Ontologie Du Devenir

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    Philosophie des sciences biologiques et médicales

    Mme  A nne F-L, membre de l’Institut( A ca démie des sciences), professeure

    L’enseignement de l’a nnée 2008-2009 inclut un cours sur l’ontologie du dev enir(suite), f a it à Pa ris du 29 ja nv ier a u 27 ma rs 2009 (les jeudis, de 10 h 30 à  12 h 30),suiv i de deux   cours déloca lisés  à Brux elles (les ma rdis 21 et 28  a v ril, de 14 h  à 16 h) ; un sémina ire sur les méthodologies de la  recherche en psy chia trie, qui s’esttenu en deux  demi-journées, à Pa ris, les 10 a v ril et 5 ma i 2008 ; et une conférenceinterna tiona le qui   a   eu lieu le 5 ma i 2009  a u  Collège de  Fra nce, sur le thème

    « De la  chimie de sy nthèse  à   la biologie de sy nthèse ».

    C

    Ontologie du devenir, 3

    Le cours comporta it cinq leçons données   à Pa ris (10   heures) et deux   leçonsdonnées à Brux elles (4 heures). Seules les leçons pa risiennes sont ici résumées.  Undocument éta it mis à  la  disposition des pa rticipa nts (et a ffiché a près cha que leçon

    sur les sites  w eb  du C

    ollège de F

    ra 

    nce). C

    e document donna it, outre les gr

    a ndeslignes de la   leçon (reproduites ci-a près), et quelques illustra tions (dont certa ines

    sont reproduites ci-a près), des indica tions   bibliogra phiques déta illées (nonreproduites ici).

    1) Penser sub specie durationis (29.01.2009)

    « le rés ul t a t  q ue chaq ue ins t ant  présent  dépend de cel ui q u’offraient  les ins t ant s précédent s, e t infl ue s ur cel ui des ins t ant s q ui doi v ent  le s ui v re  » (Condorcet , 1793).

    Intr.  Ra ppel des thèmes précédemment  abordés : être c’est dev enir, les   v iv a ntsév oluent, les sciences du  v iv a nt sont des sciences historiques.  Cours de 2006-07 :

    contributions philosophiques à   la  pensée du dev enir. Cours de 2007-08 :  a pportsscientifiques   à   la   conna issa nce du dev enir.  Cours de 2009 (a nnée  Da r w in) : de

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    l’ontologie   à   la   cosmologie.   Une percée ma  jeure en sciences de la   v ie : la 

    reprogra mma tion cellula ire (cellules iPS), en  a ttenda nt la  possible découv erte deformes de  v ie sur les quelque 300  ex opla nètes déjà  repérées.

    « Wha t e v er f  ur t her concl usions   w e ma  y  come   t o in regard   t o   t he order of     t he  uni v erse,   t his much ma  y  be regarded as solidl  y  es t ablished, t ha t t he  w orld is not  a mere chance-medle  y . B ut w he t her   t he   w orld makes an e  x ac t   poem or not , is anot her q ues t ion » (Peirce,   Collec t ed Papers ).

    « Il es t   clair q ue nous de v ons renouv eler e t   dé v elopper l’épis t émologie dans   une direc t ionhis t oriq ue e t  cont e  xtuelle - cont e  xtuelle parce q u’his t oriq ue  » (Grene, 2007).

    1.1.   Le 22e Congrès  Mondia l de Philosophie, Séoul, a oût 2008 ( WCP 2008)

    Premier congrès mondia l de philosophie da ns un pa y s   a sia tique.   Thème ducongrès : « R ethinking philosophy   toda y  ».   Dia logue des cultures, div ersité destra ditions philosophiques. Discours d’ouv erture de Peter K emp. Sommes-nous entra in de dev enir post-post-modernes ?  Pra gma tisme occidenta l et éco-éthique duphilosophe ja pona is Ima michi.

    « We mus t  re t hink philosoph y  according   t o an eco-e t hics, an e t hics of our  w orld as  oikos, as d w elling for our good life  t oge t her  » (Kemp, WCP  200 8 ).

    « La   v er tu   de modes t ie é t ai t t out   à fai t   inconnue dans l’é t hiq ue classiq ue de l’ant iq ui t é occident ale. Le mendiant  comme s  y mbole de la  v er tu, c’es t une inv ent ion de Jés us-Chris t . ...On doi t  donc reconnaî t re q u’il  y  a dans l’his t oire a u moins  un e  x emple de l’inv ent ion d’ une v er tu q ui  v a cont re l’a  x iologie d u passé.  » (Imamichi, 1992).

    « Eco-e t hics is claiming  t ha t  one nov el and f  undament al fea ture of   t he  w a  y t he  w orld is  t oda  y is i t s recent l  y  globali z ed int erconnec t edness  t hrou gh t he  t echnological conj unc ture. Beca use  t his 

     fea ture is ne w , no pre v ious e t hics has e v er  t hema t i z ed  t his fea ture, or could ha v e. And beca use t his fea ture is f  undament al, a ne w  e t hics  t oda  y  mus t t hema t i z e i t  » (McCormick , 2008).

    « Le f  utur de l’h y  permoderni t é se joue là, dans sa capaci t é à faire   t riompher l’é t hiq ue de la responsabili t é s ur les compor t ement s irresponsables  » (Charles, in :  Lipovetsk  y , 2004).

    1.2.   L’év idence du dev enir

    « Da ns un monde où rien ne dure... »  Pa r crises, ou pa r a ltéra tions insensibles,notre monde cha nge ; d’où le sentiment d’insécurité, ou l’ex cita tion joy euse de la nouv ea uté.   Le « scéna rio ca ta strophe » ha nte les temps de crise. « Fina nce,puissa nces... le monde ba scule » ( Monde diploma t iq ue , Ja n 09 bis). « Effondrementou méta morphose » (Morin) ?  Entendu sur les ra dios le jour de l’inv estiture duPr. Oba ma  : que le réel est gros de possibles ; que l’espéra nce na ît de la  perceptiondes possibles imma nents  a u réel, pa rce que souda in on   v oit qu’on peut ( y es   w e can) ; qu’il  y  a  nécessité  v ita le de cha ngement.

    « t here is no   t r ue s t abili ty . Wha t  looks like s t abili ty  is a rela t i v el  y   slow  process of a t rophied deca  y . The s t able  uni v erse is slipping a w a  y  from  under  us  » ( Whitehead, 1929).

    « La précari t é es t  a u jourd’hui par t out ... La précari t é affec t e profondément  cel ui ou celle q ui la s ubi t  ; en rendant t out  l’a v enir incer t ain, elle int erdi t t out e ant icipa t ion ra t ionnelle e t , en

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     par t ic ulier, ce minimum de cro y ance e t  d’espérance en l’a v enir q u’il fa ut  a v oir pour se ré v ol t er,

    s ur t out  collec t i v ement , cont re le présent , même le pl us int olérable  » (Bourdieu, 1998).«  la haine d u   passé s u ppléai t  à la concept ion de l’a v enir  » (Comte, 1851) [il s’a git de la rév olution de 1789]

    « La  v ie a souv ent  é t é  t roublée s ur ce tt e  t erre par des é v énement s effro y ables. Des ê t res  v i v ant s sans nombre ont  é t é  v ic t imes de ces ca t as t rophes ; les  uns, habi t ant s de la   t erre sèche, se sont vus englout is par des dél u ges ; les a ut res, q ui pe u plaient  le sein des ea ux , ont  é t é mis à sec a v ec le fond des mers s ubi t ement  rele v é ; le urs races mêmes ont  fini pour jamais, e t  ne laissent  dans le monde q ue q uelq ues débris à peine reconnaissables pour le na turalis t e  » (Cuvier, 1825).

    « Si la ci v ilisa t ion ind us t rielle ent re  v raiment  en décadence, ce sont  les ci t adins, soi t  la moi t ié des habi t ant s de la planè t e, q ui seront   les pl us   vulnérables. E t  nous pourrions perdre ainsi l’essent iel de not re sa v oir si d urement  gagné. “Ce ux  q ui ont  le moins à perdre sont  les pa  y sans 

     pra t iq uant  l’agric ul ture de s ubsis t ance”, précise Yaneer Bar-Yam » (MacKenzie, 2008).

    1.3.   La  résista nce du sujet (occidenta l ?)  à  se penser sous l’a ngle du dev enir

     A dmettre que les  v iv a nts ont év olué est une chose, se sentir soi-même emportéda ns le coura nt év olutif en est une  a utre. Q ue l’év olution biologique huma ine sepoursuiv e a  été mis en doute.  Nietzsche se pense comme le « premier philosophetra gique » lorsqu’il croit être a llé plus loin qu’Héra clite da ns la  lucidité. CommentNietzsche est dev enu da r w inien, sa ns le sa v oir...

    « À obser v er le progrès des  vues  t ransformis t es depuis le siècle dernier, on es t  s urpris de cons t a t er 

    combien naï v ement  na turalis t es e t  ph y siciens ont  pu  s’imaginer d’abord échapper e ux -mêmes a u   courant uni v ersel q u’ils   v enaient   de s urprendre. Presq ue inc urablement , s u je t   e t   obje t t endent  à se séparer l’ un de l’a ut re, dans l’ac t e de la connaissance. Des choses e t  des é v énement s q ui nous ent ourent  nous sommes cont inuellement   enclins à nous isoler, comme si nous les regardions d u  dehors, bien abri t és dans  un obser v a t oire où   ils ne sa uraient  nous a tt eindre :spec t a t e urs, e t  non élément s, de ce q ui se passe  » (Teilhard, 1955).

    « cont rairement  à ce q ue pensent  cer t ains biologis t es éminent s, l’é v ol ut ion de l’Homme n’es t  pas ache v ée  » (Chaline, 1982).

    « J’ai le droi t  de me considérer moi-même comme le premier  philosophe tragique  ... a v ant moi, ce tt e  t ransposi t ion d u dion y sien en une émot ion philosophiq ue n’a pas e  x is t é. La  sagessetragique faisai t  défa ut . J’en ai  v ainement   cherché les   t races... Un dout e me res t ai t  a u  s u je t 

    d’Héracli t e, dans le  v oisinage de q ui je sent ais  un cer t ain bien-ê t re, une cer t aine chale ur q ue  je n’ai rencont rés nulle par t  aille urs. L’affirma t ion de l’anéant issement  e t  de la des t r uc t ion,..l’approba t ion de la cont radic t ion e t  de la g uerre, le  devenir  a v ec la néga t ion radicale de la concept ion même de l’ être, dans   t out   cela il fa ut   q ue je reconnaisse, en   t out   cas, ce q ui ressemble le pl us à mes idées a u  milie u  de   t out  ce q ui f  ut  jamais pensé  » (Niet zsche,  Ecce Homo).

