Oublier Fukushima - catastropher

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« Là-bas, on entrait dans un monde fantastique,un mélange de fin du monde et d’âge de pierre. Jepercevais tout d’une manière particulièrementaiguë, épidermique. »

Arkadi Filine, liquidateur de Tchernobyl.

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À des milliers de kilomètres de Fukushima, des nouvellespondues d’heure en heure ont permis à certains d’alimen-ter une drôle de compulsion catastrophiste. Cet acharne-ment à suivre le feuilleton de cette catastrophes’explique : vu de France, où chaque campagne a sonréacteur, cette catastrophe est évidemment la nôtre. Dansses toutes premières déclarations, le gouvernement fran-çais, par automatisme, nie l’accident nucléaire en coursau Japon. Ce réflexe du déni ne tient pas longtemps faceau flot des images et informations déversé au fil desjours. Les médias et les experts orchestrent la perceptionde la catastrophe. Ils servent dans la même assiette unebouillie faite d’apocalypse nucléaire et de déblatérationscomptables de spécialistes. D’un côté, on assiste au spectacle implacable de lacatastrophe se déchaînant méthodiquement, et face àlaquelle il ne reste que des prières. De l’autre, des brochettesd’experts internationaux qui ont déjà menti mille fois sur

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Nombres et brouillard

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tout nous gavent de leur vérité en chiffres. Ils déclinentl’accident en kilomètres ravagés, en milliers de personnesévacuées, en tonnes d’eau dans la centrale, en magnitudede séisme, en numéro de réacteurs. Les mesures de laradioactivité – qu’elles soient officielles ou prétendumentindépendantes – s’accumulent tout particulièrement :« La radioactivité autour de la centrale est 10 000 fois supérieure à la limite autorisée », « un pic de400 millisieverts par heure », « 400 fois la dose annuelleadmissible pour le public ». Mesures de Tepco (TokyoElectric Power, l’exploitant de la centrale), mesures del’État japonais contredit par les préfectures, mesures dugouvernement américain, ou celles plus françaises del’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)et de l’ACRO (Association pour le contrôle de laradioactivité dans l’Ouest). Ces autorités se superposent,se citent, s’approuvent, se contredisent, se renvoient laballe. Il ne s’agit pas pour elles d’être comprises, mais deproduire un bruit de fond, d’occuper l’espace de parolesur la catastrophe. « En une semaine, l’équipe de com -munication a reçu 533 demandes de presse, les experts del’IRSN sont intervenus 360 fois à la radio et à latélévision, et ils sont apparus 20 fois sur les plateauxtélévisés. Le site de l’IRSN a multiplié par plus de 10 sontrafic, l’alourdissant à 100 000 visites par jour. »1 Dansce vacarme assourdissant, où ce qui est dit compte encoremoins que d’habitude, les retournements n’ont aucuneimportance. « La situation est stabilisée à un niveauprécaire », peut-on lire en avril 2011 dans la presse, mais

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1. Le Monde, 20-21 mars 2011. L’IRSN est chargé par l’État fran-çais de la communication sur les doses et les dangers du nucléairepour les travailleurs du nucléaire et les populations. 1768 experts(médecins, vétérinaires, chercheurs, sociologues) organisent autourdes centrales des exercices de simulation, interviennent dans lesécoles et sur les lieux de travail. Ils travaillent à l’acceptation socialedu nucléaire.

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dans le même temps « l’accident est classé 7 sur l’échelleINES à côté de Tchernobyl » (DOCUMENT p. 43). C’estmême l’accumulation permanente d’informationscontradictoires qui organise le discours des autorités. Ilsemble trop tard pour refuser de les écouter. Leur froiderationalité de professeur a au moins un premier effetcalmant : on pourrait mesurer l’immesurable, on pourraitdimensionner l’incommensurable. Moins la situation estmaîtrisable, plus on s’en remet aux spécialistes de lamaîtrise de la situation. Qu’ils soient responsables de cettecatastrophe n’y change rien, qu’ils nous mentent non plus.Ils le savent bien, c’est la peur qui nous jette dans leursbras. Qu’ils croient vraiment à leur mensonge, qu’ilssoient juste incompétents, ils sont en tout cas en positionde mentir. Faute d’évacuer les populations sur place ou de « confinerle cœur du réacteur », les spécialistes confinent la discussion sur le terrain technique. La rationalitétechnicienne serait la seule manière de dimensionner lenucléaire à l’entendement humain. Elle amène ainsiinternautes et journalistes-perroquets à raisonner commedes ingénieurs des Mines. S’inquiéter avec eux de tel ou telproblème d’alimentation électrique nous éloigne d’unecompréhension globale du désastre en cours. Et levocabulaire est d’autant plus technique que, sur place, cesont des hommes en pauvres combinaisons NRBC quis’attaquent à la catastrophe nucléaire, armés d’un tuyaud’arrosage. Aucun doute, mieux vaut être dans la peau del’expert que dans celle du liquidateur (DOCUMENT p. 30). Les faits – là-bas – se mêlent – ici – aux projections des spé-cialistes. L’arrivée des particules radioactives dans le cielfrançais est « assez conforme aux simulations de MétéoFrance »2, nous dit la presse. La modélisation mathéma-tique des accidents est l’un des seuls domaines dans lequel

2. Le Monde, 27 mars 2011.

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les scientifiques français ont progressé depuis plus detrente ans. Ils s’échinent à reproduire certains accidents dupassé dans leurs laboratoires à l’aide de grosses machinesdont ils sont très fiers3. L’accident ainsi simulé sert à élabo-rer des modèles de « gestion de crise » nucléaire. Ces simu-lations leur servent ensuite à concocter des scénarios quiressortent sur les plateaux de télévision pour combler levide d’information. La réalité appauvrie de l’expérience enlaboratoire se substitue ainsi à la réalité de ce qui se passeau Japon. La bureaucratie nucléaire garde la maîtrise de laréalité qu’elle a créée. Le calcul, « cette concrétion pierreuse de la pensée aucontact de la réalité mesurable »4, durcit et façonne oppor-tunément notre regard sur la catastrophe. La première dessoumissions est d’accepter cette parole de pierre, de resterenfermé dans le langage et la rationalité technocratique.

Les nucléocrates français avaient tant travaillé à effacer denos mémoires la catastrophe de Tchernobyl qu’il est surpre-nant d’en entendre autant parler dès les premiers jours aprèsFukushima. Quand ils la citent subitement, dès mars 2011,c’est systématiquement pour conclure que la contaminationau Japon « n’a strictement rien à voir » avec celle de Tcher-nobyl5 (DOCUMENT p. 33).

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3. Aussi bien « Phébus », réacteur expérimental pour physiciens créépar le CEA en 1979 pour reproduire à « petite échelle » un accident,que « Sofia » (le Simulateur d’observation du fonctionnement inci-dentel et accidentel), sur lequel le personnel de l’IRSN « joue » lescénario de Three Mile Island-1979 ou encore celui du Blayais-1999.4. L’Encyclopédie des nuisances, revue n° 4, août 1985, à l’article« Abaque ».5. Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection à l’IRSN, lorsd’un point de presse, Le Monde, 12 avril 2011.

Cette obscure transparence

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La chape de plomb qui s’abattit sur la centrale Léninele 26 avril 1986 s’est changée en chape de plexiglas. La « transparence » du traitement médiatique de Fukushima contraste avec Tchernobyl et le silence quil’entoura. L’explosion du réacteur n° 4 de la centrale deTchernobyl fut soi-disant découverte par hasard, deuxjours après, par les balises de mesure de radioactivité dela centrale suédoise de Forsmark. Sans quoi, paraît-il,personne n’en aurait entendu parler. À l’époque, les nucléocrates français ressassaient lecaractère soviétique de la centrale pour justifierl’accident – contredisant tranquillement les éloges qu’ilsen faisaient la veille. La science des Russes était de toutefaçon en retard, la bureaucratie peu scrupuleuse et lesingénieurs incompétents… bref, cela devait arriver ! La sûreté japonaise jouit au contraire d’une solideréputation dans le milieu nucléaire international – lesJaponais auraient en effet « géré » plusieurs accidentsgravissimes et revendiquent une sévère « culture desûreté »5. Il est donc difficile de soutenir que l’accidentde Fukushima Daiichi est lié à la médiocrité de la sciencenippone6. L’État nucléaire japonais, les constructeurs descentrales et l’opérateur Tepco sont défendus par un frontinternational commun. Et si les « négligences » de Tepcofinissent par être dénoncées au fil des mois dans lapresse, cela ne remet rien en cause. Avec Fukushima lacensure serait bannie et Tchernobyl, ce fossile du« communisme », opportunément renvoyé à sa gestionpréhistorique.

