Page de garde Magistère
Transcript of Page de garde Magistère
UNIVERSITE KASDI MERBAH OUARGLA
Faculté des lettres et des Langues
Département des Lettres et des Langues Étrangères
École Doctorale de Français
Antenne de l’Université de Ouargla
Mémoire présenté pour l’obtention
De diplôme de Magistère
Filière : Français
Option : Sciences du langage
Titre
Les textes littéraires et l'enseignement de l'interculturel en classe de FLE: cas du manuel de la quatrième année moyenne
Présenté par : M. Abdelouhab Fatah Dirigé par : Pr. Dakhia Abdelouahab
Soutenu le 21/06/2013
Devant le jury composé de:
Président : Dahou Foudil, Professeur, université de Ouargla.
Rapporteur : Dakhia Abdelouahab, Professeur, université de Biskra.
Examinateur: Khannour Salah, Maitre de conférences de classe « A », université de Ouargla.
DédicaceDédicaceDédicaceDédicace
Je dédie ce modeste travail à tous ceux que j’aime et Je dédie ce modeste travail à tous ceux que j’aime et Je dédie ce modeste travail à tous ceux que j’aime et Je dédie ce modeste travail à tous ceux que j’aime et
respecte, respecte, respecte, respecte, toustoustoustous ceux qui ceux qui ceux qui ceux qui ont contont contont contont contribué à la réalisation ribué à la réalisation ribué à la réalisation ribué à la réalisation
de cette de cette de cette de cette recherche, qui ontrecherche, qui ontrecherche, qui ontrecherche, qui ont été à mes cotés pour été à mes cotés pour été à mes cotés pour été à mes cotés pour
partager avecpartager avecpartager avecpartager avec moi mes rêves, mes peines, mes joies et moi mes rêves, mes peines, mes joies et moi mes rêves, mes peines, mes joies et moi mes rêves, mes peines, mes joies et
mes espérances.mes espérances.mes espérances.mes espérances.
Tout Tout Tout Tout d’abord, à mes chers parents d’abord, à mes chers parents d’abord, à mes chers parents d’abord, à mes chers parents ––––que Dieu les garde que Dieu les garde que Dieu les garde que Dieu les garde
–––– etetetet toustoustoustous ce qu’ils ce qu’ils ce qu’ils ce qu’ils rererereprésentent pour moi, en signe deprésentent pour moi, en signe deprésentent pour moi, en signe deprésentent pour moi, en signe de
reconnaissance auxreconnaissance auxreconnaissance auxreconnaissance aux sacrifices qu’ils ont consentis pour sacrifices qu’ils ont consentis pour sacrifices qu’ils ont consentis pour sacrifices qu’ils ont consentis pour
moi depuis ma naissancemoi depuis ma naissancemoi depuis ma naissancemoi depuis ma naissance.
AAAA MMMMes frères : Salah, Farouk et mes sœurs Djida etes frères : Salah, Farouk et mes sœurs Djida etes frères : Salah, Farouk et mes sœurs Djida etes frères : Salah, Farouk et mes sœurs Djida et
Lamia.Lamia.Lamia.Lamia.
AAAA MMMMon ange on ange on ange on ange gardien Céliagardien Céliagardien Céliagardien Célia
A TA TA TA Tous mes amis : Sous mes amis : Sous mes amis : Sous mes amis : Saaaalimlimlimlim, Toufik et Hanafi., Toufik et Hanafi., Toufik et Hanafi., Toufik et Hanafi.
Remerciements
Au terme de ce modeste travail, je remercie d'abord Dieu, le Tout
puissant, qui m’a donné la force et le courage pour poursuivre mes
études.
Je tiens à exprimer ma gratitude et mes remerciements à Mon
Directeur de recherche, le Pr Dakhia Abdelouahab, qui m'a encadré
tout au long de la réalisation de ce projet, pour sa patience, ses
judicieux conseils, sa rigueur scientifique, ainsi que ses chaleureux
encouragements, son aide permanente et sans faille, qu’il m’a
prodigués pendant tout l’encadrement, avec générosité et abnégation. Je remercie infiniment l'enseignante qui m'a donné la chance d'élaborer
Mon corpus et qui m'a été d'une grande aide, je nomme Mlle Ait
Moula Zakia.
J'adresse également mes sincères remerciements et ma reconnaissance à
tous les enseignants qui m'ont soutenu et qui ont toujours cru en moi,
je cite : Mr Ait Ouali N, Mlle Belhoucine M, Mlle Rachedi S.
ainsi que tous mes amis Salim, Toufik, Hanafi, Mourad, Ahmed,
Azzem, Ahmed, Djamel, Abdelghani et Hamza.
Table des matières
Introduction générale………………………………………………………...05
PREMIERE PARTIE : Outils méthodologiques
Chapitre I: Langue française et enseignement/apprentissage
du FLE : parcours, finalités défis
Introduction……………………………………………………………………...
13
1.1 Français Langue Etrangère…………………………………………………
14
1.2 Le Français langue seconde………………………………………………...
16
1.3 Le Français en Algérie, histoire et statut…………………………………
17
1.3.1 Le Français…………………………………………………………………. 21 1.3.2 L’arabe……………………………………………………………………… 27 1.3.3 L’arabe dialectal……………………………………………………………. 30 1.3.4 Le Berbère………………………………………………………………….. 31 1.4Vers la réconciliation des langues après l’affaiblissement des idéologies 33
1.5 Le Manuel scolaire pourquoi faire………………………………………… 38 1.5.1 Qu’est-ce qu’un Manuel scolaire ?................................................................................. 38 1.5.2 Les fonctions pédagogiques d’un manuel scolaire……………………………….. 41 1.5.2.1 La fonction de transmission des connaissances………………………………... 42 1.5.2.2 La fonction de développement des capacités de compétences communicatives 42 1.5.2.3 La fonction de référence……………………………………………………... 43 1.5.2.4 La fonction d’éducation sociale, d’ouverture et d’épanouissement culturel…… 43 1.6 Existe-il un « bon/mauvais » manuel de langue ?........................................ 44 1.7 Les principes fondateurs des programmes en Algérie…………………
46
1.7.1 Sur le plan axiologique…………………………………………………….. 46 1.7.2 Sur le plan épistémologique……………………………………………….. 47 1.7.3 Profil de sortie de l’enseignement Moyen…………………………………. 47 1.7.4 Les valeurs…………………………………………………………………. 47 1.8 Les objectifs de l’enseignement du Français au moyen………………….. 48 1.8.1 Les objectifs de l’enseignement du Français en 4ème A M………………… 53 1.8.2 Présentation du Manuel de 4ème AM………………………………………. 53 1.8.2.1 Structure du Manuel……………………………………………………… 53 1.8.2.2 Analyse du Manuel de 4ème AM…………………………………………... 55
1.9 Les perspectives (inter) culturelles dans le Manuel de 4ème AM………… 57 Conclusion……………………………………………………………………….. 60
Chapitre 2 : Le texte littéraire et le rapport langue/culture en
classe de FLE
Introduction…………………………………………………………………… 61
2.1 Le texte littéraire en FLE………………………………………………… 62
2.1.1 Texte littéraire ou document authentique ?………………………………… 62
2.1.2 Qu’est-ce qu’un texte littéraire ?.............................................................................. 63
2.1.3 Le texte littéraire dans les méthodes d’enseignement du FLE, une histoire
mouvementée………………………………………….………………………….
66
2.1.3.1 Les méthodes traditionnelles………..…………………………………..... 2.1.3.2 La méthode active……………………………..………………………… 2.1.3.3 Les méthodes audio……………………………………………………… 2.1.3.4 Les approches communicatives………………………………………….. 2.1.4Le statut du texte littéraire dans les méthodes d’enseignement du FLE… 2.1.5 Pour une approche anthropologique du texte littéraire ?.............................. 2.1.6 Le texte littéraire, « passeur culturel et interculturel »………..………….. 2.2. Le texte littéraire et l’interculturel……………………………………... 2.2.1 La culture : une notion difficile à cerner………………………………….. 2.2.2 Culture et enseignement du FLE……………………………….………… 2.2.2.1 La culture comme savoir ou « culture cultivée » ………………………… ….. 2.2.2.2 La culture comme « savoir-faire » ou discours anthropologique….…………… 2.2.2.3 La culture comme « savoir-être » ou discours interculturel…………..………..
68 70 70 73 76 81 83 84 85 88 89 90 94
� Le multiculturalisme, un des modèles de gestion de la diversité……….………... 94
� Le modèle interculturel………………………………..……………..……….. 95 2.2.3 De l’Interculturel………………………….……………………………… 2.2.4 Interculturel et altérité……….………………………………………….… 2.2.5 Quelques difficultés de la formation à l’interculturel……………………… 2.2.5.1 Une difficulté d’ordre méthodologique……………..………………………..... 2.2.5.2 Une difficulté d’ordre institutionnel…………….………………………….. 2.2.6 La compétence culturelle, essai de définition…………….……………….. 2.2.7 Pour une approche interculturelle en didactique des langues…………… 2.2.8 La didactique du texte littéraire et l’interculturel………………………….. 2.2.9 La compétence interculturelle, selon Denis Myriam ……………………....
99 102 105 105 106 106 110 114 117
Conclusion………………………………………………………………………. DEUXIEME PARTIE: (La mise en pratique)
121
Chapitre 3 : Lecture des contenus interculturels des textes littéraires du manuel de 4ème AM Introduction ………………………………………………………….…........... 3-1Lecture didactique des textes littéraires du manuel scolaire de 4èmeAM.
122 123
3-1-1 Aperçu global sur les textes littéraires choisis…………….………………… 3-1-2 Statut et types des textes littéraires choisis du manuel de 4èmeAM………………. 3-1-3 Les auteurs des textes………………………………………..………………. 3-1-4 La forte présence de l’Algérie et de la culture algérienne……………………..... 3-1-5 Manuel, pratiques de classe et discours culturel………………………..……… 3-2 Lecture des contenus interculturels……………………………………… 3-2-1 La compétence interculturelle et le texte littéraire d’un manuel de FLE……….. 3-2-1-1 Les différentes approches de la culture…………………..…………………... 3-2-1-2 Les aspects de la culture les plus importants dans l’enseignement d’une langue étrangère……………………………………………………………………. 3-2-1-3 Les avantages potentiels de l’enseignement de la compétence interculturelle dans les langues étrangères…………………………………………………………. 3-2-1-4 Comment enseigner une culture étrangère ?........................................................... 3-2-1-5 Propositions d’activités interculturelles en classe de langues étrangères …… 3-2-2 Les objectifs culturels de l’enseignement d’une langue étrangère…..…………… 3-2-3 Les représentations de l’étranger……………………………………………… 3-2-4 Enseignants/Apprenants : bâtisseurs de la rencontre interculturelle…………… 3-2-5 Analyse thématique et lexicale des textes choisis………..……………………... Conclusion……………………………………………………...………………...
123 124 128 129 131 132 133 133 135 136 137 138 140 140 141 143 189
Conclusion générale………………………………………………..…………....
190
5
L'enseignement-apprentissage du FLE a toujours été associé à l'utilisation du texte
littéraire car il représente un « appui pédagogique » incontournable dans
l’enseignement/apprentissage du FLE. En effet, considéré comme le lieu où s’expriment les
belles structures linguistiques, avec un vocabulaire raffiné et purifié et une syntaxe
rigoureuse, le texte littéraire est, et demeure la preuve d’un degré de maîtrise de la langue
française.
Ecarté par les méthodes audio-visuelles au début des années 60, le texte littéraire n'a
pas tardé, avec l'approche communicative au début des années 80, à retrouver la place qui lui
revient de droit dans les méthodes d'enseignement du FLE, et de s'y installer plus tard,
comme support didactique incontournable dans les méthodes d’enseignement les plus en
vogue.
En Algérie, des réformes successives des programmes de français ont été engagées
dans l’objectif de répondre aux préoccupations et d’anticiper les attentes de la société qui
évolue et se transforme sans cesse et de façon souvent imprévisible.
Toutefois, ces réformes même si elles n'ont pas exclu le texte littéraire des manuels
scolaires de français, elles continuent à appliquer au texte littéraire les mêmes démarches
que celles appliquées aux autres documents non littéraires, lui ôtant ainsi toute sa
singularité. La primauté semble être accordée donc à l’enseignement des rudiments
linguistiques de la langue-cible, tout en négligeant la dimension interculturelle, pourtant la
conjoncture internationale à travers la mondialisation des marchés économiques et le flux
croissant des populations qu’elle engendre, font de l’interculturel un sujet de première
importance. En d’autres termes, l’apprentissage des langues étrangères ne peut s’effectuer
expurgé de son corollaire culturel et en omettant les enjeux interculturels qu’il engendre.
Grands absents des contenus des manuels précédents, l’interculturel et le
socioculturel trouvent une place importante dans les manuels issus de la réforme. Au nom de
« l’ouverture sur l’Autre », une grande place sera accordée à la composante interculturelle.
Il est communément admis qu’il est impossible d’enseigner une langue étrangère sans
tenir compte de l’importance de la compétence interculturelle. De ce fait, la didactique des
langues se propose d’ancrer une pédagogie de l’interculturel dans
l’enseignement/apprentissage du FLE. Il s’agit, en effet, de relever le défi interculturel qui
se résume dans le fait d’enseigner la langue et sa culture et de montrer comment la culture
6
des apprenants entre en interaction avec la culture de l’Autre. Cela vise à supprimer les
frontières entre les différentes cultures humaines et, par là, permettre aux mentalités de se
libérer des chaînes de l'individualisme et de l'ethnocentrisme. C'est ainsi qu'il est possible de
s'ouvrir à "l'Autre" qui, lui, appartient à une autre culture fondée sur des caractéristiques
différentes.
En d’autres termes, l’interculturel en Algérie, en particulier dans l’éducation et la
formation est un domaine qui recèle le respect de la différence, l’interaction et donc
l’échange. S’ouvrir à l’Autre en admettant ses particularités culturelles c’est en quelque sorte
remettre en cause son propre système de valeurs et c’est ce qu’on veut dire par la
décentration ou la distanciation de la culture d’appartenance en portant un regard objectif
sur sa culture et en changeant d’attitude vis-à-vis de l’Autre. Il va sans dire donc,
qu'enseigner une langue étrangère, le FLE en l’occurrence, doit être nécessairement
accompagné d’un déchiffrage culturel (de la langue cible) dont le texte littéraire est le
vecteur potentiel dans la mesure où il est le produit de la société et de ses cultures.
Ainsi, la question de l’apprentissage d’une langue étrangère en valorisant la
dimension interculturelle commence à reprendre de l’ampleur depuis que l’on a prôné en
Algérie l’approche communicative dans l’enseignement des langues. Un enseignement dont
l’objectif majeur est celui de favoriser la compréhension mutuelle entre les peuples et la
familiarisation avec la culture de l’autre.
L’Algérie a toujours été la terre propice à la coexistence harmonieuse et la
sédimentation des cultures, elle a subi des processus d’acculturation et une dynamique
résultant du dialogue et du partage culturel. La culture algérienne ne peut que se conjuguer
au pluriel et on ne peut parler d’une culture pure. Les cultures s’interpénètrent et fusionnent
et de ce fait naît une culture métissée et plurielle.
Cependant, si les cultures se transmettent incessamment et d’une façon plurielle, il
devient impératif d’envisager une approche systémique dans l’apprentissage de l’interculturel
se fondant sur des dispositifs adéquats, des conceptions théoriques réfléchies tout en
insistant sur la formation de l’enseignant.
L’institution scolaire se trouve donc invitée à devenir un lieu de médiation culturelle,
un lieu de dialogue des cultures. Aujourd’hui, on considère l’apprentissage d’une langue
7
étrangère y compris sa culture comme un processus de reconstruction permanente des
représentations de l’apprenant vis-à-vis de cette culture. Il s’agit d’une prise de conscience,
de ses représentations et d’une découverte de ses propres spécificités culturelles par le
contact avec une autre langue et une autre culture. En effet, la valeur de la culture dans
l’enseignement/apprentissage du FLE est maintenant communément admise, que ce soit
pour communiquer efficacement dans des situations réelles, ou pour s’enrichir
intellectuellement et accomplir des tâches dans la société.
C’est pourquoi la littérature reste un vecteur puissant de la culture. Un texte littéraire
dévoile les modes de vie d’une société et représente sa vision du monde. Ainsi, vouloir
comprendre une œuvre littéraire nécessite de recourir à sa dimension culturelle dans laquelle
s’ancre un ensemble de rites, de traditions, de symboles et de valeurs sociales. Ce qui nous
amène à dire qu’étudier les textes littéraires ne sert pas uniquement à faire apprendre aux
apprenants le palmarès des grandes œuvres littéraires, mais c’est d’abord une interaction
interculturelle et socioculturelle qui mérite d’être interprétée. Il faudrait, dans ce cas, amener
les apprenants à comprendre cette réalité de la lecture du texte littéraire, en leur jettant les
ponts de toutes sortes entre les textes étudiés et les enjeux interculturels qu’ils véhiculent.
En se référant à Dib, Feraoun, Mokeddem, Eberhardt,…qui ont été des médiateurs de
la société et de la culture algérienne, on a pu connaître l’histoire de la société algérienne, ses
coutumes et sa vision du monde. C’est la raison pour laquelle différentes approches
s’inscrivant dans la didactique des langues et des cultures se sont penchées sur l’étude de la
littérature en la considérant comme le meilleur médiateur culturel.
Cependant, l’introduction du texte littéraire en classe de FLE permet l’émergence de
cette réflexion interculturelle. Le texte littéraire nous apparaît ainsi comme un excellent
support pédagogique non pas seulement pour l'appropriation de la langue française, mais
également pour la connaissance de l'Autre à travers sa culture qui y est largement présente,
comme le confirme M-A. Pretceille, pour qui « le texte littéraire apparaît comme le médiateur
essentiel avec autrui»1. Cependant, cette relation avec l'Autre n'est pas sans créer d'éventuels
malentendus et conflits culturels. D'où la nécessité pour l'apprenant d'acquérir une
1 Pretceille, M-A., cité par Collès. L : « Littérature comparée et reconnaissance interculturelle », De Boeck-
Wesmael, S.A, Bruxelles, 1994, p.18.
8
compétence interculturelle pour faire dissiper ces malentendus et avoir des rapports
fraternels avec l'Autre. L’enjeu n’est pas réellement l’apprentissage de la culture française ou
de toute autre culture, mais bien plus l’acquisition d’une compétence interculturelle.
Et notre recherche, en prenant en charge l'interculturalité au moyen, envisage la
mise en place d’une pédagogie de l’interculturel, abordant des thématiques culturelles en
intégrant le texte littéraire comme principal support pour la pédagogie lors d’une formation
en FLE.
Pour ce faire nous avons tenté d’expliquer les motivations qui nous ont incitées à
prendre une telle orientation en nous dressant un court inventaire des recherches qui ont été
faites ces dernières années dans le domaine de la didactique des textes littéraires.
Si l’on jette un vif regard sur cette liste des recherches, nous apercevons que les
problématiques sont multiples et variées : certains chercheurs s’interrogent sur les finalités
de la littérature dans l’enseignement/apprentissage de la langue étrangère proposant des
séquences didactiques pour atteindre chaque objectif, d’autres appliquent des théories
littéraires pour étudier telle ou telle œuvre littéraire. D’autres, encore, étalent les
représentations que font les enseignants et les enseignés de la littérature et de son
enseignement et tentent de donner une réponse à l’obsédante question « Qu’est-ce que la
littérature ? ». Quelques-uns analysent les contenus d’apprentissage et critiquent les
pratiques scolaires qui accompagnent cet enseignement pour en proposer des nouvelles.
Nombreux aussi sont ceux qui associent l’utilisation u texte littéraire au développement de la
lecture et de l’écriture chez l’apprenant.
Mais nous avons remarqué que peu de ces recherches se sont interrogées sur la
réception des textes littéraires comme vecteurs d’interculturalité, la plupart des recherches
n’ont pas essayé d’accorder à la pédagogie de l’interculturel la place centrale qu’elle mérite.
Notre connaissance de la réalité du terrain avait aussi son empreinte sur le choix des
orientations prises et nous a encouragé à limiter notre réflexion à la didactiques des textes
littéraires au moyen qui vit des transformations importantes, tant du point de vue structurel
qu’en matière de contenus d’enseignement : dès 2003, on assiste à une refonte du système
éducatif algérien ; une année scolaire du primaire est supprimée, une autre est additionnée
dans le moyen. La première langue étrangère est introduite dès la troisième année primaire,
9
le volume horaire consacré à cette langue a été revu à la hausse (parfois jusqu’à neuf heures
par semaine).
Notre recherche se fixe comme objectifs de contribuer, d'une part, à aider des
apprenants de langue étrangère à comprendre ou s'approprier des éléments culturels de la
culture cible, et, d'autre part, afin de pouvoir "provoquer" des occasions de créer des
échanges voire des connivences avec les locuteurs de la langue cible en motivant l'élève de
manière à ce qu'il se familiarise avec la culture étrangère et, de ce fait, le sensibiliser en
créant chez lui une véritable conscience de la diversité culturelle et de l'altérité pour une
"fusion harmonieuse" aussi bien dans le contexte scolaire que socioculturel, à partir de nos
hypothèses suivantes :
Le texte littéraire, étant la manifestation et la voie d'accès à la culture de l'autre, peut
favoriser l'acquisition et le développement d'une compétence interculturelle indispensable à
l'apprenant dans l’apprentissage linguistique et culturel du FLE.
Une maîtrise d'une langue étrangère ne signifie pas être systématiquement en rapport
d'interculturalité à la culture étrangère. L'enseignant de français langue étrangère ne
possède pas toujours les bons "outils" pour transmettre et enseigner une éducation de
l'interculturel.
La culture de "l'Autre" n'ayant jamais suscité un quelconque intérêt dans les
programmes de langue étrangère, les enseignants ne pouvaient que la reléguer au dernier
plan pour ne pas dire l'ignorer complètement.
Notre problématique s'articule autour de questions :
-Le texte littéraire favoriserait-il donc l'acquisition d'une compétence culturelle voire
interculturelle indispensable à une appropriation réelle du FLE?
-Quel est le rôle du texte littéraire dans l’enseignement de l’interculturel ?
-Comment enseigner l’interculturel par le biais du texte littéraire ?
-Est-ce que l'enseignant tente de créer chez l'élève du moyen le désir d'aller vers "l'Autre",
de le connaître, d'accepter sa différence et d'apprendre à relativiser et à se décentrer ?
Afin de mener à bien notre travail, nous avons choisi comme corpus des textes
littéraires choisis du manuel de 4ème année moyenne. Ce manuel a particulièrement attiré
notre attention pour la simple raison que, durant des années, ce manuel a été notre outil de
travail dans la profession d’enseignant au collège.
10
Notre motivation face à ce manuel nous incite à voir de plus près les textes littéraires
inclus dedans. En d’autres termes, il s’agit de vérifier si les textes littéraires s’insèrent
véritablement dans une méthodologie récente qui s’appuie sur l’approche interculturelle.
Nous avons voulu pénétrer, au moyen de l’analyse, le fond culturel des ces mêmes textes.
Parmi les raisons qui nous ont motivées à opter pour ce sujet, c'est notre amour et notre
intérêt pour la dimension de l'interculturel, d'une part, et découvrir s'il y a réellement une
implication de la part de l'enseignant de français par rapport à l'enseignement du volet
culturel. D'autre part, révéler les carences pédagogiques dans l'absence d'une prise en
compte de la nécessité d'une véritable éducation d'une compétence interculturelle.
La réalité pédagogique algérienne a longtemps fait prévaloir la compétence
linguistique au détriment de la compétence interculturelle alors que de nombreuses
recherches en didactique ont révélé que l'enseignement /apprentissage d'une langue
étrangère est indissociable de l'éducation interculturelle : ces deux volets aussi importants
l'un que l'autre se complètent et s'enrichissent à travers une réalité qui devrait être prise au
sérieux en milieu pédagogique et les auteurs tels que Claude Clanet, G. Zarate, M. Abdallah
Prétceille, L. Porcher, D. Byram, et bien d'autres, se rejoignent dans leurs nombreux travaux
pour défendre l'idée de l'importance à reconnaître le "droit" à une véritable éducation de
l'interculturalité dans une classe de langue étrangère.
La méthodologie suivie s'inspire des travaux de Abdallah-Pretceille et de L. Porcher,
C. Clanet et G. Zarate particulièrement de l’approche interculturelle qui vont nous permettre
de répondre à un certain nombre de questionnements dégagés par le corpus tels que les
outils méthodologiques à adopter pour approcher l'interculturel et la manière de les utiliser.
Le présent travail est réparti en deux parties:
Une partie théorique avec deux chapitres:
� Dans le premier chapitre, nous mettrons d’abord l’accent sur la présentation de la
situation sociolinguistique en Algérie, les langues en présence et donc la question de
la concurrence que peuvent se livrer deux ou plusieurs langues dans les différents
11
réseaux de communication. Effectivement, ce combat se remarque sans arrêt dans la
vie quotidienne dans le seul but d’occuper le marché algérien.
Ensuite, nous mettrons le point sur le manuel de 4ème AM, en abordant les principes
fondateurs des programmes en Algérie et de présenter sa structure ainsi que les
objectifs de l’enseignement du Français au moyen.
� Dans le deuxième chapitre, nous tenterons, dans le premier volet, de définir notre
objet d'étude à savoir le texte littéraire, en rappelant, tout d’abord, l’évolution qui a
marqué l’utilisation des textes littéraires dans l’enseignement du français. Puis, nous
croiserons les regards portés sur la notion de ‘’littérature’’ et au statut du texte
littéraire.
Nous parlerons également de la place du texte littéraire dans les différentes
méthodologies sans oublier au préalable de faire un état des lieux de l'enseignement-
apprentissage du FLE en Algérie. Nous ne manquerons pas enfin, en parlant de la
dimension culturelle du texte littéraire en classe de FLE, de définir la notion de
culture et de rendre compte des rapports très étroits qu’elle entretient avec la langue.
Dans le deuxième volet, nous aborderons la didactique des textes littéraires en y
inscrivant le passage à l’interculturel : d’abord, parce que, comme nous allons le
montrer, le texte littéraire est le vecteur culturel par excellence. De plus, cette
variété de textes charrie des valeurs sociales qui jouent un rôle intégratif primordial
et une conscience identitaire distinguée de l’apprenant étranger. En effet, la
dimension interculturelle est une composante évidente de l’apprentissage d’une
langue étrangère. Ainsi, le but de ce chapitre se résume donc, à montrer l’intérêt
d’inscrire des textes littéraires dans l’enseignement d’une langue étrangère et ce lui
de l’enseignement de l’interculturel.
La partie pratique avec un seul chapitre:
� Dans la deuxième partie de cette étude, en nous appuyant sur l’analyse typologique,
thématique et lexicale des contenus interculturels des textes littéraires, nous avons
essayé de mesurer l’impact de la littérature, par le biais des contenus interculturels de
ces mêmes textes, sur la motivation des apprenants algériens à apprendre la langue
française. Et, en même temps de voir ce que cette littérature confère à leur identité
notamment quand elle renvoie à des images, des lieux, des valeurs, des croyances, des
héros ou à des mythes qu’ils reconnaissent et acceptent.
12
Il s’agit, donc, de dégager les potentialités interculturelles offertes par les textes
littéraires du manuel de 4ème AM en identifiant des thèmes et en les analysant.
Finalement nous tenterons de lancer les jalons de propositions émanant de cette
analyse, pouvant aboutir à un enseignement/apprentissage du FLE prenant en
charge et réhabilitant les questions interculturelles devant conduire l’apprenant à
l’acquisition d’une meilleure compétence interculturelle. Ainsi espérons-nous apporter
notre contribution à la didactique des langues et des cultures.
Chapitre 1 :
Langue française et enseignement/apprentissage du FLE : parcours, finalités défis
15
Introduction
Dans ce premier chapitre, nous mettrons d’abord l’accent sur la présentation de la
situation sociolinguistique en Algérie, les langues en présence et donc la question de la
concurrence que peuvent se livrer deux ou plusieurs langues dans les différents réseaux de
communication. Effectivement, ce combat se remarque sans arrêt dans la vie quotidienne
dans le seul but d’occuper le marché algérien.
Ensuite, nous mettrons le point sur le manuel de 4ème AM, en abordant les principes
fondateurs des programmes en Algérie et de présenter sa structure ainsi que les objectifs de
l’enseignement du Français au moyen. A la fin, nous tenterons une lecture-analyse du
manuel de 4ème AM.
16
1.1. Le Français Langue Etrangère : essai de définition.
Pour mieux cerner le processus d’enseignement/apprentissage du français langue
étrangère, il nous apparaît utile de rappeler l’origine de l’expression « FLE ».
L’expression Français Langue Etrangère (FLE) a connu le jour suite à son utilisation
pour la première fois par A. Reboulet en 1957 en couverture d’un numéro de la revue Cahiers
Pédagogiques.
Après la seconde guerre mondiale, l’hégémonie de l’anglais qui n’arrête pas de gagner
du terrain au détriment du français qui voit ses territoires se réduire de plus en plus. Cela a
créé un sentiment de peur quant à la position et au devenir du français dans le monde. C’est
alors que de nouvelles politiques linguistiques voient le jour dans le but de contrecarrer
l’essor de l’anglais. Dès lors, des centres d’enseignement de langue française se sont
multipliés en France et à l’étranger, et une didactique du français langue étrangère s’est
constituée comme second pôle par rapport à celui du français langue maternelle.
La notion de langue étrangère est tout d’abord une notion de politique linguistique
avant d’être une notion didactique : une langue est dite étrangère dans un pays lorsque les
instances politiques lui attribuent ce statut, un statut éducatif. Ainsi, les langues étrangères
sont les langues prises en charge par le système éducatif en matière d’enseignement.
Dans son Dictionnaire de Didactique du français langue étrangère et seconde, J-P. Cuq
définit une langue étrangère comme suit : « E, didactique, une langue devient étrangère
lorsqu’elle est constituée comme un objet linguistique d’enseignement et d’apprentissage qui s’oppose
par ses qualités à la langue maternelle. La langue étrangère n’est pas la langue de première
socialisation, ni la première dans l’ordre des appropriations linguistiques ».1
D’un point de vue sociolinguistique, une langue étrangère implique qu’elle ne
corresponde pas à des pratiques communicatives effectives au sein de la société globale, en
d’autres termes, elle n’est pas la langue pratiquée dans la vie quotidienne.
C’est le français langue d’apprentissage pour tous ceux qui ont une autre langue que
le français comme langue maternelle. Le F.L.E, peut être aussi la langue dans laquelle un
étudiant non francophone suit ses études. Dabène.L appelle langue étrangère : « la langue
maternelle d’un groupe humain dont l’enseignement peut être dispensé par les institutions d’un autre
1 CUQ J-P., Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, CLE. International, 2003, p.150.
17
groupe, dont elle n’est pas la langue propre. »2 G.Germain présente, quant à lui, différentes
conceptions pédagogiques de la langue : « une langue peut être conçue soit comme un objet d’étude,
soit comme un moyen de communication, soit comme un moyen d’enseignement. Elle est conçue comme
un objet d’étude lorsqu’elle est vue avant tout, en tant que l’apprentissage d’un métalangage. Elle est
conçue comme un moyen de communication lorsqu’elle est vue comme le développement d’une habileté à
communiquer. Enfin, elle est conçue comme un moyen d’enseignement, lorsqu’elle est utilisée pour faire
acquérir, simultanément, d’autres matières scolaires ».3
Dans le contexte sociolinguistique complexe de l’Algérie, on peut considérer que la
langue française remplit chacun des paramètres suscités : elle est conçue comme l’objet
d’étude, comme moyen de communication et comme moyen d’enseignement, toutefois elle
l’est avec des degrés variables. Par conséquent, une question se pose : le français est-il
réellement une langue étrangère ?
Les contours sémantiques de la notion de FLE se dessinent alors à la lumière de la
volonté politique, linguistique et éducative qui est l’affaire de l’Etat. Ce faisant, le FLE au
sein de la société algérienne ne désigne qu’une langue non première acquise sous une forme
institutionnelle (établissement scolaire, cours de langue…) ou bien en autodidacte, et qui vise
dan sa conception générale la maîtrise des échanges langagiers spécifiques (français des
affaires, du Droit, de l’Informatique, de la Médecine, etc.…)
De ce fait, elle n’est pas, bien entendu dans le cadre scolaire, au service de l’acquisition
des savoirs non linguistiques, et son apprentissage n’a pas une dimension transdisciplinaire
(le français, au moyen à titre d’exemple, ne sert pas à apprendre l’histoire géographie, les
mathématiques, etc.…)
De plus, l’absence de contexte francophone hors de la classe de cours n’ouvre pas la
possibilité d’un usage authentique de la langue, car ce qui domine dans la vie de tous les
jours c’est la langue arabe. Après avoir mis fin au baccalauréat bilingue en 1989, la nouvelle
constitution algérienne de 1996 le confirme ainsi : « L’arabe est la langue nationale et
officielle ».4
1.2 Le français langue seconde
2 DABENE.L., Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, Editions HACHETTE, 1994, p29.
3 GERMAIN.C., NETTEN.J., La précision et l’aisance en FLE/FL2 : définitions, types et implications pédagogiques.
Cahier du français contemporain, 2004. 4 L a constitution algérienne (1996), Chapitre 1, Article3.
18
La situation scolaire d’apprentissage d’une langue seconde5 se caractérise par une
ambigüité pouvant aller jusqu’à la contradiction, entre objectifs explicites et implicites, entre
objectifs explicites et mise en œuvre pédagogique. Ainsi le but idéal, le plus souvent explicité
de l’enseignement d’une langue, est l’acquisition d’un moyen de communication.
Il s’agit donc, d’une acquisition qui aurait son utilité hors de l’école. Cependant, le
cadre institutionnel dans lequel s’inscrivent ces pratiques pédagogiques et méthodologiques,
place la langue au rang d’une discipline scolaire, que ce soit dans la conception même du
savoir qu’elle constitue, ou dans la soumission de ce savoir à l’évaluation.
C’est ainsi qu’apparaissent des contraintes qui touchent non seulement à la présentation
de matériaux linguistiques, mais aussi au processus d’apprentissage mis en place :
-le « savoir linguistique » est, par exemple, découpé en unités organisées selon le principe
d’une progression, généralement du simple au complexe, et le plus souvent consignées dans
un manuel.
-la langue est conçue comme un ensemble de règles syntaxiques dont la maîtrise permet
l’utilisation.
-l’écrit est survalorisé par rapport l’oral qui est par contre, moins facilement évaluable.
Ainsi, la présentation progressive des éléments soumis à l’acquisition scolaire de la
langue est un exemple de la façon dont la situation confère une spécificité à l’apprentissage
d’une langue seconde, ce qui est vraisemblablement différent dans l’acquisition naturelle car
dans ce cas, l’apprenant est toujours en présence de données linguistiques. L’acquisition de la
langue se fait sous la forme d’une appropriation progressive par l’apprenant grâce au
processus de communication. Pour Bautier- Castaing.E et Hebrard.J.6, la langue seconde
pourrait se caractériser par le fait qu’elle est toujours découverte et construite sur la base
d’un fonctionnement langagier déjà mis en place et déjà pourvu de ses caractéristiques
propres. C’est aussi une langue qui est de fait, massivement travaillée par une activité
didactique (classe de langue et usage des méthodes commercialisées pour le grand public).
En Algérie, la situation est plus complexe puisque la langue seconde peut désigner
l’une des langues en présence (par exemple l’apprentissage du berbère pour les arabophones
5 Par langue seconde, on vise l’enseignement du français qui, dans le contexte algérien, est la deuxième langue
enseignée après l’arabe standard. 6GALISSON.R., Lignes de force du renouveau actuel en didactique des langues étrangères. CLE International,
1980, p81.
19
et inversement, l’apprentissage de l’arabe pour les berbérophones), sans pour autant que
celle-ci jouisse d’un statut de langue étrangère.
1.3 Le Français en Algérie, histoire et statut
L’histoire linguistique de l’Algérie est celle d’un plurilinguisme, d’une cohabitation et
du contact entre différentes langues. Il s’agit d’une situation complexe caractérisée par une
différence de traitement des langues en présence. Cette complexité linguistique émane du fait
que plusieurs langues se partagent le marché linguistique en créant des conflits parfois
latents et souvent implicites.
La situation linguistique algérienne voit s’affronter quatre langues de statut inégal :
l’arabe classique, langue nationale et officielle, langue de l’administration et de toutes les
institutions de l’Etat, le français comme langue étrangère, l’arabe algérien et le berbère
(devenue langue nationale à partir de 2002) avec ses variétés sont les langues maternelles
des Algériens.
L’Algérie a connu deux phases importantes et marquantes d’aménagement
linguistique, il s’agit en premier lieu de la francisation pendant la colonisation et l’arabisation
après l’indépendance en second lieu. La première envisagée dès 1883 et avait comme objectif
l’introduction de la langue française et par conséquent l’exclusion de la langue arabe. La
deuxième phase avait pour but de restaurer la langue arabe dans ses droits dès 1964 en
arabisant le primaire. La mise en œuvre de la politique d’arabisation et son intensification à
partir des années 70, selon les propos de V.Kh.Taleb Ibrahimi, a inscrit fortement la
présence de l’arabe dans le paysage algérien.
A partir de 1962, date de l’indépendance, ce pays a été « officiellement » monolingue,
avec l’arabe classique comme langue officielle et nationale. Mais cela n’empêche pas la
présence sociale d’autres langues qui n’ont pas cessé de combattre pour leur survie. Elles
coexistent dans le patrimoine culturel algérien.
Il apparaît indispensable à nos yeux de donner un aperçu sur les langues en présence
en Algérie ainsi que sur leurs statuts. Nous pourrions dire que l’Algérie se caractérise par
une situation de plurilinguisme social. A ce propos Khaoula Taleb-Ibrahimi soulignait que :
«Les locuteurs algériens vivent et évoluent dans une société multilingue où les langues parlées, écrites,
utilisées, en l’occurrence l’arabe dialectal, le berbère, l’arabe standard et le français, vivent une
cohabitation difficile marquée par le rapport de compétition et de conflit qui lie les deux normes
dominantes (l’une par la constitutionalité de son statut de langue officielle, l’autre étrangère mais
20
légitimée par sa prééminence dans la vie économique) d’une part, et d’autre part la constante et têtue
stigmatisation des parlers populaires .»7
Paradoxalement, c’est après indépendance que l’usage du français s’est étendu. La
décision fut prise de généraliser l’usage de l’arabe littéraire dans les différents secteurs de la
vie : immenses efforts de scolarisation déployés par le jeune Etat algérien expliquent
l’expansion de la langue française après 1962, faisant appel à tous les algériens diplômés ou
instruits, à la coopération étrangère (surtout française). Il s’agit, comme l’a rappelé lors de la
première conférence sur l’arabisation (14 mai 1975) le président feu Boumediène, de donner
au français le statut d’une langue étrangère qui ne doit en aucun cas être comparée à
l’arabe : « la langue arabe ne peut souffrir d’être comparée à une autre langue que ce soit le français
ou l’anglais car la langue française a été et demeurera ce qu’elle a été à l’ombre du colonialisme, c’est-
à-dire une langue étrangère qui bénéficie d’une situation particulière du fait des considérations
historiques et objectives que nous connaissons. »
En effet, c’est dans cette atmosphère politique que sont tracés les premiers jalons de la
politique linguistique de l’Algérie ainsi que celles des pays du Maghreb. Alors, ce discours
politique nationaliste a rejeté le pluralisme linguistique et a donné une hégémonie absolue à
l’arabe.
Toutefois, l’arabisation est considérée comme une décolonisation culturelle pour
exclure la présence de la langue française sur le territoire algérien ; et pourtant « le
nationalisme des Algériens s’est forgé au contact des Français».8Cette langue du colonisateur
constitue toujours, à leurs yeux, une menace à l’identité nationale dont le fondement arabo-
islamique est le noyau.
La politique d’arabisation a présenté deux volets, l’un explicite et l’autre implicite. Le
premier consistait à remplacer la langue française par la langue arabe dans tous les usages en
Algérie, et le second visait à faire tenir à l’arabe classique la place des langues parlées
multiples, arabes et surtout berbères. Ces deux dimensions expriment l’essentiel des tensions
suscitées autour de l’arabisation. Jusqu’en 1978, date effective de l’application de l’école
fondamentale totalement arabisée, la dualité linguistique caractérisait le système scolaire. Le
français est introduit au cycle primaire à partir de la 3ème année. L’enseignement secondaire
qui a connu la même dualité a été entièrement arabisé à la fin de l’année 88/89.
7 TALEB- IBRAHIMI.K.,De la créativité au quotidien, le comportement langagier des locuteurs algériens »,In De la
didactique des langues à la didactique du plurilinguisme, J.Billiez (dir), Lidilem, Université de Grenoble 3, 1998,
pp.291-298. 8 M.BENRABAH, Ibid, p.213.
21
L’Algérie, non membre de l’Organisation internationale de la Francophonie, constitue la
seconde communauté francophone au monde, avec environ 16 millions de locuteurs : un
Algérien sur deux parle français (Rapport de l’OIF, Le Français dans le monde, 2006-2007).
Selon les résultats d’un sondage effectué pour le compte de la revue Le Point (article du
03/11/2000, n°1468, étude réalisée par l’Institut de sondages privé algérien Abassa),
l'Algérie est, en dehors de la France, le premier pays francophone au monde, avec plus de 14
millions, d'individus de 16 ans et plus, qui pratiquent le français, soit 60 % de la population.
Cette enquête fait ressortir le fait que beaucoup d'Algériens, sans rejeter leur arabité,
estiment que le français leur est nécessaire dans leur relation avec le monde.
Historiquement parlant, les 132 années de l’occupation française ont laissé leur
empreinte sur des générations entières d'Algériens notamment par l'enseignement, même si
l'élite algérienne était quasiment inexistante à l'époque coloniale. Le boom linguistique s'est
produit après l'indépendance en 1962, avec l'instauration de l'école obligatoire pour tous.
Cette dernière a tenu un rôle primordial dans l'enseignement des langues, français y compris.
Même si de nos jours, avec les impératifs d’une politique d’arabisation, le français n’est
enseigné que comme langue étrangère, il reste paradoxalement très présent dans le système
scolaire, surtout universitaire ; actuellement, hormis les sciences humaines qui sont
arabisées, l'enseignement universitaire est toujours francisé : les sciences médicales et les
sciences de l'ingénieur sont encore francisées, ainsi que quasiment toutes les branches au
niveau de la post-graduation. Une grande partie des médias est en langue française (radio,
quotidiens, hebdomadaires, etc.), la moitié de la presse algérienne, par exemple, paraît encore
en français, et connait même un tirage bien plus important que la presse arabophone. Un
foyer sur deux, par le biais de la parabole, regarde des chaînes françaises, ce qui favorise la
présence d'un bain linguistique au sein des domiciles algériens.
La proximité géographique qui favorise le déplacement des Algériens vers la France,
destination recensée comme le premier pays visité par les Algériens, que ce soit pour études,
visites familiales ou tourisme. Socialement, la langue française est perçue comme étant une
langue de prestige, qui assure à la culture correspondante une image valorisée.
La situation linguistique algérienne est donc quadridimensionnelle, qui se compose
essentiellement de :
1-3-1 Le Français :
22
En ce qui concerne le statut de la langue française, les textes officiels régissant
l’Algérie n’ont pas accordés à cette langue un statut plus ou moins clair. En revanche, son
statut reste toujours ambigu et oscille entre le statut de langue étrangère privilégiée, celui de
langue seconde, celui de « langue scientifique et technique» et celui de « langue
fonctionnelle ». Cette multiplicité de concepts rend sa définition difficile puisque « partagée
entre le déni officiel, la prégnance de son pouvoir
symbolique et la réalité de son usage, l’ambigüité de la place assignée à la langue française est un des
faits marquants de la situation algérienne »9
Le français : officiellement, première langue étrangère, mais cette langue connaît une
certaine co-officialité10 du fat que sa présence est assez importante dans la société
algérienne. « La réalité empirique indique la langue française occupe en Algérie une situation sans
conteste, unique au monde. Sans être la langue officielle, elle véhicule l’officialité, sans être la langue
d’enseignement, elle reste une langue de transmission du savoir, sans être la langue d’identité, elle
continue à façonner de différentes manières et par plusieurs canaux, l’imaginaire collectif. Il est de
notoriété publique que l’essentiel du travail dans les structures d’administration et de la gestion
centrale ou locale, s’effectue en langue française. Il est tout aussi évident que les langues algériennes de
l’usage, arabe ou berbère, sont plus réceptives et plus ouvertes à la langue française à cause de sa force
de pénétration communicationnelle.»11
Mais l’existence de deux ou plusieurs langues en même lieu conduit souvent à des
conflits linguistiques qui risquent toujours de se transformer en conflits socioculturel, voire
en guerre civile. Pour Henry Boyer : « Le conflit est inscrit au moins virtuellement dans toute
pluralité linguistique communautaire.»12Ce conflit résulte de la politique linguistique qui
privilégie une langue plutôt qu’une autre.
En d’autres termes, il en résulte des conflits politico-idéologiques latents expression
des luttes intestines de l’intelligentsia algérienne.13Les uns se proclament fervents
défenseurs de la langue française ; les autres fidèles passionnés de la langue arabe ; le
troisième parti celui des polarisés de la langue amazighe. De cette situation conflictuelle qui,
selon A. Dourari,:« Se manifeste socialement sous la forme d’une lutte sourde, parfois très
9 K.T.IBRAHIMI, citée par M.SABRI
10 BOUBAKOUR.S., ETUDIER LE FRANÇAIS…QUELLE HISTOIRE!, Université Lumière Lyon 2, France, p.54
11 SEBAA.R., Culture et plurilinguisme en Algérie :http://www.inst.at/13Nr/Sebaa13.htm
12 BOYER.H., Plurilinguisme : « contact » ou conflit de langues ?, Editions, L’Harmattan, Paris, 1997, p.10.
13 DAKHIA.A., Dimension pragmatique et ressources didactiques d’une connivence culturelle en FLE (Thèse de
Doctorat d’Etat en Lettres françaises),2004/2005.
23
tumultueuse, entre arabisants et francisants à tous les niveaux de la hiérarchie sociale et
administrative. Sous l’apparence d’une guerre linguistique se profile une lutte des élites pour
sauvegarder ou améliorer leur statut dans l’administration et pour le contrôle du pouvoir. […] La
langue n'est plus perçue comme moyen de communication remplissant, entre autres choses, une fonction
sociale déterminée. Elle est devenue un critère d'appartenance idéologique.»14
Cet état de choses existe depuis l’indépendance du pays, le bilinguisme scolaire
français-arabe a favorisé l’élite francisante, du fait que tout fonctionnait en français durant
les premières années qui ont suivi l’indépendance. La lutte qui opposait ces deux élites
sociales (francisants et arabisants) a pour fin l’élimination ou la survie de la langue française.
« Dans les clans dirigeants, on trouve, d’un côté, des groupes viscéralement antifrançais qui
revendiquent l’arabisation-islamisation, l’éradication du français et son remplacement par l’anglais.
De l’autre, se trouve une frange qui a pris la langue de Molière comme modèle pour « moderniser »
l’arabe coranique : une sorte d’« arabisation-traduction » qui consiste à exprimer en arabe les données
linguistiques et culturelles acquises au contact de la culture français ».15
Dans le 2ème article de la loi No 05-91 datée du 16 janvier 1991, portant sur la
généralisation de l'utilisation de la langue arabe, cette langue y est présentée comme une
composante de la personnalité nationale authentique et une constante de la nation. Les
positions des arabisants vont s'exprimer par le rejet de la langue française qu'ils associent à
la colonisation, car «Dans les conjonctures plurilingues issues de la colonisation, le ressentiment
collectif, plus ou moins vif, contre la puissance coloniale, tend à se traduire par le rejet prématuré de la
langue de la colonisation.»16
Pour eux, la langue française représente, principalement, une menace identitaire et
veulent se rapprocher de leur « culture d’origine ». Cette situation peut se présentait sous la
forme d’une contre-acculturation est concomitante des situations postcoloniales, elle consiste
dans « Le rejet brutal de l'acculturation et de ses acquis : la culture dominée, menacée de disparition,
se reprend dans un ultime sursaut et tente de restaurer, sous une forme qui cependant ne peut plus être
la même, les modes de vie antérieurs. Un double phénomène illustre ce processus: le messianisme
politique, qui mobilise, autour d'une figure héroïque réelle ou mythique, les forces vives de la
population dominée contre la puissance colonisatrice; l'idéologie du retour aux sources, qui assigne au
14
DOURARI.A., Les malaises de la société algérienne : Crise de langues et crise d’identité, Alger, Casbah Edition,
2003. 15
GRANDGUILLAUME.G., Arabisation et poltique du Maghreb, Paris, Maisonneuve-Lacrosse, 1983, p.31. 16
ABOU, L’Identité culturelle, Paris, Anthropos, 1995, p.12.
24
peuple la tâche de redécouvrir son identité originelle ou son "authenticité", un moment aliénée par la
colonisation et l'acculturation. »17
D’autre part, il ya les partisans de la langue française, pour qui cette langue est
comparable à ce que l'écrivain algérien Kateb Yacine appelle dans sa célèbre formule "un
butin de guerre" : il faut tirer profit de cette langue internationale afin de s'ouvrir sur le
monde. Pour eux, « La langue de la colonisation reste en effet, pour les générations prochaines, la
seule voie d'accès à la communication internationale et à la civilisation moderne, et par le fait même,
elle est particulièrement apte à féconder, du point de vue linguistique et culturel, les langues
autochtones elles-mêmes. Il est clair que, à son tour, elle recevra, dans un tel contexte, des
déterminations linguistiques et culturelles nouvelles propres à l'enrichir.»18
En d’autres termes, le discours officiel épilinguistique encourage la généralisation de
l’utilisation de la langue arabe avec de nombreuses références à l’appartenance idéologique à
la Nation arabe «Le peuple algérien se rattache à la patrie arabe dont il est un élément indissociable.
(…) se sont ajoutés progressivement à partir du VIIème siècle, les autres éléments constitutifs de la
nation algérienne, à savoir son unité culturelle, linguistique et spirituelle (…), l’Islam est la culture
arabe étaient un cadre à la fois universel et national.» (Charte nationale, 1976, titre premier)
Au plan législatif, l’ordonnance n°76/35 du 16 avril 1976 qui régit l’organisation de
l’éducation et de la formation définit clairement la place qui doit être réservée à
l’enseignement du français au sein de l’école algérienne : « le français défini comme moyen
d’ouverture sur le monde extérieur, doit permettre à la fois l’accès à une documentation scientifique,
mais aussi, le développement des échanges entre les civilisations et la compréhension mutuelle entre les
peuples ».
En effet, l’impact de la domination linguistique coloniale ainsi que la politique
linguistique (planification) qui a été menée depuis l’indépendance, ont fait du français la
première langue étrangère. Ce « statut » de langue véhiculaire, a permis par ailleurs
jusqu’aux années quatre vingt, une grande diffusion da la langue française notamment dans
les médias, l’audio- visuel et surtout au niveau de la scolarisation.
Pour D. Morsly : « Cette absence de référence explicite au français traduit la volonté de le
renvoyer à un statut de langue étrangère, alors que les pratiques linguistiques réelles en français sont
plus étendues que celles que l’on relève généralement pour les langues étrangères, le syntagme langue
17
ABOU, L’Identité culturelle, Paris, Anthropos, 1995, pp.72-73. 18
Ibid., p.12.
25
étrangère est impuissant à rendre compte de la position du français en Algérie ».19 Ce qui nous
amène à dire que le discours officiel épilinguistique se situe en décalage avec la réalité
sociolinguistique dans le pays.
L.Y.Cherrad20trouve que sur le plan institutionnel, le français est défini comme une
langue étrangère. Mais ce statut officiel reste théorique et fictif en effet, jusque dans les
années 1970, le champ linguistique se caractérise par une forte prééminence de l’usage de la
langue française, qui reste dominante dans les institutions administratives et économiques.
Celle-ci remplissait le rôle de langue de scolarisation, d’information scientifique, de
communication et de fonctionnement de plusieurs institutions de l’Etat. Dans le parcours
scolaire, le français est enseigné dès le primaire comme langue obligatoire.
Mais avant son entrée à l’école, l’enfant algérien se voit soumis très tôt à une situation
linguistique hétérogène et contraignante caractérisée par la multiplicité des idiomes (arabe
dialectal, tamazight, arabe standard, français). Ce plurilinguisme, qui constitue en soi une
richesse culturelle de par la diversité linguistique de la communauté, devient un handicap
majeur pour l’enfant. En effet, lorsque ce dernier affronte l’univers scolaire dans une
situation de plurilinguisme, il est constaté un écart linguistique entre la langue de l’école et
celle de la maison. Or pour L.Y.Cherrad, « la complexité de la situation linguistique algérienne
réside moins dans l’hétérogénéité linguistique que dans la contradiction très forte entre le
« théorique » c’est-à-dire les normes officielles (im) posées par le discours idéologique du pouvoir et
l’usage réel « in vivo » des différentes langues en présence ».21
Dans la formation scolaire et universitaire, on relève que le français n’a pas cessé de
varier au gré des politiques linguistiques menées dans le pays. Au niveau de l’institution
scolaire, depuis 1974 et jusqu’au début des années 90, le français est introduit d’abord en
deuxième année, puis en troisième et enfin en quatrième année primaire. Aujourd’hui, dans le
cadre du projet de réforme du système éducatif, il est réintroduit dès la troisième année
primaire. Le français est, par ailleurs institué tout au long du cursus scolaire et universitaire,
comme langue enseignée ou comme langue de travail d’appoint, notamment pour la
documentation scientifique et technique.
On note que certaines disciplines universitaires, scientifiques et technologiques
(médecine, pharmacie, chirurgie dentaire, sciences vétérinaires, informatique, architecture,
19
MORSLY.D., « La langue étrangère : réflexion sur le statut de la langue française en Algérie », le français dans
le monde n°189, 1984, p 25. 20
CHERRAD- BENCHEFRA, L Y., Le français en Algérie, DUCULOT, 2002, p36. 21
Ibid., p69.
