Onitopie

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Onitopia, la naissance d’une guilde 37 Illustration : Gustave Moreau, Persée et Andromède

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Onitopia, la naissance d’une guilde

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Illustration : Gustave Moreau, Persée et Andromède

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Rêves

: Ælwynn Wintersong (humaine, élémentaliste)

: Svynge (norn, gardienne)

: Nezumy (asura, ingénieur)

: Pug (asura, élémentaliste)

: Alia Arkady (humaine, voleuse)

: Shalimar (sylvari, élémentaliste)

: Ayrin Fields (humaine, guerrière)

: Aboune (asura, envoûteur)

: Stathor (asura, ingénieur)

: Guess (humaine, élémentaliste)

: Lianis (sylvari, élémentaliste)

: Agaéti (sylvari, gardienne)

: Altyon (sylvari, voleur)

: Lazare (humain, nécromant)

: Pogonar (humain, guerrier)

: Gledinia (norn, rôdeuse)

: Pajim (norn, rôdeuse)

: Yaddle (charr, guerrière)

: Oméga (asura, guerrier)

: Splif (asura, élémentaliste)

: Pan d’Orr ( ?)

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Rêves

- Ah, je me meurs, adieu monde cruel mais doux. Ô puissant Nezumy ainsi tu faillis,

dans la gueule d’un dragon, tout se finit ! Croc croc le Nezu, croquette de Nezu ! Diantre

que je souffre, que je douille, qu’il est dur de mourir oh oui ! Ah j’agonise rhâââ.

Je regardai l’asura du nom de Nezumy se rouler par terre sur le sol de ma chambre,

battant des bras dans le vide et se débattant contre un ennemi invisible. Il hurlait des choses

incompréhensibles et se roulait sans arrêt de droite à gauche, de gauche à droite, ce qui me laissait

dans la plus grande incompréhension.

Lorsque je me suis réveillée, il me tenait la main. Forcément, je n’ai guère apprécié, aussi me suis-je

dégagée, furieuse et en colère. Et le voilà maintenant à faire son spectacle. Mais qu’est-ce qu’il a

dans la tête par tous les dragons ? Rien que je n’en serai pas étonné ! En colère, je lui donnai

quelques légers coups de pieds pour qu’il arrête sa représentation mélodramatique qui ne ferait

même pas verser une larme à l’être le plus déprimé de ce monde.

Je sentais des coups sur le corps. Probablement l’estomac du dragon qui commençait à me

broyer. Je souffre oh oui je souffre. Allez, ouvre les yeux mon bon Nezumy, une dernière

fois, sois fort !

Tiens ?

Un plafond ?

La chambre de Pan d’Orr ?

C’est, euh… Ah tiens, y’a Pan d’Orr aussi.

Bonté bibine ! Je suis encore vivant !

Je me disais bien que je mettais un peu de temps à mourir.

L’asura se relevait, faisant mine d’épousseter ses vêtement. C’est plus une araignée qu’il

a au plafond à ce stade !

- Que fais-tu dans ma chambre, le rat ?

- Je… je… Enfin… Et puis… Pouf ! Voilà quoi !

- Sois plus clair !

- Je… On mange ensemble ?

- Sans façon non.

- Allez stoplé.

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Rêves

- Non !

- Bon…

Alors qu’il s’en allait pour atteindre le pallier de la porte, il se retourna vers moi :

- Ils font un excellent ragoût de krait, ce serait dommage de …

- Dégage ! finis-je par hurler.

Il avait le don de me mettre hors de moi, à peine croyable ! Et je me retrouvai seule, comme

toujours. Il a beau être stupide et bizarre, en mon for intérieur, sans trop savoir pourquoi, alors qu’il

venait de disparaître de ma vue, j’aimais bien sa… compagnie… ces derniers jours. Mais je n’avais pas

le droit. Je ne pouvais pas m’entourer de compagnons. Ça m’était interdit. Père me l’a enseigné. Ces

créatures, en dépit des apparences, sont dangereuses et viles. Il ne faut surtout pas leur faire

confiance. Mais plus je côtoyais cette guilde, Onitopia, plus je réalisai que je m’attachais à eux, sans

aucune explication logique.

