beacuteneacutevolat doit ecirctre eacutetabli afin de pouvoir se prononcer sur le caractegravere assurable de lrsquoemploi Tout drsquoabord il faut analyser si les tacircches sont exerceacutees de faccedilon reacutepeacutetitive ou ponctuelle Les tacircches beacuteneacutevoles exerceacutees agrave reacutepeacutetition ne doivent pas requeacuterir un temps substantiel Lorsque les services beacuteneacutevoles effectueacutes sont minimes et peu importants pour le fonctionnement de lrsquoentreprise la jurisprudence a deacutejagrave consideacutereacute que lrsquoemploi eacutetait assurable mecircme si les tacircches neacutecessitaient un travail de plus ou moins 10 heures par semaine102

98 Id par 35 99 Dumais c Canada 2008 CAF 301 (laquo Dumais CAF raquo) par 32 100 Moreau c MRN 2003 CCI 339 101 Marin preacuteciteacute note 96 par 29 agrave 32 102 Pareacute c MRN 2004 CCI 540 par 13 agrave 15

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 607

Dans lrsquoarrecirct Theacuteberge103 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale a deacutecideacute qursquoun travail beacuteneacutevole avoisinant 10 heures par semaine ne viciait pas lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi La Cour a tenu compte du fait que le beacuteneacutevolat eacutetait exerceacute dans une entreprise agricole familiale et de surcroicirct en dehors de la saison active de lrsquoindustrie Nous croyons que le tribunal a fait preuve de souplesse dans son appreacuteciation de lrsquoalineacutea 5(3)b) LAE en raison des objectifs historiques de la Loi sur lrsquoassurance-emploi concernant le travail saisonnier Les deacutecisions rendues posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Theacuteberge ont systeacutematiquement fait usage de cette affaire comme drsquoun baromegravetre pour deacuteterminer si le beacuteneacutevolat exerceacute devait entraicircner lrsquoexclusion de ce travail des emplois assurables Cependant dans lrsquoarrecirct Denis c Canada104 la Cour drsquoappel feacutedeacuterale nrsquoa pas repris le raisonnement deacuteveloppeacute dans lrsquoarrecirct Theacuteberge105 La Cour a refuseacute de reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi puisque lrsquoemployeacute mis agrave pied avait continueacute sans reacutemuneacuteration la tenue des livres pour lrsquoemployeur le nombre drsquoheures eacutetant par ailleurs absent des motifs composant le ratio decidendi En raison de cette deacutecision nous croyons donc que les tribunaux seront davantage reacuteticents agrave reconnaicirctre lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en preacutesence de services beacuteneacutevoles En reacutesumeacute il sera tregraves difficile drsquoavancer qursquoun emploi est assurable si la preuve reacutevegravele que plus de cinq heures de beacuteneacutevolat par semaine ont eacuteteacute effectueacutees pour lrsquoemployeur et ce drsquoune faccedilon reacutepeacutetitive106 Toutefois en preacutesence de tacircches minimes marginales et effectueacutees de faccedilon ponctuelle en dehors des peacuteriodes

103 Preacuteciteacute note 46 par 27 et 28 104 2004 CAF 26 105 Preacuteciteacute note 46 106 Bernard c MRN 2010 CCI 577 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de

5 heuressem) Roy c MRN 2011 CCI 384 par 33 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 5 heuressem) Bouchard preacuteciteacute note 41 par 14 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 5 heuressem) Duchesne c MRN [2000] CanLII 544 (CCI) (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de 1 heuresem) Bourgouin c MRN 2008 CCI 59 par 8 (assurabiliteacute rejeteacutee 15 heuressem) Melvin c MRN 2004 CCI 410 par 7 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) Marin preacuteciteacute note 96 par 22 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 10 heuressem) Beaulieu c Canada [1999] ACI no 234 par 17 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de 8 heuressem) Tremblay c MRN [2001] ACI no 516 par 16 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 30 heuressem) Serres de la pointe Inc c Canada 2005 CCI 44 par 54 (assurabiliteacute rejeteacutee beacuteneacutevolat de plus ou moins 20 heuressem) 2158-3331 Inc c MRN 2006 CCI 489 par 8 (assurabiliteacute accueillie beacuteneacutevolat de plus ou moins 1 heuresem)

