Oeuvres complètes de J. de Maistre. Tome 7.pdf

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  • Oeuvres compltes deJ. de Maistre (Nouvelledition contenant sesoeuvres posthumes et

    toute sacorrespondance indite)

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Maistre, Joseph de (1753-1821). Oeuvres compltes de J. de Maistre (Nouvelle dition contenant ses oeuvres posthumes et toute sa correspondance indite). 1884-1886.

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  • OEUVRES COMPLTESDE

    J. DE MAISTRENOUVELLE DITION

    GontenantsesOEuvrespasthomes et toutesa Correspoiiaiiceindits

    TOME SEPTIMELe Caractre extrieur du Magistrat. Lettres d'un Royaliste

    savoisien. Discours Mme la marquise de Costa. CinqParadoxes. Adresse du maire de Montagnole. Discoursdu citoyen Cherchemot. Bienfaits de la Rvolutionfranaise. Son Em. le cardinal Maury. Examen d'uncrit de J.-J . Rousseau.

    LYONLIBRAIRIE GNRALE CATHOLIQUE et CLASSIQUE

    VITTE ET PERRUSSEL. DITEURS-IMPRIMEURS3 et 5, Place Bellecour

    1884

  • OEUVRES COMPLTES

    DE

    JOSEPH DE MAISTRE

  • PROPRIETE DES EDITEURS

    Lyon. Imprimerie VITTE & PERROESEL, rue Sala, 58.

  • OEUVRESCOMPLTESDE

    NOUVELLE EDITION

    ContenantsesOEuvresposthumeset toutesaCorrespondanceindite

    TOME SEPTIEME :

    Le Caractre extrieur du Magistrat. Lettres d'un Royalistesavoisien. Discours Mmela marquise de Costa . CinqParadoxes. Adresse du maire de Montagnole Discoursdu citoyen Chercnemot, Bienfaits. de la Rvolutionfranaise. Son Em le cardinal Mattry. Examen d'uncrit de J.-J. Rousseau.

    LYONLIBRAIRIE GNRALE CATHOLIQUE et CLASSIQUE.

    VITTE ET PERRUSSEL, DITEURS -IMPRIMEURS3 et 5, Place Bellecour

    1884 .

  • LE.

    CARACTREEXTRIEURDU MAGISTRATou les moyensd'obtenir la confiance publique

    DISCOURS

    Prononc la rentre du Snat de Savoie) le 1er dcembre 1784

    Do not only bind thy own hands, or thy servantshands from taking but bind the hands of suitors alsofrom offering for intergrity USED doth the one , butintegrity PROFESSEDand with a manifest detestationofbribery doth the other.

    BACON essays of great places.

  • LETTRE

    Du Marquis COSTA DE BEAUREGARD

    A l'auteur du Discours .

    Vous voulez que je vous rende compte de l'impres-sion que m'a faite-la lecture de votre harangue. Je le

    ferai, par ma foi, avec plaisir, car j'en pense tout lebien possible.

    Votre crit, mon cher ami , me parat rempli de

    penses profondes, qu'il tait bon et utile de mettre aujour et que vous dveloppez avec chaleur et noblesse.Le sujet est bien choisi, bien prsent. Le style sur-tout, est selon moi bien suprieur celui de tout ce quej'avais lu de vous ; il est habituellement nerveux, pit-toresque et simple en mme temps, c'est de la vritableloquence, on voit bien que vous avez lutt quelquefoiscontre une imagination difficile morigner.

    Mais, croyez-moi, l'on ne se gurit que trop tt desdfauts de jeunesse , il vaut mieux flatter de la mainson Pgase trop fringant, scier du bridon mme, quandil s'emporte, que d'tre oblig de lui flanquer de grandscoups d'perons pour le faire marcher.

    Quant aux obscurits, je ne devine pas quoi ellespeuvent tre bonnes, et pourquoi vous vous tes enve-lopp, comme vous dites, dans de certains passages;

  • LETTRE

    ayant la ressource de glisser au dbit sur ce qui pouvaitdplaire certaines gens, il me parat que rien n'auraitd altrer la force et la clart du texte crit. Je parle aureste ici de votre ouvrage comme s'il tait livr lapresse, mais je sais qu'un brouillard ne doit pas trejug de mme, et peine crois-je devoir, d'aprs cela,vous faire mention de quelques taches lgres que j'y aiobserves en le lisant avec l'intention d'en trouver, tachesque vous auriez vraisemblablement fait disparatre enle mettant au net.

    L'amour propre, et surtout l'amour propre d'au-teur est un ballon d'o sortent des temptes lorsqu'ony fait quelque piqre ; mais je ne crains rien avec vouspour plus d'une raison . Si vous faites quelqu'usage desnotes que je vous envoie et si, par consquent, vous lestrouvez justes, je serai fier de m'tre rencontr avectous. Je vous dirai donc que quelques pithtes s'pr-flues et quelques tournures recherches m'ont parunuire de temps en temps la nerveuse gravit du style,et y produire des ingalits qu'il vous serait bien aisd'effacer. Ce sont des mouches places par mgarde surle visage de cette aimable prude qui vient de faire sesPques. J'ai not quelques-unes de ces tournures et deces pithtes et vous dciderez si j'ai bien senti. Il enest de mme de quelques passages qui m'ont paru man-

    quer de clart et mme de justesse. Vous jugerez vous-mme mes observations que je suis fort loin de regar-der comme des dcisions sans appel.

    II suffit d'avoir essay une fois dans sa vie de met-tre du noir sur du blanc , pour avoir prouv de ces

  • DU MARQUIS COSTA M BEAUREGARD . 5

    moments cruels d'impuissance o l'expression se refuseobstinment la pense.

    Au reste, mon trs cher, une demi-page m'a suffipour noter, ainsi que vous me l'avez demand , les \-gres imperfections que j'ai cru remarquer dans votreouvrage, et il me faudrait un cahier aussi gros que levtre pour vous parler mon gr de tout ce que j'y aitrouv de beau et de bon.

    Je voussais un gr tout particulier d'avoir parlavec tant d'me et d'nergie de la dignit de votretat, que l'on ne vnre point encore mon sens autant

    qu'on devrait le faire ; d'avoir mis dans un jour frap-pant l sagesse des antiques coutumes qui garantissentnos magistrats du tourment et du danger que leurs pa-reils prouvent ailleurs de la part des solliciteurs etsurtout des solliciteuses; de montrer l'indcence etl'absurdit des discours que tiennent toujours la veilled'un arrt important tout plein de gens qui prtendentsavoir par coeur l'opinion particulire de chaque juge.

    Je me rappelle l'indignation avec laquelle j'enten-dais ces propos, dans un temps o je me trouvais moi-mme principal intress ces arrts, qu'on prtendaitdeviner d'avance, en comptant les voix pour et contre.

    Je vous sais gr surtout, mon cher ami, de votre

    vigoureuse sortie contre les solliciteurs d'expdition, et

    je vous invite bien finir et retoucher ce morceau queje crois neuf et susceptible du plus grand effet. Celui ovous montrez le magistrat tel qu'il doit tre dans la so-cit m'a paru rempli de finesse.

    Vous faites sentir merveille les cueils cuire les?

  • 6 LETTRES

    quels marche un homme appel aux graves fonctions de

    juge et qui voudrait cependant bien qu'il lui fut permisquelquefois d'tre aimable et sociable, et de goter lesdouceurs du commerce des humains. Vous tracez uneroute difficile tenir mais bonne et sre. Je sens quetout cet article a d vous coter beaucoup de soin,cependant-en le travaillant encore davantage, peut-trelui donnerez - vous plus d'effet, peut-tre y mettrez - vouseu gnral plus de concision et de force.

    Je fais grand cas du principe sur lequel vous in-

    sistez, qu'il faut qu'un homme, et surtout un magistrat,retienne au-dedans de lui-mme les deux tiers de sesopinions et se tienne quatre sur les panchements,Que de dtracteurs et d'ennemis ne se fait-on paspour avoir manifest des opinions tant bonnes quemauvaises! et en vrit le plaisir n'en vaut pas la peine,

    Je fais bien plus de cas encore de la rgle que vours

    prescrivez pour captiver la confiance publique, de s'le -ver noblement au-dessus de ses devoirs, et pour con-server jamais l' estime, d'ambitionner courageusementdes droits l' admiration ; tout ce morceau m'a parurempli de chaleur et d'lvation.

    Le compliment au premier Prsident n'est pas, jecrois, la chose laquelle vous avez attach le plus d'im-

    portance et mis le plus de soin. Les mnagements quevous avez pour sa modestie, et la gaze dont vous entor-tillez vos loges, empchent qu'on, ne devine bien pr-cisment ce que vous voulez dire ni de qui il est ques-tion. La conclusion de votre harangue me plat fort ence qu'elle montre derechef nos vnrables pres cons-

  • DU MARQUIS COSTA DE BEAUREGARD. 7

    cripts tout ce qu'ils valent, et combien ils sont en droitde s'estimer pour les vertus et la dcence qu'ils profes-sent, il est trs bien de les laisser ainsi sur la bonnebouche. Enfin, mon cher ami, je ne puis que vous rp-ter mon compliment trs sincre sur cette productionqui me parat annoncer autant de talents que d'me et

    d'nergie. Laissez dire les promeneurs de la Graude-

    Rue, et faites toujours aussi bien quand vous le pou-vez.

  • LE

    CARACTREEXTRIEURDUMAGISTRAT- ( Discours, )

    Messieurs,

    Depuis que la raison humaine perfectionne par letemps et parles travaux des sages s'est pique d'atta-cher aux choses une juste valeur, on a vu l'univers sedgoter de ces crmonies pompeuses, de ces solenni ,ts imposantes o les anciens chefs des peuples parlaientaux yeux sous peine de n'tre pas entendus : la. gnra-tion prsente ne sait plus voir dans les objets que lesobjets mmes, et toute la pompe extrieure qui lesagrandissait aux yeux de nos anctres, ne fait plusd'impression sur des hommes qui calculent tout, jus?qu'au respect.

    Cependant, Messieurs, parmi ces crmonies inven-tes par l'auguste antiquit pour nous transmettre de

    grands vnements ou de grandes leons, il en est quidoivent trouver grce devant l'esprit du sicle; et,dans ce nombre, qui pourrait nepas distinguer celle quinous rassemble aujourd'hui ?Rpte chaque anne, tourjours elle nous parait nouvelle, et le fond d'instructionqu'elle prsente doit nous la rendre jamais chre et

  • LE CARACTRE EXTERIEUR

    sacre. Oui, Messieurs , tout ce que renferme cette en-ceinte est intressant pour l'oeil du magistrat, chacundes tres muets qui vous entourent prend un langages'il est bien interrog, et publie hautement ce que voustes; il faudrait une rvolution pour anantir lestitres physiques de votre origine et de vos droits ;ils sont crits sur la pierre de cet difice, sur lesvtements qui vous dcorent, sur le mtal prcieuxqu'on porte devant votre chef, sur tous les objets quivous environnent. La puissance qui leva ce temple semanifeste encore tous les regards : de peur d'tre m-connue et pour montrer qu'elle voulait l'habiter, ellecouvrit les murs du signe de sa majest, et les siclestombant sur ces caractres augustes ont bien pu lesternir mais non les effacer. la voix de cette mmepuissance la justice sort aujourd'hui de ce nuage obscurdont elle s'enveloppe pour rendre ses oracles : elle paratsous la pourpre et l'hermine ; elle a ses rostres et seschaises curules ; la couronne des rois rayonne sur sesfaisceaux ; les siges de ses ministres carts par le res-pect font place au trne du Souverain ; toutes les anna-les se dploient, et la pense du magistrat assiste laCour des pairs.

