Onze notes égyptiennes - UNICAEN · d'O. Guéraud, Ent. 25-26, 1931, 66-67, et R. Taubenschlag,...

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Onze notes égyptiennes La gèrokomia sur les épitaphes grecques d'Égypte Sur le devoir d'assistance des enfants envers leurs parents dans l'Egypte gréco-romaine, on peut citer au moins les mises au point d'O. Guéraud, Ent. 25-26, 1931, 66-67, et R. Taubenschlag, Studi in onore di S. Riccobono I, 1932, 509-510, Scripta minora, II, 1959, 339- 345. Dans les épitaphes en vers, E. Bernand, Inscriptions métriques, 1969, 83 et note 5, a dénombré six cas, ainsi commentés: "Le thème de la gèrokomia est fréquent dans les épigrammes d'Egypte". Il est revenu sur le sujet plus loin, 0.1. 332: "Le devoir de gèrokomia est souvent évoqué dans les épigrammes relatives à des morts prématurées. Le thème revient en Egypte aussi bien dans les épitaphes d'époque romaine que dans celles d'époque ptolémaïque". Sur les six, deux sont probablement à exclure. En 27, 1-4, il est dit du défunt qu'''après avoir laissé son corps à sa mère la terre (. .. ) et avoir échappé à la cruelle vieillesse, en pleine force de l'âge il s'en est allé (. .. )". Bernand, 0.1. 150, y voit une "allusion non seulement aux infirmités qu'apporte la vieillesse, mais sans doute aussi à la situation matérielle des personnes âgées". Aucun mot cependant n'y évoque le recours à ses enfants, un recours d'autant moins probable qu'il est mort "en pleine force de l'âge", donc en pleine activité professionnelle. En 50, 5-6, la défunte demande "maintenant, passant, aie pitié de mon père (. .. )", il n'y a rien de plus, apparemment, que le thème archibanal de l'angoisse des défunts sur l'avenir de ceux qu'ils ont quittés. Quatre témoins restent sûrs : 10, 11-12 "J'ai vu les enfants de mes enfants prendre soin (gèrokomous) de ma vieillesse jusqu'à mon extrême fin" 11, 3-4 "Contre son gré, le malheureux, au lieu de nourrir ceux qui l'ont fait naître (anti tropheiôn), ne leur a procuré que des larmes et des chants de deuil" (CE 70, 1995, 252-253) 67, 5-6 "En poussant des gémissements, près de ta tombe, le père dont tu prenais soin dans sa vieillesse (gérokomos au sens passiD s'est frappé et s'est battu affreusement la poitrine" 83,9-10 "A la mère (. .. ) je n'ai pu manifester la reconnaissance qu'un enfant accorde à ses parents (gèrotrophon) dans leur vieillesse". Dans les épitaphes en prose, ni gèrokomos ni gèrotrophos (pas plus que leur quasi-synonyme gèroboskos) ne sont utilisés comme épithètes funéraires. Et cette absence est universelle, tant en milieu indigène, Kom Abou Billou, Tehneh, que grec ou grécisé, Alexandrie, et juif, Tell el Yahoudijeh (ZPE 23, 1976, 225-230, CE 67, 1992, 329-331). 75

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Onze notes égyptiennes

La gèrokomia sur les épitaphes grecques d'Égypte Sur le devoir d'assistance des enfants envers leurs parents dans

l'Egypte gréco-romaine, on peut citer au moins les mises au point d'O. Guéraud, Ent. 25-26, 1931, 66-67, et R. Taubenschlag, Studi in onore di S. Riccobono I, 1932, 509-510, Scripta minora, II, 1959, 339-345.

Dans les épitaphes en vers, E. Bernand, Inscriptions métriques, 1969, 83 et note 5, a dénombré six cas, ainsi commentés: "Le thème de la gèrokomia est fréquent dans les épigrammes d'Egypte". Il est revenu sur le sujet plus loin, 0.1. 332: "Le devoir de gèrokomia est souvent évoqué dans les épigrammes relatives à des morts prématurées. Le thème revient en Egypte aussi bien dans les épitaphes d'époque romaine que dans celles d'époque ptolémaïque".

Sur les six, deux sont probablement à exclure. En 27, 1-4, il est dit du défunt qu'''après avoir laissé son corps à sa mère la terre (. .. ) et avoir échappé à la cruelle vieillesse, en pleine force de l'âge il s'en est allé (. .. )". Bernand, 0.1. 150, y voit une "allusion non seulement aux infirmités qu'apporte la vieillesse, mais sans doute aussi à la situation matérielle des personnes âgées". Aucun mot cependant n'y évoque le recours à ses enfants, un recours d'autant moins probable qu'il est mort "en pleine force de l'âge", donc en pleine activité professionnelle. En 50, 5-6, la défunte demande "maintenant, passant, aie pitié de mon père (. .. )", où il n'y a rien de plus, apparemment, que le thème archibanal de l'angoisse des défunts sur l'avenir de ceux qu'ils ont quittés.

