Oeuvres complètes de J. de Maistre. Tome 10

574

Click here to load reader

description

Joseph de Maistre

Transcript of Oeuvres complètes de J. de Maistre. Tome 10

  • Oeuvres compltes deJ. de Maistre (Nouvelledition contenant sesoeuvres posthumes et

    toute sacorrespondance indite)

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Maistre, Joseph de (1753-1821). Oeuvres compltes de J. de Maistre (Nouvelle dition contenant ses oeuvres posthumes et toute sa correspondance indite). 1884-1886.

    1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitslabors ou de fourniture de service.

    Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

    2/ Les contenus de Gallica sont la proprit de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code gnral de la proprit des personnes publiques.

    3/ Quelques contenus sont soumis un rgime de rutilisation particulier. Il s'agit :

    *des reproductions de documents protgs par un droit d'auteur appartenant un tiers. Ces documents ne peuvent tre rutiliss, sauf dans le cadre de la copie prive, sansl'autorisation pralable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservs dans les bibliothques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signals par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invit s'informer auprs de ces bibliothques de leurs conditions de rutilisation.

    4/ Gallica constitue une base de donnes, dont la BnF est le producteur, protge au sens des articles L341-1 et suivants du code de la proprit intellectuelle.

    5/ Les prsentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont rgies par la loi franaise. En cas de rutilisation prvue dans un autre pays, il appartient chaque utilisateurde vrifier la conformit de son projet avec le droit de ce pays.

    6/ L'utilisateur s'engage respecter les prsentes conditions d'utilisation ainsi que la lgislation en vigueur, notamment en matire de proprit intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prvue par la loi du 17 juillet 1978.

    7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute dfinition, contacter [email protected].

  • OEUVRESCOMPLETESDE

    IDE MAISTRENOUVELLE DITION

    Contenantses OEuvresposthumeset lentesa Correspondanteindite

    TOME DIXIME

    CORRESPONDANCEII

    1806 1807

    LYONLIBRAIRIE GNRALE CATHOLIQUE et CLASSIQUE

    V1TTE ET PERRUSSEL, DITEURS-IMPRIMEURS3 et 5, Place Bellecour

    1885

  • OEUVRES COMPLETES

    DE

    JOSEPH DE MAISTRE

  • PROPRIETE DES EDITEURS

    Lyon. Imprimerie VITTE & PERRUSSEL,rue Sale, 58.

  • OEUVRESCOMPLTESDE

    J. DE MAISTRENOUVELLE DITION

    Contenait les OEuvresposthumeset toutesa Correspondanceindite

    TOME DIXIME

    CORRESPONDANCEII

    1806 1807

    LYONLIBRAIRIE GNRALE CATHOLIQUE et CLASSIQUE

    VITTE ET PERRUSSEL, DITEURS-IMPRIMEURS3 et 5, Place Bollecour

    1885

  • LETTRESDE

    J. DE MAISTRE

    132

    Mmoire.

    Saint-Ptersbourg, 21 dcembre 1805(2 janvier 1806).

    Aprs la noble rsolution prise par S. M. I. et la sen-sation qu'elle a faite en Europe o l'on s'est accoutumen peu de temps regarder l'Empereur de Russie commeun sauveur, rien ne serait plus dangereux que de levoir se dsister brusquement d'une si noble entreprise ;il causerait trop de chagrin au bon parti et trop de joieau mauvais, qui malheureusement est trs nombreux.

    On a perdu une bataille, ou pour mieux dire, on nel'a pas perdue; mais des circonstances bizarres ontamen quelques inconvnients d'une bataille perdue. IIfaut dire quelques, parce qu'on n'a perdu que du terrainet que l'opinion est demeure intacte en faveur desRusses et de leur grand Souverain. L'honneur tant

    T. X. 1

  • 2 MMOIRE.

    donc sauv et la perte en hommes n'tant qu'une gouttede sang pour la Russie, rien n'est perdu, pourvu quel'entreprise soit suivie avec l'activit et la persvrancequi conviennent la dignit de S. M. L; mais, dans lecas contraire, les suites seraient terribles dans l'opinionpublique.

    Cette opinion mrite dans ce moment une attentionparticulire cause du parti franais qui est trs nom-breux et trs dangereux Saint-Ptersbourg.

    Les bons Russes disent assez communment que lecaractre de la nation carte d'elle l'ide mme de la

    corruption, et que sa fidlit est inbranlable : c'est toutcomme si l'on disait qu'une maison est incombustible. A.la bonne heure qu'on s'applaudisse de sa constructionsolide ; mais il ne faut pas moins, craindre les incendieset ne jamais badiner avec le feu.

    Et quand la nation serait l'abri de toute espce desduction, dans tout ce qui touche la fidlit et mmeau zle de l'allgeance, serait-elle pour cela l'abri des

    erreurs, des soupons, des terreurs paniques, et de mille

    prjugs qu'on sme sans relche au milieu d'elle pourgter l'esprit national.

    En Souverain tel que celui qui gouverne la Russie nedoit rien ignorer, il doit savoir ce que le parti franaisose dire dans sa capitale : Que les Russes viennent d'ap-prendre Olmlz que leur valeur ne peut plus tenir devantcelle des Franais, soutenue par une tactique infinimentsuprieure. Que l'arme a fort bien compris que son ma-tre regardait la partie comme perdue ; que le dogme de laPrdestination, qui rendait jadis le soldat russe invincible

  • MMOIBE. 3

    tait sur le point de tourner contre la Russie mme, vu

    que le soldat de cette nation commenait regarder la

    puissance et les succs de Bonaparte comme le rsultai d'undcret divin.

    Si quelqu'un regardait ce point comme peu important,il faudrait louer sa confiance beaucoup plus que sa p-ntration.

    Or, ces insinuations et mille autres plus perfides peut-tre nous environnent de toute part, circulent danstoutes les socits, remplissent la capitale, et se dbor-dent de la manire la plus funeste dans les papierstrangers (1).

    Ceux qui voient le danger tel qu'il est et o il est, ne

    comprennent pas comment il n'existe aucune terreur :mais il est bien incontestable, au moins, que ce momentest un des plus dcisifs pour S. M. I. et qu'il n'y a riende plus important pour Elle que de signaler son carac-tre la face de l'Europe et d'agir sur l'opinion qui re-culera ncessairement si elle n'avance pas.

    Voyons donc (en protestant d'abjurer le ton dogma-tique) les ressources qui restent l'Europe, et l'Em-pereur de Russie qui jouit du vritable honneur d'entre le centre.

    La Prusse fixe la premire tous les regards. Deuxchoses sont essentiellement ncessaires avec elle. Lui

    (1) On pourrait dire des choses plus frappantes si le zlehonnte qui se rend volontiers indicateur pouvait se rsoudre tre dlateur.

  • 4. MMOIBE.

    montrer une confiance parfaite, et n'en avoir point dutout. Ce serait ne savoir rien en politique que de s'ap-puyer sur la loyaut personnelle du caractre de sonSouverain. Il y a quelquefois des caractres de fer quimnent tout et sur qui par consquent on peut appuyerde grandes spculations. Mais ce n'est point ici le cas ;en respectant tout ce qui doit tre respect, il ne faut

    cependant considrer que trois choses : 1 Les maximesconnues du Cabinet ; 2 le caractre des hommes in-fluents ; 3 (par dessus tout peut-tre) la moralit desinstruments qu'il emploie.

    Cela pos, tout se rduit deux mots : peur et profit.En premier lieu, il faut que la Prusse soit persuade(et il est fort ais de faire natre cette opinion), qu'au pre-mier mouvement de sa part du ct de la France, l'Em-pereur commencerait contre sa voisine une guerre mort, et c'est en effet ce qu'il faudrait faire par tous les

    moyens franais. La Prusse est bien moins redoutablecomme ennemie que comme neutre. C'est Berlin qu'onpeut attaquer Paris: mais il faudrait s'carter des routesbattues, et faire bien comprendre, en attendant, qu'unenation puissante prenant une fois sur elle de sortir desroutes battues du droit public, force les autres de s'encarter de mme, et que si elle ose teindre les souve-rainets et disposer des pays conquis, les nations, sesrivales, sont obliges de l'imiter en vertu de la grandeloi du salut public, et de se procurer ainsi des frontires,des hommes et de l'argent pour la combattre avec avan-tage.

    Un contraste brillant donnerait un effet particulier

  • MEMOIRE. 5

    ces menaces, lorsque la Prusse verrait se dployer d'unautre ct les sentiments nobles et magnanimes naturels S. M. I., et toutes les forces de l'Empire s'branlantpour la soutenir.

    Quant au profit, c'est d'abord l'Angleterre qu'ilappartient de faire agir ce ressort. Il faut acheter laPrusse et ne marchander que mdiocrement. Mais l'An-gleterre et la Russie, de concert, doivent faire, ce quiparat, un pas de plus. Il faut montrer ce Cabinet unappt dans la supposition du succs. Celui qui paieraitcette prime (quel qu'il ft) ne pourrait raisonnablementse plaindre. L'amputation en elle-mme est un mal ;mais, pour sauver le corps, c'est un bien. Au reste cettemesure est d'autant plus ncessaire qu'il n'est pas pos-sible de douter que, dans le moment prsent, Bonaparte,libral comme tous ceux qui donnent le bien d'autrui,n'ait dj fait la Prusse des offres de ce genre.

    L'Autriche mrite aussi une grande attention dansl'tat o elle est. Certainement elle a eu de grands tortsenvers la Russie. Mais le fort, envers qui l'on a des torts,a beau jeu pour se faire aimer ; il ne faut pas ngligercet avantage. Le caractre russe, naturellement exaltdans le premier moment, s'est dploy d'une manireterrible contre l'Autriche. Les haines nationales ne pro-duisent que du mal. Peut-tre que S. M. I., dont l'influencesur les esprits est si rapide et si sre, ferait une chose

    digne de sa haute sagesse en rprimant, par quelquesmots placs propos, ce dbordement de plaisanteries etde reproches contre l'Autriche. Tout n'est pas perdu de cect. L'Empereur est libre encore. Les Archiducs, sur-

  • 6 MEMOIRE.

    tout l'Archiduc Charles, sont pleins de bonnes penseset pourraient tre abords. Quant aux peuples, il leurarrivera ce qui est arriv partout : d'abord, les sots, lesmcontents et les vauriens s'avancent au-devant des

    Franais, et produisent un certain mouvement quiressemble la satisfaction populaire : mais bientt le

    joug s'aggrave et tout le monde le dteste. Il y a, pourl'Empereur d'Autriche, un intrt visible traiter encommun avec ses deux voisins plutt que de se tenir seul la merci du vainqueur. II est, la vrit, excessivement

    effray ; mais il faut au moins l'empcher de faire du

    mal, quoique contre-coeur. Les circonstances amnerontensuite d'autres chances.

    Si l'Empereur de Russie est le centre des intrts do

    l'Europe, il l'est plus particulirement des intrts duNord. Un des projets favoris de Bonaparte est de fermerla Baltique aux Anglais, et l'excution de ce premierprojet serait bientt suivie de l'excution d'un autre, ce-lui d'y dominer lui-mme; il ne faut point lui permettred'approcher, car s'il y parvenait tontes les autres spcu-lations seraient, vaincs. La nature ayant plac la Russiesi loin de tous les autres centres des affaires europennes,elle ne peut communiquer avec eux que par ses allis

    qui sont, pour ainsi dire, des bras ajouts aux siens. Sila France parvenait les couper, la Russie se trouverait,tout d'un coup spare de l'Europe, et Talleyrand pour-rait se vanter d'avoir accompli son insolente prophtie : Nous l'avons relgue dans ses forts, etc. En effet,la Russie en se retirant lui cderait solennellement l'Eu-rope.

