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La Page du Hérisson n°7 p.1/18 LA PAGE DU HERISSON PAR YU WEI NUMERO 7 Le proverbe du mois « L’homme est le seul animal qui compte le temps » La lettre du mois 1er jour de la période : Jing he « réveil des insectes ». 2 ème lune. Mois du lièvre. Sous l’auspice du 34 e hexagramme : Grande vigueur. Année du dragon d’eau. 29 e cycle ren chen. Tradition et hiérarchie « En toute chose il faut distinguer le principal et l’accessoire (…). Celui qui sait mettre chaque chose à son rang n’est pas loin de la Voie de la Grande Etude et de la Perfection. » (Kong Zi. La Grande Etude, introduction). La hiérarchie est un des piliers de la tradition. On peut même affirmer qu’il n’y a pas de formes traditionnelles sans hiérarchie. Que celle-ci soit très visible ou non, cela n’y change rien. C’est elle qui permet de faire descendre l’influx du Ciel vers la Terre, c’est-à-dire du supérieur vers l’inférieur. C’est pourquoi l’empereur en Chine était dit le Fils du Ciel et qu’il disposait du mandat céleste (tian ming) ; Qu’il éditait le calendrier réglant la vie et la mort de tous les chinois, des hauts fonctionnaires jusqu’aux humbles paysans, en fonction des saisons et des différents repères calendériques. Ce mandat correspond précisément dans la tradition hindoue au commandement (âjnâ), provenant du domaine supra-individuel dont le centre est âjnâ chakra, le sixième chakra situé à l’emplacement du « troisième œil » (yin tang). Il est le lieu de réception du commandement du Guru intérieur (Paramashiva)… Toutes les hiérarchies humaines véritables ne sont que le reflet de la hiérarchie céleste qui est elle-même issue du Principe. C’est d’ailleurs ce que désigne l’étymologie du terme avec cette notion « d’ordre sacré ». La hiérarchie primordiale est décrite par Lao Zi (DaoDeJing chap.42) : « Le Dao engendre l’Unité, l’Unité engendre la dualité /complémentarité, la dualité engendre le Ternaire, le Ternaire engendre les dix mille êtres » (c’est-à-dire toute la manifestation). C’est cette ‘descente’, passage du subtil vers le grossier, du chaos vers l’ordre, que l’on retrouve chez Lie Zi (chap1/C) : (…) « grande mutation, grande origine, grand commencement, grand flux »…

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LA PAGE DU HERISSON PAR YU WEI

NUMERO 7

Le proverbe du mois

« L’homme est le seul animal qui compte le temps »

La lettre du mois

1er jour de la période : Jing he « réveil des insectes ». 2

ème lune. Mois du lièvre. Sous l’auspice du

34e hexagramme : Grande vigueur. Année du dragon d’eau. 29

e cycle ren chen.

Tradition et hiérarchie

« En toute chose il faut distinguer le principal et l’accessoire (…). Celui qui sait mettre chaque

chose à son rang n’est pas loin de la Voie de la Grande Etude et de la Perfection. » (Kong Zi. La

Grande Etude, introduction).

La hiérarchie est un des piliers de la tradition. On peut même affirmer qu’il n’y a pas de formes

traditionnelles sans hiérarchie. Que celle-ci soit très visible ou non, cela n’y change rien. C’est

elle qui permet de faire descendre l’influx du Ciel vers la Terre, c’est-à-dire du supérieur vers

l’inférieur. C’est pourquoi l’empereur en Chine était dit le Fils du Ciel et qu’il disposait du

mandat céleste (tian ming) ; Qu’il éditait le calendrier réglant la vie et la mort de tous les

chinois, des hauts fonctionnaires jusqu’aux humbles paysans, en fonction des saisons et des

différents repères calendériques. Ce mandat correspond précisément dans la tradition hindoue au

commandement (âjnâ), provenant du domaine supra-individuel dont le centre est âjnâ chakra, le

sixième chakra situé à l’emplacement du « troisième œil » (yin tang). Il est le lieu de réception

du commandement du Guru intérieur (Paramashiva)…

Toutes les hiérarchies humaines véritables ne sont que le reflet de la hiérarchie céleste qui est

elle-même issue du Principe. C’est d’ailleurs ce que désigne l’étymologie du terme avec cette

notion « d’ordre sacré ». La hiérarchie primordiale est décrite par Lao Zi (DaoDeJing chap.42) :

« Le Dao engendre l’Unité, l’Unité engendre la dualité /complémentarité, la dualité engendre le

Ternaire, le Ternaire engendre les dix mille êtres » (c’est-à-dire toute la manifestation). C’est

cette ‘descente’, passage du subtil vers le grossier, du chaos vers l’ordre, que l’on retrouve chez

Lie Zi (chap1/C) : (…) « grande mutation, grande origine, grand commencement, grand flux »…

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Zhuang Zi (chap.24/B/C, simplicité), quant à lui, nous montre la gradation des êtres dans l’ordre

de la manifestation sous la forme d’une historiette mettant en scène la rencontre entre un

anachorète et le marquis Wu : (…) « Je m’entends à juger des chiens. Je tiens ceux qui ne

s’occupent que de satisfaire leur voracité, pour la sorte inférieure. Je considère ceux qui bayent

aux corneilles pour la sorte moyenne. Enfin j’estime que ceux qui ont l’air indifférent à tout sont

la sorte supérieure ; car, une fois mis sur une piste, aucune distraction ne les en fera dévier… Je

m’entends aussi à juger des chevaux. Ceux qui décrivent des figures géométriques savantes, je

les tiens pour dignes d’appartenir à un prince. Ceux qui chargent à fond sans souci du danger,

j’estime qu’ils sont faits pour un empereur… Marquis, défaites-vous des distractions et des

préoccupations d’ordre inférieur ; appliquez-vous à l’essentiel.» … Les exemples sont légions,

mais on le sait, l’exemple ne prouve rien ; il a juste une valeur d’illustration d’une théorie

donnée. Ainsi on pourrait citer les hiérarchies d’anges des traditions orientales (chaldéenne,

égyptienne, judaïque…), celle des dieux grecs entre autre, ou encore celle décrite par le

néoplatonicien Jamblique dans laquelle il décrit l’ordre des dieux, archanges, anges, démons,

héros, archontes et âmes (Les mystères d’Egypte, chap. 2).

« (…) mais, dans le monde moderne, où peut-on trouver encore la notion d’une véritable

hiérarchie ? Rien ni personne n’est plus à la place où il devrait être normalement ; les hommes

ne reconnaissent plus aucune autorité effective dans l’ordre spirituel, aucun pouvoir légitime

dans l’ordre temporel ; les profanes se permettent de discuter des choses sacrées, d’en contester

le caractère et jusqu’à l’existence même ; c’est l’inférieur qui juge le supérieur, l’ignorance qui

impose des bornes à la sagesse, l’erreur qui prend le pas sur la vérité, l’humain qui se substitue

au divin, la terre qui l’emporte sur le ciel, l’individu qui se fait la mesure de toutes choses et

prétend dicter à l’univers des lois tirées tout entières de sa propre raison relative et faillible. »

(R.Guénon, La crise du monde moderne, p.122)

En effet, dans la société actuelle, la notion de hiérarchie apparaît le plus souvent comme une

contrainte contre laquelle il faut résister ou comme un instrument de pouvoir sur autrui ; cela en

fonction de la place que l’on occupe dans les degrés de cette hiérarchie. C’est une fois de plus un

renversement des valeurs et la preuve de l’ignorance de l’ordre des choses et des principes

fondamentaux issus d’autre chose que des conventions sociales. Car la plupart des références

concernant une quelconque hiérarchie, de nos jours, sont celles appliquées à l’organisation d’un

état, ainsi qu’à leurs dérivés (entreprise, administration…). Si à une époque, la hiérarchie liée au

pouvoir temporel, donc royale ou militaire et celle liée à l’autorité spirituelle, donc monastique,

reflétaient encore cette hiérarchie céleste, les bouleversements successifs ne permettent plus d’y

voir très clair. Il reste peut-être dans certaines écoles traditionnelles d’arts chevaleresques (de

même que dans certaines organisations assez fermées dont nous évoquerons seulement ici

l’existence) le souvenir plus ou moins vivace de ces notions. Qu’elles soient occidentales,

orientales ou extrême-orientales ces écoles, si elles ont conservées les saluts (ainsi que leur

compréhension, bien sûr !) permettant de délimiter l’espace et le temps, c’est-à-dire de passer du

profane au sacré, alors ces écoles disons-nous, détiennent potentiellement la capacité de

transmission de la Tradition, ou d’une partie de celle-ci. Et cela grâce à la hiérarchie y régnant.