26
génie civil, génie mécanique, etc.), ont conservé le français comme seule langue de travail et
d’acquisition de savoir. Au niveau des médias, on relève aussi que les publications
d’expression française sont en large diffusion.
Malgré toutes les dispositions législatives et les réaménagements linguistiques et
culturels, il est évident que l’histoire de la langue française en Algérie, demeure une histoire
conflictuelle avec la langue arabe. A travers cette rivalité, s’expriment des enjeux à la fois
politiques et idéologiques qui partagent d’un côté, les partisans d’une arabisation à outrance
et de l’autre, les partisans d’une forme de bilinguisme équilibré ; enjeux confirmés d’ailleurs
par la déclaration du président A. Bouteflika lors du IX sommet de la francophonie22 en 2002
à Beyrouth : « Le français est un atout, pas une menace ».23
Cette situation paradoxale a par conséquent, contribué à construire des représentations
sociales de la langue française, elles aussi contradictoires : tantôt dénoncée comme langue du
colonisateur, tantôt perçue comme langue de la promotion scolaire, comme langue
d’ouverture sur le monde occidental, sur la culture universelle. Mais, il est connu que dans
tous les pays anciennement colonisés, le rapport entre langue maternelle/ langue étrangère
est un rapport conflictuel de surface masquant en réalité un antagonisme identitaire entre la
culture du colonisateur et celle du pays conquis.
A ce propos, L.Y.Cherrad considère que l’ambivalence linguistique arabe / français qui
a prévalu de 1962 à 1979, se transforme à partir des années 1980 et jusqu’à nos jours pour
des raisons idéologiques, en rapport antagonique. Entre les sphères linguistiques
arabophones et francophones, le fossé s’accroît de plus en plus. La complémentarité des élites
arabisantes et francisantes qui na prévalu dans les premières décennies de l’indépendance se
transforme en rivalité et en opposition. Cet antagonisme entretient la confusion au sein des
enseignants qui sont eux-mêmes les acteurs de ces enjeux. Car ils doivent gérer non
seulement, leurs propres représentations, c’est-à-dire les représentations qu’ils se font de
leur métier d’enseignant de français et la façon dont ils conçoivent leur rôle de passeurs de
langues, mais aussi celles de leurs élèves, héritées de leur environnement social et familial.
Toutefois, il existe divers vecteurs de français au sein des différentes couches de la
société algérienne. Le système éducatif, la cellule familiale, les médias et certaines
institutions économiques sont les lieux privilégiés qui, en permettant une certaine diffusion
22
Deuxième pays francophone après la France, l’Algérie, malgré les sollicitations des pays membres de
l’Organisation Internationale de la Francophonie, n’a toujours pas adhéré à ce mouvement. 23
L’Humanité, quotidien d’information, Edition du 21 Octobre 2002.
27
de cette langue, favorisent son appropriation par les sujets parlants. Cette appropriation est
susceptible d’emprunter plusieurs canaux, avant que son enseignement ne soit assuré par
l’école. L’environnement immédiat la rue, la famille proche ou élargie, les médias (surtout la
télévision), certains documents en rapport avec la vie quotidienne sociale et économique du
locuteur, constituent les multiples supports (formels ou informels) de l’acquisition du
français.
Aujourd’hui l’usage du français et omniprésent et occupe une place fondamentale dans
notre société et ce, dans tous les secteurs (éducatif, social, culturel, économique), nous
pouvons presque dire qu’il y a un fil invisible qui lie le français à l’Algérie. Cette langue est
parlée par une grande partie d’algériens et plus précisément dans leur vie quotidienne.
Malgré les rebondissements qu’a connu le français et la place indétrônable qu’il occupe,
l’Algérie reste, comme nous l’avons mentionné plus haut, le seul pays qui n’adhère pas à la
francophonie.
Même si langue arabe a pris en charge l’enseignement au primaire et au secondaire, le
supérieur lui utilise toujours la langue française pour dispenser ses cours. Car conscient que
cet outil est une arme qui permet d’ouvrir une brèche dans le monde des sociétés avancées,
mais c’est aussi un niveau et une qualité d’enseignement. Car là : « sont dictés les impératifs de
la globalisation de la vie moderne et ses complicités ainsi que les exigences de la modernité ».
24N’avons-nous pas entendu souvent dire, selon Kateb yacine, que «tôt ou tard le peuple
s’empare de cette langue, de cette culture et il en fait des armes à longue portée de sa libération ».25 Le
français est une richesse qu’il serait dommage de dilapider, il est ancré dans la réalité
algérienne, il a permis et permettrait un accès à la modernité.
1-3-2 L’arabe : dit, arabe classique, coranique, standard, littéraire ou moderne, doit sa
présence à l’Islam auquel elle sert de courroie de transmission. La langue arabe classique
jouit d’un certain prestige du fait qu’elle est la langue de l’Islam, la langue du coran « c’est
cette variété choisie par Allah pour s’adresser à ses fidèles. »26C’est la langue de l’instruction, de
l’enseignement religieux, c’est la référence et l’outil symbolique de l’identité arabo-
musulmane. Elle est détentrice selon certains religieux d’une sorte de « légitimité divine ».
« La langue arabe est une langue sacrée pour les Algériens puisque c’est la langue du Texte, c’est-à-
dire du texte coranique ».27 Considéré comme un pays arabo-musulman, l’Algérie a pour langue
24
M.Benoune, « de l’université moderne à la multiversité », in El Watan datant du 26-05-1999. 25
K.Yacine, Cit in NYSSEN, Hubert, 1970, p.77. 26
K.T.IBRAHIMI, Les algériens et leur(s) langue(s), EL Hikma, Alger, 1995, p.5. 27
BOUDJEDRA.R., Le FIS de la haine, Editions Denoël 1992/1994, pp.28-29
28
officielle l’arabe. Il est essentiellement utilisé dans l’enseignement, dans les administrations
et dans les institutions de l’Etat en plus de sa fonction religieuse.
C’est la variété des lettrés, elle sert de véhicule au savoir de façon générale, utilisée
comme langue de culture et dans des situations de communication formelles.
Essentiellement écrite, elle est aussi pratiquée à l’oral, il s’agit plus exactement de l’écrit
oralisé. Cette variété principalement apprise à l’école, n’est en fait pratiquée par aucune des
communautés linguistiques qui composait la société algérienne. Pour la communication
quotidienne ou dans les conversations usuelles de la vi de tous les jours.
A ce propos G.Grandguillaume affirme que : « Sans référence culturelle propre, cette langue
est aussi sans communauté. Elle n’est la langue parlée de personne dans la réalité de la vie quotidienne
(…) derrière cette langue « nationale», il n’y a pas de « communauté nationale » dont elle serait la
langue tout court, dont elle serait bien sûr la langue maternelle. »28 Cette langue n’est utilisée par
les Algériens que dans des situations formelles (école, administration, tribunal,…) et elle n’a
aucune existence dans la sphère informelle (conversation entre amis, en famille, ans la rue…)
Par ailleurs, « Cette langue étant perçue et considérée comme composante essentielle de l’identité
du peuple algérien et en quelque sorte le ciment de l’unité nationale », aussi « son espace d’utilisation
s’élargit sas cesse et s’ouvre sur de multiples domaines, tel l’informatique, l’enseignement des matières
scientifiques, univers autrefois réservé exclusivement à la langue française.»29
Après l’indépendance l’Etat algérien a adopté l’arabe standard comme la seule langue
officielle dans le but d’unifier tout le peuple algérien autour de cette langue. Parlée par la
majorité de la population, elle n’était écrite et lue que par une minorité de « lettrés » : dans
sa version coranique par les talebs des zaouïas et des mosquées, c’était et c’est toujours
liturgique, et dans sa version « moderne » par les professeurs des médersas et plus tard de
l’université. Ces derniers tournaient le dos aux « lehjas » parlées par les populations
arabophones du pays qu’ils considéraient comme des formes « dégénérées » du modèle de
référence. Celui-ci était établit à partir des expériences des autres pays arabes non
berbérophones à l’origine et qui n’ont pas connu la colonisation de peuplement.
L’enseignement de la langue se fit alors en ignorant superbement l’expérience
linguistique propre à l’Algérie, méprisant sa singularité et son originalité. Au lieu de partir
28
G.GRANDGUILLAUME, Arabisation et politique linguistique au Maghreb, Maisonneuve et Larousse, Paris,
1983, p.11. 29
T.ZABOOT, Un code switching algérien : le parler de T.ouzou, Thèse de Doctorat, Université de Sorbonne,
1989, p.75
29
de cette expérience, ils lui tournèrent le dos st comme Jules Ferry en France et ses épigones
en Algérie qui se donnèrent pour « mission » de franciser et la France (exit les langues
locales comme le basque et le breton) et l’Algérie colonisée, nos « jules- ferristes » locaux se
donnèrent pour mission « d’arabiser » leur propre pays qui était déjà arabophone !
La langue enseignée, sans racines locales, devint une langue mécanique, déconnectée
de son vivier naturel, soit les langues parlées par les Algériens, et dans lequel elle aurait
puisé énergie et vitalité. Et cet acharnement à tourner le dos à la richesse linguistique
nationale s’explique en partie par la formation de nos arabisants locaux qui les accabla de
complexes dans les lieux moyen-orientaux où ils ont évolué qui s’exprimaient dans la haine
viscérale de la langue française et le mépris hautain des dialectes locaux. A tout cela, il faut
ajouter l’’intense rivalité qui les opposa, l’indépendance venue, à l’autre élite culturellement
concurrente, celle des « francisés », avec les religieux, ils constituaient alors, les trois petites
minorités qui se partageaient le monopole de l’écriture.
Des officiels qui baignaient quand ils discourent « officiellement », cherchant
maladroitement des mots et des formules ailleurs, dans d’autres pays quand ils sont tout à
leur portée dans la langue de leur mère, de leur quartier, de leur région. Cet exercice,
périlleux pour beaucoup, a, selon nous, joué un rôle important dans l’expérience politique de
l’Algérie indépendante. Les « responsables », titulaires du droit de parler publiquement, en
adoptant cette posture linguistique « décrochée » des langues vernaculaires, se sont e
quelque sorte eux-mêmes « décrochés » de ceux qui les écoutent, augmentant ainsi la
distance déjà grande qui les séparait des citoyens ordinaires.
Le discours idéologique dominant considère la langue arabe comme la seule garante de
la personnalité nationale. L’unité de la « Nation arabe » est liée à une supposée utilisation
répandue de cette langue. Cette démarche, selon G.Grandguillaume, répond à une
motivation : « En ce qui concerne le Maghreb, il est certain que la langue arabe coranique est
transmettrice de mythes. On peut même dire qu’elle transmet le récit de la légitimité radicale pour la
majeure partie de l’opinion. Cette consécration politique constitue paradoxalement un frein, un
handicap à cette langue de conquérir d’autres domaines d’utilisation, et c’est le français qui s’étend
désormais sur d’autres espaces.»30
1-3-3 L’arabe dialectal :
30
GRANDGUILLAUME G., « Langue, identité et culture nationale au Maghreb », In Peuples Méditerranéens, n°9,
Oct./Déc., 1979.
30
Arabe populaire, ou arabe algérien : bien que d’un usage fort répandu, il est dénommé
péjorativement dialecte et considéré inapte à véhiculer les sciences et à être enseigné à
l’école! Les textes officiels n’en font pas ou rarement mention. Toutefois, il est la langue
maternelle de la majorité de la population (première langue véhiculaire en Algérie) avec
certes des variantes qui ne constituent cependant aucun obstacle à l’intercompréhension.
« L’arabe dialectal est la langue maternelle de 72% de la population algérienne.»31Il est le véritable
instrument de communication pour la majorité des locuteurs algériens, c’est la langue du
quotidien, et de leur première socialisation.
Sans tradition scripturale, cette langue vit et évolue au sein de la population qui en
fait usage d’où l’appellation « arabe populaire ». Elle est utilisée dans les lieux publics : la
rue, les cafés, les stades…Elle est employée dans les situations de communication
informelles, intimes : entre amis, en famille, etc. de ce fait, elle remplit une fonction
essentielle même si elle est exclue de toutes les institutions gouvernementales (école,
administration, etc.) et ne jouit d’aucun statut officiellement reconnu. Dans ce contexte
R.Chibane affirme que : « malgré l’importance numérique de ses locuteurs, et son utilisation dans
les différentes formes d’expression culturelle (le théâtre et la chanson), l’arabe dialectal n’a subi aucun
processus de codification ni de normalisation.»32M.Mammeri quant à lui écrit : « L’arabe classique
est le seul reconnu, le seul officiel mais n’est la langue d’aucun algérien. Les langues populaires,
l’arabe populaire et l’amazigh sont les langues d tous les algériens, mais n’ont pas de statut reconnu
officiellement. Elles existent réellement sans exister légalement au sens d’exister
constitutionnellement.»33
1-3-4 Le Berbère:
Après l’indépendance, la langue berbère, comme l’arabe dialectal, a subi l’impact de la
politique de l’arabisation qui tend à promouvoir et généraliser l’utilisation de la langue arabe
classique, dans le but d’une unification nationale. Le berbère bien qu’il soit présent dans les
pratiques journalières des locuteurs berbérophones et vivace dans leurs communications
quotidiennes ne bénéficie pas d’un statut privilégié, comme le confirme T.Zaboot : « le
berbère n’a jamais bénéficié ni de mesures administratives ou politique, ni de conditions matérielles
31
J.LECLERC, Algérie dans « l’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université LOVAL, 24
février 2007. 32
R.CHIBANE, Etudes des attitudes et de la motivation des lycéens de la ville de Tizi ouzou à l’égard de la langue
française : cas des élèves du lycée Lala Fadma n’soumer, mémoire de magistère, Université de Tizi ouzou, 2009,
p.20. 33
M.MAMMERI, IZURAN Racines, mensuel socio- culturel n°02, Février 1999, P.1.
31
pouvant favoriser son développement ».34 Ce qui a poussé les berbérophones à revendiquer un
statut officiel pour leur langue.
En 1995, les revendications ont abouti à la création d’un haut commissariat à
l’Amazighité, à l’intégration de la langue berbère dans plusieurs écoles du pays et à la
reconnaissance du berbère comme langue nationale en 2002.
Le berbère est la langue maternelle d’une communauté importante de la population
algérienne (17% à 25% de natifs berbérophones), elle est principalement utilisée en Kabylie,
les Aurès, le M’zab et les touaregs. D’autres territoires beaucoup plus petits tels que le
Chenoua (région de Tipaza, à l’est d’Alger) ou les Zenata dans la région d’Adrar continuent
de survivre dans un environnement hostile. Cette population berbérophone est estimée six à
huit millions d’individus.
Les vicissitudes de l’histoire ont fait qu’aujourd’hui, le berbère est réduit au rang de
langue dominée. Etat centralisateur de type jacobin, l’Algérie appréhende le tamazight (le
berbère) comme facteur pouvant porter atteinte à l’unité nationale. Tout droit à la différence,
toute diversité linguistique sont perçus comme éléments pouvant déstabiliser les
institutions établies. La langue amazighe sera considérée comme dialecte local, avec toute la
connotation négative que cela suppose, et l’arabe littéraire aura le statut de langue nationale
et officielle bénéficiant ainsi de tous les moyens humains et matériels nécessaires à son
épanouissement et à sa diffusion.
Le tamazight sera, dès lors, confiné à l’usage domestique et perçu comme instrument
de communication de l’inculte, développant ainsi chez les berbérophones une « insécurité
linguistique » profonde. Nombre de berbérophones parleront, dès lors, l’arabe ou le français
en présence d’un étranger.
Le tamazight, non reconnu institutionnellement, sera voué à la disparition car jugé
inefficace au plan économique. L’arabe va devenir la langue « ambassadrice » tandis que le
tamazight sera destiné à la consommation locale. Cette hégémonie de l’arabe est en fait liée à
son imposition par l’Etat qui en a fait un instrument de pouvoir. Une politique de
généralisation de l’utilisation de la langue arabe a, pour cela, été instituée et des compagnes
d’arabisations ont été mises en place durant de nombreuses années. C’est dire tout
34
T.ZABOOT, un code switching algérien : le parler de Tizi ouzou, Thèse de Doctorat, Université de la Sorbonne,
1989, p.50
32
l’acharnement pour imposer la langue arabe littéraire au détriment des langues du peuple
(tamazight et arabe algérien) et de la langue du travail, le Français.
L’année 1995 aura été celle des mesures importantes qui peuvent à première vue être
considérées comme un premier pas vers la reconnaissance de l’Amazighe. Tout en rejetant la
demande de reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale au côté de
l’arabe, le gouvernement a admis la légitimité de la demande de prise en charge de
l’amazighe et de son enseignement. C’est ainsi que fut crée par décret du 28/05/1995 un
haut commissariat de l’amazighité. A partir de la rentrée scolaire 1995, plusieurs initiatives
en faveur de l’enseignement de l’amazighe ont été prises. On a ainsi conçu des stages de
formation de formateurs et des cours d’amazighe instaurées dans plusieurs cycles.
Rappelons-le, les moyens mis à la disposition du haut commissariat restent très limités
pour la mise en place d’un encadrement des formateurs, ce qui explique le recours aux larges
contributions des associations. Au plan législatif, la première révision constitutionnelle aura
lieu en 1989, alors que le régime commençait à s’essouffler. S’il est fait référence au passé
numide (berbère) dans son préambule, cette loi fondamentale va re-consacrer le caractère
islamique et arabe de l’Algérie.
Il faut attendre la révision constitutionnelle du 28 novembre 1996 pour voir apparaître
pour la première fois le terme amazigh. L’identité algérienne a été revue et corrigée puisqu’il
est dit (dans le préambule, en caractère gras) que ses composantes fondamentales sont
islamiques, arabes et amazighes. Il faut préciser, néanmoins, qu’aucune loi ne reprend dans le
corps du texte cette composante.
Les événements du Printemps noir auront eu pour conséquence d’inclure en 2002 un
article (3bis) accordant à la langue tamazight le statut de langue nationale. Un statut
purement symbolique dont le seul but était de calmer les esprits et contenir une situation
tendue au prix de hautes luttes et lourds sacrifices. La preuve en est que l’enseignement de
cette langue soit stagné, soit reculé depuis, la langue arabe partageant toujours avec la
langue française tous les domaines.
La reconnaissance officielle de l’amazighité en tant que langue, culture et identité en
Afrique du Nord est une condition inéluctable pour la stabilité, le développement socio-
économique durable, et une crédibilité internationale. Il est temps de mettre fin à l’apartheid
linguistique, à la domination d’une langue sur une autre et à la violation de la dignité de nos
populations.
33
1-4 Vers la réconciliation des langues après l’affaiblissement des idéologies:
Aux lendemains de la fracture d’octobre 1988 et de l’horrible décennie rouge de la
tragédie nationale, et à la faveur de la mondialisation et l’après 11 septembre 2001, de
nouveaux discours dans la scène médiatique et littéraire algérienne ont commencé à pointer
à l’horizon. Et il est heureux de constater que le recul des idéologies aura permis,
vraisemblablement d’atténuer les vieux démons des particularismes linguistiques et culturels
au profit d’un plus grand rapprochement et ententes entre les hommes de bonne volonté
pour faire face, ensemble, aux sérieux défis des enjeux communs engageant l’avenir de toute
une nation.
D’une manière générale, les idéologies réductrices des divers extrémismes qu’on nous
rabâchait des « francophiles occidentalistes », « arabo- baathistes », « islamistes-afghans »,
« berbéristes- ethnicistes », « nationalistes-chauvinistes », etc., ne peuvent qu’être
terriblement destructeurs dans leurs confrontations adverses, et que seule
l’intercomplémentarité compréhensive et tolérante, dans un cadre officiel pluraliste,
démocratique dans l’intérêt de l’avenir du pays et de l’ensemble de la jeunesse. Et « c’est
pourquoi, il serait temps de penser plus au bénéfice de l’usage linguistique unificateur, en faisant
partager les mêmes objectifs à notre société. L’Algérie n’est plus en mesure de se permettre la
politisation de la question linguistique. Aussi, nous devons de conclure que, de nos jours, il ne peut être
question du fameux slogan qui disait : « parti unique, langue unique », pensée unique, charte unique ».
Pour reprendre les propos justes de Mustapha Madi.35
A coté de la langue nationale, il aurait été bien plus raisonnable de permettre aux
langues natives ou dialectes nationaux de tamazight et maghrébi populaire une
reconnaissance juridique, et par voie de conséquence, un certain statut, à côté de la langue
nationale : «On se serait, ainsi, rangé du côté de la nature humaine sons porter atteinte aux choix
politiques nationaux. Une telle option n’est pas du tout une entrave ni à la modernité ni à la
souveraineté nationale. Notons que l’Etat de Floride, entre autres reconnaît 6 langues officielles, celui
de Philadelphie en reconnaît 5 : le français, l’anglais, l’Irlandais, le chicano et l’allemand. Cela
35
MADI.M., In article,Langue et identité, traduction de Larbi Seddik, Dans collectif Elites et questions
identitaires, Casbah Editions, Alger 1997, p.127.
34
n’empêche pas les Etats-Unis d’être première puissance mondiale ! », Comme le rapporte Abdau
Eliman.36
Et cela n’empêche pas non plus les USA d’avoir une identité culturelle puissamment
affirmée par le brassage extraordinaire de son multilinguisme et multiethnisme qui font
justement la grandeur et la spécificité mosaïcale, pourrait-on dire, de la nation américaine.
Il y a lieu de signaler ici que le pluralisme linguistique, contrairement à ce que
pensent certains, ne constitue nullement un danger pour l’unité nationale ou la langue
nationale mais, présente plutôt, un atout enrichissant, surtout à l’heure de la mondialisation
transfrontière. Ecoutons le spécialiste émérite, Abderrezak Dourari : « L’identité nationale
algérienne ne peut être fondée uniquement sur la langue. Un pluralisme linguistique n’implique pas
nécessairement une dislocation de l’unité nationale. L’identité algérienne, telle que tous la
reconnaissent, est tridimensionnelle : berbérité- arabité- islamité…La synthèse et non pas la
satisfaction quasi- idéologique, des trois démentions historiques et culturelles, avec une histoire de lutte
contre l’occupant et une intégrité territoriale forment l’algérianité d’aujourd’hui. Une telle perspective
empêche la tentation de repli sur soi, ou l’exacerbation des traits identitaires particularistes au
détriment des traits d’intégration.»37
Dès lors « La fameuse crise de l’identité dont on nous rabat les oreilles, nous dit Claude
Lévi-Strauss, acquerrait une toute autre dimension. Elle apparaîtrait comme un indice attendrissant
et puéril que nos petites personnes approchent du point où chacune doit renoncer à ce prendre pour
l’essentiel».38 Autrement dit, l’avènement d’un tel milieu social démocratique et serein ne
pourrait être possible que dans la mesure où l’ensemble des paramètres culturels et
identitaires puissent communiquer entre eux dans un climat d’entente, d’interdépendance et
de complémentarité citoyenne, et ce, dans un cadre national et officiel qui parachèverait
résolument l’institutionnalisation du plurilinguisme en Algérie. Ce qui ne remettrait jamais
en cause, comme indiqué ci-dessus, l’unité nationale, ni ne dérangerait la langue arabe étant
donné la large extension de son idiome, et sa popularité parmi les larges couches de la
jeunesse algérienne, laquelle aujourd’hui, lit, écrit, et communique de plus en plus en arabe
mi- littéraire mi- dialectal, comme on peut aisément le constater dans la rue, ou lors de
débats improvisés.
36
Abdau Eliman, L’Expression linguistique en didactique, Dar El Gharb, Oran, 2006, p.38. 37
DOURARI.A., Les malaises de la société algérienne : crise de langues et crise d’identité, Alger, Casbah Edirion,
2003, Chap.9. 38
Lévi-Strauss.C., Race et histoire, Gonthier, PUF, 2e, 1987, p.21.
35
Raison pour laquelle les spécialistes les plus aguerris en matière de linguistique et
communication sociale nous assureraient, sans l’ombre d’un doute, qu’en cas d’officialisation
de tamazight et du maghrébi dialectal populaire (daridja) par exemple, et la tolérance
statutaire admise à des langues étrangères dans le champ communicationnel et culturel
algérien, en général, la langue arabe, la langue nationale et officielle la plus popularisée, à la
faveur e son ouverture résolue sur la modernité et l’universalité, sera loin d’être mise en
péril par d’éventuels idiomes concurrentiels (le cas de la Suisse, de l’Amérique, de l’Australie,
du Canada,…est édifiant au vu de leurs élites et larges couches de leurs populations
multilingues usant de l’anglais, du français, de l’allemand, de l’espagnol,… , en plus des
langues vernaculaires aux idiomes pluriels polarisés dans leur ensemble par la langue
généralisée courante dominante soit de l’anglais, de l’allemand, du français, etc.).
Le bilinguisme et le multilinguisme sont désormais la caractéristique de l’aube de ce
XXIe siècle. Et contrairement à ce que redoutent les puristes, cela constitue un facteur
indéniable d’enrichissement, cet apport de langues- passerelles avec l’humanité du monde ne
constituant nullement un danger- pour la langue arabe qui est désormais une langue
universelle : L’arabité comme l’a tôt signalé feu Kateb Yacine, n’est pas de l’ordre du racial ;
l’arabité est essentiellement culturelle. Son statut consacré de langue nationale et officielle
ne doit surtout pas prêter à confusion et signifier monopole outrageant d’un paramètre
linguistique identitaire « unitaire » imposé au détriment des autres idiomes langagiers qui
sont non moins constitutifs de la spécificité identitaire culturelle algérienne pluraliste. Il est
inconcevable de remplacer une langue par une autre et comme l’ont souligné maints
linguistes maghrébins, notre vrai système en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Maghreb en
général, repose sur : -l’arabe classique utilisé dans l’administration et en religion ;
-le français, qui aujourd’hui, avec la fin des idéologies, n’est plus considéré
comme une langue transitoire ou provisoire mais comme une langue indispensable d’études
et de travail au même titre d’ailleurs que l’espagnol ou l’anglais ;
-tamazight avec ses variantes de nos origines patrimoniales ;
-la « daridja » de l’arabe dialectal populaire.
Pratiquement chaque langue a son utilité et son domaine. Il s’avère donc impossible de
prendre pour modèle ce qui s’est passé en occident, à la Renaissance où les langues
vernaculaires ont été adoptées comme langues officielles, donc référent juridique, au
détriment de la langue savante, en l’occurrence le latin.
36
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que la diversité linguistique en Algérie et au Maghreb,
ait été réappropriée par la société civile qui en appelle à la reconnaissance de ce caractère
pluraliste des langues en présence qui coexistent de façon plus pacifique qu’autrefois.
Dès lors, la réconciliation linguistique en Algérie consiste donc en une prise de
conscience de la nécessaire prise en charge de la diversité linguistique, culturelle et ethnique
du pays. La révision de la constitution était un tournant décisif dans l’histoire des politiques
linguistiques et montre une face de l’Algérie qui se réconcilie avec elle-même en affirmant le
pluralisme/pluriculturalisme linguistique. La réconciliation linguistique de 2002 laisse
émerger une politique linguistique pluraliste. Par politique linguistique pluraliste, nous
entendons la situation où la pluralité et la diversité linguistiques sont considérées comme
fondement de la politique dans la fixation du statut d’une langue.
Pour clôturer ce chapitre, nous jugeons utile de citer les propos de Mohammed
Benrabeh qui constitueront une excellente synthèse et coïncide parfaitement avec notre
cheminement : « Le pluralisme linguistique est une bénédiction ? Un bienfait insoupçonné ? Et non
une malédiction. Toute politique linguistique qui encourage la coexistence entre les langues, donc la
convivialité, ne peut que promouvoir un esprit de compréhension et de tolérance envers les autres. Les
membres des communautés linguistiques (minoritaires ou minorées) comptent désormais et se sentent
compris par leurs voisins. […] La diversité des langues dans le cadre national représente pour un
linguiste la défense de l’environnement de l’écologie humaine […] La promotion du pluralisme
linguistique fournirait aux populations une sorte de sécurité nécessaire à tout équilibre entre réalité
plurielle et l’unité nationale ».39
Ce qui nous amène à dire qu’occulter et mutiler le caractère pluriel de l’Algérie en
refusant d’accepter la réalité sociale et l’histoire culturelle de l’Algérie dans sa totalité est un
mécanisme destructible qui engendre un profond sentiment d’insécurité linguistique
conduisant au démembrement de l’unité nationale. Par voie de conséquence, le rejet du
pouvoir, la haine, l’exclusion et d’autres attitudes violentes règneront au sein de cette
communauté.
1-5 Le Manuel scolaire : pourquoi faire ?
Le manuel reste généralement le matériel le plus privilégié dans l’enseignement des
langues en Algérie, il offre des contenus organisés selon une méthodologie contribuant à la
structuration progressive des connaissances. Il est également un moyen de formation
39
M.BENRABAH, Ibid., p.265.
37
méthodologique pour les apprenants. Fabriqué dans le pays d’enseignement, il reflète les
orientations didactiques dans la discipline considérée et les choix institutionnels du pays qui
l’élabore. En d’autres termes, le manuel scolaire est un outil didactique et auxiliaire
pédagogique privilégié dans le processus d’enseignement-apprentissage de la langue
étrangère, ici le FLE- et dans la communication scolaire.
Le manuel est souvent la seule manifestation de la langue française quotidiennement
présente dans l’environnement des élèves et parfois des enseignants. D’un point de vue
culturel, c’est le produit d’un discours culturel sur la langue française qui influe sur les
représentations que se forgent se utilisateurs. Ainsi, par ses prises de position didactique,
culturelle mais aussi pédagogique, le manuel contribue à la construction de représentations
et des enseignants et des apprenants sur la langue et la culture française.
1-5-1 Qu’est-ce qu’un manuel ?
Alain Chopin40 explique qu’historiquement, le manuel était perçu comme un « […]
livre du maître, ou plutôt un guide qui impose à l’enseignant un contenu scientifique, un système de
valeurs et une méthode d’enseignement.» Au fil du temps, le contenu comme l’apparence des
manuels se sont profondément transformés mais sans pour autant se débarrasser de la
conception traditionnelle et rigide des manuels : structure linéaire, chapitres conçus selon
une progression rigoureuse qui impose une lecture en con tenu. Selon Chopin, cet aspect des
manuels « […] dispenserait l’enseignant des recherches personnelles, de réflexion critique ; [et]
l’inciterait à adopter un comportement pédagogique routinier […] ».
Ce n’est qu’à partir des années 1950 que se produit une véritable mutation dans le
statut que dans la structure des manuels. Les unités didactiques viennent remplacer la
répartition rigoureuse des chapitres et les éléments iconographiques y occupent une grande
place. A partir de cette date, l’on voit introduire d’autres auxiliaires pédagogiques en classe
et l’on aperçoit un élargissement du rôle de l’enseignant à qui appartient désormais la tâche
d’élaborer la cohérence entre les différentes activités proposées dans le manuel. Dans ce sens,
l’enseignant est un médiateur indispensable, sans lequel le manuel ne peut pas remplir toutes
ses fonctions. En effet, tel qu’il est perçu aujourd’hui, le manuel pourrait être défini comme
étant « un livre », « un contenant chargé d’un certain contenu », « un vecteur de
scolarisation » et un outil attractif qui doit plaire à ses différents destinataires. Pour
l’enseignant, il représente un auxiliaire didactique de la prise en main de la classe, puisqu’il
40
Chopin.a., « Une perspective historique », In Les Cahiers pédagogiques, Du bon usage des manuels, N°369,
1998, pp.9-11.
38
lui permet d’une part, d’organiser les cours et d’autre part, de présenter les connaissances et
les activités d’une manière structurée susceptible de faciliter leur apprentissage par les
apprenants.
En didactique de langues, le manuel a toujours suscité des polémiques et il est
constamment objet de controverse. M.Verdelhan- Bourgade le perçoit comme un outil qui a
ses qualités et ses défauts. Il représente ainsi un « objet de détestation pour les uns, accusé à la
fois de provoquer sclérose de l’enseignement et scoliose de l’écolier, objet-culte pour d’autres qui en
magnifient les vertus informatives et éducatives, il cristallise beaucoup de contradictions des discours
sur l’école, accuse le contre- coup de toutes les évolutions pédagogiques et se trouve de plus actuellement
affligé d’une image de ringardise face à l’ordinateur paré des vertus de la modernité.»41 En d’autres
termes, le manuel est une arme à double tranchant. Il possède différentes fonctions et occupe
une situation à la fois privilégiée et complexe. Ph. Blanchet énumère ses grandes qualités,
celles, notamment, de fournir à l’enseignant et à l’apprenant un « […] référent commun, un
cadre, un outil, mais aussi une méthode et une logistique pédagogiques clé-en-main.»42
Le manuel constitue donc un outil important de la vie scolaire dans les classes de
français. Il rassure l’apprenant et conforte l’enseignant dans ses démarches en lui proposant
une structure apparente et une programmation claire, car comme l’explique F. Debyser « à
l’origine, ont eu surtout pour fonction de faciliter la tâche des professeurs en leur fournissant un
matériel de travail sous forme de textes ou d’exercices, et de rapprocher la langue étrangère des
élèves.[…] mais également un chemin tracé, facilité, progressif.»43 Ainsi, pour les enseignants, les
manuels fournissent, en quelque sorte, un ensemble pédagogique comprenant les objectifs,
les contenus, les démarches pédagogiques et les activités des apprenants. Ce qui permet à
l’enseignant de savoir d’où il part et où il va, en suivant l’itinéraire déjà tracé afin d’atteindre
les objectifs visés.
Mais il faut tenir compte de la complexité du manuel scolaire en tant qu’objet culturel
comme le dit Nicole Lucas : « le manuel scolaire est multipolaire : il est le point de convergence de
la recherche, de la communication, de la découverte, de la pédagogie, de l’institution et des
spécialistes. »
41
Verdelhan- Bourgade, « Présentation », In Etude de Linguistique Appliquée, N°125, 2002, p.7. 42
BLANCHET. Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue étrangère, Louvain-la-
Neuve, Peeters, 1998, p.192. 43
DEBYSER.F., « La mort du manuel et le déclin de l’illusion méthodologique », In Le Français dans le monde,
N°100, 1973, p.66.
39
On peut dire donc que la définition d’un manuel (de langue) dépend de la finalité que les
concepteurs lui ont arrêté fonction de sa destination première et de son type de public. F.
Richaudeau le considère comme « [étant] un matériel structuré, destiné à être utilisé dans un
processus d’apprentissage et de formation concertée.»44 la présente définition met l’accent sur le
caractère instrumental du manuel, à son organisation et à sa hiérarchisation internes ainsi
qu’à sa vocation première à savoir l’éducation et la formation répondant à un cursus
spécifique avec l’idée fondamentale que « la compétence économique et sociale est une des
dimensions du savoir qu’il faut posséder dorénavant pour vivre lucidement dans notre société.»45
Ainsi, le manuel scolaire demeure un précieux auxiliaire dont les définitions
institutionnelles loin d’être unanimes confirment toute la complexité de l’objet. Pour Le
Robert du XXI7ème siècle, le manuel est un « ouvrage didactique présentant, sous un format maniable,
les notions essentielles d’une science, d’une technique, et spécialement des connaissances exigées par les
programmes scolaires.»46 Pendant que le Dictionnaire de pédagogique Larousse-Bordas 1996
stipule que « le manuel est un livre un peu particulier, (…) destiné à être toujours « en main »
comme son nom l’indique et contient, sur une matière donnée, l’essentiel de ce qu’il faut savoir, présenté
de façon aussi accessible que possible.»47
L’ambigüité des termes est exigée par la prudence nécessaire en la matière dans la
mesure où les responsabilités diverses qui incombent au projet officiel revendiqué par le
pouvoir en place : « le manuel reflète toujours une époque et des choix pédagogiques. Inscrit dans son
temps, il en véhicule les valeurs.»48
Le manuel en tant document de travail et outil de formation est important aussi bien
pour l’élève que pour l’enseignant qui ne peut s’en passer. Ainsi parlant du manuel et de son
importance pour l’utilisateur, X. Roegiers49 (1993) écrit : « Un manuel scolaire peut remplir
différentes fonctions. Celles-ci varieront selon l’utilisateur concerné, la discipline et le contexte dans
lequel on élabore le manuel. »
44
F.RICHAUDEAU, Conception et production des manuels scolaires, guide pratique, UNESCO, Paris, 1979, p.51.
(cité par A.DAKHIA dans sa thèse de Doctorat « Dimension pragmatique et ressources didactiques d’une
connivence culturelle, 2005, p.291 » 45
F.MARIET, L.PORCHER., Apprendre à devenir citoyen à l’école, ESF éditeur, Paris, 1978, p.10. 46
Le Robert du XXIème
siècle, cité par ANCP/Savoir- Livre, Choisir un manuel à l’école, janvier 2004, in
http://www.savoirlire.com/manuel. (Cité par A.DAKHIA dans sa thèse de Doctorat, p.295.) 47
Dictionnaire de pédagogie Larousse-Bordas 1996, cité par ANCP/Savoir-Lire, Choisir un manuel à l’école,
janvier 2004, in http://www.savoirlire.com/manuel. (Cité par A.DAKHIA dans sa thèse de Doctorat, p.295.) 48
Le manuel scolaire. Son évolution : Les livres de classe sont-ils conservateurs ou progressistes ?, in
http://www.savoirlire.com/manuel. (cité par A.DAKHIA, Dans sa thèse de Doctorat, p.295.) 49
ROEGIERS X., Concevoir et évaluer des manuels scolaires, Bruxelles, De Boeck, Université, 1993, p.64.
40
Le manuel scolaire est un support essentiel pour les activités d’enseignement-
apprentissage en Algérie, comme dans plupart des pays du monde, et ce pour plusieurs
raisons. Le manuel scolaire se présente de prime abord comme une banque de données pour
les enseignants et pour les élèves qui vivent dans un environnement où la langue française
n’est pas couramment utilisée même si elle circule dans certains écrits ou domaines. Mais s’il
nous arrive d’entendre parler français dans certaines rues, villes et régions d’Algérie.
1-5-2 Les fonctions pédagogiques d’un manuel scolaire :
Et pour reprendre Roegiers, le manuel remplit plusieurs fonctions sur le plan
pédagogique. Si nous regardons celles qui sont relatives à l’apprenant, nous retenons la
classification proposée par celui-ci que nous résumons comme suit. Les fonctions qu’elle
prend en compte sont au nombre de sept :
1-5-2-1 La fonction de transmission des connaissances : qu’il considère comme la
fonction la plus classique mais surtout la plus critiquée, car certes le livre scolaire transmet
la terminologie, les règles, les formules, donc des connaissances ou savoir cognitif, ce qui fait
allusion à la répétition et à la mémorisation, mais il n’empêche qu’un savoir-faire lui est
inhérent.
L’élève doit pouvoir les utiliser en contexte scolaire pour parler ou écrire à ses
camarades, à son enseignant ou ailleurs. Donc le manuel ne dispose pas exclusivement de ce
« savoir-redire » mais se compose aussi d’un « savoir-faire cognitif ».
1-5-2-2 La fonction de développement de capacités de compétences communicatives :
Car il permet d’acquérir des méthodes, des comportements, des savoir-être, te donc un
savoir-devenir, pour compléter la vision de Rogiers surtout en situation d’apprentissage
d’une langue étrangère (lire, réfléchir, se documenter, organiser ses idées…).
A ce propos, reprenons les définitions qu’il donne des notions de compétences et de
capacités. Pour ce qui est de la capacité, il écrit (p.66) : « une capacité est l’actualisation d’un
savoir-faire ou d’un savoir-être qui permet la réalisation de performances». Passant à la définition
du concept de compétence. Il la perçoit ainsi : « une compétence est un ensemble intégré de
capacités qui permet de manière spontané d’appréhender une situation et d’y répondre plus ou moins
pertinemment. »
41
A noter que pour exercer une compétence, qu’elle soit d’ordre communicatif ou
linguistique, il faudrait mettre en œuvre plusieurs capacités.
Le manuel remplit aussi la fonction de structuration de ce savoir à travers les progressions
choisies, l’organisation en contenus, comme il répond aussi à la fonction d’intégration des
savoirs.
Un autre rôle qu’il ne faut pas occulter concerne la fonction de consolidation des acquis
antérieurs : en réalité elle existe depuis toujours dans les manuels scolaires et se manifeste à
travers les différents exercices et questions, servant de moyen d’acquisition et d’installation
permanente, pour leur permettre de s’en servir si la situation réclame le savoir savant et/ou
savoir-faire ciblés.
1-5-2-3 La fonction de référence : En effet, le manuel peut être considéré comme une
banque de données à laquelle l’élève peut à tout moment faire appel pour chercher une
information, qu’elle soit d’ordre référentiel ou orthographique, sur le plan du discours et des
techniques d’écriture : il devient ainsi « un cadre de référence » qui permet à l’élève de s’auto-
construire par l’apport de « repères stables et bien ancrés » pour reprendre les propres termes de
X.Roegiers.
1-5-2-4 La fonction d’éducation sociale, d’ouverture et d’épanouissement culturel ne
doit pas être en reste, les contenus référentiels des projets les illustrant sons conteste. Il
s’agit dans ce cas de ce qui a trait au comportement qui permet de développer un « savoir-
être » sur le plan culturel, national, familial et personnel par un apport référentiel et des
savoir-faire dans un processus d’intégration.
Cela est possible par les textes qui parlent de la relation entre les hommes, qui touche à
ce qui fait l’être humain, les valeurs socioculturelles, les actions qui agrandissent l’homme
car elles rentrent dans la construction de la civilisation quelle qu’elle soit.
Les textes qui touchent la fibre sensible de l’être humain, qui parlent à son cœur,
réveillent ses émotions et cultivent chez lui l’imaginaire, le rêve et l’action positive. Ces
textes qui lui donnent envie de lire car il y cherchera « du plaisir, du savoir, et pourquoi pas
de la sagesse, pour reprendre G. Duhamel parlant du livre.
En effet, la spécificité de cet outil réside dans la manière dont ses utilisateurs s’en
servent. Mais, les manuels n’ont pas que des atouts, ils ont également des défauts. Selon Ph.
Blanchet, « ils empêchent de travailler. Ils font des enseignants et souvent des apprenants aussi, de
42
simples exécutants, répétiteurs dépendant d’un outil, et non concepteurs d’un enseignement ou d’un
apprentissage appropriés.»50La critique de l’usage du manuel n’est pas en effet une nouveauté.
Le manuel fait l’objet de multiples controverses à propos de son contenu, sa forme voire son
poids. Il est accus d’offrir à ses utilisateurs des recettes pédagogiques, des « prêts-à- porter »,
selon l’expression de Ph. Blanchet. Quel sue soit le degré de sophistication du manuel, il
enferme l’enseignant dans un déroulement linéaire et monotone. C’est pourquoi il a
provoqué/ provoque des mises en garde quant à son usage exclusif par les enseignants. Cette
mise en garde est d’autant plus importante que les enseignants appliquent le manuel à la
lettre et dans l’ordre, sans modifier ni introduire d’autres activités au travail proposé.
Il faut bien souligner qu’il n’existe pas une seule façon d’utiliser le manuel de langues.
Henri Besse explique que ces utilisations dépendent « […] de la conception que maîtres et
étudiants se font, consciemment ou non, d’une langue, […], de leur tempérament et personnalité, des
interrelations qui s’instaurent entre eux, de l’institution dans laquelle ils travaillent, de leurs besoins et
désirs, de l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, des autres et du monde.»51En effet, le manuel n’est
qu’un outil mis à la disposition de l’enseignant et des enseignés. Sa place change en fonction
de méthodes, des pratiques adoptées et des objectifs d’enseignement. Comme pour tout outil,
son efficacité relative dépend autant de la manière dont on l’utilise que de ses particularités.
Les manuels deviennent alors, un outil au service de l’enseignant et non pas l’inverse,
de plus un outil imprimé par la « marque personnelle » de chaque enseignant parce que,
comme le dit Ph. Blanchet, « enseigner, c’est choisir, c’est sélectionner, c’est trier.»52Sans être de
simples utilisateurs, les enseignants devraient adopter un regard critique sur le matériel en
mains, en vérifiant sa pertinence et en évaluant son adaptation aux différents enjeux
contextuels.
1- 6 Existe-t-il un « bon/mauvais » manuel de langues ?
Le manuel d’enseignement de langues est après tout un produit culturel qui illustre un
projet d’apprentissage. Il est porteur d’un discours de valorisant sur la réalité. D’après le
Dictionnaire pratique de didactique du FLE, « […] son élaboration est tributaire d’un certain
nombre de paramètres relatifs :
50
BLANCHET. Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue étrangère, Louvain-la-
Neuve, Peeters, 1998, p.192. 51
BESSE.H., Méthode et pratiques des manuels de langue, Paris, Crédif Didier, 1993, p.15. 52
BLANCHET. Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue étrangère, Louvain-la-
Neuve, Peeters, 1998, p.193.
43
-A la situation d’enseignement (âge et besoins des publics) ;
-Aux objectifs liés à cette situation (généraux et spécifiques) ;
-Aux coûts (rédaction, impression, diffusion) »53
Par conséquent, le choix des textes, des illustrations, des exemples, des activités du
langage, des arguments employés reflète toujours un ensemble de valeurs, de croyances,
d’opinions, de perceptions propres à la culture d’origine de l’auteur du manuel. M.Verdelhan-
Bourgade considère, elle aussi, que les manuels « […] peuvent donner un éclairage pertinent sur
les savoirs qu’une société juge utile de transmettre, mais aussi sur les idées, les préjugés, les
représentations véhiculées par cette société et sous-jacentes aux choix des connaissances
transmises.»54Un pays qui fabrique ses propres manuels y incorpore en effet ses valeurs autant
que sas savoirs.
Il convient donc de constater que l’auteur du manuel est bien au service des intérêts
identitaires et nationaux de sa communauté et donc de celle des apprenants. Puisque, le
manuel n’est pas seulement du texte, il comporte tableaux, dessins, schémas, reproductions
d’œuvres d’art, photos, etc. Ainsi, il représente par l’intermédiaire de son contenu un vecteur
important de transmission de savoirs, et un vecteur particulièrement sensible aux messages
non seulement linguistiques mais aussi culturels, idéologiques, identitaires, nationaux, etc.
Ce constat est fait par Cecilia Condei, selon lequel elle insiste sur le fait que « […] les textes
participent au
contenu des manuels, eux aussi liés aux contextes de leur production, déterminent l’existence d’une
liaison complexe entre le manuel et le contexte social dans lequel il circule.»55
En effet, si les textes introduits dans les manuels reflètent, comme le dit Condei, un
certain rapport entre la langue enseignée et le contexte où l’’on enseigne cette langue, les
manuels algériens illustrent donc une image de la langue française centrée sur l’écrit et sur
la culture littéraire.
Dans une optique de formation interculturelle, objectif de notre travail de recherche, et
pour déterminer dans quelle mesure l’esprit de l’interculturalité imprègne le manuel
53
ROBERT J-P., Dictionnaire pratique de didactique du FLE, Paris, Editions Ophrys, 2008, p.124. 54
VERDELHAN-BOURGADE M., « Avant- Propos », in Verdelhan-Bourgade M. alili (Coords), Les manuels
scolaires, miroirs de la nation?, Paris, L’Harmattan, 2007, p.7. 55
CONDEI C., « Le discours sur le mode de l’Autre dans les manuels roumains de FLE. La construction des
représentations collectives », in Condei C. et alili (Coords), L’interculturel en francophonie. Représentations des
apprenants et discours des manuels, Cortil Wodon, EME, 2006, pp.120-121.
44
considéré, nous allons nous intéresser aux différents textes littéraires composant le corps de
l’ouvrage. Parce que la littérature construit le lecteur, nous pensons que par conséquent les
textes choisis ont une influence avérée sur les attitudes, les conduites et les comportements
des apprenants, sur leur formation, voire sur leur socialisation.
« La socialisation est l’inculcation d’un système d’idées, de croyances et de pratiques religieuses et
morales, de traditions professionnelles ou de classe, bref d’une idéologie.»56 En tenir compte relève
donc d’une sérieuse réflexion sur les pratiques de classe dans le but de préparer les
apprenants à leur autonomie intellectuelle.
Outre le cadre géographique de la majorité des textes étant totalement étranger à
l’apprenant algérien, les textes supports ne sont donc pas représentatifs de la réalité
socioculturelle algérienne et ne peuvent en aucun cas prétendre à l’enculturation ni même à
l’acculturation sachant que l’installation des savoirs, savoir-être et savoir-faire dépend
grandement du système de référence culturel de l’apprenant.
Nous pensons que le manuel scolaire reste un modèle qui prône l’identité et
l’enracinement. De ce fait, les concepteurs doivent à notre avis réfléchir la conception des
supports (textuels) dans les manuels par la mise en œuvre des principes d’authenticité,
d’autonomie de l’apprenant et de sensibilisation à la culture.
1-7 Les principes fondateurs des programmes en Algérie:
1-7-1 Sur le plan axiologique :
D’après les principes directeurs du Référentiel Général des Programmes, le système
éducatif algérien doit faire acquérir à chaque apprenant, un ensemble de compétences
relevant du domaine des valeurs, avec une double dimension, constituant un tout
harmonieux et cohérent et visant à :
*faire acquérir un ensemble de valeurs identitaires nationales de référence (islamité,
arabité et amazighité dont l’intégration constitue l’algérianité),
*renforcer l’acquisition de valeurs universelles relatives aux droits de l’homme, à la
citoyenneté, à la préservation de la vie et du milieu.
56
M.CHARKAOUI, Naissance d’une science sociale : la Sociologie selon Durkheim, Editions Librairie DROZ,
Genève/Paris, 1998, p.119.
45
A l’’instar de toutes les autres disciplines, le français doit offrir à l’élève, à travers de
multiples activités, l’occasion de mobiliser ces valeurs nationales et universelles, de les
mettre à profit et de les renforcer, d’enrichir sa culture et de se préparer à jouer un rôle actif
dans une société démocratique.
1-7-2 Sur le plan épistémologique :
Ce programme, tout en tenant compte de l’interdisciplinarité, n’occulte pas les liens entre le
domaine cognitif et le domaine socioculturel et considère les connaissances comme des
ressources au service du développement des compétences.
1-7-3 Profil de sortie de l’enseignement moyen :
Les valeurs, les compétences transversales et les compétences disciplinaires constituent
les éléments essentiels du profil de sortie de l’élève à la fin du cycle moyen. Elles sont prises
en charge à travers les activités diverses et doivent être l’objet d’évaluation dans la mesure
où elles contribuent conjointement à la formation de l’élève citoyen.
1-7-4 Les valeurs :
Toute éducation a pour vocation de transmettre les valeurs qu’une société s’est
choisies :
-des valeurs communes à tous ses membres : valeurs politiques et sociales, culturelles et
spirituelles, dont l’objectif est de consolider l’unité nationale.
–des valeurs plus spécifiquement individuelles : valeurs affectives et morales,, valeurs
esthétiques, valeurs intellectuelles, valeurs humanistes ouvrant sur l’universel.
Le choix de valeurs et leur mise en œuvre constituent une source première pour
l’orientation du système éducatif, de ses finalités, de la nature du curriculum, du choix des
contenus, des méthodes d’apprentissage.
L’enseignement du français, à l’instar de celui des autres disciplines, se doit de prendre
en charge ces valeurs en vue contribuer à la formation saine et équilibrée de l’élève, ce futur
citoyen.
VALEURS Identité : L’élève a conscience des éléments qui composent son identité algérienne (islamité, l’arabité et l’Amazighité). Conscience nationale : au-delà de l’étendue géographique du pays et la diversité de sa population, l’élève a conscience de ce qui fait l’unité nationale, à savoir une histoire, une culture, des valeurs partagées, un communauté de
46
destin, des symboles… Citoyenneté : L’élève est capable de délimiter en toute objectivité ce sui relève des droits et ce qui relèves des devoirs en tant que futur citoyen et de mettre en pratique cette pondération dans ses rapports avec autres. Ouverture sur le monde : Tout en ayant conscience de son identité, socle de sa personnalité, l’élève est capable de prendre de l’intérêt à connaitre les autres civilisations, de percevoir les ressemblances et les différences entre les cultures pour s’ouvrir sur les civilisations du monde et respecter l’altérité.
1-8 Les objectifs de l’enseignement du français au moyen:
En général, l’enseignement de toute langue étrangère répond à deux types d’objectifs
comportant dans les objectifs culturel et communicatif. En Algérie, ces derniers ont pris
diverses dimensions à travers le temps : on est passé d’une vision purement « culturelle » à
une vision « instrumentale » en suite « fonctionnelle ».
Quant au premier privilège, l’enrichissement culturel et la formation intellectuelle,
tandis que le second a un rapport avec l’enseignement des langues de spécialités, de langues
fonctionnelles. Il se charge d’exprimer des contenus de savoirs spécialisés. Ce qui a engendré
la réorientation des programmes du français vers des objectifs moins ambitieux. C’est la
raison pour laquelle les didacticiens se sont éloignés de ce type d’enseignement pour mettre
les bases d’un enseignement « fonctionnel ».
Il faut noter qu’une confusion énorme a caractérisé cet enseignement. L’acquisition du
savoir scientifique et technique et celle de l’outil linguistique servant de support à ce savoir
scientifique sont souvent confondus. Cette confusion est due à l’incompatibilité entre les
textes officiels et les orientations pédagogiques.
Sur la plan législatif la Loi d’Orientation sur l’Education Nationale (n°08604 du 23
janvier 2008, Chap. I, art.2.) définit dans les termes suivants, les finalités de
l’éducation : « L’école algérienne a pour vocation de former un citoyen doté de repères nationaux
incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde
qui l’entoure, de s’y adapter et d’agir sur lui et en mesure de s’ouvrir sur la civilisation occidentale .»
A ce titre, l’école, qui « assure les fonctions d’instruction, de socialisation et de qualification »
doit notamment « permettre la maitrise d’au moins deux langues étrangères en tant qu’ouverture
sur le monde et moyen d’accès à la documentation et aux échanges avec les cultures et les civilisations
étrangères». (Chapitre II, art.4.)
