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p Travailleurs handicapés Élections municipales Stop aux contrats indignes DOSSIER MÉTIER le snesu ACTUALITÉ MÉTIER ENTRETIEN Laurent Frajerman MENSUEL DU SYNDICAT NATIONAL DE L ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - N ˚624 AVRIL 2014

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Laurent Frajerman

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la nécessité d’obtenir

un moratoire des 30

regroupements imposés.

Des actions intersyndicales sont en cours : la

rencontre du 9 avril sur la dégradation des conditions

de travail dans l’ESR est à prolonger par des actions

dans les établissements ; en préparation de la journée

intersyndicale de grève du 15 mai, pour les salaires

et l’emploi dans la Fonction publique, nous devons

alerter sur la réalité des salaires dans l’ESR, le poids

écrasant de la précarité, le déficit grandissant d’em-

plois scientifiques.

Les élections européennes seront l’occasion de faire

connaître nos analyses de la politique de l’ESR à

l’échelle de l’Europe et de nos propositions alternatives

pour de véritables coopérations internationales. Un

quatre pages y est consacré, à diffuser et utiliser large-

ment dans les établissements.

La préparation de notre congrès d’étude de juin doit

aussi permettre de creuser des questions décisives

(regroupements, liaison secondaire-supérieur, appren-

tissage, conditions de travail, avenir de l’action syndi-

cale) ; au-delà de la résistance aux orientations

actuelles, contraires à nos missions de service public,

nous devons élaborer des propositions alternatives

fortes, capables de rassembler très largement la

communauté universitaire et de recherche.

Le résultat des élections municipales a traduit unrejet massif de la politique d'austérité que legouvernement Ayrault a poursuivie et accentuéedepuis 2 ans. Face à cette sanction manifeste, la

surdité du président de la république reste totale :

nomination de Valls, réaffirmation du Pacte de

Responsabilité, Projet de Loi de Finances rectificatif

d’ici juillet, pour définir où et comment seront réali-

sées les réductions des dépenses publiques, division

par deux du nombre de régions et réforme d’am-

pleur des départements amplifiant la territorialisation

et le dépeçage des service publics nationaux. La nomi-

nation de G. Fioraso comme secrétaire d’État à l’En-

seignement Supérieur et à la Recherche confirme que

le changement n'est pas à l’ordre du jour.

Face à ce gouvernement dans l’impasse, accentuer la

résistance, proposer des alternatives, rassembler sur

des revendications, sont des priorités.

Les 9 000 signatures recueillies par la pétition contre

le retour de G. Fioraso, sur un texte de dénonciation

de la politique d’ESR menée depuis 2 ans, dans la

continuité de la LRU, est un signe encourageant ; à

nous de peser pour que ce constat se prolonge par l’ap-

propriation large de revendications, telles que nous

les avons exprimées dans le mémorandum. Les oppo-

sitions et rejets, qui se multiplient, contre des projets

de COMUE, bâtis à la hâte et dans l’opacité, renforcent

Face à un gouvernement qui s’obstine,proposer des alternatives est une priorité.

ACTUALITÉ 3• Marché du travail et

genre : quelle égalité ?• Élections municipales• Élections professionnelles

du 4 décembre 2014• Rencontre SNESUP-DGRH

du ministère du 14 mars

MÉTIER 7•MCF-HDR: débloquer les

carrières•Non-titulaires : stop aux

contrats indignes•Travailleurs handicapés :

de nouvelles dispositionspour l’ESR

VOIX DES ÉTABLISSEMENTS 16

MONDES UNIVERSITAIRES 17•Programme de Recherche

Européen : Horizon 2020•La France au cœur de la

recherche européenne ?

DOSSIER 9Menaces sur la démocratieUne société démocratique, en tant queconstruction historique, n’est pas uneconquête définitive. Exposée à ce queDominique Schnapper nomme « la tentationde l’illimité » (voir page Culture du présentnuméro), c’est-à-dire l’illusion d’abolircontraintes, limites et distinctions, elle courtle risque de se corrompre par la négationdes principes qui la fondent. Le danger leplus grave est sans aucun doute, comme lemontrent les travaux d’Alain Supiot, lasubordination des libertés collectives dessalariés aux libertés économiques des entre-prises. Plus globalement, c’est le méca-nisme de répartition des richesses qui estainsi placé hors du jeu démocratique. Dèslors, il devient de plus en plus difficile,devant la croissance des inégalités et celledes disparités d’utilisation des ressources, de« réaliser » la démocratie.

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•La réforme des lycées et laL1 : articulation entre le pré-bac et le post-bac

INTERNATIONAL 20•CSEE : une rencontre riche et

nécessaire•Grèce : La violence des pays

européens les plus richesCULTURE 21• Sur L’esprit démocratique

des lois de D. SchnapperENTRETIEN 22• avec Laurent FrajermanSNESUP.COM 23• Hommage : Yves Madaule,

notre camarade...DROITS ET LIBERTÉS 23•Maurice Audin : reconnaître

le crime d’État•Égypte : soutien aux

militants qui dénoncent larépression

‘ par Claudine Kahane et Marc Neveu , cosecrétaires généraux

Claudine Kahane et Marc Neveucosecrétaires généraux

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MARCHÉ DU TRAVAIL ET GENRE

Quelle égalité ?Après l’initiative des « Journées Intersyndicales Femmes » des 20 et 21 mars(1),Margaret Maruani dresse le portrait statistique de l’égalité professionnellehomme-femme, entre progrès et récessions sur les cinquante dernières années.

➔ par Margaret Maruani , sociologue, directrice de recherche au CNRS

Sur le marché du travail, comment évolue l’égalité entrehommes et femmes ? La situation est très difficile à décrire

en raison des paradoxes, des contrastes et des contradictions :depuis un demi-siècle, on a assisté à une transformation sansprécédent de la place des femmes dans le salariat qui ne s’estpas accompagnée d’un déclin conséquent des inégalités.Aujourd’hui, les femmes représentent près de la moitié dumonde du travail (48 % de la population active) quand elles enconstituaient le tiers dans les années 1960 (34 %). Entamée autemps des Trente Glorieuses, la féminisation du salariat s’estpoursuivie avec une grande constance tout au long de cesannées de crise. Mais elle n’a pas enclenché de véritable rup-ture avec les processus de production des inégalités de sexe. Dans l’inventaire des mutations, quatre éléments dominent : latertiarisation, la salarisation, la continuité des trajectoires pro-fessionnelles, la réussite scolaire et universitaire des femmes. EnFrance, en 2014, quatre femmes sur cinq travaillent dans le ter-tiaire contre un peu plus d’un homme sur deux. 93 % desfemmes et 86 % des hommes sont salariés. Pour la première foisdans l’histoire du salariat, les femmes sont, en proportion, plussalariées que les hommes. Ajoutons à cela que la majorité desfemmes cumulent désormais activité professionnelle et viefamiliale. Au début des années 1960, le taux d’activité desfemmes de 25 à 49 ans était de 40 % ; aujourd’hui, il s’établit à85 %. Il s’agit là d’une transformation radicale du rapport à l’em-ploi et, au-delà, du rapport des femmes à l’agencement des pro-jets familiaux et professionnels. La majorité des femmes, aujour-d’hui, ne s’arrêtent pas de travailler lorsqu’elles ont des enfants.La parentalité ne chasse plus les femmes du marché du travail. Pour que le tableau soit complet, il faut évoquer les évolutionsqui ont trait au système éducatif. Là encore, on peut parler derupture : le niveau scolaire et universitaire des femmes, aujour-d’hui, est supérieur à celui des hommes. La progression des sco-larités féminines constitue un événement marquant de la fin duXXe siècle. Depuis 1970, en effet, les filles sont venues rattraperpuis dépasser les garçons en termes de réussite scolaire et uni-versitaire.

L’ENVERS DU DÉCORTout semble donc en place pour que les traditionnelles inéga-lités entre travail masculin et travail féminin s’effacent. Force estde constater que rien de tel ne se produit. Par rapport aux pro-grès réalisés en matière de formation et de qualification, auregard de la continuité des trajectoires professionnelles, l’écartentre le « capital humain » des femmes et leur situation sur le mar-ché du travail apparaît plus injuste, plus injustifiable aujourd’huiqu’hier. Les femmes sont globalement plus instruites que leshommes, mais elles demeurent notablement moins payées,toujours concentrées dans un petit nombre de professionsféminisées, plus nombreuses dans le chômage et le sous-emploi. Bien sûr, il y a eu quelques brèches : un certainnombre de professions autrefois hégémoniquement mascu-lines se sont féminisées sans se dévaloriser : avocates, médecins,journalistes, magistrates, etc. De fait, les choses sont contrastées :

en panne dans le salariat d’exécution, la mixité est en marchedans les professions supérieures. Entre femmes, les écarts secreusent : entre les femmes diplômées et qualifiées qui s’en sor-tent bien – même si elles ne sont pas les égales des hommes –et celles qui restent concentrées dans les emplois fémininspeu qualifiés et mal payés, il y a comme un gouffre.Ombre supplémentaire au tableau, avec le développement dutravail à temps partiel, de nombreuses femmes se retrouvent ensous-emploi. Au fil des ans, le travail à temps partiel est devenule moteur de la paupérisation de tout un pan du salariat fémi-nin. Caissières, vendeuses, femmes de ménage... elles sontnombreuses à travailler sans parvenir à gagner leur vie. Le tra-vail à temps partiel est venu créer de nouvelles lignes de frac-ture entre emplois féminins et masculins.Plus instruites et plus diplômées que les hommes à vingt ans,les femmes sont moins qualifiées et moins payées qu’eux dèsqu’elles arrivent sur le marché du travail et bien plus pauvresquand vient le temps de la retraite. Les temps sont durs pour l’égalité. l

(1) Stage FSU, CGT et Solidaires : http://formation.fsu.fr/spip.php?article1392

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TES ÉPHÉMÉRIDE LA « NOUVELLE » ÉQUIPE MINISTÉRIELLE

Surtout ne rien changer !Le remaniement post-élections municipales, tant commenté, entérine le main-

tien du cap pour l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) aussi. En dépitd’une pétition appelant à changer de politique signée par plus de 10 000 per-sonnes, B. Hamon a été nommé ministre de l’Éducation nationale (EN) et de l’ESRet G. Fioraso, maintenue à l’ESR, secrétaire d’Etat. Cette dernière a expliqué quele premier geste vise à achever les chantiers communs en cours (« l’orientation– 3/+ 3 », « la présentation des métiers dès le lycée », « l’harmonisation des stages »,« les Espé » et « améliorer l’ascenseur social »), tandis que son maintien vise àmettre en œuvre la loi ESR votée et en particulier : « les Comue, les innovationspédagogiques, les Moocs, la refonte du 1er cycle, le meilleur lien avec le secon-daire, le statut d’étudiant entrepreneur, le transfert » (source : AEF). Enfin,Ch. Strassel devrait cumuler les fonctions de directeur de cabinet de G. Fiorasoet de B. Hamon et les attributions de V. Berger comme conseiller à l’Élysée vien-nent d’être élargies : à l’ESR s’ajoute désormais l’EN... l

Annliese Nef

DISCOURS DU PREMIER MINISTRE

Un Valls à un tempsLe surmâle a parlé ! Le Premier ministre Manuel Valls a prononcé son discours

de politique générale mardi 8 avril devant les parlementaires. La presse a valo-risé l’énergie, la volonté, le changement de cap ; en creux se dessinait le portraitdu « mou » Ayrault, l’amateurisme en personne, au féminin comme il se doit en poli-tique. Le masculin a donc repris le pouvoir, le redressement est à ce prix. Derrièrece rideau de fumée médiatique, pourtant nul changement n’est annoncé. Aucontraire, le mot d’ordre se résume à un « plus vite et plus fort » (le masculin,encore !). L’homme a changé, ou il est de retour comme on voudra, mais la maî-tresse de maison est demeurée fidèle au poste. Dame Austérité n’a pas à craindrela séparation. Les cadeaux fiscaux continuent de pleuvoir sur les détenteurs de capi-taux, les services publics seront un peu plus dépouillés encore. Les artifices de com-munication n’y changeront rien. La valse des ministres ne saurait cacher que c’estle néolibéralisme qui mène le bal. l

Christophe Pébarthe

CONDITIONS DE TRAVAIL ET D’ÉTUDES

Alerte !Des syndicats de l’ESR (personnels, étudiants) ont organisé une journée sur les

conditions de travail et d’études le 9 avril. Plus de 120 participants ont pu mesu-rer l’aggravation considérable de la situation par des témoignages et analyses dechercheurs. Face à cette situation, des propositions exigent des décisions dans les établisse-ments : améliorer les dispositifs de prévention, donner les moyens aux CHSCT,reconnaître des situations de souffrance au travail comme accidents de travail,remettre à plat les modalités pédagogiques. Surtout, à l’opposé de la politique gou-vernementale, il faut donner à l’ESR un montant équivalent au CIR, pourvoir despostes gelés, résorber la précarité (notamment en A+), améliorer les conditionsd’études et de réussite des étudiants. Cela passe par des moyens et un plan plu-riannuel de création d’emplois.Un appel(1) alerte solennellement le nouveau gouvernement (http://www.snesup.fr/Le-Snesup/L-actualite-du-SUP?aid=6982&ptid=5). D’ores et déjà, personnels et étu-diants écriront dans les établissements des cahiers de doléances. l

Michelle Lauton

(1) FSU (SNESUP, SNCS, SNASUB) – CGT (SNTRS, FERC Sup, CGT INRA) - UNSA (Sup’Re-cherche, SNPTES) – SNPREES-FO -Sud Recherche EPST - UNEF

30 AVRIL : Réunion MinistèreFonction Publiquecomité de suivi des ANT

1E R MAI : Journée de la Fête du Travail avec manifestations

13 MAI : Commissionadministrative

14 MAI : Stage juridique dans le supérieur

15 MAI : Journée d’actions et de grève sur les salaires etl’emploi à l’appel des fédérations defonctionnaires

16 MAI : Conseil Supérieur de l’Éducation

17 MAI : Séminaire organisé par la LDH « face à l’offensive des droites extrêmes et radicales en Europe, agir pour la démocratie, ne rien lâcher sur les droits »

19 MAI : CNESER

DU 20 AU 23 MAICongrès de l’UGICT-CGT à Dijon

20-21 MAI : Conseil DélibératifFédéral National (CDFN) de la FSU

20 MAI : Comité d’Hygiène,de Sécurité et des Conditionsde Travail (CHSCT) du ministère de la Fonction publique

DU 21 AU 23 MAIColloque annuel de la CPU à Lyon(sur le thème « les universités et l’innovation : agir pour l’économie et la société »)

24 MAIMontée au Mur des Fédérés(les Amis de la Commune)

p M E N S U E LD U S Y N D I C A TN A T I O N A L D EL ’ E N S E I G N E M E N TS U P É R I E U RSNESUP-FSU78, rue du Faubourg-Saint-Denis,75010 Paris - Tél. : 01 44 79 96 10Internet : www.snesup.fr