Impossible que Père se soit trompé ! Je finirai son œuvre, je finirai seule, pour papa.

Svynge se tenait sur le pallier de la porte de sa propre maison. Porte à moitié défoncée

d’ailleurs, ne tenant que sur un gond. Svynge tremblait, ça se voyait, elle fulminait.

Sincèrement, je ne pense pas exagérer en parlant de fumée qui sortait de ses narines et de

sa bouche comme le ferait un dragon. Clairement, elle était furieuse, et aucun d’entre nous

n’osa prendre la parole tant sa colère était palpable. Dans les ombres de la maison se

discernait un désordre sans nom, une anarchie de bordel, un apocalypse de zizanie.

- Où est cet asura… finit-elle par fulminer. OU EST-IL ?!

C’est vrai qu’un tel désordre, c’était signé Nezumy à plein nez. S’il se pointe, c’est…

- Ah tiens tiens tiens, excelsior à vous tous ! Comment que vous allez vous bien, vous vous êtes

bien marrés au volcan ? Elle était bonne la lave ? Hu hu.

- Nezu. Tire-toi, et vite, lui chuchotais-je en espérant ne pas me faire repérer.

Svynge ne s’était toujours pas retournée. Ses spasmes s’étaient accentués.

- Diantre partir ? Alors qu’on se retrouve ? Gledi Gledi, ma petite Gledi, voyons voyons, c’est

insensé, illogique, quelle impolitesse. Je suis tout triste.

- Je, euh…

Son insouciance m’épatera toujours. Svynge s’était retournée maintenant. Sincèrement, je

n’exagérerai toujours pas si je parlais de ses yeux qui crachaient des flammes et de sa bouche tout

autant. Elle s’était incarnée en dragon !

- Petit rat, mon bon petit rat, viens faire un câlin à ta petite Svynge, dit-elle d’une voix

mielleuse.

Il ne va quand même pas tomber dans ce piège aussi grossier ?

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Rêves

- Avec plaisir ma chouette Svynge. Tu m’as tellement manquée !

Ah bah si. Il se dirigeait tout content vers elle, droit dans la gueule du dragon. Personne n’osait

intervenir.

- Ah, si tu savais comme tu m’as manquée Svynge, c’est un bonheur sans … Mais que fais-tu ?

Pourquoi tu ? Lâche moi, tu m’étrangle, lach… argl !

Ah oui, banco, il se faisait étrangler sous nos yeux. Je jetai un regard à mes compagnons, nous ne

savions que trop faire. Intervenir oui ? Mais ce serait affronter une armée de Flammotaures vu

comment était déchainée notre norn. Laisser mourir Nezumy ? C’est pas génial non, et c’était bien

parti pour. Tandis qu’il étouffait sous la poigne d’acier de Svynge, un mot se fit entendre dans ses

glapissements : celui d’Ayrin. Svynge desserra son étreinte.

- Quoi Ayrin ?

- Touss touss… tu m’as pété le gosier, ça va pas du ciboulot, t’es pas bien ?

- Parle, ou je t’explose tout le reste.

- Très très bien t’énerves pas. Pfou, l’air montagnard, ça te réussit pas décidément. Faudrait

que tu prennes des vacances !

C’est moi ou il a vraiment envie de mourir ?

- Ayrin, reprit-il, je l’ai vue. Toujours aussi jolie, ah oui oui.

- Où ?

- C’est là que c’est délicat. Dans Pan d’Orr.

- Quoi ? Tu te fous de moi ?

- Non non, mispro chécra et réju !

Svynge bloquait. Du coin de l’œil, je vis J-A briller plus que de coutume, diffusant une bulle de

lumière bleutée et glacée.

- L’asura… Il a raison.

- Vous vous foutez de moi ?