47
L’enseignement des langues étrangères permet, en matière de politique éducative, de
définir les objectifs généraux de cet enseignement en ces
termes : « L’enseignement/apprentissage des langues étrangères doit permettre aux élèves algériens
d’accéder directement aux connaissances universelles, de s’ouvrir à d’autres cultures(…). Les langues
étrangères sont enseignées en tant qu’outil de communication permettant l’accès direct à la pensée
universelle en suscitant des interactions fécondes avec les langues et cultures nationales. Elles
contribuent à la formation intellectuelle, culturelle et technique et permettent d’élever le niveau de
compétitivité dans le monde économique. »57
Au même titre que les autres disciplines, l’enseignement du français prend en charge les
valeurs identitaires, les valeurs intellectuelles, les valeurs esthétiques en relation avec les
thématiques nationales et universelles.
En 4e AM, l’enseignement du français a pour objectifs de permettre à l’élève :
-de consolider les compétences acquises durant les deux précédents paliers en face à des
situations de communication encor plus complexes à travers la compréhension et la
production de textes de type argumentatif.
-de mettre en œuvre la compétence globale acquise au cours du cycle pour faire face à des
situations scolaires (examen du BEM et passage au secondaire) et extra scolaire (vie active).
L’apprentissage du français langue étrangère contribue à développer chez l’élève tant à
l’oral qu’à l’écrit, la pratique des quatre domaines d’apprentissage : écouter/parler et
lire/écrire. Ce qui permet à l’élève de construire progressivement sa connaissance de l
langue française et de l’utiliser à des fins de communication et de documentation. Il s’agit
pour l’élève du collège, de se forger, à partir de textes variés oraux ou écrits, des outils
d’analyse méthodologique efficace pour aborder ces textes ou en produire lui-même. Il
affinera ses compétences méthodologiques et linguistiques tout au long du cycle.
Nous pouvons résumer les principaux objectifs de l’enseignement des langues
étrangères de la façon suivante :
a) Acquisition d’une langue étrangère (dans le but de) :
1/ De réaliser un apprentissage efficace par le mariage de l’aspect utilitaire et culturel.
57
Référentiel Général des Programmes.
48
2/ La réussite professionnelle dans le monde du travail (qui demande de plus en plus de
connaissances des langues étrangères).
3/ Connaissance objective de l’Autre à travers une réflexion entretenue sur le rapport
identité/altérité.
4/ Favoriser l’intégration des savoirs, savoir-faire et savoir-être, en maintenant l’apprenant
en connexion avec son environnement culturel.
5/ L’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à son propre environnement.
6/La familiarisation avec d’autres cultures francophones pour comprendre les dimensions
universelles que chaque culture porte en elle.
7/Réduire les cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de paix.
Ce discours, faisant partie des premiers textes sur l’apprentissage des langues, annonce
d’ores et déjà l’intention affichée par le législateur algérien de marquer l’utilité de leur
enseignement d’une empreinte purement économique. Il traduit la volonté de faire de
cet « outil » (la langue), un moyen d’accès vers « les savoirs et les technologies ».
« La connaissance et la maîtrise des langues de culture » permettent d’abord la connaissance
objective de l’Autre. « L’accès au savoir t à la technique » est donc subordonné à « la maîtrise
des langues de culture». L’apprentissage de la langue française lit-on, contribue aussi « au
développement de l’esprit critique » et à « l’affirmation de soi ». Le soi de l’apprenant se
positionne par rapport à un autre ensemble de composantes identitaires, autrement dit, d’un
autre « soi ». C’est justement à ce stade qu’on s’interroge sur l’identité de cet « Autre », par
rapport auquel l’apprenant doit s’affirmer. Les différences au niveau de la langue,
l’environnement, l’aire politico- socioéconomique et même de la sphère géographique.
Il ressort de ce qui précède que la fonction qui est dévolue à la langue française, à
travers son apprentissage dans l’imaginaire de l’auteur est celui d’un canal par lequel
l’apprenant doit véhiculer les composantes de son identité, en les opposant à celles de
l’Autre. Elle est perçue donc ici comme le vecteur de l’affirmation de soi dans une mosaïque
de repères culturels et identitaires qu’offre l’environnement sociolinguistique algérien.
b) Utilisation de l’apprentissage du français comme moyen :
1/D’éducation à une citoyenneté responsable et active des apprenants.
49
2/De développement de l’esprit critique, du jugement et de l’affirmation de soi.
3/D’assurer la continuité naturelle de l’apprentissage après la sortie de l’école.
Le premier argument nous renvoie à la vision qu’a l’émetteur de la langue française.
Celle « qui responsabilise », un canal à travers lequel on peut apprendre à l’élève à compter
sur lui-même et à s’assumer en tant que citoyen modèle.
Dans ce sens, dans le manuel (Manuel des nouveaux programmes, Commission
nationale des programmes, mars 2005, O.N.P.U), nous pouvons lire en préambule : « Dans ce
cadre, les nouveaux programmes auront pour visée principale l’utilisation de l’apprentissage du
français comme moyen d’éducation à une citoyenneté responsable et active des apprenants par le
développement de l’esprit critique, et du jugement et de l’affirmation de soi».
L’auteur de ce discours véhicule une vision, des jugements de valeur sur le français : elle
est la langue portant les valeurs d’une vision moderniste et objective du citoyen de demain.
En d’autres termes, le français est une langue permettant l’émancipation et l’exercice de
la citoyenneté.
c) Forger chez les apprenants une compétence langagière.
1/L’accès à une documentation simple.
2/De s’initier à l’analyse critique de documents authentiques.
3/La connaissance des cultures et des civilisations étrangères.
4/Le développement de la compréhension entre les peuples.
5/De facilite l’expression personnelle et la créativité.
6/De développer autour de thèmes universels et de problématiques actuelles une attitude
d’ouverture aux différences linguistiques et culturelles.
La maîtrise de la langue étrangère permet d’accéder au savoir et à la connaissance et
l’acceptation de l’Autre.
Tous les textes officiels (depuis la Charte de Tripoli 1963 à celle de 1989) régissant le
statut, le rôle et les fonctions des langues dans la société algérienne, suscitent des
polémiques.
50
Les rapports de force sont explicitement formulés dans l’un des rares textes fondateurs
officiels, qui se soit penché sur l’enseignement des langues. Les auteurs confirment le
pouvoir des langes étrangères : « s’ouvrir sur les autres et connaître les langues de culture
faciliteraient la communication avec l’extérieur mais aussi maîtriser les sciences et les techniques
modernes» (Charte Nationale de 1976, titre troisième, p.66)
L’enjeu de l’enseignement des langues étrangères à partir de cet énoncé apparaît
comme l’ultime objectif d’accès au savoir.
1-8-1 Les objectifs de l’enseignement du français en 4ème année moyenne :
Raconter est l’objectif de la 1èreAM. Décrire, celui de la 2èmeAM. Expliquer celui de la
3èmeAM. Argumenter sera celui de la 4ème AM.
Qu’est-ce que l’argumentation ?
L’argumentation développe un sujet pour lequel on émet un avis. Argumenter c’est
donc soutenir un point de vue. Dans un énoncé argumentatif, l’énonciateur défend une
opinion, une thèse. Pour convaincre le destinataire et l’amener à partager son point de vue, il
utilise des arguments. L’argument est une idée, un raisonnement, un fait que l’on fournit à
l’appui de ce que l’on dit pour convaincre l’auditeur ou le lecteur. Chaque argument peut être
explicité ou illustré par un ou plusieurs exemples.
L’argumentation suppose donc une situation d’échange où l’émetteur
(l’argumentateur) essaie de convaincre le récepteur (l’argumentaire). Par ailleurs, la
narration, la description et l’explication peuvent être au service d’un discours argumentatif.
1-7-2 Présentation du manuel de 4e année moyenne :
1-7-2-1 Structure du manuel :
Le manuel est organisé de façon à permettre la mise en place des compétences de
manière graduelle à partir des acquis des élèves. Il comprend 03 projets (Ces projets sont
donnés à titre indicatif, l’enseignant a toute latitude de changer leur intitulé tant qu’il
respectera les types de texte mentionnés et les compétences définies dans le programme).
Pour ce dernier programme du cycle moyen, nous constatons que le choix est réduit car
les propositions sont limitées. Pour réaliser trois projets, il faut faire produire aux
apprenants leurs propres projets.
51
-Le projet 2 du manuel, qui renvoie au projet 3 du programme demande une production
collective qui est de réaliser avec l’ensemble des produits, un recueil pour la bibliothèque.
Il est de même du projet 1 qui correspond aux projets 2 et 4 du programme. Quant au
dernier volet du manuel (3), il est plus englobant que les deux projets proposés dans le
programme. Ils visent deux spécificités à mettre en valeur : Du « faire découvrir le pays »
qui vise pour nous, le côté pittoresque, exotique, beauté du paysage, des régions, des villes et
des sites du manuel, le programme cible la mise en valeur :
-des moyens de transport (Projet 5)
-de l’artisanat (Projet 8)
Dans le manuel scolaire Dans le programme Projet 1 : Réaliser des panneaux affiches, pour informer et sensibiliser les élèves de l’établissement aux problèmes liés à la préservation de l’environnement.
1/Réaliser une compagne mettant en garde contre les dangers du tabagisme et autres fléaux sociaux. 2/A l’occasion de la journée mondiale de l’eau, organiser une journée « porte ouverte » consacrée à la préservation de cette source de vie. 4/Réaliser une petite brochure sous le titre « Nos amies, les bêtes », ou « j’aime lnature et je la protège ». 9/Après avoir visité le siège de la protection civile, réaliser une brochure (textes et images) mettant en valeur tout ce qui a été appris à cette occasion.
Projet 2 : Pour la bibliothèque de l’école, rédiger un recueil de textes (récits et textes argumentatifs) pour parler des droits et et des devoirs de l’enfant.
3/Sous le signe : « protégeons nos enfants », élaborer une brochure en faveur des droits de l’enfant, à l’occasion du 1er juin. 6/ Sous le signe : « j’aime mon école, je la respecte », « j’aime mon camarade, je le respecte », élaborer une revue ou un panneau mural incitant à l’amour et au respect de la classe, du camarade. 7/Ecrire et monter une pièce de théâtre prônant la non- violence.
Projet 3 : Créer une affiche de publicité et rédiger des reportages pour participer à un concours initié par l’UNESCO, et destiné aux collégiens, dont le thème st «
5/Sous le slogan : « Partons à la découverte du monde », réaliser un catalogue mettant en valeur les différents moyens de transport. 8/Sous le titre : « L’artisanat dans notre pays », réaliser un catalogue (texte et image), destiné à vanter les mérites de certains métiers pour leur sauvegarde.
52
Chaque projet est subdivisé en séquences. Chacune d’elles vise un certain nombre
d’objectifs qui permettent d’atteindre un niveau de compétence.
Le manuel vise à mettre en œuvre au sein des séquences, les interactions entre lecture,
écriture, prise de parole et entre les différents niveaux d’apprentissage de la langue (niveau
phrastique pour aborder les problèmes morpho- syntaxiques ; niveau textuel pour les
problèmes liés à la cohésion). Il vise à mettre en pratique la langue par des activités de
communication écrite ou orale, activités de production qui ne représentent pas le dernier
chaînon de l’apprentissage mais un moyen de formation. Ecrire et parler sont des activités
mises en œuvre pendant le processus d’apprentissage pour s’interroger de façon motivée sur
la langue.
Le manuel propose donc des projets didactiques qui deviendront des projets
pédagogiques en classe quand le professeur aura construit sa propre progression, sélectionné
les activités d’apprentissage etc. à partir des ressources proposées par le manuel.
1-8-2 -2 Analyse du manuel de 4e année moyenne :
Le manuel porte le titre « Livre de Français » en italique. Il est inscrit au centre de la
page de couverture avec encore disposés en diagonale, à la manière des affichages ludiques,
les mêmes segments en graphie cursive et de différentes couleurs. Bref, c’est une copie
conforme à celle qui figure sur la première page de couverture du manuel de troisième
année ; mis à part le fait que pour la quatrième année la couleur est rose, alors que le fond est
bleu nuit pour le manuel de troisième année.
En ce qui concerne ce qui fait office de titre de rubriques d’ En ce qui concerne ce qui
fait office de titre de rubriques d’étude, les mêmes syntagmes ont été repris pour ce niveau
aussi. Les apprenants sont donc en terrain connu pour les avoir déjà manipulés l’année
précédente. Ainsi reviennent et de manière identique au manuel précédent les syntagmes :
Oral en images/ Questions- Coin méthodo- Notre projet- Le Club des Poètes- Le bon train
de lecture- Grammaire pour lire- Questionner le texte- Evaluation formative- Evaluation
certificative.
L’en- tête avec la devise de l’Etat algérien et la source émettrice est encore porté dans ce
document, en langue arabe.
Ce manuel a été produit par deux inspectrices des lycées et collèges algériens :
53
-Mme Keltoum Djilali (I.E.F) inspectrice de français pour moyen (collège) ;
-Mme Anissa Melzi (P.E.S), enseignante de français au lycée.
La saisie et la mise en page ont été réalisées par Mme Keltoum Djilali. Ce nouvel ouvrage est
édité par l’office national des publications scolaires et sorti le 30 avril 2006.
La page 1 :
Nous y trouvons les mêmes indications que sur la page de couverture mais sans les différents
segments pédagogiques.
La page 2 :
C’est la page Poésie : un poème écrit par le poète algérien Malek Haddad, qui ouvre cet
ouvrage. Il s’agit d’un extrait de son recueil Jours du Siècle. Il ne porte pas de titre et se
compose de quinze vers irréguliers, sous forme de deux strophes d’inégales longueurs
(sixain, neuvain), présentées sue un fond vert.
La page 3 :
Elle est réservée à l’avant-propos, avec la mention « Les auteurs » qui renvoie à ses
concepteurs.
La page 4 et 5 : Elles sont identiques au sommaire en forme de tableau, c’est-à- dire très
étoffé et consistant pour un sommaire. Des cases sont réservées pour chaque projet.
-Les compétences ciblées occupent la première case et sont répertoriées d’abord pour l’oral
puis pour l’écrit.
-Elles sont suivies des cases concernant les séquences et les pages correspondantes.
-Puis viennent deux cases représentant la démultiplication des compétences en objectifs
spécifiques et/ou opérationnels, une pour l’oral et une autre pour l’écrit.
La présentation continue sur la page 5 et nous retrouvons en première colonne la rubrique
« Grammaire pour lire et écrire » suivie de « Evaluation formative » ; la troisième colonne
est consacrée à « Méthodologie » et le tableau se termine sur la case « Révision », où sont
inscrits les numéros de pages auxquels l’apprenant aura à se reporter.
La page 6 : Elle a pour titre les projets et comporte la présentation de trois projets
démultipliés en leurs différentes séquences. Les projets sont au nombre de trois et sont
54
répartis de la page 7 à la page 162. Et c’est seulement en annexe en page 163 qu’un
changement et signalé, avec l’introduction d’un glossaire (page 164 à 165) ; suivi de deux
pages intitulées « Préfixes et suffixes » (page 166 à 167), puis les classiques tableaux de
conjugaison de la page 168 à 175 avec une page entière pour chacun des deux auxiliaires
« avoir et être » pour l’apprentissage systématique des verbes conjugués hors contextes
comme pour un natif de langue française.
1-9 Les perspectives (inter)culturelles dans le manuel de 4eannée moyenne.
Durant les quatre années de l’enseignement moyen (11-14ans), l’enseignement du
français devra contribuer, à travers un choix thématique et typologique varié de textes à
former des citoyens algériens autonomes et ouverts aux cultures du monde. Les thèmes qui
seront privilégiés correspondent au vécu des apprenants et à l’environnement qui les
entoure : la famille, l’école, la ville, le quartier, la société, les métiers, le sport, les loisirs, etc.
L’on peut donc constater que, dans les premiers cycles de l’enseignement général,
c’est-à-dire au niveau de l’éducation de base et de l’enseignement moyen, la « culture » n’est
pas nommée comme un objectif en soi.
L’on privilégie un enseignement globaliste de la langue : la langue en tant que
« totalité ». Le manuel se caractérise par sa polyvalence. Evidemment, il n’existe pas de
séparation ou de distinction en ce qui concerne la forme des activités ou des exercices
proposés. Il n’y a pas d’activités consacrées à l’enseignement de la langue et d’autres pour la
culture. L’appropriation des faits culturels se fait donc, selon l’expression de Beacco, par
« imprégnation non systématique ».58 De plus, dans ce manuel, l’on cherche très souvent une
progression didactique et une continuité thématique marquée par la diversité : on passe de la
famille, à la communauté, au territoire, du climat, au à l’environnement et à l’écologie, des
sciences à la fiction, un peu de coutumes, de Mouloud Féraoun à Balzac, du sud algérien à
Paris , etc.
Ce manuel présente un choix didactique d’une grande diversification thématique qui se
justifie par la volonté de conserver un caractère ludique et souple de la langue afin d’éviter
la routine. Ce manuel, présente « de tout, un peu ». Il ne faut pas oublier comme le dit
Beacco que dans la classe, « une langue étrangère est ainsi facilement transportable et transposable
[locuteur compétent, natif ou non, manuel de grammaire, dictionnaire], alors qu’une culture ne
58
BEACCO J-C., Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris, Hachette Livre, 2000, p.77.
55
l’est pas. C’est une évidence : on ne peut en introduire en classe que des simulacres ou des bribes, des
extraits comme arrachés à leur milieu, des images (au sens propre du terme). »59
Quant à l’exploitation des documents culturels, ils servent communément de
« catalyseurs » pour expliquer des règles de grammaire (faire produire un texte argumentatif
par les apprenants, décrire un lieu ou bien écrire un court essai dans lequel ils sont tenus à
utiliser le style indirect, le passé, etc.), et pour susciter la prise de parole dans la classe, des
débats d’idées et des discussions relatives par exemple à la société, à la famille, à la situation
de la femme, etc.
En plus des textes littéraires, l’enseignement des faits culturels s’appuie aussi sur des
textes et des documents contenant des scènes de la vie quotidienne, des photographies de
paysage, des monuments ou des publicités, etc. A titre d’exemple, dans la classe,
l’identification aux personnages du manuel est une entrée effective qui peut éveiller la
curiosité des apprenants et créer la motivation chez eux, à condition bien évidemment que
les personnages soient bien choisis et puissent constituer des modèles d’identification avec
des appartenances, des références ou des valeurs partagées avec les apprenants.
A ce stade, l’on peut donc parler d’une appropriation implicite de la culture cible qui
repose très souvent sur la comparaison de faits culturels. Mais, les supports culturels sont
essentiellement exploités pour leurs potentialités langagières et communicatives.
En un mot, le cadre général de l’enseignement de la langue/culture tel que l’on peut
le percevoir à travers les manuels algériens de français est caractérisé par la prééminence
de la langue sur la culture, par la non différenciation des activités d’enseignement relatives à
l’un et à l’autre domaine et par l’exploitation polyvalente de supports. Au total, les contenus
culturels semblent davantage présents qu’exploités surtout.
59
Ibid., p.67.
56
Conclusion
L’héritage historique linguistique et culturel français a toujours déterminé la structure
scolaire et fondé le système éducatif algérien. Le cadre de référence, aussi bien sur le plan
linguistique que culturel pour l’enseignement -apprentissage du français a toujours été et
reste toujours la France. Dans une démarche centrée sur l’enseignant, on enseignait la
langue française par et pour sa littérature et sa culture générale, ce qui plaçait donc l’oral et
le culturel local au second plan. On accordait davantage de l’importance à la forme littéraire
qu’au sens des textes. La culture était perçue comme un ensemble d’œuvres littéraires et
artistiques réalisées dans ce qui est perçu comme le pays où l’on parle la langue française
donc la France.
Dans les classes, l’interaction se faisait toujours en sens unique du professeur vers les
élèves. En effet, avant 2003, la mémorisation, l’enseignement de la civilisation et des
courants littéraires, de la grammaire et de la conjugaison étaient les grands piliers de
l’enseignement - apprentissage du français.
Les nouveaux programmes pour l’enseignement-apprentissage du français en
application depuis la dernière réforme visent donc désormais un enseignement communicatif
et une approche interculturelle de la langue. Dans le nouveau curriculum, au cycle moyen, le
terme « civilisation française » a été soigneusement évité et remplacé par celui de « culture
». L’apparition de ces notions dans les textes officiels de la réforme, même si elle est vague et
rapide, marque la nouveauté de ces programmes.
En définitive, le parcours scolaire doit viser une pédagogie de l'épanouissement
donnant à chacun les moyens de développer ses aptitudes personnelles. La finalité assignée à
l'enseignement est de concourir à la réalisation d'un projet sociétal démocratique et
moderniste fondé sur la consolidation de la personnalité algérienne et ses symboles
civilisationnels, loin de tout renfermement identitaire et/ou racial. Tout en dotant les
apprenants de compétences solides à actualiser en permanence, les manuels scolaires
devraient refléter notre engagement en faveur des valeurs universelles de l'ouverture
culturelle et religieuse, du dialogue et de l'acceptation de la différence, de la tolérance et du
respect de l'Autre.
Chapitre 2 :
Le Texte littéraire et le rapport langue/culture en classe de FLE
58
Introduction Le support littéraire se révèle être une des plus sûres voies du dialogue entre les cultures puisque les textes, conçus comme point de rencontre d’univers différents,
constituent des révélateurs privilégiés des visions plurielles du monde. A la fois, le texte
littéraire trouve sa place dans l'enseignement de la langue comme dans celui de la culture «
parce qu'il est l'un des lieux où s'élaborent et se transmettent les mythes et les rites dans lesquels une
société se reconnaît et se distingue des autres ».1
Dans le premier volet de ce chapitre, nous tenterons d’élaborer une distinction
conceptuelle entre ce qu’on appelle un « texte littéraire », et un « document authentique »,
ensuite nous évoquerons la dimension polysémique et complexe. Après avoir défini notre
objet d’étude, le texte littéraire, en l’occurrence, nous allons esquisser l’évolution du texte
littéraire dans les méthodes d’enseignement depuis le XIXème siècle à nos jours.
Dans le deuxième volet, nous aborderons la didactique des textes littéraires en y
inscrivant le passage à l’interculturel : d’abord, parce que, comme nous allons le montrer, le
texte littéraire est le vecteur culturel par excellence. De plus, cette variété de textes charrie
des valeurs sociales qui jouent un rôle intégratif primordial et une conscience identitaire
distinguée de l’apprenant étranger.
En effet, la dimension culturelle est une composante évidente de l’apprentissage
d’une langue étrangère. Mais, en didactique des langues, les frontières qui délimitaient
historiquement l’usage et la définition du terme de « culture » ont longtemps été floues.
Une analyse conceptuelle de cette question était nécessaire avant de s’intéresser au manuel
de français de 4e année moyenne en usage en Algérie. Le but de ce chapitre, donc, est de
montrer l’intérêt d’inscrire des textes littéraires dans l’enseignement d’une langue étrangère
et ce lui de l’enseignement de l’interculturel.
1 BESSE.H., « Quelques réflexions sur le texte littéraire et ses pratiques dans l'enseignement du français langue
seconde ou langue étrangère » Trèfle, n°9, Lyon, 1989, p.7.
59
2.1 Le texte littéraire en FLE
Comme nous l’avons montré précédemment, le texte littéraire a été mis en retrait à la
faveur des textes fabriqués. Puis, avec l’arrivée de l’approche communicative, il a été pris
pour document dit authentique. Est-il réellement un document authentique parmi d’autres ?
N’y a-t-il pas de différence entre un article de presse et un poème ? N’y a-t-il pas de risque de
confusion ou de mal interprétation de ces documents chez les apprenants en classe de FLE ?
Il serait alors nécessaire de comparer, pour en dégager les différences de ces deux documents
et leur enseignement/apprentissage afin de valoriser l’un d’eux en classe de français langue
étrangère.
2.1.1 Texte littéraire ou document authentique,
Danielle Bailly définit le document authentique comme « un document «’brut’ de la
culture-cible, conçu dans son cadre d’appartenance par un autochtone pour s’adresser à un autre
autochtone, chargé donc d’une finalité et d’une fonctionnalité pragmatique directe ».2 En d’autres
termes, ce document n’est pas conçu, à l’origine, pour être enseigné en classe dans un cours
de langue. Ce document a été produit dans un contexte particulier et fait pour fonctionner
dans une situation donnée en dehors de laquelle, il perd son authenticité. C’est par exemple :
un article de presse, un extrait d’une émission radiophonique ou d’un film, une photo, une
brochure ou un souvenir de vacances…Ce sont des textes qui ont été créés dans un objectif
« communicatif », que l’on peut trouver dans l’environnement de l’apprenant. Cela dit, en
classe dans les manuels scolaires, ils sont reproduits artificiellement pour illustrer l’usage
d’un aspect particulier de la langue.
L’aspect communicationnel que ces documents sont censés véhiculer, se trouve
incomplet et pris dans le besoin de restituer, en cours, tout l’univers qui a conditionné leur
production. Les apprenants risquent, dans le cas contraire, de mal interpréter ces textes qui
ne portent en eux qu’une seule signification car il s’agit, en fait, « d’une authenticité
inauthentique, qui fera que, sur le plan didactique, l’apprenant aura tendance à se fier à sa propre
connaissance ou expérience avec les risques de « malentendus interprétatifs» que cette situation
implique.»3
Pour donner un sens à ces documents, les apprenants doivent alors confronter
continuellement la réalité dans laquelle ils se trouvent, aux intentions et au vécu de celui qui
2 Bailly D., Les mots de la didactique des langues, le cas de l’Anglais, Gap : Ophrys, 1998, p.70.
3 Séoud A., Pour une didactique de la littérature, Paris, , Hatier/Didier, Coll. « LAL », 1997, p.9.
60
a produit ces supports puisque ces derniers y renvoient directement. Après s’être rendu
compte de l’existence éphémère des documents authentiques, les apprenants auront moins de
plaisir à les lire et ils fourniront moins d’efforts pour les étudier. En somme, les apprenants
deviendront passifs, prêts à recevoir l’information au lieu d’aller la chercher.
Le texte littéraire, en revanche, comme nous nous le montreront tout au long de ce
mémoire, a des caractéristiques propres qui l’adaptent mieux que tout autre écrit aux
conditions de réception en classe de FLE. D’abord, parce qu’un texte littéraire contient en
lui-même la plus grande partie de son contexte, ce qui évite donc, en classe, de recréer les
conditions de sa production afin que les apprenants lui attribuent des significations. Grâce à
sa polysémie et à sa dimension universelle qui le rendent capable de « parler à tout le monde,
par delà le temps et l’espace »4.Le texte littéraire peut susciter la curiosité et le plaisir des
apprenants
Si dans l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, on ne peut plus
réduire le rôle de l’apprenant dans son propre apprentissage à un simple récepteur passif, et
si on ne peut plus dissocier les notions de plaisir et d’investissement d’un apprentissage
réussi, il faudrait alors prévaloir le texte littéraire, aux dépends du document authentique,
dans l’enseignement/apprentissage du FLE.
2.1.2 Qu’est-ce qu’un texte littéraire ?
Etymologiquement, le mot « texte » signifie « trame » et « tissu ». Étudier un texte,
qui plus est littéraire, c’est essayer de retrouver tous les fils qui les sous-tendent et de voir
comment ils sont agencés. Dans le but d’éclaircir notre positionnement, nous nous
permettons d’emprunter la définition suivante à Christian Puren : le texte serait donc « toute
séquence discursive (orale et/ou écrite) inscrite dans un domaine particulier et donnant lieu, comme
objet ou comme visée, comme produit ou comme processus, à activité langagière au cours de la
réalisation d’une tâche.»5
Dans la classe de langue, le texte qu’il soit littéraire ou non est perçu en tant
que « phénomène social », parce qu’il s’inscrit dans une situation de communication et dans
un cadre d’échange à propos de quelque chose, entre les partenaires de l’échange.
4 Ibid. p.11.
5 Puren C., « Variations sur la perspective de l’agir social en didactique des langues- cultures étrangères », in Les
Langues Modernes, http://www.aplv-languesmodernes.org/spip?article1888, p.3. Page consultée le 2 juin
2010.
61
Mireille Naturel distingue le texte littéraire du texte qui ne l’est pas, à partir de sa
polysémie. Pour sa part, « il apparaît donc clairement que le texte non littéraire a un sens et un seul
alors que le texte littéraire permet une lecture plurielle ; d’une part, il peut être abordé sous différents
angles d’analyse et, d’autre part, il se prête à de multiples interprétations.»6 Amor Séoud va plus
loin en soutenant que l'association "texte" et "littéraire" ne pouvait se faire si le sens en été
fixé. Autrement dit, c'est la charge polysémique qui déterminerait la littérarité d'un texte: «
Plus le texte est polysémique, plus il est littéraire, et réciproquement, moins il est polysémique»7.
Le texte littéraire, réduit dans un premier temps à une « pièce de musée », une
représentation des faits de civilisation, ou à un simple support d’apprentissage linguistique,
est actuellement remis à l’honneur. Il est perçu comme un laboratoire de langue avec
d’innombrables fonctions et un « espace privilégié où se déploie l’interculturalité.»
Travailler sur la polysémie des textes littéraires en classe de FLE s'avère
extrêmement avantageux pour les apprenants, à la fois, parce que cela créerait une
dynamique interactive entre l'enseignant et les élèves mais aussi, mettrait l'apprenant dans
une posture de dialogue direct avec le texte littéraire, et parce qu'enfin elle permettrait à
l'élève, dans sa quête de sens, un tant soit peu, de clarifier et de dissiper les malentendus
interprétatifs inhérents au texte littéraire. Par conséquent nous pensons que la didactique du
FLE, a tout à gagner en introduisant en son sein le texte littéraire.
En s’interrogeant sur la nature même du discours littéraire, J.-L. Greffard y répond
ainsi : « et qu’est-ce que la littérature sinon la langue de tous prise dans un usage spécifique ? Prenant
sa source dans la langue commune, elle en explore les ressources et les potentialités par le travail de
l’écriture. Sa différence est d’usage et non de nature. »8 Il est utile de rappeler qu’il est difficile
voire impossible de donner une définition fermée de ce qu’est la littérature. Les outils
linguistiques que sont le lexique et les structures de la langue sont communs à tous les
écrivains qu’ils soient journalistes, juristes, rédacteurs ou enseignants. Albert et Souchon
considèrent la littérature comme un art, « elle utilise les mots, qui lui préexistent, tout comme les
couleurs et les sons préexistent à la peinture et à la musique. »9
6 Naturel M., Pour la littérature : De l’extrait à l’œuvre, Paris, CLE international, 1995, p.8.
7 Séoud A., Pour une didactique de la littérature, Editions Didier, Paris, 1997, 9.47.
8 Greffard J.-L., « Les textes littéraires en FLE », in Les Cahiers Pédagogiques, Le FLE, une langue vivante,
N°360 ? P.45. 99
Albert M.-S. et Souchon M., Les textes littéraires en classe de langue, Paris, Hachette Livre, 2000, p.18.
62
Mais, à la différence des autres pratiques de l’écriture, la littérature a longtemps été
considérée comme le lieu où s’exercent la belle langue, le raffinement de l’expression et la
finesse du style. La particularité de l’écrivain est qu’il emploie la langue dans une intention
esthétique et non pas dans une intention pratique, et la finalité de son travail réside dans
l’acte d’écriture lui-même.
La littérature est donc, avant tout, de la langue, destinée non seulement à des usages
spécifiques mais également à des visées symboliques. Dans ce sens, M. Abdallah- Pretceille
et L. Porcher insistent également sur la langue qui est la source et la « matière première » de
la littérature qui serait, selon eux « […] un tissu de phrases et de mots, une chair linguistique
vivante et qui fonde l’humanité de l’homme. »10 L’originalité de cette définition se traduit par la
nature « vivante » et « humaniste » assignée à la littérature.
La littérature naît donc des mots et de l’usage diversifié (subjectif, objectif, etc.) que
l’on en fait. C’est un lieu spécifique où l’homme, par le biais de la langue, exprime sa vision
du monde. C’est également un espace où se rencontrent l’imaginaire et la réalité, le rêve et le
vécu, l’identité et l’altérité, le Moi et l’Autre, en bref l’ « humanité de l’homme ». La
littérature permet donc, selon M. Abdallah- Pretceille et L. Porcher, « […] d’étudier l’homme
dans sa complexité et sa variabilité. C’est cette dimension humaniste qui curieusement ressurgit et est
directement interpellée en didactique des cultures ainsi qu’en formation générale. »11
Dans la mesure où le texte littéraire est perçu comme un espace de langage, il
est/a été exploité différemment selon les courants méthodologiques qui dominent le champ
de la didactique du français langue étrangère. Si la littérature est enseignée actuellement
pour sa dimension humaniste et interculturelle, pour rencontrer l’Autre et pour mieux le
connaître, historiquement les visées de cette didactique n’étaient pas les mêmes.
2.1.3 Le texte littéraire dans les méthodes d’enseignement du FLE, une histoire
mouvementée
Après avoir donné un aperçu sur la situation actuelle de l’enseignement du
français en Algérie, il ne serait pas sans intérêt, pour comprendre le statut des textes
littéraires, d’effectuer un détour sur l’évolution des méthodologies de l’enseignement de la
langue française, laquelle évolution a eu des retombées sur l’enseignement des langues en
10
Abdallah- Pretceille M. et Porcher L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 1996, p.143. 11
Abdallah- Pretceille M et Porcher L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 1996, p.138.
63
général. En effet, à notre sens, la place de la littérature s’en est nettement ressentie. Quelles
sont donc les principales méthodes qu’a connues cet enseignement ? Quelles sont les
caractéristiques de chacune d’elles ? Quelle place font-elles aux textes littéraires en général?
Quels sont les types de lectures préconisées par ces différentes méthodes? C’est à ces
questions que nous essayerons d’apporter une réponse dans le présent chapitre.
Méthode : quelle signification ?
Pour déterminer la situation actuelle des textes littéraires dans l’enseignement du
FLE, la caractérisation à grands traits des principales tendances méthodologiques de
l’enseignement des langues étrangères est incontournable, voire nécessaire. Besse définit les
termes « méthode », ou « approche », comme étant « un ensemble raisonné de propositions et de
procédés (…) destinés à organiser et à favoriser l’enseignement et l’apprentissage d’une langue
seconde.12 », alors que Germain les définit comme étant un « ensemble de principes ou de procédés
organisés destinés à faciliter l’apprentissage »13. Puren, quant à lui, définit le terme « Méthode »
comme « un ensemble de procédés et de techniques de classe visant à susciter chez l’élève un
comportement ou une activité déterminés ».14
Cet éclaircissement terminologique effectué, revenons-en à l’histoire des méthodes
d’enseignement. En fait, un parcours à travers les principales méthodologies utilisées dans
l’enseignement des langues étrangères et particulièrement dans la didactique du FLE,
s’avère d’une importance capitale pour comprendre, comme nous l’avons déjà souligné, le
statut des textes littéraires en classe de langue.
Force est de constater que la recherche en didactique a évolué, s’accompagnant de
l’évolution de ces méthodologies. Le progrès a concerné non seulement les objectifs mais
aussi les apprenants et leurs besoins. Chaque méthodologie cherchait à s’adapter avec les
besoins politiques, économiques et culturels du monde. Certaines ont certes succédé à
d’autres en reprenant parfois les principaux fondamentaux, mais d’autres ont cohabité avant
de donner naissance à une méthodologie précise.
Dans ce deuxième volet du deuxième chapitre, nous tenterons de présenter
brièvement les méthodologies dont l’apparition remonte au XVIIème siècle en passant par le
12
Besse, H., Méthodes et pratiques dans les manuels de langue, Paris, Didier, 1985, p.14. 13
Germain, C., Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, Paris, CLE International, 1993,
p.16. 14
Puren, C., Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Coll. Didactique des langues, CLE
International, 1996.
64
XIXème siècle jusqu’à nos jours. A ces débuts, la langue étant surtout enseignée par sa
littérature et sa culture. L’apprenant était distinct par sa classe sociale et intellectuelle
supérieure.
Dans les années 1950, l’apprenant voyait plutôt la langue comme moyen de
communication, facilitant l’échange. Avec les années 1960, l’enseignement des langues
occupera considérable dans le milieu scolaire. Examinons donc, sans trop nous appesantir
sur les détails susceptibles de nous éloigner de notre sujet, les principales caractéristiques de
chacune d’elles et les facteurs ayant permis l’émergence des unes et des autres.
2.1.3.1 Les méthodes traditionnelles
La première méthodologie d’enseignement des langues s’est calquée sur la
méthodologie d’enseignement des langues anciennes. Sa mise en œuvre historique s’étale sur
trois siècle et, à travers des réformes très variées, elle subit une évolution qui la mène
jusqu’aux frontières de la méthodologie directe.
Appelée aussi méthode de grammaire- traduction et utilisée surtout pour
l’enseignement du latin et du grec, elle a surtout marqué le XIXème siècle. Elle se basait
essentiellement sur la lecture et la traduction des textes en langue étrangère.
Le sens du texte était relégué au second plan. L’acquisition d’une compétence
linguistique était le premier objectif fixé par les didacticiens. C’est pour cette raison que
l’oral n’occupait une grande place car l’apprentissage d’une langue soutenue primait. Afin de
véhiculer la norme et la langue raffinée, l’on a nettement privilégié l’écrit et l’acquisition du
code linguistique.
En effet, tout le système est centré sur les textes littéraires, l’enseignement du
français se fait par/et pour la littérature qui apparait comme un objet allant de soi. Il s’agit
de faire apprendre la langue par l’imitation des grands écrivains classiques. Le manuel
scolaire n’existait pas, le professeur avait la liberté dans le choix des textes à enseigner.
L’école a même conduit à la sacralisation d’une certaine littérature. L’objectif culturel
« prônait ». La culture était alors perçue comme l’ensemble des œuvres littéraires et
artistiques produites dans le pays où l’on parle la langue enseignée. En revanche, la culture
des apprenants, aux yeux des concepteurs de cette méthode, constituait un obstacle au bon
fonctionnement de leur apprentissage.
65
Ainsi, l’enseignement de la littérature débute à partir du moment où le bagage
linguistique des apprenants est considéré comme plus ou moins solide. Ce choix se justifie,
selon Cuq et Gruca, par le fait que « l’apprentissage linguistique, essentiellement grammatical,
conduit obligatoirement à une formation culturelle, étape où la littérature est considérée la
représentante de la norme, mais aussi comme la manifestation la plus intérieure de la culture et la voie
royale pour accéder à une certaine civilisation. »15 La littérature a constitué donc un corpus idéal
qui répondait aux différents objectifs formatifs de l’enseignement-apprentissage du français à
savoir les trois concepts de la philosophie humaniste « le Beau, le Vrai, le Bien » en d’autres
termes l’esthétique, l’intellectuel et le moral.
Le texte littéraire introduit dans les constructions méthodologiques de l’époque, a
calqué son cadre sur celui de l’enseignement du français langue première qui repose pour
l’essentiel sur l’explication de textes, l’analyse thématique, le commentaire et la dissertation
d’où la présence dans les manuels en usage de recueils de textes appartenant aux classiques
du patrimoine français (Stendhal, Flaubert, Balzac, etc.) et des morceaux choisis des
anthologies traditionnelles. Ce dispositif se traduit donc comme l’explique Puren « […] par
un parler sur le texte qui assure l’entraînement langagier sur les formes linguistiques qu’il introduit,
d’extraire du texte de nouvelles connaissances culturelles et de mobiliser des connaissances culturelles
antérieures ou fournies en temps réel par l’enseignant, ou encore recherchées par les les apprenants. »16
Par l’intermédiaire des textes littéraires, l’on se propose donc de former des gens capables de
maintenir plus tard un « contact à distance » avec la langue-culture étrangère.
2.1.3.2 La méthode active (M.A)
C’est bien entendu l’échec relatif de la méthode traditionnelle en milieu scolaire, et
cet échec a provoqué après la Première Guerre mondiale le besoin d’une méthodologie
nouvelle. La M.A viendra suppléer ce nouveau besoin de méthode logique. C’est l’éclectisme
technique qui caractérise la M.A, laquelle qui ne modifie pas le noyau dur de la M.D (la
méthode directe) mais introduit dans chacune de ses
trois composantes un certain nombre de variations: la M.A s’est voulue d’abord une
méthodologie active, et c’est donc à cet aspect que doit principalement porter son évaluation.
Non pas sur les déclarations de ses méthodologues, mais sur l’impact réel de la méthode
15
Cuq J.-P. et Gruca I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Presses Universitaires de
Grenoble, Nouvelle édition, Grenoble, 2005, p.414. 16
Puren C., « Explication de textes et perspective actionnelle : La littérature entre le dire scolaire et le faire
social », in Les Langues Modernes, http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article389, p.3 consultée
le 7 mars 2008.
66
active dans les salles de classe. L’esprit de l’élève, de tous les élèves, doit être constamment
et en même temps tenu en état d’alerte, qu’il s’agisse de la récitation de la leçon ou de
l’acquisition de notions nouvelles.
Les méthodologues actifs vont s’ingénier à multiplier les propositions des procédés et
techniques visant le maintien et le développement de cette activité de l’élève. Ces
méthodologies font justement remarquer les limites de la méthode active dans la
méthodologie directe, en particulier le schéma trop rigide et directif: questions du professeur
/ réponses des élèves.... C’est l’élève qui doit poser les questions chaque fois qu’il n’aura pas
compris, chaque fois qu’il désirera des renseignements complémentaires, chaque fois qu’il
sera désigné pour diriger la classe à l’occasion d’une leçon ou d’un exercice.
Ainsi, maintenus en haleine par le jeu des questions et des réponses, les élèves
s’habituent à réfléchir en commun et ils apprennent à interroger dans la classe étrangère,
pratique qui a été longtemps négligée. Les textes recommandés sont plus orientés vers « le
récit » et « le dialogue », là c’est le besoin d’activité individuelle et collective qui est exploité,
et on vise la création d’une atmosphère agréable et favorable, toujours nécessaire pour le
bon rendement de la classe.
2.1.3.3 Les méthodes audio
Les méthodes audio ont fait leur émergence grâce à l’essor de la linguistique et aux
progrès d’ordre technique ; on peut en situer l’âge d’or au cours des années 50, elles avaient
déjà été expérimentées aux Etats-Unis par l’armée pendant la seconde guerre mondiale.
Elles représentent un pas important dans l’évolution de l’enseignement du FLE. En effet,
elles se fondent sur deux courants théoriques: la linguistique structurale et la psychologie
béhavioriste.
On assiste en France à partir du début des années 60 à une véritable prise de
contrôle de la didactique du FLE par la linguistique, supposée par les pédagogues
susceptible de fonder à elle seule une méthodologie véritablement scientifique. L’influence
des MAO n’est pas séparable de celle de la linguistique appliquée, cette méthode sera une des
méthodes audiovisuelles.
Ces méthodes sont définies comme étant dominantes, dans les années 60 et 70, dans
l’enseignement en France; leur cohérence est construite autour de l’utilisation de l’image et
du son. Le support sonore est constitué dans le cours audiovisuels par des enregistrements
67
magnétiques et le support visuel par des vues fixes (diapositives ou fils fixes), la voix du
professeur peut aussi suppléer les enregistrements. L’exercice structural et le laboratoire de
langue sont les instruments auxiliaires privilégiés de l’acquisition et de la fixation
d’automatisme linguistiques.
Les méthodes audiovisuelles accordent la priorité à l’oral, comme objectif
d’apprentissage et comme support d’acquisition ; l’apprentissage de l’écrit, conçu comme un
prolongement de l’oral, est retardé. L’association entre le son et l’image permet la
présentation des dialogues dans des situations, l’accès à des informations situationnelles et la
compréhension par l’élève du sens des énoncés d’une manière naturelle. Les caractéristiques
de la langue parlée, en particulier, les phénomènes intonatifs, sont présentés dans les
dialogues. La présence des enregistrements garantit à l’enseignant un modèle qu’il peut
reproduire autant que nécessaire.
L’organisation des leçons a un caractère systématique: les différentes phases se
succèdent selon le même ordre: la présentation du dialogue enregistré et des images fixes,
l’explication du dialogue par séquences, la mémorisation, l’exploitation qui se fait soit à
partir des images, soit à partir des exercices structuraux, et pour finir, la transposition, phase
qui permet à l’élève d’utiliser les éléments linguistiques acquis dans les phases précédentes.
C’est par leur caractère systématique que les méthodes audiovisuelles présentent une
garantie de succès pour l’acquisition d’une L.E.
La littérature a été ainsi remplacée par des textes fabriqués (interview, dialogue,
sketchs, scénarios, etc.). Les protagonistes de la SGAV ont toujours opposé l’aspect
fictionnel et non et non fictionnel du texte littéraire à la mise en œuvre d’un enseignement
fonctionnel ou communicatif de la langue qui prendrait en compte les besoins langagiers des
apprenants. Selon une conviction communément partagée, la littérature n’apprendrait ni à
parler, ni à lire le journal, ni à écrire une lettre, ni à réserver une chambre d’hôtel. Ce n’est
qu’au début des années quatre-vingt, avec l’approche communicative qui récuse l’hégémonie
de l’oral et qui réhabilite la place de l’écrit, que la littérature a refait son retour dans les
classes de langue.
Dans les années soixante-dix, la « deuxième génération » des méthodes audio-
visuelles subit une évolution : les dialogues des manuels sont plus proches de la réalité et
visent à développer une véritable compétence de communication.
68
Ainsi De vive voix, le manuel qui peut être considéré comme le plus représentatif des
méthodes SGAV, propose non seulement une langue proche de la réalité mais prend aussi en
compte certains facteurs jusqu’alors négligés, tels que les composantes socioculturelle et
psychologique de la communication : « l’intérêt d’une histoire suivie est évidemment de donner
aux personnages reparaissant une certaine épaisseur psychologique et d’aider ainsi les élèves à
percevoir plus aisément les intentions sous-jacentes à leurs discours. […] Apprendre conscience des
mentalités différentes des siennes et à entrevoir des réalités socioculturelles autres que celles qui lui sont
familières dans sa vie quotidienne. Ainsi l’apprentissage de la langue s’affine-t-il par la perception
progressive d’implicites psychologiques et de connotations culturelles. »17
La littérature est jugée, comme l’explique J.-L. Greffard dans Les Cahiers
Pédagogiques, « éloignée d’une pratique langagière quotidienne et réelle, elle serait le tombeau de la
langue que caractériseraient des tours syntaxiques inhabituels, des emplois lexicaux rares et désuets :
bref, elle représenterait un enseignement susceptible de fausser la réalité quotidienne de la langue et
chacun de ses textes serait à lire comme autant de pièces de musée. »18
Le fait que la langue soit présentée à l’élève en situation lui permet de l’apprendre
comme outil de communication, mais les choix opérés dans ce type de méthode laissent assez
peu de place à l’initiative de l’élève car on lui demande, surtout, d’acquérir les
comportements adéquats à chaque type d’exercice.
C’est l’organisation même du contenu à enseigner, la rigueur de la progression et les
activités destinées à fixer des structures qui doit permettre à l’élève d’appréhender le
fonctionnement de la langue étrangère. Par conséquent, certaines habitudes de l’élève dans
sa langue maternelle, par exemple l’utilisation de règles grammaticales, ne sont pas
réinvesties dans les méthodes audiovisuelles.
Bien qu’elles aient été appréciées au départ, ces méthodes ont été remises en question
: du point de vue pratique en raison de la lassitude qu’elles engendraient chez les apprenants
; sur le plan théorique, par la critique radicale du béhaviorisme de Skinner. D’où l’apparition
des approches communicatives.
2.1.3.4 Les approches communicatives
17
Moget M-T., De vive voix, CREDIF, Paris, Livre du maître, p.9. 18
Greffard J.-L., « L es textes littéraires en FLE », in Les Cahiers Pédagogiques, Le FLE, une langue vivante,
N°360, 1998, p.45.
69
Ce sont les approches notionnelles-fonctionnelles et communicatives qui prévalent
actuellement, dans le monde occidental, depuis le début des années 80. Les approches
communicatives sont apparues à un moment où la recherche en science du langage et en
didactique ont permis la prise en compte du bilan négatif des méthodes d’inspiration
béhavioriste et où le désir d’acquisition d’une solide compétence communicative dans une
langue étrangère a gagné en intensité.
L’approche communicative se propose donc de prendre en compte la totalité de la
langue dans la variété de ses usages. Les textes littéraires sont considérés comme des
« documents de langue » parmi d’autres, ils apparaissent avec les recettes de cuisine, les
publicités, les petites annonces et les bulletins météos, les tracts, les notices, afin
d’exemplifier les variétés de la langue française que ce soit à l’écrit ou à l’oral. Mais sans être
vraiment accompagnée d’une réflexion didactique ou méthodologique, le texte littéraire était
considéré comme un simple « document authentique » destiné à apprendre à communiquer.
Sans prendre en compte ses particularités textuelles, il était exploité dans une approche
globale comme tout autre document informatif, limité à la formation linguistique.
Selon les approches communicatives, la parole est générée par l’élève et non par
l’enseignant et l’interaction entre les élèves est au cœur de l’expérience d’apprentissage qui
se fait au moyen de tâches plutôt que d’instructions portant sur des notions, des fonctions,
des actes de langage et des intentions de communication clairs et précis. Ces interactions
doivent être organisées, gérées et évaluées par le professeur. L’apprenant doit donc être actif
et le rôle du professeur est de lui apprendre à apprendre; On assiste alors à la redéfinition du
rôle de l’enseignant : il est à la fois, ou au choix, animateur, coordinateur et conseiller plutôt
que maître, seul détenteur de savoir. Enfin, l’accent est mis sur le sens, le contenu plutôt que
sur la forme : se trouvent ainsi pris en compte la totalité des paramètres de la situation de
communication, à savoir le contexte, les présupposés, le statut, le rôle et la psychologie des
personnages.
Dans l’approche communicative, on distingue nettement l’apprentissage de
l’acquisition. Au contraire de l’apprentissage, l’acquisition est spontanée, inconsciente, «
intuitive » et se produit lorsqu’on met l’accent sur la communication et non sur la forme.
L’évolution des grandes théories linguistiques a permis l’instauration d’un champ
favorable à l’avènement des approches communicatives; il en est ainsi des travaux de Noam
Chomsky qui révolutionna le monde de la linguistique. A l’heure, en effet, où “les théories
70
structuralistes étaient en plein essor, postulant que chaque langue constitue un système de
structures complexes, imbriquées les unes dans les autres(travaux de Saussure et Skinner),
Chomsky introduit le concept de ‘Language Acquisition Device’ traduit littéralement comme
étant un ‘Dispositif d’acquisition du langage’. Selon lui, tout être humain possède une
capacité innée à décrypter et à comprendre un code langagier grâce à une fonction
intellectuelle spécifique. On avance comme preuve dans cette théorie (l’innéisme),
l’observation des enfants dont la maîtrise de la langue maternelle s’acquiert en moins de
quatre ans sans apprentissage formel. Pour Chomsky, il n’existe pas plusieurs systèmes
distincts mais une seule grammaire universelle. C’est de ces concepts que découlent les
prémisses des théories constructivistes et des approches cognitivistes de l’apprentissage des
langues.
L’approche communicative se donne en effet comme objectif principal d’apprendre à
communiquer dans une langue étrangère, en tenant compte de facteurs tels que la
motivation, le filtre affectif, l’aptitude et la personnalité des apprenants. Il y a véritablement
une différenciation des méthodes et des stratégies selon les intérêts, les besoins et les styles
d’apprentissage des apprenants. Cette approche favorise donc une pratique pédagogique plus
rationnelle et plus efficace, qui permet de mieux répondre aux attentes, aux besoins et aux
motivations des élèves, au souci d’efficacité des professeurs, aux objectifs des systèmes
éducatifs et aux intérêts des sociétés pleinement engagées dans le processus de
mondialisation en cours.
Il y a bien sûr certains principes à respecter pour mettre en place une approche
communicative ; il est en effet très important de varier les formes de travail ; ainsi, il faut
éviter de passer d’une activité à l’autre, sans en tirer la substance, en consommant le manuel
en quelque sorte ; en ce qui concerne le travail par deux, il est à recommander uniquement
pour des exercices qui demandent une préparation et qui pourront effectivement être
présentés par la suite par deux. Le travail en petits groupes demande une bonne organisation
: travail de recherche, enquêtes, exploitation thématique d’un texte, par exemple. Ici aussi il
s’agira uniquement d’activités qui demandent une vraie préparation.
Les élèves peuvent aussi venir devant la classe, individuellement, par deux, par trois
ou en petits groupes. Ils peuvent noter les remarques au tableau, faire une présentation orale.
Dans le cas d’un exercice fait à l’oral, il faut corriger la production orale des élèves. Si
l’exercice est fait à l’écrit, il faudra contrôler si les élèves notent la bonne réponse. On peut
donner la réponse correcte au tableau, sur transparent ou encore contrôler les élèves
71
individuellement. Il est recommandé de pratiquer l’hétéro-évaluation, c’est-à-dire de faire
corriger les réponses des élèves par les autres élèves, car comme l’écrit Évelyne Bérard : «
La progression inclut bien sûr l’évaluation sous toutes ses formes (hétéro-auto) qui doit permettre à
l’apprenant de se placer par rapport aux objectifs d’enseignement. » On pensera aussi à varier les
types d’exercices : combiner, traduire, compléter, dire, lire, écouter, écrire. En donnant des
tâches à accomplir aux élèves, l’enseignant sollicite d’ailleurs leurs capacités de déduction et
de découverte et les invite à construire leur propre savoir : l’enseignement est bien orienté
vers l’action et centré sur l’apprenant qui s’engage ainsi dans différents types d’interactions.
L’enseignant doit essayer de s’assurer tout au long de son enseignement qu’il
interagit bien avec ses apprenants et il doit de ce fait s’intéresser personnellement à l’état de
leur développement linguistique. Enfin, il faut savoir que la qualité et la fréquence des
échanges en classe sont des facteurs qui facilitent le processus d’apprentissage. Selon nous,
l’enseignant se doit de mettre ses compétences linguistiques, culturelles et pédagogiques au
service de l’apprenant car il restera sa personne ressource et cela même après la fin de la
leçon. Il doit sans arrêt se remettre en question et surtout être patient et à l’écoute de ses
apprenants.
2.1.4 Le statut du texte littéraire dans les méthodes d’enseignement du FLE
Comme on le constate d’après cette description, à grands traits, les textes littéraires
n’ont pas de place dans les méthodes audio ni dans les approches communicatives,
contrairement aux méthodes traditionnelles où ils avaient un statut beaucoup plus
important ; Quels sont les raisons de ce déclin ?