    « Héracli t e a nié la d uali t é des mondes, “il a nié l’ê t re l ui-même”. Bien pl us : il a fai t  d ude v enir  une  affirmation. Or il fa ut  long t emps réfléchir pour comprendre ce q ue signifie faire d u  de v enir  une affirma t ion. Sans dout e es t -ce dire, en premier lie u : il n’  y  a q ue le de v enir.

     Mais on affirme a ussi l’ê t re d u  de v enir, on di t   q ue le de v enir affirme l’ê t re ou  q ue l’ê t re s’affirme dans le de v enir. Héracli t e a de ux  pensées, q ui sont  comme des chiffres : l’ une selonlaq uelle l’ê t re n’es t  pas,   t out  es t  de v enir ; l’a ut re selon laq uelle l’ê t re es t   l’ê t re d u  de v enir ent ant  q ue  t el. Une pensée ouvrière qui affirme le devenir, une pensée contemplative qui affirme l’être du devenir  » (Deleuze, 1962).

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    1.4.   La  condition d’incertitude

    La  double prise de conscience, de la  responsabilité huma ine da ns l’év olution, etdes a léa s de la  prév ision da ns un univ ers cha otique, recomma ndent en pra tique unusa ge ra isonné du principe de préca ution, et sur le pla n spécula tif une distinctionsoigneuse entre les hy pothèses scientifiquement confirmées ou réfutables, lesex tra pola tions risquées ma is utiles, et la   f abula tion, surtout lorsqu’elle est sousinfluence idéologique.

    « There is  high agreement  and  much evidence  t ha t w i t h c urrent  clima t e change mi t iga t ion policies and rela t ed s us t ainable de v elopment  prac t ices, global green house gas (GHG) emissions w ill cont inue   t o grow   ov er   t he ne  xt   fe w  decades... Cont inued GHG emissions a t  or abov e c urrent  ra t es  w ould ca use f  ur t her  w arming and ind uce man y  changes in   t he global clima t e 

    s  y s t em d uring   t he  2 1s t  centur  y t ha t w ould  very likely  be larger   t han   t hose obser v ed d uring t he  20t h centur  y  » (IPCC, 2007).

    « t he  w orld, epis t emologicall  y , is li t erall  y  a different  place  t o a bott om-u p empiricis t . We don’ t ha v e  t he l uxur  y  of si tt ing dow n t o read  t he eq ua t ion t ha t  gov erns  t he  uni v erse ; w e j us t  obser v e da t a and make an ass umpt ion about w ha t t he real process might   be, and ‘calibra t e’ b y adj us t ing our eq ua t ion in accordance  w i t h addi t ional informa t ion. As e v ent s present t hemsel v es t o  us,  w e compare  w ha t w e see   t o  w ha t w e e  x  pec t ed   t o see. I t  is  us uall  y  a humbling process,

     par t ic ularl  y  for someone a w are of   t he narra t i v e fallac  y , t o discov er  t ha t  his t or  y  r uns for w ard,not  back w ard  » (Taleb, 2007).

    Concl. La  décision ra tionnelle repose en principe sur un ca lcul risque/a v a nta ge.Le principe de préca ution est un recours da ns les ca s où ce ca lcul est impra ticable.

    « Da ns le doute  abstiens-toi », conseille la   sa gesse commune.  Ma is les situa tionsda ns lesquelles il f a ut a gir muni de sa v oirs ra dica lement insuffisa nts sont nombreuseset f a milières (pa r ex emple, en médecine).

    « Pour prot éger l’env ironnement , des mes ures de préca ut ion doi v ent  ê t re largement  appliq uées  par les E t a t s selon le urs capaci t és. En cas de risq ue de dommages gra v es ou   irré v ersibles,l’absence de cer t i tude scient ifiq ue absol ue ne doi t  pas ser v ir de pré t e  xt e pour reme tt re à pl us t ard l’adopt ion de mes ures effec t i v es   v isant  à pré v enir la dégrada t ion de l’env ironnement  »(Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement , 1992).

    2) Ontologie vs. cosmologie (05  02  09)

    « Science s u gges t ed a cosmolog  y  ; and  w ha t e v er s u gges t s a cosmolog  y , s u gges t s a religion. [...]The final principle of religion is  t ha t t here is a  w isdom in  t he na ture of   t hings  »( Whitehead, 1926).

    Intr.   Da r w in sa v a it que la   découv erte de l’év olution   a v a it un impa ct sur la religion.   Selon   R enouv ier (1885) la   notion d’é v ol ut ion   éta it   a u principe despremières  cosmogonies  pa r lesquelles les penseurs pré-socra tiques ont essa y é de sereprésenter l’engendrement du monde, et ces tenta tiv es de réflex ion   na turalis t e coex ista ient a v ec les my thes  v éhiculés pa r la  pra tique religieuse ; on  a ura it pu enrester   à   une coex istence pa cifique en ca ntonna nt la   religion da ns les limites del’irréfutable ; la   situa tion   a   dégénéré   à   ca use de la   « témérité spécula tiv e » des

    philosophes et théologiens qui ont inv enté la  notion de créa t ion e  x  nihilo. Ma is la « témérité spécula tiv e » est a ussi bien du côté des scientifiques...

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    « You t ell me  y ou do not  see  w ha t  is ne w  in Sir J. Herschel’s idea about t he chronolog  y  of   t he 

    old Tes t ament  being  w rong. - I ha v e  used  t he  w ord Chronolog  y  in d ubious manner, i t  is not t he da  y s of Crea t ion  w hich he refers, but t o   t he lapse of    y ears since   t he firs t  man made his w onderf  ul appearance on  t his  w orld - As far as I know  e v er  y one has  y e t t hou ght t ha t t he si  x t housand odd   y ears has been   t he right   period but  Sir J.   t hinks   t ha t  a far grea t er number mus t  ha v e passed since   t he Chinese, ...   t he Ca ucasian lang uages separa t ed from one s t ock   »(Darw in, 1837).

    « Res t e à env isager l’origine, l’é v ol ut ion e t  le des t in de l’Uni v ers dans son ensemble. Telle es t l’ambi t ion de la   cosmologie. Au-delà des m yt hes q ue l’homme s’es t t ou jours forgés pour cons t r uire   un   uni v ers compréhensible e t   rass urant , le cosmologis t e moderne dispose de fai t s obser v a t ionnels q ui, mo y ennant  des int erpré t a t ions cohérent es a v ec les acq uis de la ph y siq ue t héoriq ue, l ui perme tt ent  de recons t i tuer l’his t oire passée de l’ uni v ers e t  de calc uler son f  utur. »(Luminet , 2006).

    2.1.   La  recherche sur les origines de la  v ie

    Cournot note que si le présent est « gros de l’a v enir », il ne l’est pa s du pa ssé,dont les tra ces peuv ent être irrémédiablement perdues.  La   recherche scientifiquesur le pa ssé de la  v ie terrestre se f a it pa r deux v oies : 1) historique, 2) technologique.La  pa léontologie v ise à  reconstituer l’histoire de la  v ie sur la Terre (étude des restesfossiles ; depuis la  fin du 20e siècle phy logénie molécula ire, construction d’a rbresphy létiques).   La   chimie depuis le début du 19e siècle   a   réa lisé la   sy nthèse denombreux   composés org a niques ; nonobsta nt le triomphe de   Pa steur da ns la controv erse a v ec Pouchet sur la  généra tion sponta née, l’a mbition de (re)construirele  v iv a nt technologiquement reste d’a ctua lité. Elle s’a ppuie sur la  conv iction qu’ily  a  des lois généra les de l’év olution.

    « q uelq ue bi z arre q ue l’asser t ion puisse paraî t re a u premier cou p d’oeil, la raison es t  pl us apt e à connaî t re l’a v enir q ue le passé  » (Cournot , 1851).

    S’il es t un point  s ur leq uel  un consens us es t  à pe u près acq uis, c’es t  q ue les ê t res q ui pe u plent a u jourd’hui la  t erre ont une origine  uniq ue. L’ unici t é de le ur code géné t iq ue en es t  la s u ffisant e 

     pre uv e. À défa ut  de nous int erroger s ur l’origine de la  v ie en général, nous pouv ons chercher q uelles ont  é t é les é t apes ini t iales de la  v ie s ur la Terre . [...] Récapi tulons le parcours probable :le RNA a ‘inv ent é’ les prot éines, ens ui t e les prot éines ont  ‘inv ent é’ le DNA, enfin le DNA a s u pplant é le RNA comme por t e ur d u message géné t iq ue  » » (Te y ssèdre, 2002).

    « Pendant  presq ue  t out e la moi t ié d u 20 e  siècle, ce problème  [de l’origine de la  v ie] f  ut  ignoré de la science. On pensai t  q u’il é t ai t   impossible d’en réaliser l’approche e  x  périment ale e t  q u’il appar t enai t  pl ut ôt  a u domaine de la foi q u’à cel ui de la connaissance. Cependant  les progrès énormes des sciences de la na ture permirent  d’acq uérir la conv ic t ion q ue l’appari t ion de la  v ie s ur la Terre n’é t ai t  pas ‘ un hasard he ure ux ’, comme on le pensai t  précédemment , mais q u’elle de v ai t   ê t re considérée comme   un phénomène inséparable de l’é v ol ut ion générale de not re 

     planè t e  » (Oparin, tr fr 1965).

    « Scient is t s   t oda  y w ho s tud  y t he origin of life do not   share Dar w in’s pessimism about   our abili ty t o recons t r uc t t hose earl  y  moment s. “Now   is a good   t ime   t o be doing   t his research,beca use  t he prospec t s for s uccess are grea t er  t han t he  y  ha v e e v er been”, sa  y s John S ut herland, a chemis t  a t t he Uni v ersi ty  of Manches t er in t he UK. He and ot hers are addressing each of   t he s t eps inv ol v ed in   t he   t ransi t ion   t o life :   w here   t he ra w  ma t erials came from, how  comple  x 

    organic molec ules s uch as RNA formed, and how t he firs t  cells arose. In doing so,   t he  y  are inching  t heir  w a  y t ow ard making life from scra t ch » (Zimmer, 2009).