608 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

drsquoemploi le beacuteneacutevolat pris isoleacutement ne pourra faire eacutechec agrave lrsquoassurabiliteacute de lrsquoemploi107

CONCLUSION

En deacutefinitive lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi est une question neacutecessitant un examen approfondi de la relation unissant les parties Le caractegravere assurable nrsquoest pas figeacute dans le temps et agrave tout moment un emploi jugeacute assurable pourrait faire lrsquoobjet drsquoune nouvelle deacutetermination Le statut drsquoassurabiliteacute drsquoune relation de travail entre personnes ayant un lien de deacutependance est donc preacutecaire et lrsquoemployeacute aura tout inteacuterecirct agrave veiller agrave ce qursquoil nrsquoy ait pas de modifications substantielles agrave ses conditions de travail

Nous profitons de cette occasion pour souligner un problegraveme concernant lrsquoadministration de prestations qui deacutecoulent des deacutecisions relatives agrave lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi en vertu de la Loi sur lrsquoassurance-emploi Comme nous lrsquoavons vu les deacutecisions rendues par le ministre du Revenu national en vertu des articles 91 et 92 LAE qui portent notamment sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi peuvent faire lrsquoobjet drsquoun appel devant la Cour canadienne de lrsquoimpocirct comme le preacutevoient les articles 103 et suivants LAE Cependant lorsqursquoil srsquoagit drsquoexaminer une demande au sujet des prestations qui deacutecoulent de la deacutecision sur lrsquoassurabiliteacute ou non de lrsquoemploi crsquoest la Commission de lrsquoassurance-emploi du Canada (laquo Commission raquo) qui en deacutecide si la demande est faite dans les 36 mois suivant le moment ougrave les prestations ont eacuteteacute payeacutees ou sont devenues payables108 La Commission dispose toutefois drsquoun deacutelai de 72 mois si elle estime qursquoil y a eu laquo deacuteclaration ou affirmation fausse ou trompeuse raquo109 La deacutecision de la Commission ne peut ecirctre porteacutee en appel que devant le Tribunal de la seacutecuriteacute sociale instance remplaccedilant le deacutefunt Conseil arbitral110 comme le preacutevoient les articles 114 et suivants LAE

Il est selon nous anormal qursquoun tribunal comme la Cour canadienne de lrsquoimpocirct qui dans un contexte fiscal entend des causes de reacuteouverture drsquoanneacutees drsquoimposition au-delagrave de la peacuteriode normale de nouvelle cotisation en vertu de lrsquoarticle 152 LIR et qui deacutetient donc une expertise en matiegravere de fausses deacuteclarations ne soit pas habiliteacute par la Loi sur lrsquoassurance-emploi

107 Dumais CCI preacuteciteacute note 57 par 34 108 Par 52(1) et suiv LAE 109 Par 52(5) LAE 110 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable LC 2012 ch 19 art 247

BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCEhellip 609

agrave statuer sur la question du remboursement des prestations en matiegravere drsquoassurance-emploi en dehors de la peacuteriode normale de reacutevision de 36 mois Apregraves avoir entendu la preuve sur lrsquoassurabiliteacute ou non drsquoun emploi la Cour canadienne de lrsquoimpocirct disposerait de lrsquoensemble des informations neacutecessaires pour deacuteterminer lrsquoexistence ou non de deacuteclarations fausses ou trompeuses Pourtant la Cour nrsquoaura pas compeacutetence pour deacuteterminer si la Commission pouvait proceacuteder agrave un nouvel examen concernant le remboursement des prestations au-delagrave du deacutelai de 36 mois Ainsi deux procegraves devant des forums distincts avec les mecircmes intervenants devront avoir lieu pour reacutegler des questions qui sont fondamentalement rattacheacutees faisant ressortir les laquo anomalies [qui] peuvent reacutesulter du systegraveme biceacutephale eacutetabli par le leacutegislateur en matiegravere drsquoassurance-[emploi] raquo111 Le juge de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct devra statuer sur lrsquoassurabiliteacute drsquoun emploi mecircme srsquoil sait pertinemment qursquoil y a absence de deacuteclarations fausses ou trompeuses et que par conseacutequent en dehors du deacutelai de 36 mois la Commission ne pourrait pas exiger le remboursement des prestations si lrsquoemploi est jugeacute non assurable