    Mais si nos regards fixs quelque temps sur lesplaces que vous occupez se rabaissent sur cette assem-

    ble; le spectacle se tourne en leon . La loi vient d'ou-vrir les portes du palais ; elle a convoqu nos conci-toyens ; elle les a rassembls en foule autour de vous,et dans ce mme moment elle nous ordonne de vous

    parler de vos devoirs ; de relever mme avec une sainte

  • DU MAGISTRAT. 11

    libert les abus qui pourraient attrister ses regards, ettandis que nous essayons de vous crayonner quelques-uns des traits dont l'assemblage forme l'ide du vraimagistrat, le public vous compare ce tableau et jugeles justices.

    Ne soyons pas surpris, Messieurs, qu'il soit admis ce discours dans lequel nous devons nous examinernous-mmes, et nous reprocher nos fautes s'il nous entait chapp : sans doute le lgislateur a voulu nousinculquer par l le respect que nous devons ce redou-table public qui nous examine avec un oeil si pntrantet si svre. Dieu ne plaise que cette espce de ma-gistrature qu'il exerce sur nos personnes devienne ja-mais pour nous un objet d'indiffrence ou de mpris :si notre premier devoir est d'tre juste, le second estde paratre tels ; et quelle que soit, la rigueur de nos

    principes, tant que le public a le droit de n'y pas croireil a celui de nous mpriser.

    Pntr de cette grande vrit, Messieurs; notre mi-nistre veut vous parler de la dignit du magistrat ; dece caractre imposant qui certifie les vertus de l'homme

    public, et captive la confiance universelle. Au momento nous nous sommes vu plac, en quelque sorte, en-,tre vous et la nation qui vous contemple, entrand'abord par un mouvement imprieux, nous n'avons pursister au plaisir de lui montrer ce qu'elle vous doit ,en dployant sous ses yeux les titres de votre noblesse ;montrons aussi avec franchise ce que vous lui devez, et

    comment vous pouvez conserver cette dignit qui vous

    appartient ; mais, en traitant ce sujet, nous croirions .

  • 12 LE CARACTRE EXTERIEUR

    nous avilir et vous manquer en parlant de justice, dedsintressement, de probit. Oui , sans doute, Mes-sieurs, nous serions coupable si nous osions vous aver-tir de ne pas l'tre ; et s'il n'est pas indcent, il est toutau moins superflu de parler de l'intgrit devant l'int-

    grit.Mais puisque dans les corps les plus respectables, (et

    pourrions-nous y songer sans terreur) la confiance pu-blique est ingalement distribue, il est donc vrai quela conscience la plus pure et les vues les plus droitesne nous prservent pas toujours de certaines inadver-tances capables d'alarmer les esprits et d'inspirer le

    . soupon ; il est donc vrai que le mme degr de probitpeut ne pas exciter le mme degr de considration etcette vrit incontestable, digne sujet de nos mditations,semble pouvoir fournir notre Ministre quelques r-flexions intressantes. Quel autre sujet serait plus ana-logue la circonstance? Puisque dans ce jour solennel,et dans ce jour seul, il est donn nos concitoyens d'en-tendre la voix de leurs magistrats , que cette voix s'lvepour leur faire sentir tout le prix que nous attachons leur estimc . Examinons devant eux comment l'intgritseule peut n'obtenir qu'une rputation quivoque ; mon-trons par quel systme de conduite le magistrat peutconserver sa dignit et s'lever au-dessus du soupon.Ce systme de conduite que nous oserions appeler l'artde la probit, forme LE CARACTRE EXTRIEUR DUMAGISTRAT , ou, LES MOYENS D'OBTENIR LACONFIANCE PUBLIQUE.

  • DU MAGISTRAT . 1 3

    Ce serait une erreur bien funeste que celle du magis trat inconsidr qui oserait se dire lui-mme : Lors - que j'ai tenu la balance d'une main ferme tous mes devoirs de juge sont remplis. Cette erreur faitepour anantir toute la dignit du magistrat serait d'au-tant plus trange, que de tout ce qui est en vous et do:tout ce qui vient de vous, ce que le public connatremoins c'est la justice que vous lui rendez et les motifsqui vous dterminent. Tout ce qui se passe dans l'en-ceinte de ces murs est un secret pour lui, et la loi dusilence repose sur la saintet du serment. D'ailleurs,;Messieurs, quand les Siges des prteurs Seraient, en core placs dansle Forum , le spectateur, en portant ds

    jugements plus ou moins hasards sur leurs lumirs ,n'aurait souvent d'autre garant ; de leur probit que leur

    probit mme .Il est des cas sans doute (trop rares quoiqu'assez fr

    quents )o l'quit ne peut avoir deux avis ; mais com-bien d'autres aussi o Ies raisons se balancent avec une

    galit dsesprante ? Alors donc un prvaricateur pour-rait faire pencher la balance volont sans compromet-tre sa rputation : il pourrait impunment mentir ses

    collgues, sa conscience, l'univers entier : digne detous les supplices, il n'prouverait que celui desremords ; digne de tous les opprobres, il ne ferait hor-reur qu' lui-mme.

    C'est donc au sortir des tribunaux que la censureattend le magistrat; c'est l qu'elle s'attache ses paspour le suivre dans le monde et jusque dans ses foyers:attentif sur ses moindres dmarches le public tudie le

  • 14 LE CARACTRE EXTERIEUR

    juge dans l'homme : grand sujet de rflexion pour nous!lorsqu'on regardant dans nos coeurs nous n'y voyonsrien contre notre serment, nous pouvons encore exciterla dfiance et mme le mpris.

    En supposant au juge toute la probit qui l'empchede transgresser volontairement la loi, et toute.l'intel-ligence ncessaire pour la comprendre et l'appliqueravec justesse, il ne peut errer que parce qu'une influencetrangre et quelquefois ses propres affections dtermi-nent ses jugements, et alors il est sduit ou prvenu :eu parce qu'il ne connat pas la loi , et il manque descience ; ou parce qu'il ne s'est pas donn la peine des'instruire des faits et de mditer les titres , et il manqued'application.

    C'est toujours sur l' un de ces points que s'appuiele soupon, et c'est le prvenir que nous devons appli-quer toutes les forces de notre esprit.

    La sduction, l'gard du magistrat, n'est que l' art de lui persuader une opinion; et prenez garde, Mes-sieurs, qu'il n'importe nullement l'ordre gnral quecette opinion soit vraie ou fausse, car la vrit, dontles hommes prononcent le nom si hardiment, n'est au tre chose, du moins pour nous, que cequi parat vrai la conscience du plus grand nombre aprs que nous

    l' avons cherch par nos propres forces.Il n'y a point d'autre vrit aux yeux de la loi, et tout

    ce qu'on suggre est faux.D'ailleurs, Messieurs, n'envisager la chose que du

    ct de la rputation, il est certain que le magistrat estncessairement sduit dans l'esprit de tout homme qui

  • DU MAGISTRAT. 15

    peut se flatter de l'avoir persuad hors du tribunal.Votre premier soin sera donc de convaincre tous les es-

    prits qu'aucune tentative humaine ne peut avoir d'in-fluence sur vos opinions : et, pour votre honneur, Mes-sieurs, un des plus grands moyens pour arriver ce

    but, se trouve dans l'observation de vos sages coutumesconformes au plus pur esprit de nos lois. De combiende piges, de combien de malheurs elles ont prserv le

    magistrat qui veut leur obir religieusement !C'est la sagesse mme qui a mis une barrire salu-

    taire entre vous et l'homme qui vous demande justice :qu'il ne vous dise rien en particulier, et que ses patrons ;disent tout au tribunal, tel est l'usage qui peut faireoublier au philosophe cette nuit de l'aropage tantClbre par l'antiquit (l) .

    Toute sollicitations toute conversation particulireavec des personnes intresses renferme en effet quel-que chose de clandestin que la dlicatesse rprouve :elle annonce une confiance alarmante ou des esprancescriminelles,

    Et lorsque dans les affaires pineuses vous avez dci-d qu'on n'entendra pas mme la voix d'un organe d-

    (1) Areopagitae de capilalibus causis pronuntiabant , tantintegritate , ut noclu alque in tenebris , non interdi , nequeluce . causas cognoseerent ; qu , non dicentes, sed quoe dice-

    rentur, spectarent. Robert. Sthieph . Thes . voce Areopagi-tae. Vid. Lucian. de Gymnasiis. Quinet. instit. Lib . 2.c. c . 17. 18. etc.. etc.

  • 16 LE CARACTERE EXTERIEUR

    sintress parlant devant rassemble des. juges, et quel'criture vous transmettra tous les moyens des parties,la loi vient encore votre secours : elle n'admet d'critsque ceux qu'elle a marqus du sceau de la publicit, etqu'elle a prsents de sa propre main la contradictiondes parties dont ils combattent les prtentions. Tout sepasse au grand jour, et les passions humaines ne peu-vent mler leurs scandaleux excs au choc paisible desraisonnements. Maintenez , Messieurs, maintenez danstoute :leur puret des institutions qui renferment ellesseules plus de sagesse que cette foule de lois que l'anti-quit semble nous avoir transmises pour amuser l'cole!Votre tranquillit, votre libert, votre rputation repo-sent en grande partie sur l'observation rigide de cesexcellents usags : sur des points de cette importanceil n'y a point d'abus , pardonnables, et les plus lgerspeuvent conduire aux plus grands. Que la bouche des in tresss, que celle de leurs protecteurs ou de leurs amisn'osent jamais s'ouvrir en votre. prsence, pour exposerleurs droits, pour tayer leurs prtentions ; que l'cri-ture sous quelque forme qu'elle se prsente ne puissejamaisles consoler de ce silence forc : rien ne doit arri-ver vous hors du chemin trac parla loi, et les moin-dres crits qui tiendraient une autre route seraient des

    -sollicitations muettes qu'elle ne proscrit pas moins s-vrement que les entretiens suspects et qu'aucune ex-cuse, aucun prtexte ne peut faire tolrer dans notre l-gislation : semblables ces sortes d'armes que le Coderoyal a fltries, c'est apparemment pour frapper dans

    l'ombre, c'est pour se soustraire la plus lgitime d-

  • DU MAGISTRAT. 17

    fense qu'on oserait les cacher pour s'en servir . Votre

    rputation , Messieurs, vous pargnera jusqu'au dsa-grment d'avoir jamais repousser aucune de ces ma-noeuvres tnbreuses : on n'osera point les employer au-prs de vous ; car ia tmrit qui les conoit est fille dola faiblesse qui les souffre.

    Il ne faut point se faire illusion, Messieurs , sur les

    difficults que vous avez vaincre pour captiver cettefire opinion dont le suffrage vous est si ncessaire. Ilne s'agit pas moins pour vous que de persuader l'ind-pendance de vos jugements au point qu'on n'ose plusfaire aucune tentative pour les diriger.

    La sduction possde un tact intrieur aussi rel qu'i-nexplieable qui l'avertit d'avance quand elle peut vain -cre ; et l'opinion publique, parfaitement instruite sur copoint, ne voit pas trop commencer d'attaque sans sehter de croire qu'elle ne. sera point vaine. Ainsi, Mes-sieurs, .succomber serait pour nous, le plus... affreuxmalheur ; mais se voir forc de combattre en est unautre, plus grand, peut-tre, qu'on ne pourrait le croire;et si la probit qu'on nous sauve du premier, la pro-bit qu'on professe nous garde seule du second . Il fautdonc que notre caractre extrieur certifie la trempe denos mes : il faut qu'il rgne dans notre conduite quel-que chose de si lev, de si pur, de si visiblement irr-prochable que la confiance la plus audacieuse demeureprs de nous sans force et sans projets.