Et c’est pourquoi on comprend aisément que l’idée de démocratie est étrangère à la pensée

traditionnelle et que son extension dans le monde moderne est bien le reflet de la matérialisation

de cette fin de cycle (Kali Yuga).

Car la démocratie, très à la mode de nos jours, est le pouvoir (ou son apparence) exercé par la

masse, une sorte de hiérarchie à l’envers et contre nature faite par la base, par l’inférieur, par la

quantité et donc au détriment de la qualité. Ainsi, il est peu étonnant que le résultat de tout cela

s’approche peu à peu des deux extrêmes : D’un côté l’expression de la force sous un aspect

dictatorial, de l’autre l’anarchie c’est-à-dire l’absence de hiérarchie !

Remarquons à ce propos que, dans la conception simpliste et « téléguidée » ayant cours de nos

jours, on oppose souvent à la démocratie (le pouvoir du plus grand nombre), la dictature ou

d’autres types de gouvernements à tendance totalitaire. Ce qui est une erreur. C’est l’aristocratie

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qui tiendrait ce rôle, c’est-à-dire le gouvernement d’une élite. Nous ne reviendrons pas sur le fait

que cette élite, pour être légitime, doit se placer sur un plan intellectuel (entendu au sens réel) et

non financier, social, racial ou lié à la force brutale.

Ce qui nous amène à reprendre un autre préjugé très ancré dans la société moderne qui est celui

de l’égalitarisme. Cette vaine illusion qui permet de niveler par le bas est aussi à l’opposé des

doctrines traditionnelles. Celles qui affirment que chacun a sa place, mais une place bien précise,

à tous les niveaux de l’existence.

« L’inégalité est inhérente à la nature même des choses » (Meng Zi, T’eng Wenn K’oung* 1 /4)

C’est justement cette différence de nature qui établit une hiérarchie. C’était, par exemple, la

raison d’être des castes en Inde. Il est bon de noter à ce propos qu’il n’existait qu’une seule caste

(hamsa) au départ, que la distinction des brâhmanes et des ksatriyas ne vint qu’ultérieurement ;

tout comme celle du sanglier et de l’ours de la tradition celte ou, dans une certaine mesure, celle

du taoïsme et du confucianisme en Chine qui correspond à une séparation du spirituel et du

temporel… Comme c’est encore le cas dans la tradition islamique avec le rapport existant entre

la haqiqah et la sharia…En fait l’ésotérisme (la métaphysique) et l’exotérisme (la religion et le

social).

Or dans tous ces cas, il s’agit bien d’une hiérarchie de l’ordre intellectuel sur l’ordre matériel ce

qui, somme toute, semble assez évident (cf. Zhuang Zi, chap.24/B). Il existe une hiérarchie entre

l’intellectuel pur et le mental ; le premier concernant l’universel, le second se rapportant à

l’individuel. C’est-à-dire d’une part, ce qui est rattaché au Non Etre (Brahma, le Dao) et d’autre

part à l’Etre (Ishwara, le Un).

Notons enfin que les représentations de la hiérarchie sont le plus souvent décrites sous la forme

d’une succession d’enceintes concentriques ou de façon pyramidale. Dans les deux cas, il s’agit

d’aller vers le centre, vers ce point de réunion, lieu de communication entre les différents états

(cf. Page n°2 rubrique de caractères et Page n°6 la lettre du mois). C’est aussi la place de celui

qui se tient au centre de la roue (Chakravartî), celui qui fait tourner la roue sans être lui-même

entrainé par le mouvement ; c’est le moteur immobile d’Aristote et l’Invariable Milieu de la

Tradition chinoise.

Amphisbène Aglyphe

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La Page du Hérisson – n°7 p.4/18

La technique du mois

Ecouter, voir, toucher, goûter, sentir.

Ce mois-ci, avec Chat’mouraï, notre expert en pratiques internes, nous nous intéressons

au sensationnel. Pour entrer dans le vif du sujet, et avant d’en dévoiler la profondeur,

présentons le parcours de notre ami.

De formation traditionnelle, il a reçu l’enseignement de 3 maîtres d’Ile de France dont la

grande SifuKroq (laquelle sera à l’honneur dans une prochaine « technique du mois »).

Surnommée par certains « tcho missile intercontinental balistique » tant sa fulgurance et

sa précision ne faisaient qu’un, SifuKroq, qui pour ce qui nous intéresse ici, se trouve

aussi être la mère de Chat’mouraï, est devenue au cours des ans, chef de file d’une lignée

de braves chatvaliers. Lumineuse, elle était reconnue pour ses qualités de guide. Elle

savait faire se révéler les talents de ses élèves ; elle a su faire de même pour son fils.

Chat’mouraï dès son plus jeune âge s’est distingué par ses qualités de cœur ; en résumé,

c’était ce que l’on peut appeler un amour de chat en plus d’un valeureux combattant, d’où

son nom de pratiquant. Il a souvent fait la joie de ses professeurs tant sa capacité à relier

le subtile et le grossier était manifeste. A partir d’une indication captée, il savait (chose

innée chez lui) interroger les deux faces de la médaille, considérer les deux cotés d’une

porte, et chose encore plus remarquable, il s’est toujours trouvé intéressé pour tenter de

les faire communiquer, et pour expérimenter leur rapprochement. C’est devenu son

chemin d’étude.

C’est en 2009 qu’il fut désigné pour faire œuvre de transmission. Que transmettre ?

« C’est par cette question que se fit

pour moi une nouvelle avancée dans

ma pratique. Que transmettre ? La

liste était longue et bien qu’elle

s’allongea au fur et à mesure de ma

réflexion, je ressentais toujours une

insatisfaction. Un jour que je

« contemplais » mon jardin, je me suis

trouvé tout aspiré ailleurs, comme si

mes sens dans une même harmonie

ouvraient vers un intérieur que je

découvrais pour la première fois. Ce

n’était pourtant pas faute d’avoir

« joué » à faire des ‘allers et retours

du multiple à l’unité, de la superficie à la profondeur, de la stabilité à la mobilisation’

dans le but d’unir l’interne et l’externe, depuis mon enfance. A cet instant j’ai su que ce

que je devais transmettre était inscrit dans mon nom. L’Amour, la force d’union ; et

depuis je m’y emploie humblement. » Chat’mouraï.

A celles et ceux qui se demanderaient encore quelle profondeur vient d’être dévoilée,

nous répondrions : « Eh bien, écoutez, voyez, touchez, goûtez et sentez, en yang, puis en

yin, puis en yin-yang… et au fait quel est votre nom ? Lequel me direz-vous ?... »

Anne Pamanquet

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La Page du Hérisson – n°7 p.5/18

L’herbier du Hérisson

Quelle plante ce mois-ci ?

C’est la sanguisorbe officinale qui s’impose à nous !

La sanguisorbe officinale (sanguisorba officinalis) de la famille des rosacées porte aussi

le nom courant de grande pimprenelle afin de la différencier de la petite pimprenelle

(poterium sanguisorba ou sanguisorba minor) bien qu’elles aient les mêmes propriétés.

Hauteur : jusqu’à 2m.

Floraison : tout l’été.

La sanguisorbe est fréquente de la montagne à la plaine dans les endroits inondés,

tourbières, marais, jusqu’à une altitude de 1800m environ.

Propriétés : Astringent, vulnéraire, tonique. Au XVIe siècle, ses vertus antihémorragiques

furent mises en évidence selon la théorie des signatures en rapport avec la couleur rouge

sombre de ses fleurs (sanguis : sang ; sorbere : absorber).

La racine fraîche et pelée apaise le feu d’une brûlure récente et en favorise la guérison.