Agrave cet effet il arrive que les juges sans avoir la juridiction neacutecessaire pour le faire estiment non justifieacutee lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute sur le trop-payeacute de prestations pour de soi-disant fausses deacuteclarations

laquo [39] Conseacutequemment il nrsquoy avait pas lieu de peacutenaliser lrsquoappelante drsquoougrave je recommande tregraves fortement que son dossier fasse lrsquoobjet drsquoune reacutevision administrative pour qursquoil soit tenu compte de cette absence de mauvaise foi et de ce qui mrsquoapparaicirct ecirctre une exageacuteration grossiegravere eu eacutegard aux faits et circonstances entourant ce dossier

[40] Je suis cependant conscient que cette recommandation deacuteborde la juridiction qui mrsquoest attribueacutee ce qui mrsquoempecircche de pouvoir conclure de maniegravere coercitive112 raquo

Pour reprendre les propos du juge en chef Rip de la Cour canadienne de lrsquoimpocirct nous sommes drsquoavis qursquolaquo [i]deacutealement la Cour devrait ecirctre un ldquoguichet uniquerdquo pour les personnes qui veulent intenter une action en vertu de la Loi raquo113 Bien que ces propos aient eacuteteacute tenus dans le cadre drsquoune affaire portant sur la Loi de lrsquoimpocirct sur le revenu nous sommes drsquoavis qursquoils sont eacutegalement drsquoactualiteacute en matiegravere drsquoassurance-emploi En eacuteliminant la

111 Universiteacute Laval c Canada (Ministre du revenu national) 2002 CAF 171 par 11 112 Poirier c Canada [2001] CanLII 952 (CCI) par 39-40 113 Tozzi c La Reine 2010 CCI 545 par 13

610 REVUE DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE VOL 33 NO 3

multipliciteacute des recours une eacuteconomie des ressources judiciaires srsquoensuivrait Il est regrettable que le leacutegislateur feacutedeacuteral nrsquoait pas agi en ce sens lors de la reacuteforme du reacutegime de lrsquoassurance-emploi en 2012114 Une modification agrave la Loi sur lrsquoassurance-emploi agrave cet effet serait profitable autant pour les prestataires de lrsquoassurance-emploi que pour lrsquoEacutetat

114 Loi sur lrsquoemploi la croissance et la prospeacuteriteacute durable preacuteciteacute note 110

LrsquoASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE

NATURE ET MISSION DE LrsquoORGANISME

LrsquoAPFF est un organisme agrave but non lucratif indeacutependant et non gouvernemental deacutedieacute agrave lrsquoavancement et agrave la diffusion des connaissances ainsi qursquoagrave lrsquoameacutelioration des compeacutetences de ses membres en matiegravere de fiscaliteacute LrsquoAPFF reacuteunit des professionnels de disciplines diverses issus de tous les secteurs drsquoactiviteacutes de lrsquoeacuteconomie

EFFECTIFS

LrsquoAPFF regroupe des professionnels issus de diffeacuterentes disciplines principalement des comptables avocats conseillers en seacutecuriteacute financiegravere notaires et planificateurs financiers De plus elle reacutepond aux besoins des eacuteconomistes administrateurs agreacuteeacutes conseillers en placement banquiers et actuaires de mecircme qursquoagrave ceux de toute personne inteacuteresseacutee directement ou indirectement au domaine de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF compte plus de 2 500 membres

ACTIVITEacuteS DE FORMATION

LrsquoAPFF organise dans quatre reacutegions administratives du Queacutebec des seacuteminaires colloques symposiums et autres confeacuterences animeacutes par des confeacuterenciers chevronneacutes sur toutes les dimensions de la planification fiscale et financiegravere

LrsquoAPFF donne eacutegalement agrave raison de deux sessions par anneacutee des cours en fiscaliteacute (Impocirct des socieacuteteacutes ndash seacuterie 1 Acquisition et reacuteorganisation corporative ndash seacuterie 2 Planification fiscale et financiegravere ndash seacuterie 3 Gestion du patrimoine fiscal et financier ndash seacuterie 4 TPS et TVQ ndash seacuterie 5 Fiscaliteacute internationale ndash seacuterie 6 incluant volumes et service de mise agrave jour dans chacun des cas) Ces cours sont eacutegalement offerts en ligne