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5. Concept brillant élaboré par EDF. Voir le chapitre « Banaliser ».6. Le 16 mars 2011, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva, profitetout de même de l’occasion pour faire un peu de réclame : « Si lesJaponais avaient eu un réacteur EPR français, ça ne serait jamais ar-rivé ! » Areva diffuse des brochures aux politiciens américains inti-tulées Les Dossiers de Fukushima, vantant la solidité des centralesfrançaises.

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Les nucléaristes du monde entier sont unanimes :l’accident de Fukushima n’est pas dramatique, bien moinsen tout cas que celui de Tchernobyl. À peine unmalheureux dixième des rejets de la centrale ukrainienneaurait noirci le ciel japonais. Même les explosions desréacteurs n’auraient pas entraîné de dégagementimportant de radioactivité. Logique donc qu’aucun nuageradioactif conséquent n’ait été signalé suite à cesexplosions. Explosions dont Areva doute encore le27 mars. Face aux images des réacteurs éventrés, ellesoutient que « comme les bâtiments-réacteurs sontrelativement intacts, les rejets d’aérosols sont réduits(contrairement à Tchernobyl) ».La version officielle ne changera pas, même quandl’Agence japonaise de sûreté nucléaire (NISA) relèverale 12 avril le niveau de l’accident de Fukushima de 5 à7, soit le niveau le plus élevé sur l’échelle internationaledes événements nucléaires et radiologiques (INES), cequi le place au même degré de gravité que la catastrophede Tchernobyl. Rien n’y fait7. « Les rejets n’ont paschangé, c’est uniquement une réévaluation de l’accident »,au vu de « la classification mécanique » utilisée parl’échelle INES, a expliqué Thierry Charles, directeur dela sûreté à l’IRSN. Et puis si Tchernobyl et Fukushima finissent au mêmeniveau, c’est peut-être que Tchernobyl ne fut pas sigrave… à moins que ce ne soit Fukushima.

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7. Même le Dr Tatsuhiko Kodama, directeur du Centre de traitementradio-isotopique de l’université de Tokyo, déclare devant le Parlementjaponais, le 27 juillet 2011 : « Il n’y a aucun rapport de Tepco, ni dugouvernement japonais, pour nous dire combien de matériaux ra-dioactifs ont été libérés à Fukushima. Donc, en utilisant notre basede connaissances du centre de radio-isotopes, nous l’avons calculé, ennous basant sur les données thermiques : c’est 29,6 fois la quantitéde radionucléides libérée à Hiroshima. »

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L’ennemi à mettre en scène n’est pas à chercher ailleursque dans les forces déchaînées de la nature qui ontprovoqué cet accident. Comme le dit en mars le directeurde l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), André-ClaudeLacoste, « l’accident nucléaire n’est qu’un élément decette tragédie »8. Existe aussi en version politique : « Lenucléaire n’est qu’une petite partie, et certainement pasla plus importante, de ce drame national qui a frappé leJapon », déclarent Éric Besson et Nathalie Kosciusko-Morizet, respectivement ministre de l’Industrie etministre de l’Écologie (ou l’inverse). Voici donc le pointde départ essentiel de la gestion de la catastrophe : traiterl’accident comme un simple épisode d’une catastrophenaturelle, la plus terrible depuis 1923 au Japon.La disparition de plusieurs villes et les 27 000 mortsofficiels rendent dérisoire l’annonce de l’effondrement dutoit d’un réacteur ou même, plus tard, le classement de l’accident au même niveau que Tchernobyl.Partout sur la planète, ce tragique mélange de catastropheindustrielle, d’éléments déchaînés et de gestion sociale estmaquillé en catastrophe naturelle. La méthode n’est pasnouvelle et la liste est longue. Le 26 décembre 2004, lacentrale indienne de Kalpakkam, elle aussi inondée par un

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8. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) compte 450 agents, elle estdirigée par cinq commissaires nommés pour six ans. Trois sont nom-més par le président de la République, les deux autres par le Sénatet l’Assemblée. Créée par la Loi relative à la transparence et à la sûreté nucléaire du 14 juin 2006, faisant suite à la Direction généralede la sûreté nucléaire et de radioprotection (DGSNR), dont André-Claude Lacoste était déjà président depuis 1993, l’ASN a le mérited’être un acronyme ridiculement explicite et d’avoir le pouvoir sym-bolique de dresser des PV en cas de faute de l’exploitant. Officielle-ment, elle pourrait également fermer un site, mais ça ne s’est biensûr jamais vu.

Une catastrophe naturellement industrielle

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tsunami, avait été arrêtée « préventivement » une fois sousles eaux. Plus de nouvelles depuis. En France, lors del’inondation de la centrale du Blayais (Gironde) lors de latempête de décembre 1999, « l’événement majeur » avaitété évité de justesse. On pense aussi au passage del’ouragan Katrina, qui détruisit La Nouvelle-Orléans le29 août 2005. La vague était trop haute pour cette diguequi coûtait trop cher à restaurer alors que les dollarsfilaient ailleurs pour mener en Irak un bout de « la guerrecontre le terrorisme ». Certains quartiers étaient troppauvres pour être évacués. Délibérément laissés sur place,bloqués par les eaux, des milliers d’habitants mourront.Officiellement victimes d’une catastrophe naturelle.La région, quant à elle, est ravagée sous des millions delitres de pétrole et autres produits chimiques. Ceux-làmême qui ont totalement industrialisé le monde invoquentla nature quand ça les arrange. Derrière cette discussionpseudo philosophique entre monde naturel et mondeindustriel, l’enjeu est celui des gros sous : qui va payer quoiet à qui ? Entre l’État, l’exploitant de la centrale, lesassureurs des uns et des autres, les marchandagescommencent dès le lendemain de la catastrophe et durerontencore longtemps9.Au sein de la grande famille des catastrophes naturelles, untsunami survient suffisamment rarement pour que ce risquesoit présenté comme acceptable par les gestionnaires.Le séisme quant à lui reste un sujet tabou. Beaucoup trop decentrales sont construites sur des failles, au Japon et ailleurs

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9. Munich Re, le géant des réassureurs des États, déplore que 2011ait été « l’année la plus coûteuse de l’histoire » en termes de catas-trophes naturelles – entre 276 et 300 milliards d’euros – et conclutson bilan par un conseil aux États : « Même s’ils ne surviennentque tous les mille ans en moyenne (sic), ces événements nous rap-pellent à quel point la planification est importante, notammentquand il faut implanter des villes ou des centrales nucléaires. »(Libération, 14 janvier 2012)

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– Fessenheim, Cadarache, pour prendre des exemples fran-çais – pour que l’industrie nucléaire lâche sur cette versiondes faits. La commission d’enquête soi-disant indépendanteconvoquée par le Parlement japonais pour analyser l’acci-dent nucléaire n’a pas dit l’inverse. En décembre 2011, alorsque les réacteurs du pays sont arrêtés les uns après les autresen attendant les fameux « stress tests », ces douze sages –des magistrats, des diplomates, des sismologues, un profes-seur, un maire – ont remis un rapport qui néglige les effetsdu tremblement de terre. Officiellement, c’est donc le tsu-nami qui aurait provoqué la catastrophe nucléaire au Japon.

La catastrophe naturelle est accessoirement l’occasion devendre aux habitants des pays nucléarisés une attitudeface au cataclysme : la dignité. Une dignité qui, dans labouche des commentateurs assis dans leur canapé, n’estrien d’autre qu’un synonyme de résignation et desoumission. Accepter d’être parqués dans des gymnases, obéir auxinjonctions contradictoires des autorités, repartir au turbinle plus vite possible, aller pomper de l’eau radioactive aucœur de la centrale sans même porter de bottes encaoutchouc… Tout est mis sur le même plan et sur lecompte d’un courage et d’un calme qui seraient partagéspar tout un peuple, voire qui en constitueraient l’essence.« Les Japonais nous donnent une leçon de sang-froid, ilssont collectivement et psychologiquement préparés auxcatastrophes naturelles. Pour les Japonais, c’est la vie, ça faitpartie des choses. »10 Quant aux doses subies par les« 50 de Fukushima », les liquidateurs de la première heure,

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10. Philippe Pelletier, « spécialiste du Japon », Le Parisien, 16 mars2011.