On en fait une tisane digestive et ses feuilles fraîches, car on ne peut la conserver, sont

utilisées pour relever les salades (saveur de concombre).

Une légende hongroise raconte que Csaba, le fils d’Attila, ressuscita grâce à la

pimprenelle ses guerriers morts au combat ; d’où le nom populaire de Csabaire donné à la

plante en Europe centrale.

Langoustine Intrépide

Canard Fulgurant

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La Page du Hérisson – n°7 p.6/18

L’hexagramme du mois

Aperçu sur le Yi Jing. 6ème volet

S’il fallait le préciser à nouveau, nous l’affirmons : Le Yi Jing, le Livre du Changement est un

monument de la connaissance ; le titre même « rappelle que toutes les modalités apparentes du

créateur dans la création sont étudiées, dans 64 symboles (les hexagrammes) formant cercle et

dont le dernier est relié intimement au premier (…) » (cf. Matgioi, La voie métaphysique, p.18).

D’où nous retenons que c’est le symbolisme des traits qui confère un caractère universel au

Livre. Dans cet aperçu nous nous proposons de préciser la distinction entre les traits des gua

(koua), qui font le symbole, et les formules relatives aux gua et à chaque trait, qui font le texte,

le jing ; Jing dont l’un des objectifs est de rendre le sens du symbole. Plusieurs commentateurs se

sont attelés à cette mission, laissant l’empreinte de leur orientation individuelle plus ou moins

métaphysique, politique, morale, sociale, ou divinatoire selon les cas.

Après Fu Xi, il est possible de resituer une chronologie des auteurs depuis les sentences écrites

originellement par Wen Wang et Zhou Gong (Tsheou Kong, XII ème av J.C.) : Ont suivis, en

effet, les « Dix coups d’aile » de Confucius (500 av J.C.), le commentaire traditionnel de Zheng

Zi (Tsheng Tse) et le « sens primitif » de Tsou Hi (XII ap. J.C.). Mais ne perdons pas de vu,

comme le note Matgioi à propos de Fu xi dont il rappelle qu’il « cristallisa la Tradition

Primordiale » que « (…) Fohi, n’est ni un homme ni un mythe, mais la désignation d’un agrégat

intellectuel, comme fut ailleurs Hermès » (La voie métaphysique, p.13) ; Ce qui rejoint les

propos de René Guénon : « certaines attributions à des personnages légendaires ou plus

exactement symboliques, ne sauraient aucunement être regardées comme ayant un caractère

« historique », mais confirment au contraire pleinement ce que nous disons ici. » à savoir que

l’on « ne connaît pas d’inventeurs aux symboles traditionnels, (…) car ces symboles sont

également « non-humains » dans leur origine et dans leur essence. » (cf. Aperçus sur l’initiation,

Editions traditionnelles, p.57).

« (…) Le ciel montre les symboles (…) et l’homme saint les représente. Du fleuve sort le tableau

et du lac sort le livre et l’homme saint en formule les règles ». (§ 1204) (cf. Yi King, trad. Philastre).

D’où l’on peut comprendre que les commentateurs, dès lors qu’ils tentent d’expliciter le sens des

symboles par du texte, agissent comme des filtres, et apportant des réponses, privent d’une

compréhension personnelle ceux qui s’en contenteraient, en même temps que proposant un appui

ils offrent à d’autres (ceux qui sont sur la voie), par leur enseignement, une méthode préparatoire

pour le travail à accomplir d’une part, et de quoi passer les obstacles et se garder des dangers

d’autre part. Nous pointons, au passage, la limite de toute tentative d’explicitation,

d’éclaircissement par des personnes non qualifiées, non « éclairées » c’est-à-dire dont le cadre

d’intervention ne serait pas celui de la tradition. L’incidence de la qualification du

commentateur sur l’efficacité de la formule et sa portée est évidente ! On comprend en quoi

l’orientation sociale, morale, juridique ou autre n’est en quelque sorte que le reflet de la

multiplicité des niveaux de compréhension…trouvant chaque lecteur là où il en est !

Cela pour bien remettre à sa juste place le Jing de Yi Jing et introduire la « Rubrique de

caractères » qui se propose de préciser les terminologies utilisées dans les Classiques pour

qualifier les Hommes. A chaque homme (vulgaire, doué, authentique, sage, transcendant…)

correspondant un monde, un état d’être, un niveau de connaissance et de réalisation. Quand il

s’agit d’un homme dépositaire d’une information « non-humaine », il s’agit aussi de

« l’incommunicable », ce que l’on ne peut pas nommer, mais qui cependant peut être réalisé…

Il est écrit dans les annexes du Yi Jing que le symbole sert à « épuiser l’idée », laquelle ne l’est

pas par la parole, laquelle parole ne l’est pas plus par l’écriture… Pénétrer le symbole c’est atteindre la Connaissance ; l’expression devenue inutile, le silence est

d’or.

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Hexagramme 34 Da Zhuang : grande vigueur

De formules en commentaires…

Tsheng Tse explique qu’après la retraite (hexagramme 33) - les êtres ne pouvant rester

indéfiniment à l’écart - vient le mouvement de progression en avant. Da Zhuang a le double sens

d’expansion florissante et de force de la grandeur.

Le commentaire traditionnel de la formule déterminative dit : « Da zhuang ; ce qui est grand est

épanoui ; énergie dans l’impulsion, donc force et épanouissement. ».

Et le commentaire de la formule symbolique de préciser « la foudre est au-

dessus du ciel : grande force ; L’homme doué s’applique à ne faire aucune

démarche contraire aux rites. » (cf. traduction du Yi King par Philastre.)

La voie florissante et éclatante de l’homme doué n’existe que par la droiture

et la fermeté. Autrement dit, ce qui est droit est grand. Une grande force

sans droiture n’est que violence. D’après Tshou Hi : « Se vaincre soi-même telle est la force. ». Il

est mentionné qu’avec droiture et grandeur il est possible de voir la nature réelle du Ciel et de la

Terre.

Da Zhuang est le gua correspondant au deuxième mois de l’année, à la deuxième lune. Après la

Paix, (gua de la première lune de l’année) qui règle les conditions du développement et de la

prospérité, vient la Grande force ou épanouissement de la vigueur (hexagramme du mois), puis

suivra une dynamique de décision avec la Percée. Ces hexagrammes ont tous en trigramme

inférieur le trigramme Qian (le Ciel), indiquant une intériorité animée par une dynamique

d’activité, de créativité. Avec la paix, l’homme se fortifie à l’intérieur et se montre faible (petit

enfant) à l’extérieur (la terre au-dessus) ; c’est wu wei et ses effets paisibles (cf. Page du

Hérisson n°6, hex.11). Avec Da zhuang, l’homme ayant développé une grande force risque de

l’exprimer avec violence (cf. le tonnerre, la foudre au-dessus) ou précipitation tel un bélier (cf.

les commentaires des 6 traits : « Bélier qui heurte la palissade et use ses cornes », puis la

palissade se fend sans dommage pour les cornes ; « faire disparaître le bélier dans le

changement » ; « le jeune bélier incapable de se retirer en arrière »)… le bélier en pareille

situation retiendra la leçon !

L’hexagramme se fait à la fois avertissement et enseignement. Ici, l’homme ordinaire se sert de

sa force, mais le sage s’en garde bien. « C’est l’épanouissement de la

vigueur dans le moyeu de la roue du grand char ».

Comme le commente Tshou Hi (voir plus haut) il s’agit de développer une

force d’un type particulier, ce que le caractère ancien indiquerait par la

présence du sage : On y voit, en effet, un homme, bras écartés (ce qui

exprime quelque chose de grand), et dessous, un sage ou un lettré (à droite,

Shi, racine 33) et une planche (Pan, racine 90), une pièce de bois (moitié

gauche de l’arbre). « C’est la force tant physique (la pièce de bois) que

morale (le sage). » conclut J-A Lavier pour qualifier Zhuang.

