ournal des ri bunaux - KU Leuven

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ournal 3 juillet 1993 112e 5682 Bureau de dépôt : Bruxelles X Hebdomadaire, sauf juillet/août des ri bunaux Editeurs : Maison LARCIER, s.a., rue des Minime!!, 39 - 1000 BRUXELLES Edmond Picard (1881-1899) -Léon Hennebicq (1900-1940) -Charles Van Reepinghen (1944-1966)- Jean Dai (1966-1981) LES PERILS DU PROCES (*) Lorsqu'on étudie les problèmes de responsabi- lité professionnelle des avocats et magistrats, il faut se rendre à l'évidence : le seul fait d'enta- mer et de poursuivre un procès est devenu une activité périlleuse, qui peut engendrer la res- ponsabilité de plusieurs acteurs de la procé- dure : les parties, les avocats, les juges, les greffiers, les notaires, les de jus- tice, ... INTRODUCTION La jurisprudence récente a mis en évidence de nouvelles formes de responsabilité. J'aimerais l'illustrer par cinq décisions ré- centes. 1.- L'arrêt du Hoge Raad der Nederlanden du 22 décembre 1989 (1). Dans sa note, Heemskerk considère ce cas comme le plus significatif. Il s'agit d'une as- treinte qui reste due quand bien même le con- damné obtient gain de cause devant le juge du fond. Le président avait condamné en référé un cer- tain Samson, acheteur d'un bien immobilier, à collaborer à la livraison juridique bien par le vendeur Kempkes (en l'occurrence: à passer l'acte notarié). Cette condamnation prévoyait à charge de Samson une astreinte de 1.000 florins par jour de retard dans l'exécution du jugement. Celle-ci n'eut pas lieu et Kempkes se vit con- traint de vendre le bien en question à un tiers. Plus tard, le juge du fond décida que la vente entre Kempkes et Samson ne s'était pas réali- sée. Le Hoge Raad décida cependant que les astreintes (85.000 florins) restaient dues, parce que la partie condamnée n'avait pas exécuté l'ordre du juge: «de vordering van Kempkes betrekking heeft op dwangsommen die zijn verbeurd niet wegens het niet nakomen van de (*) Amicalement offert par un collègue-rédacteur en chef (T.P.R.) au rédacteur en chef du J.T. à l'occa- sion des quarante ans de barreau de l'un et de l'autre. (1) N.J., 1990, p. 434 avec note contraire de WHH(eemskerk). koopovereenkomst, maar wegens het niet vol- doen aan het in kort geding gegeven rechterlijk- bevel en dat de verschuldigdheid van op die grond verbeurde dwangsominen niet wordt op- geheven door een oordeel in de bodemproce- _ dure dat anders luidt dan dat van de rechter in . kort geding. » 2.- L'arrêt du Oberlandesgericht de Coblence du 9 juin 1989 (2). P... , résident allemand, avait vendu à D ... aux Pays-Bas du vin pour une valeur de 16.000 DM, mais il ne fut jamais payé. P ... assigne à Mayence sur la base d'une clause d'élection de for qui figure au contrat. Lorsque le tribunal fit part à L. .. , conseil de P ... , de ses doutes ,quant à la compétence territoriale à la lumière de la, Convention C.E.E. de Bruxelles relative à la compétence, il apparut que cet avocat ignorait jusqu'à l'existence de cette Convention (sic). Il se désista plus tard de l'ac- tion. Un, an après, une procédure en faillite fut intentée aux Pays-Bas à charge de D... , ce qui incita P ... à introduire en Allemagne une action en responsabilité professionnelle contre L. .. Les termes de l'arrêt sont fort durs: il est inad- missible qu'un avocat ne connaisse pas la Con- vention de Bruxelles, mais le lien de caùsalité n'était pas prouvé: « The advoéate is in principle responsible for - every legal eri-or. He must acquaint himself with the relevant statu te law and inform himself of the current state of judicial decisions by use of legal periodicals. » There is no doubt that the laws of which the defendant could be expected to have known in 1984 included the Convention on jurisdiction and the enforcement of judgments in civil and commercial matters of 27 september 1968 ("the E.E.C. Judgments Convention") which has been bindingon the six original member- States of the European Communities since 1 february 1973... · » It is admitted that the defendant was not aware of this Convention and did not take it into account in causing legal proceedings to be taken against the firm B. »But this (culpable) lack of knowledge was not the cause of any of the lasses suffered by the plaintiffs ... ». (2) L'arrêt connu sous le nom de «negligent law- yer » : C.M.L.R., 1990, pp. 415 et s. 1 ISSN 0021-812X 1 SO,MMAIRE 1 Les périls du procès, par M. Storme . . 509 1 Accident du travail - Evénement soudain (Cass., 3e ch., 8 mars 1993) ......... 515 1 Accident du travail - Révision de l'indemnité- Délai (Cass., 3e ch., 1er mars 1993) ........ 515 1 Accident du travail - Indemnités - Prescription·- Fonds des accidents du travail -Allocations d'aggravation - Prescription - Acte suspensif (Cass., 3e ch., 1er mars 1993) ........ 516 1 Accident du travail - Travailleur sous l'autorité de l'employeur- Parking- Accident sur le chemin du travail (Cass., 3e ch., 22 février 1993) .... : . 516 1 Accident du travail- Assureur-loi- Cumul d'indemnités - Interdiction- (Cass., 3e ch., 5 octobre 1992) ....... 517 1 Barreau - Discipline - Article 464 du Code judiciaire - Décisions du bâtonnier de l'Ordre- Recours judiciaire (Civ. Namur, réf., 16 mars 1993, observations de P. Lambert) ........ 518 1 Juge d'instruction devenu procureur du Roi - Procès équitable - Juge d'instruction - Saisine - Faits visés par le réquisitoire - Devoirs d'instruction exécutés hors saisine - Conséquences - Mandat de perquisition - Rédaction (Corr. Bruxelles, 49e ch., 21 avril 1993) .......................... 520 1 Chronique judiciaire : La vie du Palais - Thémis et les Muses- Les deuils judiciaires - Coups de règle - Enquêtes et reportages - - Courrier des revues - Petit courrier du Code - Echos - Mouvement judiciaire. ournal des ribunaux 1993

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ournal 3 juillet 1993

112e année-~ 5682 Bureau de dépôt : Bruxelles X Hebdomadaire, sauf juillet/août

des ri bunaux Editeurs : Maison LARCIER, s.a., rue des Minime!!, 39 - 1000 BRUXELLES Edmond Picard (1881-1899) -Léon Hennebicq (1900-1940) -Charles Van Reepinghen (1944-1966)- Jean Dai (1966-1981)

LES PERILS DU PROCES (*)

Lorsqu'on étudie les problèmes de responsabi­lité professionnelle des avocats et magistrats, il faut se rendre à l'évidence : le seul fait d'enta­mer et de poursuivre un procès est devenu une activité périlleuse, qui peut engendrer la res­ponsabilité de plusieurs acteurs de la procé­dure : les parties, les avocats, les juges, les greffiers, les notaires, les huissier~ de jus­tice, ...

INTRODUCTION

La jurisprudence récente a mis en évidence de nouvelles formes de responsabilité.

J'aimerais l'illustrer par cinq décisions ré­centes.

1.- L'arrêt du Hoge Raad der Nederlanden du 22 décembre 1989 (1).

Dans sa note, Heemskerk considère ce cas comme le plus significatif. Il s'agit d'une as­treinte qui reste due quand bien même le con­damné obtient gain de cause devant le juge du fond.

Le président avait condamné en référé un cer­tain Samson, acheteur d'un bien immobilier, à collaborer à la livraison juridique d~ bien par le vendeur Kempkes (en l'occurrence: à passer l'acte notarié). Cette condamnation prévoyait à charge de Samson une astreinte de 1.000 florins par jour de retard dans l'exécution du jugement. Celle-ci n'eut pas lieu et Kempkes se vit con­traint de vendre le bien en question à un tiers. Plus tard, le juge du fond décida que la vente entre Kempkes et Samson ne s'était pas réali­sée. Le Hoge Raad décida cependant que les astreintes (85.000 florins) restaient dues, parce que la partie condamnée n'avait pas exécuté l'ordre du juge: «de vordering van Kempkes betrekking heeft op dwangsommen die zijn verbeurd niet wegens het niet nakomen van de

(*) Amicalement offert par un collègue-rédacteur en chef (T.P.R.) au rédacteur en chef du J.T. à l'occa­sion des quarante ans de barreau de l'un et de l'autre. (1) N.J., 1990, p. 434 avec note contraire de WHH( eemskerk).

koopovereenkomst, maar wegens het niet vol­doen aan het in kort geding gegeven rechterlijk­bevel en dat de verschuldigdheid van op die grond verbeurde dwangsominen niet wordt op­geheven door een oordeel in de bodemproce- _ dure dat anders luidt dan dat van de rechter in

. kort geding. »

2.- L'arrêt du Oberlandesgericht de Coblence du 9 juin 1989 (2).

P ... , résident allemand, avait vendu à D ... aux Pays-Bas du vin pour une valeur de 16.000 DM, mais il ne fut jamais payé. P ... assigne à Mayence sur la base d'une clause d'élection de for qui figure au contrat. Lorsque le tribunal fit part à L. .. , conseil de P ... , de ses doutes ,quant à la compétence territoriale à la lumière de la, Convention C.E.E. de Bruxelles relative à la compétence, il apparut que cet avocat ignorait jusqu'à l'existence de cette Convention (sic). Il se désista plus tard de l'ac­tion. Un, an après, une procédure en faillite fut intentée aux Pays-Bas à charge de D ... , ce qui incita P ... à introduire en Allemagne une action en responsabilité professionnelle contre L. .. Les termes de l'arrêt sont fort durs: il est inad­missible qu'un avocat ne connaisse pas la Con­vention de Bruxelles, mais le lien de caùsalité n'était pas prouvé:

« The advoéate is in principle responsible for - every legal eri-or. He must acquaint himself with the relevant statu te law and inform himself of the current state of judicial decisions by use of legal periodicals.

» There is no doubt that the laws of which the defendant could be expected to have known in 1984 included the Convention on jurisdiction and the enforcement of judgments in civil and commercial matters of 27 september 1968 ("the E.E.C. Judgments Convention") which has been bindingon the six original member­States of the European Communities since 1 february 1973... ·

» It is admitted that the defendant was not aware of this Convention and did not take it into account in causing legal proceedings to be taken against the firm B.

»But this ( culpable) lack of knowledge was not the cause of any of the lasses suffered by the plaintiffs ... ».

(2) L'arrêt connu sous le nom de «negligent law­yer » : C.M.L.R., 1990, pp. 415 et s.

1 ISSN 0021-812X 1

SO,MMAIRE

1 Les périls du procès, par M. Storme . . 509

1 Accident du travail - Evénement soudain (Cass., 3e ch., 8 mars 1993) ......... 515

1 Accident du travail - Révision de l'indemnité- Délai (Cass., 3e ch., 1er mars 1993) ........ 515

1 Accident du travail - Indemnités -Prescription·- Fonds des accidents du travail -Allocations d'aggravation -Prescription - Acte suspensif (Cass., 3e ch., 1er mars 1993) ........ 516

1 Accident du travail - Travailleur sous l'autorité de l'employeur- Parking­Accident sur le chemin du travail (Cass., 3e ch., 22 février 1993) .... : . 516

1 Accident du travail- Assureur-loi- Cumul d'indemnités - Interdiction-(Cass., 3e ch., 5 octobre 1992) ....... 517

1 Barreau - Discipline - Article 464 du Code judiciaire - Décisions du bâtonnier de l'Ordre- Recours judiciaire (Civ. Namur, réf., 16 mars 1993, observations de P. Lambert) ........ 518

1 Juge d'instruction devenu procureur du Roi - Procès équitable - Juge d'instruction -Saisine - Faits visés par le réquisitoire -Devoirs d'instruction exécutés hors saisine - Conséquences - Mandat de perquisition -Rédaction (Corr. Bruxelles, 49e ch., 21 avril 1993) .......................... 520

1 Chronique judiciaire : La vie du Palais -Thémis et les Muses- Les deuils judiciaires - Coups de règle - Enquêtes et reportages - ~ibliographie - Courrier des revues - Petit courrier du Code - Echos -Mouvement judiciaire.

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3. -L'arrêt de la Cour de cassation du 17 jan-vier 1991 (3). ·

Un recours tardif en cassation a donné lieu en 1' espèce à une condammition pour pourvoi en cassation téméraire et vexatoire (25.000 F).

Cette décision peut être le premier jalon d'une jurisprudence qui pourrait, en cas de rejet du pourvoi sur demande, donner lieu à une indem­nisation pour cause d'abus de procédure. Il pa­raît souhaitable que les avocats à la Cour de cassation attirent l'attention de leurs confrères­correspondants sur ce fait.

4.- L'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 6 mai 1992 (4).

L'on pourrait qualifier cet arrêt d'« arrêt des conclusions nocturnes». Une indemnité a été allouée à la partie, . qui après avoir reçu des coi;I.clusions à la veille de la fixation, avait en­tore rédigé des nouvelles conclusions :

« Overwegende dat geïnÜmeerden ingevolge het onzorgvuldig procederen van appellanten werden verplicht om op' de vooravond van de terechtzitting bijkomend te concluderen over de rechtspleging; dat appellanten dienen in te staan voor de aldus door geïntimeerden geleden schade die bij gebrek aan vaststaande gegevens op 5.000 F kan worden begroot; ».

5. - Last but not least, 1' arrêt An ca de la Cour de cassation du 19 décembre 1991.

Cet arrêt étant amplement analysé ci-après, il suffit de mentionner ici qu'il s'agit du premier cas où fut reconnue la responsabilité de l'Etat du fait des actes juridictionnels du pouvoir judi­ciaire (5).

Je me limiterai toutefois dans cet exposé aux seules responsabilités des avocats et des magis­trats ( 6). L'exécution de jugements (linsi que le paiement d'astreintes feront également l'objet d'un examen spécifique.

(3) Cass., 17 janv. 1991, Pas., 1991, 1, 457. (4) 1re chambre, inédit. (5) J'ai moi-même plaidé à plusieurs reprises qu'une telle évolution était souhaitable, et ce dès 1975 : M. Storme, Het recht ais bevrijding, Zwolle, 1975, p. 29; voy. égalem. mes prises de position ulté­rieures : « The responsibility of the judge »,Rapports belges 0 congrès international droit comparé, Bruxelles, 1982, pp. 397 et s.; « Wie berecht de onoordeelkundige rechter »,Liber amicorum F. Du­mon, Anvers, 1982, pp. 695 et s. et voy. égalem., bien sûr, l'œuvre de base en l'espèce de A Van Oevelen, De aansprakelijkheid voor het optreden van de rechterlijke macht, Anvers, 1987. (6) Voy., en outre, J. Gribomont, «Des aspects ac­tuels de la responsabilité civile professionnelle des avocats», J.I., 1982, p. 593; R. Dalcq, «Traité de la responsabilité civile», Les Novelles; P. Depuydt, De aansprakelijkheid van advokaten en gerechtsdeur­waarders, Anvers, 1983; J.-L. Fagnart, M. Derieve, « La responsabilité civile - Chronique de jurispru­dence », J. T., 1986; M. Briers, I)e gerechtsdeur­waarder, Anvers, 1989; S. Raes, « Aansprakelijkheid van deskundigen en scheidslieden », R. W 1987-1988, col. 1226-1239; R. Vancraenenbroeck, « Aansprakelijkheid van deskundigen en arbiters », R. W., 1987-1988, col. 1534-1536. ·

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I. _;_llAVOCAT

A.- Responsabilité de l'avocat

Il n'entre pas dans mes intentions de traiter de tout le domaine de. la responsabilité de 1' avocat (7).

§ 1er. -Envers son client

1. -Responsabilité contractuelle du fait d'avis et d'assistance

Cette responsabilité s'évalue par rapport au comportement de l'avocat normalement pru­dent et raisonnable placé dans la même situa­tion de fait. La description qu~en fit Jean Dabin reste un guide sûr dans l'appréciation de ce comportement : « Est constitutif de faute, tout manquement si minime soit-il, volontaire ou involontaire, par acte ou par omission, à une norme de conduite préexistante. Cette norme de conduite a sa source soit dans la loi ou les règlements (droit pénal, droit civil, droit administratif, ... ) édic­tant une obligation, déterminée ou indétermi-

. née, soit dans une série de règles de vie sociale, de morale, de convenance ou de technique, non formulées en textes législatifs : loyauté, bien­séance, sang-froid, prudence, diligenc1:1, vigi­lance, habileté, déontologie professionnelle, ... le tout selon le critère de l'homme normal de l'époque, du milieu, de la région» (8).

Ce domaine est fort vaste : information donnée par l'avocat à sem client concernant le cadre juridique du problème ou du litige. Cette infor­mation doit être précise, à jour et aussi com­plète que possible (9). Si les textes légaux sont imprécis ou la jurisprudence divisée, 1' avocat doit également attirer l'attention de son client sur ce fait.

Il y a lieu de préciser au préalable que le contrat par lequel l'avocat accepte la mission peut déjà être fautif dans la mesure où il savait ou devait raisonnablement savoir qu'il ne disposait pas de la connaissance, de l'expérience ou de l'ha­bileté requise pour accomplir sa mission de manière adéquate.

(7) Pour une littérature plus étendue, voy. égalem., C. Rotti, De aansprakelijkheid van de advocaat ten opzichte van zijn kliënt; M. De Graeve et P. V an Ranst, De aansprakelijkheid van de advokaat voor zijn professionele handelingen; M.C. Janssens, De aansprakelijkheid van de advocaat t.o. v. derden; pu­bliés tous dans K. Dassen et M. Vanderheyden (éd.), De advocaat - De positie van de advocaat in en rond het Gerecht~lijk Wetboek, Anvers, 1978; J. Lins­meau,« La responsabilité de l'avocat dans la mise en œuvre du droit judiciaire », La responsabilité des avocats, Bruxelles, 1992, pp. 119 et s. (8) J. Dabin et A Lagasse, «Examen de jurispru­dence (1939-1948) - La responsabilité délictuelle et quasi délictuelle », R.C.J.B., 1949, p. 57, n° 15. (9) L'ignorance de la jurisprudence constante de Cassation (1re inst. Nivelles, 28 mai 1985, R.GA.R.,

· 1986, 11091) ou de la Convention C.E.E. de Bruxelles relative à la compétence (Oberlandesge­richt Koblenz, 9 juin 1989, C.M.L.R., 1990, p. 415) met en cause la responsabilité professionnelle.

La possibilité qu'a l'avocat de faire appel à des collaborations extérieures afin de recueillir un avis, ou d'agir conjointement (10), le dispense de renvoyer le client à un autre confrère.

2. -Responsabilité contractuelle en tant que mandataire

Il suffit de renvoyer, pour les principes géné­raux, à la doctrine et à la jurisprudence exis­tantes (11).

Agit fautivement l'avocat qui outrepasse sa mission (il existe d'ailleurs une procédure qui sanctionne spécifiquement ces agissements : le désaveu (art. 848 et s., C. jud.), ou qui ne l'ac­complit pas de manière correcte.

Il est superflu de rappeler qu'il peut également y avoir responsabilité de la part du client (par ex. : s'il omet de signaler la signification du jugement, ... ). Cette responsabilité est appré­ciée compte tenu également des compétences propres du client. La cour d'appel de Bruxelles a décidé dans un arrêt récent que l'avocat ne commet pas nécessairement une faute en res­tant inactif, et ce aussi longtemps que le client tolère cette situation et qu'il ne réclame pas l'exécution de l'obligation convenue (12).

3.-Tâches spécifiques lors de la procédure

Lors de la préparation du procès, de son intro­duction, jusqu'au jugement final et à son exé­cution, 1' avocat veille aux intérêts de sçm client avec soin, régularité et compétence (13). L'avocat qui n'avertit pas son client d'une pres­cription imminente manque de diligence et il est dès lors responsable (14).

Il doit veiller également à ne pas porter atteinte aux intérêts .de tiers.

§ 2. -A l'égard des tiers(15)

Il va de· soi que le caractère relatif de la conven­tion ne s'oppose pas à la responsabilité de l'avocat lorsqu'il a agi de manière fautive en tant que contractant et qu'il a ainsi causé préju­dice à des tiers.

Ceci peut, par exemple, être le cas lorsqu:il a outrepassé son mandat. ·

L'on admet aussi généralement qu'il peut y avoir responsabilité à l'égard des tiers du fait d'un acte illicite (16).

(10) L'avocat reste naturellement coresponsable des agissements de ce « consultant », sauf si le client a expressément approuvé ce c~oix et que celui-ci n'était pàs fimtif en lui-même. (11) J.-F. Gribomont, op. cit., J.T:, 1982, pp. 589 et s., spéc. pp. 590 et s.; P. Depuydt, op. cit., pp. 80 et s.; J. Linsmeau, op. cit., pp. 120 et s. '(12) Bruxelles, 12 avril1989, D.C.C.R., 1991-1992, pp. 849 avec note Hoste. (13) Voy. spécialem., Linsmeau, op. cit., pp. 129 et s. où toutes les activités procédurales de l'avocat sont analysées pas à pas. (14) Voy. 1re inst. Liège, 23 mars 1990, R.GA.R_., 1992, 12064. (15) L'on entend ici par tiers ceux qui sont étrangers à la relation contraçtuelle entre l'avocat et son client. (16) R. Dalcq, op. cU:, n° 714, p. 299.

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Ainsi, l'avocat sera-t-il responsable à l'égard de la partie envers laquelle il a entrepris un­procès téméraire et vexatoire qu'un avocat nor­malement prudent eût dû déconseiller.!

C'est le plus souvent lors de l'exécution que se poseront les problèmes de responsabilité. Nous traiterons de certains d'entre eux ci-après dans un chapitre spécial. Il faudra bien sûr examiner

. in concreto_ si c'est la partie elle-même ou son avocat qui sera considéré comme responsable. Il est, par exemple, évident qu'une exécution téméraire suscitera des questions relatives à la responsabilité de l'avocat qui l'aura conseillée ou qui aura négligé de signaler les risques qu'elle comportait.

B.-Dommage et dédommagement

Il va de soi que le dommage doit être prouvé.

En passant outre aux nombreux problèmes qui se posent à cet égard, je ne désire m'attarder qu'au problème difficile de la perte d'une chance.

Il ne faut pas s'en tenir au critère de la probabi­lité dans ce domaine.

Il me semble que-l'on compare des pommes et des poires lorsque 1' on se réfère à la responsabi­lité d'autres professions libérales: le droit tient, en effet, plus de l'art que de la science!

Le proèès comporte une telle interaction de personnes, de faits - pré-procéduraux et pro-

. céduraux - et de règles juridiques (17) que . l'on ne peut en prédire l'issue avec certitude et même parfois pas avec un haut degré de proba­bilité. La cour d'appel de Gand a décidé, dans un arrêt remarquable du 26 février 1981, qu'on ne peut prédire le résultat d'une procédure (18).

De plus, l'accès à la justice est un droit telle­meiJ.t fondamental qu'il,doit être protégé en tant que tel. « The main field of injustice is not litigation, but non-litigation » (Lord Devlin). Ce n'est ·donc pas seulement le résultat qui compte ici, mais également le procès lui-même (19). La chance perdue ne concerne pas seule­ment la chance de gagner, mais également la chance d'aller au procès ou de le poursuivre. Cette dernière chance est perdue avec certitude en cas de fautes de procédure ou de négligences (20). '

Je cite à nouveau l'arrêt gantois susmentionné, qui décida qu'en tout état de cause les parties avaient perdu la chance de se voir juger, elles et leur procès. Le juge qui est appelé à évaluer par après la responsabilité de l'avocat ne peut dès lors pas refaire le procès afin d'évaluer les chances, car ceci est, pour les mêmes motifs, inutile et non pertinent. L'on a prétendu que cela ne pourrait se faire, parce que l'on mécon­naîtrait ainsi l'autorité de la chose jugée (21),

(17) Voy., à cet' égard, mon Het proces: als in een spiegel, Deventer, 1988. (18) R.W, 1982-1983, col. 439. (19) Voy., à ce propos, mon Het proces, weldaad of kwaad ?, Gand, 1991. (20) Voy. égalem., R. Dalcq, «Traité de la responsa­bilité civile - Les causes de responsabilité », Les Novelles, p. 337, n° 878. · (21) Pour les références, voy. Gribomont, op. cit., J.T., 1982, p. 599, note 96.

mais ce raisonnement est de toute évidence fautif (22).

Le dommage est dès lors certain, mais son éten­due est difficile à évaluer.

Il ne faut plus examiner l'ampleur de la chance perdue; seule celle du dommage ,résultant de la perte réelle de la chance procédurale doit être estimée .

Il va de soi que l'indemnité se situe ainsi dans une échelle qui s'étend d'un franc symbolique (23) de dommage extra-patrimonial à la totalité de la condamnation postulée en principal, inté­rêts et frais (le cas échéant, une indemnité com­pensatoire pour l'obligation de faire, de <tonner ou de ne pas faire). Ce serait un non-sens d'ap­pliquer des fractions à l'intérieur de cette échelle: l'action judiciaire n'est pas une lote­rie. « The prediction of judicial decisions » a beau être un thème favori de grands cabinets d'avocats aux Etats-Unis, il me semble cepen­dant hors d'à propos de faire des prédictions en la matière.

Il est b-ien plus indiqué de fixer l'indemnité, qui couvrira donc généralement le dommage extra­patrimonial, ex aequo et bono, à moins que le préjudice ne puisse être déterminé avec certi­tude; celui-ci peut s'étendre des frais de justice à l'indemnisation totale de tout ce que la partie lésée eût pu obtenir.

Je cite à nouveau la cour d'appel de Gand:

« Nu het, enerzijds, niet mogelijk is de voor­zienbare schade op exacte wijze te berekenen, en, anderzijds, rekening moet worden gehou­den met het feit dat het terzake slechts gaat om het verlies van een kans, wordt de schade ex aequo et bono geraamd op ... ».

C.-Abus du droit de procéder

La spécificité de la procédure est de plus en plus fréquemment accentuée par ·la qualifica­tion que l'on donne à l'abus du droit de procé­der.

Il s'agit, en fait, d'un recours abusif au service de la justice.

Certains juges de paix ont clairement précisé ces accents nouveaux (24).

