OCP onchocercose Préserver les acquis d’une lutte ......Sciences au Sud- Le journal de l’IRD -...

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o n c h o c e r c o s e Préserver les acquis d’une lutte exemplaire Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008 7 De la maîtrise des vecteurs… Parmi les grandes endémies africaines, l’onchocercose tient une place particu- lière. En effet, c’est contre cette affec- tion que s’est mis en place, dès 1974, un des premiers programmes de lutte contre une maladie tropicale. L’objectif de ce Programme de lutte contre l’on- chocercose en Afrique de l’ouest (OCP) était d’interrompre la transmission du parasite par l’élimination de son vecteur (les simulies) et de maintenir ce résultat pendant au moins 14 ans, jusqu’à extinction naturelle des vers adultes chez les sujets infestés, tout en empê- chant la réinvasion des zones traitées. Les simulies pouvant migrer sur plus de 300 km, le programme ne pouvait se concevoir qu’à une échelle régionale. Grâce à une coopération internationale exemplaire, 11 pays furent couverts jus- qu’à l’achèvement du programme en 2002. À cette date, un million de per- sonnes avaient été débarrassées de leurs parasites, 600 000 cas de cécité avaient été prévenus et 18 millions d’enfants étaient nés dans des régions libérées du risque de cécité onchocer- quienne. Ces résultats font de l’OCP un des programmes de santé publique les plus efficaces parmi ceux de l’OMS. … au contrôle des parasites Par ailleurs, c’est également pour com- battre l’onchocercose que les Labo- ratoires Merck & Co ont créé, en 1987, le premier programme de donation d’un médicament. L’ivermectine 1 , seule molé- cule filaricide utilisable à large échelle, peut ainsi être distribuée en campagne de masse dans toutes les zones où l’on- chocercose est endémique, y compris les 19 pays africains qui n’avaient pas béné- ficié de l’OCP. Néanmoins, si l’ivermectine est efficace contre le stade embryonnaire du parasite responsable des manifesta- tions cliniques, son effet sur les vers adultes est limité. Les traitements doi- vent donc être répétés tous les ans. Pour assurer une telle continuité de distribu- tion, une méthode innovante de « traite- ment sous directives communautaires » a été développée dans le cadre du Programme africain de lutte contre l’on- chocercose (APOC) lancé en 1995. Cette stratégie fondée sur un partenariat avec les communautés touchées a fait la preuve de son efficacité puisque chaque année 50 millions de personnes reçoi- vent de l’ivermectine. Mieux, ce concept est actuellement repris pour combattre d’autres endémies. La lutte contre l’onchocercose pourrait ainsi constituer une « locomotive » pour le contrôle de plusieurs autres maladies tropicales négligées. 1. Découverte à la fin des années 1970, l’ivermectine permet d’abaisser et de main- tenir pendant plusieurs mois la densité de microfilaires à un niveau très faible qui n’oc- casionne pas de troubles cliniques. d’autres espèces de nématodes parasites du bétail. En parallèle, ils ont suivi l’évolution de deux gènes témoins connus pour leur grande stabilité évolutive. Alors que la pro- portion d’homozygotes et d’hété- rozygotes pour ces deux gènes est restée stable, il en est allé tout autrement pour le gène de la β-tubuline. Entre 1994 et 1998, le pourcentage de parasites présentant un génotype homozygote pour ce gène est en effet passé de 79 à 31% chez les sujets traités par l’ivermectine tous les trois mois. Ce résultat pourrait être le signe d’une adaptation progres- sive des populations d’O. volvulus au médicament. Les parasites homo- zygotes pour la β-tubuline pour- raient en effet être plus sensibles à epuis 1994, des cher- cheurs de l’unité Épidé- miologie et prévention (Epiprev) de l’IRD, en col- laboration avec des partenaires du Cameroun et de l’université McGill de Montréal, suit une cohorte de patients camerounais bénéficiant de traitements annuels par l’ivermec- tine. Les scientifiques ont prélevé régulièrement chez ces personnes des échantillons de parasites afin de mesurer l’évolution de la structure génétique des populations d’Oncho- cerca volvulus. Ils ont déterminé la fréquence respective des hétérozy- gotes et des homozygotes pour le gène codant la β-tubuline, une pro- téine de structure des cellules du parasite connue comme marqueur de résistance à l’ivermectine chez Recherches l’ivermectine et disparaître pro- gressivement au profit des hétéro- zygotes. Outre son effet direct sur les micro- filaires, l’ivermectine empêche leur sortie des utérus des vers adultes pendant plusieurs mois après le trai- tement : c’est l’action embryosta- tique. Or les chercheurs ont constaté que les vers femelles hétérozygotes contenaient moins de microfilaires dans les utérus que les parasites homozygotes. Les vers hétérozygotes pourraient donc être moins sensibles à l’effet embryostatique de l’iver- mectine. Les traitements répétés conduiraient ainsi à une sélection de vers plus à même de maintenir la production de nouvelles générations. Toutefois, l’action directe du médica- ment sur les microfilaires ne sem- blant pas altérée, il n’y a donc, pour l’heure, aucune raison de remettre en cause la stratégie actuelle de lutte. Mais ces résultats devraient susciter des investigations supplé- mentaires et