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Où vont nos rêves ?

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Où vont nos rêves ?

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Recueil

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C’est l’imprimerie Ciais, partenaire du festival du livre, qui nous permet de vous offrir ce livre. Merci à ce fidèle partenaire.Merci à Telerama fidèle partenaire du Festival d’avoir co-organisé ce concours d’écriture.

Ets CIAIS

IMPRIMEURS - CRÉATEURS

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Prologue

« Où vont nos rêves ? »

Près de 800 participants au concours d’écriture !

A l’occasion de sa 27ème édition des 3-4-5 octobre 2014, le Fes-tival du livre de Mouans-Sartoux a organisé avec Télérama, un concours d’écriture pour répondre à la question : Où vont nos rêves ?Une invitation au voyage, intérieur, ou extérieur, une invitation à penser, à soi, au monde, aux autres, au futur, au passé, au pré-sent… Il fallait écrire un récit, un témoignage, un conte, un poème, un essai, une planche de BD… d’un maximum de 3000 caractères.Les textes édités ici sont ceux qui ont recueilli le plus de suf-frages. Nous les avons présentés par ordre alphabétique, parce que chacun d’eux a son charme, son caractère, et sa tonalité. Parmi ceux- ci, l’un d’eux a été publié dans Telerama. Trois autres ont été publiés sur le site de Telerama. Ils sont signalés.

Nous souhaitions cette année faire participer les lecteurs à tra-vers l’écriture et nous remercions tous ceux et celles qui ont écrit un texte sur cette question largement ouverte.C’est bien l’esprit du Festival du livre depuis sa création.Tout ce qui est mots, paroles, expressions libres, images, mu-siques associées, théâtre, lectures, voix hautes, voix basses, voix libres surtout, tout cela est dans le festival. Le livre vivant, dans un festival participatif, où la parole libre est reine.

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Plus de 50 000 personnes viennent chaque année de toute la grande région découvrir livres et auteurs « en vrai », participer activement aux 50 débats et entretiens, aux projections autour des questions de société qui animent notre monde contempo-rain. Entre les intervenants et le public s’engagent des discus-sions de haute tenue, portant haut et loin la réflexion et la pen-sée citoyenne.Évolution du monde, droits humains et droits des femmes, hu-manisme, écologie, jeunesse, solidarités nouvelles… Nos incer-titudes et nos rêves, nos inquiétudes et nos espoirs, se reflètent dans les échanges souvent toniques.

Cette année, spectacles, lectures, concerts, siestes littéraires, ex-positions, nombreuses animations jeunesse, concerts littéraires classiques, concerts poétiques, spectacles de contes, perfor-mances de rue, viennent enrichir ces trois jours de fête !

C’est pour vous ! Bonne lecture.

Marie-Louise GOURDONCommissaire du Festival du livre

Maire-adjointe à la culture

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Vers ces deux nuages…

Ce matin, peu après le plein du jour, l’intense était dans ces deux nuages cotonneux, lents, presque immobiles qui traversaient un ciel nu. Ni tristes, ni gais, avec un air enfantin, mal assuré, ils coiffaient et décoiffaient le clocher rêveur, étonnés de caresser le silence. Où vont nos rêves ? Dans ce grand désordre discipliné.

Roger Aïm

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La lune

Lui, c’était comme ça qu’on l’appelait.La lune, qu’on disait quand on le voyait.Dans le village, c’était bizarre quand même sa grande silhouette tordue vers le sol, et la tête qui arrivait quand même à se redres-ser vers le ciel.Vous l’auriez vu, vous auriez pas cru qu’il allait faire de vieux os.Où qu’y vont, nos rêves, il disait la nuit à ses étoiles qui lui riaient dessus.Au village nous on cultivait la terre. Fallait bien vivre. Y en avait qu’un pour vouloir cultiver le ciel, et c’était lui, la Lune.Faut dire qu’il avait toujours été comme ça. Soixante-dix ans à creuser la terre avec sa bêche, soixante-dix ans à creuser le ciel avec ses questions.Tout jeune encore, il était tout seul. On a jamais su comment il a fait, mais il s’est trouvé une femme à quarante ans. Il a fondé une famille, la Lune.Dieu sait qu’en plus ils ont eu les plus beaux enfants du monde. Au village, ça surprenait, c’est sûr. Deux gosses intelligents, deux têtes à changer bien des choses dans le monde, je crois bien.La Lune leur enseignait pas les livres, il savait pas lire et sa femme aussi. Il leur enseignait pas non plus la terre, ça servait à rien qu’il disait. La terre, qu’il rabâchait, plus tu la creuses, plus tu te vides. Et lui, il disait qu’il était plein.— Plein de quoi ? on lui demandait parfois, à l’occasion.— Plein du ciel, il parlait.

