Packard La Boule Rouge

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La Boule Rouge

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  • Frank L. Packard

    LA BOULE ROUGE

    The Purple Ball 1933

    Traduit par Marguerite Vabre

  • Table des matires

    CHAPITRE PREMIER LE COMMANDANT ........................... 4

    CHAPITRE II COURANTS SOUS-MARINS ......................... 11

    CHAPITRE III APRS LA NUIT ........................................... 19

    CHAPITRE IV LHISTOIRE DE KAYA DALAM ................... 25

    CHAPITRE V LLE DU MAL ............................................... 43

    CHAPITRE VI RECHERCHES .............................................. 54

    CHAPITRE VII IL COURT IL COURT, LE FURET ....... 67

    CHAPITRE VIII UNE IMPASSE ........................................... 82

    CHAPITRE IX ALLIS .......................................................... 96

    CHAPITRE X EN RETRAITE .............................................. 112

    CHAPITRE XI PLUS QUE QUATRE .................................. 121

    CHAPITRE XII LA BOULE ROUGE ................................... 133

    CHAPITRE XIII GARE AU LOUP ....................................... 139

    CHAPITRE XIV LE LOUP MONTRE LES DENTS ............. 146

    CHAPITRE XV CARTES SUR TABLE ................................ 154

    CHAPITRE XVI LE SECRET DU NEPENTHE .............. 169

    CHAPITRE XVII MENACES ............................................... 177

    CHAPITRE XVIII DANS LENTREPONT ........................... 193

    CHAPITRE XIX TRANGES NOUVELLES ........................ 204

    CHAPITRE XX CE QUI FAISAIT RIRE GAFFNEY ............ 211

    CHAPITRE XXI COMMENT SAJUSTAIENT LES MORCEAUX DU PUZZLE ................................................... 223

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    propos de cette dition lectronique ............................... 244

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    CHAPITRE PREMIER

    LE COMMANDANT

    lavant la cloche du Nepenthe piqua deux : neuf heures du soir.

    Owen Heath, tout en traversant le pont, jeta un regard par la porte ouverte, sur la pice du yacht qui servait la fois de bar et de fumoir. Les quatre invits mles jouaient au bridge, comme dhabitude. Il haussa les paules. Ceux-l ne faisaient que jouer au bridge et boire. Ils buvaient continuel-lement. Cela ne le regardait pas, il tait seulement comman-dant temporaire du Nepenthe, mais il eut t normal quils dsirent de temps en temps emplir leurs poumons dair pur, surtout par cette splendide nuit toile. Quel drle de voyage et quels curieux passagers ! Il y avait pourtant une exception.

    Les yeux dOwen parcoururent le pont dsert. Les quatre joueurs ntaient pas les seuls qui les merveilles dune ad-mirable nuit tropicale taient indiffrentes. Il fut dsappoin-t. Navait-il pas espr quune de ces chaises transatlan-tiques serait occupe ? Et, pour tre plus prcis, quelle serait occupe par Doris Carroll ? Elle ne ltait pas La mer sem-blait un drap dargent sous la clart de la pleine lune. Il y avait peine une ondulation sur leau. Quel dommage de manquer pareil enchantement ! Il fit une petite grimace mo-queuse. Ces chaises taient bien tentantes.

    Le bruit de la T.S.F. se fit entendre au pont suprieur. Roach devait envoyer quelque message sans but travers les

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    airs taient-ils sans but ? En face de lui se trouvait la porte du salon de repos. Cette porte tait ferme, mais il entendait marcher la radio. Le poste le plus moderne, ondes longues et courtes, tait nich dans ce petit coin bien meubl. Peut-tre tait-elle l ? En tous cas il y avait quelquun.

    Il traversa le pont, ouvrit la porte, et sarrta brusque-ment sur le seuil en entendant ces mots sortir de lappareil :

    sauvagement assassin on value trois ou quatre millions le

    Une confusion sensuivit : bribes de chansons, rugisse-ments dorchestres, cri aigu de quelque instrument, frag-ments de rclame. Il porta instinctivement la main ses oreilles. Ce ntait par Doris Carroll qui tait l, ctait Mme Stavert. Elle manipulait lappareil avec frnsie et sem-blait exaspre. Mais comme Owen venait ses cts, elle arrta la radio et le regarda.

    Quelle horreur, nest-ce pas ? scria-t-elle.

    Il sourit.

    Vous voulez parler du meurtre dont on donnait la nouvelle quand je suis entr ?

    Non, il ne sagit pas de cela. Je parle de cette soire. Elle est pouvantable, absolument scandaleuse. Ce meurtre est horrible aussi, naturellement.

    De quoi sagit-il ? demanda-t-il. Jai seulement enten-du que quelquun avait t sauvagement assassin et cela pour quelque chose qui valait de trois quatre millions.

    Cest aussi ce que jai entendu, dit-elle. Cest venu de je ne sais o et a disparu de mme. Jessayais de le retrouver

  • 6

    quand vous tes entr, mais en vain. Ne rapportez pas M. Morlan la confession que je vais vous faire, capitaine Heath, mais, depuis que nous avons quitt Singapour, il y a deux semaines, cest la premire fois que jprouve quelque chose qui ressemble un frisson, et je suis furieuse de navoir pu entendre jusquau bout.

    Est-ce si ennuyeux que cela ? dit Owen sympathique. Non, je ne dirai rien. Voulez-vous que nous essayions encore une fois ?

    Essayez si vous voulez, dit-elle avec un geste vers le poste indiquant son exaspration. Mais si vous avez quelque chose ce sera trop tard. Ctait probablement une courte in-formation et le perroquet qui est maintenant devant le micro doit dvelopper longuement ltat des dettes internationales, ou parler des conditions poses aux Esquimaux par la Soci-t des Nations pour les admettre dans son sein, ou dire quelque chose daussi intressant.

    Owen observa un moment son interlocutrice, faisant malgr lui la grimace. Myrna Stavert ntait pas une femme ordinaire. De cela il tait sr. Mais ce quelle tait exacte-ment, il ntait pas encore capable de le dfinir. Elle tait as-sez plaisante, jeune, certainement pas plus de trente ans, et sa mince silhouette lgante se parat de robes qui devaient tre fort coteuses. Elle tait aussi, sans nul doute, intelli-gente et desprit vif. Jolie ? Non. Il laurait plutt trouve belle. Il y avait quelque chose de masculin dans le ferme dessin de sa bouche et de son menton carr. Une certaine fixit, aux aguets derrire les beaux yeux sombres, semblait leur enlever un peu de leur fminit.

    Oui, admit-il. Je crois que vous avez raison. Vous navez pas de chance de manquer ainsi le frisson espr. Je

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    souhaite cependant que vous ne men veuilliez pas person-nellement de ce que ce voyage, jusquici, ait t si si peu intressant.

    Si peu intressant. Elle fumait une cigarette, aspirait profondment la fume et la renvoyait lentement. Cest la vieille histoire de la familiarit qui engendre le mpris, nest-ce pas ? Naturellement, je ne vous en veux pas. Vous ne pouvez rien faire dautre que dobir aux ordres. La cons-tante rptition dune chose qui vous a paru intressante au premier abord, parce quelle tait nouvelle, vous donne vite la nause. Quand, je suis monte bord du Nepenthe, le seul nom de ce bateau mimpressionnait. Nepenthe, vous le savez, tait le nom donn un philtre magique qui, daprs les an-ciens Grecs, faisait oublier les chagrins et les infortunes. Je navais cependant ni chagrins, ni infortunes oublier alors, mais ce nom me passionnait, je le trouvais dlicieusement potique. Maintenant, je lai en horreur. Cest trs bien doublier, mais il y a des moments o lon aimerait avoir autre chose faire.

    Pourtant, regardez ce qui vous entoure, Mme Stavert, protesta Owen. Vous

    Oh ! oui, je sais, interrompit-elle, sa voix devenue su-bitement frle. Larchipel Malais, ses les magnifiques et tout le reste, devraient tre pour moi une source de joies sans fin. Ils ne le sont pas. Un jour nous sommes une le, le lende-main une autre, ou un soi-disant port dans une autre par-tie de cette le. Partout la mme chose, les mmes htels avec les mmes noms, les mmes bars, les mmes hommes blancs, les mmes indignes, les mmes marchs, la mme chaleur, et cette mme ambiance inexprimable qui vous treint, moins pnible toutefois, qu Singapour.

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    Mon Dieu ! sexclama Owen.

    Oui, je vous ennuie, nest-ce pas, continua-t-elle avec un sourire rentr. Mais je nen peux plus. Vous vous consid-rez comme une victime, nest-ce pas ? Ne niez pas, je le sais. Moi aussi, cette monotonie mennuie prir et la vie que nous menons ici, bord, pendant que nous naviguons est pire encore. Ce nest quune interminable srie de repas, et ces quatre hommes qui narrtent pas de jouer aux cartes, qui sont de plus en plus ivres et se querellent davantage chaque partie. Quant aux deux autres

    Elle se pencha brusquement en avant et posa sa main sur le bras dOwen. Il sentit ses doigts le serrer nerveuse-ment. Ses yeux noirs agrandis se fixrent sur lui et sembl-rent tout coup voir dans lavenir.

    Vraiment, capitaine, dit-elle dune voix basse et s-rieuse, si vous ne pouvez pas vous arranger pour trouver un changement quelconque, qui rompe bientt cette monotonie, je vous prviens que nous allons nous arracher les yeux les uns aux autres.

    Au diable cette femme ! Elle pensait rellement ce quelle disait. Quavait-elle donc ? Pourquoi ne parlait-elle pas son mari ? Lui, Owen, que pouvait-il rpondre ?

    Tout ce que je pourrais faire, madame Stavert commena-t-il maladroitement.

    Mais lhumeur de la femme avait chang et elle clata de rire.

    Oubliez ce que je viens de dire, scria-t-elle gaie-ment, je ne sais pas ce qui ma pousse vous parler de la sorte, mais je me sens soulage, maintenant. Seulement,

  • 9

    souvenez-vous elle posa un doigt sur ses lvres pas un mot M. Morlan, je ne me suis pas conduite en invite con-venable.

    Owen rit son tour. Il reprenait ses esprits.

    Cest entendu, acquiesa-t-il, une condition. Voulez-vous me dire si vous avez aperu Mlle Carroll ce soir et sa-vez-vous o elle peut tre ?

    Elle tait gaie maintenant et dit, taquine :

    Jattendais cela. Malheureusement pour vous, elle doit tre occupe crire ou dchiffrer pour M. Morlan. Cest honteux de sa part de la garder enferme par une nuit pareille ! Et elle regarda au del de la fentre la mer sous le clair de lune.

    Au diable cette femme, pensa-t-il encore. Mais que pou-vait-il faire ?

    Dici, vous ne pouvez pas vous rendre compte de la beaut du spectacle, rpondit-il courtoisement. Que diriez-vous dun tour sur le pont ?

    Elle secoua la tte.

    Trs galant de votre part, capitaine, applaudit-elle. Mais je vous taquinais. Jai promis Mlle Morlan de des-cendre auprs delle et de lui tenir un peu compagnie. Elle ne se sentait pas bien ce soir.

    Cest dommage, je regrette, dit-il machinalement.

    Elle lui sourit, le visage ferm tout en se levant de son sige, et vint lentre du passage principal qui conduisait ltage infrieur. L, elle sarrta :

  • 10

    Savez-vous, dit-elle en se retournant brusquement et le dvisageant, que vous me plaisez parce que vous laissez voir votre pense sur votre visage. Je vous crois profond-ment honnte.

    Owen, mal laise, rougit.

    Merci, rpliqua-t-il schement.

    Oh ! je ne voulais pas vous offenser, dit-elle genti-ment. Je voulais simplement ajouter qutant lhomme sans dtours que vous tes et sachant combien les postes dofficiers de marine sont difficiles obtenir en ce moment, jespre que votre prochain voyage ne sera pas sur le Ne-penthe.

