OODY ET SES SOEURS

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Mia Farrow, Carrie Fisher, Dianne Wiest, Hannah and Her Sisters Radio Days, le dernier film de Woody Allen, est sorti: Hannah and Her Sisters est encore à l'affiche, un cinéma de répertoire programme plu- sieurs soirs de suite Annie Hall, et les journaux annon- cent le tournage du premier film réalisé par Diane Keaton: Heaven. Le paradis pour les fans de Woody, quoi. Dans Radio Days, on ne voit pas Woody Allen. Mais il parle tout le temps en voix off et raconte à la première per- sonne l'enfance d'un petit rouquin à lunettes, épopée fa- miliale rythmée par les rengai- nes des années 30, 40. OODY ET SES SOEURS Qu 'est-ce qui fait courir Woody Allen? Ses ob- sessions de toujours: la mort, l'hostilité au monde extérieur, la nostalgie de l'enfance, l'angoisse de la création, l'existence de Dieu, les complexes devant le sexe, et puis surtout, surtout, les mystères de l'amour. Autour du petit garçon co- pieusement taloche mais somme toute assez heureux, des hommes bien sûr; pro- totypes en tricots de corps des maris juifs du New Jersey, mi-machos, mi-bonnes pâtes, mais surtout des femmes. Étonnantes, attachantes, el- les régentent, mine de rien, la vie de toute la tribu — et la marche du film —, avec em- portement et naïveté mais aussi avec une savoureuse lu- cidité. Dans la famille de ce «Woody» enfant, il y a sa mè- re (qu'on a déjà vue, dans Hannah et ses soeurs, en énergique productrice de télé- vision aux côtés d'un Woody hypocondriaque), sa plantu- reuse tante qui rêve que son mari pose à son endroit des gestes aussi romantiques que de boire du Champagne dans une de ses mules. Et surtout, il y a son autre tante, à qui il sert de chaperon ravi pour chacu- ne de ses dates: lamerveilleu- se Dianne Wiest, la plus drôle et déjà incasable — des soeurs d'Hannah. Parallèlement aux tribula- MICHKASAAL Diane Keaton, Kristin Griffith, Marybeth Hurt, Interiors tions de ce petit monde, nous assistons à l'ascension de Mia Farrow en vedette de la radio, ou : tout ce que vous avez tou- jours voulu savoir sur les des- sous du Radio-business sans jamais oser le demander. La viec'est du cinéma On accusait François Truf- faut de tourner essentielle- ment pour courtiser ses actri- ces. Léos Carax (Boy Meets Girl, Mauvais Sang) a déclaré qu'il a commencé à faire du ci- néma «pour rencontrer des fil- les». Avant eux, il y a eu Von Sternberg / Marlène Dietrich, Allégret / Simone Signoret, Fassbinder / Ingrid Caven, Cassavetes / Gêna Row- lands... Mais qu'est-ce qui fait courir Woody? Depuis l'entrée de Woody Allen sur la scène cinémato- graphique et au fil de ses 16 réalisations, s'est installée une sorte de superposition confuse entre ses différents rôles. Woody Allen le cinéaste de génie, dont les films sont attendus comme des événe- ments; Woody Allen l'hom- me, si peu public, et dont on sait au moins qu'il joue de la clarinette, fréquente un analyste depuis plus de 20 ans, a été marié deux fois avant de vivre avec Diane Keaton puis Mia Farrow; Woody l'acteur, investi du personnage qu'il a créé avec des bouts du chapeau des deux autres: cet intellectuel new-yorkais, juif, angoissé, maladroit, drôle, insupporta- ble, irrésistible. Ses films, et c'est encore plus vrai après la période «comique», sans être platement autobiographi- ques, sont fabriqués autour d'expériences et de réflexions personnelles. Tous les per- sonnages qu'il interprète sont autant de possibles Woody. Pour rendre les choses encore plus complexes, les femmes de sa vie sont souvent dans ses films. Femmes grâce aux- quelles, il le dit lui-même, il est d'abord sorti du milieu fami- lial; Harlène Rosen (citée dans Sleeper) puis Louise Lasser, actrice et chanteuse, jouant dans Bananas, Everything You Always Wanted..., Star- dust Memories. Sa rencontre avec Diane Keaton est déterminante; jouant dans sept de ses films, elle apporte un changement dans lesens de l'approfondis- 52 MAI 1987 / LA VIE EN ROSE

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Mia Farrow, Carrie Fisher, Dianne Wiest, Hannah and Her Sisters

Radio Days, le dernier filmde Woody Allen, est sorti:Hannah and Her Sisters estencore à l'affiche, un cinémade répertoire programme plu-sieurs soirs de suite AnnieHall, et les journaux annon-cent le tournage du premierfilm réalisé par Diane Keaton:Heaven. Le paradis pour lesfans de Woody, quoi.