Quatre témoins restent sûrs : 10, 11-12 "J'ai vu les enfants de mes enfants prendre soin

(gèrokomous) de ma vieillesse jusqu'à mon extrême fin" 11, 3-4 "Contre son gré, le malheureux, au lieu de nourrir ceux qui

l'ont fait naître (anti tropheiôn), ne leur a procuré que des larmes et des chants de deuil" (CE 70, 1995, 252-253)

67, 5-6 "En poussant des gémissements, près de ta tombe, le père dont tu prenais soin dans sa vieillesse (gérokomos au sens passiD s'est frappé et s'est battu affreusement la poitrine"

83,9-10 "A la mère (. .. ) je n'ai pu manifester la reconnaissance qu'un enfant accorde à ses parents (gèrotrophon) dans leur vieillesse".

Dans les épitaphes en prose, ni gèrokomos ni gèrotrophos (pas plus que leur quasi-synonyme gèroboskos) ne sont utilisés comme épithètes funéraires. Et cette absence est universelle, tant en milieu indigène, Kom Abou Billou, Tehneh, que grec ou grécisé, Alexandrie, et juif, Tell el Yahoudijeh (ZPE 23, 1976, 225-230, CE 67, 1992, 329-331).

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Bernand évoque un lien entre gèrokomia et morts "prématurées". S'il veut parler de la mort des enfants laissant leurs parents sans ressour­ces, alors, toutes réserves d'avance formulées sur l'analyse de si peu d'exemples et compte tenu de l'espérance moyenne de vie qui n'excédait guère 20 ans (ZPE 18, 1975, 60-61), cette relation n'apparaît pas. En effet, en 10, quand Diazelmis meurt vers 80 ans (v. 9), ses enfants et petits-enfants vivent encore (v. 11-12). En 67, Hérakleidès meurt encore célibataire, ce qui n'implique pas une mort prématurée, les mariages masculins ayant été souvent tardifs chez les Grecs. En 11 et 83, les âges au décès, 27 et 20 ans, sont dans la moyenne.

Bernand a souligné le caractère intégralement hellénique de l'ono­mastique des quatre familles concernées. Il faut signaler que deux d'entre elles (11 et 67) proviennent de Naucratis.

Conclusion provisoire: la gèrokomia semble un thème rarissime, sans lien apparent avec des décès précoces, d'époque plutôt hellénistique, utilisé en milieu grec, surtout à Naucratis.

Sur quelques sites panopolitains M. Chauveau, BIFAO 92, 1992, 102-104, a repéré trois séries d'éti­

quettes de momies présentant chacune des similitudes de mains. La première comprend une bonne trentaine de tablettes (0.1. 102 note 6), dont plusieurs dues au même scribe aux initiales K, Ko ou Koll, proba­blement Koll (outhos) ou Koll (outhès). La seconde série (0.1. 104 notes 10-11) en comprend une bonne dizaine. Ces deux séries ont un point commun, l'unité d'origine de leurs défunts, quand elle est indiquée: Bompaé presque partout et deux fois (une dans chaque série) l'île Apolli­nariade. La troisième série (0.1. 103 note 8) groupe une quarantaine d'étiquettes de Psônis et de trois autres localités.

Dans le nome Panopolite dont elles proviennent toutes, des équipes de scribes se répartissaient donc les momies d'après leur provenance géographique, ce qui nous autorise quelques compléments topogra­phiques.

Pour Bompaé, situé sur la rive ouest du Nil, on admet une localisa­tion méridionale, "dans la région avoisinant la ville de Sohag" (H. Gauthier, BIFAO 4, 1904, 33). Les morts de l'île Apollinariade ayant été traités avec ceux de Bompaé, on peut situer cette dernière dans la même section méridionale du tronçon panopolitain du Nil. Or, Gauthier, déjà, 0.1. 36, l'avait, par hypothèse, située là: "C'était peut-être une île formée par le grand canal qui porte aujourd'hui le nom de canal de Sohag, et qui se détache du Nil en face d'Akhmim". L'île se trouvait alors dans le coude est-ouest du fleuve, à la hauteur d'Akhmîm-Panopolis. L'hypothèse de Gauthier se trouve donc confirmée par les regroupements de Chauveau.

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Depuis H. Gauthier, 0.1. 34-35, on admet que la transcription grecque Psônis recouvre le village appelé en copte Psooun (0.1. 34 et note 4), signalé sous la forme Ibsone (avec l'alif prothétique de l'arabe) par le Journal de voyage de 1672 et 1673 du Père Vansleb (ibid. note 5) et appelé aujourd'hui Bassouna. Ce village se trouve sur la rive ouest du Nil, "à gauche de la route conduisant de Banawit à Schandaouil", indica­tion qui correspond à celle du Père Vansleb, parti de Banawit. Cette localisation place Psônis au nord du nome Panopolite. Dans la troisième série de Chauveau figurent, outre Psônis, l'Epoikion Ailouriônos (CEMG 1897), Thmomparè (CEMG 1945 et 1947) et Psikô (CEMG 2127). On rangera donc ces villages, sans invraisemblance, au voisinage de Psônis.

Il faut ajouter, qu'en raison de son évidente étymologie (copte Tmou(n) = île), Thmomparè était certainement un site insulaire (cf. ZPE 13, 1973, 65).