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    2.2.   Le processus év olutif 

    « Il na ît plus d’indiv idus qu’il n’en peut  v iv re », consta te Da r w in (1858, ch 3).Le schéma   da r w inien   v a ria tion/sélection implique une micro-év olution lente,continue,   a da pta tiv e, progressiv e et div ergente.   La   génétique et la biologie despopula tions ont intégré ce schéma   (« sy nthèse moderne »), qui  a   été discuté surtrois points (« trépied da r w inien »), rela tifs à  la  cible de la  sélection, a u ry thme del’év olution, et à  la   légitimité d’ex tra poler un principe gra dua liste de cha ngement à l’ensemble des tra nsforma tions év olutiv es. La  ma cro-év olution (créa tion d’espèces)a ura it un ry thme différent : réorg a nisa tion génétique ra pide  a u sein d’une petitepopula tion, puis sta se év olutiv e et jeu de la  compétition entre espèces (« équilibresponctués »).  En ma rge du scéna rio domina nt, d’a utres méca nismes év olutifs ont

    été étudiés : le tra nsfert horizonta l de ma tériel génétique s’observ e chez les ba ctéries,la   sy mbiose offre un schéma   év olutif conv ergent, l’hérédité épigénétique dérogea ux  ca nons de la  génétique mendélienne.

    « La sélec t ion na turelle  ... [implique l’élimina t ion des  v aria t ions nuisibles , et] la conser v a t ionde  v aria t ions accident ellement  prod ui t es, q uand elles sont  a v ant age uses à l’indi v id u  dans les condi t ions d’e  x is t ence où il se  t rouv e placé  ». [...] « La sélec t ion na turelle cond ui t  à la di v ergence des carac t ères e t   à l’e  xt inc t ion complè t e des formes int ermédiaires e t  moins perfec t ionnées  »(Darw in, 1859).

    « Thèse  2 . Une   t ransforma t ion décisi v e a marq ué l’his t oire de la  v ie s ur   t erre ent re  39 00  e t  38 00  Ma. Un modèle non-dar w inien d’aj us t ement  biologiq ue à l’env ironnement , dominé par les échanges hori z ont a ux  ent re génomes, a é t é remplacé par  un modèle dar w inien d’é v ol ut ione t  de sélec t ion dans leq uel a) les  t ransfer t s la t éra ux  de gènes e t  d’opérons s ubsis t ent  mais sont s ubordonnés a ux   lignes d’ascendance  v er t icale ; b)  une mul t iplici t é de parcours mé t aboliq ues s ubsis t e, mais l’ un d’e ux , cel ui q ui se fonde s ur le c  y cle de Cal v in-Benson, a acq uis la prima ut é.Ce second modèle nous apparaî t  à Is ua (Groenland)  v ers  38 00  Ma. C’es t  cel ui q ui a persis t é 

     j usq u’à nos jours  » (Te y ssèdre, 2002).

    « The   uni v ersal ph y logene t ic   t ree is no ordinar  y t ree, and i t s root  no ordinar  y  root . Under condi t ions of e  xt reme hori z ont al gene  t ransfer (HGT), t here is no (organismal) ‘ t ree’. E v ol ut ionis basicall  y  re t ic ula t e  » ( Woese, 2004).

    « Dans l’ uni v ers dar w inien,  une ent i t é pe ut  ê t re considérée comme  un agent  é v ol ut ionnis t e...s’il es t   possible de l ui reconnaî t re les carac t éris t iq ues d’ un indi v id u. [...] Les espèces...

     fonc t ionnent  comme d’e  x cellent s indi v id us dar w iniens parce q ue les élément s q ui les composent 

    (les organismes) deme urent  é t roi t ement  liés les  uns a ux  a ut res par la possibili t é de croisement ent re e ux , à l’e  x cl usion des membres d’a ut res espèces  » (Gould, 2002).

    « In shor t , t here are mul t iple possible sol ut ions for man y  e v ol ut ionar  y  challenges, e v en t hou ghall of     t hem are compa t ible  w i t h   t he Dar w inian paradigm. The lesson one mus t  learn fromt his pl uralism is   t ha t   in e v ol ut ionar  y   biolog  y   s w eeping generali z a t ions are rarel  y   correc t  »(Ma  y r, 1997).

    2.3.   L’a nticipa tion du futur

    Prolonger v ers l’a v enir l’a llure de l’év olution : sciences de la complex ité ? La ma rck v oit l’échelle des êtres comme a lla nt du plus simple a u plus composé . Pour Da r w in,

    la  sélection na turelle f a it oe uv re de perfec t ionnement . Ma is ce qu’on a ppelle ‘progrès’év olutif, souligne   Ma y r, est le résulta t   mécaniq ue   de la   sélection na turelle, et

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    n’indique   a ucune   t endance   des   v iv a nts   à  progresser.   Dennett s’a tta che   à   penser

    toutes choses sous l’a ngle de l’év olution, et  a pplique une stricte grille de lectureda r w inienne non seulement à   la biologie (comprise comme ingénierie ), ma is a ussia ux   productions culturelles (comme la   mora le).   R olston lui oppose que cela n’ex plique pa s la  créa t i v i t é c  y berné t iq ue  des v iv a nts, cà d la  f a çon dont ils ont inv entéet ca pita lisé l’informa tion.   Cela   n’ex plique pa s non plus leur tenda nce   à   sereprod uire .  Gould s’a g a ce de l’a nthropocentrisme qui fit ima giner une év olutionlinéa ire culmina nt   a v ec l’homme,   a lors qu’elle est mieux   comprise comme unprocessus buissonna nt de prod uc t ion d’espèces . Q ua nt à Ed w a rd W ilson, il ra ppelleque l’urgence   a u 21e siècle sera   de trouv er comment nourrir une popula tionhuma ine toujours croissa nte, sa ns dév a ster la biosphère.

    « À l’égard des corps q ui jouissent  de la  v ie, la na ture a  t out  fai t  pe u à pe u e t  s uccessi v ement  :il n’es t  pl us possible d’en dout er ... J’essa  y erai de faire  v oir, en ci t ant  par t out  des fai t s reconnus,q u’en composant   e t   compliq uant   de pl us en pl us l’organisa t ion animale, la na ture a créé 

     progressi v ement  les différent s organes spécia ux , ainsi q ue les fac ul t és dont  les anima ux  jouissent  »(Lamarck , 1809).

    « On pe ut  dire, par mé t aphore, q ue la sélec t ion na turelle recherche, à chaq ue ins t ant  e t  dans le monde ent ier, les   v aria t ions les pl us légères ; elle repousse celles q ui sont   nuisibles, elle conser v e e t  acc umule celles q ui sont ut iles ; elle  t ra v aille en silence, insensiblement , par t out  e t t ou jours, dès q ue l’occasion s’en présent e, pour améliorer  t ous les ê t res organisés rela t i v ement  à le urs condi t ions d’e  x is t ence organiq ues e t  inorganiq ues  » (Darw in, 1859).

    « Heredi 

    ty   is abo

    ut t he 

      t ransmission, no

    t   of ma 

    tt er and energ 

     y , b

    ut  of informa 

    t ion ... The concept  of informa t ion is cent ral bot h   t o gene t ics and e v ol ut ion   t heor  y  » (Ma  y nard Smith,

    1995).

    « One should posi t , sa  y s Daniel Denne tt , ‘cranes’, not   ‘sk  y hooks’, for   t he building   u p of  e v ol ut ionar  y  his t or  y  (Dennett , 1995). Tha t  cont ras t  of me t aphor seems ini t iall  y  pers uasi v e ...When  w e pinpoint t he iss ue, how e v er -  w ha t  account t o gi v e of    t his remarkable negent ropic,c  y berne t ic self-organi z ing  t ha t  charac t eri z es  t he life s t or  y  on ear t h -  t he me t aphor becomes more 

     pejora t i v el  y   rhe t orical   t han anal  yt icall  y   pene t ra t ing. There is   t he repea t ed discov er  y of informa t ion how t o redirec t t he dow nhill flow  of energ  y u pw ard for  t he cons t r uc t ion of e v er more ad v anced, higher forms of life, buil t  on and s u ppor t ed b y t he low er forms  » (Rolston,1999).

    « The cent ral problem of   t he ne w  centur  y , I ha v e arg ued, is how t o raise  t he poor  t o a decent s t andard of li v ing  w orld w ide  w hile preser v ing as much of   t he res t  of life as possible  » ( Wilson,2002).

    Concl.   L’informa tion est la   source de la   répétition, donc des régula rités dudev enir, qui pour la   prév ision sont   a ussi importa ntes que l’év entua lité de f a itsémergents. Ma is le déba t cosmologique s’est ég a ré da ns un « comba t de géa nts »entre ceux  qui « pla cent la  réa lité da ns les formes », et ceux  qui « ra mènent toutde force   v ers les corps », comme l’écriv a it  Pla ton da ns le  Sophis t e , où l’Étra ngermontre   à Théétète comment on peut les mettre d’a ccord en les ra pa tria nt   v ersl’ontologie. Les fils de la   terre concèdent que la  « puissa nce d’a gir » (ou de pâ tir

    -  v ulnérabilité) est une réa lité ; les a mis des formes a dmettent que conna ître, c’ests’ex poser à  être modifié, et à  modifier l’ob jet connu. Et l’Étra nger de conclure que

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    ‘être’ se définit comme pouv oir, ou puissa nce d’a gir (ou de pâ tir).  Si être, c’est

    dev enir, ce qui opère la   tra nsition entre le pa ssé et l’a v enir (ce qui   fai t  de v enir ),c’est l’a ction ca usa le. L’a ction ca usa le (ca usa t ion) est l’être du dev enir.

    « This means  t ha t t he essence of being is  t o be implica t ed in ca usal ac t ion on ot her beings »( Whitehead, 1933).

    3) La biosphère et la question de la responsabilité humaine (12 02  09)

    « The   w orld looks so different   af  t er learning science. For e  x ample,   t rees are made of air, primaril  y . When t he  y  are burned, t he  y  go back  t o air, and in  t he flaming hea t  is released  t he  flaming hea t   of    t he s un   w hich   w as bound in   t o conv er t t he air int o   t ree  » (Fe y nman,1966).