- Ayrin… Pan d’Orr… Liées dans un corps.

- Bordel de merde, comment est-ce possible.

- Zhaïtan…

- Quoi Zhaïtan ?

J-A gardait le silence et, la connaissant, y’en avait pour un temps. Qu’est-ce qu’ils me baragouinaient

ces deux là ?

- Maintenant qu’elle le dit, reprit Nezumy, y’avait bien Zhaïtan oui.

- Quoi ? D’où t’entends J-A toi ?

- Ah bah j’en sais rien, c’était J-A ? Très jolie voix.

- Si tu me racontes tout, tu as une chance de rester en vie.

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Rêves

Nous entendîmes quelques mots, du Zhaïtan, du Pan d’Orr, du Ayrin, rien de bien clair en

fait. Nezumy et Svynge semblaient communiquer… ailleurs. L’asura se tourna vers nous et

nous invita à entrer dans le taudis. En son for intérieur se dissimulait un moa rose. Trop

mimi ! Trop trop mimi !

Nezumy nous fit un résumé difficilement croyable, pire qu’une histoire de Pogo, à laquelle pourtant

nous finîmes par croire. Pan d’Orr aurait Zhaïtan dans sa tête, et Ayrin, bonjour le ménage. Que les

autres se seraient planqués non loin en nous attendant. Que Pan d’Orr aurait ouvertement agressé

Ælwynn et Shalimar… Et j’en passe des vertes et des pas mûres.

Nous analysions tous les données brutes de décoffrage. La situation était inquiétante. Zhaïtan se

planque peinard au cœur d’Hoelbrak ? Génial ! Soudain Lazare se leva et théâtralement :

- Ô sinistre jour. Funeste destin. Ainsi du malin

Mon cœur s’est épris, au dragon je souris !

Lazare, poète, nécromant, onitopien et humain…

Amoureux d’un dragon multitêtes, pas bien et défunt ?

Ah que je souffre, que je douille, que je meurs !

Si dans ce malheur Pan d’Orr n’a point de cœur !

Par tout ce qui est digne d’amour ! Ah non ! Je n’y crois pas !

Sous le masque du dragon, que je me parjure si je me trompe,

Et que Primordus me tripote si je me fourvoie… Ou pas,

Mais de Pan d’Orr je suis sur, à part le dragon, il n’y a que du bon !

Je n’ai pas tout saisi. Surtout le tripotage de Lazare par Primordus. Une voix familière nous fit tous

retourner et retrouver le sourire.

- C’est ma sœur.

Alia ! Et les autres, de retour. Quelle excellente nouvelle !

- Quoi ta sœur ?

- Pan d’Orr, c’est ma sœur.

- Tu te fous de nous là ?

- Si seulement…

- Sais-tu seulement que…

- Oui oui, nous étions en retrait et nous avons tout entendu. C’est la merde.

- Tu m’ôtes les mots de la bouche Alia.

- Nezu ? Où sont les autres ?

- Au bosquet du renard argenté, non loin.

- Allons-y, maintenant que tout le monde est là.

Ainsi nous partîmes tous ensemble. Chacun s’en donnait à cœur joie et raconta à son voisin les

aventures étranges et palpitantes qu’ils ont pu vivre. Ca faisait du bien au moral de tous les revoir.

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Rêves

Quoi qu’est-ce que donc ? Un squelette de lapin ? Qui marche et qui vit ? Trop classe ! J’en

veux un ! Lazare me fit le topo, c’est trop trop trop bien ! Un squelette de lapin vivant ! Par

tout ce qui brille, que le monde est beau !

Moui, enfin, s’il n’y avait pas eu la triste histoire de la maman d’Alia. Et J-A qui a cette

fâcheuse manie de jouer avec ma petite Svynge. Vilains dragons, méchants, bouh, je vais leur botter

les fesses moi, sont pas bien eux de s’attaquer à mes amis. Vont comprendre la colère d’un passif

agressif, je vous le dis ! Non mais !

Le bosquet du renard argenté. Enfin.