Si tel est l’état des textes littéraires, c’est que « la littérature a elle-même, à un moment
donné, beaucoup perdu de son crédit (certains ont même parlé de mort de la littérature). Elle a par
conséquent traversé une sorte de crise, qui a éclaté à la fin des années soixante, et qu’elle arrive
difficilement à surmonter aujourd’hui. »19 Quels sont les origines de cette crise ?
L’évolution rapide des forces productives qu’a entrainé un appel pressant à une main
d’œuvre de formation technique et scientifique, déterminant un recul de la formation en
19
Séoud, A., Pour une didactique de la littérature, Coll. LAL, Hatier, 1997, p.21.
72
lettres. C’est donc le marché de l’emploi qui est à l’origine de la « dépréciation » des
humanistes classiques.
La multiplication des moyens de communication n’est pas moins importante. Ils ont
mis en cause l’hégémonie traditionnelle de la littérature et le rôle de l’institution scolaire
dans l’intégration à la culture.
D’une façon générale, il convient de noter que la crise de la littérature provient de
l’échec de l’ « humanisme » de la pensée traditionnelle, que la contestation de mai 1968 à
fustigé vivement. Mais on dénonce La pédagogie humaniste traditionnelle non seulement pour
sa fonction idéologique, mais aussi, pour le caractère peu ou pas « scientifique » des
méthodes que cette fonction y autorise.
Ce processus de désacralisation, en quelque sorte, de la littérature dans
l’enseignement du français, a commencé avec l’importance qu’avait prise la linguistique, qui a
réussi à imposer la perception de la langue comme une réalité orale, alors que la littérature
relève de l’écrit. Il s’ensuit naturellement que, à la différence de la méthode traditionnelle où
on enseigne la langue, dès le début, à partir de la littérature, les méthodes « audio » écartent
celle-ci de l’apprentissage langagier, qui se fait désormais en dehors d’elle.
A ce propos Daniel Coste note qu’il est « bien connu que les méthodologies dites
modernes d’enseignement des langues vivantes, qu’elles soient audio-orales ou audio-visuelles, s’en
sont particulièrement pris (sic) à l’utilisation massive du texte littéraire, pour ce qui est notamment des
débuts de l’apprentissage. Inutile de revenir ici sur les raisons avancées pour cette mise en cause : elles
sont d’ordre à la fois linguistique (une langue est d’abord une réalité orale), statistique (la parole
occupe globalement dans la communication humaine plus de place que l’écrit), pratique (répondre à un
douanier importe parfois plus que de savoir dire un poème de Heine) éducatif (susciter et maintenir la
motivation de débutants demande aujourd’hui autre chose que de bons auteurs) idéologique (la
littérature-bien malgré elle-a eu partie liée avec certains fonctionnements sélectifs et élitistes de la
tradition classique) »2033.
Pire, de l’idée de texte-modèle, consacrée par la tradition et servant de base aux
exercices de pastiche (« composez à la manière de … » qui compensent les risques du « par
cœur » intensif, on passe, la stylistique de l’écart aidant, à l’idée que la langue littéraire est
une langue à part, très distincte de la langue de communication usuelle. Et on en arrive
20
Coste, D., « Apprendre la langue par la littérature ? », in Littérature et classe de langue, Paris, Coll. LAL,
Hatier, 1982, p.65.
73
même, en fin de compte, à l’idée que l’acquisition de la langue littéraire suppose un pré-
requis, que la maîtrise de la norme doit précéder celle de l’écart.
Ainsi, les M.AO. et les M.A.V. nient, comme le remarque toujours Daniel Coste à une
autre occasion, « qu’on puisse apprendre la langue par la littérature pour mieux affirmer qu’on
apprendra la littérature par la langue »21. Cela veut dire concrètement que le texte littéraire est
expulsé du domaine de l’apprentissage linguistique, où sont introduits à sa place, tambour
battant, des documents pluricodés de nature variée : images, spots publicitaires, récits
filmiques, et autres « documents authentiques »35, toutes d’écrits non littéraires.
Dans cette nouvelle mouvance de la pédagogie communicative, où l’oral a une place
importante, et recommandée par les instances officielles, il arrive même assez souvent que
l’ont ait recours, plutôt qu’au « document authentique », à un « texte fabriqué », en
particulier sous la forme de « dialogues » (sketchs, scénarios, etc. : la cause de la littérature
étant entendue, la concurrence concerne des documents dits authentiques par opposition à
d’autres qui ne le sont pas ou le sont moins. Cette concurrence tourne d’ailleurs parfois à
l’avantage des derniers, dont la fabrication permet un dosage minutieux des éléments
d’apprentissage (lexique, structures syntaxiques, etc.) et très favorable à une maîtrise de la
situation pédagogique (exigence de disponibilité, de progression, etc.).
La langue et son apprentissage doivent apparaître ici, pour reprendre des propos de
Daniel Coste, comme « une machinerie complexe demandant des ajustements soigneux et d’abord un
montage aussi exact que graduel, pas nécessairement pièce à pièce, mais sous-ensemble par sous-
ensemble »22. Il se produit alors, dans la structure pédagogique d’ensemble, une combinatoire,
une organisation architecturale cumulative telle qu’un texte littéraire y paraît difficilement
traitable, son intrusion risquant fort de perturber tout le système. L’exclusion de la
littérature n’est donc pas un parti pris théorique, elle semble inhérente à la logique interne
de ce système.
Après ce court exposé, il va sans dire que le statut du texte littéraire dans
l’enseignement du FLE tel que l’on peut le percevoir à travers les différentes méthodologies
d’enseignement-apprentissage du FLE, peut se résumer, selon Mireille Naturel, en trois
périodes : « grandeur, décadence et renouveau ». La « grandeur » se manifestait d’abord dans les
21
Ibid., p.70. 22
Littérature et classe de langue, op. cit. p.69.
74
méthodes dites actives où la littérature était donc conçue comme une consécration, comme
l’aboutissement de l’apprentissage de la langue. La « décadence » du texte littéraire marque la
période allant des années 1960 à 1980. Certes, le texte littéraire n’est pas complètement
disparu dans les méthodes d’enseignement, mais, comme l’explique Naturel, « […] il est
relativement rare et, lorsqu’il est cité, c’est pour illustrer un thème d’étude, un phénomène de société,
etc., à peine reconnaissable entre un article de journal et une page de statistiques, tantôt cité pour son
auteur, tantôt pour lui-même, mutilé parfois, incompris le plus souvent […]. »23
Les années quatre-vingt marquent le « renouveau » du texte littéraire par l’intérêt
porté à la « lecture ». Celui-ci était enseigné selon une démarche littéraire classique
(explication et commentaire, dissertation, etc.)
Par ailleurs, l’emplacement des textes littéraires dans l’organisation structurale des
manuels a toujours provoqué de nombreuses polémiques, et elle semble toujours être
d’actualité. Il est évident qu’en didactique des langues, la littérature représente un « appui
pédagogique » incontournable cependant, encore aujourd’hui, dans le domaine de
l’enseignement du français langue étrangère (FLE), les textes littéraires ne sont proposés
qu’au terme de plusieurs années d’étude.
L’on suppose ainsi que le passage à l’appréciation du texte littéraire n’est concevable
qu’une fois solidement établies les fondations de la langue parlée et écrite. En effet, cette
tendance nie, comme le dit D. Coste, « […] qu’on puisse apprendre la langue par la littérature
pour mieux affirmer qu’on apprendra la littérature par la langue. »24
D’autres vont à l’encontre de ce constat er recommandant vivement d’introduire la
littérature le plus tôt dans les classes. Dans cette optique, J. Peytard, dans un article paru en
1982, exprime son positionnement envers cette question, il explique que l’ : « On ne conteste
pas, ici qu’une bonne compétence linguistique aide à une lecture sémiotique du texte. Mais on aimerait
suggérer aux didacticiens qu’il convient de ne pas placer le texte littéraire à la fin ou au sommet, ou au
hasard de la progression méthodologique, mais d’en faire, au début, dès l’origine du « cours de
langue », un document d’observation et d’analyse des effets polysémiques. En regardant le texte dans
sa matérialité scripturale, et en débusquant les « différences », en tous points, à tous niveaux. En lui
23
Naturel M., Pour la littérature : De l’extrait à l’œuvre, Paris, CLE International, 1995, pp. 19-20. 24
Coste D., « Apprendre la langue par la littérature », in Littérature et classe de langue, Paris, Hatier, 1982,
p.70.
75
reconnaissant sa spécificité, en tant que discours situé et défini. Lire le texte littéraire, c’est chercher à
percevoir les mouvements mêmes du langage là où ils sont les plus forts. »25
Ce qui nous amène à dire que l’acquisition d’une compétence linguistique est un
préalable à l’approche du texte littéraire mais, cela n’empêche pas la confrontation
progressive des apprenants, à ces textes, dès le début de leur exposition à la langue
étrangère. Cuq et Gruca vont dans ce sens en expliquant que dans les classes de FLE,
« même s’ils ne maîtrisent pas totalement le système langagier, les apprenants sont loin d’être
insensibles aux variations linguistiques, aux écarts, aux connotations et aux modulations par rapport
à une attente, une contrainte ou une convention […]. »26 De plus, il ne faut pas oublier que cet
apprenant sait bien lire dans sa langue, il possède son propre réservoir encyclopédique
nourri de son éducation, de ses expériences, de son environnement, de ses lectures, etc.
l’ensemble de ses connaissances serait donc mobilisé dans l’exploitation du texte littéraire, à
côté des autres compétences linguistiques et culturelles requises en lange étrangère.
Contrairement à une idée très répandue, les difficultés que soulève l’introduction du
texte littéraire dans une classe de langue ne sont pas forcément d’ordre linguistique ou
textuel, elles relèvent des éléments socioculturels et du culturel en général. Dans tous les
cas, il vaut mieux familiariser les débutants avec des textes souples et abordables qui vont
préparer progressivement les apprenants à confronter les constructions syntaxiques
complexes, le registre soutenu, le sens ambigu et les implicites culturels des auteurs
traditionnels ou d’autres hermétiques.
2.1.5 Pour une approche anthropologique des textes littéraires ?
Notre étude s’intéresse à ce que peut révéler tout texte littéraire, à savoir « un
imaginaire social et culturel ». Il s’agit donc de recentrer la réflexion sur ce que L. Porcher
nomme : « les frontières anthropologiques du linguistique et du culturel ».
En effet, la littérature est issue d’une société et de ses cultures, dans son acception
anthropologique ou sociologique. Elle peut offrir différentes manières de partir à la
découverte d’une culture étrangère et de sa diversité, à un moment donné dans un contexte
donné. Elle ouvre des portes sur des modes de pensée, des modes de vie, des rapports au
25
Peytard J., « Sémiotique du texte littéraire et didactique du FLE », in Etudes de linguistique appliquée, N°45,
1982, p.102. 26
Cuq J.-P. et Gruca I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Presses Universitaires de
Grenoble, Grenoble, 2005, p.424.
76
monde, des valeurs, des conflits, des mythes, des images de soi et de l’autre, mis en scène par
des personnages fictifs dans une histoire s’inspirant d’un contexte social et culturel dans
lequel est ancré l’auteur.
Le texte littéraire serait donc cette réconciliation entre l’universel et le singulier par
le truchement d’un individu- l’écrivain- selon la définition que lui donne Hegel : il s’agit de
l’incarnation de l’universalité à travers une personne concrète, vivante, mortelle, qui à
travers son témoignage unique, son écriture singulière, contient et traduit à la fois le tout,
l’entier.
Martine Abdallah- Pretceille et Louis Porcher (1996) proposent la définition suivante
du texte littéraire : « Le texte littéraire, production de l’imaginaire, représente un genre inépuisable
pour l’exercice de la rencontre avec l’Autre ; rencontre par procuration, certes, mais rencontre tout de
même. Produits de la culture, dans les deux sens du terme (« culture cultivée et « culture
anthropologique »), le texte littéraire retrouve progressivement ses titres de noblesse. Réduit dans un
premier temps à n’être qu’un support d’apprentissage linguistique ou qu’une représentation factuelle
des faits de civilisation, il est actuellement redécouvert comme médiateur dans la rencontre et la
découverte de l’Autre. La littérature permet d’étudier l’homme dans sa complexité et sa variabilité. »
Notre approche du texte littéraire est similaire : partir à la découverte de l’Autre, de
sa complexité et de sa spécificité dans chaque contexte, dans chaque écriture. L’étude des
représentations de l’altérité et de la (re)construction des identités se situe au cœur de cette
rencontre avec l’étranger, proche ou lointain, à travers la diversité de sa mise en récit. Le
texte littéraire est en quelque sorte une fenêtre sur une autre « monde possible » selon
l’expression de Michel Tournier.
Autrement dit, la littérature nous propose une immersion dans l’altérité qui
constitue le lieu de la prise de conscience de la complexité de la communication avec l’Autre.
Dans cette perspective, le texte littéraire (de langue française) offre un lieu « interactif »,
entre le texte et le lecteur, entre l’enseignant et les élèves et entre les apprenants eux-
mêmes, en privilégiant la réflexion sur la diversité.
L‘approche anthropologique des textes littéraires contribue à la construction de
compétences culturelles et sociales chez l’apprenant de la langue : par l’identification de ses
propres valeurs, la remise en question de ses représentations préconstruites, la relativisation
77
de ses modèles culturels, la compréhension des trajectoires sociales, les siennes et celles des
autres, le décodage des processus d’enfermements identitaires. Il s’agit donc d’élaborer, au
sein de sa classe, une interprétation distanciée des textes, de développer un regard pluriel en
croissant des éclairages et des lieux différents.
L’objectif pédagogique est donc d’aider à construire une connaissance de soi et de sa
société à travers la lecture des textes littéraires en didactique des langues et des cultures.
Enfin, la lecture anthropologique de tout texte littéraire en langue étrangère révèle d’abord
à soi avant de révéler l’autre et propose à l’apprenant-lecteur un voyage dans sa propre
altérité, à caractère initiatique.
2.1.6 Le texte littéraire, « passeur culturel et interculturel »
En didactique des langues, le rapport langue/littérature ne peut être dissocié du
débat langue/société/littérature. C’est ainsi que l’enseignement du français ne peut pas être
pensé indépendamment du contexte social, politique, économique et culturel des apprenants.
Les objectifs liés à l’enseignement de la littérature sont à la fois multiples et variés.
Yves Reuter essaie de faire le tour en constatant que l’on enseigne la littérature pour
« développer l’esprit d’analyse, développer les compétences linguistiques, développer les compétences en
lecture et en écriture, développer les savoirs en littérature, développer le bagage culturel de l’élève,
développer son esprit critique, lui permettre de s’approprier un patrimoine, développer son sens de
l’esthétique et sa sensibilité, lui faire prendre du plaisir, participer à la formation de sa
personnalité. »27 De l’apprentissage de la langue, de la lecture et de l’écriture, à la formation
culturelle et au développement de la personnalité de l’apprenant en participant au
raffinement de son esprit critique et esthétique, la littérature représente donc un matériel
aux vertus pédagogiques et didactiques multiples.
Ce qui nous amène à dire que la littérature ne raconte pas seulement « la vie des
hommes ». Elle contribue à développer chez les apprenants, la conscience d’une « identité
culturelle » qui fait partie bien évidemment de leur identité propre. Si l’on perçoit la culture,
suite à Philippe Blanchet, comme un ensemble de schèmes interprétatifs qui permet à chacun,
au sein de ce cadre spécifique, de produire et de percevoir les significations sociales de ses
propres comportements et de ceux d’autrui, et ainsi de s’inscrire dans des systèmes de
27
Reuter Y., « L’enseignement-apprentissage de la littérature en question », in Enjeux, N°43, 1999, p.191.
78
valeurs et de normes bien définies, l’identité culturelle, en ce sens, regroupe toutes ces
ressources culturelles qui permettraient d’établir l’identification.
La littérature comme la langue, les arts, les rites, les traditions, les coutumes, les
cultes, les fêtes, les calendriers, les modes d’habitat, les habitudes alimentaires et
vestimentaires, l’artisanat, la musique, les légendes, etc. en font partie. Ainsi, la littérature,
dans la mesure où elle fait appel à tous ces produits ou ces ressources qui connotent et
dénotent de multiples significations que partagent les acteurs sociaux détenteurs des mêmes
référents culturels, fournit à l’apprenant, selon les contextes et les époques, les éléments
indispensables à la construction de son identité personnelle, et collective.
2.2 Le texte littéraire et l’interculturel
Pourquoi proposons- nous une étude sur les textes littéraires en didactique du
Français langue étrangère ? Pourquoi une telle entrée « altérité et interculturalité » dans les
textes littéraires du manuel scolaire ? Comment peut-on interroger les représentations de
l’altérité et explorer le dialogue des identités linguistiques et culturelles, à travers les textes
littéraires ? En quoi la littérature nous offre-t-elle un espace privilégié de « lectures » de
l’altérité et des identités ?
Nous sommes partis du constat que la littérature est tour à tour évincée des
méthodes de français langue seconde ou étrangère, réintroduite mais sous certaines
conditions. Quand le texte arrive à se faire une place dans les programmes, il semble
demeurer l’objet- supplément, situation que dénoncent plusieurs chercheurs et didacticiens.
Nous nous efforcerons de rendre compte du statut minoré de l’enseignement de la
culture, cette « cerise sur le gâteau », cette récompense où l’objet littéraire nous est offert à
des fins récréatives ou ornementales. C’est en quelque sorte priver le lecteur-apprenant d’un
pan entier de la langue et de la compréhension des univers socioculturels qu’elle véhicule.
Notre travail s’inscrit dans les réflexions qui rejoignent celles de Louis Porcher qui
préconise dès 1987 le retour aux textes littéraires : « Enseigner les littératures, c’est montrer aux
élèves, à travers les textes, les mœurs et les institutions des sociétés, remettant en cause la croyance
communément répandue parmi les enseignants comme quoi la littérature n’intéresse pas ou plus les
apprenants de la langue.»
Dès les premières réflexions sur la didactique des langues, il est admis que la
langue et la culture sont liées. Louis Porcher signale que, dans le principe épistémologique,
79
langue et culture sont « indissociables »28. Jean-Paul Narcy- Combes rappelle que langage,
culture et savoir(s) entretiennent entre eux une « relation transductive29», c’est-à-dire, qu’ils ne
peuvent exister indépendamment les uns des autres.
Dans le domaine de l’enseignement des langues, la langue n’est généralement pas
abordée à travers un contenu purement linguistique. Les contacts avec les langues
étrangères permettent d’entrer en interaction avec « des individus appartenant effectivement à
une autre société ou ayant un commerce privilégié avec elle »30. En ce sens, il sera nécessaire, dans
l’enseignement d’une langue étrangère, de situer géographiquement le pays ou les pays où la
langue se parle et d’évoquer les comportements quotidiens, dans lesquels s’insère la
communication verbale.
Il faut bien constater que, dans les faits pédagogiques, il n’en va pas toujours ainsi.
L’enseignement de la culture, qui accompagne et complète l’enseignement linguistique, soulève
beaucoup de difficultés.
Ce que l’on entend par culture constitue un enjeu didactique essentiel dans
l’enseignement des langues. Cette situation nous amène à réfléchir : Quelle définition donner
de la notion de culture ? Quel statut donner à la culture dans l’enseignement du FLE ?
2.2.1 La culture : une notion difficile à cerner
Le concept de culture est complexe et difficile à délimiter notamment parce qu'il
recouvre des réalités fluctuantes. D'ailleurs, la notion de culture renvoie à une multitude de
sens qui recouvrent une diversité de champs et de domaines.
Pour sa part, J.-C. Beacco explique que la notion de culture est liée, d'une part, à la
démarche d'enseignement, et d'autre part, aux réflexions théoriques et méthodologiques de
la classe « la notion de culture est d'une polysémie telle que ce n'est pas d'elle que peut venir une
quelconque décision didactique. Au contraire, il revient au décideur éducatif, dans les cadres proposés
par les réflexions didactiques, de sélectionner parmi les interprétation attestées de civilisation et de
culture celle(s) qui correspond(ent) au projet éducatif à mettre en place dans une situation
d'enseignement donnée. »31
28
Porcher et al. La civilisation, Paris, 1986, p. 43. 29
Narcy-combes, M-F., « Littérature et didactique », in Les Cahiers de l’Acedle, N°2, Colloque l’Acedle, Juin
2005, p.147. 30
Beacco J.-C., Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris, Hachette, 2000, p. 15. 31
Beacco J.-C., Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris, Hachette, 2000, p.45.
80
La difficulté réside dans le fait que la culture est longue à se constituer et recouvre des
informations et des significations complexes qui ont pour origine "un processus ininterrompu
composant un incroyable enchevêtrement de résultats d'expériences
sélectionnés et remaniés" J. Demorgon ajoute que : les cultures singulières des pays du monde se sont
constituées par des réponses originales inventées hier et encore aujourd'hui. Il y a là un trésor
d'informations d'une rare richesse et d'une très grande complexité que l'on connaît mal et dont on ne
peut pas se saisir facilement pour établir une suprématie. Cette information sur les cultures et sur
l'interculturalité est tantôt comme oubliée et potentialisée, par exemple dans les langues, les littératures,
les arts, les techniques, pour être à l'occasion réutilisée. Tantôt cette information culturelle prend le
visage sacré de l'identité ethnique ou nationale. Elle est alors un objet d'exaltation, d'entêtement, de
conflit. »32
On peut avancer et retenir alors que la culture recouvre « l'ensemble plus ou moins
fortement lié des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres d'un
groupe, de par leur affiliation à ce groupe, sont amenés à distribuer de façon prévalente sur les stimuli
provenant de leur environnement et d'eux-mêmes, induisant vis-à-vis de ces stimuli des attitudes, des
représentations et des comportements communs valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par
des voies non génétiques. »33
La culture est vue alors comme un système de significations composé de concepts
contribuant à donner du sens à ce que vivent les individus et à interpréter la réalité qui les
entoure. À cela s'ajoute le fait que chaque personne dispose d'un capital culturel et social.
Par capital culturel, M. Abdallah Pretceille et L. Porcher entendent : « l'ensemble des
connaissances et des savoir-faire dont je dispose, dans tous les domaines, même si, pour certains d'entre
eux, je ne sais pas que j'en dispose. Ce sont mes savoirs disponibles, ceux qui définissent à un moment
donné, mon identité culturelle singulière, ceux qui font ma richesse et qu'il m'appartient de gérer, c'est-
à-dire d'accroître et de diversifier, un bien qu'il me revient de mettre en valeur. »34
Le capital social correspond aux relations qu'un individu entretient. Comme le capital
culturel, il s'accroît et se diversifie mais il peut également être héréditaire puisque chaque
32
Demorgon J., L’histoire interculturelle des sociétés, Paris, Anthropos, pp. 217-218. 33
Camilleri, C., « La culture et l’identité culturelle : champ notionnel et devenir », dans Callimeri, C &Cohen-
Enrique, Margalit, dir. : Chocs de culture : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel, L’Harmattan, Paris,
1989, p27. 34
Abdallah- Pretceille M & Porcher L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, P.29.
81
personne dispose du capital social de ses parents. À l'instar du capital culturel, son volume et
sa structure peuvent augmenter, il est incorporé et objectivé.
Dans le même ordre d'idées, la notion de culture est d'autant plus difficile à
circonscrire que chaque être possède des subcultures hétérogènes. Ainsi, l'homme est
composé d'une culture et de plusieurs cultures "sommaires" telles que : les subcultures
sexuelles, générationnelles, professionnelles, régionales et étrangères. Celles-ci coexistent à
l'intérieur d'un même être. Étant donné que la culture se construit, s'élabore tout au long de
la vie, elle n'a donc "par définition pas de fin"35 et l'individu est à lui seul pluriculturel.
Par conséquent, la culture (ou les cultures) et les êtres humains seraient susceptibles
d'adaptation et d'évolution, en fonction des périodes des individus et des groupes. Nous nous
trouvons face à des notions mouvantes dont "il est difficile de rendre compte sans sombrer dans la
fossilisation et le réductionnisme"36Abdallah-Pretceille, évoque deux fonctions de la culture. La
première serait "ontologique" c'est-à-dire qu'elle "permet à l'être humain de se signifier à lui–
même et aux autres". La seconde fonction serait "instrumentale".
En effet, l'individu peut se servir de la culture pour s'accoutumer à des
environnements nouveaux, il exprime des attitudes pour s'y adapter. L'auteure insiste
également sur le fait que, pour comprendre une culture, il faut analyser les manifestations,
les indices "d'une relation, d'une mise en contexte, d'une situation"37 et non pas se restreindre à
l'observation de signes et de codes.
2.2.2 Culture et enseignement du FLE
Sur le plan culturel, l’enseignement/apprentissage du français devra promouvoir
l’appropriation d’une culture littéraire et générale à partir de l’étude de textes de type et de
genre variés dans le cadre d’une thématique destinée à répondre aux préoccupations
affectives, intellectuelles et morales de l’apprenant, et développer le goût de la lecture et la
sensibilité littéraire et esthétique, le respect de l’altérité, la conscience de l’identité nationale
et l’esprit d’ouverture.
35
Ibid. p.34. 36
Abdallah-Pretceille M., L’éducation interculturelle, Paris, PUF, pp.8-9. 37
Abdallah- Pretceille M., L’éducation interculturelle, Paris, PUF, pp.15-16.
82
L’enseignement du français repose sur un choix de thèmes et de textes
(littéraires et non littéraires) en rapport avec la réalité sociale et culturelle contemporaine.
Les œuvres intégrales sont choisies en fonction de leur valeur littéraire et humaine. Il faut
retenir qu’à ce niveau d’études, l’ouverture à la culture francophone et mondiale sera assurée
par le recours à des textes d’écrivains d’expression française, ainsi que des textes d’auteurs
qui ont marqué l’esprit humain et l’histoire littéraire.
En effet, trois approches de la culture sont retenues à travers le discours général
du manuel : la première approche est « cultivée », la deuxième est « anthropologique »,
tandis que la troisième relève de l’ « interculturel ». Dans cette classe, l’on propose donc
d’enseigner :
• La culture comme savoir (discours cultivé) ;
• La culture comme savoir-faire (discours anthropologique) ;
• La culture comme savoir-être (discours interculturel).
2.2.2.1 La culture comme savoir ou « culture cultivée »
La culture « cultivée » se trouve opposée à la culture « anthropologique ». Pour
reprendre la distinction élaborée par Robert Galisson, par «culture cultivée », il faut
entendre tout ce qui relève du niveau esthétique et tout ce qui est relatif, comme le dit Henri
Besse, aux « œuvres de l’esprit»38 : la littérature, la musique, la peinture, les arts, l’histoire, en
bref, l’ensemble de savoirs valorisants dont la connaissance permet de se distinguer
puisqu’ils ne sont pas partagés par tous. A.Gohard- Radenkovic39, J.-P. Cuq et I. Gruca40
expliquent que la culture cultivée est :
• Elitaire, c’est-à-dire qu’elle appartient à un petit groupe qui en fonde la légitimité ;
• Implicite et codifiée, c’est-à-dire qu’elle est certes transmise par le groupe, mais
qu’elle s’acquiert aussi de façon volontaire et consciente, par exemple par une
scolarisation de haut niveau et par la fréquentation de lieux culturels ;
• (Auto) valorisante et distinctive.
38
BESSE.H., « cultiver une identité plurielle », in Le Français dans le Monde, N°254, 1993, p.42. 39
Gohard- Radenkovic A., Communiquer en langue étrangère. De compétences culturelles vers des compétences
linguistiques, Bem, 2004, pp. 122- 126. 40
Cuq J.-P. et Gruca I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Grenoble, Presses
Universitaires de Grenoble, Nouvelle édition, Grenoble, 2005, p.87.
83
En effet, la culture cultivée constitue le fondement de l’identité linguistique et
culturelle de chaque société. Elle englobe l’apprentissage de la littérature et des autres
expressions artistiques, elle est ainsi « transculturelle ». Selon Cuq et Gruca, l’ « on veut dire
par là que bien des savoirs qui la composent appartiennent à ce qu’on appelle aujourd’hui le
patrimoine de l’humanité : Cicéron, Homère, le théâtre No, Rudolf Noureev, la calligraphie arabe,
etc. »41 De plus, Olivieri considère que « l’opposition culture cultivée/culture de masse repose au
départ moins sur des différences de contenus que sur des différences de modes de transmissions, en gros
l’école et les médias, […] »42
En effet, si l’école et les institutions éducatives chargées de l’initiation à la culture
cultivée par opposition, la culture anthropologique peut s’acquérir par d’autres voies que
celles de la classe. L’accès aux produits de la culture « cultivée » demeure une des finalités
des enseignements culturels, la littérature y occupe une place primordiale. Les œuvres
littéraires sont considérées comme le degré le plus élevé de l’expression culturelle et
artistique et la France se place au premier rang dans ce domaine.
En didactique, le texte littéraire a toujours revêtu une grande importance et souvent
occupé une place de choix dans les différentes grandes familles méthodologiques de
l’enseignement/apprentissage du français langue étrangère.
2.2.2.2 La culture comme « savoir-faire » ou discours anthropologique
La « culture anthropologique » autrement appelée « culture ordinaire » par Henri
Besse ou « partagée » par Robert Galisson, et encore « culture patrimoniale » par Louis
Porcher, recouvrirait les éléments de la vie quotidienne.
A titre d’exemple : comment les algériens mangent, travaillent, s’amusent, se
saluent, bref la manière dont ils vivent. Elle est, comme l’explique Renaud Dumont « […]
centrée sur les hommes que sur les groupes et sur le concret que sur l’abstraction, [elle] permettra
d’aborder les questions de civilisation sous l’angle des réalités quotidiennes, de la vie de tous les jours,
des habitudes et des attitudes […]. »43 C’est en quelque sorte un matériel, permettant comme le
dit J.-C. Beacco de « […] maîtriser efficacement un environnement peu familier et d’accomplir des
actes élémentaires de la vie quotidienne, comme s’orienter, gérer les relations de service ou les relations
41
Cuq J.-P. et Gruca I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Presses Universitaires de
Grenoble, Nouvelle édition, Grenoble, 2005, p.87. 42
Olivieri C., « La culture cultivée et ses métamorphoses », in Le Français dans le Monde, Numéro Spécial,
Culture, culture…., Janvier, p.10. 43
Dumont R., De la langue à la culture. Un itinéraire didactique obligé, Paris, L’Harmattan, 2008, p.169.
84
marchandes, se nourrir, se déplacer, comprendre des instructions. Ces compétences incluent un savoir-
vivre, au sens de gestion des relations sociales et langagières […]. »44
Cette culture serait constituée donc, selon J.-F. Lebranchu des « savoir-faire
autonomisants dont on a besoin pour s’intégrer à un groupe »45 , c’est-à-dire de l’ensemble de
pratiques sociales communes et partagées entre les individus qui constituent une part de leur
identité et qui contribuent à définir leurs appartenances.
L’on peut donc synthétiser, suite à Aline Gohard- Radenkovic, qu’à la différence de la
culture « cultivée », la culture « anthropologique » est à la fois :
• Transversale, c’est-à-dire qu’elle appartient au plus grand nombre des membres du
groupe ;
• Tacite et implicite, c’est-à-dire qu’elle est acquise de manière inconsciente et non
volontaire ;
• Non (auto) valorisante puisque sa possession ne distingue pas les membres à
l’intérieur d’un groupe, (mais, c’est elle qui distingue un groupe des autres).
Dans ce sens, Manal Assaad explique que « n’étant pas décrite, mais vécue, la culture
partagée n’est pas enseignée. Elle s’inscrit jour après jour, dans la façon de se comporter, de voir et de
sentir le monde. »46 D’autant plus qu’ « […] elle se transmet et évolue de génération en génération
au sein de la société qui se reconnaît ou est reconnue par elle. »47 C’est sans doute dans l’interaction
avec l’Autre que cette culture prend essentiellement sens et au niveau de la relation avec lui
qu’elle ait de la valeur.
Robert Galisson constate que ce qui manque le plus aux étrangers désireux de
communiquer, c’est la « culture partagée » des natifs. Dans le même sens, Henri Boyer
confirme que, « […] ce qui fait qu’un étranger ayant appris de manière tout à fait satisfaisante la
langue et la civilisation françaises sur les bancs de son collège, à l’Université ou ailleurs, peut être
exclu d’une conversation entre Français, se trouver en difficulté devant tel titre de journal ou tel
message publicitaire et ne pas comprendre des propos apparemment intelligibles tenus dans telle
émission de télévision, ce n’est pas forcément une maîtrise sémiolinguistique déficiente de l’écrit ou de
l’oral. Certes, il s’agit là d’un handicap non négligeable qui ne peut que contribuer à exclure notre
Etranger de la communication en français. […] l’accès au sens peut tout de même lui échapper. […]
44
Beacco J.-C., Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris, Hachette, 2000, p102. 45
Lebranchu J.-F., « De la civilisation comme objet d’enseignement aux pratiques de communication », in
Travaux de didactique du FLE, N°53, 2005, p.15. 46
Assaad M., Le rôle culturel de la publicité dans l’enseignement-apprentissage du français langue étrangère,
Thèse de doctorat dirigée par Blanchet Ph., Rennes 2, Volume 1, 2005, pp.275-276. 47
Besse H., « Cultiver une identité plurielle », in Le Français dans le Monde, N°245, 1991, p.42.
85
Parce qu’il n’a peut être pas la maîtrise suffisante des implicites […] »48 propres à la culture
française, et précisément de représentations culturelles collectives partagées par la
communauté en question.
De ce fait, une approche anthropologique exposant les coutumes et les rituels qui
ponctuent le calendrier, l’organisation de la vie quotidienne, les relations familiales, etc.
permet de mieux rendre compte de la richesse, d la diversité et surtout du fonctionnement
d’une société.
Mais, elle offre aux apprenants très peu de moyens pour comprendre la culture
étrangère et pour agir dedans. Puisque, la description d’une culture étrangère n’apporte
aucune aide à sa compréhension si l’apprenant ignore la signification qu’elle a aux yeux de
ceux qui la vivent.
L’objectif serait donc, selon M. De Carlo, non pas de cumuler les connaissances sur
l’Autre mais d’ « offrir aux apprenants les moyens d’organiser leur discours de façon cohérente et
interagir facilement avec des étrangers- il est aussi et surtout formatif, à savoir développer le
sentiment de la relativité de ses propres certitudes, qui aide l’élève à supporter l’ambigüité de situations
et de concepts appartenant à une culture différente. »49
Dans les méthodologies traditionnelles, la culture visée était la culture cultivée et
littéraire, celle qui permettait l’accès aux chefs-d’œuvre les plus classiques des belles lettres
et des beaux-arts. Par contre, dans ses objectifs, l’approche communicative, privilégie la
culture anthropologique qui détermine les comportements ordinaires des locuteurs. Robert
Galisson explique que « l’AC [approche communicative] réhabilite globalement la culture, en
habilitant une forme particulière de celle-ci, jusqu’alors exclue du domaine didactique : la culture
courante. […] Parce qu’il est avéré que son objectif n’est pas la culture en soi, mais la communication.
[en bref] pour répondre à une demande sociale forte, l’AC cible le type de culture qui sert à vivre dans
le quotidien, à se comporter banalement, comme tout le monde, dans l’échange grégaire. D’ordinaire,
ce type de culture courant, existentiel, non légitime, ne relève pas de l’appris (à l’école), mais de
48
Boyer H., « L’imaginaire ethnosocioculturel collectif et ses représentations partagées : Un essai de
modélisation », in Travaux de Didactique du FLE, N°39, 1998, p.37. 49
De Carlo M., « Civilisation/culture : Histoire et développement de concepts », in Etudes de Linguistique
Appliquée, N°105, 1997, p.27.
86
l’acquis (à la maison, dans la rue, …). De sorte que l’étranger doit apprendre consciemment à l’école,
ce que le natif acquiert, inconsciemment, en dehors de la classe. »50
Aujourd’hui, aucun système éducatif n’envisage l’enseignement-apprentissage d’une
langue-culture étrangère seulement pour acquérir les « bonnes mœurs » et les « belles
lettres ». Les langues-cultures sont désormais appréhendées dans leur diversité et sans
hiérarchie aucune.
Par conséquent, le développement de la compétence communicative de l’apprenant
ne peut que passer par sa confrontation à la parole sociale dans ses conditions de production
et dans des situations de communication réelles. Pour ce faire, l’apprenant doit entrer en
contact avec la langue telle qu’elle fonctionne vraiment dans la réalité sociale de la
communication.
Or, dans le cas de l’enseignement/apprentissage du français à l’étranger comme en
Algérie par exemple, cette initiation dépend entièrement de l’école, J.-P Cuq et I. Gruca
expliquent que dans certains contextes « les occasions d’acquisition hors de la classe sont moins
fréquentes, voire absentes. La classe doit alors prendre en charge non seulement la partie de la culture
cultivée propre à la langue étudiée, mais aussi fournir les éléments de culture anthropologique qu’on a
dit nécessaires à son appropriation correcte. »51
D’après la dernière réforme, les nouveaux programmes de français cherchent à
développer chez les apprenants algériens une véritable compétence culturelle à côté de la
compétence de communication. L’on suppose donc que la partie culture des cours de français
n’est donc qu’un autre moyen d’approfondir la compétence communicative des apprenants.
Cependant, pour les apprenants algériens qui n’ont pas tous la possibilité de vivre des
situations réelles de communication avec des natifs, l’exposition aux réalités tant
linguistiques que culturelles du/des pays où le français est parlé serait-elle vraiment une
nécessité ?
2.2.2.3 La culture comme « savoir-être » ou discours interculturel
Historiquement, la prise en considération de la diversité linguistique et culturelle
coïncide avec l’accentuation du flux migratoire des populations après la seconde guerre
50
Galisson R., « En matière de culture le ticket AC-DI a-t-il un avenir ? », in Etudes de Linguistique Appliquée,
N°100, 1995, pp.85-86. 51
Cuq J.- P. & I. Gruca, Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Presses Universitaires de
Grenoble, Grenoble, Nouvelle édition, 2003, p.87.
87
mondiale. C’est en particulier en Europe et aux Etats-Unis que le problème s’est posé. Donc,
dans ces sociétés, il fallait faire face à la pluralité des « ethnies », des identités et des cultures.
Dans l’Education interculturelle, Martine Abdallah- Pretceille explique qu’il existe
généralement deux modèles de gestion de la diversité culturelle : le modèle multiculturel
anglo-saxon et la démarche interculturelle, d’inspiration francophone. Nous parcourons
rapidement la définition du multiculturalisme pour nous concentrer notamment sur
l’approche interculturelle, ses fondements et ses enjeux quant à la prise en considération de
notions de « différence » et d’ « altérité » qui caractérisent les rencontres avec l’Autre.
2.2.2.3.1 Le « multiculturalisme », un des modèles de gestion de la diversité
D’une société à une autre, les politiques de gestion des différences et des diversités
culturelles se diffèrent. Le multiculturalisme, d’inspiration anglo-saxonne, est l’un des
modalités de traitement de la diversité. Il donne la possibilité à tout individu d’appartenir à
une communauté autre que celle de l’Etat- Nation. Il met l’accent sur la reconnaissance de la
coexistence d’identités culturelles distinctes en donnant la priorité au groupe
d’appartenance.
Dans cette approche, comme l’explique Abdallah- Pretceille, « l’individu est d’abord,
et essentiellement, un élément du groupe. Son comportement est défini et déterminé par cette
appartenance. L’identité groupale prime sur l’identité singulière. L’accent est mis sur la
reconnaissance des différences ethniques, religieuses, migratoires, sexuelles, etc. Le multiculturalisme
additionne des différences, juxtapose des groupes et débouche ainsi sur une conception mosaïque de la
société. Ce modèle additif de la différence privilégie les structures, les caractéristiques et les
catégories. »52
Le modèle multiculturel reconnaît donc l’importance des dimensions ethnique et
culturelle et accepte de les intégrer dans la vie publique, pourvu qu’elles ne menacent pas la
cohésion sociale. La priorité est donnée au groupe d’appartenance ainsi l’objectif est
d’encadrer les différences dans des lieux sociologiques et géographiques considérés comme
homogènes (quartiers chinois, grecs, etc.) afin de les reconnaître.
Cependant, ce modèle a été remis en question comme le note M. Abdallah-
Pretceille « le multiculturalisme n’a pas permis de résoudre ni le problème des relations entre les
52
Abdallah- Pretceille M., L’Education interculturelle, Paris, PUF, 2004, p.27.
88
groupes, ni la paix sociale (les violences ethniques sporadiques). »53 Car, tout en mettant en avant
les différences, il :
• Accentue des comportements de rejet et d’exclusion (catégorisation groupale,
discrimination, stigmatisation, etc.) ;
• Limite la mobilité sociale (enfermement sur le groupe) ;
• Valorise l’appartenance groupale au détriment des caractéristiques individuelles, etc.
Cette perspective a évolué et s’est orientée vers une gestion véritablement
interculturelle, qui prend en compte le métissage engendré par tout contact culturel.
2.2.2.3.2 Le modèle interculturel
Le concept « interculturel » a fait son apparition en France dans les années 1975. Il
est né dans le contexte des migrants. Les préoccupations apparues au sujet des difficultés
scolaires des enfants de travailleurs migrants ont donné peu à peu naissance à l’idée que les
difficultés ne constituent pas un obstacle, mais pouvaient, au contraire, devenir un
enrichissement mutuel pourvu qu’on puisse s’appuyer sur elles. Pendant plusieurs années,
l’interculturel a été associé presque exclusivement aux problèmes de l’immigration et de la
marginalisation et enfermé dans le réduit d’une « culture scolaire inventée pour les
migrants », alors que, justement il n’était pas question de cela : l’éducation interculturelle
était conçue par ses initiateurs comme s’adressant à tous les élèves, y compris bien entendu
« les indigènes ».
Il est évident que l’enjeu interculturel ne concerne pas seulement les relations entre
pays ou ethnies, ou encore les relations entre migrants et indigènes mais bien la société tout
entière. Rien de ce qui nous appartient n’est identique aux codes de l’Autre. Lorsque nous
employons tel mot, nous ne renvoyons pas nécessairement à même réalité, aux mêmes
pratiques et, nous vivons donc nécessairement des situations interculturelles. Nous avons
des usages diversifiés des langues, diversité des attitudes, diversité des idées, des relations,
des pratiques sociales et personnelles, diversité de représentations, des modes de vie, des
perceptions, des interprétations, donc des cultures. Et si les cultures se différencient selon les
sociétés, à l’intérieur d’une même société celles-ci sont loin d’être homogènes.
En effet, « l’enjeu reste le même : signifier l’appartenance à un groupe social, et,
conjointement, construire une démarcation. A l’intérieur d’une même communauté, on est toujours
53
Abdallah- Pretceille M., L’Education interculturelle, Paris, PUF, 2004, p.37.
89
l’étranger de quelqu’un. »54 En effet, dans une même communauté, tel verra dans le chien la
fidélité, le compagnon, la tendresse indéfectible, tel autre l’utilité (garde, chasse), tel autre la
saleté, etc. Un chat est un chat aux yeux de beaucoup de gens, mais qu’est-ce que cela
produit comme réactions, quels comportements sont-ils induits surtout si le chat en question
est noir ? Mon voisin et moi vivons aussi des situations interculturelles.
Ainsi, former à l’interculturel n’est pas une tâche aisée. Parce que, selon
l’expression de Louis Porcher, dans une même société, l’on ne peut parler que d’
« interculturels au pluriel.»55 Voici quelques exemples :
• L’interculturel sexuel :
- Dans certaines sociétés, la culture des filles n’est pas identique à celle des
garçons (la non-mixité à l’école) ;
-
• L’interculturel générationnel :
- Sur le plan linguistique : il y a une distinction forte entre le « parler jeune »
et celui des adultes, au point que, parfois, les deux ne se comprennent pas.
- Sur le plan du maintien et des apparences : les convenances, les manières de
se comporter (façon de se saluer, façon de prendre la parole dans la société
(respect générationnel selon les âges), la mode (la façon de s’habiller
(vêtements, coiffure, piercing, couleurs, etc.) varient entre adultes et enfants,
chacune des deux populations stigmatisent l’autre, là encore un effort mutuel
es réciproque s’impose, etc.
- Sur la représentation du temps : entre enfants et enseignants, enfants et
parents, un fossé est en train de se creuser pour tout ce qui touche à la valeur
du temps. La dévalorisation de l’avenir est forte chez les jeunes, c’est-à-dire,
justement, ceux qui ont à s’en construire un et sont tentés de s’abandonner au
présent.
• L’interculturel régional :
- Un petit citadin et un petit rural ne possède pas nécessairement la même
culture. Il n’est pas possible qu’un enfant ayant vécus son enfance dans les
Alpes et un autre ayant passé les mêmes moments dans la capitale parisienne
possèdent la même culture.
54
Zarate Geneviève, Enseigner une culture étrangère, Paris, Hachette, 1986, p.23. 55
Porcher L., « Interculturels une multitude d’espèces », in Le Français dans le Monde, N°329, 2003, pp.33-34.
90
• L’interculturel religieux :
- Croyante ou athée, toute personne est influencée par des traditions
culturelles et religieuses. Celles-ci sont profondément enracinées dans la
mémoire individuelle et collective. Dans certaines sociétés, les valeurs et les
comportements religieux se manifestent à travers les pratiques culturelles et
même linguistiques. Chez les musulmans par exemple, la conscience de
présence divine est très prégnante. Elle est inscrite dans le découpage de la
journée, les fêtes, les pratiques culinaires et mêmes les tenues vestimentaires.
En occident, la religion est plutôt une « affaire privée », mais le divin n’est
pas intériorisé davantage pour autant.
Donc, l’interculturel ne peut pas seulement se limiter aux migrants. Toutes ces
idées, ces pensées, ces actions, ces relations sont en définitive des construits culturels qui
font partie de l’identité, de l’élément le plus banal jusqu’aux notions les plus élaborées
comme la démocratie, la liberté, le patriotisme, le respect, etc. C’est pourquoi les problèmes
d’insertion ne sauraient se poser seulement pour les étrangers. Ils touchent essentiellement
les jeunes et les apprenants à l’école qui ne sont pas intellectuellement et affectivement
équipés, d’une part pour développer un sentiment de relativité de leurs propres certitudes, et
d’autre part pour comprendre les mécanismes d’appartenance à toute culture. La difficulté
réside comme l’explique Renaud Dumont, dans sa propre conception de soi. Chacun de nous
« […] considère sa culture comme une norme parce qu’il s’y trouve « immergé », parce qu’il y a reçu
ses inculcations fondamentales au cours de sa prime éducation. »56
Il est donc normal que, pour tout apprenant, une culture autre, étrangère et parfois
même étrange, revête le sens de la bizarrerie et de l’exotisme. Partageant le constat que fait
Vincent Louis, l’on peut dire donc que « […] l’interculturel ne constituait nullement une
compétence à part entière ni ce substitut contemporain à la compétence culturelle des années 80 qu’elle
a pu être : elle est cette dimension supplémentaire de la composante culturelle de la compétence à
communiquer qui permet justement de favoriser l’intercompréhension et l’ouverture à l’autre. »57
Pour sa part, Robert Galisson, insiste sur le fait que par « interculturel », il faut
entendre les relations, les échanges et les interactions qui s’établissent non seulement entre
personnes ou groupes appartenant à des cultures autres, mais aussi entre personnes
appartenant à une même société. Parce que, selon Galisson, « communiquer, c’est mettre en
56
Dumont R., De la langue à la culture. Un itinéraire didactique obligé, Paris, L’Harmattan, 2008, p.187. 57
Louis V., Interactions verbales et communication interculturelle en FLE. De la civilisation française à la
compétence interculturelle, Cortil- Wodon, EME, 2007, p.126.
91
commun. […] mettre en commun ce que l’on est et ce qu’on sait, ses ressemblances, ses différences et ses
antagonistes, pour briser les barrières de l’étrange, se reconnaître et mieux se reconnaître dans et à
travers l’Autre, s’enrichir, s’apprécier mutuellement, ouvrir ensemble les portes de la fraternité. »58
L’interculturel est ainsi une invitation au dialogue, à l’échange avec l’Autre différent
envisagé comme un partenaire égal. Si le terme « interculturel » est entendu dans toute sa
neutralité, on doit souligner que le dialogue auquel il invite n’est pas toujours orienté vers
un consensus, il peut y avoir opposition et divergence des points de vue. Tout cela suppose
une décentration de l’apprenant par rapport à sa propre culture et une compréhension de
l’Autre au détriment de la seule description et de la simple connaissance théorique de sa
culture.
Aujourd’hui, l’ « interculturel » parcourt tous les champs du savoir. L’on ne trouve
plus un discours didactique qui n’y fasse référence et il est même devenu une spécialité en
soi, laquelle on consacre thèses, colloques, etc. Il existe sous de nombreuses appellations :
approche, compétence, communication, éducation, pédagogie, démarche, option, perception
ou encore pratique d’où l’affluence des réflexions, des actions et des recherches dans ce
domaine. La didactique des langues étrangères s’intéresse de plus en plus à ce concept,
puisque au cœur de la problématique interculturelle se situe une série de concepts comme
culture, identité, altérité, langue, ethnie, etc.
2.2.3 De l’interculturel
Actuellement, il est à déplorer qu'il y ait une tendance à assimiler et à mettre sous la
même enseigne l'interculturel et le concept de culture. Ce paragraphe tâchera de présenter
en quoi la culture se distingue de l'interculturel.
L'origine de l'interculturel tient à l'internationalisation des échanges et des
mouvements migratoires (construction de l'Europe, immigration). La découverte de la
culture de l'autre, et les confrontations qu'engendre un tel changement, ont vu la naissance
de préjugés et de représentations voire de rejet à l'égard des personnes aux langues et aux
usages distincts.
58
Galisson R., « Problématique de l’éducation et de la communication interculturelle », in Etudes de
Linguistique Appliquée, N°106, 1997, p.149.
92
L'interculturel ne se transmet pas mais se confectionne. Il s'agit donc d'une
démarche de prise de conscience où l'on cherche à comprendre ce qui explique que chaque
individu se conduise de manière différente59. L'interculturel se fonde essentiellement sur des
échanges, des questionnements et des discussions entre individus / apprenants à partir de
moments vécus ou de supports déclenchant la réflexion (attitudes, valeurs de l'autre culture
et de la sienne). Il peut se mettre alors en place un "espace de réflexion et de parole de manière à
faire émerger les réactions multiples suscitées par des contacts vécus avec l'altérité et les processus
inconscients de socialisation"60.
C'est un espace privilégié pour l'initiative et l'étude lors d'une conscientisation du rôle
de la culture dans l'interaction, la communication. Il sera nécessaire, pour l'apprenant, de se
décentrer, de se mettre à la place de l'autre, de coopérer et de comprendre comment l'autre
perçoit la réalité et comment l'autre le perçoit lui-même.
En somme, relativiser ses propres certitudes semble souvent aider à accepter
l'ambiguïté de certaines situations et de certains concepts relevant d'une culture différente61.
Il s'agit d'une co-construction pour distinguer les ressemblances et les différences de la
culture cible et de la culture maternelle afin de privilégier une meilleure compréhension et
une meilleure communication, d'apporter des modifications profitables, des enrichissements
réciproques, d'éviter la schématisation, de tenir compte des particularismes et de ne pas figer
l'identité. Comme le souligne M. Abdallah-Pretceille, il s'agit "d'apprendre à voir, écouter, à
être attentif à autrui, apprendre la vigilance et l'ouverture dans une perspective de diversité"62.
Cette reconnaissance et cette expérience de l'altérité s'acquièrent et se façonnent car
il n'est pas possible d'accéder à autrui sans échange et interaction. Une démarche
interculturelle veillera à établir un contact, "un pont" entre les individus, à "apprendre la
rencontre et pas la culture de l'Autre". M. Abdallah-Pretceille et L. Porcher insistent sur
l'intérêt de "s'enrichir de ces différences parce que nous sommes identiques telle est la philosophie de
l'hypothèse interculturelle"63.
En d'autres termes, comprendre l'autre dans sa différence signifie que l'on est capable
de repérer ce qui lui appartient mais également ce qui nous est propre. C'est aussi se
découvrir soi-même dans son identité, prendre conscience de sa culture, de ses valeurs,
59
Demorgon J., L’histoire interculturelle des sociétés, Paris, Anthropos, 2002, p.8. 60
Beacco J.-C., Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Paris ? Hachette, p.123. 61
De Carlo M., L’interculturel, Paris : CLE, International, 1998, p.44. 62
Abdallah- Pretceille M., Former et éduquer en contexte hétérogène : Pour un humanisme divers, Paris,
Anthropos, 2003, p.14. 63
Abdallah- Pretceille M. &Porcher L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 1996, p.20.
93
modèles, aspirations qui sont solidaires aux diverses appartenances qui constituent un
individu.
Il est évident que les phénomènes culturels ne peuvent être conçus comme des entités
mais plutôt comme l’affirme l’anthropologue Dan Sperber « des flux »64 qui s’entrecroisent,
se superposent en véhiculant des codes, des modes et des savoirs à travers des réseaux de
communication humaine. Les idées, les œuvres, les savoirs passent ainsi d’une aire culturelle
à une autre subissant souvent des mutations.
Ainsi conçu l'interculturel recèle une dynamique culturelle, il reflète également
l'interaction entre les cultures, l'échange, la communication, le partage, la complémentarité,
la reconnaissance de la culture de l'autre en dehors d’un ethnocentrisme réducteur. Les
sociétés humaines sont, en fait, des structures entretenant des relations mutuelles dans une
solidarité de liens et de contacts.
L’interculturel c’est la somme des compositions relationnelles. Dans ce sens, Claude
Clanet dans sa préface à Maghreb arabe et Occident français d’Edgard Weber souligne :« Qui
dit interculturel dit, en donnant tout son sens au préfixe inter, interrelation, interconnaissance,
interaction, échange, réciprocité…et en donnant tout son sens au mot culture : reconnaissance des
valeurs des représentations symboliques, des modes de vie auxquels se réfèrent les autres (individus,
groupes, sociétés), dans leurs relation avec autrui et dans leur appréhension du monde ; reconnaissance
des interactions et interrelations qui interviennent entre multiples registres d’une culture et entre les
différentes cultures »65.