Dans Radio Days, on nevoit pas Woody Allen. Mais ilparle tout le temps en voix offet raconte à la première per-sonne l'enfance d'un petitrouquin à lunettes, épopée fa-miliale rythmée par les rengai-nes des années 30, 40.

OODY ET SES SOEURSQu 'est-ce qui fait courir Woody Allen? Ses ob-sessions de toujours: la mort, l'hostilité aumonde extérieur, la nostalgie de l'enfance,l'angoisse de la création, l'existence de Dieu,les complexes devant le sexe, et puis surtout,surtout, les mystères de l'amour.

Autour du petit garçon co-pieusement taloche maissomme toute assez heureux,des hommes bien sûr; pro-totypes en tricots de corpsdes maris juifs du New Jersey,mi-machos, mi-bonnes pâtes,mais surtout des femmes.Étonnantes, attachantes, el-les régentent, mine de rien, lavie de toute la tribu — et lamarche du film —, avec em-portement et naïveté maisaussi avec une savoureuse lu-cidité.

Dans la famille de ce«Woody» enfant, il y a sa mè-re (qu'on a déjà vue, dansHannah et ses soeurs, enénergique productrice de télé-vision aux côtés d'un Woodyhypocondriaque), sa plantu-reuse tante qui rêve que sonmari pose à son endroit desgestes aussi romantiques quede boire du Champagne dansune de ses mules. Et surtout, ily a son autre tante, à qui il sertde chaperon ravi pour chacu-ne de ses dates: la merveilleu-se Dianne Wiest, la plus drôle— et déjà incasable — dessoeurs d'Hannah.

Parallèlement aux tribula-

MICHKASAAL Diane Keaton, Kristin Griffith, Marybeth Hurt, Interiors

tions de ce petit monde, nousassistons à l'ascension de MiaFarrow en vedette de la radio,ou : tout ce que vous avez tou-jours voulu savoir sur les des-sous du Radio-business sansjamais oser le demander.

La vie c'est du cinémaOn accusait François Truf-

faut de tourner essentielle-ment pour courtiser ses actri-ces. Léos Carax (Boy MeetsGirl, Mauvais Sang) a déclaréqu'il a commencé à faire du ci-néma «pour rencontrer des fil-les». Avant eux, il y a eu VonSternberg / Marlène Dietrich,Allégret / Simone Signoret,Fassbinder / Ingrid Caven,Cassavetes / Gêna Row-lands... Mais qu'est-ce qui faitcourir Woody?

Depuis l'entrée de WoodyAllen sur la scène cinémato-graphique et au fil de ses 16réalisations, s'est installéeune sorte de superpositionconfuse entre ses différentsrôles. Woody Allen le cinéastede génie, dont les films sontattendus comme des événe-ments; Woody Allen l'hom-me, si peu public, et dont onsait au moins qu'il joue de laclarinette, fréquente unanalyste depuis plus de 20ans, a été marié deux foisavant de vivre avec DianeKeaton puis Mia Farrow;Woody l'acteur, investi dupersonnage qu'il a créé avecdes bouts du chapeau desdeux autres: cet intellectuelnew-yorkais, juif, angoissé,maladroit, drôle, insupporta-ble, irrésistible. Ses films, etc'est encore plus vrai après lapériode «comique», sans êtreplatement autobiographi-ques, sont fabriqués autourd'expériences et de réflexionspersonnelles. Tous les per-sonnages qu'il interprète sontautant de possibles Woody.Pour rendre les choses encoreplus complexes, les femmesde sa vie sont souvent dansses films. Femmes grâce aux-quelles, il le dit lui-même, il estd'abord sorti du milieu fami-lial; Harlène Rosen (citée dansSleeper) puis Louise Lasser,actrice et chanteuse, jouantdans Bananas, EverythingY ou Always Wanted..., Star-dust Memories.