Directeur de la publication : Guy Odent

Coordination des publications : Thierry Astruc

Rédaction exécutive :Laurence Favier, Isabelle de Mecquenem,Annliese Nef, Christophe Pébarthe, Alain Policar

Secrétariat de rédaction :Latifa RochdiTél. : 01 44 79 96 23

CPPAP : 0 111 S07698 D 73

ISSN : 0245 9663

Conception et réalisation : C.A.G., Paris

Impression :SIPE, 10 ter, rue J.-J. Rousseau, 91350 Grigny

Régie publicitaire :Com d’habitude publicité, Clotilde Poitevin. Tél. : 05 55 24 14 [email protected]

Prix au numéro : 0,90 € • Abonnement : 12 €/anSupplément à ce numéro : 12 pages Congrès

Illustration de couverture : © Didier Chamma

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Les élections municipales ont été mar-quées par une forte progression du

nombre de municipalités détenues par ladroite et l’extrême droite et une forteabstention. Il ne s’agit pas là du résultatd’une poussée de la droite (à environ45 % des suffrages exprimés au secondtour, celle-ci est stable par rapport auxmunicipales de 2008) ; la montée del’extrême droite est bien réelle (absentedu 2e tour en 2008, elle recueille près de9 % des voix en 2014) ; mais c’est surtoutl’abstention, particulièrement importantedans l’électorat de gauche, qui provoquel’effondrement des listes de gauche.Ainsi, la gauche perd 153 des 506 villesde plus de 10 000 habitants qu’elle diri-geait et le Front National en gagne 9. Lachute est encore plus brutale dans lesvilles de plus de 100 000 habitantspuisque 10 des 29 villes à gauche en2008 passent à droite.Même si certains résultats marquent lerejet local de notables (de droite ou degauche) établis depuis trop longtemps etayant coupé le lien avec leurs électeurs,ce scrutin relève, avant tout d’une ana-lyse nationale. Il est la traduction durejet, en particulier par les milieux popu-laires, de la politique d’austérité menéepar le gouvernement, qui génère déses-poir et désillusions. L’absence deréponse gouvernementale aux attentessociales et sociétales, le défaut de visi-bilité d’alternatives progressistes, le reculde la démocratie et l’aggravation de lacrise institutionnelle sont les principauxresponsables de l’abstention chez lesélecteurs de gauche. Ajoutés à la diffu-sion complaisante dans les médias despropos démagogiques du FN et à la stig-matisation des étrangers sur fond sécu-ritaire jusque dans les propos demembres du gouvernement, ils ont étédes facteurs de radicalisation de la droiteet de banalisation du FN chez les élec-teurs de droite.Ces élections constituent un signalmajeur pour le gouvernement : plus quela poussée de la droite et de l’extrêmedroite, c’est le désaveu de tous ceux quiavaient voulu le changement en 2012 quis’est fait entendre.

UN GOUVERNEMENT DE COMBAT ?Pourtant, le discours du président de laRépublique à l’issue de ce scrutin, lanomination de M. Valls comme Premierministre, la réaffirmation de la priorité au« pacte de responsabilité », la constitutiond’un gouvernement dont 14 ministressur 16 sont reconduits, sont tout sauf lessignes que le message de rejet de sapolitique a été entendu.Défendre les emplois, la protectionsociale, les services publics, améliorer lesconditions de travail, les salaires et pen-sions, développer la recherche, élever leniveau de formation et de qualification,autant de revendications légitimes, autantde conditions indispensables pour sortirnotre pays de l’impasse de l’austérité.Elles exigent de faire entendre une autrevoix que celle de la résignation aux exi-gences du capitalisme financier. Au seinde la FSU, le SNESUP y contribuera, à saplace en tant qu’organisation syndicaleagissant pour une transformation sociale.Dès son premier contact avec BenoîtHamon, en charge du nouveau ministèrede l’Éducation nationale, de l’Enseigne-ment supérieur et de la Recherche, leSNESUP mettra l’accent sur les points

fondamentaux sur lesquels il porte sesexigences, tels que synthétisés dans sonmémorandum(1).Sortir les universités et les organismes deleur situation budgétaire alarmante etamorcer la résorption de la précariténécessitent des mesures immédiates, tanten termes de crédits que d’emplois. C’estpossible, à condition de s’attaquer aubastion financier du Crédit ImpôtRecherche.Une politique de coopération librementélaborée entre établissements et orga-nismes, à l’opposé des regroupementsrégionaux imposés, des financementspérennes et des garanties statutairespour les personnels, à l’opposé de lalogique de concurrence généralisée, sontindispensables à l’indépendance de larecherche et la liberté académique desformations. C’est possible, à condition derompre avec le pilotage ministériel auto-ritaire et précipité du ministère, avec lemépris pour les instances élues, avec lerefus d’entendre les personnels et leursorganisations syndicales. l

(1) Téléchargeable à partir du site du SNESUP :http://www.snesup.fr/Le-Snesup/L-actualite-du-SUP?aid=6972&ptid=5

ÉLECTIONS MUNICIPALES

Il est urgent de répondre aux attentes sociales !La perte historique de nombreuses villes par la gauche aurait dû donner lieu àune réponse forte du gouvernement. Un jeu de chaises musicales ne suffirapas. Les citoyens attendent un changement de cap politique.

➔ par Claudine Kahane et Marc Neveu

tCes élections constituent un signal majeur pour le gouvernement :

plus que la poussée de la droite et de l’extrême droite, c’est le désaveu detous ceux qui avaient voulu le changement en 2012 qui s’est fait entendre.

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6ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES DU 4 DÉCEMBRE 2014

Le travail des sections va être primordial

RENCONTRE SNESUP-DGRH DU MINISTÈRE DU 14 MARS*

L’écoute ne suffit pas !Le SNESUP s’étant fait le relais de l’inquiétude, du mal-être et de la colère latentedes collègues, le gouvernement persistera-t-il dans sa politique irresponsable ?

Le degré d’impréparation du MESR, etnotamment de la DGRH en charge des

questions électorales pour les scrutinsnationaux du CTMESR, du CTU, des CAPet les scrutins locaux des CT d’établisse-ment, est affolant. Par exemple, la circulaireen date du 13 mars 2014 de laDGRH aux présidents d’éta-blissements indique : « ...l’or-ganisation des différents scru-tins (CTMESR, CTU, CTd’établissement...) relève de laresponsabilité de chaque éta-blissement. Toutefois, unecoordination générale du pro-cessus électoral est mise enplace au sein de la DGR ». End’autres termes, le MESR se défausse del’organisation des élections... sur les prési-dents des universités, écoles, CROUS, etc.Par ailleurs, si une fiche définit le péri-mètre des électeurs, c’est-à-dire les règlesde constitution des listes électorales, aucuneliste électorale centralisée n’est prévuepour un recensement complet des élec-

teurs : le MESR délègue aux établissementsle soin de créer les listes d’électeurs locales.Ceci a conduit la FSU à intervenir auCTMESR du 25 mars sur ces points : « Elle[la FSU] s’oppose à la délégation du travailaux établissements que prévoit le ministère.

Elle a exprimé son exigence decadrage national sur les moda-lités de vote et d’une liste élec-torale au niveau central, afind’assurer toute la régularité desélections et l’égalité d’informa-tion entre les électeurs.Les deux arrêtés présentés nevont cependant pas dans ce sens,et restent flous sur les modalitésde vote. Ainsi rien n’indique si le

scrutin est électronique ou non. Il n’existe pasde seuil sur les effectifs d’un site qui entraî-nerait l’implantation d’un bureau de votesur ce même site. Les modalités de vote parcorrespondance ne sont pas cadrées natio-nalement. »Cette même circulaire demande que lesélections professionnelles du 4 décembre

2014 soient mises à l’ordre du jour descomités techniques d’établissement avantle 15 avril. Les remontées dont dispose ladirection nationale à ce jour montrent quece n’est pas le cas dans de nombreusessituations.C’est pourquoi, nous invitons nos élus àdemander la mise à l’ordre du jour duprochain comité technique local de l’or-ganisation des élections professionnelles du4 décembre dans chaque établissement(nombre de bureaux de vote et localisation,modalités de vote par correspondance,modalités de communication pour la cam-pagne électorale, etc.) afin de favoriser aumaximum la participation des personnelsà ces élections.Par ailleurs une réunion nationale dessecrétaires de section au sujet des électionsprofessionnelles dans l’ESR, organisée parle SNESUP-FSU et le SNASUB-FSU a eu lieule 10 avril à Paris, et a permis de recenserles éléments pratiques de préparation dansles établissements (à lire dans le prochainMensuel).l

Le 14 mars dernier, une délégation duSNESUP a rencontré la Direction Géné-

rale des Ressources Humaines du minis-tère. Lors de cette réunion où ont notam-ment été abordés des points d’actualitéliés aux conséquences de la loi Fioraso,nous n’avons pas manqué de rappeleravec insistance l’urgence à satisfaire lesrevendications liées aux dégradationslentes, mais bien réelles, de nos condi-tions de travail. Parmi les points traités :La campagne d’affectation des PRAG/PRCEainsi que les recrutements d’ATER fonc-tionnaires. Le SNESUP a pointé du doigtles dysfonctionnements de l’an passé etleurs conséquences négatives pour lescollègues : refus rectoraux d’affectationdans le sup, seconde campagne deve-nant anormalement importante et désta-bilisant la rentrée du secondaire. Nousavons fait des propositions de modifica-tion de calendrier.Précarité et non titulaires. Nous avonsdénoncé l’augmentation de la précarité etles insuffisances de la loi SAUVADET.Suite à certains dérapages locaux en

matière de services (hauts) et de salaires(bas), nous avons réclamé l’interventionde la DGRH (sur-service de lecteurs, nonpaiement de vacataires...) et un cadragenational avec alignement sur les statutsdes titulaires de même catégorie.Conditions de travail. Dans ce domaine,nos principales revendications ont étérappelées et justifiées : réduction desservices compensant l’alourdissement etla complexification de notre travail, TP =TD pour tous et toutes les heures, réduc-tion forfaitaire de service pour les joursfériés scandaleusement perdus, rattra-page salarial des pertes subies (15 % depertes du point d’indice brut depuis2000)… Nous avons soulevé des diffi-cultés de fonctionnement des CHSCTainsi que les problèmes de défraiementdes missions et de la prise en compte destemps de déplacement.Le SNESUP a par ailleurs prévenu qu’au-cune régression des conditions de travailne sera tolérée en conséquence de futursregroupements d’établissements !Enfin, suite à nos interventions alertant

sur certaines dérives locales, le minis-tère a rappelé la règle de paiement descours magistraux dont la qualification nepeut en aucun cas dépendre du nombred’étudiants présents mais uniquement dela nature de l’acte pédagogique, elle-même liée à la maquette/programme dela formation.En définitive, si l’écoute a été attentive dela part du ministère, il va de soi que celane suffit pas ! Les collègues attendentdes actes améliorant leur situation et leSNESUP a insisté sur l’urgence d’uneréponse ministérielle sans ambiguïté. Lerésultat des élections municipales qui,depuis, a exprimé une énième sanctionpar les citoyens d’une politique écono-mique libérale et de ceux qui alternati-vement la mène, est une alerte claire !L’action collective des collègues et denos sections syndicales sera le seulrecours si la politique anti-sociale dugouvernement persistait ! l

* Compte rendu détaillé sur notre site, rubrique« votre métier ».

➔ par Claudine Kahaneet Marc Neveu

➔ par Gérard Tollet , membre du bureau national

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Depuis quelques mois, uncollectif de lutte, animé

notamment par des syndi-qués SNESUP, réclame quedes mesures soient prisespour assurer la promotion deceux qui sont qualifiés etrequalifiés par le CNU. Lesimportants départs à laretraite consécutifs aux recru-tements des années 1968 sontterminés, il n’y a pas de créa-tions de postes, peu d’espoirsd’en obtenir prochainementet les établissements gèlentdes postes pour pallier leursdifficultés budgétaires.Il y a maintenant 25 ans, en1989, le ministère s’était en-gagé à porter à 40/60 le rap-port professeurs/maîtres deconférences. Il est de 30/70.Cet engagement a été consi-gné dans le relevé de conclu-sions sur la revalorisationde la fonction enseignante signé par Lionel Jospin et le

SNESUP. C’est un engage-ment de l’État qui garde savaleur. Le SNESUP réclamedonc des mesures spécifiquespour rééquilibrer ce rapport,notamment la transformationd’emplois de maîtres deconférences en professeurs.Le 9 décembre 2013 le SNE-SUP a rencontré le ministère.Celui-ci reste néanmoinssourd aux solides argumentset propositions qui lui ont étéprésentés(1). Lors du derniercomité technique, le SNESUPa déposé un amendement de-mandant la transformation desmaîtres de conférences quali-fiés depuis au moins cinq ans,mais n’a pas reçu le soutiendes autres syndicats qui ontmontré leur indifférence auxproblèmes réels.

UNE REVENDICATION JUSTE,RÉALISTE ET NÉCESSAIREFace à la mauvaise volonté

du gouvernement, il faut lut-ter et pour cela il faut s’or-ganiser. Pour renforcer l’ac-tivité du comité de lutteexistant, le SNESUP invitetous les collègues désireuxde s’engager à se faireconnaître auprès du secteurSDP : [email protected]. Les mesures de transforma-tion assistant-maître de confé-

rences ont été courantes. Lesdernières se sont réalisées il ya quelques années. On a ob-tenu aussi par le passé destransformations maître deconférences-professeur. C’estdonc tout à fait possible. l

(1) Site du SNESUP, « votre mé-tier » (www.snesup.fr/Votre-me-tier? aid=6884&ptid=10&cid=3712).

MCF-HDR

Débloquer les carrièresLe SNESUP intervient en faveur des maîtres de conférences titulaires del’habilitation à diriger des recherches et qualifiés, dont la carrière est bloquéepar la pénurie de postes.