la mise en place d’un réseau de surveillance. Une étude coordonnée par l’IRD et financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), visant à confronter la réponse au traitement par iver- mectine et le génotype de deux popu- lations de parasites : l’une soumise à des traitements annuels depuis plus de 10 ans, et l’autre soumise à une très faible pression de sélection, est actuellement conduite au Cameroun en collaboration avec une équipe de l’Inra, des chercheurs des universi- tés de Yaoundé I et de Buea (Cameroun), le ministère de la Santé publique du Cameroun, l’université McGill de Montréal (Canada) et l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni). Femme atteinte de cécité onchocerquienne. © IRD/M. Boussinesq © IRD/B. Philippon Prospection de gîtes de reproduction des simulies en Guinée lors du programme OCP. Loa loa : le ver de trop lusieurs cas de réactions neurologiques graves ont été décrits à la suite d’un traitement par ivermec- tine. Ces accidents, parfois mortels, sont exceptionnels, mais ont des répercussions négatives sur les cam- pagnes de distribution du médicament sous directives communautaires. Des chercheurs de l’IRD ont montré, au Cameroun, que ces événements sur- viennent chez les personnes qui pré- sentent une très forte infestation par un autre parasite, la filaire Loa loa 1 . L’action du médicament sur les microfilaires circulant dans le sang entraîne un blocage des parasites dans les capillaires, notamment céré- braux, conduisant à leur obstruction. Les travaux menés par l’IRD ont per- mis d’identifier un signe d’alarme permettant de repérer, peu de temps après traitement, les personnes sus- ceptibles de développer une telle réaction. Les facteurs influençant la répartition du parasite dans la popu- lation humaine (y com- pris une susceptibi- lité génétique des individus condi- tionnant la pré- sence des microfi- laires dans le sang) ont été recherchés. Un modèle prédictif de l’ampleur de l’endémie de Loa (et donc du risque de sur- venue des réactions graves), fondé sur l’altitude et les indices de végéta- tion, a également été mis au point. Ce modèle est utilisé en routine pour déli- miter les zones où des mesures de surveillance particulières doivent être mises en place. Des travaux sont aussi menés pour identifier un traite- ment permettant d’abaisser progres- sivement les charges de Loa et qui pourrait être appliqué avant les distri- butions d’ivermectine pour prévenir les réactions à ce médicament. Les recherches devraient aussi s’orienter dans deux directions : la définition d’un protocole optimal de prise en charge des patients pré- sentant une encéphalopathie à Loa, et la mise au point d’une méthode qui permettrait aux distributeurs commu- nautaires de détecter les individus à risque avant traitement. 1. Loa Loa est un nématode filiforme trans- mis par des taons de l’espèce Chrysops. Les adultes ne mesurent que 3 à 7 cm. Moins pathogènes qu’O. volvulus, Loa Loa pro- voque habituellement des manifestations bénignes : œdèmes transitoires et passage du ver adulte sous la conjonctive de l’œil. Contact Michel Boussinesq [email protected] Une des principales manifestations de la loase : l’œdème de Calabar, œdème transitoire qui touche souvent l’avant-bras ou le poignet. Une goutte épaisse colorée au Giemsa, avec de nombreuses microfilaires de Loa loa. Le patient présente un risque d’encéphalopathie post-ivermectine. © Joseph Kamgno © Joseph Kamgno Partie postérieure d’une femelle d’Onchocerca volvulus, avec le début du premier ovaire visible. Embryogramme (étalement du contenu des utérus, après broyage du ver). On voit des microfilaires normales et des microfilaires en voie de dégénérescence (avec des vacuoles) à cause de leur accumulation dans les utérus, conséquence de l’action embryostatique de l’ivermectine. Les programmes de lutte contre l’onchocercose initiés depuis les années 1970 constituent de formidables succès et l’onchocercose est souvent considérée comme une maladie du passé. Malheureusement, ces résultats, fruits de circonstances particulièrement favorables, restent fragiles. Dans l’attente d’un médicament actif sur le ver adulte, l’avenir dépend de deux facteurs : le maintien de l’engagement des distributeurs d’ivermectine, généralement bénévoles, et le maintien de l’efficacité de ce médicament. L’onchocercose L’onchocercose, ou cécité des rivières est une maladie para- sitaire provoquée par Onchocerca volvulus, un ver néma- tode transmis par des moucherons piqueurs, les simulies dont les larves se développent dans les rivières à courant rapide. Les parasites adultes, qui mesurent plus de 50 cm et peuvent survivre 14 ans chez l’homme, pro- duisent des millions de microfilaires (larves microsco- piques) qui migrent à travers l’organisme en provo- quant lésions cutanées sévères et atteintes oculaires pouvant conduire à la cécité. L’Afrique subsaharienne concentre 99 % des 37 millions de sujets infestés. Parmi eux, six millions souffrent d’un prurit intense ou d’une dermatite, 800 000 de troubles oculaires et 350 000 ont perdu la vue. Au total 120 millions de personnes sont exposées au risque d’onchocercose. (données OMS). Chef du village de Madina Diassa au Mali, gravement atteint par l’onchocercose. © IRD/H. Guillaume © IRD/M. Boussinesq © IRD/M. Boussinesq