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Tout le temps il montrait le ciel à ses mioches. La fille disait qu’elle étudierait les étoiles pour les embrasser, le fils déclarait qu’il trou-verait le moyen de l’y amener, sa sœur, pour les étudier et les embrasser les étoiles.On a jamais su où ils avaient trouvé l’argent pour réaliser leur rêve, les deux gosses. Comment qu’il avait fait, la Lune, pour leur payer des études.Quand ils venaient au village, ils faisaient sensation chaque fois. C’était des têtes bien faites, eux. Des citadins instruits.Marchaient droit, pas comme nous qu’on était pliés à force de travail. La terre, ça c’est sûr, elle nous avait vidés. Et eux, les gosses, marchaient bien, regardaient droit, regardaient en l’air, vers le ciel.La Lune était fier comme pas possible. Le soir, quand il regar-dait les étoiles, il disait plus comme avant, comme quand il était jeune : « Où qu’y vont nos rêves. » Là il disait :— Merci mon Dieu.Mais le monde il va pas droit, jamais. Et la Lune luttait. Quand tout son corps de bossu réclamait la vue de la terre, lui il avait encore la force de lever la tête vers le ciel.Quand y a eu la guerre, il a beaucoup prié pour ses gosses qu’étaient en ville, aux études.Un type est venu le voir, un jour. Il a dit que ça avait pété en ville, avec les bombes. Alors qu’à la campagne, ici, on avait pas enten-du péter une mouche.Si j’vous dis ça, c’est parce qu’après on l’a vu un soir sous la voûte du ciel, tout seul, et il a dit, comme ça, instruit :— Où êtes-vous ?On a jamais su s’il parlait de ses rêves ou de ses gosses. Peut-être des deux.Mais y a une chose qu’est sûre. La Lune, après cette nuit-là, il a plus jamais levé la tête.

Florent Bottero

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Rêve, rêve, petit Moussa,Rêve de ce pays là-bas,Où les hommes sont blancsEt courent après le temps,Où les villes sont grises,Leurs autos rutilantes,Leurs télés « dernier cri », Et tu voudrais tout çà…Travail, argent, travail,Argent, travail, argent.

Rêve, rêve, grand Nicolas, De ces contrées lointaines, Où le temps est plus lent,De partir, de courir,Le monde et ses déserts, D’espace et de lumière, Loin des cages de verre,De ton bureau écran…Bilans, meetings, bilans, Meetings, bilans, meetings.

Rêve, rêve, douce Lucie, De l’amour grand et noble, De caresses et tendresses,

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Loin des coups et des bleus,De ton coeur, de ton âme,Du jardin si parfait De ta maison trop belle,De ton quartier si chic…Confort, déprime, confort,Déprime, confort, déprime.

Rêve, rêve, sage Pierre Jean, D’amitiés véritables,De sentiments sincères, Sans tous ces faux-semblants,Tu as tout essayé,Les bolides, les palais,Le luxe, la volupté, Mais le sens n’y est pas. Opulence, ennui, opulence,Ennui, opulence, ennui.

Rêve, rêve, jolie Marie,De plage et de soleil,Et d’un homme trop beau,Qui caresse ta peau,Contre biberons, cuisine,Loin d’un gentil mari,tellement trop plein d’ennui, Tu te sens Bovary…Devoir, bienséance, devoir,Bienséance, devoir, bienséance.

Le Grand OrdonnateurNe sait plus, ne sait pas,Où mettre tous ces rêves…Dans un chaudron ouaté, De nuages bleutés,

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Il les a rassemblésMélangés à du miel,Eau de rose et cannelle, Puis il nous a conviés :Touillez, touillez les rêves, Et dans un grand festin,Partagez, distribuez,Prenez, goûtez, buvez,Que chacun se délecte, De ce nectar divin, Ainsi de tous vos rêvesCommun, universel, Il n’en reste plus Qu’un…

Faire de ce monde un lieuOù les rêves ne sont plusTant on s’y sent si bienOn a besoin de rienQue de fruits sur les arbresQue du souffle du ventDe l’eau de la rivièreEt du sourire des gens.

Martine Bourreau

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Les cours de récré

Elles sont vides, silencieuses, les cours de récré. Elles n’ont plus rien à dire, dans l’été sec, elles n’ont plus de papiers de bombons, elles n’ont plus faim, elles n’ont plus de bleus, elles n’ont plus de cris, elles n’ont plus d’enfants. Elles sont creuses comme des ventres plats qui ne porteraient rien, les cours de récré, elles n’ont plus d’enfants, plus un seul. Pas un seul cerceau lancé en l’airpas un Thomaspas une Julie pas une joieelles sont vides, silencieuses les cours de récré, comme des mères en exil comme des mères sur la route chaude de juillet sauf qu’elles ne bougent pas sauf qu’elles sont immobiles les cours de récré immobiles et silencieuses dressées là comme le désert.Elles n’ont plus de lundi de dimanche, d’interros, elles n’ont plus de matin elles n’ont même plus de récré elles sont des cours de rien du tout des cours de marelles vides.

Le soleil brille dans le vide pas une seule peau qui se réchauffe la pluie d’été ne tombe sur rien personne ne court.

Les bancs sont seuls les bancs sont de vieux messieurs désolés il n’y a pas d’amoureux assis il n’y as pas de rose aux joues il n’y a pas de cartables jetés à terre les derniers ont passé le por-tail il y a longtemps déjà ils ont passé le portail en hurlant les

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cartables en courant ils n’avaient plus une minute à perdre.

Elles sont vides, silencieuses, les cours de récré. La mer leur est passée dessus elle a tout emporté elle a pris Julie elle a pris Tho-mas elle a pris les amoureux la mer.

Elle a emportéles cahiers les cœurs griffonnés les goûters d’anniversaireles planètes en carton.

Sous le préau il n’y a plus un ballon qui roule, elle a tout pris la mer.