    Intr.  En 1922-23, inv ité pa r  P.  A ppell, le minéra logiste russe  W .I.  V erna dsk y f a it des cours  à   la Sorbonne. Il ex plique que la  biosphère  repose sur des processusbio-géo-chimiq ues . Son liv re sur la  Géochimie , publié en fra nça is (1924), dév eloppeles  a spects techniques de ses tra v a ux .  Le philosophe  E.  Le  R oy  élu professeur  a uCollège de Fra nce en 1921, et le pa léontologue P. Teilha rd de Cha rdin suiv ent lescours de  V erna dsk y , ils en discutent.  Teilha rd  a v a it lu  Suess l’a nnée précédente.Entre deux v oy a ges en   Chine,   Teilha rd   a chèv e   a lors une licence de sciencesna turelles, et soutient son doctora t. Le R oy , disciple de Bergson, aborde da ns sesleçons   a u   Collège le thème de l’év olution des espèces   v iv a ntes.   Son cours de1926-27, publié en 1927, introduit le concept de  noosphère , issu de ses écha ngesa v ec Teilha rd, et a dopté pa r V erna dsk y . En 2007, 80 a nnées plus ta rd, l’a pprochebiogéochimique est tenue pour scientifiquement fructueuse, en dépit des problèmesde frontières liés à  la  multidisciplina rité.

    « L’his t oire d u  phénomène cosmiq ue apparaî t   comme   une   v éri t able énigme, parado x ale e t  presq ue scandale use dans la perspec t i v e idéalis t e, car elle semble nous cont raindre à l’a v e u de  premières origines  t out es ma t érielles  » (Le Ro y , 1927).

    « Le but   de ce rappor t   es t   de mont rer q ue l’approche biogéochimiq ue cons t i tue   un cadre uni t aire pour gérer a u  mie ux   l’env ironnement  de la planè t e e t  en par t ic ulier de la planè t e anthropisée... [c’est-à -dire]   de mont rer comment une meille ure connaissance d u

     fonc t ionnement  biogéochimiq ue ser t  à préser v er les milie ux  s u perficiels de la planè t e,   t out  en

    ass urant une prod uc t ion de biomasse, q ui soi t  en rappor t  - à la fois dans le domaine aliment aire e t  dans le domaine énergé t iq ue - a v ec les besoins f  uturs de l’humani t é  » ( Aca Sci, 2007).

    3.1.   L’a pport de W la dimir I. V erna dsk y 

    Le circ ul um v i t al  est noté pa r La v oisier, et connu des médecins (Bicha t, Berna rd).Le concept de   biosphère   est   a nticipé pa r   La ma rck (1802), le mot   a ppa ra ît chezSuess (1875).  Q uel est l’a pport de  V erna dsk y  ?  Grinev a ld pa rle de « rév olutioninv isible ».  L’a pproche est globa le et sy stémique. La   v ie terrestre est solida ire ducosmos . La biosphère est la  « f a ce de la Terre », pellicule à  l’interf a ce entre influencescosmiques et ca illou terrestre. Tra nsforma nt l’énergie sola ire en énergie chimique,

    la   ma tière   v iv a nte entretient da ns la   croûte terrestre un perpétuel tourbillond’a tomes (migra tion  biogène) qui porte la   v ie et tend  à   s’intensifier (la  ma sse de

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    ma tière   v iv a nte   a ugmente : pression de la   v ie), modifia nt la   croûte terrestre.

    V erna dsk y  a  ex plicité sa  méthode : éca rter les théories, généra liser à  pa rtir des f a its(induction), et identifier les processus stables (équilibres dy na miques)   a v a nt demettre en év idence les cha ngements significa tifs : oxy géna tion de l’a tmosphère,inv ention du squelette (migra tion a ccélérée du Ca ), remodela ge technologique del’env ironnement. L’év olution est une généralisa t ion empiriq ue .

    « Les anima ux  se nourrissent  ou des  v égé t a ux , ou d’a ut res anima ux , en sor t e q ue les ma t ières q ui les forment   sont t ou jours, en dernier rés ul t a t ,   t irés de l’air e t  des minéra ux . Enfin la 

     ferment a t ion, la put réfac t ion e t  la combus t ion rendent  cont inuellement  à l’air de l’a t mosphère e t  a u règne minéral les principes q ue les  v égé t a ux  e t  les anima ux  le ur ont  empr unt és. Par q uels 

     procédés la na ture opère-t -elle ce tt e mer v eille use circ ula t ion ent re les   t rois règnes ?  »(Lavoisier, 1794).

    « 4°. Q uelle es t  l’infl uence des corps  v i v ans s ur les ma t ières q ui se   t rouv ent  à la s urface d u globe  t erres t re e t  q ui composent  la croût e dont  il es t  recouv er t , e t  q uels sont  les rés ul t a t s généra ux de ce tt e infl uence  ? » (Lamarck , 1802).

    « L’a ut e ur a  t ent é de considérer a ut rement  l’impor t ance géologiq ue des phénomènes  v i t a ux . Il ne cons t r ui t  a uc une h y  pot hèse. Il   t âche de deme urer s ur  un   t errain solide e t  ferme, cel ui des 

     généralisa t ions empiriq ues  » ( Vernadsk  y , 1926).

    « No li v ing organism e  x is t s in a free s t a t e on Ear t h. All of   t hese organisms are inseparabl  y  and cont inuousl  y  connec t ed – firs t  and foremos t  b y  feeding and brea t hing –  w i t h   t heir ma t erial-energe t ic env ironment  » ( Vernadsk  y , 1943).

    « L’infl uence énorme e  x ercée par la ma t ière  v i v ant e s ur l’his t oire de l’a t mosphère se  t rouv e en

    rela t ion non a v ec sa présence immédia t e dans le milie u ga z e ux , mais a v ec son échange ga z e ux ,a v ec la créa t ion biogène de nouv ea ux   ga z   e t   a v ec le ur migra t ion dans l’a t mosphère  »( Vernadsk  y , 1929).

    « Le milie u   o xy dant   de la pellic ule d u   fond   [des océa ns]   change complè t ement   l’his t oire t erres t re d u calci um. ... Il se dégage annuellement  a u moins  6 × 10 14  grammes de carbona t es dans l’Océan. Il  y  a 10 18  à 10 19  grammes de calci um à l’é t a t  de migra t ion incessant e dans le c  y cle   v i t al de la ma t ière   v i v ant e, cons t i tuant une par t ie déjà not able d u  calci um   t ot al de l’écorce  t erres t re (à pe u près  7 × 10  2 4  grammes) e t une par t ie  t rès considérable d u calci um de la biosphère  » ( Vernadsk  y , 1929).

    « Thou ght  is not  a form of energ  y . How t hen can i t  change ma t erial processes ? Tha t  q ues t ionhas not  as  y e t  been sol v ed. As far as I know , i t w as firs t  posed b y  an American scient is t  born

    in Lv ov ,   t he ma t hema t ician and bioph y sicis t  Alfred Lot ka. B ut  he  w as   unable   t o sol v e i t  »« Mankind  t aken as a  w hole is becoming a mighty  geological force  » ( Vernadsk  y , 1945).

    3.2.   L’UNESCO  (1968) : « usa ge ra tionnel » et conserv a tion de la biosphère. Lesa nnées 1970

    En septembre 1968 à Pa ris l’UNESCO réunit 238 délégués de 63 pa y s membres,et 88 ex perts d’org a nisa tions interna tiona les ou non-gouv ernementa les, pour uneConférence sur les fondements scientifiques d’un usa ge ra tionnel et d’une sa gegestion des ressources de la biosphère. La   définition donnée de la biosphère estfidèle   a ux   enseignements de   V erna dsk y   (dont les liv res sont cités).   Les déba ts

    montrent une cla ire prise de conscience du souci d’a v oir à  nourrir une popula tionhuma ine en forte a ugmenta tion, et à  protéger un env ironnement qui se détériore

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    (la  poll ut ion   est une conséquence du dév eloppement), ma is on est  a ssez  confia nt

    da ns la  ca pa cité huma ine à  produire suffisa mment sa ns enta mer le ca pita l, et mêmeen l’a méliora nt. Les recomma nda tions fina les incluent un double progra mme derecherche et d’enseignement. En 1970, da ns un numéro spécia l de la rev ue Scient ific 

     American, un  a rticle de  Hutchinson ex plique les cy cles de la biosphère, la   f a çondont pa r la   photosy nthèse les pla ntes conv ertissent l’énergie sola ire en énergiechimique stockée sous forme de sucres et rela rguent de l’oxy gène, et l’hy pothèsede Ma rgulis sur la forma tion des cellules euca ry otes comme réa ction à l’a ugmenta tionde la   teneur en oxy gène de l’a tmosphère. Le ton est  a la rmiste ; l’a rticle est sous-titré « tous ces cy cles sont   a ctuellement perturbés pa r l’a ctiv ité huma ine ».   A ucours des a nnées ’70 Lov elock la nce a v ec  Ma rgulis « l’hy pothèse Ga ia  » : la Terre

    est un super-org a 

    nisme, notre intelligence collectiv e est son cerv ea u.

      Ma is cesspécula tions restent en ma rge des coura nts scientifiques domina nts, même s’il

    ex iste des progra mmes de recherche da ns cette mouv a nce, comme le   GEM, quiv isa it   à   modéliser les effets sur le clima t d’une   a lgue productrice de ca lca ire,nommée Emiliana hux lei .

    « I t w as recogni z ed   t ha t t he biosphere is   t ha t t hin shell a t t he int erface of     t he a t mosphere,h y drosphere and li t hosphere, w here life and i t s prod uc t s e  x is t  ;  t ha t  li v ing organisms manifes t t heir charac t eris t ics b y  cons t ant  int errela t ions  w i t h t he env ironment  ; and  t ha t  in doing so  t he int erac t ions  t hemsel v es crea t e a degree of s  y s t ema t ic order  » (UNESCO, 1970).

    « As  t he  w orld popula t ion increases,  t he   t opographical limi t a t ions of   t he spaceship Ear t h and t he ine v i t able e  x ha us t ion of i t s na tural resources  w ill ine v i t abl  y  req uire   t ha t  i t s econom y  be based on s t ric t   ecological principles. This impera t i v e necessi ty , how e v er, is not y e t w idel  y recogni z ed  » (UNESCO, 1970).