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Préserver les acquisd’une lutte exemplaire

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

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De la maîtrise des vecteurs…Parmi les grandes endémies africaines,l’onchocercose tient une place particu-lière. En effet, c’est contre cette affec-tion que s’est mis en place, dès 1974,un des premiers programmes de luttecontre une maladie tropicale. L’objectifde ce Programme de lutte contre l’on-chocercose en Afrique de l’ouest (OCP)

était d’interrompre la transmission duparasite par l’élimination de son vecteur(les simulies) et de maintenir ce résultatpendant au moins 14 ans, jusqu’àextinction naturelle des vers adulteschez les sujets infestés, tout en empê-chant la réinvasion des zones traitées.Les simulies pouvant migrer sur plus de300 km, le programme ne pouvait seconcevoir qu’à une échelle régionale.Grâce à une coopération internationaleexemplaire, 11 pays furent couverts jus-qu’à l’achèvement du programme en2002. À cette date, un million de per-sonnes avaient été débarrassées deleurs parasites, 600 000 cas de cécitéavaient été prévenus et 18 millionsd’enfants étaient nés dans des régionslibérées du risque de cécité onchocer-quienne. Ces résultats font de l’OCP undes programmes de santé publique lesplus efficaces parmi ceux de l’OMS.

… au contrôledes parasitesPar ailleurs, c’est également pour com-battre l’onchocercose que les Labo-ratoires Merck & Co ont créé, en 1987,le premier programme de donation d’unmédicament. L’ivermectine1, seule molé-cule filaricide utilisable à large échelle,peut ainsi être distribuée en campagnede masse dans toutes les zones où l’on-chocercose est endémique, y compris les19 pays africains qui n’avaient pas béné-ficié de l’OCP. Néanmoins, si l’ivermectineest efficace contre le stade embryonnairedu parasite responsable des manifesta-tions cliniques, son effet sur les versadultes est limité. Les traitements doi-vent donc être répétés tous les ans. Pourassurer une telle continuité de distribu-tion, une méthode innovante de « traite-ment sous directives communautaires »a été développée dans le cadre duProgramme africain de lutte contre l’on-chocercose (APOC) lancé en 1995. Cettestratégie fondée sur un partenariat avecles communautés touchées a fait lapreuve de son efficacité puisque chaqueannée 50 millions de personnes reçoi-vent de l’ivermectine. Mieux, ce conceptest actuellement repris pour combattred’autres endémies. La lutte contrel’onchocercose pourrait ainsi constituerune « locomotive » pour le contrôle deplusieurs autres maladies tropicalesnégligées. ●

1. Découverte à la fin des années 1970,l’ivermectine permet d’abaisser et de main-tenir pendant plusieurs mois la densité demicrofilaires à un niveau très faible qui n’oc-casionne pas de troubles cliniques.

d’autres espèces de nématodes

parasites du bétail. En parallèle, ils

ont suivi l’évolution de deux gènes

témoins connus pour leur grande

stabilité évolutive. Alors que la pro-

portion d’homozygotes et d’hété-

rozygotes pour ces deux gènes est

restée stable, il en est allé tout

autrement pour le gène de la

β-tubuline.

Entre 1994 et 1998, le pourcentage

de parasites présentant un génotype

homozygote pour ce gène est en effet

passé de 79 à 31% chez les sujets

traités par l’ivermectine tous les

trois mois. Ce résultat pourrait être

le signe d’une adaptation progres-

sive des populations d’O. volvulus au

médicament. Les parasites homo-

zygotes pour la β-tubuline pour-

raient en effet être plus sensibles à

epuis 1994, des cher-

cheurs de l’unité Épidé-miologie et prévention(Epiprev) de l’IRD, en col-

laboration avec des partenaires du

Cameroun et de l’université McGill

de Montréal, suit une cohorte de

patients camerounais bénéficiant de

traitements annuels par l’ivermec-

tine. Les scientifiques ont prélevé

régulièrement chez ces personnes

des échantillons de parasites afin de

mesurer l’évolution de la structure

génétique des populations d’Oncho-cerca volvulus. Ils ont déterminé la

fréquence respective des hétérozy-

gotes et des homozygotes pour le

gène codant la β-tubuline, une pro-

téine de structure des cellules du

parasite connue comme marqueur

de résistance à l’ivermectine chez

Rech

erches

l’ivermectine et disparaître pro-

gressivement au profit des hétéro-

zygotes.

Outre son effet direct sur les micro-

filaires, l’ivermectine empêche leur

sortie des utérus des vers adultes

pendant plusieurs mois après le trai-

tement : c’est l’action embryosta-

tique. Or les chercheurs ont constaté

que les vers femelles hétérozygotes

contenaient moins de microfilaires

dans les utérus que les parasites

homozygotes. Les vers hétérozygotes

pourraient donc être moins sensibles

à l’effet embryostatique de l’iver-

mectine. Les traitements répétés

conduiraient ainsi à une sélection de

vers plus à même de maintenir la

production de nouvelles générations.

Toutefois, l’action directe du médica-

ment sur les microfilaires ne sem-

blant pas altérée, il n’y a donc, pour

l’heure, aucune raison de remettre

en cause la stratégie actuelle de

lutte. Mais ces résultats devraient

susciter des investigations supplé-

mentaires et la mise en place d’un

réseau de surveillance.

Une étude coordonnée par l’IRD et

financée par l’Agence nationale de la

recherche (ANR), visant à confronter

la réponse au traitement par iver-

mectine et le génotype de deux popu-

lations de parasites : l’une soumise à

des traitements annuels depuis plus

de 10 ans, et l’autre soumise à une

très faible pression de sélection, est

actuellement conduite au Cameroun

en collaboration avec une équipe de

l’Inra, des chercheurs des universi-

tés de Yaoundé I et de Buea

(Cameroun), le ministère de la Santé

publique du Cameroun, l’université

McGill de Montréal (Canada) et

l’Imperial College de Londres

(Royaume-Uni). ●

Femme atteinte de cécitéonchocerquienne.

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Prospection de gîtes de reproduction des simulies

en Guinée lors du programme OCP.

Loa loa : le ver de trop lusieurs cas de réactions

neurologiques graves ont

été décrits à la suite d’un

traitement par ivermec-

tine. Ces accidents, parfois mortels,

sont exceptionnels, mais ont des

répercussions négatives sur les cam-

pagnes de distribution du médicament

sous directives communautaires. Des

chercheurs de l’IRD ont montré, au

Cameroun, que ces événements sur-

viennent chez les personnes qui pré-

sentent une très forte infestation par

un autre parasite, la filaire Loa loa1.

L’action du médicament sur les

microfilaires circulant dans le sang

entraîne un blocage des parasites

dans les capillaires, notamment céré-

braux, conduisant à leur obstruction.

Les travaux menés par l’IRD ont per-

mis d’identifier un signe d’alarme

permettant de repérer, peu de temps

après traitement, les personnes sus-

ceptibles de développer une telle

réaction. Les facteurs influençant la

répartition du parasite dans la popu-

lation humaine (y com-

pris une susceptibi-

lité génétique des

individus condi-

tionnant la pré-

sence des microfi-

laires dans le sang)

ont été recherchés.

Un modèle prédictif de

l’ampleur de l’endémie de

Loa (et donc du risque de sur-

venue des réactions graves), fondé

sur l’altitude et les indices de végéta-

tion, a également été mis au point. Ce

modèle est utilisé en routine pour déli-

miter les zones où des mesures de

surveillance particulières doivent être

mises en place. Des travaux sont

aussi menés pour identifier un traite-

ment permettant d’abaisser progres-

sivement les charges de Loa et qui

pourrait être appliqué avant les distri-

butions d’ivermectine pour prévenir

les réactions à ce médicament. Les

recherches devraient aussi s’orienter

dans deux directions : la définition

d ’ u n

protocole optimal

de prise en charge des patients pré-

sentant une encéphalopathie à Loa, et

la mise au point d’une méthode qui

permettrait aux distributeurs commu-

nautaires de détecter les individus à

risque avant traitement. ●

1. Loa Loa est un nématode filiforme trans-mis par des taons de l’espèce Chrysops. Lesadultes ne mesurent que 3 à 7 cm. Moinspathogènes qu’O. volvulus, Loa Loa pro-voque habituellement des manifestationsbénignes : œdèmes transitoires et passagedu ver adulte sous la conjonctive de l’œil.