  • MMOIRE. 7

    Venise serait un point bien important. L, il auraittpossible d'tablir ce qu'on pourrait appeler un magasind'hommes qui aurait constamment menac les Franais.Peut-tre sommes-nous malheureusement prvenus, etsi l'on n'est pas matre de la cte, oppose, comment

    procurer cette ville des subsistances et de l'eaufrache ?

    Quoi qu'il en soit, il ne faut pargner ni soins, ni d-penses, ni travaux pour mettre Venise et son Territoirehors des mains des Franais, et pour empcher le con-tact, avec la Turquie, lequel est cependant au momentde s'oprer. Si ce malheur s'accomplit, la Turquie, tropfaible par elle-mme, entrera sur le champ en convulsion.Une escadre Russe ou Anglaise dans l'Adriatique, unPrince guerrier Venise,, les forces turques employeset combines habilement avec celles des Russes sur lebord oppos, peuvent encore, ce qui semble, remdier tout.

    Il faut enfin ne jamais perdre de vue que les victoires'de Bonaparte n'influent nullement sur le bonheur des

    Franais et ne l'empchent point d'en tre parfaitementha. On lui fera donc tout le mal possible en le forantseulement continuer la guerre. La dilapidation dansses armes est au comble; cette espce d'orgie qui enivreet amuse les armes pourra certainement tre prolongepar ses nouvelles conqutes; cependant elle ne peut du-rer, la nation s'impatiente : au premier revers, il est

    perdu. En faisant d'abord une guerre de Fabius, en pre-nant des postes, en le harcelant, en choisissant les mo-ments pour lui causer des pertes infaillibles, on aura fait

  • 8 MMOIRE.

    tout ce qui est humainement possible pour le renverser

    par la force.Mais pour l'embarrasser srieusement et lui inspirer

    des terreurs qui produiront au moins une paix plusavantageuse, il faut enfin tourner les yeux sur l'intrieurde la France, et METTRE EN AVANT LE Bor.

    Jusqu' prsent ce Prince a t constamment tenu l'cart. Nanmoins on peut assurer que pour l'esprit, les

    connaissances, la bont, la justice, et l'envie gnralede bien faire, il n'est infrieur aucun de ses augustescollgues. Quand on lui reproche des prtentions qui nesont plus de saison, on ne fait pas attention qu'on lui

    reproche d'tre Roi, c'est--dire ce qu'il doit tre. LeGentilhomme illustre, priv de tout par la Rvolution,doit-il se couvrir de haillons et demander l'aumne ?Nullement. Tout homme est ce qu'il est, et tout Roidoit se souvenir qu'il est Roi.

    On ne fait pas attention, d'ailleurs, que les Franais,la plus vaniteuse nation de l'univers, ne voudraient jamaisentendre parler d'un Roi humili ; ils le recevraient

    peut-tre bras ouverts arrivant la couronne sur la tteavec un air imposant : ils le tueraient, s'il se mettait

    genoux devant eux.Les hommes sont toujours tromps par les mots. Celui

    de Monarchie les trompe comme, les autres. Parce qu'ily a une monarchie en Russie, une autre en Sude, uneautre en Espagne, etc., ils croient que c'est le mme gou-vernement et qu'on peut juger de l'un par l'autre. Pointdu tout. Chaque nation a ses prjugs , ses coutumes,ses maximes, qu'il faut connatre pour agir efficacement

  • MEMOIRE. 9

    sur les esprits, et personne ne sait mieux que le Roi deFrance ce qu'il faut dire aux Franais: on a constammentvoulu le conduire, c'est une erreur, au moins jusqu' uncertain point : il faut le laisser faire. Au pis aller il nerussira pas ; et, dans ce cas mme, il n'aura pas de raisonde se croire humili puisqu'il aura fait comme tous lesautres.

    Il y a une remarque incontestable faire en faveur duRoi de France, c'est qu'il n'est environn et servi quepar des hommes irrprochables. Le zle indiscret de quel-que agent pourra impatienter dans telle ou telle circons-tance, mais e'est dj beaucoup de n'avoir se plaindreque des excs du zle, et si l'on veut des hommes sans

    dfauts, il faut sortir de ce monde. S. M. I. a connumieux que personne qu'on ne peut s'entendre avec lesnations sans transiger avec leurs dfauts.

    Jusqu' prsent, on a trait avec le Roi de Francecomme avec un tre dangereux qu'il fallait carter, ca-

    cher, inspecter sans relche; si l'on ne se trompe infini-

    ment, il fallait prendre la route oppose. Il faut l'aborderfranchement et s'entendre avec lui. Comme il est pleinde tact et de dlicatesse, il sentira mieux que personnece que cette confiance exige de lui.' Les premires avan-ces dans ce genre, qui retentiront en un clin d'oeil jusqu'Paris, peuvent y faire natre plus d'inquitude d'une

    part, et plus d'espoir de l'autre, que la marche dune

    grande arme.Mais il y a deux grandes vrits dont il est bien es-

    sentiel surtout que les Anglais se laissent pntrer. La

    premire c'est que nulle entreprise conduite en France

  • 10 MMOIRE.

    par des Anglais ne peut russir. La seconde c'est qu'iln'y a rien de plus vain et de plus contradictoire que devouloir soutenir la monarchie par des principes anti-

    monarchiques.La premire vrit n'a par besoin de preuves ; la haine

    entre les deux nations est porte au point qu'elle gan-grne en un instant les meilleures choses ; cet gard,il n'y a point de remde. Il est mme trs essentiel quel'Empereur de Russie se spare dans l'opinion (du moinsjusqu' un certain point) de la politique anglaise, et qu'ilpersuade les Franais qu'il agit avec des vues de purebienfaisance universelle, ce qu'on est heureusement

    dj trs dispos croire.L'Angleterre, de son ct, ne ferait peut-tre pas mal

    de faire quelque dmarche pour affaiblir l'ide que sesennemis travaillent sans relche faire natre sur sa po-litique l'gard de l'Espagne ; par exemple, on peut dire

    que la guerre n'a lieu rellement qu'entre le Prince dela Paix et l'Angleterre. Si l'Espagne demandait un sub-side pour entrer dans la coalition, l'Angleterre l'accor-derait. Si le Cabinet de Saint-James offrait une certainerestitution de vaisseaux en cas qu'il arrivt telle ou telle

    chose, au fond ce ne serait, qu'un subside : mais ceci n'estdit qu'en passant. Venons la seconde vrit.

    Le principe de la Monarchie, comme de toute espcede commandement, c'est qu'il n'y a qu'une volont.Veut-on servir le Roi de France? Qu'on le serve comme Roi,ou bien on ne fera rien. Or, voici le grand axiome dontl'oubli tout perdu. RIEN NE DOIT SE PAIRE QUE PARLE Roi ET POUR LE ROI. On vient de voir en Angleterre

  • MMOIRE.11

    un agent du Roi, qui l'avait toujours servi avec une fid-lit parfaite, chass de la Grande-Bretagne eu vertu del'Alien-bill, aprs avoir t conduit par le ressentimentet le soin de sa rputation rvler des turpitudesinouies. C'est un grand malheur et un grand scandale.On viterait ces inconvnients graves si l'on tait unefois convaincu que si l'on veut que Louis XVIII rede-vienne Roi, il faut commencer le tenir pour tel; quetandis qu'on prouvera une espce de jouissance en cri-vant le Comte de Lille, personne n'a droit de s'tonner

    que l'opinion des peuples ne soit pas plus ferme quecelle des Cabinets; que les Royalistes franais sont des

    sujets du Roi de France comme les Russes le sont deS. M. L, au pied de la lettre; qu'il serait non seulementindcent, mais politiquement draisonnable de soutenirou d'employer un sujet dans les affaires du Roi, ind-pendamment, du Roi, et mme contre sa volont ; qu'entout ce qui se fera dans l'intrieur de la France, le Roi etle Roi seul doit choisir ses agents et les employer quandil voudra, o il voudra et comme il voudra ; que lesPrinces de sa Maison commencer par son auguste frrene sont que ses premiers sujets ; et que tout agent qui luidplat doit tre sur le champ paralys, et mme cartsi le Roi l'exige. Tant qu'on n'aura pas reconnu ces v-rits, il n'y aura point d'ensemble, point d'unit, et l'onn'obtiendra la fin que ce qu'on a vu jusqu' prsent :discussion ridicule et mme trahison.

    La crainte de se compromettre serait bien mal fonde.Il n'y a rien de honteux que le crime et la peur ; il fau-drait que ces mots fussent crits sur tous les murs, lus

  • 12 MMOIRE.

    par tous les yeux, gravs dans tous les coeurs ! Louis XIVa-t-il laiss une rputation quivoque de grandeur pouravoir constamment reconnu, trait, honor Jacques IIen Roi ? Pour lui avoir donn un palais Saint-Ger-main? Pour l'avoir fait asseoir sa droite? Pour l'avoirappel jusqu' sa mort Sire, Votre Majest et mon frre ?Ce fut au contraire un des plus beaux traits de son grandcaractre, et les Anglais l'honoraient dans le fond deleur coeur pour cette noble constance.

    La crainte des fautes que le Roi de France pourraitcommettre dans la direction des affaires intrieures se-rait une objection encore plus faible, s'il est possible ; oest donc l'homme qui a droit d'exiger l'infaillibilit d'unautre? La Monarchie elle-mme repose tout entire surcette maxime dmontre par l'exprience, que l'unitde volont, malgr les erreurs invitables de la faiblessehumaine, compense dans les affaires tous les inconvnients

    possibles.Enfin, pour ne rien laisser en arrire de ce qui peut

    tre utile cette poque vritablement critique, il semble

    que la Russie ne peut se dispenser d'avoir particulire-ment 'oeil sur les papiers franais et de les contredire

    par quelque crit destin rassainir l'opinion. Oo im-

    prime Paris que l'Europe peut remercier la Russie des

    exploits du mois d'Octobre 1805, puisque c'est elle qui ademand Mack et exclu l'Archiduc Charles, pour se vengerde la dfaite de Zurich. La langue franaise, qui a des ailes,porte ces belles choses en un instant de Lisbonne, P-

    tersbourg et l'on garde le silence ! Il semble que c'est

    porter l'indiffrence beaucoup trop loin. Les papiers an-

  • LETTRE A M. LE COMTE DE FRONT. 43

    glais ne peuvent tenir lieu de celui qu'on indique: ilssont immenses, tardifs, extrmement chers, et ils n'ins-truisent que l'Angleterre.

    On soumet ces penses, sans la moindre prtention,au jugement de ceux qui ont autant de zle et infinimentplus de lumires.

    133

    A M. le Comte de Front.

    28 dcembre 1805 (10 janvier 1806).

    Les lettres ci-jointes parviendront Votre Excellencepar le canal des Affaires trangres ; sous l'apparencetrs confidentielle, elles peuvent tre lues par les cu-rieux. Voici maintenant la cruelle vrit, en chiffres.

    Nous sommes perdus, Monsieur le Comte, et c'est

    l'Empereur de Russie qui nous a port le coup mortel.