    De l rsulte ,pour le magistrat, la ncessit de tenirtoujours loign de lui l'homme qui attend quelquechose de son ministre, et de le repousser galement,

    T. vu. 2,

  • 18 LE CARACTRE EXTKIEUB

    qu'il veuille influer sur la justice ou sur le cours de lajustice;

    C'est surtout ce qu'il ne doit jamais perdre de vuelorsque la richesse et le crdit paraissent devant les tri-bunaux; car c'est une des folies de la fortune de croirequ'elle peut aborder ia justice comme, la faveur ; et si,dans ses tranges conceptions, elle n'ose pas tout faitvous demander des arrts comme elle les souhaite , ellen'hsite pas au moins de vous les demander quand elle,les souhaite, comme s'il pouvait y , avoir acception , decauses sans acception de personnes.

    Cependant Messieurs, si ces sortes de prtentionssont trop accueillies , la rputation du magistrat, celledu tribunal mme court le plus grand danger. De l ce

    prjug terrible trop enracin et trop rpandu ; prjugsur lequel il faudrait pleurer : qu'il n'est pas galementais tous les hommes d'obtenir justice. Ce qu'il y ad'inconcevables c'est que lorsqu'on prend la libert devous obsder, comme si vous n'aviez qu'une affaire, onose dire froidement qu'on ne demande que l'expdition,Grand Dieu ! et n'est-ce donc rien que cette expdition ?Et tandis qu'on vous demande une chose qu'on appelleindiffrente , quelle voix s'lve pour le plaideur mai-

    heureux, triste et timide victime de l'indigence, qu'onaura peut-tre fait languir, malgr toutes les prcau-tions de la loi, avant qu'il ait pu porter ses prtentionssous vos yeux, et qui attend de votre arrt le pain quelui ravit la fraudes ou que l' avidit lui conteste .

    Vous donnerez au public, Messieurs, un spectacledigne de vous en repoussant toujours avec la mme vi -

  • DU MAGISTRAT. 19

    gueur ces sollicitations indiscrtes. Qu'on vous laissedisposer de vos moments suivant votre conscience, etque l'homme dpourvu d'autres secours ne puisse aumoins tre priv de ceux qu'il trouve dans la sagessedes lois et dans le coeur de ses juges.

    Telles sont les mesures que le. Magistrat doit garderavec les hommes qui attendent un .jugement de lui; :mais la. prudence nous conduira plus loin, car les moin-dres observations sur la nature de nos devoirs nous.convaincront que, dans le monde mme et dans lesrelations ordinaires de la socit, nous avons besoind'une circonspection particulire. Cette facilit de ca -ractre, qui rend, pour ainsi dire, les avenues de notreme trop accessibles est un pige pour le magistrat. Nosliaisons dans le monde sont un des grands moyens quele public emploie pour nous juger. Trop rpandus, troplivrs diffrentes sortes de personnes, nous lui deve-nons souvent suspects, et l'attrait qui nous entrane versla socit, quoique: bon et naturel en lui-mme, doittre dirig chez le magistrat par des principes qui noussont particuliers.

    Si c'est le plaisir que nous allons poursuivre dans lemonde, nos occupations ne nous permettent d'en jouirque bien sobrement ; et si c'est l'affection des hommes

    que nous recherchons auprs d'eux, il est trop ais ettrop dangereux de se faire illusion cet gard. Que destres lgers, tourments par l'oisivet et par le besoinde s'tourdir, se prcipitent dans le tourbillon et saisis-sent au hasard le fantme de la tendresse : pour nous,Messieurs, nous devons apporter dans le choix de nos

  • 20 LE CARACTRE EXTRIEUR

    liaisons le discernement le plus svre, et, dans iacrainte de multiplier les occasions o nous pouvonsdonner prise au soupon, nous mettrons peu de nuan-ces entre l'indiffrence parfaite et la solide amiti. Amiti ! trsor du sage ! charme de la vie ! jouissancedlicieuse et presque cleste, puisqu'elle n'appartientqu' l'me et ne peut tre gote que par la vertu ! Ehbien ! Messieurs, on ose vous demander compte de cesentiment : des hommes qui tudient la nature humainedans leur propre coeur y lisent que pour le plus.lgerintrt, on peut descendre aux dernires bassesses ; surdes relations loignes,et quelquefois chimriques,entreles personnes qui vous sont chres et celles que vousallez juger,on ne rougit pas de prendre l'alarme ; la m-chancet parle l'oreille de la crdulit, et les plus in-solents soupons murmurent sans pudeur auteur del'incorruptible probit.

    Mais quoi ! faudra-t-il donc que le magistrat, trem-blant devant une foule perverse ou insense, lui sacrifieses plus chrs sentiments ? Non, sans doute.; et queserait l'univers s'il n'tait plus embelli par l'amiti ? Ilest un point difficile saisir et cependant trs rel, onous ne devons plus rien au public que mpriser seejugements pour l'avertir qu'il se trompe; mais il y a,dans ses injustices mmes ,un fond de vrit et d'inc-truction que nous ne devons point rejeter,

    Lorsque nos affections runies sur un petit nombred'hommes ont form entre eux et nous ces unions res-pectables fondes sur l'estime et la convenance, et quela plus douce habitude a resserr depuis longtemps des

  • DU MAGISTRAT. 24

    liens tissus par la sagesse, cette parent des mes aussiconnue que celle du sang, et soumise aux mmes lois,fait peu d'ombrage au public qui s'accoutume bientt la respecter.

    Mais, lorsque nos liaisons se multiplient l'excs, onne veut plus croire ces prtendues amitis qui nesont que des connaissances : ainsi , Messieurs, sachonsbraver le soupon quand il le faut, mais prenons gardeaussi que notre conduite ne l'excuse : il doit peu nousen coter pour rejeter des liens qui ne nous prsententque le masque trompeur de l'attachement, et qui nousmettant au niveau de trop de gens, multiplient les pro-jets de l'intrigue et les soupons du public par le nom-bre des vices ou des faiblesses qui nous approchent. Sile ministre des lois a su s'lever la hauteur de sesdevoirs, il se trouvera bien quelques hommes dignesde lui dont les coeurs rencontreront le sien ; mais pourceux dont rattachement, mme rel , ne saurait l'hono-rer, qu'ils demeurent aune juste distance de lui : il n'arieil leur demander, pas mme leur estime qu'il nedpend pas d'eux de lui refuser. Il sait que l'homme quicompte beaucoup d'amis n'en a point i il en aura doncpeu, mais d'une espce qui puisse lui servir de garantauprs du public, et, jouissant en paix de leur ten-dresse, c'est auprs d'eux qu'il apprendra ne pas allerchercher au loin des dangers ou des regrets.

    Et quand la prudence ne nous prescrirait pas cetterserve, nous y serions conduits par une autre consid-tion non moins puissante, c'est qu'il est trop ais quenos relations, pour peu qu'elles se multiplient, ne dro-

  • 22 LE CARACTRE EXTERIEUR

    bent quelqu'un des instants que nous lui devons. Oncompte nos pas dans le monde, et comment en serions-

    ! nous surpris ? le public ne nous pardonne rien parce,qu'il a besoin de nous estimer.

    Dans l'tat o nous servons la patrie les talents ne

    peuvent suppler au travail : il faut prvenir ou laisser ,teindre dans la solitude le tumulte des sens, forcer,l'imagination de recevoir, un frein, et marcher lente-ment la vrit . Le gnie mme ne devine pas les faits,et peut-tre il s'coulera des sicles avant qu'il puissedeviner les. lois. Mais quand le magistrat aurait t fa-voris du Ciel de dons presque surnaturels ; quand il

    pourrait voler, la vrit avec la vitesse de l'clair tra-.yers les dtours tortueux qui le sparent d'elle, il serait

    coupable, de croire trop ce prodige : l'envie ycroirait .bien moins que l'amour propre le moins aveugle ; ensorte que la prudence lui conseillerait de donner laretraite plus de moments que son devoir ne l'exigerait.

    Cependant, Messieurs, fuyons toute extrmit con-damnable." Celui qui se bannit de la socit pour la-

    quelle nous avons tous t forms, en est bientt punipar des. moeurs dures et sauvages, ou par des prjugsinsenss : ainsi , deux devoirs n pouvant jamais setrouver en contradiction, les moments o ceux d'hommeet de citoyen nous appellent dans le monde, ne sont

    point au publie : gardons-nous seulement de donnertrop d'extension aux rgles de la biensance, de con-vertir en devoir une vaine tiquette, et de prsenter le,

    spectacle si rvoltant d'un magistrat dissip.Avec ces prcautions. Messieurs, combien ces mo-

  • DU MAGISTRAT . 23

    ments rapides o nous venons nous mler aux autreshommes sont intressants pour nous ! Sachons d'abordne pas ressembler trop ce qui nous entoure, sans pr-senter des contrastes trop frappants ; car les hommes

    sont si lgers que mme en captivant leur estime , lemrite a trop perdre en offensant leurs yeux. Dbar -

    rassons la science de toutes ses pines, montrons - la pa-re de tous les charmes que lui prtent les connaissan-ces agrables . Au milieu des clats de la joie la plustumultueuse , sachons faire remarquer le sourire de laraison. Ce caractre s'loigne galement des airs va-pors de la frivolit , et de l'embarras sauvage d'un soli-taire dplac. La dcence qui nous convient est cetterserve aise qui porte sans gne des entraves qu'elle.s'est donnes, et s'avance d'un pas libre: et ferme jus-qu'aux bornes de la convenance, sre de s'arrter o :elle veut, parce qu'elle veut. C'est cette reserv , Mes -sieurs, qui plat galement au got et la vertu ; car ,pour l'honneur de l'humanit, les grces svres de lasagesse ne sont mconnues ou mprises que parl'homme galement, tranger aux grces et la sagesse.

    C'est sur le grand thtre du monde, Messieurs ,qu'on nous examine dans tous les sens : nos moindresdiscours y sont pess; on interprte jusqu' notre si-lence, et sans y prendre garde nous nous trouvons irre-missiblement jugs. Si c'est dans l'exercice de nos fonc-tions, et dans nos relations avec les personnes qui nouademandent justice, que nous devons surtout paratre,inaccessibles aux. atteintes del sduction, c'est princi-palement dans le monde ou nous, devons nous montrer

  • 24 LE CARACTRE EXTRIEUR

    Suprieurs la prvention : eh ! qu'importe la justiceque les sductions trangres ne puissent arriver nous, si nous possdons l'art fatal de nous sduirenous-mmes? si des prjugs, des prventions malheu-reuses peuvent faire illusion au juge et lui montrer labon droit o il n'est pas ?

    Or, il n'est pas de conversation dans le monde qui nefournisse au magistrat, pour ainsi dire chaque ins-tant, l'occasion de se montrer dpourvu de toute es-pce de prjugs de patrie, d'tat, de condition, de sys-tmes; en un mot, de toute sorte d'opinions du d'affec-tions capables , de lui faire porter des jugements que sonIntelligence rprouverait si rien ne l'avait sduite.

    Dira-t-on qu'il ne dpend pas de l'homme d'anantir,les prjugs qu'il a, et qu'il est fort inutile de lui dicterdes prceptes pour cacher ceux qu'il n'a pas ?

    N'examinons point, Messieurs, jusqu' quel point il.dpend de nous de dcouvrir les erreurs caches dansnos esprits, et qui sont rellement incurables tant qu'el-les nous sont inconnues.