Une saisie-exécution abusive (25), une défense tardive (26), le maintien d'une saisie conserva­toire immobilière (27) et un pourvoi en cassa­tion qui serait de toute évidence irrecevable (28) donnent lieu à indemnisation pour cause d'abus du droit de procéder.

(22) Ce raisonnement fautif sera analysé ailleurs. dans le cadre de 1' arrêt Anca. (23) Voy. ainsi le jugement cité du tribunal de Liège, 23 mars 1990, R.G.A.R., 1992, 12064. (24) Voy. notam., J.P. Wetteren, 13 jui11.1989,R. W, 1991-1992, avec note; J.P. Courtrai, 26 mai 1987, R. W, 1987-1988, col. 542. (25) Mons, 2 mai 1991, J.T., 1992, p. 39. (26) Trib. Namur, 3 juin l991,J.L.M.B., 1992, p. 28, note P.H. (27) Trib. Liège Q. sais.), 4 févr. 1981, J.L., 1981, 309, note G. de Leval. (28) Cass., 17 janvier 1991, Pas., 1991, I, 457.

Je regrette que la proposition_ que j'ai formulée dans le groupe de travail Meeûs, et qui portait sur la condamnation d'office pour abus du droit de procéder, n'ait pas.été reprise dans la loi du 3 août 1992. Cette proposition mettait en évi­dence la nouvelle dimension de l'abus du droit de procéder: bien plutôt l'abus du service pu­blic qu'un acte nuisiblè envers la partie ad­verse. La proposition visée prévoyait, en effet, que 1' abus du droit de procéder puisse être constaté d'office par le juge et sanctionné par lui. Elle précisait d'ailleurs que l'indemnité se­rait versée à un fonds destiné à 1' aide judiciaire.

II. -~NS~ILITE DU FAIT :D;E:~L~~XECUTION

D'UNE·ORDONNANCE OU D'UN JUGEMENT

A.- Le problème

Il e~iste un problème très particulier qui n'a suscité q_ue peu d'intérêt en Belgique (29).

L'exécution d'une décision exécutoire -un jugement déclaré exécutoire ou une ordon­nance de référé- peut-elle donner lieu à quel­que réclamation de la part du défendeur initial lorsque cette décision est soit mise à néant en appel, soit rendue inopérante par le juge du fond?

B. -Textes légaux spé~ifiques

-Le point de départ est de toute évidence 1' article 1398 du Code judiciaire qui dispose en son deuxième alinéa:« Néanmoins, l'exécution du jugement n'a lieu qu'aux risques et périls de la partie qui la poursuit et sans préjudice des rè-gles du cantonnement »; ·

Il va de soi que cet article ne s'applique qu'en cas d'opposition ou d'appel: il ne peut être invoqué par analogie pour le rapport existant entre 'le référé et la procédure au fond.

L'on peut également renvoyer à l'article 1400, § 1er, du Code judiciaire qui dispose que le juge qui prononce l'exécution provisoire peut la su­bordonner à la constitution d'une garantie.

A mon avis, cette garantie a été introduite afin de permettre le recouvrement par voie de resti­tution ou de dommages-intérêts en cas de mise à néant du jugement ou lorsque le juge l'écarte.

(29) Voy. cependant, A Van Oevelen et D. Linde­mans, « Het kort geding, herstel van schade bij an­dersluidende beslissing van de bodemrechter », T.P.R., 1985, pp. 1051 et s. C'est ainsi qu'il est souvent fait référence à la doctrine et à la jurispru­dence néerlandaises: voy., ·en particulier, AA Van Rossum, Aansprakelijkheid voor de tenuitvoerleg­ging van vernietigde of terzijde geste/de rechterlijke beslissingen, Deventer, 1990; AC. Van Schaick, De aansprakelijkheid voor het executeren van een kort­gedingvonnis dat in de bodemprocedure, wordt ter zijde g~steld, Zwolle, 1987.

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L'article 1039 du Code judiciaire par contre, selon lequel les ordonnances de référé ne por­tent pas préjudice au principal est sans intérêt en l'espèce. L'article visé énonce une règle fondamentale, selon laquelle le référé ne peut jamais influencer le juge du fond; mais il ne-dit évidemment rien de l'effet du jugement au fond sur les ordonnances de référé.

C. - Conséquences de la mise à néant ou de la mise à 1' écart

§ 1er. -Devoir de restitution

Il me semble qu'il va de soi que le principe du paiement de l'indû implique la restitution en cas d'exécution matérielle d'une.décisionjudi­ciaire mise ensuite à néant par une autre déci­sion judiciaire (appel ou juge du fond), que ce soit au point de vue procédural ou selon le droit matériel (30).

En cas d'ordonnance judiciaire (donner, faire), ceci implique que le demandeur doive restituer ce qui fut presté indûment.

En cas de défense de faire, il est évidemment impossible de restituer la «non-prestation». Ainsi, la restitution sera-t-elle remplacée par une indemnité. Imaginons l'arrêt de travaux. Si cet arrêt est effectivement observé, l'on voit mal comment ordonner la restitution. Mais la partie lésée pourra se retourner contre le de­mandeur- pour le dommage subi par cet arrêt forcé. Ici la restitution se résoud par le dédom­magement.

§ 2. -Dommages-intérêts

Je ne puis par contre toujours pas admettre qu'une partie, qui exige l'exécution sous la pro­tection d'un juge, puisse être condamnée à des dommages-intérêts du fait de l'acte illicite. Le rapport Van Reepinghen est trop rudimentaire dans son commentaire de 1 'article 1398 du Code judiciaire : le demandeur doit rembourser tout le dommage provoqué par 1' exécution qui paraîtrait injustifiée à la suite de la réformation de la décision (31).

L'on ne pourrait faire mention de dommages­intérêts qu'après qu'il serait apparu que l'exé­cution a eu lieu de manière téméraire, par exemple: saisie-arrêt auprès de toutes les insti­tutions financières et bancaires pour une con­damnation à 5.000 F (32) ou qu'il fallait raison-

(30) Art. 1376, C. civ.; Cass., 27 nov. 1947, Pas., 1947, I, 504; Cass., 16 nov. 1973, Pas., 1974, I, 295; Cass., 15 sept. 1983, Arr. Cass., 1983-1984, p. 41; Pas., 1984, I, 42.' Je ne suis pas d'avis qu'il faille en l'espèce distin­guer entre l'appel de référé et la sentence du juge du fond. Dans les deux cas, il appert que l'exécutant ne pouvait pas faire valoir de droits au « paiement » : A. Van Rossum, op. cit., p. 8. V9y. aussi, Trib. Huy (j. des sais.), 20 mai 1985, J.L., 1985, p. 491 qui distingue clairement restitution et dédommagement.

(31) Op. cit., p. 507.

(32) La cour d'appel de Bruxelles a fait état d'une exécution illicite dans un cas où saisie fut pratiquée sur des biens dont la valeur dépassait cinquante fois la somme réclamée: Bruxelles, 3 nov. 1976, Pas.,

.1977, II, 136; voy. égalem., Bruxelles, 10 nov. 1971, R. W, 1971~1972, col. 912.

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nablement admettre que l'exécution d'une dé­cision judiciaire inappropriée ne pouvait se faire (par ex. : une astreinte qui serait encourue à dater du prononcé; voy. infra).

Il faut considérer également ce qui précède à la lumière de l'arrêt Anca. L'Etat sera déclaré responsable chaque fois que le juge aura rendu une décision injustifiée et qu'il aura dès lors suscité de manière fautive les espérances d'une des parties.

L'on ne peut taxer d'imprudente ou de dérai­sonnable la décision de susciter et d'exécuter une décision judiciaii-e.

Personnellement, je pencherais pour une res­ponsabilité du fait du risque accepté. La partie qui exécute a, en effet, reçu une autorisation judiciaire; elle ne fait que supporter ·le risque d'une action licite en elle-même.

Je ne suis pas d'avis que l'indemnisation du fait du risque accepté doive être automatique.

En résumé, il m'apparaît que seule l'exécution inadéquate doit donner lieu à une indemnité (33).

Dans les autres cas, on mettra dans la balance les droits et devoirs de chacun.

Le demandeur avait le droit de faire valoir ses prétentions devant le juge et le défendeur devait subir l'intervention du pouvoir judiciaire.

Nile demandeur, ni le défendeur ne portent la responsabilité de la mise à néant ultérieure du jugement exécuté. Selon les circonstances, l'on peut cependant trouver une meilleure justifica­tion pour faire supporter le dommage éventuel par l'exécutant plutôt que par la partie qui a respecté la. décision judiciaire sous la menace de 1 'exécution.

Ce qui précède ne se justifie plus de la même manière lorsque l'exécutant s'est basé sur une jurisprudence constante et unanime, mais que le juge d'appel ou du fond s'en écarte subite­ment ( « overruling » ).

L'on voit mal également la justification de la restitution- voire même des dommages-inté­rêts - ~ la partie succombante lorsque celle-ci obtient raison en degré d'appel à la SJiite d'un changement de circonstances (par ex. : une ges­tion favorable à l'environnement a remplacé la gestion qui lui était nuisible).

Je ne traiterai pas du dédommagement lui-, même, celui-ci étant dét.erminé essentiellement sous l'angle de la causalité: y a-t-il un lien causal entre l'action judiciaire, d'une part, 'et le, prétendu dommage, d'autre part?

L'indemnité se limitera souvent aux intérêts sur la somme payée indûment selon la décision ultérieure.

En résumé, après l'exécution d'une décision exécutoire mise à néant· ou écartée ultérieure­ment, il y aura lieu à restitution ou à indemnisa­tion compensatoire.

Il ne sera cependant question de dédommage­ment proprement dit que sur base de la respon­sabilité du fait du risque accepté et compte tenu des intérêts et circonstances.

(33) Voy. égalem., Réf. Courtrai, 14 mars 1988, T.B.H., 1988, p. 580.

Toute exécution illicite- téméraire et' vexa­toire- donnera finalement lieu à indemnisa­tion du fait de l'abus de droit procédural (34).

III.-ET REVOILA L'ASTREINTE

La question de la restitution des. astreintes mé­rite une attention particulière.

L'on retiendra deux hypothèses. 1. -Une astreinte est aècordée en référé. Si la partie succombante enfreint l'ordre ou l'inter­diction, 1' astreinte est due quand bien même cette. partie obtiendrait satisfaction en appel (35). Elle ne pourra obtenir restitution des astreintes et devra même payer celles qui n'auraient pas encore été acquittées (36).

Ce point de vue, fort critiqué,_ est à mon avis le seul qui soit défendable, 1' ordre du juge devant -en tout état de cause (37)- être respecté. L'on peut attaquer le jugement en appel, mais entretemps, il faut l'exécuter. L'autre opinion- fût-elle dominante- prive le référé et l'astreinte d'une bonne part de leur sens.

2. - Si la partie condamnée en référé obtient satisfaction devant le juge du fond, c'est a for­tiori la même solutionqui s'appliquera. Cette solution est mieux acçeptée que celle de notre première hypothèse parce que le prononcé en référé n'est pas mis à néant par le juge du fond (38). Personnellement, je partage l'opinion de Van Rossum qui ne voit pas de motifs fondamen­taux qui justifieraient une distinction entre les deux hypothèses, mais, contrairement à l'opi­nion de cet auteur, je pense qu'il découle de cette équivalence qu'une fois que la condamna­tion en référé a été renforcée par une astreinte, cette condamnation doit être respectée. Ni le juge d'appel, ni celui du fond n'y peuvent chan­ger quoi que ce soit. Il existe une situation où la thèse ainsi énoncée ne trouvera pas application, à savoir lorsque le prononcé du juge du fond ôte ex ·nunc tout fondement à une mesure provisoire. C'est à dater du prononcé que l'astreinte ne pourra plus être encourue.

(34) Voy. M. Storme, « Over het· tergend geding voor een roekeloze vriendschap - Beschouwingen over procesrechtsmisbruik », Liber amicorum Jan Ronse, pp. 67-90; P. Taelman, « Gebruik en misbruik van procesrecht », T.P.R., 1988, pp. 88-118. (35) Contra: Cour Benelux, 14 avril 1983, R. W, 1983-1984, col. 223. (36) Meyers, Het kort geding, 2e éd., Zwolle, 1967, n° 247, pp. 23(}-239. (37) Bien sûr ne s'agit-il pas de l'ordre du juge qui serait notoirement contraire à l'interprétation univer­sellement reconnue d'une règle de droit ou à un texte légal non équiv:oque. Ainsi faut-il rejeter la demande d'astreinte à dater du prononcé comme inacceptable (art. l385bis, al. 3, C. jud.; Cass., 22 juin 1989, Arr. Cass., 1988-1989, p.1279; R.W, 1990-1991, p. 98).

(38) Cass., 7 juill.1941,Pas., 1942, I, 278, note RH.

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· IV.- LE POUVOJl Jl!JDICIAIRE (39)

L'arrêt de cassation Anca du 19 décembre 1991 ( 40) a bouclé la boucle de la· responsabilité en Belgique : l'Etat est maintenant également res­ponsable pour les actes juridictionnels du pou­voir judiciaire qui engendrent un dommage.

L'arrêt, qui est précédé d'une analyse impres­sionnante· et pénétrante du premier avocat gé­néral J. Velu (41), a énoncé le principe de ma­nière brève et tranchante.

Les faits sont relativem~nt simples ( 42).

Bien que l'entreprise Anca ait fourni au tribu­nal de commerce de Bruxelles des explications concernant sa situation financière, elle fut dé­clarée en faillite d'office, après qu'un créancier ait été entendu en dehors de la présence de l'entreprise. Le jugement rendu sur opposition fut ensuite réformé - plus. de dix mois plus tard- en degré d'appel. La cour d'appel esti­mait à raison que les principes de la publicité des débats et de leur caractère contradictoire avaient· été méconnus et qu'il fallait dès lors mettre fin à l'état de faillite.

Mais entretemps, le mal était fait- l'affaire avait été vendue dans l'intervalle par le cura­teur- et 1' entreprise qui avait subsisté pendant près d'un an en état de faillite, se voyait dans l'impossibilité de reprendre ses activités. Il y avait dommage définitif provoqué par une déci­sion judiciaire rendue en violation des prin­cipes généraux applicables à la procédure.

La victime assigna l'Etat belge afin d'obtenir des dommages-intérêts sur base de la responsa­bilité du pouvoir judiciaire. La demande fut rejetée en première instance et en appel, parce que 1' on y estimait que les principes de base de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance du pouvoir judiciaire s'opposaient à une telle condamnation.

La Cour de cassation parvint, après un exposé particulièrement clair et bien construit, à la conclusion que ces principes n'excluaient pas la responsabilité de 1 'Etat.

(39) Pour la problématique générale, voy. La res­ponsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, 1991, et particulièrement les artiCles concernant la responsa­bilité du pouvoir judiciaire par M: Dony, 1. Sohier, J. van Compernolle èt G. Closset-Marchal, op. cit., pp. 363 et s.

(40) Pour le texte et les commentaires, voy. Cass., 19 déc. "!992, Rev. gén. dr., 1991, pp. 411-418, note Ch. Jassogne; Recente Cassatie, 1992; note A. Van Oe­velen; T.B.B.R., 1992, pp. 60-73, note A. :Van Oeve­len; J.L.M.B., 1992, pp. 42 et s., note F. Piedbœuf; Journ. procès, 1992, pp. 20-22, note Ch. Pannier; J.T., 6 juin 1992, R.O. Dalcq, La responsabilité de l'Etat du fait des magistrats. (41) Publié au J.T., 1992, p. 142, concl. J. Velu. (42) Voy. l'atrêt entrepris Bruxelles, 21 nov. 1989, · J.T., 1990, p~ 759, confirmant Trib. Bruxelles, 24 déc. 1987, T.B.H., 1989, p. 260 avec note A. Van Oevelen.

Un résumé pouvant difficilement rendre les nuances du texte dense, il semble indiqué d'en reproduire les attendus eux-mêmes.

«' 1. Attendu qu'en attribuant aux cours et tribu­naux la connaissance exclusive des contesta­tions qui ont pour objet des droits civils, l'arti­cle 92 de la Constitution met sous la protection du pouvoir judiciaire . tous les droits civils; qu'en vue de réaliser cette protection, le consti­tuant n'a eu égard ni à la qualité des parties contendantes ni à la nature des actes qui au­raient causé une lésion de droit, mais unique­ment à la nature du droit faisant l'objet de la contestation;

» 2. Attendu que l'Etat est, comme les gou­vernés, soumis aux règles de droit, et notam­ment à celles qui régissent la réparation des dommages découlant des atteintes portées par des fautes aux droits subjectifs et aux .intérêts légitimes des personnes;

» 3. Attendu qu'en règle, la faute dommageable commise par un organe de l'Etat engage la responsabilité directe de celui-ci, sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, lorsque l'organe a agi dansles limites de ses attribu­tions légales ou qu'il doit être tenu comme ayant agi dans ces limites par tout homme rai­sonnable et prudent;

» 4. Attendu que les principes de la séparation des pouvoirs, de l'indépendance du pouvoir ju­diciaire et des magistrats qui le composent, ainsi que de l'autorité de la chose jugée n'im­pliquent pas que l'Etat serait, d'une manière générale, soustrait à l'obligation, résultant des dispositions légales précitées, de réparer le dommage causé à autrui par sa faute ou celle de ses organes dans l'administration du . service public de la justice, notamment dans l'accom­plissement des actes qui constituent l'objet di­rect de la fonction juridictionnelle.

» 5 .. Attendu que les articles 1140 à 114 7 du Code judiciaire, qui organisent la procédure de la prise à partie, ne dérogent au régime du droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil qu'en ce qui concerne la mise en cause de la responsabilité personnelle des juges et des officiers d11 ministère public; qu'il ne s'en dé­duit pas que la responsabilité de l'Etat ne sau­rait jamais être engagée sur' la base de ces dis­positions du Code civil lorsque, dans les cas pouvant donner lieu à prise à partie ou en de­hors de ces cas, un juge ou un officier du minis­tère public commet, dans 1' exercice de ses fonctions, une faute domma'geable;

» 6. Que la respqnsabilité de l'Etat n'est, en effet, pas nécessairement exclue par le fait que celle de son organe ne peut, quant à elle, être engagée à la suite de l'acte dommageable que celui-ci a commis, soit que l'organe ne soit pas id.entifié, soit que 1' acte ne puisse être considéré comme une faute de l'organe en raison d'une erreur invincible de celui-ci ou d'une autre cause d'exonération de responsabilité le con­cernant personnellement, soit que cet acte co~s­titue une faute mais que l'organe soit person., nellement exonéré de la responsabilité pouvant en'découler.

» 7. Qu'en l'état actuel de la législation, l'Etat peut, sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, être, en règle, rendu responsable du dommage résultant d'une faute commise par un juge ou un officier du ministère public lorsque ce magistrat a agi dans les limites de ses attribu-

ti ons légales ou lorsque celui-ci doit être consi­déré comme ayant agi dans ces limites, par tout homme raisonnable et prudent;. que toutefois, si cet acte constitue l'objet direct de lafonction juridictionnelle, la demande tendant à la répara­tion du dommage ne peut, en règle, être reçue que si l'acte litigieux a été retiré, réformé, an­nulé ou· rétracté par une décision passée ·en force de chose jugée en raison de la violation d'une norme juridique établie et n'est plus, dès lors, revêtu de l'autorité de la chose jugée; Que, dans ces limites, la responsabilité de l'Etat du chef d'un acte dommageable du pouvoir judiciaire n'est ni contraire à des dispositions constitutionnelles ou légales, ni inconciliable avec les principes de la-séparation des pouvoirs et de l'autorité de la chose jugée; qu'elle n'est pas incompatible non plus avec l'indépendance du pouvoir judiciaire et des magistrats qui le composent, que les dispositions du Code.judi­ciaire relatives à la procédure de prise à partie tendent à sauvegarder;

» 8. Cette indépendance apparaissant assurée à suffisance par 1' impossibilité -légale de mettre en cause la responsabilité personnelle des ma­gistrats en dehors de cas où ceux -ci ont été condamnés pénalement et des cas pouvant don­ner ouverture à la prise à partie ».

J'ai personnellement souligné quatre. passages dans le texte ci-dessus.

1. --C'est la première fois que la Cour su­prême désigne l'exercice du pouvoir judiciaire comme un service public de la justice. Cette qualification me semble riche de conséquences, chaque procès étant ainsi doté d'une double dimension: protection juridique des particu­liers et dire le droit pour la communauté.

2. -Tout comme le fit le Hoge Raad, la Cour d.e cassation donne une indication au législateur en déclarant que la solution élaborée l'est dans le cadre de la législation existante. Le législa­teur peut évidemment intervenir, mais ceci ne me semble hic et nunc nullement souhaitable.

3.-L'autorité de la chose jugée implique que ·le prononcé judiciaire générateur d'un préju­dice soit retiré, réformé, annulé . ou rétracté.

. J'appro.fondirai cet aspect plus loin.

4. -Le droit de contrôle de la part des justicia­bles quant à la manière dont est exercé le pou­voir judiciaire a également été inséré dans le texte de l'arr.êt lorsqu'il déclare que le magis­trat doit avoir agi dans les limites de son pou­voir légal ou qu'il a agi de façon telle que toute personne raisonnable et prudente puisse admet­tre qu'il a agi dans ces limites.

Dans ses conclusions, où il reprend in extenso 1' évolution de la législation, de la doctrine et de la jurisprudence belges, et où se trouve égale­ment présenté un tableau comparatiste remar­quable, le premier avocat général J. Velu ré­pond à trois arguments qui s'opposeraient à cette responsabilité du fait des actes du pouvoir judiciaire: l'indépendance du pouvoir judi­ciaire dans le cadre de la séparation des pou­voirs, l'autorité de la chose jugée et la théorie de 1' organe.

Comme il s'agit ici principalement de l'appro­che procédurale du problème, je ne m'arrêterai pas davantage au premier ni au troisième de ces arguments.

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L 'autorité de la chose jugée

Enonçons dès l'abord qu'il va de soi qu'aucune action en responsabilité ne peut être introduite aussi longtemps que tous les recours (internes) (43) n'ont pas été épuisés.

Ceci signifie-t-il aussi que l'action en responsa­bilité n'est plus possible lorsque: (a) les parties ont omis d'introduire le recours adéquat dans les délais prévus ? (b) certains recours n'ont pu être introduits (par ex, : cassation ou appel en des matières où le jugement fut rendu en dernier ressort) ?

Ma réponse serait : pas d'action dans le premier cas, mais bien dans le second.

Mais il y a une deuxième limitation: l'action en responsabilité ne peut être rencontrée que lors­que le jugement générateur de préjudice a été mis à néant (44) par une décision coulée en force de chose jugée et qu'elle ne jouit plus dès lors de l'autorité de la chose jugée.

Je ne puis d'aucune façon me rallier à ce point de vue ( 45) ( 46).

Sans vouloir traiter ici in extenso du problème de l'autorité de la chose jugée, qu'il me soit permis cependant d'aligner quelques argu­ments relatifs à l'impact de l'autorité de la chose jugée. Il devrait en découler que l'action en responsabilité p.eut également trouver son fondement dans une décision qui jouit de l'au­torité de la chose jugée.

L'autorité de la chose jugée est, entre autres, la force juridique matérielle qui émane d'une dé­cision judiciaire ayant pour conséquence que le droit est dit avec autorité entre parties, c'est­à-dire que ces parties ne peuvent se rendre à nouveau chez le juge.

Ne lites eternae fiant: indRbitablement la sécu­rité juridique et la paix judiciaire sont-elles éga­lement à la base de l'autorité de la chose jugée. Le même litige ne peut être à tout moment remis en question.

Res judicata jus facit inter partes : le prononcé crée le droit, établit ce qui revient de droit aux parties. Ceci est-il compromis. par la décision qui dit l'Etat responsable d'une décision inatta­quable entre parties, mais dont les consé­quences préjudiciables doivent être compen­sées par le pouvoir ?

1.- Ceci n'est pas contraire au « Wider­spruchsverbot » qui interdit au juge de contre­dire ce qui a été jugé et tranché entre parties ..

En rendant l'Etat responsable, l'on change complètement son fusil d'épaule: non seule­ment la cause et l'objet sont différents, mais le litige lui-même ne se déroule plus entre les mêmes parties.

(43) Les conclusions de M. Velu limitent cette exi­gence aux recours internes.

(44) J'utilise le terme le plus large pour retiré, ré­formé, annulé ou rétracté.

(45) M. Velu fait d'ailleurs lui-même état d'un « compromis entre des exigences contradictoires » (conclusion n° 52) et il y ajoute que cette seconde limitation n'est pas une condition absolue ..

(46) Voy. égalem., Van Oevelen, A, op. cit., t. II, n°5 762 et s., pp. 783 et s.

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2. - La condamnation de 1 'Etat ne signifie d'ailleurs pas qu'il soit porté atteinte à la déci­sion revêtue définitivement de l'autorité de la , chose jugée. Celle-ci subsiste dans toute son ampleur.

Il faut reconnaître cependant la contradiction qui existe entre le jugement qui demeure défini­tif, d'une part, et le dédommagement qui est accordé de ce chef, d'autre part.

Mais n'est-ce pas justement parce que le juge­ment reste définitif entre parties qu'il y a lieu à indemnisation en compensation ?

Et le principe rigide de la res judicata ne doit-il pas être assoupli lorsque l'équité est menacée? (47).

3.-Et cette prétendue contradiction n'existe­t-elle pas déjà pour les procédures mettant en cause la responsabilité de l'avocat?

Imaginons que le moyen adéquat n'a pas été mis en œuvre à la suite d'une négligence de l'avocat, de sorte que le jugement devient défi­nitif. Si la responsabilité de V avocat donne lieu à indemnisation, 1' on pourrait tout aussi bien­mais à tort à mon avis - prétendre que le litige initial a été jugé à nouveau.

4.- Le pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi signifie qu'une décision judiciaire, qui garde toute son autorité à l'égard des parties, peut être cassée lorsque l'ordre juridique géné­ral (le « macro-judiciaire ») serait mis en péril par cette décision.

Il y a lieu de mentionner ici deux points : (a) Cette procédure particulière n'est donc pas considérée comme une atteinte au principe sa­cra-saint de l'autorité de la chose jugée. Pour­quoi en serait-il autrement de l'action en res­ponsabilité ?

(b) Il me semble essentiel de conserver au droit de la procédure sa micro-fonction: donner à des parties concrètes une protection juridique adéquate.