Il paraît clair que l’interculturel est un champ interactif où tout porte sur les relations
entre sujets porteurs de cultures. Pour Carmel Camilleri l’interculturel est un instrument de
régulation assez efficace qui gère le rapport entre cultures et les tensions qui peuvent
apparaître. Ainsi précise-t-il que : « On parlera d’interculturel lorsqu’apparaît la préoccupation de
réguler les relations entre ces porteurs [porteurs de systèmes différents], au minimum pour réduire les
effets fâcheux de la rencontre, aux mieux les faire profiter de ses avantages supposés »66.
L'interculturel implique donc la prise en compte de la disparité des codes culturels et la
conscience des attitudes et mécanismes psychologiques suscités par l'altérité. Il a pour
vocation de connaître et de comprendre ce que les hommes, les porteurs de cultures, ont de
64
Dan Sperber et Roger- Pol Droit, Des idées qui viennent, Odile Jacob, 1999, p.241. 65
Edgard Weber, Maghreb arabe et occident français, Publisud, Presses Universitaires du Mirail, 1989, p.10. 66
Camilleri C., « Le relativisme, du culturel à l’interculturel », in L’individu et ses cultures, L’Harmattan, Volume
1, 1993, p.34.
94
semblable. Il permet ou vise le respect des différences. Ces différences ne sont pas pensées en
termes d'inégalité et de hiérarchie des cultures.
L'approche interculturelle vise ainsi à atteindre plusieurs types d'objectifs : quête d’un
sens commun reconnu par des cultures différentes, permettre le dialogue, le partage et la
communication interculturelle, acquérir une flexibilité cognitive, affective et
comportementale pour pouvoir s’ajuster à des cultures nouvelles ; gérer les conflits qui
résultent de la confrontation de cultures différentes; rechercher des solutions à la coexistence
de populations d'origines différentes.
2.2.4 Interculturel et altérité :
Comme le confirme Martine Abdallah-Pretceille : «Le texte littéraire, production de
l’imaginaire, représente un genre inépuisable pour l’exercice artificiel de la rencontre Avec l’Autre:
rencontre par procuration certes, mais rencontre tout de même »67.
La littérature permet une confrontation avec l'altérité et avec une autre perception du
monde. Elle est un point d’appui pour l’étude des représentations des porteurs de cultures.
Le concept d’altérité renvoie à des réalités larges et variées d’interaction sociale. L’altérité
qui nous intéresse ici c’est celle des rapports entre cultures, soit l’altérité d’ordre
interculturel. Actuellement cette notion se love dans les concepts d’ouverture et de
pluralisme du coup elle pose la question de l’éthique de la relation à l’autre.
Au sein d’un monde de plus en plus multiculturel où le particulier et l’universel se
confrontent souvent, où les valeurs des uns se mesurent à celles des autres et où chaque
porteur de culture affiche ostensiblement son désir de différence ; l’altérité apparaît tel un
dispositif qui assure la construction d’un sens aux relations à autrui. L’altérite comme
expérience de la rencontre permet ainsi une meilleure connaissance de soi et de l’autre ; elle
instaure un socle qui permet la gestion des conflits, des différences et des préjugés souvent
réducteurs qui naissent de la méconnaissance mutuelle.
La démarche interculturelle consiste à transcender ces représentations et de vivre
l’expérience de l’exposition, de l’échange, du partage et de la confrontation identitaire avec
l’autre. Le texte littéraire referme souvent une représentation du monde, des valeurs
partagées d’une culture à une autre.
67
Abdallah- Pretceille M. &Porcher L., Education et communication interculturelle, Paris, Presses Universitaires
de France, Coll. L’éducateur, 1996, p.138.
95
Autrement dit, Le support littéraire se révèle être une des plus sûres voies du
dialogue entre les cultures puisque les textes, conçus comme point de rencontre d’univers
différents, constituent des révélateurs privilégiés des visions plurielles du monde.
Luc Collès dans ce sens affirme : «Une fois perçue l’originalité de l’auteur, le texte
littéraire nous apparaîtra également […] comme l’expression et la mise en forme esthétique de
représentations partagées par les membres d’une même communauté […]. En d’autres termes, les
œuvres littéraires peuvent constituer une voie d’accès à des codes sociaux et à des modèles culturels
dans la mesure où elles représentent des expressions langagières particulières de ces différents systèmes
»68. Le texte littéraire trouve sa place dans l'enseignement de la langue comme dans celui de
la culture « parce qu'il est l'un des lieux où s'élaborent et se transmettent les mythes et les rites dans
lesquels une société se reconnaît et se distingue des autres »69.
L’approche interculturelle du texte littéraire dans notre conception est celle qui
par excellence favorise la découverte réciproque des cultures. Elle est un moyen qui stimule
la rencontre et la confrontation entre des univers culturels profondément divergents.
Autrement dit, l’approche interculturelle est une décentration par rapport à sa propre
culture, elle vise une compréhension de l’Autre à travers sa culture.
La rencontre des cultures a toujours eu lieu et elle a permis à l’humanité d’évoluer.
Il n’est pas de culture qui soit restée « étanche et homogène » 70 au cours des siècles. Certes, les
changements se sont souvent effectués au gré de contraintes, de ruptures voire de conflits.
Mais les repères culturels de chaque société se sont également modifiés de l’intérieur, et c’est
cette transformation interne que les écrivains hommes et femmes s’activent à en percer et à
en élucider les mécanismes afin de donner à ce concept de l’interculturel plus de chances
pour réussir au sein de sociétés de plus en plus refermées sur elles-mêmes.
De nos jours, l’interculturel est le sujet de discussion dans tous les milieux en
particulier le domaine du FLE. Désormais, l’enseignement/apprentissage d’une langue
étrangère vise à développer chez l’apprenant, en plus de la compétence linguistique, une
compétence culturelle que l’on peut définir comme « une compétence interprétative qui le met en
mesure de donner du sens social à certains éléments de son environnement »71. Ainsi, dans ces
nouvelles perspectives interculturelles, le contact avec une culture étrangère, que la langue
véhicule, passe par des opérations normales de filtrage que Séoud. A, en citant Besse, décrit
68
Collès L., Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles : Dde Boeck- Duculot, 1994, p.17. 69
Besse H., « Quelques réflexions sur le texte littéraire et ses pratiques dans l’enseignement du français langue
seconde ou langue étrangère » Trèfle, n°9, Lyon, 1989, p.7. 70
Edward W. said, Des intellectuels et du Pouvoir 1996, p.135. 71
Beacco J.-C., « Les dimensions culturelles des enseignements de langue », Hachette Livre, Paris, 2000, p.127.
96
comme des « cribles linguistiques et culturels »72 qui se situent dans l’incapacité de l’apprenant à
répéter un son ou à donner du sens à des phénomènes qui n’existent pas dans sa langue, dans
sa culture. Par conséquent, cet apprenant se fait mal comprendre et il risque de confondre et
de se perdre entre deux cultures différentes.
Les différences culturelles interfèrent nécessairement dans l’esprit de l’apprenant
puisqu’il ne voit le monde qu’à travers soi et il ne perçoit la culture de l’Autre qu’à travers la
sienne. C’est-à-dire que son apprentissage est façonné avant tout par sa culture maternelle,
par son « déjà-là culturel ».
Dès lors, afin de mettre toutes les chances du côté de l’apprenant, la didactique du
FLE a tenu compte de la réalité interculturelle de l’enseignement/apprentissage de la langue
étrangère. Elle insiste sur l’importance de l’héritage culturel de l’apprenant et sur le rôle de
ce déjà-là culturel dans la compréhension de l’Autre. Elle s’est même fixé comme objectif de
permettre à l’apprenant de prendre conscience de son identité, reconnaitre et accepter le
monde qui l’entoure.
2.2.5 Quelques difficultés de la formation à l’interculturel
La formation à l’interculturel ne fait pas toujours partie de la formation des
professeurs de langues. En Algérie, la didactique de la culture et de la découverte
interculturelle dans la formation initiale et/ou continue des enseignants de français connait
une situation précaire tant sur le plan institutionnel que sur le plan épistémologique.
Pourtant, il est nécessaire que les enseignants acquièrent eux-mêmes une compétence
interculturelle avant d’intégrer dans leurs classes cette dimension. Cette formation à
l’interculturel se heurte à deux difficultés majeures :
2.2.5.1 Une difficulté d’ordre méthodologique :
Les réalités culturelles sont marquées par leur complexité et leur diversité.
Comment donc déterminer la nature des savoirs à transmettre sur la culture cible ?
Comment mettre au point une didactique d’approche cohérente d’un ensemble aussi
disparate que la tradition, les institutions, les mœurs, les usages, les modes de vie, les
habitudes, les attitudes, la vie quotidienne, les comportements, les modes de pensée, les
mentalités, les stéréotypes, les visions du monde, les représentations collectives, les mythes,
les idéologies, la technologie, les productions intellectuelles et artistiques, etc. ? Renaud
72
Séoud A., Pour une didactique de la littérature, Paris, Hatier/Didier, Coll. « LAL », 1997, p.43.
97
Dumont exprime la problématique à sa façon : « […] que choisir et comment présenter ce que
nous choisissons comme significatif de la France contemporaine [à titre d’exemple] : les institutions de
la Cinquième République, la vie syndicale en France, l’Almanach Vermot, le Tour de France, les
petites annonces du Nouvel Observateur, le tiercé, le loto, la publicité, les guignols de l’info, le vivement
dimanche prochaine de Michel Drucker, la presse […]. »73 Ainsi, comment peut-on ordonner et
présenter toutes ces données aux apprenants ?
2.2.5.2 Une difficulté d’ordre institutionnel :
Au cycle moyen, c’est la compétence linguistique qui prime et qui détermine la
réussite/échec des apprenants dans les classes de 4e année notamment. Ainsi, comment
évaluer les éventuelles acquisitions culturelles des apprenants qui n’auraient pas tous la
possibilité et le besoin de se servir de la langue française dans des situations effectives de
communication ?
Il semble bien difficile d’apporter des réponses directes à tous ces questionnements,
mais en ce qui concerne le contenu des enseignements culturels, Louis Porcher n’hésite pas à
s’appuyer sur le concept d’ « universels-singuliers ». Il s’agit des phénomènes qui sont
présents dans toutes les cultures, mais que chacune d’entre elles interprète à sa manière
comme : le temps, l’espace, la nation, la famille, l’amour, l’eau, etc. A ce propos Porcher
explique « le concept d’’universels-singuliers’ me semble la meilleure solution pour mettre en place un
enseignement interculturel qui coordonne les capitaux culturels de tous et respecte l’altérité en la
considérant comme une richesse et la source d’une diversité féconde. »74
Dans Le Français dans le Monde, nombreux sont les enseignants de FLE qui, tout
en s’appuyant sur cette approche de Porcher, témoignent de leur perception de l’interculturel
et de leurs pratiques en classes qui permettent à leur public d’objectiver leur rapport à leur
propre culture et de les sensibiliser aux cultures des autres.
2.2.6 La compétence culturelle, essai de définition
En didactique du français langue étrangère, l’on s’accorde à considérer que la
compétence communicative repose, entre autres principes, sur l’idée que la communication,
comme réalité sociale et comme pratique, ne se réduit pas à la simple compétence langagière.
Il y a du non-linguistique dans la communication, et, dans ces conditions, il ne suffit pas
d’enseigner la langue en tant que code pour que les apprenants apprennent à communiquer.
73
Domont R., De la langue à la culture. Un itinéraire didactique obligé, Paris, L’Harmattan, 2008, pp.166-167. 74
Porcher L., « Interculturels une multitude d’espèces », in Le Français dans le Monde, N°329, 2003, p.40.
98
La compétence culturelle semble constituer donc le cœur de la compétence
communicative, laquelle est également composée d’une compétence référentielle (de type
« encyclopédique ») et de compétences langagières qui articulent savoirs et savoir-faire de
nature verbale (lexicaux, grammaticaux, phonétiques, mais aussi socio- pragmatiques,
discursifs- textuels…) et para-verbale (par exemple micro-gestuels concernant l’oral ou
graphiques concernant l’écrit).
Suite à Henri Boyer, l’on peut donc définir la compétence culturelle comme :
« […] un ensemble diversifié de représentations partagées, qui sont autant d’images du réel collectif,
images le plus souvent réductrices et donc déformantes mais indispensables à la communauté, qui
fournissent à ses membres autant (ou presque) de prêt-à- connaître/penser/dire qu’il en est besoin
pour le confort de leurs actes de communication. Ces représentations- qui, on le sait tendent par essence
au figement, c’est-à-dire en premier lieu au stéréotypage- participent à des idéologies et sont les
constituants de base du noyau dur de la compétence de communication : l’imaginaire communautaire,
que j’appelle imaginaire ethno-socio-culturel- (IESC), et qui concerne non seulement l’identité
collective mais aussi les autres constructions identitaires au sein de la société. Enfin, ces mêmes
représentations partagées inspirent les attitudes des membres de la communauté, attitudes dont on peut
considérer qu’elles sont autant d’instructions, d’orientations comportementales (inconscientes pour
l’essentiel) qui se traduisent par des opinions (dites ou non- dites) et des pratiques (verbales et non-
verbales) observables dans les communications au sein de la communauté. »75
L’on peut donc synthétiser que, construire chez l’apprenant une compétence de
communication suppose qu’on lui fasse acquérir, dans la langue étrangère, un certain nombre
de phénomènes extralinguistiques spécifiques de la société dans laquelle cette langue
étrangère est pratiquée. La gestualité, la mimique, l’expression corporelle, la psychologie
posturale, etc. font partie de ces phénomènes extralinguistiques. Cette culture constitue un
ensemble complexe qui pèse implicitement ou explicitement sur le comportement des
membres d’un groupe. D’autant plus qu’elle est truffée de structures de significations et de
compréhension partagées qui s’expriment de manière symbolique.
Henri Holec fait l’inventaire d’un certain nombre de connaissances
extralinguistiques, parmi lesquelles peuvent être repérées les catégories suivantes :
75
Boyer H., « L’incontournable paradigme des représentations partagées dans le traitement de la compétence
culturelle en français langue étrangère », in Etudes de Linguistique Appliquée, N°122, 2001, p.334.
99
a. Les informations traditionnelles […] dont la connaissance est indispensable pour faire jouer
à la langue sa fonction référentielle ; […] les référents des unités lexicales de cette langue et,
en particulier, ceux qui n’ont pas leur correspondant dans la « réalité » de l’apprenant :
- Qu’est-ce qu’une choucroute, une M.J.C., etc. […], un C.R.S., etc. ;
b. Les informations permettant de comprendre et d’utiliser les connotations des unités lexicales :
- « … toute langue naturelle sert de support à un (ou des) système (s) de connotations,
partagés par tout ou partie de cette société et pouvant manifester des idéologies, des
mythes collectifs, que l’approche d’une culture ou de sous-cultures par le biais de la
langue ne peut pas ignorer. Pour un certain nombre de français, « hexagone » par
exemple connote des notions d’ « équilibre », de « centre », […] (Dictionnaire de
didactique des langues, R. Galisson et D. Coste) ;
c. Toutes les connaissances générales partagées par les membres de la communauté culturelle qui
permettent à qui les connaît de reconstruire l’implicite plus ou moins important présent sous la
signification ‘apparente’, explicite, des textes du discours ;
- Titre d’un article de magazine pour adolescents : « Juliette cherche Roméo » ;
- Titre et début d’article de quotidien : « Chirac à l’Elysée » ;
d. Les conventions socioculturelles qui règlent les pratiques sociales du langage, […]. Il s’agit
essentiellement des « règles » du savoir-faire, de la politesse et du tact langagiers qui ont cours
dans une communauté culturelle :
- On ne coupe pas la parole à son interlocuteur ;
- On n’interroge pas quelqu’un sur le montant de son salaire, […] ;
e. Les conventions socioculturelles qui règlent le comportement non-verbal en situation de
communication, […] :
- On demande la permission avant de fumer sur le « territoire » d’un autre ;
- On se conforme aux conventions vestimentaires en usage pour la situation publique
envisagée.
Tous ces éléments sont doublement indispensables pour l’acquisition d’une
compétence communicative, d’une part pour la compréhension du discours de l’autre et de
ses intentions discursives et, d’autre part pour le contrôle de son propre comportement
social lors des interactions.
Dès lors, l’on peut supposer que le malentendu culturel pourrait perturber toute
forme de communication avec l’Autre. D’autant plus que l’usage des différences culturelles
100
comme des instruments justificatifs valorisants/dévalorisants les autres est également à
l’origine de tout dysfonctionnement relationnel.
A titre d’exemple, la gestualité, associée à l’acte de parole, prend un sens différent
selon les cultures. Les gestes sont très souvent sources d’incompréhension entre les
individus. Selon les situations, elles provoquent des malentendus, des étonnements et parfois
d’amusement.
Pour illustrer ces propos, nous nous permettons d’emprunter cet exemple cité par M.
Abdallah- Pretceille et L. Porcher : « les Chinois et les Américains se servent de l’index pour
indiquer le chiffre 1 alors que les Français utilisent le pouce. Or, dresser le pouce est un signe de
compliment chez les Chinois (« très bien »). Dès lors, on peut aisément imaginer le désappointement
d’un commerçant chinois face à une cliente française qui lui exprimerait en utilisant le pouce sou
souhait d’avoir 2 Kg de fruits, par exemple. »76 Les gestes comme comportements culturels se
transforment ainsi en indices porteurs de sens. Toutes ces données culturelles ont un sens et
font sens. Elles sont liées à des personnes et à des lieux de mémoire de l’histoire collective
d’une culture particulière. Porter un regard anthropologique sur l’Autre, c’est saisir la
manière dont un groupe construit son environnement socio- culturel.
Louis Porcher perçoit l’ensemble des ces données anthropologiques en termes des
savoir-faire qui se résument par la capacité d’un individu à s’orienter dans la culture de
l’Autre à partir d’une démarche compréhensive et non plus simplement descriptive. La
compétence culturelle se définit donc, selon Porcher par « […] la capacité de percevoir mes
systèmes de classement à l’aide desquels fonctionne une communauté sociale et, par conséquent, la
capacité pour un étranger d’anticiper, dans une situation donnée, ce qui va se passer (c’est-à-dire aussi
quels comportements il convient d’avoir pour entretenir une relation adéquate avec les protagonistes de
la situation. »77 C’est, en quelque sorte, la culture en acte.
M. Abdallah- Pretceille explique, à son tour, que « l’individu sélectionne les traits culturels
selon ses intérêts et les contraintes de la situation. » Donc, « un interlocuteur n’a pas affaire au ‘tout’
de la culture de l’Autre, il s’appuie sur une connaissance partielle sans cesse remise en cause selon les
76
Exemple extrait d’un article de Chen Chao Ying, « Eléments pour une étude contrastive sur les gestes et les
comportements des Chinois et des Français », N°9, 1990, pp.75-80, cité dans Abdallah- Pretceille M. & Porcher
L., Education et communication interculturelle, Paris, PUF, 1996, p.115. 77
Porcher L., « Programme, progrès, progressions, projets de l’enseignement/apprentissage d’une culture
étrangère », in Etudes de Linguistique Appliquée, N°96, 1988, p.92.
101
circonstances et la conjoncture. »78 Par conséquent, la communication n’exige pas seulement une
simple connaissance de système culturel en tant qu’entités autonomes et abstraites mais
suppose un usage pragmatique de ces réalités culturelles. C’est à ce niveau qu’intervient
l’approche interculturelle, parce que, ce n’est pas l’apport d’informations qui est essentiel,
mais une réflexion sur l’autre et sur la nature des contacts culturels.
2.2.7 Pour une approche interculturelle en didactique des langues
Dans un monde caractérisé par la nécessité de construire un espace vital commun,
capable d’accueillir des individus issus des contextes linguistiques et culturels les plus
disparates, de nouveaux défis sont ainsi lancés aux institutions éducatives qui ont la tâche de
former les individus en tant que personnes et en tant que membres de communautés de plus
en plus élargies.
Ainsi, ce qui est indispensable, c’est la décentration et la relativisation, c’est-à-dire
la compréhension de la manière dont un autre voit le monde sans pour autant abandonner la
façon dont le voit soi-même. Après tout, l’on ne peut parler de culture et d’interculturel sans
parler des langues qui mettent en forme les expériences et les organisent. Puisque toutes les
pratiques humaines sont, de près ou de loin structurées, reflétées et construites par les
langues des individus qui se rencontrent, échangent, agissent et communiquent avec des
interlocuteurs venant de contextes linguistiques et socioculturels extrêmement variés.
Dans toutes ces situations, c’est d’abord d’individus qu’il est question. Car « il n’y a pas
de langue sans êtres humains. […] la communication implique toujours des personnes et ce sont elles
qui véhiculent ou médiatisent les rapports entre cultures. »79 Donc, ce n’est pas la langue qui
témoigne des spécificités culturelles mais le discours, c’est-à-dire l’usage que les individus
font de la langue.
Dans « Interculturel », le préfixe « inter » sous-entend la communication, la mise en
relation et la prise en considération des interactions et des échanges, dans les deux sens,
entre des groupes, des individus et des identités, enrichissement mutuel, interpénétration,
bénéfices réciproques, mouvement.
78
Abdallah- Pretceille M., « Compétence culturelle, compétence interculturelle », in Le français dans le monde,
Numéro spécial, Cultures, culture….., Janvier, 1996, p.33. 79
Blanchet Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue étrangère, Louvain-la- Neuve
Peeters, 1998, p.50.
102
Cela nous amène à envisager aussi les cultures en contact ailleurs que dans les
situations de déplacement de populations. Enseigner-apprendre la langue de l’Autre, c’est
aussi être confronté à sa culture et transformer mutuellement sa propre identité linguistique
et culturelle. Ainsi, toute situation pédagogique est de fait interculturelle puisqu’elle met en
relation deux systèmes (ou plus) de significations.
Dans ce sens, Ph. Blanchet explique que : « tout apprentissage, tout enseignement, et
toute rencontre de la différence, sont des moments déstabilisateurs, où les certitudes initiales sont mise
en question, en mouvement, et où l’on peut toucher du doigt la réalité du relativisme, la nécessité d’une
déontologie pluraliste. »80 Le cours de langues constitue donc un moment privilégié qui permet
à l’apprenant de découvrir d’autres perceptions, d’autres valeurs, d’autres modes de vie,
d’autres modes de représentation, de raisonnement et de pensée, donc une autre forme de
culture.
Selon Robert Galisson, il faut faire la distinction entre l’ « interculturel en action » et
« l’interculturel en représentation ». « L’interculturel en action » est l’expérience elle-même
d’un étranger quand il se trouve face à face avec un natif et qu’il essaie de communiquer en
utilisant la langue qu’il a apprise en classe. En effet, dans le ca où l’enseignement se fait à
l’étranger, les pratiques de classe ont donc la vocation d’expliciter les frontières culturelles
et d’induire une démarche réflexive qui accompagne l’apprenant dans son processus
d’adaptation en le formant à assumer son rôle d’acteur social. Il est certain que plus nous
rapprochons des autres, plus nous devons être conscients de l’altérité que l’étude des langues
et des cultures nous aide à comprendre.
Dans ce cas, la pédagogie interculturelle qui se veut également actionnelle, ne peut
que privilégier les initiatives personnelles qui facilitent l’insertion dans la société d’accueil
par des activités sociales. La mobilité est donc perçue comme un mode de communication qui
multiplie les expérimentations, ouvre les horizons te permet de se connaître soi-même et les
autres.
En ce qui concerne « l’interculturel en représentation », il s’agit de la situation que
l’enseignant crée en classe avec les jeux de rôles ou d’autres activités comme la simulation.
Cet interculturel est dépourvu de toute violence, parce que selon l’expression de T. Nikou
« on est en situation d’interculturalité potentielle » où « […] les apprenants découvrent paisiblement,
80
Blanchet Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue étrangère, Louvain-la-Neuve
Peeters, 1998, p.70.
103
sans angoisse, la culture de l’autre, ils l’analysent, ils font des comparaisons, ils critiquent. […], et cela
aide l’apprenant à s’habituer à réagir à diverses situations et à surmonter ses hésitations. »81
Dans toutes les formes de la situation interculturelle, la culture de l’apprenant peut
et doit donc constituer un oint de référence pour conduire l’apprenant à percevoir et à
évaluer les faits socioculturels du pays dont il apprend la langue. L’on suppose donc que
l’apprenant d’aujourd’hui, personnalité en voie de construction, doit être capable de
communiquer avec les autres, de s’ouvrir tout en gardant son identité, de réfléchir sur ses
propres représentations et stéréotypes.
Ainsi, le défi interculturel que doit relever l’enseignant de langues n’est plus
seulement d’enseigner la langue et la culture de l’Autre, de montrer les différences mais aussi
de les faire comprendre. C’est comme le dit Ph. Blanchet, « […] participer à une éducation
générale qui promeut le respect mutuel par la compréhension mutuelle. »82 L’interculturel repose
donc sur un principe fondamental selon lequel les cultures sont égales en dignité et que, sur
le plan éthique, elles doivent être traitées comme telles dans le respect mutuel. Il ne s’agit
pas ici d’annuler les différences mais de voir comment dans un échange réciproque, elles
agissent, se créent, se transforment et transforment la dynamique interactionnelle elle-
même.
La compétence à la communication interculturelle ce n’est pas la capacité de
décrire la culture de l’Autre comme objet d’étude. Elle est cette capacité d’ajuster ses propres
critères et ses propres repères. C’est sans doute la connaissance approfondie de sa propre
culture qui permet d’effectuer cette propre transformation. La confrontation avec une culture
étrangère valorise les deux cultures et les enrichit mutuellement.
De ce fait l’interculturel s’inscrit moins dans un champ comparatif, où il s’agirait
de mettre en regard deux objets, que dans un cham interactif, où l’on s’interroge sur les
relations qui s’instaurent entre groupes culturellement identifiés. Ces mots empruntés à M.
Abdallah- Pretceille montrent bien les finalités de cette démarche : « le but d’une approche
interculturelle n’est ni d’identifier autrui en l’enfermant dans un réseau de significations, ni d’établir
une série de comparaison sur la base d’une échelle ethno-centrée. Méthodologiquement l’accent doit être
81
Nikou T., « L’interculturel : Essai de mise en pratique », in Travaux de Didactique du FLE, N°42, 1999, p.139. 82
Blanchet Ph., « L’approche interculturelle comme principe didactique et pédagogique structurant dans
l’enseignement/apprentissage de la pluralité linguistique », in Blanchet Ph. & Diaz O. M. (Coords), Synergies
Chili, Pluralité linguistique et approches interculturelles, Santiago du Chili, Revues du GERFLINT, 2007, p.21.
104
mis davantage sur les rapports que le ‘je’ (individuel ou collectif) entretient avec autrui que sur autrui
proprement dit. »83
En se basant sur ces données et en centrant notre attention sue « l’interculturel en
représentation », la pédagogie interculturelle suppose donc que soient réunies trois
conditions essentielles du travail :
• La culture de la langue première des apprenants est un point de référence. Il s’agit de
poursuivre comme le dit Maddalena De Carlo une progression cyclique en partant du
connu, de l’évident, du nature, de l’universel pour amener les apprenants vers
l’inconnu, l’étonnant, l’étrange, le relatif qui à son tour devient le point de départ
pour l’interprétation de notre propre culture ;
• Les activités didactiques doivent représenter un défi pour les apprenants et leur
permettre d’interagir ;
• L’exploitation de toutes sortes de « produits culturels » non seulement des textes
littéraires, des chansons et des films, mais aussi des publicités, des slogans, etc. est
fondamentale.
2.2.8 La didactique du texte littéraire et l’interculturel
L’approche interculturelle dans l’enseignement des langues étrangères ou secondes a
ouvert un domaine de recherche en didactique en ce qui concerne l’élaboration d’unités
d’apprentissage et a posé le champ littéraire comme l’espace culturel où les professeurs
doivent ancrer leurs choix de textes littéraires pour les cours de FLE.
Cependant, le débat sur l’utilité du texte littéraire et la réflexion à propos des
critères dont le professeur de FLE doit tenir compte au moment du choix de textes
littéraires susceptibles de proposer à l’apprenant une acquisition de la langue française liée à
un rapport intégratif/évolutif1 de la culture/des cultures.
Nous pouvons donc nous pencher sur ces textes pour évaluer leur potentiel en tant
que documents support d’une approche interculturelle proposant à nos élèves un travail de
réflexion sur l’apprentissage de la langue et de la culture et sur l’apport identitaire que la
maîtrise de la langue étrangère nous offre.
83
Abdallah-Pretceille M., « Pédagogie interculturelle : bilan et perspectives », in Clanet C. (Edt), L’interculturel
en éducation et en sciences humaines, Toulouse, Travaux de l’Université de Toulouse-le-Mirail, Vol. 1, 1985,
p31.
105
L’approche interculturelle a dépassé la tradition de l’enseignement de la langue
française et de la civilisation, matière subordonnée à la littérature et qui proposait un modèle
où la suprématie de la culture française s’incarnait dans des monuments culturels devenus
stéréotypes jusqu’à nos jours.
L’éducation interculturelle, qui répond d’abord à l’exigence d’intégration de
divers groupes dans une société pluriethnique, devient ensuite un souci pédagogique pour les
enseignants et les didacticiens des langues et cultures étrangères voulant modifier les
démarches d’acquisition de la compétence culturelle, partie intégrante de la compétence
communicative. Pou reprendre les propos de G. Zarate, il ne s’agit pas d’emmener l’étudiant
étranger à la compétence culturelle du natif mais de lui faire comprendre les implicites
d’appartenance
Le support littéraire se révèle être une des plus sûres passerelles entre les
cultures puisque les textes, comme point de rencontre d’univers différents, constituent des
révélateurs privilégiés des visions plurielles du monde. La didactique interculturelle
considère la situation de communication comme un espace-problème et l’interaction comme
un problème à résoudre.
L’emploi du texte littéraire en français dans la classe de FLE nous permet donc
de travailler la découverte interculturelle à travers le potentiel de connaissances
ethnographiques et d’attitudes socio-affectives qu’il mobilise.
Le texte littéraire ainsi conçu transforme la classe de langue en un espace
interculturel. Il devient support et objet permettant le dialogue des cultures “une culture est
un ensemble de pratiques communes, de manières devoir, de penser et de faire qui contribuent à définir
les appartenances des individus, c’est-à-dire les héritages partagés dont ceux-ci sont les produits et qui
constituent une partie de leur identité »84
En conséquence, lire un texte littéraire dans une classe de langue permettrait
cette confrontation des valeurs qui devrait aboutir d’une part à l’affirmation de sa propre
identité et en même temps à un apprentissage de la diversité .Le lecteur avec son profil
socioculturel est pris en considération dans sa rencontre avec ce texte produit dans une
84
Cuq J.-P. & Gruca I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Grenoble, Presses
Universitaires de Grenoble, 2002, p.85.
106
langue-culture étrangère et donc dans toute recherche /construction du sens « l’interculturel
en tant que démarche nouvelle, approche nouvelle est un passage obligé. »85
Cette approche du texte littéraire se base donc d’abord dans une première étape sur
les diverses représentations du lecteur. La didactique des sciences a prouvé que chaque
apprenant possède des conceptions préalables qui font partie d’un système de représentations
qui a sa cohérence et ses fonctions d’explication du monde, et ses représentations sont
foncièrement liées à sa propre culture, à sa réalité socioculturelle.
Ensuite, comme tout texte littéraire est une lecture de son auteur lui aussi
déterminé par des contraintes culturelles, il s’avère évident qu’au cours d’une seconde étape
il serait impératif de compléter la première lecture par un travail sur les divers contextes qui
ont cadrés la production du texte. Une troisième étape est aussi fondamentale que cette
derrière, c’est une étape d’ouverture de ce texte littéraire sur d’autres textes non littéraires.
En guise de conclusion, mettre en place une démarche interculturelle pour
approcher le texte littéraire dans une classe de FLE rend effectivement la classe comme un
lieu de croisement des cultures. Elle devient un moyen de tisser et de renforcer les liens
d'appartenance tout en permettant l'expression d'une réalité culturelle riche et diversifiée et
en même temps l’appropriation des valeurs partagées et donc universelles. Le texte littéraire
peut apparaitre alors comme un outil didactique extrêmement pertinent pour construire le
citoyen du monde.
Cependant « Connaitre l’étranger, sa langue et sa culture, n’est que la moitié du chemin,
c’est le reconnaitre dans son altérité et/mais l’accepter (s’étant soi-même relativisé par rapport sa
propre culture) qui est à la fois le plus rare le plus difficile et le plus nécessaire »86.Comment
permettre à travers l’apprentissage des langues-culture et au-delà de l’apprentissage la
diversité la révision de « sa propre copie culturelle et notamment les concepts étroitement
déterminants qui ont jusqu’ici guidé les interactions entre racines, certitudes et comportements sociaux
»87 pour mieux construire l’Humain, pour mieux vivre l’Humain?
2.2.9 La compétence interculturelle selon Denis Myriam
Aujourd’hui, un enseignant de FLE qui aspire à relever les défis lancés par la
démarche interculturelle se doit d’assumer le fait qu’apprendre le français amène à une
rencontre interculturelle avec la diversité du monde francophone et du monde en général.
85
Séoud A., Pour une didactique de la littérature, Edition Didier, Paris, 1997, p.158. 86
Varro G., Sociologie de la mixité : de la mixité amoureuse aux mixités sociales et culturelles, Perspectives
sociologiques, Berlin, 2003. 87
Rivenec P., Apprentissage d’une langue étrangère/seconde, La méthodologie, Deboeck, 2003, p.48.
107
Apprendre le français, c’est surtout apprendre à connaître l’Autre, à accepter la pluralité des
identités que cette langue peut véhiculer. Il s’agit de saisir et d’appréhender la langue
française dans toute la splendeur de la diversité culturelle et la promotion universelle de la
diversité linguistique et culturelle.
Il est donc primordial de préparer les apprenants de FLE à être efficace sur le plan
interculturel avec autrui qui s’avère être, pour reprendre les termes du Conseil de l’Europe,
« un échange de vues ouvert, respectueux et basé sur la compréhension mutuelle, entre des individus et
des groupes qui ont des origines et un patrimoine ethnique,*culturel, religieux et linguistique
différents. Il s’exerce à tous les niveaux- au sein des sociétés, entre les sociétés européennes et le reste du
monde »88.
Pour M. Denis « le cours de langue constitue un moment privilégié qui permet à
l’apprenant de découvrir d’autres perceptions et classifications de la réalité, d’autres valeurs, d’autres
mode de vie…Bref, apprendre une langue étrangère, cela signifie entrer en contact avec une nouvelle
culture »89 En d’autres termes le cours de langue devient donc l’occasion pour l’apprenant de
se construire une compétence interculturelle, une compétence qui demande une implication
personnelle et qui dépasse le cadre limité d’un enseignement de type fonctionnel puisque, elle
met en action des paramètres éthiques, affectifs et sociaux.
L’acquisition d’une compétence interculturelle, selon Denis M, repose sur
l’interaction entre savoir-être, savoir-apprendre, savoirs et savoir-faire. L’apprenant doit
ainsi être invité à :
- construire et maintenir un système d’attitudes et cela, au sein même de la classe,
dans son rapport avec les autres partenaires (savoir-être) ;
- développer un apprentissage réfléchi, c’est-à-dire des méthodes lui permettant
d’évaluer et de réadapter ses manières de faire (savoir-apprendre) ;
- établir des repères parmi des données socioculturelles générales, des éléments
portant sur l’interculturel (savoirs) ;
- apprendre à agir/interagir dans des situations imprévisibles et à traiter la donnée
selon le contexte et la situation d’interlocution (savoir-faire).
88
Conseil de l’Europe, Livre blanc sur le dialogue interculturel. Vivre ensemble dans l’égale dignité, Strasbourg :
Edition du Conseil de l’Europe, 2008. 89
Denis M., « Développer des aptitudes interculturelles en classe de langue ». In Dialogues et cultures N°44 De
la diversité, Paris : FIPF, 2000, p.62.
108
Dans le tableau qui suit, sont présentées, de façon résumée, cinq phases qui s’articulent selon
le modèle des taxonomies des domaines affectifs et cognitifs (Bloom, 1956 ; Krrathwohl,
1970 ; Legendre, 1993), que Denis. M (1998), applique à la compétence interculturelle.
Le parcours entre ces phases- échelonnées au sein d’une même séquence pédagogique-
variera selon les besoins des apprenants et les objectifs communicatifs au cours de langue :
ordre différent, suppression de certaines étapes…
109
Phases Objectifs généraux Activités
Sensibilisation
Conscientisation
Organisation
Relativisation
Implication- intériorisati
- entrevoir d’autres classifications de la
réalité (travail sur la perception
ethnocentriste)
- faire émerger ses représentations sur
sa culture, sur la culture 2, sur des
cultures tierces (travail sur la
perception que l’on a de l’Autre)
-prendre conscience de la non-
universalité de sa culture
-situer ses représentations sur la
culture d’autrui et sur sa culture propre
-établir des liens, distinguer des
principes organisateurs au sein de la
culture 2
-établir des liens entre sa culture et la
culture 2, ainsi qu’avec des cultures
tierces
-mettre en rapport différents points de
vue présents dans la culture 2 (ou dans
la culture1)
-situer un fait culturel dans son
contexte
-saisir la diversité des enjeux au sein de
la communication
-s’impliquer dans la découverte et dans
l’approfondissement de la culture 2
(construction interculturelle)
-se construire un système de références
à partir des différentes cultures en
présence (réflexion métaculturelle)
- prise de décision dans une situation
concrète
-appel à l’observation
-appel à l’expérience
-confrontation avec une situation
authentique
-réadaptation de sa stratégie première
et réemploi de la nouvelle manière de
faire dans une situation analogue
-objectivation de ses représentations
-recherche de l’origine des stéréotypes
-définition et évaluation de différentes
procédures de classement
-conceptualisation provisoire
-définition et évaluation de différentes
procédures de comparaison
-recensement et analyse des outils à
disposition
-confrontation de documents,
témoignages, etc.
-recherche du contexte de production
d’un document
-saisie et analyse des paramètres de la
situation où le discours est produit
-interprétation
-négociation
-coopération en vue d’aboutir à une
résolution de problèmes
-évaluation des moyens qui sont à sa
portée pour poursuivre son
apprentissage
-implication hors classe
-constitution d’une technique d’analyse
permettant de gérer des situations
interculturelles nouvelles
- évaluation de la démarche effectuée
tout au long du parcours
110
Les phases de sensibilisation et de conscientisation visent plus particulièrement à
permettre un travail de mise en évidence de sa perception ethnocentriste et/ou de l’image
souvent exotique que l’on a d’un autre qui est, la plupart du temps désincarnée.
La phase d’organisation laisse à l’apprenant la possibilité de systématiser certains traits
propres à des cultures différentes mais vise surtout à l’amener à mettre en cause cette
systématisation trop souvent caricaturale et véhicule de stéréotypes.
La phase de relativisation permet de mettre l’accent sur la pluralité, l’hétérogénéité et
l’éclatement des catégories qui caractérisent les cultures d’aujourd’hui et invite à prendre en
compte le contexte propre à chaque situation rencontrée.
Enfin, la phase d’implication-intériorisation doit, à long terme, permettre à l’apprenant
de poser des choix quant à la manière de rencontrer l’Autre et l’aider à penser la relation
interculturelle et intersubjective non plus à partir de sa propre culture ou de la culture de
l’Autre mais à partir d’un troisième point de référence, lieu d’interaction des deux
précédents.
111
Conclusion :
L'enseignement-apprentissage du FLE ne peut plus se permettre de priver l'apprenant
d'un document aussi stimulant que le texte littéraire. On a bien vu l'engouement et l'intérêt
qu’il suscite chez l'élève à chaque fois qu'il est mis en évidence en classe de FLE, et tout le
parti que peut en tirer la didactique du FLE, en particulier de ses caractéristiques qu’on
disait consensuelles.
Il est vrai qu'après la méthode traditionnelle, le texte littéraire a souvent été relégué
au second plan -du fait de la primauté de l'oral- ou même parfois évincé carrément des
supports d'apprentissage comme c’était le cas avec la méthode SGAV au début des années
soixante. Mais le texte littéraire n'a pas tardé à faire son grand retour dans les méthodes
d'enseignement du FLE.
D'abord avec l'approche communicative et plus tard et surtout avec l'éclectisme et les
nouvelles pédagogies actuelles. Le texte littéraire, s'il est bien présent dans les manuels
algériens de français, il n'en reste pas moins qu'il est réduit à n'être qu'un document récréatif
ou un support d'exercices. De plus, il n'est considéré que comme un simple document au
même titre que les autres documents non littéraires. Chose qui ne saurait se faire, du fait de
sa spécificité dont nous avons longuement parlé précédemment.
On a bien vu également à travers sa dimension culturelle qui est probablement sa
caractéristique majeure que le rapport qu’entretient le texte littéraire avec la culture de la
langue enseignée est un rapport privilégié et qu'il convient donc, pour une didactique
efficiente du FLE, de donner toute la mesure à l'enseignement culturel du FLE par le
truchement du texte littéraire.
Chapitre 3 :
Lecture des contenus interculturels des textes littéraires du manuel de 4e AM
114
Introduction
Dans ce deuxième volet, l’enseignement-apprentissage du français est abordé d’un
point de vue interculturel. La dimension culturelle est une composante évidente de
l’apprentissage d’une langue étrangère. Mais, en didactique des langues, les frontières qui
délimitaient historiquement l’usage et la définition des termes de « culture » et celui de «
civilisation » ont longtemps été floues. Une analyse conceptuelle de cette question était
nécessaire avant de s’intéresser au manuel de français en usage dans les collèges en Algérie.
L’objectif étant d’identifier la nature du discours interculturel véhiculé par les textes
littéraires du manuel de 4ème AM et de repérer la place qu’occupe « la pédagogie de
l’interculturel » dans l’enseignement du FLE à travers les textes littéraires proposés.
En nous appuyant sur l’analyse typologique, thématique et lexicale des textes
littéraires contenus interculturels des textes littéraires, nous avons essayé de mesurer
l’impact de la littérature, par le biais des contenus interculturels de ces mêmes textes, sur la
motivation des apprenants algériens à apprendre la langue française. Et, en même temps de
voir ce que cette littérature confère à leur identité notamment quand elle renvoie à des
images, des lieux, des valeurs, des croyances, des héros ou à des mythes qu’ils reconnaissent
et acceptent.
Il s’agit, en fait, de prendre en considération de l’aspect interculturel de la langue
étrangère en centrant notre étude sur une série de textes littéraires, choisis du manuel de
français de 4ème AM, dans la perspective de saisir la signification d’une œuvre littéraire en
recourant à sa dimension interculturelle dans laquelle s’ancre un ensemble de valeurs
sociales, de pratiques sociales, de traditions, de mœurs …
115
3-1 Lecture didactique des textes littéraires du manuel scolaire de 4ème AM
Dans ce dernier chapitre de la partie pratique « Lecture des contenus interculturels des
textes littéraires du manuel scolaire de 4ème AM », nous tenterons de mettre en lumière les
différents textes littéraires choisis du manuel scolaire de 4ème AM.
Par la suite, nous y développerons le statut des textes regroupés, ainsi que les auteurs
des mêmes textes objet de notre analyse interculturelle. Et puis, nous finirons par repérer
quelques points d’ancrage du discours interculturel lors de l’étude/analyse du texte littéraire
en classe.
3-1-1 Aperçu global sur les textes littéraires choisis
Le manuel de la quatrième année moyenne regroupe plusieurs textes faisant l’objet
d’étude dans les différentes activités d’apprentissage (activités de compréhension de l’écrit,
de fonctionnement de la langue, de production écrite ou de lecture complémentaire).
Les textes que nous avons pu identifier au cours de notre investigation, comme le
montre le tableau ci-après, sont constitués de 11 extraits de romans maghrébins dont 4
extraits de récits de voyage dont 2 récits appartenant à des auteurs français (Isabelle
Eberhardt et Isabelle Jarry), 1 poème d’un auteur camerounais. On constate que la plupart de
ces œuvres ont paru entre 1900 et 1962, alors que 5 ont paru après 1962.
Les textes maghrébins sélectionnés du manuel de 4ème année moyenne sont écrits
pour la plupart par des écrivains maghrébins appartenant à des générations différentes. En
plus des auteurs maghrébins, nous avons jugé important de retenir un poème écrit par le
père de la littérature camerounaise René Philombe (Les hommes qui te ressemblent) qui est un
hymne à l’universel, ainsi qu’un extrait d’Isabelle Jarry, écrivaine française, qui évoque
Théodore Monod un voyageur épris du désert et du monde nomade à l’image d’I sabelle
Eberhardt et de Malika Mokeddem.
3-1-2 Statut et type des textes littéraires choisis
Le manuel objet d’étude regroupe plusieurs textes faisant l’objet d’étude dans les
différentes activités d’apprentissage (activités de compréhension de l’écrit, de
fonctionnement de la langue, de production écrite ou de lecture complémentaire).
Nous essayerons ici de dresser une représentation des types des textes, dite aussi
approche typologique des textes que contient le manuel de 4ème AM. Pour ce
faire, nous avons pris la liste des textes tels qu’ils sont mentionnés dans le tableau suivant.
116
Auteur
Texte
Type de Texte
T 01 T 02 T 03 T 04 T 05 T 06 T 07 T 08 T 09 T 10 T 11 T 12 T 13
Mouloud Féraoun Moulou Féraoun Mouloud Féraoun Mohammed Dib Malek Haddad Malek Haddad Rachid Mimouni Azouz Begag TaharBen Jelloun Malika Mokkedem Isabelle Eberhardt Isabelle Jarry René Philombe
Le Voyage en Grèce Le voyage en Grèce (Extrait), La terre et le sang « La Patrie », La Grande Maison (Extr.1), La dernière impression (Extr.2), La dernière impression « Extrait », Le Fleuve détourné « Extrait », Le Gone de Châaba « Extrait », Les yeux baissés « Les caravanes de sel », Les hommes qui marchent « Extrait », Ecrits sur le sable Théodore Monod « L’homme qui te ressemble », Petites gouttes de chant pour créer l’homme.
Récit de voyage Récit de voyage Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman Roman Récit de voyage Poème
Figure 1 : représentation des types de texte étudié dans le manuel de 4ème AM Le manuel, par le biais de son discours (en particulier celui des textes littéraires), n’est
pas une simple description de la réalité, mais un miroir qui reflète la réalité sociale dans la
mesure où les auteurs des textes sont des témoins de leur époque. Dans une interview en
1958, M. Dib définit clairement sa position : « Plus précisément, il nous semble qu’un contrat nous
lie à notre peuple. Nous pourrions nous intituler ‘’écrivains publics’’, c’est vers lui que nous nous
tournons d’abord. Nous cherchons à en saisir les structures et les situations particulières. Puis nous
nous retournons vers le monde pour témoigner de cette particularité, mais aussi pour marquer combien
cette particularité s’inscrit dans l’universel. Les hommes sont à la fois semblables et différents ; nous les
décrivons différents pour qu’en eux vous reconnaissiez vos semblables ».1 Il en résulte que les textes
1 Khadda, N., Mohammed Dib romancier, Esquisse d’un itinéraire, Office des publications universitaires, 06-
1986, p.13.
117
littéraires maghrébins, du fait qu’ils décrivent des réalités proches des apprenants,
pourraient contribuer en rehaussement de leur niveau linguistique.
Mais avec cette incompatibilité cognitive, culturelle et émotive avec l’objet à lire,
l’apprenti -lecteur acquiert difficilement ce sentiment de familiarité qui le rendra de plus en
plus expert. Son appétence pour le texte naîtra seulement s’il a la possibilité de développer
un sentiment de contrôle sur sa tâche de lecture/compréhension.
L’appropriation d’un texte littéraire passe d’abord par la création d’un horizon
d’attente, c’est-à-dire la définition de ce qu’on devine du texte à lire, l’anticipation du contenu
à partir de connaissances déjà maîtrisées : la biographie de l’auteur, l’appartenance du texte à
un genre, son origine historique, culturelle et géographique, son style, ses idées, son
adhésion à certaines idéologies, à certains courants, l’histoire de sa réception, le courant
littéraire dans lequel il s’inscrit, etc. Une telle réflexion préalable permet au lecteur
expérimenté de se familiariser avec une œuvre nouvelle en recourant à ses propres savoirs et
savoir-faire et en développant de nouveaux besoins.
Comme on l’a déjà signalé au début de notre recherche, les élèves algériens bénéficient
d’un premier contact avec la langue française à partir de la troisième année primaire et va
jusqu’à la fin des études universitaires.
Le choix d’analyser le manuel de 4ème AM et pas un autre manuel vient de
l’importance de ce manuel qui peut être utilisé comme une source de motivation en
provoquant chez les élèves une motivation intrinsèque et une influence sur leur
apprentissage du français tout au long de la vie ; car le français au collège permet le premier
contact avec les textes littéraires venant d’auteurs et d’horizons variés. L’âge du collégien est
très important car il marque la fin de l’enfance et le début de l’adolescence. Et l’adolescence
est synonyme d’amour excessif de l’aventure romanesque, de voyages fabuleux, de volonté
insatiable de savoir et de découvertes.
En effet, l’absence de la motivation culturelle, ces textes ne représentent que le côté
linguistique et néglige la dimension culturelle. La méthodologie d’analyse se base sur
l’observation et la critique des textes présents dans ce manuel. Cette analyse est organisée
par thèmes selon lesquels les indices de l’identité de la culture nationale algérienne et la
culture française étrangère sont repérés. On explique et on justifie la présence ou l’absence
118
de ces indices. Cette partie d’analyse se termine par une discussion sur quelques phénomènes
qui ont été fortement ressentis dans les textes littéraires choisis.
Dans ce travail, on a donc choisi d’opter pour la méthode analytique qui, selon
Guidère2 « est une opération intellectuelle qui consiste à décomposer une œuvre ou un texte en ses
éléments essentiels afin d’en saisir les rapports et de donner un schéma général de l’ensemble ».
Une grande partie de cette analyse s’appuie sur une liste proposée par Byram (cité par
Skopinskaja, 3). Cette liste cherche à mesurer la manière dont le manuel met en relief les
domaines suivants :
-le conflit identitaire entre colonisé et colonisateur ;
-identité, altérité et mixité culturelle ;
- Identité sociale et groupes sociaux : classe sociale, identité, racisme, ethnocentrisme, exil,
acculturation, etc. ;
- Croyance et comportement : train-train quotidien, morale, croyances religieuses ;
- Histoire nationale : colonisation, guerre de libération, etc. ;
- Patrimoine culturel national : poésie, œuvres littéraires ;
- Stéréotype et identité nationale.
Cette liste synthétise les textes du point de vue de son contenu interculturel.
Dans le cas de notre manuel de FLE, on va analyser à travers les textes littéraires que
nous avons sélectionnés les thématiques suivantes : la présence/manifestation de
l’interculturel, la relation confrontation/appropriation du Même et de l’Autre, le rapport
amour/déception entre le Maghreb et l’occident, le voyage comme ouverture sur l’Autre, le
rapport conflictuel entre le Même et l’Autre afin d’observer à quel point les textes littéraires
favorisent-ils l’enseignement de l’interculturel ainsi que l’installation d’une compétence
interculturelle et en faire une source de motivation en classe.
En d’autres termes, par la voie de l’échange et le dialogue interculturel, nourrit par le
discours littéraire adopté, les thèmes traités et surtout les écrivains choisis, ces mêmes
textes vont permettre la rencontre des apprenants-lecteurs avec d’une part, l’Histoire de leur
identité et celui de leur patrie et d’autre part, une possibilité de découverte de l’Autre, ce
colonisateur d’hier, ce voisin riverain d’une même mer- mère, la méditerranée. Cela 2 Guidère, M., Méthodologie de la recherche, Paris : Ellipses Editions Marketing S.A., 2003, p.63.
3 Skopinskaja, L., Le rôle de la culture dans les matériels d’enseignement des langues étrangères d’un point de
vue interculturel. In I. Làzàr (Ed). Intégrer la compétence en communication interculturelle dans la formation
des enseignants.(pp. 45-76), Kapfenberg : Conseil de l’Europe.
119
permettra les débats et discussions sur l’altérité, l’identité, l’ouverture sur l’Autre ainsi que la
conscience de l’importance de la compétence et de la communication interculturelle dans la
civilisation du XXIe siècle.
Pour commencer l’analyse qualitative des textes, on aborde la typologie des textes,
la biographie des auteurs, l’inscription des œuvres dans l’histoire littéraire nationale et
internationale, le contexte socio- historique de leur parution, et enfin les thématiques
relevant du domaine de l’interculturel. En fin de compte, c'est à l'ensemble de l'institution
scolaire de relever ce défi. Car, oui, c'est un véritable défi d'être en situation
d'interculturalité, de côtoyer l'inconnu et de réussir à "explorer" un enseignement
/apprentissage d'une culture étrangère.
3-1-3 Les auteurs des textes choisis
Nous voudrions rappeler d’emblée que le manuel scolaire contient des textes (extraits)
qui sont accompagnés du nom de l’auteur et le titre de l’œuvre dont il est extrait.
Notons que la représentativité des écrivains varie entre écrivains français (Isabelle
Eberhardt et Isabelle Jarry), écrivains maghrébins d’expression française (M. Dib, M.
Feraoun, M. Haddad, R. Mimouni et T. Ben Jelloun), écrivain algérien issu de l’immigration
« Beur » (A. Begag) et un écrivain camerounais (R. Philombe).
La représentativité des écrivains maghrébins d’expression française semble être en
grand nombre dans ce manuel. Une telle représentativité, nous amène à dire que ce choix des
auteurs est certainement délibéré par les concepteurs du manuel pour au moins donner aux
apprenants de 4ème AM l’occasion de connaître et la langue française et les écrivains
francophones, surtout les plus célèbres tels : M. Dib, M. Feraoun, m. Haddad, T. Ben
Jelloun…etc.
Par ailleurs, d’autres écrivains surgissent tout au long du manuel. A titre d’exemple,
quelques auteurs français qui gagnent aussi une place importante. On peut noter V. Hugo,
Pagnol, F. Mauriac, J. Vallès…etc.
Pour ce qui est des écrivains autre que français et algériens, nous pouvons dire qu’ils
sont aussi représentés dans plusieurs textes regroupés dans le manuel.