    Les paules blanches disparurent dans le passage. Elle tait partie.

  • 11

    CHAPITRE II

    COURANTS SOUS-MARINS

    Une ride creuse entre les sourcils, Owen monta sur le pont et sarrta un instant la porte de sa chambre, au pied de la passerelle du gaillard davant. Sans en avoir cons-cience, il entendait le battement rgulier, rassurant, des mo-teurs du Nepenthe et il remarqua aussi machinalement en haut de la passerelle la tte et les paules dune silhouette en uniforme blanc qui apparaissait au-dessus de la rambarde. Ctait Gaffney, lhomme de quart. Mais lesprit dOwen tait bien loin en ce moment de Gaffney et des moteurs du Ne-penthe. Les paroles de Mme Stavert le proccupaient davan-tage.

    Il entra dans sa chambre, donna de la lumire, et sallongea sur la couchette. Son visage tann, ras de prs, tait srieux. Il lana adroitement sa casquette sur la com-mode et passa la main dans ses cheveux chtains. Quest-ce quelle avait voulu dire par cette dernire remarque propos de lhonntet ? tait-ce ironique ? tait-ce un avertissement amical ? Une allusion opportune ? Avait-elle dcouvert quelque chose de vilain se cachant ici, bord du Nepenthe ? Il sattachait plutt cette dernire hypothse. Tels des cou-rants sous-marins discordants, gnants, il y avait quelque chose dtrange bord. Il en avait lui-mme limpression. Il ne serait pas surpris que Mme Stavert et raison, et que dici peu les htes de M. Morlan commenassent sarracher les

  • 12

    yeux au figur, bien entendu avec ladjonction de M. Morlan et de sa fille dans une mle gnrale.

    Il croisa ses mains derrire la tte et fixa le plafond. Il navait aucune autorit sur les invits, et encore moins sur le propritaire. Il tait commandant temporaire du yacht et tant quil ntait pas question de manuvres ou de navigation, il devait obir aux ordres de M. Morlan.

    Ses yeux quittrent le plafond et firent le tour de cette cabine confortable et bien meuble. Ctait trange, cela aus-si, dtre tendu ici sur la couchette du patron et davoir commander le Nepenthe.

    Ce vieux dur cuire de capitaine Penny. peine parti de Singapour depuis huit jours et oblig de dbarquer, malade, Swabi Swabi, cet endroit abandonn des dieux Mme Stavert lavait bien dcrit. Mais il ny avait pas moyen de faire autrement, il ny avait pas de docteur bord, et celui quon avait vu terre diagnostiquait la typhode. On repren-drait le patron au retour. Quand ? Dieu seul le savait. Peut-tre dans un mois. Il esprait que ce vieux Penny sen tire-rait. Ctait cause de lui quil se trouvait l maintenant.

    Owen remonta en pense le cours des annes. Il avait fait son apprentissage en mer sous les ordres du capitaine Penny et avait effectu avec lui un ou deux voyages comme troisime officier. Puis ils staient spars. Il y a deux ans, Owen avait obtenu son brevet de commandant, mais navait pu, jusquici, trouver de poste plus important que celui de second officier. On avait commenc alors restreindre la navigation un peu partout et on lavait remerci. Mme Stavert, qui semblait tonnamment au courant de toutes ses choses, ne stait pas trompe quand elle avait dit que les postes dofficiers taient maintenant difficiles obtenir. Il avait vu

  • 13

    les meilleurs marins munis de rfrences remarquables se contenter de situations subalternes et tre trs contents de les trouver. Lui-mme avait navigu ainsi vers lEst. Sur le gaillard davant. Il secoua la tte, il navait rien pu trouver en Angleterre, cest pourquoi il tait revenu en Orient. Il tait n dans les les et avait espr que sa connaissance de la langue indigne et les relations de son pre lui donneraient une chance de faire quelque travail de cabotage, sil ne soffrait rien de mieux. Mais les choses avaient beaucoup chang. Il stait embarqu 15 ans, la mort de son pre, il en avait 27 maintenant. Les vieux amis et les situations staient faits galement rares. Rien navait russi. Il tait seul au monde et avait pu mettre de ct une somme importante. Mais ses conomies ne dureraient pas toujours. Et voil que la Provi-dence lui tait venue en aide quelques semaines auparavant, Singapour, sous les traits du capitaine Penny. Cela lui avait paru miraculeux. Il avait peine eu le temps de lui demander si, par hasard, il ne connatrait pas un emploi nimporte o, il stait entendu rpondre sans en croire ses oreilles :

    Jen connais un, avec moi. Et vous tes juste le gar-on que je cherche. Je commande le Nepenthe, un yacht pri-v de quinze cents tonnes, qui marche au mazout. Mon pre-mier officier vient justement de se marier et a trouv une si-tuation terre chez les parents de sa femme. Je ne peux vraiment pas lui en vouloir. Carlin, mon second, me con-vient, mais je ne peux pas me reposer sur lui, il na pas assez dexprience. Je nai que deux officiers de pont et je suis trop vieux pour me fatiguer davantage. On prend le quart comme on avait lhabitude de le faire sur les bateaux voiles, mais je le prends moi-mme le matin pour les soulager un peu. Lquipage est bon et tout fonctionne trs bien. Que dites-vous de cela, Owen ?

  • 14

    Owen sourit ce souvenir. Quelle chance ! tre le premier officier sur un yacht priv. Il aurait navigu sur une dragueuse. Ctait trop beau pour tre vrai. Il navait pas h-sit.

    Plus tard, le capitaine Penny lui avait expliqu que M. Henry K. Morlan, le propritaire, avait fait plusieurs voyages avec lui dAngleterre en Orient. Que M. Morlan lui avait propos plusieurs fois de prendre le commandement du Nepenthe et lui avait finalement offert de tels avantages que le capitaine Penny navait pu refuser.

    Cela aussi tait trange.

    Tout ce quil savait du Nepenthe et de son propritaire, il lavait appris du capitaine Penny. M. Morlan tait la tte de plusieurs plantations de caoutchouc et de copra. Le Nepenthe tait la plus grande partie du temps parmi les les et remon-tait la cte de Chine, transportant des approvisionnements et faisant des visites dinspection aux directeurs des diverses plantations. Quelquefois le yacht allait Ceylan et de l dans les ports hindous. M. Morlan devait aimer beaucoup la mer. Combinant les affaires avec le plaisir, il avait toujours des in-vits bord. Dautre part, M. Morlan passait une bonne par-tie de lt septentrional aux tats-Unis et en Europe. Le Ne-penthe croisait sur les sept ocans.

    Owen se passa de nouveau la main dans les cheveux : il y avait quelque chose de singulier dans tout cela quelque chose dinquitant mme, et il ne pouvait discerner quoi.

    La maladie du capitaine Penny navait pas fait abandon-ner la croisire. M. Morlan sy tait nergiquement refus, et avait t trs heureux quand le capitaine Penny lui avait as-sur que lui, Owen, tait parfaitement capable de prendre le

  • 15

    commandement. On avait seulement d prendre un autre of-ficier de pont, mais il ne manquait pas de candidats Swabi. dire vrai, ces candidats ressemblaient plutt des cu-meurs de cte qu autre chose. Un, cependant, avait t choisi. On avait fait monter en grade Carlin, et Gaffney, celui qui tait maintenant sur la passerelle, avait t engag comme second officier. Ses papiers taient en rgle, il navait pas pris la mer depuis un an, il vivait avec son frre et avait t recommand par le directeur de laffaire de M. Morlan Swabi. Jusquici, il stait montr bon officier, mais Owen naurait pas t fch den savoir davantage sur son compte. Pour quelle raison ? Peut-tre parce quon ne pouvait jamais lamener parler de sa vie passe et parce que Carlin et lui ne sympathisaient pas. Gaffney ne livrait rien de lui-mme et, ntant plus trs jeune, il devait trouver amer davoir obir de plus jeunes que lui.

    On entendit de nouveau la T.S.F. et les penses dOwen se portrent alors sur Roach. Roach tait depuis longtemps sur le Nepenthe. Il tait bord un an ou deux avant que le capitaine Penny nen prt le commandement. Un singulier individu trente ans environ si mince quon croyait voir au travers, un nez saillant, et une curiosit extrme. Il semblait connatre tous les codes et captait tous les messages. Les codes privs ne lembarrassaient pas ; au contraire, assurait-il cyniquement, cela seul lamusait. Il se vantait ouvertement de tous les messages quil avait intercepts et dchiffrs, mais il tait muet quant leur teneur, ce qui tait lhonneur de sa discrtion. Ctait un sport rgulier, prtendait-il, seu-lement il fallait tre bon chasseur pour abattre son gibier. Owen fronait les sourcils. Ces messages capts pourraient permettre Roach, si un jour il en avait le dsir, de faire du chantage et toutes sortes de combinaisons louches.

  • 16

    Owen secoua la tte. Sottises que tout cela. Il naimait pas beaucoup Roach, cest vrai, mais ce ntait pas une rai-son pour tre injuste son gard. Lhomme ne faisait point de mal. En tous cas, il convenait M. Morlan, propritaire du yacht. Le reste ne le regardait pas.

    Mais pourquoi passer ainsi en revue le personnel du Ne-penthe ? Allait-il encore examiner mentalement le reste de lquipage : Blane et Taylor, la chambre des machines, le cuisinier chinois, et une vingtaine de Malais qui, sous la di-rection de Tanu, le mtis, compltaient lquipage du bateau. Mais que lui importait tout cela ?

    Llan dexaspration de Mme Stavert ntait pas dirig contre les officiers ou les matelots du yacht. Si les yeux de quelquun devaient tre arrachs, cet agrable petit travail ne serait entrepris que par M. Morlan et ses htes et serait circonscrit leur groupe. Quels singuliers personnages. Ils lui rappelaient un drame fantastique quil avait vu jouer au-trefois et qui avait pour titre Au Grand Large . Des morts qui ne se savaient pas morts, sembarquaient pour lautre monde Mon Dieu, quallait-il penser ? Ctait stu-pide de se laisser aller ces ides morbides. Pourtant, si on exceptait Doris Carroll, la secrtaire de M. Morlan, quel trange assemblage ! M. Morlan, M. Paul Stavert, le comte Gaspard de Luvac et M. Lao-Ti, les quatre hommes qui jouaient constamment au bridge en se querellant et chan-geant journellement des milliers de livres sterling que ga-gnait finalement Paul Stavert. Mme Stavert tait une nigme, et puis il y avait Anne Morlan, qui restait la plupart du temps dans sa cabine et quOwen, daprs une allusion lance par le capitaine Penny et daprs sa conduite souvent anormale, souponnait de sadonner aux stupfiants.

  • 17

    Il ne connaissait pas beaucoup tous ces gens-l. Com-ment laurait-il pu ? Il en voyait seulement le vernis de sur-face. Le comte franais lintriguait peut-tre davantage que les autres. Le comte de Luvac ne jouait pas pour de largent son partenaire empochait toujours le double enjeu. Il buvait moins que les autres et se disputait moins. Son accent an-glais tait remarquablement correct pour un Franais. Ctait aussi le cas de M. Lao-Ti. Il avait t lev en Europe, vivait Shangha et ses mines dtain dans la pninsule lui avaient rapport, disait-on, plusieurs millions, et il

    Une pense se fit brusquement jour dans lesprit dOwen propos de cette annonce de la radio. Le meurtre Les trois ou quatre millions. Il lui semblait quavant datteindre la porte du salon de repos et bien quil ne pt rien distinguer nettement, il stait inconsciemment rendu compte que la T.S.F. fonctionnait normalement, sans parasites daucune sorte. Pourquoi, ds quil avait ouvert la porte aprs avoir entendu ces quelques mots, tout tait-il devenu incohrent ? Mme Stavert avait-elle exprs manuvr le bouton du ca-dran ? Avait-elle entendu lessentiel de laffaire avant son en-tre ? Pourquoi avait-elle arrt lappareil ? Owen se prit jurer tout seul, il tait dans un tat nerveux pouvantable ce soir, prt souponner nimporte qui des pires mfaits. Ici, au milieu des les, quest-ce que pouvait bien faire Mme Stavert ce quelle avait entendu ? Elle tait tombe par hasard sur cette annonce. Elle ne pouvait pas savoir davance que quelquun serait assassin cette heure prcise et stre arrange exprs pour se trouver seule dans le salon de repos. Ctait absurde. Pourtant, il ne pouvait se dfaire de lide que la radio marchait normalement avant son arri-ve

  • 18

    Il se dressa sur le divan au bruit de pas prcipits le long de la passerelle et il entendit presque au mme instant frap-per sa porte.