Sa rencontre avec DianeKeaton est déterminante;jouant dans sept de ses films,elle apporte un changementdans le sens de l'approfondis-

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sernent égalitaire du person-nage féminin, et demeure uneamie au jugement précieux.Mia Farrow, sa girlfriend d'au-jourd'hui, héroïne de ses sixderniers films, inaugure unépanouissement différent desrôles de femmes, allant mêmejusqu'à éclipser celui deWoody.

«Je suis la hontede mon sexe.»

Tous les grands comiquesse sont mis en scène en amou-reux transis, maladroits etnaïfs. Woody Allen a pousséles frustrations dans le sensd'une modernité plus com-plexe. Il est toujours obsédépar les femmes. Déjà dansSleeper, il s'inquiète de savoirs'il existe des robots femelles,et dans Love and Death, il de-mande à la Mort: «Y a-t-il desfilles dans l'Au-delà?» Maisparadoxalement, en mêmetemps qu'il est rempli de désiret d'amour pour les femmes,Woody a avec elles des rap-ports catastrophiques faits de

triche aux échecs. Lui qui rêved'être une bête de sexe est leplus souvent abandonné pardes femmes insatisfaites.Louise Lasser le quitte dansBananas parce qu'il est imma-ture; dans Play It Again Sam,sa femme le plaque et les fillesque ses amis s'ingénient à luifaire rencontrer s'enfuient lesunes après les autres. DansTake the Money and Hun il ades crampes au mauvais mo-ment, dans Everything YouAlways Wanted..., film àsketches, il est tour à tour ber-ger amoureux d'une brebis,mari italien aux prises avecune épouse frigide sauf dansles lieux publics, biologistecapturant un sein géant quisème la panique dans la ré-gion, et spermatozoïde... enproie à des angoisses existen-tielles. Dans Sleeper, Luna luipréfère un homme fort et dansLove and Death, Sonia trom-pe son mari avec tout le mon-de... sauf avec lui!

De plus, Woody semble fai-re exprès de se compliquer la

Mia Farrow, Broadway Danny Rosé

peur, d'agressivité et d'auto-destruction complexée. Mal-gré tous ses efforts pour jouerau macho irrésistible, il resteun anti-mâle et dit dans Play ItAgain Sam: «Je suis la hontede mon sexe.» Il ne tient pasl'alcool, ne sait pas se battre,se proclame «un peureux mili-tant», et fait figure de piètreséducteur.

La première fois qu'on levoit avec une femme, c'est

g dans What's New Pussycat?i (film de Clive Donner dontt Woody Allen a écrit le scéna-g rio), il est menacé par uneo femme nommée Tempest, qui£ le saisit à la gorge parce qu'il

tâche: il ne tombe amoureuxque de femmes inaccessibles.Lui, le frêle intellectuel juif, in-troverti et inhibé, ne brûle quepour des femmes non-juives,éclatantes de santé et dedynamisme (la superbe blon-de qu'il drague dans Play ItAgain Sam le repousse d'unméprisant: «Écrase, ver deterre!») ou pour des femmesmariées, et de préférenceavec ses meilleurs amis. Autrecontradiction: lorsqu'il est en-fin placé en situation de sé-duction, il retarde sans cessel'action en parlant de tout au-tre chose que de ses senti-ments. Il se crée des parcours

(]INÉMA

chevaleresques impossibles,se jette dans des missionsdangereuses et dans des sa-crifices fous.

Comme si cela ne suffisaitpas, il décline ses maladressesavec les femmes à travers unevéritable lutte contre les ob-jets et les aliments. Devant el-les, tout lui échappe ou lui ré-siste, et ce sont toujours desobjets identifiables à dessymboles sexuels: une queuede billard et un couteau à crand'arrêt dans Take the Moneyand Run, un sèche-cheveuxdans Play It Again Sam, unvibromasseur dans Every-thing You Always Wanted...,une bouteille ou une épéedans Love and Death, une ra-quette de tennis contre l'arai-gnée et une balle de cricketcontre le homard de AnnieHall... Une des scènes les plusdrôles du genre est celle où,dans Play It Again Sam, il seprépare convulsivement à re-cevoir une invitée, et une foisen sa présence, inondéd'after-shave, il enchaîne unesérie de gaffes gestuelles:raye un disque, jette la po-chette en l'air, renverse unelampe, un meuble, et s'écrou-le avec un sourire crispé et libi-dineux devant la jeune femmemédusée. De toutes façons,même quand elles sont prêtesà l'aimer, il refuse de les voirs'installer chez lui. {Manhat-tan, Stardust Memories).

