Oce7

7
Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes 1 Cours O.C.E. - DCEO2 L’HYPERESTHESIE DENTINAIRE ___________ I) INTRODUCTION - DEFINITION Parmi les différents motifs de consultation des patients, les phénomènes douloureux liés à l'hyperesthésie dentinaire, dont le terme est préférable à celui d'hypersensibilité dentinaire, sont fréquents. Cette observation, que tout odontologiste peut faire en pratique quotidienne, est confirmée par de nombreuses études sur ce sujet depuis plus de cinquante ans, faisant état d'une prévalence de cette affection. L'hyperesthésie dentinaire se caractérise par une douleur, parfois intense, résultant de la stimulation thermique, chimique, osmotique, mécanique et bactérienne sur la dentine dénudée, dans certaines conditions physiologiques ou pathologiques. Cette affection relativement bénigne mais gênante concerne une personne sur sept . Ce phénomène douloureux, en rapport avec l'exposition des canalicules dentinaires dans la région cervicale ou radiculaire, peut être provoqué par des agressions légères, telles que les variations de température, l'air, les aliments acides ou sucrés, ou bien le brossage. Ainsi cet inconfort quotidien peut être lié à une crainte du déclenchement de la douleur, qui, dans des cas extrêmes, peut expliquer une négligence de l'hygiène dentaire. Pour poser le diagnostic d'hyperesthésie dentinaire, il convient de vérifier l'absence au niveau des dents sensibles de lésions carieuses, de fêlures ou de fractures. La dénudation dentinaire est en rapport avec les symptômes douloureux ressentis sous l'action de divers stimuli. Cette dénudation se situe dans 93 % des cas au niveau cervical des faces vestibulaires. II) DECLENCHEMENT DE L'HYPERESTHESIE DENTINAIRE Trois théories principales ont tenté d'expliquer le processus de déclenchement de ce phénomène douloureux : 1) Théorie de la conduction nerveuse. Si durant de nombreuses années, la présence du prolongement odontoblastique et des fibres nerveuses n'a pas pu être mise en évidence au delà du tiers de la longueur des canalicules dentinaires, d'autres travaux ont montré que ces structures pouvaient s'étendre parfois jusqu'à la périphérie dentinaire.

Transcript of Oce7

Page 1: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

1

Cours O.C.E. - DCEO2

L’HYPERESTHESIE DENTINAIRE

___________ I) INTRODUCTION - DEFINITION Parmi les différents motifs de consultation des patients, les phénomènes douloureux liés à l'hyperesthésie dentinaire, dont le terme est préférable à celui d'hypersensibilité dentinaire, sont fréquents. Cette observation, que tout odontologiste peut faire en pratique quotidienne, est confirmée par de nombreuses études sur ce sujet depuis plus de cinquante ans, faisant état d'une prévalence de cette affection. L'hyperesthésie dentinaire se caractérise par une douleur, parfois intense, résultant de la stimulation thermique, chimique, osmotique, mécanique et bactérienne sur la dentine dénudée, dans certaines conditions physiologiques ou pathologiques. Cette affection relativement bénigne mais gênante concerne une personne sur sept . Ce phénomène douloureux, en rapport avec l'exposition des canalicules dentinaires dans la région cervicale ou radiculaire, peut être provoqué par des agressions légères, telles que les variations de température, l'air, les aliments acides ou sucrés, ou bien le brossage. Ainsi cet inconfort quotidien peut être lié à une crainte du déclenchement de la douleur, qui, dans des cas extrêmes, peut expliquer une négligence de l'hygiène dentaire. Pour poser le diagnostic d'hyperesthésie dentinaire, il convient de vérifier l'absence au niveau des dents sensibles de lésions carieuses, de fêlures ou de fractures. La dénudation dentinaire est en rapport avec les symptômes douloureux ressentis sous l'action de divers stimuli. Cette dénudation se situe dans 93 % des cas au niveau cervical des faces vestibulaires. II) DECLENCHEMENT DE L'HYPERESTHESIE DENTINAIRE

Trois théories principales ont tenté d'expliquer le processus de déclenchement de ce phénomène douloureux : 1) Théorie de la conduction nerveuse. Si durant de nombreuses années, la présence du prolongement odontoblastique et des fibres nerveuses n'a pas pu être mise en évidence au delà du tiers de la longueur des canalicules dentinaires, d'autres travaux ont montré que ces structures pouvaient s'étendre parfois jusqu'à la périphérie dentinaire.