Philogeitôn L'épithète philogeitôn ("ami(e) du voisinage") n'apparaît qu'une fois

dans l'épigraphie funéraire de l'Egypte gréco-romaine, sur une épitaphe juive de Tell el Yahoudijeh, gravée au nom d'une certaine Marion ainsi qualifiée: chrestè pasiphilos kai alypos kai philogeitôn (dernière édition avec bibliographie dans W. Horbury-D. Noy, Jewish inscriptions of Graeco-roman Egypt, Cambridge, 1992, n° 84, 158). Je propose de traduire "serviable, amie de tous et n'ayant causé de tort à personne et amie du voisinage".

Que cet emploi.isolé recèle une intention n'est pas douteux. Laquelle?

A Tell el Yahoudijeh, la phraséologie funéraire juive insiste fortement sur la qualité des relations qui unissaient les morts à leur environ­nement. Sur les épitaphes en prose (Horbury-Noy 41-104), le qualificatif le plus courant est chrestos, "serviable" : 27 chrestoi sur 30 hommes, 12 chrestai sur 18 femmes. Pasiphilos et alypos, qui se substituent à lui parfois, s'en rapprochent par leur sens, sûrement actif dans pareil contexte (LDP 1 N. 11,4 N. 7). Les épitaphes en vers (0.1. 29-40), bien que leur phraséologie soit influencée par la littérature (profane ou biblique) et les contraintes métriques, insistent aussi sur les services rendus par les défunts: ainsi Dèmas, "qui a aidé beaucoup d'hommes" (30,4) ou Abraham, "qui a reçu des honneurs dans la cité et a même été couronné d'une magistrature" (39, 5-6).

Cette insistance se traduit par des chaînes d'épithètes à deux, trois, quatre composantes {"strings of epithets" 0.1. 155) qui ont parfois permis d'attribuer avec vraisemblance Tell el Yahoudijeh comme prove­nance à des épitaphes qui n'en avaient pas d'assurée (exemples 0.1. 179). Les plus communes de ces chaînes sont chrestos-pasiphilos (14

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exemples), chrestos-pasiphilos-alypos (3 ex.), utilisée ici, inversement pasiphilos-chrestos (6 ex.), alypos-chrestos (1 ex.), pasiphilos-alypos­chrestos (2 ex).

Comment, dès lors, expliquer l'adjonction de l'hapax philogeitôn? Un simple désir de renouvellement stylistique est l'hypothèse la plus probable, car ces chaînes étaient peu variées et répétitives.

Mais philogeitôn n'ajoute rien à pasiphilos. Bien au contraire; par sa composition (pasi-), ce dernier étendait à "toute" une communauté cette bienfaisance qu'aussitôt après philogeitôn limite au seul voisinage! Avec le sens qu'il a et à la place qui lui a été assignée dans la chaîne, philogeitôn n'est donc qu'une addition maladroite. Un rapprochement s'impose avec une autre tentative, sur l'épitaphe de Joseph (Kentron 8/3, 1992, 129) ; le même effort pour rafraîchir une phraséologie usée n'a abouti qu'à de malencontreux pléonasmes: ainsi le défunt y est-il déclaré aôros néôtéros "mort prématurément trop jeune" (sic) !

Supplément au dossier funéraire de Kom Abou Billou

Voici un bref additif à mon article de Kentron 12/2, 1996, 65-68, sur les données démographiques de la nécropole de Kom Abou Billou. Peu après sa parution, G. Wagner ajoutait à ce dossier 103 épitaphes (ZPE 114, 1996, 115-140), qui, toutes, ont fait partie des documents trouvés pendant les fouilles de sauvetage du site, dans les années 1970-1980. Elles auraient figuré dans la bibliographie de Kentron, 65 note 25, si des circonstances indépendantes de la volonté de Wagner n'en avaient pas retardé la publication de près de 20 ans1.

Les 103 épitaphes nous donnent 90 âges sexualisés, que Wagner a indexés 0.1. 109.

J'ai exclu les stèles 1, 8, 38, 84, pour des raisons qu'il fournit lui­même. En 1, 2, le sigle de l'année (L) suivi du quantième (44) peut être compris au singulier (année régnale) ou au pluriel (années vécues). Wagner préfère y voir l'année régnale, dater le texte de l'an 44 d'Auguste et il s'en explique 0.1. 116. En 8, 2, le même sigle crée la même obscu­rité2. En 38, 2, l'âge est perdu en lacune3. En 84 enfin, il est pointé et il n'est pas sûr que la morte ait eu « 30 ans » (lambda douteux).

Ces 90 âges supplémentaires suscitent deux constats.

1 Il faut lire, dans son introduction, quelles entraves lui ont été imposées. 2 Wagner a néanmoins intégré 1 et 8 à son index des âges, avec des points d'interro­gation. 3 Son quantième a deux lettres. Mais, comme Wagner a travaillé «d'après un dossier photographique et sans jamais pouvoir consulter les originaux» (0.1. 115), on peut encore espérer qu'elles soient lisibles sur la pierre.

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Il y a un nouveau gonflement des effectifs juvéniles4. Kom Abou Billou donnait 155 décédés sexualisés en 1976, 288 en 19965. Voici les nouveaux chiffres, après addition des stèles de ZPE 114 :

0-24 ans 25-49 ans 50 etc. Totaux

1976 56 59 40

155

1996 117 105

66 288

+ ZPE 114 162 128 88

3786

Soit, en pourcentages évalués sur le nombre global des témoins:

0-24 ans 25-49 ans 50 etc.