Morale de la catastrophe naturelle

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elles sont certes mortelles mais surtout « héroïques »11.Habitués aux catastrophes naturelles qui s’abattent sisouvent sur l’archipel, les Japonais seraient immuniséscontre la panique. Rien de raciste là-dedans, pas le moindrestéréotype, le simple constat d’une faculté aussi naturelleque la catastrophe. Une soumission innée, un fatalisme enfinà la hauteur de cette « société du risque »12. La physiquenucléaire aurait trouvé des cobayes à la mesure de sesexpériences grandeur nature. Et l’Empereur, que l’on sort à la télévision pour demanderaux Japonais de prier et d’accepter leur sort. Et l’AFP, sansdoute bien informée, qui déménage ses bureaux de Tokyoà Osaka. Et Areva qui évacue ses cadres dès l’annonce desfuites. Et le PDG de Tepco qui disparaît dans la nature :« Il a été vu une dernière fois le 13 mars, deux jours aprèsle séisme, jour de la première explosion à la centrale, ilannonçait un rationnement en électricité. » Sont-ils dignesceux-là, ou simplement au pouvoir13 ? La soumission à l’autorité n’a rien de naturelle. On nousdemande de prendre exemple sur « l’île du bonheur » – enjaponais, Fukushima – pour accepter d’être entassés dansdes cars ou encore de rester confinés lorsque tel expertl’aura jugé nécessaire.

11. Agnès Buzyn, présidente du conseil d’administration de l’Institutde radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Le Monde,16 mars 2011. Cette hématologue est depuis devenue directrice del’Institut national du cancer.12. Ulrich Beck, sociologue allemand, formula en 1986, quelquesmois avant Tchernobyl, l’idée d’une « société du risque » dans la-quelle chacun deviendrait un petit gestionnaire de catastrophe. 13. L’ambassade des États-Unis, sans doute bien informée elle aussi,invite ses ressortissants à quitter l’île principale de l’archipel. Le3 avril, les Américains annoncent le rapatriement des militaires etde leurs familles s’ils le souhaitent. Il y a 35 000 militaires améri-cains au Japon, soit 200 000 Américains en comptant les procheset les civils. Le 20 mars, plusieurs banques internationales de Tokyo acceptent le départ des salariés qui le veulent.

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En s’approchant des communes dévastées et contaminées,le bruit de fond des experts laisse place au silence du gou-vernement japonais et de Tepco (DOCUMENT p. 37).Un « état d’urgence nucléaire » est bien déclaré le jour duséisme et du tsunami, mais les habitants n’ont aucune in-formation sur la situation : ni mesures de radioactivité niconsignes claires. Les autorités locales non plus. « La seulesource d’information au sujet de l’accident dans la centralenucléaire vient des médias », déclare le maire de MinamiSoma14. La presse et une partie des Japonais attribuent d’abord cesilence à la désorganisation du pays et du gouvernementaprès le tsunami. Largement débordé par la situation,l’État apparaît comme une organisation parmi d’autres,chargée de ravitailler les sinistrés, de chercher les corpsdes disparus, d’empêcher les réappropriations – qualifiéesde « pillages ». Les forces japonaises d’autodéfense –l’armée – côtoient les humanitaires de la Croix-Rougejaponaise, les soldats de l’armée américaine et les yakuzas.Ces derniers tiennent en grande partie l’industrie japonaisedu bâtiment et voient dans cette catastrophe l’ouvertured’un marché pour la reconstruction. La compétition faitrage, chacun joue sa légitimité et tente d’asseoir un peu plusson pouvoir.Évidemment, le grand alibi du désordre engendré par lacatastrophe naturelle n’explique pas tout. Dans les premiersjours, le gouvernement a délibérément caché aux popula-tions proches de la centrale les prévisions du Système pourla prédiction d’urgence environnementale et d’informationsur les doses (Speedi), qui indiquait les mouvements des par-ticules radioactives crachées par la centrale et portées par lesvents. Sans informations, les habitants de Namie, à quelques

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14. The Mainichi Daily News, 17 mars 2011.

L’autre catastrophe

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kilomètres de la centrale, ont ainsi évacué leur communepour se réfugier dans un village situé précisément sous lesvents de la centrale. M. Hosono, le ministre en charge de lagestion de la crise nucléaire, admettra finalement que « cer-taines informations […] ont été retenues par crainte de créerune panique ». Le gouvernement avait tout de même pris lapeine de prévenir du danger les soldats américains présentssur place. « Il aurait peut-être fallu informer le public enmême temps que l’armée américaine », déclare Itaru Wata-nabe, responsable de la cartographie initiale au Mext(ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, desSciences et de la Technologie) pris la main dans le sac. Au printemps, le traumatisme du tsunami ne peut plusocculter la catastrophe nucléaire, qui à son tour devientobjet médiatique au Japon. Le scandale de Speedi est l’ar-bre qui cache l’iceberg. Le brouhaha des scandales àrépétition remplace le silence assassin des premièressemaines. L’État japonais ne cesse pas pour autant de men-tir (DOCUMENT p. 44). Sans surprise, il ne peut pasreconnaître devoir évacuer 38 millions de Tokyoïtes. Il nepeut que minimiser le désastre et en contrôler la percep-tion. La maîtrise de la mesure lui offre la possibilité infiniede mentir. À des milliers de kilomètres de là, la catastrophes’enfonce tranquillement dans les pages intérieures desjournaux, tel le cœur du réacteur en fusion dans le sol.Les rédactions françaises se passionnent pour la guerre enLibye, censée détrôner un de ces infâmes dictateurs quel’on recevait pourtant la veille en grande pompe pour luivendre des missiles et des centrales nucléaires. Une de ces« guerres justes » au cours desquelles s’écoulent à coupsûr quelques kilogrammes de déchets nucléaires recyclésen bombes à uranium appauvri. Les particules d’oxyded’uranium feront le tour de la planète, mais elles se perdront de toutes façons dans le brouillard de lacontamination de Fukushima.

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DOCUMENTS

le peu qu’on sait

solidarité de classe nucléaire

l’état se tait

sucrer les fraises

toutes mes excuses…

dérive dans la zone

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LE PEU QU’ON SAIT

Il est illusoire d’imaginer connaître ce qui s’est véritablementpassé à la centrale de Fukushima Daiichi. Toutes les chronologiesdisponibles, y compris les plus alternatives, ont les mêmessources : Tepco, le gouvernement japonais et l’AIEA – organisa-tion internationale créée en 1957 pour « favoriser et encouragerl'utilisation civile de l'énergie atomique dans le monde ». Tenons-nous en à la description minimale des premières explosions desréacteurs entre le 12 et le 16 mars 2011. Officiellement ces ex-plosions auraient été causées par la rupture du système de refroi-dissement suite au passage du tsunami. Cette version nie le rôledu séisme dans l’accident.

Les explosions des réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi Chronologie des explosions,reprise du Blog de Fukushima, le 4 mai 2011.

Samedi 12 mars 2011 : La partie supérieure du bâtiment du réacteur n° 1 – mis en serviceen 1970 et construit par General Electric – explose. Le toit s’effon-dre, produisant une propagation horizontale de poussière. Il ne resteplus qu’une structure de poutrelles métalliques. Lundi 14 mars : Le réacteur n° 3 – mis en service en  1974 et construit par Toshiba– explose en deux temps. La première explosion est visible sur lecôté  sud  avec  un  flash  de  lumière,  et  quasi  simultanément,  laseconde souffle le toit. La particularité de ce réacteur est de contenirdu combustible MOX, qui est enrichi au plutonium en France.Mardi 15 mars : Le réacteur n° 2 – mis en service en 1973 et construit par GénéralElectric – explose à son tour. Contrairement aux deux précédentesexplosions sur les réacteurs n° 1 et n° 3, celle du réacteur n° 2 n’apas été visible de l'extérieur et n’a pas détruit le bâtiment externe. Le même jour, Tepco annonce qu’une partie du bâtiment du réacteur

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n° 4 – mis en service en 1978 et construit par Hitachi – est endom-magée. Deux explosions dans le hall d’opération du réacteur n° 4créent deux brèches d’environ 8 mètres de large sur l’enceinte exté-rieure du bâtiment abritant le réacteur. Une explosion, suivie d’unincendie,  a  lieu  dans  la  piscine  de  stockage  du  combustible.La structure de base du bâtiment est encore quasiment entière, maistrès endommagée à cause des explosions et des incendies. L’Organisation météorologique mondiale (WMO), organisation affi-liée  à  l’ONU  établissant  les  normes  internationales  et  lesprévisions météorologiques, annonce que le réacteur n° 3 auraitsubi une nouvelle explosion.Mercredi 16 mars : Un nouvel incendie est déclaré dans le réacteur n° 4. 

Le tsunami a bon dosMitsuhiko Tanaka, interrogé par Marie Linton, dans Sciences et Avenir, 30 décembre 2011.Membre de la commission qui a remis le rapport sur l’accident au Parlement, Mitsuhiko Tanaka est l’un des seuls à dénoncer la thèse dutsunami et à briser la belle unanimité de la classe nucléaire. Devenu journaliste, cet ancien ingénieur chez Babcock-Hitachi KK saitde quoi il parle puisqu’il a participé à la conception du réacteur n°4 dela centrale nucléaire de Fukushima Daiichi dans les années 1970. Il aquitté l’industrie nucléaire en 1986, après l’accident de Tchernobyl.