    Entrez, cria-t-il.

    Ctait Gaffney, lil torve, impassible, mais admirable-ment net dans son uniforme blanc.

    Bonsoir, monsieur. Aussi invraisemblable que cela paraisse, tant soixante milles de lle la plus proche, dit Gaffney, on signale une petite barque tribord, et autant que lon puisse distinguer, une forme blanche un homme de-bout, semble-t-il, agite ses bras comme un spectre.

    Owen pensa Mme Stavert et eut un sourire amus.

    Elle avait demand de limprvu pour rompre la mono-tonie du voyage, elle allait en avoir. Mais probablement dune sorte si bnigne quelle serait dsappointe.

    Trs bien, monsieur Gaffney, rpondit-il dun ton bref. Nous allons stopper.

  • 19

    CHAPITRE III

    APRS LA NUIT

    Larrt des machines du Nepenthe avait amen sur le pont M. Morlan, sa fille, et tous les invits. Mme Doris Car-roll, comme le remarqua Owen de la passerelle, avait aban-donn son travail. Ils taient tous groups le long du parapet, sur le pont principal, prs de lchelle des passagers. Gaffney avait bien vu, ctait un petit canot avec un seul occupant : un Malais en vtement blanc et sarong. Celui-ci, bien que trouv soixante milles de la terre la plus proche, ne parais-sait pas autrement mu et stait mis ramer vigoureuse-ment ds que le son de la sirne du yacht lavait averti quil tait aperu.

    Owen descendit de la passerelle sur le pont principal et se joignit au groupe. La barque tait maintenant le long du Nepenthe. Tanu et deux hommes de lquipage se tenaient au bas de lchelle, au niveau de leau, et parlaient avec anima-tion avec lindigne qui venait daborder.

    La voix de Tanu sleva :

    Que faut-il faire du canot, Tuan ? Cest un bon ba-teau, il y a un nom crit dessus, mais rien dedans que quelques vivres et trs peu deau dans une petite jarre.

    Owen jeta un regard interrogateur vers M. Morlan.

    Quen pensez-vous, monsieur ? demanda-t-il.

  • 20

    M. Morlan haussa ses paules carres.

    Au diable cette barcasse, scria-t-il avec impatience. Un bon canot est une aubaine sur nimporte quelle cte, mais faites ce que vous voudrez de celui-l. Cest lpouvantail moineaux qui naviguait dedans qui mintresse. Tchons de savoir ce qui lamne. Il terminera plus tard son histoire Tanu et lquipage, nous sommes au milieu dune partie.

    Owen fit un signe dassentiment.

    Montez la barque bord, dit-il dun ton bref, et en-voyez le bonhomme ici, sur le pont.

    Oui, Tuan, rpondit Tanu.

    la lueur de la lune qui se jouait sur les barreaux de lchelle, Owen considrait la silhouette que M. Morlan avait baptise assez justement pouvantail et qui, conform-ment aux ordres de Tanu, montait vers le pont dun pas hsi-tant. Ctait un Malais de petite taille, son sarong flottant tait fort sale, sa veste blanche, galement sale, dchire et dboutonne sur la poitrine, laissait voir son torse bronz. Physiquement, il ne paraissait pas avoir souffert, il semblait simplement nerveux et plein dapprhension.

    Lhomme atteignit le pont ; sadressant Owen, sans doute cause de son uniforme, il commena lui parler avec volubilit en langue indigne. Oublieux, ds les premiers mots, de ceux qui lentouraient, Owen lcoutait avec incr-dulit. Ctait fantastique, sil disait la vrit

    La voix de Mme Stavert linterrompit :

    Dites donc, protesta-t-elle, ce nest pas juste. Cest mme fort dsagrable, nous sommes-l tendre loreille et nous ne comprenons pas un mot. Ne peut-il parler anglais ?

  • 21

    Owen posa la question au Malais et se tourna vers les passagers.

    Oui, annona-t-il. Il dit quil sait langlais.

    Pourquoi diable ne le parle-t-il pas ? grogna M. Morlan. Quest-ce quil y a ?

    Je ne sais que penser, dit Owen perplexe. Il veut tout dire la fois et cest assez embrouill. Il prtend sappeler Kaya Dalam, il parle dun meurtre Ou plutt dune srie de meurtres, et dune chose de valeur inestimable qui en est la cause.

    Pardon, observa poliment le comte de Luvac, ras de frais et tir quatre pingles, mais sil sagit dun meurtre, cest intressant et plus encore dune srie de meurtres. Si les oreilles de ces dames ne sont pas froisses et si monsieur Morlan me permet cette suggestion, jaimerais connatre lhistoire de ces meurtres, avant que nous reprenions cette malencontreuse partie dans laquelle M. Lao-Ti a le malheur dtre mon partenaire.

    Bien dit, applaudit Paul Stavert, galement ras de frais, rassemblons-nous au salon de repos et coutons ce malheureux. Quen pensez-vous, Lao-Ti ?

    Le Chinois, immacul dans son habit blanc, sourit dou-cement.

    Je crains que lhistoire ne manque doriginalit, mur-mura-t-il. Ces gens-l ont une telle habitude de se couper la gorge les uns aux autres. Mais la curiosit est une bonne chose. Ainsi que la dit mon ami, le comte de Luvac, lhistoire dun meurtre est toujours intressante. Je suis daccord, cela changera peut-tre ma chance au jeu.

  • 22

    Anne Morlan sortit du groupe et savana vers le Malais. Au clair de lune, comme tout autre lumire et malgr ses grands yeux noirs hagards et sa pleur surnaturelle que les fards ne pouvaient cacher, Anne Morlan, dans sa triom-phante jeunesse, tait une jeune fille dune rare beaut. Combien de temps cela durerait-il ? quel degr dintoxication tait-elle arrive ? Owen la trouvait parfois singulirement attirante, dautres moments il prouvait pour elle un gal sentiment de rpulsion, comme si des ples magntiques fonctionnaient alternativement et sans avertis-sement.

    Ce soir-l, et cette heure, elle tait gaie, insouciante et dans un de ses meilleurs jours.

    Allons, venez, Kaya, cria-t-elle joyeusement en pre-nant le bras du Malais et en le conduisant travers le pont vers la porte du salon de repos. Nous mourons denvie de vous entendre et vous avez des choses nous dire, si le capi-taine Heath ne nous a pas tromps.

    Les autres la suivirent. Owen sattarda un moment pour donner les ordres ncessaires. Il navait pas menti. moins que le Malais ne ft un fou ou un menteur consomm, son histoire devait procurer Mme Stavert elle-mme les mo-tions fortes quelle recherchait. Il sourit demi. Il valait mieux ne pas rpandre cette histoire tout de suite. Roach tait l-haut au pied de lchelle de la passerelle. Roach avait quitt la cabine de T.S.F. pour cette occasion. Ntait-ce pas naturel ? M. Lao-Ti avait dit que la curiosit tait une bonne chose. Particulirement en mer. Lquipage indigne bordait le passage, le long du gaillard davant. Tanu, en bas, donnait ses ordres pour hisser la barque bord. Tanu avait t lev

  • 23

    par des missionnaires, il savait lire et il avait dit quil y avait un nom sur la barque.

    Dites donc, Tanu, appela brusquement Owen du haut de lchelle, quel est le nom crit sur le bateau ?

    Orsu, rpondit Tanu.

    Trs bien, dit Owen gaiement. Puis sadressant la passerelle. Aussitt que la barque sera bord, vous pourrez descendre, M. Gaffney.

    Bien, monsieur, rpondit le second officier.

    Owen traversa vivement le pont, il tait aussi impatient que les autres dentendre lhistoire de Kaya Dalam davan-tage peut-tre, ce quil en connaissait layant mis en apptit.

    Les passagers se pressaient dans le salon. Owen navait que quelques minutes de retard sur eux et arrivait juste temps.

    Maintenant ils sinstallaient, semparant des divans et des fauteuils. Le Malais, dans son accoutrement sordide tait au centre de la scne. Anne Morlan lavait plac prs du poste de T.S.F. et stait assise dans un fauteuil ses cts.

    Commencez, Kaya, lencouragea-t-elle, battant des mains.

    Acte premier, scne premire. Attention tout le monde.

    Mais Kaya Dalam tait mal laise et dconcert, il cli-gnait des yeux sous la vive lumire qui inondait la pice. Il se tourna effar vers Owen, comme pour chercher un soutien prs de lofficier non seulement cause du prestige de

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    luniforme, mais aussi parce que ce dernier comprenait sa langue natale.

    Owen sassit prs de lui.

    Commencez par le commencement, Kaya, dit-il en malais dun ton encourageant. Vous tes tout fait en sret, maintenant. Nous sommes vos amis. Plus aucun mal ne peut vous arriver. Parlez en anglais pour que nous comprenions tous.

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    CHAPITRE IV

    LHISTOIRE DE KAYA DALAM

    Les yeux noirs du Malais firent le tour du demi-cercle de visages qui lexaminait et se reportrent sur Owen. Il avala deux ou trois fois sa salive, remua les pieds, mais resta silen-cieux.

    Oui, je sais, dit Owen avec un sourire rassurant, cest extraordinaire, mais je vous ai dit que nous tions des amis. Allez-y, Kaya, vous navez rien craindre.

    Alors Kaya Dalam sembla reprendre ses esprits et com-mena parler.

    Tuan, dit-il voix basse, voici lhistoire. Il y a un peu plus de dix jours, une nuit, Singapour, quatre hommes sont venus bord de lOrsu et se sont mis daccord avec Tuan Radfort pour quil les emmne avec lui en voyage. Je ne connaissais pas encore leur but.

    Un instant, interrompit Paul Stavert, mettons les choses au point. Quest-ce que cest que lOrsu et qui est Radfort ?

    Je crois que, daprs ce que je connais dj de lhistoire, je peux vous rpondre, dit alors Owen. LOrsu est un schooner. Cest un de ses canots que nous avons recueilli. Le propritaire de lOrsu est un nomm Radfort, qui trafique Singapour. M. Morlan le connat peut-tre.

  • 26

    Non, je nen ai jamais entendu parler, dclara M. Morlan avec indiffrence.

    Mais si !

    Ctait Doris Carroll qui parlait. Owen la regarda. Quel charmant tableau elle formait, assise dans ce vaste fauteuil quatre fois trop grand pour son lgante petite silhouette ! Ses cheveux semblaient de bronze ou dor, suivant les jeux de lumire et les mouvements de sa tte. Ses yeux bleus bril-laient dexcitation.

    Cest le nom du schooner que la compagnie a affrt lanne dernire pour une cargaison de copra. Radfort tait le nom du capitaine. Vous devez avoir oubli, monsieur Mor-lan.

    M. Morlan frona les sourcils avec mcontentement.

    Cest possible, admit-il, nous affrtons tant de schoo-ners dans une anne Mais coutons la suite.

    Vous mavez dit que vous aviez hiss la voile cette mme nuit avant laube, reprit Owen. Continuez, Kaya.

