Object de désir

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PESQUISA FAPESP ÉDITION SPÉCIALE 2015 ÉDITION SPÉCIALE 2015 WWW.REVISTAPESQUISA.FAPESP.BR L’eau en abondance dépend de forêts préservées pour la formation de pluies et le maintien de la qualité des aquifères Objet de désir Des dents de cerf suggèrent la présence de l’homme dans l’état du Piauí il y a 20 mille ans Tout comme les rayons ultraviolets, la lumière visible do Soleil peut également causer le cancer de la peau L’écart entre les classes moyennes et les pauvres diminue et les zones des classes aisées deviennent encore plus exclusives à São Paulo Le brésilien Artur Ávila remporte la Médaille Fields, la plus prestigieuse récompense en mathématiques

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Pesquisa Fapesp - Édition Spéciale 2015

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édition spéciale 2015 www.revistapesquisa.fapesp.br

L’eau en abondance dépend de forêts préservées pour la formation de pluies et le

maintien de la qualité des aquifères

Objet de désir

Des dents de cerf suggèrent la présence de l’homme dans l’état du Piauí il y a 20 mille ans

Tout comme les rayons ultraviolets, la lumière visible do Soleil peut également causer le cancer de la peau

L’écart entre les classes moyennes et les pauvres diminue et les zones des classes aisées deviennent encore plus exclusives à São Paulo

Le brésilien Artur Ávila remporte la Médaille Fields, la plus prestigieuse récompense en mathématiques

2 | SEPTIEMBRE DE 2015

pESQUISA FApESp | 3

pOLITIQUE SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE

20 BioénergieUne conférence montre que l’expansion des biocarburants nécessite d’un soutien des politiques publiques pour se maintenir à un niveau mondial 24 Scientométrie Une méthodologie pour évaluer le Programme Biota-FAPESP est décrite dans un article scientifique

26 Collaboration Des chercheurs réfléchissent à des partenariats en quête de traitements de maladies qui intéressent peu les industries pharmaceutiques

6 COUvErTUrE La pénurie d’eau qui alarme le pays possède une étroite relation avec les forêts

Photo léo ramos

14 ENTrETIENArtUr ÁviLALe brésilien qui a remporté la Médaille Fields parle des mathématiques

SECtIoNS

4 Lettre de l’éditrice74 Art

SCIENCE

30 BotaniqueLes lianes donnent un nouveau visage à l’Amazonie, et les bambous à la forêt atlantique

34 Biochimietout comme les rayons ultraviolets, la lumière visible peut également causer le cancer de la peau

37 ArchéologieDes dents de cerf découvertes aux côtés d’ossements humains dans des cavernes de l’état du Piauí suggèrent la présence de l’homme dans cette région il y a plus de 20 mille ans

40 Avis de décèsLuiz Hildebrando Pereira da Silva fut l’un des plus grands spécialistes mondiaux en parasitologie

42 GéologieDe grands blocs rocheux d’époques et d’origines différentes se sont agencés pour former les deux côtés de l’Atlantique Sud

46 AstronomieLes météorologistes veulent comprendre pourquoi les vents soufflent-ils aussi fort sur vénus et titan

48 PhysiqueDes Brésiliens découvrent comment mesurer des variations d’énergie de noyaux atomiques

TECHNOLOGIE

52 InformatiqueL’avancée de la eScience n’est pas sans effets sur la pratique scientifique traditionnelle

56 Nouveaux MatériauxUne mousse fabriquée à partir d’oxyde de graphène et de nitrure de bore a la propriété d’être légère, résistante et de reprendre sa forme originale après avoir été comprimée

58 BiotechnologieUn substitut cutané pourrait être utilisé comme greffe dans le traitement des brûlures et des lésions graves

62 AgricultureUne légumineuse utilisée comme engrais peut augmenter la production de canne à sucre de 35%

HUMANITÉS

64 Société L’étude des 100 ans du logement social au Brésil dévoile des projets d’une grande qualité sous l’ère vargas

70 SociologieDes données populationnelles révèlent une banlieue plus hétérogène dans la région métropolitaine de São Paulo, avec plus de proximité entre les classes moyennes et les classes pauvres et des zones encore plus exclusives pour les classes aisées

www.rEviStAPESqUiSA.FAPESP.Br

rechercheÉDItIoN SPÉCIALE NovEMBrE 2015

4 | ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

José GoldemberGPRÉSIDENT

eduardo moacyr KrieGerVICE-PRÉSIDENT

CONSEIL SUPÉRIEUR

carmino antonio de souza, eduardo moacyr KrieGer, fernando ferreira costa, João fernando Gomes de oliveira, João Grandino rodas, José GoldemberG, maria José soares mendes Giannini, marilza vieira cunha rudGe, José de souza martins, Pedro luiz barreiros Passos, Pedro WonGtschoWsKi et suely vilela samPaio