Sciences et Avenir : Qu’avez-vous pensé du rapport d’étape rendupar le panel gouvernemental sur l’accident nucléaire ?

Mitsuhiko Tanaka : Quand on lit le rapport, on a le sentimentque le tremblement de terre n’a pas eu d’effet significatif sur lesinstallations nucléaires. C’est ce qui m’a le plus marqué. Commentpeut-on imaginer que le séisme de magnitude 9 qui a frappé lesréacteurs cinquante minutes avant le tsunami n’a pas endommagéles  réacteurs ?  Il  faut  avoir  en  tête  que  le  séisme  a  duré  troisminutes ce qui est extrêmement long. Selon moi, la plomberie etcertaines soudures – de la chambre de suppression du réacteurn°2 – ont certainement été affectées avant même l’arrivée de la

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vague. Nous savons que le séisme a fait effondrer un pylône d’ali-mentation  électrique  de  la  centrale  nucléaire.  Mais  Tepco,l’opérateur de la centrale nucléaire, considérait que cela ne devaitpas être grave car deux générateurs de secours étaient disponi-bles. Pour lui et pour le gouvernement, c’est donc le tsunami quia noyé les deux générateurs de secours qui est le véritable res-ponsable de la catastrophe.

Sciences et Avenir : Vous voulez dire que le séisme, à lui seul,aurait pu provoquer l’accident nucléaire ?

Mitsuhiko Tanaka : C’est extrêmement difficile à dire d’abordparce qu’on ne pourra vérifier la situation à l’intérieur des réac-teurs que dans dix ou vingt ans. Le gouvernement ne peut donc pasprouver  sa  théorie  et  moi  non  plus.  Je  dis  simplement  que  leséisme  est  un  facteur  important  dans  la  chaîne  d’événementsdésastreuse qui  s’est produite à partir du 11 mars dernier. Unséisme de cette magnitude et de cette durée qui frappe une cen-trale, c’est déjà un événement grave en soi. Bien sûr, le tsunamiqui a noyé les deux générateurs de secours, alors que la probabilitéque cela se produise était infinitésimale, entre aussi en ligne decompte. De même que les erreurs humaines et le manque de for-mation du personnel. Je m’étonne que les condenseurs de secoursdu réacteur n° 1 qui permettent de baisser la température du réac-teur  aient  rapidement  cessé  de  fonctionner.  Pour  moi,  soit  leséisme avait endommagé la plomberie reliée aux condenseurs soitle personnel ne savait pas les utiliser.

Sciences et Avenir : Pourquoi le panel gouvernemental néglige-t-illa possible responsabilité du séisme dans l’accident ?

Mitsuhiko Tanaka : Si le gouvernement reconnaît que le séismea endommagé les réacteurs avant le tsunami, il doit revoir toutesles normes antisismiques des installations nucléaires au Japon, enplus de revoir les normes contre les tsunamis. Cela retarderait laréouverture des centrales à l’arrêt.

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SOLIDARITÉ DE CLASSE NUCLÉAIRE

« Fukushima n’a rien à voir avec Tchernobyl. »

Éric Besson, ministre de l’Industrie,12 mars 2011.

« On n’est pas dans une catastrophe. »

Éric Besson, ministre de l’Industrie,14 mars 2011.

« On n’est pas du tout dans la situation de Tchernobyl. Chaque jour qui passe est un jour de gagné. »

Anne Lauvergeon, PDG d’Areva,14 mars 2011.

« À Fukushima la situation est grave mais reste suffisammentmaîtrisée pour ne pas entraîner de rejets notables. »

André-Claude Lacoste, président de l’ASN,13 mars 2011.

« Les rejets ont été massifs mais ciblés, et dès leur largage dansl’atmosphère, les matières radioactives se dissipent. »

Didier Champion, responsable environnement à l’IRSN, 15 mars 2011.

« Remettre totalement en cause le nucléaire sans connaître l’issue du drame en cours au Japon a quelque chose d’indécent. »

Cédric Philibert, AIEA,15 mars 2011.

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« Jamais il n’y a eu autant de transparence ! Tout ce que la Francecompte d’experts donne des infos en continu, et nous nous rendons

compte à toute minute de ce que nous savons des risques potentiels. »

Éric Besson, ministre de l’Industrie,15 mars 2011. 

« Je voudrais vraiment qu’on remette les choses à leur place, il n’y apas pour l’instant au Japon de catastrophe nucléaire. »

Claude Allègre, ancien ministre de la Recherche et de l’Éducation,17 mars 2011.

« À l’heure actuelle, il n’y a pas de scénario qui impose de prendre deprécautions à Tokyo. La centrale est à plus de 250 kilomètres de la

capitale, et une partie des radioéléments a le temps de se diluer dansl’atmosphère. Qui plus est, pour au moins 48 heures, nous avons des

vents favorables qui poussent les rejets vers le Pacifique. »

Olivier Isnard, IRSN, 17 mars 2011.

« [Le nucléaire] est une école d’humilité et d’exigence, une école deréalisme, car aucune technologie n’est sans risque. »

Henri Proglio, PDG d’EDF, 22 mars 2011.

« Contrairement à ce que montrent beaucoup d’images, ce qui sepasse au Japon n’est pas un accident de la filière nucléaire,

comme à Tchernobyl. C’est un tremblement de terre, suivi d’untsunami, qui a fait 20 000 morts et qui a mis à mal le système de

protections de la centrale. »

Valéry Giscard d’Estaing, président de la Républiquependant la mise en place du programme électro-nucléaire français,

25 mars 2011.

« Il s’agit de niveaux significatifs, mais faibles. »

Didier Champion, responsable environnement à l’IRSN,28 mars 2011.

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« Ce n’est pas le séisme qui a entraîné l’accident puisque les instal-lations ont bien tenu, c’est le tsunami qui a entraîné une rupture dusystème de refroidissement. »

Henri Proglio, PDG d’EDF, 25 mai 2011.

« Je crois qu’on peut dire une chose, sans provocation, que sans lenucléaire, il n’y aurait pas eu 20 000 morts avec le tsunami maispeut-être 200 000. Je m’explique : le Japon a connu une croissancetrès forte, un développement très rapide et il est devenu un des grandspays technologiquement avancés du monde, il l’a fait complètementdénué de ressources naturelles, donc beaucoup avec le nucléaire.Ce qui permet pour les catastrophes naturelles, comme le tsunamiou le tremblement de terre, de donner des bilans beaucoup pluslimités, même s’ils sont dramatiques, mais 20 000 morts, ce n’estpas 200 000. L’année dernière en Haïti, il y a eu un tremblement deterre de magnitude inférieure, il y a eu 200 000 morts. C’est leprogrès, la technologie, et c’est grâce au nucléaire que le Japon a puprotéger ses populations des effets les plus dramatiques – je dis çaavec beaucoup de sympathie pour la population. »

Bruno Tertrais, auteur d’un livre sorti un mois après l’accident,  

intitulé fort à propos La Catastrophe n’est pas pour demain –En finir avec le catastrophisme,

21 avril 2011.

« À Tchernobyl, 134 personnes ont reçu des doses pouvant entraînerune mort rapide. Au final, 28 d’entre elles sont mortes dans les pre-miers mois. Mais il s’agissait alors d’une explosion qui avait éjectédes éléments volatils (iode et césium) ainsi qu’une partie du combus-tible uranium et plutonium. Là, il n’y a pas eu d’explosion mais“seulement” relâchement des composés volatils. Pour le moment, ledanger est très limité pour la population. […] Il faut ramener leschoses à leurs justes proportions. »

Henri Métivier, ancien du CEA et du CIPR, Sciences et Avenir, avril 2011.

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« Depuis dix jours, la situation est à peu près stabilisée. […] Le pire est passé, mais ce n’est que le début de la conquête. […] 

Les ingénieurs avancent doucement et ils ont raison de prendre leurtemps. D’autant plus qu’ils arrivent à alimenter les réacteurs en eausans problème […]. [La zone d’exclusion] a été élargie à 30 kilomè-tres. Cela correspond à la zone post-accidentelle, où l’on observe des

dépôts de radioactivité au sol. Nous pensons que c’est une mesureraisonnable. […] Dans trois mois, son niveau sera complètement

secondaire et les habitants pourront théoriquement revenir. » Thierry Charles, responsable des questions de sûreté à l’IRSN,

11 avril 2011.

« L’incident de Fukushima Daiichi »Extraits d’une présentation PowerPoint, Areva-Allemagne, 27 mars 2011.