    Oui, Tuan, cest exact. Mais il sleva le lendemain une grande tempte qui dura plusieurs jours. Nous tions huit dans le bateau : les quatre passagers, Tuan Radfort, moi, deux autres Malais qui aidaient Tuan Radfort la manuvre. Alors un grand malheur tomba sur nous, je nai jamais vu de tempte aussi forte et depuis mon enfance je vais sur la mer. Bujong et Kulop, mes compatriotes, furent tus par la chute dun mt, et cette mme nuit, comme il cherchait parvenir jusqu moi qui mtais jet sur la roue du gouvernail, Tuan Radfort fut balay par une lame norme qui aurait d briser en deux le bateau.

  • 27

    Kaya sarrta, se frotta nerveusement les yeux et sadressant Owen, se mit parler en malais avec volubilit. Au bout de quelques minutes, il sarrta de nouveau.

    Owen traduisit rapidement :

    Il dit que ce nest pas facile expliquer en anglais. Les choses sont alles de mal en pis. Les quatre hommes qui avaient lous le schooner ntaient pas des marins, mais ils aidaient de leur mieux. Kaya lui-mme ne pouvait plus sy reconnatre. Personne ne savait o ils taient. Leur citerne eut une avarie et avant quon leut dcouverte, presque toute leur rserve deau frache tait partie. Les choses commenc-rent samliorer quand le temps sclaircit. Mais ce ne ft quaprs deux jours quils aperurent la terre une le un matin, de bonne heure. Bien quils eussent besoin deau, les quatre hommes ne voulurent pas laisser Kaya sapprocher de cette le lorsquils aperurent des blancs sur le rivage. Kaya dit aussi que, le beau temps revenu, il tait souvent seul sur le pont. Les quatre hommes restaient boire dans la cabine la plupart du temps, et il les vit plusieurs nuits de suite, travers lcoutille vitre, se passer de mains en mains une boule de couleur rouge que chacun semblait garder tour de rle en sa possession.

    Que voulez-vous dire ? demanda Morlan. Je ne com-prends pas bien.

    Daprs ce que jai compris, moi, rpliqua Owen, celui qui avait la boule devait la montrer ds quon la lui deman-dait. Les autres lexaminaient et lun deux lempochait pour rpter plus tard la mme opration.

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    Hum, grogna M. Morlan. Notre ami Kaya a vu beau-coup de choses travers la vitre de cette cabine et bien ai-sment

    Ce fut Kaya lui-mme qui rpondit.

    Tuan, je guettais parce que javais peur. Jtais seul avec eux et je me demandais ce quils feraient quand ils nauraient plus besoin de moi. Javais peur autant cause de leur arrive bizarre sur le Orsu, que du Mal qui semblait crit sur leurs visages.

    Entendiez-vous quelque chose travers la vitre ?

    Kaya Dalam secoua la tte.

    Je nentendais rien, lcoutille tait ferme.

    Puissamment raisonn, murmura monsieur Lao-Ti.

    Oui, dit Paul Stavert avec un peu dimpatience. Mais revenons la boule. Quest-ce que ctait ? Que signifiait-elle ? Pouvait-on louvrir ?

    De nouveau Kaya Dalam secoua la tte.

    Cela, je ne le sais pas, Tuan, rpliqua-t-il. Tout ce que je sais, cest quelle ressemblait ces balles de caoutchouc que les enfants achtent dans les bazars et quelle ntait pas plus grosse quune petite orange. Mais ils y attachaient beaucoup dimportance, comme le Tuan va voir.

    Le comte de Luvac se pencha vivement.

    Comment sappelaient ces quatre hommes ? interro-gea-t-il brusquement.

  • 29

    Leurs noms, Tuan et Kaya Dalam compta sur ses doigts taient : Tuan Noir, Tuan Blanc, Tuan Vert, et Tuan Gris.

    Anne Morlan se mit rire.

    Et la balle tait rouge ? Que de couleurs.

    Le comte de Luvac ne riait pas.

    Quels taient leurs vritables noms ? demanda-t-il tranquillement.

    Ils ont donn ces noms-l Tuan Radfort, et je nen connais pas dautres. Mais Tuan Radfort a ri, lui aussi, quand il les a entendus.

    Stavert grimaa.

    Ce sont certainement des pseudonymes, mais cela ne nous intresse pas pour le moment, nest-ce pas ? Reprenons lhistoire et en anglais, si possible. Vous vous en tirez trs bien. Vous disiez quils navaient pas voulu vous laisser aborder dans une le habite par des blancs. Quarriva-t-il ensuite ?

    Quand je vis cette le, qui ne mtait pas inconnue, je me rendis compte pour la premire fois de lendroit o la tempte nous avait amens. Je savais quil y avait non loin de l dautres petites les inhabites o nous pourrions trou-ver de leau. Je le dis aux quatre hommes blancs.

    Au milieu de la journe ctait laube que nous avions aperu la grande le nous approchmes dune de ces petites les dsertes et nous mmes lancre du ct abrit. Je conduisis laviron les quatre Tuans sur la cte, et nous escaladmes la berge. L, ils me renvoyrent chercher dans

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    le canot chou sur le sable un objet qui ny tait pas. Ctait un prtexte pour mloigner. Je men doutai et, me retour-nant, je les vis se rassembler et se passer de lun lautre la boule rouge comme pour sassurer quelle tait bien l. Quand je revins leur dire que le fusil de chasse que Tuan Gris mavait envoy chercher ntait pas dans le bateau, ils parl-rent entre eux et dcidrent que chacun irait de son ct la recherche de leau, puis reviendrait au rendez-vous sur la plage. Au bout de deux heures, si nous navions pas trouv deau, nous irions dans une autre le, puisquil y en avait plu-sieurs peu loignes les unes des autres.

    Kaya Dalam sarrta de nouveau pour parler en malais, mais Owen secoua la tte.

    Vous navez pas besoin daide, Kaya, dit-il lencourageant, votre anglais est meilleur que mon malais. Continuez.

    Kaya Dalam fit un geste de dsespoir, les deux bras tendus.

    Comme le Tuan voudra, dit-il. Lle tait couverte de petites collines et de rochers escarps, avec des arbres si pais et si rapprochs quils cachaient le soleil et quon se croyait, sous leur ombre, au dclin du jour. Longtemps, jai cherch leau sans en trouver. Pendant que jtais ainsi cach par les arbres, jai entendu deux hommes marcher de mon ct. Jai voulu les appeler, mais ma langue sest colle mon palais et je nai pu profrer un son, car jai vu un des deux hommes lever la main et frapper lautre dun coup de poignard dans le dos. Lhomme frapp tomba le visage contre terre, et lhomme au poignard le frappa de nouveau pour sassurer sans doute quil tait bien mort.

  • 31

    Doris Carroll laissa chapper une exclamation dhorreur. Owen regarda rapidement les autres : Mme Stavert, les joues colores, se penchait en avant avec avidit. Le rire hyst-rique dAnne Morlan faisait mal aux oreilles. M. Morlan, le comte de Luvac et Stavert, dun commun mouvement, avaient rapproch leurs chaises. Seul, M. Lao-Ti ne montrait pas dmotion.

    Ce devait tre deux des quatre hommes dont vous nous avez parl, observa le millionnaire chinois, impassible, puisque vous avez dit que lle tait inhabite. Quavez-vous fait ensuite ?

    Tuan Kaya frissonna et mouilla ses lvres de la langue. Je nai rien fait. Si lhomme mavait vu, il maurait tu aussi.

    Quel est celui des quatre qui a commis ce meurtre ? senquit le comte de Luvac.

    Attendez, Tuan. Ce nest pas facile dire. Je ne voyais que le dos de celui qui avait frapp, mais pendant que je le guettais, je lai vu fouiller dans la poche de lhomme tendu sur le sol et en retirer la boule rouge. Il la cacha par-mi les racines dun grand arbre qui se trouvait ct de lhomme frapp mort.

    On entendit la voix perante de Mme Stavert.

    Comme dans La lettre vole , trs intelligent.

    Kaya Dalam regardait confusment tous ces visages ten-dus vers lui.

    Cest vous qui tes intelligente, ma chre Myrna, dit Anne Morlan, lgrement incisive. Ce nest rien, Kaya. Ne nous faites pas attendre la suite.

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    Je regrette de vous interrompre, coupa brusquement Stavert en sadressant Kaya, mais comment se fait-il que vous ayez si bien vu la boule rouge et toute la scne et que vous nayez pas reconnu lhomme soit la taille, soit ses vtements, mme sans apercevoir son visage ?

    Tuan, rpondit Kaya Dalam avec simplicit, les quatre hommes navaient pas beaucoup de vtements et ces vtements se ressemblaient tous : chemises et pantalons blancs. Quant la taille, je ne pouvais pas me rendre compte, car lhomme courait en se courbant pour passer sous les branches, et auparavant je navais pens rien dautre quau meurtre commis sous mes yeux.

    Trs bien, dit Stavert en haussant les paules, vous avez raison, continuez.

    Quand lhomme qui avait frapp senfuit, je sortis de ma cachette et je considrai lhomme gisant sur le sol. Ctait Tuan Vert. Je me suis mis courir, mais je ne pouvais aller vite, car mes jambes flchissaient.

    Mais la boule, interrompit Anne Morlan dune voix fivreuse, la boule rouge, vous lavez prise ? Que contenait-elle ? Car elle devait contenir quelque chose.

    Kaya Dalam se mouilla de nouveau les lvres.

    Je nai pas pris la boule, dit-il dune voix rauque. Je ne sais pas ce quil y a dedans.

    Comment ? sexclama pesamment M. Morlan. Aprs toute cette histoire et ce meurtre sanglant, cet homme na pas pris la boule ? Il est fou.

    Kaya Dalam redressa les paules et leva la tte avec une certaine dignit.

  • 33

    Non. Je ne suis pas fou, maintenant, Tuan. Mais alors, oui, jtais fou. Fou de terreur. Javais vu ce que je ne devais pas voir. Je nai pas touch la boule parce que ctait un objet maudit qui avait certainement port malheur Tuan Radfort et mes compatriotes Bujong et Kulop. cause delle ils taient morts et cause delle Tuan Vert avait t tu. Ce ntait pas une boule rouge, ctait une boule de mort. Je me suis enfui loin delle comme je me suis enfui maintenant loin du spectacle de terreur que mes yeux vien-nent de voir.

    M. Morlan, ses yeux noirs plisss au-dessus de ses lourdes bajoues, fit passer, dun mouvement de lvres, son cigare dun coin de sa bouche lautre et agita avec indul-gence sa main orne dun diamant.

    Passons, grogna-t-il. Comme au bridge, vous de par-ler.

    Je ne comprends pas, Tuan.

    Eh bien, vous nous disiez que vous aviez couru. O avez-vous couru ?

    Sur la plage, Tuan. L, jai trouv les autres Tuan, mais je nai rien dit de ce que javais vu, car je ne savais pas quel tait celui qui avait tu, et si javais racont cette his-toire, celui qui a tu Tuan Vert maurait tu aussi ; dabord de crainte que je nen sache plus long, puis de peur quon ne lui prenne la boule rouge dans sa cachette.

    Vous mavez fait courir des frissons le long de lchine, susurra Mme Stavert. Mais jaime frissonner, vous tiez tomb dans un gupier, Kaya.