S'il appert qu'une décision de justice a porté une atteinte illicite à l'ordre juridique privé, une réparation juridique privée s'indique.

5. - Si 1' on limitait finalement 1' action en res­ponsabilité aux jugements« mis à néant», l'on peut craindre de voir apparaître une espèce d'automatisme, comme si toute modification d'un jugement indiquait déjà en elle-même une faute et qu'elle ouvrirait dès lors la voie à une action en responsabilité ( 48).

En résumé, on peut dire que l'Etat porte la responsabilité des actes juridictionnels à condi­tion que la partie lésée ait eu recours au préala­ble aux voies de recours appropriées.

J'y ajoute personnellement que s'il subsite en­core un dommage -la réformation du premier jugement n'a pas supprimé le dommage causé

(47) Voy. égalem., M. Cappelletti, «Who watches the watchmen ? The judicial process in comparative perspective», Oxford, 1989, p. 68.

(48) J'aimerais répéter encore qu'il me semblerait normal que 1 'Etat soit condamné aux dépens de la procédure en Cassation, chaque fois qu'une décision est cassée: voy., dans ce sens, mon article dans Liber amicorum F. Dumon : Wie berecht de onoordeelkun­dige rechter ?, Anvers, 1982, pp. 695 et s., spéc. p. 705.

ou le jugement préjudiciable a obtenu l'autorité de la chose jugée -, ce dommage doit pouvoir être réclamé à charge de l'Etat dans une action en responsabilité,

Bien que l'11rrêt révolutionnaire en cause Anca constitue l'aboutissement logique du cycle de la responsabilité du pouvoir, je ne pense pas personnellement que nous assiterons à une ava­lanche d'actions en responsabilité (49).

Il n'y a, en effet, pas en Belgique une telle abondance de décisions injustifiées qui donne­raient de plus lieu à un véritable dommage. L'on ne doit pas craindre le hold-up de nos finances publiques déjà chancelantes.

Mais les magistrats ne risquent-ils pas de céder à la panique, en veillant à éviter à l'avenir les constructions juridiques audacieuses ? Ceci se­rait une conséquence particulièrement regretta­ble de l'arrêt Anca. Il ne faut pas recommander la prudence, mais bien la vigilance.

Mais l'arrêt Anca recèle peut-être une autre possibilité: la sanction de l'arriéré judiciaire à charge de l'Etat. Ce principe a déjà été avancé par la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, qui déclara en 1983 que l'Etat doit pouvoir être rendu responsable lorsqu'un ar­riéré judiciaire structurel s'installe (50). Une condamnation suivit d'ailleurs en 1987 (51).

CONGEÙSlON

En conclusion : la responsabilité de celui qui intente, poursuit ou tranche un procès est une responsabilité sui generis. ·

Ci-après, nous relèverons certains points mar­quants.

1. - Ce sont principalement les destinataires eux-mêmes,- in casu essentiellement les avo­cats et les magistrats - qui façonnent les règles relatiyes à la responsabilité du fait de la procé­dure. Il s'agit d'une auto-régulation. Ce droit est donc formulé en grande partie par ceux qui partagent une même profession.

2.- Lors de l'administration de la justice, les juristes accomplissent un rôle social par excel­lence : ils fournissent 1' assistance juridique, ré­solvent des litiges et font avancer le droit (pro­cedere). Leur grande responsabilité les contraint à un grand effort.

Le critère de l'avocat normalement prudent (52) est évidemment autrement plus sévère que celui du citoyen normalement prudent.

3.-Le procès étant mené via le pouvoir judi­ciaire, porteur de 1' imperium de la nation, il faut

(49) Voy. d'ailleurs l'arrêt décevant de Liège dans l'affaire Anca (cf. J.T., 1993, p. 477 et note R.O. Dalcq).

(50) Zimmermann et Steiner c. Suisse, 13 juillet 1983, série A, § 29, cité par J.-L. Fagnart, «De la légalité à l'égalité», La responsabilité des pouvoirs publics, Bruxelles, 1991, p. 35.

(51) C.E.D~H., 25 juin 1987, Capuano et crts. Italie, N.J.B., 1987, pp. 1067-1068. (52) Prudent signifie prévoyant : prudens provient de providens.

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garantir, tout com.me c'est le cas pour les autres pouvoirs (53), un minimum de pouvoir discré­tionnaire à la gestion des juges et des avocats. Les avocats et les magistrats mènent une cer­taine politique de gestion, et il faut leur laisser un espace de liberté à cet effet.

4.- Le service de la justice est mis en valeur, ce qui signifie que la responsabilité est appré­ciée moins à la lumière d'intérêts partisans qu'à celle de l'administration de la justice. ·

5.- Le procès est dynamique (54) et contient nombre d'impondérables. Il n'est pas situation, mais évolution : plûtot fleuve que rocher.

Ceci explique que l'on ne puisse jamais situer un problème de · responsabilité du fait de la procédure, ni le résoudre de manière abstraite. n· exige la compréhension du contexte juri­dique, matériel et humain du litige et du procès. Ainsi qu'il a été dit plus haut, il s'agit d'une action conjointe de personnes, de faits et de règles juridiques, dont l'issue peut rarement être prédite.

6.- Il n'existe pas de branche du droit où les règles ont un tel effet-bis que le droit procédu­ral. Je veux dire que ·les règles destinées au résultat A engendrent inévitablement un résul­tat B (55).

Lorsque 1' on offre aux citoyens une action en responsabilité élargie à 1' égard des avocats et des magistrats, 1' on peut craindre que les « ris­ques du métier » engendrent une attitude moins engagée de la part des praticiens du droit.

Il faut enfin énoncer que le procès est un bien­fait et un mal (56). Ce n'est pas un jeu de ha­sard, mais un événement porteur de nombreux risques.

Cette valeur a111bivalente du procès implique qu'en fait chacun devrait supporter le dom­mage qui lui échoit suite au procès-hasard ou nécessité. Ce n'est qu'exceptionnellement que 1' on peut faire supporter le dommage par un autre, à savoir, lorsque les règles de la diligence et de la convenance ont été bafouées.

Procéder et juger deviennent des activités . à risques, de sorte que 1 'on peut finalement se poser la question de la nécessité d'un système d'assurance sans faute en faveur des clients et des parties.

Il ne pourrait ainsi plus être question d'une véritable indemnité que lorsqu'une faute volon­taire a été commise.

Le procès pouvant être un bienfait, il faut bien admettre qu'il puisse également être quelque­fois un mal.

Marcel STORME

(53) Voy:, pour le pouvoir exécutif, W. Van Gerven, . Hoe blauw is het bloed van de prins ? Anvers, 1984. (54) L'on lira, à ce propos, le texte éblouissant de Satta, « Il mistero del processo », Riv. dir. proc., 1949, pp. 273 et s. (55) Un exemple typique en est la procédure som­maire destinée à la partie la plus faible, mais mise généralement en œuvre par la partie la plus fortè. (56) Voy. M. Storme, Het proces: weldaad of kwaad ?, Gand, 1991.

JURISPRUDENCE

ACCIDENT DU TRAVAIL. -Notion. - Evénement soudain.

Cass. (3e.ch.), 8 JW~rs 1993

Prés.: M. Marchal, prés. de sect. Rapp.: MmeCharlier, cons. Min. publ.: M. Leclercq, av. gén. Plaid. : MMes Simont et Gérard.

(AXA Caisse commune c. Delzandre).

Un accident du travail supposant l'existence d'un événement soudain causant une lésion, est légalement justifié l'arrêt qui constate que' cet événement soudain consistait dans le coup porté par un tiers sur la tête de la victime, la

· rixe n'étant décrite que pour situer le cadre dans lequel l'accident s'est produit.

Vu l'arrêt attaqué~ rendu le 13 mai 1992 par la cour du travail de Liège;

Sur le moyen pris de la violation des articles 7, 9 et 48, particulièrement alinéa 1er' de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, du principe général de l'autorité de la chose jugée en matière pénale, consacré par 1' article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre prélimi­naire du Code de procédure pénale, et de l'arti­cle 97 de la Constitution,

en ce que 1' arrêt décide que 1' accident du travail du 24 septembre 1985 n'a pas été intentionnel­lement provoqué par le défendeur aux motifs que : « Une altercation est intervenue entre (le défendeur) et un sieur Docquier, tous deux oc­cupés sur un chantier de la firme Houyoux sur le territoire de la commune de Borlon; une rixe s'ensuivit et au cours de celle-ci, (le défendeur) s'est précipité sur Docquier qui s'est défendu en portant un coup à la tête (du défet:tdeur) au moyen d'une barre de fer à béton.1 En l'espèce, l'existence d'un événement soudain et d'une lésion ne peut être sérieusement contestée puisqu'il est établi par les dossiers déposés par les deux parties que le sieur Docquier a blessé (le défendeur) au moyen d'une barre de fer à béton. Il est également établi que l'événement soudain s'est produit au cours de 1' exécution du contrat de travail puisque c'est à propos d'un désaccord sur la façon d'exécuter un travail de nivellement d'un tas de terre sur un chantier situé dans la commune de Borlon que 1' acci­dent est survenu. Il est définitivement établi que (le défendeur) a porté des coups simples volon­taires à Docquier et que le coup porté (au défen­deur) par Docquier l'a été en légitime défense. C'est aussi la raison pour laquelle il ne peut plus être soutenu que (le défendeur) aurait été provoqué par Docquier. ·La cour doit en consé­quence répondre encore à la seule question si, en portant des coups simples au sieur Docquier, l'accident a été intentionnellement provoqué

par (le défendeur) au sens de l'article 48 de la loi du 10 avril1971 et que en l'espèce, la cour considère que (le défendeur) a certes infligé un coup simple à Docquier et a commis un acte contraire à la loi pour lequel il a d'ailleurs été san~tionné sur le plan pénal mais qu'en agis­sant de la sorte, il n'a pas voulu l'accident en lui-même et il ne s'est pas davantage exposé à la lésion qu'il a encourue et qu'il ne se l'est pas infligée lui-même»,

alors que, première branche, aucun des motifs cités au moyen ni aucun autre motif de l'arrêt ne permet de déterminer avec certitude si 1' arrêt considère que l'accident du travail s'identifiait en 1 'espèce à 1 'ensemble des coups échangés entre le défendeur et le sieur Docquier (la rixe) ou seulement au coup que le sieur Docquier a porté sur la tête du défendeur au moyen d'une barre de fer à béton, au cours de cette rixe; de sorte que 1 'arrêt, qui ne permet pas de savoir ce qui constituait en l'espèce un accident du tra­vail et à quoi par conséquent devait s'appliquer 1' article 48 de la loi sur les accidents du travail,

, n'est pas légalement justifié (violation des arti­cles 7, 9 et 48 de la loi du 10 avril1971 sur les accidents du travail); que dans l'hypothèse où 1' arrêt serait légalement justifié dans une de ses interprétations, l'arrêt serait irrégulièrement motivé, sa motivation étant à tout le moins ambiguë (violation de l'article 97 de la Consti-tution); ·

Quant à la première branche.

Attendu que l'arrêt considère qu'« en l'espèce, l'existence d'un événement soudain ( ... ) ne peut être sérieusement contestée puisqu'il est établi par ·les dossiers déposés par les deux parties que le sieur Docquier a blessé (le défen­deur) au moyen d'une barre de fer à béton; il est également établi que l'événement soudain s'est produit au cours de 1' exécution du contrat de travail puisque c'est à propos d'un désaccord sur la façon d'exécuter un travail de nivelle­ment d'un tas de terre sur un chantier( ... ) que 1 'accident est survenu »;

Attendu qu'il ressort sans ambiguïté de ces considérations que la cour du travail a précisé que 1' événement soudain qui a causé la lésion consistait dans le coup porté par Docquier, la rixe n'étant décrite que pour situer le cadre dans lequel l'accident du travail s'était produit;

Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;

ACCIDENT DU TRAVAIL. - Action en révision de l'indemnité. - DELAI.

- Na ture. -- Délai préfix.

eas's. (3edi.)1. ~~ mats~1993

Prés. : M. Marchal, prés. de sect. Rapp. : Mme Charlier, cons. Min. publ.: M. Leclercq, av. gén.

ournal des<':ribunaux

1993

)1) -

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1993

)10

Plaid. : Me Simont.

(s.a. Royale belge c. Van Assche).

Le délai de trois ans dans lequel la demande en révision des· indemnités fondée sur une modifi~ cation de la perte de capacité de travail de la victime due aux conséquences d'un accident peut être introduite, constitue un délai préfix, d'ordre public, dontl 'expiration entraîne for­clusion du droit lui-même et qui ne peut être ni interrompu ni suspendu.

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 4 novembre 1991 par la cour du travail de Bruxelles;

,•

Attendu que l'article 40 de la loi du 15 juin 1935 • concernant l'emploi des langues en ma­tière. judiciaire dispose que ·les actes .déclarés nuls pour contravention à cette loi interrompent la prescription ainsi que les délais de procédure impartis.·à peine de déchéance; Attendu que, selon l'article 72 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents· du travail, la de­mande en ·révision des indemnités fondée, comme en l'èspèce, sur une modification de la perte de· capacité de travail de .la victime due aux conséquences de 1' accident, peut être intro­duite dans les trois ans qui suivent la date de la décision visée à ·l'article 24 • de ·la ·même ·•loi; Attendu que ce délai n'est ni un· délai de•pres­cription ni un délai de procédure au .sens• de l'article 40 précité mais constitue un délai pré­fix, d'ordre public, dont l'expiration entraîne forclusion du droit lui-même etqüi ne peut être ni interrompu ni suspendu; Attendu qu~ en décidant que 1' action en révision introduite par la citation du 9 novembre 1989, aprèsl'expiration dudélai de révision, est rece­vable au motif que la citation du 15 avril 1988, déclarée nulle par application. de la loi du 15 juin 1935, «a interrompu un délai de procédure imparti à peine de déchéance», l'arrêt viole les dispositions .légales. indiquées par la demande­resse; Que le moyen est fondé;

Par ces motifs :

La Cour, Casse l'arrêt attaqué sauf en tant qu'il reçoit l'appel.

ACÇIDENT DU TRAVAIL. -INDEMNITES. - Paiement. -

PRESCRIPTION. -Articles 69 et 70 de la loi du 10 avril1971 sur les

accidents du travail. - SUSPENSION. ~ Application des· articles 2251. à 2254 'du Code civil. - Fonds des accidents

du travail. - OCTROI D'ALLOCATIONS

D'AGGRAVATION. - Prescription. -.Délai de trois ans.- Acte

suspensif.- Notion.

ournal des·ltribunaux

Prés,. et rapp; : M. Marchal, prés. de sect. Min. publ.: M. Leclercq, av. gén. Plaid. : MMes Bützler et Gérard.

(Fonds des accidents du travail c. Pain):·

Ne justifie pas légalemérit sa décision, l'arrêt , qui déclare que là prescription de l'action· en paiement de [~allocation d'aggravation accor­dée à la victime d'un accident du travail est suspendue à compter du jour où débute cette aggravation et le reste durant l'examen admi­nistratif du dossier par le Fonds des accidents du travail, la suspension ne prenant fin qu'au moment où cette procédure administrative est terminée.

Par ces motifs, l'arrêt ne constate pas que le cours de la prescription a été suspendu de la manière prévue à l'article 70 de la loi du 10 avri/1971. · ·

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 7 février 1991 par la cour du travail de Lièg~;

Sur le moyen pris de la violation des articles 1er et 7 de l'arrêté royal du 21 décembre 1971 concernant les allocations et l'assistance so­ciale accordées par le Fonds des accidents du travail (complété par 1' artiéle 2 de 1' arrêté royal du 28 mars 1980), 69 (plus spécialement le premier alinéa) et 70 (plus spécialement la pre­mière phrase) de la loi du 10 avril1971 sur les accidents du travail (articles modifiés par .les articles 108 et 109 de la loi du premier août 1985), 2251 à 2259 du Code civil,

en ce que la cour du travail de Liège confirme par l'arrêt du 7 février 1991le jugement déféré et reconnaît le droit aux allocations· d'aggrava­tion dans le chef de Monsieur Detrixhe. depuis le 19 juin 1981, sur les motifs : « 1. Le délai de prescription de trois ans de 1' action en paiement des indemnités en réparation des dommages résultant d'un accident du travail court à partir de la naissance du droit à l'indemnité et non à partir du moment où le droit qui fonde la répa­ration est contesté( ... ). 2. C'est en conséquence à juste titre que (le demandeur) soutient que la prescription court en l'espèce à dater du 19 juin 1981; mais la prescription et suspendue dès le départ en raison de la procédure administrative et elle reste suspendue durant!' examen admi­nistratifdu dossier, la suspension ne prenantfin qu'au moment où la. procédure administrative est terminée. 3. Raisonner autrement revien­drait à dire que la victime serait obligée dans certains cas de. procéder par la voie judiciaire avant même que la procédure administrative ne soit terminée. 4. En 1 'occurrence, c'est la notifi­cation de la décision administrative intervenue le 11 août 1988 qui est le dernier acte de la procédure administrative litigieuse. 5. Il en ré­sulte que la prescription a été -interrompue en temps utile par la citation introductive d'ins­tance signifiée le 19 septembre 1988».

Attendu que, aux termes de l'article 79, ali­néa 1er, de la loi du 10 avril 1971 sur les acci­dents du travail, l'action en pait(ment des in­demnités se prescrit par trois ans; qu'en vertu

de ·1' article 70, les prescriptions visées par 1' ar­ticle 69 sont suspendues de la manière ordi­naire;

Attendu que 1' arrêt énonce que « laprescription (de l'action en paièment de l'allocation d'ag­gravation accordée à la victime d'un accident du travail) est suspendue dès le départ en raison de la procédure administrative et ( qu'}elle reste suspendue durant 1' examen administratif du dossier, la suspension ne prenant fin qu'au mo­ment où la procédure administrative. est termi­née; (que) raisonner autrement reviendrait à dire que la victime serait obligée dans Certains cas de procéder par· la voie judiCiaire avant même que la procédure· administrative ne soit terminée »;

Que 1' arrêt, qui par ces· motifs ne constate pas que le cours de la prescription a été suspendu de la manière prévue à l'article 70 de la loi dulO avril 1971, ne justifie pas ·légalement s·a déci­sion;

Que le moyen est fondé;

Par ces f11:0tifs :

La Cour,

Casse 1' arrêt attaqué.

ACCIDENT DU TRAVAIL.~ Notion. -Travailleur sous l'autorité de l'employeur. _;_PARKING. ~ Dépendance de l'entreprise.·_:_

Accident sur le chemin du travail.

Prés. : M. Marchal, prés. de sect. Rapp. : Mme Charlier, cons. Min. publ.: M. Leclercq, av. gén. Plaid. : Me Gérard.

(Zurich c: U.N.M$.).

Est victime d'un accident sur le chemin du travail-et non d~un accident du travail, letra­vailleur qui, se déplaçant en voiture sur le che­min dù travail, est victime d'une agression alors qu'il se trouvait sur l'aire du parking mis par l'employeur à la disposition de son person­nel, sans la moindre contrainte.

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 6 janvier 1992 par la cour du travail de Bruxelles;

Sur le moyen pris de la violation des articles 7, 8, 46 de la loi du 10 avril1971 sur les accidents du travail et 97 ·de ·la Constitution,

en ce que 1' arrêt, par confirmation du jugement a quo,« dit pour droit quel'agression donta.été victime Mme R ... le 7 août 1986 doit être consi­dérée comme un accident survenu sur le che­min du travail >>, et écarte le moyen par lequel la demanderesse faisait valoir en conclusions

Page 9: ournal des ri bunaux - KU Leuven

qu'au moment de l'accident la victime se trou­vait en cours d'exécution de son contrat et que, par conséquent, elle n'était plus sur le chemin du travail, aux motifs que : « (la demanderesse) n'ose évidemment pas soutenir que le parking est le lieu même du travail où la travailleuse doit J;lormalement se trouver pour y exercer sa fonction de secrétaire administrative; qu'il est inexact de soutenir que c'est pour exécuter son contrat de travail que la victime s'est rendue dans ce parking; qu'elle pouvait parfaitement exécuter son contrat sans jamais s'y rendre; que (la demanderesse) donne à l'exécution du con­trat une notion par trop extensive; ( ... ) qu'il ne , suffit pas que ce parking soit, sur le plan maté­riel et géographique, une dépendance de l'en­treprise pour qu'il faille en conclure, automati­quement, qu'il s'agit d'une sorte d'extension du lieu du travail; qu'il faut encore que, dans ce lieu, puissent s'exercer normalement et même virtuellement l'autorité et la surveillance de l'employeur sur le travailleur; qu'en d'autres termes, on .parlera de dépendance (extension) quand il s'agira d'un lieu où le trayailleur pour l'exécution de son contrat, doit raisonnable­ment, normalement et professionnellement sé­journer ou évoluer pour l'accomplissement de ses obligations contractuelles; qu'en l'espèce, il n'en est rien, la travailleuse n'ayant aucune contrainte professionnelle, relevant de sa fonc­tion ou de l'autorité de l'employeur, à se trou­ver dans ce parking»,

alors que, seconde branche, un accident sur­vient dans le cours de 1' exécution du contrat de travail lorsqu'au moment où il se produit le travailleur se trouve sous l'autorité de l'em­ployeur; que, comme le soutenait, en conclu­sions la demanderesse, cette autorité peut exis­ter avant que le travailleur arrive dans le local où il doit travailler ou après qu'il l'ait quitté, ainsi qu'avant qu'il ait commencé à exécuter sa tâche ou après qu'il l'ait terminée; qu'ainsi, cette autorité peut exister même lorsque le ~tra­vailleur se trouve dans un endroit non nécessai­rement lié à l'exercice de sa fonction ou aux contingences liées à 1' exercice de l'autorité de l'employeur; d'où il suit que, de la seule cons­tatation selon laquelle la victime se trouvait au moment de l'accident dan:s le parking de l'en­treprise, et que sa présence à cet endroit n'était pas liée à une contrainte professionnelle, rele­vant de sa fonction ou de l'autorité de l'em­ployeur, l'arrêt ne pouvait légalement déduire. qu'au moment de l'accident la victime ne se trouvait pas sous l'autorité· de l'employeur et décider qu'elle était encore sur le chemin du travail (violation des dispositions de· la loi sur les accidents du travail visées au moyen) :

Quant à la seconde branche.

Attendu que l'accident survient dans le cours de l'exécution du contrat de travail lorsqu'au moment de l'accident, le travailleur est soumis à l'autorité de l'employeur; qu'en principe le travailleur se trouve sous l'autorité de l'em­ployeur pendant le temps où sa liberté person­nelle est limitée en raison de l'exécution du travail;

Attendu que l'arrêt énonce« que la disposition (du) parking était une latitude, une facilité, ac­cordée, sans plus, et sans la moindre contrainte professionnelle, même prise dans le sens le plus large du terme;( ... ) qu'il est inexact de soutenir

que· c'est pour exécuter son contrat de travail que la victimt> s'est rendue dans. ce parking; qu'elle pouvait parfaitement exécuter son con­trat sans jamais s'y rendre; ( ... ) que la travail­leuse (n'avait) aucune contrainte profession­nelle, relevant de sa fonction ou de 1' autorité de l'employeur à se trouver dans ce parking; ( ... ) qu'en réalité la travailleuse, se déplaçant en voiture sur le chemin du travail, fit une courte interruption de ce chemin, le temps de parquer, pour ensuite devoir poursuivre son chemin à pied et accomplir ainsi les derniers cinquante mètres de la voie publique la menant à son lieu de travail; que d'ailleurs, si elle fut agressée une première fois dans le parking, elle le fut une seconde fois, en fuyant, sur la voie publique, peu avant d'entrer dans l'entreprise elle­même»;

Qu'ainsi l'arrêt justifie légalement sa décision que la travailleuse ne se trouvait pas « en cours d'exécution du contrat», mais« qu'elle fut vic­time d'un accident sur le chemin du travail»;

Que le moyen ne peut être accueilli;

Par ces motifs:

La Cour,

Rejette le pourvoi ..

ACCIDENT DU TRAVAIL.­Assureur-loi.- Cumul d'indemnités. - Interdiction. - Articles 46 et 47

de la loi du 10 avril 1971.

. ·f]~~~~·.•(3e:ê~~},(.s··~Jtobre.;l99~

Prés. : M. Marchal, prés. de sect. Rapp.: M. Boes, cons. Min. publ. : M. Lenaerts, proc. gén.

..

Plaid.: MMes De Grrse et Nelissen Grade.

(Lemmens c. Caisse commune d'assurances accidents du travail A.S.G.).

Les dispositions des articles 46 et 47 de la loi du 10 avril 1971 relatives aux droits que la victime. ou ses ayants droit et l'assureur-loi subrogépeuvent exercer à l'égard du tiers res­ponsable de l'accident, ne sont ni d'ordre pu­blic ni impératives.

(Traduction)

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 5 novembre 1990 par la cour d'appel d'Anvers;

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce que le _moyen est nouveau;

Attendu que le moyen invoque que, pour déter­miner l'étendue de la subrogation de la défen­deresse en tant qu'assureur-loi, l'arrêt prend en compte, lors du calcul en droit commun du

• '· • rrr-r-T-r-..--r• ~--~~--:-·-:-:--·-.-. ...........-;---.·;-;·;·,---;-,.............-r-rrrr-J·rrr·~-:-·r--r:-r~r~ .. ~.~ .. ~ . ...-;-"";~--;-"~-,..-

dommage subi par le conjoint de Lutgardis van Wesenbeeck, victime d'un accident mortel sur le chemin du travaille 7 décembre 1972, l'in­demnité due pour la perte de la valeur écono­mique de la victime en tant que ménagère, et viole, dès lors, les articles 46 et 4 7 de la loi du 10 avril1971 sur les accidents du travail;

Attendu que devant les juges d'appel, le de­mandeur a certes contesté l'existence de ce dommage, mais n'a pas soulevé dans ses con., clusions d'appel que, lors du calcul du dom­mage en droit commun sur la base duquel le droit de subrogation de l'assureur-loi devra être appliqué, la prise en considération de la perte économique en tant que ménagère n'est pas autorisée en vertu de la réglementation du cu­mul prévue par 1' article 46, § 2, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971;

Attendu que, dès lors, le demandeur invoque un moyen qu'il n'a pas soulevé devant les juges d'appel; que ce moyen concerne les disposi­tions légales relatives aux droits que la victime ou ses ayants droit et l'assureur-loi subrogé peuvent exercer à l'égard du tiers responsable de l'accident; que ces dispositions n'étant ni d'ordre public ni impératives, le moyen est nouveau et, partant, irrecevable;

Par ces motifs :

La Cour,

Rejette le pourvoi.

