Onze millions -...

20
Onze millions Roman Jean Hennebé

Transcript of Onze millions -...

Page 1: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2

Onz

e m

illio

ns

Onze millionsRoman

Jean Hennebé

20.76 495230

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Coup de coeur

[Roman (134x204)] NB Pages : 268 pages

- Tranche : 2 mm + nb pages x 0,07 mm) = 20.76 ----------------------------------------------------------------------------

Onze millions Roman

Jean Hennebé

Jean

Hen

nebé

Nov 2013

Roman de société / actualité

Page 2: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 2

Page 3: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 3

Vifs remerciements à mon ami François L.

qui s’est avéré être un précieux relecteur.

Page 4: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 4

Page 5: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 5

Sommaire

Avant-propos 7

I – Loto 9

II – Héritage 31

III – Croisière 53

IV – Boutique 71

V – Atelier 97

VI – Hannibal 117

VII – Arnaques 137

VIII – Réception 161

IX – Politique 185

X – La Sauvagère 205

XI – Ministre 225

XII – Réveil 245

Page 6: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 6

Page 7: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 7

Avant-propos

Comme le rire, les jeux de hasard sont le propre de

l’homme ; des traces d’objets utilisés pour simuler

l’aléatoire ont été retrouvées notamment dans des

tombes de civilisations fort anciennes. Les loteries

contemporaines datent probablement des Romains

comme le décrit Pétrone1, mais ce sont les

Néerlandais qui créent la loterij en 1441, suivis des

Allemands avec le los, des Italiens qui répandent le

lotto, des lotteries anglaises et des loterias

espagnoles. Madame de Pompadour a instauré la

« Loterie de l’École militaire » en 1774 afin de

financer la construction de l’édifice, puis ces jeux ont

été interdits en France jusqu’à ce que la Loi du 31

mai 1933 autorise le gouvernement à créer la

« Loterie nationale » devenue « Française des Jeux »

en 1976.

Si le maysir, jeu de hasard jusque-là pratiqué dans

le monde islamique, a été clairement condamné2 par

1 Écrivain romain, auteur du « Satyricon » qui décrit la vie

quotidienne à la manière d’un naturaliste. 2 Sourate V, 92 et suiv.

Page 8: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 8

Mahomet, l’Église se montre très réservée en ce

domaine : l’argent est censé faire le bonheur ou

l’arnaque de ceux qui se nourrissent du rêve des plus

pauvres. Ce sont autant d’aspects qui rendent les jeux

inacceptables à ses yeux, surtout « … lorsqu’ils privent

la personne de ce qui lui est nécessaire pour subvenir

à ses besoins et à ceux d’autrui. En outre,… la passion

du jeu risque de devenir un asservissement grave… »3.

D’après une étude récente, plusieurs centaines de

milliers de personnes seraient effectivement devenues

dépendantes au jeu, et ce phénomène prend de

l’ampleur à chacune des crises économiques. Bien

que toutes les catégories sociales soient concernées, la

plupart sont celles qui, vivant des situations difficiles,

sont les plus défavorisées et misent des sommes

importantes pour s’évader de leurs soucis. Mais la

chance n’est pas nécessairement celle que l’on croit et

presque tous les grands gagnants finissent ruinés en

quelques mois, faute d’avoir su gérer leur pactole : la

chance et la malchance se télescopent fréquemment

au même carrefour d’une existence, et affronter les

envies est souvent pire que le cancer.

Alors que j’étais jadis dans une situation financière

délicate, j’ai été tenté de jouer au Loto, mais il ne m’a

pas fallu réfléchir longtemps pour comprendre qu’un

tel remède aurait été pire que le mal.

« L’argent n’a pas d’odeur, mais à partir d’un million, il commence à se faire sentir. »

Tristan Bernard.