➔ par Jacques Guyot , membre du secteur Situation des Personnels

➔ par Jacques Guyot

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Le SNESUP n’est pas parti-san de l’instauration de CDI

pour les personnels des uni-versités. Cependant il est réa-liste : la situation de contrac-tuel est préférable à celle devacataire et un CDI vautmieux qu’un CDD.Le SNESUP défend tous lesenseignants et s’il réclame unstatut de fonctionnaire titu-laire pour tous, il ne négligepas des revendications par-tielles permettant d’améliorertout de suite la situation denos collègues.Des excès monstrueux nousont été signalés. Le décretstatutaire des enseignants-chercheurs mentionne que384 heures TD ou TP sontéquivalents à 1607 heuresde travail annuelles (ce quenous contestons par ailleurs),et toute heure d’enseigne-ment effectuée au-delà doitêtre rémunérée en heurecomplémentaire. Des éta-blissements, profitant de lasituation de faiblesse de noscollègues contractuels, fontsigner des contrats avec des

obligations de service de600 et même 800 heuresd’enseignement TP-TD an-nuelles.Nous condamnons totale-ment ces procédés indignesde directions d’université quise prévalent pourtant de va-leurs universelles, telles quel’égalité.Faites-nous savoir si de telsabus existent dans vos éta-blissements afin qu’une in-

tervention ciblée puisse sefaire auprès des présidents etauprès du ministère pour quele service des contractuelssoit équivalent à celui des titulaires : secteur SDP :[email protected]ès souvent aussi, nos col-lègues ne bénéficient pasd’un déroulement de carrièreet d’une progression des ré-munérations conformes àcelles des personnels titu-

laires. Pourtant des avancéessont possibles. Ainsi, unecharte de gestion âprementdiscutée par les élus SNESUPdu CT de l’université de Pau(avec le soutien du SNASUB)a permis des résultats inté-ressants. En voici les grandeslignes :– la CDIsation au bout detrois ans de CDD sur un em-ploi pérenne ;– la prise en compte de l’an-cienneté selon les règlesfonction publique lors de laCDIsation ;– l’accès aux PRP (primes deresponsabilité pédagogique),comme tous les autres ensei-gnants ;– la création d’une prime an-nuelle statutaire de 600 € (soitla moitié de la prime statu-taire des autres enseignants) ;– l’avancement d’échelonsur le rythme moyen des certifiés.Ne laissons pas les établis-sements faire des économiessur le dos de nos collègues.Demain ce sera notretour. l

NON-TITULAIRES

Stop aux contrats indignes dans nos universités !

Nos collègues ne bénéficient pas d’un déroulement de carrière et d’uneprogression des rémunérations conformes à celles des personnels titulaires.

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Progression à plat

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TRAVAILLEURS HANDICAPÉS

De nouvelles dispositions pour l’ESR

Le projet de plan pluriannuel d’insertion professionnelle des personnesen situation de handicap enclenche une dynamique qui devrait profiter aux enseignants-chercheurs. Mais qu’en sera-t-il de son application ?

En dépit d’une circulaire du4 septembre 2012 relative à

la prise en compte du handi-cap dans les projets de loi(1)

que l’ex-Premier ministreavait adressée à tous lesministres de son gouverne-ment, le projet de loi ESR2013, passé au crible de cettepriorité publique, a d’abordaffiché une tranquille vacuité,comme s’il s’agissait d’uneproblématique inconnue. Un« schéma directeur plurian-nuel en matière de handi-cap », dont la dénominationévoque davantage le Gosplansous la dictature stalinienneque la mise en œuvre d’unepolitique publique en faveurdes personnels de l’ensei-gnement supérieur, est fina-lement apparu dans la loin° 2013-660 du 22 juillet 2013relative à l’enseignementsupérieur et à la recherche.Et avec ce projet qui endécoule, c’est la première foisque la spécificité de l’ensei-gnement supérieur est enfinprise en compte, en étant dis-socié de l’Éducation natio-nale.Aussi l’initiative du plan pré-senté par la DGRH, le 14 fé-vrier dernier, aux repré -sentants des organisationssyndicales, a-t-elle été plutôtbien accueillie, même si cesdernières n’ont pas été asso-ciées à son élaboration. L’es-poir que le retard accumulédepuis la loi du 11 février2005 pourrait enfin être rat-trapé grâce à l’impulsion mi-nistérielle était de nature àatténuer un peu l’oubli dudialogue social avec certainspartenaires(2). Le projet n’a de « plurian-nuel » que le nom, puisqu’ilne porte que sur une pério-de transitoire : 2014-2015. Enfait, le plan conçu par le mi-nistère est surtout destiné,autonomie oblige, à guider etsoutenir les établissementspour construire leur proprevolet « Ressources humaines »en se rapprochant desnormes en vigueur, princi-palement en matière d’ac-cessibilité des locaux et detaux d’emploi.Le texte propose des avan-cées significatives pour lesenseignants-chercheurs quise traduiront par des nou-velles modalités de recrute-ment. Afin d’effectuer le

changement de mentalité quis’impose préalablement, àpartir de 2014, « l’ensembledes fiches de postes des em-plois ouverts au recrutementmentionneront l’accès de cespostes aux bénéficiaires del’obligation d’emploi. De plus,les membres des comités desélection seront sensibilisés aurecrutement des personnelsen situation de handicap ».Les postes réservés aux tra-vailleurs handicapés étant« illégaux », seule une « sensi-bilisation » lors de la phasede recrutement peut interve-nir pour ces concours parprincipe ouverts à tous lescandidats. Le ministère n’apas encore précisé les formeset modalités de cette « sensi-bilisation ». La volonté ex-presse est de préserver l’équi-té devant les concours dedroit commun, tout en pre-nant en compte la situationde personnes dont le handi-cap est reconnu.

OBLIGATION D’EMPLOIMais l’innovation la plus no-table est la création d’unevoie contractuelle applicableau recrutement des ensei-gnants-chercheurs : « La mo-dification du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 prévoitainsi, dès la rentrée 2014, lapossibilité de recruter les bé-néficiaires de l’obligationd’emploi, en qualité d’agentcontractuel, lorsque leur han-dicap a été jugé compatibleavec l’emploi postulé ». Il s’agitd’une extension aux ensei-gnants-chercheurs de dispo-

sitions issues du décret n° 95-979 du 25 août 1995. Dans cecas, la titularisation inter-viendra au bout d’un an.Comme cette voie contrac-tuelle ne concerne que descandidats ayant une « Recon-naissance de la Qualité deTravailleur Handicapé », lesétablissements seront invitésà repérer les jeunes docteurset les ATER pour développerce type de recrutement. Leministère a également réaf-firmé la priorité légale à la

mutation afin d’inciter les per-sonnels en poste à se décla-rer en tant que BOE. Mal-heureusement nous avonstrop souvent fait le constatdésolant, par retour d’expé-rience, de la faible efficacitéde cette priorité qui rencontredéjà beaucoup d’obstacles àsa mise en œuvre. Si le recrutement est l’aspectle plus important de ce plan,les aménagements de postesont bien sûr abordés dans ledocument, ainsi que la ques-tion de leur financement parle biais de conventions avecle FIPHFP. Le ministèreévoque aussi l’adaptation duréférentiel d’activités aux en-seignants-chercheurs en si-tuation de handicap.

Si ce plan va dans la bonnedirection et témoigne d’unevolonté politique forte, onreste encore circonspect dupoint de vue de la phase laplus incertaine : celle de ladévolution aux établisse-ments d’enseignement supé-rieur des objectifs axés surl’augmentation du taux d’em-ploi, qui peuvent confiner àde l’affichage. En effet, tout dépendra fina-lement des politiques locales,et même si l’évitement des

pénalités pour non-respectdu taux légal d’emploi deBOE forme la motivation dé-terminante de cette mobili-sation, on peut redouter queles effets paradoxaux révéléspar certains économistes àpropos de sanctions finan-cières, ne se vérifient à nou-veau, encourageant parfoisles transgressions des indivi-dus et des institutions au lieude les endiguer. l

(1) www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000026344613(2) Des échanges qualifiés d’« in-formels » par le chef de service dela DGRH ont en revanche eu lieuavec la CPU et les associationsdes DRH et des DGS.

➔ par Isabelle de Mecquenem , responsable de la cellule « Harcèlement » du SNESUP

tL’innovation la plus notable est la création

d’une voie contractuelle applicableau recrutement des enseignants-chercheurs.

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Faciliter le recrutementet l’accessibilité auxpersonneshandicapées.

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Une société démocratique, en tant que construction historique, n’est pas une conquêtedéfinitive. Exposée à ce que Dominique Schnapper nomme « la tentation de l’illimité »

(voir page Culture du présent numéro), c’est-à-dire l’illusion d’abolir contraintes,limites et distinctions, elle court le risque de se corrompre par la négation des principes

qui la fondent. Le danger le plus grave est sans aucun doute, comme le montrent lestravaux d’Alain Supiot, la subordination des libertés collectives des salariés aux libertés

économiques des entreprises. Plus globalement, c’est le mécanisme de répartition desrichesses qui est ainsi placé hors du jeu démocratique. Dès lors, il devient de plus en

plus difficile, devant la croissance des inégalités et celle des disparités d’utilisation desressources, de « réaliser » la démocratie. Celle-ci doit affronter d’autres périls. Celui dela montée, commune à nombre de pays européens, de mouvements qui défendent uneconception exclusiviste de l’identité nationale contraire à la promesse universaliste dela démocratie (Béatrice Giblin). Et également, même si la démocratie ne se réduit pas

au vote, celui du poids et de la persistance de l’abstention, lesquels exprimenta contrario le rôle de la confiance dans la survie d’institutions démocratiques

(Cécile Braconnier). Notre responsabilité d’universitaires est donc d’abord, pourla défendre au sein de nos instances, de la comprendre à la fois comme une exigence

éthique et une nécessité pratique, ainsi que l’exprime avec conviction Lise Dumasy.

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Menaces sur la démocratie‘ Dossier coordonné par Christophe Pébarthe et Alain Policar

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Dans un ouvrage publié en 2010, L’Espritde Philadelphie. La justice sociale face au

marché total, A. Supiot rappelait qu’en 1944était adoptée la « Déclaration concernant lesbuts et objectifs de l’Organisation Interna-tionale du Travail ». Cette déclaration expri-mait la volonté de construire « un nouvelordre mondial qui ne soit plus fondé sur laforce mais sur le droit et la justice » (p. 9). Ilne s’agissait certes pas d’un programmevisant la destruction du capitalisme, maisd’une forte recommandation pour faire del’égale dignité de chacun et de la solidaritéle fondement des constructions étatiques.Que s’est-il passé depuis ?On peut l’énoncer simplement : la liberté ducommerce et la mise en concurrence géné-ralisée l’ont emporté sur toute considéra-tion de dignité. On a ainsi assisté autriomphe de l’ultralibéralisme. Ce dernierterme est, à juste titre, préféré par A. Supiotà celui de néolibéralisme : il met en effet l’ac-cent sur l’idée de restauration (à l’instar deceux qui voulaient restaurer l’Ancienrégime), en l’occurrence d’un ordre pur dumarché. Cela n’implique aucunement que lesultralibéraux n’aient pas produit du neuf.Celui-ci consiste non dans la suppression desmécanismes de l’État social mais dans leurprivatisation. On observe ainsi une captationde ces mécanismes parles mieux lotis. A. Supiotparle à ce sujet d’effetMatthieu : « À celui qui a,il sera beaucoup donnéet il vivra dans l’abon-dance. Mais à celui quin’a pas, même ce qu’il alui sera retiré » (Évangileselon Matthieu, chapitre25, versets 14 à 30).Aujourd’hui, en raison de la libre circulationdes capitaux et des marchandises, les plusaisés peuvent en effet fuir pour échapperaux cotisations sociales et fiscales. Un passupplémentaire dans le processus de priva-tisation de la ressource publique a été fran-chi avec le renflouement des banques enpuisant dans l’argent public sans même la

contrepartie de participation étatique dans lecontrôle de ces banques. Bref, on défait l’É-tat social, notamment en plaçant la réparti-tion des richesses hors du processus démo-cratique. Dans cette perspective, ladémocratie sociale, que l’on peut définircomme une machine de conversion des rap-ports de force en rapports de droit, voit salégitimité contestée.Il faut chercher les fondements de ce pro-cessus dans l’idée, en réalité la croyance,qu’il existe des lois objectives de l’économieet que le droit doit être l’instrument de leurréalisation. Nous reviendrons infra sur desarrêts paradigmatiques de la Cour euro-péenne de justice. Mais auparavant, il fautdire un mot de la pensée de FriedrichHayek, dont se réclament les ultralibéraux,et plus précisément de son ontologie sociale.

Les fondements ontologiques del’ultralibéralismePour Hayek, la redistribution égalitaire desrichesses, et donc l’intervention de l’État,est vouée à échouer, parce qu’elle repose surune ontologie fausse qui prête à la sociétéune nature qui n’est pas la sienne. L’illusioncombattue est celle de l’attribution d’uncréateur à l’ordre social. Celui-ci, aucontraire, est essentiellement spontané. Cela

signifie qu’il est infondé delui attribuer une finalité.L’ordre social n’est nil’ordre naturel des Grecs(kosmos), ni l’ordre artifi-ciel qui résulte de l’actionhumaine (taxis). Ilemprunte cependant à cha-cun, puisqu’il n’existeraitpas sans les actions deshommes, mais celles-ci,

n’étant pas réfléchies, participent de l’ordrespontané de la nature. La société, par consé-quent, émerge du jeu des relations humaines,et nulle intelligence n’est en mesure de sai-sir sa signification et le sens de son évolu-tion. Il y a, dès lors, chez Hayek une extrêmeméfiance envers tout projet de type socialiste

(le socialisme pouvant désigner, chez lui,aussi bien l’interventionnisme keynésien quela planification soviétique). Il s’oppose bienévidemment au contractualisme, selon lequella société résulte d’un pacte d’association, cequi revient à faire jouer à la raison un rôleexorbitant. Il suffit de postuler un accordconventionnel implicite sur l’observance derègles de conduites, règles qui s’imposentparce qu’elles servent l’intérêt commun.L’évolution, pour les sélectionner, n’a nulbesoin de présupposer qu’elles sont le pro-duit des desseins de l’homme. Les règles sociales et les institutions, qui ontsubi avec succès le processus évolutif, n’ontdonc pas à être changées. Notre rationalité,nécessairement limitée, ne peut prétendre,selon Hayek, organiser un monde dont lacomplexité dépasse largement ses possibili-tés. La tradition joue ainsi le rôle du systèmedes prix dans l’ordre du marché. Cetteimportance reconnue à la tradition fait de lui,comme l’a remarqué Philippe Raynaud, undisciple de Burke. L’évolutionnisme hayékienest fondamentalement conservateur : il n’y aqu’un seul type de comportement humainqui puisse être juste dans le monde tel qu’ilest, et ce comportement consiste à accepterl’ordre social, au risque de contribuer à sadestruction en adoptant un autre comporte-ment. La juste rémunération ne peut êtrefixée que par le marché. Or ce dernier nesaurait, à l’instar du dieu de Pascal, rétribuerles mérites individuels. En outre, toute inter-vention de l’État le transformerait en unacteur privé et introduirait une inégalitéentre les membres de la société. Combattrel’inégalité supposerait alors assurer à chacunun droit égal à la sécurité, ce qui ne pour-rait s’accomplir qu’en renonçant aux lois dumarché et, dès lors, en abolissant la liberté.De nombreuses dimensions des politiquespréconisées par les dirigeants européensprennent sens dans la perspective hayé-kienne. Il en est ainsi des arrêts Viking etLaval rendus en décembre 2010 par la Coureuropéenne de justice (qui détient une partessentielle du pouvoir législatif dans l’Unioneuropéenne).