BARREAU.- DISCIPLINE. -Article 464 du Code judiciaire. -

Mesures conservatoires. - Nature. -Décisions du bâtonnier de l'Ordre.­

Recours judiciaire. - Recevabilité.

êiv .•. N'aRlttr:·ttéf.)~_16:·~·}9g3···.·., ~·

Siég.: M. Panier, prés. Min. publ. : M. Visart de Bocarmé, proc. du · Roi. Plaid. : MMes B ... , en personne et Legros (Bruxelles).

(B ... c. Kerkhofs ).

L'interdiction de fréquenter le Palais de justice édictée par le bâtonnier de l'Ordre des avocats sur la base ,de l'article 464 du Code judiciaire, n'est pas une sanction disciplinaire stricto sensu mais constitue une mesure d'ordre de nature conservatoire.

Cette mesure a nécessairement des répercus­sions déterminantes sur l'exercice des droits et obligations de caractère civil, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamen­tales, ou de droits civils, au sens de la Constitu­tion, liés à l'activité professionnelle de l' avo­cat. Il en est de même de l'interdiction faite à un avocat de se défendre en personne dans une cause qui le concerne personnellement.

· Ç.i'ournal des if~~ribunaux

1993

)1/

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1993

)1~

Pareilles injonctions unilatérales doivent, dès Ces considérations développée~ par M. Phi-lors, pouvoir faire l'objet dans un délai raison- l~ppe Kerkho~s appellen~ plusieurs ~b~erva-nable _et même, s'il échet, en urgence, d'un bons_, les questions soulevees touchant a 1 ordre contrôle juridictionnel public et effectif exercé pubhc. par une juridiction établiepar lalo~. ~'autono- L'article 6, 1°, de la Convention européenne de mie de l'Ordre des avocats, condztzon fon~a- sauvegarde des droits de l'homme et des Ii-mentale de son_ in~épe?dance, nAe s~ur~z~ f~zre------riertés fondamentales, signée à Rom~ le 4 no-

. obstacle au_p~znczpe d un con~role JUndzc!zon- vembre 1950 et approuvée par la lm belge du neZ a postenon des mesures pn~es par le ba_ton- 13 mai 1955, confère, avec effet direct dans nier dans le cadre . du pouvoz~ « ~e po !zee.>~ 1' ordre juridique interne, à toute personne le interne à la professzon, tel qu 'zl luz est co_nfi~ droit de soumettre à un tribunal indépendant et p~r. les dispositions pertinentes du Code JUdz- impartial établi l?ar !a loi, le_ litige n~ d'_une czazre. contestation relative a ses drmts et obhgatwns

de caractère civiL

1 (Extraits)

1. -Les principales données du litige.

En termes de citation, M. C ... B. .. , avocat au barreau de Namur depuis sa prestation de ser­ment le ... ,postule qu'il soit fait défense'· à M. Philippe Kerkhofs, bâtonnier en exercice de l'Ordre des avocats audit barreau, de s'opposer de quelque manière que ce soit à ce que le requérant poJirsuive l'exercice normal de sa profession, aussi longtemps qu'une décision n'aura pas été prise par le conseil de l'Ordre.

En termes de conclusions, lyl. Philippe Kerk­hofs conclut à la recevabilité mais au non-fon­dement de la demande formée par M. C. .. B. .. ; reconventionnellenient, M. Philippe Kerkhofs postule la condamnation de M. C. .. B. .. au paie­ment de la somme de 1 F à titre de dommage moral, du chef d'action téméraire et vexatoire.

Il. -En droit.

A. -Pouvoir de juridiction des cours et tribu­naux de l'ordre judiciaire -et singulièrement du juge civil des référés - à l'égard de la demande de M. l'avocat B ...

Dans le dispositif de ses conclusions, M. Phi­lippe Kerkhofs ne décline ni la juridiction ni la compétence du juge judiciaire des référés, puisqu'aussi bien il postule uniquement que la demande s0it déclarée recevable mais non fon­dée.

Toutefois, dans les développements que con­tiennent ses conclusions, M. Philippe Kerkhofs expose, sous l'intitulé« Quant à la compétence du président du tribunal statuant en. référé », que « seul le bâtonnier peut prendre une mesure fondée sur 1' article 464 du Code judiciaire » et que « si le président du tribunal statuant en référés reconnaissait sa compétence dans le ca­dre de l'application de l'article 464 du Code judiciaire, il n'y aurait aucune raison pour que cette compétence soit limitée à cette seule dis­position. Elle pourrait s'étendre à tout le li­vre III du Code judiciaire consacré au barreau,­ce qui serait, incontestablement, contraire à l'esprit du législateur qui a voulu, en 1967, renforcer l'autonomie et l'indépendance· du barreau»; M. Philippe Kerkhofs précise aussi­tôt : « Attendu certes que le président du tribu- . rial est compétent pour statuer au provisoire

. dans les cas· dont il reconnaît l'urgence (art. 584, C. jud.); que l'urgence pouvait résulter en l'espèce soit d'un abus de droit soit d'une voie de fait».

_ ournal des :'ribunaux

L'article 92 de ··la Constitution belge du 7 fé­vrier 1831 dispose: «Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusiyement du ressort des tribunaux ».

La mesure litigieuse prise, en l'espèce, par M. le bâtonnier Kerkhofs sur base de l'article 464 du Code judiciaire, n'est pas une sanction disci­plinaire sensu stricto (seules les sanctions pré­vues à l'article 460 du Code judiciaire méritant cette qualification) mais constitue une mesure d'ordre de nature conservatoire, expressément introduite dans le droit positif belge de la loi du 10 octobre 1967 contenant le Code judiciaire.

Selon le rapport sur la ~éforme judiciaire, établi en 1964 par le commissaire royal Charles Van Reepinghen, ancien bâtonnier de 1' Ordre des avocats du barreau de Bruxelles,« l'article 464 (C. jud.) répond adéquatement aux nécessités qui dérivent de l'instruction des causes discipli­naires et de la gravité de certaines situations. Officieusement, il a été fait usage déjà des me­sures conservatoires dont il consacre la léga­lité » (telles sont les seules lignes consacrées à cette disposition législative par le commissaire royal, in Rapport sur la réforme judiciaire, t. 1, Bruxelles, M.B., 1964, p. 191, in fine).

Il ne paraît pas sans pertinence de rappeler, en l'occurrence, ce que dispose l'article 456 du Code judiciaire qui, sous l'intitulé« De la disci­pline» (c'est également sous cet intitulé que

. figure l'article 464 du Code judiciaire), précise que « Le conseil de 1' Ordre est chargé : ( ... ) de réprimer ou de punir par voie de discipline, les infractions et les fautes, sans préjudice de l'ac­tion des tribunaux, s'il y a lieu».

Quelles que soient la portée concrète et l'éten­due précise des mesures édictées par le bâton­nier de l'Ordre sur base de l'article 464 du

. Code judiciaire - et, singulièrement, de la me­sure d'interdiction de fréquenter le Palais de justice -, la décision prise sur ce fondement modifie incontestablement la situation profes­sionnelle de l'avocat, en sorte que ses consé­quences doivent pouvoir faire l'objet d'un dé­bat, selon les indications clairement exprimées au cours des travaux préparatoires du Code judiciaire (voy.le rapport fait au nom des com­missions réunies du Sénat par M. De Baeck, Pasin., 1967, p. 839, «Dispositions nou­velles», 4°·, repris et approuvé, quant à son applicabilité à l'interdiction prévue à l'article 464 du Code judiciaire, par P. Lambert, Règles et usages de la profession d'avocat du barreau de Bruxelles, 2e·éd., Nemesis, Bruxelles, 1988, p. 643) .

Cette exigence se déduit du reste, à suffisance, de la seule considération que la mesure -qu'elle soit disciplinaire ou non- a nécessai­rement des répercussions déterminantes sur l'exercice des droits et obligations de caractère

civil, au sens de la Convention de Rome, ou de droits civils, au sens de la Constitution belge, liés à l'activité professionnelle de l'avocat: l'interdiction de fréquenter le Palais pendant une durée pouvant atteindre trois mois, à sup­poser même qu'elle laisse intacte la possibilité de poser tous les autres actes de la profession, ampute indéniablement celle-ci d'une de ses dimensions déterminantes, à savoir la représen­tation des justiciables et la plaidoirie devant les cours et tribunaux, voire, en certains cas, l'accès même du client de l'avocat concerné à la justice (cf. le quasi-monopole de la signature et du dépôt des requêtes unilatérales, conféré à l'avocat par les articles 1026, 5° et 1027 du Code judiciaire); en outre, l'interdiction faite à un avocat de se défendre en personne dans une cause qui le concerne personnellement, est sus­ceptible d'engendrer une contestation sur des droits et obligations de nature civile, au sens de la Convention de Rome, ou sur des droits civils, , au sens de la Constitution belge (vày. ce que prescrivent, à ce propos, les articles 728, alinéa 1er, et 758, alinéa 1er, du Code judiciaire).

Sans doute; le barreau est-il, parce qu'intime­ment associé à l'exercice d'une fonction essen­tielle de l'Etat de droit - celle de rendre la justice (d'où vient que l'avocat est« organe du droit à la justice et à ce titre, associé au pouvoir qui administre la justice»- C. Cambier, «Le code Van Reepinghen -et le barreau », J. T., 1968, p. 721- et non auxiliaire de la justice) -dépositaire à l'égard de ses membres d'une parcelle de la puissance et de la responsabilité publiques, en ce qu'illui revient d'assurer, dans 1' autonomie qui est la condition sine qua non de son indépendance, la discipline de la profes­sion, tant par le recours aux sanctions prévues par la loi et dont la prononciation s'accompa­gne d'un contrôle juridictionnel minutieuse­ment réglé et répondant au vœu de l'article 6, 1°, de la Convention de Rome, que par la voie d'une police interne pouvant donner lieu, le cas échéant, à des injonctions unilatérales de l'au­torité, soit, comme en l'espèce, du bâtonnier de

' l'Ordre; pareilles injonctions unilatérales, éma.:. nées de l'organe d'un ordre juridique particu­lier légalement établi au sein de l'ordre juri­dique global de l'Etat démocratique, sont susceptibles d'entrer en conflit avec des droits subjectifs civils ou de nature civile du profes­sionnel concerné et doivent dès lors pouvoir faire l'objet, dans un délai raisonnable et même, s'il échet, en urgence, d'ûn contrôle juridictionnel pu~lic et effectif exercé par une juridiction établie par la loi (sur la nécessité et la portée- nécessairement limitée en raison de la nature.même de l'acte qui en est 1' objet- du contrôle juridiCtionnel du pouvoir d'action uni­latérale de la puissance publique et des institu­tions et organes qui en procèdent, voy. C. Cam­hier, Droit judiciaire civil, t. 1, Fonction et organisation judiciaires, Larcier, Bruxelles, 1974, pp. 136 et s.).

Or, la mesure prise sur base de 1' article 464 du Code judiciaire ne fait l'objet d'un contrôle de type juridictionnel par les autorités de l'Ordre des avocats qu'en cas de saisine du conseil de. l'Ordre par le bâtonnier, ~défaut de quoi elle cesse de plein droit ses effets à Fexpiration d'un délai de trois mois; par ailleurs, dans l'état actuel de l'interprétation jurisprudentielle la plus autorisée de l'article 464 du Code judi­ciaire, ·la mesure prise par le bâtonnier n'est pas susceptible d'appel (voy. Cass., 14 févr. 1986, Pas., 1986, 1, 742 et la critique de P. Lambert,

Page 11: ournal des ri bunaux - KU Leuven

J.T., 1986, pp. 479 et s.; du même au~eur, Règles et usages ... , op. cit., pp. 642-644). En outre, ni 1' Ordre des avocats, ni son conseil, ni le bâtonnier n'étant des autorités administra­tives au sens de l'article 14 des lois coordon­nées sur le Conseil d'Etat, ce dernier est sans juridiction pour connaître, au contentieux de l'annulation comme sur demande de suspen­sion, de la légalité des décisions - de portée individuelle ou réglementaire - prises par les

- organes de l'Ordre.

Il suit de ces considérations que, dans la mesure où la décision prise en l'espèce par le bâtonnier de l'Ordre est susceptible d'avoir des répercus- ~­sions sur les droits civils de M. C .. B ... , les tribunaux de l'ordre judiciaire ont juridiction pour connaître de la contestation relative auxdits droits et obligations de caractère civil, qu'aurait engendrée la décision du chef de l'Or­dre; il incombe plus particulièrement au juge des référés d'assurer, dans la sphère de ses attributions exercées vu l'urgence et au provi­soire, la protection de ces droits éventuellement

- menacés.

En décider autrement reviendrait à priver d'ef­fet la disposition de l'article 92 de la Constitu­tion et, partant, à laisser sans règlement juridic­tionnel efficace et. effectif conforme aux exigences de l'article 6, 19, de la Convention de Rome, la contestation née du caractère éven­tuellement préjudiciable pour des droits civils ou de nature civile, d'une mesure d'ordre unila­térale qui 1;1' est pas sans rappeler, _mutatis mu­tandis, certains commandements de la puis­sance publique ou de telle ou telle des institutions qui en exercent une part déterminée des responsabilités. Il convient, à cet égard, de rappeler, en les paraphrasant; les conclusions du conseiller Lagrange devant le Conseil d'Etat de France : « Le pays qui a su soumettre la puissance publique elle-même au contrôle juri-

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LE DROIT ET LA PRATIQUE

L'ACHAT ET LA VENTE D'UN IMMEUBLE

sous la direction de

Dirk MEULEMANS Licencié en droit, en notariat

et en droit de l'entreprise (droit économique) Assistant au sein du Département de droit économique de la K. U.L.

Auteurs: Kurt Deketelaere, Nicole l)elforge, Marc Lens,

Dirk Meulemans, Paul Nouwkens, Luc Neefs, Pascale Van Houtte et Caroline V an Schoubr~eck,

tous spécialistes dans une des branches du droit qui ont trait à la vente d'un immeuble

et rompus à la pratique

Postface, par Jacques Herbots

Un volume in-8°, 16 x 24 cm, 446 p., 1993 ......... 2.950 FB (franco, t.v.a. 6% incluse)

dictionnel ne saurait tolérer qu'y échappent tels ou tels organismes investis du pouvoir de créer ( ... ) des règlements, sous prétexte qu'on serait en présence d'un droit "autonome" ou d'un droit sui generis » (Dalloz, 1944, jur. 52, cité par A. Rasson-Roland, «Le pouvoir réglemen­taire des ordres professionnels en matière d'art de guérir», Présence du droit public et des droits de l'homme -Mélanges offerts à Jacques Velu, Bruylant, Bruxelles, 1992, p. 1870). Dans cet esprit, l'autonomie de l'Ordre des avocats, condition fondamentale de son indépendance, ne saurait faire obstacle au principe d'un con­trôle juridictionnel a posteriori des mesures prises, comme en 1' espèce, par le bâtonnier dans le cadre du pouvoir « de police » interne à la profession, tel qu'il lui est conféré par les dispositions pertinentes du Code judiciaire.

B.1- Compétence du juge civil des référés.

La demande de M. C. .. B ... s'autorise à juste titre de l'urgence, dès lors que la mesure liti­gieuse est susceptible de porter préjudice à des droits civils et que, ainsi qu'il vient d'être dit, il n'existe point de voie procédurale autre que celle du recqurs au juge des référés, pour assu­rer dans les mêmes conditions de promptitude et d'efficacité, la protection_ recherchée.

Par ailleurs, la mesure sollicitée ne serait point, s'il était fait droit à la demande, de nature à porter préjudice au principal en vin culant 1' ap­préciation qui pourrait être faite ultérieurement de la présente situation litigieuse par d'autres instances juridictionnelles compétentes.

Dans ces conditions, notre compétence - qui . n'est du reste pas contestée par le défendeur au principal - est à suffisance avérée.

(Dispositif conforme aux motifs).

OBSERVATIONS

On sait que -le Code judiciaire -reconnaît au bâtonnier de l'Ordre le pouvoir de disposer par une mesure d'ordre à l'égard d'un avocat lors­que les faits qui lui sont reprochés font craindre que 1' exercice ultérieur de son activité profes­sionnelle ne soit de nature à causer préjudice à des tiers ou à l'honneur de l'Ordre. Cette dispo­sition qui permet au bâtonnier de faire défense à l'avocat de fréquenter le Palais de justice pen­dant une période n'excédant pas trois mois, répond adéquatement - peut -on lire dans le rapport sur la Réforme judiciaire - aux néces­sités qui dérivent de 1' instruction des causes disciplinaires et de la gravité de certaines situa-tions (1). ·

La Cour de cassation juge de manière CQnstante qu'une telle mesure ne constitue pas une sanc­tion mais une mesure conservatoire (2). L'or­donnance recensée se rallie à cette jurispru­dence.

(1) P: 191, in fine. (2) Cass., 20 sept. 1979, J.T., 1980, p. 172 (et ma note); Cass., 14 févr. 1986, p.480 (et ma note cri-tique). '

La Cour suprême a, en outre, estimé que la décision du bâtonnier de l'Ordre faisant dé­fense à un avocat de fréquenter le Palais ne pouvait être frappée d'appel. Cette interpréta­tion va radicalement à l'encontre des travaux préparatoires du Code judiciaire (3). Mais tel n'était pas la portée du litige soumis au prési­dent' des référés de Nam ur.

/

Il lui appartenait, en réalité, d'apprécier la rece­vabilité d'un recours judiciaire contre la me­sure conservatoire 'prise par le bâtonnier de l'Ordre envers un avocat de son barreau. L'or­donnance relève, à bon droit, que ni 1' Ordre des avocats, ni son conseil, ni le bâtonnier n'étant des autorités administratives au sens de 1' article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, ce dernier est sans juridiction pour connaître, au contentieux de 1' annulation comme sur de­mande de suspension, de la légalité 1 des déci­sions - de portée individuelle ou réglemen­taire -prises par les organes de l'Ordre (4).

Or, souligne l'ordonnance avec raison, la me­sure litigieuse modifie incontestablement la si­tuation professionnelle de l'avocat et, par con­séquent, a nécessairement des répercussions déterminantes sur l'exercice de droits et obliga­tions de caractère civil, tant au sens de la Con­vention européenne des droits de 1 'homme que de la Constitution. Il en résulte que les tribu­naux de l'Ordre judiciaire ont compétence pour connaître de la contestation et, plus particuliè­rement, le juge des référés dans la sphère de ses attributions exercées vu l'urgence et au provi­soire.

Ces considérations doivent être approuvées sans réserve. Lorsque surgit une contestation sur des droits et obligations de caractère civil, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal. On ne. comprendrait pas, a dit la Cour européenne des droits de l'homme, que l'article 6, 1°, de la Convention de sauvegarde décrive en détailles garanties de procédure accordées aux parties à une action civile en cours et qu'il ne protège pas d'abord ce qui seul permet d'en bénéficier en réalité: l'accès au juge. Equité, publicité et célérité du procès n'offrent point d'intérêt en l'absence de procès (5).

L'ordonnance aurait .également pu se référer à l'article 13 de la Convention européenne qui garantit à toute personne· dont les droits re­connus par la Convention ont été violés, « 1' oc­troi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exerCice de leurs fonctions officielles ».

Assez curieusement, les parties n'ont pas dé­battu du droit de l'avocat concerné d'être en­tendu avant que la mesure d'ordre ne soit prise. La mesure unilatérale interdisant à un avocat de fréquenter le Palais ne revêt -elle . pas un tel degré de gravité qu'elle justifie un respect scru­puleux des droits de la défense ?

Pierre LAMBERT

(3) Voy. les références contenues dans ma note · d'observations sous l'arrêt précité de la Cour de cassation rendu le 14 février 1986. (4) Voy. les arrêts C.E. n° 5204, Chamart-Houssa du

· 15 juin 1956 et n° 21.573, Maerschalk du 20 novem­bre 1981. (5) Arrêt Golder du 21 février 1975 (§§ 31 et s.).

ournal , des-·':ribunaux

1993

)1~

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1993

)l~ -

INSTRUCTION CRIMINELLE.­JUGE D'INSTRUCTION DEVENU PROCUREUR DU ROI. - Légalité. -Absence d'atteinte au droit des prévenus de bénéficier d'un procès

équitable. - JUGE D'INSTRUCTION.- SAISINE. -In

rem. - Etendt,Ie. - Réquisitoire de mise à l'instruction.- Forme.­

FAITS VISES PAR LE REQUISITOIRE. -Notion. -

Absence d'effets de la formule« sur tous éléments autres ou plus graves à

charge de qui il appartiendra ». -DEVOIRS D'INSTRUCTION

EXECUTES HORS SAISINE. -Nullité. - Conséquences. - Preuve

obtenue illégalement. - Rejet. -IRRECEVABILITE DE L'ACTION

. PUBLIQUE.- MANDAT DE PERQUISITION. - Rédaction. -

Appréciation de sa validité à la lumière de la procédure dans laquelle il

s'inscrit.

· :o.·.·:·(!)~.fîirltîj~~~~i·{~9~.~JJ:~J~·,2~:.·â~··• .. ·•.t ... ·.·.·.9 .... ··~.·.3. · .. ·: .~;:··;~ .. :: ... ,.· .. ~, .: .·.:· .. ·,. :.', ,.· ·, :.=,; :~:./ .. :·~ .. :··:. ::\:/'.:~:.!~·:.<. ~:;.:,. ... "<' .... ;.;,;~.·:: ,;· .. : ·. ::;'.:. ~: ~"':.;.: .. :..;: :::·:··, ·~ ·,, '~

Siég. : M. Mandoux, juge un. Min. publ. : M. Cambier. Plaid. : MMes Magnée, Speyer (barreau d'An­vers) ,et.Delahaye.

(B. .. et L. .. c. ministère pul?lic ).

La législation belge permet à un juge d'instruc­tion d'exercer, après avoir quitté la magistra­ture assise, les fonctions de procureur du Roi.

La seule circonstance que le juge d'instruction ayant instruit une cause fut ultérieurement ap­pelé à diriger le parquet en qualité de procu­reur du Roi, n'est pas de nature à mettre ré­troactivement en question l'indépendance avec laquelle il mena l'instruction de cette cause en qualité de juge d'instruction.

De même, il ne saurait se déduire de cette circonstance que les prévenus seraiènt privés de leur droit à voir traiter ladite cause équita­blement.

L'une des garanties majeures des pouvoirs exceptionnels du juge d'instt;uction réside dans le fait qu'il ne peut agir que dans le cadre limité de sa saisine, en application du principe de la séparation du droit de poursuivre et du droit d'instruire.

La saisine du juge d'instruction a lieu par le réquisitoire aux fins d'informer qui ne doit, en principe, revêtir aucune autre forme spéciale que celle de mentionner les faits délictueux sur lesquels portera l'instruction.

La saisine étant réelle et non personnelle, l'ins­truction peut et doit s'étendre à tous les coau­teurs ou complices du fait même s'ils ne sont pas visés par le réquisitoire mais ne peut porter

•o.A···ournal des !!,tribunaux

sur d'autres faits que ceux y visés et cela même s'il s'agit de faits connexes ou qui pourraient recevoir une qualification identique à ceux sur lesquels le juge d'instruction est requis d'ins­truire.

Si, au cours de son instruction, le juge acquiert la connaissance d'une infraction étrangère au fait dont il est saisi, il dresse procès-verbal des déclarations qu'il reçoit et des constatations qu'il effectue, puis, conformément à l'article 29 du Code d'instruction criminelle, en donne sur­le-champ avis au procureur du Roi qui, s'il l'estime nécessaire, rédigera un nouveau ré­quisitoire quant à ce fait distinct.

Il résulte de ces principes. que la formule de style par laquefle le juge d'instruction est prié d'instruire au-delà du fait précis visé dans le réquisitoire « sur tous éléments autres ou plus graves à charge de qui il appartiendra » doit être privée de tout effet et n'autorise nullement le juge d'instruction à étendre ses devoirs au­delà de ce fait précis .

Dès lors que les prévenus invoquent que cer­tains devoirs de l'instruction préparatoire les concernant auraient été posés hors saisine, il importe, pour le tribunal saisi des poursuites, de déterminer si les actes d'instruction incri­minés ont eu pour objet, dans la réalité de leur exécution, des faits distincts de celui délimitant la saisine du juge d'instruction.

S'il s'avère que tel est le cas, les preuves re­cueillies par le juge d'instruction ou les agents des forces de l'ordre qu'il délègue, en exécu­tion de sa saisine, doivent être rejetées et ne pourraient être validées par des réquisitions postérieures à ces investigations. ·

Lorsque ces actes q'instruction irréguliers constituent les éléments de preuve sur lesquels s'est construit et repose l'ensemble du dossier ouvert à charge des prévenus concernant les préventions qui leur . sont reprochées, c'est la recevabilité de l'action publique elle-même qui s'en trouve définitivement affectée.

La validité d'un mandat de perquisition doit · être analysée à la lumière de la procédure dans laquelle il s'inscrit, du procès-verbal auquel il fait suite et de la manière dont il a été exécuté pour apprécier s'il peut être qualifié de général et illimité, ce qui entraînerait, le cas échéant, sa nullité.

PREMIERE PARTIE INTRODUCTION

Avant d'aborder l'analyse des préventions mises à leur charge, les. prévenus formulent à l'égard de l'instruction, de la valeur probante de tout ou partie de celle-ci et de la recevabilité de l'action publique des observations concer­nant principalement :

1. -Le cumul successif des fonctions de juge d'instruction et de procureur du Roi.

2.- La saisine du juge d'instruction.

DEUXIEME PARTIE ANALYSE DES MOYENS DEVELOPPES

PAR LES PREVENUS

Chapitre 1er

Le cumul des fonctions dejuge d'instruction et de partie poursuivante

§ 1er.-L'indépendance du magistrat instruc-teur. ·

Le juge qui procéda à l'instruction de cette cause exerce aujourd'hui les fonctions de pro­cureur du Roi de Bruxelles.

Cette nomination ·récente permettrait -elle au justiciable de douter, fût-ce en apparence, des . garanties d'indépendance qu'offrait ce magis­trat -lorsqu'il exerçait les fonctions de juge d'instruction, au sens de l'article 5, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme? ·

Certes, la jurisprudence de la Cour de Stras­bourg s'est prononcée sur différents cas de cu­mul des fonctions d'instruction et de poursuite.