    « The di v ersi ty  of li v ing organisms,  w hich has de v eloped now  in  t he course of long e v ol ut ion,cons t i tut es one of    t he mos t  impor t ant  condi t ions of     t he biospheric s t abili ty   in   t ime . » « I t   is impossible   t o define an env ironment   opt imum for man if one has onl  y   man in mind.Ecologicall  y , man is par t  of   t he  t ot al env ironment ... [Env ironmenta l hea lth] implies not  onl  y t he s ur v i v al of   t he s  y s t em but  i t s abili ty t o e v ol v e in a desirable direc t ion so t ha t  man can alsoe v ol v e. Becoming is a t  leas t  as impor t ant  as being  » (UNESCO, 1970).

    « Man y  people, how e v er, are concl uding on   t he basis of mount ing and reasonabl  y   objec t i v e e v idence  t ha t t he leng t h of life of   t he biosphere as an inhabi t able region for organisms is  t o be meas ured in decades ra t her  t han in hundreds of millions of   y ears. This is ent irel  y t he fa ul t  of  our ow n species. I t w ould seem not unlikel  y t ha t w e are approaching a crisis  t ha t  is comparable t o   t he one   t ha t   occ urred   w hen free o xy  gen began   t o acc umula t e in   t he a t mosphere  »(Hutchinson, 1970).

    « The s t ar t  of   t he Gaia h y  pot hesis  w as  t he  v ie w  of   t he Ear t h from space, re v ealing  t he plane t as a  w hole, but  not  in de t ail  » (Lovelock , 1979).

    « La forma t ion d u calcaire dégage d u  ga z  carboniq ue dans l’a t mosphère, ce q ui cont ribue à l’effe t  de serre e t  a u récha u ffement  de not re planè t e. Emiliana prod ui t  également  des s ubs t ances 

    organiq ues q ui absorbent  d u  CO  2 , ce q ui diminue l’effe t  de serre e t t end à cont rebalancer l’effe t  d u calcaire  » ( Westbroek , 1996).

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    3.3.   Les tra v a ux  du GIEC (IPCC, depuis 1988) et le  Ra pport Stern (2006).

    Science, éthique, politiqueLe philosophe Ha ns Jona s écriv a it en 1979 que l’homme est désorma is responsable

    de la  surv ie de l’huma nité, donc de la biosphère, et que cela  implique à  la  fois undev oir de conna issa nce (pour a gir a u mieux ), et une conscience du « gouffre » entrele sa v oir prév isionnel et le pouv oir de f a ire (d’où : heuristique de la   peur, etpréca ution). En 1998  V erna dsk y  est enfin tra duit et publié en  a ngla is.  Plusieursprogra mmes mondia ux   font le   bila n des ressources   v iv a ntes, et   a v ertissent desda ngers (ex .   a cidifica tion des océa ns,   IGBP, 30 01 2009).   Le groupeintergouv ernementa l sur l’év olution du clima t dév eloppe une « personna lité »,a ffirme son impa rtia lité, reste neutre sur les choix  politiques à f a ire. Le ra pport Stern

    v a   plus loin, tente de prédire l’impa ct du récha uffement clima tique sur lespopula tions huma ines,etdéfinitlesgra ndes lignesd’une politique de « stabilisa tion ».L’a v enir de la biosphère se modélise, se construit...

    « Il n’es t  pl us insensé de se demander si l’é t a t  ... de la biosphère dans sa  t ot ali t é, e t  dans ses par t ies q ui sont maint enant soumises à not re pouv oir, n’es t  pas de v enu, de fai t , un bien confié à l’homme,e t  q ui a q uelq ue chose comme  une pré t ent ion morale à not re égard - non se ulement  pour not re 

     propre bien, mais également  pour son propre bien e t  de son propre droi t . Si c’é t ai t  le cas, cela réclamerai t une ré v ision non négligeable des fondement s de l’é t hiq ue [...] Auc une é t hiq ue d u

     passé (religion mise à par t  ) ne nous a préparés à ce rôle de chargés d’affaires  » ( Jonas, 1979).

    « A grow ing int ellec tual circle considers Vernadsk  y ’s  The  Biosphere  as a classic of scient ific t hou ght  on a le v el eq ual  t o Dar w in’s Origin of Species  » (Grinevald, 1998).

    « L’his t oire de la chasse a ux   grands Cé t acés es t un e  x cellent   e  x emple de l’ingéniosi t é e t   de l’habile t é   t echniq ue de l’homme à e  x  ploi t er   une richesse na turelle, en même   t emps q u’ undéplorable e  x emple de l’a v e u glement   e t  de l’a v idi t é de ce ux  q ui ont  délibérément   choisi de sacrifier le long  t erme a ux  profi t s immédia t s, a v ec le risq ue  t rès réel de cond uire à l’e  xt inc t iont ot ale des espèces embléma t iq ues, dont  les ma t ières premières sont t out es remplacées a u jourd’hui 

     par des prod ui t s s  y nt hé t iq ues, moins chers e t  souv ent  de meille ure q uali t é  » ( Aca Sci, 2003).

    « I t  is   t he e t hos,   t he  w ork c ul ture and  t he proced ures and r ules es t ablished b y t he IPCC  t ha t ha v e prov ided i t w i t h a  uniq ue q uali ty t o f  ull  y  ens ure   t he polic  y  rele v ance of    t he  w ork   t ha t t he Panel does, but  a t t he same   t ime scr u pulousl  y  adheres   t o a high le v el of objec t i v i ty  and credibili ty  in all  t ha t  i t  prod uces  » (Pachauri, 2004).

    « The impac t s of clima t e change are not  e v enl  y  dis t ribut ed -  t he poores t  count ries and people 

    w ill s u ffer earlies t  and mos t . And if and  w hen t he damages appear i t w ill be  t oo la t e  t o re v erse t he process. Thus  w e are forced  t o look a long  w a  y  ahead  » (Stern Review , 2006).

    Concl. Où pa ssent les frontières entre science, mora le et politique, et en quoicela  importe a u philosophe

    « Scient is t s mus t  now t ake a s t ep back   t o ens ure   t ha t t heir ne w  found poli t ical ac t i v ism does not  compromise  t heir scient ific int egri ty  » (Nature, 29 Ja n 2009).

    4) La  noosphère et le  world wide web  (05  03  09)

    « [Historica l foresight]   is faced   w i t h   tw o sources of diffic ul ty ,   w here science has onl  y   one.Science seeks   t he la w s onl  y , but  foresight  req uires in addi t ion d ue emphasis on   t he rele v ant 

     fac t s from  w hich t he f  uture is  t o emerge. Of   t he  tw o t asks req uired for foresight ,  t his selec t ionamid  t he  w el t er is  t he more diffic ul t  » ( Whitehead, 1933).

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    Intr.  Le terme ‘noosphère’, qu’on trouv e dès 1927 chez  Le  R oy , est employ é

    coura mment pa r Teilha rd « pa r commodité et sy métrie » [a v ec le terme ‘biosphère’]pour désigner une « env eloppe pla néta ire » que d’a utres a ppelleront ‘technosphère’.L’ob jectif est de ca ra ctériser le phénomène de domestica tion de la Terre pa r l’homme,ou ‘a nthropisa tion’ de la   f a ce de la Terre.  L’org a nisa tion socia le qui sous-tend la mondia lisa tion éta nt souv ent décrite en termes biologiques, le risque est de v oir la Terre se tra nsformer en fourmilière huma ine. D’où la  question : « comment sortirde la   méta phore sa ns tomber da ns les identifica tions ridicules et simplistes quifera ient de l’huma nité une sorte de gra nd a nima l v iv a nt ? » (Teilha rd, 1947).

    « I ne v er see  t he colon y  [of lea fcutter a nts]  as an yt hing more   t han an organic machine. Le t me q ualif   y t ha t  me t aphor. The leafc utt er colon y  is a s u perorganism.[...]  The s u perorganism’s 

    brain is   t he ent ire socie ty  ;   t he   w orkers are   t he cr ude analog ue o f i  t s ner v e cells  »( Wilson, 1984).

    « In m y  lec ture a t t he Sorbonne in Paris in 19  22 - 23, I accept ed biogeochemical phenomena as  t he basis of   t he biosphere. The cont ent s of par t  of   t hese lec tures  w ere published in m y  book,Studies in  Geochemistry ,  w hich appeared firs t  in French, in 19  2 4, and   t hen in a R ussiant ransla t ion, in 19  27 . The French ma t hema t ician Le Ro y , a Bergsonian philosopher, accept ed t he biogeochemical founda t ion of   t he biosphere as a s t ar t ing point , and in his lec tures a t t he Collège de France in Paris, int rod uced in 19  27 t he concept   of    t he noösphere as   t he s t age t hrou gh w hich t he biosphere is now  passing geologicall  y . He emphasi z ed  t ha t  he arri v ed a t  s ucha not ion in collabora t ion   w i t h his friend Teilhard de Chardin, a grea t   geologis t   and 

     palaeont ologis t , now w orking in China. The noösphere is a ne w  geological phenomenon onour plane t . I n i  t   for    t he firs t t ime man becomes a large-scale geological force  »

    ( Vernadsk  y , 1945).

    4.1.   Le R oy  et Teilha rd de Cha rdin : le concept de noosphère

    Da ns son cours de 1926, publié en 1927,   Le Ro y   a v a it cité   V erna dsk y   (La  géochimie ) et mentionné la   noosphère comme   aboutissement év olutif de la biosphère.   Les trois premières leçons de son cours de 1927, publié en 1928,ex posent des  v ues sur la  noosphère dont il a v oue qu’il en a  si souv ent discuté a v ecTeilha rd qu’il ne peut plus dire   a uquel des deux   elles   a ppa rtiennent.   Teilha rdn’a y a nt encore rien publié sur ce sujet,  Le  R oy  a nnonce ses emprunts : « f a isa ntpa rfois office de simple ra pporteur, j’ex ploitera i jusqu’à  des inédits ».  Il s’a git deca ra ctériser le tourna nt pris pa r la v ie a v ec l’a ppa rition de l’homme. Zoologiquementproche des a utres singes, il est pourta nt une singula rité da ns la biosphère : inv a sif,et « ca pable de rév olte ».   Teilhard   reprend en déta il,   a v ec la   précision dupa léontologue, les éta pes de l’a v enture huma ine, resituée da ns l’histoire cosmique ;« prolongea nt la   courbe » il tente d’a nticiper l’a v enir du groupe huma in, endécriv a nt l’émergence (déjà  perceptible), pa r « confluence na turelle des gra ins depensée » (indiv iduels), d’une « na ppe pensa nte » de dimension pla néta ire, d’un« esprit de la  terre »,  bref, d’une conscience pla néta ire globa le (1955).