À PARTIR DES TRAVAUX D’ALAIN SUPIOT

Le fondamentalisme économiquecontre la démocratie

Nous aurions souhaité qu’Alain Supiot, professeur au Collège de France(1),

titulaire de la chaire « État social et mondialisation analyse juridique des solidarités »,

puisse nous donner un article de synthèse sur ses travaux récents. Ses contraintes

ne l’ont pas permis, mais il a tenu à nous fournir quelques textes

à partir desquels le présent article a été écrit. Nous l’en remercions vivement.

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tOn défait l’État social,

notamment en plaçant

la répartition des richesses

hors du processus

démocratique.

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‘ par Alain Policar

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Le libre exercice du droitsyndical en périlCes affaires, écrit A. Supiot(2),posent la question de savoir siles syndicats ont le droit d’agircontre des entreprises qui utili-sent les libertés économiquesgaranties par le traité de Romepour abaisser les salaires ou lesconditions de travail. Dans l’af-faire Viking, une compagnie fin-landaise de transport de passa-gers souhaitait faire passer l’unde ses ferrys sous pavillon decomplaisance estonien, afin dele soustraire à la convention col-lective finlandaise. L’affaireLaval concernait une société deconstruction lettonne quiemployait en Suède des sala-riés lettons et refusait d’adhé-rer à la convention collectivesuédoise. Dans les deux cas, lessyndicats avaient recouru avecsuccès à diverses formes d’ac-tions collectives (grèves, blocuset boycott) pour contraindre lesentreprises au respect de cesconventions. La Cour euro-péenne était interrogée sur lepoint de savoir si ces actions,bien que licites en droit national,n’étaient pas illégales au regarddu droit communautaire, dans lamesure où elles entravaient laliberté des entreprises de se pla-cer sous les règles sociales lesmoins favorables aux salariés. Pour l’essentiel, la Cour a donnésatisfaction aux entreprises.Dans l’arrêt Laval, elle interditaux salariés de s’opposer par lagrève aux entreprises qui décident de tra-vailler dans un État sans en respecter le droitsocial. Au motif que le droit communautaireimpose aux entreprises qui détachent dessalariés dans un autre État un certain nombrede règles sociales minimales, la Cour décidequ’une action collective visant à obtenir, nonpas seulement le respect de ce minimum,mais l’égalité de traitement avec les travailleursde cet État, constitue une entrave injustifiée àla libre prestation de services. L’arrêt Vikingaffirme de son côté que le droit de recourir àdes pavillons de complaisance procède de laliberté d’établissement garantie par le droitcommunautaire, et que la lutte que les syn-dicats mènent contre ces pavillons à l’échelleinternationale est donc de nature à porteratteinte à cette liberté fondamentale. Cette jurisprudence jette une lumière cruesur le cours pris par le droit communautaire.On savait déjà que l’évolution de ce droit

échappait à peu près complètement auxcitoyens, tant en raison de l’absence de véri-table scrutin à l’échelle européenne que de lacapacité des États à écraser les résistancesélectorales lorsqu’elles s’expriment dans desréférendums nationaux. L’apport de ces arrêtsest de mettre aussi le droit communautaire àl’abri des grèves et autres formes d’actionsyndicale susceptibles d’entraver sa mise enœuvre. À cette fin, les règles du commercesont déclarées applicables aux syndicats, aumépris du principe de « libre exercice dudroit syndical », tel que garanti par la conven-tion 87 de l’OIT. Le respect de cette liberté estpourtant une dimension essentielle de ladémocratie. La reconnaissance et la protec-tion, non pas seulement formelles, maisréelles, de la liberté syndicale et du droit degrève, qui permettent aux faibles d’objecteraux forts leur propre représentation de lajustice, sont ainsi profondément mises en

cause par la subordination deslibertés collectives des salariés auxlibertés économiques des entre-prises. On peut craindre que ces arrêtsne contribuent à pousser un peuplus l’Europe sur une pente dan-gereuse. Les mécanismes juridiquespropres à la démocratie, qu’ils’agisse de liberté électorale ou deliberté syndicale, permettent demétaboliser les ressources de laviolence politique ou sociale et deconvertir les rapports de force enrapports de droit. Le blocage pro-gressif de ces mécanismes àl’échelle européenne ne pourraengendrer à terme que des replisidentitaires ou corporatistes et de laviolence.Ne subsiste-t-il aucun espoir rai-sonnable ? Le catéchisme ultralibé-ral cherche à nous convaincre qu’iln’y a pas d’alternative. Mais ce quidoit conduire à ne pas désespérer,c’est que la situation présente estextrêmement instable. Les trois fic-tions sur lesquelles, selon Karl Pola-nyi, repose le capitalisme supposentde traiter les hommes, la nature etla monnaie comme des marchan-dises. Ces fictions ne sont tenablesque s’il existe des dispositifs juri-diques qui protègent les hommes etla nature et qui garantissent la valeurde la monnaie. Depuis environ 30ans, on s’emploie à miner ces dis-positifs. C’est en matière de monnaieque l’on est allé le plus loin dans ladéréglementation. Mais l’évolutiondes marchés financiers montre quele principe de réalité finit toujours

par réapparaître. Cette histoire nous apprend que, selon labelle formule de Barthes, l’avenir se dévoileen se faisant. Le travail des universitaires estd’essayer d’avoir quelques idées claires. Pourqu’il y ait action, il faut avoir un but. Il s’agitdès lors de créer les conditions pour que leshommes agissent. Et l’on peut avoirconfiance : ils ne sont jamais laissé enfermerindéfiniment dans un monde invivable. l

(1) Signalons que sa leçon inaugurale Gran-

deur et misère de l’État social a été publiée chezFayard et est accessible en « open source » sur lesite du Collège de France http://books.openedition.org/cdf/2249(2) Voir « L’Europe gagnée par l’économie com-muniste de marché », http://www.observatoire-deleurope.com, 2-3-2011. Le développement surles arrêts rendus par la Cour européenne dejustice reprend, mot à mot, le propos d’AlainSupiot.

tLa reconnaissance et la protection de la liberté

syndicale et du droit de grève, qui permettent aux

faibles d’objecter aux forts leur propre

représentation de la justice, sont profondément

mises en cause par la subordination des libertés

collectives des salariés aux libertés économiques

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La France a basculé, en deux décennies,du côté des démocraties de l’abstention :

les abstentionnistes et les citoyens non ins-crits sur les listes électorales sont aujour-d’hui, pour la plupart des scrutins, presqueaussi nombreux que les votants, parfoisplus. Les municipales de 2014, en enregis-trant un nouveau record historique d’abs-tention, n’ont fait que confirmer cette ten-dance de longue durée. La démobilisationélectorale contemporaine fait l’objet d’in-terprétations contrastées. Ceux qu’elle laisse indifférents sont d’abordles héritiers d’une conception élitiste de ladémocratie qui appréhende l’abstentioncomme un filtre bienvenu, écartant du voteeffectif ceux que le suffrage universel a inté-gré au corps électoral potentiel malgré leurabsence de qualités. Car les hauts chiffres del’abstention dissimulent le retour d’une sortede cens électoral. Il maintient avant tout àl’écart des urnes les citoyens les plus jeunes,les moins diplômés, les plus affectés par lacrise économique, les plus soumis au risquedu chômage. Ceux qui ont aussi le moins dechances de faire de la politique autrement,par exemple en s’engageant dans des asso-ciations ou en ayant des échanges politiquessur les réseaux sociaux. Les répertoires d’ac-tion politique sont cumulatifs et les modali-tés alternatives de prise de parole profitentavant tout à ceux qui votent.Une autre posture, très différente dans sesmotivations, conduit à relativiser le danger del’abstention pour la démocratie en considé-rant que le non vote constitue par lui-mêmeune forme d’expression politique. Les abs-tentionnistes exprimeraient, en s’abstenant,leur rejet de l’offre partisane, ou, plus large-ment, leur condamnation du système poli-tique. Cette interprétation, qui revient à faireparler ceux qui, précisément, conservent lesilence, peut bien rendre compte d’une par-tie de l’abstention, celle revendiquée parune minorité de citoyens politisés, elle restenéanmoins très insatisfaisante.

Crise de confianceIl y a, certes, des facteurs politiques à l’abs-tention, comme l’atteste notamment le faitqu’aucune élection intermédiaire n’ait,depuis plusieurs décennies, été remportée

par le camp politique du gouvernement enplace. Ces élections municipales de 2014 enfournissent une belle illustration puisquec’est l’abstention différentielle qui a été la clédu scrutin : la victoire incontestable de ladroite s’explique avant tout par la démobi-lisation d’une ampleur sans précédent del’électorat de gauche, dont la déception àl’égard du gouvernement s’est prolongéedans l’abstention. L’atteste par exemple lefait que la participation a été de 5 points depourcentage plus élevée dans les territoiresayant largement voté en faveur de NicolasSarkozy en 2012, et le fait que le léger sur-saut de mobilisation enregistré au secondtour l’ait avant tout été au profit des candi-dats de droite. Pour autant, même si des analyses plus finesdevront le confirmer, la géographie comme

la sociologie du non vote au cours de ladernière décennie ne semblent pas avoir étébouleversées les 23 et 30 mars derniers. Lesrecords d’abstention de cette année ont étéenregistrés dans les territoires qui étaientdéjà parmi les plus abstentionnistes en 2008.Autrement dit, la déception liée à la conjonc-ture politique particulière se surajoute à desformes de désenchantement plus profondqui affectent les catégories de citoyens éga-lement les plus fragilisées par la crise.Prendre au sérieux leur retrait du voteconduit à analyser l’abstention pour ce qu’elleest d’abord : le signe d’une distance nouvelleet d’une méfiance à l’égard de la politiqueinstitutionnelle qu’il serait d’autant plus urgentde combattre qu’elles ne se distribuent pas auhasard dans l’espace social et sont porteusesde fortes inégalités politiques.On peut enfin tenter de se rassurer sanspour autant nier la réalité de l’abstention, enchangeant la focale d’analyse pour seconcentrer sur la présidentielle. Car nombrede ceux qui se sont abstenus dimanche der-nier s’étaient mobilisés pour élire FrançoisHollande. Jusqu’à aujourd’hui, l’abstentionintermittente maintient ainsi dans le jeu élec-toral 90 % des inscrits. S’il est de plus en plusfréquent de ne voter qu’exceptionnellement,« seuls » 10 % ne votent jamais, un chiffreauquel il faut ajouter les 7 % de non inscritspour disposer d’une idée juste de la pro-portion de citoyens ayant à ce jour rompuavec l’institution électorale. Ce qui frappe néanmoins est alors plutôt lefait qu’une large majorité de citoyens conti-nue encore de voter de temps en tempsmalgré le fort scepticisme qui les anime.Pour évaluer l’ampleur de la crise qui affectela démocratie électorale, il faudrait être enréalité aussi en mesure d’estimer la part prisepar ce vote désenchanté, par exemple celuides citoyens les plus âgés qui continuent dese rendre aux urnes par devoir même quandils n’y croient plus. Plus que les recordsd’abstention enregistrés aux municipales,aux législatives ou aux européennes, c’est cemaintien des plus sceptiques dans la civili-sation électorale qui devrait étonner. l

(1) Co-auteure de La démocratie de l’abstention,Folio actuel, Gallimard, 2014 (2e édition).

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R ABSTENTIONNISME

Indicateur de crise de la démocratie ?

Cécile Braconnier analyse le désintérêt croissant des Français pour cet acte citoyen

et politique qui consiste à s’exprimer dans un scrutin électoral. La diversité des causes

conduit à renverser la question : qu’est-ce qui anime ceux qui choisissent de voter ?

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‘ par Céline Braconnier(1), professeur de science politique à l’université de Cergy-Pontoise

tLa déception liée

à la conjoncture politique

particulière se surajoute

à des formes

de désenchantement plus

profond qui affectent les

catégories de citoyens également

les plus fragilisées par la crise.

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Dans nombre de pays européens, au nordcomme au sud, les partis d’extrême

droite obtiennent des scores comparables,voire supérieurs, à ceux du Front national, etle système électoral à la représentation pro-portionnelle leur permet même parfois defaire partie de coalitions gouvernementalespour constituer des majorités de droite(Danemark, Autriche).En Europe, à l’exemple de la stratégie sui-vie par Marine Le Pen, les thèmes clas-siques de l’extrême droite, comme l’antisé-mitisme, la défense de la chrétientéoccidentale, l’opposition à l’avortement et àl’homosexualité, etc., ne sont plus mis enavant. Mais si les propos publics racistes etxénophobes et, a fortiori, les comporte-ments sont le plus souvent condamnés parles leaders des partis d’extrême droite, celane signifie pas que ces discours et ces com-portements aient réellement disparu. C’est,d’ailleurs, au nom de la menace que feraitpeser le monde musulman sur l’Occidentchrétien et sur la Norvège blonde aux yeuxbleus qu’eut lieu, à l’été 2011, la tragédiemeurtrière du trentenaire norvégien, AndersBehring Breivik.

Une conception ethnique de la nationLe vote en faveur des partis d’extrême droitedans nombre de pays européens a en effetpour cause principale le rejet de l’immigra-tion musulmane, vue par certains citoyenscomme une menace sur l’identité nationaleet les valeurs de la nation. Mais de quellenation s’agit-il ? Si la nation est loin d’êtredépassée et nécessairement réactionnaire(comme le rappellent les combats valeu-reux menés pour l’indépendance nationalecontre la domination coloniale), tous lespeuples n’en ont pas la même conception :ouverte et généreuse comme celle que par-tage la majorité des Français encore hostilesau FN, une nation politique formée decitoyens ; ou fermée et exclusive, commedans certains pays européens, une nationethnique où le sang commun est le facteuressentiel d’unité. Selon les partisans d’extrême droite, face àcette supposée menace que ferait peser l’im-migration musulmane sur la nation chré-tienne occidentale, celle-ci doit être protégée.Le contrôle des frontières doit donc être ren-

forcé pour bloquer l’arrivée de nouveauxmigrants de confession musulmane. L’argu-mentation repose sur une représentationdoublement fausse : les arrivées massives ettotalement incontrôlées de migrants et leseffets positifs du blocage total des frontières,sans même parler de ses effets négatifspuisque l’arrêt de l’émigration serait fortementpréjudiciable à l’activitééconomique. Lesmigrants clandestins qui,souvent au péril de leurvie, arrivent à passerentre les mailles du filetdes radars côtiers etautres contrôles aéro-portuaires ou portuaires,sont de moins en moinsnombreux. C’estd’ailleurs ce qui conduitles militants des asso-ciations de défense desétrangers à présenter l’UE comme une for-teresse, quand les militants d’extrême droitela présentent toujours comme une passoire.