Rejets radioactifsEn dehors du site :– Comme les bâtiments réacteurs sont globalement  intacts,rejet réduit d’aérosols (pas comme Tchernobyl)– Les produits de fission sont relâchés via la vapeur, augmentation  des  aérosols  rapide,  mais  une  large  fractiontombe à proximité du site– Dose à l’extérieur du site principalement due aux gaz rares– Transport / diffusion par le vent, baisse de la dose dans le temps– Pas de  « retombée » des gaz rares, donc pas de forte contamination locale des sols

20 kilomètres autour du site : – Les évacuations sont adaptées– Des débits de dose maximaux de 0,3 mSv/h ont été mesuréssur de courtes périodes– Destruction de produits végétaux,animaux possibles cette année– Évacuation permanente de la zone probablementnon nécessaire. 

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L’ÉTAT SE TAIT

Le silence du gouvernementNorimitsu Onishi et Martin Fackler, extrait de « Le Japon cache les données de contamination, en laissantles personnes évacuées en danger », New York Times, 8 août 2011.

« […] Seiki Soramoto, parlementaire et ancien ingénieur nucléaire,auquel le Premier ministre Naoto Kan a demandé son avis pendant lacrise, reproche au gouvernement d’avoir caché les prévisions météo-rologiques  du  système  informatique  Speedi  (Système  pour  laprédiction d’urgence environnementale et d’information sur les doses). “Finalement, c’est le bureau du Premier ministre qui a caché les don-nées de Speedi. Parce qu’ils ignoraient ce que ces données signifiaient,et donc ne savaient pas ce qu’il fallait rendre public, ils ont pensé uni-quement à leur propre sécurité, et ont donc décidé qu’il était plus facilede ne rien divulguer.”Dans une interview, Goshi Hosono, le ministre chargé de gérer lacrise nucléaire, a nié les accusations selon lesquelles des consi-dérations  politiques  ont  retardé  la  publication  des  premièresdonnées de Speedi. Il a affirmé qu’elles n’ont pas été publiéesparce qu’elles étaient incomplètes et imprécises, et qu’on ne luia présenté ces données, pour la première fois, que le 23 mars. “Etce jour-là, nous les avons rendues publiques”, dit M. Hosono, quiétait l’un des plus proches conseillers du Premier ministre dansles premiers jours de la crise, avant d’être nommé ministre encharge de la catastrophe nucléaire. “Dans les jours qui ont précédé,alors que la nation japonaise était entre la vie et la mort, je n’étaispas concerné par ce qui se passait avec Speedi.” Les prévisionsmétéorologiques du système informatique ne sont qu’une partiede nombreuses autres informations que le gouvernement a toutd’abord cachées au public. […]Le 15 mars dans la soirée, M. Kan appela M. Soramoto, designer decentrales nucléaires pour Toshiba, pour lui demander son aide dans lagestion de la crise qui s’intensifiait. M. Soramoto improvisa un groupeconsultatif, qui incluait son ancien professeur à l’université de Tokyo,

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Toshiso Kosako, l’un des meilleurs experts japonais dans la mesuredes radiations. M. Kosako, qui a étudié la réponse soviétique à la crisede Tchernobyl, dit être surpris du peu de choses que les responsablesdans le bureau du Premier ministre connaissaient sur les ressources àleur disposition. Il avisa rapidement le premier secrétaire du cabinet,Yukio Edano, d’utiliser Speedi, qui utilisait des mesures d’émanationsradioactives,  ainsi que des données  topographiques  et météorolo-giques, afin de prévoir où les particules radioactives pourraient arriveraprès avoir été relâchées dans l’atmosphère.Speedi a été créé dans les années 1980, pour faire au sujet des dis-persions  des  radiations  des  prévisions  qui,  si  l’on  en  croit  lesmanuels  de  désastre  nucléaire  du  bureau  du  Premier  ministre,étaient supposées être à la disposition des autorités locales pour gui-der les évacuations loin des retombées radioactives.Et bien  entendu, Speedi  a  craché des  cartes  et  autres donnéestoutes les heures dès les premières heures après le tremblement deterre et le tsunami. Mais le ministère de l’Éducation n’a pas trans-mis les données au bureau du Premier ministre, parce que, a-t-ildit, l’information était incomplète. Le tsunami avait détruit des cap-teurs à la centrale : sans les données sur les quantités de radiationsémises, il était impossible d’évaluer jusqu’où la traînée radioactives’étendrait. “N’ayant pas connaissance du niveau réel des rejets, nousne pouvions pas prendre la responsabilité d’ordonner des évacua-tions”, a déclaré Keiji Miyamoto, de la division de sûreté nucléairedu ministère de l’Éducation, qui gère Speedi. […]Mais même avec des données incomplètes, M. Kosako dit qu’il apoussé le gouvernement à utiliser Speedi en faisant des estimationsquant aux quantités de radiations émises, ce qui aurait permis d’ob-tenir des cartes utilisables pour orienter les plans d’évacuation. C’estprécisément ce qu’a fait le ministère, faisant des simulations desémissions de radiations sur les ordinateurs de Speedi. Quelques-unes des cartes montrent clairement un nuage de contaminationnucléaire s’étendant au nord-ouest de la centrale, au-delà des zonesinitialement évacuées. Toutefois, a dit M. Kosako, le bureau du Pre-mier ministre a refusé de publier les résultats, même après avoir étémis au courant de Speedi, parce que les officiels ne voulaient pasprendre la responsabilité d’évacuations coûteuses, au cas où plustard leurs estimations seraient remises en question. […]

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M. Kosako dit que les principaux conseillers du Premier ministre ontignoré  de  manière  répétée  ses  demandes  frénétiques  de  rendrepubliques les cartes de Speedi, et il démissionna en avril par peur devoir des enfants exposés à de dangereux niveaux de radiations.Des conseillers du Premier ministre répondent que le système n’étaitpas très utile pour prédire la direction du nuage radioactif. ShunsukeKondo, qui dirige la Commission de l’énergie atomique, un organismede conseil au sein du bureau, dit que les cartes produites par Speedidans les premiers jours étaient illogiques, et changeaient plusieursfois par jour en fonction de la direction du vent.“Pourquoi publier quelque chose si ce n’était pas utile ?” ditM. Kondo, également professeur d’engeneering nucléaire à l’univer-sité de Tokyo. “Quelqu’un sur le sol de Fukushima, regardant ladirection du vent, en aurait su tout autant”. »

La solitude de l’administrateurKatsunobu Sakurai, maire de Minami Soma, dont l’appel a fait le tourdu monde et fait de lui l’une des cent personnalités les plus influentesdans le classement du magazine américain Time. Il est, depuis, devenuun relais de la propagande du gouvernement en incitant ses adminis-trés à revenir habiter la ville contaminée. Appel vidéo, le 24 mars 2011.

«  Je  suis  le  maire  de  Minami  Soma,  Katsunobu  Sakurai.Le 11 mars, le tremblement de terre et une série d’accidents enchaîne à la centrale de Fukushima ont très sérieusement endom-magé notre ville. Je voudrais remercier tous ceux qui nous ontoffert de l’aide, y compris les médias étrangers. Cependant, il y a toujours une absence substantielle de moyens dansnotre région, qui est à 20-30 kilomètres de la centrale, parce que legouvernement nous a donné l’ordre de rester confinés à l’intérieur.Et nous restons complètement isolés, avec les maigres informationsque nous avons pu obtenir du gouvernement et de Tepco.Les habitants de Minami Soma, venus à la conclusion d’une éva-cuation  volontaire,  la mettent  en  pratique,  et  l’administrationmunicipale  les  aide  dans  leur  départ.  Le  nombre  d’habitants restants à l’heure actuelle est de plus de 20 000. Nous prenons