ContactMichel Boussinesq

[email protected]

� Une des principales manifestations dela loase : l’œdème de Calabar, œdème

transitoire qui touche souventl’avant-bras ou le poignet.

� Une goutte épaisse coloréeau Giemsa, avec denombreuses microfilaires deLoa loa. Le patient présenteun risque d’encéphalopathiepost-ivermectine.

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ovaire visible.

� Embryogramme (étalement du contenu des utérus, après broyage duver). On voit des microfilaires normales et des microfilaires en voie dedégénérescence (avec des vacuoles) à cause de leur accumulation dans lesutérus, conséquence de l’action embryostatique de l’ivermectine.

Les programmes de lutte contre l’onchocercose initiés depuis les années 1970 constituent deformidables succès et l’onchocercose est souvent considérée comme une maladie du passé.

Malheureusement, ces résultats, fruits de circonstances particulièrement favorables, restent fragiles. Dans l’attente d’un médicament actif sur le ver adulte, l’avenir dépend

de deux facteurs : le maintien de l’engagement des distributeurs d’ivermectine, généralement bénévoles, et le maintien de l’efficacité de ce médicament.

L’onchocercoseL’onchocercose, ou cécité des rivières est une maladie para-sitaire provoquée par Onchocerca volvulus, un ver néma-

tode transmis par des moucherons piqueurs, les simuliesdont les larves se développent dans les rivières à courantrapide. Les parasites adultes, qui mesurent plus de50 cm et peuvent survivre 14 ans chez l’homme, pro-duisent des millions de microfilaires (larves microsco-piques) qui migrent à travers l’organisme en provo-quant lésions cutanées sévères et atteintesoculaires pouvant conduire à la cécité.L’Afrique subsaharienne concentre 99 % des

37 millions de sujets infestés. Parmieux, six millions souffrent d’un pruritintense ou d’une dermatite, 800 000de troubles oculaires et 350 000 ontperdu la vue. Au total 120 millions

de personnes sontexposées au risque

d’onchocercose.( d o n n é e s

OMS).Chef du village de Madina Diassa au Mali, gravementatteint par l’onchocercose.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

8ans la région de

l’Altiplano, les cher-

cheurs de l’unité GreatIce ont révélé l’existence

voilà plus de 24 000 ans de méga-

lacs. L’un d’eux baptisé Tauca cou-

vrait près de 50 000 km2 et attei-

gnait en certains endroits une

profondeur de plus de 100 mètres.

Deux périodes encadrant le Dernier

Maximum Glacière (DMG) ont tout

particulièrement vu ce type de lacs.

Aujourd’hui, les témoins de Tauca

sont des lacs asséchés recouverts

d’une croûte de sel, les salars, en

particulier ceux de Uyuni et Coipasa.

Des calculs de bilan hydrologique

associés à des analyses géochi-

miques sur des échantillons d’eau et

de roche récoltés par les membres

de Great Ice et ses partenaires de

l’université Mayor San Andres de la

Paz ont permis de délimiter les pos-

sibles conditions hydroclimatiques

associées à un tel méga-lac. La

forme en assiette plate de l’Altiplano

sud, véritable bac d’évaporation,

n’autorise la pérennité d’un méga-

lac tel le Tauca que si les précipi-

tations sont abondantes. Du fait de

cette forme, le Tauca a pu s’assécher

en seulement quelques dizaines d’an-

nées après une diminution des préci-

pitations et/ou un réchauffement.

Ces calculs ont montré le rôle pré-

pondérant de la saisonnalité des pré-

cipitations, qui, si elles étaient éga-

lement distribuées sur tous les mois

de l’année, entraîneraient une baisse

du niveau du lac Titicaca de plu-

sieurs dizaines de mètres. Ces

études hydrologiques corroborent les

résultats d’analyses isotopiques de

carottes de glace rapportées par les

glaciologues-andinistes de Great Iceselon lesquelles les précipitations

Quand lesarchives climatiquesnous parlentde demainLes récents travaux du GroupeInternational d’Étude du Climat(Giec 2007) mettent en avant deschangements importants à veniren Amérique du Sud tropicale.Dans les Andes centrales, uneaugmentation des précipitationsannuelles de l’ordre de 5 à 10 %et une élévation de la tempéra-ture de 2 à 3° C par rapport à lafin du siècle dernier sont prédites.D’ici la fin du XXIe siècle, les gla-ciers des Andes centrales vont-ilsdisparaître, dans le prolongementde leur recul observé depuis plu-sieurs décennies, ou bien aucontraire vont-ils ré-avancer ?En travaillant sur les archives cli-matiques des derniers milliersd’années, les chercheurs de l’uni-té Great Ice ont mis en évidencel’existence de plusieurs périodeshumides de même amplitude quecelles attendues pour la fin dusiècle.

Localisation des zones d’étudemontrant la circulationatmosphérique en Amériquedu Sud tropicale.Aujourd’hui, à l’est des Andes,les précipitations sontrégulées par le balancementsaisonnier de la ZCIT et de laMousson d’été.

Cependant, contrairement à cequi est pressenti, ces périodessont toutes accompagnées d’unediminution des températures(Petit Âge de Glace, DernierMaximum Glaciaire).De plus, ces archives ont montréla forte hétérogénéité spatiale desvariations de conditions clima-tiques ainsi que des décalagestemporels des maxima et minimade ces variations selon les régions.Les mécanismes climatiques recons-titués par les chercheurs lors desvariations de régime de précipita-tion doivent donc à présent êtrere-examinés en regard des récentsrésultats du Giec, pour faire le lienentre ce qui est prévu par lesmodèles climatiques actuels (plushumide associé à plus chaud) etce qui a toujours été reconstituésur les derniers millénaires (plushumide associé à plus froid).Tout laisse à penser que les simu-lations climatiques du passé nouséclaireront sur ces questions ! ●

Contactwww.greatice.ird.fr

dans les Andes centrales ont été de

l’ordre de 10 % plus abondantes

pendant le DMG qu’aujourd’hui. Elles

ont ensuite diminué progressivement

pendant la déglaciation.