    Ce bon, cet excellent Souverain a eu un mauvais mo-ment : sur l'avis de ses jeunes courtisans, et contre ce-lui de ses gnraux et de ses ministres, il a donn lbataille du 2 dcembre, et l'a perdue. Le mal est sansremde : il y en et eu peut-tre, s'il et tenu ferme la tte de ses armes ; mais en abandonnant la partie etretournant brusquement dans sa capitale, il a tout per-du. Voil les armes russes tombes dans l'opinion de

    l'Europe, et les aigles franaises leves au-dessus de

  • 14 LETTRE

    tout : la perte en hommes tait gale de part et d'autre,mais les hommes ne sont rien et les suites sont tout.J'ai eu aujourd'hui l'inexprimable chagrin d'entendrele Prince Czartoryski me dclarer que toute la bonnevolont de l'Empereur deviendrait probablement inu-tile notre Matre ; il m'a rapport que Bonaparte avaitdit pour qu'on le rptt : Je sais que l'Empereur deRussie prend un grand intrt au Roi de Sardaigne,mais il m'est aussi impossible de le rtablir, que de rta-blir la Maison de Bourbon; le Prince ne m'a pas. cach

    qu'il dsesprait du rtablissement du Roi, surtout en

    Italie, que cependant Sa Majest Impriale ferait l'im-possible jusqu' la fin ; tout cela n'est qu'une formule.Quel coup, Monsieur le Comte, et quel dsespoir ! LaPrusse, de concert avec la Russie, demandait pour nousGnes et Parme ; l'Autriche, bien revenue notre gard,demandait mme nous cder Venise. Jamais de plusbelles apparences n'ont t suivies d'une catastropheplus terrible. La Prusse, en rappelant le Comte Haug-witz et envoyant un autre dput, fait bien voir qu'ellese spare de la Russie, et qu'elle s'en tient son ter-nelle neutralit. Que pourra l'Angleterre pour nous ? Jel'ignore. Votre Excellence sait tout. Je n'ai ni la forceai le temps d'ajouter un mot : si vous avez quelquesaperus consolants, je vous les demande comme unefaveur ; quant moi, je ne sais plus si je vis.

  • A M. LE COMTE DE FRONT. 15

    134

    Au Mme.

    4 (16) janvier 1806.

    Dans mon Post-scriptum chiffr du 10, Votre Excel-lence a vu les tristes dtails d'une conversation que jene pouvais lui laisser ignorer ; mais press par le tempset distrait par le travail du chiffre, il m'chappa de luifaire connatre une circonstance essentielle. Aprs lesdclarations claires et nettes que Votre Excellence a

    vues, je m'avisai, ne sachant plus quelles cordes tou-cher, de demander s'il ne se serait point propos, dansl'tat actuel des choses , d'aborder Bonaparte pour t-cher de l'adoucir un peu l'gard de notre Matre, ce

    qui pourrait se faire par le moyen de l'Espagne, ou au-

    trement; il me rpondit sans balancer que ce serait trsbien fait, la charge de ne rien faire sans en instruire

    l'Empereur, qui devait naturellement avoir toute la con-fiance de Sa Majest ; vous mditerez cette ide, Mon-sieur le Comte, et vous me ferez la grce de m'en direvotre avis. Je tremble, vous dire vrai, la pense d'unnouveau trait d'Amiens, qui, pour cette fois, serait

    pour nous sans remde; jusqu' prsent, nous, noussommes tenus parfaitement passifs sous le bouclier de

  • 16 LETTRE

    la Russie et de l'Angleterre ; peut-tre que dans ce mo-ment il serait propos d'agir un peu par nous-mmes.Au moyen d'un courrier qui part sous peu de jours, jemets Sa Majest au fait de tout, afin qu'EUe dcide,dans sa sagesse, ce qui lui paratra convenable.

    La conversation est certainement ce qu'on peut ima-

    giner de plus triste ; cependant je dois dire Votre Ex-cellence que l'abattement sans gal du personnage en

    question, exagrait peut-tre, ses propres yeux, l'im-

    puissance dont il me faisait la dclaration officielle.Cet abattement est tel, que Votre Excellence ne peuts'en former une ide, c'est ce qu'on appelle, dans le

    pays qu'Elle habite, despondency, dans toute la force du

    terme. L'effet de la bataille d'Austerlitz sur l'opinionpublique de ce pays est quelque chose de magique :tous les gnraux demandent leur dmission, l'Empireentier semble paralys parce qu'on n'a pas gagn une

    bataille, car tout se rduit l ; on en juge beaucoupplus philosophiquement en Allemagne.

    Monsieur Sanehez d'Aguilar, ci-devant Secrtaired'ambassade et maintenant charg des affaires d'Autri-

    che, est arriv avant-hier, et contribuera beaucoup, jel'espre, rassainir l'opinion; d'abord, il a complte-ment tranquillis les esprits sur la crainte d'une allianceentre l'Autriche et la France : l'Empereur Franois estinbranlable sur ce point, il a envoy le gnral deMeerfeld pour complimenter l'Empereur Alexandre;enfin, il n'a que de bons sentiments pour la Russie; il

    y a mme eu un moment o il a pench pour une nou-velle rupture ; mais les Dputs des villes lui ont fait

  • A M. LE COMTE DE FEONT. 17

    de si grandes supplications, qu'il n'a pas cru devoir re-commencer la guerre. La paix de ce malheureux princene sera qu'une capitulation, dont le Corse dictera leslois ; je regarde comme sre la perte du Tyrol et deVenise; nous verrons le reste. Malgr ma haine pimon-taise contre l'Autriche, et le plaisir un peu sataniqnedont j'ai eu l'honneur de parler Votre Excellence, jen'en paierais pas moins d'une partie de mon sang le r-tablissement de cette puissance dans ses droits et pr-tentions lgitimes, car l'quilibre est ncessaire au

    monde, et la politique ne se rgle pas par des affec-tions. Votre Excellence aura su la fatalit dsesprantequi rendait l'Archiduc Ferdinand vainqueur en Bohme,tandis que son illustre frre, l'Archiduc Charles, arri-vait avec 60,000 hommes d'excellentes troupes, aux

    portes de Vienne, trois jours aprs la bataille d'Auster-litz, et deux jours aprs l'armistice, sign; il y a dequoi s'arracher les cheveux, quand on voit que tant demalheurs ont tenu Je n'ai pas le courage de r-pter. Je supplie instamment Votre Excellence de vou-loir bien tre rserve sur mon compte, jusqu'au scru-pule, dans ses communications avec Monsieur le comtede Woronzof ; il faut bien que Votre Excellence sache

    tout, mais je ne voudrais pas avoir l'air, dans l'espritde M. l'Ambassadeur, d'tre auprs d'Elle l'organe deslamentations publiques.

    L'Empereur se tient sr du Roi et de la Reine dePrusse, mais il se dfie infiniment du Cabinet. Le Prince

    Czartoryski est all jusqu' me dire : Il y a du Lom-bard partout. Ce Lombard est trs certainement tel

    T. X. 2

  • 18 LETTRE

    que je l'ai dpeint Votre Excellence, l'un des hommesles plus corrompus d'un pays qui l'est beaucoup. Quant M. de Haugwitz, les exploits de sa ngociation sonttels que nous devions les attendre ; Votre Excellenceverra sur tout cela ce qu'Elle est dans le cas de faire ;il parat surtout bien essentiel que Miiord Harrovsbyne nous oublie pas dans ses ngociations de Berlin. Icil'on tient conseil sur conseil: mais en attendant, Bona-

    parte avance, la Prusse est tiraille en sens contraires,elle ne sait ni agir ni mme vouloir, et il est extrme-ment craindre que le nouvel Attila, la saisissant dansce moment d'indcision, ne l'effraie par quelque mou-vement audacieux, et ne lui fasse signer ce qu'ilvoudra.

    La perte du Pimont tait aussi certaine il y a troisans que dans ce moment, et je n'ai rien oubli pourprparer Sa Majest ce sacrifice douloureux, laMaison de Savoie ne pouvant tre remise sa placeque par la France ; mais le refus de toute indemnit enItalie fait plir, et quoique je me fusse reprsent millefois ce dernier coup comme trs possible, cependant ilm'a trouv sans dfense, et je manque de force pour lesupporter.

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 19

    135

    Au Roi Victor-Emmanuel.

    19 (31) Janvier 1806.SIBE ,

    C'est avec le plus profond chagrin qu'aprs avoir tpriv si longtemps de la possibilit de correspondre avecVotre Majest, je puis enfin reprendre la plume, nonpour lui annoncer, car elle n'est dj que trop ins-truite, mais pour dplorer avec Elle nos derniers mal-heurs.

    C'est encore le gnie autrichien qui nous a jets danscet abme : contre toutes les rgles de la prudence etde la politique, les Autrichiens voulurent entrer en Ba-vire au commencement d'octobre. Il tait expressmentconvenu qu'ils ne traverseraient point l'Inn avant l'ar-rive des Russes, et dans leur marche timore, ils necessaient eux-mmes, depuis le commencement des n-

    gociations, de demander qu'on n'exiget d'eux aucunmouvement avant la runion. L'orgueil, l'avidit, l'am-bition aveugle, l'emportrent sur la politique, sur le bon

    sens, et mme sur la peur. Pour couler leurs billets de

    banque, pour avoir le plaisir de possder cette Baviretant convoite, et d'en fouler les habitants suivant lerit autrichien, ils entrrent en Bavire, et ce qu'il y a

  • 20 LETTRE

    de bien trange, c'est que leur conduite militaire et po-litique se trouva bientt en contradiction directe avecles intentions de leur Souverain, manifestes dans sa

    correspondance particulire avec l'Electeur de Bavire,que Votre Majest a sans doute lue. C'est une nouvellepreuve, ajoute mille et mille autres, de la nullit ab-solue d'un Souverain bon et loyal, mais dont les vo-

    lonts, toujours droites et respectables, plient constam-ment devant l'esprit de son Cabinet et de sa nation. Je

    passe sur les funestes vnements du mois d'octobre,Votre Majest les connat trop. L'histoire militaire neprsente rien d'gal. Monsieur le gnral Rontouzof,arriv depuis quelque temps Braunau sr l'Inn, seIrouvait expos par ces incroyables dfaites, et il fallut

    songer la retraite ; il la fit dans le meilleur ordre etdans l'espace de quarante jours environ, toujours har-cel par les Franais et toujours combattant. Il arrivaenfin Brnn, o il put se runir aux premires colonnesrusses qui arrivaient. Le gnral Koutonzof a livr danscette retraite cinq combats remarquables : le premiersur l'Ems, le 16 octobre; le second Lambach, le 19; letroisime entre Strenberg et Altesten, le 24; le qua-trime Crems sur le Danube, le 12 novembre; et lecinquime, enfin, le 15 du mme mois, sur la route deCrems Brnn ; ces deux derniers furent les plus con-sidrables. A Crems, le gnral Koutonzof exterminaune colonne franaise qui le mettait dans le plus granddanger, et dans celui du 15, le prince Bagration, enve-lopp avec quatre mille cinq cents hommes par trentemille ennemis, et volontairement sacrifi par le gnral

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 21

    en chef au salut de l'arme, se fit jour la baonnetteet rejoignit le gnral au prix de 1,500 morts. VotreMajest aura appris l'tonnante anecdocte du gnralautrichien Nostiz, qui refusa de se battre sur une sim-

    ple lettre du Marchal Soult qui lui faisait part d'unprtendu armistice. Prcdemment, le prince d'Aues-perg, charg de dtruire les ponts de Vienne, se laissaitamuser par Murt sur le principal de ces ponts, au mi-lieu des matires combustibles assembles pour le br-ler, et pendant que celui-ci l'entretenait d'armistice etde paix, les Franais passaient le Danube plus bas etcouraient se jeter entre le prince Bagration et le gnralKoutouzof. Alors, le corps russe de 4,500 hommes setrouvant totalement envelopp, Murt proposa au princeBagration une capitulation honorable ; celui-ci envoyales propositions son gnral, qui envoya son tour

    l'adjudant de Sa Majest Impriale, Baron de Wintzin-gerode, au camp des Franais, pour signer la capitula-tion sub spe rali, ce qui fut fait ; et Murt de son ct,rserva l'approbation de son beau-frre. Un corps russe,command par un compagnon de Souwarof, mettant basles armes devant l'arme franaise, tait un spectacletrop dlicieux pour n'en pas faire jouir le matre de laFrance. Bonaparte, averti par Murt, accourut donc engrande bte pour recevoir l'pe du prince Bagration ;mais Koutouzof ayant gagn vingt heures, s'en taitservi pour mettre l'arme russe couvert, et mit la ca-

    pitulation dans sa poche. Cependant les Franais, voyantqu'on n'en finissait pas, avaient donn au prince Bagrationun terme premptoire de quatre heures pour se dcider.