Page 2: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

2

2) Théorie de la transduction ou du récepteur odontoblastique L'odontoblaste reçoit et transfère la stimulation aux nerfs aboutissant à la pulpe à travers les canalicules dentinaires. Cependant, la sensibilité dentinaire persiste après une destruction localisée et simultanée des odontoblastes et des terminaisons nerveuses. 3) La théorie hydrodynamique Elle semble être la plus vraisemblable. La pression présente dans la chambre pulpaire entraîne un courant de fluide interstitiel dans les canalicules. Les stimulations vont provoquer un flux liquidien dans les canaux dentinaires. Une augmentation de la température à la surface dentinaire provoque une contraction du liquide dans les canalicules et une baisse de la pression dans la chambre pulpaire. L'assèchement avec un jet d'air de la dentine élève le débit du flux liquidien à partir de la pulpe vers la périphérie. De même, l'application de produits avec une activité hyperosmotique (sucres) entraîne une diminution de la pression pulpaire, à l'origine de sensations douloureuses. III) ASPECTS CLINIQUES Ce phénomène d'hypersensibilité se produira sous l'action de divers stimuli. Cependant, d'autres facteurs vont favoriser aussi son apparition. 1) Les stimuli. a) Les stimuli thermiques Les boissons ou aliments (chauds ou froids), l'air froid ou l'application de jet d'air au cabinet dentaire peuvent occasionner une douleur brève et localisée. En effet, les variations de températures créent une contraction du liquide dentinaire, à l'origine de sensations douloureuses. b) Les stimuli mécaniques Le brossage ou l'utilisation par le praticien de sonde ou de détartreur sur les zones sensibles peuvent provoquer une douleur . c) Stimuli chimiques , bactériens ou osmotiques Les aliments ou boissons sucrées, acides et les produits de la plaque bactérienne peuvent entraîner des flux du fluide dentinaire par phénomène osmotique. Le stimulus déclenchant le plus fréquent est le froid (74 %), puis les stimuli mécaniques (10%), chimiques (6%) et osmotiques (4%). 2) Les récessions gingivales Les récessions gingivales sont les étiologies les plus fréquemment rencontrées dans l'apparition d'hyperesthésie dentinaire.

Page 3: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

3

Sous l'action de divers facteurs, le cément est détruit, entraînant une exposition des canalicules dentinaires. Le fluide dentinaire est ainsi exposé aux stimuli déclenchants de la douleur. L'apparition de récessions gingivales, source d'hyperesthésie dentinaire, peut s'expliquer de différentes manières. a) Parodontopathies - Parodontopathie traumatique: elle peut être liée à un brossage iatrogène ou bien à une

supraclusion incisive extrême entraînant des récessions gingivales. - Parodontopathie bactérienne: suite à des processus inflammatoires détruisant l'épithélium et le conjonctif, la récession apparaît en exposant la racine. b) Méthode de brossage traumatisante Le brossage intempestif semble être responsable de l'apparition de récessions gingivales et d'abrasions dentaires avec formation de lésions cervicales non carieuses. En effet, les canines et prémolaires sont les dents les plus concernées par le phénomène d'hyperesthésie dentinaire, avec les plus grandes récessions malgré un indice de plaque très bas . La prévalence de l'abrasion dentinaire est plus importante du côté gauche de la bouche, en rapport avec un brossage plus fréquent de la main droite. c) Les troubles occlusaux Ils sont aujourd'hui évoqués comme des agents responsables de l'apparition de lésions cervicales . d) L'alimentation Certains auteurs ont prouvé l'influence de boissons acides sur l'apparition d'érosions. e) Détartrage/surfaçage Ces thérapeutiques peuvent accentuer l'hypersensibilité au cours des premières semaines. En effet, ces soins parodontaux entraînent une légère migration apicale de la gencive marginale, une élimination du cément, exposant de nouveaux canalicules dentinaires. Aujourd'hui, de façon générale, l'origine polyfactorielle des récessions gingivales et des lésions cervicales est reconnue .L'hyperesthésie dentinaire va apparaître suite à la conjugaison chronique des différents acteurs (occlusion traumatogène, brossage intempestif et alimentation acide). Si la sensibilité s'accentue, l'hygiène dentaire peut être négligée et les accumulations de plaque bactérienne vont accentuer les récessions gingivales, ainsi que les phénomènes d'hyperesthésie dentinaire. Seules des thérapeutiques appropriées vont permettre de rompre ce cercle pathologique. IV ) TRAITEMENT Les thérapeutiques sont variées, mais, il convient dans un premier temps de déterminer la prévalence des facteurs étiologiques chez le patient.