Un tout autre paysageAu pied des Andes, voilà 25 000 ans,

la forêt amazonienne était moins

dense et de composition floristique

différente avec l’incorporation de cer-

taines espèces andines. Les carot-

tages sédimentaires réalisés par les

chercheurs de l’IRD et leurs parte-

naires au Brésil ont montré que le

DMG s’y caractérise par une absence

de dépôt sédimentaire (des hiatus

sédimentaires attribués à des fortes

érosions). Par ailleurs, au cours de la

déglaciation, il y a 17 000 ans, les

analyses des pollens déposés dans les

sédiments, menées par les cher-

cheurs ont montré que des forêts tro-

picales humides de basse altitude

dites « forêt de nuages » s’étendent

sur tout le nord du Brésil.

Plus loin, au sud de 15 degrés de lati-

tude sud, une toute autre situation est

observée. Une « forêt de nuages »

était très étendue jusqu’au début de

la déglaciation. Puis, au cours de

cette période, les niveaux des lacs ont

fortement baissé et les forêts

humides ont disparu de cette région,

alors que les lacs de l’Altiplano se

remplissaient à nouveau. Les simula-

tions climatiques du dernier maxi-

mum glaciaire montrent que l’ampli-

tude du balancement saisonnier de la

Zone de Convergence Inter Tropicale

était plus restreinte et localisée d’au

moins 4 degrés plus au Sud avant et

pendant une partie du Dernier

Maximum Glaciaire). D’autres simu-

lations sont attendues pour retracer

la saisonnalité de cette époque. ●

Les progrès des méthodes de datation ont permis d’affiner les connaissances sur le Dernier MaximumGlaciaire. Au cours de cette période (entre 24 000 et 18 000 ans) les calottes glaciaires ont atteint

leur extension maximale et les océans leur niveau le plus bas. Les chercheurs de l’équipe Great Ice ontnotamment pu reconsidérer l’évolution du climat en Amérique du Sud tropicale dans ces époques lointaines.

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Vallée glaciaire à l’Altar, Équateur. On distingue au fond les moraines

témoins de la déglaciation de la fin du Pléistocène.

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Sur les traces dSur les traces d

L’Holocène : un assèchementrégional progressif

es carottes de glace, les

archives sédimentaires et

hydrogéologiques mon-

trent que l’Holocène

(1 1500 – 500 ans) se caractérise

dans les Andes tropicales par une

relative stabilité des températures et

une forte fluctuation des précipita-

tions. Cette variabilité des précipita-

tions a été mise en évidence par les

chercheurs de Great Ice à partir des

archives sédimentaires des lacs

Titicaca et Siberia et de la composition

chimique de l’eau souterraine en

Bolivie.

Au milieu de l’Holocène, le lac Titicaca

a atteint son plus bas niveau, à 100 m

en dessous de son niveau actuel.

D’autre part, la présence de micro-

charbons caractérisés dans les sédi-

ments lacustres par les paléoclimato-

logues de l’IRD atteste d’une

augmentation de la fréquence des

incendies dans ces régions au cours

de la deuxième moitié de l’Holocène. À

Telata, en Bolivie, les chercheurs ont

défini les chronologies des moraines à

partir notamment de la lichénométrie.

Ils montrent une succession de

67 fronts glaciaires au cours des

7 000 dernières années attestant d’un

recul progressif du front du glacier

alors que le lac Titicaca, proche se

remplissait à nouveau.

Au sud du Pérou, des analyses de pol-

len menées en collaboration avec

l’Institut Français d’études andines et

les chercheurs de l’Université

d’Arequipa ont montré que les forêts

de Polylepis, ces arbres-papier qui se

développent jusqu’à 4 500 m d’alti-

tude, étaient bien développées voilà

encore 6 000 ans puis ont fortement

régressé dans la deuxième partie de

l’Holocène. Ces importants contrastes

régionaux caractérisent les fluctua-

tions climatiques de l’Holocène. Ces

situations particulières sont encore

mal expliquées du fait de leur rapidité

d’installation et de leur grande varia-

bilité spatiale, elles pourraient être

associées à des événements El Niño

répétés ou prolongés, qui ont pu se

superposer à l’augmentation impor-

tante de l’activité humaine. ●

es simulations clima-

tiques et les interpréta-

tions des paléoclimato-

logues de Great Icereposent entièrement sur l’existence

de réseaux de mesure et de bases de

données. Les données recueillies par

ces chercheurs sont très diverses.

Les plus anciennes remontent aux

années 50. Certaines sont recueillies

toutes les 5 minutes dans des stations

météo installées sur des glaciers.

D’autres, photos, images satellites,

cartes sont des archives uniques sur

le climat du passé. Aujourd’hui l’enjeu

est de pouvoir conserver ces données

uniques tout en les rendant acces-

sibles à la communauté scientifique.

Et pour cause, l’information clima-

tique contenue dans l’épaisseur de la

glace disparaît irrémédiablement

avec la fonte des glaciers… ●

ContactsÉric Cadier – [email protected]

Régis Hocdé – [email protected]

La pérennisation des données

� Partie de carotte de glaceextraite du glacier Sajama. ©

IRD

/B. P

ouya

ud

Au-dessus de l’actuel Salar de Uyuni la ligne blanche souligne la présencede paléo-biohermes témoin d’un haut niveau lacustre voilà 16 000 ans.

q g

Page 3: OCP onchocercose Préserver les acquis d’une lutte ......Sciences au Sud- Le journal de l’IRD - n 44 - avril/mai/juin 2008 8 ans la région de l’Altiplano, les cher-cheurs de

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

9

Rech

erches

e terme de Petit Âge de

Glace (PAG) a été proposé

au début du siècle der-

nier pour rendre compte

d’une phase d’avancée des glaciers

entre le XIVe et le milieu du XIXe siècle

en Europe et en Amérique du Nord.

Les variations des isotopes de l’oxy-

gène analysés sur une carotte de

glace située à Quelcaya au Pérou

ainsi que des textes sur l’histoire du

climat de Potosi en Bolivie ont montré

qu’un refroidissement, contemporain

du PAG, était aussi enregistré dans les

Andes. Toutefois ces résultats res-

taient très localisés et ne permet-

taient pas de conclure sur l’ampleur

globale ou non de ce refroidissement.