3 Catéchisme de l’Église catholique, éd. Mame-Plon, 1992

Page 9: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 9

I

Loto

– Et tu espères gagner le gros lot un jour ?…

Bertrand était moqueur : son camarade Didier se

tenait en face de lui et venait de lui avouer qu’il jouait

régulièrement au Loto depuis fort longtemps. Les deux

hommes avaient partagé de nombreuses heures

d’études et d’exercices en tant qu’officiers de réserve,

et personne n’aurait pu deviner l’origine de la

complicité de ces deux messieurs, visiblement si

différents, mais dégustant ensemble une bière sur la

terrasse de ce bistro perdu au plus profond du 19e

arrondissement de Paris. L’un, assez replet, était vêtu

d’un costume trois-pièces avec cravate et chaussures

soigneusement cirées, l’autre, grand et plutôt « body-

buildé », portait une tenue de jogging avec un blouson

bariolé et des baskets. Le soleil avait recommencé à se

montrer après un hiver particulièrement rigoureux et,

depuis qu’ils avaient atteint l’âge les libérant de leurs

engagements, ces deux compères avaient pris

l’habitude de se retrouver de temps à autre en terrain

« neutre », c’est-à-dire sans épouses ou assimilées. La

soirée s’annonçait belle et Bertrand avait quitté son

bureau plus tôt que d’habitude pour traverser Paris afin

d’aller retrouver son camarade.

Page 10: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 10

– Pourquoi pas, il y a plus de vingt millions de

joueurs et, comme on le dit, « la chance appartient à

tout le monde ».

– Il y a donc plus de dix-neuf millions de perdants

rétorqua Bertrand, flegmatique, tout en portant le bock

à ses lèvres. Tu veux absolument en faire partie ?

– Clemenceau a dit que « le meilleur moment dans

l’amour, c’est celui où l’on monte l’escalier ». Pour le

Loto c’est pareil, l’attente fait rêver… Au fait, nous

sommes lundi et il y a un tirage ce soir. Laisse-moi

une minute.

Didier se leva et se dirigea vers le comptoir.

Bertrand était sceptique : jamais il ne s’était laissé

aller à jouer à quelque loterie que ce soit, sauf dans

les kermesses organisées au profit de la troupe de

scouts de sa paroisse, et son épouse partageait cette

aversion pour les jeux de hasard si contraires à ses

convictions.

Son camarade revint avec deux tickets à la main :

– Tiens, j’ai joué pour toi, je te l’offre.

Et il donna l’un des reçus à Bertrand, tout en

rangeant soigneusement le sien dans son portefeuille.

– Tu as une chance sur vingt millions, bon vent !

Ce dernier prit dubitativement le bout de papier

dont son ami lui expliqua le libellé :

– Tu vois, il y a la date du tirage et, en dessous, le

« numéro chance » suivi de cinq chiffres. Si le

premier est tiré et que les cinq autres chiffres le sont

également, tu remportes le gros lot.

– Et tu as choisi toi-même ces numéros ?…

– Oui, une machine peut aussi générer de tels

tickets, mais j’ai rempli ceux-là en cochant des

Page 11: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 11

numéros au hasard, les yeux fermés ou presque, sur

les grilles.

Bertrand fit la moue mais, obéissant à son

camarade qui lui conseillait de le conserver

précieusement, inséra le reçu en tête de son carnet. Il

avait déjà vu à la télévision tourbillonner les petites

boules qui déterminaient la combinaison gagnante,

mais n’y avait jamais prêté d’attention particulière.

– Au fait, as-tu des nouvelles de Pierre, il devait

me donner des conseils pour l’achat d’un nouveau

portable, mais j’attends toujours…

– Aucune nouvelle, moi non plus, comment vont

tes affaires ?

Suivirent alors divers commentaires concernant

leurs activités respectives : Didier était responsable de

l’éducation sportive dans plusieurs lycées des

environs tandis que Bertrand faisait dans l’assurance.

Il n’y avait donc que peu de traits communs entre ces

deux professions, mais c’est ce qui faisait tout

l’intérêt du groupe auquel ils avaient appartenu et qui

rassemblait des compétences très diverses : ingénieur,

fonctionnaire, notaire, avocat, pharmacien,

informaticien, commerçant, etc. Il serait fastidieux

d’en énumérer la liste, mais tous se retrouvaient

régulièrement en train de s’exercer à appliquer des

méthodes de raisonnement tactique pour contrer

l’attaque d’un « ennemi rouge » quelque part dans les

plaines germaniques, ou de partager une guitoune

commune par -10°C lors de reconnaissances

concernant l’incontournable trouée de La Capelle,

éternel sujet d’études de l’École de guerre. C’est au

cours de ces activités que l’on apprenait à s’estimer

mutuellement malgré les différences, sociales en

particulier, des participants.