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    Gupier ? Kaya Dalam rflchit un moment sur ce mot, puis son visage sclaira : Je comprends, ce nest pas le nid des insectes, cest la crainte de la mort, nest-ce pas ? Les trois autres Tuans navaient pas non plus trouv deau. Les deux heures taient passes et Tuan Vert ne revenait pas. Les trois autres Tuans commencrent lever la voix et appeler Tuan Vert grands cris, mais Tuan Vert ne rpondit pas. Alors nous nous sommes mis la recherche de Tuan Vert, les trois Tuans et moi, car je ne pouvais pas dire que Tuan Vert tait mort et que je savais o le trouver. Au bout dune heure, nous apermes le cadavre de Tuan Vert. Quand les trois hommes le fouillrent et ne virent plus la boule rouge, ils se disputrent violemment et celui qui avait tu je ne le connaissais toujours pas criait aussi fort que les autres. Nous emmenmes le corps de Tuan Vert sur la plage et comme ils se dfiaient les uns des autres et ne vou-laient pas en laisser un retourner sur le schooner chercher des outils, nous creusmes la tombe de Tuan Vert dans le sable avec nos mains. Il ne pouvait tre question de rester dans cette le sans eau douce. Alors Tuan Gris parla ainsi avec des jurons : Un de nous trois est certainement le meurtrier, car Kaya Dalam nest au courant de rien et ne peut tre coupable. Il ne faut pas que celui qui a pris la boule lemporte. Alors les trois tuans ont quitt leurs vtements et jusqu leurs souliers, et se sont mis tels que Dieu les a faits. Jai agi de mme, ils ont ensuite visit leurs vtements ainsi que leurs corps nus et ils mont visit aussi, mais la boule rouge na pas t trouve. Alors ils se sont rhabills et, se surveillant lun lautre, nous sommes monts dans le ca-not, nous avons ram jusquau schooner et mis la voile, je leur avais dit que le lendemain matin je les conduirais une autre le o ils trouveraient sans doute de leau.

  • 35

    La voix de Kaya stait brise par instants. Il sarrta et mouilla ses lvres. Autour de lui, le demi-cercle dyeux et de chaises stait encore rapproch. Personne ne parlait.

    De grands malheurs se sont abattus cette nuit-l sur lOrsu, continua Kaya Dalam en se tordant nerveusement les mains, et ce que jai vu ma glac dhorreur. Les trois tuans ne sont pas alls dormir, ils se sont runis dans la cabine. Ils se craignaient et se surveillaient mutuellement, et moi je me tenais au gouvernail et je dirigeais le schooner. Par lcoutille vitre qui tait ouverte, je les entendais jurer et se quereller. Lun je ne sais pas lequel dit que le meurtrier de Tuan Vert ne pourrait retirer aucun bnfice de son crime, moins quil ne tut les deux autres, et qu cause de cela, ils ne de-vaient plus se quitter, car il y avait alors deux innocents contre un coupable. Ils nallrent donc pas se coucher, mais restrent pour se surveiller

    Naturellement, interrompit Stavert avec un rire rauque, les deux innocents avaient un avantage sur lunique coupable. Lunion fait la force, dit le proverbe.

    Oh ! taisez-vous, Paul. Ctait la voix stridente dAnne Morlan. Continuez, Kaya.

    Au milieu de la nuit Kaya Dalam ferma un instant les yeux comme pour chasser quelque abominable vision qui se matrialisait devant lui le vent sleva et avec lui une tempte dune violence extrme avec clairs et tonnerre. Je craignis de ne pouvoir seul larguer les voiles assez rapide-ment, et je criai aux trois blancs de venir maider. Ils mont-rent sur le pont. Je remis la roue du gouvernail Tuan Noir en lui disant ce quil fallait faire, et je courus en compagnie des deux autres lavant. Tuan Blanc et Tuan Gris mobirent et jallai vers le grand foc. LOrsu se mit plonger

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    si profondment que je crus quil allait couler, il remonta la surface. Alors, en me retournant, je vis, la lueur dun clair, Tuan Gris enfoncer un poignard dans le dos de Tuan Blanc, et Tuan Blanc tomber sur le pont, comme Tuan Vert tait tomb dans lle.

    Tuan Noir, qui tait au gouvernail, navait pu voir toute cette scne cause des voiles. Alors Tuan Gris courut du ct du gouvernail et tout en courant, tira plusieurs coups de revolver. Je ne vis plus Tuan Noir la barre. Le schooner tait en grand danger. Je courus pour remplacer Tuan Noir que je pensais trouver tendu mort sur le pont ct du gouvernail, mais il tait plat ventre sur un ct du pont et tenait un revolver la main. Tuan Gris tait de lautre ct. La cabine vitre qui surplombait les cachait lun lautre.

    Ils ne se souciaient ni du schooner, ni de moi qui tais au gouvernail. Mais ils se lanaient des injures et Tuan Gris furieux maudissait Tuan Noir et jurait de le tuer ainsi quil avait tu les autres. Tuan Gris ricanait et se moquait de Tuan Noir, ajoutant que si les mouvements du bateau lavaient g-n jusquici pour tirer, il ne le manquerait pas la prochaine fois, sans cela quoi le meurtre des deux autres lui aurait-il servi ? Et Tuan Noir rpondait que jamais Tuan Gris naurait ce qui avait t cach dans lle, et puisque lun deux devait mourir, ce serait Tuan Gris, car il tait encore plus important pour lui, Tuan Noir, de sauver sa vie, que de dcouvrir la boule rouge. Pour Tuan Noir, sauver sa vie, ntait-ce pas prendre celle de Tuan Gris ? Il allait donc tuer Tuan Gris comme Tuan Gris avait tu les autres.

    Kaya Dalam sarrta de nouveau. Des gouttes de sueur glissaient sur son front. Ctait peut-tre cause de la cha-

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    leur de la chambre. Il les essuya dun geste rapide de la main.

    Owen parcourut le salon du regard. Les moteurs fai-saient entendre leurs pulsations rgulires. Personne ne stait aperu que le Nepenthe avait repris sa marche. Peut-tre tait-ce un effet de son imagination, mais ils taient ples et tendus, ces visages dont les regards se fixaient in-tensment sur Kaya Dalam. Tous, sauf celui de Lao-Ti. Les yeux de Lao-Ti taient demi clos, son visage sans expres-sion, mais son teint tait devenu terreux et jauntre. Owen sentendit demander machinalement Kaya de continuer.

    Je ressentais une peur que je navais jamais connue. Kaya Dalam semblait littralement revivre son rcit. Il avala plusieurs fois sa salive et tira nerveusement sur son sarong. Je me demandais si le schooner allait sen tirer, car il se cou-cha sur le ct. ce moment Tuan Noir, qui tait plat ventre, poussa un cri. Il glissa travers le pont et fut projet contre le bastingage. Il croyait sans doute tre prcipit dans la mer. Tuan Gris, entendant crier, se leva et regardant par-dessus la cabine vitre vit Tuan Noir contre le parapet et lui tira un coup de revolver. Tuan Noir tira galement, mais tandis que Tuan Gris tirait plusieurs fois, Tuan Noir tira seu-lement deux fois, son revolver schappa de sa main et il res-ta immobile. Alors Tuan Gris se mit rire, traversa le pont, se pencha vers Tuan Noir et rit de nouveau, car Tuan Noir tait mort.

    Tuan Gris retourna dans la cabine sans faire attention moi, mais pendant que, au gouvernail, jessayais de sauver le navire de la tempte, je pus voir, par la vitre, Tuan Gris, bless au bras, attacher une morceau de toile autour de sa blessure et vider une bouteille en buvant mme le goulot.

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    Quand la bouteille fut vide, il la remplaa par une autre quil posa sur la table en face de lui. Il remonta sur le pont long-temps aprs et vint vers moi. Il marchait en titubant et ce ntait pas cause des mouvements du schooner, car la tempte avait cess. Il me donna dune voix pteuse lordre de retourner lle do nous venions. Nous aurions assez deau douce pour un jour, ajouta-t-il, puisque nous ntions plus que deux en boire. Mais mme si leau tait insuffi-sante, il fallait retourner vers lle. Je rpondis Tuan Gris que je ferais comme il voulait.

    Mais je navais pas lintention de lui obir. cause de lui, il y avait deux hommes morts sur le pont de lOrsu et un autre dans lle. Je craignais plus que jamais pour ma propre vie. Tuan Gris me tuerait aussi quand il naurait plus besoin de moi, pour que je ne puisse rpter personne ce qui stait pass.

    Tuan Gris retourna dans la cabine et but jusqu ce quil tombe ivre-mort sur le plancher. Il sendormit pesam-ment. Alors, le voyant ainsi et tremblant pour moi, je mis le canot la mer avec quelques provisions et la moiti de la r-serve deau, et je mloignai de lOrsu force de rames. Je restai deux jours sans voir la terre et ce soir seulement vous mavez aperu. Je ne sais o le schooner aura driv puisquil ny avait personne bord capable de le diriger.

    Kaya Dalam tendit les bras dun geste soudain, plein dmotion.

    Aurais-je d me proccuper de la scurit de Tuan Gris et de ce qui pouvait lui arriver, pour mourir ensuite de sa main ? Voil. Lhistoire est termine.

  • 39

    Le comte de Luvac brisa le premier le long silence qui sensuivit. Il parla avec une feinte nonchalance :

    Vous dites que vous avez vu ce Gris cacher la boule quand il et tu Vert. Pourriez-vous retrouver lendroit ?

    Oui, Tuan. Mais je ne dsire pas revoir cet objet maudit.

    Cependant, insista le comte de Luvac, vous nous montrerez o il est, nest-ce pas ?

    Owen sourit avec un peu damertume. Le comte de Lu-vac avait sans doute exprim haute voix le dsir de chacun des assistants, car ils attendirent tous anxieusement la r-ponse de Kaya Dalam.

    Oui, Tuan. Si les Tuans le veulent. Mais je crois quil nen peut sortir que du mal.

    Eh bien, moi du moins, je suis dispos courir le risque, dit Paul Stavert avec un rire bref. Un objet qui a caus la mort de trois hommes vaut la peine dtre vu. Mais parlez-nous de lle. Comment sappelle-t-elle ?

    Kaya Dalam secoua la tte.

    Tuan, rpondit-il, elle na pas de nom car, je vous lai dit, cest une petite le o ne vit personne. Mais comme elle est tout prs de la grande le dont je vous ai parl qui, elle, est connue et porte un nom, un enfant pourrait sy rendre sans sgarer. La grande le sappelle Laolu.

    Laolu ? M. Morlan se leva avec un juron. Mais cest notre prochaine escale, nous devons y faire halte demain.

  • 40

    Sans cela, observa M. Lao-Ti imperturbable, nous naurions pas ramass en route lintressant Kaya Dalam cette nuit, car nous naurions pas t dans son voisinage.

    Naturellement, murmura le comte de Luvac, la ques-tion est entendue. Pourtant, jaimerais poser encore une question notre ami Kaya. Si ce Gris atterrit quelque part et recrute un nouvel quipage ne peut-il, bien que ntant pas marin lui-mme, retrouver le chemin de cette petite le ?

    Kaya Dalam inclina gravement la tte.

    Oui, Tuan, rpliqua-t-il. Je vous lai dit, la petite le est tout prs de la grande, bien quon ne puisse lapercevoir. Ils savaient bord le nom de la grande : Laolu, et ils savaient aussi que nous prenions la direction du sud de Laolu. Je leur avais dit cela le matin, quand nous tions ensemble sur le pont.

    Eh bien ! cest nous qui irons, scria imptueusement Anne Morlan. Nous en avons tous envie. Elle se mit rire, dun rire un peu affect. Et puisque lle na pas de nom, je vais la baptiser daprs lavertissement amical de Kaya. Lle du Mal. Nest-ce pas un nom charmant ? Pre, demandez donc au capitaine Heath de faire route immdiatement pour lle du Mal.

    M. Morlan examina sa fille, les yeux demi ferms et il haussa les paules.

    Il ny a pas de raison pour ne pas le faire, grogna-t-il. Nous ne sommes pas presss. Nous ne trouverons probable-ment rien, mais je ny vois pas dinconvnient et je ne vou-drais contrarier aucun de vous. Puisque Anne semble avoir exprim votre dsir tous, je demanderai au capitaine Heath de nous mener l-bas avant de toucher Laolu.