Mais elle n’a pas été jusqu’au bout, elle n’a pas atteint le mur elle n’a pas atteint la fresque, elle n’a pas léché les lettres rouges :

Nager avec les baleines Dormir dans la forêt Être chanteur Vivre dans un igloo Faire les jeux olympiques Manger toute la journée Construire la plus grande maison du monde Parler chinois Jouer de la guitare électrique Prendre l’avion Venir à l’école à cheval Faire 1m80 Se coucher tous les soirs à minuit Avoir un bateau Sauver le monde Chanter devant 10 000 per-sonnes Peindre comme Van Gogh Sauter en parachute Partir en Afrique Devenir astronaute Tomber amoureux.

Louise de Ravinel

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Où vont nos rêves ?

Ce matin mon rêve s’est mis en colère. Il se tenait debout au pied de mon lit, le regard sombre et l’air courroucé.« Maintenant j’en ai assez, je veux partir, je veux te quitter » m’a-t’il dit.Je crus que je rêvais, mais c’était impossible puisque mon rêve se trouvait là, devant moi et il était même en train de me parler !Je ne comprenais pas ce que cela pouvait signifier, mon rêve était-il donc vivant ?Avec prudence, je lui répondis : « Où veux-tu donc aller, mon rêve, et pourquoi veux-tu me quitter ? »« Tu n’es pas un rêveur sérieux, tu te moques bien de moi car tu me quittes toujours avant la fin de nos aventures, mais sans doute manques-tu de hardiesse ou de bravoure et cela t’empêche de rester en ma compagnie, pourtant nous pourrions voyager très loin ensemble, rien que tous les deux. »« Non, attends, tu es injuste, ce n’est pas de ma faute si je me réveille toujours trop tôt et bien souvent je le regrette car j’aime bien te suivre et j’apprécie beaucoup ce que tu me fais découvrir, enfin souviens toi, je t’ai toujours accompagné avec curiosité et confiance car c’est toi seul qui me révèle tous ces mystères et ces secrets, mais c’est vrai que parfois tu m’effraies un peu car je ne comprends pas très bien où tout cela va nous conduire, alors oui, je t’abandonne subitement mais je m’en excuse. »« Rendors toi donc sans moi, je ne te dérangerai plus, je m’en vais rechercher un autre rêveur qui sera sans nul doute plus coura-

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geux et aussi plus fidèle que toi ! »« Tu n’en trouveras point, cela n’existe pas, vois-tu, nous finissons tous par quitter nos rêves, même si nous les aimons, et le nou-veau rêveur que tu cherches se comportera sans doute à l’iden-tique ! »« Vous êtes bien superficiels, vous m’exaspérez, je ne suis pour-tant pas un cauchemar et je n’ai jamais été excessif ou vulgaire ! Personne ne devrait m’abandonner même si parfois, je le recon-nais, je suis un peu désordonné et fantaisiste ! Mais au moins cela me permet d’explorer l’espace ainsi que le temps et surtout je sais me déplacer rapidement ! Non, décidément ma patience a des limites, tu as été trop décevant ! Adieu ! »« Mais sans moi tu vas t’égarer et il te sera impossible de revenir, serons-nous donc séparés à jamais ? C’est vrai, je ne peux vivre en permanence dans ton monde mais je suis un authentique et un honnête rêveur car, tu ne le sais pas encore, il m’arrive aussi de rêver en étant éveillé. »« Comment cela peut-il se produire ? Et de toutes façons, si tu rêves éveillé alors tu n’a pas besoin de moi. »« Tout au contraire, mon rêve, tu pourras ainsi m’aider à libérer mon imagination et à réaliser mes projets les plus audacieux »Mon rêve semblait perplexe mais il finit par se décider. « Eh bien, cette idée parait séduisante, alors essayons ! »Je me levais bien vite, je me sentais soudain très heureux. Nous sortîmes tous les deux, mon rêve me suivait mais aussitôt il me dépassa et c’est donc moi qui suivis mon rêve, ce rêve qui saurait me guider jusqu’au bout de ma vie…

Luc Dragoni

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Messieurs les rêves, chers amis, chers camarades,

Nous voici réunis aujourd’hui pour régler une crise qui prend une ampleur grandissante, et pourrait même menacer jusqu’à notre existence.Si je vous ai contactés en urgence pour cette assemblée géné-rale, c’est que le monde réel, le monde de nos concepteurs, nous accepte de moins en moins. Nous, les rêves, nous devenons la cinquième roue du carrosse. On nous nie, on nous dénigre. D’autres soit-disant rêves, des imposteurs, empiètent chaque jour sur notre territoire : partout, on assène aux humains des va-cances de rêve avec des créatures de rêve, leurs films tentent de plus en plus de prendre notre place, leur imaginaire est dévoré par des créateurs publicitaires et des marchands.Notre petit artisanat a du plomb dans l’aile. Vous, par exemple, la caste des cauchemars, faites-vous encore le poids face aux films d’horreur en 3D dont les humains se délectent ? Vous les rêves d’enfance, ne vous sentez-vous pas galvaudés par la moindre publicité pour des céréales ou de la pâte à tartiner ? Quant à moi, le rêve de gloire, je me sens tout petit face à leur ambition dévo-rante.

Alors oui, mes amis, il nous faut réagir !