A l’heure de Da Zhuang [« homme fort ou qui fait le fort », « hommes et choses de la

campagne » d’après la leçon étymologique 127B de Wieger/ « grande vigueur, moment où le

principe fort s’impose par lui-même et triomphe des difficultés en les utilisant. » selon la

définition du Ricci (4621)], il est temps d’œuvrer de façon complémentaire à Guan (la

contemplation, le recueillement) dont on constate la forme complémentaire des symboles (traits,

trigrammes, hexagramme)…

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La Page du Hérisson – n°7 p.8/18

Notre modeste méditation…

Da zhuang entretiendrait des rapports avec la sagesse… Sinon pourquoi un sage figuré en

sigillaire ? Le sage est « éclairé » et éclaire ; nous le prenons comme guide.

Conscientes qu’il peut s’agir d’un sage ou d’un lettré, et donc des rapports avec la Connaissance

ou la connaissance, nous faisons un détour par l’analyse de caractères (sous le regard bienveillant

de Canard Plastic qui nous souffle « tranche de lettré » comme lecture fulgurante du caractère

zhuang ; formulation qui par sa concision, sa restriction même, nous évoque l’existence d’une

entièreté à recouvrir ! Nous y reviendrons.).

Concernant les caractères sagesse (Ricci 828 : sagesse, intelligence, talent, capacité, prudence)

et savoir (Ricci 842 : connaître, être au courant, percevoir) on remarque qu’ils ne sont pas

figurés avec un sage/lettré ; ils sont faits, tous deux, d’une flèche et d’une bouche, s’agissant de

faire connaître, d’exprimer, « de se prononcer (bouche) avec la précision de la flèche ayant un

but » (cf. la leçon étymologique 131E /Wieger). La sagesse/intelligence se distingue par la

présence du soleil. Quand il y a sagesse effective pourrait-on dire, non seulement il n’y a pas de

sage en soutien, mais il y a figuration du luminaire de nos jours ; soleil qui se fait à n’en pas

douter « support » pour un autre développement.

Quelle est donc la vertu de la présence du sage dans le caractère Zhuang ? Pourquoi un demi

arbre associé ? ! Sans sagesse pas d’arbre entier ! Est-ce cela qui peut être compris ? D’autres

idées jaillissent comme des images : le bois travaillé par l’influence du sage… l’assurance d’un

potentiel de sagesse, en chacun, à faire germer. Un arbre intérieur à déployer. Da zhuang comme

promesse d’expansion, de réalisation, de lumière !

Le sage est une aide à la compréhension en même temps qu’il invite à un travail d’intégration. Et

les rites, dans la mesure où ils déterminent la place, l’ordre et la façon d’agir, en sont surement

des relais, des moyens transmis. Ne pas s’en écarter, « ne pas faire de démarche contraire aux

rites », voilà ce qui est indiqué, car se serait s’écarter de l’influence du sage ; en d’autres

termes « savoir qu’on ne sait pas » et y trouver une voie de recherche et d’élévation. D’où, d’une

part, le fait que l’homme doué (en chemin) agit conformément aux rites, et se faisant fait preuve

de force. D’où, d’autre part, l’existence d’un risque associé à une trop vive extériorisation de la

force acquise par ceux qui croient savoir ! Nous sommes ‘potentiel de grandeur’ au-delà de la

force. Le savons-nous ? En nous tenant éloignés du sage, du lettré (de la lettre), nous perdons la

dimension du symbole reliant à l’Unité. Eloigné du Principe, désaxé, il n’y a pas de grandeur

possible.

Il s’agit de grandir, de faire l’effort de se grandir.

Qu’est-ce que grandir ? L’hexagramme précédent, la paix, nous a indiqué la nécessité de faire

communiquer Ciel et Terre, de les unir ; Pour une grande vigueur c’est un travail d’intégration

des opposés-complémentaires, d’assimilation dont il est question. Un retour à l’essentiel avec les

symboles comme appui. Commencer par les comprendre et travailler à en être la synthèse ! Ce

qui va de pair avec se défaire du superflu. Encore une ouverture sur l’impérieux « Connais-toi

toi-même » !

« Ce n’est pas en allant vers les autres par la voie extérieure que l’homme va vers l’universel ; il

n’alimente alors que sa bonne conscience, car il n’obtient, n’acquiert aucune conscience vraie

aucun surcroît de connaissance. L’élan vers l’autre doit être une conséquence de l’élan vers soi,

Soi pour lequel il ne peut faire l’économie des enfers, matrice de feu en laquelle il intègre sa

poussière d’énergie et la fait devenir connaissance, donc sagesse. » (Annick de Souzenelle, Le

baiser de Dieu, p71).

Ce dépassement de soi (« se vaincre soi-même c’est la force ») ne peut se faire sans une

influence supérieure, même si le travail à accomplir ne dépend que de l’individu. En ce sens le

sage, en tant que symbole (et comme tout symbole dont l’origine est non-humaine), une fois

pénétré se fait chemin. Evidemment les rencontres en terres inconnues sont sans précédents.

Nouveau face à face avec l’étranger plus puissant. Da zhuang, « puissance du grand » ! C’est une

épreuve. Epreuve qui n’est autre qu’une purification, qui force à retrouver un essentiel sous des

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couches devenues trop lourdes. Impossible de poursuivre le voyage avec elles ; il faut se délester.

Aller plus en profondeur, à la rencontre de l’Etranger, et reconnaître qu’il est soi !

Nous avions déjà évoqué cet aspect dans le numéro 6 « Spécial Dragon » et le rapport à

l’adversaire, ou considéré comme tel, c’est-à-dire comme opportunité de connaissance. Et c’est

ce qui se joue dès lors qu’il y a des barrières à franchir, des portes à passer, des échelons à gravir,

des paliers successifs, une unité à construire. Il y a rencontre avec le gardien du seuil

représentant « les énergies potentielles à « épouser » pour qu’elles deviennent information. ».

« Ces énergies ne peuvent être appréhendées qu’avec l’aide divine, en obéissance stricte aux lois

du Chemin. » (Idem, p.56).

D’où l’on comprend, pour boucler avec ce qui nous occupe que l’usage de la force est inutile dès

lors que l’autre n’est plus perçu comme étranger à soi ; le reconnaître comme étant soi et déjà il

ne fait plus peur, il devient assimilable. Grande vigueur.

Rapports avec les pratiques énergétiques chinoises

Ce qui est dit à propos de Da Zhuang est intimement lié à ce qui a été développé avec la Paix.

Rien d’étonnant lorsque l’on constate qu’ils se suivent selon l’ordre des lunaisons ! Et le cycle

fait sens.

De la même façon on constate que Da Zhuang entretient des rapports avec d’autres

hexagrammes qui tous jalonnent « la petite révolution céleste » ! Nous avons cités la retraite,

(Hex.33) qui le précède selon l’ordre du Yi Jing, la contemplation (Hex.20) qui est son

complémentaire, et la paix (Hex.11).

C’est donc bien que ces hexagrammes sont au service d’une compréhension !

Ce qui est enseigné par le symbole est profond, c’est un point de départ d’états à réaliser

intérieurement. C’est en cela que la vision cyclique est importante et que les nécessités de

répétition et de continuité y sont si présentes, à commencer par le cadre même de la

transmission…

Grace aux pratiques énergétiques du dao yin fa, nous faisons l’expérience des cycles.

L’alchimie interne telle qu’elle se pratique traditionnellement, traduit au moyen de gestes, de

visualisations, des idées elles-mêmes comprises dans les symboles…

Avec la pratique traditionnelle il s’agit de faire vivre le symbole. C’est un moyen d’être connecté

au Principe, de rester sous sage influence et de gagner en connaissance. C’est une voie de

réalisation.

Da Zhuang nous évoque l’histoire du « trop fort » Myamoto Musachi !

La force brute se doit d’être raffinée !

Localisée aux seuls pieds la force n’est rien ! Localisée en zone inférieure elle est peu utile, voire

dangereuse. La force du champ de cinabre inférieur doit se compléter de celle des champs de

cinabre médians et supérieurs ; Le jing, le qi et le shen. Et la pratique permet par l’action de

prendre conscience du changement dans la continuité… A chaque niveau se trouve un passage,

un pont, une barrière en fonction des « supports » de méditation, qui marque un changement de

monde (changement de paysage intérieur), une nouvelle nature d’information, un nouveau cap à

franchir.