Après avoir décidé qu'un magistrat du minis­tère public peut être considéré comme indépen­dant par rapport à l'accusation, lorsque, dans la cause envisagée, il intervient uniquement comme organe d'instruction, sans assumer donc à un stade quelconque de la procédure la qualité de partie poursuivante (arrêt Schiesser, 4 déc. 1979, série A, n° 34, p. 15, § 34), la Cour de Strasbourg paraît avoir renforcé les critères de ·la notion d'indépendance du magistrat au sens de l'article 5, § 3, de la Convention.

En ce qui concerne le rôle de l'auditeur mili­taire devant les juridictions militaires belges, la Cour, après avoir relevé qu'il pouvait incomber à ce magistrat d'exercer, dans la même affaire, les fonctions de juge d'instruction et celles de ministère public, a estimé qu'il ne pouvait être un magistrat instructeur indépendant des par­ties, parce qu'il avait des chances de devenir l'une d'elles lors de la phase ultérieure de la procédure.

Une simple possibilité met donc en question son indépendance (voy. notam., arrêt Pauwels, 26 mai 1988, série A, n° 135, p. 18 § 38; sur l'ensemble de la question, voy. J. Velu et R. Ergec, « Convention européenne des droits de l'homme», R.P.D.B., compl., t. VII, pp. 251 et 252, n°s 341 et 342).

Cette jurisprudence est inapplicable au cas d'espèce.

La situation dénoncée par la Cour de Stras­bourg dans l~s arrêts précités (voy. égalem., arrêt De Jong, Baljet et Van den Brink, 22 mai 1984, série A, n° 77, p. 24, § 49 et arrêt Van der Sluijs, Zuiderveld et Klappe, 22 mai 1984, série A, n° 78, p. 19, § 44) consiste dans le cumul effectif ou simplement potentiel, au sein d'une

-même cause, des fonctions de magistrat ins­tructeur et de ministère public, dans le chef d'une même personne en une même qualité judiciaire, celle par exemple d'auditeUr mili­taire.

Tel n'est pas le cas en l'espèce.

La législation belge proscrit qu'un juge d'ins­truction exerce, en cette même qualité, la fonc­tion de partie poursuivante devant les juridic­tions d'instruction comme devant les juridic­tions de fond.

Page 13: ournal des ri bunaux - KU Leuven

Le juge ayant procédé à l'instruction de la pré­sente cause en une qualité judiciaire déterminée fut ultérieurement appelé à diriger le parquet de Bruxelles, en une qualité judiciaire distincte, celle de procureur du Roi.

Cette seule circonstance de fait n'est pas de nature à mettre rétroactivement en question l'indépendance avec laquelle il mena l'instruc­tion de cette cause en qualité de juge d'instruc­tion.

Certes, la législation belge permet à un juge d'instruction d'exercer, après avoir quitté la magistrature assise, les fonctions de procureur du Roi.

Cette possibilité d'exercer les deux fonctions précitées, mais en deux qualités judiciaires dis­tinctes, existe donc théoriquement pour tous les juges d'instruction.

De la même manière, cette possibilité ainsi pré-: cisée, n'est pas de nature à mettre en péril à tout moment l'indépendance de chacun des juges d'instruction.

§ 2. -Le droit du prévenu à ce que sa cause soit entendue de manière équitable.

Le cumul successif, en deux qualités judiciaires distinctes, des fonctions de juge d'instruction et de procureur du Roi est-il de nature à porter atteinte au droit des prévenus à ce que la pré­sente cause soit entendue équitablement, au sens de l'article 6, § 1er, de la Convention?

Le droit à ,u.n procès équitable, notion que ne définit pas la Convention mais qui peut être rapprochée du concept de droit de la défense (J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 293, n° 466) im­plique tant dans une action civile que dans une action pénale, que toute partie doit avoir une possibilité raisonnable d'exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavan­tagent pas d'une manière appréciable vis-à-vis de la partie adverse (Commiss., décision du 16 ju!llet 1968, req. n° 2804/66, Ann. Conv., vol. XI, p. 38).

Si l'égalité des armes constitue le « principe fondamental du procès équitable» (voy. J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 294, n° 469), elle ne reflète qu'un aspect de la notion de procès équi­table en matière pénale; spécialement, même en l'absence de ministère public, « un procès ne serait pas équitable s'il se déroulait dans des conditions de nature à placer injustement un accusé dans une situation désavantageuse» (ar­rêt Monnell et Morris, 2 mars 1987, série A, n° 115, p. 24, § 62; arrêt Borgers, 30 oct. 1991, J.T., 1992, p. 171, § 24).

C'est particulièrement, mais non exclusive­ment, en rapport avec les garanties prévues au

· paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention, que doit s'analyser le caractère équitable d'une procédure déterminée. Cette disposition« énu­mère de manière non limitative certains droits particuliers qui, en matière pénale, constituent des éléments essentiels de la notion de procès équitable » (arrêt Colozza et Rubinat, 12 févr.

' 1985, série A, n° 89, p. 14, § 26) ..

Il a été énoncé ci-d~ssus que la seule circons­tance de la nomination du juge d'instruction aux fonctions ultérieures et distinctes de procu­reur du Roi ne suffisait nullement à mettre en doute, a posteriori, l'indépendance avec la­quelle il a mené l'instruction de cette cause. De· manière comparable, cette seule circonstance ne constitue pas, comme le soutient la défense

du prévenu Leiser, un vice affectant une phase précoce de la procédure décisif pour le déroule-ment ultérieur de celui-ci. ·

L'exercice par le magistrat concerné des fonc­tions de procureur du Roi, en une qualité judi­ciaire distincte, ayant eu lieu postérieurement à l'instruction qu'il mena de la présente cause, aucune atteinte aux droits de la défense au stade de l'instruction ne peut être décelé (sur le carac­tère relatif de l'inapplicabilité des garanties du procès équitable à la phase d~ l'instruction, voy. J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 294, n° 268).

Il résulte par ailleurs de l'ana~yse du déroule­ment de ·l'actuelle procédure que les garanties énumérées par l'article 6, § 3, a) à e), de la Convention ont été offertes aux prévenus, ce que ces derniers ne contestent nullement. ·

Au-delà de ces garanties, doit-on déduire, comme le soutient le prévenu Leiser, une rup­ture de l'égalité des armes de la circonstance que le procureur du Roi, supérieur hiérarchique du magistrat debout présent aux audiences de la cause, bénéficierait auprès du tribunal d'un cré­dit' disproportionné face à la défense, ses réqui­sitions étant le fait de celui qui a dû instruire cette affaire de manière indépendante, à charge comme à décharge ?

Comme ille sera souligné ci-dessous, la garan­tie d'impartialité, comme· les autres disposi­tions de l'article 6 de la Convention, n'est pas applicable au ministère public.

Il doit être rappelé, de manière plus générale, que le procureur du Roi saisit le juge d'instruc­tion par un réquisitoire aux fins d'informer, peut prendre connaissance de l'évolution de l'instruction au· cours de celle-ci et réclamer toute mesure d'instruction en adressant ses ré­quisitions au magistrat instructeur; il est de plus présent devant les juridictions d'instruction, notamment lors du règlement de la procédure à l'occasion duquel il rédige un réquisitoire.

Il est donc admis que le ministère public pos­sède, contrairement au juge du fond, une pré­connaissance du dossier, de nature à influencer le contenu de son réquisitoire devant le tribu­nal. C'est l'une des raisons pour lesquelles le ministère public n'est pas assujetti à la garantie d'impartialité au sens de l'article 6, § 1er, de la Convention.

Toutefois, le rôle du ministère public devant l'actuel juge du fond est exercé, tant lors de l'instruction d'audience que lors de son réquisi­toire, en présence constante des prévenus et de leurs conseils. Si le réquisitoire du ministère public peut certes être guidé par des événe­ments antérieurs au déroulement des débats de­vant le juge du fond, il importe surtout, afin que l'égalité des armes intimement liée au caractère contradictoire de la procédure (J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 296, n° 474) soit respectée que les règles de procédure pénale et le déroule­ment de 1' audience permettent que tous les élé­ments susceptibles d'influencer la solution au fond du litige, et parmi ceux -ci les arguments soutenus par le ministère public en son réquisi­toire, fassent l'objet d'un débat contradictoire.

Tel fut le cas en l'espèce, les prévenus ne for­mulant par ailleurs aucune critique à ce sujet.

Il résulte des considérations exposées ci-dessus que les précédentes fonctions de juge d'instruc­tion, exercées dans la même cause mais en une qualité judiciaire distincte par l'actuel procu-

reur du Roi de Bruxelles, ne privent pas les prévenus de leur droit à voir traiter ladite cause équitablement.

§ 3. -L'impartialité. ,

Comme évoqué ci-dessus, il faut enfin rappeler que le ministère public n'est pas assujetti aux dispositions de l'article 6 de la t:onvention (J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 312, n° 546) mais uniquement le tribunal au sens strict du terme, appelé à trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question relevant de son compétence (arrêt H ... c. Belgique, 30 nov. 1987, série A, n° 127, pp. 34 et s., § 50).

C'est la raison pour laquelle la Cour de Stras­bourg a proscrit l'exercice successif par un même magistrat et dans une même cause des fonctions de juge d'instruction et de juge du fond au tribunal correctionnel.

La Cour . souligne que 1 'instruction revêt, en droit belge, un caractère secret et non contra­dictoire, ce qui est de nature à susciter l'inquié­tude du prévenu, s-'il retrouve, au sein du tribu­nal appelé à le juger, le magistrat qui l'avait mis en détention préventive et l'avait souvent inter­rogé durant l'instruction préparatoire. De plus, cet ancien magistrat instructeur possède déjà une pré-connaissance du ·dossier risquant de peser lourd au moment de la décision (arrêt De Cubber, 26 oct. 1984, série A, n° 86, p. 15, § 29).

Parce qu'il ne participe pas à la décision du tribunal, mais constitue l'une des parties pré­sentes à la cause, cette règle ne pourrait être appliquée au procureur du Roi ayant exercé, dans cette même cause et en une qualité judi­ciaire distincte, les fonctions de juge d'instruc-· ti on.

Chapitre II La saisine du juge d'instruction

§ 1er. ---:-Introduction.

La défense des prévenus soutient, dans un pre­mier temps, que l'instruction antérieure et dis­tincte ouverte à charge de M. S ... G ... neper­mettait pas au juge d'instruction, à moins d'excéder sa saisine, d'enquêter auprès de la société K ...

A tout le moins, les devoirs d'instruction ac­complis en 1' espèce auprès de cette société excéderaient-ils la saisine du magistrat instruc­teur.

La nature des arguments développés par la dé­fense des prévenus exige une relecture du dos­sier joint ouvert à charge de M. G ... afin de cerner les raisons pour lesquelles cette .instruc­tion a abouti aux actes d'enquêtes incriminés accomplis auprès de la société K ... , avant de provoquer l'ouverture d'un dossier d'instruc­tion distinct à charge notamment de ses . diri­geants.

§ 2.- Chronologie et description de l'instruc­tion ouverte à charge de M. S ... G ...

Par lettre du 21 octobre 1985, l'Inspection spé­ciale des impôts (I.S.I.), sous les signatures de MM. Lamy et Van Den Abbeele, transmet au procureur du Roi de Bruxelles une dénoncia­tion anonyme adressée au ministère des Fi­nances le 7 juin 1985.

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Cette lettre anonyme fait état de faits de fraudes fiscales dont se serait rendu coupable le bijou­tier S ... G ... , notamment par des ventes non comptabilisées de bijoux et de pierres pré-cieuses. ·

Ce même 21 octobre 1985, le procureur du Roi, sous la signature de M. Jean Lotz, transmet au

, président dti tribunal de première instance· de Bruxelles un réquisitoire de mise à l'instructi~n à charge de M. G ... , du chef de: «comme auteur ou coauteur, faux en écritures et usage de faux en vue d'éluder la t.v.a.; faux et usage de faux en vue d'éluder l'impôt sur les revenus; infractions au Code de la t.v.a.; infrac­tions au Code des impôts sur les revenus».

Cet acte requiert, en outre, qu'il plaise au juge d'instruction de« rechercher tous éléments au­tres ou plus graves à charge de qui il appartien-dra». -

L'instruction de la cause sera, par ordonnance du même jour, confiée à M. le juge B. Deje­meppe. Elle portera, pour ce juge d'instruction, le numéro 84/85.

Au terme de plusieurs perquisitions, M. S ... G ... sera entendu par deux membres de la brigade de gendarmerie« Bruxelles-recherches», le 5 dé­cembre 1985.

M. G ... admettra avoir, exceptionnellement, acheté des fournitures de peu d'importance au­près de revendeurs professionnels et réalisé des ventes occultes dont il ne pourra préciser le volume.

Les enquêteurs produiront à M. G ... trois copies de factures suspectes découvertes lors des per­quisitions.

Sur ce point, le procès-verbal n° 20.734 est ré­digé comme suit : « Vous me produisez les copies de factures (3) n° 106 du 4 septembre 1984 relatjves à une livraison à un certain A ... , boîte postale 258 à l'aéroport de Zurich pour un monta,nt de 2.960.000 F. » Une seconde facture n° 29 en date du 23 avril 1985 au même client pour un montant de 46.764$ US; une troisième facture n° 98 en date du 14 novembre 1985 au nommé G ... N ... -même adresse que pour A ... -facture d'un montant de 2.020.500 F. » Vous me posez la question de savoir si tous les articles -bijoux et montres - mentionnés sur ces factures ont bien été livrés à ces clients. Je vous réponds que oui, sans autres commen­taires sur ces opérations ».

Afin de déterminer les mécanismes des fraudes réalisées par M. G ... et l'importance de celles­ci, la gendarmerie procédera notamm~nt à l'au­dition de Mme E. .. P ... , secrétaire de la société Jacques S ... G ...

Interrogée le 5 décembre 1985 à propos des trois factures précitées - dont il est précisé à ce moment de l'enquête qu'elles furent rédi­gées à l'adresse de «Jumbo Air Cargo» aux noms de MM. N ... et A ... -, cette employée· répond:«( ... ) il s'agit d'une chose très difficile à comprendre pour moi car je pense qu'il s'agit d'un client mais je ne parviens pas à compren­dre que dès l'envoi réalisé l'argent se trouve dès le lendemain sur le compte S.G.B. de M. G ... Chose incompréhensible pour moi, j'ai re­marqué et je suis formelle, que plusieurs de ces objets sont revenus et à nouveau présents dans le stock bruxellois».

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Toujours dans le but d'évaluer l'importance de la fraude reprochée à M. G ... , la nature de celle­ci et les coauteurs éventuels de l'intéressé, la gendarmerie, sur base des déclarations de M. M ... , d'une liste d'adresses saisie (voy. P.-V. n° 22117 du 30 décembre 1985 par lequel la gendarmerie-proG€de à l'analyse de différentes pièces saisies) et d'informations données ulté­rieurement par Mme P ... (P.-V. n° 358 du 8 janvier 1986), procédera à l'interrogatoire de Mme A ... T ... , responsable de la p.v.b.a

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nental Pearls Corporation, soupçonnée d'être un fournisseur occulte de M. G ... Il en sera question infra.

Interrogée le même jour et de manière appro­fondie sur les exportations. fictives vers la Suisse, Mme P ... en donnera tous les détails· en précisant notamment que, dans un premier temps, celles-ci étaient faites sur les ordres de M. G ... , au nom de « A .. ./Jumbo Air Cargo­POE 258/CH 8058 Zurich Airport (et ensuite) au nom de G ... N ... , même adresse». Selon le témoin, M. G ... utilisait ce procédé afin de

. «blanchir» de «l'argent noir» que ce dernier voulait « faire revenir » de Suisse.

Le témoin évaluera le montant global des fonds rapatriés de la sorte à approximativement 10.000.000 de FB en précisant que le procédé avait peut-être été utilisé avant son engagement en 1983. M. G. De D ... , autre employé de M. G ... , dénoncera de la même manière ce procédé d'exportations fictives (P.-V. n° 692 du 14 jan­vier 1986) en précisant que M. G ... se rendait au

· moins trois fois par an en Suisse.

Interrogé sur ces mêmes exportations, M. G ... soutiendra la réalité de ses deux acheteurs suisses et des exportations de bijoux faites à leur profit, tout en ne founiissant aucune infor­mation complémentaire de nature à les identi­fier plus précisément ou à évaluer l'importance de ces transactions (P.-V. n° 759 du 15 janvier 1986).

Au terme du même procès-verbal, les enquê­teurs conclùeront: «afin d'obtenir des rensei­gnements précis sur les titulaires de cette boîte (postale) il nous a été dit qu'une commission rogatoire ( ... ) était indispensable».

Lors de son interrogatoire d'inculpe du 17 jan­vier 1986, M. G ... minimisera l'importance de ses transactions occultes tout en admettant ne pouvoir en déterminer le volume. Il contestera une nouvelle fois posséder de 1' argent non dé­claré en Suisse qu'il rapatrierait par le procédé décrit ci-dessus.

Interrogée le 17 janvier 1986 sur ses fournitures à M. G ... , Mme A ... T ... reconnaîtra à cette occasion acheter chaque année officiellement au Japon des perles de culture pour la somme approximative de 70.000 $ et l'équivalent de manière occulte.

Elle admettra; en outre, déposer personnelle­ment le produit de ses ventes occultes sur un compte ouvert dans une banque genevoise. '

Elle déclarera avoir utilisé les services de « 1' agent de change K ... » pour acheminer vers la Suisse certaines sommes non déclarées.

Mme T ... avouera enfin utiliser. la même per- · sonne afin de rapatrier 1' argent nécessaire à ses achats non comptabilisés en se livrant notam­ment, sur les indications de cet agent de change, à des livraisons fictives facturées à « Jumbo Air Cargo.- Zurich Airport- réf. Jimmy ».

Tous les devoirs accomplis après ce premier interrogatoire du 17 janvier 1986, dans le cadre des investigations menées auprès· de la société Pearls Corporation, sont postérieurs aux per­quisitions litigieuses effectuées les 20 et 21 janvier 1986 à Anvers et dont la régularité est contestée par les prévenus (voy. Carton III, sous-farde 3).

La lecture du dossier 84/85 ouvert à charge de M. G ... démontre que durant la période analy-· sée, s'étendant donc du 21 octobre 1985 au 20 janvier 1986, les enquêteurs ont investigué, sur base des déclarations de M. G ... , de son person­nel et des pièces saisies lors des premières per­quisitions, tant en amont- auprès des fournis­seurs de ce dernier - qu'-en aval- auprès de ses acheteurs.

Le but de ces démarches était clairement d'ob­tenir des précisions concernant les ventes oc­cultes réalisées par M. G ... , de cerner l'ampleur de celles-ci et d'identifier les complices et les coauteurs de l'inculpé . ../

Parmi les nombreuses· informations recueillies dans ce but, les enquêteurs ont, au départ de trois factures découvertes parmi les pièces sai­sies chez l'inculpé, appris par le personnel de ce dernier qu'il possédait en Suisse des fonds provenant vraisemblablement de ventes de bi­joux non déclarées. Suivant les déclarations précitées de Mme P ... , ces fonds seraient rapa­triés et blanchis par le mécanisme d'exporta­tions fictives nécessitant notamment l'utilisa­tion d'une boîte postale ouverte au nom de Jumbo Air Cargo à Zurich.

Il paraît raisonnable de penser que le juge d'ins­truction s'est intéressé à cette information parc'e qu'elle était, parmi de nombreux autres éléments d'enquête, apte à concourir à la déter­mination de l'ampleur des ventes occultes réa­lisées par l'inculpé.

Les déclarations de Mme P... concernant ce mécanisme d'exportations fictives ne permet­taient pas d'en identifier l'initiateur ou les éventuels coauteurs de l'inculpé; de plus, ses précisions chiffrées concernent l'importance des fonds blanchis et non celle des fonds dissi­mulés à l'étranger; enfin, cette employée ne put fournir aucune précision concernant le recours éventuel à ce mécanisme antérieurement à 1983.

L'instruction s'est intéressée à la société Pearls Corporation en sa qualité de fournisseur de l'in­cuplé et non pour obtenir des informations con­cernant le mécanisme de blanchiment précité. Ce n'est donc qu'incidemment, au cours de l'interrogatoire de Mme T ... , que les enquêteurs ont appris que celle-ci utilisait un mécanisme similaire via une boîte postale ouverte au nom de Jumbo Air Cargo à Zurich et que, précision inédite, 1' organisateur de ce système était «l'agent de change K ... » qui l'aidait égale­ment à transférer ses revenus occultes sur un compte bancaire suisse. Ces déclarations com­plétaient donc sur ce point celles de Mme P ....

Il paraît donc logique que le juge d'instruction ait, afin d'obtenir des éléments complémen­taires de nature à cerner au plus près l'impor­tance des fonds que l'inculpé dissimulait à l'étranger- critère essentiel de l'importance de sa fraude fiscale-, admis que l'enquête se poursuive auprès de la firme anversoise K ...

Sollicité en ce sens, le 20 janvier 1986, par le procès-verbal n° 1053 de la gendarmerie de

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Bruxelles, le juge d'instruction délivrera donc divers mandats de perquisition visant la firme K ... et ses dirigeants.

Ce procès-verbal soulignait, en effet, concer­nant les informations recueillies auprès de Mme T ... relatives à l'élaboration de factures fictives à destination de la Suisse:« il s'agit ici de la même façon de procéder que pour G ... dans le cadre des exportations fictives pour la Suisse et qui concerne les clients A ... et G ... N ... ( ... )il s'avère donc indispensable de procéder à des vérifications approfondies auprès de l'agent de change K ... ».

Il y a lieu à présent de déterminer, par 1' analyse de la suite du dossier répressif 84/85, si les actes d'instruction incriminés par les prévenus ont été, dans la réalité de leur exécution, ac­complis dans le but prédécrit de préciser l'am­pleur de la fraude fiscale commise par M. G ... ou ont été posés hors saisine. ·

Il est nécessaire, pour réaliser cette analyse, de rappeler brièvement les principes théoriques ré­gissant la saisine du juge d'instruction et de procéder ensuite à la description des perquisi-

" tions, des visites domiciliaires, des saisies et des interrogatoires qui eurent lieu entre le procès-verbal précité du 20 janvier 1986 et l'avis adressé par le juge d'instruction au pro­cureur du Roi le 21 janvier 1986 en application de l'article 29 du Code d'instruction criminelle.

§ 2.-La saisine du juge d'instruction -Prin­cipes théoriques.

«Le juge d'instruction dispose dans la recher­che des preuves, de pouvoirs considérables, tant sur la personne soupconnée d'avoir commis une infraction que sur ses biens.

» Dans un régime démocratique, il est même le seul à disposer ainsi de la liberté et de la vie privée des citoyens avant qu'une condamnation soit prononcée» (M. Franchimont, Manuel de procédure pénale, p. 300).

Les pouvoirs considérables conférés par la loi au juge d'instruction sont indispensables au bon fonctionnement de la justice et plus parti­culièrement à la recherche efficace des auteurs et coauteurs d'infractions.

· Le maintien de l'état de droit exige toutefois, eu égard particulièrement à 1' ampleur des pou­voirs du magistrat instructeur, que celui-ci, comme les membres des forces de l'ordre agis­sant à sa requête, n'en dispose que dans le strict respect des textes et des principes qui les orga­nisent.

L'une des garanties majeures des pouvoirs exceptionnels du juge d'instruction réside dans le fait qu'il ne peut agir que dans le cadre limité de sa saisine, en application du principe de la séparation du droit de poursuivre et du droit d'instruire.

La saisine du juge d'instruction est réelle, elle a lieu in rem et non in personam; il est donc saisi d'un fait énoncé dans le réquisitoire du procu­reur du Roi et les pièces qui s'y trouvent jointes.

L'instruction peut et doit donc s'étendre à tous les coauteurs et complices du fait, même s'ils ne sont pas visés par le réquisitoire.

Le juge d'instruction est cependant lié par le réquisitoire qui le saisit: le fait qui s'y trouve décrit « circonscrit » son droitcomme celui des agents des forces de l'ordre qu'il délègue pour

l'accomplissement de certains devoirs d'ins­truction.

S'il peut instruire concernant les circonstances aggravantes du fait dont il est saisi - ou plus généralement concernant «les éléments cir­constanciels qui le précisent ou le qualifient » (Garraud, Traité théorique et pratique d'ins­truction criminelle, t. 2, n° 540, p. 338),- il ne peut instruire sur d'autres faits que ceux visés par le réquisitoire et cela même s~il s'agit de faits connexes ou qui pourraient recevoir une qualification identique à ceux sur lesquels il est requis d'instruire.

S'il est de pratique que les parquets indiquent une qualification sommaire des faits en ren­voyant aux pièces annexées, le réquisitoire aux fins d'informer ne doit, en principe, revêtir au­cune forme spéciale; il doit uniquement m~n­tionner les faits délictueux sur lesquels portera l'instruction, ceux-ci ne devant pas nécessaire­ment être légalement qualifiés.

Néanmoins, eu égard au caractère écrit de l'ins­truction judiciaire, ce réquisitoire doit être daté et signé par un membre du ministère public.

Il est toutefois indifférent que le ministère pu­blic saisisse le juge d'instruction par une réqui­sition verbale pourvu que le document qui constitue 1' acte instrumentaire de celui-ci soit ensuite établi par un écrit daté et signé par le magistrat du ministère public (vpy., sur cette .évolution récente de la jurisprudence: Cass., 30 sept. 1992, J.L.M.B., .1992, p. 1226).

Le juge d'instruction, lorsqu'il décerne mandat d'arrêt ou notifie une inculpation, n'est pas tenu par la qualification éventuelle donnée par le parquet aux faits dont il est saisi: il lui appar­tient de rechercher les éléments qui paraissent de nature à qualifier ce fait.

Toutefois, cette liberté doit respecter la règle selon laquelle, étant saisi in rem, le magistrat instructeur. doit avoir égard aux limites de sa saisine, avec 1' inconvénient supplémentaire qu' (!.U début de 1' instruction, les faits sont, par la force des choses - « les circonstances et prolongements des actes poursuivis étant en­core dans l'ombre» (D. Mayer, note sous Paris, ch. ace., 17 mai 1989, Dall., 1990, jur., p. 76) -, décrits de façon sommaire, le plus souvent par la référence générale à l'une ou plusieurs qualifications. Sous le prétexte d'un change­ment de qualification, il ne peut donc modifier les frontières de sa saisine.