3-1-4 La forte présence de l’Algérie et de la culture algérienne dans ces textes choisis
Dans les extraits des œuvres littéraires, objet d’analyse, les évènements se passent en
Algérie, excepté le poème de René Philombe qui s’inscrit dans l’universel ainsi que la Grèce
120
visitée par Féraoun dans son récit de voyage. Le cadre- Algérie est adopté comme lieu
d’ancrage des événements. La présence de l’arabe algérien (Aîn Meddah,qui signifie fontaine
du poète), les noms de personnages (Hassan, Omar, Brahim, Said, Ghozlan ), des lieux
(Tlemcen, la Kabylie, le Sahara, les Hauts-Plateaux, le sud Algérien, le village Kedar, les
bains de Guergour à six kilomètres de Bougâa, )…les mœurs des nomades, leur habitudes et
leur mode de vie, el Oued, la mer méditerranéenne, les dialogues le montrent bien.
a/ Le Désert ou le Sahara algérien :
• La description d’El Oued en hiver : un hiver magique ensoleillé et limpide comme un
printemps. El Oued, au lever du jour : l’air est léger et pur, une brise fraîche murmure
doucement dans le feuillage épais et dur des palmiers.
• La culture des nomades ou les hommes du désert (la nourriture :un peu de farine, une
outre (Guerba), de la viande séchée). Ils vivent en déplacement cherchant les
pâturages.
• Les qualités des nomades : - l’instinct de l’orientation, la mémoire des itinéraires
parcourus ou racontés, la marche perpétuelle.
-une de vie de marche en caravanes : caravane de thé, caravane de sel, caravane de
cotonnade.
-ils possèdent : quelques moutons, chèvres et chameaux et faisaient du trafic.
-ils vivaient du troc : tapis, burnous, djellabas, kheimas échangés contre du blé, du
thé, du sucre, de l’huile ou du sel.
-Le était leur monnaie d’échange. Ils le prenaient aux sebkhas.
-les hommes du désert n’oublient jamais un itinéraire parcourus ou décris par un
autre.
-les nomades se racontent entre eux ces itinéraires parcourus. Ils se décrivent un
itinéraire qui peut être de 500 Km de long.
-ils partent à la recherche d’un nouveau pâturage quant ils ont vu un des éclairs ou
entendu le tonnerre. Il s’agit de trouver le pâturage, et d’y mener ensuite le
campement.
b/ La Kabylie : -ses villages accrochés aux sommets, ses rudes montagnards, ses ânes
intrépides, ses chèvres capricieuses, ses oliviers et ses figuiers ».
- au nord, le massif des Ait Djenad qui se dresse comme une barrière imposante devant la
Méditerranée. Au sud, le Djurdjura, a l’est et à l’ouest, partout des collines, des montagnes,
121
des vallées profondes et étroites les villages accrochés aux sommets couverts de neige, le ciel
bleu.
-le village Kedar (R. Mimouni).
c/ Eléments de la culture algérienne :
-les gâteaux de l’Aïd Seghir, le mouton qu’on égorge à l’Aïd-Kébir ;
- les kabyles montagnards sont durs (une représentation algérienne) ;
-la faune de Kabylie (animaux domestiques) : les ânes intrépides et les chèvres capricieuses ;
-la flore de Kabylie : les oliviers et les figuiers ;
-la colonisation ;
-les « Beur » ou les immigrés algériens de France.
d/ Eléments de la culture française :
-La maison de compagne : « La lampe projette sa clarté sur la table. Papa, enfoncé dans
un fauteuil, lit son journal et maman fait de la broderie. Alors Omar était obligé de mentir.
Il complétait : le feu qui flambe dans la cheminée, le tic-tac de la pendule, la douce
atmosphère du foyer pendant qu’il pleut, vente et fait nuit dehors. Ah ! Comme on se sent
bien au coin du feu ! Ainsi : la maison de compagne où vous passez vos vacances. Le lierre
grimpe sur la façade ; le ruisseau gazouille dans le pré voisin. L’air est pur, quel bonheur de
respirer à pleins poumons ! Ainsi : la cuisine. Les rangées de casseroles sont si bien astiquées
et si reluisantes qu’on peut s’y regarder. Ainsi : Noël. L’arbre de Noël qu’on plante chez soi,
les fils d’or et d’argent, les boules multicolores, les jouets qu’on découvre dans les
chaussures.
-Les noms des villes françaises : Paris, Aix-en- Provence.
-L’arbre de Noël : la célébration de la fête de Noël est un rituel religieux propre aux
chrétiens. Cette fête célèbre la naissance du prophète Jésus Christ. Donc c’est un élément de
la culture chrétienne française que M. Dibe dans l’œuvre La Grande Maison transpose avec la
fête religieuse algérienne de l’Aïd Seghir et l’Aïd-Kébir avec les gâteaux que les familles
algériennes se font le devoir de préparer. En d’autre termes la fête du Même (l’Aïd) Vs la
fête de l’Autre (Noël)
Ces textes choisis ne représentent rien de nouveau pour les élèves au niveau de la
découverte géographique (le désert du sud algérien, la mer méditerranéenne, les montagnes
de kabylie, la France) et sociopolitique (le passé colonial de l’Algérie, le conflit algéro-
122
français, le conflit linguistique et culturel algérien, le statut controversé de la langue
française, le rapport entre la culture nationale et la culture française).
3-1-5 Manuel, pratiques de classe et discours culturel
Le manuel de 4ème AM comme tout autre manuel de langue étrangère est le principal
transporteur de valeurs idéologiques, morales ou culturelles. Celles-ci se manifestent et se
déchiffrent naturellement à travers plusieurs procédés : le choix des auteurs et des thèmes
étudiés, le contexte socio-historique de la parution des ouvres littéraires, les références
culturelles…etc. Et elles traduisent, en réalité, des finalités politiques ou linguistiques.
L’image de la société que reflète le manuel à travers son discours (texte littéraire)
n’est pas une simple description de la réalité mais un miroir légitime de la réalité sociale
dans la mesure où les auteurs des textes sont des témoins de leur époque. Ce que constitue le
discours du manuel de langue étrangère c’est une lecture et découverte de l’Autre et ses
valeurs et sa culture, en d’autres termes c’est le reflet de l’Autre.
Un premier postulat est que le nombre important des textes des auteurs étrangers,
notamment français (A. Jacquard, J. Prevert, Casamayor, M. Alyn, R. Ikor, M. Genevoix, R.
Fau, P. Daninos…) marque l’ouverture du manuel scolaire sur l’Autre. A travers ces textes
choisis, notre manuel aspire à éliminer tout phénomène d’ethnocentrisme, xénophobie, …etc.
Il cherche aussi à sensibiliser ses utilisateurs, enseignants et apprenants, aux civilisations
étrangères. Cette élimination des barrières entre les Nations et les peuples, s’inscrit dans le
cadre d’une prise de conscience internationaliste, comme le notent M. Abdallah-Pretceille et
L. Porcher : « L’enseignement de la littérature suppose qu’on franchisse les frontières, que l’on se
situe dans une perspective résolument internationale ».4
Un second postulat est que les projets didactiques sont structurés de façon progressive
où on commence par aborder l’argumentation par l’explication (Expliquer : pour justifier un
point de vue, pour faire prendre conscience, pour témoigner), puis on étudie l’argumentation
dans un récit (Argumenter : dans le récit de science-fiction, par le dialogue, dans la fable). En
fin, on étudie l’argumentation dans un texte publicitaire et dans le récit de voyage (le
reportage).
4 M., Abdallah-Pretceille &L. Porcher, 1996, cité par : M. De Carlo, 1999, L’Interculturel, Clé. International, p.65.
123
Quant aux pratiques de classe (ce qui se réalise habituellement en cours de FLE destiné
aux apprenants de 4ème AM), c’est que les représentations de la culture étrangère et la
culture locale que l’enseignant sera en mesure de co-construire avec ses apprenants dépend
fort peu de la manière de réaliser la cours, mais bien davantage des contenus qui y seront mis
en circulation. En d’autres termes, malgré la diversité des pratiques enseignantes, le cours de
français qui obéit à un programme et des objectifs, ne permet pas à l’enseignant
d’établir/rétablir à chaque fois le lien entre langue et culture.
3-2 Lecture des contenus interculturels
Sans doute, l’accès à toute culture ne peut se faire que par le biais du langage qui en est
le véhicule (véhicule des sciences, de la littérature, ….etc.) et qui en est aussi le produit qui
s’adapte aux cultures variées des sociétés ainsi qu’à leur évolution. S’intéresser à l’étude du
langage, c’est donc saisir l’ancrage interculturel de la communauté linguistique qu’enseigne
la langue. « En réalité, il faut accéder à la culture partagée par l’entremise de la langue, et
spécialement par le lexique parce que ce sont les mots qui sont les réceptacles privilégiés pour certains
contenus de culture qui s’y déposent, y
adhèrent et ajoutent ainsi une autre dimension à la dimension sémantique ordinaire des signes ».5
Cette quête de l’ancrage interculturel se fait au niveau de l’unité lexicale (morphème ou
mot), qui est porteuse d’implication interculturelle autre que sémantique, en d’autres termes,
certains mots en français ont une teneur, un poids, autre que celui que l’on saisi à partir de la
définition sémantique ordinaire regroupée dans les dictionnaires. Ces mots, R. Galisson les
appelle : mots à « charge culturelle partagée », ils sont définis comme suit : « J’appelle
‘’charge culturelle partagée’’ la valeur ajoutée à leur signification ordinaire et pose que l’ensemble des
mots à C.C.P. connus de tous les natifs circonscrit la lexiculture partagée ».6
La « lexiculture », terme et concept très cher à R. Galisson, désignant la culture
courante partagée par tous. C’est donc étudier ou comprendre les mots au-delà de leur
définition sémantique. Autrement dit, pour saisir le sens de ces mots à charge culturelle
partagée, on devrait chercher leur sens connoté.
Afin d’accéder à l’ancrage interculturel ou à la lecture (inter) culturelle des contenus
que couvrent à la fois les thèmes et les unités lexicales dans les textes littéraires du manuel
5 Dumont, P., (Travaux de didactique du FLE- 1995), in : http://perso.wanadoo.fr/chevrel/socio7.htm.
6 Galisson, R., (1987), in M. De Carlo, Op. Cit., p.103.
124
de 4ème AM, il nous apparaît nécessaire, pour bien mener notre analyse, de dresser un bref
inventaire des différentes approches de la culture en classe de FLE.
3-2-1 La compétence interculturelle et le texte littéraire d’un manuel de FLE
3-2-1-1 Les différentes approches de la culture
Les approches culturelles se sont succédées au cours des cinquante dernières années (à
partir des années 60), c’est-à-dire au moment où la linguistique est devenue science pilote.
En effet, dans un cours de langue, l’accès à la culture étrangère, culture-cible, pourrait
s’effectuer selon une approche ou une autre, voire plusieurs. L’essentiel, c’est savoir
emprunter une telle approche dans un tel cours, l’autre approche dans un autre cours ou
encore, pratiquer une variété d’approches dans un même cours.
1. L’approche civilisationnelle : elle consiste à enseigner les personnages et les
événements historiques ; les chefs d’œuvre artistiques, les grandes institutions, les
produits célèbres (gastronomie, code vestimentaire,…).
2. L’approche littéraire : qui consiste à mieux analyser le texte littéraire exploité en
classe et de s’en servir puisqu’il est considéré :
• Comme un témoignage de son époque
• Comme document sociologique (les œuvres littéraires traduisent très souvent
des problèmes et des crises sociales).
3. L’approche quotidienne : on s’intéresse au vécu (la vie de tous les jours), puisqu’on
considère que la vraie culture relève du vécu où ont lieu les interactions verbales.
4. L’approche sociologique : faite à la base des sondages, des études statistiques pour
décrire la société française ou le monde francophone.
5. L’approche anthropologique : elle est fondée à la base des comparaisons culturelles
de chaque groupe social qui établit ses propres rapports avec la réalité, le temps,
l’espace, et organise sa vie familiale, sociale, …Elle met en évidence les divergences et
les convergences essentielles qu’il y a entre les cultures des peuples.
6. L’approche sémiologique : elle s’intéresse à l’analyse des stéréotypes, des lieux
communs, les héros, les mythes, les légendes, les symboles…etc. que la culture
développe. Elle se focalise aussi sur la littérature populaire, les expressions
idiomatiques, les proverbes et dictons, les mots.
7. L’approche pragmatique/fonctionnelle : elles envisagent surtout les circonstances
socioculturelles ayant une implication directe sur la communication, sa forme et son
contenu. Ces approches traitent également le statut des interlocuteurs, l’endroit et le
125
moment où ils se rencontrent, leurs gestes, leurs réactions pendant l’échange
spécifique à chaque activité professionnelle.
8. L’approche interculturelle : cette approche a été forgée au début des années 70, au
moment où l’école française cherchait à résoudre, en matière d’enseignement, les
problèmes éducatifs propres aux enfants issus de l’immigration.
En effet, l’interculturel, notion récemment introduite en didactique des langues, vise
non pas uniquement à décrire les cultures présentes dans une telle société en une simple
juxtaposition, mais surtout à établir une communication dite « la communication
interculturelle » entre telle ou telle culture au-delà de ce qui les sépare. Elle vise également à
relativiser la représentation qu’a la culture source autant qu’elle initie à la culture cible.
Ainsi, nous pouvons dire que l’introduction de l’interculturel était, à l’époque et dans
le cadre du FLM, une chose pragmatique, opéré notamment par les sociétés contemporaines
face au multiculturalisme. Cela dit, un chois pragmatique, signifie la nécessité d’établir des
modalités de communication interculturelle entre les groupes humains vivant en contact
permanent. En somme, cette approche vise la promotion des concepts fondateurs qui sont :
l’intercompréhension, l’altérité, le respect de l’autre, le dialogue interculturel, l’interactivité
des cultures….
3-2-1-2 Les aspects de la culture les plus importants dans l’enseignement d’une
langue étrangère
Les aspects de la culture qui accompagnent l’enseignement de la langue étrangère sont :
1. Les traditions et coutumes ;
2. L’histoire et la civilisation ;
3. La culture populaire, les mythes et légendes ;
4. Les stéréotypes ;
5. La religion ;
6. Les croyances (façon de penser et de réagir) ;
7. La théorie et la pratique de la démocratie et des droits individuels ;
8. La vie et la routine quotidienne, le mode de vie et les habitudes, notamment de personnes
de l’âge des étudiants ;
9. L’aspect sociopolitique ;
10. L’art, la musique, le cinéma, la littérature et les festivals ;
11. La vie et la civilisation contemporaines ;
12. L’alimentation ;
126
13. Les règles et comportement sociaux, la politesse et les bonnes manières;
14. Le système éducatif.
Cela peut donc aider à mieux comprendre le vocabulaire utilisé dans un texte ou rendre
flexible la façon de penser et de réagir des apprenants en langue étrangère surtout
qu’aujourd’hui la mondialisation exige une compréhension plus complète d’autres cultures.
3-2-1-3 Les avantages potentiels de l’enseignement de la Compétence
interculturelle (CI) dans les langues étrangères
Les avantages pour mettre l’accent sur la CI dans l’enseignement des langues
étrangères sont nombreux, ils ne se limitent pas au dépassement du stéréotype ; apprendre
une autre culture peut aussi enrichir sa propre culture. Parmi les avantages l’on cite :
1. Acceptation et tolérance des différences et respect d’autrui ;
2. Tolérance dans tous les domaines et meilleur compréhension, une lutte contre les
stéréotypes et les préjugés ;
3. Espoir de paix dans le monde pour une coexistence pacifique entre les pays ;
4. Apprendre à éviter les conflits potentiels ;
5. L’internationalisme ;
6. Permettre aux étudiants l’expérience de la découverte ;
7. Créer des sociétés ouvertes et tolérantes, élever une jeunesse sans préjugés. Certains
enseignants insistent à mettre l’accent sur la CI dans l’enseignement des langues étrangères
pour approcher les gens des différents pays et cultures ;
8. Le besoin de la CI dans les affaires et le tourisme ;
9. Préparer les apprenants à vivre, travailler et voyager dans d’autres pays ;
10. Reconnaissance de l’évolution de beaucoup de sociétés vers des communautés
multiculturelles ;
11. Rendre les leçons plus intéressantes et amusantes ;
12. Motiver les élèves en proposant des activités de la vraie vie.
Intégrer la CI et l’enseigner aux élèves améliore leur compétence de communication
linguistique et culturelle. Au long terme une bonne connaissance de différentes cultures
aidera les apprenants à assumer avec succès des tâches de communication variées.
3-2-1-4 Comment enseigner une culture étrangère ?
Sachant que la salle de classe de langue/ culture étrangère représente un lieu où la
médiation est nécessaire et l’enseignant est un médiateur car :
1 – l’enseignant transmet le sens à celui qui n’y a pas accès.
2 – le contenu de l’enseignement conduit à une confrontation de langue/culture différente.
127
3 – l’enseignant doit ranger les malentendus entre les cultures différentes. L’enseignant-
médiateur a donc à établir des liens entre les différences tant culturelles que linguistiques et
les rendre accessibles, acceptables.
Le système culturel « est un ensemble cohérent de catégories identitaires qui rend le monde
intelligible. Dans cet agencement propre à chaque culture, chacun doit recevoir une place et une seule :
cela signifie que personne ne peut être à toutes les places à la fois, ni être exclu de l’ensemble »7
Selon Barthélémy8, la didactique du FLE commence à s’intéresser beaucoup à la
question de la formation à l’interculturel pour des raisons pas purement didactiques : les
entreprises ont bien compris que la seule maîtrise de codes linguistiques ne suffisait pas et
que la connaissance réciproque des cultures favoriserait les échanges commerciaux.
Pour lui, l’interculturel facilite la communication. L’importance de la découverte de la
culture du pays de la langue étrangère permet à penser profondément à sa propre culture
ainsi que penser profondément à son identité par rapport à celle des autres.
Chaque société a ses propres cultures « générationnelle, médiatique, sexuelle, politique,
régional » 9. Barthélémy insiste à enseigner cette compétence interculturelle dans la classe de
langue étrangère à tout prix même en passant par la langue maternelle « la dimension
interculturelle doit faire partie des enseignements dans les classes de langues. Elle n’est pas
innée, et se construit « se fabrique » (Barthélemy, 2007 : 140).
Lussier10 met aussi l’accent sur l’importance de la culture du pays de la langue
étrangère enseignée. Selon cette auteure, les enseignants de français aux non-francophones
doivent :
1 – aider les apprenants à développer de l’empathie envers la langue de l’Autre ;
2 – amener les apprenants à déceler les éléments culturels, dans les interactions les discours
des individus, qui peuvent influencer leur vision de l’autre ;
3 –créer des situations d’apprentissage permettant aux élèves d’interagir socialement dans
des situations qui dépassent les stéréotypes et les éléments folkloriques ;
4 – faire apprendre aux élèves la médiation culturelle, afin qu’ils puissent agir positivement
dans des situations pouvant générer de l’incompréhension ou des tensions.
7 Gautheron- Boutchatsk et al, Retrouver le sens perdu ou les fausses identités du document authentiquement
publicitaire, Le Français dans le monde : recherches et applications, 2003, pp. 47. 8 Barthélemy, F., Professeur de FLE : historique, enjeu et perspectives, Paris, Hachette, 2007).
9 Ibid., p.139.
10 Luissier, D., L’enseignement/apprentissage d’une compétence interculturelle. In A-M Boucher & Pilote, A.,
(Eds), Guide du passeur culturel (p.115). Québec : AQPF/ Québec français, 2006.
128
Selon Luissier « l’enseignant de français, langue seconde ou étrangère, doit se rappeler que tout
texte écrit ou oral exploité en salle de classe est porteur de sens culturel ».
3-2-1-5 Propositions d’activités interculturelles en classe de langues étrangères
Comment élaborer des activités interculturelles ? Comment amener l'apprenant à
découvrir une autre culture que la sienne, et surtout comment l'amener à apprécier la
richesse de cette aventure intellectuelle, relationnelle et cognitive ?
Pour répondre à ces interrogations, M. Abdallah-Prétceille nous dévoile une
méthodologie régie par quelques principes qui éclaireront tout esprit visant la créativité, la
découverte et le progrès. Ainsi, le questionnaire occupe une place de choix dans les activités
culturelles en classe de langue car il permet à l'apprenant de "se libérer", d'exposer ses idées,
ses appréhensions, ses sentiments et ses représentations envers les choses nouvelles qui se
"frottent" à sa réalité, celles d'une culture qui lui est étrangère. Il serait avantageux de faire
vivre à l'apprenant de nouvelles expériences interculturelles, telle la correspondance scolaire
qui lui offre d'intéressantes possibilités de se lier avec des étrangers en vue d'explorer leur
"monde".
Il serait temps de comprendre qu'appréhender une culture étrangère c'est, bien
entendu, amorcer un mouvement vers l'Autre. Ceci est lié à la perception de sa propre
culture. Il importe d'actualiser sa culture maternelle pour qu'elle ne soit plus seulement subie
mais aussi une culture agie. Il est également pertinent d'évoquer « les interférences culturelles
qui représentent d'excellents supports de réflexion ; origine d'un mot, d'un nom de rue ou de ville…
»11.
Les éléments culturels ne doivent pas être étudiés isolément mais ils doivent être
inscrits dans une structuration éducative qui dégage du sens pour cet apprenant qui
découvre une nouveauté culturelle. Il faudrait prendre conscience du dynamisme lié
automatiquement à toute culture. Ce qui importe le plus dans le milieu éducatif, ce n'est pas
seulement d'établir une liste de traits culturels mais c'est de chercher à comprendre de quelle
manière ces éléments sont intégrés dans la vie quotidienne. « Exemple : le rôle du thé dans la
socialisation pour certaines cultures »12. Ainsi, « Les traits culturels d'une société ne sont pas
11
J.Stoetzel, cité par Abdallah-Pretceille, M., Des enfants non francophones à l’école, p.170. 12
Ibidem.
129
simplement juxtaposés, ils sont liés, ils forment un système, une configuration culturelle, ils ont un sens
et ce sens, quand on l'aura dégagé, définira l'esprit de la culture de cette société »13.
Cependant, il est à signaler que procéder à une comparaison des cultures n'est guère
la meilleure façon d'appréhender une culture Autre. Car comparer peut se révéler dangereux
et réductionniste. En effet, ceci impliquerait qu'un schéma culturel universel à partir duquel
s'ordonneraient toutes les cultures existe. « Or, on le sait, chacun ramène l'universel à lui-même
»14.
Nombreux étaient et sont encore des spécialistes en différentes disciplines, en
l'occurrence en didactique de l'interculturel, à avoir élaboré une méthodologie autour
d'activités interculturelles proposées en classe de langue. Le mérite revient à ces chercheurs
qui se sont démenés pour faciliter la tâche à l'enseignant, à faire aimer à l'apprenant cette
perspective intellectuelle passionnante, celle d'entrer dans une symbiose culturelle.
3-2-2 Les objectifs culturels de l’enseignement d’une langue étrangère
Nous avons vu que pour apprendre une langue étrangère, la maîtrise de la langue ou
la compétence linguistique ne suffit pas, mais il faut acquérir une compétence culturelle. Par
compétence culturelle, il faut entendre la maîtrise des règles socioculturelles de l’usage de la
langue en question.
Dans la revue Dialogues et cultures n° 44 (2000), Myriam Denis a écrit : « Le cours de
langue constitue un moment privilégié qui permet à l’apprenant de découvrir d’autres perceptions et
classifications de la réalité, d’autres valeurs, d’autres modes de vie … Bref, apprendre une langue
étrangère, cela signifie entrer en contact avec une nouvelle culture. »
La transmission et/ou la découverte de tous ces paramètres de la langue étrangère
(valeurs, modes de vie, vision du monde…), si elle a lieu dans un cours de langue, il faut dire
qu’elle est caractérisée par sa difficulté et sa complexité pour l’apprenant comme pour
l’enseignant. En effet, ces derniers sont otages d’une dynamique d’acculturation, c’est-à-dire
qu’ils sont partagés entre deux cultures : leur culture d’origine et celle qu’ils sont censés
enseigner/apprendre. Le contenu culturel véhiculé par la langue étrangère reste, il faut le
reconnaître, difficile à transmettre et à transposer en un peu de temps (les séances de cours
sont courtes).
13
Ibidem. 14
Ibidem.
130
3-2-3 Les représentations de l’étranger
Les représentations de l’étranger dans un groupe social prennent en compte l’identité
sociale et l’appartenance sociale au sein de ce groupe. Représenter positivement l’étranger
touche directement l’identité, donc la représentation de l’étranger dans une société dépend
de plusieurs facteurs :
1 – L’histoire des deux pays ;
2 – La langue dans les deux pays ;
3 – L’aire géographique ;
4 – Les relations politiques.
« Les représentations ne sont pas seulement solidaires de la description de l’espace où elles sont
produites, elles s’appliquent également aux communautés extérieures aux groupes qui les produisent.
Elles aménagent la relation entre le groupe et l’autre et contribuent à nommer l’étranger selon le
système de référence interne au groupe »15. Dans les méthodes de FLE en Algérie, la
reconnaissance de la culture française comme méritée à être enseignée n’est pas consonante
avec la vision que les Algériens ont de l’histoire de la France en Algérie. Napoléon qui est
symbole de fierté nationale pour les Français, représente pour les Algériens un symbole
d’envahisseur et de dictateur.
Selon Zarate (1993), même s’il y a une proximité culturelle entre la langue locale et la
langue étrangère, présentée dans les manuels, les frontières nationales restent une ligne de
partage irréductible.
3-2-4 Enseignants/Apprenants : bâtisseurs de la rencontre interculturelle
Le rôle de l’enseignant de langue vivante ne doit pas se limiter seulement à choisir un
matériel pédagogique déjà existant. « L’enseignant doit défendre une conception de l’outil scolaire
comme un produit culturel ». L’enseignant doit adapter ses pratiques d’enseignement au
contexte culturel local. Son rôle est de maîtriser la langue qu’il enseigne et d’analyser « la
relation particulière entre l’environnement culturel de son enseignement et la langue et la culture qu’il
enseigne16. L’enseignant dans cette situation se trouve face à l’identité sociale et à l’altérité.
Les textes littéraires ont une finalité strictement linguistique, ils ont pour objectif de
transmettre le côté purement linguistique de la langue française en négligeant le côté
15
Zarate G., Représentations de l’étranger et didactique des langues, Paris : Didier, 1993, p50. 16
Idem, p.70.
131
culturel. Le passage d’une culture à une autre, selon Zarate, ne se fait pas à travers des textes
littéraires qui ont des finalités strictement linguistiques.
L’auteure propose une solidarité d’intérêts entre l’apprentissage linguistique et la
démarche et la découverte culturelle. Selon Zarate, les frontières entre la linguistique et le
culturel s’absentent quand on invite l’élève à :
1 – Rechercher et expliquer des implicites ;
2 – Mettre en relation des pratiques quotidiennes socialement différenciées ;
3 – Évaluer la pertinence sociologique des informations disponibles ;
La mise en relation de deux cultures exige, selon Zarate, la maîtrise de l’environnement
culturel étranger, un métalangage (stéréotype, race, nationalité etc.) et une analyse réflexive des
représentations de la culture étrangère et de la culture maternelle. L’enseignement-
apprentissage du FLE constitue un terrain favorable à l’enculturation. Dans ce sens premier
l’enculturation signifie : « Le processus par lequel l’individu acquiert la culture de son groupe, de sa
classe, de son segment ou de sa société… »17
Pour ce faire, l’enseignant développe chez son apprenant le goût des langues, le désir
de connaître l’Autre à travers la langue française (pour le ca du FLE), la volonté de
rencontre entre les hommes. Ainsi, les deux partenaires de l’action pédagogique (enseignant
et apprenant) s’ouvrent à l’écoute des différences. Ils s’érigent en traducteurs d’émotions et
de sentiments et adaptent des attitudes, gestes de l’Autre sans oublier leur propre système
socioculturel propre.
Ainsi, ils vont créer un nouvel espace-classe culturel, un univers de médiation entre les
différentes cultures à la fois individuelles et collectives, étrangères et communes. Sans
omettre que tout comportement s’explique par son rapport au contexte socio-historique et
culturel qui lui a donné naissance.
En d’autres termes, il y a urgence de renouveler la mission éducative en facilitant
l’accès à l’interculturel par l’ouverture sur l’environnement social et mondial dans la
perspective de développer le contact des cultures et des hommes par le biais du contact des
langues. Par ailleurs, cette nouvelle pédagogie dite interculturelle, présuppose une véritable
17
Spindler G., in André Thevenin, Enseigner les différences, Coll. La pédagogie des cultures étrangères, Editions
Etudes Vivantes, Paris, 1980, p.50. (cité Par Dakhia Abdelouahab, Dimension pragmatique et ressources
didactiques d’une connivence culturelle en FLE, Thèse de dioctorat, 2005, p.261)
132
révolution des mentalités des deux partenaires : enseignant/apprenant. Ces derniers, seront
libérés de l’emprise du monolinguisme et du monoculturalisme.
3-2-5 L’analyse thématique et lexicale des textes littéraires choisis
Nous essayerons maintenant, de faire le point dur les contenus interculturels que
contiennent les thèmes des textes littéraires choisis du manuel scolaire de 4ème AM. Pour ce
faire, nous avons pris 13 textes littéraires traitant des thèmes variés, ces textes font le
support d’activités de compréhension, de lexique, de syntaxe, de lecture plaisir et
d’expression écrite.
Texte n°1 : page 140 :
« La Grèce nous apparut sous un ciel clair, comme nous l’avions imaginée : des montagnes grises couvertes de maquis, des rochers nus, des falaises, des îles, des côtes profondément échancrées et cette mer bleue qui pénètre partout. L’avion volait bas et le bleu de la mer montait vers nous, splendide et pur. Sans cette mer, on aurait pu se croire au dessus des Hauts- Plateaux, car les maisons ont la blancheur des villes sans fumée et les montagnes dénudées qui dominent la plaine ressemblent aux contreforts désolés qui barrent certains horizons du Sud algérien. Mais une fois au cœur d’Athènes, la pénible impression que produisit sur nous ce contraste de couleurs se dissipa un peu et nous ne tardâmes pas à retrouver notre chère Grèce : celle de nos livres d’histoire ancienne dont les photos nous revenaient une à une en mémoire et que nous voulions d’abord saluer. Voici, dominant l’immense agglomération des maisons blanches, l’Acropole et le Parthénon illuminés, somptueux sous le soleil couchant. […] Pour ma part, j’avais un objectif très précis : il me fallait ici retrouver ma Kabylie natale, ses villages accrochés aux sommets, ses rudes montagnards, ses ânes intrépides, ses chèvres capricieuses, ses oliviers et ses figuiers. A vrai dire, j’ai retrouvé un peu tout cela, simplement parce que nous sommes riverains d’une même mer, tributaires d’un même climat et fixés sur la même rocaille. M. Feraoun, Le voyage en Grèce Texte n°2 : Page 160 :
Nous fîmes notre entrée à Janina. Il fallut tout de suite deviner que Janina signifiait jardinet, diminutif de ‘’jenan’’ qui est le ‘’jardin’’ en arabe, en turc, en kabyle. Les beaux platanes de ce jardin se mirent dans un lac splendide, de même qu’un palais mauresque avec un minaret très fin, très élégant et très haut. C’est là, nous expliqua-t-on, le palais du pacha Ali, un pacha des mille et une nuits qui gouverna jadis la région. Janina recèle tous les charmes d’une petite ville de province, un peu vieillotte et endormie mais pleine de santé et de confiance comme une paysanne naïve qui n’attend rien de personne. A la terrasse des cafés, on peut regarder les passants tuer le temps comme tous les consommateurs, on peut écouter la musique au rythme lent et se voir offrir le spectacle des danses locales. Cela ne dépend que du hasard. Dans la rue, on côtoie tout le peuple de la ville, apparemment heureux de vivre en dehors, en foule. Oui, c’était bien là une ville de province accueillante où il n’y avait de curieux que cette soudaine apparition d’experts internationaux qui eurent vite fait de se confondre avec les gens de la ville et qui passèrent inaperçus dès qu’ils eurent fini de parcourir la grand-rue. » M. Feraoun, Le voyage en Grèce.
133
a. Le Voyage en Grèce : un voyage pour la découverte de l’Autre chez
Mouloud Feraoun
Les textes ci-dessus s’insèrent dans la séquence « Décrire pour inciter à la
découverte (le reportage) », dont les objectifs visés dans cette séquence est la mise en valeur
d’un lieu par la description de sa beauté naturelle et architecturale ou par son patrimoine
archéologique afin d’inciter le lecteur à le visiter et le découvrir.
Afin de lire ou repérer le contenu (inter)culturel que véhiculent ces textes de M.
Feraoun, nous allons procéder à une lecture analytique de ces deux textes.
Comme son titre l’indique, ces deux extraits de l’œuvre de M.Feraoun « L’anniversaire »,
appartient au genre littéraire appelé « Le récit de voyage ». Les deux textes tels qu’ils sont
présentés, et les questionnaires tels qu’ils sont élaborés ne permettraient en aucun cas aux
élèves de 4ème AM de repérer tout contenu culturel, surtout, le connoté et l’implicite.
Une telle démarche nécessite donc une analyse minutieuse et approfondie du texte
dans son ensemble (rapport de l’extrait avec l’œuvre tout entière, la biographie de l’auteur et
surtout le contexte socio-historique de sa parution).
Procéder à une telle analyse, c’est donc lire le texte dans son aspect référentiel, appelé
aussi aspect symbolique et culturel. La nécessité de la référence dans la compréhension d’un
texte, Paul Ricœur, la résume : « Le texte […] n’est pas sans référence, ce sera précisément la tâche
de la lecture, en tant qu’interprétation, d’effectuer la référence».18
A notre sens, la démarche de lecture telle qu’elle est préconisée aux élèves, et bien
entendu, suivant les objectifs visés n’est à leur profit que si le texte est accompagné d’une
fiche biographique (de l’auteur) explicative.
Nous avons procéder à l’explication de l’idée de « voyage ». Ces textes laissent
entrevoir l’idée du voyage réel et initiatique où la recherche de soi est primordiale. A juste
titre, Mireille Djaider et Nadjet Khadda écrivent : « Le voyage se réoriente donc en itinéraire
18
Paul Ricœur (1986), in Adam, j.-M., Les textes: types et prototypes, Nathan, 1997.
134
intérieur qui n’est pas repli sur soi mais expérience de la différence.19» Le récit de voyage fut,
durant plusieurs siècles, la porte ouverte sur le monde étranger et inconnu.
.
En effet, on peut voyager par dilettantisme comme on peut sillonner les terres et les
mers pour aller à la rencontre d’une certaine instruction. Le but visé est de parfaire sa propre
culture, son propre savoir. Autrement dit, Apprendre, s’instruire, mieux se connaître,
prendre plus de distance vis-à-vis de sa propre société peuvent constituer les raisons d’un
voyage. Mais elles ne sont pas les seules.
Le désir de découvrir, d’apprendre, de connaître l’Autre, de se documenter constituent
le soubassement essentiel de tout périple à l’étranger. Mais aller à la découverte de l’inconnu
c’est aussi voyager à l’intérieur de soi-même. Mouloud Feraoun, qui visite pour la première
fois la Grèce, le pays du passé fabuleux, se surprend à y chercher sa Kabylie natale : « Pour
ma part j’avais un objectif très précis : il me fallait retrouver à tout prix ma Kabylie natale, ses
villages accrochés aux sommets, ses rudes montagnards, ses ânes intrépides, ses chèvres capricieuses, ses
oliviers et ses figuiers.»
b. Identité/Altérité deux maîtres mots d'une rencontre entre deux rives
Nous avons pu constater que la littérature est, en quelque sorte, une passerelle utile
pour nous comprendre nous- même, dans notre subjectivité. En un mot, pour prendre
conscience de notre identité culturelle et nationale. La littérature serait aussi, un tremplin
qui nous permettrait de partir à la découverte de l’Autre. Ainsi, M. Feraoun écrit : « A vrai
dire, j’ai retrouvé un peu tout cela, simplement parce que nous sommes riverains d’une même mer,
tributaires d’un même climat et fixés sur la même rocaille.»
A ce propos, Emanuelle Burri dit qu’ : « En partant à la découverte de l'Autre, on est amené
à se découvrir Soi-même en tant que cet Autre nous enrichit et nous confère une part de notre propre
identité»20. M. Feraoun s’est découvert soi-même en découvrant l’Autre, l’étranger. Ainsi il
écrit : «« Pour ma part j’avais un objectif très précis : il me fallait retrouver à tout prix ma Kabylie
natale ». Cette ressemblance au niveau des paysages car la Grèce et l’Algérie sont riveraines
de la même mer et tributaires du même climat. Ce magnifique pays avec qui nous sommes
liés à travers l’histoire. Et le meilleur exemple est le nom de la province « Janina » : « Il fallut
19
Mireille Djaider et Nadjet Khadda, « Dans les jardins de l’Orient : rencontres symboliques » in Christiane
Achour et Dalila Morsly, Voyager en langues et en littératures, Alger, OPU, 1990, p.217. 20
Emanuelle Burri, cité par Radenkovic, A-G, Op. Cit. p.87.
135
tout de suite deviner que Janina signifiait jardinet, diminutif de ‘’jenan’’ qui est le ‘’jardin’’ en arabe,
en turc, en kabyle. »
En plus du sens étymologique du mot « Janina » comme preuve d’un passé partagé et
des racines communes, le palais des mille et une nuits du monarque turc Ali Pacha qui
gouverna jadis la région, est chargé d’Histoire. C’est une référence au passé glorieux de la
civilisation musulmane, avant la chute de l’Empire ottoman.
L’auteur plaide pour l’ouverture vers l’Autre, car avec ce dernier nous avons des
liens qui remontent à la nuit des temps. Il condamne le rejet de l’Autre ou le repli sur soi et
l’enfermement. En effet, le rejet de l’autre, et le refus de tout contact de quelque nature que
ce soit, avec l’étranger, sa dénégation pour ainsi dire entraînerait inexorablement le repli sur
soi, et condamnerait l'apprenant au cloisonnement culturel dont on sait qu'ils sont un terrain
favorable aux extrémismes et aux chauvinismes. Ce faisant, on empêcherait de la sorte toute
distanciation par rapport à soi et tout contact avec l'autre et donc on priverait l'apprenant de
quoi objectiver sa culture maternelle pour éventuellement la réajuster mais également
regarder l'autre, peut-être, sous un nouveau jour !
c. La méditerranée : lieu d’affrontement du Moi contre l’Autre
La ville d’Athènes comme Alger, est liée à la mer, et plus intimement encore à cette
Méditerranée qui est son socle fondateur. L’Histoire atteste que cette dimension
méditerranéenne de la Grèce et de l’Algérie s’est forgée au contact des cités européennes et
quelquefois rivales dans un espace naturellement commun. Du coup, ce sont toutes les
mythologies qui rendent compte du vieux fonds civilisationnel d’Alger et d’Athènes qui
prennent le large.
Ce qui nous permet de dire que tout leur vient de la mer : leur longue histoire et leurs
cultures comme toutes les grandes cités méditerranéennes. L’auteur décrit le monde avec les
systèmes de symboles comme représentations originelles. Ainsi, l’espace-mer récupère sa
fonction mythique attestée par la quasi-totalité des contextes culturels. C’est comme si
Feroun nous disait que nous sommes tous enfants de cette mer méditerranéenne,
maghrébins et européens constituent les deux faces d’une même pièce symbolisée par la mer
méditerranéenne.
Su le plan symbolique, l’espace marin, à la fois, comme creuset primordial de la vie et
de l’origine, et source originelle de tout. Ce faisant, en accordant la primauté au code
symbolique, l’espace de la mer, dont la présence est toujours euphorisante devient le lieu
136
symbolique de l’affrontement du Moi contre l’Autre, de la lumière contre les ténèbres, de la
raison contre la barbarie, de la naissance contre la mort.
Toutes ces informations d’ordre historiques, politiques, symboliques et culturelles
contribueront à la formation interculturelle des élèves en enrichissant leurs connaissances
culturelles. Une telle démarche serait accompagnée de réussite à condition qu’elle soit
dépourvue de tout phénomène de stéréotypie. Pour ce faire, l’enseignant doit veiller à insérer
ses objectifs ainsi leurs que leurs contenus dans le cadre d’une formation à la découverte de
l’Autre et rien d’autre.
d. Le désert, la poétique d’ouverture, du déplacement, de l’errance
Les textes ci-dessous ne s’insèrent pas dans le même projet ni la même séquence, par
contre nous les avons réunit par le fait qu’ils abordent une thématique unique « le désert ou
le Sahara ».
Les élèves de 4ème AM s’identifieront facilement à ce lieu à la fois magique et féerique.
Le Sahara englobe trois tiers du territoire national. Il est mondialement connu et convoité.
Par son coucher de soleil unique, ses dunes de sable d’or, l’immensité et l’étendue à perte de
vue de sa superficie, ses mystères et ses légendes millénaires, les élèves établiront sans
difficultés le lien avec cette région de leur pays qui constitue une partie de leur identité
nationale.
Avant d’aborder le contenu de ces trois textes, rappelons que les 3 textes bien qu’ils
appartiennent à des projets et unités didactiques différents, ils ont un dénominateur commun
« le thème abordé ». De M. Mokkedem, à I. Jarry, en passant par I. Eberhardt, les trois
auteures ont adopté le désert ou le Sahara comme lieu d’ancrage spatio-temporel, et les
nomades (les hommes du désert) et leur mode de vie comme sujet d’écriture.
137
Texte 03: Page : 118 :
« Les caravanes de sel » « Venus d’Arabie, au XIe siècle, nos ancêtres trouvèrent un autre désert pareil au leur. Ils s’y établirent. Nous descendons de ceux-là, des ‘’hommes qui marchent’’. Ils vivaient de peu de chose, sillonnant le désert de part en part … Des caravanes de cotonnade ! Une vie de marche, de sueur, de soif et de lassitude… Parfois la halte d’une oasis. Les caravanes du sel restent pour moi un conte de lumière argentée et de silence ! Je vous les raconterai un jour… Depuis, nos ancêtres avaient gardé le même mode de vie. Ils marchaient […]. Nous sommes de ceux-là, des ‘’hommes qui marchent’’. Ils possédaient quelques moutons, chèvres et chameaux et faisaient du trafic. En fait de trafic, il s’agissait surtout de troc. Tapis, burnous, djellabas, kheimas échangés contre du blé, du thé, du sucre, de l’huile ou du sel. Le sel était une monnaie d’échange. Ils le prenaient aux sebkhas et allaient le porter là où il manquait. » Malika Mokkedem, Les hommes qui marchent.
Le texte (1) de Malika Mokkedem « Les caravanes de sel », extrait de l’œuvre Les
hommes qui marchent (1986), s’insère dans la séquence 3 « Argumenter dans la fable », dans
l’activité d’« Evaluation certificative » du second projet.
Pour procéder à une analyse analytique de ce texte, le questionnaire accompagné sert
de facilitateur. Il est demandé aux élèves en premier lieu de relever le champ lexical de
« désert », cela permettra à l’élève de cerner le thème de notre texte. Nous pouvons relever :
(Arabie, hommes qui marchent, des caravanes de thé, de sel et de cotonnade, une vie de
marche, la sueur, la soif, la lassitude, oasis, chameaux, chèvres, tapis, djellabas, kheimas,
sebkha…etc.)
En relevant tous ces mots, l’élève se familiarise avec la culture des nomades, ces
hommes qui marchent sans arrêt et qui vivent dans le sud algérien. C’est une rencontre avec
sa culture, son identité. L’auteure invite au retour au passé, à renouer avec nos origines, nos
ancêtres, notre Histoire et notre identité. Les élèves vont découvrir une partie d’eux-mêmes.
Ils s’y reconnaîtront dans ces éléments de la culture du sud de leur pays.
Cependant, le questionnaire tel qu’il est élaboré ne permettrait pas de cerner l’enjeu
interculturel que véhicule ce texte de M. Mokkedem. Une telle procédure nécessite une
analyse minutieuse et approfondie des symboles et des mythes que véhicule le texte dans son
ensemble (rapport de l’extrait avec l’œuvre tout entière).
138
Dans ces conditions, nous avons opté pour une analyse thématique du texte à partir
des questionnements apportés par l’auteure, sur l’identité, les origines, l’aliénation,… etc.que
nous tenterons d’illustrer et d’expliquer tout au long des paragraphes suivants.
L’ancrage spatial du désert constitue une preuve de renouveau et de modernité de
l’écriture de M. Mokkedem. A l’accoutumé, les thèmes majeurs des écrivains maghrébins
sont ancrés dans les espaces habituels : l’appartement, la ville, le souk, la compagne…etc. Le
symbole de la terre (mère-patrie) est abandonné pour celui du désert. Le désert désigne un
processus psychanalytique de la quête de soi de l’écrivaine M. Mokkedem.
Ainsi, évoquer les ancêtres, les origines l’auteure écrit : « Venus d’Arabie, au XIe siècle,
nos ancêtres trouvèrent un autre désert pareil au leur. Ils s’y établirent. Nos descendons de ceux-là, des
‘’hommes qui marchent’’ », ce retour au passé est un moyen de se sentir en sécurité, car le
passé représente les valeurs authentiques, sécurisantes, sûres. Elle dit : « Depuis, nos ancêtres
avaient gardé le même mode de vie », cette phrase signifie, qu’une même culture millénaire est
restée inchangée, stable. C’est un moyen de se sentir en sécurité face à l’agression de la
modernité symbolisée par la ville.
Le texte de M. Mokkedem enseigne les origines et la transgression de ses origines.
Elle plaide pour un métissage bien biologique- M. Mokkedem étant fille du désert et de
l’oralité, petite fille d’une nomade bédouine, héritière du sang noir d’un ancêtre africain que
culturel. Son identité s’est aussi nourrie de la culture occidentale transmise par les lectures et
l’écriture.
A partir d’un lieu et d’une culture, en l’occurrence le désert, qui forgera chez M.
Mokkedem, cette poétique de l’ouverture, du déplacement, de l’errance, qui n’est pas en
contradiction avec l’enracinement. Elle écrit :« Ils possédaient quelques moutons, chèvres et
chameaux et faisaient du trafic. En fait de trafic, il s’agissait surtout de troc. Tapis, burnous,
djellabas, kheimas échangés contre du blé, du thé, du sucre, de l’huile ou du sel. Le sel était une
monnaie d’échange. Ils le prenaient aux sebkhas et allaient le porter là où il manquait » tous ces
objets, détails, mode de vie, les activités économiques (le troque), la monnaie d’échange
renseignent sur la culture des nomades. Elle définit leur vision du monde, leur façon de
vivre. Elle les révèle au monde, aux étrangers, à l’Autre dans la perspective de préservation
et de défense contre l’occidentalisation de ce territoire et sa mondialisation.
« Nous descendons de ceux-là, des ‘’hommes qui marchent’’. Ils vivaient de peu de chose,
sillonnant le désert de part en part … Des caravanes de cotonnade ! Une vie de marche, de sueur, de
139
soif et de lassitude… Parfois la halte d’une oasis. Les caravanes du sel restent pour moi un conte de
lumière argentée et de silence ! ».
La poétique au féminin singulier de M. Mokkedem, est une pensée qui préserve des
pensées du système qui fonctionne selon le principe des mythes fondateurs qui, tel que
l’explique E. Glissant en 1995 : « est de consacrer la présence d’une communauté sur un territoire,
en rattachant par filiation légitime cette présence, ce présent a une genèse, à une création du monde».
En d’autres termes, l’auteure quand elle parle des origines, des ancêtres, ces nomades ou ces
hommes qui marchent en permanence, elle dénonce toute vision monolithique et unitaire
d’une nation, d’une culture ou d’une identité, qui , selon elle, sert avant tout à asseoir une
idéologie. Il s’agit, en fait, d’une rupture avec une définition identitaire par l’origine.
L’auteure est contre la pensée de la racine unique. Elle prend ses distances par
rapport à une identité figée et unitaire car la conception d’une identité condamnée à mourir
parce qu’elle se rétrécit à force de se fermer à l’autre, en remplaçant l’idée de l’unicité par
celle de la multiplicité, la vocation d’enracinement par la vocation de l’errance. C’est pour
cela que le texte de M. Mokkedem valorise les territoires de l’errance, de la marge, de
l’entre-deux, se réinventant sans cesse dans ses déplacements, selon le principe de la marche
nomade.
A cette pensée de l’Un et de l’unité qui implique que « toute identité est une identité à
racine unique et exclusive de l’Autre21» E. Glissant y oppose le modèle d’une culture composite,
« créolisée » : « Une rencontre d’éléments culturels venus d’horizons absolument divers et qui
réellement se créolisent, qui réellement s’imbriquent et se confondent l’un dans l’autre pour donner
quelque chose d’absolument imprévisible, d’absolument nouveau. »22
Dans le même ordre d’idées Lévi-Strauss affirme que « Toute société, toute culture sont
constituées de sédimentations imbriquées les unes dans les autres.»23 Ce sont ces contacts, ces
brassages, ces échanges continus entre les peuples qui, ayant mis des siècles à pétrir la pâte
raciale, ont fini par façonner cette fresque culturelle humaine.
Pour évoquer la racine unique et récuser la théorie le l’origine unique, le choix du
thème du désert dans l’écriture de M. Mokkedem et d’I. Eberhardt, pour ressurgir le mythe
de l’origine par la symbolique de la vie nomade, sans frontières de langue, de race ou de
21
Glissant, E., L’Introduction à une Poétique du Divers, Montréal : PUM, 1995, p23. 22
Ibid. p.15. 23
Lévi-Strauss, C., Tristes tropiques, Plon, 1953, in Louis Porcher, Le Français langue étrangère, Ed. Hachette
Education, Paris, 1995, p.58.
140
couleur de peau. De Même pour Théodore Monod, dans sa description du mode de vie des
hommes du désert, c’est un hymne à la vie nomade disparue. Ainsi, le désert représente un
espace fondamental, espace métonymique et métaphorique, en d’autres termes, le désert est
un espace complexe, c’est un lieu d’enfermement et de mort. Pour M.Mokeddem, c’est son
lieu identitaire car elle est née à Kenadsas dans l’ouest du désert algérien.
A partir d’un lieu et d’une culture, en l’occurrence le désert, elle a forgé cette
poétique de l’ouverture, du déplacement, de l’errance. L’auteure se situe entre différentes
cultures et son écriture se situe dans un contexte culturel hybride, refusant l’unicité dans la
définition de l’identité.
« L’espace sédentaire est strié, par des murs, des clôtures et des chemins entre des clôtures tandis que
l’espace nomade est lisse, seulement marqué par des « traits » qui s’effacent et se déplacent avec le
trajet. » 24 cela dit, les sédentaires sont mal perçus par les nomades.
M. Mokeddem revendique le principe d’hybridité et de métissage entre les cultures.
Sa pensée va à contre courant d’une définition identitaire par l’origine et ce en battant en
brèche le discours d’ordre historique, politique, social basé sur l’idée d’homogénéité et de
l’unité.
Texte : 04 : Page : 148
De tous les souvenirs étranges, de toutes les impressions que me laissa mon séjour à El Oued… le plus profond, le plus singulier est le spectacle unique qu’il me fut donné de contempler pour une claire matinée d’hiver, de cet hiver magique de là-bas, ensoleillé et limpide comme un printemps. Le jour se levait. L’aube est l’heure charmante entre toutes, au désert. L’air est léger et pur, une brise fraîche murmure doucement dans le feuillage épais et dur des palmiers, au fond des étranges jardins. Aucune parole ne saurait rendre ces instants enchantés, dans la grande paix du désert. Isabelle Eberhardt, Ecrits sur le sable. Le texte d’Isabelle Eberhardt, extrait de l’œuvre Ecrits sur le sable, qui remonte au
début du XXe siècle, s’insère dans la séquence 2 « Décrire pour inciter à la découverte (le
reportage) », dans l’activité « Grammaire pour lire et écrire », du second projet.
A la lecture de ce texte, les élèves vont parcourir une topographie qu’ils connaissent
bien. Le nom « El Oued » va sonner fort chez eux. Il indique une région du sud-est algérien.
24
Deleuze, G., & Guattari, F., Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie, Vol II, Paris, Ed. de Minuit, 1995,
p.472.
141
Donc, nous sommes toujours au sud, mais cette fois-ci, ce n’est plus les nomades qui feront
l’objet de l’émerveillement de l’auteure mais le lever du jour à l’aube d’un matin hivernal
dans ce beau coin du sud algérien. « De tous les souvenirs étranges, de toutes les impressions que me
laissa mon séjour à El Oued… le plus profond, le plus singulier est le spectacle unique qu’il me fut
donné de contempler pour une claire matinée d’hiver, de cet hiver magique de là-bas, ensoleillé et
limpide comme un printemps. Le jour se levait».
Cependant, la beauté du désert, dans ce texte, est chantée, non pas par un Même, un
natif, un autochtone, mais par une Autre, une étrangère, une européenne, il s’agit d’un regard
enchanté d’un Autre à l’endroit du Même. Un regard d’Isabelle Eberhardt vers l’Algérie, El
Oued précisément.
Si dans le récit de voyage de M. Feraoun, il est question d’un Même, un algérien qui va
décrire la beauté d’un pays européen (la Grèce), dans le récit d’I. Eberhardt, c’est l’Autre,
l’étranger qui va s’établir chez nous, embrasser notre culture et nos coutumes, qui va parler
de nous, de notre pays. Mais qui est Isabelle Eberhardt ?
Evoquer Isabelle Eberhardt, c’est parler d’un symbole d’ouverture, de contact avec
l’Autre, d’échange, de dialogue interculturel et d’amour entre les peuples. Elle embrasse la
culture nomade des bédouins, elle se convertit à l’Islam et se marie avec un arabe. Par son
parcours et sa vie insolites, elle dénoue tous les complexes péjoratifs qui bâillonnent les
langues muselées. Sa vie est un hymne à l’amour entre les hommes, au dialogue interculturel
et civilisationnel.