Le tao lu (forme d’apprentissage des boxes chinoises) est un « support » à part entière, tout

comme le sont d’autres formes moins matérialisées pourrait-on dire comme la « méditation du

calendrier de jade des rois de la chine ancienne ».

La forme est un accès au fond. Et quand le fond est incommunicable tant il est vaste et

incompréhensible à notre intelligence (par manque de sagesse ?) il lui faut une aide. La forme-

aide peut être le symbole, le symbole restant à éclairer peut nécessiter d’autres formes. Les

formes sont multiples pour rendre accessible l’Unité. Les formes utiles sont synthèses. Le travail

reste le même : pénétrer le symbole. Pénétrer la forme, au-delà du superficiel, aller au-delà avec

l’aide d’un guide –celui qui a déjà fait le chemin.

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La Page du Hérisson – n°7 p.10/18

La forme en fonction des niveaux où l’on se place peut être le corps…cela peut être le fait du

salut. Ne dit-on pas que dans le salut est l’essence de la pratique !

Se saisir d’une forme transmise et se mettre au travail, voilà tout.

Sans oublier d’appliquer les conseils des professeurs ! Avec Da zhuang, résonnent ceux transmis

par Georges Mongenoty qui nous invitant à agir avec ampleur, à prendre en compte la grandeur

du mouvement qui fait sa beauté et à toujours considérer la partie non montrée du tao lu comme

un autre tao à découvrir ; il nous dit : « Cherchez la puissance, pas la maîtrise, ni la force ».

Da Zhuang : « puissance du grand » et l’« éclat de grandeur » ; il se comprend à la fois comme

germe, développement et résultat, c’est-à-dire comme potentiel de grandeur et résultante du

grand, la lumière (la Connaissance). La connaissance et l’opération pour l’atteindre sont

inséparables. Connaissance et action ne font qu’un ! (En complément, Cf. la Lettre de la Page du Hérisson

n°5)

La connaissance porte son fruit en son sein !

Sœur Marie-Cordélia

Isore de Kerden

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La Page du Hérisson – n°7 p.11/18

La rubrique de caractère

Ce mois-ci nous tenterons d’aborder l’étude d’une série de caractères se rapportant à la gradation

des états de l’être ; cela afin d’éclairer quelque peu de nombreux textes dans lesquels ces termes

semblent parfois être utilisés à la gribouillette…Nous souhaitons simplement que cela puisse être

un repère pour l’étudiant sans aucune valeur exhaustive ni dans le choix des caractères, ni dans

leurs définitions ou explications, bien entendu.

(Nous donnons de préférence la transcription pin yin)

Il s’agit de :

- Zhen (Couvreur tchenn 109/5; Ricci 277; Wade chen). Vrai, véritable, réel ; titre

donné aux maîtres taoïstes ; homme vrai, homme parfait qui a atteint le Dao. Pour

Couvreur comme pour Ricci le zhen ren est l’immortel (homme parvenu au rang des

immortels). L’étymologie nous indique que : « L’objet ayant été placé sur un piédestal,

bien en vue, dix yeux n’ont pu y découvrir aucune erreur, aucune faute. » (Wieger 10L)

- Zhi (C. tcheù 133; R. 858; W. chih). Arriver, le plus haut degré, extrêmement.

Zhi ren : homme parfait, arrivé à la perfection, le sage. Pour Kyril Ryjik l’étymologie du

caractère représente « un oiseau arrivant à la verticale sur le sol » (L’idiot chinois

T1/228). Paul Morel (Le champ du signe) semble dire que le caractère ancien représente

plutôt une flèche arrivant sur le sol, alors que Léon Wieger (Caractères chinois, leçon

étymologique 133B) y voit l’ « image d’un oiseau, qui, repliant ses ailes, fonce droit vers

la terre. »

- Jun (C. kiun 30/4; R. 1430; W. chün). Chef d’un état, gouverner, roi, titre

honorifique, terme de respect. Jun Zi, pour les confucéens : Prince sage, homme sage ;

homme supérieur, h. éminent en talent et en vertu, h. accompli, h. d’honneur. Le

caractère ancien est la « représentation d’un important personnage. Coiffure, grande

robe, bouche (parole ordonnatrice) » (Ryjik. L’idiot1/282). Pour P. Morel le caractère

ancien est la représentation de gouverner au-dessus de la bouche ou les deux mains au-

dessus de la bouche. « Celui qui fait connaître les décisions du pouvoir (…) pour les

taoïstes, maître absolu et immortel (…) pour les confucéens : homme vertueux. C’est

aussi une appellation respectueuse pour les maîtres, les ancêtres, les parents. »

Le père Wieger dans Caractères chinois (introduction p.9 de la 10e édition) nous montre

l’évolution du caractère à travers 4500 ans d’écriture. A partir de la forme sur os qui

représente « une coiffure en forme de cornes pour inspirer le respect. Deux bras, le

pouvoir exécutif. Une bouche, l’autorité législative », jusqu’aux variantes et erreurs

d’interprétations en passant par les changements de supports et d’outils d’écriture…

- Shen (C. chenn 113/5; R.4317; W. shen). De shi, rad. 113 : manifester. (Couvreur

cheu : avertir un inférieur par la parole ou un signe, enseigner). Le caractère de droite est

le neuvième des douze rameaux célestes. Dans sa forme ancienne il représente un éclair.

Substance incorporelle, être spirituel, âme. Celui qui est parvenu à la plus haute

perfection ; faculté de comprendre. Merveilleux, subtil, mystérieux.

Les esprits (d’origine céleste et humains divinisés) ; dieux, divinités, principe vital,

quintessence, âme supérieure, prodigieux.

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La Page du Hérisson – n°7 p.12/18

« Manifestations du ciel, propices ou funestes, que les hommes peuvent voir. Le caractère

est formé de Shang (au-dessus), les trois traits qui pendent au-dessous sont : le soleil, la

lune, les étoiles. » P. Morel, Le champ du signe.

- Shèng (C.chéng 128/7; R.4338; W. sheng). Sage du premier ordre. «On appelle

sage par excellence celui dont la vertu est insigne et agit naturellement sans aucun

effort.» (Meng Zi). Sage comprenant la nature des choses, vivant avec elle et répandant sa

vertu merveilleuse et efficace au sein de l’univers. Saint.

Pour Ryjik (L’idiot 1/491), il s’agit de «ceux qui écoutent (l’oreille) et qui comprennent

[à noter le lien entre l’écoute et la compréhension, l’audition est le sens primordial dans

bien des traditions, en particulier dans l’hindouisme, c’est pourquoi la musique revêt une

importance si particulière…] ceux qui portent plainte (cf. chéng L’idiot 1/490 : Homme

debout à une place définie par la hiérarchie) : souverain (où homme de rangs

supérieurs) qui écoute le peuple. »

C’est aussi le terme utilisé par les catholiques pour rendre « saint ».

Paul Morel, quant à lui, explique que « la bouche émet un son qui est perçu par

l’oreille » et que « le premier sens de sheng est : entendre, à la fois dans le sens de

percevoir par l’ouïe [noter la juxtaposition des deux termes], et dans le sens de :

comprendre, comprendre les causes. Celui qui comprend le principe des choses est un

sage. » . Pour Wieger, (81H) ce sont : « Ceux qui ayant prêté une oreille docile aux avis

reçus, les ont pénétrés, sont devenus sages. »

Auxquels nous pouvons ajouter :

- Zhen (C. tcheng 154/2; R. chen 285; W. cheng). Pour Couvreur ce caractère

signifie « droit, ferme, solide », dans le Ricci : droit, vertueux, parfaite sincérité. Pour

Wieger (56C), c’est l’honoraire d’un devin (en bas le cauris et en haut la fissure).

Le zhen ren, c’est l’homme droit, loyal, intègre. A noter que zhen shi (Shi rad33 ; Ricci

4354, lettré, sage) supporte la même définition.

- Xian (C. sien 9/3; R. 1945; W. hsien). L’immortel ou l’homme devenu tel.