Il faut battre ces ennemis sur leur propre terrain. Il faut passer de l’artisanat à l’industrie. C’est pourquoi je vous propose une grande entreprise : appelons-la « Dreamland ». Un parc virtuel

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des rêves. Oui, mes amis, vous m’avez bien entendu. Partout dans le monde, les hommes se ruent dans les plus grands parcs d’attraction. Ces parcs sont des succès commerciaux ? Prenons-leur des parts de marché ! Créons à notre tour un endroit où ils pourront choisir leur rêve d’une nuit. Il vous faudra dresser des listes, chers collaborateurs, et nous leur proposerons sur inter-net, puisqu’ils y passent leur temps, un rêve au choix, un VRAI rêve, celui qu’on fait la nuit, quand on dort, et qui nous réveille parfois glacé de peur ou les yeux mouillés d’émotion. Un rêve à l’ancienne !Le financement, me direz-vous ? Pas de problème, chers futurs actionnaires : il nous suffira de proposer à quelques sponsors d’insérer discrètement leurs marques dans nos productions et le tour sera joué ! Un rêve d’amour ? Hop, une petite publicité discrète pour une bijouterie... les rêves de voyages seront des endroits de choix où insérer des annonces pour une agence de voyages ou une compagnie aérienne ; les rêves les plus fous se-ront parfaits pour tout ce qui est pharmaceutique, alimentaire, automobile… Le choix est infini et les annonceurs vont se ruer sur nos offres ! Je vous laisse imaginer l’efficacité de tels encarts, en connexion directe avec l’inconscient de nos clients.

Quoi ? Pardon ? Vous trouvez que nous allons dans la mauvaise direction, vous me trouvez cynique, vous pensez que je suis mer-cantile ?

Mais, messieurs les rêves, réveillez-vous ! ouvrez les yeux ! Il faut vivre avec son temps…

Dominique Ducoin-Cabieu

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Rêverama

Je n’en fais jamais, même la nuit – ou je ne m’en souviens pas. Petit on me disait qu’il en fallait, qu’ils étaient nécessaires pour grandir, pour s’en sortir. Alors j’en fabriquais. Je construisais des mondes aux teintes jamais vues, peuplés d’étranges bêtes au sourire placide. Je devenais un héros et, plusieurs fois, je sau-vais les camarades, les parents, le monde entier, d’un péril im-minent ; on me couvrait de gloire, je souriais aux anges, tutoyais les étoiles. La douleur des réveils ne suffisait jamais à endiguer le charme fou de ces heures sublimes. Je grandissais, rêvais même le jour et le reste bien sûr n’existait presque pas.Le vrai monde était là, inévitable monstre tapi dans son épaisse insipidité, il n’attendait que moi pour me bouffer tout cru. Après m’avoir mâché, croqué, enrobé de sa langue aux effluves amers, il m’a juste avalé comme un vulgaire adulte que j’étais devenu. Fini les mondes moirés, l’héroïsme facile et les étoiles amies : j’avais été bouffé et je me démenais, comme tous, dans le ventre de la bête.Mes rêves aujourd’hui ont trouvé leur refuge, ils s’y engouffrent en riant, en rondes parfumées, plus sauvages, plus vifs que tous ceux d’un enfant. Je n’en fais jamais, même la nuit, car mes rêves, vois-tu, nagent au fond de tes yeux et chaque jour je meurs, de joie, de te connaître.Elle empaillait ses songes. Elle faisait ça joliment, avec une mi-nutie d’orfèvre, ciselant dans une matière brumeuse des formes inédites. Son but était simple: se construire une contrée onirique

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pour ses vieux jours. Des rêves dorés aux cauchemars suffocants: tout y passait. Par crainte d’en être démunie un jour. Alors qu’elles étaient plates, en à peine deux tristes dimensions, elle s’emparait de ces enveloppes creuses pour les emplir de sa solide imagination. Elle puisait dans un magma mousseux, sou-vent sucré, poisseux et filandreux, de quoi gonfler ces poches amorphes, leur donner une allure folle -aux sens propre et figuré.Ses doigts souvent restaient collés, gluants. Elle les léchait et sa langue devenait un drôle d’arc-en-ciel.Elle entassait ainsi une fantastique arche de Noé dans un grenier à la poussière argent. Un effrayant musée, tenu par un incons-cient fertile et chamarré. Des diables, des armes tenaient com-pagnie à des arbres extraordinaires, des oiseaux polychromes et même parfois, oui, des humains.Sa taxidermie d’un autre genre lui permettait de survivre dans un monde qu’elle trouvait trop figé, voire empaillé. Surtout le cœur des gens: de la paille humide que plus rien n’enflammait. Alors que ses rêves, eux, étaient à deux -petits- doigts de l’auto-combustion.Ce fut d’ailleurs un immense feu d’artifice qui s’offrit aux regards las des autres lorsqu’elle s’enferma dans le grenier avec un bri-quet. BigBang ! Un prodigieux bouquet d’étincelles. Certaines palpitent encore sur le tapis velouté de nos nuits.

Clémence Dumper

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Où vont nos rêves ?