    Mais combien de mouvements s'lvent dans l'me

    malgr la raison qui les rprouve et leur rsiste ? Corn-,

    bien de prjugs un homme a pu contracter dans l'gede l'erreur, et presque dans son berceau, qu'il a lebonheur de dcouvrir ensuite, assez tt pour les crain -dre, pour les surveiller sans relche, pour leur opposertoutes les forces de son intelligence, mais trop tard

    jour en dtruire la racine ? L'esprit les voit clairementdans l'esprit ; il les voit, il les combat, il les dteste,mais la faiblesse humaine rclame sou tribut: ils ont

  • DU MAGISTRAT. 25

    fait une impression trop profonde, et dans l'impossibi-lit d'en effacer jusqu'aux dernires traces, il ne restequ' s'en consoler avec le pouvoir de les vaincre etl'honneur d'en rougir.

    Ce sont ces prjugs, Messieurs, que nous pouvonset que nous devons cacher. Tout penchant de l'esprit oudu coeur que notre raison condamne dans nous mmesne doit jamais se montrer dans nos discours : non seu-lement nous pouvons rsister ces penchants et lesfouler aux pieds ; mais quel juge intgre ne peut pas.attester le ciel qu'ils ne sont dangereux que pour le bondroit, lorsque le hasard les fait parier pour lui ? Pour-,

    quoi doue les montrer au publie qui ne croit pas trop ces victoires, quoique la conscience et l'expriencenous en attestent la possibilit et mme la facilit ?

    Veillons sur nous mmes avec nue infatigable sv-rite l'homme ne dira rien dont le magistrat puisse serepentir. Nous parviendrons a nous possder, rpri-

    mer jusqa' ces traits; vifs et rapides, jusqu' ces deim-Mots nergiques qui sont, pour ainsi dire, les gestes dola pense, et qui l'ont trahie, avant que la rflexion ait

    pu venir son secours.En gnral, Messieurs, il est trs important pour vous,

    que vos opinions sur une. foule de points importants nesoient pas trop connues, de peur qu'on n'en tire des.conclusions sur la destine des causes portes dans lestribunaux et qui se trouvent avoir, au jugement du pu-blic, des rapports rels ou prtendus avec quelques-,unes de ces opinions.

    Car votre manire d'envisager certains objets, lors.

  • 26 LE CAEACTEE EXTERIEUR

    mme qu'elle est trs conforme la raison, peut vouscauser des dgots amers, si l'on peut s'en servir pour'pressentir vos jugements.

    Lorsque dans quelque affaire intressante on ose pro-clamer d'avance l'opinion future d'un magistrat, etmme en publier hautement les motifs, on peut tresr qu'il n'essuie cette humiliation que, parce que dansun moment o il ne s'observait pas, il aurait d garderle silence, ou parler autrement: peut tre l'aurait-il vi-te, s'il avait seulement rflchi que les discussions de

    jurisprudence vous sont rarement "permises "hors destribunaux. Ces discussions, presque toujours dplaces,fournissent en effet, dans une foule de cas, trop de ma-tire au soupon pour ses indcents commentaires surles opinions des juges, et d'ailleurs elles sont directe-rment contraires la dignit qui fait le sujet de ce dis-cours. Qu'on s'agite tant qu'on voudra ! il faudra tou-jours qu'il y ait dans l'ordre judiciaire comme dansl'ordre politique un pouvoir, qui juge et ne soit pasjug : ce pouvoir (qui sera toujours quelque part) rsidedans vous, Messieurs : seuls avec vous mmes, voustudiez la loi; runis dans le Tribunal, vous discutezla loi; mais aux yeux, du .monde, vous. tes.la loi.Ainsi, Messieurs, vous devez vous mmes de ne ja-mais oublier vos droits : l'Oracle ne dispute pas ; il pro-nonce : et si l'on voit un membre du premier Tribunaljeter ses opinions devant la critique et descendre jusqu'la contestation, l'oeil tonn cherche le Magistrat et novoit plus qu'un lgiste.

    Si le Magistrat s'accoutume peser tous ses discours.^

  • DU AGISTEAT. 27

    rflchir avec frayeur sur les suites possibles d'unmot inconsidr, refuser souvent son amour proprele dveloppement inutile de certaines ides, il aura beau-

    coup fait pour loigner le soupcon et pour tablir soncaractre.

    Il est encore une rgle fondamentale que nous nedevons jamais perdre de vue, et dont on n'aura jamaisassez exalt l'extrme importance: c'est que,toutes lesfois que les esprits s'chauffent dans le public, celui du

    Magistrat doit tre froid ou le paratre.Mille causes produisent cette fermentation qui ne

    doit jamais tre contagieuse pour nous. Combien d'o-prations politiques, combien de simples discussions

    judiciaires, lorsqu'elles roulent sur de grands intrts,agitent les esprits, les divisent et les aigrissent ? Coin-bien de prtentions opposes viennent se croiser, seheurter sur la scne du monde, et font natre de leurchoc le feu de la discorde et la fureur des partis ? Danstoutes ces occasions, que l'oeil le plus pntrant nepuisse lire ce qui se pass dans nos mes 1

    El que dirons-nous de ces poques heureusement ra-res o les esprits sont branls par l'explosion subitede quelqu'un de ces crimes tnbreux moins funestespar eux-mmes, que par les suites qu'ils entranent ? Sila main qui le commit a su s'envelopper de voiles assez

    pais pour embarrasser jusqu' l'oeil exerc de la justice;si des circonstances particulires le tirent de la fouleobscure des dlits qui ne troublent personne parcequ'ils ne sont commis que par la misre ; si le dvelopTpoment de la trame criminelle dcide ncessairement

  • 20 LE CAEACTEBE EXTEEIEUB

    de grands intrts civils ; si pour comble de malheur ilest impossible de frapper, de chercher mme le coupablesans exciter, les frmissements de l'honneur, furieuxd'avoir rougir des crimes d'autrui ; alors, Messieurs,les passions d'un petit nombre d'hommes se communi-quant de proche en proche comme un incendie rapide,vous verrez une ville entire saisie d'un esprit de ver-tige se partager, pour ainsi dire, en troupes ennemiesqui auront leurs chefs et leurs mots de guerre, et la rai-,son ne pourra plus se.faire entendre au milieu des cla-meurs fanatiques d l'esprit d parti.

    Malheur! malheur au Magistrat qui, dans ces cir-constances, oserait descendre dans l'arne, et, dgradantson caractre au milieu des partis, en pouser un aulieu de les juger tous ! Il serait irrmissiblement perdudans l'opinion publique : on dirait que pour l'branleril ne s'agit que de trouver un levier suffisant, et que saprobit vulgaire l'abandonne dans les grandes oeca-sions. Dans ces moments d'effervescence et de dlireredoublons de calme et de circonspection ; nous plai-rons mme la passion en. la faisant rougir de ses.excs.p Pour le bonheur des hommes ces rgles de..conduite.ne trouvent que rarement des applications, mais tous,les jours, et chaque instances moindres discours du .Magistrat peuvent -le montrer dans la socit tel qu'on. .dsire qu'il soit dans les tribunaux. Tantt en saisis-sant l'occasion d'immoler propos l'orgueil humain, iidira d'une voix ferme J'ai tort et montrera sonhorreur pour cette obstination perfide qui nous conduit.

  • DU MAGISTRAT. 29

    rejeter bassement la vrit parce qu'un autre nous laprsente.

    Tantt en repoussant avec indignation les sarcasmesd'un dtracteur; en protestant hautement contre lavraisemblance d'un rcit; en laissant lire au moinstrs distinctement sur son front que le bon sens necroit, pas tout ce que la politesse coute, il apprendraqu'il ne se hte jamais de croire, et que l'innocenceabsente n'a pas besoin de patron auprs de lui. On nele verra point par un mouvement impardonnable recu-ler, brusquement devant une ide nouvelle, comme s'il yavait des opinions tonnantes !

    Mais si l'erreur, prenant son calme pour de l'indiff-

    rence, s'approchait trop prs de lui, il saurait la re-

    pousser sans secousse, et l'humilier froidement, en luifaisant sentir qu'elle ne. peut s'emparer d'un espritoccup d'avance par des vrits qu'elle ne peut d-

    placer.il vite galement de paratre dans le tourbillon.

    moraliste fatiguant, ou complice frivole de la corrup-tion rige en mode. Ce milieu difficile saisir est ce-

    pendant le point dont nous ne devons jamais nouscarter. Par une inconsquence qui surprendrait, si

    quelque chose pouvait surprendre dans l'homme, onest convenu tacitement qu'on pourrait, dans les con-versations ordinaires, insulter la morale sans blesser la

    dlicatesse, rpandre l'ironie sur des objets qu'on v-nre au fond du coeur, et dfendre mme en se jouant 'des systmes qu'on rougirait d fixer sur le papier.

    Donnons, si l'on veut, cet ahus le doux nom de'

  • 30 LE CARACTERE EXTERIEUR

    Lgret ; mais sachons nous en prserver. On nous de-mande avec raison des principes de morale plus fixes etplus svres qu'aux autres hommes : si nous ne savonspas respecter dans nos discours tout ce qui mrite del'tre, nous devenons suspects ceux mmes que nousimitons. on se demande si c'est donc l Ielangage de la

    sagesse, et le vice sourit en voyant que nous parlons lesien.

    Ces principes, Messieurs, qui sont de tous les temps,acquirent une importance particulire dans le sicleo nous vivons : ce sicle qui a fait et prpar de sigrandes choses trop souvent par de mauvais moyens, sedistingue de tous les ges passs par un esprit destruc-teur qui n'a rien pargn. Lois, coutumes, systmes re-cus, institutions antiques, il a tout.attaqu, tout branl,et le ravage s'tendra jusqu' des bornes qu'on n'aper-oit point encore.

    Cependant, Messieurs, pour peu que nous ayons r-flchi sur la nature de l'esprit humain et sur les mala-dies qui l'affligent," nous verrons clairement que celuiqui pense en tout comme son sicle est ncessairement.dans l'erreur : chaque ge manifeste l'oeil de l'obser-vateur un caractre particulier toujours pouss l'ex-trme, en sorte qu'il est impossible de se livrer aveu-glment l'impulsion gnrale sans faire preuve dofaiblesse ou d'ignorance6 Le sage vraiment digne de cenom, et qui aurait honte de tenir ses opinions de lamodes connat le point o il doit abandonner ses con-=

    temporains : son esprit debout au milieu des ruines,observe le torrent, et, tandis que la multitude, masse

  • D MAGISTEAT. 3" (

    aveugle et passive, roule sans rsistance, il s'appuie surlui-mme^ et s'arrte o il faut.

    Cet tat de l'me, Messieurs, est celui dont nous de-vons nous honorer aux yeux du monde.

    Le Magistrat que ses tudes et ses rflexions ont con-vaincu de ce qu'il doit aux autres et de ce qu'il doit

    lui-mme, ne laisse pas chapper un mot qui ne puisselerecommander l'opinion publique : passant habilemententre deux cueils rapprochs, et non moins citoyenque philosophe, il rougirait galement d'tayer uneerreur ou de fronder une vrit. Jamais l'audace, la li-cence ou le paradoxe ne souillent ses discours ; et lors-

    qu'il fait parler la raison devant les hommes, soit qu'illa laisse tonner en libert ou qu'il tempre sa Voix, ilclaire toujours et n'alarme jamais. Enfin, Messieurs,lorsqu'il s'agit de captiver la confiance publique, la

    rgle qui les renferme peut-tre toutes, c'est d'aller tou-jours et sur tous les points au del de nos obligations.