  • 22 LETTRE

    Sur ces entrefaites Bonaparte arriva, et furieux de voirainsi ses esprances frustres, il fit attaquer avant l'ex-

    piration du terme ; mais la valeur des Russes les tirade ce pas difficile. Le comte de Galat, sujet de VotreMajest, s'est fort distingu sur l'Ems et Altesten, oil a t bless la tte en chargeant les Franais la

    baonnette; il a chapp la mort par une de ces com-binaisons extraordinaires qui ressemblent des mira-cles. L'Empereur l'ayant rencontr Olmtz, lui touchala main : Galat mit un genou en terre pour baiser celledu Souverain contre les usages du pays. L'Empereur lereleva et l'embrassa publiquement. On a beaucoup c-lbr ici ces diffrents succs de retraite, et mme, pouravoir l'honneur de le dire confidemment Votre Ma-

    jest, on s'est donn quelques ridicules en les clbranttrop. La bataille du 2 dcembre nous a jets fort loindes rjouissances : ce malheur a t prpar, commetous les autres, par le Cabinet d'Autriche. L'Empereurde Russie est. la bont mme ; son caractre n'a rien decette raideur et de cette fire prpondrance qui semet toujours la premire place et fait reculer les au-tres. D'ailleurs, son extrme prudence lui faisant con-

    templer sans cesse le danger de rgenter les Autrichiens,il les laissait faire, de peur de dissoudre la coalition.

    Ceux-ci, profitant des circonstances pour dployer leur aise tous les vices nationaux, s'taient empars dela conduite de la guerre et faisaient tout leur gr.Nous voulons tant de soldats , nous n'en voulons pas da-

    vantage, nous les voulons l et pas ailleurs, nous n'envoulons point en Italie, nous ne voulons point de Cosa-

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 23

    ques, etc., etc. Ils s'taient mis en possession de fairetous les plans, qu'ils faisaient traduire en russe et dis-tribuer quelques heures avant qu'on les excutt. Le

    gnral Van-Suchtelen et tout son corps, abms de

    dgots et d'amertumes, ne se mlaient pas plus que moides plans de campagne. Votre Majest se formera dif-ficilement une ide de l'esprit dtestable qui rgnaitdans l'arme autrichienne. Le soldat tait mcontent deses officiers, les officiers de leurs gnraux, et les g-nraux diviss entre eux. Tous cependant taient d'ac-cord sur un seul point : personne ne voulait la guerre.Avant de quitter Vienne, tous les gnraux avaient pro-test contre la rsolution de l'Empereur, et demandqu'on fit la paix tout prix aux portes de Vienne. Le

    peuple, irrit par la masse des impts, et surtout par ledernier qui galait le cinquime de tous les capitaux,avait pris la guerre en horreur. L'arme en particulierrenfermait tous les germes possibles de dissolution :haines de partis, haines de coeurs, haines de conditions.Rien n'y manquait. Pour runir et faire marcher ensem-ble tant d'lments discordants, que pouvait une seulemain, juste la vrit, infiniment respectable, mais fai-ble, timide et constamment embarrasse dans celle d'unefemme? Le premier symptme de la grande catastrophese dveloppa Ulm, o Votre Majest aura vu, avec leplus grand tonnement, qu'il n'y avait point de gnral,ou qu'il y en avait deux, ce qui revient au mme.L'un avait le droit de s'en aller, et l'autre celui de res-ter. On voit avec une parfaite vidence, comme si l'onavait lules commissions manes des bureaux de Vienne,

  • 24 LETTRE

    que la Cour n'avait pas eu la force de dcider claire-ment entre l'Archiduc Ferdinand et le gnral Mack,de manire que chacun d'eux avait de bonnes raisons

    pour se croire le suprieur de l'autre.Monsieur le Comte de Razoumofski me parat toucher

    une disgrce invitable, pour avoir commis, dans cettecirconstance importante, deux fautes qui ne paraissentrellement pas susceptibles d'excuses. D'abord, il n'a

    point averti sa Cour des dispositions intrieures del'Autriche en gnral, et de l'arme en particulier, et ila fait pis encore, en ngligeant de protester solennelle-ment contre le passage de l'Inn, excut avant le temps,contre le premier article exprs du Trait d'alliance en-tre les deux nations.

    Je prendrai la libert d'arrter ici un instant Votre

    Majest, pour lui faire observer une de ces contradic-tions extraordinaires, qu'on rencontre chez les nations

    comme chez les individus. S'il y a une Cour au monde

    jalouse et souponneuse en politique, c'est celle de Rus-sie. Elle claire tous nos pas, elle dcachet toutes nos

    lettres, elle nous carte d'elle avec une affectation mar-

    que ; si quelque agent des Affaires trangres s'avisaitde nous faire une visite, il serait irrmissiblement per-du, et cette mme Cour souffre que ses ministres vieil-lissent prs des Cours trangres, qu'ils y deviennent

    propritaires, qu'ils s'y marient, que leurs dettes mme

    (ceci est curieux) y soient payes par le Souverain dulieu, enfin qu'ils y soient compltement nationaliss parle fait. M. le Comte de Razoumofski dpensait des mil-lions Vienne en proprits foncires, et il avait fini

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 25

    par construire, ses frais, un pont sur le Danube.Voil, il faut l'avouer, un singulier inquisiteur contrela faiblesse, les erreurs et les manoeuvres machiavli-ques de l'Autriche. Il en est de mme, quoique avecmoins de danger, dans ce moment Berlin et Lon-dres ; je ne sais quand cette Cour voudra ouvrir lesyeux sur un systme aussi dangereux. Je reviens Olmtz, dont cette digression m'avait cart.

    Le gnral Koutouzof, parti avec 50,000 hommes surle papier, c'est--dire 45,000 combattants au plus, enavait bien perdu ou laiss en arrire 2,000 au moins,lorsqu'il arriva sur l'Inn. Que Votre Majest daignerflchir sur une retraite de prs de 90 lieues de France,pendant quarante jours de souffrances et de combats,et la dtermination prise par le gnral en chef de sa-crifier le Prince Bagration pour sauver le reste de l'ar-me ; elle se convaincra qu'on n'exagrerait nullementen soutenant que le premier n'avait peut-tre pas ra-men Brnn 25 mille combattants effectifs. Quoi qu'ilen soit, la runion des premires colonnes russes ap-partenant au corps du gnral Buxhovden, portrentl'arme 48 mille hommes. Les Autrichiens en avaient30 mille ; du moins, c'est ce que j'ai pu savoir de pluscertain, car sur cet article, les seuls qui sachent la v-rit ne la disent jamais. Ces mmes assertions, qui fixentainsi le nombre des allis, portent celui des Franais 96 mille hommes. Je suis tent de croire qu'un jugequitable pourrait diminuer ce dernier nombre et aug-menter l'autre, de manire supposer l'galit ou peuprs. Plusieurs considrations dfendaient de livrer une

  • 26 LETTRE

    bataille, surtout la certitude de recevoir sous peu dejours un renfort de 15,000 hommes qui n'taient plusqu' quelques marches. Le gnral Koutouzof ne vou-lait point la bataille, mais les Autrichiens la voulaient,et la firent vouloir; la famine leur servit par-dessus tout dterminer les Russes ; on en tait au point que l'Em-pereur de Russie partagea une oie avec vingt officiers,et que le soldat russe n'avait pas mang depuis deux

    jours, lorsque la bataille fut rsolue. Les chevaux, en-core plus extnus que les hommes, refusaient le ser-vice ou n'avanaient qu' force de coups. Les Autri-chiens dclarrent aux Russes qu'il fallait prendre les

    magasins ennemis ou mourir de faim; une autre in-fluence s'en mla peut-tre. Enfin, ce qui est crit estcrit. La bataille commena le deux dcembre vers lessix heures du matin, et dura plus de treize heures. Je

    l'appelle la bataille d'Olmtz, jusqu' ce qu'il plaise auxFranais de lui donner un autre nom. Les Russes com-battirent avec leur intrpidit ordinaire ; mais, du ctde la science et de l'exprience, tout me porte croire

    que la partie tait fort ingale, et que l'homme qui doittre oppos Bonaparte n'existe pas plus ici qu'ailleurs,ou ne se montre point encore. J'ai cru comprendre queles Russes, fonant sur les Franais leur manire, ontt fort dsorients par la manoeuvre de ceux-ci, quidisparaissaient droite et gauche comme des mou-

    ches, dcouvrant par cette fuite savante des batteries

    qui foudroyaient les Russes, et retournant ensuite la

    charge lorsqu'ils les voyaient en dsordre. D'ailleurs,toute la valeur possible devait tre inutile, ds que les

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 27

    Autrichiens la contrariaient au lieu de la seconder.

    Presque sans rsistance, on les vit s'ouvrir devant les

    Franais, cder le terrain de toutes parts, jeter leursarmes, et enfin tirer eux-mmes sur les Russes. Ceci

    parat fabuleux, Sire; cependant, il n'y a qu'une voixsur la vrit de ce fait ; on ajoute que le rgiment deschasseurs de la Garde, indigu de cette infamie, se ruasur le corps autrichien dont il avait souffert la dcharge,et le mit en pices. Des autorits trs respectables at-testent encore cette circonstance, mais je me dfie infi-niment des haines nationales, et je crois qu'ici il estpermis de douter. Si la chose est vraie, ce sera, je crois,la premire fois qu'on aura vu des allis s'gorger surle champ de bataille. Personne ne doute ici, que le plande la bataille n'ait t communique Bonaparte ; je sensqu'on peut et qu'on doit mme ici se dfier encore des

    prjugs nationaux ; mais j'ai lu dans la lettre d'un of-ficier tranger, bien inform et nullement suspect, ces

    propres mots : On a rarement des preuves directes d'une trahison, mais il faut avouer que tout s'est pass prcisment comme si il y en avait eu une. Plusieurs indices viennent l'appui de ce jugement par-faitement conforme la voix publique ; il parait certainqu'on avait rsolu, du ct de l'Autriche, de forcer pardes revers le brave Empereur faire la paix. VotreMajest n'apprendra pas sans une extrme indignation,qu' la distance de quatre ou cinq lieues, on a trouvdes provisions en abondance pour toute l'arme qui seretirait. Le jeune et vaillant Empereur a fait dans cettegrande occasion, non pas seulement tout ce qu'il devait,

  • 28 LETTRE

    mais plus peut-tre que ne le permettait sa haute qua-lit. Il s'est expos d'une manire qui nous fait encoretrembler: une grenade est venue blesser un officier toutprs de lui; il s'est jet deux ou trois reprises au mi-lieu des Autrichiens, et n'a rien oubli pour les animeret les runir; mais tous ses efforts ne lui ont valu quede la gloire. Il a eu le chagrin de les voir, en un clind'oeil, jeter armes, chapeaux, bandoulires, et tendre lesmains aux Franais en demandant grce. Il fallut cder,sans qu'on puisse dire, parler exactement, que lesRusses aient t vaincus. Un trs grand mal est la pertede l'artillerie, qui n'a cependant point t l'ouvrage del'ennemi. Un pont fabriqu par l'impritie ou par la mal-veillance (car on veut encore chercher ici du mystre),s'est abm sous le premier canon et a fait perdre toutle reste. Votre Majest sent assez qu'en racontant cetvnement, les papiers franais n'oublieront que lepont. L'Empereur est revenu sur le champ Pters-

    bourg, sans s'arrter nulle part. Que n'a-t-on pas dit,Sire, sur ce retour ? Il est certain que par cette dmar-che l'Empereur pouvait paratre convenir de sa dfaite,abandonner la partie et dgoter ses troupes. Nan-moins, en oubliant mme pour un instant, s'il est pos-sible, le profond respect que j'ai pour sa personne, jen'aurais pas la force de le blmer. J'avais l'honneur del'crire l'autre jour M. le Comte de Front, et je croisque rien n'est plus vrai : plus g, plus accoutum auxsclratesses des hommes et aux scnes de carnage,l'Empereur serait rest; tel qu'il est, il est revenu. QueVotre Majest daigne se reprsenter un Souverain ex-