L’Union européenne,vecteur d’affaiblissementde la souveraineté nationaleAux yeux de ces militants, la libre circulationdes biens et des personnes au sein de l’es-pace Schengen est vue comme le cheval deTroie qui permet l’arrivée incontrôlée demigrants. Dès lors, l’UE n’apparaît pluscomme un projet politique et économiqueaux effets positifs - la paix durable entre

anciens ennemis, la forte croissance deséchanges commerciaux, la fin d’une concur-rence monétaire préjudiciable aux uns etaux autres - mais comme une entreprise quicontribue à fragiliser la nation en facilitantl’immigration, en mettant en concurrencedes ouvriers européens aux salaires inégaux,au détriment des salariés les mieux payés qui

voient leurs emplois êtredélocalisés dans les paysde l’UE où les salairesouvriers sont beaucoupplus faibles.Par ailleurs, l’euro n’estplus vu comme unemonnaie qui préserve desdévaluations inflation-nistes mais comme l’ins-trument du renchérisse-ment du coût de la viequotidienne et qui affai-blit la souveraineté natio-

nale, puisque la politique monétaire est entreles mains de la Banque centrale européenne. La présence de partis d’extrême droite dans lamajorité des 28 pays de l’UE traduit l’inquié-tude d’une – encore – petite minorité de lapopulation qui voit dans le repli national et lerejet des travailleurs étrangers, y compris euro-péens, le meilleur moyen de préserver sonidentité et ses intérêts nationaux que la poli-tique de l’UE a contribué à fragiliser.Ces ressorts communs à la montée de l’ex-trême droite en Europe ne suffisent cepen-dant pas à effacer les particularités des situa-tions nationales de chaque État. l

EUROPE

Les ressorts de la montée de l’extrême droite

L’extrême droite défend une conception exclusiviste de l’identité nationale.

Dans cette perspective, l’Union européenne est perçue comme une menace.

‘ par Béatrice Giblin , professeure, université Paris 8

tL’UE n’apparaît plus comme un

projet politique

et économique aux effets

positifs, mais comme une

entreprise qui contribue

à fragiliser la nation

en facilitant l’immigration.

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S’il existe un point fondamental sur lequelune théorie de la justice peut être jugée,

c’est bien le sort qu’elle réserve aux plusdéfavorisés. Elle ne saurait dès lors fairel’économie d’une analyse des obstacles réelsaux libertés positives des individus (montantdes ressources financières, niveau d’éduca-tion, état de santé, discriminations diverses,etc.). L’insistance sur les libertés réelles n’estévidemment pas nouvelle : tout lecteur,même débutant, de l’œuvre de Marx connaîtla distinction entre réel et formel. L’intérêt destravaux des théoriciens (Martha Nussbaum etAmartya Sen étant les plus connus) des« capabilités » (le terme s’est imposé, mais onpeut avantageusement lui substituer celuide capacités) est de reprendre cette problé-matique en l’adaptant aux conditions contem-poraines d’existence.

Faire vivre l’égalité citoyenneL’apport majeur de ces théoriciens est demettre l’accent sur les disparités d’utilisationdes ressources, et non seulement sur lesinégalités de revenus, disparités qui minentl’égalité citoyenne. On ne peut en effet selimiter à considérer les ressources comme desbiens inertes. Il est nécessaire d’envisagerles relations entre celles-ci et une personnedonnée. Pour Sen, il importe d’examiner lacapacité de tirer avantage des ressources,de les transformer en utilités (ou en fonc-tionnements). Or cette capacité de transfor-mer les biens sociaux en utilités est inégale. Donner consistance à la démocratie exige untype de raisonnement nouveau. Plutôt que dese concentrer, à l’instar de Rawls et des rawl-siens, sur les dispositifs, on privilégiera lesréalisations. La théorie du choix social, àlaquelle Sen et Nussbaum adhérent, seconcentre, dans la filiation de Condorcet,Mary Wollstonecraft, Marx ou John StuartMill, sur les évaluations comparatives, c’est-à-dire adopte un cadre relationnel. Danscette approche, qui reconnaît la pluralitéindépassable des principes concurrents, onaccorde un rôle important au raisonnementpublic. Ceci explique la congruence entre lesthéoriciens des « capabilités » et ceux, souventles mêmes, de la démocratie délibérative(voir l’ouvrage de Sen, La démocratie desautres, 2005). En posant que nous pouvons

changer de position à la lumière des objec-tions qui nous sont faites, on augmente « lespossibilités de découvrir une solution justequi, actuellement, n’est pas encore perçue »(1).

La figure de la victimeMais le point le plus saillant de ces approchesest sans doute le privilège accordé au senti-ment d’injustice. Dans la filiation de JudithShklar, et de son important ouvrage, Visagesde l’injustice, il s’agit de mettre en lumière« une condition tout à fait commune, celle devictime, et tout particulièrement le sentimentd’injustice qu’elle inspire » (Shklar, Visages del’injustice, p. 31). On tend ainsi à modifier unschéma intellectuel dominant qui considèreque le seul véritable sujet de l’éthique est lajustice. On remet dès lors en question « l’es-pèce de hauteur avec laquelle le modèle usuelconsidère l’injustice, ainsi que la confiance,selon moi excessive, qu’il accorde à la capa-cité des institutions […] de faire réellementface à l’iniquité » (Ibid., p. 33).Cette problématique nous conduit à poser laquestion des inégalités non seulement à l’in-térieur d’une société nationale mais entrenations riches et nations pauvres. Quellesraisons pourraient, en effet, s’opposer à ceque la justice s’étende à l’humanité toutentière, les hasards de la géographie ne pou-vant évidemment justifier des inégalités deperspectives et de développement de soi.Comment pourrions-nous accepter que les500 personnes les plus riches gagnent à peuprès autant que les 500 millions les plus

pauvres ? Comment justifier que 830 mil-lions de personnes souffrent régulièrement demalnutrition, que 1,1 milliard d’habitants denotre planète n’aient pas accès à l’eaupotable, et 2,6 milliards à des soins élémen-taires ? L’extrême dénuement a atteint detelles dimensions qu’il est évidemment irréa-liste d’espérer que la logique du marché par-vienne à résorber la pauvreté globale. Aussi, quelle que soit l’ampleur des inégali-tés au sein de la nation, convient-il de com-battre l’indécence à tenir les pauvres dumonde éloignés de notre souci de justice. Iln’existe pas de tâche plus urgente pour lesphilosophes que de contribuer à faire cesserle scandale de l’injustice globale. Il est, danscette optique, nécessaire d’énumérer et d’ar-ticuler un certain nombre de dimensions dubien-être mieux à même de « faire apparaîtrele degré de réalisation, dans chaque pays, desconditions d’un monde juste que ne le per-mettent les seules considérations du revenu,de l’espérance de vie et de l’accès à uneéducation minimalisée »(2). Le chemin estescarpé, mais est-ce une raison suffisantepour ne pas l’emprunter ? l

(1) Gutmann, « Le multiculturalisme en éthiquepolitique », in Lukas Sosoe (dir.), Diversité

humaine. Démocratie, multiculturalisme et

citoyenneté, Saint-Nicolas (Québec), Les Presses del’Université Laval/Paris, L’Harmattan, 2002, p. 56.(2) Alain Renaut, Un monde juste est-il possible ?

Contribution à une théorie de la justice globale,Paris, Stock, 2013, p. 383-384.

RÉALISER LA DÉMOCRATIE

Le scandale de la persistance des inégalités

Il ne suffit pas de souligner les inégalités de revenus. Il est nécessaire

de se pencher sur les disparités d’utilisation des ressources,

c’est-à-dire sur notre capacité à exercer réellement notre citoyenneté.

Une agricultrice,au Kenya recueille

les donnéesd’un pluviomètre

sur son lopin.

‘ par Alain Policar

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On peut détecter quelque malice danscette question, les présidents d’université

étant souvent accusés de vouloir développerun pouvoir personnel. Eh bien, affirmons lehaut et fort : un président d’université, lui-même élu, peut parfaitement chercher à fairevivre la démocratie dans son université. Onpeut même dire qu’il a pour cela certainsatouts : la collégialité et le principe électif yprésident à la constitution de l’ensemble desconseils, et le processus de décision impliquedes consultations à tous les niveaux. Le corpsélectoral est composé de gens éduqués (ona souvent pensé que l’éducation était unprérequis nécessaire à des choix politiquesréfléchis...) et les sujets évoqués relèvent dela compétence professionnelle des élus.

Les conditions de la démocratieMais la démocratie, en tout cas à l’université,dépend de deux choses : l’implication detous, et l’acceptation de participer à un pro-cès collectif de construction de la décision -elle demande donc une énergie collective etune discipline collective, l’une et l’autre dif-ficiles à obtenir. Il y a des mesures qui peu-vent être prises pour faciliter l’implication :donner des primes ou décharges, pour toutce qui est activité au service du collectif ; éla-borer collectivement les critères qui déter-mineront les choix que doit faire toute uni-versité dans le cadre d’un budget limité ;favoriser l’exercice des libertés syndicales etpolitiques.Ces mesures ont toutefois des limites : limitesfinancières d’abord, qui ne permettent pasd’aller bien loin dans les primes et décharges,puis le peu de poids qu’ont, dans la carrièredes enseignants-chercheurs, ces activités auservice de la communauté. Enfin, malgré laprime, c’est parfois la déprime qui l’emporte.Épuisés par des années de réformes accu-mulées menées au pas de charge, souventsans concertation sérieuse ni accord, ainsique par des missions toujours plus nom-breuses qui s’empilent, enseignants-cher-cheurs et biatss ont parfois tendance à sereplier sur leur destin individuel, quand ils nesombrent pas dans la morosité.C’est pourquoi le président et son équipe doi-vent aussi être des pourvoyeurs de sens et deprojet. Ils doivent proposer des perspectives

et une stratégie, et faire que chacun, dansl’université, puisse se sentir impliqué dansune activité qui ait du sens. C’est aussi leurrôle de porter, partout où ils peuvent sefaire entendre -ministères, CPU, médias...-l’expression des besoins réels de leur éta-blissement, tels que leurs conseils les res-sentent et les disent.Les outils de pilotage se sont récemmentbeaucoup développés dans les universités. Leprésident et son équipe ont donc les moyens,en liaison avec les conseils centraux et decomposantes, d’élaborer et mettre en œuvreune stratégie. L’exercice de la démocratieconsiste à savoir la proposer, la faire parta-ger et évoluer, à partir d’un dialogue per-manent, tenant compte des critiques, avec lescomposantes, les conseils et les organisa-tions représentatives. Il ne faut certes pas s’at-tendre à ce que tout remonte de la base, maisnon plus tout imposer du sommet. La maî-trise de cette dialectique est indispensable àl’exercice de la démocratie universitaire, et,même si elle est impulsée par le président,elle ne peut qu’être l’œuvre de tous. Il en estde même de la conciliation des intérêts dechacun (parfois contradictoires) dans lesdécisions collectives, qui ne peut se faireque dans cette discipline d’ensemble qu’ilappartient au président de faire respecter.

Des obstacles à surmonterCette dialectique et cette méthode se heurtentà deux obstacles :• d’une part, il y a une difficulté réelle àfaire partager l’information. L’université,

comme le monde qui nous entoure, est sur-saturée d’informations insuffisamment ordon-nées et hiérarchisées. Ceux qui sont peuimpliqués dans le pilotage de l’université sesentent souvent mal informés, alors que ceuxqui pilotent ont au contraire l’impression deradoter. Maîtriser les circuits d’information estdonc une condition nécessaire, mais difficileà réaliser, pour que chacun se sente partieprenante des actions en cours ;• d’autre part l’État impose un rythme deplus en plus précipité aux équipes universi-taires, pour la remontée de décisions quidevraient être discutées et élaborées collec-tivement. Cette précipitation finit par devenirun système de gouvernement, le plus anti-démocratique qui soit.Enfin la tendance à constituer des regrou-pements universitaires de taille plus impor-tante, impulsée par les dernières lois de 2006et 2013 mais liée en profondeur à la mon-dialisation, pose à nouveaux frais la questionde la démocratie universitaire : il s’agit detrouver les bons mécanismes de constructionde la décision, et les bons niveaux de délé-gation, pour conserver à la fois la possibilitéde développer une stratégie, dans un cadreinternational, et celle de maintenir les condi-tions d’une vie démocratique au sein del’établissement. Cette dernière est, à mesyeux, non seulement une exigence éthique,mais une nécessité pratique : car je croisbien plus à l’efficacité d’une démocratie bienmenée qu’à celle de la technocratie d’ex-perts vers laquelle nos vieilles sociétés déri-vent aveuglément. l

COMMENT FAIRE VIVRE LA DÉMOCRATIE ?

Quand on est président d’université

Le président et son équipe ont les moyens de faire vivre la démocratie. Néanmoins

l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie collective se heurtent à la difficulté du

partage de l’information et, surtout, aux contraintes temporelles imposées par l’État.

‘ par Lise Demasy , président de l’université Grenoble 3

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L’UVSQ a fait beaucoup parler d’elle ces derniersmois. On le comprend aisément : qualifiée d’uni-

versité championne de la loi LRU en janvier 2012 parl’ancienne présidente Sylvie Faucheux, l’UVSQ s’estretrouvée en cessation de paiement à l’automne 2013et l’ex-présidente vient d’être sèchement limogée deson nouveau poste de rectrice de l’académie de Dijon.Comment comprendre cette situation assez inédite ?Que nous dit-elle du fonctionnement actuel des uni-versités françaises à la mode responsabilités et com-pétences élargies ?

CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTSL’UVSQ a été dirigée de 2002 à 2012 par Sylvie Faucheux, puisdepuis 2012 par Jean-Luc Vayssière, ancien vice-président du CA quis’est fait élire sur un programme affichant sa volonté de poursuivrela politique de l’ancienne présidente(1). La période 2008-2012 a été mar-quée par une politique de mise en œuvre zélée de la loi LRU et desRCE, avec les conséquences et les dérives maintenant bien connues :régime présidentialiste accentué, primes diverses et variées octroyéesen toute opacité, restructurations internes réalisées à la hussarde etparfois abandonnées aussi vite, signature en 2009 de deux Partena-riats Public Privé (PPP) pour la construction d’un nouveau bâtimentet pour la maintenance des bâtiments de l’université. Mais cette politique LRUiste a un coût qui se révèle vite très lourd.Dès 2012, l’UVSQ se trouve confrontée à de sérieux problèmes de tré-sorerie et de budget, aggravés par le fait que ces derniers se sont révé-lés insincères, notamment parce qu’ils surestimaient largement les pré-visions de recettes. La situation budgétaire de plus en plus tendueimposée aux universités ces dernières années est de fait redoubléeà l’UVSQ par la montée en puissance des charges des PPP : la tra-jectoire budgétaire de l’université n’est plustenable. Fin 2012 apparaissent les premierssignaux d’alerte, en juin 2013 un plan trèsdur de restriction budgétaire est mis en place.À l’automne 2013, l’université ne peut plusfaire face à ses dépenses courantes. S’ouvre alors une période éprouvante pourtous, marquée par une très forte incertitude,pour les personnels et les étudiants. La prési-dence de l’université, sous pression, a essayéde faire bonne figure en appelant le ministèreà l’aide et en se lançant dans des opérationsde communication parfois hasardeuses(notamment l’annonce précipitée juste avantles vacances de Noël d’un risque de fermeture de l’université en 2014).La ministre s’est trouvée quant à elle face à une situation pour lemoins inconfortable : d’un côté, elle ne peut pas ne pas venir en aideà une université en grande difficulté ; de l’autre, le risque est grandde mettre le feu aux poudres en l’aidant, alors que beaucoup d’autresuniversités sont également en difficulté du fait de l’austérité budgé-taire imposée dans l’ESR. L’ancienne ministre est en effet tenue de nepas lâcher sur ce qui constitue le cœur de sa politique budgétaire :continuer à distribuer plusieurs milliards par an de crédit impôtrecherche alors que les universités sont étranglées financièrement. Leministère va donc s’employer à gagner du temps en repoussantsemaine après semaine les aides promises tout en martelant que lasituation de l’UVSQ est exceptionnelle et que tout va bien dans l’ESR– au mépris de ce que tout le monde sait(2).