Des bruits de pas. Les feuillages qui s’écartent. Tous ! Ils sont tous là ! Quelle heureuse

nouvelle !

Les discussions allaient bon train et chacun se fit un devoir de partager avec les autres.

Guess remit Soupolé, qui se portait beaucoup mieux maintenant, à Pajim, toute heureuse

de retrouver sa chouette. Svynge n’en revenait pas en revoyant son oncle Parousir et s’était

précipitée à sa rencontre pour le serrer dans ses bras. Et tous, sans exception, s’épanouissait en

passant du moment avec chacun d’entre nous. Sous le regard des étoiles qui filtraient à travers les

feuilles argentées de ce petit bosquet, au milieu duquel des lucioles tournoyaient au-dessus de nos

têtes, Onitopia s’était de nouveau réunie et, l’espace d’un moment, tous les soucis s’envolèrent.

L’espace d’un moment oui. Car nous étions tous au courant de la situation maintenant, et il fallait y

trouver un remède avant que le fléau ne se répande. Nous étions les seuls dans toute la Tyrie à

connaître le mal qui sommeillait dans Hoelbrak, et nous étions en conséquence les seuls à pouvoir

intervenir, avec pour interdiction formelle de faillir. Après les résumés de chacun et tandis que les

discussions s’éteignaient progressivement, nous nous installâmes en cercle, assis à même l’herbe

fraîche, pour espérer trouver un remède. Aboune fut le premier à prendre la parole après que le

silence se soit imposé.

- Bon, ne passant pas le protocole des formalités des plaisirs que je partage à tous vous

retrouver, je pense que le temps presse. Tout le monde est au point sur la situation, mais ça

ne me coûte que presque rien de me faire un devoir de résumer la situation.

Aboune soupira. Tous n’ous l’écoutions.

- Pan d’Orr est la créature la plus surprenante qu’il m’ait été donné de côtoyer. Affiliée je ne

sais comment à Zhaïtan, c’est son pantin en fait. Mais pas un pantin classique des dragons,

non non. Pas un de ces rejetons décérébrés comme ils ont l’habitude de contrôler.

Contrairement aux autres, Pan d’Orr est libre de ses choix et de ses actes de ce que j’ai pu en

constater et de que j’ai entendu. C’est extrêmement important à préciser ! Jamais un rejeton

n’a une telle affinité avec son dragon ancestral. De ce qu’en a vu Nezu, c’est juste une

gamine comme nous l’avons tous été, totalement inconsciente de ses actes. Elle considère

Zhaïtan comme son père et ça c’est… original… En reliant les faits au parcours d’Alia, on peut

en déduire qu’elle a été enlevée par le dragon toute jeune et élevée ensuite par lui.

- Un dragon ? Élever une humaine ? C’est n’importe quoi, intervint Yaddle.

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Rêves

- Pas tant que ça Yaddle. Les dragons sont loin d’être stupides, il s’est ainsi confectionné une

sortie de secours, au cas où. Une sorte de sauvegarde s’il venait à chuter. Et c’est ce qui s’est

passé. Zhaïtan a failli, et son vif s’est projeté dans le corps de Pan d’Orr, je ne saurais dire

comment, mais c’est comme ça maintenant. Il reprend tranquillement des forces visiblement

pour s’attaquer de nouveau à notre monde une fois arrivé à maturité.

- Que pouvons-nous y faire ? Buter Pan d’Orr ?

- J’allais y venir. Si c’était aussi simple, mais non, bien sur. Pan d’Orr est comme vous, comme

moi, un être vivant qui ne demande qu’à vivre. Beaucoup d’entre nous ont vu du bon en elle,

j’en suis convaincu. Sans compter qu’Ayrin est prise en otage dans son corps, et que c’est la

sœur d’Alia. Si nous pouvions trouver autre chose…

Le silence s’était imposé, chacun cherchant la recette du remède.

- On la ligote, puis on la tabasse jusqu’à ce qu’elle crache Ayrin et Zhaïtan.