Keaton, l'avant, l'aprèsMais qui sont ces femmes dé-sirables et effrayantes? Au dé-but, des caricatures essentiel-lement (tout comme leshommes, d'ailleurs). Desamazones séductrices dange-reuses (la femme guérillero deBananas ou la comtessenymphomane de Love andDeath), ou bien des femmestimides qui rêvent d'un hom-me fort, bégayent ( Take theMoney and Run), prennentdes calmants ou sont suicidai-res [Play It Again Sam), sonthystériques et idiotes [Slee-

per). Sonia (Diane Keatondans Love and Death) ne dit-elle pas: «Je suis à moitié sain-te et à moitié putain.»

Alors, mysogyne, Woody?Cela semble trop simple etsurtout faussement réduc-teur. Jusqu'à Annie Hall,Woody Allen s'emploie àconstruire un personnage co-mique de catastrophe ambu-lante, ridicule mais d'un nar-cissisme charmeur certain.Qu'ils soient hommes ou fem-mes, ses personnages évo-luent dans d'inextricables si-tuations de maladresses àrépétitions et ne peuventqu'avoir des relations épiquesdans la tradition du slapstick.Ou bien ils sont pris dans ununivers d'aliénation qui an-nonce, de façon encore su-perficielle, ses comédies de

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moeurs à venir, intellectuelsinadaptés, schlemiels juifsmarines d'existentialistes né-vrosés.

Déjà annoncée dans Slee-per (la conversation douceaprès le repas) et dans Play ItAgain Sam (la promenade à laplage), la rencontre avec Dia-ne Keaton va coïncider avecune nouvelle période dansl'oeuvre de Woody Allen. Enmême temps qu'ils devien-nent moins immédiatementcomiques, ses films sont deplus en plus achevés sur leplan formel et l'impliquent da-vantage au niveau du conte-nu. Tout comme lui, DianeKeaton est timide et introver-tie d'une part, drôle et intelli-gente d'autre part; mais elleest en plus capable de sponta-néité et de vitalité qui vont ap-porter à ses personnages fé-minins une profondeur et uneforce nouvelles. À partir deAnnie Hall, les films deWoody Allen révèlent uneplus grande maturité intellec-tuelle et professionnelle, à tra-vers laquelle Diane Keaton vajouer le double rôle de guide etde pygmalion.

Woody Allen qualifie sonfilm de ((trivial middle-classcomedyrt, mais Annie Hall (levrai nom de Diane Keaton estDiane Hall) est surtout unhommage rendu à une femmedrôle, brillante et belle. Mêmesi Annie est une provincialepeu cultivée, peu sûre d'elle-même et compliquée, dontAlvy entreprend de faire l'édu-cation (en lui passant tous seslivres sur la mort), elle lui résis-te, s'impose autant que lui(personnage et actrice con-fondus), et se met sur un pland'égalité. Elle n'est plus unobjet de mariage convoité,mais une femme qui le déran-ge et le remet en question.Une amie, une amante et uneclowne complice qu'il con-quiert en étant lui-même. Biensûr, ses obsessions sont tou-jours là. Quand Alvy enfantembrasse une petite fille, elles'enfuit horrifiée en hurlant:«Berk, il m'a embrassée,berk!!» Quand, sur un écrandédoublé, Alvy et Annie, cha-cun chez son psychiatre, ré-pondent à une question sur lafréquence de leurs rapportssexuels, Alvy dit: «Jamais, àpeine trois fois par semaine»,et Annie répond: «Tout letemps, au moins trois fois parsemaine. » Dans ce film aussi,

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Diane Keaton, Annie Hall

Woody est encore abandonnéparlafemmequ'ilaime. Anniele quitte et va en Californie tra-vailler à sa carrière de chan-teuse. Mais ce n'est pas parinsatisfaction (pour une fois, ilse met en scène en amantconvaincant), mais par lucidi-té, devant l'usure de l'amour,la difficulté de vivre en coupleet la nouvelle condition d'unefemme qui, à 30 ans, se cher-che encore.