Je portais à ses lèvres le gobelet et la faisait boire à petites gor-gées.J’étais penchée sur elle et elle concentrée sur ce qu’elle faisait, les paupières à demi closes, les lèvres tendues.Je glissais entre ses doigts hésitants un chocolat, une madeleine et j’observais le tâtonnement de sa main vers sa bouche ouverte, un vague tremblement d’impatience, l’obstination du souvenir ravivé de sa gourmandise.Je me courbais encore pour entendre quelques mots qui expi-raient sans parvenir à se coudre à plusieurs. Je pensais à cette idée du vide, à ce noir abyssal qui borde et grignote les contours de nos existences, à nos vies comme des géographies d’effon-drement, de gouffres.Je pensais qu’aux faits tangibles, indiscutables, inscrits dans les registres ou dématérialisés sur la toile où ils tracent les itinéraires de nos vies, s’opposait une vie qui ne se disait pas, une vie puis-sante, profonde, essentielle.J’épiais dans son regard perdu, ou plutôt si intériorisé qu’il sem-blait ne plus contempler qu’elle-même, l’éclat secret de cette rêverie qui persistait, j’en étais certaine.

Pourquoi n’aurait-elle pas gardé ce recours précieux, cette respi-ration qui nous accompagne et se métamorphose chaque jour, cette promesse sans cesse recréée, ce miroir aux alouettes qui lorsqu’il se brise nous rend à l’insupportable réalité, sa vie rêvée ?

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Dénuée de tout, dans ce grand âge qui semblait renoncer aux autres autant qu’à elle-même ne conservait-elle pas ce pan fra-gile des songes, cette croyance, ce jeu de cartes toujours rebat-tues qui nous tient ?Peut-être n’était-elle plus que ce rêve.Chimères, leurres… dont se défait chaque âge pour mieux les reprendre et les reformuler.Quels sont-ils ? Quels flamboyants oripeaux secouons-nous chaque matin comme des emblèmes pour ouvrir les yeux ? À quoi rêvons-nous ? À quelles consolations ? À quelles fortunes ? À quelles caresses ? À quelles jouissances ? À quel repos ?Et que deviennent nos rêves quand le temps les a ravaudés, po-lis, usés d’espoirs et de déconvenues ?

Je les crois impalpables : ils tourbillonnent, se glissent, se ta-pissent dans des plis secrets, prêts à ressurgir au moindre appel d’air pour se dissiper, se dissoudre et renaître encore.

Mais où donc étaient les siens, ceux qu’elle ne dirait plus ?Derrière nous une petite femme, toute menue dans sa jupe qu’elle s’obstinait à relever suppliait son père d’une voix d’enfant. Plus loin, une autre s’affaissait dans un fauteuil et le sommeil. Une autre encore fredonnait en pianotant à deux doigts sur la table. Un homme sans âge déplaçait les meubles dans un mono-logue incompréhensible.A tous, elle était étrangère autant qu’ils lui étaient indifférents.Je m’inclinais encore, je fouillais les pupilles sombres, voilées.Je plongeais sur l’écran de ses fictions, ce film imperceptible que notre approche déchirait dans des gestes qui l’inquiétaient toute.C’était l’espace de ses songes victorieux, à tout autre invisible.Comme une nuée, tout autour d’elle, dansaient ses rêves.

Francine Geidel

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Nos rêves

Ils n’en font qu’à leur têteSe gourent et s’égarent sur des voiesAux aiguillages incertains.Rêves imprévisibles à l’existence éphémère Et sans lendemain.

Ils prennent du plaisir à se travestirQuitte à se présenter sous les habits noirsDu cauchemar.Ou perdent tout sens De la retenue Et de la décence.

Dans la hiérarchie du respect qui fut celle de mon vieux,L’ingénieur ou l’architecte Arrivaient bien en têteEn tout cas bien avant Dieu.Mon père, aide maçon,Autant dire porteur de brouettes Ou marteau-piqué…En a-t-il vraiment rêvé ? Je ne sais pas vraiment,Mais je l’ai fait, tant bien que mal.Nanterre, 1984, rue des Trois Fontanots.Je suis ingénieur, sans en avoir rêvé au départ.Bourré d’angoisse et de timidité,

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Je croise mes collègues vêtus du même déguisement que moi,Signé Saint-Laurent, Dior ou Cardin.Mais je regarde le chantier en bas et ceux qui dans la boueContinuent de piquer comme des marteauxHabillés par Karl Lagadou.

Le génois Colomb, parti d’Andalousie voulait trouver une autre voie Pour faire le plein d’épices.Mais voilà que de ses dinavigations et de ses errements est né le rêve américainTandis que le sanglot de l’homme noir Prenait pour longtemps la grande échelle du cauchemar escla-vagiste.Les rêves nous jouent des tours et des détours.Même moi, qui rêve de Samarkand depuis toujours,Je m’égare dans le dédale de la vie, Sans fil d’Ariane et sans ailes pour prendre les airs.Alors, je bafouille à ma façon les paroles du poète flamand.Entre Lyon, Paris et Lodève,Oubliant Vesoul.

J’ai aussi rêvé d’amour, de sourires et de caresses.Mais, finalement, Coupé de mère, frères, enfants, amis ou tout autre être cherIci, à Lodève où les hirondelles me vrillent les oreilles,Je reste seul, et je m’endors ou me réveille Tout écorchéEn passe de sombrerDans un cocktail amerDe larmes et d’alcool.