Si au èours de son instruction, le juge acquiert la connaissance d'une infraction étrangère au fait dont il est saisi, il dresse procès-verbal des déclarations qu'il recoit et des constatations qu'il effectue puis, conformément à l'article 29 du Code d'instruction criminelle, en donne sur­le-champ avis au procureur du Roi.

Celui-ci, s'il l'estime nécessaire, rédigera un nouveau réquisitoire quant à ce fait distinct (Sur l'ensemble des points qui précèdent, voy. A. Braas, Précis de procédure pénale, t. 1, pp. 326 et s.; Les Novelles- Procédure pénale, pp. 385 et s.; R.P.D.B., v0 «Procédure pé­nale», pp. 414 et s.; J. Hoeffler, Traité de l'ins­truction préparatoire, p. 130; M. Franchimont, op. cit., pp. 298 et s.; P. Morlet,« Changement de qualification - Droits et devoirs du juge », R.D.P.C., 1990, p. 561 et plus particulièrement, pp. 567 à 571; J.-P. Collin, «Les rapports du juge d'instruction avec le ministère public, les corps de police et les experts», in «Les désar-

rois du juge d'instruction», R.D.P.C., 1990, pp. 867 et 868; A. De Nauw, « Het adiëren van dé onderzoeksrechter »,Actuele problemen van strafrecht, pp. 10, 11 et 24 et les références citées par ces auteurs).

Enfin, 1' on ne pourrait échapper à la règle stricté< de la spécificité de la saisine du juge d'instruction en le priant d'instruire au-delà du fait précis visé dans le réquisitoire, « sur tous éléments autres ou plus graves à charge de qui il appartiendra ».

Une telle formule de style, à laquelle tout effet doit être dénié, n'autorise nullement le juge d'instruction à étendre ses devoirs au-delà du fait précis énoncé par le réquisitoire (R. De Clercq, « Strafrechtelijke aspekten van de re­cente wetswijzigingen inzake inkomstenbelas­tingen »,Acta Falconis, 83/5, p. 27, note 74).

§ 3. -Chronologie et description des devoirs d'instruction accomplis les 20 et 21 janvier 1986 auprès de la société K. .. , ses dirigeants et son personnel dans le cadre_ de l'instruction ouverte à charge de M. S ... G ...

Il a été expliqué la raison pour laquelle le prin­cipe de la délivrance par le juge d'instruction des ~andats de perquisition visant les deux sièges anversois de la firme K... et Cie, son agence bruxelloise ainsi que les domiciles de ses dirigeants ne pouvait être d'emblée mis en question. Compte tenu des développements de l'enquête décrits ci-dessus, le juge, dans le ca­dre strict de sa saisine, pouvait légitimement penser découvrir auprès de cette firme d'agent de éhange des éléments de nature à préciser l'ampleur de la fraude fiscale commise par M. G... .

Certes, le mandat de perquisition délivré le 20 novembre 1986 en déléguant« le commandant du district de Bruxelles ( ... ) aux fins de procé­der ( ... )-à une visite domiciliaire en la demeure de K... & Cie, rue Marché aux Herbes, 42 à 1000 Bruxelles à l'effet d'y r~chercher et d'y saisir (tous) documents, objets et valeurs liés à

· des transactions commerciales non déclarées » · ne mentionne nullement le nom de M. G ... ni n'évoque les faitsprécis mis à sa charge.

Il pourrait donc, pris isolément, être considéré comme trop large compte tenu des frontières de la saisine du juge et de la rigueur des principes régissant la rédaction des mandats 'de perquisi­tion (voy. J. Hoeffler, op. cit., pp. 82, 227 et 228). La même remarque peut être formulée à 1' égard des mandats de perquisition visant les locaux de la société K ... à Anvers ainsi que les domiciles des deux actuels prévenus.

Ces mandats de perquisition devront toutefois être analysés à la lumière de la procédure dans laquelle ils s'inscrivent, du procès-verbal au­quel ils font suite et de la manière dont ils ont été exécutés; de plus, ils ne peuvent être quali­fiés de généraux et d'illimités ce qui aurait incontestablement entraîné leur nullité.

- Là perquisition en la succursale bruxelloise de la société K... et Cie débuta le 20 jan vier 1986 à 16h35'. Elle fut effectuée par trois membres de la gendarmerie de Bruxelles ac­compagnés de deux membres de l'I.S.I.

Dans le cadre de cette perquisition, les gen­darmes interrogeront M. Y ... D ... , gérant de cette succursale.

Cet interrogatoire portera sur'la n·ature des acti­vités de la société K ... , la manière dont elle

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opère à Bruxelles et à Anvers la comptabilisa­tion des opérations de bourse, de change, d'achat et de vente d'or, 'l'identification des comptes en banque belges et étrangers ouverts à son nom ainsi que sur la nature des mouve­ments de fonds réalisés avec la Suisse.

M. D ... sera enfin interrogé sur ses relations avec la société, Jumbo Air Cargo à Zurich. Il déclarera que ce nom lui est inconnu.

Les documents saisis« afin- selon les verba­lisants - de procéder à une comparaison avec la comptabilité officielle d'Anvers» cancer­rient essentiellement des ventes d'or et des opé­rations diverses contemporaines à cèt acte d'instruction.

- La perquisition des locaux anversois de la firme K ... , situés rue du Pélican, 78A, fut effec­tuée par des membres de la gendarmerie de Bruxelles accompagnés d'agents de l'I.S.I.

Elle se déroula en présence des deux actuels prévenus, ce même 20 janvier 1986, de 16h50' à 18h45'.

Il y fut procédé à la saisie d'un lingot d'or de 6 kilos 450 grs - ultérieurement restitué après production par les prévenus des documents douaniers en attestant l'origine régulière-, de divers documents comptables et de titres pour une valeur de 3.349.515 F.

Les prévenus furent très brièvement interrogés durant la perquisition, ces interrogatoires se ré-' sumant à porter à leur connaissance les termes du mandat de perquisition et à obtenir des infor­mations, concernant le lingot d'or visé ci­dessus.

Les prévenus et divers m~mbres de la société furent invités à poursuivre l'interrogatoire à Bruxelles.

- La perquisition effectuée dans les locaux de la société situés place Léopold à Anvers .débuta à 16h50' pour se terminer le lendemain, 21 janvier, à 7 h 45'.

Des renseignements fournis par les verbali­sants, il s'avère que la perquisition fut « extrê­mement ardue du fait de la complexité de la matière traitée par cette société de change et du fait que la comptabilité est tenue sur ordina­teur».

Les scellés furent d'ailleurs apposés sur la salle des ordinateurs.

- Les perquisitions. aux domiciles des pré­venus B... et L... eurent lieu durant le même après-midi de ce 20 janvier. Aucun dÔ-cument ne fut emporté.

- C'est encore durant la nuit du 20 au 21 janvier, et pendant que s'effectuait la perquisi­tion des locaux sociaux situés place Léopold, que la gendarmerie procéda, à Bruxelles, à l'in­terrogatoire des prévenus et de trois membres de leur personnel comptable.

Ces interrogatoires font l'objet du procès-ver­bal n° 1077.

- Le prévenu L. .. sera interrogé sur la réalisa­tion par sa société d'éventuelles opérations oc­cultes, un trafic d'or entre la Belgique et l'An­gleterre, une enquête effectuée. à charge de la maison d'agent de change D ... concernant de faux cachets permettant une fraude en matière de t.v.a., les opérations sur titres, actions et obligations réalisées par la firme K... et les

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relations de cette dernière avec la société Conti­nental Pearls Corporation.

Les questions porteront également sur les rela­tions nouées par la firme K ... avec le transitaire Jumbo Air Cargo et plus précisément« sur un certain trafic qui s'effectuerait avec la Suisse: boîte postale à Jumbo Air Cargo et qui' aurait pour but de blanchir des fonds noirs ou du moins de provenance occulte» (suite 1 au P.V. n° 1077).

- L'interrogatoire de M. B ... portera sur les éventuelles opérations' non déclarées de la firme, sa connaissance de la société Continental Pearls Corporation, la boîte postale que la so­ciété K ... possèderait en Suisse, les voyages du prévenu vers ce pays, l'éventuelle activité de blanchiment d'argent pratiquée par le prevenu· et son associé, ainsi que sur certaines annota­tions suspectes découvertes dans la comptabi­lité de leur société.

- M. R. .. H ... , employé comptable de la so­ciété K ... , sera interrogé _sur la nature de ses· fonctions et 1' existence éventuelle d'une caisse et d'une comptabilité occultes au sein de la firme, sa connaissance de la société Continental Pearls, les déplacements de ses employeurs en Suisse, les opérations financières de la firme avec ce pays ainsi que l'envoi de diamants et de bijoux vers l'étranger par l'intermédiaire d'une boîte postale.

- L'interrogatoire de M. C1 •• S ... , agent de change auprès de la firme K ... , portera sur la procédure des opérations en Bourse réalisées pour les clients de la société ainsi que sur le contrôle qu'il effectuait de l'identité réelle de ceux-ci.

Il niera également l'existence d'une comptabi­lité occulte au sein de la firme et déclarera ne rien savoir d'une activité de placement de fonds en Suisse à la demande de clients ou l'envoi de colis vers ce pays.

- M. L. .. V ... B. .. , employé comptable de la société, sera plus précisément interrogé sur les dépôts d'argent occulte réalisés auprès de la firme par des industriels et des diamantaires. Il en reconnaîtra la réalité en précisant que la comptabilité de ces opérations était tenue par Mme M ... M ...

Il déclarera enfin ne connaître ni Mme T ... ni la société Continental Pearls. ·

- Suite à ces dernières déclarations, les ver­balisants _prendront immédiatement contact avec le juge d'instruction.

Un mandat de perquisition concernant le domi­cile de Mme M ... sera délivré durant la même nùit (cf. P.V. n° 1074). Il sera exécuté le 21 janvier à 5 h du matin.

- Mme M ... ne fera aucune déclaration durant la perquisition de son domicile, celle-ci s'avé­rant par ailleurs négative.

Elle accompagnera toutefois les verbalisants sur les lieux de son travail, un appartement loué par la société K ... , rue du Pélican, 104.

- Moyennant le consentement de cette em­ployée, les gendarmes bruxellois pénétrèrent dans l'appartement le 21 janvier 1986 à 6 h 10'.

Les verbalisants constateront « la présence de nombreux classeurs regorgeant de comptabilité et documents divers ». ·

La gendarmerie procèdera à la saisie de l'en­semble des documents comptables se trouvant dans 1' appartement.

- Il, y a lieu· de relever que le mandat de perquisition priait les verbalisants, «avec l'as­siStance de l'I.S.I., de bien vouloir perquisition­ner au domicile de, et d'entendre: M ... M ... ( ... ), en vue de saisir tous documents, objets, valeurs, comptabilité noire, liés à des· transac­tions fiscalement non déclarées (K ... )» .. La ver­sion néerlandaise du même mandat porte « (o.m. bij K ... )».

- A la réception de ces derniers procès-ver­baux, à l'issue de la matinée du 21 janvier (le procès-verbal n° 1006 est rédigé à 11h15'), le juge d'instruction adressera, dans le cadre du dossier G ... , une apostille au procureur du Roi mentionnant: «Vous trouverez ci-joint copie des procès-verbaux de la B.S.R. de Bruxelles relatifs à Continental Pearls et à la S.N.C. K ... (L. .. F ... ,B ... H ... ). Compte tenu du développe­ment de l'affaire, ne convient-il pas d'envisa­ger l'ouverture d'une nouvelle instruction?».

- Il y sera répondu par un réquisitoire ·de mise à l'instruction signé le même jour et visant pour . la première fois les deux actuels prévenus, du chef d'infractions aux articles 339 et 340, ali­néa 1er, du Code des impôts sur les revenus.

- Il y a lieu enfin de souligner que Mme M ... fut interrogée par les enquêteurs le 21 janvier 1986 à 9 h 40', à Bruxelles, soit dès après la

· perquisition ayant abouti à la découverte de la comptabilité occulte de ses employeurs et avant le réquisitoire de mise à l'instruction visant les activités délictueuses de ceux-ci.

L'interrogatoire de Mme M ... par la gendarme­rie porte exclusivement sur les détails du méca­nisme d'évasion de capitaux mis sur pied par les deux actuels ·prévenus au sein de la société K ... et la signification de certaines pièces sa~­sies le matin même.

§ 4. -Analyse de ces derniers actes d'instrué­tion au regard de la saisine du juge d'instruc­tion dans le cadre du dossier ouvert à charge de M.G ...

Il résulte de la chronologie de l'instruction que chacune des perquisitions a été réalisée à la requête du juge d'instruction, dans le cadre for­mel du dossier 84/85 ouvert à charge de M. G ... du chef, comme précisé ci-dessus, de faux en vue d'éluder l'impôt sur les revenus et la t.v.a., d'infraCtions au Code de la t.v.a. et au Code des impôts sur les revenus.

De même, chacun des interrogatoires analysés ci -dessus fut mené par la gendarmerie, dans le cadre formel de ce dossier, au cours desdites perquisitions ou en constitue la suite directe.

Constatant incidemment l'existence d'autres délictueux, les e:o.quêteurs avaient bien évidem­ment l'obligation d'en déferer au juge d'ins­truction qui les aurait portés à la connaissance du procureur du Roi.

De l'analyse des procès-verbaux qui précèdent, il résulte toutefois que, dans la réalité des choses, les devoirs effectués par la gendarmerie de Bruxelles auprès de la société K... dans le cadre formel des mandats décernés par le juge d'instruction, ont excédé la saisine de celui-ci.

Les faits ayant donné lieu aux présentes pour­suites à charge de MM. B. .. et L. .. , distincts de ceux reprochés à M. G ... , n'ont nullement été

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découverts incidemment, à l'occasion de qe­voirs d'enquête accomplis dans le cadre de 'la saisine initiale du juge d'instruction relative à la fraude commise par M. G ... , mais consti­tuaient, en réalité, l'objet premier des perquisi­tions, saisies et interrogatoires décrits ci­dessus.

Dans le cadre du dossier ouvert à charge de M. G; .. , il était justifié d'étendre l'enquête à la firme K ... afin de préciser l'importance des fonds appartenant à ce prévenu~ blanchis par le mécanisme d'exportation fictive.

Comme il est exposé ci-dessus, cette informa­tion pouvait, en effet, concourir à préciser l'am­pleur de la fraude fiscale com.mise par ce pré­venu et à apprécier le rôle de coauteur ou de complice joué par l'un ou J'autre responsable de la société K ...

La lecture des procès-verbaux précités révèle que les devoirs d'enquête effectués par la gen,. darmerie de Bruxelles, le plus souvent· assistée de membres de l'I.S.I., sont~. en réalité, portés d'emblée sur des faits distincts.

Il y a lieu, dans cette optique, de mettre en exergue les éléments suivants :

- Les membres de la gendarmerie et/ou les membres de l'I.S.I. possédaient, en entamant les devoirs d'enquête auprès de làsociété.K:·· à

. la requête du juge d'instruction, des informa­tions trouvant pour partie ·leur· origine dans d'autres dossiers à l'instruction ou à l'informa­tion, à Anvers notamment (ct carton III,'f: 18) relatives à d'éventuelles activités irrégulières de cette société telles des opérations d'achatet de vente d'or et plus particulièrement un trafic d'or entre la Belgique et l'Angleterre, des pla­cements d'argent à l'étranger et plus particuliè­rement en Suisse, le rôle des prévenus dans une affaire de faux cachets· permettant une· fraude en matière. de t.v.a., la réalisation d'opérations en Bourse au profit de clients agissant sous une fausse identité ...

Les interrogatoires des actuels prévenus et des m~mbres de leur personhel.ont d'emblée porté essentiellement sur ces différents points étran­gers aux poursuites exercées à' charge de M. G ...

- Si l'existence d'une boîte postale à l'aéro­port de Zurich fit effectivement l'objet de ques­tions, ce ne fut nullement en relation avec la fraude commise par M. G ... Il est d'ailleurs significatif de relever. que, si le nom de la so­ciété Continental Pearls Corporation fut cité à ce propos, aucun procès-verbal ne contient fût­ce l'évocation du nom de M. G ...

Même s'il faut, au nom notamment de l'effica­cité et de la tactique raisonnables, reconnaître une certaine liberté aux enquêteurs dans la ma­nière de conduire un interrogatoire, ces der­nières questions ont trait à la mise sur pied par les prévenus d'un système de blanchiment, et non jamais à la participation de ceux-ci aux faits reprochés à M., G ....

- L'analyse des devoirs précités révèle que les enquêteurs de la gendarmerie assistés des membres de l'I.S.I. avaient pour intention ini- · tiale d'obtenir des· renseignements et de saisir des documents permettant d'établir la preuve des activités illégales de la société K ... , particu­lièrement en matière de placements à 1' étranger de fonds· occultes pour compte de ses clients et d'opérations en Bourse. Les interrogatoires de

MM, H.,.,S ... et V .. , B ... sontrévélateursdecet état de chose. ·

- Dans ce même ordre d'idée, le dossier ré­vèle que les enquêteurs avaient pour objectif, dès la première perquisition de la succursale bruxelloise de la société K ... , d'obtenir la con­firmation de l'existence d'une comptabilitéoc­culte couvrant l'ensemble des activités irrégu­lières des actuels prévenus, pour ultérieurement procéder à sa saisie.

Les.pi~ces comptables saisies lors.de cette pre;. mi ère perquisition, « afin . de . procéder à une comparaison avec la comptabilité . officielle d'Anvers », concernent des ventes d'or et des opérations financières très récentes.

Les forces de 1' ordre, lors de la perquisition des locaux situés rue du Pélican, 78 procédèrent· à la saisie d'or et de titres.

La. perquisition, longue de quinze heures, des locaux situés place Léopold porta essentielle­ment sur l'ensemble dela comptabilité de la société K ... tenue sur .ordinateurs et se clôtura par la mise sous scellés de la salle contenant lesdits .ordinateurs.

- L'objetréel, étranger à la saisine dujug·e d'instruction, des devoirs des forces de l'ordre apparaît plus nettement encore. lors de 1' analyse de l'interrogatoire de M. V ..• R .. et des suites qui y furent réservées, en T absence de tout nouveau réquisitoire.

Interrogé sur les placements. occultes réalisés par la société K ... pour compte de ses clients, éet employé précisera que la comptabilité de

. ces opérations était tenue par Mme M ...

C'est dans l'unique but de saisir cette compta­bilité que les gendarmes, au moyen du mandat qui leur sera délivré sur l'heure, perquisitionne­ront immédiatement au domicile de cette em:­ployée pour l'emmener ensuite sur les lieux de son travail.

- . Il y a lieu de. constater encore, concernant l'objet réel des investigations de la gendarme­rie assistée des agents de l'I.S.I. auprès de la société K... dans le cadre formel du dossier ouvertà charge de M. G: .. , que le procès-verbal de l'interrogatoire de Mme M ... , mené . à Bruxelles le 21 janvier 1986 à 9 h du matin, antérieurement donc - comme il est dit ci­dessus·- au réquisitoire ayant donné lieu à 1' ouverture du présent dossier, fut néanmoins versé en original. dans ce dernier dont il porte, après ratures, le numéro 1/86 (carton III, farde 20, p. 4).

' Il résulte ·de la combinaison des éléments qui précèdent que les perquisitions, interrogatoires et saisies réaliséès auprès de la société K ... , ses dirigeants et ses employés par la' gendarmerie de Bruxelles assistée des membres de l'I.S.I., à la requête du juge d'instruction dans le cadre formel du dossier ouvert à charge de M. G ... , ont eu d'emblée pour objet, dans la réalité de 1' exécution de ces devoirs, des faits distincts de celui délimitant la saisine du juge d'instruction.

LA MISE À JOUR DES CODES LARCIER

(Moniteur du 30 juin 1993 inclus)

EST EN PRÉPARATION

§ 5. - Conséquences du dépassement de la saisine -Principes théoriques et application au cas d'espèce.

Si une preuve a été recueillie de manière irrégu­lière, la conséquence consiste dans le rejet de cet élément.

De '·la. même •II1(lflière, ne peuvent être pris en considération les. éléments de 1' enquête consti­tuant la.sonséquence· direçtepu indirecte des actes d'instruction irrégulièreiilent accomplis ou se rapportant directement ou indirectement à ceux-ci. ·

Dès lors, un aveu constituant la conséquence d'un acte d'instruction irrégulièrementaccom­pli ne peut être retenu ni directement ni indirec­tement contre le prévenu.

Mais lorsque l'action .publique a· .été mise. en mouvement sur base d'une constatation irrégu­lière, lorsque l'illégalité affeCte ta 'constatation originaire, les preuves recueillies · ensuite de cette constatation, sans exception des aveux, ne peuvent servir. de base à 1 'action. publique.

C'est dans ce dernier cas l'action publique elle­même qui eR-· devient irrecevable.

Enfin, ·les preuves recueillies par le juge d 'ins­truction ou les agents des forces de 1' ordre/qu'il délègue, en violation de sa saisme, ne pour­raient être validées par .. des réquisitions . posté­rieures a ces investigations.

(Sur l'ensemble des questions abordées ci­dessus, voy. notam., A. De Nauw,« Les règles d'exclusion relatives à la preuve·en prbcédùre . pénale belge», R.D.P.C; 1990, p; 705 et plus particulièrement pp. 721 à 723; R. Declercq, La preuve en matière pénale, pp; 58 et 59;1. Mes­sinne, Cours de droit pénal (Presses univeisi'­taires de Bruxelles)~ pp. 267 et 268; Henri-D. Bosly, «La régularité dela preuve en matière pénale >>, J.T., 1992, p.121 et plus particulière­ment p. 12?; M. Franchimont, op~ cit., pp. 762 et 763; outre les références jurisprudentielles citées par ces auteurs, voy. Cass., 6 mars 1944, Pas;, 1944, I~ p. 237; Cass.; 14 juin 1965,Pas., 1965, I, p. 1102; Cass., 13 mai 1986, Pas., 1986, 1, p.1107; Cass., .16 juin 1987~ Pas., 1987, 1, p. 1278; Bruxelles, 17 avril 1987, J.L.M.B., 1987, p. 644).

De l'analyse de l'actuel dossier répressif, il résulte que les aveux des prévenus ont été pro­voqués par les actes. d'instruction. irréguliers prédécrits et plus particulièrement par la saisie de la comptabilité occulte de la société . K ...

De la même manière, ces actes d'instruction irréguliers constituent les éléments de preuve sur lesquels s'est construit et repose l'ensemble du dossier ouvert à charge des prévenus concer­nant les préventions qui leur sont aujourd'hui reprochées, chacune des preuves recueillies ul­térieurement en étant, suivant .la terminologie de la Cour de cassation, la conséquence directe ou indirecte.

C'est, en l'espèce, la recevabilité de l'action publique elle-même qui s'en trouve définitive­ment affectée.

NOTE.- Cette décision est frappée d'appel.

"'>D;ournal desi~i1ribunaux

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CHRONIQUE JUDICIAIRE

Asse~blée générale de l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles 21 juin 1993.

C'est sous les ors et les lambris de la salle des audiences solennelles de la Cour de cassation que s'est tenue l'assemblée générale de l'Or­dre, non pour donner un faste particulier à la première année de bâtonnat de Me Pierre Le­gros, mais en raison d'une erreur de ferronne­rie(*).

Le bâtonnier est confirmé dans sa seconde an­née de mandat avec 839 voix tandis que le dauphin, Me Georges-A1lbert Dai, en obtient 841, suivi par la réélection des anciens mem­bres du conseil de 1' Ordre se représentant (MMes V an Rossum, Bruyneel, Hiernaux, :fiu:ysman, Pierreux, Cruyplants, Stepanian, Gerondal, Simonet et Oschinsky) et celle des cinq nouveaux élus (MMes Van Der Haegen, Buyle, Windey, Laurent et Pouleau). Dans un louable souci d~efficacité, les bâton­niers qui ont succédé au :regretté Andrien W ol­ters ont maintenu le système instauré par celui­ci en faisant précéder l'assemblée par la publi­cation, dans la dernière lettre du barreau, du rapport du secrétaire de l"Ordre et du trésorier. MMes Oschinsky et Lévy-Morelle ne s'écartè­rent pas de leur texte, ce qui est somme toute

(*) La cage de fer de la com d'assises n'étant pas compatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits. de 1 "homme, celle-ci devait réquisitionner la salle des aumiences solennelles de la cour d'appel, contraignant Ile barreau à transférer le siège de ses propres assises.

Assemblée générale du 24 mai ·1993 de la Conférence du Jeune barreau de Bruxelles.

J'aime la Conférence, ce n'est un secret pour personne. J'aime particulièrement ses assem­blées générales, dont les initiales caractérisent ce phénomène étrange, Wlique et précieux de 1' acte gratuit.

Quoi de plus merveilleœ, en effet, que de se retrouver immuablement vers 14h30 l'avant-· dernier jeudi du mois de juin, de délaisser son cabinet et ses clients, pour venir partager la folie de certains qui n'hésitent pas à se lancer dans des compte rendus et des présentations aussi périlleuses que 1' exercice du funambule

ournal des tribunaux

rassurant, surtout s'agissant du compte de ré­sultats et du bilan au 31 décembre 1992 pré­sentés par Me Lévy-Morelle, la fantaisie n'ayant guère sa place en l'espèce.

Le secrétaire Yves Oschinsky rappela la double préoccupation de l'Ordre; d'une part, d'amélio­rer l'exercice de la profession d'avocat au quotidien par le développement des règles déontologiques mises en harmonie avec le nou­veau Code judiciaire, 1' examen des différends déontologiques et la réforme en profondeur du règlement du stage, et, d'autre part, d'assurer la présence internationale du barreau de Bruxelles, qui peut s'enorgueillir notamment d'avoir envoyé une mission d'Avocats sans Frontière en Turquie et obtenu un complément d'enquête devant la Haute cour de sûreté de l'Etat dans une affaire concernant six avocats détenus et inculpés de haute trahison et dont le mandat d'arrêt a été levé (un documentaire sera prochainement diffusé sur les chaînes de télévi­sions françaises, hollandaises et belges à ce sujet). ·

Le secrétaire devait rappeler le vote de la réso­lution confidentialité-loyauté, la création d'une commission des membres des barreaux étran­gers constituée de cinq représentants de 1 'Ordre et de sept représentants des membres de bar­reaux étrangers établis à Bruxelles et évoquer les relations avec les pouvoirs judiciaire, exé- . cutif et législatif, avec 1' association belge des juristes d'entreprises et avec les assurances, fai­sant prendre conscience aux membres du bar­reau de 1' extraordinaire activité déployée par un conseil de membres qui consacrent presque la moitié de leur activité à cette seule mission bénévole. Le trésorier, Me Michel Lévy-Morelle, n'a si­gnalé aucun clignotant de la faillite de l'Ordre dont le léger déficit sera certainement relevé dès le prochain exercice, notamment grâce à l'intervention; d'un reviseur d'entreprises qui préparera la présentation des comptes en forme bilantaire « ce qui permettra une meilleure per­ception, non seulement du compte de résultat, mais du patrimoine de l'Ordre ».