Portraits de dames avecgroupe

Pour Interiors et Manhat-tan, Woody Allen n'écrit plusseulement des rôles féminins,il construit de vrais portraitsde femmes, divers et nuan-cés. Interiors, où, pour la pre-mière fois, il n'apparaît pas,est le seul de ses films à necomporter aucun élément decomédie et à mettre en scèneune famille typiquementWASP. Le drame se joue es-sentiellement autour d'Eve(Géraldine Page), la mère, quin'arrive pas à surmonter la dé-pression causée par le départde son mari. Comme la mèrede Take the Money and Run,Eve est obsédée par le décor,mais chez elle ce n'est plusune manie comique, mais unenévrose grave, l'exerciced'une tyrannie sur ses fillesavec lesquelles elle communi-que de moins en moins. Il y aJoey (Marybeth Hurt), le per-sonnage de femme le pluscomplexe du film, qui douted'elle-même, souffre et se dé-voue pour sa mère, mais à la-quelle celle-ci préfère Renata(Diane Keaton), une poétesseà succès, torturée mais égoïs-te. llyaaussiFlyn, la soeur ca-dette, une actrice ratée etbourrée de drogues, et Pearl,la nouvelle amie du père, unefemme simple, colorée et vi-vante, seul élément d'«étran-

geté» dans ce vase clos d'in-tellectuels introspectifs etmalheureux.

Dans Manhattan, la (secon-de) femme d'Ike (Woody) l'aquitté pour une autre femme,et s'emploie à publier un livresur leur vie intime. Il vit avecune très jeune fille (personna-ge totalement nouveau chezWoody Allen), Tracy, équili-brée et sans tabous, pas trèsintellectuelle mais intelligenteet authentique. Cela ne l'em-pêche pas de tomber aussiamoureux de Mary (DianeKeaton), la maîtresse d'unami, apparemment snob etégocentrique, en réalité vul-nérable et indécise. Avec elle,la complicité est totale maisl'amour instable.

Proche de Annie Hall, Man-hattan est romantique et réus-si, peint en hommage à NewYork. Avec des touches drô-les: la promenade en barquelorsque Woody retire sa mainde l'eau pleine de vase, les pi-treries de la visite au musée, latirade du verre d'eau pollué, lediscours au squelette... Maisaussi des moments graves depure émotion, ceux des cho-ses non dites et des gestesque l'on ne pose pas à temps,les chasses-croisés doulou-reux des amours qui ratent.Comme lorsque Ike, réalisantsoudain qu'il aime vraimentTracy, traverse en courant lamoitié de la ville, la retrouvede justesse pour lui dire...quelle a raison de partir.

Stardust Memories est unfilm étrange et dérangeant;construit en abîme: fantasmedans le film, dans le film dufantasme. Sandy Bâtes(Woody) est un réalisateur in-vité à une rétrospective de sesfilms et à qui tout le monde re-proche de ne plus faire defilms drôles, et qui se débat,avec un humour sarcastique,

entre les images de ses films etcelles de ses souvenirs.

Dans sa vie, trois femmes:Dorrie (Charlotte Rampling),celle qu'il a aimée, une déessefragile mais inquiétante, im-mortalisée dans des scènesd'une beauté très tendre; Iso-bel (Marie-Christine Barrault),une femme épanouie qui dé-barque avec ses enfants letemps d'un déjeuner trépi-dant; Daisy (Jessica Harper),une violoniste avec laquelle ilpartage une longue promena-de-discussion sur la plage duNew Jersey. Elle représente lepersonnage le plus nuancé, etc'est avec elle qu'il peut avoircet instant suspendu, sorted'échange de crises existen-tielles.

Mamma Mia!Mia Farrow n'a plus les

yeux apeurés, ni le visage as-cétique aux cheveux courtsde ses débuts polanskiens. El-le élève ses huit enfants, etjoue dans tous les films deWoody Allen depuis A Mid-summerNight's Sex Comedy,où elle fait son apparition enfemme-fée, boucles blondessur les épaules, belle commeun Renoir. Depuis Annie Hall,Woody Allen aime bien alter-ner: comédie romanti-que/film plus grave, produc-tion à grand déploiementtechnique/film intimiste...