Page 12: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 12

– Bon, je te quitte, ma femme va m’engueuler si je

rentre trop tard.

Et Bertrand lampa le fond de son bock avant de se

lever.

Bien que n’ayant pas la même contrainte puisque

dépourvu en ce moment de compagne, Didier quitta à

son tour son siège, empocha la monnaie car c’était à

son tour de régler l’addition, et les deux amis se

séparèrent. Dans le métro qui le ramenait chez lui,

Bertrand ne put s’empêcher de penser à un dossier

particulièrement difficile qu’il s’était promis de traiter

le lendemain.

– Tu sens la bière, as-tu passé un bon moment avec

ton copain ?

On ne pouvait rien cacher à Patricia, et Bertrand ne

lui cachait du reste jamais rien : cette toujours aussi

belle épouse avait deviné qu’il était allé boire un

verre avec son ami Didier comme il le faisait parfois,

mais n’appréciait guère ce dernier dont l’attitude vis-

à-vis des femmes qu’il traitait de « gonzesses » l’avait

agacée.

– J’ai préparé des spaghettis « alla carbonara », tu

les aimes bien, n’est-ce pas ?

Et un petit baiser vint confirmer l’affirmation.

La porte d’entrée s’ouvrit en coup de vent :

Séverine rentrait, elle aussi, revenant des Beaux Arts

où elle étudiait la peinture. Brune comme son père,

elle tenait toutefois de sa mère des yeux d’un bleu

presque transparent qui lui valaient de nombreuses

flatteries. Elle posa précautionneusement son carton à

dessin et lança sa gibecière sur la banquette, avant

d’ôter son blouson.

– Mmm, cela sent bon, j’ai très faim, déclara-t-elle.

Page 13: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 13

– Tu n’as plus qu’à mettre la table, répondit sa

mère en riant. Moi, je vais me changer.

Patricia quittait toujours assez tôt son travail

d’aide-comptable, car elle arrivait de très bonne heure

dans la petite entreprise où elle exerçait. Ce décalage

horaire lui permettait, outre ses tâches

professionnelles, d’assumer aussi celles de maîtresse

de maison. Après un dîner sympathique au cours

duquel Séverine raconta sa journée bien remplie

d’étudiante et fit part de ses idées pour le prochain

été, chacun vaqua à ses occupations. Si celles de

Patricia concernaient ce soir la machine à laver et un

peu de repassage, Séverine avait un cours d’histoire

de l’art à réviser et Bertrand s’installa au salon pour

écouter les informations. Le jugement d’un grand

procès venait d’être rendu et il souhaitait en entendre

les commentaires car l’un de ses clients était

concerné.

Le lendemain, il déjeuna comme souvent d’un

steak-frites avec un collègue au bistro du coin. Plutôt

que de traverser la rue en diagonale pour regagner

leur cabinet, Bertrand prit le bras de son compagnon

pour l’obliger à emprunter un passage clouté.

– Toujours respectueux de la loi et de l’ordre,

ricana ce dernier, c’est l’armée qui t’a conditionné ?

De retour à son bureau, Bertrand lut un message

reçu de Didier : « Perdu et toi ? ». Se souvenant alors

du ticket de Loto, il interrogea la Française des Jeux

sur Internet et recopia la combinaison gagnante de la

veille avec son numéro de chance. Puis il rechercha le

ticket qu’il avait rangé dans son carnet : il n’y était

plus. La panique s’empara de lui : il fallait qu’il

retrouve ce coupon, fût-ce pour le principe. Oubliant

Page 14: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 14

le dossier qu’il avait commencé à traiter, Bertrand se

rappela soudain qu’il avait sorti son carnet de son

veston la veille pour décharger ses poches en rangeant

ses vêtements avant d’enfiler son pyjama. Le ticket

avait probablement glissé et devait traîner par terre

devant la table à son domicile. Il prévint sa

secrétaire :

– J’ai oublié un document chez moi, je vais aller le

rechercher. Si on m’appelle, dites que je reviens dans

une demi-heure.