LA MOBILISATION DES PERSONNELS ET DES ÉTUDIANTSC’est dans ce contexte que l’intersyndicale FERC-Sup CGT, SNESUP-FSU et UNEF de l’UVSQ a décidé d’organiser la mobilisation pour refu-ser que les personnels et les étudiants payent les errements passésde la direction de l’UVSQ et du ministère. En organisant régulière-ment des assemblées générales, des rassemblements devant le conseild’administration (qui sera même envahi en décembre 2013 pour pro-tester contre l’indigence totale du montant de la dotation 2014octroyée par le ministère) et le rectorat de l’académie de Versailles,en intervenant à de multiples reprises dans la presse, l’intersyndicaleet les étudiants et personnels mobilisés ont porté un message fort endirection de la présidence de l’UVSQ et du ministère.

Nous avons ainsi exigé dès le mois de juin 2013 de laprésidence de l’université qu’elle fasse toute la lumièresur la politique menée à l’UVSQ ces dernières annéeset qu’elle en tire toutes les conséquences pour l’avenir,qu’elle s’engage sans délai dans une dénonciation desruineux PPP en sollicitant pour cela l’aide technique duministère, qu’elle préserve les emplois et les formationsde l’UVSQ, et qu’enfin soit engagée une réflexion surl’avenir de l’UVSQ sur la base d’une large concertation. Mais si incontestablement la situation catastrophique de

l’université relève de choix locaux – ce que le rapport de la Cour descomptes sorti en mars 2014 a amplement démontré depuis –, iln’était pas question de nous en tenir à cette explication, comme leministère essayait vainement de le faire croire. Les choix politiqueset budgétaires de V. Pécresse et G. Fioraso ont également leur placedans ce désastre. Le rapport de la Cour des comptes le rappelle :l’UVSQ a été largement sous-dotée en postes et en crédits de fonc-tionnement. Le modèle SYMPA d’allocation des moyens du ministèreindiquait en décembre 2013 que l’université aurait en 2014 unesous-dotation théorique de l’ordre de 200 emplois et 1,6 millions d’eu-ros de crédits. Les PPP signés l’ont été avec l’encouragement actif dela ministre de l’époque, et le rectorat a de fait validé les budgets insin-cères votés ces dernières années. L’intersyndicale a donc décidé d’interpeller directement la ministre,en la rappelant à ses responsabilités. Nous avons ainsi exigé que lesrallonges budgétaires promises au mois de décembre par le minis-tère et finalement retirées soient restituées à l’UVSQ afin que l’uni-versité puisse fonctionner correctement en 2014, autrement dit sansfaire payer aux étudiants et aux personnels une situation dont ils nesont en aucune façon responsables. Nous avons également exigé quele ministère s’engage pour aider l’UVSQ à sortir des PPP, et qu’il se

donne les moyens de faire un bilan précis dela gestion passée.

LA SITUATION ACTUELLE DE L’UVSQL’action de l’intersyndicale et la mobilisationdes personnels et des étudiants ont fini parpayer : l’un des deux PPP a été renégocié afind’en réduire le périmètre, et la ministre a finipar accorder – début mars 2014, soit plus de4 mois après le début de la crise budgétaire -une rallonge budgétaire ainsi qu’un prêt pourfonctionner cette année. La situation est cependant loin d’être rétablieet il reste encore de nombreuses questions

sans réponses. Si le rapport de la Cour des comptes permet d’y voirplus clair sur ce qui s’est réellement passé ces dernières années àl’UVSQ, force est de constater que le ministère ne se donne pas tousles moyens pour faire toute la lumière sur les errements passés. Heu-reusement qu’en la matière certains journalistes se révèlent nettementplus curieux que madame Fioraso. Plus grave : la présidence del’UVSQ a été priée de ne plus faire de vague, puisque sa surviedépend du bon vouloir du ministère, et elle s’apprête donc à pour-suivre la cure d’austérité drastique en espérant pouvoir boucler lesfins de mois de l’université. Faute d’avoir une vision claire du bud-get alloué désormais par le rectorat, l’université continue de naviguerà vue, sur fond de restrictions massives : gel de postes se traduisantpar une surcharge de travail dans les services et les composantes, sup-pression de cours, de formations, voire de filière entière, réductionde 75 % des budgets de fonctionnement dans les laboratoires derecherche et les UFR.Finalement, de quoi l’UVSQ est-elle le nom ? Cet épisode démontrede manière éclatante que l’autonomie version loi LRU et loi Fiorasorime avec misère budgétaire, opacité de gestion des universités et qu’iln’est plus possible de poursuivre cette politique mortifère d’austéritédans l’enseignement supérieur et la recherche. l

(1) Les listes pour les élections au conseil d’administration soutenues par laFerc-Sup CGT et la FSU ont été invalidées par Sylvie Faucheux, qui avait dé-posé un recours à la commission électorale du tribunal administratif. (2) Voir à ce propos la motion d’alerte votée en novembre 2013 à une trèslarge majorité au CNESER et le 4 pages du SNESup sur l’austérité dans l’ESR.

UVSQ 

Une université dans la tourmente L’ancienne présidente et son équipe ont conduit l’université au bord de la faillite. Ce résultat est l’une des conséquences de la loi LRU, des RCE etdu désengagement de l’État de la gestion des établissements.

tCet épisode démontre de manièreéclatante que l’autonomie version

loi LRU et loi Fioraso rime avecmisère budgétaire, opacité de

gestion des universités.

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➔ par Jérôme Deauvieau ,section SNESUP UVSQ

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Le Programme cadre pour larecherche et l’innovation de l’Union

européenne, appelé Horizon 2020(1),couvre la période 2014-2020. Il prend lerelais des sept Programmes cadre pourla recherche et le développement tech-nologique (PCRD) qui se sont succédésde 1984 à 2013. La substitution d’« inno-vation » à « développement technolo-gique » exprime le changement opéré :intégrer le long d’une même chaîne unensemble d’activités allant de larecherche fondamentale à l’innovation,« du laboratoire au marché »(2). « Horizon2020 est l’instrument financier mettanten place l’Europe de l’innovation, uneinitiative phare de la stratégie Europe2020 qui vise à édifier la compétitivitéglobale de l’Europe (3). »À cette fin, Horizon 2020 couvre leschamps de l’ex PCRD et d’une partiede l’ex-Programme pour la compétiti-vité et l’innovation (CIP), créé en 2007,et englobe l’Institut européen d’innova-tion et de technologie (IET), créé en2008, qui vise à « intégrer l’éducation etl’esprit d’entreprise avec la recherche etl’innovation »(4).La focalisation sur le marché et les entre-

prises n’est pas une nouveauté, mais leprogramme Horizon 2020 l’accentue.

UNE POLITIQUE AU PROFIT DE LA SOCIÉTÉ ? Le budget d’Horizon 2020 se monte à77 milliards d’euros sur sept ans, soit11 milliards pas an, un peu moins de0,1 % du PIB de l’UE et de 10 % du bud-get de l’Union. Les dépenses de l’UEpour Euratom, de l’ordre de 0,5 milliardd’euros annuels, ne sont pas issues de cebudget, bien qu’Euratom soit placé sousle chapeau Horizon 2020.Comme nous venons de le voir, la trèsgrande part des dépenses Horizon 2020doit contribuer à la compétitivité éco-nomique. Cet objectif général est croiséavec d’autres finalités. Près de 30 mil-liards d’euros sont ainsi inscrits dans lechapitre « Défis sociétaux » :– Santé, changement démographique etbien-être : 7,4 milliards d’euros.– Transport intelligent, vert et intégré :6,3 milliards.– Énergie sûre, propre et efficace :5,9 milliards.– Sécurité alimentaire, agriculture sou-tenable, forêts, mer et bio-économie : 3,8milliards.

– Climat, environnement, efficacité desressources, matières premières : 3 mil-liards.– L’Europe dans un monde qui change :sociétés réfléchies, innovantes et inclu-sives : 1,3 milliard.– Protéger la liberté et la sécurité del’Europe et de ses citoyens : 1,7 mil-liard.Le Conseil européen de la recherche,créé en 2007 et destiné à la recherche« aux frontières de la connaissance », dis-pose de près de 13 milliards d’eurosdistribués à des chercheurs jugés « excel-lents ». La concentration des moyens surquelques chercheurs joue cependantcontre l’esprit d’équipe et de coopéra-tion. Une nouvelle modalité de subven-tion, « Proof of Concept », destinée à ceuxqui ont reçu une première subvention, apour objectif d’« aider et pousser lesmeilleurs chercheurs vers le marché ». l

(1) Texte intégral adopté : http://ec.europa.eu/research/participants/data/ref/h2020/legal_basis/fp/h2020-eu-establact_en.pdf(2) Site de la Commission européenne :http://ec.europa.eu/programmes/horizon2020(3) Idem(4) Idem

PROGRAMME DE RECHERCHE EUROPÉEN

Horizon 2020Le Parlement européen a adopté le programme de Recherche Horizon 2020 le 19 novembre 2013. Ce programme oriente la recherche vers l’innovationpour les entreprises et influence négativement la recherche en misant sur la concurrence et le profit.

➔ par Marc Delepouve , secrétaire national

LA SCIENCE POUR QUI ?(1)

Ce livre, qui s’adresse à un large public, représente le bilan du groupe de travail « Science etdémocratie » de l’association Espaces Marx (animé par Annick Jacq depuis 2007). Il comprenddeux volets : d’une part, l’analyse des causes économico-politiques de la situation déplorablede la recherche, en France notamment, et d’autre part la présentation, non exhaustive maislarge, de résistances, d’expériences et de propositions alternatives.Il cherche à montrer que la science ne doit pas être réservée à une élite. La science, ou plusexactement le choix des priorités scientifiques, est un enjeu politique et citoyen. L’accent estainsi mis sur le rôle des politiques européennes de la science, sur leur adaptation en France, etsur les conséquences souvent dramatiques du « tout pour l’innovation » qu’elles préconisent.Cette volonté de mettre la science au service de la seule compétitivité des entreprises a deuxconséquences dramatiques : elle assèche la science en réduisant la recherche libre et enmettant à mal l’autonomie professionnelle des chercheurs et elle interdit des recherchesrépondant de façon efficace aux grands défis présents de l’humanité.L’ouvrage se termine sur la nécessité d’une démocratisation des rapports entre science etsociété, qui reste largement à « inventer ».Ainsi, à l’opposé de l’économie de la connaissance voulue par Bruxelles, destinée à booster lacompétitivité des entreprises, cet ouvrage est un plaidoyer pour une société de la

connaissance où la science, puisqu’elle affecte profondément la vie de tous, soit destinée à tous.

(1) Livre coordonné par J. Guespin-Michel et A. Jacq. Éditions Le Croquant (collection Espaces Marx) avec, notamment, des contributions de Marc Delepouve (SNESUP) et de Chantal Pacteau (SNCS).

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La prise de conscience par les déci-deurs du retard européen en recherche

et développement (R&D), mais aussi eninnovation, a entraîné une restructura-tion profonde du paysage de larecherche, tournée vers le seul objectif decroissance économique et de créationd’emplois. Le gigantesque essor du libre-échange mondial, politiquement orga-nisé, et de la communication numériqueest pour beaucoup dans cette démarcheeuropéenne. La mise en application decette politique a alors conduit les déci-deurs à mettre en place mutualisation etcoopération européennes. C’est ainsiqu’ont émergé, en 2000, l’Espace euro-péen de la recherche (EER), puis en 2007le Conseil européen de la recherche(CER), destinés à financer des travauxde chercheurs dits « degrande valeur » et àniveler les obstaclesadministratifs et juri-diques à la mobilitégéographique et inter-sectorielle des cher-cheurs.Dans la continuité, le3 décembre dernier,le Conseil de Compé-titivité de l’UE a adopté, le cadre finan-cier :• d’Horizon 2020 (77 Md€), qui met l’ac-cent sur « l’excellence scientifique », « la pri-mauté industrielle », le transfert de tech-nologies autour de défis majeurs tels quele changement climatique, la sécurité et lasoutenabilité énergétique et alimentaire ;• d’Erasmus (14 Md€) ;• et de la contribution européenne àITER (Cadarache).

LA FRANCE : BONNE ÉCOLIÈRE ? Face au manque d’investissement de larecherche privée française en R&D pouratteindre le taux de 3 % de dépenseintérieure brute fixé par l’Europe, lemontant du Crédit Impôt-Recherche(CIR) est passé de 1,7 Md€ en 2007 à5,8 Md€ dans la loi de finances 2014.