« Le sage par excellence n’imite pas les immortels». Mais c’est aussi féerique, spirituel,

merveilleux. On considère cinq classes d’immortels (houei, jenn, ti, chénn, t’ien).*

Selon K. Ryjik (L’idiot T1/284), il s’agit de la « graphie populaire pour désigner les

ermites qui se réfugiaient dans la montagne à la recherche d’un dào de la nature, fuyant

les désastres politiques, vaguement crus comme étant immortels. » Outre les sens

habituels, cet auteur ajoute : « génie, fée, dieux, qui s’élève comme une vapeur légère ce

qui est le sens de la graphie plus élaborée xian homme qui s’est élevé au-dessus (de la

mort) ».

Morel nous apprend que le caractère (petite sigillaire ~221 av.) est composé d’ « un

homme qui grimpe à un endroit élevé pour s’emparer d’un nid.»

Une fois ce résumé établi, ces quelques références données, pouvons-nous tenter d’apporter

quelques précisions concernant une éventuelle hiérarchie entre ces différents termes ? D’un point

de vue étymologique, on les trouve presque tous à partir de l’époque archaïque inscrits sur os et

carapaces de tortues (jiaguwen) sauf xian (R.9/3) dont on a des traces vers ~221av. JC en petite

sigillaire (xiao zhuan). C’est-à-dire que la plupart date d’environ 4000 ans. Mais le tracé des

caractères anciens (que nous n’avons pas reproduit ici afin de ne pas surcharger l’article) ne nous

apprend rien de particulier à propos d’une éventuelle hiérarchie globale entre eux. Certains sont

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La Page du Hérisson – n°7 p.13/18

définis comme sage du premier ordre, d’autres comme sage du 2e ordre, trois d’entre eux comme

hommes parfaits…Est-ce dû à un problème de traduction ? Probablement pas uniquement. En

effet, bien que la signification du caractère change d’une part en fonction de sa place dans la

phrase et d’autre part selon son contexte ; cela ne résout pas la question du choix du caractère.

En outre, la formation des dictionnaires à l’époque classique (cf. Xu Shen ~100) se fait sous

l’influence des confucianistes, c’est donc la tendance qui va prendre le pas dans la définition des

termes…

Mais cela ne nous explique toujours pas pourquoi Zhuang Zi, utilise le même sheng (R.128/7)

pour désigner le sage par excellence d’une part (chap.6/C) : « Le sage s’attache au tout dont il

fait partie, qui le contient, dans lequel il évolue. S’abandonnant au fil de cette évolution, il sourit

à la mort prématurée, il sourit à l’âge suranné, il sourit au commencement, il sourit à la fin ; »

et le sage politique, le fauteur de trouble, d’autre part (chap.10/A) : « Ceux qu’on appelle

communément les Sages, ne sont que les emballeurs des brigands à venir. (…) Les plus

renommés, d’entre les Sages historiques, ont ainsi travaillé pour de grands voleurs, jusqu’au

sacrifice de leur vie. (…) Ainsi donc, si les principes des Sages ont pu profiter parfois aux

honnêtes gens, ils ont profité aussi, et plus souvent, aux gredins, pour le malheur des honnêtes

gens. (…) Oui, l’apparition des Sages cause l’apparition des brigands (…) si la race des Sages

venait à s’éteindre, les brigands disparaîtraient ; ce serait en ce monde, la paix parfaite, (…)

Oui, faire des brigands et empêcher qu’on ne les défasse, voilà l’œuvre des Sages. Et ailleurs

(chap.11/B) : « Il a raison l’adage qui dit : exterminez la sagesse, détruisez la science, et

l’empire reviendra à l’ordre spontanément. »

Rappelons-nous que le principe de base de Kong Zi (Confucius) était de réformer les mots ou de

leur rendre leur juste valeur : ‘zheng ming’, alors que pour Zhuang Zi, les mots ne sont rien,

l’essentiel étant dans les idées. Ceci expliquant peut-être cela…

Remarquons maintenant que ces caractères ont été employés par les taoïstes aussi bien que par

les confucianistes. On ne peut donc pas arguer d’une acception plutôt métaphysique dans un cas

et plutôt sociale ou rationnelle de l’autre uniquement du fait du choix du caractère…

Ainsi sheng (R.128) est omniprésent dans le DaoDeJing (chap.2) : « Cela étant, le Sage sert sans

agir, enseigne sans parler. » (chap.5) : « le Sage n’est pas bon pour le peuple, mais le traite

comme chien de paille. » (chap.7) : « (…) le Sage, en reculant, s’avance ; en se négligeant, il se

conserve. » (chap.12) : « Aussi le Sage a-t-il cure de son ventre, et non de ses sens. » (chap.22) :

« Aussi le Sage qui s’en tient à l’unité, est-il le modèle de l’empire, » (chap.47) : « Le Sage

arrive au but sans avoir fait un pas. Il connaît, avant d’avoir vu. Il achève, sans avoir agi. »

(chap.49) : « Dans ce monde, le Sage est sans émotion aucune, et a les mêmes sentiments pour

tous. » (chap.63) : « Le Sage évite de loin la difficulté, aussi n’a-t-il jamais de difficultés. »

(chap.77) : « Le Sage se conforme au Principe. Il influe, sans s’attribuer le résultat. Il accomplit,

sans s’attribuer son œuvre. Il ne prétend pas au titre de Sage. » (chap.81) : « Le Sage ne

thésaurise pas, mais donne. Plus il agit pour les hommes, plus il peut ; plus il leur donne, plus il

a. »

Mais aussi chez Zhuang Zi (cf.chap.6/C ; voir ci-dessus) ou (chap.12/J) : « Voici, comment s’y

prenaient les grands Sages. Ils provoquaient le peuple à s’amender, à s’avancer en lui inspirant

le goût de l’amendement, de l’avancement ; le laissant ensuite évoluer spontanément ; » ou

encore (chap.20/G) : « Aussi le Sage s’abstient-il d’agir, et s’abandonne-t-il à l’évolution, qui

l’absorbera à la fin dans le grand tout. » et (chap.22/B) : « Imitant ces modèles, [le ciel, la terre

et les saisons] le sage par excellence n’intervient pas, n’agit pas, laisse tout suivre son cours. »

Enfin chez Lie Zi, il désigne la plupart du temps le sage par excellence, celui qui s’est affranchi

des contraintes de la vie ici-bas, celui que les traducteurs chrétiens ont nommé le ‘saint’ ; bien

que le même terme dépeigne parfois, on l’a vu, celui qui est à l’origine de tous les désordres du

monde ; (chap.2/Q) : « (…) eurent, qui une tête humaine sur un corps de serpent, qui une tête de

bœuf, qui un museau de tigre ; mais sous ces formes animales ce furent de grands Sages. » Plus

loin : « Les Sages susdits, qui savaient tout et qui étendaient leur sollicitude à tous, surent

gagner aussi les animaux. » Et encore : « Les anciens Sages comprenaient le langage et

pénétraient les sentiments de tous les êtres, communiquaient avec tous comme avec leur peuple

humain, » (chap.4/B) : « nous avons aussi un Sage, disciple de Lao-tan, qui voit avec ses

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La Page du Hérisson – n°7 p.14/18

oreilles et entend avec ses yeux. » (chap.4/C) : « Parmi les hommes de l’Ouest, il y en a dont on

dit qu’ils maintiennent la paix sans gouverner, qu’ils inspirent la confiance sans parler, qu’ils

font que tout marche sans s’ingérer, si imperceptiblement, si impersonnellement, que le peuple

ne les connaît même pas de nom. Je pense que ceux-là sont des Sages, s’il en est d’eux comme on

dit. » (chap.4/H) : « Je vois votre cœur comme un petit objet vide, d’un pouce carré. Six orifices

sont déjà parfaitement ouverts, le septième va se déboucher. Vous souffrez de la sagesse des

Sages. Que peuvent mes pauvres remèdes contre un mal pareil ? »

Voyons maintenant l’utilisation de sheng chez les confucianistes. Dans le Shu Jing (Le classique

de l’Histoire) on trouve (3e partie, chap.4/8 ; enseignements de Yi Yin) : « Les conseils des sages

ont une grande portée ; leurs excellents préceptes sont très clairs. » Dans Meng Zi, (Livre 2,

chap.1 Koung Suenn Tch'eou/2*), on lit : « Autrefois Tzeu koung dit à Confucius : « Maître,