Avec l'humour et la sensibilité qu'on lui con­naît, le bâtonnier Pierre Legros adressa des re­merciements chaleureux aux cinq membres sortants du conseil de l'Ordre (MMes Xavier

dressant son fil entre deux gratte-ciel new yor-kais. '

Première à prendre la parole, devant un public hélas un peu clairsemé (les candidats directeur et orateur étaient uniques ... ), la secrétaire, en la personne de Me Berta Bernardo Sanchez, nous­fit un rapport de haute volée, façon haute cou­ture, détaillant les fibres d'une année riche en manifestations réussies et qui ont défilé au rythme d'une collection Christian Dior. Suit le trésorier, Me Grognard, dont on retien­dra du rapport vivant et plein d'humour un brin de nostalgie pour le temps béni des colonies où son prédécesseur d'alors dégageait comme bé­néfice un triple 9 suivi de cinq zéros ... La présidente reprit ensùite le micro et nous gratifia d'un très doux discours de sortie, mêlé

Magnée, Anne Dubois, Michel Lévy-Morelle, Martine Van Dieren et Réginald' de Béco ). Osant un mot en néerlandais en guise de clin d'œil à l'attention de Me Erik Carre, bâtonnier de l'Ordre néerlandais présent dans la salle et chaleureusement applaudi, il exprima égale­ment sa gratitude à tous les membres du bat­reau, bibliothécaires, secrétaires, assistante so­ciale et vestiairiste, dont 1' aide est aussi discrète qu'essentielle. L'année à venir verra sans doute 1' aboutisse­ment d'importants pourparlers avec les assu­reurs pour la souscription d'un contrat défense en justice qui bouleversera profondément le statut des avocats. Clôturant .par un émouvant rappel de la mé­moire de deux grands bâtonniers disparus dans l'année, Me Pierre Legros devait donner la pa­role à l'assemblée. Ce fut le bâtonnier Braun qui, en guise de ques­tion, formula une suggestion dont l'Ordre fera certainement son profit: la commission du bar­reau d'accélération de la justice ne pourrait -elle saisir à bras-le-corps 1' épineux problème de la collaboration des avocats dans la mise en état des dossiers qui les opposent ? Le bâtonnier Humblet devait tenter de relancer le débat en déplorant le recours à des moyens· dilatoires sous le fallacieux prétexte du respect des droits de la défense. La séance étant. alors levée, ce fut sans doute cette dernière sortie qui alimenta le plus les conversations qui s'animèrent durant le cock­tail offert par le chef de l'Ordre devant la salle des audiences solennelles de la cour d'appel. Convaincus que ce n'est qu'un verre à la main et dans 1' amicale ambiance de ce genre de ré­ception que les choses, importantes se disent et se font, de très nombreux confrères attendaient avec impatience que la fin de l'assemblée géné­rale leur permit enfin de résoudre les problèmes de notre société en général et du barreau en particulier. Toutes les suggestions peuvent être adressées au secrétariat de 1' Ordre qui transmettra à qui de droit. Pour l'avenir de l'Ordre,\il reste en­core beaucoup à faire. Pour le buffet, c'était parfait.

François MOTULsKY

du paradoxe qu'elle disait nourrir, balançant continuellement entre le bonheur d'atteindre enfin la rive et la tristesse de ne plus être encore au milieu du torrent. Elle souligna la difficulté d'être une femme, tenue à agir comme un homme avec la grâce d'une jeune fille et la force d'un cheval. Que Zouzou se rassure: elle nous a démontré qu'il n'est point nécessaire d'être un homme pour bien agir, que de la femme elle a la grâce et tout le reste, et que du cheval seule demeure l'amazone ... Après les compliments traditionnels de la prési­dente aux compagnon, amis, commissaires et officiels, sans oublier à la secrétaire perma­nente Régine(« elle n'est pas seul~ment lamé­moire de la Conférence, elle est le cœur qui bat au côté du président » ), le nouveau président,

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Michel Claise, entama son discours d'investi­ture en notant fort pertinemment qu'il était le premier président de l'histoire à hériter non d'une belle-mère mais d'un beau-père. Para­doxe de la langue (masculine) française ... · Il rendit hommage à Guy Uyttendaele, très ému, à qui il dit devoir tout. Il remercia aussi vivement François Glansdorff et Olivier Col­lon, son présentateur. Il nous dévoila son pro­gramme, nous promettant des débats déjà allé­chants sur 1' affaire Dreyfus, un siècle après, et sur l'histoire de l'univers avec ce génial et ini­mitable Hubert Reeves. Nous vivrons égale­ment un procès fictif, et nous nous promène­rons dans . les sites merveilleux et escarpés du Chili entre les 18 fév:rier et 6 mars prochains. Et puis, il y aura des surprises, bien sûr ... L'heure est alors aux candidats directeur et ora­teur, et au jeu de leur présentation. Qu'il me soit permis de regretter, à ce stade, qu'il n'y ait pas eu de compétiteurs, ce qu'on ne répétera jamais assez, car cela ôte évidemment beau- · coup du sel à l'exercice. Les présentateurs n'en ont, eux, et par conséquent, que plus de mérite. Le mystère régnait sur le Palais depuis des mois : qui donc, mon cher Watson, allait pré­senter Pierre Beretze, au poste de directeur de la Conférence ? Les supputations allaient bon train, on observait les faits et gestes de chacun, on tentait de repérer des indices. Rien ! Rien ne filtrait ! On avait certes remarqué dans 1' assis­tance, sagement assis, un ancien préside~t, ami du candidat, et qui pour une fois portait ses petites lunettes rondes et dont la mère était présente. Mais ce ne pouvait être lui. On n'est pas présenté par son associé ! Yves Oschinsky, pourtant, à la question tradi­tionnelle de la présidente «Quelqu'un de­mande-t-illa parole?» se lève, prend sa petite

- mallette noire et s'avance, débonnaire, vers la tribune. La solution de l'énigme était là, sous

Et zou et zou ! Revue du 19 juin 1993 du Jeune barreau de Bruxelles.

A quoi sert-il de faire la critique d'un spectacle qui ne connaît qu'une représentation? Il est trop tard pour rameuter les foules, trop tard aussi pour les inviter à rester à la maison. Ecrira-t-on pour les absents, qui trouveront la plume obscure, ou pour ceux qui en furent et qui la jugeront subjective et partiale ? N'écrirait-on que pour les auteurs (anonymes) et les interprètes (ah, mignonnes), désireux de ~avoir si leur petit couplet a, plus que d'autres, retenu l'attention? Postulons qu'on n'écrit pour personne. Un cri­tique sans lecteurs est un critique sincère.

* * * «Et zou et zou», qu'est-ce à dire? Pendant les trop nombreux quarts d'heure qui séparèrent le

notre nez, depuis des mois, et nous ne 1' avions pas trouvée. Ce moment de surprise - et de soulagement, Pierre Beretze allait quand même être présenté - passé, on a appris que le candidat aurait pu s'appeler Beretsky, allusion stellaire à ses ori­gines, ce qui n'aurait pas manqué d'apporter encore plus de style dans le ciel sans nuage de leur association. On fut également ravi de sa­voir que le candidat avait publié ... un Code-de déontologie, signe avant-coureur de l'homme et de l'avocat, même s'il concerne la seule éti­quette golfique. Le ton était alerte, la voix claire et chaleureuse, et le discours volontairement tourné vers la dérision, voire l'auto-dérision, arme absolue des gens heureux qui n'ont pas besoin de parler d'eux en termes convenus, tant leurs qualité et personnalité sont connues. C'est Xavier Magnée qui présenta le candidat orateur, Me André Risopoulos, aidé en cela par un très volumineux dossier d'audience, dont il sortit de nombreuses pièces à 1' appui de sa défense laquelle, faute de combattants, se ré­suma à une brillante et drôle démonstration. Le bâtonnier rappela fort à propos que des li­gnées de gens qui n'ont pas été élus au discours de rentrée, présentent lors de l'assemblée géné­rale élective ceux ou celles qui le font. Et de rappeler, coïncidence du destin, que son patron, le bâtonnier Van Pé, se trouvait dans la même situation lorsqu'il présentait Basile, le père du candidat. ·

On entra ensuite de plain-pied dans l'intimité du candidat et de sa famille, lorsque le bâton­nier donna lecture de bafouilles d'un adoles­cent souffrant véritablement de ses vacances d'hiver à la montagne, et s'impatientant de réintégrer le cercle familial pour s'adonner à des choses plus sérieuses que sont la lecture et le piano. Moment d'émotion intense, aussi,

moment où il fut prié d'être là et le lever de rideau, le critique se berça de ces onomatopées. Il finit par espérer que le spectacle serait médio­cre afin de pouvoir évoquer « la pelle du 19 juin», placer« plus on est·de zous, moins on rit», et conclure par un bien sec « et zou et zou et zut!».

Son espoir fut déçu; le spectacle était de qua­lité. Sans doute n'y avait-il pas de vitriol (sauf pour ceux que le barreau unanime imagine déjà dans un bocal) et peu de grandes choses. Le bruit a marché (rares sont les bruits qui courent) que l'actualité judiciaire, loin d'inspi­rer la Revue, l'avait dépossédée cette année d'une part de ses textes. Consciente que la grande évasion ne prête pas à rire lorsqu'elle est la dernière, la Revue n'aurait pas voulu s'aven­turer sur une corde raide... · «Un seul être vous manque et tout est dépeu­

. plé », concluront ceux pour qui cette actualité eut pu apporter le sel dont la Revue manquait.

* * * Mais si ce millésime manquait de tanins et d'acidité dans ses thèmes, l'on en gardera néan­moins le souvenir d'une structure plaisante, par sa fraîcheur et sa légèreté. S'il est des revues où les vedettes tiennent les cœurs, ce sont ici les chœurs qui tenaient la vedette. Il y eut de nouvelles têtes et quelques

quand Me Magnée évoqua la rencontre amou­reuse de son candidat et de Me Françoise Rog­gen, ex -oratrice, dont 1' oreille attentive et amu­sée qu'elle tendait au fer à cheval n'aura échappé qu'aux distraits, s'il y en avait. Rog­gen-Riso: aeux airs ou« 2 R »synonymes de réussite et de réunion au présent du passé sim­ple et du futur proche du discours de rentrée. Quant au sujet de l'orateur, il est à ce jour jalousement conserv~. ·

Des salves d'applaudissements ponctuèrent à chaque fois ces deux présentations, au cours desquelles, je l'avoue, j'ai souvent ri ou simple­ment souri, signes d'un humour et d'une bonne humeur qui ne trompent pas.

C'est donc à une assemblée amusée que l'on proposa de procéder à 1' élection - la seule du jour- des commissaires destinés à remplacer les sortants, et où se présentèrent six candidats porrr cinq places vacantes. Le tremplin de la revue se révéla à nouveau déterminant. Virgi­nie Vandenputte · obtint 157 voix sur les 158 votes valablement exprimés (160 votants, 2 bulletins nuls ou blancs), suivie de très près par Emmanuel Cornu, par ailleurs prix Janson, 156 voix et par Vinciane Thomisse, 154 voix. Le sirocco de la revue passé, Laurence· De Bauche obtint 145 voix et Alain Bouton compléta le tableau avec 121 voix. Harol<l Wouters obtint pour sa part 57 voix et annonça souriant et nullement déçu qu'il faudrait sans doute comp­ter avec lui l'année prochaine. Acclamés, élus et électeurs, se retrouvèrent en-

1 9. 9 3 fin, à une quarantaine, sur la terrasse du « Petit

Puyc·e· lsi »,et contemplèrent dans l'amitié et la -) sympathie ce Palais gigantesque et écrasant où 11 venait de se jouer cette pièce désormais clas-sique, où les absents ont plus que jamais tort. Rendez-vous est pris dans douze mois.

Eric BOIGELOT

nouvelles jambes, qui ont l'avenir devant elles, et qu'il sera donc toujours temps, demain, de nommer. Dans ce spectacle très musical, les sketches furent bien davantage que des entractes sans alcool ni tombola. L'on se souviendra long­temps encore de la version 1993 de la terreur du canton. L'on vit aussi repoindre l'éternel dé­crié, je veux dire l'accent bruxellois. Il fut par­faitement reçu, par un public qui sait (une fois) distinguer l'accent qui ne sert qu'à cacher l'in­digence d'un texte de l'accentservi par un texte de qualité. L'autre accent bruxellois, celui de Saint-Gilles, connut également ses airs de gloire, dans un «Parvis je t'aime, parvis je t'adore» très mous­sant. Beau succès encore pour une belle idée : être tous en scène pour chanter l'hommage à celui que tous aimaient. Faut-il détailler davantage le programme, au risque d'en oublier d'aucuns, et d'aucunes, qui ne le mériteraient point ? Laissons plutôt à ce spectacle son premier charme et sa première cohérence, qui furent d'être un spectacle col­lectif. Ils chantèrent bien. J'en suis fort aise. Qu'ils dansent maintenant.

Et zou! Daniel de CALLATAY

··è_I:t11ournal d -fr'' .b es :lfn unaux

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)2~

Le. bâtonnier Robert Li biez.

Robert Libiez est mort à soixante quinze ans; comme Socrate dont le destin formait la trame et le souffle du si beau discours. de rentrée qu'il avait prononcé le 22 novembre 1952 :L'impos~ si ble. innocence.

Notre admiration l'a entouré de son vivant, no­tre chagrin 1' a accompagné en ce Samedi de mai où la plus belle nature lui faisait la haie dans les chemins étroits et cahoteux d'Ohain qui mè­nent au petit cimetière perché, là...:même où, voici vingt-cinq ans tout justes, nous portions en terre Marcel Janssen, notre dauphin, mort au seuil de son bâtonnat. ·

Que de vert, que de fleurs, que d'odeurs, de douceur sous le soleil. J'accomplis ici le devoir d'une amitié qui passe de loin ledemi-siède.

Celle du camarade d'études à l'U.L.B.~ du com­pagnon du Jeune barreau, de la vie même de notre métier: Paul Demoulin, AndréVogel, lui et moi, nous nous étions baptisés les trois mous­quetaires, mais je poumiis me tourner, comme si c'était hier, vers Marcel Slusny, Fernand Stampe, Louis Bertaux, René Urbain, 1Jean Mardulyn, vivants ou morts et tant d'autres que j'oublie, amis d'ici et de Hainaut, pont de lan­gue et de culture, dont Robert Libiez incarnait si bien la richesse et l' édat, en faisant comme à la parade, rouler l'inimitable rocaille de son accent borain.

Exegi monumentum ~· Robert Libiez était beau~ D'imaginaires ascendances espagnoles justi-

Vu l~équité.

Le dispositif d'un jugement rendu le 13 mars 1990 par le tribunal de première instance de Bruxelles (cf. Lettre du.barreau de ·Bruxelles, févr. 1992, p. 208) s'ouvre par un double vu.

Le premier concerne la loi du 15juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

"·.:u:ll:ournal d~·1Ucribll.nau:x:

fiaient cette. silhouette élancée, ce visage long tonnat lui viendraient puisque, simplement, il et mince et cette grâce native qui faisait de lui en était digne. ~n j?~eur de tennis . e~ . ?e g;olf. naturellement 11 avait appris de Me André Mussche, dont il fut ~spue. Sans doute avalt-Il~altdela cross~, t~u! longtemps le collaborateur, une tournure du JeUIJe, dans la campagne~!es ?eDo~r, _maiSJ a1 monde qui le servit. Comme aussi l'art d:une to~Jours c~ qu~ le ~on, 1 mn,e ~ommai~ntchez certaine distance et le discernement du co-

. lm comme Ils 1. avment emporte pour 1. amener-. --mique des choses : ceux \qui les connurent en-au barreau. semble se souviennent de grands moments ho-Je sais trop que cette profession difficile s'eni'" mériques. · ·. vr~ souvent de l'enc~n~ qu'elle répand sur elle- Robert Libiez n'étaitpas enfermédans le droit. meme dans une fatmte lassante. . . . Amoureux. évident. des classiques, il a beau-Mais comme elle est aujourd'hui. l'objet de couplu Malraux, Camus et,jusqu'à sa fin, Mar-sottesinjures d'hiérarques transitoires, il n'est guerite Yourcenar. En poésie, en revanche, sa pasinutile de dire pourquoietcomment lebâ- passion d'une langue riche et sonore le portait tonnier Libiez en incarnait la plus hautevertu. vers les Parnassiens et les·Symbolistes, encore Jusqu'à. sa. fin,. pendant cinquante années, il a qu~ Roger Lallemand·~ eu 1~ joie de 1' amen_er à servi. Ce qui veut dire pratiquer le droit et Sa~nt Joh? Perse et. qu ~:m.se ~oute pourql!m.les d'abord le connaître, mettre derrière chaque poemes a Lou lm fa1sa1t mmer Apollma1re. dossier l'armature de siècles de raison et de Mais le fond intellectuel qui complétait sa sciences juridiques, . donner vie . à une affaire grande puissance d'analyse· et de raison judi-civile ou pénale, commerciale ousociale,appli~ ciaire, plongeait sans la philosophie. · quer ~es _princip~s, convaincre un juge, apporter Tout le discours . sur .. l'Impossible innocence la paiX a son chent. tourne autour de cette réalité : Robert Libiez Robert Libiez était ·le scrupule même; Et ··de était un anxieux. Non de petites interrogations. n'être jamais complaisant l'amenait à coup sûr Mais l'essentielle tenaillait. Comment ne pas à cette forme d'intransigeance qui fait soupirer \ payer du plus dur prix la révolte, l'opposition, l'adversaire: ce n'était guère aisé d'escrimer la lutte contre le mal ou le pouvoir injuste. avec un avocat. aussi doué de· surcroît pour la Comment maintenir la justice cap au. bien ? c,c:mmunicat~on verbale, lavra_ie, PtlS seulement Ce prix c'est la niort. . Cette navigation c'est 1 eloquence a manches envolees. notre difficile devoir. Exigeant pour ceux qui travaillèrent avec lui : les plus intimes d'abord, son fils, notre confrère Patrice Libiez qui sait ce que c'est de mériter un prénom· à cette altitude, sa fille Christiane qui était si proche de son pète. Mais c'est de son collaborateur de près de trente ans, Me Pol Gi­gon, l'image même de la loyauté .fidèle et sûre que je retiens le plus ·haut éloge: il n'y avait rien qu'il exigeât de nous qu'il ne se fût aussi demandé à lui-même.

Robert Libiez avait suivi le chemin des hon­neurs professionnels sans brigue inutile et sans la moindre vanité. Il savait que le discours. de rentrée, .la présidence du Jeune barreau, le bâ-

Celle-ci impose eh effet, à peine de nullité, son invocation en toute décision judiciaire, comme si elle était à ce point fondamentale. Dura lex, sedlex.

Le second . est au contraire rarissime : vu l'équité, soit~il ou non un motif.

L'équité· serait -elle devenue· un principe · géné-­ral du droit, alors que Duguit · enseignait qu'« une règle légale peut ne pas être conforme à l'équité>>? Plutôt que de sortir imprudem~ ment de nos plates.;.bandes; conseillons la con­sultation de la récente Introduction à l'étude du droit, d'Etienne Cerexhe (Bruylant, 1992, p. 457) (*), et bornons.;. nous ensuite à nous de-

(*) bont le titre est identique au traité de H. Bekaert, paru en 1964 chez le même éditeur.

Robert Libiez, il faut le dire, est parti en se battant · depuis des années contre les cruautés répétées de la maladie et la ciguë de Socrate avait été plus. brève. -Mais. quel avocat, quel homme.!

Puis-je, à mots feutrés, finir ces lignes en sa­luant celle qui a; à ce chevet de douleur et de courage, maintenu·jusqu'aU bout la lampe de l'espoir, cette image même de la beauté, Mme Libiez, que ses amis appellent Lou, comme. ils disaient Bob, et lui dire comme à ses enfants la part que nous prenons à sa peine et notre pro­fonde affection.

B.J. RISOPOULOS

mander si vue n'était pas préférable à vu. La réponse dépend, en grammaire pure, du choix entre «ayant vu l'équité» et « l'.équité étant vue·» .. Mais Grevisse. a résolu le problème en énonçant que «l'invariabilité est de règle pour les participes vu, attendu, excepté, compris, qui jouent plus ou moins le rôle de prépositions ». Ce. n'est que «s'ils sont postpos~s (que) ces participes. s'accordent habituellement». La grammaire de l'Académie française enseignait déjà que certains pélrticipes, tel vu, restent inva.,. riables quand ils précèdentle· nom, et s'accor­dent avec lui quand ils le suivent.

D'accord donc sur vu . . Mais, Vu Duguit, De Page, Bekàert, Cerexhe et combien d'autres, méfions-nous, en droit du moins, de l'équité, lorsqu'elle n'est pas prév'ue par la loi.

TERTIUS

Page 21: ournal des ri bunaux - KU Leuven

Entretien avec Me Pierre Legros, bâtonnier de l'Ordre français de Bruxelles.

J.T.- L'affaire Haemers a été à plus d'un titre, un révélateur de problèmes récurrents de 1' organisation judiciaire (composition du jury, choix peu heureux du calendrier, lenteur de l'instruction, ... ). Elle a aussi réveillé- à l'oc­casion de certaines déclarations du ministre de la Justice- un malaise- quelque peu lanci­nant d'ailleurs- quant au rôle de l'avocat non seulement dans le procès pénal mais aussi dans la vie de la cité elle-même. Mais reprenons, si vous le voulez bien, les choses dans un ordre un peu chronologique. Il y eut d'abord cette allu­sion de M. Wathelet'au mode de paiement des avocats des prévenus dans le procès. Nous y avons fait écho (J.T., 1993, p. 364) et écrit ce que nous en pensions. En vérité, peu de bien. Vous-même, de votre côté, avez réagi énergi­quement et fait part au ministre, lors d'une entrevue avec le doyen de l'Ordre national, de la protestation du barreau de Bruxelles et des barreaux en général.

P.L.- Eh effet. Il ne faudrait pourtant pas se méprendre sur le sens de cette intervention. L'avocat n'entend pas- comme d'aucuns ont pu le dire ou le penser à cette occasion - dès qu'il est mis en cause, se draper dans une di­gnité outragée ou revendiquer, par rapport aux autres citoyens, une quelconque immunité. Mais, à tout le moins, peut-il bénéficier d'un traitement égal à celui des autres citoyens. Plus précisément dans ses rapports avec le ministre qui a en charge l'organisation du service public de la Justice, peut-il espérer un appui et ~ne collaboration constructive. Ceux-ci ne lui ont manifestement pas été assurés en l'espèce. Sur un plan plus général, j'estime que le rôle d'un ·ministre de la Justice ne consiste pas à amplifier dans l'esprit du public, certaines rumeurs défa-vorables à propos de l'avocat, rumeurs qui ré­sultent souvent de la pauvreté de l'information de ce public, mais à tenter- comme c'est je crois, le devoir et la responsabilité morale de tout homme politique- de dissiper les ambi­guïtés persistant chez une population insuffi­samment avertie.

J.T.- Pouvez-vous donner un exemple précis?

P.L.- Assurément. Le public se demande no­tamment comment l'avocat est payé- et d'où proviennent les fonds - dans un procès comme celui d'Haemers et dans d'autres procès pénaux. Contrairement à ce que M. Wa­thelet a laissé croire de manière malsaine, les avocats ne sont nullement exclus de la législa­tion relative au blanchiment de l'argent. Elle concerne bien tout citoyen pèrcevant des fonds dont l'origine serait suspecte. Il est donc certain que si 1' origine des honoraires perçus par 1' avo-

cat devait apparaître comme douteuse, le par­quet aurait à prendre ses responsabilités. D'au­tre part, rien n'interdit à l'avocat de plaider gratuitement et l'on ne peut, sur ce plan, lui faire un procès d'intention, même si l'on doit convenir que ce genre de procès procure aux avocats intéressés une publicité réelle. En ré­sumé, tous ces problèmes méritaient certaine­ment des propos plus nuancés que ceux que le ministre de la Justice a cru pouvoir tenir au sujet des avocats du procès Haemers. En outre, l'écart de conduite ayant été commis, il eût été simplement convenable, selon moi, que le mi­nistre de la Justice s'èxcusât à l'égard d'une profession ·qui remplit un rôle exemplaire et unique dans le ~adre du service public rendu aux justiciables alors que précisément, l'Etat reste gravement défaillant. Je regrette donc que le ministre de la Justice lui-même ait préféré jouer vis-il-vis cle l'opinion publique un rôle plus démagogique que pédagogique, alors que c'est ce dernier, je crois, qui peut être légitime­ment attendu de lui.

J.T.- Qu'en est-il des rumeurs selon les­quelles un membre du barreau aurait informé le parquet qu'il était au courant du projet d'éva­sion d'un ou de plusieurs coprévenus de Hae­mers ? Je rappelle, à l'attention d~ nos lecteurs, qu'un quotidien avait titré dans une édition du 5 mai dernier : « Un avocat savait... » « Le bar­reau était au courant des projets d'évasion!»

P.L.- Selon un interlocuteur anonyme, qui se dit proche de l'enquête judiciaire, interrogé par un journaliste de La Dernière Heure, les auto-: rités de l'Ordre auraient été averties par un avocat, de la préparation, à la prison de Forest, d'un plan d'évasion qui risquait de mettre des vies humaines en péril. .