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 29

    cessivement bon, humain et compatissant, voyant la

    guerre pour la premire fois, et se trouvant au milieude ces monceaux de cadavres ; tromp d'ailleurs dansses esprances les plus douces, et justement irritpar le spectacle de la lchet et de la trahison ; je mepersuade qu'Elle ne sera nullement surprise de le voir

    partir dans le premier accs de l'indignation. Avant de

    s'loigner cependant, il pourvut tout en envoyant son

    propre frre, accompagn du Prince Dolgorouki,

    Berlin, et le Comte Paul de Strogonof Londres. La pr-caution tait surtout ncessaire envers la Prusse, car leRoi commenait s'alarmer ; il envoyait des aides de

    camp l'un aprs l'autre, et s'tonnait surtout qu'on etfait sans lui paix ou armistice, aprs les engagementscommuns pris Berlin. Il ne doutait pas un moment

    que l'Empereur de Russie n'et sign quelque conven-tion avec Bonaparte; mais il se trompait, celui d'Autri-che seul avait souscrit. Ayant totalement perdu cou-

    rage, il tait venu, le jour de la bataille supplier, aupied de la lettre, l'Empereur de Russie de trouver bon

    qu'il s'accordt tout prix (lui Franois second) avecle vainqueur. L'Empereur Alexandre lui dit ; Faitescomme vous l'entendrez, mais ne m'y mlez d'aucunemanire. Bonaparte, ayant exig que l'infortun Sou-verain vint s'aboucher avec lui, Franois II s'est cruforc d'obir. Quelles conditions lui a-t-on dictes? C'estce que j'ignore encore au moment o j'ai l'honneur detracer ces lignes Votre Majest. Bonaparte avait uneextrme envie de s'aboucher aussi avec l'EmpereurAlexandre ds avant la bataille; il lui avait fait des

  • 30 LETTRE

    avances que j'aurai l'honneur de faire connatre Vo-tre Majest par une communication part, car je crainsque la multitude des objets ne jette de l'embarras dansma narration. Aprs le combat, son aide de camp Sa-

    vary, qui avait t porteur des premires paroles, re-tourna auprs de l'Empereur pour lui demander uneentrevue. L'Empereur ne jugea point propos d'accep-ter la proposition ; il dit Savary qu'il envoyait lePrince Pierre Dolgorouki, auquel le chef de la nation

    Franaise pouvait parler comme l'Empereur lui-mme.

    Bonaparte reut le Prince en plein champ et environnde sa garde ; au moment o le Russe approcha, Napo-lon fit un signe imprial ou impratif qui fit carter sa

    garde. On entra en conversation ; le Prince dit que sonMatre ne pouvait concevoir quel pouvait tre l'objetde l'entrevue propose. C'est la paix, dit Bonaparte. Je ne conois pas pourquoi votre Matre ne veut pas s'entendre avec moi : je ne demande qu' le voir et lui prsenter une feuille blanche signe Napolon, sur laquelle il crira lui-mme les conditions de la paix. A ces beaux discours, il mla cependant quelquesgrains de jactance ; il dit que ce serait peut-tre auvainqueur dicter les lois, mais que cependant, etc. LePrince Dolgorouki rpliqua que les intentions de S. M. I.tant connues, Elle ne voyait pas la ncessit d'une en-trevue. Quelques personnes ont vu dans ces dmarchesde Bonaparte un pige tendu l'Empereur de Russie,pour l'engager dans quelque dmarche prcipite, etse donner au moins le plaisir de faire crire dans les ga-zettes Franaises que l'Empereur de Russie s'tait rendu

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 31

    chez celui des Franais. Je crois bien que l'intention deBonaparte tait de tirer parti de l'entrevue, si elle avaitt accorde : rien n'est plus naturel ; mais je crois aussiqu'il et t moins difficile qu'on ne le croit sur lesconditions qu'Alexandre aurait pu proposer, et quesurtout il n'aurait fait aucune difficult sur le puntiglio.Je ne doute pas un moment qu'il ne se ft rendu lui-mmechez l'Empereur de Russie, ou qu'il n'et fait volontiersla moiti du chemin. Cette reprsentation entrait dansses vues, et srement il n'aurait pas t fch de finird'une manire sre et honorable. Mais enfin, l'Empereurn'a pas voulu de cette conversation, ni faire dans cettecirconstance d'autres propositions. Il est au reste lePrince le plus fait pour adresser la parole l'heureuxusurpateur. Il n'y a entre eux aucune aigreur de carac-tre, de circonstance ou de nation. La puissance d'A-lexandre, ses vertus personnelles et la loyaut de saconduite font une grande impression sur l'esprit des

    Franais, et en particulier sur celui de Bonaparte, quiaffecte mme son gard des procds chevaleresques.Savary dit l'Empereur, aprs la bataille, les choses lesplus dlicates, entre autres que les Franais ne l'avaientjamais perdu de vue sur le champ de bataille, qu'il avaitchang deux fois de cheval, et qu' tel moment et telendroit il montait un cheval bai (Vrai ou faux on nepeut rien dire de plus agrable). L'Empereur, ayanttrouv le soir sur son chemin sept officiers Franaisqu'on menait prisonniers, leur rendit sur le champ lalibert, et Bonaparte, piqu d'honneur, a renvoy sontour tous les prisonniers. Le fait est sr, quant aux

  • 32 LETTRE

    officiers, mais je ne puis encore assurer, si la courtoisies'est tendue comme on l'assure jusqu'aux soldats. Tout se rduit aux officiers de la garde.

    La bataille d'Olmiitz ou d'Austerlitz s'appelle dj enAllemagne la bataille des Empereurs (Kaiserschlacht).C'est dommage que Celui dont le sort tait dcid

    par ce fameux combat ait fait nombre et rien de plus.Je voudrais tre en tat d'apprendre Votre Majestquelque chose de certain sur les pertes rciproques,mais rien n'est plus difficile. La Gazette de Berlin, lamieux place peut-tre pour savoir la vrit, dit formel-lement que cette bataille a t la plus sanglante dontl'histoire moderne fasse mention, et que la perte de partet d'autre, en morts et en blesss, passe trente-six millehommes. Ce que je puis avoir l'honneur d'assurer Votre Majest, c'est qu'aucun homme instruit, dans cepays, ne m'a suppos le nombre des morts au-dessousde huit neuf mille hommes ; or, ce nombre de morts

    suppose peut-tre le triple de blesss, et de ce derniernombre un tiers au moins sera perdu pour l'Etat. Il pa-rat, par les aveux mmes des prisonniers Franais, quela perte de leur ct a t sans comparaison plus forte.

    Votre Majest peut juger de la boucherie. Pour la Rus-sie, c'est une goutte de sang, mais les suites politiquesde la bataille sont incalculables. Voil donc cette fa-

    meuse Maison d'Autriche renverse, et pour toujours.Aprs une lutte terrible de trois sicles, le gnie de la

    France l'emporte irrvocablement. Qnand mme le Roi

    lgitime remonterait sur le trne, il n'aurait pas, jecrois, la bont de replacer sa rivale sur son pidestal.

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 33

    Qu'arrivera-t-il de l'immense patrimoine de l'Autriche?Comment sera-t-il morcel, dpec, alin? Je l'ignore :mais c'est une poque jamais fameuse, et le commen-cement d'un nouveau droit public en Europe. Je ne vois

    plus dans cette partie du monde que quatre puissances :la France, la Russie, l'Angleterre, et la Prusse quijouera entre les deux premires, et toutes proportionsgardes, le rle qui nous appartenait entre la France etl'Autriche. L'Electeur de Bavire, premier vassal deBonaparte, recevra une couronne idale, qu'il paierasur le champ en donnant sa fille Beauharnais. Ce pasfait, voil la famille d'un usurpateur unie aux MaisonsSouveraines, et bientt d'autres Princes seront tents ouforcs. Il serait bien dsirer que quelque vnementinattendu vint s'opposer la suite des consquencesqu'il est permis d'envisager, mais cet vnement ne sevoit point dans la liste des choses naturelles et ordinai-res. S'il existe dans le sein de l'avenir, il n'est pas dansla sphre de la prvoyance humaine. Nombre de genss'amusent encore avec l'ide de la Prusse, qui est intacte;mais je confesse Votre Majest que je compte fortpeu sur cette puissance. Le caractre du Souverain, lesmaximes du Cabinet, et mme l'esprit national, semblentinterdire l'esprance d'une grande conception. C'est laPrusse qui vient de perdre l'Europe une seconde fois en

    envoyant ses misrables orateurs Bonaparte, au lieude faire marcher une arme. Bernadotte, qui s'est vulibre, est all flanquer son Matre, et l'a fait vaincre. Nous n'tions pas prts, disent les Prussiens, ilfaut du temps ; fort, bien, mais quand on n'a pas

    T. X . 3

  • 34 LETTRE

    un cheval de trait, il ne faut pas faire continuel-lement retentir l'Europe de trois cents mille hom-mes prts marcher ; et la Prusse, dans les circonstan-ces actuelles, n'est pas excusable de n'avoir pas euconstamment cinquante mille hommes disponibles laminute. Au reste, Sire, je n'affirme rien, mais je croismes craintes fondes. L'Empereur, comme j'avaisl'honneur de le dire, n'a rien oubli pour s'attacher laPrusse et pour lui inspirer les sentiments qui l'animentlui-mme. Le 26 de ce mois, il a accord une trs lon-

    gue audience au ministre de cette puissance, auquel ila manifest surtout sa persuasion intime qu'une paix,du moins une paix sre avec Bonaparte, tait impossi-ble si elle n'tait pas obtenue les armes la main. Il apromis la Prusse une assistance sans borne et sansdlai ; tout cela est merveille, et bien digne de Sa Ma-jest Impriale ; mais la grandeur d'me, chasse detous les coins de notre malheureux continent, ne se

    rfugie gure dans un Cabinet men par des rfugis. Ilfaut cependant que la Prusse prenne garde elle ; ja-mais peut-tre une puissance ne se trouva engagedans un pas plus difficile ; place entre deux puissancesformidables, vulnrable de toutes parts, mais surtoutpar la Pologne, le parti qu'elle prendra peut dcider deson existence. Le plus dangereux sera celui de tergi-verser, et c'est probablement celui qu'elle choisira.On peut croire que l'unique moyen de la mettre dansla bonne voie et de l'y retenir, est de l'acheter, toutuniment, comme on achte le travail d'un ouvrier ;c'est l'inpuisable Angleterre qu'il appartient de

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 35

    faire cette opration, qui est vritablement majeure.J'avais conduit jusqu'ici cette dpche, lorsque l'arri-

    ve d'un grand personnage m'a mis porte d'obtenirde nouvelles connaissances. Je prie donc Votre Majestde vouloir bien agrer les explications et rectificationssuivantes.

    1 Ce ne fut point aprs, mais bien avant la bataille,que Bonaparte demanda l'entrevue. Il parait que lePrince Pierre Dolgorouki n'tait pas l'homme le pluspropre la commission qui lui fut confie, et qu'ilcassa un peu trop les vitres, selon l'expression vul-

    gaire (1). Bonaparte en terminant la conversation, quifut sans doute trs vive, dit : Eh bien nous nousbattrons. Qu'on m'amne mon cheval! Il demeure nan-moins toujours certain, ce qui me parat, que Savaryse prsenta de nouveau l'Empereur aprs le combat.Dans le courant de la conversation, Bonaparte avait ditau Prince : Je sais que les Russes et les Anglais ont dbarqu dans le Royaume de Naples : j'envoie trente mille hommes pour les battre.