- Je suis pas sur que ça marche comme ça Parousir, vraiment pas sur.

- On la pend par les pieds alors, surenchérit Splif, plus facile pour déglutir.

- Je viens de vous dire que y’a de fortes chances que ça marche pas.

- Ah je sais, s’exclama Pajim, on lui fait manger des champignons avariés, elle vomit, on tue

Zhaïtan dans son vomi et on récupère Ayrin, après une bonne douche bien entendu.

- Pan d’Orr ne peut pas les vomir !

- Je lui fait une superbe séance de massage et de câlins pardi, elle retrouvera toute sa raison.

- Lazare… Sans commentaires.

Et tandis que les débats allaient bon train et que les remèdes étaient plus farfelus les uns que les

autres, je remémorai la situation. Comment Nezumy avait-t-il pu entrer dans sa tête. Beaucoup

d’entre nous sont entrés en contact avec elle mais jamais de cette manière. Quel a été l’élément

déclencheur. Quel a… Oh, vents et furvents, mais c’est bien sur !

- L’Onitopie, criai-je sans m’en rendre compte, en me tapant le front.

Le silence s’était radicalement installé au sein de l’assemblée.

- L’Onitopie ? émit gravement le charr du nom de Parousir. Qu’est-ce que cet artefact vient

foutre la dedans.

- Avec l’Onitopie, on pourrait rentrer dans sa tête ! lui répondis-je.

- C’est ça ouais, encore faudrait trouver ce truc. C’est une légende l’asura, ça n’existe pas.

- Bah en fait, si. On a mis la main dessus y’a quelque temps déjà.

Plus personne n’osait parler. Sauf Parousir.

- Tu te fous de moi là, tu dis avoir trouvé l’Onitopie ?

- Effectivement.

Pour le convaincre, je sortis la petite aile de ma poche. Du coin de l’œil, je vis Nezumy faire de même,

et Alia, hésitante, sortit à son tour l’orbe brillante sous les yeux émerveillés de tous. Les ailes émirent

un léger battement, avant de prendre leur envol avec une grande délicatesse. L’artefact s’assemblait

au milieu de l’assemblée, et projetait une lueur onirique au cœur du bosquet.

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Rêves

- ‘Tain, vous aviez l’Onitopie depuis le départ ? Alors là, la guilde, respect, finit par dire

Parousir, en s’inclinant.

Aboune avait les yeux aussi gros qu’une soucoupe.

- Ainsi donc il existe réellement. J’en crois mes yeux ! Comment ne fonctionne-t-il pas ?

- C’est une très bonne question Aboune. Je n’en ai aucune idée.

- Suffit de toucher la main dans qui qui qu’on veut rentrer dans la tête, intervint le Nezu.

- Ca me semble léger comme explication. L’Onitopie est décrit dans les anciens textes comme

vivant, doué d’une volonté propre.

- Ah oui ?

- Oui…

Le soleil ailé, magnifique, m’éblouissait. Je voulais garder le regard sur lui, mais la lumière

était trop intense, trop forte, blessante même. Une voix mélodieuse, harmonieuse, ni mâle

ni femelle, grave et légère à la fois, se fit entendre dans ma tête.

- Ne t’égare pas, petite rose, ne te détourne pas du rêve.

- Onitopie ?

- Oui… me souffla t-il. Dis aux autres que je vous aiderai dans votre bataille.

- Pourquoi tu ne leur dis pas toi-même ?

- Ils ne peuvent pas m’entendre. Pas encore.

- Très bien, je le ferai.

- Merci. Je veillerai sur toi. Ne cède pas au cauchemar je t’en prie, Rêveuse.

Alors que la lumière dorée faiblissait, Lianis se leva :

- Il va nous aider.

- Qui ça ?

- L’Onitopie.

- Comment tu sais ça ?

- Je le sais, faites-moi confiance.