  • 41

    Owen se leva. Que ces visages autour de lui semblaient de nouveau bizarres. Si colors et excits maintenant sauf naturellement celui de Lao-Ti qui ne laissait jamais paratre plus dmotion quune statue de pierre. Mme Doris Carroll semblait subir cette emprise dexcitation et dattente, car ses yeux, en rencontrant ceux du capitaine, taient plus brillants qu lordinaire. Lle du Mal Pourquoi diable Anne Morlan lavait-elle baptise ainsi ? Ctait absurde. Ce nom lui d-plaisait

    Trs bien, monsieur Morlan, dit-il. Je vais changer tout de suite notre direction daprs les paroles de Kaya Da-lam. Nous devons atterrir lle un peu avant midi. En mme temps, si vous navez plus dautre question lui poser, je vais lenvoyer lavant et faire prendre soin de lui.

    Entendu, acquiesa M. Morlan.

    Et si vous me permettez cette suggestion, ajouta dou-cement le comte de Luvac, recommandez-lui de ne rien ra-conter de son histoire lquipage.

    Ce serait sage, appuya solennellement M. Lao-Ti, trs sage vraiment.

    En effet, dit son tour Paul Stavert avec imptuosit, ces indignes sont tellement impulsifs. Nous ne voulons pas quils nous coupent la gorge. Ils pourraient se mettre en tte de prendre les premiers possession de cette fameuse boule rouge.

    Puisque cest lunanimit, grogna M. Morlan.

    Owen fit un signe dacquiescement.

    Je vais men occuper, dit-il. Et faisant signe Kaya Dalam, il le conduisit vers la porte.

  • 42

    Comme il quittait le pont, il entendit dans le salon, der-rire lui, slever la voix de Mme Stavert, singulirement exci-te :

    Est-ce que ce nest pas dlicieusement impression-nant ! Une vritable chasse au trsor.

  • 43

    CHAPITRE V

    LLE DU MAL

    Aprs maintes recommandations de ne rien rpter lquipage de ce quil avait racont, Owen confia le Malais Tanu, en demandant celui-ci den prendre soin. Puis il monta sur la passerelle et de l dans la chambre des cartes, larrire de la barre.

    Lle de Kaya Dalam tait marque sur la carte, gure plus visible quune tache de mouche. laide du compas il vrifia quelle se trouvait environ 45 milles au sud de Lao-lu. Dautres petites taches semblables sparpillaient vers lest. Cela confirmait le rcit de Kaya Dalam. Aprs tout lhomme ne pouvait avoir invent cette histoire et il navait aucune raison pour le faire. Owen consulta aussi les paral-lles et commena son travail de changement de direction lle du Mal. Il ne pouvait chasser ce nom maudit. Tout coup il leva la tte, M. Morlan tait entr et avait soigneu-sement referm la porte.

    M. Stavert a dit des sottises propos de lquipage, dit-il brusquement. Mais tout de mme, il ne faut pas risquer de surexciter leurs esprits. Vous comprenez ? Cest ce que je voulais dire tout lheure, au salon.

    Je vous comprends trs bien, monsieur, rpondit Owen, et jai dj agi suivant vos dsirs. Je viens davertir Kaya de se taire et je crois quon peut lui faire confiance pour cela.

  • 44

    M. Morlan tira une bouffe de son cigare et lana un nuage de fume.

    Que pensez-vous de cette histoire ? demanda-t-il soudain.

    Vous avez vcu ici tant enfant, vous devez connatre les indignes.

    Owen rflchit un instant.

    Bien que lhistoire de Kaya Dalam ressemble plus un cauchemar qu une ralit, je ne crois pas quil ait pu linventer. Il y a une le ici sur la carte. Une le situe 45 milles au sud de Laolu cette distance peut tre facilement couverte par un schooner de laube midi pourvu quil y ait un peu de brise.

    M. Morlan fit une grimace.

    Lle du Mal, hein ? Daprs ma fille Alors vous croyez ce conte ?

    Oui, monsieur. Franchement, jy crois.

    Hum ! Sil en est ainsi, et bien que je rserve, moi, mon opinion, il faudrait agir avec les officiers comme avec lquipage. Inutile de provoquer des bavardages jusqu ce quil y ait vraiment une raison de bavarder.

    Comme vous voudrez, monsieur, rpondit tranquille-ment Owen, mais il y a une diffrence entre les officiers et lquipage. Les officiers associeront certainement notre changement de direction et notre escale de demain lle, au lieu de Laolu, avec le sauvetage de Kaya Dalam cette nuit.

  • 45

    M. Morlan retira son cigare de sa bouche, et ses lvres minces se contractrent jusqu ntre plus quune ligne nette et dure.

    Eh bien ! supposons-le, dit-il vivement. Ils nont pas besoin den connatre les raisons, nest-ce pas ? Je nai pas de comptes rendre pour ce que je fais et je vais o je veux avec le Nepenthe, nest-ce pas ?

    Il semblait agac, presque furieux sans raison, pensait Owen.

    Certainement, monsieur, rpondit-il promptement. Vous navez qu donner des ordres.

    Cest bien, dit M. Morlan. Et pour demain, capitaine Heath, que personne ne descende terre, sauf ceux qui se trouvaient cette nuit au salon. Les hommes dquipage n-cessaires au maniement du canot qui nous conduira lle resteront sur la plage avec le canot.

    Trs bien, monsieur.

    M. Morlan devint subitement plus aimable. Il posa fami-lirement la main sur lpaule dOwen.

    Je ne veux pas quon fasse dhistoires quand il ny a pas lieu. Cest tout. Je men remets vous. Bonsoir, capi-taine. Ne rvez pas de boules rouges, laissons cela aux dames.

    Owen regarda dun air perplexe la porte qui se refermait. Il ne voyait pas la ncessit dun pareil mystre vis--vis des officiers. Il trouvait cela exagr. En ce qui concernait lquipage ctait diffrent, il admettait les prcautions prises. Mais quelles taient rellement les intentions de M. Morlan ?

  • 46

    Il haussa les paules et retourna son travail. Puis il quitta la chambre des cartes, donna sans commentaires ses ordres Gaffney pour le changement de direction, et des-cendit de la passerelle dans sa chambre.

    Il tait encore tt : onze heures du soir. Owen tait agit, mal laise, et navait aucune envie de dormir. Quelle af-freuse histoire avait racont Kaya Dalam ! Ces lches assas-sinats, cette boule rouge Il bourra sa pipe et ouvrit un livre mais le rcit de Kaya Dalam sinterposait entre les pages Minuit Trouveraient-ils cette boule rouge ? Et quen ferait M. Morlan ? Cela dpendrait de ce quelle tait en ralit. Naturellement. Qutait devenu ce Gris ivre-mort avec son bras bless ? LOrsu continuait-il naviguer sans but ?

    Un charmant individu ce Gris Une heure Owen avait laiss sa porte entrebille pour avoir un peu dair et il en-tendit la voix de Carlin qui montait sur la passerelle prendre le quart.

    Pourquoi ? demandait Carlin.

    On ne nous la pas dit, rpondit la voix de Gaffney, mais jai fait un saut jusqu la chambre des cartes pour y je-ter un coup dil quand il a quitt la passerelle. Nous des-cendons au sud de Laolu. Cela a certainement rapport ce pauvre hre que nous avons ramass. Ils se sont tous enfer-ms dans le salon avec lui jusqu onze heures.

    Carlin rit.

    Les dames y sont encore et

    Les voix sloignrent.

    Owen jeta son livre et teignit. Il ne tarda pas sendormir.

  • 47

    Il sveilla pour le petit djeuner quil prit seul, car per-sonne bord du Nepenthe napparaissait cette heure-l. Puis, suivant lhabitude du capitaine Penny, il prit le quart du matin. Ctait une belle journe, pas une ride sur leau, mais son humeur ntait pas daccord avec le temps. Comme son esprit tait houleux en face de cette mer tranquille, et pour-quoi ? Un pressentiment ? Il ne pouvait dtacher ses penses de lhistoire de Kaya Dalam et de cette infernale boule rouge, abreuve de sang.

    Vers neuf heures, il aperut lle et envoya dire M. Morlan quil jetterait lancre vers onze heures. Un peu plus tard, comme on approchait du rivage, les htes se runi-rent sur le pont, les femmes surexcites, les hommes avec un air de nonchalance feint, ainsi quen jugea Owen qui les re-gardait de la passerelle. Quelle ambiance morbide !

    Ctait une trs petite le vraiment, et on avait bien fait de la reprsenter sur la carte comme une tache de mouche. Elle tait couverte de bois pais avec ici et l une bande de sable blanc brillant au soleil. Quand ils en furent tout prs, Owen appela Kaya Dalam sur la passerelle. O lOrsu venait-il de jeter lancre ? Le banc de roches stendait-il loin ? Y avait-il assez de fond pour la vedette ? Mais le tour presque complet de lle dut tre fait avant que Kaya Dalam dcouvrit lendroit o il avait atterri, et que le Nepenthe jett lancre environ quatre cents mtres du rivage.

    Lle du Mal.

    Owen quitta la passerelle en maudissant ce nom qui hantait son esprit. Un quart-dheure plus tard, la vedette ayant bord tous ceux qui staient runis dans le salon la veille, et dirige par Tanu et deux indignes, toucha la rive.

  • 48

    Owen, dbarqu le dernier, se souvint des instructions de M. Morlan et dit Tanu avant de sauter terre :

    Vous allez rester tous les trois ici, dans le bateau, or-donna-t-il. Vous ne devez pas le quitter. Cest compris ?

    Bien, Tuan, rpondit Tanu.

    Un clat de rire soudain sleva du groupe runi sur le sable.

    Ce nest pas du tout lendroit dont javais rv la nuit dernire, annona Anne Morlan elle rit de nouveau cest une le comme les autres.

    Ce rire sonnait faux. Owen serra les lvres lgrement. Il tait nerveux et aurait volontiers sans savoir pourquoi envoy au diable Kaya Dalam, son histoire et son le. Tandis quil traversait les quelques mtres de sable pour rejoindre le groupe, Owen les examina les uns aprs les autres : tous les visages, sauf celui de Lao-Ti, montraient une motion mal rprime dans laquelle la cupidit, lexcitation malsaine et une avide curiosit, qui dominait la crainte et lapprhension, jouaient un rle. Il comprenait cela. Ntait-ce pas naturel ? Qutait au juste cette boule rouge qui avait enflamm leur imagination ? Ils voulaient tous aller cet endroit o un homme avait t sauvagement assassin pour une boule rouge. Et lui-mme ? tait-il prserv de cette contagion ? Mon Dieu non. Navait-il pas admis quil se sentait nerveux ? Doris Carroll tait ple, ses couleurs de la veille avaient dis-paru.

    M. Morlan agita son cigare du ct de Kaya Dalam.

    Est-ce loin dici ? demanda-t-il.

  • 49

    Non, Tuan, rpondit Kaya Dalam. Nous y serons dans quelques minutes.

    Eh bien ! conduisez-nous, commanda M. Morlan la-coniquement.

    Ils se grouprent sur le sable et pntrrent la suite de Kaya Dalam dans la partie boise qui bordait la plage. On les entendait bavarder bruyamment. Chacun parlait pour ne rien dire, les hommes faisaient des plaisanteries insipides, la voix de Paul Stavert dominait les autres.

    Nous devrions marcher sur la pointe des pieds, nous surprendrions le fantme de Vert. Il ricana.

    Allez au diable, riposta M. Morlan ce trait desprit inopportun.

    Doris Carroll marchait la dernire. Owen lavait atten-due, elle lui parla prcipitamment.

    Je suis terriblement curieuse, mais je dois avouer que jai aussi trs peur et que je regrette dtre venue.

    Owen la regarda. Il le faisait toujours avec plaisir et ne manquait jamais une occasion. Ne valait-elle pas la peine dtre contemple cette piquante petite frimousse ? Ses yeux bleus rencontrrent les siens avec franchise.

    Alors pourquoi tes-vous venue ? demanda-t-il brus-quement.

    M. Morlan a insist.

    Pourquoi ?