, Si un avocat peut, ou doit, se confier à son bâtonnier lorsqu'il apprend des menaces aussi graves, c'est en vertu d'une hiérarchie des va­leurs selon laquelle le respect de la vie prime d'autres considérations. En l'espèce, il est évident qu'une confidence de cette nature n'a pas pour but de révéler au . bâtonnier l'identité du client qui se confie à son avocat mais elle vise d'abord à éviter un péril grave et imminent. Il est donc tout à fait inexact de titrer dans un journal que «le barreau» était au courant des projets d'évasion. J'ai aussitôt adressé une lettre de mise au point au rédacteur en chef de ce journal en lui rappe­lant les principes qui sont à la base de notre éthique. J'ai, enfin, dénoncé ces faits qui sont révéla­teurs d'une infraction dans le chef de cet inter­locuteur anonyme, à M. le procureur général, qui a bien voulu me dire combien il regrettait que sous le couvert de l'anonymat une per­sonne qui semble être proche des milieux judi­ciaires se livre à des déclarations qui sont de nature à jeter le discrédit sur l'honneur de l'Or­dre des avocats comme d'ailleurs sur l'honneur de tous ceux qui ont pour mission de faire œuvre de justice. · Il est tout aussi regrettable que des journaux se prêtent à répandre dans le public des informa­tions de ce genre.

J.T.- Les avocats de Haemers - et certains autres au demeurant - ont, après le suicide de leur client, tenu une conférence de presse et c:_ertains de leurs propos ont heurté tarit l'api-

nion que plusieurs de leurs confrères. Présenter un prévenu- certes présumé inp.ocent- d'at­taques à main armée ayant entraîné la mort de plusieurs personnes, comme doté de véritables qualités humaines, n'est-ce pas précisément contribuer à entretenir un certain malaise quant aux rapports des avocats avec leurs clients pré­venus?

P.L.- Votre question appelle, je crois, cer­taines mises au point. Tout d'abord, sur le plan des principes, l'avocat est libre de communi­quer à l'opinion publique, sous sa propre res­ponsabilité, des informations rectifiant cer­taines informations qui ont été données par le parquet. L'intérêt individuel trouve ainsi le droit de s'exprimer et d'être défendu comme l'est par le parquet l'intérêt collectif. Quant à l'avocat, il estr normalem~nt le mieux placé pour fournir lesdites informations et 1' on ne peut en théorie le blâmer ou faire taire sa voix.

J.T.- Votre préoccupation paraît légitime, mais n'y a-t-il pas néanmoins un devoir de réserve pour 1' avocat, particulièrement dans des circonstances comme celles qui sont ici évoquées?

P.L.-:- Je sais que certains propos tenus par des avocats à la suite du décès de leur client ont pu paraître choquants, dans la mesure où l'opi­nion publique, à juste titre, songe d'abord à la douleur des victimes. Je conçois parfaitement que devant cette dou-leur, le silence s'impose, ·

Mais je voudrais dire aussi qu'à la suite de cette conférence de presse, j'ai demandé aux avocats qui y participaient de me fournir une copie du texte qu'ils avaient préparé et qu'ils ont lu. J'ai dû constater que les phrases extraites de cette communication ne reflétaient pas l'esprit de celle-ci, beaucoup plUs nuancé et plus res­pectueux de la mémoire des victimes. Ceci illustre cependant le danger pour quicon­que de s'exposer publiquement sans avoir la garantie que ses propos seront fidèlement ré­percutés.

Propos recueillis par

B. V AN REEPINGHEN

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iLAROER ouro al

des··.· ri bunaux

1993

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Page 22: ournal des ri bunaux - KU Leuven

1993

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Nadine Watté: Les successions internatio­nales - Conflits de lois - Conflits de juridic­tions, Répertoire notarial. - . Larcier, Bruxelles, 1992, 243 pages.

Le tome XV du Répertoire notarial est consa-- cré aux successions internationales. Le lecteur

connaît la qualité de cette collection, colillne celle des travaux de l'auteur, qui y avait déjà excellé à propos des régimes matrimoniaux. Le travail est complet, précis, guidé par un souci constant de clarté et d'aide au praticien. Son ampleur s'explique par le nombre d'illustra­tions jointes à l'exposé de la théorie. L'intérêt du travail ne se limite pas pour autant à celui d'un simple manuel. Les références au

« Tijdschrift voor privaatrecht », 4e trimestre 1992.

Ce numéro contient d'abord deux exposés in­troductifs à une réflexion de droit comparé sur les formules juridiques analogues au « trust » anglo-saxon. Me Eisma décrit pour les Pays­Bas quatre «figures», toutes caractérisées par le fait que le titulaire d'un bien (au sens large de ce terme) s'engage vis-à-vis d'un tiers à (rece­voir et à) détenir ce bien pour ce dernier qui en est ainsi le« propriétaire économique»: lacer­tification de biens (créances, actions, biens im­mobiliers), les fonds communs de placement, les comptes ouverts par un notaire pour compte des parties à une vente, l'ancien système de certificats d'actions émis pour séparer les por­tefeuilles des clients des banques et les patri­moines de celles-ci. La suite de l'étude traite notamment de 1' éventuelle nécessité de modi­fier le droit néerlandais pour permettre la ratifi­cation de la Convention de La Haye sur la reconnaissance des trusts. Traitant la question pour la Belgique, M. H. Swennen s'attache à y décrire les situations analogues : les certificats émis en représentation d'action de sociétés étrangères, la certification d'actions par un « administratiekantoor » néerlandais, les certi­ficats immobiliers, les fonds communs de pla­cement, les comptes « tiers » et analogues, « 1' effectisation » des créances, la gestion de patrimoine. Dans ses considérations générales, l'auteur plaide pour une reconnaissance légale de la relation fiduciaire.

<'~~: ournal d~ ·i~icribunaux

droit comparé et à la doctrine en font partie intégrante. Surtout, l'auteur n,'hésite pas à trai­ter des éléments de théorie générale dont l'inté­rêt dépasse largement la matière successorale, tels la détermination du domicile, la question préalable et le concept préjudiciel, la qualifica­tion, le renvoi, l'ordre public et la fraude à la loi, auxquels des sections spécifiques sont con­sacrées. L'ouvrage comprend deux parties, consacrées respectivement aux conflits de lois et aux con­flits de juridictions. La partie consacrée aux conflits de lois reprend la distinction traditionnelle entre la détermina­tion de la loi applicable et l'analyse du domaine de cette loi, c'est-à-dire de la liste des points de droit régis par cette loi. Cette méthode permet une présentation fouillée et complète' de l'en;.. semble des questions d'intérêt direct ou indi­rect pour la matière, ce qui comprend non seu­lement les règles sur l'ouverture ou la dévolu­tion, mais aussi la transmission et l'administra­tion des biens ainsi que le partage. L'auteur n'hésite pas à comprendre dans l'analyse l'exa­men de maints conflits de statuts, répartissant les titres respectifs de la loi successorale, de la loi personnelle, de la loi du divorce ou de la loi du régime matrimonial.

M. Jan Van de Velde examine la responsabilité du pilote dans l'affaire soumise à la Cour de cassation le 15 décembre 1983 et critique la solution adoptée en analysant les traités de 1839 et 1842 entre la Belgique et les Pays-Bas ainsi que le règlement sur l'Escaut de 1843 et le traité sur l'abordage de 1910. Il commente en­suite les lois belges des 30 août 1988 et 11 avril 1989. Suit une étude de synthèse par M. Freriks sur les obligations de s'informer et d'informer dans le .droit des contrats. L'étude distingue entre la phase précontractuelle et la phase contractuelle pour analyser chaque fois l~s fondements possi­bles de ces obligations : les éléments constitu­tifs de l'offre et de l'acceptation, les vices du consentement, la culpa in contrahendo, d'une part, l'obligation d'informer comme oblîgation principale ou obligation accessoire, d'autre part. Les conditions et les limites d'application de chacun de ces fondements sont décrits. Pro­cédant aussi à quelques commentaires législa­tifs, 1' étude estime pouvoir résumer la matière en concluant . que le devoir d'informer com­mence là où cesse l'obligation de se renseigner soi-même. Près de deux cents pages sont ensuite consa­crées à une chronique de jurisprudence (1977-1990) sur les privilèges et hypothèques, due à la plume de M. Pieter Heurterre. Elle s~ouvre par l'étude de la publicité des actes (premiers articles de la loi hypothécaire). Les deux parties consacrées respectivement aux privilèges et aux hypothèques suivent le plan habituel : notions générales et règles particu­lières. Les références, d'ailleurs abondantes, documentent utilement le chercheur, y compris sur les divergences d'opinions. Une fort belle somme d'une matière ardue. Notons enfin que ce numéro est accompagné de l'annonce d'une nouvelle revue en trois langues (anglais, allemand et français), la Revue euro­péenne de droit privé, visant à 1' analyse compa­rative du développement du droit privé dans la Communauté économique européenne.

Fernand de VISSCHER

On note que la partie consacrée à la désignation de la loi successorale s'étend à une présentation de trois instruments internationaux non en vi­gueur en Belgique, la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur l'administration interna­tionale des successions, la Convention de La Haye du 1er aoûU9B9 sur la loi applicable aux successions à cause de mort et la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance. L'ab­sence en droit belge de toute disposition rela­tive au trust milite en faveur de la ratification de la Convention qui a cet objet.

La partie consacrée aux conflits de juridictions est plus succincte que la précédente. Il est vrai que la juri~prudence en la matière est peu abon­dante. L'exposé ne montre pas moins les incer­titudes subsistantes, notamment au sujet, des actions immobilières, et l'auteur dénonce les inconvénients d'un morcellement des compé­tences lié au critère du lieu de situation.

L'ouvrage est complété par la reproduction des textes législatifs et conventionnels pertinents ainsi que par de merveilleux tableaux synop­tiques qui constituent un mode d'accès très effi­cace à la matière.

Marc FALLON

i PETIT. COURRIER . DU CODE I~ÉNOVÉ)

Le référé civil au tribunal de première instance de Bruxelles. Une audience comme une autre, semble-t-il, c'est-à-dire très encombrée, de cette fin du mois .d'avril. En majorité des af­faires de droit familial, donc communicables au ministère public. Milieu de l'audience. Le pré­sident fait le point de son rôle. Quelques plai­deurs- dont l'at-faire n'est pas communicable -s'inquiètent du sort de celle-ci. On est vite fixé : ce sera la remise à plus tard. Mais plus tard est déjà largement embouteillé comme en témoignent les demandes de remise à de pro­chaines audiences. Alors ? Alors ce sera néan­moins la remise. Oui, mais que devient dans ce cas l'urgence? Oubliée! A l'impossible, nul n'est tenu, le président n'est pas un surhomme et il a des charges autres que celle du référé d'audience. Que conclure de cet épisode apparemment ba­nal ? Le ministre Wathelet qui - à tort ou à raison, seule l'expérience l'apprendra-:- a fait grand cas de «sa» rénovation du Code judi­ciaire, se préoccupe-t-ille moins du monde de la situation sur le terrain ? Plutôt que d'ironiser sur le sens du service des avocats dans l'assis­tance des indigents, ne pourrait-il songer que ses beaux textes sur les débats succincts notam­ment, resteront quantité négligeable si l'organi­sation efficace du référé - dont on connaît l'importance croissante dans la vie judiciaire actuelle-n' est pas mieux assurée. A quand un dédoublement du référé en confiant, par exem­ple, à un autre magistrat, toutes les affaires non communicables ?

Page 23: ournal des ri bunaux - KU Leuven

Femme de l'année.

Créé sous les auspices du Conseil des. femmes belges, le prix« Femme de l'année» a célébré le 17 juin son dixième anniversaire.

Ce prix décerné par un jury de journalistes est attribué chaque année à la femme (ou le gr01,1pe de femmes) qui par son (leur) action a (ont) le mieux contribué à favoriser la promotion des femmes ou leur insertion dans le monde poli-· tique, économique et social.

Rappelons que c'est Mme Véronique Ancia qui a été désignée Femme de l'année 1993. Juge d'instruCtion à Liège depuis 1988, elle traite les dossiers délicats que l'on sait avec une totale indépendance et une farouche volonté d'abou­tir.

Si Mme Ancia a voulu souligner que le prix honorait l'ensemble de la magistrature, nous tenons à lui dire que nous sommes heureux que ce soit à travers elle qu'ait été reconnu le rôle si important du travail judiciaire dans une société en mutation.

Nos universités à l'honneur.

L'Université de Liège, l'Université libre de Bruxelles et l'Université de Gand se sont toutes distinguées au concours René Cassin qui a lieu chaque année à Strasbourg.

Ce concours, calqué sur le modèle de Moot Court américain, consiste en un procès fictif devant la Cour européenne des droits de l'homme. Chaque université doit présenter deux mémoires, l'un en faveur du.· requérant, l'autre en faveur de l'Etat défendeur. Elle doit ensuite aller défendre ces mémoires contre les équipes de deux autres universités.

. Les principales questions débattues cette année étaient les suivantes: un Etat peut-il être tenu responsable pour les actes d'organes d'une or­ganisation internationale, et, d'autre part, uh individu peut-il se plaindre au regard de la Con­vention de la violation de ses droits écono­miques?

L'année 1993 a vu s'affronter trente-huit équipes venues de toute l'Europe et même du Canada. L'Université de Gand s'est classée neuvième, l'Université libre de Bruxelles, fina­liste contre l'Université de Liège, s'est classée seconde. L'Université dç Liège, représentée par Eric Thibaut, Frédéric Frenay, Benoît De­brus et Joël-Pierre Bayer, lauréate de l'épreuve, a aussi remporté le prix des meilleurs mémoires et le prix du meilleur plaideur, attribué à Benoît Debrus.

De l'éducation rénovée !

La séance du 29 avril dernier du conseil de la Communauté française sera-t-elle marquée d'une pierre blanche? Tout le laisse penser. L'honorable M. Liesenborghs y a, en effet, posé au très médiatique Elio Di Rupo, ministre de l'Education, une question cruciale qui illus­tre bien l'importance des discussions de ce pré­cieux conseil pour 1' avenir de nos enfants : «Quelles suites le ministre a-t-il réservées aux conclusions du conseil de l'éducation et de la formation et, en particulier, au rapport intitulé « De la pédagogie du lézard à la pédagogie du kangourou ? ». «On se croirait au jardin extra­ordinaire » s'est exclamée Mme De Galan, «l'honorable ministre-membre» de l'exécu­tif ? Cette intervention semble avoir distrait le ministre Di Rupo de.sa réponse à cette question précise s'il en est. La discussion s'est, en effet, '· portée sur d'autres aspects. Moins distray<l:nts -convenons-en- de l'école fondamentale. Qu'à cela ne tienne, l'honorable M. Liesen­borghs a incontestablement touché du doigt un aspect de la pédagogie sur lequel on aimerait, à l'avenir, coimaître son point de vue et celui de M. Di Rupo. Affaire à suivre.

«Travaillez, prenez de la peine ... ».

On apprend qu'un groupe d'aventuriers s'est employé, pendant treize ans, à exhumer au large de la côte est des Etats-Unis le contenu de l'épave du «S.S. Central America», qui a coulé en 1857, et dont les cales contenaient de l'or, pour une valeur de 33 milliards de francs belges.

Un jugement récemment confirmé par la Cour . suprême des Etats-Unis, a décidé que ce tré­sor revenait aux compagnies d'assurances qui avaient pris le navire en charge à 1' époque, et avaient dédommagé 1' armateur pour la perte de la cargaison.

Certes, les règles de la subrogation sont ce qu'elles sont, et les compagnies d'assurances sont apparemment éternelles. On veut croire cep~ndant qu'un modeste salaire aura pu être versé auxdits aventuriers, qui sans cela devront se dire qu'ils auraient mieux fait d'aller à la pêche à la ligne : au moins le poisson pêché leur aurait-il appartenu ...

Le moyen âge à Tongres.

Le Vrijthof de la cité d'Ambiorix en a vu. d'au­tres. Les avocats du cru aussi. Mais une cin­quantaine de ces derniers sont venus, fin mai,

. dire en toge du premier que trop « is te veel». Les chefs de corps étaient également présents, robe absente. Aucun ne s'est plaint d'un sur­croît de travail mais bien des conditions dans lesquelles ils devaient le fournir au Palais de justice.

Celui-ci, édifié en 1841, fut déclaré insalubre voici 60 ans. Il l'est encore. Justiciables, magis­trats, greffiers et avocats tentent vaille que· vaille d'y vaquer aux affaires en craignant son effondrement. Le concierge; entouré d'ar­chives, y vit dans un grenier alors que les ser­vices des pompiers le lui interdisent. Les dos-

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siers peuvent être consultés dans un réduit. Des sacs poubelle tiennent lieu de séquestre. Des bâtiments annexes ci et là forment un simili­substra.

Comment concevoir que justice sereine puisse être ainsi rendue ? C'est le cri lancé par les toggeurs de Tongres ainsi que le nôtre. Sera-t-il entendu?

Erratum, errata.

Précieux document s'il en est que le Moniteur belge ! N'apporte-t-il pas sa manne quotidienne de lois et règlements qui nous réconcilient avec la syntaxe et les bons préceptes d'un certain Boileau? S'il n'y avait les «errata» ... Oui, l'emploi du pluriel s'impose hélas. Il s'impose même tellement que notre journal offiCiel, sou­cieux de clarté et de cohésion sans doute, n'en­tend pas disséminer ses « errata ». Ainsi vient-il de consacrer son numéro entier du 2 juin 1993 aux erreurs commises lors de la publication de la loi du 22 mars 1993 relative aux statuts et au contrôle des établissements de crédit. On n'a pas fait ce numéro . spécial pour rien. Parmi quatre pages entières d'errata, nous avons ex­trait quelques-unes des perles les plus significa­tives. Qu'on en juge: il faut lire« à La Poste», au lieu de « à la Poste » (p. 8651, art. 2, 1 °); « La Commission bancaire » et non « La com­mission bancaire» (p. 8678, art. 49, § 2, al. 6); «Ministre des Finances et du Ministre des Af­faires économiques >> et non « ministre des Fi­nances et du ministre des Affaires écono­miques» (p. 8679, art. 49, § 2, al. 7); «sociétés de reviseurs agréées» et non« sociétés de revi­seurs agréés» (p. 8697; art. 74, § 3); «à des centrales » et non « à des Centrales » (p. 8704, art. 92, 4°); «mission de séquestre» et non «mission de sequestre» (p. 8707, art. 99, § 1er, 8°); « ceux qui contreviennent » et non « ceux, qui contreviennent » (p. 8711, art. 104, § 1er, 1 °); « déroger aux dispositions » et non « déro­ger aux disposition» (p. 8719, art. 119, § 8, al. 2); « auprès de La Poste » et non « auprès de la Poste » (p. 8725, art. 735, 1° et 2°); « Commu­nauté européenne» et non« Communauté eu­ropéennes» (p. 8737, art. 156, c), sic et resie, etc.

En . un mot comme en cent, un admirable et exaltant travail de bénédictin et une lecture pas­sionnante pour les belles soirées d'été qui s'an­noncent.

1 ndice. des prix.

L'indice des prix à la consommation s'établit à 115,32 points en juin -1993, contre 115,30 points en mai 1993, soit une hausse de 0,02 point ou 0,02 %.

La moyenne arithmétique des indices des qua­, tre derniers mois, soit mars, . avril,. mai et juiil 1993 s'élève à 115,19 points.

·ouro al des ~··:ribunaux

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Moniteur du 4 mai 1993 :

M. G. Dubrulle, premier substitut' du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Gand, est nommé substitut du procureur géné­ral près la cour d'appel de Gand;

M. J. Mahieu, juge ;;tu tribunal de première instance d'Anvers, est désigné aux fonctions de juge d'instruction à ce tribunal;

M. H. Camerlynck, avocat, est nommé juge suppléant au tribunal du travail d'Ypres;

Mme A. Michiels, avocat, est nommée juge suppléant à la justice de paix du canton de Thuin.

Moniteur du 6 mai 1993 :

M. 1. De Greef, juge de paix du canton de Wolvertem, est admis à la retraite à la date du 6 juin 1993. Il a droit à la pension et est autorisé à porter le titre honorifique de ses fonctions. Il est autorisé, à sa demande, à continuer d'exercer ses fonctions jusqu'à ce qu'il soit pourvu à la place rendue vacante au sein de sa juridiction et au plus tard jusqu'au 6 décembre 1993;

Démission honorable de ses fonctions de juge suppléant au tribunal de première instance de Mons est accordée, à sa demande, à M. C. Zaiti;

M. B. Desmette, juge au tribunal de première instance de Nivelles, est désigné aux fonctions de juge des saisies à ce tribunal.

Moniteur du 7 mai 1993:

Sont nommés substituts du procureur du Roi près le tribunal de première instance : - d'Arlolf: Mme E. Dessoy, stagiaire au par­quet de ce tribunal; , - de Mons: M. G. Mangon, stagiaire au par­quet du tribunal de première instance de Char­leroi. ·

Moniteur du 14 mai 1993 :

M. G. Lavens, substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Cour­trai, est admis à la retraite. Il a droit à la pen­sion.

RECUEIL ANNUEL DE

JURISPRUDENCE BELGE ·. L'édition 1993 sort de presse avec 4 mois d'avance sur les éditions antérieures!

ournal des ~ribunaux

Mme F. Wallon, vice-président au tribunal du travail de Charleroi, est nommée président de ce tribunal;

Sont nommés .substituts de l'auditeur du travail près le tribunal du travail de Liège : - M. J. Genicot, substitut de l'auditeur mili­taire; - M. A. Simon, licencié en droit;

Mme M. Bonheure, substitut de l'auditeur du travail près le tribunal du travail de Bruxelles, est désignée en qualité de premier substitut de l'audi~eur du travail près ce tribunal;

Mme' J. Deloge, juge au tribunal de première instance de Namur, est désignée aux fonctions de juge de la jeunesse à ce tribunal. Elle est autorisée à siéger aux chambres civiles de ce tribunal.

Moniteur du 18 mai 1993:

M. R. Robeys, président du tribunal du travail de Termonde, est admis à la retraite. Il a droit à la pension et est autorisé à porter le titre honori­fique de ses fonctions. Par arrêtés royaux du 3 mai 1993, produisant leurs effets le 6 novembre 1992, Mme M.-L. Gouy, substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance d'Arlon, et M. S. Coppée, avocat, juge suppléant à la justice de paix du canton de Merbes-le-Châtedu, sont nommés juges au tribunal de première instance de Charleroi. Les arrêtés royaux du 23 octobre 1992, portant nomination de Mme M.-L. Gouy et M. S. Cop­pée, comme juge au tribunal de première ins­tance de Charleroi, sont rapportés.

Moniteur du 19 mai 1993 :

M. P. Michielsen, vice-président au tribunal de première instance d'Anvers, est admis à la re­traite à dater du 15 juin 1993. Il a droit à la pension et est autorisé à porter le titre honori­fique de ses fonctions. Il est autorisé, à sa de­mande, à continuer d'exercer ses fonctions jusqu'à ce qu'il soit pourvu à la place rendue vacante au sein de sa juridiction et au plus tard jusqu'au 15 décembre 1993. Démission honorable de ses fonctions de juge suppléant à la justice de paix du canton de Jodoigne est accordée à M. G. de Streel.

Sont nommés juges· suppléants : - au tribunal de commerce de Louvain : M. D. De Maeseneer, avocat; - à la justice de paix du canton : -de Beringen : M. V. Engelen, avocat; __:d'Asse: M. 1. Van Driessche, avocat.

Moniteur du 22 mai 1993 :

Mme A .. De Raeve, substitut général près la cour du travail de Bruxelles, est nommée avo­cat général près la Cour de cassation;

M. F. Lammens, licencié en droit, est nommé substitut du procureur du Roi, spéciallsé en matières fiscales, près le tribunal de première instance d'Anvers; Sont nommés juges suppléants à la justice de paix: - du canton de Poperinge: M. G. Dumolein, avocat; - du second canton de Courtrai : M. L. Lam­

. bert, avocat; - du canton de Roulers: M. J. Lattrez, avocat.

Moniteur du 27 mai 1993 :

Sont nommés conseillers à la cour d'appel de Gand: - M. A. De Meue, juge au tribunal de pre­mière instance de Gand; - M. S. Op linus, juge de la jeunesse au tribu­nal de première instance de Courtrai.

M. Ch. Vanhoorebeke, substitut de !'.auditeur militaire, est délégué poùr exercer les fonctions de substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Gand.

Moniteur du 29 mai 1993 :

M. L. Verpaele, avocat général près la cour d'appel de Gand, est admis à la retraite à la date du 25 juin 1993. Il a droit à l'éméritat. Il est autorisé à porter le titre honorifique de ses fonc­tions. Il est autorisé, à sa demande, à continuer d'exercer ses fonctions jusqu'à ce qu'il soit pourvu à la place rendue vacante au sein de sa juridiction et au plus tard jusqu'au 25 décembre 1993.

Sont nommés substituts du procureur du Roi près le tribunal de première instance : - de Termonde, Mme N. Goossens, stagiaire au parquet du tribunal de première instance d'Audenarde; - de Gand, Mme C. Gassée, stagiaire au par­quet du tribunal de première instance d'Aude­narde; - de Courtrai, ·'Mme A. Bourgeois, stagiaire au parquet du tribunal de première instance de Furnes.

Mme Colette Debroux est nommée référen­daire adjoint au Conseil d'Etat.

. ouriial des······ ribunaux

Roger O. DALCQ, rédacteur en chef. Secrétaire général de la rédaction: Georges-Albert DAL. Secrétaire de la rédaction : Wivine BouRGAUX. Secrétaires adjoints: Annik BoucHÉ et François TULKENS. Chronique judiciaire: Bernard V AN REEPINGHEN. Comité de. rédaction : Eric BALATE, Pierre BAUTIDER,

Michèle BoNHEURE, Jean-Pierre BouRS, Benoît DEJEMEPPE, Michèle DEL CARRIL, Fernand DE VISSCHER, Jean EECKHOUT, François GLANSDORFF, Louise-Marie HENRION, Geneviève JANSSEN-PEVTSCHIN, Guy KEuTGEN, Olivier KLEBS, Emile KNoPs, Dominique LAGASSE; Michel MAHIEu, Christine MATRAY, Jules MESSINNE, François Moru.u;KY, Karel MuL, Daniel STERCKX, Paul TAPIE, Louis V AN BUNNEN, Jennifer WALDRON. .

Conseiller scientifique: Robert HENRION. .··. · .......... .

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ABONNEMENT 1993 : 9.500 FB. Le numéro : 400 FB.

Les manuscrits ne sont pas rendus.

© Maison LARCIER, s.a., Bruxelles, déc. 1881. ISSN 0021-812X

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