    « l’humani t é couv re les cont inent s d’ un résea u presq ue cont inu de cons t r uc t ions ; elle perce les mont agnes e t   fai t  communiq uer les mers ; elle modifie les clima t s, les régimes d’érosion, la 

    dis t ribut ion géographiq ue des espèces  v i v ant es ; elle répand à flot s, dans la circ ula t ion na turelle,d’innombrables s ubs t ances q ui, j usq ue là, n’  y  jouaient  a uc un rôle. Bref, elle change la face de 

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    la  t erre e t  l’économie d u monde  v i v ant , dans des propor t ions q ui nous apprennent , sans dout e 

     possible, q ue son appari t ion marq ue, pour not re planè t e, les début s d’ une phase nouv elle. E t  je dis bien : ce n’es t  q u’ un début  » (28). » (Le Ro y , 1928).

    « la Noosphère  t end à se cons t i tuer en un se ul s  y s t ème clos, - où chaq ue élément  pour soi  v oi t ,sent , désire, sou ffre les mêmes choses q ue   t ous les a ut res à la fois. Une collec t i v i t é harmonisée des consciences, éq ui v alent e à  une sor t e de s u per-conscience. La  t erre non se ulement  se couv rant de grains de pensée par m y riades, mais s’env eloppant  d’ une se ule env eloppe pensant e, j usq u’à ne pl us former fonc t ionnellement   q u’ un se ul   v as t e grain de pensée, à l’échelle sidérale. La 

     pl urali t é des réfle  x ions indi v id uelles se grou pant  e t  se renforçant  dans l’ac t e d’ une se ule réfle  x ionunanime  » (Teilhard, 1955).

    « Bien ent end u, je ne s uis pas prophè t e. E t , bien ent end u a ussi, je sais par profession combienil es t   dangere ux , scient ifiq uement , de prolonger   une courbe a u-delà des fai t s, c’es t -à-dire d’e  xt rapoler  » (Teilhard, 1941).

    « Le flot  descendant  de l’ent ropie doublé e t  éq uilibré par la marée mont ant e d’ une noogenèse  »(Teilhard, 1941).

    [cérébra lisa tion collectiv e :] « Après l’inv ent ion ‘pri v ée’, fr ui t   d u t â t onnement   soli t aire,l’inv ent ion collec t i v e, rés ul t a t  de la recherche  t ot alisée  » (Teilhard, 1956).

    4.2.   L’indiv idua tion collectiv e  v ue pa r Simondon,la  communa uté communica tionnelle v ue pa r A pel

    Les   a lterna tiv es   à   l’hy pothèse de la   noosphère   abondent, en philosophie dessciences comme en philosophie politique.  Le schéma   k a ntien d’une « fédéra tion

    d’éta ts libres » et d’un « droit cosmopolitique »   a ssura nt les conditions d’une« hospita lité univ erselle » a été connu des rév olutionna ires fra nça is. La « régénéra tionuniv erselle » conçue pa r  A uguste  Comte   comme substitution  a ux  théocra ties duculte de l’Huma nité - « gra nd org a nisme » dont il dessine minutieusement la structure et le fonctionnement,  a  inspiré des constructions politiques réelles.  Ons’intéresse ici   a u processus ontogénétique pa r lequel   a dv ient ce que   GilbertSimondon conçoit comme une indiv idua tion psy cho-socia le, et à  ce que Ka rl-Otto A pel nomme le « fondement » de la  communa uté communica tionnelle. Simondoncroit possible le pa rta ge de contenus culturels (significa tions) v ia   l’a dhésion à  desgroupes, ma is il doute que ces contenus soient univ ersa lisables, sa uf pa r la média tion

    d’a ctiv ités qui font entrer da ns la  rela tion le réel na turel. Pour  Apel   les contenussont toujours discutables, ma is pour discuter il f a ut communiquer, et les conditionsde possibilité de la  communica tion sont ce qui   fonde   la   communa uté huma ineuniv erselle : (« le diable ne peut se rendre indépenda nt de   Dieu qu’ens’a utodétruisa nt »).

    « ...  faire naî t re parmi les hommes, cont re le ur int ent ion, l’harmonie d u sein même de le urs discordes  » (Kant , (1795).

    « Le  t ransindi v id uel ne localise pas les indi v id us, il les fai t  coïncider ; il fai t  communiq uer les indi v id us par les significa t ions : ce sont  les rela t ions d’informa t ion q ui sont  primordiales, nonles rela t ions de solidari t é  » (Simondon, in : 2005).

    « [les ob jets techniques]   sont  appelés à de v enir média t e urs de la rela t ion de l’homme a umonde. ... Ent re la communa ut é e t  l’indi v id u isolé s ur l ui-même, il  y  a la machine, e t  ce tt e 

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    machine es t  ouv er t e s ur le monde. Elle  v a a u-delà de la réali t é communa ut aire pour ins t i tuer 

    la rela t ion a v ec la na ture  » (Simondon, in : 200

    5).« Il n’  y  a pas d’e  x emple pl us  ty  piq ue de la ‘non-simul t anéi t é’ des sec t e urs de la c ul ture humaine q ue le déséq uilibre q ui e  x is t e ent re l’e  x  pansion des capaci t és scient ifiq ues e t t echniq ues e t l’iner t ie des morales spécifiq ues de grou pe  » « Une é t hiq ue de la responsabili t é solidaire q ui serai t uni v erselle, c’es t -à-dire int ers ubjec t i v ement v alide, semble... nécessaire e t   impossible  »( Apel, 1967).

    « che z  K.-O. Apel, la fonda t ion de l’é t hiq ue env isage bien l’e  xt ension plané t aire. L’ uni v ersali t é de la norme é t hiq ue doi t  ê t re fondée de  t elle sor t e q u’elle puisse ê t re opposée à  t ous les indi v id us e t  à  t out es les na t ions d u monde. [...] La  v ale ur poli t iq ue de l’é t hiq ue doi t  alors ê t re mes urée d’après sa capaci t é à cons t i tuer  un ‘ordre mondial’ sous les principes de la pl us ha ut e ra t ionali t é ac tuellement  pensable  » (Ferr y , 1987).

    4.3.   La  toile, W ikipedia , et la  notion de communa uté huma ine

    La  technologie est un support de la  globa lisa tion, elle n’en est pa s l’â me (qu’est-cequ’une â me ?) Du côté des institutions interna tiona les (OMC, FMI, ...) ou de la recherche techno-scientifique, on peut discerner des signes d’une communa utéhuma ine globa le émergente, ma is ces forma tions g a rdent un ca ra ctère élitiste ouspécia lisé.   On   a   pourta nt déjà   du ma l   à   comprendre pa r quelle   a lchimie deschercheurs tra v a illa nt ensemble peuv ent   a v oir une meilleure productiv itéscientifique que l’a ddition de ces mêmes chercheurs tra v a illa nt sépa rément, d’a uta ntqu’on g a rde à  l’esprit l’ima ge du sa v a nt génia l et solita ire. L’essor de l’ency clopédie

     W ikipedia   fournit un modèle de communa uté qui produit et répa n d de la conna issa nce sa ns être un collectif d’ex perts, et qui s’a méliore à  mesure qu’un plusgra nd nombre de ses  v isiteurs s’y  implique. La  fiabilité de W ikipedia a  été mise endoute pa r les ex perts. Un récent numéro de la  rev ue Epis t èmè  a  soumis W ikipedia à  un ex a men épistémologique serré. Il en ressort que ce dév eloppement pa rticipa tif du w eb est plus prometteur que le projet plus a mbitieux  d’un « w eb séma ntique »,pa rce que jusqu’ici,  a uta nt qu’on puisse dire, « les seules ma chines séma ntiques,c’est nous ».  Ce qui signifie que la  pla nète unifiée, si elle se f a it un jour, ne sera pa s une termitière.

    « On  v oudrai t , ici comme aille urs, une pensée cent rale, organisa t rice...» (Bergson, 1932)

    « Pour la première fois de ma  v ie, je crois à la possibili t é d’ une sor t e d’ union plané t aire. Un‘gouv ernement  mondial’ ne se cant onnerai t  pas à  une coopéra t ion ent re les na t ions. Ce serai t une ent i t é dot ée des carac t éris t iq ues d’ un E t a t , q ui s’appuierai t  s ur des lois. L’Union e uropéenne a déjà créé  un gouv ernement  cont inent al pour  27  pa  y s, s  y s t ème q ui pourrai t  ser v ir de modèle  »(Rachman, 2008).

    « Wikipedia has challenged   t radi t ional not ions about t he role of e  x  per t s in   t he int erne t  age.[...] Perhaps i t t hrea t ens  t o  undermine a sor t  of int ellec tual hegemon y t ha t  e  x  per t s ha v e long enjo y ed. SoWikipedia is bot h celebra t ed and re v iled as embod  y ing an egali t arian epis t emological re v ol ut ion. If so,   t his re v ol ut ion  w ould  t ake place not  in   t he academic field ... but  in socie ty a t   large. Increasingl  y ,   w e are codif   y ing know ledge in an egali t arian, open, bott om-u p   w a  y ,using Wikipedia and a  v arie ty  of ot her open resources. Wha t  are  w e   t o make of    t his ? Is i t  a 

     good  t hing ? Where do w e go from here ? These are  ul t ima t el  y  philosophical q ues t ions, and  t he  y need  t he a tt ent ion of philosophers  » (Sanger, 2009).

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    PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES   513

    « Web   2 .0   is   t he   w eb crea t ed b y   semant ic engines for semant ic engines, b y   rel  y ing on   t he 

    cont ribut ions of legions of   users  » « The f  ull semant ic  w eb is a  w ell-defined mis t ake, w hereas t he  w eb 2 .0  is an ill-defined s uccess. The  y  are bot h int eres t ing ins t ances of a larger phenomenon,w hich ma  y   be defined as   t he cons t r uc t ion and defragment a t ion of     t he infosphere  »(Floridi, 2009).

    Concl. Si la  recherche scientifique et technique est une « force civ ilisa trice » etunifica trice détermina nte, un long chemin nous sépa re encore d’un a v enir mondia lgloba lisé.

    « Bot h Vernadsk  y  and Teilhard  w ere cosmic prophe t s of globalisa t ion. If Teilhard  w as a ‘cosmic m y s t ic’, Vernadsk  y  defined himself as a ‘cosmic realis t ’. The  y   shared a belief in science and t echnolog  y  as a  uni v ersal, peacef  ul and ci v ili z ing force  » (Grinevald, 1998).