Ce texte est un extrait de son récit de voyage « Ecrits sur le sable ». Elle quitte Genève
pour s’installer à l’Est Algérien puis au Sahara. Elle rencontre le chef religieux Sidi Lachemi
Ben Brahim et se convertit à l’Islam, par la suite, elle s’initie au soufisme dans la confrérie
Kadiria. Mariée avec Slimane Ehnni. Ecrivain-voyageur, elle parcourt le désert algérien,
adopte la religion musulmane, et partage le quotidien avec les bédouins.
Dans ce texte elle traduit sa fascination et son émerveillement devant le spectacle
magique que lui offre le désert algérien. « El Oued », ce nom évoque un espace et une région
du sud-est algérien. Ce lieu féerique inspire ces sensations à fleur de peau de cette immense
écrivaine fille-adoptive du désert algérien. Eberhardt nous apparaît comblée de bonheur dans
cette terre de manque et de solitude. Ne sentant aucune souffrance ou de nostalgie pour sa
terre-mère européenne. Elle se sente chez elle, parmi les siens.
142
Ce qui nous amène à dire qu’I. Eberhardt nous donne une leçon d’ouverture sur
l’Autre qu’elle réapproprie en Moi. Elle a dépassé les stéréotypes et les clichés charriés par
l’idéologie colonialiste qui considère les habitants des colonies comme des êtres bas et
inférieurs. Bien que son écriture s’inscrit dans la littérature exotique, sa vie d’homme corrige
toutes les bévues de cette littérature qui adopte le cadre algérien (paysage, reliefs
barbaresques, habitudes) en le maintenant dans son infériorité. L’auteure s’oppose à
l’occidentalisation de son continent d’adoption l’Afrique. Elle s’oppose à la sédentarisation
des nomades.
En situation de classe et pour bien saisir le sens d’un texte et atteindre sa signification
profonde, l’on doit d’abord l’inscrire dans son contexte socio-historique, ensuite aborder la
vie de son auteur. Sinon une grande part d’explication et d’éclaircissement va manquer à
l’apprenant pour qu’il puisse atteindre le sens du texte.
Texte n°5 : Page 42 : Les hommes du désert (Théodore Monod parle des choses étonnantes qu’il a découvertes lors de ses nombreux voyages dans le Sahara) Les nomades ont cultivé un instinct extraordinaire des formes et de l’orientation dans le paysage. L’orientation est pour eux une chose si fondamentale qu’ils se trouvent orientés en permanence. Assis à une table, un nomade ne vous dira pas : « Passez-moi la moutarde qui est à droite », mais « Passez-moi la moutarde qui est au sud-est ». Et cela partout : bien qu’il soit dans un lieu fermé, il sait où sont les points cardinaux. J’ai fait une fois une expérience. Je demandais de jour en jour à mes compagnons la direction d’un point d’eau qui était au nord de notre route, très loin. Chaque jour ils indiquaient exactement la direction du point d’eau dont je leur avais donné le nom, alors que nous avions fait de la route et que l’orientation avait changé. Autre grande qualité : les nomades n’oublient jamais les itinéraires qu’ils ont parcourus. Un homme qui a fait un trajet dans sa jeunesse ou dans son adolescence, le refera à l’âge de quarante ou cinquante ans. Les nomades se racontent entre eux ces itinéraires. Ils se décrivent, de proche en proche, un itinéraire qui peut être de 500 Km de long. Celui qui a écouté a tout enregistré, et l’histoire va se dérouler dans sa tête au cours du voyage. Autre capacité incroyable : voilà des gens qui partent à la recherche d’un pâturage quand ils ont vu des éclairs ou entendu le tonnerre, en se disant qu’il a peut être plu dans cette direction. Alors ils vont voir, ils ne sont pas à cet ou deux cents Km près. Ils quittent le campement avec rien, une petite outre (guerba) ou deux, un peu de farine, de la viande séchée quand ils en ont. Il s’agit de trouver le pâturage, et d’y mener ensuite le campement. Isabelle Jarry, Théodore Monod
143
Le texte (3) d’Isabelle Jarry, extrait de l’œuvre Théodore Monod, s’insère dans la
séquence 3 « Expliquer pour témoigner », dans l’activité de « Lecture Compréhension », du
premier projet.
Avant de procéder à une analyse approfondie (biographie de l’auteur, le contexte
socio-historique, le rapport avec l’œuvre entière,…), la réponse au questionnaire qui
l’accompagne nous semble très intéressante dans le repérage du contenu culturel véhiculé
par l’auteure.
D’abord, l’on s’interroge sur la thématique, et la réponse est bien donné au début du
texte, le titre « Les hommes du désert ». Ensuite, la question est portée sur les qualités des
nomades. Les qualités des nomades résument un mode de vie, une culture et une identité
propre à ces nomades. Enfin, l’on se demande si Monod se contente uniquement d’informer
ou bien il porte une appréciation à valeur de témoignage sur ce qu’il raconte ? Et là, c’est le
côté subjectif, émotionnel et personnel que l’on extrait pour juger le degré d’implication de
Monod.
L’ensemble des ces informations constitue une mine de connaissance sur la culture des
nomades, leur mode de vie et leur vision du monde. C’est en partie, la naissance inconnu qui
semble inconnu pour les élèves, et ce texte a valeur de témoignage et de document sur un
monde caché et inconnu.
Sauf que ces informations sont insuffisantes pour rendre compte de la profondeur du
texte et de son auteur. Et pour atteindre cette signification profonde, il va falloir lire le texte
sous plusieurs aspects : la biographie de l’auteur de ce témoignage, le référent culturel, le
code symbolique,…etc.
Le texte d’Isabelle Jarry extrait de Théodore Monod, évoque la vie et le mode de vie
des hommes du désert (les nomades). C’est un hymne à la vie nomade disparue. C’est la
révélation d’une société, d’une culture et d’une identité d’un peuple qui a adopté le désert
comme cadre et lieu de vie, par un européen nommé T. Monod. Mais qui est Théodore
Monod ?
T. Monod n'est pas qu'un scientifique chevronné aux expériences extrêmes, sa quête
de cailloux se double d'une réflexion profonde sur le sens de la vie et la marche du monde. Le
scientifique se fait pédagogue pour expliquer le désert. La vie et l’œuvre de T. Monod ne
peuvent être dissociées de l’image du désert. La mémoire collective conserve l’image du
144
vieillard marcheur du désert, de l’aventurier solitaire. Pour lui le désert est une philosophie,
un cadre de pensée. " Le désert en tant que tel est très émouvant. On ne peut pas rester insensible à la
beauté du désert. Le désert est propre et ne ment pas (…). Le désert appartient à ces paysages capables
de faire naître en vous certaines interrogations. "
Le voyage au désert est synonyme d'austérité, de simplicité et de dépouillement, à
l'extérieur comme de l'intérieur. C’est la rencontre avec l’Autre, l’inconnu, l’homme du
désert, les nomade. Il voulait s'approprier ce milieu hostile entre tous à l'égal des hommes
qui y étaient nés (les nomades). Son vrai moteur était l'aventure, la découverte et le
dépassement de soi. Il était le dernier des naturalistes du XVIIIe siècle par sa conception des
sciences naturelles comme " l'exploration systématique de notre planète et l'inventaire de ses
richesses ".
Le marcheur du désert savait savourer le bonheur des haltes, la cérémonie du thé,
les nuits salvatrices avant une nouvelle journée de souffrances, la mélancolie de la fin du
voyage qui pousse à de nouveaux départs, les qualités étonnantes des nomades :
« Les nomades ont cultivé un instinct extraordinaire des formes et de l’orientation dans le paysage.
L’orientation est pour eux une chose si fondamentale qu’ils se trouvent orientés en permanence »,
« bien qu’il soit dans un lieu fermé, il sait où sont les points cardinaux. »
« Les nomades n’oublient jamais les itinéraires qu’ils ont parcourus »,
« Des gens qui partent à la recherche d’un pâturage quand ils ont vu des éclairs ou entendu le
tonnerre, en se disant qu’il a peut-être plu dans cette direction. Alors ils vont voir, ils ne sont pas à cent
ou deux cents Km près. Ils quittent le campement avec rien, une petite outre (guerba) ou deux, un peu
de farine, de la viande séchée quand ils en ont. Il s’agit de trouver le pâturage, et d’y mener ensuite le
campement. »
L'univers de Théodore Monod est en voie d'extinction. Le monde des nomades a peu
à peu été rattrapé et étouffé par le monde sédentaire qui ne peut supporter son esprit de
liberté, son mépris de frontières si chèrement acquises. À la disparition du monde nomade
qu'il avait fait sien, il répond par la fatalité, mais il aura passé sa vie à nous compter les
merveilles de la planète pour nous apprendre à la respecter. Sa conception du voyage est une
leçon de vie : la connaissance de l'Autre suppose un véritable effort de tolérance et
d'ouverture d'esprit.
145
Théodore a la certitude que " la connaissance de l'autre implique d'adopter le point de vue
de l'autre. (…) Ce qu'il faudrait, c'est toujours concéder à son prochain une parcelle de vérité ".
Théodore Monod a sûrement mis en pratique cette théorie au contact des nomades.
En définitive, le salut de l'humanité passerait par l'écoute et la compréhension
réciproque. Théodore Monod n'a pas seulement fait de sa vie un exemple, il a aussi milité
pour les causes qu'il croyait justes. Elles sont multiples : dialogue entre les cultures et les
religions, défense des droits des animaux, lutte contre la guerre d'Algérie et l'arme atomique,
ou plus récemment, pour le droit au logement ou les sans-papiers.
Les espoirs que Théodore Monod plaçait dans l'humanité se sont tour à tour brisés au
fil du siècle qu'il a traversé. Il a connu l'antisémitisme jusqu'à l'horreur dont il a souffert (sa
femme était juive), et contre lequel il s'est battu, puis il s'est engagé contre toutes les formes
de mépris de la vie. Il a dénoncé la guerre d'Algérie et a ouvertement critiqué les méthodes
de l'armée dans les camps de prisonniers. Signataire du manifeste des 121, il y a perdu son
poste à l'IFAN, mais il a lutté avec fierté contre la colonisation et l'oppression de l'homme
par l'homme.
En guise de synthèse, les trois auteures : M. Mokeddem, I. Jarry, I. Eberhardt, ces «
nomades visiteurs » dressent entre les lieux des liens que leurs textes maintiennent et tissent.
Il y a ainsi, à travers cette revendication de l’« errance enracinée » le désir d’appartenir à tous
les lieux de la terre, à la rupture de lieu après la déchirure originelle ouvrant justement le
lien sur une « aire de l’immense » où d’autres lieux se déploient.
En d’autres termes, les 3 textes sont traversés par une réflexion qui, contre le
cloisonnement des aires topographiques, géographiques et culturelles, appelle à une
meilleure appréhension du monde. « Écrire, c’est dire le monde 25», « Ouvrez au monde le champ
de votre identité.26» Naître au monde, c’est concevoir ce dernier comme une nécessité
composée de transition ouverte entre le Moi et l’Autre. L’écriture est en effet une aire de
rencontre qui vise à créer le contact et le rapprochement entre les hommes.
25
Ibidem, p.119. 26
Ibidem, p.68.
146
Ecritures, vecteurs d’identité: entre dévoilement et affirmation du Moi chez M.
Feraoun, M. Dib, M. Haddad et R. Mimouni
Dans les années 50, décrire comme Feraoun, Dib, Haddad à des lecteurs français la
vie quotidienne en Algérie (la kabylie, Tlemcen, Constantine…, etc) pouvait servir la cause
de l’Algérie devant l’opinion publique internationale qui ne s’émeut pas pour ce qu’elle ne
connaît pas. Prouver aux autres qu’on existait était une manière de battre en brèche la
répression et la négation coloniales. C’est le projet même de Feraoun : maîtriser assez le «
bien dire » de l’Autre pour le retourner contre lui, pour lui prouver aussi qu’on existe.
Ainsi s’élaborent, à partir de et dans la langue française, des stratégies de détour, de
contestation et de création. Ces langages se veulent stratégies de sortie de la langue-
empreinte qui est aussi emprise; ils disent la résistance et la ruse, nés « d’un refus inconscient
du processus d’assimilation 27». L’écrivain autochtone s’étant approprié ce moyen d’expression
affirme sa présence au monde, se pose en interlocuteur tout en étant le porte-parole de sa
communauté.
L’Histoire française est aliénante parce qu’elle englobe l’Histoire du Maghreb ou
d’autres contrées du défunt empire colonial français dans l’Histoire de la conquête et de la
colonisation ; parce qu’elle en tait les épisodes douloureux, à savoir ceux qui contestent la
domination française ou blanche, parce qu’elle donne son point de vue et ordonne les faits
selon sa propre logique. L’écrivain maghrébin conteste cette logique, ce logos. Il déchire à
travers son œuvre, le tissu narratif de l’Historiographie officielle pour faire apparaître les
mensonges, les oublis, pour découdre ce qu’elle a cousu arbitrairement.
La littérature maghrébine n’est pas un simple miroir de la société maghrébine,
d’une part elle est toujours attachée à un contexte sociohistorique, dont elle fait partie et elle
ne peut pas être assimilée en dehors de ce contexte sociohistorique, d’autre part, elle est une
production culturelle et une manière de concevoir le monde. Aujourd’hui, nous rencontrons
l’autre sur Internet, en vacances, dans les films, les débats littéraires, politiques…etc. Mais la
littérature maghrébine reste comme une fenêtre sur l’autre, et nous offre une occasion de
rencontre entre soi et l’autre. Elle occupe une place particulière dans la construction des
discours sur l’autre.
27
Glissant, E., Le Discours antillais, Gallimard, Paris, 1987, « Folio », Paris, 1997, p.130.
147
Dans le champ de la littérature maghrébine d’expression française, la question de
l’identité est liée à la lutte armée pendant la période coloniale. La quête de l’identité
culturelle, dans la littérature algérienne, s’explique à travers trois niveaux : un amour infini
pour le retour aux sources et une affirmation de soi face à l’autre. Une recherche de soi et
une réponse à certaines interrogations comme : « Qui suis-je ? » et « Quel est mon pays ? ».
La rencontre et la découverte de l’autre s’établissent comme le premier pas pour
établir un rapport d’amour. Dans la rencontre nous regardons l’autre, en communicant avec
lui, en aimant l’autre et en prenant surtout une image et une idée sur ce dernier. L’idée que
l’on se fait de l’autre est un prolongement du soi et de son interval référentiel. L’amour
permet d’expliquer la nature des rencontres culturelles, idéologiques, communautaires et
même politiques et nous donne une meilleure explication de la bipolarité : Soi vs l’Autre, des
notions qui sont à la fois complémentaires et contradictoires et allant parfois dans le même
sens, ce qu’affirme Edmund Husserl dans Les Méditations Cartésiennes par: «Un moi ne
s’identifie à lui-même qu’à la condition de s’identifier par différenciation ou par contraste avec le moi
d’un autrui qu’il n’est pas. » 28
A titre d’exemple, les extraits de M. Feraoun constituent une mise en texte d’un
dialogue entre soi et l’autre. C’est aussi un acte de culture et un travail long pour exprimer
notre identité à la fois sociale et culturelle. L’amour fleurit dans ces deux extraits, dans une
série de rencontres : rencontre entre Soi et l’Autre lorsque la mémoire de M. Feraoun
convoque le souvenir de sa Kabylie natale par la ressemblance géographique des deux rives,
rencontres entre colonisateur et colonisés, rencontre entre la ville et la montagne, rencontre
entre racines et valeurs arabo - musulmanes ou berbères avec racines et valeurs occidentales
ou européennes lorsque il évoque l’origine étymologique du mot « Janina » comme pour
aborder l’histoire commune et le rapport d’échange culturel entre les deux rives. C’est dans
la perspective du dialogue interculturel et le contact des civilisations que le texte feraounien
trouve sa place.
L’amour de l’identité et l’amour de l’altérité se présentent sous forme d’un dialogue
entre Soi et l’Autre, un dialogue qui met en valeur la nécessité de l’épanouissement envers
l’autre. Ces deux textes sont un dialogue dont l’amour est la clé. Ce dialogue revêt un sens
28
Husserl Edmund, Les médiations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, Bibliothèque des textes
philosophiques, Paris, 1992, p.67.
148
nouveau dans le cadre des recherches portant sur l’identité et l’altérité. Il devient un outil
pour créer un nouveau monde.
Texte 06 : Page 147 : « Du haut du village, ils purent admirer une bonne partie de la Kabylie : au nord, le massif des Ait Djenad qui se dresse comme une barrière imposante devant la Méditerranée ; au sud, le Djurdjura qui semble cacher aux regards un monde imaginaire, très différent du nôtre. En ce mois d’avril au ciel bleu, ses sommets sont encore couverts d’une neige éblouissante. […]. A l’est et à l’ouest, partout des collines, des montagnes, des vallées profondes et étroites où se devinent des rivières qui toutes vont se rejoindre là-bas, dans la plaine. Mouloud Feraoun, La terre et le sang. Le texte de Mouloud Feraoun extrait de l’œuvre La terre et le sang, s’insère dans la
Séquence 2 « Décrire pour inciter à la découverte (le reportage) », dans l’activité de
« Grammaire pour lire et écrire », du troisième projet.
Le questionnaire qu’il accompagne permet aux apprenants de dégager le thème de la
description proposée ainsi que de repérer les indicateurs de lieu car c’est l’objectif de
l’activité proposée. En effet, ce questionnaire ne permet pas de repérer le contenu
socioculturel du texte.
Une telle démarche exige une analyse détaillée et approfondie du texte de Feraoun
dans son ensemble (rapport de l’extrait avec l’œuvre tout entière). Pour ce faire, il faut aussi
aborder la biographie et le parcours de l’auteur ainsi que le courant littéraire auquel il est
rattaché, et surtout, le contexte socio-historique de la production de l’œuvre.
Le deuxième livre de Feraoun La Terre et le Sang fut publié en 1953, pour lequel il
obtient le prix populiste. Il aborde dans ce roman un thème extrêmement marquant :
l'émigration que Feraoun a connu par son père. Le roman est tiré d'une histoire véridique. Le
récit débute par l'arrivée d'Amer Oukaci à son village natal Ighil Nezman, chez sa mère
Kamouma, après une longue absence en France. Amer est arrivé au village accompagné par
sa jeune femme Marie, une métropolitaine qui va apprendre à vivre avec lui dans une société
où tout lui est étranger. Malgré cela la Française va pouvoir s'adapter à la vie dans la société
et le mode de vie kabyle, d'ailleurs, elle sera complètement assimilée.
Le retour d'Amer Oukaci dans ce roman connote le retour à la terre mère, aux racines
et aux origines, d'ailleurs le titre lui même nous révèle deux symboles fondateurs de la
149
personnalité de chaque individu, cela représente les origines, l'identité, l'appartenance de
chacun de nous. C'est ce que Feraoun appelle dans son roman "une inexplicable nostalgie" qui
pousse Amer à retourner chez lui pour retrouver son identité. Pour Feraoun, c'est un roman
qui traduit l'âme kabyle, c'est une représentation complète de la société traditionnelle.
Fidèle à la linéarité et au réalisme de ses récits, Mouloud Feraoun construit son
roman autour des isotopies de la « terre » et du « sang ». Amer a rompu le lien ombilical
avec sa terre et a laissé s’échapper son sang. Il doit maintenant les reconquérir. À son insu, il
se coupera définitivement de la première et profanera encore une fois le second. Il s’agit, pour
M. Feraoun, d’écrire pour affirmer son identité et pour dénoncer les clichés et les préjugés
raciaux charriés par la littérature colonialiste. Cette dernière, évoquait l’indigène comme
élément d’un décor pittoresque, il n’est pas décrit comme personne vivant dans sa terre, doté
d’une culture et vivant au sein d’une communauté sociale organisée. Il est dépourvu de sa
terre et de sa culture, allant jusqu’à l’assimiler et l’acculturer pour éteindre une fois pour
toute son identité millénaire. En d’autres termes, c’est l’affrontement du Même et de l’Autre.
Ce texte est perçu comme un désir d’affirmation d’une identité bafouée et d’un déni
culturel. L’auteur, par le choix délibéré d’un titre métonymique, connoté et concentré. La
terre, au sens psychanalytique évoque l’enracinement, l’attachement aux origines, la
sécurité : « Le massif des Ait Djenad qui se dresse comme une barrière imposante devant la
Méditerranée ; au sud, le Djurdjura qui semble cacher aux regards un monde imaginaire, très
différent du nôtre ».
Dans leur ouvrage intitulé Clefs pour la lecture des récits, Christian Achour et Amina
Bekkat, affirme que : «Après le titre, l'un des premiers contacts que le lecteur prend avec la fonction
référentielle dans une œuvre narrative est celui du nom. Noms des lieux (toponymes), ils "classent"
l'œuvre dans un espace géographique, parfois historique et social. Ils marquent une interaction
constante entre fiction, référence et expérience»29.
Dans le texte de M. Feraoun extrait de son œuvre La terre et le sang une
présence/existence du sujet algérien (kabyle) dans sa différence au regard ethnocentriste de
l’Autre (le français). Il adresse une invitation à une compréhension universelle, à une
reconnaissance. Car, comme le met en avant Charles Taylor : « Reconnaître l’Autre dans sa
culture, c’est donc le reconnaître dans son humanité. C’est aussi affirmer la sienne propre. Pour [les
29
Achour Christiane, Bekkat Amina, Clefs pour la lecture des récits, Convergences critiques II, Editions du Tell,
2002.
150
deux] protagonistes, le processus de reconnaissance ne peut être alors qu’un processus de
transformation. Une épreuve au sens propre du mot, c’est-à-dire un passage au-delà de la violence.
Autrement dit une reconnaissance qui […] modifie, à plus ou moins long terme, les identités et les
cultures. Il s’agit d’une reconnaissance transformante»30.
Le terme « reconnaissance » est défini comme « reconnaître comme sien, comme vrai, réel
ou légitime ». En lui se trouvent les particules « re- » et « co- » et le mot « naître » ; la
reconnaissance serait-elle donc une co-naissance sans cesse renouvelée qui transforme les
individus et les sociétés ? Si nous nous référons au processus de construction de l’identité, la
réponse est oui : en re-co-naissant l’Autre nous construisons notre identité, nous re-naissons
à nous-mêmes avec une identité un brin différente de celle qui précédait cette rencontre avec
l’Autre.
La rencontre avec l’Autre comme passerelle incontournable à la construction de
l’identité se fait à plusieurs niveaux et tout au long de l’évolution de l’individu, depuis sa
naissance jusqu’à sa mort. La confrontation à l’Autre nous permet donc de construire une
réciprocité de sens de ce que nous sommes. Selon la notion de l’« intervalorisation» mise en
avant par Édouard Glissant lorsqu’il définit l’identité comme rhizome ; non plus comme une
racine unique, mais comme une racine à la rencontre d’autres racines.
Adoptant une vision de l’intérieur, Feraoun se situe à l’opposé du regard folklorique
des touristes. Il évoque l’admiration des sites merveilleux, des paysages qui semblent pleins
de poésie de la kabylie ainsi que les mœurs des pauvres villageois. Loin d’un simple regard
des touristes, M. Feraoun révèle la conscience d’une humanité en train de se chercher, l’idée
qu’il n’y a pas de réponse à la grande question « Qui suis-je ? », et pour répondre, il faudrait
sans doute accepter de se perdre pour gagner des suppléments d’altérité, seuls capables de
nous grandir, de nous augmenter.
La terre est le symbole de la mère-Patrie, ou bien l’espace maternel, c’et-à-dire les
racines, les origines, l’identité (le moi), alors que les montagnes hospitalières représentent un
refuge séculaire de l’âme kabyle « qui semble cacher aux regards un monde imaginaire, très
différent du nôtre ». Ainsi, les montagnes couvertes de neige, un ciel bleu et des
rivières…etc., tous ces éléments d’un paysage imprenable. L’engouement de peindre la 30
Taylor, C., Les ressources du moi. La formation de l’identité moderne, Seuil, Paris, 1988, cité par Jaques
Audinet, Le temps du métissage, Les Editions de l’Atelier/ Les Editions Ouvrières, Paris 1999, p.36.
151
beauté des paysages d’un coin oublié, inconnu et méconnu de l’Autre, éclaire le projet
didactique qui oriente une telle littérature dont le but humaniste et universaliste est de
familiariser « le monde » avec cet « indigène » que l’idéologie dominante présentait- entre
autre par le biais du roman exotique et/ou colonial- comme étrange, voire barbare.
La description topographique de la Kabylie est un dévoilement d’une partie du
monde, avec sa population, ses traditions, sa culture et son identité à l’Autre. Il s’agit de
libérer l’homme algérien de l’anonymat et de l’effacement que veulent lui infliger les autres
hommes. Car dévoiler des aspects occultés de sa société, c’est inviter les siens à mieux se
connaître pour ensuite être connus et reconnus par les autres.
Ainsi, ce texte traduit une tentative d’œuvrer pour la désaliénation de l’Algérie, voire
du Maghreb et la récupération de son identité, c’est-à-dire présenter sa culture et la culture
française dans un rapport d’égalité.
Son texte témoigne d’un enracinement total dans sa terre millénaire. C’est une plongée
atavique dans les sillons fécondants d’une terre meurtrie par l’acte déshumanisé de la
colonisation.
Texte n° 07 : Page : (45-51-57-58)
« La Patrie » (Omar, un des personnages de « La grande Maison » de l’écrivain M. Dib, est un jeune garçon très pauvre qui fréquente l’école. L’Algérie est alors un pays colonisé) Le maître, d’une voix claironnante, annonça : -Morale ! Leçon de morale. Omar en profiterait pour mastiquer le pain qui était dans sa poche et qu’il n’avait pas pu donner à Veste-de-kaki. Le maître fit quelques pas entre les tables ; les chuchotements s’évanouirent. L’accalmie envahit la salle de classe comme par enchantement. Mais en dépit de leur immobilité et de leur application, il flottait une joie légère, aérienne, dansante comme une lumière. M. Hassan, satisfait, marcha jusqu’à son bureau, où il feuilleta un gros cahier. Il proclama : -La Patrie. L’indifférence accueillit cette nouvelle. On ne comprit pas. Le mot, campé en l’air, se balançait. – Qui d’entre vous sait ce que veut dire : Patrie ? Les élèves cherchèrent autour d’eux, leurs regards se promenèrent entre les tables, sur les murs, à travers les fenêtres, au plafond, sur la figure du maître ; il apparut avec évidence qu’elle n’était pas là. Patrie n’était pas dans la classe. Les élèves se dévisagèrent. Certains se plaçaient hors du débat et patientaient benoîtement. Brahim Bali pointa le doigt en l’air. Tiens, celui-là ! Il savait donc ? Bien sûr. Il redoublait, il était au coutant. -La France est notre mère Patrie, ânonna Brahim. Les élèves serrés, Omar pétrissait une petite boule de pain dans sa bouche. La France, capitale Paris. Il savait ça. Les Français qu’on aperçoit en ville viennent de ce pays. La France, un dessin en
152
plusieurs couleurs. Comment ce pays si lointain est-il sa mère ? Sa mère est à la maison, c’est Aini ; il n’en a pas deux. Aini n’est pas la France. Rien de commun. Omar venait de surprendre un mensonge. Patrie ou pas patrie, la France n’était pas sa mère. Il apprenait des mensonges pour éviter la fameuse baguette d’olivier. C’était ça, les études. Les rédactions : décrivez une veillée au coin du feu… Pour les mettre en train, M. Hassan leur faisait des lectures où il était question d’enfants qui se penchent studieusement sur leurs livres. La lampe projette sa clarté sur la table. Papa, enfoncé dans un fauteuil, lit son journal et maman fait de la broderie. Alors Omar était obligé de mentir. Il complétait : le feu qui flambe dans la cheminée, le tic-tac de la pendule, la douce atmosphère du foyer pendant qu’il pleut, vente et fait nuit dehors. Ah ! Comme on se sent bien au coin du feu ! Ainsi : la maison de compagne où vous passez vos vacances. Le lierre grimpe sur la façade ; le ruisseau gazouille dans le pré voisin. L’air est pur, quel bonheur de respirer à pleins poumons ! Ainsi : la cuisine. Les rangées de casseroles sont si bien astiquées et si reluisantes qu’on peut s’y regarder. Ainsi : Noël. L’arbre de Noël qu’on plante chez soi, les fils d’or et d’argent, les boules multicolores, les jouets qu’on découvre dans les chaussures. Ainsi, les gâteaux de l’Aïd- Seghir, le mouton qu’on égorge à l’Aid –Kebir… Ainsi la vie ! Les élèves entre eux disaient : celui qui sait le mieux mentir, le mieux arranger son mensonge, est le meilleur de la classe. Omar pensait au goût du pain dans sa bouche : le maître, près de lui, réimposait l’ordre. Une perpétuelle lutte soulevait la force animée et liquide contre la force statique et rectiligne de la discipline. M. Hassan ouvrit la leçon. –La Patrie est la terre des pères. Le pays où l’on est fixé depuis plusieurs générations. Il s’étendit là-dessus, développa, expliqua. Les enfants enregistraient. –La Partie n’est pas seulement le sol sur lequel on vit, mais aussi l’ensemble de ses habitants et tout ce qui s’y trouve. Quand de l’extérieur viennent des étrangers qui prétendent être les maîtres, la patrie est en danger. Ces étrangers sont des ennemis contre lesquels toute la population doit défendre la patrie menacée. Il est alors question de guerre. Les habitants doivent défendre la patrie au prix de leur existence. Quel était son pays ? Omar eût aimé que le maître le dît, pour savoir. Quels étaient les ennemis de son pays, de sa patrie ? Omar n’osait pas ouvrir la bouche pour poser ces questions à cause du goût du pain. –ceux qui aiment particulièrement leur patrie et agissent pour son bien, dans son intérêt, s’appellent des patriotes. Omar, surpris, entendit le maître parler en arabe. Lui qui le leur défendait ! Par exemple ! C’était la première fois ! Bien qu’il n’ignorât pas que le maître était musulman- il s’appelait M. Hassan- ni où il habitait, Omar n’en revenait pas. Il n’aurait même pas su dire s’il était possible à M. Hassan de s’exprimer en arabe. D’une voix basse, où perçait une violence qui intriguait : -Ce n’est pas vrai, fit-il, si on vous dit que la France est votre patrie. M. Hassan se ressaisit. Mais pendant quelques minutes il parut agité. Il semblait être sur le point de dire quelque chose encore. Mais quoi ? Une force plus grande que lui l’en empêchait-elle ? Ainsi, il n’apprit pas aux enfants quelle était leur patrie.
D’après M. Dib, La Grande Maison. Le texte (6) de Mohammed Dib « La Patrie », extrait de l’œuvre La Grande Maison,
la première de la trilogie « Algérie », parue en 1952 en plein guerre de libération. Le texte
« Partie » s’insère dans la séquence 3 « Expliquer pour témoigner », dans l’activité de
« Lecture plaisir », du premier projet.
153
Dans chaque séquence, on introduit un extrait relativement long pour l’activité de
« lecture plaisir ». il s’agit, en effet, d’une activité de lecture supplémentaire, dans laquelle
l’apprenant va réaliser une double tâche : d’une part, il s’exerce à lire couramment et enrichir
son vocabulaire, d’autre part, il découvre de nouveaux textes, appartenant à des auteurs
inconnus, des thématiques nouvelle, des cultures et des civilisations étrangères…etc. En
bref, l’apprenant complète sa formation en plus des cours de langue et des activités de
compréhension écrite/orale.
Rappelons que lors de « lecture plaisir », le texte support n’est pas accompagné de
questionnaire qui facilitera la compréhension. Donc, la tâche incombe à l’enseignant qui
s’efforcera tout au long de l’activité à :
1) Expliquer le sens du texte ainsi que le thème abordé ;
2) Présenter l’auteur ;
3) Situer l’œuvre dans son contexte socio-historique ;
4) Eclairer le style et l’écriture de l’auteur ;
Ce qui nous amène à déduire que cette activité de « lecture plaisir » s’avère très ardue à
réaliser, compte tenu, du peu de temps qui lui est attribuée.
Avant de procéder à l’analyse détaillée de ce texte, afin d’extraire le contenu
interculturel, objet de notre analyse, signalons au passage que le texte de Mohammed Dib
n’est pas accompagné ni de questionnaire, ni d’illustration.
Cependant, les apprenants réagiront positivement à ce texte. Car le nom de M. Dib est
une constante dans la littérature algérienne, et La Grande Maison est insérée dans la
patrimoine culturel national. Depuis l’adaptation de l’œuvre à l’écran, par le réalisateur
algérien Mustapha Badie, l’œuvre est inculquée dans la mémoire et l’imaginaire collectifs.
La Grande Maison : Dar sbitar est une de ces vieilles habitations de Tlemcen où
s’entassent de nombreux locataires qui utilisent en commun le patio et les toilettes. Univers
réduit aux espaces dans lesquels peut évoluer le héros, Omar un enfant de 10 ans (la maison,
l’école, les rues avoisinantes, la place, le marché). C’est aussi le lieu surpeuplé où se
concentrent et se répercutent les problèmes et les drames des masses populaires sous la
colonisation ; plus exactement dans l’année qui précéda la deuxième guerre mondiale. Le
réalisme de l’œuvre est sans conteste, comme le confirme son créateur : « Tout ce qui est dit à
154
propos d’Omar et de son milieu a été pris directement dans la réalité. Il n’y a pas de détail- aucun, je
puis vous l’affirmer- qui ait été inventé ».
M. Dib est, sans doute, l’écrivain algérien de langue française qui, depuis 1950,
produit le plus continûment. Son œuvre, en prise directe sur l’Histoire et la lecture critique
du présent. Les circonstances historiques ont donc amené cet ainé de la littérature algérienne
d’expression française à écrire d’abord et avant tout pour affirmer son identité et pour
dénoncer l’horreur de la colonisation et l’image négative qu’avait l’Autre sur son peuple.
En d’autres termes, M. Dib s’inscrit dans l’évocation ethnographique des mœurs de
sa communauté et propose une vision d’universalité. Son texte continue de poser des
problèmes essentiels. Elle s’est attachée à dévoiler les contradictions et les transformations
de la société algérienne, l’influence de l’école républicaine française, le déchirement entre
respect des coutumes traditionnelles et modernisation inéluctable et le besoin vital d’exister.
C’est l’intrusion coloniale qui va générer l’affirmation du sujet qui osera dire « Je » pour
marquer une altérité face au colon. Pour Paul Ricoeur l’altérité n’est pas première: « Il faut
qu’il y ait d’abord et fondamentalement un sujet capable de dire « Je » pour faire l’épreuve de la
confrontation avec l’autre 31».
Cependant ce « Je » ne sera – dans un premier temps – que le porte parole de la
collectivité (la société algérienne) afin de dénoncer les méfaits de la colonisation dans ce que
Jean Dejeux, dans un article intitulé : « L’émergence du ‘’Je’’ dans la littérature maghrébine de
langue française, appelle un « noussoiment » qui « n’est ni un « Je » égoïste, ni un « Il » aussi
abstrait qu’impersonnel, mais un « nous » terriblement exigeant et foncièrement ambivalent32 ». Ce
sont les débuts de la guerre de libération qui marquent un tournant dans la littérature
algérienne qui, à partir de 1954, perd son label de littérature de formation pour devenir une
littérature de dénonciation.
Le texte extrait de l’œuvre La Grande Maison de M. Dib, publiée en 1952, raconte
une scène qui se déroule dans un lieu fort symbolique « l’école ». L’auteur met en scène deux
protagonistes représentatifs de la société de l’époque. D’un côté, l’administration coloniale
incarnée par son appareil idéologique « l’école » donc l’enseignant M. Hassan, les élèves
31
Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Ed. Folio Gallimard, Paris, 1996. 32
Gilles Charpentier, Evolution et structures du roman maghrébin de langue française, Université de
Sherbrooke (Québec), 1977, cité par Jean Dejeux.
155
indigènes qui représente les bas fonds le l’Algérie sous le joug de la colonisation, d’un autre
côté.
Le choix du lieu de « l’école » n’est pas fortuit. Il est lourd en significations. D’abord
l’école c’est un lieu symbolique de par sa fonction socialisante. C’est à l’école que sévit
l’assimilation et l’acculturation des indigènes. M.Dib met la lumière sur les centaines
d’indigènes induits en erreur en croyant aux idéaux de la révolution française incarnés par
le triptyque : liberté, égalité fraternité. Il met l’accent sur le grand mensonge de l’histoire : la
Patrie c’est la France, l’origine des algériens sont les gaulois, la nation algérienne n’existe
pas…etc. c’est un effacement total de l’algérien comme être humai, nord- Africain,
possédant une terre nommée « Algérie », une culture particulière, des croyances, un histoire,
des ancêtres…etc.
Il s’agit pour l’auteur de dénoncer les mensonges diffusés par l’institution scolaire
coloniale, c’est la rébellion contre l’idéologie assimilationniste véhiculée par l’appareil
idéologique que constitue l’école. En d’autres termes, c’est une mise en garde adressée aux
intellectuels algériens par le miroir aux alouettes de l’assimilation. Ainsi, ce texte s’inscrit
dans la perspective de conservation d’une différence face à l’Autre, différence enrichie par le
travail de confrontation/appropriation du même et de l’Autre.
Cette scène pédagogique met en exergue l’affrontement de la contradiction
fondamentale du rapport des intellectuels du début du XXe siècle à la modernité politique et
culturelle véhiculée par l’acculturation coloniale. La domination française, par la
restructuration globale de la société qu’elle opère et par les nouvelles valeurs qu’elle diffuse,
en particulier, par l’intermédiaire du système scolaire. Mais cette notion de « patrie » est
donc un processus équivoque.
Il s’agit de déclencher la prise de conscience de véritable nature du colonialisme.
Autrement dit, déclencher un processus de démythification des mythes : « Le mythe de
colonisation humaniste» et la mission « civilisatrice » véhiculés par le système scolaire, en
mettant en évidence les différences entre colonisateur et colonisé et faire de l’indigène l’égal
de l’européen.
Ce mensonge est magnifiquement mis en exergue par Mohamed Dib. Au début de
La Grande maison, roman publié en 1952, mais dont l’action se situe en 1939- 1940,
156
Mohammed Dib fait évoluer un maître d’école et ses élèves dans le bled algérien; le moment
choisi est celui d’un cours de morale:
« Le maître fit quelques pas entre les tables. [...] L’accalmie envahit la salle de classe comme par
enchantement. [...] M. Hassan satisfait, marcha jusqu’à son bureau, où il feuilleta un gros cahier. Il
proclama:
- La Patrie. L’indifférence accueillit cette nouvelle. On ne comprit pas.
- Qui d’entre vous sait ce que veut dire: Patrie ? [...] Les élèves cherchèrent autour d’eux, leurs
regards se posèrent entre les tables, sur les murs, à travers les fenêtres, au plafond, sur la figure du
maître; il apparut avec évidence qu’elle n’était pas là. Patrie n’était pas dans la classe».
Un des élèves, Brahim Bahi, ose proposer une réponse: « La France est notre mère
Patrie ». Mais le narrateur s’empresse de préciser que cet élève annone; puis il attire
l’attention du lecteur sur un autre élève, Omar, qui se démarque de ses camarades. Plutôt
que de répéter mécaniquement lui aussi la réponse donnée par Brahim Bahi, il développe de
plus en plus de doute sur la véracité des enseignements du système scolaire en vigueur. Ses
réflexions sont ainsi traduites par le narrateur: « La France, capitale Paris. Il savait ça [...] La
France, un dessin en plusieurs couleurs. Comment ce pays si lointain est-il sa mère ? Sa mère est à la
maison, c’est Aïni; il n’en a pas deux, Aïni n’est pas la France. Rien de commun. Omar venait de
surprendre un mensonge. Patrie ou pas patrie, la France n’était pas sa mère. Il apprenait des
mensonges pour éviter la fameuse baguette d’olivier. C’était ça, les études».
Finalement, tous ses camarades adhèrent à cette distanciation: ils sont désormais
d’avis que celui qui sait le mieux mentir, le mieux arranger son mensonge, est le meilleur
élève de la classe. Dans ces passages, l’écrivain met à nu les desseins du système scolaire
colonial. Car un système producteur de mensonges ne peut que fabriquer des citoyens en
réalité dépersonnalisés, donc incapables d’avoir une perception identitaire et nationalitaire en
phase avec les véritables intérêts du pays natal.
C’est une démonstration pédagogique de l’inanité de l’idéologie assimilationniste. Elle
est un chantage odieux car, au mieux, elle offre une illusion de liberté à quelques individus
appartenant à une communauté globalement dominée, qui ne peuvent ainsi devenir que des
auxiliaires des maîtres c’est-à-dire des traîtres. L’assimilé est nécessairement un renégat
pour sa communauté d’origine et pour lui-même.
Ainsi, proclamer le non-être du soi collectif pour accéder à une assimilation
individuelle à l’autre, tel est le marché qu’aucun écrivain algérien n’acceptera.
La crainte d’être dissout- de ne plus être – accroît aussi la difficulté de la saisie, car il n’est
plus question de diviser pour régner mais d’unir pour dominer. C’est cette domination en
157
filigrane qui provoque le refus de tout un chacun. En effet, « le problème fondamental de la
résistance et de la révolte des populations exclues du schéma général reste insoluble quel que soit
l’instrument utilisé.»33
Ce questionnement de la littérature maghrébine d’expression française sur l’identité
et la nation controversées est pertinent, car depuis 1830, la colonisation française dans tous
les domaines possibles, s’évertuait à éradiquer tout culte de la différence, pour lui substituer
celui de l’arrimage à tout prix à cette identité de la Métropole que le maître tente d’imposer à
ses élèves dans le roman de Mohammed Dib. Ce travail d’éradication de la mémoire
collective et de l’identité originelle est encore plus pertinent dans les manuels d’histoire. C’est
donc le rapport à l’Autre —ou à soi en fonction de l’Autre— qui est en jeu sous des formes
imaginaires, fantasmées, idéologisées, etc.
Il en ressort que les identités sont des réalités d’ordre discursif, construites
historiquement et donc susceptibles d’être déconstruites notamment par les écrivains. C’est
le souhait qu’exprime l’écrivain américano- palestinien Edward Saïd :
« Je pense que l’identité est le fruit d’une volonté. Qu’est-ce qui nous empêche, dans cette identité
volontaire, de rassembler plusieurs identités ? Pourquoi ne pas ouvrir nos esprits aux Autres ? Voilà
un vrai projet 34».
Cette citation d’Edward Saïd pose une question cardinale. Comment l’individu peut-
il aujourd’hui dépasser le conflit culturel de sa propre contingence politique, eu égard au fait
que sa nature n’est destinée à accomplir rien de particulier, pas même de vivre ensemble ?
Tel est l’enjeu contemporain des sociétés à l’ère de la mondialisation quelles soient
occidentales ou du Sud, car les relations du Même avec l’Autre ont ancré dans la topologie des
territoires – avec comme corollaires des frontières – ou des idéologies, leurs rapports de
domination, de pouvoir ou ponctuellement de co- existence pacifique.
33
Yves Eudes, La conquête des esprits. L’appareil d’exportation culturelle américaine, FM/ Cahiers libres 366,
Paris, 1982, p16. Cité par Dakhia Abdelouhab, in Dimension pragmatique et ressources didactiques d’une
connivence culturelle en FLE, Thèse de doctorat d’Etat, Université de Batna, 2005, p.127. 34
Edward S., Ne renonçons pas à la coexistence avec les juifs, interview au Nouvel Observateur, 16 janvier
1997.
158
Texte : 08 Page : 106 (Saïd, un ingénieur algérien se retrouve à Aix-en-Provence pendant la guerre de libération). Mais vous, Saïd, vous n’êtes pas comme les autres. Avec vous on peut discuter. On peut vous inviter. Vous n’êtes pas comme les autres. On n’a pas ce réflexe de peur. Avec vous, on peut s’entendre. Erreur ! Je suis comme les autres et mes bachots n’ajoutent rien, n’enlèvent rien. Je suis comme les autres. Je dis ma mère comme ils disent leur mère. J’embrasse mes enfants comme ils embrassent leurs enfants. Je crains une rafe comme ils craignent les rafles. Je suis comme les autres. Tout me rattache à eux, tout m’identifie à eux. Je ne suis moi-même qu’avec eux. L’arbre a choisi sa forêt, la note sa symphonie. Les seuls à me comprendre réellement sont les miens. Malek Haddad, La Dernière impression. Le texte ci-dessus est un extrait de l’œuvre de l’écrivain algérien Malek Haddad La
Dernière impression, parue en 1958. Ce texte s’insère dans la séquence 3 « Argumenter dans la
fable », dans l’activité « Grammaire pour lire et écrire », du deuxième projet.
Avant de procéder à l’analyse approfondie du texte de M. Haddad, nous allons d’abord
présenter l’auteur, en donnant quelques éléments d’information sur sa vie d’intellectuel
algérien, en plein guerre de libération, et son œuvre La Dernière impression.
Malek Haddad faisait partie de cette catégorie d'intellectuels concernée par ce
tournant de l'histoire. Il publia son premier roman La Dernière Impression en 1958, c'est-à-
dire quatre ans après novembre 1954. L’auteur y fait référence à la guerre à travers son
personnage principal Said, chargé de faire sauter le pont qu’il a lui-même construit. La
deuxième allusion est que Saïd part en France pour se recueillir sur la tombe d’une amie
française tuée à Constantine par une balle perdue. Dans ce roman, le narrateur rêve d’un
monde d’amour et de paix. La notion de pont est un symbole de lien entre deux rives, deux
cultures. Un monde ou l'on peut construire des ponts sans qu'ils soient détruits:
Pour bien cerner le sens du texte, les apprenants seront amenés à répondre à un
questionnaire fort intéressant. Trois questions ont attirés notre attention plus que les
autres : « Vous n’êtes pas comme les autres. Qui sont ‘’les autres’’ ? », « Pour quelle raison pense-t-on
que Saïd n’est pas ‘’comme les autres’’ ? », « Quel mot revient souvent dans la réponse de Saïd ?
Qu’exprime ce mot ? ». A ces trois questions pertinentes nous proposons les réponses
suivantes :
159
1)- Vous n’êtes pas comme les autres. Qui sont ‘’les autres’’ ? Les autres ici, sont les algériens, les
compatriotes de Saïd, (un intellectuel algérien). Et le mot Autre (désigne les indigènes, les
colonisés) s’oppose au Même (l’intellectuel assimilé, aliéné).
2)- Pour quelle raison pense-t-on que Saïd n’est pas ‘’comme les autres’’ ? » Etant donné le statut
supérieur de Saïd (ingénieur), il est perçu comme un assimilé, c’est-à-dire un homme qui a
adhéré et adopté la culture de l’Autre, du français. Manger, s’habiller et parler comme les
français.
3)- Quel mot revient souvent dans la réponse de Saïd ? Qu’exprime ce mot ? » Le mot qui revient
souvent dans les répliques de Saïd est « je ». Ici, le mot « je » indique l’affirmation de Soi, de
distinguer, se démarquer de son interlocuteur. Le « je » s’oppose à l’ « Autre ». Saïd adhère
aux « nous » du texte, c’est-à-dire les algériens se démarque par rapport au français qui voit
Saïd comme un renégat de ses origines et ses racines. En effet, par l’emploi répétitif du « je »,
Saïd confirme son attachement à sa culture et son identité. Il refuse de se glisser dans la peau
d’un Autre, il refuse de porter le masque de l’assimilation et l’acculturation.
Cette scène constitue une démonstration pédagogique de l’inanité de l’idéologie
assimilationniste. Elle est un chantage odieux car, au mieux elle offre une illusion de liberté
à quelques individus appartenant à une communauté globalement dominée, qui ne peuvent
aussi devenir que des auxiliaires des maîtres c’est-à-dire des lâches. Ce texte de M. Haddad
entre en rébellion contre l’idéologie assimilationniste dont il fait le procès et dont il affirme
l’impossible réalisation.
Il s’agit de la confrontation entre la tentative de l’assimilation et le maintien de
l’identité, cette dernière sort victorieuse «Erreur ! Je suis comme les autres et mes bachots
n’ajoutent rien, n’enlèvent rien. Je suis comme les autres». Le discours de l’auteur a valeur d’une
mise en garde aux intellectuels algériens par le miroir aux alouettes de l’assimilation comme
l’a fait Mohammed Dib dans le texte précédent. Ce qui nous amène adire que le texte
s’inscrit dans la perspective de conservation d’une différence face à l’Autre, différence
enrichie par le travail de confrontation/appropriation du Même et de l’Autre.
Malek Haddad se projette dans ses personnages, parfois comme le héros Saïd, du
roman La Dernière Impression; en relevant "l’acculturation de l’intellectuel colonisé", située
entre son univers culturel d’écrivain de langue française et ses racines profondes
constantinoises. Pour mieux cerner les termes de cette problématique, le personnage
particulier de Saïd peut servir d’illustration.
160
En effet, Malek Haddad est écrivain mais surtout écrivain algérien, conscient de son
enracinement dans une aire identitaire, malgré le colonialisme. D’un autre côté, il a été formé
à l’école française, il est de culture française et s’exprime en langue française. Deux pôles se
dégagent donc ici: un pôle identitaire, celui de l’algérianisé et un pôle intellectuel celui de la
francité. Nous pourrions dégager quelques éléments référés à l’un ou à l’autre pôle chez le
personnage retenu.
Ainsi, l’algérianité inclut de prime abord le symbole de la mère patrie, identité
d’ailleurs souvent utilisée par les écrivains algériens. Dans La Dernière Impression. Saïd dit: "
Je suis comme les autres. Tout me rattache à eux, tout m’identifie à eux. Je ne suis moi-même qu’avec
eux. L’arbre a choisi sa forêt, la note sa symphonie. Les seuls à me comprendre réellement sont les
miens."
Puis plus, explicitement, l’Algérie elle-même est ce pays pour lequel on combat, on
s’exile et on écrit. Les deux éléments se rejoignent dans l’espace natal qu’est Constantine,
véritable mère patrie. Enfin dernier élément référé à l’algérianitè, celui de l’appartenance au
groupe « les miens ».
Texte n°09 : Page 69 :
Ma famille est issue d’une puissante tribu qui habite en haut, près du village Kedar. Autrefois, nous vivions unis et prospères sur de vastes terres exploitées dans l’indivision. Ces terres, dans l’indivision, contentaient tout le monde. Chacun exploitait la parcelle de son choix et il restait de bonnes terres non cultivées. Mais un colon du village, qui projetait d’étendre ses champs de vigne, soudoyait un membre de la tribu qui allait demander le partage des terres. C’était le meilleur moyen de semer la discorde parmi les membres de la tribu. Quelques voix avaient beau rappeler les mises en garde des ancêtres, rien n’y fut. La rage gagnait les cœurs. Rachid Mimouni, Le Fleuve détourné. Le texte ci-dessus extrait de l’œuvre de Rachid Mimouni Le Fleuve détourné, s’insère
dans la Séquence 1 « Argumenter dans le récit de science- fiction », dans l’activité
« Grammaire pour lire et écrire », du second projet.
Dans cette activité, il est demandé aux élèves de mettre les verbes donnés à l’infinitif
aux temps qui conviennent. Ce faisant, cet exercice ne répond en aucun cas à notre
préoccupation. Il s’agit, bien entendu, de la dimension (inter) culturelle du texte de Mimouni.
161
Rachid Mimouni est un algérien de la production romanesque post- indépendance. A
travers son écriture, on observe tout de suite une corrélation entre la littérature et l’Histoire
de l’Algérie. Elle est profondément engagée car elle s’inscrit dans un devenir historique en
même temps, elle a la volonté de proposer et de se battre pour un « autre » discours sur cette
même histoire, une autre façon d’approcher et de connaître la réalité historique. Il s’agit,
pour l’auteur, d’éclairer, dans une société qui est la sienne ses compatriotes, leur apprendre
qui sont-ils ? Quelle est leur culture ?
L’Histoire va constituer la principale source d’inspiration car ce « retour au passé »
est un moyen de se sentir en sécurité (les racines, la stabilité, les valeurs authentiques,
l’union, la tribu, le code d’honneur, l’identité, la culture millénaire, le mode de vie
ancestral) :« Ma famille est issue d’une puissante tribu qui habite en haut, près du village Kedar.
Autrefois, nous vivions unis et prospères sur de vastes terres exploitées dans l’indivision. »
Ce retour au passé est un moyen utilisé par le Moi pour se sentir en sécurité et se
défendre contre l’Autre, représenté dans ce texte par le colon : « Mais un colon du village, qui
projetait d’étendre ses champs de vigne, soudoyait un membre de la tribu qui allait demander le
partage des terres. »
En effet, le colon va incarner la menace de division, l’agression des valeurs
ancestrales, la disparition de l’identité et de la culture millénaire. C’est le spectre de la perte
de l’identité et des repères pour sombrer dans le déracinement, l’acculturation. Nous sommes
face à une crise identitaire des personnages.
Dans leur pays, ils vivent dans les endroits les plus défavorisés contrairement au
colonisateur « les colons » qui occupe les meilleurs terres, il est partout chez lui en Algérie
ou en France comme l'affirme Bouba Mohammedi, dans son ouvrage La Société Algérienne
Avant l'indépendance dans la littérature: « La colonisation ne va pas s'implanter uniformément mais
au contraire choisir les régions où elle s'établit en fonction de leur rentabilité. C'est pourquoi les
régions les plus riches, les terres les plus fertiles sont celles qui ont subi le plus fortement l'impact de la
colonisation terrienne».35
A propos des colons (Mahfoud Kaddache dit à ce propos qu'en janvier 1840 vingt-
cinq mille Européens s'installaient dans les grandes villes de l'Algérie à la mentalité de
35
Mohammedi- Tabti Bouba, La société algérienne avant l’indépendance dans la littérature, Office des
publications universitaires, Alger, 1986.
162
vainqueurs, privilégiés par leurs droits de citoyens et la supériorité de ses moyens
économiques et techniques : « Après la guerre franco-allemande de 1870, Paris offrit 100 000
hectares en Algérie aux habitants d'Alsace-Lorraine (…) La naturalisation, accordée au fils
d'étrangers, renforça la faible majorité française et cimenta un bloc qui se définit par la supériorité de
la civilisation française sur la civilisation musulmane et l'infériorité des "indigènes" par rapport aux
citoyens français».36 Cette émigration forcée, si nous pouvons la considérer ainsi, va engendrer
chez ces pauvres campagnards un changement dû au contact entre les différentes cultures de
groupes sociaux, notamment la culture occidentale.