Depuis 2004, l’équipe Great Ice a

sélectionné une cinquantaine de gla-

ciers répartis dans les différentes

cordillères andines afin de caractéri-

ser le PAG dans les Andes tropicales.

Les surfaces qui étaient englacées

ont été reconstituées pour chaque

glacier à différentes dates à l’aide de

la cartographie des moraines et de la

datation par lichénométrie à laquelle

s’ajoute celle étayée par la consulta-

tion de documents écrits anciens, tels

que les récits d’expéditions scienti-

fiques ou les archives municipales,

paroissiales et météorologiques. Les

résultats de ces chercheurs révèlent

que globalement la plus forte avancée

glaciaire des Andes tropicales est

synchrone de la première décrite

dans les massifs des moyennes et

hautes latitudes, soit autour du début

du XVIIIe siècle. Toutefois, les glaciers

andins ont globalement reculé pro-

gressivement alors que, dans les

Alpes, au moins trois avancées

d’amplitude comparables se sont

succédé entre le XVIIe et début du

XXe siècle pour certains glaciers.

De plus, la date d’extension maximale

des glaciers tropicaux présente des

variations latitudinales: le maximum

d’extension est atteint entre 1630 et

1680 au Pérou et en Bolivie et vers

1720 en Équateur. Le recul, plutôt

lent entre les XVIIe et XVIIIe siècles,

s’est ensuite accéléré au cours du XXe

siècle et a été accompagné d’une

remontée du front glaciaire de plus

de 200 mètres, soit une étendue

réduite de 30 %. Cette phase froide

et humide à l’origine des extensions

glaciaires est suivie d’une période

plus froide et plus sèche au XIXe siècle.

Les archives témoignent d’une pé-

riode de crise climatique et éco-

nomique marquée par une forte

diminution de l’élevage et de la pro-

duction agricole au Pérou et en

Bolivie. Des épisodes climatiques du

type El Niño ou La Niña ont tendance

à se succéder à des intervalles

proches dans le temps. Le croise-

ment des données géomorpholo-

giques et des archives a montré que

les fluctuations glaciaires des cinq

derniers siècles pourraient être liées

à des variations du déplacement sai-

sonnier de la Zone de Convergence

Inter Tropicale – correspond à l’équa-

teur météorologique –, à des change-

ments d’insolation ou à El Niño

Southern Oscillation. ●

La lichénométrieLa lichénométrie est une méthode dedatation relative qui est utilisée pourdater d’anciens monuments ou dessurfaces rocheuses. Elle consiste àmesurer le diamètre de certainesespèces de lichens qui colonisent unsubstrat rocheux. Plus la surface recou-verte par ce lichen est large plus laroche est ancienne. Le genreRhizocarpon, le plus fréquemment uti-lisé, résiste aux conditions climatiquesdifficiles comme les milieux de hautealtitude. Il se développe de manière cir-culaire et sa longévité couvre plusieursmilliers d’années. La lichénométrie estsurtout très efficace sur les dernierssiècles, période pour laquelle les data-tions absolues au radiocarbone ontune très faible précision. ●

Le partenariatLes nombreux partenaires sud améri-cains de Great Ice ont permis l’installa-tion de réseaux andins de surveillancejournalière et mensuelle des glaciers etdes ressources hydrologiques. Alorsqu’au début de leur installation, en1991, l’on ne parlait pas encore duchangement climatique et des simula-tions pour le futur, la pertinence de cesréseaux s’est accrue au cours des der-nières années. La pérennité de ceux-ciapparaît comme une garantie essen-tielle de l’action de l’IRD dans cetterégion du monde. ●

les pollens dansles glaciersAprès avoir été transportés par lesvents, les grains de pollen sont déposésavec les précipitations sur les sommetsdes nevados. Dans le Sud du Pérou surle glacier du Coropuna, la présence depollens de Nothofagus (les hêtres del’hémisphère sud) a mis en évidence, àcinq reprises, l’arrivée de masses d’airen provenance de Patagonie, et l’aug-mentation de pollens de chêne (sur lesversants de Colombie) ou dePodocarpus (conifères de la forêtandine) au cours des dernières décen-nies attestent de l’augmentationrécente des précipitations d’origineNord-Atlantique dans ces régionstropicales. ●

des glaciers andinsdes glaciers andinsLes Andes au Petit Âge de Glace

Les glaciologues sur la base d’écrits anciens etde techniques de datation physique dévoilent le

climat des siècles passés.

Les 120 dernières années : le recul des glaciers et le changement global

epuis 1991, deux types

d’approche guident l’étude

de l’impact actuel du cli-

mat et de l’homme sur la

réponse des glaciers andins. La pre-

mière consiste en des mesures régu-

lières réalisées sur des glaciers

pilotes et leur bassin hydrologique.

Les mesures de variation de surface

de trois glaciers (Antizana, Chacal-

taya, Zongo), analysées par les

chercheurs de Great Ice et leurs

partenaires des Andes centrales,

montrent que les glaciers andins

subissent une accélération marquée

depuis les années 1980. Grâce au

regroupement des données météoro-

logiques locales et des données cli-

matiques plus régionales, et aux

mesures des glaciers effectuées en

réseaux, les glaciologues et les cli-

matologues ont montré que le bilan

de masse de tous ces glaciers est

bien corrélé à l’anomalie de tempé-

rature de surface de l’océan

Pacifique, El Niño Southern Oscil-

lation (ENSO). Pendant les événe-

ments El Niño ( réchauffement de la

température du Pacifique) les gla-

ciers Zongo et Chacaltayade situés

en Bolivie diminuent en volume en

raison de précipitations annuelles

déficitaires, et d’une saison des

pluies tardive. En Équateur, les

observations sur les glaciers

Antizana ont mis en évidence une

remontée du front glacière. De fait,

les glaciers captent mieux le rayon-

nement solaire et enregistrent alors

un déficit de masse significatif. Les

chercheurs ont montré que l’aug-

mentation de la fréquence des évè-

nements El Niño expliquent l’accélé-

ration du retrait glaciaire andin

depuis 1976-80. Au contraire l’avan-

cée du glacier de l’Antizana en Équa-

teur est liée aux événements La Niña

(refroidissement de la température

du pacifique) en 1999-2000.