Page 4: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

4

1) Les traitements de base a) Enseignement d'une technique de brossage non traumatisante Il faut préconiser l'utilisation d'une brosse souple, conseiller de commencer le brossage par les faces linguales, plus difficiles d'accès et, ainsi, moins traumatiser les surfaces vestibulaires, généralement sensibles. b) Modifications des habitudes alimentaires Il convient de vérifier si l'alimentation du patient ne contient pas une quantité excessive de nutriments acides. c) Réhabilitation occlusale Le traitement des parafonctions ou des malocclusions par l'orthodontie rentre dans le cadre des thérapeutiques de l'hyperesthésie dentinaire. d) Thérapeutiques parodontales La chirurgie mucogingivale permet de tenter un recouvrement radiculaire et de lutter contre les phénomènes de l'hyperesthésie dentinaire.). Mais la suppression des facteurs étiologiques ne suffit souvent pas à combattre efficacement ces hypersensibilités. Un traitement symptomatique doit y être associé. Les principales thérapeutiques peuvent être répertoriées en deux catégories: les agents chimiques et les agents isolants. 2) Les agents chimiques Ces produits peuvent agir de différentes manières:

- par une action anti-inflammatoire. - par une action caustique provoquant une coagulation des composants protéiniques des prolongements odontoblastiques.

- par une action minéralisante provoquant une diminution du diamètre des canalicules par sclérose dentinaire permettant de réduire les mouvements liquidiens. - par une action neutralisante : l'excitabilité des fibres nerveuses est stabilisée par une modification de la perméabilité au sodium et potassium.

a) Action anti-inflammatoire: L'application de corticoïdes, qui semblait représenter, dans les années soixante, une arme contre l'hyperesthésie dentinaire, ne paraît pas aujourd'hui être réellement efficace. b) Action caustique: Les produits utilisés détruisent les odontoblastes et leurs prolongements, sans théoriquement entraîner de nécrose pulpaire.

Page 5: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

5

- le nitrate d'argent: il a été totalement abandonné du fait des colorations et de l'irritation pulpaire engendrées. - le chlorure de zinc: il est à proscrire puisque, avide d'eau, il peut pénétrer en profondeur et provoquer par la suite une nécrose pulpaire. - le formaldéhyde : son efficacité est discutée actuellement du formaldéhyde. Ce produit semble moins efficace que ceux à base de chlorure de strontium ou d'acétate de strontium .

c) Action minéralisante:

- Fluor et fluorures: * Le fluorure de sodium: L'application de ce produit sur la dentine permet la formation de dépôts sphériques de fluorure de calcium. Le faible pH de cet agent contribue à relarguer des ions calcium qui vont réagir avec les ions fluorures. Il se produit ainsi une précipitation et une occlusion des canalicules dentinaires. * Le fluorure d'étain: Son efficacité contre les sensibilités de collet a été prouvée. Son application en gel permet de recouvrir l'ouverture des canalicules dentinaires d'une couche dense de particules globulaires. * Le monofluorophosphate de sodium: L'efficacité d'un dentifrice contenant cet agent a été confirmée dans de nombreuses études. Son association avec du chlorure de sodium a permis d'obtenir une réduction très significative des symptômes douloureux. * Le fluorhydrate de nicométhanol : Ce produit, dérivé du groupe des amines fluorés, se fixe sur la dentine en favorisant l'occlusion des canalicules. Il aurait une efficacité très supérieure au nitrate de potassium . Ces agents fluorés, outre leur action anti-cariogène, permettent de diminuer l'hyperesthésie dentinaire. Cependant, leur application en gel en haute teneur en fluor doit être réalisée quotidiennement. Cependant, l'ionophorèse permet d'obtenir des meilleurs résultats. Cette méthode contribue à faire pénétrer les ions fluorés dans les canalicules dentinaires sous l'effet d'un potentiel électrique. Les ions pénètrent plus profondément par rapport à ce que l'on pourrait observer avec une application topique.