    2 Il est trs sur que ce mme Prince Dolgorouki a

    (1) Le Prince s'est justifi depuis, dans une lettre trs int-ressante imprime Berlin, mais que je ne puis envoyer. Jelui ai parl lui-mme ; il est faux qu'il ait demand la cou-ronne d'Italie pour Votre Majest, comme on l'a imprim Paris. Le nom mme du Pimont n'a jamais t prononc,mais seulement celui d'indemnit. (19 fvrier.)

    (Note de l'Auteur.)

  • 36 LETTRE

    contribu infiniment dterminer cette funeste bataille,et que malheureusement l'ardeur du jeune et vaillantSouverain s'est trop laisse sduire par l'appas d'unebrillante victoire. L'Empereur d'Autriche le pressait deson ct en lui disant : Vos troupes sont excellentes, il

    faut donner la bataille. Les officiers Autrichiens soute-naient ce systme et prparrent tout. Le plan fut donn

    par le chef de leur Etat-major, M. de Weyrotter, qu'onassure tre une tte lgre ; et le bon gnral Suchtelen,qui arriva au moment mme d'une dcision prise sanssa participation, en fut galement surpris et attrist. LeGnral en chef et les autres officiers suprieurs taientde mme contre la bataille ; et cependant elle fut don-ne ! Pour comble de malheur, on ne savait pasque Bernadotte tait arriv avec son Corps, et que leGnral d'Essen, avec le sien, tait sur le point de join-dre les Russes. Votre Majest apercevra ici de tristeserreurs; nanmoins s'il avait t possible de s'entendre,la bataille aurait t dcisive en faveur des allis ; maiselle ne fut pour eux qu'une vritable mle. Les ordresfurent ou mal donns ou mal compris, les corps n'arri-vrent point temps, et l'on se massacra comme des

    sauvages. C'est un miracle que les Russes s'en soienttirs comme ils l'ont fait. Votre Majest aura peut-treremarqu que les papiers Prussiens leur donnent cons-tamment la victoire : il peut se faire que, dans ce mo-

    ment, ce soit un style d'amis.

    3 Je puis maintenant assurer Votre Majest que leMinistre se croit sr de sept mille morts seulement. Cedernier mot fait plir, mais enfin on croyait beaucoup

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 37

    plus, et la perte des Franais passe pour trs certaine-ment plus forte (I).

    4 Les prisonniers renvoys se rduisent aux offi-ciers et soldats du rgiment aux Gardes. C'est un deces rgiments embarrassants, dont la valeur ne com-pense pas les prtentions; les parents des officiers neveulent pas croire qu'il soit permis de les tuer; et jecrois qu'on finira par les rappeler dans la capitale, pourse dlivrer des hurlements des dames.

    5 Les troupes Autrichiennes taient de la plus mau-vaise espce, composes en grande partie de jeunes re-crues sans exprience militaire. C'tait une nouvellefaute d'employer de pareils soldats dans une occasion si

    importante, avant qu'ils fussent aguerris. On ne parlepoint de leurs pertes particulires. Tout bien examin,il me parat que ceux qui portent la totalit des morts douze mille ne se trompent pas, ou se trompent peu ;en doublant tout au moins, cause des Franais, et

    ajoutant Jes blesss, on se forme une ide de celte san-glante journe. L'armistice avec l'Empereur d'Autrichetant impossible ou inutile, tant que celui de Russietenait la campagne, Bonaparte crivit une seconde let-tre ce dernier aprs la bataille : cette lettre, apporteencore par l'aide de camp Savary, n'a point t rendue

    (1) En dernire analyse, l'arme en rentrant aux frontiresavait perdu 15,000 hommes, en tout comptant, ce qui endonne au moins 10,000 pour le champ de bataille d'Austerlitz.

    (Note de l'Auteur.)

  • 38 LETTRE

    publique, mais il est permis de la lire (sauf le style)dans la retraite des troupes Russes, qui commena im-mdiatement et paisiblement, par la Hongrie.

    6 Ce que j'ai dit plus haut sur la chute d'un pont estun de ces contes dont on n'est jamais avare dans, lesoccasions de ce genre. L'artillerie avait, t laisse surles derrires de l'arme, du ct de Wischnau, appa-remment comme meuble inutile. Elle n'tait pas mme

    attele, et les Franais la prirent paisiblement aprs labataille, tandis que. les Russes se retiraient sur la droite,du ct de la Hongrie. Il y avait cinquante pices decanon, dont on n'avait pas mme jug propos d'es-sayer l'usage. En un mot, Sire, il me semble qu'onpourrait appeler cette bataille, un grand suicide. Lors-

    qu'on a voulu en demander la relation au gnral Kou-

    touzof, il a rpondu qu'il ne voulait point donner larelation d'une bataille livre malgr lui, et qu'il fallaits'adresser aux Autrichiens qui l'avaient donne.

    Ces dtails sont dsesprants, et font bien sentir l'ir-rvocable destine qui nous entraine. Tout arrive contretoutes les lois du bon sens et de la probabilit, et tousles calculs sont drouts. L'infamie d'Ulm force le braveArchiduc Charles quitter l'Italie; cette retraite rendra

    inutile, et peut-tre funeste, le dbarquement Anglo-Russe fait Naples. La bataille d'Austei litz se perd parcequ'on veut absolument la perdre, et nous achve. Le

    doigt divin est si profondment marqu dans tous ces

    vnements, que je deviens en un sens fataliste, et quej'ose peine me servir de ma raison. Si cependant VotreMajest voulait connatre prcisment les esprances qui

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 39

    me restent, elle les trouverait consignes dans le M-moire ci-joint en treize feuilles dtaches. II a t rdigpour notre cher Duc, qui veut s'en servir auprs du mi-nistre ; mais pour ne rien cacher Votre Majest, j'aibien peur que ce Mmoire ne contienne bien plus ce qu'ilfaudrait faire, que ce qu'on fera. Par une action forte et

    rapide, soutenue de toutes les forces de la Russie, laPrusse pourrait probablement remonter la machine, maisla Prusse tremble, traite et ttonne sa manire ; suivantles apparences, elle nous perdra encore : mais, pour cette

    fois, elle se perdra avec nous. Il faudrait tre bien noviceen politique pour avoir un iustant de tranquillit tant

    qu'on verra manoeuvrer des Haugwi tz et des Lombard ;la politique troite et perverse de ces gens-l n'est pasfaite pour les circonstances que nous voyons, ou pourmieux dire, elle est faite pour les prolonger. J'ai beau

    regarder dans l'univers, je n'y vois rien qui ressemble la force, aux talents, l'espce d'inspiration qui seraitncessaire pour arrter le torrent.

    J'ai protest, dans le Mmoire en question, d'abjurer leton dogmatique : je puis en effet avoir l'honneur d'assurerVotre Majest que je suis fort loign d'accorder mes

    -petites ides plus de poids qu'elles n'en ont rellement.Je sens combien il est ais de critiquer ce qu'on fait etdifficile de montrer ce qu'il faudrait faire ; mais commele parti de la morale m'a toujours paru le plus sr danstoutes les occasions possibles, j'ose croire que dans cemoment il n'y aurait pas de mal d'y revenir, surtout

    aprs avoir puis toutes les ressources du machiav-

    lisme, sans autre rsultat que le dshonneur.

  • 40 LETTRE

    Aucun ministre n'a vu le Prince Czartoryski depuisson retour qui a eu lieu le 27 dcembre; il n'a pas mmerpondu aux lettres par lesquelles nous lui avons de-mand audience suivant l'usage. Incessamment, il doittre tenu un grand conseil, dans lequel S. M. I. prendrades rsolutions analogues l'tat des affaires: jusque-lnous ne serons point entendus. Votre Majest jugera ai-sment des soucis cuisants qui m'obsdent dans ce mo-ment, l'gard surtout de sa personne Auguste. Que jesuis dsireux de savoir ce qu'elle sera devenue au milieude la nouvelle tempte qui aura sans doute clat sur le

    royaume de tapies ! Je ne sais ce que me dira le Prince,mais, quoique je me tienne sr que l'Empereur est in-branlable dans ses dispositions envers Votre Majest, iln'est pas moins vrai que la sphre de nos esprancess'est fort rtrcie la bataille d'Austerlitz. Je souhaite,bien plus que je ne l'espre, qu'une victoire mmorableremporte par les armes Russo-Prussiennes remonte ses

    esprances au point o elles taient il va deux mois ; ilserait superflu de dire Votre Majest que je n'oublierairien de ce qui peut recommander ses intrts cette

    Cour; il me semble que, dans ce moment, on pourraitplus aisment spculer sur ce point sans crainte de cho-

    quer l'Autriche : je suivrai cette ide, que j'ai dj indi-que de loin.

    Nous ignorons absolument le parti qu'aura pris l'Au-triche aprs ses malheurs. Nous n'avons mme plus en-tendu parler de l'Archiduc Charles depuis qu'il a eu lebonheur d'atteindre la Hongrie. L'Archiduc Ferdinand,trois jours aprs la bataille d'Austerlitz, a bravement

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 41

    attaqu et battu les Bavarois dans la Bohme. Je fixesouvent l'oeil sur ce jeune Prince qui me parait promet-tre infiniment : sa conduite dtermine Ulm (quoi qu'ilen soit de sa dispute avec Mack, considre suivant les

    rigueurs de la discipline), la victoire qu'il a remportesur les Bavarois, et plus que tout cela peut-tre, unecertaine confiance qu'il inspire gnralement, me sem-blent permettre de le considrer comme l'une des plusbrillantes esprances de son auguste et malheureuseMaison. Si les traits forcs ne paralysent pas ce talent,j'espre qu'il aura d'autres occasions de le dployer pourle salut de l'Europe. Je ne dirai rien Votre Majest desressorts cachs et mprisables qui ont amen la catas-

    trophe autrichienne ; comme ils taient parfaitementconnus tout prs de Votre Majest, et qu'on en avaitmme peu prs prdit les effets, je pense qu'elle n'i-gnore rien sur ce sujet dplorable.

    Votre Majest s'apercevra aisment que cette lettreest crite jour par jour et commence depuis trs long-temps. Il y a trois mois, Sire, que j'attends le dpartd'un courrier toujours retard, et malgr l'impatienceque me cause ce retard, je n'ai pas os en envoyer un demon chef. J'ai mand M. le Chevalier de Rossi le d-tail de ma conversation du 10, qui fut bien amre pourmoi : je me rapporte 4 cette lettre ; la fin du mois j'at-tends une autre audience, sans savoir encore quand elleme sera accorde.