    Il faut tre absolument dpourvu de noblesse et. d'-

    nergie pour ne les envisager que comme un poids acca-blant qu'il faut allger par tous les moyens qui ne sont

    pas ds crimes : celui qui dispute avec ses devoirs esttout prt les violer ; et peut-tre ne sommes noussrs de nos qualits estimables, que lorsque nous avonssu leur donner quelque chose d'exalt qui les approchede la grandeur. Pour conserver jamais l'estim du pu-blic, ambitionnons courageusement quelques droits surson admiration : accoutumons notre me tout ce qu'ily a de grand; d noble, d gnreux, et que a calomniese taise nos pieds.

  • 32 LE CRACTRE EXTRIEUR

    Cette position sublime est d'autant plus prcieusepour l'homme publie qu'elle le rassure lui-mme contretoutes les faiblesses de l'humanit.. Faisons le bien,Messieurs, quand il le faut, sans aucun motif extrieur sc'est le devoir de tous les hommes, et c'est plus parti-culirement le ntre ; mais n'allons pas nous parer d'unvain stocisme et refuser . tmrairement un des plusgrands secours qui nous soit accord pour ne tomberjamais au dessous de nos devoirs.

    Il est certain, Messieurs, que rien ne nous rend plussrs de nous mmes que la conscience, intime d'unegrande rputation.

    L'homme qui a pu s'lever enfin un degr de hau-teur o la mchancet ne l'atteint plus, voudra-t-il des-cendre dans, la fange, prostituer un nom. respect, etvendre sa gloire aux.plus viles tentations? Ah i sansdoute l'aspect du dernier supplice l'effrayerait moinsque cette humiliation.

    Accoutum aux grandes ides, pntr.de principespurs, nourri d'honneur, il n'est pas un regard -atta-ch sur-lui qui ne double ses forces; chacune de sesactions est un pacte avec le public qui l'accepte et nel'oublie, plus s toutes ses qualits-se-tournent chez luien instinct ; il fait le bien, comme il respire ; il avaincu, et ses vertus sont lui.

    Vous nous reprocheriez, Messieurs, de terminer undiscours sur le caractre du Magistrat sans nous arr-ter avec complaisance sur un des principaux traits dece caractre. Si vous vouliez en tracer le modle d'aprsvos proprs ides et l'embellir volont, sans doute,

  • DO MAGISTRAT. 33

    Messieurs, pour nous intresser d'abord par quelquechose d'imposant, vous offrirez notre oeil l'image d'unhomme form de bonne heure aux plus austres vertus,'levant travers un sicle au comble des honneurs,et portant, sans plier, les travaux et les annes. Mais,comme les traits les plus frappants d'un tableau tirenttoute leur force de cette savante obscurit qui est lechef-d'oeuvre et la magie de l'art, pour qu'il ne man-qut rien l'ouvrag de votre imagination, vous vou-driez encore, Messieurs, que tant d'honneurs et tant devertus fussent relevs aux yeux du publie par la plusmodeste simplicit.

    Et quel triomphe pour nous, Messieurs, de pouvoiradmirer ici tant d'autres modles de cette dignit quinous a fourni le sujet de ce discours de pouvoir direhardiment devant cette assemble qu'on trouverait dif-ficilement hors des Etats du grand Prince qui nous gou-Verne,.plus de dcence, plus d'amour pour le travail etla retraite, plus d'ldgnement des vaines dissipations,que parmi cette magistrature dont vous faites partie/

    Ces qualits extrieures n'annoncent rien au dehors

    qu'on ne retrouve dans vous ; et quand l'Europe nous

    entendrait, nous dirions l'Europe que pour la sciencedes lois et l'intgrit vous n'avez point de suprieurs et

    peu d'gaux. Le plus rare dsintressement relve l'-

    quit de vos dcisions, et votre profonde doctrine, res-

    treignant, autant qu'il est possible, l'empire confus de

    l'arbitraire, donne la marche de la justice toute l'uni-formit dont les choses humaines sont susceptibles.Quand nous songeons seulement la manire dont vous

    T. vu. 3

  • 34 LE CARACTERE EXTRIEUR DU MAGISTRAT.

    remplissez un d vos devoirs les plus sacrs, l'adminis-tration de la justice criminelle, le respect mme quenous avons pour nos concitoyens nous assure de celuidont ils sont pntrs pour vous. Quelle attention !quelle patience ! quelle humanit ! quel admirable trem-blement ! Votre main, accuse peut-tre de faiblesse parla frocit., ou de lenteur par l'ignorance, dans son in-faillible timidit, n'a jamais, essuj' l'opprobre d'effacerun de ses arrts, et depuis le moment de votre institu-tion jusqu' nos jours, ce glaive terrible que vous confiale Souverain, en donnant la mort tant de coupables,n'a jamais commis d'homicide.

    Il nous reste demander, Messieurs, que ces hommessi distingus .par l'importance de leurs fonctions et parla manire dont ils les exercent, viennent jurer denouveau d'tre les' premiers juges des causes dont ils sechargent, d'exercer un ministre de paix, de se gardergalement de masquer l'injustice par des sophismestudis, et de faire har l'quit en lui prtant le lan-gage des passions. Que les autres ministres de a justicepraissent leur tour et renouvellent leurs engage-ments.

    Et vous, Messieurs, jurez dans vos coeurs de vousmontrer jamais dignes de la confiance publique. Cetteconfiance est votre trsor, et celui qui n'en jouit pas nel'a point assez dsire. Si la calomni -a pu quelquefoiscouvrir la voix de l'estime, elle est muette devant la v-nration publique. Que d'autres se contentent, de cettefroide estime ;. votre gloire vous, Messieurs, et peut-tre votre devoir, est de commander le respect.

  • lETTRESD'UN -ROYALISTESAVOISIENA SES COMPATRIOTES

    PRCDEES D'UNE ADRESSE DE QUELQUES PARENTS

    Des safosesg & ta CoavcEtoit nationale

    Ovvtege imprim Lausanne 1793

    Mihi quidem scribendi causam attulit gravisMsus civilalis ; quurn ne tueri meo modo Rera-pblicaoe, nec niliil agere poteram.

    (Citer, de Dh: 1. 2.)

  • A M. le Marpis COSTAde BEAUREGARD

    Salut vous, homme de bien, sujet fidle excellentami ! A travers les barrires immmses qui nous spa-

    rent, ma pense va vous chercher et seplat s'entretenir

    avec vous. Lisez ces feuilles : je les ddie la vrit et l'honneur; elles vous appartiennent. Adieu..

    A Lausanne, mai 1793.

  • PRFACE

    Ces lettres sont le fruit des loisirs forcs d'un sujetdu roi de Sardaigne, qui s'est occup dans sa retraite

    parler raison ses compatriotes, pour se consoler dumalheur de ne pouvoir, les servir autrement.

    Feu d gouvernements ont t aussi calomnis quecelui de sa Majest le Roi de Sardaigne, Pendant quatreailles presses de France, ouvertes tous les sditieux,ont vomi une foule de pamphlets destins verser icridicule et le mpris sr ce gouvernement ; et tandisqu'on corrompait.ainsi l'opinion des peuples, personnene se crut,permis de repousser ces; attaques : les hom-mes les plus disposs se charger de cette tche hono-rable taient retenus par notre ancienne maxime de nepas crire sur le gouvernement.

    Mais les maximes les plus gnrales souffrent desexceptions commandes par des circonstances extraor-dinaires, et quoique le silence soit assez communmentla meilleure rponse qu'il soit possible d'opposer la

  • 38 PEFACE,calomnie, il faut bien se garder nanmoins de gnrali-ser trop cette rgle: dans les guerres d'opinion surtout,le silence n'est pas le grand chemin de la gloire, encoremoins celui de la sret !

    Jadis l'autorit pouvait se passer de science et l'obis-?sance de rflexion : aujourd'hui il s'est fait un grandchangement dans les esprits, et ce changement est l'ou-vrage d'une nation extraordinaire, malheureusementtrop influente.

    Lorsqu'on donne un enfant un de ces jouets quiexcutent des mouvements, inexplicables pour lui, aumoyen d'un mcanisme intrieur, aprs s'en treamus un moment, il le brise, pour voir dedans.

    C'est ainsi que les Franais ont trait le gouverne-ment.. Ils ont voulu voir dedans i-ils ont mis a dcouvertles principes politiques, Os ont ouvert l'oeil de la foulesur des objets qu'elle ne s'tait jamais avise d'exami-,ner, sans rflchir qu'il y a des choses qu'on dtruit enles montrant: ils sont alls en ayant avec la fougue quileur est naturelle : on les a laisss faire, et la force mo-rale des gouvernements a reu un coup terrible.

    Voil prcisment, la Rvolution, car les crimes et les

    exagrations passeront : ces excs ne sont pas plus navturels au corps politique, que la maladie au corps ani-mai ; ils n'ont qu'un terme, assez court mme par rap-port la dure des empires, mas trs long pour destres phmres qui passent et qui souffrent.

    Le devoir des hommes sages est d'abrger le momentdes souffrances, en formant une ligue sacre pour diri-

    ger l'opinion. Notre situation en cela est bien plus heu-

  • PRFACE,

    reuse que celle des Franais ; la rvolution est un fruittranger, que la France nous a apporte,, et qui n'est pasencore, beaucoup prs, acclimat parmi nous. Cepen-dant ,quoique nous soyons infiniment moins maladesque les Franais, nous avons la mme maladie, et il la,faut traiter par les mmes remdes. Il faut travaillersur l'opinion ; dtromper les peuples des thories mta-physiques avec lesquelles on leur a fait tant d mal ;leur apprendre sentir les avantages de ce qu'ils poss-dent ; leur montrer le danger de chercher un mieux ima-

    ginaire sans calculer les malheurs par lesquels il fau-drait l'acheter, leur montrer que, comme dans la Reli-glon, il y un point o la foi doit tre aveugle, il y a -

    de mme dans la, politique, un point o l'obissancedoit l'tre.: que la massedes hommes, est faite pour tre,conduite : que la raison mme enseigne se dfier de laraison, et que le chef-d'oeuvre du raisonnement est dedcouvrir le point o il faut cesser de raisonner.

    Telles sont les considrations qui ont engag l'auteur prendre la plume.. Il ne prtend point intresser l'uni-vers, en parlant de la Savoie : le titre de son ouvrage estassez modeste pour qu'on ne puisse lui reprocher d'tredemeur au-dessous de ses prtentions. S'il est utile ses compatriotes,!! est trop heureux : cependant, quoi-qu'il n'adresse la parole qu' eux, il peut se faire que,des trangers, hommes, de bien, prtent l'oreille en pas-sant. Le gomtre,, en .cherchant:la solution d'un pro-

    blme de peud'importanc, rencontre frquemment desformules gnrales de la plus grande fcondit; I.n.pleine chose arrive en politique ;: en traitant des droits

  • 40 ' PRFACE.

    d'une bourgade, il est possible de s'lever des idesdignes de l'attention gnrale.

    Les Lettres d'un Royaliste sont prcdes d'un autrecrit du mme auteur, et qui a prcd le premier dequelques mois. C'est l'Adresse de quelques parents desmilitaires savoisiens la Convention nationale des Fran-ais. Cet ouvrage est une de ces productions qui ontdes droits sur l'attention publique, parce qu'elles appar-tiennent des circonstances extraordinaires, et l'his-toire de l'esprit humain.- Certainement les procds des trois Assemblesaationales contre les migrs franais font horreur ;cependant on conoit ce que la passion a pu dire pour,les justifier, et de quelle apparence de justice les tyransSe la France ont pu colorer ce brigandage odieux. Maisla postrit voudra-telle croire que des cratures humaines soient parvenues teindre en elles l'humanit,la lumire naturelle, et la pudeur au point de donner onom 'migrs, et de traiter en rebelles des hommesd'honneur qui, mme avant la conqute, avaient quittune province conquise, pour se runir leur souverain

    lgitime ?Voil cependant ce qu'on a vu : voil ce qu'une poi-

    gne de vils sditieux, sortis del boue pour monter l'chafaud, ont fait ordonner dans ce court passage :voil ce qu'ils ont os mettre sur le compte de ce qu'ilsappellent la nation, en faisant crire cette excrableproscription parmi les prtendues lois de la prtendueAssemble nationale des Allobroges.