    5) Recherche scientifique et devenir de la philosophie des sciences (12.03.09)

    « ‘ W e  build too ma ny w a lls  a nd not enough  bridges’ (New ton) ...  Rien d’a ut re q ue des descriptions ne pe ut  ê t re connu de manière int ers ubjec t i v e, ni des ent i t és fac tuelles e  xt érie ures à  t out e connaissance, ni des phénomènes res t és non-décri t s  » (Mugur-Schächter, 2006).

    Intr. Bref ra ppel. Le doma ine d’inv estig a tion est la   philosophie des sciences dela    v ie, sous l’a ngle 1) épistémologique (découv rir, prouv er, ex pliquer),2)   a nthropologique (l’impa ct des a v a ncées bio-médica les sur notre conception del’homme, 3) ontologique. À  l’inv ita tion de Bergson, on s’est ex ercé à  « penser sousl’a ngle du dev enir ».   Cette dernière leçon s’essa ie   à   tirer de l’ex ercice quelques

    conséquences toucha nt la  recherche, et les ra pports entre science et philosophie.« habi tuons-nous ... à  v oir  t out es choses  sub specie dura tionis » (Bergson, 1911).

    « à la grande oe uv re de créa t ion q ui es t  à l’origine e t  q ui se pours ui t  sous nos  y e ux  nous nous sent irons par t iciper, créa t e urs de nous-mêmes  » (Bergson, 1930).

    « l’homme l ui-même es t  menacé d’obsolescence  » ( Jonas, 1979).

    5.1.   Cla ude Berna rd (1865) : « [les philosophes sont]  l’e  x  pression de le ur  t emps  »

    Da ns le dernier cha pitre de son Int rod uc t ion à l’é tude de la médecine e  x  périment ale ,Cl.   Berna rd situe le médecin ex périmenta teur pa r ra pport   a u  médecin clinicien

    d’une pa rt, a u philosophe  d’a utre pa rt. Chercheurs et pra ticiens coopèrent da ns la construction de la  médecine scientifique (la  science est oeuv re collectiv e). La  seulesa nction des hy pothèses scientifiques éta nt celle de l’ex périence, le chercheurrev endique sa   liberté   à   l’ég a rd de tout sy stème ou doctrine (scientifique ouphilosophique,   y   compris le positiv isme).   À   cette condition (que cha cun reste« libre et ma ître chez lui »), science et philosophie v iv ent une « union fra ternelle »,le commerce   a v ec les philosophes stimula nt chez   le chercheur un « espritphilosophique » qui le pousse à se poser des questions hors cha mp, et la fréquenta tionde la  science empêcha nt la  philosophie de div a guer. Berna rd dénie à  la  philosophietoute  v oie d’a ccès a u réel indépenda nte de la  science, et tout droit de prescrire  à 

    la   science une méthode de tra v a il.  La   v ision du monde du philosophe est donca u mie ux  modelée (et limitée) pa r l’éta t de la  conna issa nce scientifique. Il  y  a  da ns

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    cette a na ly se un point a v eugle. Berna rd a ffirme fièrement la  v isée interv entionniste

    d’une science qui pénètre da ns la  « ma chine v iv a nte » et  v a  « modifier et régler sesressorts ca chés » : cette effica cité opéra toire, une fois reconnue, lui   v a udra  d’êtresoumise à  ex a men critique, enca drée, et a ccompa gnée. Le philosophe G.  Hottoisa  ex plicité la  « sa gesse » collectiv e qui préside à  l’inscription de la RDTS (rechercheet dév eloppement techno-scientifique) da ns un projet de société.

    « Comme e  x  périment a t e ur, j’é v i t e   ...   les s  yt èmes philosophiq ues, mais je ne sa urais pour cela repousser ce t  esprit philosophique q ui, sans ê t re nulle par t , es t  par t out , e t  q ui, sans appar t enir à a uc un s  y s t ème, doi t   régner non se ulement   s ur   t out es les sciences, mais s ur   t out es les connaissances humaines  » (Bernard, 1865).

    « il fa ut  chercher à briser les ent ra v es des s  y s t èmes philosophiq ues e t  scient ifiq ues, comme on

    briserai t  les chaînes d’ un escla v age int ellec tuel. La  v éri t é, si on pe ut  la  t rouv er, es t  de  t ous les s  y s t èmes, e t  pour la découv rir l’e  x  périment a t e ur a besoin de se mouv oir librement  de   t ous les côt és sans se sent ir arrê t é par les barrières d’ un s  y s t ème q uelconq ue. La philosophie e t  la science ne doi v ent  donc point  ê t re s  y s t éma t iq ues : elles doi v ent  ê t re  unies sans  v ouloir se dominer l’ une l’a ut re. Le ur sépara t ion ne pourrai t  ê t re q ue nuisible a ux  progrès des connaissances humaines.La philosophie   t endant  sans cesse à s’éle v er, fai t  remont er la science   v ers la ca use ou v ers la source des choses. Elle l ui mont re q u’en dehors d’elle il   y   a des q ues t ions q ui   t ourment ent l’humani t é, e t  q u’elle n’a pas encore résol ues. Ce tt e  union solide de la science e t  de la philosophie es t ut ile a ux  de ux , elle élè v e l’ une e t  cont ient  l’a ut re. Mais si le lien q ui  uni t  la philosophie à la science  v ient  à se briser, la philosophie, pri v ée de l’appui ou d u cont repoids de la science,mont e à per t e de  vue e t  s’égare dans les nuages,  t andis q ue la science, res t ée sans direc t ion e t sans aspira t ion éle v ée,  t ombe, s’arrê t e ou v og ue à l’a v enture  » (Bernard, 1865).

    5.2.   L’« élément  his t oriq ue »  de nos conna issa nces : A . A . Cournot

    En distingua nt l’élément his t oriq ue  de l’élément  t héoriq ue  de nos conna issa nces,Cournot oppose a ux  f a its régulièrement reproductibles, que l’on peut ex pliquer etprédire da ns le ca dre d’une théorie (ex . mouv ement des ma rées) les f a its isolés,a ccidentels (ex . chute de météorite), que leur irrégula rité rend imprév isibles, mêmesi leur influence sur le cours des év énements est si profonde qu’on peut durablementen suiv re la  tra ce. Tout en reconna issa nt que da ns les sciences du  v iv a nt l’élémenthistorique est omniprésent,  Cournot ma intient que seule la   donnée théorique estscientifique, ta ndis que la  donnée historique n’est ex ploitable qu’a u serv ice d’un

    récit prêta nt à  la  spécula tion philosophique (ou à  la  poésie). Cet éta t de f a it est lié,pour  Cournot,  à   la   réa lité du ha sa rd, défini comme rencontre de séries ca usa lesindépenda ntes (cà d a ppa rtena nt à des ordres différents, da ns un univ ers comporta ntdes discontinuités). L’a uteur d’un liv re sur la   t héorie des chances e t  des probabili t és sa it pourta nt que l’a na ly se sta tistique permet, jusqu’à  un certa in point, de tester la solidité d’un lien présumé   ca usal , ou discerner une   t endance   da ns une sériechronologique de mesures, ce qui dev ra it permettre de sa isir comment les sciencesdu   v iv a nt ne peuv ent être scientifiques qu’« à   la   lumière de l’év olution » (selonl’ex pression de Dobzha nsk y , 1973). Un modèle se cherche, qui montre la  f a isabilitéd’une science à   la  fois historique et théorique.

    « [pour les phénomènes de la  v ie] « l’his t oire d u passé de v ient   le complément  indispensable de la connaissance de l’é t a t  ac tuel  » (Cournot , 1875).

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    « La not ion d u hasard ... a son fondement  dans la na ture, e t  n’es t  pas se ulement  rela t i v e à la 

     faiblesse de l’espri t  humain. Il fa ut  en dire a ut ant  de la dis t inc t ion ent re la  donnée historiquee t   la  donnée théorique. Une int elligence q ui remont erai t  bien pl us ha ut  q ue nous dans la série des phases q ue le s   y s t ème plané t aire a   t ra v ersées, rencont rerai t   comme nous des fai t s 

     primordia ux , arbi t raires e t  cont ingent s (en ce sens q ue la  t héorie n’en rend pas raison), e t  q u’il l ui fa udrai t   accept er à   t i t re de données his t oriq ues, càd comme les rés ul t a t s d u   concours accident el de ca uses q ui ont  agi dans des  t emps encore pl us rec ulés. S u pposer q ue ce tt e dis t inc t ionn’es t  pas essent ielle, c’es t  adme tt re q ue le  t emps n’es t  q u’ une ill usion » (Cournot , 1851).

    «  les crises rénov a t rices des sciences ont   é t é les se ules crises   ut ilement   rénov a t rices de la  philosophie  » (Cournot , 1875).

    « il  y  a  une mul t i tude de fai t s dont  la raison es t  purement  his t oriq ue ; q ui se lient  his t oriq uement e t  non scient ifiq uement  les  uns a ux  a ut res ; q ue la philosophie grou pe, comme  t ous les fai t s de l’his t oire proprement  di t e, d’après des ind uc t ions probables, sans pouv oir les soume tt re à des lois précises, s uscept ibles de confirma t ion e  x  périment ale  » (Cournot , 1851).

    « Si la science marq ue s ur t out  le  t riomphe de la raison s ur les choses, e t  l’his t oire la re v anche q ue prennent  les fai t s s ur la raison, le problème des rappor t s de la science e t  de l’his t oire pourra ser v ir de  t i t re a u drame q ui se joue dans la pensée de Cournot  » (Lévêque, 1938).

    « Le mécanisme compliq ué de cons t r uc t ion des organismes por t e les marq ues d’ une his t oire comple  x e . [...] Les différent es par t ies des organismes ont  des his t oires différent es, e t  ... l’é tude 

     précise des   t rai t s ac tuels des organismes nous apprend bea ucou p s ur les  v oies cont ingent es de le ur cons t r uc t ion. Ce tt e  v éri t é, à peine perç ue, é t ai t  a u  coe ur des concept ions biologiq ues de Dobz hansk  y . C’es t  là  une  v éri t é biologiq ue profonde  » (Burian, 2007).