    Elle secoua la tte.

  • 50

    Je ne sais pas. Il ma dit que tous ceux qui avaient en-tendu lhistoire de Kaya Dalam dans le salon devaient des-cendre terre ensemble. Je ne crois pas quil ait une raison srieuse, mais quand il se met une ide en tte, on ne peut pas len faire dmordre.

    Je men suis aperu moi-mme, depuis que nous avons dbarqu le capitaine Penny, dit Owen en souriant. Mais bien que lhistoire de Kaya Dalam soit plutt grandgui-gnolesque, il ny a rien craindre dans lle maintenant.

    Non, naturellement. Elle se fora rire. Mais vous sa-vez je nai pas ferm lil la nuit dernire, cest peut-tre pour cela. Les hommes sont retourns leur bridge, Mlle Morlan, Mme Stavert et moi sommes restes longtemps au salon parler de ces affreux meurtres et de la boule rouge.

    Je sais cela, dit schement Owen. Vous vous tes mont la tte les unes les autres si bien que vous auriez toutes hurl si lune dentre vous avait laiss tomber une pingle. Je ne mtonne pas que vous nayez pu dormir.

    Elle lui jeta un rapide coup dil.

    Oh ! dit-elle. Qui vous la dit ?

    Personne.

    Alors comment le savez-vous ?

    Owen fit une petite grimace.

    Un capitaine ne doit-il pas tre au courant de tout ce qui se passe son bord ?

    Dun geste imprieux elle lui saisit le bras et le serra.

  • 51

    Alors javais raison, dit-elle un peu essouffle, quelquun nous coutait du pont. Qui tait-ce ? Qui vous a parl ?

    Owen luda la question. Il tait devenu subitement s-rieux.

    Que voulez-vous dire ? Racontez-moi.

    En plein jour cela ne semble pas extraordinaire, mais au milieu de la nuit, ctait diffrent. Vous connaissez cette sensation qui sinsinue en vous quand vous coutez une his-toire de revenants Mais peut-tre que les hommes sont au-dessus de cela, cependant

    Il linterrompit :

    Quelle heure tait-il ?

    Onze heures, je crois.

    Trs bien, et alors ?

    Nous tions assises dans le salon, prs du poste de T.S.F. et toutes les fentres taient ouvertes. La nuit tait chaude et, vous vous le rappelez, il ny avait pas un souffle de vent. un moment je me suis retourne et une des fe-ntres jai aperu les traits estomps dun visage que je nai pas reconnu. Jai t si saisie que jai pouss un petit cri. Jai racont ce que javais vu et nous nous sommes prcipites sur le pont. Il ny avait personne. Quand nous sommes re-tournes au salon, Mlle Morlan et Mme Stavert se sont mo-ques de moi, mont dit que je me montais limagination, et que je ntais quune petite peureuse. Daprs ce que vous mavez dit, je suis contente de savoir que je navais pas rv. Jen suis sre maintenant. Qui vous a dit que nous veillions au salon ? Et pourquoi sest-on sauv ?

  • 52

    Owen secoua la tte.

    Je ne doute pas un instant que vous ayez rellement vu quelquun, dit-il. Mais je crains de ne pouvoir vous aider lidentifier. Personne ne ma dit que vous tiez l. Jtais en train de lire minuit dans ma cabine, quand Carlin a pris le quart la place de Gaffney. Ma porte tait entrebille et jai entendu Carlin dire Gaffney du haut de la passerelle que les dames taient encore au salon.

    Oh ! sexclama-t-elle, ctait donc M. Carlin. Sans cela comment aurait-il t au courant ?

    De nouveau, Owen secoua la tte.

    Ce nest pas certain, dit-il. Nous navons que deux of-ficiers de pont, vous le savez, et Carlin dort presque toujours avant de prendre le quart de minuit. Sil a agi comme dhabitude, il ne pouvait manquer de vous apercevoir dans le salon en traversant le pont une minute ou deux avant minuit.

    Cest vrai, je me souviens maintenant quon est pass le long du pont cette heure-l. Alors, si ce ntait pas Car-lin, qui tait-ce ?

    Je ne sais pas, dit-il. Mais nous donnons peut-tre cet incident plus dimportance quil nen mrite. Je voudrais seulement connatre lindividu pour lui donner une leon quil noublierait pas de sitt. Qui tait-ce ? Quimporte. Tout ce quil a pu entendre, cest lhistoire que Kaya Dalam nous a racont. Supposons-le. part le dsir de M. Morlan de ne pas bruiter cette histoire, quest-ce que cela peut faire ?

    Elle rit, moins nerveusement cette fois.

  • 53

    Cela ne fait rien, videmment. Je vous ai dit quau grand jour laffaire perdait de son importance. Mais hier soir ctait dsagrable et

    Elle sarrta brusquement, car ceux qui taient en tte staient tus et faisaient halte, ou plutt se dispersaient par-mi les arbres de manire former peu prs un cercle au-tour de Kaya Dalam.

    Cest cet endroit, dit Kaya Dalam dune voix sans timbre, que Tuan Gris a tu Tuan Vert, et cest l il indiqua du doigt une paisse touffe de feuillage ct que jtais cach.

    Parfaite mise en scne. Lever du rideau, dclama Paul Stavert dune voix de basse. Lauditoire retient son souffle, allumez la rampe, faites bouillir les marmites. O est la boule rouge que nous cherchons ?

    Imbcile, lana sa femme furieuse.

    Kaya Dalam indiqua les racines noueuses dun arbre presque entirement caches par la mousse et les lianes qui poussaient en abondance.

    Cest l, dit-il.

  • 54

    CHAPITRE VI

    RECHERCHES

    M. Morlan se tenait tout prs de larbre indiqu. Il fit quelques pas et se courbant glissa la main dans les racines et les lianes. Au bout dun instant, il sagenouilla et enfona la main plus profondment. Les autres, coude coude, se pen-chrent en avant. Une minute, puis deux se passrent et M. Morlan se releva.

    Il ny a rien, dit-il en regardant fixement Kaya Dalam.

    Laissez-moi essayer, cria Anne Morlan, et se jetant sur le sol, elle commena, elle aussi, fouiller dans les ra-cines.

    Elle se releva finalement, lair dcourag.

    Permettez-moi, murmura le comte de Luvac. Il sagenouilla et chercha son tour pendant un temps qui pa-rut incalculable. Cest vrai, dclara-t-il en se relevant et spoussetant soigneusement les genoux. Il ny a rien l de-dans.

    Bien sr que cest vrai, sexclama M. Morlan. Ne lavais-je pas dit ? Pensiez-vous que jallais essayer de cacher cet objet maudit ?

    Il est possible, suggra Lao-Ti aimablement, que Kaya Dalam ait fait une erreur. Il y a tant darbres.

  • 55

    Mais Kaya Dalam secoua la tte. Sa mchoire infrieure pendait comme dsarticule, ses bras taient ballants, ses yeux carquills.

    Cest l que Tuan Gris a cach la boule rouge, dit-il dune voix rauque. Jen suis sr, je reconnais bien larbre, re-gardez-le, il a t frapp par la foudre et toutes les branches de ce ct sont mortes.

    M. Morlan se tourna furieux, vers le Malais.

    Tout cela est trs bien, mais o voulez-vous en ve-nir ? explosa-t-il. Ds le dbut, jai senti que cette histoire ntait pas trs claire. Allons, dites-nous pourquoi vous nous avez menti, et quel intrt vous aviez amener ici ce tas didiots crdules que nous sommes ?

    Kaya Dalam se redressa.

    Tuan, il y avait du ressentiment dans sa voix , quel intrt aurais-je eu vous mentir ? Je nai pas menti. Ce que jai dit est la vrit. Jai vu de mes propres yeux Tuan Gris cacher la boule rouge dans les racines de cet arbre ainsi que je vous lai dit. Ce nest pas moi qui ai dsir retourner lendroit du meurtre. Je ne suis venu que parce que vous lavez voulu. Si la boule rouge nest plus l, je pense que Tuan Gris est revenu dans lle et la prise, ou peut-tre me suis-je tromp en croyant cette le dserte, et des hommes vivant ici lont prise ?

    Mettez cela dans votre poche et votre mouchoir par-dessus, plaisanta lgrement Paul Stavert en allumant une cigarette. Il y a beaucoup de bon sens dans ce que dit ce malheureux, et il est parfaitement vrai, je men souviens, quil ne tenait pas revenir ici.

  • 56

    Owen sourit avec une petite grimace. Lexcursion se terminait par un fiasco, voil tout. Il entendit Doris Carroll murmurer son oreille : Je suis tout de mme bien contente quon ne lait pas trouve.

    Il lapprouva machinalement. Il guettait maintenant le comte de Luvac et M. Morlan. Le comte de Luvac stait ap-proch de M. Morlan et lui parlait voix basse. Tout en lcoutant, M. Morlan mchonnait un cigare teint. Il parla ensuite dun ton premptoire :

    Retournons sur la plage.

    Kaya Dalam montra de nouveau le chemin, et comme le petit groupe, silencieux maintenant, sortait du couvert du bois, M. Morlan parla une seconde fois et aussi premptoi-rement :

    Anne, ordonna-t-il, remontez dans la vedette avec Mme Stavert et miss Carroll et retournez sur le Nepenthe.

    Pourquoi ? demanda farouchement celle-ci.

    Parce que je le dsire, dit M. Morlan schement.

    Mme Stavert secoua la tte et marcha vers la plage en compagnie de Doris Carroll. Anne Morlan, mcontente, les suivit aprs un moment dhsitation.

    M. Morlan se tourna de nouveau vers Kaya Dalam.

    Maintenant o est lendroit o ce Vert est enterr ? Vous pourrez peut-tre trouver cela.

    Venez avec moi, Tuan, je vais vous le montrer. Kaya Dalam marcha quelques pas et sarrta juste lore du bois. Il indiqua le sable ses pieds. Cest ici, Tuan.

  • 57

    Une ride se creusa entre les sourcils dOwen. Cet endroit ne ressemblait pas une tombe. Le sable tait uni et lisse. Il se rappela alors que, daprs le rcit de Kaya Dalam, une vio-lente tempte accompagne de pluie avait svi sur lle aprs le dpart de lOrsu. Cela expliquait le nivellement du sable.

    Trs bien, grogna M. Morlan en fixant Kaya Dalam. Vous nous avez dit que vous aviez creus la tombe avec vos mains. Montrez-nous le corps.

    Oh ! railla Paul Stavert, a ne se fait pas comme cela, vous savez. Il faudrait un ordre de la police et tout ce qui sensuit pour exhumer ainsi ce bon vieux cadavre. Pourquoi le dterrer ? Requiescat in pace. Laissons-le en paix, si vous voulez mon opinion.

    Sil ny a pas de boule rouge, dit doucement Lao-Ti, il ny a peut-tre pas de cadavre.

    M. Morlan fit un signe impatient Kaya Dalam.

    Allons commencez.

    Mais Kaya Dalam recula.

    Non, Tuan, protesta-t-il, non, cest impur Je

    Kaya Dalam ne termina pas sa phrase. M. Morlan mar-chait menaant vers le Malais.

    Faites ce quon vous dit, cria-t-il furieux, et attention. Je commence en avoir assez. Sa lourde main sappuya sur lpaule de Kaya Dalam, le forant sagenouiller. Sil y a ici une tombe, et dans cette tombe le corps de Vert, il faut nous en donner la preuve. Dpchez-vous.

  • 58

    Kaya Dalam contre-cur stait mis gratter le sable avec ses mains. quelques centimtres, quelque chose de blanc apparut, et Owen, se penchant ainsi que les autres, vit que ctait une jambe de pantalon.

    Voil, voil, sexclama vivement Paul Stavert. Cest assez, il nous a dit la vrit, trs bien.

    Je crois quil faut que nous voyions son visage, dit gravement le comte de Luvac.