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en charge toutes les dépenses de vie pour ces personnes, mais jeregrette de dire que, malgré nos efforts, nous rencontrons les plusgrandes difficultés à leur fournir même les produits de survie élé-mentaire. Nous avons besoin de votre aide. L’ordre de confinement nous res-treint dans nos efforts et notre logistique. Nous avons besoin de l’aide de volontaires, notamment concernantle transport de denrées, mais nous devons solliciter des volontairescapables d’intervenir à leurs propres risques et périls, étant donnéles mesures de confinement ordonnées par le gouvernement. La plupart des médias, si ce n’est la totalité, récoltent leurs infor-mations par le téléphone. S’ils ne viennent pas directement sur placepour prendre leurs informations à la source, ils ne se rendront jamaiscompte, ni ne rendront compte, de ce qui est en train d’arriver auxgens ici.Nous les enjoignons vivement à venir ici et constater sur place cequi  se  passe. Depuis  que  les mesures de  confinement  ont  étémises en place, tous les commerces et les supermarchés sont fer-més, les banques sont fermées, les gens sont en train de mourircomme si on était dans une période de famine. Et l’essence ne suffit plus, et il nous est de plus en plus dur d’éva-cuer.  Nous  demandons  également  de  l’essence  ainsi  que  dessubstituts d’essence. Cela fait quatorze jours qu’a eu lieu le tremblement de terre. Il ya de moins en moins de produits élémentaires dans les maisonsdes citoyens. Mais nous n’avons plus assez d’essence pour lesatteindre. Nous demandons donc des volontaires qui pourraientnous apporter de l’essence. Les fonctionnaires locaux combattentégalement la menace des radiations. Ils travaillent à protéger lescitoyens, dans un état de fatigue et de tension extrêmes. Certainsont perdu leur famille dans le désastre, et d’autres ont perdu leurmaison. Ils sont l’épine dorsale de la vie des habitants. J’espère que des volontaires pourront partager avec eux leur ter-rible  fardeau.  S’il  vous  plaît,  apportez-nous  votre  aide  poursurmonter cette période d’extrêmes difficultés. Minami Soma estdans une région qui s’enorgueillit de mille ans de hautes tradi-tions samouraïs, à savoir, par exemple, le festival Soma-Nomaoi.Un tsunami de 20 mètres de haut, cela dépassait absolument toute

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imagination. Il a dévasté un rivage côtier de 20 kilomètres sur2,5 kilomètres de profondeur. Toutes les habitations sur son che-min ont été entièrement détruites. Et pourtant nous avons à peineeu  le  temps  de  compter  les  disparus.  Nous  avons  compté253 corps et 1260 disparus. Et maintenant, nous devons faire faceà cet accident nucléaire. Les habitants dans un rayon de 10 kilo-mètres  de  la  centrale  ont  évacué,  et  ceux  dans  un  rayon  de20 kilomètres sont en train de le faire. Et ici, dans un rayon de30 kilomètres, on dit aux habitants de rester chez eux. Beaucoupde personnes n’ont aucun moyen de  transport.  Ils ont  les plusgrandes difficultés à faire acheminer toute denrée jusqu’à chezeux. Nous sommes au regret de vous le dire, mais nous avons besoinde volontaires qui agiraient à leurs propres risques. Voilà ce quesignifie le fait que toutes nos activités extérieures soient limitéespar les mesures gouvernementales de confinement. […] »

La solitude de l’administréWataru Iwata, habitant de Fukushima,extrait d’une conférence de presse à Valence pour la CRIIRAD, le 11 août 2011.

« Le 11 mars, on a eu un très gros  tremblement de  terre qui adébouché sur un tsunami. Le désastre a été massif et pratiquementle même jour on a appris le désastre à la centrale de Fukushima.Le 12 mars, le gouvernement a fait savoir qu’il y avait une explo-sion d’hydrogène dans la centrale nucléaire. Au départ, ils ont ditqu’il n’y avait pas de problèmes sanitaires. Ils ont ensuite dit qu’iln’y avait pas plus d’inquiétudes au niveau de la centrale nucléaire.Mais le 14 mars, il y a eu une autre explosion sur le réacteur n° 3qui contient du combustible MOX. L’explosion a été massive, legouvernement  a  parlé  d’une  explosion  d’hydrogène  mais  noussommes restés sceptiques. Les gens de la zone de la centrale deFukushima étaient dans une situation terrible, à la fois à cause dutremblement de terre, du tsunami, pas d’électricité, des problèmesd’accès au carburant, à l’eau. Les autorités n’ont pas donné demessage demandant aux gens de prendre des précautions particu-

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lières.  La  zone  d’évacuation  a  été  progressivement  étendue  :d’abord 3 kilomètres, puis 8 kilomètres, fin mars, 20 kilomètres.Et actuellement, la position du gouvernement, c’est de dire quec’est vraiment 20 kilomètres. Les autorités continuent à dire qu’iln’y a pas de risques sanitaires pour les populations.(Montrant une photo) Ce sont les images de contrôles sur les popu-lations de la zone. Cette photo montre manifestement un endroitqui est très contaminé avec un compteur Geiger qui est saturé etpourtant cet habitant n’en a pas conscience et il vaque à ses occu-pations normalement. Les gens n’ont pas eu d’informations sur lanécessité de prendre des précautions donc ils ont continué à vivrenormalement. Du fait du tsunami, les gens sont partis et voulaientrevenir chez eux sans avoir d’information sur la radioactivité. Maisla situation n’est pas la même à cause de la radioactivité. Le pro-blème est que la radioactivité ne se sent pas et ne se voit pas etles gens ne peuvent pas contrôler eux-mêmes cette radioactivité.Je suis passé dans la ville de Youmatsu (à une vingtaine de kilo-mètres)  fin  mars  et  j’ai  mesuré  un  taux  de  radiation  de3,5 microsieverts par heure (plus de 35 fois la radioactivité nor-male).  J’ai  constaté  que  les  gens  vivaient  là,  normalement,  ilsétaient à la terrasse des cafés, normalement. […] »

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SUCRER LES FRAISES

« Le nombre de cancers ne devrait pas augmenter au Japon

suite à la catastrophe de Fukushima. »

Département de santé japonais, 21 mai 2011.

Fukushima suivi au quotidienLaurent Horvath, Le Temps (quotidien suisse), 12 avril 2011.

« Alors  que  le  porte-parole  du  gouvernement,  Yukio  Edano,mangeait devant les caméras des fraises cultivées à Fukushima,le périmètre de sécurité a été élargi autour de la centrale pourcause  de  radioactivité.  Quelques  heures  avant,  le  Premierministre,  Naoto  Kan,  affirmait  que  la  situation  des  réacteurs“avance pas à pas vers une stabilisation et que les émanationsradioactives étaient en diminution”. Et hop, il n’avait pas terminésa conférence de presse que le niveau de la catastrophe passaitde 5 à 7 […]. L’Agence japonaise de sûreté nucléaire a élevé auniveau maximum de  7  l’accident  nucléaire  de Fukushima  surl’échelle des événements nucléaires et radiologiques (INES), leplaçant  au  même  degré  de  gravité  que  la  catastrophe  deTchernobyl. L’Agence souligne que les grandes quantités d’iodeet de césium relâchées dans l’atmosphère peuvent “affecter” lasanté des personnes et l’environnement. “Les fuites radioactivesn’ont pas cessé complètement et notre inquiétude est qu’ellesdépassent finalement celles de Tchernobyl.” Le représentant deTepco, Junichi Matsumoto, souligne que le passage au niveau 7est dû aux grandes émanations  radioactives  relâchées.  Il  s’estexcusé devant les Japonais. »

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« Je pense que ce désastre est une punitiondivine contre les Japonais qui s’étaient renduscoupables d’égoïsme, par ailleurs je suis peinépour les victimes. » « Je retire ma remarque et fait mes profondesexcuses. » 

Shintaro Ishihara, gouverneur de Tokyo, Japan Times, 16 mars 2011.

« Je m’excuse sincèrement, Tepco a provoquéde l’anxiété et des nuisances aux habitantsdes environs des centrales, de la préfecture deFukushima et du pays. »(Pendant ce temps, Masataka Shimizu, le PDGde Tepco, est en fuite.) 

Norio Tsuzumi, l’un des vice-présidents de Tepco, Libération, 25 mars 2011.

« Nous sommes profondément désolés. »(Suite à une erreur de deux zéros dans l’annonced’un  taux  de  radioactivité  dix  millions  de  foissupérieur à la normale.)

Takashi Kurita, porte-parole de Tokyo Electric Power Co. Actualité nucléaire CFE/CGE métallurgie,

27 mars 2011.

TOUTES MES EXCUSES…

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« C’est regrettable, mais nous n’avons pas decalendrier concret nous permettant,actuellement, de dire dans combien de moisou d’années (la crise sera terminée). »

Sakae Muto, l’un des vice-présidents de Tepco,Le Figaro, 28 mars 2011.

« Il y a près d’un mois que ce tremblement deterre a eu lieu. Je souhaite exprimer desexcuses du fond de mon cœur pour lesinquiétudes et les problèmes que nous causonsà la société en raison de la fuite de matièresradioactives dans l’atmosphère et l’eau de mer[…] Nous avons suscité des inquiétudes et desdifficultés en prenant cette décision sansprendre assez de temps pour expliquer laquestion au préalable aux personnes affectées,à la presse, à l’industrie de la pêche et auxpeuples d’outre-mer, ce dont nous sommesnavrés. »

Sakae Muto, l’un des vice-présidents de Tepco,lors d’une conférence de presse,

Le Monde, 9 avril 2011.