Dans le roman maghrébin la ville symbolise « l’Autre », par contre la famille ou la
tribu représente « la sécurité » ancrée l’espace-terre. Ainsi, la terre au sens large est l’espace
maternel, celui des racines.37 En d’autres termes, c’est l’appel au peuple par les ancêtres pour
s’opposer et se libérer de l’oppression sous toutes les formes.
Texte n°10 : Page 90 :
(Azouz est le fils d’un immigré algérien. Il va à l’école. Son professeur est d’origine « pied-noir ») « - Azouz ! Vous savez comment on dit ‘le Maroc’ en arabe ? –Le Maroc, m’sieur, ça se dit el- marroc ! –On ne dit pas el- Maghreb ?-Ah non, m’sieur. Mon père et ma mère, ils disent jamais ce mot. Pour appeler un Marocain, ils disent Marrocci. –En arabe littéraire, on dit el- Maghreb. –J’ai déjà entendu mes parents prononcer ce mot. –Vous ne savez pas qu’en arabe on appelle le Maroc le « pays du soleil couchant » ? –Non, m’sieur. » Azouz Begag, Le Gone de Châaba
Le texte ci-dessus est un extrait de l’œuvre de Azouz Begag Le Gone de Châaba, parue
en 1986, s’insère dans la Séquence 2 « Expliquer pour faire prendre conscience », dans
l’activité « Grammaire pour lire et écrire » du deuxième projet.
Signalons au passage, que cet extrait est l’objet d’une activité de grammaire.
L’apprenant est censé réécrire ce texte/dialogue au style indirect. L’objectif visé est
d’apprendre aux élèves la concordance des temps au style direct/indirect.
Pour notre part, l’intérêt que nous portons à cet extrait ne se situe nullement au
niveau syntaxique ou grammatical. C’est sa dimension interculturelle qui nous intéresse.
36
Kaddache Mahfoud, La Conquête Coloniale et la Resistance, Editions Nathan- Enal, Algérie, 1988. 37
C. Bonn, La littérature algérienne de langue française et ses lecteurs, Paris, l’Harmattan, 1974, p20.
163
Avant de procéder à l’analyse détaillée du texte sous un angle socioculturel et interculturel,
il s’avère utile de présenter l’auteur en question, qui est A. Begag ?
L’œuvre d’Azouz Begag s’inscrit dans la littérature de l’immigration, dite « Beur »,
cette littérature est forgée par des écrivains issus de l’immigration algérienne en France. Elle
est la représentante d’une culture, d’une société, d’une communauté qui essaie de dévoiler
tous les problèmes dont on n’osait pas parler en France. Il y a quelques années, elle se veut
donc subversive, tant dans les sujets qu’elle traite, que dans la manière de les traiter, d’écrire.
Regina Keil la définit ainsi : « La littérature Beur se déroule selon deux grands aces thématiques :
la vie en banlieue au quotidien […] caractérisée par les problèmes de chômage et de racisme […]. Et
les problèmes d’identité double ou déchirée. »38
Le choc de deux cultures est donc un élément clé de la littérature beur et l'écriture
devient pour la plupart de ces écrivains une tentative de réconciliation entre l'héritage
culturel des parents et un affranchissement de cet univers.
Ce qui nous amène à dire que la littérature Beur est donc le reflet d’une réalité
sociale vécue par les immigrés maghrébins en France. Elle est le porte parole d’une
communauté et d’une génération désenchantée qui tente inlassablement de faire parler
d’elle : de son déracinement, de sa crise d’identité, des problèmes d’intégration et de
discrimination…etc.
L’extrait de l’œuvre autobiographique d’Azouz Begag traduit les appréhensions de
Azouz le fils d’immigré, perdu entre deux rives, deux, cultures, deux identités. La scène
choisie se déroule en classe. L’école est le deuxième lieu de socialisation (qui représente la
culture de la terre d’accueil), après celui de la famille (qui, elle représente la culture
d’origine). Ce déracinement et cette quête d’identité est traduite dans ce petit dialogue entre
Azouz (le fils d’immigré), et le professeur (d’origine pied-noir) :
« Azouz ! Vous savez comment on dit ‘le Maroc’ en arabe ?
–Le Maroc, m’sieur, ça se dit el- marroc !
–On ne dit pas el- Maghreb ?-Ah non, m’sieur. Mon père et ma mère, ils disent jamais ce mot. Pour
appeler un Marocain, ils disent Marrocci.
–En arabe littéraire, on dit el- Maghreb.
38
Regina Keil, Entre le politique et l’esthétique : Littérature « Beur » ou littérature « franco- Maghrébine » ?, in
Itinéraire et contacts de cultures, poétiques croisés, Volume 14, Paris, l’Harmattan, 1991, pp. 160-169.
164
–J’ai déjà entendu mes parents prononcer ce mot. –Vous ne savez pas qu’en arabe on appelle le Maroc
le « pays du soleil couchant » ?
–Non, m’sieur. »
L’apprenant-lecteur découvre une écriture originale caractérisée par la reprise du
langage familier : « Mon père et ma mère, ils disent jamais ce mot el- Maghreb Non, m’sieur,
Marrocci ». Outre la présence de mot arabe, l’apprenant est devant une langue chatiée : une
syntaxe déformée et un lexique d’une langue parlée pour ainsi dire un français relâché qui
s’écarte de la norme créant une impression d’oralité durant la lecture «’’m’sieur, ça se dit el-
marroc’’, ‘’Marrocci,’’, ‘’Mon père et ma mère, ils disent jamais’’ ». Mais aussi, une prononciation
à consonance maghrébine, l’accent beur (argot) : « m’sieur », « Marrocci ».
Cependant, l’utilisation de l’argot relève d’un choix délibéré car il traduit le
malaise social et culturel d’une manière simple et précise. En effet, ce langage populaire non
soutenu renvoie à une certaine légèreté dans la communication et évoque pour le lecteur la
sensation d’une langue incorrecte. C’est la raison pour laquelle cette écriture a sérieusement
déconcerté les critiques et qui avaient du mal à la classer. Ce que résume A. Begag quand il
dit : « Je suis un écrivain Beur d’origine maghrébine ou plutôt algérienne. Ce qui fait que ma
littérature n’est pas une littérature en elle-même mais une littérature avec une signature ethnique. »
Le caractère autobiographique est une autre caractéristique du texte de A. Begag.
Cette dernière évolue selon une communication courante et réaliste à tel point de déformer
parfois le français pour montrer avec exactitude l’accent des immigrés et créer :
• un néologisme de forme et se sens : « m’sieur », « Non, m’sieur »
• mots français d’origine arabe : « el marroc », « marrocci »
• une syntaxe déformée : «Mon père et ma mère, ils disent jamais ce mot » au lieu de
dire : Mes parents ne disent jamais ce mot ».
• Le jeu de mots : « -Azouz ! Vous savez comment on dit ‘le Maroc’ en arabe ?
–Le Maroc, m’sieur, ça se dit el- marroc ! »
L’auteur choisit souvent le ton de la légèreté et de la naïveté bon enfant afin de
montrer une insertion illusoire et un déchirement identitaire et culturel essentiellement des
immigrés d’origine maghrébine.
165
Le Texte n° 11: Page : (143-151-157-158)
Nous arrivâmes à Paris à l’aube. Le ciel était gris, les rues devaient être peintes en gris aussi, les gens marchaient d’un pas décidé en regardant par terre, leurs habits étaient sombres. Les murs étaient tantôt noirs, tantôt gris. Il faisait froid. Je me frottais les yeux pour bien voir et tout enregistrer. Si mon frère avait été là, il aurait demandé avec son petit accent : « C’est cela la France ?». Je pensais à lui en découvrant ce pays étranger qui allait devenir ma nouvelle patrie. Je regardais les murs et les visages, confondus dans une même tristesse. Je comptais les fenêtres des maisons hautes. Je perdis le fil de mes calculs. Il y avait trop de fenêtres, trop de maisons les unes sur les autres. C’était tellement haut que mes yeux s’égaraient dans les nuages. J’avais le vertige. Notre installation se fit assez rapidement. Nous fûmes aidés par d’autres familles marocaines, ainsi que par madame Simone, envoyée par la mairie pour nous faciliter les démarches administratives. J’aimais bien regarder passer les voitures. J’aspirais profondément les gaz et essayer de m’imbiber d ce parfum des villes, si nouveau et si enivrant pour la bergère élevée à l’air pur. J’étais assaillie de choses nouvelles et je voulais comprendre. Au bout de quelques jours, il fallut mettre de l’ordre dans les bruits qui m’assaillaient de partout et qui ne cessaient jamais. Je savais qu’il était impossible de retrouver le silence, le calme et la grande sérénité de la nature. Mais je tenais à savoir d’où venaient ces bruits. Je devais les reconnaître et les apprivoiser, sinon je sentais que ma tête allait éclater. Je me mettais à la fenêtre et je tendais bien l’oreille : je distinguais le bruit des automobiles de celui des autobus et camions. J’aimais bien la sirène des ambulances. Il y avait en revanche le bruit des machines qui perçaient le sol. C’était insupportable. Je n’arrivais pas à l’apprivoiser. C’était sauvage, saccadé et interminable. Il me manquait évidemment le chant des oiseaux, les cris des enfants sortant de l’école coranique, le rythme de la moissonneuse, l’appel des paysannes et leurs chansons nostalgiques… Ici, les maisons sont les unes sur les autres, et les gens courent. Moi aussi, je vais me mettre à courir. Il faut que j’apprenne. Il faut que je commence à l’école. Au bout d’un mois, je connaissais l’alphabet et j’écrivais mon nom. J’avais un grand appétit de lecture. Dans la rue, je ne regardais plus les gens, mais j’essayais de lire les inscriptions sur les panneaux et sur les affiches. C’était devenu pour moi un exercice automatique. Le dimanche, je demandais à mon père de sortir avec lui pour lui lire les noms de cafés, hôtels et magasins. Ainsi je faisais de la lecture à mon père qui s’amusait de mes découvertes. Mon père m’avait acheté un dictionnaire pour enfants. Ce fur mon premier cadeau. Un livre d’images où les mots étaient écrits en gros, expliqués et illustrés. J’apprenais des mots par cœur sans toujours les comprendre. Quand j’allais à la boulangerie, je ne montrais plus du doigt une baguette de pain, et je n’offrais plus ma main ouverte pleine de monnaie ; je disais comme tout le monde : « Deux baguettes bien cuites » ; j’ouvrais le porte-monnaie et je payais la somme exacte. Je dormais souvent le dictionnaire sous l’oreiller. J’étais persuadée que les mots allaient, la nuit, le traverser et venir s’installer dans les cases prêtes pour le rangement. Les mots quitteraient ainsi les pages et viendraient s’imprimer dans ma tête. Je serais savante le jour où, dans le livre, il n’y aurait que des pages blanches. Tous les matins, je vérifiais l’état des choses. La mer. Etrange personnage de mes rêves. Tantôt un drap immense tendu entre ciel et terre, gonflé par les vents ; tantôt des bruits de vagues imaginés et qui donnent des frissons. La mer. De l’eau en vagues successives apportées par le vent. Sa couleur change selon les moments. Obscure en fin de journée. Noire la nuit avec quelques reflets cendrés. Transparente
166
le jour, percée par le soleil, elle monte et descend et se cogne contre les roches. La mer. Je ne pensais qu’à elle depuis mon arrivée en France. Je n’en parlais pas. Je savais qu’un jour j’allais la découvrir. J’attendais patiemment. J’avais peur, en la rencontrant, de ne plus en rêver. Voilà pourquoi le jour où mon père décida de m’emmener voir la mer, j’étais pâle et inquiète, mal à l’aise et quelque peu endormie. Nous partîmes par la route rien que nous deux. C’était un jour de février. Les rues étaient désertes, le ciel morose. Elle n’était ni bleue ni noir cendré, mais grise. Le ciel était d’un bleu étrange…Le soir, j’étais fatiguée et éprouvée, mais j’étais heureuse. La mer m’appartenait. La mer était ce jardin où je pourrais m’isoler, loin du vacarme. Et pourtant je cultivais la passion de la ville. Il m’arrivait de rester des heures, assise à la fenêtre, à regarder la grande agitation tout au long du boulevard. Dans notre quartier, les trottoirs se transformaient du matin au soir en souk africain. Les Sénégalais chantaient et dansaient pour vendre leurs objets. En les observant vivre et rire, je me demandais si eux aussi gardaient au fond de leur âme un secret, une parole ancestrale, un visage illuminé par le temps, un arbre immense qui les protégeait et leur procurait l’énergie pour vivre et supporter l’exil. En classe, je faisais, comme disait le professeur à Mme Simone, des progrès. Je n’étais plus tout à fait en retard. Je continuais à faire des fautes en écrivant, mais je lisais correctement. Mon handicap majeur était l’utilisation des temps. J’étais fâchée avec la concordance des temps. Je confondais les différentes étapes du passé. Je n’arrivais pas à repérer et bien manier toutes ces nuances qui étaient l propre d’une langue que j’aimais, mais qui ne m’aimait pas. Je butais contre l’imparfait. Je me cognais la tête contre le passé simple et je calais devant le passé composé. Pour tout simplifier, je réduisais l’ensemble au présent, ce qui était absurde. Je pensais alors au village, aux journées identiques où il ne se passait rien. Ces journées plates, vides, s’étiraient comme une corde entre deux arbres. Mon passé était vraiment simple, limpide, fait de répétition, sans surprise, sans éclats. En arrivant en France, je sus que la fameuse corde était une suite de nœuds serrés les uns aux autres. Je connaissais par cœur les conjugaisons des verbes « être » et « avoir », mais je me trompais tout le temps quand il s’agissait de les utiliser dans une longue phrase. Je compris qu’il fallait se détacher complètement du pays natal. Mais le village était toujours là, il m’entourait, rôdait autour de moi, me taquinait. Les senteurs des herbes et des bêtes me parvenaient. J’étais ramenée au village par une main magique et je revoyais les arbres toujours là, fidèles au paysage. Et moi, de nouveau aussi sous l'arbre, attendant, espérant le voir se déplacer et partir loin….s’il s’en allait, je m’accrocherais à l’une de ses branches et me laisserais emporter. Tahar Ben Jelloun, Les yeux baissés. Le texte ci- dessus, extrait de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun Les yeux baissés, s’insère
dans la Séquence 2 « Décrire pour inciter à la découverte (le reportage) », dans l’activité
« Lecture Plaisir », du troisième projet.
Avant d’entamer l’analyse du texte de T. Ben Jelloun dans la perspective de révéler la
dimension interculturelle et socioculturelle du texte, rappelons que l’activité de « Lecture
Plaisir », est proposée dans toutes les séquences. Et ce qui a retenu le plus notre attention,
est le nombre impressionnants la grande présence des textes maghrébins. Signalons aussi
que ce texte n’est pas accompagné d’un questionnaire. Le texte tel qu’il est présenté ne
167
permettrait nullement à l’apprenant de repérer le contenu socioculturel et l’enjeu
interculturel véhiculés par le texte de façon implicite et connotée.
Une telle démarche nécessite donc une analyse minutieuse et approfondie du texte dans
son fonctionnement intérieur (style d’écriture), et extérieur le contexte de sa production
ainsi que le rapport de l’extrait avec l’œuvre tout entière. Il s’agit donc de lire le texte dans
son aspect référentiel, symbolique et culturel.
Cet extrait de « Les yeux baissés » de l’écrivain maghrébin T. Ben Jelloun traite le
thème du drame de l’immigration et l’itinéraire tragique de ceux qui réussissent à franchir
les frontières des pays du Nord. Ce sujet d’actualité touche les rapports entre les rives nord-
sud de la Méditerranée ainsi que la fascination qu’exerce l’Europe perçue comme une terre
édénique dans l’imaginaire de l’exil.
Au fil de la fiction, la représentation des espaces se tisse dans la bipolarité opposant
le Nord (la France) au sud (le maroc). Le nord représenté par la capitale française
« Paris » :« Nous arrivâmes à Paris à l’aube. Le ciel était gris, les rues devaient être peintes en gris
aussi, les gens marchaient d’un pas décidé en regardant par terre, leurs habits étaient sombres. Les
murs étaient tantôt noirs, tantôt gris ».
Alors que le Sud est représenté par la compagne marocaine : « le silence, le calme et la
grande sérénité de la nature», «le chant des oiseaux, les cris des enfants sortant de l’école coranique, le
rythme d e la moissonneuse, l’appel des paysannes et leurs chansons nostalgiques… » Les écrivains
s’appuient souvent sur la parabole considérée comme un procédé efficace pour traiter de la
problématique de l’Autre et un espace idyllique.
Dans notre analyse, nous nous pencherons sur l’aspect parabolique du texte de
Tahar Ben Jelloun où le destin de ceux qui vivent encore « les yeux baissés » (surtout les
femmes) sur un territoire qui n’est ni la terre natale, ni le pays d’adoption, acquiert une
dimension universelle.
L’apprenant-lecteur est invité est convié à la connaissance des problèmes du
déracinement, du déchirement entre « ici » et « là-bas ».
Dans « Les yeux baissés, Ben Jelloun aborde le thème du problème des immigrés
maghrébins en France qui cherchent leur identité impossible. La question se complique parce
168
que le personnage central de son récit est une jeune fille marocaine ce qui rend sa quête
identitaire encore plus difficile vu le statut de la femme dans la culture arabo-musulmane.
Ben Jelloun présente l’histoire d’une jeune fille à deux degrés : le premier correspond
à celle d’une jeune fille de dix ans, qui est aussi la narratrice du récit et qui habite son village
berbère du Sud marocain où elle mène une vie monotone, sans aucune perspective, entre sa
mère, son frère et la tante qui est l’incarnation du mal et de la malédiction. Son père (comme
les autres) est parti travailler en France et retourne dans son village une fois par an pour
apporter de l’argent et des cadeaux à sa famille. Après le père décide de quitter son village et
installe sa famille dans un quartier parisien où habitent un grand nombre d’immigrés
« Notre installation se fit assez rapidement. Nous fûmes aidés par d’autres familles marocaines, ainsi
que par madame Simone, envoyée par la mairie pour nous faciliter les démarches administratives ».
Paris devient le lieu de la fascination et de la répulsion ; lieu de la joie et de
l’humiliation « Le ciel était gris, les rues devaient être peintes en gris aussi, les gens marchaient d’un
pas décidé en regardant par terre, leurs habits étaient sombres. Les murs étaient tantôt noirs, tantôt
gris. Il faisait froid ».
La fillette venue avec ses parents de son village marocain pour s’installer à Paris, est
un personnage qui suit toutes les étapes de ceux, surtout de celles qui doivent trouver leur
place dans un pays d’accueil. Son histoire est exemplaire ; elle commence par la fascination
pour terminer par le désenchantement. Selon Jacques Noiray, son histoire est « l’occasion
pour le romancier d’évoquer l’apprentissage difficile d’une langue et d’une culture nouvelle, la
découverte du racisme et de la violence, l’impossibilité aussi de se situer vraiment entre le pays
d’origine, toujours regretté, toujours rêvé, mais déjà perdu, et le pays d’accueil, dont on finit par
comprendre qu’il ne peut pas être tout à fait son pays» (Noiray, 1996 : 85).
La ville qui semble lui tourner le dos, indifférente à sa présence, au fur et à mesure
s’avère un lieu où la fillette peut évoluer ; elle commence son éducation, toujours poussée par
un impératif de devenir une femme instruite, qui égale ses collègues français. Le problème de
la scolarité d’une jeune fille marocaine apparaît dans le texte. Cette question est située dans
un axe « ici » et « là-bas », mais cette fois-ci « ici », c’est Paris ; le glissement du centre et de
la périphérie s’est opéré. Évidemment, ce changement radical est tellement difficile à
assumer que même une jeune fille surdouée n’arrive pas à surmonter tous les obstacles qui
s’accumulent sur son chemin. Ainsi, elle ne fait pas exception, elle est comme ses
169
compatriotes vouée à une solitude. Assoiffée de lecture, elle veut dépasser son statut de paria
par l’éducation. « Au bout d’un mois, je connaissais l’alphabet et j’écrivais mon nom. J’avais une
boulimie de lecture».
L’univers du texte est fondé sur toute une série d’oppositions ; l’une d’elles est celle
de la vie réelle et du songe. Comme la fillette veut à tout prix rattraper son retard scolaire et
apprendre le français, au moment de se coucher, elle met sa tête directement sur un
dictionnaire pour enfants que son père vient de lui acheter. Ben Jelloun aborde le problème
de l’acculturation. Comme le dit Khatibi : « [L’écrivain, surtout l’auteur de l’autobiographie]
déraciné ou déchiré [...] raconte comment il devient étranger à sa société, combien il éprouve une
violente nostalgie de l’identité » (Khatibi, 1979 : 71).
Ainsi Ben Jelloun pose la question de l’identité qui passe par la langue. Dans Les yeux
baissés, le pays d’origine apparaît dans la magie, la légende, le rêve ou la folie ; une tension et
un conflit entre deux pays, deux civilisations s’y trouvent intériorisés, passés par le filtre
d’un rêve.
Si l’on qualifie Les yeux baissés de roman parabolique, il faut souligner que la figure
dominante de ce livre, une jeune fille marocaine devenue immigrée en France, peut accéder à
la plénitude de sa vie au moment où elle renoue avec la mémoire et le passé de ses ancêtres,
donc à la mémoire collective « Mais le village était toujours là, il m’entourait, rôdait autour de
moi, me taquinait. Les senteurs des herbes et des bêtes me parvenaient. J’étais ramenée au village par
une main magique et je revoyais les arbres toujours là, fidèles au paysage. Et moi, de nouveau aussi
sous l'arbre, attendant, espérant le voir se déplacer et partir loin….s’il s’en allait, je m’accrocherais à
l’une de ses branches et me laisserais emporter ».
Le difficile retour aux sources dans le milieu parisien de l’héroïne des Yeux baissés
démontre la possibilité de se retrouver sur la fameuse troisième voie, qui selon Ben Jelloun
n’est ni le Maroc, ni la France, mais son propre pays métissé, comprenant les richesses des
deux cultures, le pays où on peut vivre sans avoir les yeux baissés.
Cette plongée dans l’univers des enfants de migrants nous a permis de mieux
comprendre leurs références culturelles et les difficultés vécues à ce niveau. Cette étape était
plus que nécessaire puisque l’objectif consiste à donner à ces jeunes la possibilité d’être eux-
mêmes et d’assumer leur identité fragmentée sans la réduire à l’une ou l’autre de leurs
appartenances multiples. Il s’agit de répondre à une demande du jeune, qui est en recherche
170
quasi-permanente de son identité et du sens de son existence. L’adolescence, c’est la période
des doutes existentiels, mais c’est aussi l’apprentissage de la confrontation au monde réel et
notamment à l’Autre différent de Soi. S’ouvrant à l’altérité, l’adolescent introduit du relief
dans sa quête personnelle.
Texte n° 12 Page 53:
« L’homme qui te ressemble »
J’ai frappé à ta porte J’ai frappé à ton cœur Pour avoir bon lit Pour avoir bon feu Pourquoi me repousser ? Ouvre-moi mon frère !
Je ne suis pas un Noir Je ne suis pas un Rouge Je ne suis pas un Jaune Je ne suis pas un Blanc Mais je ne suis qu’un homme Ouvre-moi mon frère !
Ouvre-moi ta porte Ouvre-moi ton cœur Car je suis un homme L’homme de tous les temps L’homme de tous les cieux L’homme qui te ressemble.
René Philombe, Petites gouttes de chant pour créer l’homme.
Le texte ci-dessus, « L’hommes qui te ressemble », extrait du recueil de poésie de
René Philombe, Petites gouttes de chant pour créer l’homme, s’insère dans la Séquence 03
« Expliquer pour témoigner », dans l’activité « Le Club des Poètes », du premier projet.
Le « club des poèmes » est une activité de lecture- plaisir qu’on propose aux élèves à
la fin de chaque Séquence. Généralement, les poèmes qu’on propose des thématiques qui
traite des thèmes en relation avec l’actualité internationale et qui touchent les
préoccupations universelles : les droits de l’homme, la préservation de l’environnement, la
démocratie,…etc. Pour notre recherche, notre choix s’est porté sur celui de R. Philombe
171
« L’homme qui te ressemble ». R. Philombe est un des pères de la littérature camerounaise. Son
poème intitulé « L’homme qui te ressemble » est un véritable appel à la rencontre entre les
hommes, par-delà ce qui les sépare.
Nous avons voulu conclure notre analyse des textes littéraires qui, à notre sens,
ont abordé les questionnements identitaires, la mixité culturelle, la confrontation ente le Moi
et l’Autre et le dialogue interculturel, par une analyse thématique du poème de R. Philombe.
Nous estimons que ce texte est accessible à l’ensemble des élèves de par sa langue simple, sa
symbolique déchiffrable et son contenu limpide et clair.
Avant d’aborder le texte, nous tenterons d’analyser le titre « L’homme qui te
ressemble ». Rappelons que le titre résume le texte et il est un début d’assouvissement de la
lecture. Le pronom « te » semble s’adresser à tout un chacun. Tout le monde se reconnaît
dans ce pronom de la deuxième personne du singulier « te ». Un « te » implique un « je » car
ils ont indissociables. R. Philombe par un tel titre interpelle l’humain, l’homme car c’est un
autre homme qui lui parle et surtout qui le ressemble. Le message que transmet le titre est
clair : »tous les hommes sont égaux », « aucun homme n’est inférieur à un autre ». L’auteur
dénonce férocement le racisme basé sur la couleur de la peau. Il écrit :
Je ne suis pas un Noir
Je ne suis pas un Rouge
Je ne suis pas un Jaune
Je ne suis pas un Blanc
Mais je ne suis qu’un homme
Ouvre-moi mon frère !
Les couleurs : le Noir, le Rouge, le Jaune et le Blanc désignent les différentes
appartenances basées sur la couleur de la peau. Ainsi le Noir (l’africain), le Rouge (l’indien),
le Jaune (l’asiatique), le Blanc (l’européen ou l’occidental). C’est toute l’humanité symbolisée
par quatre couleurs. L’auteur dénonce le racisme et plaide pour l’universel. En d’autres
termes, unifier les hommes, au nom de la fraternité et l’amour. Parler d’un seul et unique
homme, celui des temps passés et modernes, celui des cinq continents indépendamment de la
couleur de la peau. Ainsi il résume cela en écrivant :
172
Ouvre-moi ta porte
Ouvre-moi ton cœur
Car je suis un homme
L’homme de tous les temps
L’homme de tous les cieux
L’homme qui te ressemble.
Ce texte est très constructif en matière d’idées favorables au rapprochement entre les
hommes, les cultures et les civilisations. Il condamne l’enfermement et le repli sur soi et
supplée à l’ethnocentrisme et le racisme la fraternité, le dialogue interculturel, l’amour de
son prochain et l’unicité de l’homme dans toute sa diversité.
173
Conclusion :
Cette analyse des textes littéraires choisis du manuel de 4ème AM nous ramène en fin de
compte, au point de départ : l’intérêt de l’utilisation des textes littéraires maghrébins et
français dans l’enseignement du Français langue étrangère ; cet intérêt dont l’objectif
essentiel est la pratique simultanée de l’identification de Soi et la différence de l’Autre.
L’usage identique du texte littéraire dans une classe de FLE est constitutif de l’identité
des apprenants qu’il implique. Autrement dit, cette pratique de passage de la culture
maternelle à la culture étrangère ne peut être que bénéfique pour les sujets apprenants,
facilitant la compréhension de l’Autre, favorisant la prise de conscience de l’Autre et la
confiance en soi. En d’autres termes, le recours à ces textes littéraires dans la pédagogie de
l’interculturel, permet aux apprenants de mieux comprendre la culture étrangère véhiculée
par la langue cible et de mieux se sentir dans leur propre culture.
175
Il serait abusif de prétendre qu’au terme de cette recherche, tous les aspects
pédagogiques que pose le texte littéraire soient décrits et tous les problèmes que pose son
enseignement soient résolus. Par ce travail, nous avons voulu avant tout, susciter chez nos
apprenants une certaine motivation pour lire et comprendre les textes littéraires. Ainsi, la
littérature reste au cœur de l’enseignement /apprentissage du français pour ses fins à la fois
linguistique, communicative, interactive et culturelle.
Aussi, le texte littéraire permet d’une part, d’apprendre une langue normative qui est
censée approfondir les connaissances grammaticales et d’autre part, élargir le vocabulaire de
l’apprenant, sans oublier qu’il est le moyen d’épanouissement culturel par excellence. Donc,
il semble être, pour eux, le modèle le plus approprié pour la mémorisation des acquis
linguistiques, culturels, littéraires et/ou grammaticaux.
Ce faisant, la littérature est le vecteur potentiel de manières de penser, de vivre, de
voir le monde de la vie quotidienne de son auteur. Donc, le contact avec une littérature
étrangère est ainsi un contact avec une culture différente de la sienne. En situation de classe,
le texte littéraire constitue, pour l’apprenant de langue étrangère, un moment privilégié pour
réfléchir sur ce qui le différencie et ce qui le rapproche de cette culture qu’il vient de
comprendre, d’interpréter, de sentir et de vivre à travers l’étude d’un texte littéraire.
C’est face à la différence, que nous nous reconnaissons et que nous construisons notre
identité. La compétence interculturelle est une formation à l’observation, à la
compréhension, à la relativisation des données de la culture étrangère, non pour la prendre
comme modèle à imiter, mais précisément pour développer le dialogue des cultures.
De ce fait, nous nous sommes intéressés dans la présente recherche aux problèmes
d’apprentissage du FLE, en particulier, la pratique du texte littéraire en classe de FLE, dans
une perspective interculturelle qui peut être mise en place comme rempart contre toute
forme de malentendu culturel, d’une part, et de favoriser le développement d’une conscience
interculturelle, d’autre part.
En fait c'est dans la différence et dans la comparaison que souvent on se rend
compte, de ce que l'on est vraiment, et du coup, on s'y attache. De plus, et aussi paradoxal
que cela puisse paraître, les apprenants devant les différences qu'ils ont pu observer chez
l'Autre ne seront pas enclins au repli sur soi et au rejet de l'autre. Au contraire, ils seront
176
pris, à sa découverte, de sympathie et de tolérance, encore une fois par le truchement du
texte littéraire.
Le texte littéraire n'est pas seulement un passage obligé et incontournable à la
connaissance et à la découverte de l'Autre, mais il permet également à l'apprenant, comme
nous l'avons vu, de se retrouver dans un monde de plus en plus réductible à l'humain. Il a
donc une fonction intégrative évidente parce qu’il permet une reconnaissance de soi-même et
une confrontation des apprenants avec l’altérité. Il invite à réfléchir sur les non-dits comme
il incite à s’interroger sur les implicites sociaux et sur les valeurs qui régissent la relation
avec l’autre.
Dans la démarche interculturelle dont nous avons loué les vertus et bienfaits,
l'enseignement-apprentissage du FLE se doit d'inculquer aux apprenants toutes ces valeurs
de tolérance, de l'acceptation de l'Autre et pourquoi pas de l'empathie vis-à-vis de l'étranger
qu’ils doivent considérer comme un être existant; qui a sa manière de voir et de se
comporter, dont il convient, non pas de les partager, mais au moins d’en tenir compte. Et le
texte littéraire on l'a vu, en est le médiateur propice.
En guise de conclusion, on dira que lire un texte littéraire dans une classe de langue
est un projet qui séduit certes, mais c’est une activité qui, dans notre contexte scolaire pose,
comme nous l’avons déjà cité, d’énormes problèmes au niveau de la saisie du sens d’un texte
littéraire.
Il apparaît clairement que les difficultés des apprenants sont essentiellement dues à
l’inadéquation des programmes et des méthodes avec la pratique de la langue : le Français
devenu langue technique dénué de culture, est un facteur démotivant pour la réceptivité du
texte littéraire. Même si notre travail s’intéresse plutôt à la motivation culturelle dans les
manuels de LE, on n’a pas exclu le rôle de l’enseignant et de l’environnement qui touchent
l’enseignement et l’apprentissage des langues, car la motivation n’est pas seulement une
responsabilité des auteurs des manuels scolaires.
Aussi, il importe que les enseignants de langue élaborent des stratégies pédagogiques
qui permettent aux apprenants de mieux appréhender le sens connoté et dénoté de ce type de
textes. Une telle activité, n’a de sens pédagogique que si elle est étroitement liée à une
conception nouvelle des programmes de l’enseignement du FLE. La nouvelle approche, doit
177
prendre ses fondements dans la langue source, avec ses principaux aspects culturels et
civilisationnels.
C'est pour cela d'ailleurs que nous réaffirmons notre conviction de la nécessaire
réhabilitation du texte littéraire en classe de FLE, pour pouvoir en faire à la fois, un
document linguistique, dont nous pouvons penser que c'est déjà fait, mais également et
surtout un document culturel pour une réelle appropriation de la langue française qui,
rappelons-le, passera par l'acquisition d'une compétence culturelle et interculturelle
inhérente à tout apprentissage linguistique.
Il va sans dire que notre analyse de la problématique interculturelle dans
l’enseignement/apprentissage scolaire de langue étrangère est un thème complexe.
Cependant, si l’on veut ménager un avenir qui prendrait en considération les nouveaux
profits d’apprenants de langues étrangères, et en particulier, ceux du FLE, l’important
consiste, à notre avis, de les sensibiliser au dialogue des cultures loin de toute forme de
préjugés, et ce dans le cadre ‘une formation intellectuelle qui s’inscrit dans la promotion
discours interculturel.
179
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine, « Apprendre une langue, apprendre une
culture, apprendre l’altérité », in Les cahiers pédagogiques, n°360, Paris, Janvier 1998.
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine, PORCHER Louis (Sous la dir. De),
Diagonales de la communication interculturelle, Ed. Anthropos, Diffusion Economica,
Paris, 1999.
ABDALLAH-PRETCEILLE Martine, Vers une pédagogie interculturelle, Ed.
Anthropos, Paris, 1996.
-- « Compétence culturelle, compétence interculturelle », in Le français
dans le monde, Numéro spécial, Cultures, culture…, Janvier, 1996.
--Former et éduquer en contexte hétérogène : Pour un humanisme divers, Paris,
Anthropos, 2003.
ABDAU ELIMAN, L’Expression linguistique en didactique, Dar El Gharb, Oran, 2006.
ABOU, L’Identité culturelle, Paris, Anthropos, 1995.
ALBERT M.-S. & SOUCHON M., Les textes littéraires en classe de langue, Paris,
Hachette Livre, 2000.
BARTHELEMY, F., Professeur de FLE : historique, enjeu et perspectives, Paris,
Hachette, 2007.
BAILLY, D., Les mots de la didactique des langues, le cas de l’Anglais, Gap : Ophrys,
1998.
BEACCO J-C., « Les dimensions culturelles des enseignements de langue », Hachette,
Paris, 2000.
BESSE Henri, « Eduquer la perception interculturelle », in Le Français Dans le
Monde, n°188, Hachette/Edicef, Vanves, 1984.
--Méthode et pratiques des manuels de langue, Paris, Crédif Didier, 1993.
--« Cultiver une culture plurielle », in Le Français Dans le Monde n°254,
Hachette/Edicef, juin 1993.
-- « Quelques réflexions sur le texte littéraire et ses pratiques dans
l’enseignement du français langue seconde ou langue étrangère » Trèfle, n°9, Lyon,
1989.
BLANCHET. Ph., Introduction à la complexité de l’enseignement du français langue
étrangère, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1998.
--« L’approche interculturelle comme principe didactique et pédagogique
structurant dans l’enseignement/apprentissage de la pluralité linguistique », in
180
Blanchet Ph. & Diaz O. M. (Coords), Synergies Chili, Pluralité linguistique et approches
interculturelles, Santiago du Chili, Revues du GERFLINT, 2007.
BIARD J., DENIS F., Didactique du texte littéraire, Paris, Nathan, 1993.
BOYER Henry, Plurilinguisme : « contact » ou conflit de langues ?, Editions,
L’Harmattan, Paris, 1997.
-- Langues en conflit : études sociolinguistiques, L’Harmattan, Paris, 1971.
-- « L’incontournable paradigme des représentations partagées dans le
traitement de la compétence culturelle en français langue étrangère », in Etudes de
Linguistique Appliquée, N°122, 2001.
-- « L’imaginaire ethnosocioculturel collectif et ses représentations
partagées : Un essai de modélisation », in Travaux de Didactique du FLE, N°39,
1998.
BYRAM Michael, ZARATE Geneviève, « Définitions, objectifs et évaluation de la
compétence socioculturelle », in Le Français Dans Le Monde/n°spécial juin 1998,
Hachette/Edicef.
CAMILLERI, C., « Le relativisme, du culturel à l’interculturel », in L’individu et ses
cultures, L’Harmattan, Volume 1, 1993.
CAMILLERI, C., « La culture et l’identité culturelle : champ notionnel et devenir », dans
Callimeri, C &Cohen- Enrique, Margalit, dir. : Chocs de culture : concepts et enjeux
pratiques de l’interculturel, L’Harmattan, Paris, 1989.
CHERRAD- BENCHEFRA, L Y., Le français en Algérie, DUCULOT, 2002.
CHOPIN, A., « Une perspective historique », In Les Cahiers pédagogiques, Du bon
usage des manuels, N°369, 1998.
CLANET Claude, L’interculturel : introduction aux approches interculturelles en
éducation et en sciences humaines, Ed. Presses Universitaires du Mirail, Toulouse,
1990.
COLLES L., Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, Bruxelles : Dde
Boeck- Duculot, 1994.
CONDEI C., « Le discours sur le mode de l’Autre dans les manuels roumains de FLE. La
construction des représentations collectives », in Condei C. et alili (Coords),
L’interculturel en francophonie. Représentations des apprenants et discours des
manuels, Cortil Wodon, EME, 2006.
Conseil de l’Europe, Livre blanc sur le dialogue interculturel. Vivre ensemble dans
l’égale dignité, Strasbourg : Edition du Conseil de l’Europe, 2008.
181
COSTE Daniel, « Compétence plurilingue et pluriculturelle », in Le Français Dans
Le Monde, n°spécial, Hachette/Edicef, juillet 1998.
--Apprendre la langue par la littérature, in Littérature et communication en classe
de langue, Hâtier/Didier, Coll., LAL, Paris, 1982.
COSTE Daniel, MOORE D., ZARATE Geneviève, Compétences plurilingue et
pluriculturelle, vers un cadre européen de références pour l’enseignement- apprentissage des
langues vivantes, Ed. du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1999.
CUQ J-P., Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, CLE.
International, 2003.
CUQ J.-P. & GRUCA I., Cours de didactique du français langue étrangère et seconde,
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2002.
DABENE Louise et al., Variations et rituels en classe de langue, LAL/Hâtier/
CREDIF, Paris, 1990.
DABENE Louise, Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, Hachette,
Paris, 1994.
DAN SPERBER & ROGER- POL Droit, Des idées qui viennent, Odile Jacob, 1999.
DASEN Pierre R., PERREGAUX Christiane, Pourquoi des approches interculturelles
en sciences de l’éducation ?, Ed. De Boeck Université, Bruxelles, 2002.
DEBYSER.F., « La mort du manuel et le déclin de l’illusion méthodologique », In Le
Français dans le monde, N°100, 1973.
DE CARLO M., L’interculturel, Paris : CLE, International, 1998.
--« Civilisation/culture : Histoire et développement de concepts », in Etudes
de Linguistique Appliquée, N°105, 1997.
DEMORGON Jacques, Complexité des cultures et de l’interculturation, 2e Edition
Anthropos, Diffusion Economica, Paris, 2000.
--L’histoire interculturelle des sociétés, 2e Edition Anthropos, Diffusion
Economica, Paris, 2002.
--L’interculturation du monde, Ed. Anthropos, Paris, 2000.
Document d’accompagnement du programme de français de la 2ème année primaire,
Ministère de l’Education Nationale, Direction de l’enseignement fondamental,
Commission nationale des programmes, décembre 2003 : [Cycle du collège : l’élève
doit être capable d’entendre, de lire et de produire des énoncés complexes à dominante
narrative, descriptive, explicative et argumentative.]
182
DENIS M., « Développer des aptitudes interculturelles en classe de langue ». In Dialogues
et cultures N°44 De la diversité, Paris : FIPF, 2000.
DOURARI.A., Les malaises de la société algérienne : Crise de langues et crise d’identité,
Alger, Casbah Edition, 2003.
DUBOIS Jean, Dictionnaire de linguistique, Ed. Larousse- Bordas/ HER, Paris, 2001.
DUMONT Pierre, La Francophonie par les textes, Editions EDICEF- AUPELF,
Paris, 1992.
--L’interculturel dans l’espace francophone, L’Harmattan, Paris, 2001.
DUMONT R., De la langue à la culture. Un itinéraire didactique obligé, Paris,
L’Harmattan, 2008.
EDWARD W. said, Des intellectuels et du Pouvoir 1996.
EDGARD WEBER, Maghreb arabe et occident français, Publisud, Presses
Universitaires du Mirail, 1989.
GALISSON Robert, Lignes de force du renouveau actuel en didactique des langues
étrangères. CLE International, 1980.
-- « Problématique de l’éducation et de la communication interculturelle »,
in Etudes de Linguistique Appliquée, N°106, 1997.
GALLISSON Robert, COSTE Daniel (sous la dir. De), Dictionnaire de didactique des
langues, Larousse, Paris, 1976.
--« En matière de culture le ticket AC-DI a-t-il un avenir ? », in Etudes de
Linguistique Appliquée, N°100, 1995.
GAUTHERON- BOUTCHATSK et AL, Retrouver le sens perdu ou les fausses
identités du document authentiquement publicitaire, Le Français dans le monde :
recherches et applications, 2003.
GERMAIN.C., NETTEN.J., La précision et l’aisance en FLE/FL2 : définitions,
types et implications pédagogiques. Cahier du français contemporain, 2004.
GERMAIN, C., Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, Paris,
CLE International, 1993.
GOHARD- RADENKOVIC A., Communiquer en langue étrangère. De compétences
culturelles vers des compétences linguistiques, Bem, 2004.
LA CONSTITUTION ALGERIENNE DE 1996.
GRANDGUILLAUME.G., Arabisation et politique du Maghreb, Paris,
Maisonneuve-Lacrosse, 1983.
183
--« Langue, identité et culture nationale au Maghreb », In Peuples
Méditerranéens, n°9, Oct. /Déc., 1979.
GREFFARD J.-L., « L es textes littéraires en FLE », in Les Cahiers Pédagogiques, Le
FLE, une langue vivante, N°360, 1998.
GUIDERE, M., Méthodologie de la recherche, Paris : Ellipses Editions Marketing
S.A., 2003.
KHADDA, N., Mohammed Dib romancier, Esquisse d’un itinéraire, Office des
publications universitaires, 06- 1986.
LAPLANTINE François, Les 50 mots clés de l’anthropologie, Privat, Paris, 1974.
LEBRANCHU J.-F., « De la civilisation comme objet d’enseignement aux
pratiques de communication », in Travaux de didactique du FLE, N°53, 2005.
LECLERC, J., Algérie dans « l’aménagement linguistique dans le monde, Québec,
TLFQ, Université LOVAL, 24 février 2007.
LEHMANN Denis, Objectifs spécifiques en langue étrangère : les programmes en question,
Edition Hachette, Coll. ‘’F’’, Paris, 1993.
LEVI-STRAUSS Claude, Race et histoire, Gonthier, PUF, 2e, 1987.
L’HUMANITE, quotidien d’information, Edition du 21 Octobre 2002.
LOUIS V., Interactions verbales et communication interculturelle en FLE. De la
civilisation française à la compétence interculturelle, Cortil- Wodon, EME, 2007.
LUISSIER, D., L’enseignement/apprentissage d’une compétence interculturelle. In
A-M Boucher & Pilote, A., (Eds), Guide du passeur culturel (p.115). Québec : AQPF/
Québec français, 2006.
MADI.M., In article,Langue et identité, traduction de Larbi Seddik, Dans collectif
Elites et questions identitaires, Casbah Editions, Alger 1997.
MAMMERI Mouloud, IZURAN Racines, mensuel socio- culturel n°02, Février 1999.
MARTINEZ Pierre, La didactique des langues étrangères, Coll. Que sais-je ?, Ed.
PUF, Paris, 1996.
MORSLY Dalila, « La langue étrangère. Réflexion sur le statut de la langue
française en Algérie », in Le Français Dans Le Monde, n°189, Edition Hachette/
Larousse, Nov.- Déc., Paris, 1984.
MUCCHIELLI A., Identité, Ed. PUF, Paris, 1986.
NARCY- COMBES, M-F., « Littérature et didactique », in Les Cahiers de l’Acedle, N°2,
Colloque l’Acedle, Juin 2005.
184
NATURELl M., Pour la littérature : De l’extrait à l’œuvre, Paris, CLE international,
1995.
NIKOU T., « L’interculturel : Essai de mise en pratique », in Travaux de Didactique
du FLE, N°42, 1999.
PEYTARD J., « Sémiotique du texte littéraire et didactique du FLE », in Etudes de
linguistique appliquée, N°45, 1982.
PORCHER Louis, ABDALLAH-PRETCEILLE Martine, Ethique de la diversité en
éducation, Ed. PUF, Paris, 1998.
PORCHER Louis, Champs de signes (états de la diffusion du FLE), CREDIF/Didier,
Paris, 1987.
--Le Français langue étrangère, Ed. Hachette/ Education, Paris, 1995.
--« Programme, progrès, progressions, projets de
l’enseignement/apprentissage d’une culture étrangère », in Etudes de Linguistique
Appliquée, N°96, 1988
--« Interculturels une multitude d’espèces », in Le Français dans le Monde,
N°329, 2003.
PORCHER Louis et al., La civilisation, Paris, 1986.
PUREN Christian, BERTOCCHINI, Paola COSTANZO Edwige, Se former en
didactique des langues, Ed. Ellipses, Paris, 1998.
PUREN Christian., Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Coll.
Didactique des langues, CLE International, 1996.
RICHAUDEAU F., Conception et production des manuels scolaires, guide pratique,
UNESCO, Paris, 1979.
REUTER Y., « L’enseignement-apprentissage de la littérature en question », in
Enjeux, N°43, 1999.
RICOEUR Paul, « Civilisation universelle et cultures nationales », in Esprit, n°10,
octobre 1961.
RIVENEC P., Apprentissage d’une langue étrangère/seconde, La méthodologie,
Deboeck, 2003.
ROBERT J-P., Dictionnaire pratique de didactique du FLE, Paris, Editions Ophrys,
2008.
ROBERT 1 (le petit), Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, LE
ROBERT, Paris, 1990.
185
ROEGIERS X., Concevoir et évaluer des manuels scolaires, Bruxelles, De Boeck,
Université, 1993.
ROUXEL A., Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, 1996.
SEOUD A., Pour une didactique de la littérature, Hâtier/Didier, Coll., LAL, Paris,
1997.
SKOPINSKAJA, L., Le rôle de la culture dans les matériels d’enseignement des
langues étrangères d’un point de vue interculturel. In I. Làzàr (Ed). Intégrer la
compétence en communication interculturelle dans la formation des enseignants.(pp. 45-76),
Kapfenberg : Conseil de l’Europe.
TALEB- IBRAHIMI.K., De la créativité au quotidien, le comportement langagier des
locuteurs algériens », In De la didactique des langues à la didactique du
plurilinguisme, J.Billiez (dir), Lidilem, Université de Grenoble 3, 1998.
-- Les algériens et leur(s) langue(s), EL Hikma, Alger, 1995.
THEVENIN André, Enseigner les différences, Editions Etudes Vivantes, Paris, 1980.
VARRO G., Sociologie de la mixité : de la mixité amoureuse aux mixités sociales et
culturelles, Perspectives sociologiques, Berlin, 2003.
VERDELHAN- BOURGADE, « Présentation », In Etude de Linguistique Appliquée,
N°125, 2002.
ZARATE Geneviève, Représentations de l’étranger et didactique des langues, Paris :
Didier, 1993.
--Enseigner une culture étrangère, Paris, Hachette, 1986.
SITOGRAPHIE :
SEBAA.R., Culture et plurilinguisme en Algérie : http://www.inst.at/13Nr/Sebaa13.htm
consulté en mars 20012.
PUREN C., « Variations sur la perspective de l’agir social en didactique des
langues- cultures étrangères », in Les Langues Modernes, http://www.aplv-
languesmodernes.org/spip?article1888, p.3. Page consultée le 2 juin 2011.
PUREN C., « Explication de textes et perspective actionnelle : La littérature entre
le dire scolaire et le faire social », in Les Langues Modernes, http://www.aplv-
languesmodernes.org/spip.php?article389, p.3 consultée le 7 mars 2011.
MEMOIRES ET THESES :
186
ASSAAD M., Le rôle culturel de la publicité dans l’enseignement-apprentissage du
français langue étrangère, Thèse de doctorat dirigée par Blanchet Ph., Rennes 2,
Volume 1, 2005.
CHIBANE, R., Etudes des attitudes et de la motivation des lycéens de la ville de Tizi
ouzou à l’égard de la langue française : cas des élèves du lycée Lala Fadma n’soumer,
mémoire de magistère, Université de Tizi ouzou, 2009.
DAKHIA.A., Dimension pragmatique et ressources didactiques d’une connivence culturelle
en FLE (Thèse de Doctorat d’Etat en Lettres françaises), Université de El – Hadj
Lakhdar de Batna, 2004/2005.
ZABOOT, T., Un code switching algérien : le parler de T. ouzou, Thèse de Doctorat, Université de
Sorbonne, 1989..
Résumé : Si nous observons l’évolution méthodologique de l’enseignement du français langue étrangère et seconde, nous remarquons une grande transformation du rôle et de la place des textes littéraires, laquelle qui peut se résumer en trois mots : grandeur (pour la méthodologie traditionnelle), décadence (pour le mouvement structuro-général audio-visuel) et renouveau (pour l’approche communicative). Ainsi, les difficultés de compréhension des lecteurs apprentis sont le résultat de difficultés syntaxiques et textuelles. Du point de vue pédagogique, les textes littéraires sont utilisés, en classe, plutôt à des fins thématiques et linguistiques qu’à des fins de compréhension. En prenant considération des rapports entre cultures, langues et littérature, une orientation didactique dans une perspective d’ouverture sur l’interculturel nous semble efficace à faciliter l’accès au texte littéraire pour notre public, les collégiens algériens. Dans un contexte où l’interculturel prime, l’Algérie est appelée à mettre en exergue la compétence interculturelle à travers l’école, lieu où se projettent les aspirations au progrès des individus et des groupes et où seront formés les futurs citoyens. C’est par l’entremise de démarches didactiques favorisant l’interculturel que l’apprentissage du FLE sera conçu comme une voie vers l’Altérité. En d’autres termes, la didactique du FLE s’efforce de préparer l’apprenant à des interactions multiples et à prendre conscience de l’existence d’autres groupes sociaux, d’autres peuples, d’autres cultures.. Mots-clés : Texte littéraire, compétence interculturelle, didactique du FLE, identité culturelle, interaction, diversité, langue/culture/littérature
Abstract: If we observe the methodological development of the teaching of French as a foreign and second language, we see that the role and place of literary texts has been greatly transformed. This reality can be summarized in three words: rise (for the traditional methodology), fall (for the structural-general/audio-visual movement) and renewal (for the communicative approach). Thus, the difficulties of understanding that the beginner-readers encounter are the result of syntactic and textual difficulties. From an educational point of view, literary texts are rather used in class for language and thematic purposes than for understanding. Taking account of relations between cultures, languages and literature, an educational guidance with a opening on intercultural seems to facilitate the access to literary texts for collegians pupils of Algeria.
In a context where the intercultural counts, Algeria is called to highlight the intercultural (competence) through the school, the place where fall the aspiration to progress of the individuals and the groups and where will be formed the future citizens. It is by the intervention of didactic approaches facilitating the intercultural that the learning of FLE will be conceived as a way towards the Otherness. The teaching of French as a foreign language aims at preparing the learner to multiple interactions and to recognize the existence of other social groups, other peoples, other cultures in order to acquire intercultural skills. Keywords: intercultural competence, teaching of the FLE, cultural identity, interaction, variety, literary text, interculturalism, language / culture / literature كوسيط ا6ستاذ على أكثر مركزا أصبح ا!ھتمام فإن التثاقفي النھج خ#ل من و !نھ البيداغوجيا، ضروريات من اليوم بات قد الثقافات-اللغات تدريس إن :الملخصراتالتصو الثقافية، الھوية اللغة، بين المتواجدة الع#قات صياغة سنحاول ا6شخاص، و الثقافات بين للترابط مسھل تثافقي بالخصوص و ا6جنبية اللغات تعليمية و . أجنبية كلغة الفرنسية C الثقافي العنصر الفرنسية، أ6جنبية اللغة قسم في و الجزائر في أجنبيھ، لغة أي تدريس في ضروريا يعتبر "الثقافات تداخل"ب اCھتمام ، العولمة تيار في أن رغمةالدراسي والفصول المحتوى في جدا مھشما يزال مجال في .ثقافات اتصال بالضرورة ھو اللغات اتصال أن مع لك ذ . يتم فيھا و التطور الى والجماعات ا6فراد يتطلع خ#لھا من التي المدرسة خ#ل من ألثقافيھ الكفاءة على الضوء بتسليط مطالبة الجزائر أولوية، فيھ الثقافات لتداخلعليميةالت المناھج بواسطة .المستقبل مواطني تكوين .اUخر الى الطريق بمثابة يكون الفرنسية أ6جنبية اللغة تعلم الثقافات، تداخل تعزز التي تثاقفية، مھارات على الحصول اجل من أخرى وثقافات والشعوب، اجتماعية فئات بوجود واCعتراف متعددة لتفاع#ت المتعلم إعداد إلي الفرنسية تعليم يسعىدةالمتعد للتفاع#ت وإعداده وتعمل اCجتماعي التفاعل في تتجلى مھارات Cكتساب اليوم مدعو الفرنسية متعلم . الثقافي والھدف اللغوي الھدف بين توازن إيجاد على باستمرارلكفاءةا - الفرنسية تعليمية ,التصورات الثقافية، الھوية الفرنسية، أ6جنبية اللغة تعليمية ، التثاقفية الكفاءة : المفتاحية الكلمات اCجتماعي العنصر - التكوين - التثاقفية الثقافي