Film en costumes, A Mid-summer... est un intermèdebucolique, pendant la Saint-Jean, entre trois couples malassortis: un vieux professeurpédant fiancé à une jeunefemme légère (Mia Farrow),qui, elle, a eu dans le passéune petite aventure avec An-drew (Woody), le maître demaison inventeur loufoque etphilosophe. Andrew est mariéà une jeune femme timide etun peu crispée, surtout dansleurs rapports intimes. Ils ontinvité un ami médecin et sadernière conquête (Julie Ha-gerty). Les couples échan-gent et s'échangent à la fa-veur des chaleurs estivales etdes folles inventions d'An-drew. A Midsummer... estune comédie légère aux per-sonnages peu fouillés; maissous les archétypes des troisfemmes: la jeune fille frivole,la bourgeoise bien élevée etl'aventurière, se dessine peu àpeu le fond commun d'unenature intelligente, drôle etmutine.

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Mia Farrow ne construit pasune fois pour toutes un typede personnage à décliner etnuancer à chaque rôle. Filmaprès film, elle nous surprendavec des compositions trèsdifférentes, qu'elle endosseavec le naturel que donne lavéritable expérience d'actriceet de star. Elle se transformeen doctoresse, psychiatre desannées 30, dans Zelig. Cethomme caméléon qui se fondlittéralement aux autres pourleur plaire, et traverse les évé-nements de son époque avecfracas et un humour parfoisdangereux. À force de vouloirêtre n'importe qui et tout lemonde, il devient unique.Dans ce film profond plein detrouvailles et de gags, maisaussi de réflexions amères,Woody opère une brillante or-chestration technique autourdu matériau réalité/fiction.Mais les véritables momentsd'émotion du film sont ceuxentre Zelig et Eudora qui le soi-gne. La seule façon de s'ensortir, pour lui, sera de tomberamoureux de l'unique person-ne qui l'aide et l'aime vrai-ment. Et sa guérison progres-sera parallèlement à leuramour.

Dans Droadway Danny Ro-sé, Danny, l'imprésario desratés, est le sujet de conversa-tion favori des vieux comé-diens du Carnegie Delicates-sen, qui se souviennent de sesaventures. En particulier decelle qui l'entraîna, pour lacarrière de Lou Canova — uncrooner sur le retour —, à lapoursuite de Tina Vitale. MiaFarrow, en ex-femme de ma-fioso, compose une étonnan-te Tina, choucroute platine etverres fumés, chemisiers fleu-ris et pantalon moulant, ac-cent nasillard, et sale caractè-

Woody Allen

CINÉMA Qre. Elle entraîne derrière elleavec santé, et par éclairs, uneculpabilité vulnérable, unDanny-Woody dépassé etconquis, qui pour une foiss'oublie.

Dans The Purple Rosé ofCairo, Cecilia (Mia) est un trèsbeau portrait de femme, vrai,sensible, drôle et poétique.Dans le Manhattan-West Sidede la grande dépression, Ceci-lia est une serveuse maladroi-te, houspillée par son patron,qui rentre chez elle pour re-trouver un mari que le chôma-ge rend agressif, encore plusmacho, et pitoyable. Commedans Play It Again Sam, oùWoody fantasmait sur Bo-gart, Cecilia s'évade chaqueaprès-midi dans le film quijoue au cinéma du coin. Lepersonnage du jeune premiersort de l'écran pour la rejoin-dre, l'acteur des studios pourles poursuivre, et Cecilias'échappe de la réalité pourdécouvrir la vie rêvée. Et pourse construire une résistanceintérieure intacte!

Dans Hannah et ses soeurs,Mia joue le rôle piégé del'épouse qui a arrêté sa carriè-re pour se consacrer à sonfoyer et qui aide tout le mon-de: ses soeurs, l'une qui, defaillite en échec, finit par de-venir célèbre en écrivant lesaventures de la famille, l'autretrès jeune, qui doit se libérerd'un vieil amant possessif puisd'un beau-frère séducteuravant d'apprendre à choisir.Sa mère, enfin, une comé-dienne qui a la séduction nos-talgique, et qui noie les vieuxregrets dans le whisky. Parmices types et ces âges de fem-mes, Hannah est un person-nage ambigu tout en demi-teintes subtiles, dont l'extrê-me gentillesse cache mal unecertaine condescendance.

Au terme de cette éblouis-sante galerie de portraits, decet époustouflant générique,on peut se demander cequ'auraient été Diane Keatonou Mia Farrow sans WoodyAllen... et vice versa! Carl'oeuvre de ce cinéaste de gé-nie est d'abord et avant tout lerésultat de la rencontre deWoody avec ses soeurs, lesfemmes. Elles sont au centrede ses films, comme au coeurde sa vie. Cela s'appelle la pas-sion, v/

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