Parallèlement, la loi LRU puis la loi ESRde juillet 2013 ont été rédigées demanière à orienter les thématiques derecherche (stratégie nationale derecherche définie par le Conseil straté-gique de la recherche, sous tutelle duPremier ministre), mais aussi de faciliterla mobilité et le détachement des« meilleurs » chercheurs vers la recherche/innovation européenne (possibilité de lesdécharger de certaines de leurs missionspar d’autres chercheurs et enseignants-chercheurs dits de seconde zone). Lamesure s’est accompagnée du finance-ment des initiatives d’excellence d’« ave-nir » et de l’assèchement des finan -cements pérennes en faveur desfinancements européens(1)-nationaux-régionaux par projet allant des fonds

FUI aux fonds FSE,FEDER, FEADER, FEPen passant par lesfonds ANR, OSEOclairement orientésvers le transfert detechnologie. Sur l’en-semble public-privé,la France s’afficheaujourd’hui au 6e rangmondial des publica-

tions, 4e rang des brevets européensmais demeure au 24e rang des innova-tions selon le Global Innovation Index(2) !À ce jour, le CIR n’a pas permis à laFrance de compenser son retard en R&Dmais de financer la recherche privée surle dos de la recherche publique. L’Étatpeut financer 60 % à 100 % de la

recherche privée lorsqu’elle est délé-guée à une jeune équipe de recherchepublique ! Le passage de la recherchefondamentale à l’entreprise est toujoursdéficitaire, malgré l’explosion du mon-tant du CIR. Plus que cela, le système dela recherche est en train de se cristallisersur des pôles cloisonnés dits d’excel-lence. La fluidité de pensée, vecteur decréativité, est enrayée alors que les ins-tances décisionnelles accélèrent leursdemandes d’innovation ! Parallèlement,la CPU réfléchit à comment produireplus de transfert de technologie et d’in-novation dans les universités(3) et donccomment mieux former personnels etusagers à l’activité entrepreneuriale. Lesautres états européens et mondiaux s’ensortent-ils mieux ? Pas sûr ! L’augmenta-tion de l’espionnage in tellectuel, la cap-tation d’idées dans les colloques et autresréunions scientifiques en disent long surl’enlisement mondial du processus. L’au-tonomisation empêche aujourd’hui demesurer l’effondrement de la rechercheentre universités et laboratoires. Malgrédes conditions de plus en plus dras-tiques, nous sommes encore un bonnombre de chercheurs français à résisterau diktat de l’économie des savoirs. Pourcombien de temps encore ? l

(1) http://fr.welcomeurope.com/liste-subventions.(2) www.globalinnovationindex.org/content.aspx?page=GII-Home.(3) Colloque CPU « Les universités et l’innovation :agir pour l’économie et la société ». Lyon, 21,22et 23 mai 2014.

RECHERCHE ET EUROPE

La France au cœur de la recherche européenne ?

Depuis l’apparition de la stratégie de Lisbonne en 2000, la recherche estplus que jamais au centre des intérêts financiers et industriels.La politique de recherche imposée par l’Europe à la France est uniquementpensée pour le grand marché libéral.

tÀ ce jour, le CIR n’a pas permis

à la France de compenserson retard en R&D mais financela recherche privée sur le dos

de la recherche publique.

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4 PAGES SNESUP SPÉCIAL ÉLECTIONS EUROPÉENNESLe 25 mai sera élu un Parlement européen au pouvoir étendu par le traité de Lisbonne(2009). Des forces politiques s'affrontent en Europe. Pour certaines, il s'agit depoursuivre les politiques néolibérales et laisser en l'état, voire accroître, le pouvoir des entreprises multinationales et des marchés. Pour d'autres, le projet est derevitaliser la démocratie, pour les conquêtes sociales et la défense de l'environnement.Pour d'autres encore, nationalistes et xénophobes, la démocratie et les libertésconstituent une entrave. L'enjeu est celui du choix de société aux conséquencesmajeures sur l'enseignement supérieur et la recherche.Voir le 4 pages du SNESUP : http://www.snesup.fr/Le-Snesup/L-actualite-du-SUP?aid=6981&ptid=5

➔ par Heidi Charvin et Bruno Truchet , responsables du secteur « Recherche »

et Marc Delepouve , responsable du secteur « International »

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Le lycée « doit assurer une continuitéentre le socle commun de connais-

sances, de compétences et de culture et leslicences universitaires, STS, IUT ou classespréparatoires ». Tel est l’un des enjeux dela loi d’orientation sur la Refondationde l’École(1). C’est dans ce contexte quela circulaire de juillet 2013(2) préconisedes modalités de collaboration entrel’enseignement secondaire et l’ES quidevraient permettre une orientationmieux construite, une meilleure articu-lation des programmes et favoriser ledéveloppement de dispositifs d’aide à laréussite.Les établissements d’ES et les lycéesn’ont pas attendu ces textes officielspour se rapprocher. De nombreuses ini-tiatives ont été mises en place depuis desannées dont certaines ont été motivéespar une importante désaffection desjeunes pour les études universitaires.Comme le souligne un rapport de l’Ins-pection générale(3), il existe de « véri-tables partenariats entre universités etlycées, se traduisant par des immersionsd’élèves de Seconde, de Première ou deTerminale, dans la durée ». Ce rapportsouligne également l’existence dedoubles cursus où les étudiants, inscritsen CPGE et en licence, suivent des coursau lycée et à l’université conduisant

à une validation conjointe d’ECTS. LeSNESUP demande un véritable état deslieux.

VERS DE NOUVEAUX PROFILS DE BACHELIERSLa réforme des programmes du lycéegénéral a des conséquences importantessur le profil des bacheliers et des réper-cussions sur les enseignements de L1.Pour assurer l’articulation entre le lycéeet l’université et per-mettre la réussite duplus grand nombre, leslicences vont devoirfaire évoluer leurs cur-sus liés à la recherche,et ce dès la L1, maisaussi leurs pratiquespédagogiques. Cettearticulation passe parun travail conjoint deséquipes pédagogiquesqui permettra l’intro-duction de nouvellespratiques et le renforcement des initia-tives locales existantes. Les outils numé-riques, au service des apprentissages,pourraient en être un exemple, dès lorsqu’ils ne seront pas dévoyés pour pallierle manque d’encadrement et à conditionque le travail effectué par les collègues

autour de ces outils soit inclus dans leréférentiel des tâches.Les bacheliers arrivant en L1 ont desprofils de plus en plus hétérogènes. Cer-tains établissements mettent en œuvre lerenforcement disciplinaire, d’autres laremédiation ou des parcours alternatifs,d’autres encore mettent en avant l’orien-tation. Les dispositifs d’accompagnementdes étudiants doivent donc évoluer pours’adapter à ces nouveaux profils.

Quelle université sou-haitons-nous pouratteindre 50 % d’uneclasse d’âge titulaire dela licence ? Le SNESUPpropose de construireavec les syndicats dela FSU concernés parl’articulation Lycée/Uni-versité des propositionsdans la continuité destravaux déjà entreprisqui pourront être pré-sentées au comité pour

la STRANES (Stratégie nationale de l’en-seignement supérieur). Le SNESUP pro-pose aussi que ces travaux soient éten-dus aux ministères de la Culture, de laSanté, de l’Agriculture et de la Jeunesseet des Sports...Repenser les programmes, développerde nouvelles pédagogies et des disposi-tifs d’aide à la réussite, toutes ces mis-sions demandent du temps et desmoyens tant humains que financiers. Ilfaut que nos universités reçoivent enfinces moyens afin de permettre la réussitedu plus grand nombre d’étudiants, àrebours de la course aux économiesdans laquelle les ministères précédentsles ont forcées à s’engager. l

(1) Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orienta-tion et de programmation pour la refondation del’école de la République.(2) Circulaire n° 2013-0012 du 18/06/2013.(3) « Évaluation des expériences de rapproche-ment et d’articulation des formations du premiercycle du supérieur entre lycées et universités »,Rapport n° 2013-050 (juin 2013).

LA RÉFORME DES LYCÉES ET LA L1

Articulation entre le pré-bac et le post-bac

Un des objectifs de l’articulation pré-bac et post-bac est d’améliorer ladémocratisation de l’accès à l’Enseignement supérieur (ES) en atteignant enfinles 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’ES. Le SNESUP initie un travail collectifsur ce chantier avec les syndicats de la FSU : SNES, SNEP, SNUEP, SNETAP.

➔ par le secteur Formations

tPour assurer l’articulation

entre le lycée etl’université et permettre

la réussite du plusgrand nombre, les licencesvont devoir faire évoluer

leurs cursus liés àla recherche, et ce dès la L1.

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Citons l’exemple de la physique. Dans le secondaire, cet enseignement est centrésur l’acquisition de compétences avec pour objectif de permettre au lycéen deporter un regard critique sur des textes et des résultats scientifiques, tout enmettant en avant l’apprentissage de la démarche d’investigation. C’est uneévolution notable pour les enseignants de physique de L1 jusqu’alors plutôthabitués à un enseignement de type transmissif. Comme souligné par la Conférencedes Inter-Irem(1), « ces nouveaux programmes de filière scientifique ont été pensés

pour donner une culture scientifique à une majorité d’élèves, qui n’étudieront pas

nécessairement les sciences après le lycée. L’approfondissement serait repoussé aux

enseignements scientifiques post baccalauréat ». C’est dans ce contexte dechangement de l’enseignement au lycée que des enseignants du secondaire et dusupérieur travaillent ensemble pour permettre un renforcement de l’articulationlycée/université au sein, par exemple, des Irem.

(1) « La réforme des programmes du lycée et alors ? Les nouveaux programmes enmathématiques et en physique. Leur impact sur l’enseignement post baccalauréat », Actes duColloque IREM, ISBN : 978-2-86612-350-5 (2013).

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Les interventions du SNCS et du SNESUP ont été particulièrement

denses sur deux textes de positionne-ment du CSEE finalisés en séance, pouradoption par le comité exécutif en avril.Texte sur l’assurance qualité de l’éva -luation (celle-ci est au cœur du proces-sus de Bologne). Nous avons obtenu lasuppression de la référence positive auxagences et l’introduction de la désigna-tion démocratique des pairs dans le sys-tème d’évaluation. Malgré notre offen-sive, l’expression « Assurance qualité »n’est pas critiquée par le texte ; le débatest ouvert, à poursuivre.Texte sur les jeunes chercheurs doc to -rants. Nous avons notamment :

– fait introduire la nécessité d’augmenterfortement le nombre de thésards rému-nérés, en particulier en SHS ;– fait ajouter la possibilité d’enseignerdonnée à tous les thésards qui le sou-haitent, à condition que le temps d’en-seignement reste à un niveau permettantle travail de recherche ;– fait retirer la rémunération en fonctiondes performances.À l’occasion de ce texte, nous avonsouvert un débat critique sur la notion demarché du travail des chercheurs, incom-patible avec les missions de la recherchepublique.Un texte de la Commission européenne(CE) sur les nouvelles normes et direc-

CSEE (COMITÉ SYNDICAL EUROPÉEN DE L’ÉDUCATION)

Une rencontre riche et nécessaireLes syndicats européens de l’enseignement supérieur et de la recherche,membres du CSEE, se sont réunis les 5 et 6 mars 2014. Occasion de s’interrogersur la compatibilité d’un marché du travail des chercheurs avec les missionsde la recherche publique.

➔ par Marc Delepouve , responsable du secteur International du SNESUP et Patrick Monfort , secrétaire général du SNCS

tives pour l’assurance qualité dans l’es-pace européen de l’enseignement supé-rieur a été présenté. La justification del’importance de l’éducation supérieure,de la recherche et de l’innovation y estlimitée au soutien de la cohésion sociale,de la croissance économique et de lacompétitivité mondiale. Rien, parexemple, pour une société durable. Pluslargement, les documents du processusde Bologne rappellent que la CE, lesÉtats membres et les entreprises sontsur cette même ligne. Ils montrent enoutre que cette vision est partagée enEurope par de nombreux représentantsde confédérations syndicales natio-nales.l

Dès 2010, le FMI avait envisagé unerestructuration de la dette publique

(annulation partielle, gel d’intérêt, reportde remboursements...), mais les chefsd’État et de gouvernement de la zoneEuro s’y étaient opposés. Deux ans plustard, au printemps 2012, la Grèce étaità deux doigts de la cessation de paie-ment : la dette sera enfin restructurée.Entre-temps, celle-ci était passée de130,1 % à 170,2 % du PIB, lequel s’étaiteffondré de 9, 3 %. Dès 2010, les prêtsoctroyés par la Troïka (Commissioneuropéenne, BCE, FMI), conditionnés àdes politiques d’austérité drastiques,avaient aggravé la crise. Depuis, lamême orientation perdure, et la situa-tion empire. Au-delà de ces chiffres, il y a la réalitésociale et humaine : la montée de lapauvreté, les dépressions, des suicides.28% de la population active est au chô-mage ; 32,2 % des femmes ; 61 % des

jeunes de moins de 25 ans. Les salairessont amputés, un grand nombre de sala-riés ne sont plus payés depuis des mois.Des écoles ferment. Des hôpitaux man-quent de médicaments. Les conditionssanitaires se dégradent. Lesdispensaires sociaux nés avecla crise, fondés et maintenusgrâce au dévouement béné-vole de médecins, person-nels de santé et citoyens,n’arrivent pas à masquer lepéril sanitaire. Les conven-tions collectives sont annu-lées. Les droits syndicauxsont bafoués. Les actes deviolence se développent, en premierlieu à l’égard des immigrés.Par milliers, les fonctionnaires perdentleur emploi. Le 24 février 2014, c’était lecas de 5 500 médecins, en raison de lafermeture des centres de soins de lasécurité sociale grecque.

GRÈCE

La violence des pays européens les plus riches

La rigueur avec laquelle l’Europe traite la Grèce porte un nom : le capitalisme barbare. L’Union européenne a fortement traumatisé les Grecsqui n’en peuvent plus. Il faut d’urgence arrêter les mesures d’austérité.

➔ par Marc Delepouve , responsable du secteur International

Le 19 juillet 2013, 2500 enseignants fonc-tionnaires étaient suspendus, avec unsalaire réduit de 25%, dans l’attente d’unemutation forcée, avec en cas de refus unlicenciement au bout de huit mois. Le 28

février, OLME, le syndicat del’enseignement secondaire,organisa une manifestationcontre les centaines de licen-ciements attendus. Le mêmejour, les ministres grecs ren-contraient les représentantsde la Troïka. La répressionpolicière fut brutale, quatremanifestants durent être hos-pitalisés. Puis, durant la

semaine du 17 au 22 mars, les ensei-gnants et OLME se sont à nouveau mobi-lisés : manifestations, meetings..., et troisjours de grève du 19 au 21 mars. Le 22mars, 200 collègues étaient licenciés, enrupture avec un statut garant de l’indé-pendance des enseignants. l

tLe 19 juillet 2013,

2 500 enseignantsfonctionnaires

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SUR L’ESPRIT DÉMOCRATIQUE DES LOIS DE DOMINIQUE SCHNAPPER

Inquiétude démocratiqueLes dévoiements de la dynamique démocratique peuvent conduire à remettreen question les principes qui la fondent. Mais l’avenir n’est pas écrit.

C’est, comme l’indique suffisammentle titre de l’ouvrage, de la pensée

de Montesquieu que se revendiquecette forte réflexion sur la démocratie.Elle se situe également dans la filiationde Tocqueville qui, devant le carac-tère inéluctable du processus de démo-cratisation, se propose de le com-prendre. Ces deux auteurs sontévidemment souvent cités par Domi-nique Schnapper. Mais il en est unautre qui ne l’est pas et qui me sembleparfaitement rendre compte du projetde l’auteur (projet que seul un lecteurpressé considérerait comme réaction-naire) : il s’agit de Spinoza qui, dansson Éthique, écrivait : « Je veux doncrevenir à ceux qui préfèrent haïr ourailler les sentiments et les actions deshommes plutôt que de les comprendre ».Ni rire, ni pleurer, mais comprendre,c’est très exactement ce qu’accomplit,livre après livre, D. Schnapper et c’estpourquoi sa pensée nous est si pré-cieuse.Le propos est certes un peu plussombre que dans ses réflexions anté-rieures, mais l’inquiétude est à lamesure de l’attachement à la démo-cratie. Car il faut une bonne dosed’aveuglement pour ne pas percevoir que les dévoiementsde celle-ci sont de nature à miner les principes qui la fon-dent. La « tentation de l’illimité », c’est-à-dire ce mouvementinassouvissable de maîtrise de la nature, naît de la corrup-tion de l’exigence citoyenne d’autonomie en refus, pour l’in-dividu contemporain, de toute dépendance. Ce mouve-ment s’incarne dans le refus de reconnaître que « l’Autrecomme radicalement autre, fondamentalement égal à soi, estla condition du social en tant que tel » (p. 36). L’illusion del’indépendance absolue, de l’autosuffisance, la valorisationexclusive du soi sont donc des symptômes de l’oubli denotre participation constitutive à la production d’un mondecommun.