« Nous sommes réellement navrés que les centrales nucléaires aient été la cause de cescraintes et de ces soucis dans le monde entier. »

Satoru Sato, porte-parole du ministre des Affairesétrangères, Takeaki Matsumoto, lors d’une 

rencontre à Djakarta avec ses homologues des dixpays asiatiques de l’Asean, 

Le Monde, 9 avril 2011.

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DÉRIVE DANS LA ZONE

Lettre de Saachan« Iwaki City, Fukushima : report from the stricken area »,parue sur le site Japan-Fissures in the Planetary Apparatus,21 mai 2011.

« Je suis arrivé à Iwaki, préfecture de Fukushima, le 16 avril. Je n’yétais pas retourné depuis le tremblement de terre. Je suis venu poury donner un concert. “Nous ne voulons pas que la soirée participe dela campagne Fukushima  sois  forte. Nous voulons que la centralenucléaire soit le sujet de l’événement”, m’avait dit K., l’un des organi-sateurs. J’étais moi-même très énervé que Tokyo refuse d’écouter ceque Fukushima avait réellement à dire.À Iwaki, la côte a été dévastée par les tsunamis et la partie nord, àcôté de la centrale, a été classée comme zone où l’on exige des gensqu’ils se mettent à l’abri et restent enfermés. Personnellement, j’avaisenvie de sortir et de comprendre par moi-même ce que les gens pen-saient de la centrale nucléaire. C’est avec ça en tête que je suis allélà-bas.

En voyant le visage de mes amis, je me suis senti soulagé…Mon dernier séjour à Iwaki datait de quelques mois. En comparaison,la ville ne m’a pas paru si dévastée que ça, à l’exception des trousdans les routes, et des bâches de plastique bleu recouvrant les toi-tures dont des bouts avaient été emportés.Ce qui m’a  tout de suite  frappé, c’est que  les gens portaient desmasques dans la rue. Le gouvernement japonais avait mené des cam-pagnes dans tout Fukushima, afin de minimiser les conséquences desincidents nucléaires. Mais aucun habitant n’a été assez stupide pourles croire sur parole. Beaucoup sont tristes, troublés, et aimeraientreprendre le cours normal de leur vie (ils veulent croire que tout vabien) mais ils restent très méfiants envers le gouvernement et Tepco.

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Il n’y a qu’une salle de concert à Iwaki. Son propriétaire faisait tour-ner des groupes et louait la salle pour des soirées. Son affaire a étéruinée par le tremblement de terre, mais le club a survécu et sert derefuge temporaire pour des musiciens du coin. Alors que le proprié-taire cherchait des fonds pour rouvrir son club, la seule propositionqu’il a eue concernait une soirée qui devait faire la publicité de lacentrale nucléaire. “Je suis contre l’énergie nucléaire!” a-t-il hurléalors qu’il refusait l’offre.Pour l’instant, toutes les personnes qui travaillent dans la salle sontdes volontaires, et ils organisent quotidiennement des concerts gra-tuits. Tous les membres du staff sont des hommes. Ceux qui ont unefamille ont fait évacuer leur femme et leurs enfants en dehors deFukushima, et sont restés seuls à Iwaki.Bien que mes amis – que je n’avais pas vu depuis longtemps – mesourient, je sais qu’ils s’inquiètent de leurs conditions de vie ; cer-tains ont perdu leur maison, d’autres leur boulot. “On vous est trèsreconnaissant d’être venu, on ne s’attendait pas à ce que vous veniezalors qu’on est en pleine crise nucléaire”, m’ont dit certains d’entreeux. Quand les organisateurs ont demandé à des groupes de Tokyode venir, la plupart ont refusé parce que c’était trop “flippant” d’allerà Fukushima, et qu’ils “ne savaient pas ce qui allait se passer avec lacentrale nucléaire”.K. était venu se réfugier dans mon appartement à Tokyo une semaineaprès le tremblement de terre et l’accident nucléaire. ça lui avaitpris une semaine de faire le voyage jusqu’à Tokyo, à cause de lapénurie d’essence dans sa ville. Mais après quelques jours passés àTokyo, il est retourné à Iwaki. Il devait voir des gens des assurancespour réparer sa maison, et voulait négocier un crédit auprès de sabanque. Depuis, K. travaille au bureau de poste local – qui a réou-vert – ; il doit s’occuper de la réception et de la distribution desnombreuses vivres et colis donnés. Il est écœuré par Tepco et parl’administration locale. Depuis qu’il a participé aux luttes contre laconstruction de la seconde centrale de Fukushima Daiichi, il ne saitque trop combien les gens qui s’opposent à la centrale sont harceléspar Tepco et tous ses soutiens. Lorsque l’accident nucléaire a eulieu, ces mêmes partisans du nucléaire ont été les premiers à fuirFukushima,  abandonnant  les  autres  habitants  derrière  eux.Au même moment un vieil homme, qui avait été viré de sa ville

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natale (et de son boulot) à cause de ses prises de position virulentescontre  la  construction de  la  centrale,  était  revenu  en  ville  pourexhorter les habitants à évacuer.

De la zone frappée par le désastre à la côte…Le lendemain de notre concert à Iwaki, K. nous a emmenés voir leszones dévastées de la côte. J’avais entendu des nouvelles à la radioaffirmant que “de nombreux curieux venus de Tokyo se rendaient àIwaki”, mais je n’ai vu que des voitures immatriculées à Iwaki. Il yavait tellement de routes fermées au trafic qu’il était difficile pourquelqu’un qui n’était pas du coin de se déplacer dans cette zonedévastée par le tsunami.Quand on est sortis de la ville en cours de reconstruction, et qu’ona commencé à apercevoir les bords de mer frappés par le tsunami,le paysage a brusquement changé. Le port d’Onahama, qui était il ya peu en plein essor avec son marché aux poissons, était devenu ungigantesque amas de décombres et d’ordures, que la mer avait char-riés hors des bâtiments effondrés. Les restaurants et les magasinsétaient  complètement  détruits.  Nous  avons  pris  de  nombreusesroutes fermées, pour remonter un peu plus loin le long de la plage.C’était de pire en pire au fur et à mesure que l’on se rapprochait despetits ports (Yomyoma, Usuiso et Yotsukura), où aucun journalistene s’était aventuré. Bateaux éventrés, maisons détruites, villagesréduits en cendres par les incendies qui avaient suivis le tsunami[...] Plus d’un mois après le tremblement de terre, le paysage sem-blait figé ; on aurait dit que personne n’avait touché à rien. Tout étaiten ruine, comme au lendemain d’un bombardement.On traversait avec difficulté des tas de décombres, au milieu desquelsune voiture aurait eu du mal à se frayer un passage. Des personnesâgées  rassemblaient  leurs  affaires,  déplaçant  péniblement  desplanches et des morceaux de bois. On a remarqué avec surprise qu’ily avait très peu de bénévoles pour les aider, et très peu d’engins dechantier pour déplacer les décombres. Les bureaux de coordinationdes volontaires à Iwaki fonctionnent mal, notamment parce qu’ils sontobligés de refuser les volontaires venant de plus loin qu’Iwaki etFukushima. Ces bureaux vont jusqu’à interdire aux bénévoles qui levoudraient de s’organiser de manière indépendante. Même K, qui vità Iwaki, a du mal à distribuer les dons (comme des barres de céréales

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ou  des  bandes  dessinées)  dans  les  refuges.  Nous  avons  vu  desaffiches collées sur certains immeubles, qui disaient : “l’administra-tion locale permet que cet immeuble soit démantelé”, relayant l’ordrepublic pour les habitants dont la maison avait été détruite.Je ne saurais exprimer ce que j’ai ressenti lorsque j’ai vu une pan-carte “En attente” sur la façade d’une maison qui, en réalité, étaitcomplètement détruite. Ce qui était pour moi un tas de décombre etde gravas, avait été pour d’autres un lieu de vie. Je commençais àcomprendre que le désastre nucléaire était à l’origine d’une catas-trophe à long terme, et faisait encore davantage de dommages queles tremblements de terre et les tsunamis.Au port, j’ai été stupéfait de voir que de nombreux bateaux étaientencore amarrés, au milieu de ces scènes accablantes. N’importe quelpêcheur  au  Japon  (mon  père  est  lui-même  pêcheur)  sait  quelorsqu’un port est frappé par un tsunami les bateaux doivent resteren mer. En regardant les bateaux épargnés, j’ai pensé instinctive-ment : “S’il reste autant de bateaux, ils pourront se débrouiller enallant pêcher le long de la côte”. Pour sauver  leurs bateaux,  lespêcheurs avaient dû nager au milieu des vagues du tsunami, com-battant  leur peur, afin de protéger  leur  famille et  leur vie. Maisc’était maintenant au tour de la mer elle-même de leur interdire lapêche, à cause des eaux contaminées qui s’écoulaient hors de lacentrale nucléaire. Je n’ose même pas imaginer la frustration et lacolère de ces pêcheurs. J’avais pu penser à une reprise de la pêcheparce que le port avait été nettoyé, contrairement aux quartiers rési-dentiels encombrés par  les décombres. Il semblait y avoir assezd’espace pour reprendre l’activité. On aurait dit qu’ils pouvaientrepartir en mer à l’instant s’ils le souhaitaient. Les bateaux commeles hommes semblaient attendre le jour où ils pourraient retournertravailler. Dans le département du Kunohama, à 18 miles de la centrale, j’aitrouvé des panneaux fabriqués avec des bouts de tatamis rejetés parle tsunami, et sur lesquels chaque mot, tracé à la main, était remplide haine et  résonnait dans mon cœur. Parce que  la mairie  avaitdéclaré le district “sain” peu après l’accident nucléaire, les habitantsn’avaient pas été autorisés à évacuer. Mais, en même temps, aucunapprovisionnement ne pouvait y être acheminé, aucun volontaire nepouvait s’y rendre, parce que la zone était trop proche de la centrale.