    Son visage, gmit Paul Stavert. Mon Dieu ! Pour quoi faire ? Je ne vois pas la ncessit de cette macabre exhibi-tion.

    Cest notre seul moyen didentification, expliqua cal-mement le comte de Luvac. Peut-tre que M. Morlan qui a vcu longtemps par ici, ou M. Lao-Ti, ou mme le capitaine Heath pourront reconnatre lhomme.

    Paul Stavert sortit son tui cigarettes, en choisit une avec soin, et se mit rire.

    Cest trs flatteur pour ces trois messieurs. Daprs le rcit de Kaya Dalam, notre ami Vert tait certainement un fieff coquin. Il rit de nouveau. Et vous ne prenez pas ses empreintes digitales ? senquit-il ironiquement.

    Ce serait une excellente ide, rpondit calmement le comte de Luvac, si ctait possible. Et soudain un sourire ma-licieux se dessina au coin de ses lvres : Mais cest possible. La surface si merveilleusement polie de votre tui ciga-rettes fera tout fait laffaire. On la croirait faite exprs. Vou-lez-vous me le passer ?

    Paul Stavert referma prcipitamment ltui et lenfona dans sa poche.

  • 59

    Allez dabord au diable, dit-il avec conviction.

    Le sourire du comte Gaspard de Luvac devint presque un clat de rire, et il haussa les paules.

    M. Morlan, de nouveau, fit un signe Kaya Dalam.

    Allez, dit-il, le comte de Luvac a raison.

    On aperut alors le visage du mort. Ce ntait pas un spectacle agrable, dautant plus que le nez du cadavre, soit par dformation naturelle, soit par accident, tait aplati contre la joue droite. Owen se dtourna. Ni lui, ni M. Morlan, ni M. Lao-Ti ne connaissaient cet homme.

    Kaya Dalam remettait le sable en place.

    Les yeux de M. Morlan firent le tour du cercle de vi-sages.

    Quen pensez-vous ? grogna-t-il. Je dois avouer que cela authentifie lhistoire de Kaya Dalam.

    Cest lui qui a rpondu votre question, observa pla-cidement Lao-Ti. Ou le meurtrier est revenu et a repris pos-session de cette boule rouge tant convoite, ou elle a t vo-le par quelquun qui habite lle.

    Bien. Voyons la premire hypothse, dit nettement M. Morlan. Quen dites-vous, capitaine Heath ? Pensez-vous que lhomme soit revenu ?

    Cest possible, mais non probable, rpondit Heath aprs un moment de rflexion. Daprs Kaya Dalam, Gris tait la fois ivre mort et bless quand Kaya Dalam a quitt le schooner. Gris ne pouvait, seul, soccuper du navire et, ntant pas marin, il naurait pu retrouver sans aide son

  • 60

    chemin. De plus, comme ctait calme plat hier et pendant la nuit, Gris aurait d recevoir cette aide aussitt aprs le d-part de Kaya Dalam. Il naurait pu, sans cela, dans ce laps de temps, atteindre cette le et sen loigner de nouveau.

    Autrement dit, interrompit M. Morlan, vous ne pensez pas quil soit revenu.

    Non, monsieur. Je ne le pense pas, dit Owen catgo-riquement.

    Hum murmura M. Morlan. Il ne nous reste donc plus que la seconde hypothse

    Ce qui supposerait, intervint Lao-Ti, quelquun vivant dans lle, qui se serait cach et aurait vu comme Kaya Da-lam lendroit o Gris avait enfoui la boule rouge.

    M. Morlan fit la moue.

    Oui, ce doit tre cela, admit-il, et pourtant, je ne comprends pas Il y avait une chance sur mille de la dcou-vrir. Mais que peut-il y avoir dautre ? Elle nest plus l voi-l le fait. Il se tourna brusquement vers Kaya Dalam. Quen dites-vous, Kaya ?

    Je ne sais pas, Tuan, rpondit Kaya Dalam avec hsi-tation, mais nous ne sommes quau milieu du jour, lle est petite, et si les Tuans le dsirent, je peux rechercher sil y a des traces dtres vivants par ici.

    M. Morlan resta un instant silencieux tandis quil jetait au loin son cigare demi-mchonn. Il en tira un autre de sa poche, en coupa lextrmit avec ses dents et la cracha sur le sable. Puis il parla les dents serres.

  • 61

    Nous chercherons tous, dclara-t-il brivement. Puisque nous avons entrepris cette folle quipe, nous irons jusquau bout, du moins en ce qui concerne lle.

    Apaisons le spectre, approuva Paul Stavert avec non-chalance. Ce serait trs mauvais de reprendre notre bridge avec nos cerveaux en bullition.

    Le visage de M. Morlan sclaira.

    Plt au ciel, scria-t-il, puis il sarrta et se tourna vers Owen : Capitaine Heath, je vois que la vedette est reve-nue aprs avoir conduit ces dames, voulez-vous la prendre et faire le tour du rivage ? Cest un travail de marin cause des rcifs. Peut-tre trouverez-vous la trace dun bateau. Reve-nez ensuite nous chercher. Pendant ce temps, nous circule-rons un peu. Ainsi que la dit Kaya Dalam, lle est petite et il ne doit pas tre long de savoir si elle est habite ou non.

    Bien, monsieur, rpondit Owen, et se tournant il tra-versa la plage. Comme il montait bord de la vedette et donnait ses ordres Tanu, il vit les autres disparatre der-rire les arbres.

    Ctait une petite le denviron deux kilomtres de long sur un de large, daprs lestimation quil en avait faite du haut de la passerelle du Nepenthe. La vedette, par crainte dun rcif tapi sous leau tranquille, avanait avec prcau-tion, longeant le rivage. Il y avait et l de petites anses qui pouvaient abriter quelque embarcation. Owen descendait alors et poussait plus loin ses recherches. Mais il ne vit au-cune trace de vie. Aussi improbable que cela lui appart, il fut donc forc de conclure que Gris, le meurtrier, tait revenu et reparti. Aucune autre solution ntait possible et le tom-beau de Vert, la victime, tait une preuve palpable de la v-

  • 62

    racit du rcit de Kaya Dalam. En ce qui le concernait, cette affaire ne lintressait plus. Lquipe des htes du Nepenthe, comme il se ltait dj dit, navait abouti qu un complet fiasco.

    Il mit un peu moins de deux heures faire le tour de lle. Sa montre ne marquait pas tout fait deux heures de laprs-midi quand il retourna sur la plage o il avait laiss les autres.

    Une seule silhouette, celle de Paul Stavert, assis sur le sable, se leva et vint sa rencontre.

    Ne trouvez-vous pas que la chaleur est horrible ? se plaignit-il en se tamponnant le visage.

    O sont les autres ? demanda Owen.

    Je nen ai aucune ide, rpondit-il dun ton languis-sant, et franchement, mon cher, je ne men soucie gure. Nous nous sommes spars. Je suis en nage. Ce nest vrai-ment pas lheure, sous les Tropiques, daller la recherche dune boule rouge et dun cadavre, mme dans ces sylvestres clairires. Emmenez-moi vers le yacht, voulez-vous ? Jy ai un rendez-vous des plus urgent avec un verre de gin. Un grand verre o tinte la glace, vous me comprenez ?

    Owen sourit.

    Cest tentant. Je pourrais bien vous y accompagner.

    Vous tes un frre, scria Paul Stavert en embar-quant.

    De retour au Nepenthe, Owen renvoya la vedette sur la plage. Les trois jeunes femmes taient invisibles, elles de-vaient faire leur sieste. Aprs avoir laiss Paul Stavert au bar,

  • 63

    Owen se rendit sa chambre. Il faisait chaud, terriblement chaud. Il ta sa veste et se jeta sur le divan. Pendant lheure suivante, la vedette fit la navette entre le navire et la plage et ramena bord M. Lao-Ti et le comte de Luvac, puis M. Henry K. Morlan.

    M. Morlan, congestionn, et loin dtre de bonne hu-meur, entra comme un ouragan dans la cabine dOwen.

    Pas une me damne ne vit ou na vcu sur cette pole frire, abandonne des dieux, jura-t-il. Cest une certi-tude. Je ne comprends plus rien cette histoire infernale. Quoiquil y ait bien un cadavre enterr l-bas Mais jen ai assez. Rappelez donc ce conteur des Mille et Une Nuits par un coup de sifflet de la sirne, et nous allons repartir.

    Trs bien, monsieur.

    M. Morlan quitta la cabine, Owen donna ses ordres. plusieurs reprises, le son rauque de la sirne se fit entendre, dchirant comme un coup de tonnerre le calme silence de laprs-midi. Mais Kaya Dalam ne parut pas sur la plage. Un quart dheure, une demi-heure, une heure se passrent. Tou-jours aucun signe de vie de Kaya Dalam. Owen, mcontent dabord du retard du Malais, devint surpris, puis inquiet.

    Il se rendit au fumoir. Les quatre hommes y faisaient leur invitable bridge, mais il crut sapercevoir quils ntaient pas absorbs par leur jeu autant que dhabitude. Ils levrent les yeux ds quil parut.

    Ces appels harmonieux mont rendu service, dit Paul Stavert plaisamment. Pensez que M. Lao-Ti lui a fait une renonce.

  • 64

    Heureusement que je jouais avec le comte de Luvac et je serai seul supporter la perte, rpondit M. Lao-Ti im-perturbable.

    M. Morlan posa ses cartes devant lui.

    Eh bien, capitaine, dit-il dun ton renfrogn, quy a-t-il ?

    Kaya Dalam ne sest pas encore manifest, expliqua Owen avec nettet. On entend notre sirne dans toute lle et, en quelque endroit quil se soit trouv, il aurait eu large-ment le temps de retourner la plage ce quil na pas fait. Je me souviens de ce que vous avez dit au sujet de lquipage, mais tant donn les circonstances, je dsirerais avoir votre autorisation pour envoyer sa recherche.

    Excellente ide, applaudit Paul Stavert, pourvu quon me laisse ici. Jai assez vu votre charmante le du Mal pour aujourdhui.

    Le comte Gaspard de Luvac toussa.

    Vous semblez craindre quelque chose, dit-il lente-ment. Que pensez-vous, capitaine, quil lui soit arriv ?

    Owen secoua la tte.

    Je nen ai aucune ide. Je sais seulement quil devrait tre revenu et quon ne le voit pas.

    Il se tourna vers M. Morlan.

    Quen pensez-vous ?

    M. Morlan frona les sourcils, hsita un instant, puis il ramassa brusquement ses cartes.

  • 65

    Nous nallons pas rester l toute la nuit, je suppose, grogna-t-il. Mais nous ne pouvons pas partir en abandonnant ce malheureux. Faites pour le mieux, capitaine. M. Morlan considra ses cartes : Quatre piques, annona-t-il.

    Ainsi congdi, Owen retourna sa cabine et envoya chercher le premier officier.

    M. Carlin, dit-il brivement quand celui-ci apparut, il y a encore une bonne heure et demie de jour. Prenez avec vous les hommes ncessaires pour faire une recherche ap-profondie et voir ce que devient le Malais Kaya Dalam que nous avons recueilli la nuit dernire.

    Bien, monsieur, rpondit promptement Carlin.

    Owen le regarda partir et frona les sourcils. Carlin navait rien dit, mais une expression soudaine et fixe avait lui dans ses yeux comme un clair. Qui tait le rdeur de la veille ? Probablement pas Carlin, mais une partie de lhistoire devait avoir transpir par tout le navire. Que savait exactement Carlin au sujet de cette visite dans lle ?

    Owen sassit son bureau pour achever quelque travail au sujet du bateau, il pouvait apercevoir la plage par la porte ouverte de sa cabine, et comme laprs-midi se passait sans aucun signal du rivage, il devenait de plus en plus inquiet et ses yeux se tournaient de plus en plus frquemment dans cette direction. Mais ce ne fut que lorsque le bref crpuscule des Tropiques commena tomber quil vit rev