    Depuis quelques mois, j'avais song Venise pour VotreMajest. Cet tablissement aurait t, sous tous les rap-ports, suprieur au Pimont mme ; mais la chose n'tant

  • 42 LETTRE

    pas proposable directement tant que la Maison d'Au-triche possdait, j'avais pris le parti d'en parler dansune lettre M. le Comte de Front, et de l'acheminer demanire tre sr qu'elle serait dcachete ici. 11 se

    trouve, par une singularit remarquable, que l'Autrichen'aurait point t loigne de cette ide, et que l'Empe-reur Franois a parl dans ce sens celui de Russie ;mais cette ide s'est vapore comme tant d'autres surle champ de bataille d'Austerlitz. Il est bon cependant de

    ne pas la perdre de vue. Je songe dans ce moment pro-poser ce Cabinet, et par son canal celui d'Angleterre,de procurer Votre Majest un tablissement quelcon-que de leur chef, et sans le concours de la France ; parconsquent avant le trait de paix dfinitif. De cettemanire Votre Majest attendrait ce trait d'une manireplus supportable, et s'il est dcidment contre Elle,comme la chose est malheureusement trs possible, Elleviterait au moins le dernier dsagrment d'une renon-ciation formelle au Pimont, puisque ne recevant riende la France, elle n'aurait rien stipuler avec cette puis-sance. J'attends ma nouvelle audience pour tre en tatd'en dire davantage sur ce point Votre Majest. Danscelle du 10, le Prince me rpta beaucoup qu'il fallaittout accepter : c'est aussi l'avis que j'ai eu l'honneur deprsenter Votre Majest depuis trs longtemps. Il nes'agit plus pour Elle que de conserver la Souverainet etde la transmettre ses descendants. Plusieurs raisonsfont prsumer que la puissance inoue que nous avonsvue se former sera passagre ; mais ce qui ne dure quetrente ou quarante ans s'appelle encore passager dans

  • AU ROI V1CTOR-EMMANUEL. 43

    l'histoire ; la sagesse exige donc que Votre Majestmette les choses au pire, et se dtermine en consquence.Je puis aujourd'hui avoir l'honneur de lui rpter sansinconvnient que la restitution du Pimont n'a jamais tpossible un seul instant; depuis les dernires victoiresdes Franais, un tablissement sur quelque autre point del'Italie est devenu peut-tre tout aussi impossible. Quandon le lui accorderait, je ne sais pas trop quelle exis-tence aurait Votre Majest dans un petit pays plac aumilieu du royaume d'Italie, ni comment elle supporte-rait cet insupportable vasselage ; il me parait, que pourattendre srement et dcemment un autre ordre dechoses, Malte serait le point le plus convenable. JamaisVotre Majest ne m'a communiqu ses ides sur cet ar-ticle ; je ferai tout pour le mieux aprs y avoir biensong : c'est tout ce que je puis dire une telle dis-tance.

    Aprs des comdies de toute espce, la Prusse a finicomme on devait s'y attendre : elle a jou compltementla Russie et n'a travaill qu' son profit; elle voulait

    prendre possession du Hanovre, elle y est parvenue.Haugwitz s'est servi des pleins pouvoirs qu'il tenait desdeux puissances pour signer ce qu'il a voulu. Commeon garde ici un profond silence, il est impossible desavoir encore jusqu' quel point l'Empereur a t of-fens, et ce qui en rsultera ; en attendant, les troupescoalises vacuent le Hanovre et les Prussiens les rem-

    placent. Il est bien dit qu'ils prennent seulement des

    positions et que l'administration demeure la rgence;mais je ne suis pas dupe de cette autre comdie, et je re-

  • 44 LETTRE

    garde l'lectorat comme nouvellement perdu pour le Roid'Angleterre. Avec les meilleures intentions du monde,l'excellent Empereur Alexandre ne s'est pas moins trompde toutes les manires, et de la faon la plus fatale. Dumoment qu'il vit le choix fait Berlin de MM. de Haug-witz et Lombard, et les gards particuliers qu'on avait

    pour le gnral Duroc, il devait entrer en dfiance et

    parler haut; et aprs avoir trs malheureusement donnla bataille du 2 dcembre, il devait voler en Silsie ettenir la, Prusse en respect avec une arme formidable ; enrevenant ici sur le champ, il a tout perdu. Que fera-t-ilmaintenant? Je l'ignore absolument. Peut-tre ce qu'ilaurait de mieux faire serait de dclarer la guerre laPrusse. Je ne vois pas pour lui d'autre moyen de de-meurer puissance europenne et de pouvoir embarrasserla France : il est peut-tre plus probable qu'il demeureradans une attitude hostile, sans combattre Bonaparte,- etsans le reconnatre. Mais cet tat peut-il durer? Au

    moyen de Venise, de l'Istrie et de la Dalmatie, nous ver-

    rous bientt l'heureux conqurant commencer l'excutionde ses vastes plans sur la Grce et le Levant, inquiterla Russie sur ses provinces mridionales, et la forcer combattre chez elle. En gnral, Sire, depuis la bataille

    d'Austerlitz, la Russie n'est plus ce qu'elle tait; sesarmesont perdu dans l'opinion la haute rputation dont elles

    jouissaient, et celles de la France, au contraire, passentpour suprieures toutes. Nul homme ne peut prvoirce qui arrivera, car Bonaparte n'a plus de rival. Il n'y a

    plus qu'une rvolution intrieure qui puisse renverser ce

    colosse, et cette rvolution mme ne parat plus aussi

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 45

    probable qu'elle l'tait ; il comble de gloire la plus vani-teuse nation de l'univers ; il sait vaincre, il sait punir etil sait rcompenser, il est donc bien fort. Cependant, lesavis les plus certains nous disent qu'il est gnralementha ; il faudrait tre en France pour juger sainement del'opinion franaise. Je croirais manquer mes devoirsenvers Votre Majest, si je lui prsentais des esprancestrompeuses ; tout n'est pas perdu sans doute, mais toutva infiniment mal. Les malheurs de Votre Majest n'ontau reste d'autre effet sur moi que celui de m'attacher

    plus vivement sa personne et ses intrts ; tant qu'ilrestera une lueur d'esprance et une goutte du sang deson Auguste famille, la dernire goutte du mien lui sera

    toujours consacre.19 (31) janvier 1806. Aujourd'hui, Sire, j'ai obtenu

    une nouvelle audience du Prince Czartoryski, laquellesans avoir t absolument rassurante (car elle ne pouvaitl'tre), n'a cependant pas t aussi triste que la prc-dente; j'ai dbut par observer qu'il me paraissaitinfiniment probable que dans ses ngociations avec Bo-

    naparte, le Comte de Haugwitz aurait parl de nous, et

    qu'il importait Votre Majest de savoir ce qui avait tdit. A cela il m'a t rpondu que dans le trait signavec la Prusse, les deux puissances taient demeuresd'accord de demander pour Votre Majest le royaumede Ligurie ou les trois Lgations, le tout avec les arron-dissements convenables; mais que M. de Haugwitz ayantfait tout autre chose que ce que portaient ses pouvoirs,il ne s'agissait plus de cette premire demande, et quetrs certainement l'Empereur ne savait point si et com-

  • 46 LETTRE

    ment il avait t question de nous dans cette nouvelle

    ngociation.Je crois, pour avoir l'honneur de le dire en passant

    Votre Majest, que le Comte de Haugwitz avait plus d'unpouvoir dans sa poche, et qu'aprs la bataille d'Auster-

    litz, il n'aura pas t difficile au parti Franais de rame-ner S. M. Prussienne dans la route ordinaire de sonCabinet. Les meneurs de Berlin doivent rire de bon coeuren contemplant les cordons et les bijoux laisss dans leurville par l'Empereur Alexandre. Le digne Lombard a reupour son compte une bague de 25,000 roubles : il fautavouer qu'il l'a bien gagne. Et c'est dans ce moment

    prcis qu'on perdait les lettres de change de Votre Ma-

    jest.Pour revenir mon audience, j'ai demand, en second

    lieu, quelles seraient les intentions de S. M. I. relative-ment tel ou tel pays qu'on pourrait offrira Votre Ma-

    jest hors de l'Italie ; le Prince m'a rpondu que dans cemoment il tait impossible l'Empereur d'avoir des in-tentions dtermines, puisque les affaires politiques setrouvaient dans un chaos o il tait impraticable dediscerner aucun objet. Cependant il ne m'a plus paru aussiabattu, et j'ai cru voir clairement que l'Empereur tientbon et ne pense nullement la paix, ce qui est tout ce

    que Votre Majest peut dsirer dans l'tat actuel deschoses ; alors j'ai fait tomber le discours sur Veuise, etle Prince m'a confirm les dclarations faites sur ce pointpar S. M. l'Empereur d'Autriche. J'ai observ que cet

    objet ne devait point tre perdu de vue, attendu qu'ilpourrait en tre question, si jamais les Franais venaient

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 47

    tre chasss de l'Istrie et de la Dalmatie ; et saisissantcette occasion, j'ai appuy fortement sur ces deux pro-vinces, dont la possession rendait inutile pour l'Europela mmorable bataille de Trafalgar, puisque Bonapartepouvait faire par terre, au moyen de ses possessionsvnitiennes, tout ce qu'il aurait fait par mer, si sa flotten'avait pas t dtruite. Aprs ce discours, que je n'aipas cru, beaucoup prs, inutile dans les circonstances

    prsentes, j'en suis venu Malte pour l'tablissementprovisoire dont j'avais l'honneur de parler prcdemment votre Majest. Le Prince ne pouvait tre prpare uneproposition de cette espce: il m'a demand pourquoi jecroyais que les Anglais ne pourraient pas retenir Malte,car j'tais parti de l. Je lui en dis les raisons, en luiajoutant que les Anglais se faisaient illusion Sur ce point,que l'intrt gnral de l'Europe ne laisserait jamais cetteile entre les mains d'une puissance prpondrante, qu'ilserait plus honorable pour l'Angleterre de la donner au

    Roi, que de la cder dans un trait dfinitif; qu'en at-

    tendant, elle en tirerait toujours le mme parti pour sesvaisseaux, que Votre Majest, de son ct, serait dcem-ment place l'abri de toute violence et nullement exclued'une plus ample indemnisation, etc.

    Le Prince, qui ne pouvait tre prpar, comme je l'aidit, n'a pu rpondre d'une manire dcide, mais il ypensera, et quant moi, Sire, il me suffit dans ce mo-ment de mettre en avant toutes les ides possibles ; jen'ai pas manqu de dire que cela m'appartenait exclusi-vement.

    Le courrier devant partir incessamment, je terminerai

  • 48 LETTRE

    ici cette dpche, me rservant de faire connatre, par de

    petites notes interrompues, M. le Chevalier de Rossi,tout ce qui pourra lui paratre de quelque importance,jusqu'au moment mme du dpart.

    Il ne me reste qu' prsenter Votre Majest le nou-vel hommage d'un zle qui ne pourra que s'enflammerdavantage par nos malheurs, et celui du trs profondrespect avec lequel, etc.

    136

    A M. le Chevalier de Rossi.

    19 (31) janvier 1806.

    MONSIEUR LE CHEVALIER,

    Il est bien dur de rompre un si long silence pourn'exprimer que le dsespoir. Mme aprs la honteusecalamit d'Dlm, on pouvait tout sauver: mais tout a t

    perdu Austeriitz. Je ne puis penser cette bataille,sans me rappeler une phrase fameuse de Tacite : Ja-mais il ne fut plus vident que les dieux, trs peu sou-cieux de notre bonheur, ne le sont que de leur ven-geance. C'est un phnomne, Monsieur le Chevalier,c'est une magie, c'est un miracle. C'est quelque chosequi n'a point de nom, et que l'on conoit moins me-sure qu'on y rflchit davantage. Comment le Prince le

  • A M. LE CHEVALIER DE ROSSI. 49

    plus sage, le plus humain, le plus dfiant surtout de ses

    propres lumires (car c'est ce point qui est le plustrange) comment, dis-je, un tel Prince s'est-il dter-min donner une bataille contre l'avis de tous ses

    gnraux, sur l'avis de quelques jeunes courtisans ? C'estcependant ce que nous avons vu. A quelques pas derrirelui, il avait une arme qui venait le joindre, et des vi-vres quelques verstes. On ne pouvait que gagner auretard ; mais non, il faut se battre : Ce que j'ai crit estcrit. On se bat, vous savez avec quel succs ! Deux

    jours aprs , l'un des Archiducs est vainqueur enBohme, et l'autre arrive avec soixante mille hommesaux portes de Vienne. Il y a de quoi perdre la tte.