- L'hydroxyde de calcium: Certains auteurs ont constaté une obturation des canalicules des dents traitées à l'hydroxyde de calcium. Néanmoins, du fait de sa courte persistance sur les surfaces dentaires, les applications doivent être renouvelées fréquemment au cabinet.

- Le chlorure de strontium: Son mécanisme d'action désensibilisante s'expliquerait par une substitution du calcium intracristallin de l'hydroxyapatite, créant ainsi une apatite de strontium et de calcium et favorisant une minéralisation des canalicules dentinaires.

- Le citrate de sodium:

Page 6: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

6

Cet agent permettrait de diminuer l'hypersensibilité thermique et tactile après une durée d'utilisation de huit semaines.

- Les oxalates: Sur une série de 23 produits sensés combattre l'hyperesthésie dentinaire, l'oxalate de potassium était le plus performant. En comparaison avec les autres agents désensibilisants, l'oxalate de potassium a toujours montré les meilleurs résultats in vitro comme in vivo. Il est disponible sous forme d'un tube avec applicateur à passer sur la surface sensible de la dent ( Protect du laboratoire Butler). L'oxalate ferrique, quant à lui, s’applique avec un pinceau (Sensodyne Sealant ). d)Action neutralisante:

- le nitrate de potassium:

Il représente un des produits les plus satisfaisants dans les thérapeutiques de l'hyperesthésie dentinaire. Cependant, son mécanisme d'action n'a pas encore été totalement élucidé. La membrane des fibres nerveuses peut être dépolarisée du fait de l'augmentation de la concentration extra-cellulaire en potassium. Le potentiel d'action, de ce fait plus élevé, augmente le seuil d'excitabilité de la fibre nerveuse. 3) Les agents isolants a) Les vernis:

Leur application sur les collets des dents sensibles permet d'obturer des canalicules dentinaires et de diminuer l'hyperesthésie dentinaire. Les applications de vernis à base de fluorures de silane, du type Copalite, doivent être renouvelées assez souvent du fait de l'usure du produit et de sa solubilité. Les vernis du type Fluor Protector ( de chez Vivadent) peuvent persister plus longtemps en bouche ( quelques mois). b) Les résines composites et verres ionomères:

Leur emploi est recommandé lorsqu’une perte de substance est associée à l'hyperesthésie. - Les composites permettent une diminution notable de la sensibilité après leur application. L'obturation par la résine des canalicules est plus dense qu'en utilisant d'autres produits (oxalate, chlorure de strontium) .Même si un mordançage acide s'avère nécessaire, les progrès des adhésifs de dernière génération en matière d'adhésion, n'impliquent plus de taille de cavité, mais la réalisation d’un biseau amélaire est nécessaire. - Les verres ionomères: l'apport de fluor conjugué à l'action mécanique protectrice des composites semblerait être bénéfique dans le traitement de l'hyperesthésie dentinaire. c) Les adhésifs

Ils peuvent être efficaces contre l'hyperesthésie dentinaire lorsqu'il n'y a pas de perte de substance dentinaire. Les performances des systèmes adhésifs de dernière génération laissent un espoir dans les traitements de l'hypersensibilité dentinaire.

Page 7: Oce7

Cours OCE – DCEO2 – L’hyperesthésie dentinaire – Paris Descartes

7

d) Les primers (promoteurs d'adhésion):

Selon certains auteurs, les promoteurs d’adhésion appelés aussi primaires d’adhérence permettent d'obtenir une diminution de la perméabilité par une précipitation des protéines dans les canalicules.

-------------------------------------------

BIBLIOGRAPHIE : LAFONT J., PELISSIER B., LASFARGUES J.J. : Hyperesthésie dentinaire : perspectives thérapeutiques. L’information Dentaire., 11 : 801-814, 1998. NEBOT D., ELEGOET G. : Une préoccupation en pratique quotidienne : l’hyperesthésie dentinaire. Revue d’Odonto-Stomatologie., Tome 28, 3 : 183-192, 1999.