Aucun d’entre nous n’y voyait d’objections. Moi non plus. Un truc d’Oracle probablement. Les autres

ne sont pas au courant d’ailleurs. Faudrait peut être leur en parler ? Plus tard.

- Y’a petit pépin dans tout ça, finit par lâcher Nezumy, en se grattant la tête, adossé sur son

moa rose.

- Quoi donc ?

- Ben être en contact avec la jolie dame, oui ça se fait, mais si elle coupe le contact, on est

éjecté promptement de son monde.

- Effectivement, c’est un problème.

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Rêves

- Certains d’entre nous devront rester près de Pan d’Orr pour s’assurer qu’elle ne décroche

pas, reprit Alia. Si ça ne marche pas la première fois, j’ai bien peur qu’on n’ait plus d’autres

tentatives.

- Deux équipes ? Ca marche.

- L’équipe qui reste devra s’assurer que le contact soit le plus long possible, l’équipe qui

affrontera Zhaïtan devra s’assurer de son extermination la plus rapide possible. A mon avis,

même si ça part en vrille, ne tuez pas l’enveloppe physique de Pan d’Orr, y’a de fortes

chances que ça crée des complications pour ceux qui seraient dans sa tête. Des objections ?

- Aucune.

- Alors, en avant. Que l’Onitopie nous guide !

Alors que mes amis s’ébranlaient et qu’une terrible bataille s’annonçait, que leur destin

allait se jouer sous peu, et que le destin de la Tyrie tout autant, je n’en étais pas moins

toute excitée à l’idée de retrouver ma sœur. Oui mais… Elle n’a plus de corps physique.

Qu’est-ce que ça va donner si elle jarte du corps de Pan d’Orr ?

A cette question je n’avais aucune réponse, ni des miens, les norns, familiers au sujet pourtant, ni des

sylvaris, ni d’Aboune. Rien. Je ne pouvais qu’espérer que les esprit viennent la chercher une fois à

l’air libre.

C’est pourquoi je me permis un petit détour pour adresser une courte prière à l’attention de l’esprit

perdu de la Chouette, pendant que les autres préparaient leurs affaires. Prière simple et efficace à

laquelle seul le vent et le froid mordant de la nuit bien avancée me répondirent. Rien de bien

surprenant malheureusement. Une toute autre voix fit intrusion en réponse à mes demandes.

- Vous ne le tuerez pas.

- Pardon ? J-A ?

- Vous ne parviendrez pas à tuer Zhaïtan.

- Tu te réveilles toi. Ce n’est pas vraiment la réponse à la prière que j’attendais.

- …

- Tu ne sers toujours à rien d’ailleurs. Toutes tes infos, les autres les connaissaient.

- Effectivement… Tes compagnons sont très clairvoyants.

- Alors ? On se fait dégommer par Zhaïtan dans la tête d’une gamine et tout s’arrête là ?

- Moi je peux.

- Tu peux quoi ?

- Tuer ce Zhaïtan.

- Ce Zhaïtan ?

- Chaque chose en son temps. Je suis en mesure de l’arrêter, me fais-tu confiance ?

- Tu rigoles ? Jamais je n’ai ressenti de haine aussi violente qu’envers toi.

- Bien. Bien. C’est parfait. Si tu ne le fais pas pour nous, fais le pour tes compagnons, pour ta

sœur.

- C’est un argument…

- Les lames normales n’en viendront pas à bout. Si tu me mènes droit à son cœur, Zhaïtan ne

s’en relèvera pas.

- Qu’y gagneras-tu ?

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Rêves

- La promesse de ne pas finir au Mont Maëlstrom.

- Menteuse. Il y a autre chose derrière ton marché. Vous les dragons, vous êtes pas nets.

- C’est à prendre ou à laisser Svynge. Le temps presse.

- Soit. Ai-je le choix ?

- Bien sur que tu l’as.

- Te fous pas de ma gueule. Tu sais très bien que non.

- …

- Qui s’occupe de quoi ?

- Ô, au nom de l’amour si doux.

Laissez-moi me ligoter à ma tendre.