1976 36,1 % 38 25,8

1996 40,6 % 36,4 22,9

+ ZPE 114 42,8 % 33,8 23,2

Les 90 épitaphes apportent un petit accroissement de l'effectif juvénile (+ 2,2 %), une diminution légère des adultes (-2,6 %) et une approximative stabilité des vieillards.

Deuxième constat, qui touche à la répartition des sexes. J'avais fait remarquer, dans Kentron, 66, qu'une surprenante surreprésentation masculine jusqu'à 24 ans s'était substituée, en 1996, à la surreprésen­tation féminine observée en 1976. C'était d'autant plus curieux qu'ail­leurs, généralement, la prédominance est féminine dans les tranches d'âges juvéniles de toute épigraphie funéraire. Or, les nouveaux chiffres confortent la surreprésentation masculine.

1976 1996 + ZPE 114 H F H F H F

0-24 ans 24 32 62 55 88 74 25-49 ans 35 24 54 51 62 66 50 etc. 25 15 41 25 56 32 Totaux 84 71 157 131 206 172

Mais voici qu'une autre « surprise» nous attend, à la faveur des plus récents chiffres.

4 Je reprends ici le découpage 0-24 ans, 25-49, 50 etc., que j'avais utilisé dans ZPE 21, 1976, 228, et dans Kentron précité, 66. 5 Kentron, ibid. 6 Pour arriver à 378, j'ai éliminé les stèles 14, 51, 75 (sexes indéterminés) et j'ai ajouté la stèle 89 (un garçon d'l an 7 mois apparemment oublié dans l'index de Wagner).

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Contre la tendance générale à surreprésenter les hommes de 25 ans aux derniers âges, le dernier état du dossier de Kom Abou Billou accorde une légère prédominance aux femmes adultes de 25 à 49 ans (66/62).

Encore une preuve que chaque trouvaille, même de moins de cent documents, bouscule allègrement les schémas les plus courants.

Sur la chronologie des épitaphes de Kom Abou Billou

G. Wagner, SFKAB 15, a relevé que dix épitaphes de Kom Abou Billou sont datées d'un an 12 : « L'année régnale 12 est particulièrement bien représentée dans les stèles de Kom Abou Billou (suit la liste). On ne peut naturellement pas assurer que cette année 12 corresponde toujours à un seul et même règne, comme le fameux 11 Hathyr tragique de l'an 20, mais on remarquera que, parmi ces stèles de l'an 12, trois sont du mois de Phaôphi, deux sont du mois d'Hathyr et une ou peut-être deux autres du mois de Choiak, c'est-à-dire que six ou sept de ces stèles sont situées à l'intérieur de trois mois qui se suivent (mention, ici, d'une autre stèle inédite du même quantième). Si toutes les années 12 ressortissent au même règne, pourrons-nous avec nos dix stèles actuellement connues et ainsi datées parler de la tragique année 12 de Terenuthis ? ».

L'allusion au 11 Hathyr « tragique» de l'an 20 recouvre un important groupe de stèles à défunts multiples qui ont enregistré, à cette date, les décès de dizaines d'individus des deux sexes, surtout juvéniles. Ce groupe a déjà fait couler beaucoup d'encre (G. Nachtergael, CE 68, 1993, 229 et note 3).

En évoquant les 10 stèles groupées d'un an 12 qui pourrait être du même règne, Wagner a mis le doigt sur une caractéristique du dossier de Kom Abou Billou, car l'an 12 n'est pas le seul où l'on remarque des épitaphes groupées à l'intérieur de plusieurs mois consécutifs. J'ai fait un sondage sur 517 épitaphes:

- des documents anciennement insérés dans le Sammelbuch (SB 619, 693-703, 2646, 3944, 5829, 6585, 7311, 9996/857-877, 10162/512-637),

- BIFAO 78, 1978, 235-258, - Archiv Orientalni (AG) 48, 1980, 330-355, - SFKAB 1985, - ZPE 114, 1996, 115-140 Cet ensemble représente largement plus de 80 % de la production

épigraphique connue ou entrevue de Kom Abou Billou, massivement datable du Haut-Empire. J'ai volontairement laissé de côté des épita­phes ptolémaïques antérieures à l'adaptation augustéenne du calendrier en 22 av. J.-C. (BIFAO 78, 236-237 n° 1-2) et des stèles publiées dans des conditions incertaines (H. Riad, BSAA 44, 1991, 169-183) et réexa­minées sans recours possible aux originaux (G. Nachtergael CE 68,

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1993,229-233, et G. Wagner, ZPE 101, 1994, 113-119), même si, dans le second cas, les correcteurs arrivent à des datations très probables.