C’était un délai suffisant pour un aller-retour dont

la brièveté ne donnerait pas lieu aux interprétations

que certaines absences soi-disant professionnelles

pouvaient générer. Une fois chez lui, il examina

soigneusement son bureau, le tapis, la corbeille, le

sous-main et explora les tiroirs : toujours pas de

ticket. Bertrand s’empara alors d’une chemise, celle

de ses charges de copropriété, et revint bredouille au

cabinet en brandissant le document pour témoigner du

bien-fondé de sa courte absence. Il était préoccupé :

Patricia aurait-elle trouvé le ticket ? Non, elle lui en

aurait parlé, d’autant plus qu’elle savait que jamais

son mari ne se serait laissé aller à jouer.

La secrétaire revint : elle aimait visiblement se tenir

auprès de Bertrand et il arrivait même qu’elle lui pose

la main sur l’épaule lorsqu’ils consultaient ensemble

un document. La trentaine, Denise était assez jolie,

récemment divorcée, d’origine visiblement exotique, et

sa longue chevelure noire mettait en valeur un regard

pétillant.

– J’ai pris un appel pour vous : le président décale

la réunion de demain à après-demain, même heure.

Page 15: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 15

Bertrand ne put s’empêcher de la regarder repartir,

sa courte jupe découvrant un ballet de jambes

ravissantes, puis il se réinstalla à son bureau. Il

n’utilisait pas le bel agenda richement relié, offert par

le cabinet et qui rehaussait l’environnement de

certains de ses collègues : il en faisait annuellement

cadeau à son épouse et lui avait toujours préféré son

carnet personnel. Il attrapa ce dernier dans sa veste et

un petit bout de papier, tout chiffonné, vint avec :

c’était le ticket, tout écrasé, qui s’était réfugié au fond

de sa poche intérieure. S’assurant que sa porte avait

été refermée, Bertrand déplia le coupon et compara

les chiffres avec ceux qu’il avait notés plus tôt : les

chiffres étaient identiques, il avait gagné le gros lot :

ONZE MILLIONS d’EUROS !

Un étourdissement le saisit et il confronta à

nouveau les résultats, retournant même sur le site

Internet de la Française des Jeux pour en avoir

confirmation. C’était bien vrai, il avait gagné et se tint

immobile un long moment, comme si un quelconque

mouvement de sa part risquait d’anéantir la situation.

Puis, il se redressa et, encore sous le coup de

l’émotion, répondit à Didier « complètement perdu »,

ce qui était parfaitement son cas : il éprouvait un

grand vertige et se demanda ce qu’il allait bien

pouvoir faire maintenant ?

– Ça va, monsieur ?

Sa secrétaire était revenue dans son bureau sans

même qu’il s’en aperçoive et lui apportait un dossier.

Elle vint s’asseoir sur le bras de son fauteuil et

caressa les cheveux de Bertrand qui ne pouvait

détacher son regard du chemisier entr’ouvert, laissant

deviner de bien agréables volumes… Une échancrure

Page 16: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 16

de la minijupe dévoilait une cuisse particulièrement

alléchante sur laquelle, bien malgré lui, sa main ne

put s’empêcher de se poser. Ce soir-là, Bertrand mit

longtemps à s’endormir, ce que Patricia mit sur le

compte de soucis professionnels. Tout se bousculait

dans sa tête : les jambes de Denise, le coupon de

Loto : le mélange d’émotions fortes était explosif !