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J’ai entendu dire que des messages assez similaires à ceux gravéssur les tatamis avaient commencé à apparaître de plus en plus fré-quemment vers  le mois d’avril. Alors que nous  repartions, nousavons croisé de nombreux cris de rage adressés au gouvernement,griffonnés sur des bouts de bois et autres supports de fortune. Les médias de masse ne relayent aucun de ces messages, alors quece sont précisément ces gens de Fukushima qui auraient beaucoupà nous dire : 1- “Nous ne voulons plus de l’énergie nucléaire”2- “Allez-vous tuer les habitants de votre propre pays ?”3- “Prenez les réacteurs, et emmenez-les ailleurs avec vous”4- “Les habitants sont exposés aux radiations”Nous sommes tombés sur un marché en plein air à Michi-no-eki(une aire de repos le long de l’autoroute, où le gouvernement faisaitla promotion des produits locaux et du tourisme). Toutes les vitresbrisées étaient recouvertes des traditionnelles affiches de pêche, surlesquelles on pouvait encore lire : “Belles prises”. Évidemment nousn’avons  trouvé  aucun  de  leurs  fameux  produits  de  la  mer.  Ilsn’avaient pas grand-chose à vendre, à part des yakitoris surgelés (dupoulet  grillé),  des  fruits  et  des  pâtisseries.  On  aurait  dit  qu’ilsavaient apporté tout ce qu’ils pouvaient pour le vendre. Dans unrayon gratuit, il y avait des cartables noir et rouge (les cartables obli-gatoires pour les enfants de l’école primaire). Une fillette de 10 ansen a pris un et l’a mis sur son dos, contente. Ils vendaient égalementdes  canettes  de  jus  de  fruit  et  des  bouteilles  de  liqueur,  qu’ilsavaient apparemment trouvées dans le sable et nettoyées à la mainaprès le passage du tsunami. Je n’ai même pas réussi à ouvrir la bou-teille de sochu que nous avions achetée, tellement il y avait de sableautour du bouchon. Il tournait sur lui même, sans se dévisser.

Le point central : rester ou partir…Pendant notre voyage, K. m’a expliqué ce qui s’était passé dans sacommunauté. Lorsque l’un des membres de son groupe, qui travail-lait dans le nettoyage industriel, est arrivé à l’usine un matin, on luia ordonné d’enfiler une combinaison NRBC. Ensuite on l’a obligé ànettoyer les véhicules qui avaient été utilisés dans la centrale pen-dant l’accident nucléaire. Aucune explication ne lui a été donnée.Il y avait des tentes à côté, dans lesquelles les travailleurs de jour

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dormaient, épuisés à cause du manque de nourriture et des condi-tions de travail extrêmes. Il y avait aussi des employés de Tepco, quidiscutaient tranquillement entre eux dans des voiturettes, sans rienfaire. Les employés de Tepco ne sortaient des véhicules qu’en casde visite de journalistes ou de membres du Parlement, afin de leurmontrer combien ils travaillaient dur. Lorsque l’ami de K. a comprisleur petit manège, il dit avoir eu envie de “tous les tuer”.D’après ce que sait K., un jour de travail à la centrale depuis l’ac-cident rapporte au mieux 15 000 yens (environ 140 euros), et au pire9 000 yens (environ 85 euros). Mais qui peut oser exploiter les gensd’une telle manière ? K. a connu par hasard un employé de Tepco,qui avait lui-même évacué Fukushima avec sa famille et prétendaits’être installé à Iwaki. Il twittait: “Iwaki va bien”, “tout est sain”, etc.Lorsque K.  l’a  dénoncé  sur Twitter,  l’employé  a  immédiatementfermé son compte. Parce qu’il y a énormément d’histoires commecelle-là, les habitants d’Iwaki ne discutent plus que pour se deman-der s’ils doivent “quitter” la ville ou “rester”.La  nuit  précédant  notre  départ  d’Iwaki  pour  Tokyo,  nous  noussommes arrêtés dans un restaurant de tripes grillées près de la gare.Le restaurant semblait tout à fait normal, mais tout le monde parlaitdu tremblement de terre, du tsunami et de l’accident nucléaire. Lastation de télé locale donnait constamment les mesures des radia-tions dans les différentes zones, et donnait la liste des zones danslesquelles il était nécessaire d’avoir un certificat de victime. Biensûr, aucun de ces sujets n’est abordé à Tokyo. Dans  le moindrerecoin du restaurant, nous entendions : “tant et tant de millisieverts”,ou encore “tant et tant sur mon compteur Geiger”. J’ai failli me mêlerd’une  conversation  lorsque  j’ai  entendu  des  jeunes  évoquer  lesmanifestations  anti-nuk.  Alors  qu’on  quittait  le  restaurant,  lapatronne nous a interpellés : “Ne vous inquiétez pas pour les radia-tions ici, et n’hésitez pas à revenir !” Le repas avait été délicieux, etpas cher. On reviendra, même si rien ne va bien !Le  lendemain matin  il  a  plu.  Tous  les  enfants  qui  partaient  àl’école portaient un masque, un ciré et un parapluie. Le 15 avril,le gouvernement avait augmenté les seuils acceptables d’exposi-tion  aux  radiations  pour  les  enfants  à  20 millisieverts  par  an.Ce chiffre dépasse les doses qui autorisent les travailleurs indus-triels  à  obtenir  des  indemnités  en  cas  de  leucémie.  Dans  de

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nombreuses écoles, le niveau de radiation était aussi élevé quedans les “radiation control zones”, dans lesquelles le gouverne-ment invite les habitants à évacuer. Les parents et les surveillantsavaient demandé aux responsables locaux d’attendre pour rouvrirles écoles, mais le gouvernement fédéral a ordonné au ministre del’Éducation  de  Fukushima  de  déclarer  la  reprise  des  cours.Il parait même que des habitants de certaines zones ont dû signerun  document : “Si quoi que ce soit arrive, l’école ne pourra enaucune manière être tenue pour responsable.”Nous devons donc tous nous demander de quelle manière créer dela solidarité, de façon réaliste, avec les habitants de Fukushima quine peuvent pas venir parler à Tokyo. Il y a deux impératifs : le pre-mier est de demander à Tepco et au gouvernement d’assumer leursresponsabilités, et les obliger à reconsidérer leur politique nucléaire.Cela inclut notamment que les enfants puissent trouver refuge dansdes lieus plus sûrs, avec des garanties réelles pour leur vie quoti-dienne. Le second est de faire parvenir une aide médicale et socialeà ceux qui ont décidé de rester à Fukushima. Il est inévitable des’attendre à un nombre croissant de cancers et de maladies chez lesenfants. Nous devons réfléchir à la manière de compenser les tortset  les  dommages  qu’il  subissent,  tout  autant  que  d’établir  leursdroits. Ce sera un enjeu essentiel ici à Fukushima dans les annéesqui viennent.Lorsque j’ai dit au revoir à K. devant la gare d’Iwaki, il m’a souri etm’a dit : “Si quelque chose arrive, je me précipite à Tokyo à nouveau.Donc ne t’inquiète pas, ça ira.” Peu après mon retour à Tokyo, il m’aappelé : “On prévoit d’organiser un festival anti-nuk cet été, aussiprès que possible de la centrale.” Je pense toujours qu’il devrait venirs’installer à Tokyo, mais j’ai bien l’impression qu’il ne le fera jamais.En ce qui me concerne, je vais continuer à passer à Iwaki pour lesaluer. Je vais y retourner aussi souvent que je le pourrai. Jusqu’aujour – bien que ce jour puisse ne jamais arriver – où on se retrouverapour manger du mehikari (“poisson-lézard”) et du ankou (“poisson-singe”) sans inquiétude. »

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