En octobre lrsquoAPFF tient son congregraves annuel de trois jours en alternance entre Montreacuteal Queacutebec et Gatineau

PUBLICATIONS

LrsquoAPFF publie annuellement de nombreux ouvrages couvrant tous les aspects de la planification fiscale successorale et financiegravere

Les membres de lrsquoAPFF reccediloivent eacutelectroniquement depuis 2010 la Revue de planification fiscale et financiegravere le Livre du Congregraves ainsi que le magazine Strategravege Le reacutesumeacute des budgets des gouvernements du Queacutebec et du Canada est preacutesenteacute sur le site Internet de lrsquoAPFF le lendemain des budgets

Un bulletin drsquoinformation consacreacute agrave lrsquoactualiteacute fiscale le Flash fiscal maintenant compris avec lrsquoadheacutesion est publieacute environ 20 fois par anneacutee habituellement toutes les deux semaines Des numeacuteros speacuteciaux paraissent eacutegalement agrave lrsquooccasion du congregraves annuel

Toutes les publications de lrsquoAPFF depuis sa fondation sont eacutegalement reacutepertorieacutees dans un recueil intituleacute Liste des publications

Depuis octobre 1998 un service drsquoinformation fiscale eacutelectronique la Collection de lrsquoAPFF est offert par Internet Cette collection preacutesente la documentation eacutemise par lrsquoAPFF (depuis 1991 les textes des congregraves des colloques de la Revue de planification fiscale et financiegravere et depuis 2002 les textes du magazine Strategravege et des cours en fiscaliteacute des seacuteries 3 et 4) La Collection de lrsquoAPFF est maintenant commercialiseacutee par Carswell une socieacuteteacute Thomson par Knotia et par Publications CCH lteacutee et est vendue par abonnement

ADHEacuteSION

Toute personne qui deacutesire devenir membre de lrsquoAPFF peut le faire en se rendant sur le site Internet de lrsquoAPFF (wwwapfforg)

MEMBRES CORPORATIFS DE LrsquoAPFF

LrsquoAPFF accueille agrave titre de membres corporatifs pregraves de 70 entreprises provenant de diffeacuterents secteurs drsquoactiviteacutes et ordres professionnels

Toutes les entreprises deacutesirant participer agrave lrsquoessor de la planification fiscale et financiegravere peuvent le faire en adheacuterant agrave lrsquoAPFF par une contribution de 1 300 $ + taxes annuellement sous forme de cotisation de membre corporatif agrave lrsquoAPFF

SIEgraveGE SOCIAL DE LrsquoAPFF

Le siegravege social de lrsquoAPFF est situeacute au 1100 boul Reneacute-Leacutevesque Ouest bureau 660 Montreacuteal Queacutebec H3B 4N4 Teacuteleacutephone (514) 866-2733 ou (sans frais) 1 877 866-2733 Internet wwwapfforg ndash Courriel apffapfforg

LrsquoAPFF SE VEUT UN PHARE DE PROGREgraveS DANS LE DOMAINE DE LA PLANIFICATION FISCALE ET FINANCIEgraveRE POUR

LrsquoENSEMBLE DE LA COMMUNAUTEacute

CONSEIL DrsquoADMINISTRATION 2012-2013

Preacutesident du conseil Reneacute Roy avocat CPA CA associeacute Fasken Martineau DuMoulin sencrl srl

Vice-preacutesident Alain Meacutenard avocat BA MBA associeacute Cain Lamarre Casgrain Wells sencrlAvocats

Treacutesorier Steacutephane Leblanc CPA CA associeacute fiscaliteacute Ernst amp Young srlsencrl

Secreacutetaire Martin Lord avocat M Fisc JD TEP associeacute fiscaliteacute Robinson Sheppard Shapiro sencrl Avocats

Preacutesident sortant Maurice Freacutechette CPA CGA Power Corporation du Canada