La deuxième approche développée

par ces scientifiques consiste à inter-

préter l’évolution de marqueurs indi-

rects le long d’une carotte de glace

(stratigraphie, composition chimique

et isotopique, pollens….) comme

celle prélevée sur l’Illimani en

Bolovie en 1999 à 6 330 mètres. À

cette échelle de temps les cher-

cheurs déterminent des variabilités

saisonnières à interannuelles (cycle

des précipitations, flux atmosphé-

riques…). Ils reconstruisent un cer-

tain nombre d’informations clima-

tiques et environnementales telle que

l’accumulation annuelle de neige

depuis 150 ans, les sources d’humi-

dité et les trajectoires de masses

d’air provenant de l’Atlantique tropi-

cale ou de Patagonie. Ils reconsti-

tuent également l’effet anthropique

sur l’environnement marqué par

l’augmentation d’émissions pol-

luantes depuis quelques décennies

grâce à une datation absolue des

strates de glace. Ainsi l’équipe de l’IRD

a montré que les variations de tempé-

rature du Pacifique contrôlent aujour-

d’hui les précipitations en Amazonie

et sur les sommets Andins. ●

Adaptée de Hoffmann et al. 2003 : enregistrements isotopiques sur le dernier siècle issus de quatre foragesandins entre 10 et 20 degrés de latitude sud environ.

Le lichenRhyzocarpon,utilisé enlichénométrie, se développe très vite sur les blocs rocheuxdes morainesglaciaires

© IR

D/ V

.Jom

elli

q g

Page 4: OCP onchocercose Préserver les acquis d’une lutte ......Sciences au Sud- Le journal de l’IRD - n 44 - avril/mai/juin 2008 8 ans la région de l’Altiplano, les cher-cheurs de

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

10le bilan est lourd, s’établissant à plus

de 1 500 morts et 300 000 déplacés

à la fin des deux premiers mois de

l’année 2008.

Un aspect caractéristique de ces vio-

lences, commun avec celles qu’a

connu le pays dans les années 1990,

est l’enracinement local des conflits,

autour d’enjeux politiques et fon-

ciers, par rapport à un scrutin natio-

nal. En outre, cet épisode revêt une

dimension urbaine, inédite lors des

flambées passées. Ces ancrages ter-

ritoriaux, qui confèrent à la crise une

autonomie locale potentielle, portent

la double marque de l’histoire colo-

niale et de celle des régimes poli-

tiques qui lui ont succédé.

Le rôle de la colonisation

L’idée de territoires ethniques exclu-

sifs, qui se traduit aujourd’hui par le

concept de préférence régionale ou

majimbo (cf. encadré), n’est pas nou-

velle au Kenya. En son temps, l’admi-

nistration coloniale avait assigné aux

populations africaines des réserves

rurales et des quartiers bien précis

dans les villes, restreignant leur

circulation hors de ces zones. Par

commodité, le domaine africain avait

été divisé en réserves ethniques.

Ainsi, l’intervention coloniale a

contribué à forger de nouvelles ethni-

cités en leur conférant un fondement

territorial et une permanence qui

n’existaient pas dans le système anté-

rieur. En effet, l’organisation tradi-

tionnelle des groupes reposait sur

une occupation spatiale plus flexible,

ès la proclamation des

résultats des élections

présidentielles, le 29 dé-

cembre 2007, qui ont vu

la réélection contestée du président

sortant Mwai Kibaki, les circonscrip-

tions contrôlées par l’opposition

s’embrasent. Le parti d’opposition,

l’ODM (Orange Democratic Move-ment), dispose d’un important sou-

tien dans l’ouest, en pays luo, région

d’origine du dirigeant et candidat

Raila Odinga, en pays kalenjin, fief du

numéro deux du mouvement, et en

pays luhya. Dans toutes les villes de

l’ouest du Kenya, y compris dans les

plus petits villages, les Kikuyu, qui

appartiennent à l’ethnie du président

Kibaki, sont traqués, leurs habita-

tions incendiées. En certains lieux,

d’autres groupes parmi lesquels des

Luhya et des Kisii, trop tièdes dans

leur soutien à l’ODM, sont aussi la

cible de miliciens kalenjin.

En représailles, les ethnies suppo-

sées soutenir l’opposition sont à leur

tour victimes de violences dans la

capitale et dans la province du

centre, en pays kikuyu. Après une

accalmie, une seconde phase, à l’ini-

tiative de miliciens kikuyu, prend

pour cible les populations kalenjin et

luo et luyha autour des villes Nakuru

et Naivasha, et gagne la capitale,

aboutissant à une ségrégation spa-

tiale ethnique entre quartiers popu-

laires. Tandis qu’un accord entre le

pouvoir et l’opposition semble devoir

prendre forme, sous l’égide de l’an-

cien secrétaire général de l’Organi-

sation des Nations unies, Kofi Annan,

Les graves violences autour de l’élection présidentielle contestée de décembre 2007 au Kenya s’inscrivent dans un contexte

mêlant construction identitaire, lutte territoriale et conquête politique. Les travaux d’une chercheuse de l’IRD en éclairent les mécanismes. R

ech

erch

es

K e n y a

Entre crise territoriale et identitaire

répondant à des impératifs fonction-

nels susceptibles d’évolutions et de

renégociations. Après l’indépen-

dance, les frontières intérieures ins-

taurées par la colonie sont renégo-

ciées entre construction nationale et

velléités d’appropriation du formi-

dable patrimoine foncier européen.

Tandis que Jomo Kenyatta, le premier

président1, veut la fin du comparti-

mentage ethnique, Daniel Arap Moi,

qui lui succèdera2, défend activement

l’idée d’un partage territorial de la

nation. Il s’emploie à promouvoir une

ethnicité kalenjin englobante, dans

laquelle différentes micro-ethnicités

sont fédérées autour de revendica-

tions portant sur le domaine foncier

européen. Lorsqu’il accède effective-

ment au pouvoir, il maintient dans un

premier temps le statu quo ante.