Bertrand attendit le lendemain pour prendre

quelques dispositions : il ne fallait en aucun cas que

son épouse, qui tenait les comptes conjugaux, soit

informée tout de suite de l’événement. Il l’aimait trop

pour lui infliger ce qu’il commençait à considérer

comme une épreuve. Profitant d’un rendez-vous

extérieur, il alla d’abord rendre visite à la Française

des Jeux dont il avait relevé l’adresse à Boulogne-

Billancourt. Là, après avoir pénétré dans un luxueux

immeuble, il sut convaincre une fort charmante

hôtesse de son désir de se faire expliquer la procédure

à suivre s’il remportait un lot important. Ne sachant

pas à qui elle avait affaire, l’hôtesse le fit d’abord

patienter dans un discret petit salon jusqu’à ce qu’un

jeune cadre, bien évidemment dynamique, vienne lui

décrire le processus de remise des gains : en dessous

de 500 €, tout point de validation de la grille pouvait

procéder au versement en espèces. Au-delà, et jusqu’à

5000 €, il fallait se rendre dans un point de validation

autorisant un virement bancaire. Pour des gains plus

importants, il fallait fournir une pièce d’identité en

application des dispositions du Code monétaire et

financier. Les gains étaient payables après la date du

tirage pendant une période de 60 jours.

Non, on ne pouvait pas diviser la somme en

différentes tranches, sauf à fournir l’identité des autres

co-joueurs éventuels. Oui, les gains étaient nets

Page 17: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 17

d’impôts, sauf en ce qui concernait l’ISF. Cependant,

les revenus engendrés par ces gains étaient taxables, en

particulier les intérêts perçus après les avoir placés. De

même, les dons faits à des proches le seraient

également pour ces derniers. Le jeune cadre souriait : il

avait probablement affaire à l’émissaire de ceux qui,

dans un bureau, se cotisent pour acheter une grille en

commun, et son interlocuteur devait avoir été chargé

d’aller aux renseignements. Peut-être s’agissait-il de se

partager les 34 232,50 € en second rang du dernier

tirage, ce qui constituait déjà une belle somme dont

certains gagnants ne s’étaient pas encore fait connaître.

Aux questions posées, Bertrand répondait

évasivement, expliquant qu’il ne s’agissait que d’une

éventualité, ce qui n’abusait pas son interlocuteur.

– Tu es bien sombre, ce soir, lui fit remarquer sa

femme à son retour : quelque chose ne va pas ?

– J’ai gagné une croisière avec la personne de mon

choix et je ne sais pas qui emmener : toi ou le chat ?

– Comment cela, une croisière ?

– Oui, une croisière : je me suis laissé aller à

répondre il y a quelque temps déjà à l’un des

questionnaires dont Internet nous inonde. Il s’agissait

d’une croisière dans le Pacifique et c’est mon adresse

mail qui a été tirée au sort.

– Et tu y crois ? Je te pensais plus perspicace au

sujet de ces arnaques.

– Tu dois avoir raison. Parlons d’autre chose :

Séverine est-elle contente de ses examens blancs ?

La conversation dériva ce soir-là sur la difficulté

qu’aurait leur fille à trouver le stage qu’elle souhaitait

effectuer, mais Bertrand dormit encore une fois très

mal : devait-il quitter son emploi pour se consacrer à

Page 18: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 18

la gestion de son nouveau patrimoine, comment

utiliser au mieux cette manne inattendue ? Comment

Patricia et leur fille réagiraient-elles quand il leur

apprendrait la vérité, mais fallait-il seulement la leur

apprendre ?…

Dès qu’il arriva le lendemain à son bureau, Bertrand

sollicita un entretien avec son président : il désirait

prendre plusieurs après-midi de congé afin d’être plus

disponible pour la gestion d’un héritage dont son

épouse venait de bénéficier. Il aurait préféré un mi-

temps, mais Patricia n’aurait pas manqué de remarquer

la diminution correspondante de son salaire. Le

président acquiesça et, très paternellement, alla jusqu’à

donner des conseils sur les placements envisageables.

On recruterait un stagiaire que Bertrand aurait la

charge de superviser et qui pourrait préparer le

traitement de la plupart des dossiers à sa place.

Revenu dans son bureau, il ne tarda pas à avoir la

visite de Denise, toujours aussi court-vêtue, qui avait

préparé un parapheur bourré de lettres à signer, et

s’accouda à ses côtés pour les lui présenter. Son

parfum était captivant, probablement exotique, et

Bertrand se dit qu’elle était peut-être une fille des îles,

ce qui lui donna des idées : il se voyait déjà étendu

avec elle sur une plage paradisiaque, en train de

caresser cette peau soyeuse… mais le téléphone

sonna, l’obligeant à reprendre pied dans la réalité. Il

s’ébroua et renvoya la belle pour prendre la

communication.