Membres Annette Beshwaty CPA CGA KPMG srlsencrl Eacuteric Brassard CPA CA Pl Fin associeacute Brassard Goulet Yargeau Services financiers inteacutegreacutes Yves Coallier BAA Fin Intrsquol M Fisc preacutesident GCI inc ǀ Gallant amp Associeacutes sencrl Andreacutee Couture BAA AVA Pl Fin FLMI Conseils PPI Benoicirct Desjardins CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Deloitte sencrl Suzanne Landry Ph D M Fisc FCPA FCA FCMA HEC Montreacuteal Bernard Poulin CPA CA M Fisc associeacute fiscaliteacute Raymond Chabot Grant Thornton sencrl Diane Tsonos avocate TEP associeacutee fiscaliteacute Richter

Preacutesident-directeur geacuteneacuteral Maurice Mongrain avocat APFF

MEMBRES CORPORATIFS APFF

AGENCE DU REVENU DU CANADA

ALMA CONSULTING GROUP CANADA INC

ALTRO LEVY SENCRL

ASSOCIATION CANADIENNE DES COMPAGNIES DrsquoASSURANCES DE PERSONNES INC

BANQUE LAURENTIENNE DU CANADA

BANQUE NATIONALE GESTION PRIVEacuteE 1859

BDO CANADA SRLSENCRL

BELL CANADA

BLUE BRIDGE

BMO BANQUE PRIVEacuteE HARRIS

BMO SOCIEacuteTEacute DrsquoASSURANCE-VIE

BOILY HANDFIELD CA

BRASSARD GOULET YARGEAU SERVICES FINANCIERS INTEacuteGREacuteS

CANADIEN NATIONAL

CARSWELL UNE SOCIEacuteTEacute THOMSON REUTERS

CENTRE QUEacuteBEacuteCOIS DE FORMATION EN FISCALITEacute ndash CQFF INC

CHAMBRE DE LA SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE

CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUEacuteBEC

CIRQUE DU SOLEIL

CONSEILS PPI

DELOITTE SENCRL

DEMERS BEAULNE SENCRL

DENTONS CANADA SENCRL

DESJARDINS SEacuteCURITEacute FINANCIEgraveRE ndash MONTREacuteAL

DUFOUR CHARBONNEAU BRUNET amp ASSOCIEacuteS INC COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS

DYNAVISIONRS amp DE

EKITAS

ENGEL CHEVALIER ndash PROTECTION DU PATRIMOINE

ERNST amp YOUNG SRLSENCRL

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN SENCRL SRL

FEacuteDEacuteRATION DES CAISSES DESJARDINS DU QUEacuteBEC

FINALTA CAPITAL CII-ITC INC

FINANCIEgraveRE MANUVIE

FINANCIEgraveRE SUN LIFE

FISC-CAP SERVICES CONSEILS INC

FONDAFIP

GALLANT amp ASSOCIEacuteS SENCRL

GAZ MEacuteTRO

GESTION PLACEMENTS DESJARDINS

GESTION PRIVEacuteE DE PATRIMOINE CIBC

GROUPE CLOUTIER INC

GROUPE FINANCIER MULTI COURTAGE INC

HARDY NORMAND amp ASSOCIEacuteS SENCRL

INDUSTRIELLE ALLIANCE ASSURANCE ET SERVICES FINANCIERS INC

INOVEX CONSEILS INC

INSTITUT QUEacuteBEacuteCOIS DE PLANIFICATION FINANCIEgraveRE (IQPF)

INTACT CORPORATION FINANCIEgraveRE

INVESTISSEMENT QUEacuteBEC

INVESTISSEMENTS MANUVIE

KPMG SRLSENCRL

LA CAPITALE ASSURANCES MFQ INC

LA COMPAGNIE DrsquoASSURANCE DU CANADA SUR LA VIE

LA COOP FEacuteDEacuteREacuteE

LAVERY

LEMIEUX CANTIN SENCRL

LEMIEUX NOLET COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS SENCRL

MALLETTE SENCRL

MNP SENCRL SRL

OPTION FORTUNE CABINET DE SERVICES FINANCIERS

ORDRE DES COMPTABLES PROFESSIONNELS AGREacuteEacuteS DU QUEacuteBEC

OSLER HOSKIN amp HARCOURT SENCRLSRL

PETRIE RAYMOND CPA SENCRL

POWER CORPORATION DU CANADA

PREMTEC ndash GEacuteNIE-CONSEIL EN CREacuteDITS DrsquoIMPOcircT DE RS amp DE

PUBLICATIONS CCH LTEacuteE

PWC

RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON SENCRL

RICHARDSON GMP LTEacuteE

RICHTER

RIO TINTO CANADA

SERVICES DE GESTION DE PATRIMOINE RBCDOMINION VALEURS MOBILIEgraveRES

TE MIRADOR

TROWBRIDGE PROFESSIONAL CORPORATIONCABINET DE FISCALITEacute

UNIVERSITEacute DE MONTREacuteAL ndash DIVISION DES DONS MAJEURS ET PLANIFIEacuteS