J’ai rêvé, et je rêve encore, d’un autre monde,Dont la symphonie a cru se jouer rue Gay LussacOu sur les ondes

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De radio Tirania.Groupons nous et demain…Je me suis toujours posé cette question :Pourquoi rêver au futurAlors que devant la souffrance,Le présent s’impatiente d’urgence…

On le sait, les rêves se déchainent,Autrement dit s’affranchissent de toute servitude,Au stade du sommeil paradoxal.Paradoxe est bien le mot.Car sous notre oreiller moelleux et tranquille,Notre cerveau s’envole et subjugue tous ses gardiens.Paysages magnifiques, d’abimes et d’océans.Cités colossales,Modernes, antiques ou médiévales.Montagnes majestueuses et chutes vertigineuses.Musiques symphoniques qu’on voudrait transcrire sur le champ.Rencontres aux personnages improbables ou trop connusOù les morts peuvent avoir leur place Au même titre que les vivants.Sexe démesuré et ambitieux, poitrines généreuses.On plane ou on marche sur l’eau sans lire les Evangiles.Et on franchit les mers sur les pas de Moïse.

Nos rêves n’en font qu’à leur tête.Une tête qui est un peu la mienne.

Mohamed Kerkache

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Samia Yusuf Omar

Moi Samia Yusuf Omar,Le jour où je suis née,En 1991 in Somalia,J’entendais déjà la mer, dans ma mère. En 2008, during Beijing games, A eu lieu ma deuxième naissance.La tête sous l’eau, dans la baignoire de l’hôtel, puis sur la piste.I am a runner, I am a runner, I am a runner, respire, allez, accélère, plus vite ! Plus vite ! Ad aeternam, je refais la course.« It’s a desolation ! Samia Yusuf Omar finish at the last place with a time of 23 seconds ! »Pourtant un grondement sourd dans le nid d’oiseaux. C’est celui des spectateurs d’un pays sous régime dictatorial saluant cette héroïne qui a traversé les mers, affronté les intimidations des frères islamistes, porte-étendard somalienne, qui doit se cacher pour s’entraîner. Ils la reconnaissent, frères de silence, une hola monte et descend qu’elle n’entend pas, dans sa bulle.Dans sa douleur de cette course. Humiliée. Mal nourrie. Mal préparée. La course, c’est comme une vague qui accélère, accélère, vou-drait dépasser le flux des marées, de la lune, dépasser les possi-bilités de la Terre, de ma terre, la Somalie où je suis née, terre des pirates.Sa vie aussi. Aînée de cinq frères et sœurs, son père assassiné en pleine rue devant elle, sa mère, sa course pour les nourrir, dans la

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violence, dans la guerre civile, dans l’Islamisme, mais tout ça elle ne peut pas le dire.Elle rêve. Elle parle aux journalistes à Beijing, mon rêve oh ! Que j’arrive à me qualifier pour les prochains jeux olympiques de Londres, courir aux côtés de… , et de… , un rêve qui lui échappe, qui l’enferme. Elle se tait. Garder sa force. Juste pouvoir s’entraîner. Elle n’a pas le temps de parler. Elle rentre auprès des siens. La mer somalienne est dangereuse, nous isole, nous laisse seuls. Je ne peux plus entendre ce va-et-vient qui rend tout immobile, impossible. J’ai tout essayé pour trouver un entraîneur, et le mi-nistre des sports a été assassiné.Je dois partir. Regardez mon corps ! Regardez mes jambes infinies ! Regardez mes mains !Regardez les lignes des paumes de mes mains !Je suis faite pour ça ! Mon destin, c’est courir. Je suis noire, je suis somalienne, mais les paumes de mes mains sont blanches et leurs lignes incrustées me permettent de rêver, non, pas de rêver, si, de rêver. A Londres, London, Europa… Le chemin est tracé sur mes mains. Le bonheur. Courir, juste cou-rir, courir, respirer, courir, courir, respirer, penser à la houle de la mer, avancer, inlassablement, le ressac dans le travail, mais avant de partir, protéger la famille, les éloigner.Sur le bateau, le moteur tousse. S’arrête. Je tombe.Nager je ne sais pas. Je m’endors. Je suis sous l’eau. Je vais bientôt arriver à London. Quand je me réveillerai, quelqu’un aura posé mon corps sur la rive, c’est le dieu de la mer que je ne connais pas qui m’a pris par la main. J’aurai 21 ans. Par sa chaleur je me laisserai portée, j’y serai bientôt, in London. Il me dépose au large de Lampedusa. Je ne respire plus. Mon rêve s’est envolé.

Anne Klippstiehl

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Rosy s’en va

Rosy comptait les jours. Encore une semaine et elle abandonne-rait définitivement ce quartier pourri et cet immeuble qui sentait le moisi. La maison de Toulouse était enfin disponible. Elle serait propriétaire, un jardin rempli de fleurs et des amies retraitées. Elle aurait de quoi vivre. Elle n’était pas de ces femmes qui gagnent de l’argent facilement et le dépensent sans compter. Elle avait su économiser.Elle avait tout prévu, ferait repeindre la maison, aménager la cuisine, défricher le jardin délaissé par son père. Quand il avait su pour Rosy le vieux n’avait plus voulu la voir. Elle envoyait quelques billets à l’hospice où le vieillard avait terminé ses jours. Sa maison personne n’en voulait. Ses frères et sœurs projetaient de vendre ce galetas. Rosy s’y opposa, conseillée par un de ses habitués, clerc de notaire à Toulon.Ce galetas elle en ferait une bonbonnière. C’était son mot bon-bonnière. Elle découpait dans les revues les pages décoration. La couleur des chambres, les rideaux, la moquette, les accessoires de la salle de bain et même ce qu’elle accrocherait aux murs, tout était prévu.En attendant les clients elle rêvait sans cesse à son projet. Une chambre, pour elle toute seule. Mis à part le médecin personne n’y entrerait. Sur la table de nuit une belle lampe rose et une statue de Ste Rita qui l’avait protégée. Elle garderait le bouquet de pivoine en velours, offert par un quartier maître mort en mer, ainsi que le portrait de ce chien acheté chez le broc : « Il est si-