Voici des regroupements possibles par mois consécutifs : An 1 27 Tybi SB 10162/512

19 Méchir SB 10162/513 26 Méchir SB 9996/863

27 Epiph AO n07 21 Mésorè BIFAO 78 nO 7

An2 22 Phaôphi SB 10162/514 26 Hathyr SB 9996/873

3 Choiakh AO nO 13 18 Choiakh SB 10162/515 12 Tybi SB 619

An4 7 Choiakh ZPE 114 nO 19 2 Tybi SB 10162/520

24 Tybi ZPE 114 nO 9

20 Epiph BIFAO 78 n° 54 24 Epiph BIFAO 78 nO 8 18 Mésorè AO n09

An5 3 Hathyr BIFAO 78 nO 30 11 Hathyr BIFAO 78 nO 54 21 Hathyr ZPE 114 nO 56 26 Choiakh SFKAB nO 37

Tybi BIFAO 78 nO 15 1 Méchir SB 10162/521

13 Phaménoth SFKAB nO 67 2 Ph8'rmouthi ZPE 114 nO 64

Pachôn SB 9996/866

An 7 24 Hathyr SFKAB nO 92 4 Choiakh ZPE 114 nO 69

An8 20 Tybi SB 10162/529 14 Méchir ZPE 114 nO 12 30 Méchir ZPE 114 nO 102

2 Phaménôth SB 10162/530

An9 Pachôn SB 10162/537 Payni ZPE 114 nO 34

23 Epiph ZPE 114 n° 91 2 Mésorè SB 10162/538

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27 Choiakh SB 10162/535 22 Tybi SB 10162/536

Méchir ZPE 114 n° 21

An 10 6 Phaménôth SB 10162/539 11 Parmouthi SB 10162/540

An 13 10 Payni SB 10162/544 8 Epiph SB 10162/545

12 Epiph SB 10162/546 15 Mésorè SFKAB nO 149

An 14 Hathyr BIFAO 78 nO 34 9 Choiakh SB 10162/547

19 Choiakh ZPE 114 nO 25 9 Tybi SB 10162/548

26 Tybi SB 10162/549

An 15 8 Payni BIFAO 78 nO 56 23 Epiph SB 10162/550

Il existe un parallèle frappant dans des «séries» d'étiquettes de momies (BASP 18/3-4, 1982, 107-110). Ne peut-on imaginer simplement que, par endroits, les fouilleurs aient exhumé de petites rangées de tombes groupées dans l'ordre de succession chronologique des inhu­mations?

Sur la mort d'une fillette

G. Wagner vient de publier l'épitaphe d'une fillette de Kom Abou Billou, qui porte le texte suivant: «The(r)mouthis (âgée de) 3 ans (et) 8 mois » (ZPE 114, 1996, 131 n° 76). Il note: « Rappelons que la durée de vie calculée en mois et éventuellement en jours est l'apanage des enfants morts en bas âge ».

C'est une affirmation démentie par les textes. A Kom Abou Billou-même, le lecteur peut constater, dès la page

suivante de l'article (132 nO 79), qu'un défunt y a été déclaré mort « à 33 ans [x] mois» (quantième des mois perdu en lacune). Ce défunt d'âge avancé n'est pas un isolé. Un tableau des âges alexandrins montrait déjà, il y a 20 ans (ZPE 21, 1976, 238), que ces surprécisions se sont pratiquées jusqu'aux âges séniles:

3 ans x mois 16 - 7 7 jours

2 10 - 27 -25 6 -29 - 8 - 17 -

82

32 ans 35 39 43 61

2 1 5 7

5 mois 27 jours

- 29 -- 20 -

6 -

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Parmi ces 10 témoins, il y a 5 hommes, 2 femmes, 1 défunt de sexe non déterminable.

On trouve d'autres surprécisions de même type ailleurs, en Egypte. Pour faire bref, je ne cite, ici, que cinq sarcophages de Gournah, SB 8366-8370 (2 hommes, 3 femmes) :

16 ans 21 -

4 -6 -

44 -

2 mois 4 -8-2 -

10 -

9 jours 22 -10 -8-

Ces surprécisions apparaissent dans toutes les tranches d'âges de la vie.

Six fragments de textes en attente

Les six coupons de papyrus concernés par cette note sont à ce point ruiniformes que seul un mot significatif ou rare en émerge çà ou là. Je me contente donc de signaler brièvement leur existence, comme font les éditeurs allemands sous la dénomination commode de «Wartetexte» (Je l'ai déjà fait pour un autre document très mutilé également, dans LDP 2 N.7).

Ils ont été trouvés dans le cartonnage de momie Lille inv. 2271 (CR/PEL 9, 1987, 53-54). Pour cette raison, on peut les dater du Ile siècle avant J.-C. et leur assigner pour provenance le secteur de Ghôran­Magdôla, au sud du Fayoum.

Les dimensions indiquées sont dans l'ordre la hauteur et la largeur. P. Lille inv. 90

(7 x 5 cm.) Débuts de 10 lignes (3-4 syllabes par ligne). Une seconde main a

tracé les 11. 8-10. Ombres d'un texte sous-jacent mal lavé dans la marge gauche.

C'était peut-être un contrat impliquant un prêt à intérêt (ton tokon l. 3) et des versements (chalkous 11. 8 et 9).

P. Lille inv. 103 (11,7 x 5 cm.)

Partie médiane de 12 lignes. Restes possibles d'une lettre puisqu'on lit une seconde personne du

singulier 1. 2 (soi) et une fin de verbe à la première personne 1. 10 (-dôsô).

La séquence survivante 1. 4, kaisuka, pourrait contenir également une seconde personne, à moins que la missive ait concerné des figues (suka).

P. Lille inv. 105 (13 x 5 cm.)

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Débuts de 10 lignes (2-3 syllabes par ligne). Une barre (de reviseur?) en diagonale dans la marge gauche, à hauteur de la 1. 10.