    On reconnatra dans l'Adresse des Parents cette colre.

  • PBEFACE. 4|du sentimentet cette haine vigoureuse qu'inspire touteme honnte le spectacle de l'injustice porte au dernierdegr: elle fut crite au moment o l'on commenait jeter l squestre sur les biens ds militaires : cessortes d'poques, tout honnte homme est loquent. Onvoit au reste, au premier coupTd'oefi, que cette Adressen'a jamais t destine tre prsente: certainement,il aurait fallu une assez forte dose de folie pour s'amu-ser parler raison la Convention nationale. L'ou-.vrage n'est rellement qu'un cadre "dont l'auteur s'estservi pour dvelopper quelques vrits importantes, etpour fixer des faits qui ne doivent point tre oublis.L'auteur, avait encore un autre, but: c'tait d'effrayerles coupables aveugles, qui couraient leur perte, et deleur apprendre, s'il tait possible, trembler, avant lemoment o a crainte ne pourrait plus les sauver. L'Asr.semble provisoire surtout (1) ne pourra se plaindre d

    (1) Si par hasard ii prenait fantaisie quelq'tranger desavoir ce que c'est que l'Assemble provisoire,'il" faut luiapprendre que l'Assemble nationale consliliianle des Allo-broges, aprs avoir sig huit jours, trouva tout ; coup quec'tait assez, et termina ses sances aprs avoir fait tout cequ'on peut faire de beau et de bon dans huit jours;.maisavant de se sparer, elle choisit dans son sein douze ou quinzepaires de dputs nationaux, auxquels elle confia l'exerciceprovisoire de la souverainet du peuple ; et par un coup degnie trs remarquable elle les choisit de manire se faireregretter. Personne u'ignore que la dmocratie mme de.

  • JtU'

    - 33BEFCE.

    u'avoirpas t avertie avec assez d'nergie. Ses mem-bres sont d'autant plus inexcusables, que la Convention ,nationale n'avait.rien prononc sur les prtendus mi-

    grs savoisiens. Son Comit de lgislation lui fit l'hiverdernier un rapport sur cet objet par l'organe du citoyenM.,,, et ce rapport est encore une pice tristement cu-

    rieuse; un monument inou, de l'abrutissement moral,ol'homme peut descendre lorsqu'il veut se servir de saraison pour justifier ses crimes. Mas, pour s'en tenir notre sujet, .cette- pice prouve deux faits importants,ou, pour appeler les choses par leur nom, deux crimes la charge de l Commission provisoire.

    En premier lieu, elle" avait consult la Convention surles biens des migrs, au lieu d'attendre les ordres deParis ; premier crime :. eli! de quoi s'avisaient ces Ms^sieurs; de consulter la Convention, et d'attirer ainsi son

    Chambry s'est permis de plaisant-r assez haut ces garons,Souverains ; et quelque temps avant la dissolution de ce corpsauguste par l'organisation -municipale, une demoiselle (Anne,de Maistre, soeur de l'auteur) -l'ayant anpel dans une lettrequi fut intercepte, la Mnagerie de CJmmbry, tout le monde,"fut frapp de la justesse surprenante de cette expression. Eneffet, depuis l'Arche 1de No, on n'avait rien vu d'aussi richedans ce genre : on y trouvait tout ce qui rampe, tout ce quipoe, tout ce qui mord et tout ce qui hurle; en sorte que laolleclioii tait complte depuis le serpent sonnette jusqu'audindon....

  • ipe,disait Montaigne. C'est un beau mot ! L'homme se ra-conte des histoires, et il se les fait croire ; il secommandee rire, l'admiration, la haine, etc., et il finit par croire tout cela.

    On dit souvent : Peut-on disputer aux hommes leurssensations ? En voil qui applaudissent avec fureur un,morceau de musique; quelqu'un a-t-il envie de prouverqu'ils lie ressentent pas rellement le plaisir qu'ils mani-festent ?

    II faudrait s'entendre. Mais dites-moi, je vous prie,

  • 312 QUATRIME PARADOXE,

    pourquoi l'homme ne croirait-il pas d'admirer? Il faitbien un autre tour de force, puisqu'il croit de croire,-etcela assez souvent. II se pipe.

    Plus on examine la chose, plus on est port croireque le Beau est une religion qui a ses dogmes, ses ora-

    cles, ses prtres, ses conciles provinciaux et oecum-

    niques : tout se dcide par l'autorit, et c'est un grandbien. Sr toute chose, j'aime qu'il y ait des rgles na-tionales, et qu'on s'y tienne. Si l'on coute les protestants,voil tout de suite le jugement particulier, l'intarissableverbiage, et la confusion sans borne et sans remde.Je vous cite ce vers :

    Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence,

    L'un dit : Cela peut, trs-bien se, dire.. L'autre dit:.

    Non, Monsieur, avec votre permission, cela ne peut passedire. J'arrive, moi, et;je dis : Peut-on dire ce qui faitdire, Cela peut-il se dire? Voil trois avis sur un vers ;faites une rgle de proportion, et vous verrez que, pourun pome entier, il y aurait de quoi allumer une guerrecivile. Ne serait-ce pas le comble du bonheur, qu'il yet un tribunal du Beau, charg d'accorder sans appelles honneurs de l'admiration ? Or, ce tribunal, Madame,existe rellement ; car tout ce qui est ncessaire existe.

    Quelques hommes prpondrants commencent former,l'opinion, l'orgueil national souscrit, la tradition s'ta-blit, et voila le Beau jamais fix. Si vous croyez qu'ilen existe d'autre, vous tes trompe par la faiblesse oupar la fausset des hommes. On ne saurait croire quel

  • SUR LE BEAU. 313

    point ce tribunal en impose, et combien il y a peud'hommes qui osent dire franchement ce qu'ils pensent,indpendamment des jugements tablis. Au moment oune nouvelle production de l'art vient paratre, voyezle ttonnement du grand nombre pour dcouvrir le

    jugement de ceux qui sont en possession de dcider;combien de fois le beau change pour chaque individu,avant d'tre fix ! Aujourd'hui cette comdie, ce tableau,cette statue parat superbe un spectateur qui demain

    jugera autrement, parce qu'il a entendu les juges. Jecroyais qu'elle me plaisait, dira-t-il ; mais je me lrom~.pais.

    Si ce ne sont ses paroles expresses,C'en est le sens

    Raphal, le prince des peintres, est de tous les peintres,le moins apprci et le moins sincrement admir. Leconcert unanime sur le compte de ce grand hommen'est qu'un acte d'obissance extrieur, et dans le fondun mensonge formel. Je n'oublierai de ma vie qu'ayanttmoign devant un connaisseur du premier ordre uneenvie passionne de connatre le fameux tableau de laTransfiguration, il me rpondit en souriant : Vous serezbien surpris de n'prouver rien de ce que vous attendez.Ce qu'il m'avait prdit m'arriva point nomm. On m'a

    dit: Voil le chef-d'oeuvre de .Raphal; je l'ai cru. Onm'a dit: Il n'y a rien d'gal; je l'ai cru de mme, et jele croirai fermement jusqu' la mort, avec foi et humi-lit. Mais si on m'avait montr ce tableau sur le matre-autel d'un grand village d'Italie, et qu'on m'et dit,

  • 314 QUATRIEME PARADOXE,

    Savez-vous Ifien que tous les chefs de famille se sontcotiss pour faire venir de Rome ce tableau qui est relle-ment d/un assez bon matre ? j'aurais dit: En effet, c'estbeau ; et j'aurais pass.

    La Vierge de la Seggiola me parat belle commefemme, mais point du tout comme Mre de Dieu. Je n'yvois nullement le divin idal, ou, pour mieux dire,l'idal divin; car ce qui n'est pas idal ne saurait tredivin.

    Le Saint Jean de Florence m'a certainement frapp,mas beaucoup moins que plusieurs morceaux d'autresmatres qu'on admirait dans cette fameuse Rotonde, quidepuis... mais alors elle tait respecte.

    J'ai vu des amateurs s'extasier devant un tableau deJules Romain, que j'aurais donn pour dix sos.

    Cette manire de juger est indubitablement celle de latrs-grande majorit des hommes. Je puis vous citer surce point une autorit qui nie parait, sans contredit,une des choses les plus extraordinaires qu'on puisselire.

    Qui n'a pas entendu parler du chevalier Reynolds ?Ce n'tait pas un peintre de premier ordre ; cependant iltait peintre, et de plus penseur, comme il l'a prouvdans ls discours qu'il a prononcs l'Acadmie depeinture, dont il tait le prsident, et, si je ne metrompe,aussi le fondateur. Quoiqu'il y ait trs-longtemps quej'ai lu ces discours, je crois cependant me rappeler ave3assez d'exactitude le morceau que j'ai en vue.

    Il dit donc franchement que les tableaux de Raphalne firent d'abord aucune impression sur lui ; il ajouts

  • SUR LE BEAU. 315

    que l'homme- charg de montrer ces chefs-d'oeuvre auxcurieux lui avait avou que la plupart des voyageursprouvaient le mme sentiment, et que souvent, aprsavoir parcouru les salles du Vatican, ils demandaientencore o taient les tableaux de Raphal.

    Le chevalier Reynolds observa de plus, pendant son

    sjour Rome, que les lves qui avaient le moins detalent taient prcisment ceux qui admiraient le plusRaphal; et il va jusqu' dire qu'il aurait mauvaiseide de celui qui admirerait ce fameux peintre au pre-mier abord.

    Il va plus loin, et cette confession est trange de lapart d'un peintre. Il dit qu'il eut la faiblesse de feindrel'admiration, comme les autres, et que, la grce le ga-gnant peu peu, il devint enfin sincre admirateur:il se pipa.

    D'o il conclut fort bien que la mthode la plus srepour juger les grands matres de l'art est de se figurerqu'on les trouve admirables, et qu'insensiblement onvient le croire. Excellent homme i s'il vivait encore,j'irais Londres exprs pour l'embrasser. Quand jesonge au fonds de candeur, de franchise, de probitncessaire pour un tel aveu, je suis rellement mer-veill.

    Mais puisqu'un homme de cette fore l'a fait, cetaveu, nous pouvons aisment juger de ces admirationsvulgaires qu'on appelle le sentiment gnral. On admireparce qu'on est Rome, parce qu'il s'agit d'un nomconsacr, parce que les autres admirent. En un mot5on admire sur parole, et c'est une affaire de pure auto-

  • 316 QUATRIME PARADOXE,

    rite (1). Trs peu de gens veulent se dire que le pre-mier de tous les devoirs est de dire la vrit.

    Ce qui embarrasse extrmement la question duBeau,c'est qu'il semble que le Beau ne peut ,tre ce qui ne

    plat qu' un petit nombre d'hommes. Qui a jamais.