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gné » lui avait dit le vendeur.Elle aimait imaginer son couvre-lit à fleurs avec des volants jusqu’à par terre et des descentes de lit douces sous les pieds. Pour l’armoire elle hésitait ; la glace était elle obligatoire, Rosy craignait que ça lui rappelle certaines exigences du boulot.Ses désirs représentaient un paquet de fric, mais le paquet elle l’avait !Chaque soir après le dernier client elle ajoutait la recette du jour à la pile de billets soigneusement cachée dans le four de l’an-tique cuisinière du garni : mon coffre fort disait Rosy. Elle acheta le billet pour Toulouse, et entreprit de préparer ses valises. Un mistral glacial soufflait depuis 3 jours. Il faisait un froid inhabituel dans son meublé. Le boucher, habitué du vendredi, un gentil garçon, frigorifié, ne put conclure. Serviable il lui pro-posa d’allumer la vieille cuisinière à charbon dont elle ne s’était jamais servie. Elle lui fit cadeau de la passe: c’était la dernière ! Il faisait bon dans la pièce, la cuisinière dont les ronds de fonte avaient pris une teinte rouge sombre ronronnait comme un gros chat.Rosy fut réveillée par le froid, la cuisinière faute de charbon s’était éteinte. Le moment était venu de boucler la valise mais avant toute chose d’y planquer son magot. Elle déverrouilla son « coffre fort » : l’épaisse liasse finissait de se consumer, elle se saisit du bloc compact de cendres qui se brisa dans ses mains et se dis-persa en une multitude de petits papillons gris.

Gabrièle Martin

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Cinéma Paradisio

Après le Big-bang, le Judicieux, dès qu’Il eut, de la poussière qu’Il venait de créer, fabriqué Adam, puis sa compagne, s’aperçut que, parfois, le regard de son protégé devenait fixe, brumeux. Eve, d’ordinaire si insouciante, semblait soudain, elle aussi, étran-gement absente. Pourtant, tout allait bien alors, dans le Jardin d’Eden, pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme on dirait plus tard…Le Parfait s’interrogea : « Quelle est donc la cause de ce bug ? Aurais-Je ossa ta’ oute1 quelque part ? »Il s’introduisit dans l’organisme de Sa créature et vit que tout fonctionnait à merveille. Il eut beau refaire tous Ses calculs. Rien ne clochait. Cependant, lorsqu’Il exécuta le programme, Il se rendit compte qu’il se passait des choses qu’Il n’avait pas prévues. Il constata que, lors de ces moments de vide, d’innom-brables images défilaient à grande vitesse, formant des histoires qui n’obéissaient pas aux règles qu’Il avait imposées. Accablé de paresse et de mélancolie, Il s’apprêtait à tout refaire quand sur-vint, rampant silencieusement dans la poussière restante, le Ten-tateur Infidèle. Sa langue fourchue tressaillait et il siffla :« Tu ne t’attendais pas à celle-là, hein ? » Et il expliqua qu’il avait inclus, en secret, quelques lignes dans le programme créateur, si bien dissimulées, qu’il était impossible de s’en défaire. Il avait ajouté aux multiples fonctions cérébrales d’Adam et Ève, une dis-position incontrôlable, perturbatrice : le rêve qui est un voyage 1 « Merdé » en araméen.

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en soi et hors de soi. Le Terrible resta imperturbable et s’abstint de s’arracher la barbe devant le Félon ; mais en Son for intérieur, Il avait déjà contourné le problème. Il congédia l’Ange Déchu et se mit aussitôt à l’ou-vrage.Comme Il avait déjà prévu qu’Il serait un jour contraint de chasser Ses enfants du Paradis Terrestre, le Magnanime avait décidé que l’Autre Monde, où s’arrêtent tous les vents, s’appellerait désor-mais le Paradis de Dieu et qu’il serait peuplé de celles et ceux qui auraient respecté Sa Loi ici-bas et que ce serait le Jardin d’Eden en mieux. Mais, outre l’abondance de lait et de miel, la contem-plation de Son Auguste Face suffirait-elle à rendre cet éternel séjour idyllique ? Les bienheureux ne risquaient-ils pas de suc-comber aux affres de l’ennui ? Comment éliminer cet écueil ?Le Prince des Ténèbres venait de Lui donner la solution. Il créa un Bureau Céleste des Rêves et des Songes chargé de recueillir, jours et nuits, toutes les créations oniriques du genre humain. Une équipe angélique était chargée de mettre en scène cette multitude de scénarios et de les projeter selon un procédé divin qui inclut le spectateur dans le film. Ainsi les élus pouvaient-ils dès lors, réellement, vivre leurs rêves, ce qui explique pourquoi jamais personne n’a voulu quitter le Paradis. Mais on peut se demander ce qu’il advint des cauchemars. Eh bien, c’est simple, l’Astucieux les a refilés à Satan !