La 1. 3 semble avoir contenu une clause de bebaiôsis. P. Lille inu. 107

(16,5 x 8 cm.) Restes d'un contrat de location apparemment en relation avec

l'exploitation d'un bac (porthmis 1. 5). Les 11. 1-3 très mutilées semblent avoir contenu des clauses financières en cas de résiliation ([x] talents de cuivre 20 drachmes), la 1. 6 fournit une formule banale dans les documents de ce genre, « que le contrat (misthôsis) soit valide (kyria) ".

P. Lille inu. 111 (d) (5 x 4,3 cm.)

Restes de 7 lignes qui évoquent des « biens» (hyparchonta 1. 4) et une procédure d'assignation (epigraphein 1. 5).

P. Lille inu. 121 (14 x 6 cm.)

Débuts de 14 lignes. Mention d'émoluments (opsônia 1. 14) et, surtout, l'adjectif eubiotos 1. 8 est une rareté lexicale (Liddell-Scott éd. 1968, 707 s.u.).

SB I, 3944

Sous ce numéro du Sammelbuch, figure une épitaphe rééditée d'après Griffith, Tell el Yahudijeh planche XX n° 14, B. Elle mentionne seule­ment le nom du mort et d'un ascendant, Tikinnas Nemesou, suivis de la date égyptienne mutilée.

La notice du SB précise ainsi son origine supposée: « Grabstein, Leontopolis (Tell el Yahudijeh) ». Dans ZPE 21, 1976, 218 note 2, j'ai signalé que SB 3944 (comme le n° 2646 du même recueil) provenait de Tarraneh, c'est-à-dire Kom Abou Billou. Depuis, la rectification a été enregistrée dans la Berichtigungsliste der griechischen Papyrusurkunden aus Agypten VII, 181.

Je n'ajoute cette note, aujourd'hui, que pour donner deux nouvelles confirmations de cette provenance. Elles sont d'ordre onomastique.

Le nom du défunt, Tikinnas, a été intégré au Namenbuch de Preisigke, 435, avec cette épitaphe pour unique référence. Il n'a pas reparu dans l'Onomasticon alterum de Foraboschi 318, mais n'est pas pourtant un hapax. L'Onomasticon, en effet, s'est arrêté, dans l'enregis­trement des noms propres du SB au tome 7. Il n'a donc pas inséré dans ses rubriques un Tikonn[as (?)], qui n'apparaît qu'au tome 8, sous le numéro SB 9996/868, épitaphe à trois défunts retrouvée à Kom Abou Billou. Il y a donc eu, dans cette bourgade, deux quasi-homonymes,

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porteurs d'un nom qui n'est attesté que là et peut en être tenu pour caractéristique.

Nemesou n'est pas moins typique de l'anthroponymie indigène de Kom Abou Billou. On sait la forte homogénéité onomastique de nom­breux villages de l'Egypte antique et le fait a été vigoureusement mis en valeur par Mme L. C. Youtie, Das Archiv des Petaus (P. Petaus), Papyr. Coloniensia IV, 1969, 51 : «Nur indem wir unsere Aufmerksamkeit auf die Tatsache richten, dass manche Namen in einzelnen Orten viel haufiger vorkommen aIs in anderen und daher fur diese Orte charakte­ristisch sind, gelangen wir in die Lage, das Dorf zu bestimmen, zu dem sie gehoren» (statistique impressionnante 51-52). Or, maintenant, dans le cas de Kom Abou Billou, les accroissements considérables de la docu­mentation funéraire, dûs aux fouilles de sauvetage entreprises depuis les années 70 (Kentron 12/2, 1996, 65 et note 25) nous apportent quelque lumière sur les options onomastiques du terroir. Et l'on entrevoit que Nemesas, Nemesous, Nemesion et Nemesammon y sont bien représentés, Nemesas dans SB 10162/553

ZPE 114, 1996, 119 n° 18 et 121 nO 25,

Nemesous dans SB 10162/540

BIFAO 78, 1978,240 n° 7

SFKAB 25 n° 94,

Nemesion dans SB 10162/527 et 578

ZPE 114, 1996, 127 n° 56,

Nemesammôn dans SB 10162/553.

Une dernière remarque touche à un point de morphologie. Le SB a accentué Nemesou paroxyton et le Namenbuch, à sa suite, lui a supposé un nominatif masculin et proparoxyton Nemesos, dont je n'ai pas trouvé d'autre témoignage. Or, il existe à Kom Abou Billou (v. plus haut) et ailleurs (Namenbuch 228, Onomasticon 205) beaucoup d'exemples du féminin Nemesous. Je me demande donc s'il ne faut pas supposer en Nemesou (accentué périspomène) un matronyme employé au «short genitive» sans élargissement dental (sur ces génitifs abrégés, caracté­risés par le thème nominal nu, v. par ex. JJP 18, 1974, 161 ou P. Oxy 43, 3102, 5). L'hypothèse aurait l'avantage de nous éviter l'hapax mas­culin Nemesos.

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Lefebvre 686-690

Dans son Recueil des inscriptions grecques chrétiennes d'Egypte, 1907, G. Lefebvre a inséré cinq étiquettes de momies (nO 686-690 0.1. 135-136).