êtes-vous un sage de premier ordre ? » Confucius répondit : « Un sage de premier ordre ! Je ne

mérite pas ce titre. » Dans le Yi Jing, hexagramme 16, Yu, on a : « L’homme saint se meut avec

soumission, et alors les lois pénales et les châtiments sont clairs et le peuple s’y soumet. (Notez

la traduction de Philastre pour sheng (R.128) d’homme saint et rappelons-nous que les versions

dont nous disposons du Yi Jing sont fortement teintées de confucianisme). Dans les formules

annexées, (1e partie, chap.8), on lit : « L’homme saint a le moyen de voir ce qui est obscur dans

le monde et d’en déterminer toutes les apparences et les circonstances ; (…) l’homme saint a le

moyen de voir le mouvement de l’univers et il montre aux regards la réunion et la libre

pénétration, pour pratiquer les règles rituelles. » Dans la rubrique définition des hexagrammes

(chap.1), on trouve : « Autrefois, l’homme saint, en faisant le Yi Jing aperçut secrètement les

causes mystérieuses de la lumière et il créa les brins de paille. (Les gua). L’homme saint en

question est probablement le premier ancêtre, Fo yi, mais je laisse Isore et Sœur Marie-Cordelia

vous en apprendre plus sur ce sujet (cf. l’hexagramme du mois)…

Mais sheng (R.128) est aussi le sage du premier ordre par rapport à xian (R.9), l’homme

montagne, l’homme de la montagne, que l’on traduit généralement par immortel. Celui qui s’est

affranchi de certaines des lois de la nature et de la matière ainsi que des contraintes de l’espace et

du temps, qui domine les éléments est bel et bien le sage du deuxième ordre par rapport à sheng

(R.128). En effet, contrairement à ce qu’écrivent certains traducteurs ignorants en quête de

phénomènes ou certains orientalistes avides de révélations extraordinaires (sans parler de

professeurs en recherche de pouvoir ou d’élèves prenant le doigt montrant la lune pour la lune

elle-même !), la recherche des phénomènes cède le pas sur la recherche de l’intellectualité pure.

Notons en passant que les immortels taoïstes sont huit dans la tradition chinoise et qu’ils

correspondent aux sept rishis de la tradition hindou ; Mais cela sera développé plus tard…

Xian pour en revenir à lui, est souvent utilisé par les taoïstes un peu plus tardivement dans un

contexte plus ‘léger’. On le trouve par exemple chez Li Po (Buvant seul sous la Lune, ascension

du mont O Mei, ascension du Tai shan) ou dans le titre du roman : Les huit immortels traversant

la mer.

A noter un autre xian (R.154/8), traduit comme sage parfait (encore un !) et sage du deuxième

ordre…

Ensuite abordons un caractère important et très employé dans les textes confucianistes ; Il s’agit

de jun (R.30/4). Terme abondamment utilisé dans les Quatre Livres dans lequel il est souvent le

corrélatif de l’homme vulgaire (xiao ren) : (Les entretiens, chap.12, Ien Iuen*15) : « Le sage

aide les autres à bien faire, mais non à mal faire. L’homme vulgaire tient une conduite tout

opposée. » (Les entretiens, chap.16, Ki Cheu*/8) : « Le sage respecte trois choses. Il respecte la

volonté du Ciel ; il respecte les hommes éminents en vertu et en dignité ; il respecte les maximes

de sages. L’homme vulgaire ne connaît pas la loi naturelle et ne la respecte pas ; il traite sans

respect les hommes éminents ; il tourne en dérision les maximes des sages. » On note

l’utilisation de sheng pour désigner les sages du premier ordre (maximes des sages). (Les

entretiens, chap.16 /10) : « Le sage donne une attention spéciale à neuf choses. Il s’applique à

bien voir ce qu’il regarde, à bien entendre ce qu’il écoute ; il a soin d’avoir un air affable,

d’avoir une tenue irréprochable, d’être sincère dans ses paroles, d’être diligent dans ses

actions ; dans ses doutes, il a soin d’interroger ; lorsqu’il est mécontent, il pense aux suites

fâcheuses de la colère ; en face d’un bien à obtenir, il consulte la justice. » (Les entretiens,

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La Page du Hérisson – n°7 p.15/18

chap.15, Wei Ling Koung*/36) : « Le sage s’attache fortement à la vérité et au devoir, il ne

s’attache pas opiniâtrement à ses idées. » Dans l’Invariable Milieu (Zhong Yong 14), on lit : «

Le sage règle sa conduite d’après la condition dans laquelle il se trouve ; » (Zhong Yong 15) :

« Le sage est comme le voyageur qui, pour aller loin, part du lieu le plus rapproché de lui ;

comme un homme qui, voulant gravir une haute montagne, commence par le bas. » (Zhong

Yong 33) : « (…) la vertu du sage aime à rester cachée et son éclat augmente de jour en jour.

Au contraire la vertu de l’homme vulgaire aime à se montrer, et elle disparait peu à peu. » De

même, dans : Les entretiens (chap.13/3), il est dit : « Un prince sage donne aux choses les noms

qui leur conviennent, et chaque chose doit être traitée d’après la signification du nom qu’il lui

donne. » Jun que l’on trouve aussi dans le Yi Jing sous la traduction de Philastre comme

‘l’homme doué’, ce qui marque bien son second rang par rapport au sage du premier ordre. (Hex.

2) : « L’homme doué a le moyen d’agir. » et plus loin : « L’homme doué embrasse tous les êtres

par l’ampleur de sa vertu. » (Hex.5) : « Le nuage monte au ciel, attente ; l’homme doué en

conclut l’opportunité de boire, de manger, de se livrer au repos et au plaisir. » (Hex.15) :

« L’homme doué méritant et modeste ; il a une fin heureuse. Le commentaire traditionnel de la

formule symbolique dit : l’homme doué méritant et modeste ; les peuples innombrables se

soumettent. (Hex.23) : « l’homme doué estime l’anéantissement et le repos, la plénitude et le

vide ; mouvement du ciel. » et plus loin : « l’homme doué jouit d’un char, l’homme inférieur use

la maison. » (Hex. 34 ; cf. L’hexagramme du mois) : « La foudre est au-dessus du ciel : grande

force. L’homme doué ne s’applique à ne faire aucune démarche contraire aux rites. (3e trait) :

« l’homme inférieur emploie la force, l’homme doué la méprise ; » (Hex. 40) : « La foudre et la

pluie agissent : délivrance ; l’homme doué en conçoit l’idée de l’amnistie et du pardon des

fautes. » (Hex. 63) : « l’eau est au-dessus du feu ; l’ordre est rétabli. L’homme doué en conclut

qu’il doit songer aux malheurs et les prévenir à l’avance. »

Jun que l’on rencontre aussi dans le Shu Jing (4e partie, chap.16 ; le sage Cheu*) : « Oh ! Prince

sage, réfléchissez-y bien. Le mandat que nous avons reçu du ciel est une faveur sans limite, mais

aussi une source de grandes difficultés. Prince sage, je vous engage à entretenir de grandes

pensées. » Ainsi que dans le Shi Jing, les Odes (2e partie, livre3, chant 2/4) : « La vue de ce sage

donne le repos à mon âme. »… Zhuang Zi utilise aussi ce caractère, le mettant dans la bouche de

Kong Zi qui l’oppose une fois de plus à xiao ren, l’homme vulgaire ou l’homme inférieur

(chap.6/G) : « Le vrai surhomme a rompu avec tout le reste, pour adhérer uniquement au Ciel.

Celui-là seul devrait être appelé Sage par les hommes. Trop souvent, qui est appelé sage par les

hommes, n’est qu’un être vulgaire quant au Ciel. »

Voyons maintenant un couple défini par une certaine hiérarchie, il s’agit de zhen (R.109/5) et de

shen (R.113/5). A propos du premier, certaines indications nous sont données par Zhuang Zi

(chap.6/A) : « Sur quoi repose la certitude de cette distinction du céleste et de l’humain dans

l’homme ? Sur l’enseignement des Hommes Vrais. D’eux provient le vrai Savoir. »

(chap.6/B) : « Les Hommes vrais de l’antiquité, se laissaient conseiller même par des minorités.