Il s’absenta ensuite brièvement pour se rendre à

l’agence de voyages la plus proche et choisit une

croisière dans le Pacifique dont il demanda à conserver

le prospectus : à bord du paquebot Monarque, il

pourrait disposer d’une suite de plus de 80 m2

Page 19: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 19

comprenant deux lits jumeaux convertibles en grand

lit double, balcon privé, chambre avec deux lits

d’appoint en hauteur, deux salles de bain, séjour avec

canapé-lit, minibar, deux télévisions, téléphone,

coiffeuse, home cinéma, bref le luxe. Il écarta la suite

royale, trop ostentatoire à son goût, et promit de

revenir pour déterminer une date et confirmer la

réservation. La mignonne employée qui l’avait reçu le

regarda partir avec un air dubitatif…

En fin d’après-midi, Bertrand avait fabriqué une

lettre pompeuse à souhait, avec en-tête alléchante et

multiples détails confirmant la croisière qu’il avait

gagnée, et précisant même qu’outre la personne de son

choix, il pourrait en emmener également une seconde

et même un animal de compagnie moyennant les

contributions financières correspondantes. Il hésitait en

effet à faire bénéficier sa fille de cette opportunité,

pensant alors que ce n’était pas le moment de la

distraire de ses études : pendant les quinze jours que

durerait la croisière, elle pourrait loger chez ses

grands-parents qui seraient ravis de l’accueillir. Il relut

plusieurs fois la lettre, y joignit le prospectus, et alla

acheter de jolis timbres à la poste la plus proche avant

d’adresser le tout à son domicile dans une grande

enveloppe bistre subtilisée à son cabinet et dont son

imprimante avait rédigé la destination.

Le jour suivant, il se décida à prendre possession de

son chèque : s’étant renseigné téléphoniquement

depuis une cabine publique et donc a priori anonyme,

Bertrand apprit que ce n’était pas à Boulogne qu’il

fallait se rendre mais à Nanterre ; il s’y fit mener en

taxi après avoir pris rendez-vous en se cachant de sa

secrétaire, prétextant une vérification urgente à

effectuer. Outre le chèque attendu, on lui remit alors un

Page 20: Onze millions - multimedia.fnac.commultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332549822.pdf · « L’argent n’a pas d ... l’amour, c’est celui où l ... la brièveté

2 20

« document pédagogique » destiné à l’aider à résoudre

les questions qu’il ne manquerait pas de se poser et

qu’il parcourut rapidement. Les conseils qui s’y

trouvaient prodigués lui parurent être fort

raisonnables :

– Déposer le chèque en banque le plus tôt possible

et effectuer un placement d’attente afin de ne pas

laisser dormir l’argent,

– Prendre le temps de réfléchir à ses envies et à

ses besoins mais s’offrir un premier plaisir,

– Définir ses objectifs, évaluer son futur niveau de

vie, notamment ses dépenses de fonctionnement,

– Consulter des spécialistes extérieurs à votre

entourage et les mettre en concurrence, éviter les

solliciteurs et les propositions alléchantes,

– Diversifier les placements,

– Ne faire évoluer son train de vie que très

progressivement.

Parmi les autres conseils qu’il put lire, celui de ne

pas révéler l’importance du gain lui parut être l’un

des plus sages. Par contre, il fut étonné de constater

que le chèque qu’il avait rangé dans son carnet ne lui

faisait aucun effet. Après tout, de telles sommes lui

passaient aussi entre les mains au cabinet, mais ne

représentaient alors rien d’autre pour lui qu’une

masse de problèmes à traiter.

Parallèlement au suivi individuel qui lui était

proposé par ailleurs, différents services à caractères

pédagogique, informatif et humain, étaient mis à sa

disposition, lui permettant s’il le désirait de passer

ainsi en douceur du rêve à la réalité puis du gain à la

richesse. Bertrand se vit donc offrir de participer à un

atelier sur la gestion de patrimoine, à des journées-