    (l) .On m'a fait ;connatre, depuis quelque temps (l806) len 254 du. Mercure de France, o l'on rend compte, d'une,traduction franaise du Chevalier Reynolds; propos : de.l'assertion nave que les hompies les plus mdiocres taientceux gui admiraient le plus, le rdacteur dit : a J'en de-mande pardon M. Reynolds...il y a peu de gens qui n'aientpas lu ces fameuses lettres de Dupaty, etc. Elles sontfameuses en effet par l'esprit faux, le style ridicule et l'tour-derie de l'auteur, qui doit figurer dans.le temple 'de Mmoire

    ct du marquis de Langle. Mais ces lettres sont prcisenient une preuve frappante enfaveur de l'aveu honnte fait parReynolds; car je ne crois pasmensonge; admiratif aient jamais t.plus sensibles la cons-.cience d'un lecteur intelligent,.qu'ils le sont dans ce morceaude trs-mauvais got o Dupaty rend compte de l'Incendie deRaphal; il semble mme, que le rdacteur, qui fait preuvede Beaucoup d'esprit, veut s'amuser aux dpens du connais-seur. Il y a peu de gens, dit-il, qui n'aient lu ces fameuseslettres que M. Dupatycrivait au public sous le couvert deson pouse, et qui ne sachent, par consquent, de quel en-thousiasme il voulait paratre inspir, etc. La plaisanterieest parfaite ; mais, dans ce cas, je ne comprends pas bien l'ex-.pression, J'en demande bien pardon M. Reynolds, etc;|car :c'est une preuve deplus en faveur de ce qu'il a dit,

  • SUR LE BEAU, 317

    imagin de jouer un opra pour une demi-douzaine decompositeurs ? L'obligation du matre est, au contraire,d'employer les rgles pour plaire au grand nombre.N'en serait-il pas de mme de la peinture et des autresarts?'

    Que si lie Beau est exclusivement du ressort desadeptes, alors il n'y a plus de Beau dans un autre sens ;e'est--dire que le nombre de ces vritables adeptestant dans tune proportion presque nulle avec le restedes hommes, c'est comme si le Beau n'tait que du res-sort des anges. Dans ce cas, qu'importe aux hommes?

    Maisj parmi ces adeptesj combien de doutes, de con-tradictions et d'incertitudes ! Entendez-les, par exemple,parler de l'antique : c'est encore une vritable religion ;A les entendre, l'antique a un caractre que les vraisconnaisseurs sentent d'abord, et dont nous n'approche-rons jamais. Heureusement pour eux, ils jugent ordi-nairement coup sr : ce n'est pas cependant qu'on neleur ait fait de temps en temps de cruelles niches. Per-sonne n'ignore l'histoire de ce peintre romain (Casa-nova) qui fit un tableau antique, et le prsenta dmentbarbouill de terre au fameux Winckelmann. L'anti-quaire y fut pris, et pensa touffer de rage.

    Mais si l'Apollon du Belvdre sortait tout coup del'atelier d'un artiste fameux (de Canova, par exemple),portant tous les insignes de la fracheur et n'ayantjamais t vu de personne, ne doutez pas un moment,Madame, que tous les Winckelmann ne disent, commeils le disent du Perse: Aprs l'antique, il n'y a riende si beau.

  • 318 QUATIME PARADOXE,Tandis que les premiers amateurs regardaient les

    belles statues de Rome, telles que le Laocoon, l'Apollon;le Gladiateur, comme les chefs-d'oeuvre et le nec-plus-ultra de l'art humain, le clbre Mengs; comme je merappelle l'avoir vu quelque part dans ses oeuvres, ne les

    regardait que comme des copies d'originaux suprieurs.Il avait aussi son beau idal et ses rgles particu-lires;

    Seriez-vous curieuse. Madame, de savoir o nous ensommes sur les rgles du beau en architecture ? coutezle clbre d'Hancarville (1).

    Les anciens regardaient les rgles de l'architectureplutt comme des moyens subordonns aux grandesmaximes qu'ils suivaient, que comme des rgles posi-tives 1 quoique Vitruve semble les avoir dtermines, il

    parat cependant qu'elles n'ont jamais t suivies bienexactement, et peut-tre ne trouverait-on pas deux fa-

    briques antiques o les proportions du mme ordresoient prcisment les mmes ; ce qui doit tre en effet,puisque; suivant les ides des anciens, les dificesn'tant pas faits pour les ordres, mais les ordres pourles difices, il parat naturel qu'ils soient assujettis aucaractre que chaque fabrique particulire doit avoir.Ainsi, lorsque, d'aprs ces rgles que nous croyons te-nir d'eux, on juge quelques monuments antiques que letemps a respects, souvent on ne trouve que singuliersdes morceaux d'architecture dont la beaut est trs-

    (1) Antiquits etrusques; grecques et romaines, prface/

  • SUR LE BEAU.- 319

    grande, farce que l'on ne s'aperoit pas que ce ne sontpas ces grandes choses qu'il faudrait juger par nospetites rgles, mais bien nos petites rgles d'aprscelles qu'on a suivies pour faire ces grandes choses.

    Voil encore un protestant latitudinaire. Suivant ses

    principes, il est bien clair que tout le monde sera sauv.Que dites-vous des chevaux grecs de Monte-Cavallo ?

    Ils sont trs - beaux, dit Winckelmann. Ils nevalent rien, dit l'abb Dubos.

    Mais sur le cheval de Marc-Aurle il y a bien d'autres

    disputes. Falconnet le trouve rablu, pansu et fourbu : ildoute mme que les anciens aient su faire les chevaux.

    Les amateurs de l'antiques comme on l'imagine bien,-se rvoltent contre ces blasphmes, et quelques-unssont alls jusqu' dire que la nature elle - mme ne savaitpas faire les chevaux il y a mille ans ; de manire quel'art est irrprochable, et le tort tout elle.

    Si l'on objecte en particulier que la tte de ce chevalse rapproche plus de celte du boeuf que de celle dumouton, les juges rpondent que cela est une beaut^pare que les chevaux arabes, les plus gnreux de l'u-nivers, ont la tte bovine.

    En un mot, c'est le plus beau cheval connu qui soitsorti des curies de la sculpture ancienne et mo-derne (4). C'est un Italien qui a prononc cet oracle.

    (i) Esso il pi espressivo di quanti finora sieno uscitidalle Scuderie degli scultori antichi e moderni a noi noti.(Dell Arte di vedere nelle belle arti. Genova, 1786, in-8, p. 18.)

  • 320 QUATRIME PARADOXE,Et quant celui de Faleonnet, qui est Saint-Pters-

    bourg, j'ai entendu des connaisseurs le traiter (peut-tre par esprit de reprsailles) de grande sauterelle.Apprenez, mortels, respecter les dieux !

    Puisque nous en sommes aux dieux, seriez-vous ci-

    rieuse, Madame, de savoir comment ce juge intgre,que je viens de citer, apprcie le fameux Michel-AngeBuonarotti?

    Commenons par le Mose : c'est une tte de satyreavec des soies de porc ; c'est un effroyable dogue enve-lopp dans les habits d'un boulanger. C'est donc ainsique vous reprsentez ce grand lgislateur, qui en taitau tu et au foi: avec messire Bondieu (1) !

    Sa Vierge de la Compassion est vritablement un pro-dige. Une Vierge qui n'a pas dix-huit ans, portant surses genoux un Christ mort qui en a trente-trois, et sansavoir l'air d s'en apercevoir; petits pieds, petitesmains, petit minois, avec des paules et une taille deblanchisseuse ; un bras dboit par-dessus le march :c'est vraiment un groupe de prodiges.r Est-ce un Christ ou un coupe-jarret qui a l'air d'em-poigner cette croix pour faire un mauvais coup ?

    Enfin, j'en demande trs-humblement pardon auxidoltres ; mais je trouve Michel-Ange pre, dur, ex-travagant, exagr, petit, grossier et manir ; ce~qui

    (1) Si caratterizza cosi un lgislature che par la da tu a tucon messer Domnedio? (Dell' Arte di vedere nelle bellearti,p.3).

  • SUR LE BEAU. 321

    est trs-remarquable car toutes ses figures sont jetesdans le mme moule, et celui qui en voit une les voittoutes (1).

    Quant l'architecture, c'est bien pire encore : Romepasse pour la capitale des beaux-arts, elle ne l'est quepar comparaison ou par prjug ; elle a voulu ressusci-ter chez elle l'architecture grecque, et Cette architecturen'est pas plus grecque que le pape n'est archonte. Elleest infrieure la gothique, qui au moins avait uncaractre elle... Le beau trait de gnie d'avoir lancle Panthon dans les airs, pour en faire une coupoleavec sa coupolette, ses coupolines et ses coupolinettes (2) !Saint-Paul hors des murs (3) est rellement plus rgu-lier, plus architectonique que Saint-Pierre : en sortequ'au sicle de Constantin, lorsque l'art tait mort, onen savait plus qu'au temps des Jules et des Lon dans lesicle si vant de la rsurrection des arts, opre par legnie du trois fois divin Michel-Ange.

    Les anciens mettaient la mosaque sous leurs piedsau lieu de briques. Nous en abusons, nous, pour enfaire des tableaux. Saint-Pierre s'en pavane, et l'on neveut pas voir qu'il ne possde en cela que de vilainescopies de copies (4) ; il est vrai qu'elles sont ternelles,mais tant pis. Le mauvais ne saurait passer trop vile.

    (1) Dell' Arte, etc., p. 4, 8, 9, 16.(2) Cupolu con cupolino, con cupolelle et cupolucce, ibid.,

    p. 106.(3) Galetas au rez-de-chausse, dans le genre grandiose.(4) Copiacce di copie. Dell' Arte, etc., p. 303, 115, 116.

    f. VII. 21

  • 322 QUATRIME PARADOXE,Demandez aux grands amateurs l'ge des pierres gra-

    ves trusques. Gori et les savants franais qui ontpubli la collection d'Orlans vous rpondront que cesmonuments atteignent et surpassent mme l'poque de la

    guerre de Troie. Winckelmann, raisonnant en partieu-. lier sur cette fameuse pierre de la collection de Stoch,

    qui reprsente cinq des sept chefs devant Thbes et quia tant exerc les antiquaires, dcide qu'aucune pierregrecque ne l'gale en antiquit. Mais d'autres infaillibleslui ont prouv que la date en doit tre recule jusqu'aucinquime sicle de Rome. Le pre Antonioli dit Winc-kelmann de si bonnes raisons sur ce point, que cedernier n'osa pas y rpondre (1). Il ne s'agit gure quede mille ans, comme vous voyez: enfin, Madame, par-tout je trouve l'autorit d'une part, la condescendance,la lassitude ou l'insouciance de l'autre ; mais nulle partje n trouve de principe sr, auquel je puisse m'attacher:tout est douteux, tout est problmatique. Si les anciensrevenaient au monde, ils, riraient peut-tre du culte quenous leur rendons. Le beau europen est nul pour l'oeil

    asiatique, et nous-mmes nous ne savons pas nous ac-corder. Nous en appelons l'antique ; mais l'antiquemme n'est prouv que par la rouille et la patine. C'estla date qui est belle ; ds qu'on en peut douter, le beaus'vanouit. Il semble que l'imitation de la nature offreun principe certain ; malheureusement, il n'en est rien,car c'est prcisment cette imitation qui fait natre les

    (1) Lanzi. Saggio di lingua etrsca, etc, t. M, p. 177

  • SUR LE BEAU. 323

    plus grandes questions. Il n'est pas vrai, en gnral, quedans les arts d'imitation il s'agisse A'imiler la nature ; ilfaut l'imiter jusqu' un. certain point et d'une certainemanire. Si l'on passe ces bornes, on s'loigne du beauen s'approchant de la nature Si quelqu'un parvenait imiter sur le plat un tapis de verdure avec des mat-riaux convenables au point de tromper un animal quiviendrait brouter, il n'aurait fait qu'une chose curieuse ;mais que Claude Lorrain ou Ruysdal imite cette mmeverdure sur une toile verticale avec Quelques- poudres,vertes, jaunes, brunes, dlayes dans de l'huile, cetteimitation, qui sera mille Heues.de la premire pour lavrit, sera une belle chose, et on la couvrira d'or. Ils'agit donc toujours de savoir: 4 ce qu'il faut imiter ?.2 jusqu', quel point il faut imiter? 3 comment il fautimiter ? Or, sur ces trois points, les nations^ les coles^ni mme ls individus, ne sont pas d'accord. Je finirai pardeux textes remarquables. Le premier sera, ne vous d-plaise, de Cicron; Le comble de l'art (dit-il), c'est la grce;et la seule chose que l'on ne puisse pas enseigner, c'estla grce (1). La seconde sera de Winckelmann, qui s'estlev perte de vue pour nous dire ce que vous allezlire (2) : L'ide positive de la beaut exige la connaissancede l'essencemme.du beau ; et rien de plus difficile pn-trer que ce mystre ; car, nos connaissances n'tant quedes ides de comparaison, la beaut ne saurait tre corn-

    Ci) De l'Orateur, liv. I, chap, xxix.(2) Histoire de l'art, liv. i, chap. II.