Vylnis Niedas

L’auteur du texte ci-dessus, afin d’honorer la mémoire du regretté Georges PEREC, s’est attaché à respecter scrupuleusement la contrainte imposée. Cette nouvelle, avec son titre, comporte donc exactement 3000 signes typographiques, espaces compris et elle est dédiée à l’au-teur de « La Disparition », à Voltaire et à Marc-Antoine Girard de Saint -Amant. Vylnis NIEDAS 14, boulevard Brémond 83136 GARÉOULT.

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Héliotrope

— Bonjour… Carte de fidélité ? Code-barre-couic ! Code-barre-couic ! Codebarre-couic ! 37€15 : Espèces ou carte bancaire ? Pourrait au moins répondre ! Et merci, c’est pour les chiens !— Bonjour… Carte de fidélité ? Code-barre-couic ! Code-barre-couic ! Peux pas faire plus vite !…Dix-sept heures, sortie de l’école. Ont de la chance d’aller chercher leurs p’tits…Tranquille pour dix minutes… Deux heures encore et basta !… Enfin… presque… Alice, Mathias, devoirs, passe-à-table-purée-cordon-bleu, douche, lit, bisous, maman-calin, maman-doudou, maman-pipi, maman-j’ai-peur…Crève de sommeil moi !— Excusez-moi, tombe de fatigue. Bonjour. Carte de fidélité ?Tiens, jamais vu çui’là ! Elégant ! A d’l’allure… Me regarde drôle-ment… Me sourit ?— Je vous trouve belle.— Vous plaisantez !— Je vous emmène. Venez !— Vous êtes fou ! Mon travail, la chef !— Enfilez ma veste, elle est chaude.La chef, les p’tits… Tiens, parfum d’héliotrope cette veste.— Suis folle ! Où m’emmenez-vous ?— Sur le Vieux port.Je suis belle il m’a dit. J’suis folle ! Mathias-Alice-pharmacie-purée-cordon-bleu !

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— On monte sur la grande roue ?Trop bien dans ses bras. Caresses qui m’effleurent, tête contre ma poitrine.— Vous êtes belle, très belle… Je vous aime…Roue immobile. Million d’étoiles dans le ciel, million d’étoiles dans ma tête. Notre-Dame en majesté perchée sur sa colline… Résille du MuCEM empaillettée de bleu… Lucioles rouges et jaunes remontent la Cannebière. Ma tête entre ses mains, lèvres sur mes lèvres, langue sur ma langue, palpe mes seins, lape mes seins… M’aime à la folie, il m’a dit.Héliotrope entre ses bras.— Vous êtes belle… Envie de vous ! De suite. Et vous ?Non ! Oui !— Oui, envie de vous…— Suivez-moi !— Bonsoir, chambre pour la nuit… Sixième étage.M’enveloppe, me soulève légère entre ses bras. Corps accord.— Vous êtes belle, très belle, je vous aime…Mon Dieu ! Les p’tits-purée-cordon-bleu-pipi-au-lit-pharmacie.— Non ! pas la lumière. Suis gênée. Vous connais pas. Première fois comme ça !Ventre dur et souple, fesses fermes, rebondies. Glisse entre mes cuisses, langue sur mes cuisses, langue entre mes lèvres, entre dans moi, fouille dans moi, lape dans moi, jappe dans moi. Vanille-miel-héliotrope. Suis folle ! Les p’tits-maman-doudou…— Vous m’aimez ? Je suis belle ? Dites-le encore.Râle de toi, râle en moi, te sens jouir en moi, te répandre en moi, m’inonde de toi…Dors dans moi… M’endormir, enfin… Vanille-miel-héliotrope…— Mais j’vous sens plus ! Vous êtes où ? Répondez ! Me laissez pas !M’abandonnez pas ! Besoin de vous ! Connais même pas son nom ?Me sauver… bas, robe, chemisier, chaussures, escalier. La sortie… Trouve pas la sortie de ce labyrinthe. La trouverai jamais… Mon

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Dieu ! Ma caisse ! Alice ! Matthias !— Mais ne la secouez pas comme ça ! Appelez plutôt la direction.— Je les connais moi ! Ça fait la java toute la nuit, ça s’endort à sa caisse, ça rêve, et en plus, ça renverse une pleine caisse de par-fum à l’héliotrope…

Hubert Ripoll

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Où vont nos rêves ?

Nos rêves se transforment en une goutte d’ eau.

Elle est grise si le rêve a été triste, rouge si le rêve a été joyeux, blanche si on a eu peur.

Avec plusieurs gouttes se forme un ruisseau puis une rivière, ensuite un fleuve qui se jette dans la mer. Nos rêves voyagent à travers plein de pays. Ils découvrent la mer, le ciel, la lune, le soleil, les animaux.

S’ ils ont la chance un jour de monter au ciel, c’est que le rêve se réalise. Sinon, ils continuent leur voyage vers l’océan magnifique.

Luna Torres-Navarro (8 ans et demi)

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Achevé d’imprimer en septembre 2014sur les presses numériques des Ets Ciais,

Imprimeurs-Créateurs à Nice.

Ets CIAIS

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