    5.3.   La  philosophie des sciences et son dev enir Ja cques   Merlea u-Ponty , qui da ns sa   thèse   a v a it réfléchi sur le principe de

    rela tiv ité, insista it sur le f a it que le   cogi t o, l’épochè , ou (quel que soit son nom)l’a cte pa r lequel on  ent re en philosophie , loin d’être solipsiste, comme on le croitsouv ent, implique l’int ers ubjec t i v i t é  ; il pensa it que la  ma nière collectiv e, intera ctiv e,dont les scientifiques tra v a illent, dev ra it serv ir de modèle  a ux  philosophes.  Cela pa ra ît év ident pour la  philosophie des sciences, du f a it de ce que B. Sa int-Sernina a ppelé le « nouv ea u régime de la  ra tiona lité ». L’esprit post-moderne ne croit plusà  l’inf a illibilité de Lumières  ég a lement distribuées entre les hommes. Et si, jusqu’a u18e siècle, il fut possible à  un esprit d’intérioriser tous les sa v oirs a cquis jusque là ,

    c’est dev enu impossible  a u 20e siècle.  Le meilleur spécia liste peine  à   se tenir  a ucoura nt de ce qui est publié da ns son doma ine, et doit se fier pour le reste  à  uneinforma tion seconde. Les zones frontières entre disciplines sont ex plorées a u mieux en collabora tion interdisciplina ire. On crut un temps que la  logique éta it entre lesma ins des philosophes l’a rme  absolue,  a pte  à   tra ncher entre science et non-sens.Ma is la    logique n’épuise pa s les questions d’épistémologie (la Cochra neCollabora tion –   Ja mes   Lind   Libra ry   – juge importa nts le   t ri   et la   s  y nt hèse   despublica tions de recherche) ; et les scientifiques ne produisent pa s que des énoncés  :ils produisent des ê t res  qui modifient le monde - ce qui a ppelle une ‘méta ’-réflex ionsur les ob jectifs de la RDTS.   Depuis 1994 l’Union européenne encoura ge les

    « huma nités »  à  s’org a niser a utour de thèmes collabora tifs. Son progra mme-ca drea ctuel (FP7, 2007-13, theme 8) dema nde des projets innov a nts et ‘policy -oriented’,

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    i.e . qui puissent   a v oir un impa ct sociéta l.   Les unions interna tiona les (IUHPS,

    ISHPSSB) réunissent des congrès et publient des   A ctes, ma is sa ns ob jectif derecherche. La  recherche en philosophie des sciences n’a  pa s encore trouv é la  v oiede sa  « pla nétisa tion ».

    « Q uiconq ue  v e ut v raiment  de v enir philosophe de v ra, une fois dans sa  v ie, se replier s ur soi-même e t , a u-dedans de soi,  t ent er de renv erser  t out es les sciences admises j usq u’ici e t t ent er de les recons t r uire  » (Husserl, 1929).

    « Al t hou gh i t  is  w idel  y  agreed  t ha t  science is c umula t i v e, people ha v e onl  y v er  y  recent l  y  beg unt o acknow ledge   t ha t  scient is t s ha v e a responsibili ty t o c umula t e scient ificall  y  » (Chalmers  e t al , 2002).

    « Le  v éri t able corréla t  de la  t echnoscience e t  de la ci v ilisa t ion  t echnoscient ifiq ue es t  le cosmos,

    l’ uni v ers, e t  non pas la Terre, q ui es t  son bercea u » (Hottois, 2004).

    « Theme 8 of   t he Specific Programme Coopera t ion is foc used on a tt rac t ing humani t ies researchw hich could ha v e a pot ent iall  y t ransforma t i v e role in   t he research a t t he E uropean le v el  »(EUR  22843, 2007).

    Concl. Si la   recherche est notre  a v enir, la  complex ité mobile et créa tiv e d’unmonde en év olution a ppelle une  a pproche de la   conna issa nce et de l’a ction elle-même inv entiv e et ca pable de se penser « sub   specie dura tionis ».

    « The essent ial connec t ednes of   t hings can ne v er be safel  y  omi tt ed. This is   t he doc t rine of    t he t horou ghgoing rela t i v i ty w hich infec t s  t he  uni v erse and  w hich makes  t he  t ot ali ty  of   t hings as 

    i t w ere a recept acle  uni t ing all  t ha t  happens  » ( Whitehead, 1933).

    Les cours prononcés   à Brux elles porta ient respectiv ement sur « Ontologie dudev enir et   a nthropologie » (21   a v ril 2009) et « Épistémologie : les sciences duv iv a nt comme sciences historiques » (28 a v ril 2009).

    S

    IItinéraires de recherche en ps y chiatrie (suite)

    Da ns le prolongement des séa nces de 2007-2008, sous la  forme de deux   demi-journéesde tra v a il, le sémina ire a  entendu qua tre ora teurs témoigna nt cha cun d’une f a çon d’aborderla  recherche psy chia trique.

    08 10 08, 14 h-17 h 30,  CDF, sa lle 5 : cette séa nce sur les troubles psy chotiques éta itcoordonnée pa r  Berna rd  Pa choud (Pa ris-7  & CREA ) et  A rna ud  Pla gnol (Pa ris-8  LPN &IHPST). Berna rd  Granger (Pa ris-5 psy chia trie & Cochin-Ta rnier) retra ce l’év olution de la recherche sur les   a nti-psy chotiques, en montra nt l’hétérogénéité entre ex plica tionfonda menta le et ob jectifs de soins.  Louis   Sass   (R utgers  Univ ersity ) ex plique la   nécessitéd’intégrer une a pproche phénoménologique à la recherchephy siologique ou comportementa le,en s’a ppuy a nt sur son  a na ly se de la  v ie  a ffectiv e des schizophrènes.  V oir :  Le tt re d u  CDF ,n° 26, p. 8.

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    PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES   517

    18 12   08, 14 h-17 h 30,   CDF, sa lle 5 :   Georges   Chapouthier   (CNRS,   biologie   &

    philosophie) et P

    ierre-H

    enri Castel (CNRS

    , philosophie) la 

    ncent une discussion a 

    nimée surl’intérêt et les limites des modèles  a nima ux  en psy chia trie biologique.

    IIDe la chimie de s y nthèse à la biologie de s y nthèse / From S y nthetic

    Chemistr y  to S y nthetic Biolog y Conférence internationale, Collège de France, amphi Halbw achs, 5 mai 2009

    Conçue pa r   Cha rles   Ga lperin et   A nne   Fa got-La rgea ult,   a v ec le concours de   Fra nçoisGros, cette journée d’étude f a isa it suite à  une journée sur l’histoire de la  chimie a u Collègede  Fra nce (4 ma i), les deux  év énements éta nt org a nisés conjointement pa r les cha ires de

    philosophie des sciences  biologiques et médica les, et de chimie de la   ma tière condensée( Ja cques Liv a ge).Sy nthétiser la v ie est un rêv e a ncien. A ujourd’hui ce n’est plus un rêv e, c’est un progra mme

    de recherche.   Ce qu’on   a ppelle   biologie de sy nthèse (s  y nt he t ic biolog  y ), c’est   à   la   foisl’ingénierie biologique, et l’étude de la  v ie pa r la  v oie de la  sy nthèse. Ma rc Fonteca v e, Stev enBenner,   Ja cques   R eisse,   A ntoine   Da nchin,   Pa trick   Forterre,   Jea n-Ma rie   Lehn,   Berna rdMeunier, Fra nçois K épès,  Dre w  Endy  et  Ma ureen  O’Ma lley  en ont ex ploré les réa lisa tionset discuté les a mbitions. L’enregistrement (a udio et v ideo) de leurs écha nges est en ligne surle site du CDF. Le contenu des présenta tions est résumé da ns la  Le tt re d u Collège de France ,n° 26, juin 2009, p. 35-36.   Publica tion prév ue sous la   forme d’un numéro spécia l desCompt es Rend us de l’Académie des sciences , Pa ris, série Chimie.

     A

    Conférences invitées

    2008-09-04 : ‘Ev olution éthique   a u reg a rd de la   réflex ion interna tiona le’,   a u colloque« V ingt   a ns de recherche   biomédica le en   Fra nce »,   Ministère de la   sa nté   & Conférencena tiona le des CPP, Pa ris.

    2008-09-22 : ‘K urt Goldstein, Frederik  Buy tendijk, Ma urice Merlea u-Ponty ’, a u colloquepour le Centena ire de la  na issa nce de M. Merlea u-Ponty  (1908-1961), « Le corps en a cte »( A . Berthoz, org.), CDF, Pa ris.

    2008-10-03 : ‘Stem Cells : Society , Ethics a nd Philosophy  / Cellules souches : philosophie,

    éthique et société’, Ma ster of  Cell a nd Dev elopmenta l Biolog y , UP6, Pa ris.2008-10-10 : ‘La   recherche sur l’embry on huma in et les cellules embry onna ires’,Univ ersité de Tunis, à  l’inv ita tion du Pr. Z. Bensa  ïd Cherni.

    2008-10-22 : ‘L’indiv idua tion biologique’, Univ ersité Pa ris- X Na nterre, à  l’inv ita tion duPr. M. de Ga udema r (prépa ra tion à  l’a grég a tion ex terne de philosophie, 2e épreuv e).

    2008 11 07 : ‘L’esprit d’inv ention selon Cha rles Nicolle’, a u Colloque « L’ima gina tion etl’intuition da ns les sciences » (C. Debru & P. Buser, org.), A ca démie des sciences / A k a demieder Na turforscher  Leopoldina , Pa ris.

    2008-11-13 : ‘La   réception des idées év olutionnistes :  a perçus contra stés’,  a ux  Journéesorg a nisées pa r l’INRP « Enseigner l’év olution », A telier 5 - « La  ma rche des idées / l’histoiredes idées », a v ec J.-M. Drouin et P.-H. Gouy on, Cité des sciences,  Pa ris.

    2008-11-21 : ‘Fra gments d’histoire’, à  la  18e  Journée d’éthique médica le Ma urice Ra pin,« R echerche clinique da ns les pa y s du sud : un pa rtena ria t équitable ? », Institut Montsouris,Pa ris.

  • 8/19/2019 Ontologie Du Devenir

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    518   ANNE FAGOTLARGEAULT

    2009-02-17 : a udition a u Séna t, Pa la is du Lux embourg, pa r la Commission des a ff a ires

    socia 

    les (P

    rés. N

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    s Ab

    out), G

    roupe de tra v a 

    il séna 

    toria 

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     fin de v 

    ie.2009-03-30 : ‘L’oblig a tion de résulta t : un défi   à   la   déontologie, ou une   a tteinte   à   la 

    déontologie ?’, à �