    Rptons, Monsieur le Chevalier : non esse cura diissecuritatem nostram, esse ultionem . Jamais on ne vit defatalit plus visible et plus funeste : les suites de cettebataille sont encore plus inconcevables que la bataillemme. Si l'Empereur avait tenu bon, au moins sur lafrontire, si surtout il avait couru son arme deSilsie pour raffermir l'opinion et dcider la Prusse,on pouvait encore rparer le mal, mais N'importe!Jamais je ne pourrai cesser de l'aimer. Le public a bienrendu justice ses intentions en le recevant, on peutdire, avec amour. Qu'est-ce qu'une bataille perdue pour,la Russie hors de chez elle! Bataille qui n'est pas mme

    perdue, puisque les Franais ont perdu douze mille hom-mes et cinq ou six gnraux, tandis que les Russesn'en ont pas perdu un ? Tout cela, Monsieur le Cheva-

    lier, est bel et bon dans les temps ordinaires. Mais cette poque, l'opinion, comme tout le reste, ne ressem-

    T. X. 4

  • 50 LETTRE

    ble rien. La bataille d'Austerlitz est une bataille deCannes et l'on dirait qu'Annibal est aux portes. M. San-chez d'Aguilar, prcdemment Secrtaire d'Ambassade,et maintenant Charg des affaires d'Autriche, qui estarriv ici le 3 (n. s.), a t surpris de cette opinion et l'acombattue de toutes ses forces.

    137

    Au Roi Victor-Emmanuel.

    25 janvier (6 fvrier) 1806.SIRE,

    J'espre que dans cette malheureuse circonstance,Votre Majest voudra bien permettre que je lui prsentedirectement quelques rflexions qui me concernent, et

    qu il me serait dsagrable de faire passer par la voieordinaire des bureaux.

    Votre Majest n'a srement pas oubli l'extrme rpu-gnance que je montrai pour me rendre Ptersbourg.Un trs grand nombre d'observations m'avaient con-vaincu que des circonstances extraordinaires, ou laconduite extraordinaire de certains hommes ne parais-saient point Votre Majest exiger d'Elle des mesuresgalement loignes des formes ordinaires. Je connais,sais d'ailleurs d'autres choses, et le tout ensemble me

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 51

    persuadait que Votre Majest ne se dterminerait jamais me mettre au niveau de ma place, de manire que monexistence dans ce pays ne serait qu'un long martyre.

    Tran Naples uniquement par mon coeur, je renou-velai de bouche Votre Majest la demande que j'avaisfaite par crit: je demandai (et jamais il n'y eut deproposition plus mesure) d'tre prsent comme ungentilhomme Sarde, au lieu d'tre expos comme, unavocat Pimontais. Votre Majest tait peut-tre bienloigne de sentir les suites de son refus. Je vis lamaxime adopte mon gard : Rien pour le C. M.jusqu' la restauration . Elle prononait une espce demort civile contre ma famille ; le coup qu'elle lui a portest irrparable, et la plaie qui s'est faite dans mon coeurne se refermera jamais. Si donc il m'est chapp dansmes lettres des vivacits, et des traits de mauvaise hu-meur capables de dplaire Votre Majest, comme leComte de Roburent a bien voulu m'en avertir, je la prietrs humblement de vouloir bien les pardonner l'hon-neur afflig, et plus encore la tendresse paternelle : car

    je proteste Votre Majest, sur tout ce qu'il y a de plussacr, que la moindre condescendance de sa part auraitabsolument chang l'tat de ma famille.

    Le systme adopt mon gard devait avoir toutessortes de consquences malheureuses, mme pour le ser-vice de Votre Majest. Je mcontente de lui en exposerune qui ne concerne que moi : c'est que je suis mis parce systme hors d'tat d'avoir l'honneur de servir Votre

    Majest hors de ce pays. D'une manire ou d'une autre,j'ai pris ma place ici ; mais Dieu me prserve, Sire, de

  • 52 LETTRE

    porter ailleurs l'existence quivoque que Votre Majesta cru devoir me laisser. Ce n'est pas que jamais j'aie laforce de lui dire non : moins prsent que jamais, Sire.Mais comme rien ne pourrait tre plus dsagrable pourmoi, je ne crois pas que Votre Majest voult me causerce dernier chagrin. Elle sent bien d'ailleurs que, commepre, je n'ai plus d'esprance que dans ce pays. Si jem'loignais, je perdrais mes liaisons, et si les malheurscontinuent, que deviendraient mes enfants au milieu dumonde ?

    Depuis les derniers vnements, on m'a beaucoupparl d'entrer au service de S. M. I. et d'y faire entrermon fils. Quant moi, Sire, je ne balance pas un mo-ment ; mon serment n'est pas mort la bataille d'Aus-terlitz, et tant que je pourrai tre utile Votre Majest,je demeurerai mon poste. Pour mon fils mme, je neme dterminerai qu' la dernire extrmit ; c'est unmalheur de prter un nouveau serment, mme lorsqu'ony gagne. Mais il est de toute ncessit, Sire, que VotreMajest daigne me faire connatre ses intentions mongard. Il y a bientt quatre ans que je vis spar de mafamille ; l'espoir d'une restauration prochaine rendaitcette sparation moins insupportable, quoique cet espoirft trs faible dans mon esprit. Aujourd'hui que nulleprudence humaine ne peut prvoir avec quelque fonde-ment la fin des calamits de l'Europe, il faut bien queje prenne un parti. Un divorce sans fin ne s'accorde avecaucune loi. J'ai un enfant de 13 ans que je ne connais pas !Votre Majest sent bien qu'un tat aussi violent doitfinir une fois. Cependant, Sire, il n'y a rien quoi je ne

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 53

    me soumette pour viter l'ombre mme de l'indiscrtion.Ma femme et mes deux filles se soumettront venir parmer, si nos amis les Anglais veulent favoriser ce projet,ce qui me parat probable ; de plus, loin de presser le

    voyage dans des circonstances aussi malheureuses, Vo-tre Majest n'a qu' fixer le terme; quel qu'il soit, j'ysouscris sans disputer, pourvu qu'il y en ait un. Ici, jeprendrai l'appartement le plus modeste, je vivrai de lamanire la plus retire ; en un mot, Sire, je n'oublierairien pour diminuer ma dpense qui cependant, malgrtoutes les conomies praticables, passera ncessairementcelle que je fais aujourd'hui.

    Si, contre mes esprances les plus chres, mes ser-vices n'taient plus utiles Votre Majest dans ce pays,j'espre que, dans ce cas, Elle daignerait me recommander S. M. L'Empereur comme un homme qui l'a serviefidlement. J'ai toutes les raisons d'esprer que j'obtien-drai un sort passable, mais je suis bien loign de croire,Sire, que Votre Majest doive abandonner en quelquefaon la partie, en cessant d'avoir un Ministre ici ; ettant qu'elle me fera l'honneur de me prfrer un autre,ni l'attrait du prsent, ni la crainte de l'avenir, ne m'em-

    pcheront de rester mon poste tant que Votre Majestle jugera propos. J'ai cru seulement qu'il tait de mondevoir de faire connatre parfaitement Votre Majestma position et mes projets, afin qu'Elle daigne me faireconnatre ses intentions mon gard. J'ai cinquanteans, mes enfants sont grands, je dsirerais avoir l'es-prit tranquille sur l'tablissement que je dois faire ici.J'aurais beaucoup dsir retarder ces tristes rflexions

  • 54 LETTRE

    et ne pas les adresser directement Votre Majest, maisles courriers me commandent et j'attends de son extrmebont qu'elle daignera pardonner quelque chose au d-

    sagrment de jeter certains dtails dans le canal ordi-naire des correspondances officielles.

    Je suis le chef d'une famille, Sire, l'une des plusnombreuses de votre ancien Duch de Savoie, et la seule,je pense, de ce pays, qui soit demeure tout entire auservice de Votre Majest jusqu'au dernier moment, sansexception ni variation. Aujourd'hui mme, il n'y a pasun seul individu, parmi ceux qui ont t forcs de ren-trer en France, qui soit au service du vainqueur. Votre

    Majest est le cinquime Souverain que nous avons l'hon-neur de servir depuis cent ans, et plusieurs circonstances

    qui -ne sont pas toutes connues de Votre Majest m'a-vaient conduit ce point o un Souverain peut faire toutce qu'il veut de son sujet. Dans cette position, je ne sou-haitais et ne demandais qu'une grce indpendante des

    vnements, vitant toujours de btir sur l'avenir quime paraissait une terre trop mouvante. Tout le reste estnul pour moi. J'ai voulu montrer navement Votre

    Majest le sentiment excit dans mon coeur par un refusque l'orgueil toujours aveugle m'avait fait regardercomme impossible, et qui a bless mortellement ma fa-mille ; mais j'ai l'honneur de protester Votre Majest,avec la mme navet, qu'il n'y a rien dans ce sentiment

    qui ressemble le moins du monde la mutinerie ou auressentiment. Au contraire, Sire, les malheurs de Votre

    Majest, en augmentant tous les jours, n'ont d'autreeffet sur moi que d'augmenter mon respect, mon d-

  • AU ROI VICTOR-EMMANUEL. 55

    vouement et mon affection sans borne pour sa personneAuguste. J'espre pouvoir lui en donner encore des preu-ves durables. Si je n'ai pas bien mesur toutes mes pa-roles dans mes lettres (je ne me le rappelle aucunement),je rclame de nouveau trs humblement son indulgence.C'est le pre, Sire, qui a pouss quelques cris : le sujets'est toujours tu. J'ai d'ailleurs constamment eu deuxides consolantes : la premire, que Votre Majest eurefusant de me placer ici comme je le dsirais, avait debonnes raisons dont elle ne doit compte personne ; la

    seconde, qu'Elle a pu trs lgitimement considrer commeune fantaisie et comme une espce d'enfantillage, deschoses qui taient cependant, dans un sens, la vie oula mort. Car je regarde comme impossible que VotreMajest soit informe de certaines choses.

    Quand il en serait autrement, mes intrts particuliersdisparaissent absolument, mme mes propres yeux,devant le dvouement inaltrable et le trs profond res-

    pect avec lequel je suis,Sire,

    de Votre Majest,Le trs humble, trs obissant et trs fidle

    serviteur et sujet.

  • 56 LETTRE

    138

    A M. le Chevalier de Rossi.

    2 (14) fvrier 1806.

    La veille de la bataille d'Austerlitz, il tait questionpour l'Empereur d'Autriche d'aller en Silsie s'aboucheravec le Roi de Prusse pour les intrts communs ; leComte de Cobentzel s'y opposa, et il lui chappa mmede dire qu'il y avait des occasions o les princes de-vaient payer de leur personne; l'Empereur de Russie

    prsent prit cette phrase pour lui : il se piqua, je ne saissi je dois dire d'honneur, et dit qu'il se battrait. M. deCobentzel, averti de la faute qu'il avait faite, fit l'impos-sible pour la rparer, mais tout fut inutile ; aprs la ba-

    taille, on pouvait encore tout sauver : la retraite prcipitede l'Empereur a tout perdu. Pourquoi cette retraite? Ill'avait promise Bonaparte, dit-on ; mais d'abord il estall trop vite. Il y avait bien des moyens de rester en

    place, d'ailleurs, en faisant retirer son arme suivant lemalheureux accord. Pourquoi ne pas aller joindre cellede Silsie avec tous les renforts qu'il avait derrire lui ?Je crains bien qu'un homme, porte de savoir quelquechose, ne m'ait dit la vrit lorsqu'il m'a racont que lelendemain de la bataille, quelqu'un dont il n'est pas pos-sible de savoir le nom, dit l'Empereur que s'il ne rve-

  • A M. LE CHEVALIER DE ROSSI. 57

    nait en toute hte dans sa capi