Etaient-elles toutes chrétiennes? Il faut des sigles indubitables (ex. un chrisme) ou des formulaires

typés (ex. «x s'est endormi dans le Seigneur ») pour garantir le caractère chrétien d'un document funéraire. Or, une seule porte un sigle, c'est 687 «< Psenthèous fils d'Apollônios petit-fils de Patsès »), qui s'achève par un rhô traversant verticalement un chi en monogramme.

Les quatre autres font problème à des titres divers. 686 «< Hèlias fils de Kyrillos d'Antinooupolis ») était inédite quand

Lefebvre l'a publiée d'après une copie de Seymour de Ricci, ce qui paraît impliquer qu'il ne l'ait jamais eue entre les mains. Il la situait alors au Musée Guimet. Mais, par la cession Bénédite, à partir de 1948, les objets égyptiens du Guimet ont été transférés au Louvre (CRIPEL 2, 1974, 157 et 261 note 3), où l'on a scrupuleusement conservé leur numéro d'origine MG (ex. dans CRIPEL 2, 211, où Louvre E 20428 est un ancien MG 2929). Or, quand j'ai publié les étiquettes de momies grecques du Louvre (CRIPEL 2-5, 1974-1979), je n'ai pas trouvé trace de la tablette d'Hèlias dans les réserves du musée, comme le montre l'index du CRI PEL 5, 1979, 299 et 303. Le seul symbole à valeur religieuse y était le signe de vie hiéroglyphique ankh, placé 1. 1 à gauche du nom du mort, mais est-ce un sigle assuré de christianisme?

688 avait déjà disparu en 1907 (Lefebvre ad loc. : «Où? [a fait partie de la collection Sabattier] ») et portait un texte sans sigle ni caractérisation religieuse: «Péleis a vécu 37 ans ».

690 de même (collection F. X. Kraus en 1907) ne portait ni sigle ni caractérisation religieuse: «Xéni (sic) a vécu 20 ans ».

Il faut mettre à part 689, où Lefebvre a, par deux fois, lu le nom du défunt « t Enmonthès » (cf. index 0.1. 160 s.v. Enmonthès). La typogra­phie qu'il a adoptée prouve qu'il a vu un chrisme initial. Mais son inter­prétation nous contraint à faire un hapax d'*Enmonthès (le Namenbuch de Preisigke 99 ne donne que cette référence et l'Onomasticon alterum de Foraboschi n'en a relevé aucun témoignage nouveau depuis), alors que les Psenmonthès sont légion et ont proliféré en variantes nombreuses (Namenbuch 483-484, 487, Onomasticon 344, 347). Or, les psi crucifor­mes ne sont pas rares dans les cursives d'époque romaine. Cette forme de la lettre figure en bonne place dans A. Bataille, La dynamique de l'écriture grecque, Rech. Pap. II, 1962, planche V nO 4, et il y en a nombre d'exemples sur les étiquettes, à l'initiale ou à l'intérieur des noms (ex. CEMG 163 Psaïs; 862 Psentanéchatès; 1211 Senpsondbé, Psendbôs; 1949, Psaïtos). Mieux vaut donc lire ici « Psenmonthès ».

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Sammelbuch vi, 960111-7

A Varsovie avant 1939, un lot de sept ostraca grecs de Panopolis a fait l'objet d'un déchiffrement manuscrit de G. Manteuffel. Après leur destruction par la guerre, Melle A. Swiderek n'a pu que reproduire les lectures de ce savant, JJP 3, 1949, 145, reprises sans changement dans le SB 960l.

Ils énumèrent sept hommes ou femmes avec leurs filiations et parfois leurs âges. Il ne peut s'agir que d'âges au décès et le caractère funéraire de ces tessons ne semble pas douteux.

J'ai d'abord pensé à des brouillons d'étiquettes dont ils ont le style (BIFAO 86, 1986, 43 et note 4), mais Grenfell et Hunt donnent sans doute la véritable raison d'être de ces tessons. En effet, dans la nécro­pole d'Oxyrhynchos, ils ont découvert des ostraca près des corps (Oxyrhynchos and its papyri, Archaeological Report 1896-1897, 4): «The bodies were as a rule not mummified nor ornamented in any way. Mummy tablets were not used ; but in their stead the name and age of the deceased was frequently found scrawled on a pie ce of pottery (. .. ) ».

Evoquant ce passage, J. Krüger concluait récemment: «Wir haben es in diesem Bericht offenbar mit Grabstâtten der unteren sozialen Schichten aus Oxyrhynchos zu tun (. .. )>> (Oxyrhynchos in der romischen Kaiserzeit, Studien zur Topographie und Literaturrezeption, 1990, 136).

Les tessons de Varsovie étaient donc, selon toute vraisemblance, des « stèles » de pauvres, mais sur un point originales: elles imitaient quasi­littéralement le style des étiquettes de momies par la précision des coordonnées: trois, peut-être quatre exemples de filiations jusqu'au grand-père sur sept documents, trois indications d'âges et deux de métiers (les épitaphes; au contraire, sont avares de ces informations).

S'ils témoignent de la pratique funéraire des plus démunis, ceux qui ne pouvaient payer pour leurs défunts ni épitaphe de pierre ou de bois (Kentron 12/2, 1996, 55-56) ni momification avec apposition d'étiquette, il reste à savoir pourquoi ces pauvres ont tenu à imiter le style des étiquettes de momies jusque dans ses détails les plus précis. S'agit-il d'un désir d'imiter plus riches qu'eux? Ce serait une hypothèse intéressante pour l'histoire des mentalités.