De cadavres de toute façon, à part vous,

Je n’en trouverai guère dans cet antre.

Ficelez-moi, liez-moi à jamais à ma reine,

Unis dans la souffrance, et vous dans l’arène,

Unis dans l’amour et dans la pureté…

- Lazare, il suffit juste de rester en contact avec elle, pas de lui faire des enfants.

- J’avais bien compris.

- J’en sais rien, je préférai le préciser. D’autres ?

- Ouais, moi je reste, me répondit Parousir en s’étirant de toute sa masse. Je l’ai déjà vue se

battre à la surface la pétasse, je commence à bien la connaître. J’aurais préféré que

Chalumeau soit là, elle se battait bien mine de rien, mais je ferai sans.

- Shalimar, je te l’ai déjà dit tout à l’heure, reprit Aboune.

- Ah ouais merde, j’avais oublié.

- D’autres ?

Guess et Pug s’avancèrent après s’être concertés.

- On reste aussi.

- Parfait, avec moi ça devrait être suffisant.

- Tu ne vas pas affronter le dragon Alia ?

- Non, je n’ai pas envie de connaître ma sœur de l’intérieur. Ce n’est ce visage que je veux voir

d’elle.

- Très bien.

Svynge revenait de l’autel. Pour un regard attentionné comme le mien, je remarquai que ses yeux

brillaient d’une petite lumière bleutée très discrète.

- Tout va bien Svynge ?

- Ça va, te bile pas. Si tout le monde est prêt, allons faire du pâté de dragon !

- A vos ordres m’dame ! claqua des talons Nezumy.

Alors que le groupe se dirigeait vers l’antre de Pan d’Orr - l’auberge de la ville du coup - je ne pus

m’empêcher de remarquer un mouvement de derrière l’autel où Svynge avait adressé sa prière. Dans

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Rêves les ombres je vis sortir la tête d’un… bouquetin… Serait-ce ? Il en a l’apparence… Il disparut aussitôt,

et ce n’était déjà plus le moment de réfléchir à ça. Nos pas craquaient dans la neige gelée à cette

heure tardive de la soirée, le vent glacial soufflait et s’insinuait sous les vêtements, une chouette

lointaine se fit entendre et son hululement résonnait profondément dans nos cœurs. Avant d’entrer

dans l’auberge, je me retournai une dernière fois pour contempler ce monde. Si joli. Si pur. Nous ne

pouvions échouer. Nous n’en avions pas le droit.

La lune brillait anormalement ce soir. Son éclat en était même éblouissant. Le vent soufflait

fort. Ce n’était pas normal.

En fermant les yeux, je sentais que les éléments étaient extrêmement agités. Le vent me

chuchotait entre ses rafales :

- Ça commence.

- Qu’est-ce qui commence ?

- La grande bataille. L’avenir de notre monde.

- Qui se bat ?

- Le rêve et le cauchemar.

Légèrement déstabilisée par cette parole, mon interlocuteur s’en alla aussitôt, filant à toute allure

entre les pans des montagnes. En posant la main sur Mère Terre, je la sentis inquiète. Les animaux se

terraient dans leurs tanières sans demander leur reste. Les nuages craquèrent et la pluie se déversa

sur les paysages environnants. Je me tenais seule, au milieu des ombres, dans le silence le plus total,

trempée par la pluie, au milieu des éléments agités et inquiets.

Le rêve et le cauchemar livrés dans une terrible bataille ? Ce serait terrible pour notre monde. Car je

savais une chose…

Le rêve et le cauchemar sont intimement liés. L’un ne peut exister sans l’autre…

La destruction de l’un entraînerait irrémédiablement la disparition de l’autre…

Je suis désolée Ælwynn, accorde-moi cette seconde d’absence, laisse-moi écouter la trame de cette

bataille.

Aussi m’étais-je agenouillée dans la terre meuble, sous la pluie battante, livrée aux caprices des

éléments, pour m’unir aux rêves de ce monde, et écouter la fin de cette histoire.