  • 324 CINQUIME PARADOXE,

    pare rien de plus lev qu'elle. Ceci devient trs-

    srieux, Madame ; au point mme que, dans la justecrainte de glisser hors des paradoxes, je finis brus-quement. .

    '

    CINQUIME PARADOXE

    La rputation des livres ne dpend point de leur mrite,

    tes livrs ressemblent aux hommes: la protectiontient souvent lieu de mrite; jamais le mrite ne peutsepasser-de protection. :

    Mille circonstances totalement trangres au mrited'un livre en font la rputation; Si l'ouvrage nat aumilieu de ces circonstances favorables ; s'il flatte, parexemple , l'orgueil d'une grande nation 5 s'il attaque deshommes puissants; si de grandes passions setrouvent in-tresses le louer, un concert unanime le portera auxnues : au milieu du fracas des applaudissements, onn'entend point les rclamations; et lorsqu'on commenceaies entendre, il n'est plus temps, car il y.'a nnepres-cription .sur ce point comme sur d'autres plus impor-tants.

    Le plus grand dfaut du Voyage autour de machambre, c'est de n'avoir pas t crit Paris ou Londres. J'honore infiniment le nom de mademoiselle

    Rapous (voir chap. XXXI du. Voyage autour de machambre) ; mais- quelle diffrence avec cette fameuse

  • SUR LA REPUTATION DES LIVRES. 323

    Berlin, qui disait un jour si gravement : Hier, j'ai faitun travail avec la reine. Je ne sais quelle magie envi-ronne les grands thtres et les grands peuples quireprsentent sur ces thtres ; cette magie lve tout,agrandit tout, et, sans qu'on sache l'expliquer, les rpu-tations semblent avoir une certaine proportion avec lapuissance publique.

    Vous avez donn des larmes bien honorables l'aima-,ble Eugne; mais, quoiqu'il aitappartenu tout ce qu'ily a de distingu dans sa patrie, croyez-vous,Madame,que s'il avait mis eu deuil Une famille puissante dansun puissant empire, le pinceau qui vous a transmis sestraits n'et pas: obtenu plus de succs, sans, avoir plus,d mrite?: Il n'y a pas d ville catholique qui n'ait son patron ouqui ne l'eut (car j'en doute dans ce moment); mais quelle:procession tait connue dans le monde Comme celle de-sainte Genevive ? Hlas ! les saints de village doiventprendre leur parti, et se promener incognitoIl est impossible que vous n'ayez pas entendu beau-

    coup parler des Lettres provinciales, de ces fameuseslettres dont Bourdaloue a fait, une si bonne critique envingt monosyllabes (1). Eh bien!. Madame, tenez poursr que, si elles avaient t crites contre les rvrendspres capucins, personne au monde n'en aurait parl.

    (1) Ce qu'un seul mal dit, tous l'ont dit; et ce que tous,ont bien dit, nul ne l'a dit,

    BOURDALOUE

  • 326 CINQUIME PARADOXE,

    Il n'y a pas, du moins en France, de plus grande r-

    putation que celle de Montesquieu ; mais c'est que, dans

    ce genre, il n'y eut jamais d'homme plus heureux. Toutse runit en sa faveur. Une secte puissante voulut abso-lument l'adopter, et lui offrit la gloire comme un prixd'enrlement Les Anglais mme consentirent lui

    payer en loges comptants son chapitre sur la constitu-tion de l'Angleterre. Pour comble de bonheur, il fut mal

    attaqu et bien dfendu ; enfin, ce fut une; apothoseMas allez dans d'autres pays : cherchez ds savants froidset calculateurs, sur qui surtout le style n'exerce aucune

    espce de sduction, et vous serez :tout fait surprise-d'entendre dire que. l' Esprit des lois est un livr perni-deux, mais gui a fait cependant beaucoup, d bruit par la

    grande, rudition 'qu'on y remarqu, et par je ne saisquelle runion de choses.

    L'loge est maigre, comme vous voyez; cependantcelui qui jugeait ainsi fut, sans contredit, l'un ds:hommes les plus illustrs qui aient honor le sicle quivient de finir. Je n'en vois, pas mme qu'on puisse lui

    opposer pour retendue et la varit des connaissances,si l'on excepte les deux gants qui ont vu c sicle,mais qui appartiennent l'autre. Il tait tout la fois

    grand gomtre, grand astronome, grand mta physicien,grand littrateur et grand pote ; parfaitement dsint-ress d'ailleurs, et trs-attach aux bons principes. Il ne

    manquait rien, ce sembl, cet homme pour juger sai-nement ; aurait-il, par hasard, rendu justice au livre ?Je n'en sais rien ; mais ce que je sais certainement, c'estque vingt pu trente juges de cette forc et de cette opi-

  • SUR LA; RPUTATION DES LITRES. .327

    nion, s'ils s'taient- trouvs Paris au.moment o l'ou-vrage parut, l'auraient tu sans ressource (1).

    Savez-vous, Madame; quel est le livre du dix-huitimesicle qui mrit le moins sa rputation ? c'est prcis-ment celui qui est le plus universellement vant : c'estl'Essai sur l'entendeinent humain, de Locke.; Tous lesgenres de dfauts;sont runis dans cet ouvrage. Superfi-cialit continue sous l'apparence de la profondeur, pti-tions de principes, contradictions palpables, abus demots (tout en reprochant cet abus aux autres), construc-tions immenses appuyes sur des toiles d'araignesprincipes funestes, rptitions et verbiages.insuppor-tables, mauvais ton mme, afin que rien n'y manque; Iln'y a, par exemple, rien de si fade que ce dbut deLocke Voici, cher lecteur, ce quia fait le divertisse-

    ment de quelques heures d loisir que je n'tais pas d'humeur employer autre chose..-Si vous prenez seulement la moiti autant de plaisir lire monlivrer que j'en ai eu le composer, vous n'aurez pas, je crois, plus de regrets votre argent (2) que j'en eus , ma peine, ,etc..

    (1) Un crivain vritablementantique, quoique vivant, adit, depuis, que l'Esprit des lois tait le plus profond des.livres superficiels. Prcdemment il avait dit dans une pa-renthse, aprs avoir cit une polissonnerie qu'on lit dans cefameux livre : Comme l'a dit plaisamment, dans l'Espritdes lois, l'auteur des Lettres persanes, .

    (2) Quelle odeur de magasin ! '

  • 328 CINQUIME PARADOXE,

    Ce prambule serait peine supportable la tte deGrisclidis ou de Barbe-bleue.

    Or, vous plat-il savoir. Madame, comment s'est faitecette rputation ? Je vais vous expliquer ce mcanisme,comme je vous dmontrerais une montre rptitionou un mtier bas.

    Au commencement du dernier sicle, les hommessuffisamment dgrossis par le protestantisme taient tout

    prts pour l'impit. Bayle avait lev l'tendard, et detous cts on apercevait une fermentation sourde, unervolte de l'orgueil contre toutes les vrits reues, et un

    penchant gnral se distinguer par l'indpendance etla nouveaut des opinions.

    Locke parut; et, avec l'influence que lui donnait soncaractre trs-estimable, une rputation mrite," etl'autorit qu'il tirait d'une grande nation, il 'dit auxhommes, ou il leur redit (car il n'y a pas de foliequi n'ait t dite), "que toutes nos connaissancesnous viennent: par. les sens, et que l'intelligencehumaine n'est qu'une chambre obscure, (ce sont sestermes);

    Que nulle ide de bien ou de mal, de vice ou devertu, n'est originelle dans l'homme, produisant, pourtablir cette maxime, toutes les turpitudes du genrehumain recueillies dans les voyages, comme on pro-duirait la nosologie du sauvage, pour prouver qu'il n'y a

    point de sant ; Que les hommes ont invent les langues , d'o il

    suit qu'il fut un temps o ils ne parlaient pas ; Que c'est manquer de respect Dieu et borner sapuis-.

  • SUR LA REPUTATION DES LIVRES. 829

    sauce, de soutenir qu'il ne peut pas faire penser lamatire;

    Que la pense, enfin, n'est qu'un accident de cetteme, qui peut tre matrielle.

    L'Europe, demi gangrene, but cette doctrine avecla plus fatale avidit. Les matrialistes en ont fait leursdlices. Ils ont traduit, abrg, expliqu, commentl'Essai sur l'entendement humain ; ils l'ont surtout ensei-gn la jeunesse ; ils auraient voulu, comme madamede Svign l'a dit d'un livr un peu diffrent, le faireprendre en bouillon .

    Locke est fameux parce que nous sommes abrutis, etnous le sommes surtout parce que nous l'avons cru.

    Malheureusement une rputation ainsi tablie est dif-ficilement branle. Elle dure d'abord pour une raison laquelle on rflchit peu : parce qu'on m lit plus le livre.Vous connaissez Paris, Madame, et vous savez commenty vivent les gens de lettres: dans ce moment, croyez-vous qu'il y en ait beaucoup de capables de se placer de-vant leur pupitre pour lire bravement d'un bout l'autre,et la plume la main, un in-quarto mortellement en-nuyeux? Qu'en pensez-vous? Dirons - nous: Il en estjusqu' trois que l'on pourrait nommer? Si vous voulez !Mais ce que je puis vous assurer, c'est que des auteursfranais, qui citent Locke, qui le louent, qui l'expliquentet qui s'appuient de son autorit, peuvent tre convain-cus, par leurs propres ouvrages, de ne l'avoir pas lu.

    Et la prescription, Madame la marquise, la prescrip-tion dont je vous parlais tout l'heure, ne suffit-elle paspour terniser l'opinion la moins fonde dans son ori-

  • 330 CINQUIME PARADOXE,

    gine ?Une rputation faite dure parce qu'elle est faite.Le Vilain qui vient d'acheter votre chteau est ridicule

    dans ce moment ; mais attendez qu'il ait plac son petitchiffre sur le portail, la place de vos besans et de vos

    merlettes/.qu'on l'ait vu souvent entrer et sortir, que sa

    femme, ses filles, sa tante et ses cousines aient appris marcher courageusement sur vos parquets, et que lesombres de vos aeux, troubles parle tapage ignoble dequelque manufacture, aient la fin totalement dsertCes donjons ; alors, Madame, c'est vous qui seriez ridi-cule si vous veniez soutenir que le nouveau propritaireest un voleur ; chacun dirait : Quel paradoxe !

    La puissance qui donne une rputation est la mmeque celle qui a donn votre terre: c'est LA NATION.

    Si Locke est un jour mis sa place, ce miracle salu-.taire ne pourra s'oprer que parl