Sur une étiquette de la Vallée des Reines

Une étiquette de momie grecque, récemment découverte dans la Vallée des Reines (G. Wagner, Chr. Leblanc, G. Lecuyot, A.-M. Loyrette, BIFAO 90, 1990,371-372 nO 4) donne les informations suivantes:

«[Momie de ] Senharyôs, fille de Pamônthès, petite-fille d'Hatrès, arrière-petite-fille de Panéès ou (originaire) de Panéèou ».

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Le texte grec porte panéèous. Ses éditeurs ont hésité entre le nom au génitif de l'arrière-grand-père ou du lieu d'origine. Un anthroponyme Panéès est possible (bien que ce soit un hapax), car les filiations à trois degrés ne sont pas rares dans cette littérature (0.1. 372). Un toponyme y est aussi vraisemblable, pour deux raisons: la documentation copte atteste l'existence d'un village appelé Panéhèou, identifié avec Banahou près de Sohag (0.1. 372), dont le nom pouvait être transcrit Panéèou, gén. Panéèous, en grec; d'autre part, quelques étiquettes de momies, exceptionnellement, présentent la provenance des défunts au génitif sans apo : il y en a deux exemples vraiment sûrs dans le CEMG7

1978 Thès(is) Apollinariados 2104 Marônas Philadelphias.

Il me semble possible d'ajouter un troisième argument en faveur d'un toponyme.

La montagne thébaine, où est située la Vallée des Reines, a toujours eu un caractère sacré pour les anciens Egyptiens et cette sacralité a survécu, même à date tardive, quand la région fut devenue chrétienne (A. Bataille, Les Memnonia, 1952, 108-109 ch. 13). Beaucoup d'indi­gènes, aux diverses époques, ont souhaité s'y faire inhumer. Il a donc fallu que les fossoyeurs vident, périodiquement, les sépultures de leurs occupants et mobiliers funéraires, pour y installer de nouveaux corps: «A Thèbes-Ouest, en particulier, la récupération d'emplacements funé­raires s'imposa relativement tôt. Dès la Troisième Période Intermé­diaire, en effet, on sait que nombre de puits de la XVIIIe dynastie ou de tombes ramessides avaient été déjà réaménagés en de nouvelles conces­sions individuelles ou familiales. L'augmentation progressive de la popu­lation8, associée au désir constant des habitants de la région de se faire enterrer dans les flancs proches de la montagne, n'est vraisemblable­ment pas étrangère, à l'époque romaine encore, au fait que l'adminis­tration des Memnonia, pour pallier le manque de places disponibles, dut favoriser une pratique déjà bien établie, la développant même selon les besoins, au sein des grandes nécropoles de la rive occidentale. C'est sans doute ainsi que la Vallée des Reines fut transformée en cimetière populaire, et que ses sépultures devenues collectives accueillirent des centaines de défunts» (0.1. 365-366).

7 Et non huit comme l'affirment les éditeurs 0.1. Sur CEMG 2018 et 2030, le toponyme n'est pas au génitif; il est indécliné (2018 Pakerkè) ou au nominatif (2030 polis Panô(n». Sur CEMG 2093 et 2166, on trouve le tour habituel (2093 apo Triphiou, 2166 apo Psôneôs), mais la préposition y est réduite à un sigle en forme de boucle fermée (= alpha initial), d'où l'erreur des éditeurs. 8 Autant le désir d'inhumation dans la montagne sainte est garanti par l'archéologie (Bataille 0.1.), autant l'hypothèse d'une augmentation de population locale me paraît incertaine, en l'absence de données quantifiables. Pour l'instant, la multiplication des inhumations dans les anciens caveaux pharaoniques semble dûe à l'afflux de défunts venus d'ailleurs.

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Dans la tombe d'où provient l'étiquette de Senharyôs (V d R 73 0.1. 368), les fouilleurs ont dénombré trois «déménagements» successifs (à la troisième période intermédiaire, aux époques romaine et chrétienne9). Dans un tel contexte, l'afflux de corps à inhumer a dû poser maints problèmes aux transporteurs et aux nécrotaphes. Pour acheminer correctement une momie, il n'était donc pas inutile de noter soigneu­sement sa provenance, surtout quand le village d'origine était éloigné 10. Cet argument en faveur du toponyme ne contredit ni les habitudes funéraires des indigènes ni la géographie ni la syntaxe et il a l'avantage d'éviter un hapax.

Bernard BOYAVAL Université de Lille III

9 0.1. 368 : « C.,) les chrétiens, derniers occupants des lieux, avaient, avant de s'installer dans ce refuge, jeté à l'extérieur les momies romaines et leur mobilier funéraire. C'est ainsi que furent dégagés, dans l'axe et à 7,40 m. de l'accès à la sépulture, plusieurs momies de femmes et d'enfants, des plastrons et linceuls peints, et près de cent cinquante amphores brisées à fond pointu en bouton ».

10 Si Panéèous est toponyme ici,la momie s'est déplacée du nome panopolite à la zone thébaine, ce qui n'est pas un petit voyage.

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