Puis, tandis que son régime connaît

une crise sérieuse dans les années

1990, les frontières d’anciennes

réserves coloniales sont réactivées,

de nouvelles apparaissent. À l’inté-

rieur de la Rift Valley, une frontière defacto vient à séparer un domaine

kalenjin, à l’ouest, et un domaine

kikuyu, à l’est. Le régime Moi, qui

recourt à la propagande politique et

ethnique pour conquérir et conserver

le pouvoir, notamment lorsqu’il se

sent menacé par la poussée démocra-

tique des années 1990, installe dura-

blement la violence dans le pays et

aboutit à la constitution de fiefs élec-

toraux et ethniques. L’alternance poli-

tique, issue de l’élection de Mwai

Kibaki en 2002, n’a pas pris la réelle

mesure de la crise de légitimité de

l’État et n’a pas su le réformer en

profondeur. Lors de la récente cam-

pagne électorale, l’ODM a exploité à

son tour le ressort ethnique pour

fédérer l’opposition et permettre une

alliance entre Luo, Luhya, Kalenjin de

l’ouest et Mijikenda de la côte, contre

un gouvernement présenté comme

kikuyu. Au-delà de positions contras-

tées sur la nation kenyane, il faut

noter que les pratiques politiques

successives ont consacré le clienté-

lisme ethnique dans l’accès aux res-

sources et le contrôle territorial. Si

l’accord qui se profile aujourd’hui

parvient à éviter une guerre déclarée,

la construction de territoires et d’eth-

nicités au Kenya semble devoir se

faire sur le mode de l’exclusion. ●

1. Au pouvoir entre 1963 et 1978.2. Au pouvoir entre 1978 et 2002.

ContactClaire Médard – [email protected]

Des déplacés… mais aussi des réfugiés

a crise politique ac-

tuelle au Kenya a pro-

voqué le départ forcé

de plusieurs milliers

de « déplacés internes » chassés

de leurs lieux de résidence. Mais

le Kenya accueille également

sur son sol une « moyenne » de

250 000 réfugiés originaires des

pays voisins. Depuis le début des

années 1990, ce chiffre a très peu

varié ; il montre ainsi que ce sont

davantage les capacités limitées

de l’aide humanitaire internatio-

nale que l’évolution mouvementée

et toujours incertaine des conflits

armés dans les pays de la région,

qui déterminent le nombre de réfu-

giés accueillis sur le territoire

kenyan.

En position charnière entre la

Région des Grands Lacs et la

Corne de l’Afrique, le Kenya se

situe au centre de plusieurs

régions connaissant depuis des

années, voire des décennies, des

conflits dramatiques poussant à

l’exode des millions de réfugiés

dans les pays limitrophes. D’un

côté, les conséquences du génocide

du Rwanda de 1994, puis l’exten-

sion des violences à la plupart des

pays voisins, a provoqué l’arrivée

vers ce pays de plusieurs milliers

de réfugiés rwandais, burundais ou

congolais (d’ailleurs souvent clan-

destins). Mais on doit surtout

l’existence permanente depuis

1992 de quatre grands camps de

réfugiés à la guerre civile en

Somalie et aux revendications

autonomistes du Sud Soudan1. À

l’est, les trois camps de Dadaab

(Ifo, Dagahaley, Hagadera) abri-

tent les quelques 174 000 réfugiés

somaliens. Au nord-ouest, en pays

Turkana, le camp de Kakuma (l’un

des plus grands du monde)

accueille l’essentiel des 73 000 ré-

fugiés soudanais enregistrés

(Sources HCR, 2006).Situés à proximité des frontières

de ces deux pays, dans des régions

arides, isolées et très marginales,

ces camps ont un fort impact local.

Mais avec la crise politique que

connaît ce pays depuis le début de

l’année 2008, c’est maintenant le

« Kenya utile » qui se trouve

confronté au problème majeur de

l’instrumentalisation des apparte-

nances ethniques. Le Kenya rejoint

ainsi la situation malheureuse-

ment rencontrée dans nombre de

pays voisins. Les déplacés s’ajou-

tent désormais aux réfugiés et ce,

pour d’aussi mauvaises raisons. ●

1. Malgré les distances considérables quiséparent la région du Darfour du Kenya,on signale depuis quelques mois l’arrivéede réfugiés soudanais après plusieursmois de marche au camp de Kakuma.

ContactLuc Cambrézy (UMR Ceped)

[email protected]

Majimbo, la préférence régionale’idéologie majimbo, qui tire son nom du mot « région » en

swahili, est une forme de régionalisme associant affirmation

autochtone et revendication exclusive de ressources locali-

sées et délimitées de manière territoriale. Elle a connu plu-

sieurs temps forts à différents moments de l’histoire du Kenya, en par-

ticulier dans les années 1960 et dans les années 1990, revêtant un sens

spécifique à chaque époque. Durant les années 1960, les ethnies mino-

ritaires au Kenya s’associent pour réclamer une dévolution des pouvoirs

à l’échelon régional. Une alliance kalenjin se constitue pour faire valoir

un droit territorial sur l’ensemble du domaine foncier européen situé

dans la province de la Rift Valley, où sont également rassemblés les prin-

cipaux districts kalenjin.

L’adoption d’une constitution majimbo, qui institue un niveau de gouverne-

ment régional (avec un contrôle sur la terre), se situe dans ce contexte de

la décolonisation et exprime un rapport de force en faveur des « ethnies

minoritaires », même si politiquement les « ethnies majoritaires » (en par-

ticulier les Kikuyu et les Luo) finissent par l’emporter. Rapidement, sous

le régime Kenyatta, la centralisation du pouvoir dénature la constitution

majimbo. Au cours des années 1990, au moment de remise en question du

régime Moi, la minorité kalenjin des années 1960 qui préconisait un sys-

tème majimbo est au pouvoir. La promotion de certaines revendications

autochtones se fait dans le cadre d’une idéologie « majimbo » revisitée,

promue par le pouvoir Moi durant les années 1990, et réinvestie aujour-

d’hui par le candidat Odinga et son allié Ruto. ●

Réfugiés de Chepkurkur à Saboti dans le district de TransNzoia,

au Kenya en mai 2007.

© IR

D/C

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Massif du montElgon, Kenya et Ouganda.

© IR

D/C

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