Ils ne recherchaient aucune gloire, ni militaire, ni politique. Leurs insuccès ne les chagrinaient

pas, leurs succès ne les enflaient pas. Aucune hauteur ne leur donnait le vertige. L’eau ne les

mouillait pas, le feu ne les brûlait pas ; parce qu’ils s’étaient élevés jusqu’aux régions sublimes

du Principe. » (…) « Les hommes vrais anciens ignoraient l’amour de la vie et l’horreur de la

mort. (…) Calmes ils venaient, calmes ils partaient, (…) Par suite, leur cœur était ferme, leur

attitude était recueillie, leur mine était simple, leur conduite était tempérée, leurs sentiments

étaient réglés. (…) Ainsi, en eux, pas de conflit entre le céleste et l’humain. Et voilà justement ce

qui fait l’Homme Vrai. Ce même zhen est décrit ainsi chez Lie Zi (chap.3/C) : « Les Sages

anciens ne pensaient que peu quand ils veillaient, ne rêvaient pas quand ils dormaient et ne

parlaient ni de leurs pensées ni de leurs rêves, parce qu’ils croyaient aussi peu aux unes qu’aux

autres. » Quant au second, shen (R.113), on le rencontre chez Lie Zi (2/B) : « (…) Il est habité

par des hommes transcendants qui ne font pas usage d’aliments, mais aspirent l’air et boivent la

rosée … » ou chez Zhuang Zi (chap.1/D) : « habitent des hommes transcendants, blancs comme

la neige, frais comme des enfants, lesquels ne prennent aucune sorte d’aliments, mais aspirent le

vent et boivent la rosée. » Et, (chap.11/F) : « Transcendant et agissant sans cesse, est le Ciel. »

(chap.13/G) : « toutes les abstractions comme la bonté et l’équité, sont des ramifications du

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La Page du Hérisson – n°7 p.16/18

Principe, mais dérivées, lointaines. » (chap.15/B) : « Ses esprits vitaux étant toujours dispos, son

âme est toujours prête à agir. Et plus loin : « Celui dont l’esprit vital est parfaitement intègre et

pur, celui-là est un Homme vrai. » Passage dans lequel nous retrouvons cette notion de zhen ren,

l’homme vrai dont nous parlions précédemment, car c’est une caractéristique de l’homme vrai

taoïste d’avoir pleine possession de ses esprits vitaux (shen). Ces deux-là ont un rapport que l’on

retrouve dans d’autres traditions. Ainsi le Rose-Croix est celui qui a atteint la perfection

humaine, ce qui correspond à la réalisation des petits mystères, c’est l’homme vrai ou véritable

zhen ren de la tradition taoïste ; alors que le Soufi (çufi), ou le yogî, est celui qui a atteint la

réalisation supra-humaine, les grands mystères ; c’est l’homme transcendant shen ren de la

tradition taoïste. « Le Yogî ayant traversé la mer des passions est uni avec la Tranquillité et

possède le Soi dans sa plénitude. » (Shankarâchârya ; Atmâ-Bodha). De là, seulement, l’être

pourra aboutir à la ‘Délivrance’ ou à ‘l’Identité Suprême’ selon les termes que les différentes

traditions emploient pour définir cet état. Et ce sera l’obtention du degré ultime, celui que les

taoïstes définissent par sheng ren dont nous avons parlé au départ…Un autre rapport serait à

envisager, c’est celui, dans le Bouddhisme, ayant trait aux Arhats correspondant à l’homme

véritable (zhen ren) et aux Bodhisattvas correspondant à l’homme transcendant (shen ren).

Mais nous ne pouvons malheureusement pas développer toutes ces notions présentement… On

trouve encore chez Zhuang Zi (chap.1/C), un ordre entre zhi, que nous allons aborder maintenant

et qui correspond au ‘surhomme’ (qui peut être considéré comme l’équivalent de zhen), shen qui

est considéré comme ‘l’homme transcendant’ et sheng : « le surhomme n’a plus de soi propre ;

l’homme transcendant n’a plus d’action propre ; le sage n’a plus même un nom propre. Car il

est un avec le Tout. » Cela confirme ce qui vient d’être dit.

Il nous reste à traiter de zhi (R.133) qui, semble-t-il, aurait d’étroites relations avec zhen étudié

précédemment ; En effet, il est le terme de la perfection terrestre, celui des petits mystères. Chez

Lie Zi (chap.2/D) : « Que le surhomme passe là où il n’y a pas d’ouverture, traverse le feu sans

être brûlé, s’élève très haut sans éprouver de vertige… » Chez Zhuang Zi il est fait mention de

cette progression entre les états (cf. au-dessus, chap.1/C), mais aussi (chap.5/C) : « Ce Koung ni,

lui dit-il n’est pas un surhomme. Il s’attire des disciples, pose en maître, et cherche visiblement

la réputation. Or le surhomme considère les préoccupations comme des menottes et des

entraves. » Et (chap.13/G) : « Aussi quand il gouverne, le surhomme ne s’embarrasse pas dans

ces détails, et par suite le gouvernement du monde n’est pour lui qu’un poids léger. » Mais aussi

(chap.19/M) : « Le surhomme s’oublie au point de ne pas savoir s’il a ou non des viscères et des

sens. Il se tient en dehors de la poussière et de la boue de ce monde, loin des affaires des

hommes. » Et, plus loin : « J’ai parlé à Sounn-hiou*des qualités du surhomme. C’est trop fort

pour lui. Il en perdra peut-être la tête. »

Que le lecteur veuille bien nous pardonner ces nombreuses citations et la relative lourdeur du

texte ; cependant il nous semblait important de donner des références et des pistes à ceux qui, ne

connaissant pas les Classiques, auraient l’intention de découvrir et éventuellement d’approfondir

le sujet. En fait, ce travail n’est qu’un préliminaire succinct et de piètre qualité, mais pouvant

servir, nous espérons, de point de départ à une étude digne de ce nom.

Aucune hiérarchie n’apparaît clairement dans tout cela ; au niveau du confucianiste, il existe une

gradation entre le grand homme (da ren), le lettré (shi), l’homme éminent (jun zi) et le sage

(sheng ren). Pour les taoïstes, cette gradation commence avec l’homme droit (zhen ren.R.154),

puis viennent conjointement l’homme vrai (zhen ren) et l’homme parfait (zhi ren), ensuite

l’homme transcendant (shen ren) et enfin le sage (sheng ren).

Le mois prochain, nous aborderons la hiérarchie dans l’école chevaleresque traditionnelle. Ce

qui sera sans doute moins complexe, mais nous permettra néanmoins de repréciser certaines

choses…

Canard Plastic

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La Page du Hérisson – n°7 p.17/18

Les infos…

Le stage du 12 février dernier conduit par Georges Charles à Athis-Mons. Commande spéciale : l’illustration de l’ouvrage « Xing Yi Quan » par son auteur ! Un

programme bien fourni qui a permis à tous de voir ou de revoir : les Wu yin fa, les travaux de

poussées et de saisies du Xing Yi.

A gauche démonstration

d’une application de poussée

Pendant la pause animée par

Philippe, notre expert en

thés,

Xavier et Gilbert pratiquent

ensemble le poing du grand

faîte !

Et Georges dédicace !

Et la photo de groupe ! Sont représentés les pratiquants d’Athis-Mons, de Paris, de Vaires-sur-

Marne, de Maisons-Alfort et de Strasbourg. Bonne ambiance, bonne pratique !

Rendez-vous pour une prochaine session en mars 2013 ! A suivre…

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La Page du Hérisson – n°7 p.18/18

Révélations artistiques du Hérisson

Glands et compagnie ; personnages des bois. (2011), Laure.

En prim’ une charade Mon premier est fluide vital qui nourrit le corps !

Mon deuxième intéresse les druides qui montent aux arbres pour en chercher !

Mon troisième est un sorbet sans é !

Mon tout est une plante sauvage.

Aux prochains numéros

Le véritable calendrier traditionnel !

Une nouvelle plante très sauvage GRRR !

La technique du mois …A ne pas manquer !

Et bientôt, la rubrique de charmes !!!!

Notes additionnelles :

*Transcriptions EFEO