VILLENEUVE VENNE SENCRL

  • Revue de planification fiscale et financiegravere
  • COMITEacute DE LA REVUE
  • POLITIQUE EacuteDITORIALE
  • SOMMAIRE
  • LE CASSE-TEcircTE DE LA DEacuteTERMINATION DES PRIX DE CESSION INTERNE TRANSFRONTALIERS ENTRE LES SOCIEacuteTEacuteS LIEacuteES LE PRINCIPE DE PLEINE CONCURRENCE AU XXIE SIEgraveCLE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • DANS QUELLE MESURE LES SOCIEacuteTEacuteS DEacuteTENUES PAR LES BANDES INDIENNES BEacuteNEacuteFICIENT-ELLES DrsquoUNE EXEMPTION FISCALE
  • TABLE DES MATIEgraveRES
  • BOURSE JACQUES-COcircTEacute ndash LrsquoEFFET DU LIEN DE DEacutePENDANCE SUR LrsquoASSURABILITEacute DANS LE CADRE DE LA LOI SUR LrsquoASSURANCE-EMPLOI SYNTHEgraveSE DES CRITEgraveRES APPLICABLES
  • TABLE DES MATIEgraveRES
Page 5: pages debut 33-3
Page 6: pages debut 33-3
Page 7: pages debut 33-3
Page 8: pages debut 33-3
Page 9: pages debut 33-3
Page 10: pages debut 33-3
Page 11: pages debut 33-3
Page 12: pages debut 33-3
Page 13: pages debut 33-3
Page 14: pages debut 33-3
Page 15: pages debut 33-3
Page 16: pages debut 33-3
Page 17: pages debut 33-3
Page 18: pages debut 33-3
Page 19: pages debut 33-3
Page 20: pages debut 33-3
Page 21: pages debut 33-3
Page 22: pages debut 33-3
Page 23: pages debut 33-3
Page 24: pages debut 33-3
Page 25: pages debut 33-3
Page 26: pages debut 33-3
Page 27: pages debut 33-3
Page 28: pages debut 33-3
Page 29: pages debut 33-3
Page 30: pages debut 33-3
Page 31: pages debut 33-3
Page 32: pages debut 33-3
Page 33: pages debut 33-3
Page 34: pages debut 33-3
Page 35: pages debut 33-3
Page 36: pages debut 33-3
Page 37: pages debut 33-3
Page 38: pages debut 33-3
Page 39: pages debut 33-3
Page 40: pages debut 33-3
Page 41: pages debut 33-3
Page 42: pages debut 33-3
Page 43: pages debut 33-3
Page 44: pages debut 33-3
Page 45: pages debut 33-3
Page 46: pages debut 33-3
Page 47: pages debut 33-3
Page 48: pages debut 33-3
Page 49: pages debut 33-3
Page 50: pages debut 33-3
Page 51: pages debut 33-3
Page 52: pages debut 33-3
Page 53: pages debut 33-3
Page 54: pages debut 33-3
Page 55: pages debut 33-3
Page 56: pages debut 33-3
Page 57: pages debut 33-3
Page 58: pages debut 33-3
Page 59: pages debut 33-3
Page 60: pages debut 33-3
Page 61: pages debut 33-3
Page 62: pages debut 33-3
Page 63: pages debut 33-3
Page 64: pages debut 33-3
Page 65: pages debut 33-3
Page 66: pages debut 33-3
Page 67: pages debut 33-3
Page 68: pages debut 33-3
Page 69: pages debut 33-3
Page 70: pages debut 33-3
Page 71: pages debut 33-3
Page 72: pages debut 33-3
Page 73: pages debut 33-3
Page 74: pages debut 33-3
Page 75: pages debut 33-3
Page 76: pages debut 33-3
Page 77: pages debut 33-3
Page 78: pages debut 33-3
Page 79: pages debut 33-3
Page 80: pages debut 33-3
Page 81: pages debut 33-3
Page 82: pages debut 33-3
Page 83: pages debut 33-3
Page 84: pages debut 33-3
Page 85: pages debut 33-3
Page 86: pages debut 33-3