LES DANGERS DE LA « DÉMOCRATIE EXTRÊME » Il en est de même de la confusion, qu’avait comprise Mon-tesquieu, avec une lucidité confondante, entre la promesserépublicaine de liberté et la revendication mortifère delicence : « On était libre avec les lois, on veut être libre contreelles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de lamaison de son maître ; ce qui était maxime, on l’appellerigueur, ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était atten-tion, on l’appelle crainte [...]. La république est une dépouille ;et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et lalicence de tous » (L’esprit des lois, III, 3, cité par D. Schnap-

per, p. 75). Cette « démocratieextrême » représente donc la caricaturede la nature réflexive du processusdémocratique, du droit que nous nousdonnons de remettre en cause noshéritages. Ce nécessaire rapport cri-tique aux institutions ne doit pas eneffet se confondre avec la tentationde détruire les « liens invisibles » quiconstituent la trame de toute vie encommun. Il y aurait un grand péril àne fonder celle-ci que sur l’immédia-teté du sentiment électif. L’homodemocraticus, quoi qu’il puisse penser,ne peut « être l’enfant de ses propresœuvres » (p. 96). C’est à l’aune de cettedémesure que doit être comprise lacrise de la représentation et son corol-laire, « l’effritement de la transcen-dance républicaine » (p. 133).L’une des craintes majeures deD. Schnapper, c’est la corruption duprincipe d’égalité dans le désir, plus oumoins avoué, d’indistinction. C’est cer-tainement sur ce point que pourraientse focaliser les critiques hâtives. Cellesqui ne comprendraient pas que le cultede l’égalité, pour parler comme Toc-queville, peut se transformer en pas-sion dominante au détriment de la

quête de vérité et de l’exigence d’objectivité. On sait que cettepente est particulièrement redoutable puisqu’elle incite auscepticisme radical et elle tend à considérer l’éthique (rela-tivisme moral) et l’épistémologie (relativisme cognitif) commedes illusions. La démocratie qui, à beaucoup d‘égards, peutêtre définie comme une organisation des séparations (parexemple du politique et de l’ethnico-religieux), a tout àperdre à promouvoir l’indistinct. Nul besoin, en effet, d’abo-lir les frontières entre l’animal et l’homme pour reconnaîtreles devoirs envers le premier nommé. Le succès de l’anti-spécisme peut dès lors être compris comme un symptôme decette passion égalitaire devenue folle (pp. 211-221). Aussi la nécessaire tolérance démocratique ne saurait-elleêtre confondue avec l’indifférence ou avec l’amour com-passionnel de la différence. Le pluralisme authentique exigeau contraire de reconnaître la difficulté à aimer l’autre.Tolérer, c’est d’abord désapprouver et, ensuite, surmonterla désapprobation. Cette difficile vertu a besoin d’être ins-titutionnellement protégée. C’est la grandeur de la démo-cratie que d’organiser cette protection et d’autoriser ainsi lacoexistence d’individus appartenant à des mondes norma-tifs différents. Il importe, conclut D. Schnapper, « qu’à tra-vers les modalités diverses de la vie publique, elle reste un pro-jet d’émancipation de tous les êtres humains par-delà leurdiversité » (p. 298). l

tL’une des craintes majeures

de D. Schnapper,

c’est la corruption du principe

d’égalité dans le désir, plus ou

moins avoué, d’indistinction.s

‘ par Alain Policar

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On présente souvent le syndicalismeenseignant comme conservateur sur leplan pédagogique. Qu’en est-il ?Cette idée un peu paresseuse s’appuie surdeux réalités : d’une part, le syndicalismeenseignant a participé à construire puis àpérenniser les identités professionnelles. En1954, on compte 190 000 instituteurs, 60 000professeurs et seulement 6 000 universi-taires (aujourd’hui, 90 000 personnes ensei-gnent dans le seul supérieur !). D’autre part,ce syndicalisme se caractérise par son fortinvestissement sur le métier et non pas seu-lement sur les revendications classiques(salaires, emploi, etc.). Sous la IVe Répu-blique, la puissante Fédération de l’Éduca-tion Nationale participe à la gestion du sys-tème éducatif. Elle est un partenaire écoutédu ministère. Du coup, elle est considéréecomme comptable des difficultés de ladémocratisation. Pourtant, la FEN a participées qualités à la commission Langevin/Wal-lon et a soutenu son projet de fusion desordres primaires et secondaires (l’ensei-gnement était scindé en deux, en fonctiondu milieu social). Mais ses dirigeants sontparalysés par la rivalité entre le SNI (insti-tuteurs), dominant, et le SNES (professeurs).Leur incapacité à élaborer et imposer uneréforme progressiste de l’enseignement alaissé le champ libre sous la Ve Républiqueà la politique de démocratisation a minimadont nous souffrons encore aujourd’hui.

Quelles sont ses revendications phares ?Le syndicalisme enseignant est le seul àdévelopper de véritables services aux adhé-rents, depuis qu’il a contraint l’administrationà lui laisser un droit de regard sur les car-rières, en échange d’une régulation desrelations sociales. Véritable service parapu-blic, il assure une fonction réparatrice deserreurs de l’administration. Cet aspect estmoins flagrant à l’université, dont la gestiondu personnel est très différente. La dimen-sion fonctionnaire compte également : laFEN construit ses revendications en fonctiondes normes étatiques, du statut et en com-paraison des acquis des autres fonction-naires. Elle se veut aussi le meilleur soutien

de l’État républicain (par exemple en 1958,lors du coup de force gaulliste), tout enpréservant son indépendance. La défense duservice public éducatif, de la laïcité, estidentitaire dans une période d’offensive destenants de l’école privée. Cependant, la laï-cité passionne nettement plus les institu-teurs que les universitaires.

Quel bilan tirer de l’autonomiede la FEN ?Lors de la scission de 1948 entre la CGT etFO, la majorité de la FEN, plus proche deFO, choisit l’autonomie, au grand dam de laSFIO, qui voulait qu’une grande confédé-ration réformiste fasse pièce à la CGT. LaFEN a ainsi préservé les réalisations de cettepériode : MGEN, FCPE... En restant unis, sessyndicats gardent leur emprise sur le milieu.L’École Émancipée (minorité syndicalisterévolutionnaire) soutient l’autonomie en la

présentant comme le modèle de la futureréunification. Au contraire, le courant uni-taire (majoritaire aujourd’hui dans la FSU) lacombat et construit alors son identité sur lesoutien à la CGT. Peu à peu, il accepte laréalité d’une coupure avec le syndicalismeconfédéré. Le succès de l’autonomie cor-respond à l’écart entre ouvriers et classesmoyennes. La FEN a su en jouer pour fairela médiation entre la CGT et FO ; dans lesmeetings unitaires, elle joue un rôle de pre-mier plan qui dépasse largement le cadreenseignant, jusqu’à participer aux négocia-tions de Mai 68. C’est une quasi confédéra-tion, reconnue comme telle dans les années1970 et qui a 500 000 adhérents, plus queFO. Aujourd’hui la FSU n’est pas dans cettesituation, d’autant que ses effectifs sont net-tement plus réduits.

Comment ces courants travaillent-ilsensemble ?Tous les choix stratégiques de la FEN s’ex-pliquent par l’interaction entre ces courantsqui est, selon les époques, plus ou moinsconflictuelle. Les débats internes, fréquem-ment polémiques, théoriques, intéressentles militants, mais pas les adhérents. C’estencore plus vrai dans un syndicat comme leSNESUP, qui soutient généralement la mino-rité unitaire, mais sans que cela ne surdé-termine son action syndicale. Ces débatsservent à canaliser des antagonismes quiont conduit à la scission de la plupart desorganisations du « mouvement ouvrier ».Durant la guerre froide, les militants com-munistes et socialistes ont un seul point decontact, la FEN. La majorité relègue la mino-rité unitaire à une position spectatrice, enrefusant tout partage des responsabilités(l’École Émancipée ne souhaite pas àl’époque en exercer). Au fond, dans l’actionconcrète, les différences sont moins nettes :la majorité appellera à une journée de grève,quand les minorités en voudront deux... l

Propos recueillis par Gisèle Jean

(1) Auteur de Les frères ennemis. La Fédérationde l’Éducation Nationale et son courant « uni-taire » sous la IVe République, Paris, Syllepse,janvier 2014.

REGARD SUR L’HISTOIRE DE LA FEN

ENTRETIEN AVEC Laurent Frajerman(1)

Chercheur au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Paris I)

et responsable du chantier « syndicalisme» de l’Institut de recherches de la FSU

La FSU est imprégnée par la culture syndicale créée par la FEN. Il faut, pour lecomprendre, revenir à la IVe République, période marquée par l’essor du communisme

en milieu enseignant et par la mise en place d’un modèle syndical original.

tLe syndicalisme enseignant,véritable service parapublic,

assure une fonction réparatricedes erreurs de l’administration.

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M E N S U E L D ’ I N F O R M A T I O N D U S Y N D I C A T N A T I O N A L le snesup D E L ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R - N ˚ 624 A V R I L 20 14

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Yves fut un militant syndical intransigeant,volontaire, ne lâchant rien... Il avait

construit dans son jardin universitaire tou-lousain un bastion syndical incontournable.Son engagement dans le syndicat était sansfaille et son implication dans la défense despersonnels, tant au niveau individuel quecollectif lui avait valu d’être redouté du minis-tère et des chefs d’établissement. Yves fut membre de notre Commission Admi-nistrative et de notre Bureau National à plu-sieurs reprises. Élu CNU pugnace en chimie,il était reconnu comme un spécialiste de l’ar-senic.Yves exprimait ses opinions avec vigueur. Ses coups degueule restent mémorables. Une voix tonitruante, une intran-sigeance bienveillante, une personnalité détonante. Yves nes’est jamais laissé enfermer dans une quelconque case. Il futun iconoclaste, au sens étymologique du terme. Dans sesengagements politiques, du PCF à la LCR, il est resté lui-même. Inclassable. Irrécupérable. Mais un engagement

constant, toujours fidèle à la lutte des classes.Il le fut aussi en tant que militant syndical auSNESUP. Il se moquait des étiquettes, desfrontières de tendances, passant d’Action syn-dicale à l’École émancipée dans le tournant dumillénaire. Les rapports entre tendances étaientalors sensiblement différents de ce qu’ils sontdevenus, loin d’être assagis sinon apaisés. Enla matière, il fut donc un précurseur, à samanière. D’autres ont aussi contribué à cetteévolution des rapports militants : Pierre Duhar-court ou Maurice Zattara pour ne retenir queles derniers qui, hélas, nous ont quittés...

AS ou ÉÉ, Yves a continué à intervenir de la même voix.Yves n’avait pas non plus oublié d’être chaleureux, bonvivant, joyeux convive. Il aimait l’axoa, arrosé comme ilconvient dans ce petit café face à la rue de Metz où siégeaitla FSU. Il nous reste en mémoire ces verres partagés, cesmoments de convivialité, ces discussions pour changer lemonde avec le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme dela volonté. l

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Yves Madaule, notre camarade...

MAURICE AUDIN

Reconnaître lecrime d’État

‘ par Michelle Lauton

ÉGYPTE

Soutien aux militantsqui dénoncent la répression

‘ par Gérard Lauton , responsable du secteur Droits et libertés

Début janvier 2014, le journaliste Jean-Charles Deniau confirme que le

général Massu a donné l’ordre à seshommes d’exécuter Maurice Audin. Ilse fonde sur le témoignage du généralAussaresses, qui avait déjà avoué la tor-ture durant la guerre d’Algérie. Justeavant sa mort, Aussaresses a reconnuque Maurice Audin avait été emmenédans les environs d’Alger, poignardépuis enterré là.Il n’est que temps de reconnaître lecrime d’État.Le lundi 24 mars 2014, un « Appel des171 » intitulé « Nous demandons la véritésur l’assassinat de Maurice Audin » a étélancé par la Ligue des Droits de l’Homme,le site Mediapart et l’Humanité, avec lesAmis de l’Humanité, à Paris. Voici unextrait de ce texte : « nous demandonsque les plus hautes autorités reconnaissentle crime d’État qu’a été l’assassinat deMaurice Audin, ainsi que la pratique dela torture et les violations massives desdroits de l’homme par l’armée françaisedurant la guerre d’Algérie ». Le SNESUP-FSU s’associe à cettedemande. l

De jeunes Égyptiens travaillanten France ont manifesté à

multiples reprises depuis le 25janvier 2011 en soutien à la révo-lution égyptienne, et contre lespouvoirs répressifs qui se sontsuccédé en Égypte, de Moubarakà El Sissi, en passant par le HautConseil militaire et les Frèresmusulmans. De façon inédite, la

Préfecture de Paris leur a interdit de se rassembler le 28 janvier 2014 près de l’am-bassade d’Égypte à Paris. Indignés par l’affirmation du Bureau Militaire « Tous lesÉgyptiens en France soutiennent le Maréchal El Sissi », ils ont voulu dénoncer sesassassinats, ses arrestations, ses disparitions et ses tortures de militants, et expri-mer leur refus du retour à la dictature de Moubarak, comme à celle des Frèresmusulmans. Autorisés à scander brièvement leurs slogans, ils ont été placés pen-dant 16 heures en garde à vue puis relâchés avec des OQTF(1). Le Juge des Liber-tés a reconnu le danger en cas d’un retour forcé en Égypte et le Juge Adminis-tratif a accordé à l’un d’eux un changement de pays de destination vu les risquesd’arrestation et de mauvais traitements attestés par des témoignages de militantsfrançais et d’ONG des droits humains. Aux côtés d’autres organisations et avecl’appui de personnalités, le SNESUP participe à un Comité de soutien qui a tenuun meeting le 28 mars. Les soussignés demandent l’annulation des mesures d’ex-pulsion ainsi que la liberté de s’exprimer en France et en Égypte.Communiqué du SNESUP à consulter à l’adresse : http://www.snesup.fr/Le-Sne-sup/L-actualite-du-SUP?aid=6977&ptid=5&cid=1250 l

(1) Ordre de quitter le territoire français.

‘ par Michelle Lauton, Jean Malifaud

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