Page 87: pages debut 33-3
Page 88: pages debut 33-3
Page 89: pages debut 33-3
Page 90: pages debut 33-3
Page 91: pages debut 33-3
Page 92: pages debut 33-3
Page 93: pages debut 33-3
Page 94: pages debut 33-3
Page 95: pages debut 33-3
Page 96: pages debut 33-3
Page 97: pages debut 33-3
Page 98: pages debut 33-3
Page 99: pages debut 33-3
Page 100: pages debut 33-3
Page 101: pages debut 33-3
Page 102: pages debut 33-3
Page 103: pages debut 33-3
Page 104: pages debut 33-3
Page 105: pages debut 33-3
Page 106: pages debut 33-3
Page 107: pages debut 33-3
Page 108: pages debut 33-3
Page 109: pages debut 33-3
Page 110: pages debut 33-3
Page 111: pages debut 33-3
Page 112: pages debut 33-3
Page 113: pages debut 33-3
Page 114: pages debut 33-3
Page 115: pages debut 33-3
Page 116: pages debut 33-3
Page 117: pages debut 33-3
Page 118: pages debut 33-3
Page 119: pages debut 33-3
Page 120: pages debut 33-3
Page 121: pages debut 33-3
Page 122: pages debut 33-3
Page 123: pages debut 33-3
Page 124: pages debut 33-3
Page 125: pages debut 33-3
Page 126: pages debut 33-3
Page 127: pages debut 33-3
Page 128: pages debut 33-3
Page 129: pages debut 33-3
Page 130: pages debut 33-3
Page 131: pages debut 33-3
Page 132: pages debut 33-3
Page 133: pages debut 33-3
Page 134: pages debut 33-3
Page 135: pages debut 33-3
Page 136: pages debut 33-3
Page 137: pages debut 33-3
Page 138: pages debut 33-3
Page 139: pages debut 33-3
Page 140: pages debut 33-3
Page 141: pages debut 33-3
Page 142: pages debut 33-3
Page 143: pages debut 33-3
Page 144: pages debut 33-3
Page 145: pages debut 33-3
Page 146: pages debut 33-3
Page 147: pages debut 33-3
Page 148: pages debut 33-3
Page 149: pages debut 33-3
Page 150: pages debut 33-3
Page 151: pages debut 33-3
Page 152: pages debut 33-3
Page 153: pages debut 33-3
Page 154: pages debut 33-3
Page 155: pages debut 33-3
Page 156: pages debut 33-3
Page 157: pages debut 33-3
Page 158: pages debut 33-3
Page 159: pages debut 33-3
Page 160: pages debut 33-3
Page 161: pages debut 33-3
Page 162: pages debut 33-3
Page 163: pages debut 33-3
Page 164: pages debut 33-3
Page 165: pages debut 33-3
Page 166: pages debut 33-3
Page 167: pages debut 33-3
Page 168: pages debut 33-3
Page 169: pages debut 33-3
Page 170: pages debut 33-3
Page 171: pages debut 33-3
Page 172: pages debut 33-3
Page 173: pages debut 33-3
Page 174: pages debut 33-3
Page 175: pages debut 33-3
Page 176: pages debut 33-3
Page 177: pages debut 33-3
Page 178: pages debut 33-3
Page 179: pages debut 33-3
Page 180: pages debut 33-3
Page 181: pages debut 33-3
Page 182: pages debut 33-3
Page 183: pages debut 33-3
Page 184: pages debut 33-3
Page 185: pages debut 33-3
Page 186: pages debut 33-3
Page 187: pages debut 33-3
Page 188: pages debut 33-3
Page 189: pages debut 33-3
Page 190: pages debut 33-3
Page 191: pages debut 33-3
Page 192: pages debut 33-3
Page 193: pages debut 33-3
Page 194: pages debut 33-3
Page 195: pages debut 33-3