CONSEIL TECHNIQUE & ADMINISTRATIF

José arana varelaPRÉSIDENT-DIRECTEUR

carlos henrique de brito cruzDIRECTEUR SCIENTIFIQUE

Joaquim J. de camarGo enGlerDIRECTEUR ADMINISTRATIF

CONSEIL ÉDITORIALcarlos henrique de brito cruz (Président), caio túlio costa, eugênio bucci, fernando reinach, José eduardo Krieger, luiz davidovich, marcelo Knobel, maria hermínia tavares de almeida, marisa lajolo, maurício tuffani, mônica teixeira

COMITÉ SCIENTIFIQUEluiz henrique lopes dos santos (Président), anamaria aranha camargo, carlos eduardo negrão, fabio Kon, francisco antônio bezerra coutinho, Joaquim J. de camargo engler, José arana varela, José Goldemberg, José roberto de frança arruda, José roberto Postali Parra, lucio angnes, marie-anne van sluys, mário José abdalla saad, Paula montero, roberto marcondes cesar Júnior, sérgio robles reis queiroz, Wagner caradori do amaral, Walter colli

COORDINATEUR SCIENTIFIQUEluiz henrique lopes dos santos

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION alexandra ozorio de almeida

RÉDACTEUR EN CHEF neldson marcolin

ÉDITEURS fabrício marques (Politique), márcio ferrari (Humanités), marcos de oliveira (Technologie), ricardo zorzetto (Science); carlos fioravanti, marcos Pivetta (Éditeurs spéciaux); bruno de Pierro (Assistant d’édition)

TRADUCTION VERS LE FRANÇAIS éric rené lalagüe, Pascal reuillard, Patrícia reuillard et Jorge thierry calasans

ART mayumi okuyama (Éditrice), ana Paula campos (Éditrice d‘ infographie), alvaro felippe Jr., Júlia cherem rodrigues et maria cecilia felli (Assistents)

PHOTOgRAPHES eduardo cesar, léo ramos

MÉDIAS ÉLECTRONIQUES fabrício marques (Coordinateur) INTERNET Pesquisa FAPESP onlinemaria Guimarães (Éditrice)rodrigo de oliveira andrade (Reporter) renata oliveira do Prado (Médias Sociaux)

RáDIO Pesquisa Brasilbiancamaria binazzi (Productrice)

COLLABORATEURS catarina bessel, evanildo da silveira, fabio otubo, Gilberto stam, heloísa Jahn, igor zolnerkevic, Jayne oliveira, Pedro franz, Pedro hamdan, sandro castelli, valter rodrigues, yuri vasconcelos, zé vicente

IMPRESSION editora Gráficos burti ltda.

LA REPRODUCTION TOTALE OU PARTIELLE DES TExTES ET DES PHOTOgRAPHIES EST INTERDITE, SAUF

AUTORISATION PRÉALABLE

PESQUISA FAPESP rua Joaquim antunes, no 727, 10o étage, ceP 05415-012, Pinheiros, são Paulo-sP – brasil

FAPESP rua Pio Xi, no 1.500, ceP 05468-901, alto da lapa, são Paulo-sP – brasil

dePartment for economic develoPment, science and technoloGy

SÃO PAULO STATE gOVERNMENT

issn 1519-8774

fondation d’aPPui À la recherche de l’état de são Paulo

LETTRE DE L’ÉDITRICE

Nous sommes heureux de vous présenter ce numéro spécial de Pesquisa FAPESP en français. La présente édition réunit une sélection de reportages publiés originairement dans la version

en langue portugaise de notre revue mensuelle, entre septembre 2014 et février 2015 (numéros 223 à 228).

L’article central (p. 6) étudie la pénurie d’eau qu’atteint en ce mo-ment le sud-ouest du Brésil, un problème de plus en plus global. La recherche montre la fonction du fleuve Amazone dans la création d’un « fleuve vertical » qui puise ses eaux dans l’Océan Atlantique et dans le sol, pour alimenter les nuages et contribuer au changement de la direction des vents qui font circuler l’eau à travers l’Amérique du Sud. Les recherches dévelopées par l’INPE (Institut National pour les Recherches Spatiales) font apparaître un modèle différent de circula-tion – un modèle qui s’éloigne du modèle climatique prévu. Le déboise-ment accroît la complexité du problème puisqu’il modifie les modèles de pression, et est possiblement en train de provoquer un déclin des vents des vents humides qui soufflent de l’océan vers le continent.

La présente édition présente aussi un profil du mathématicien Artur Ávila (p. 14), premier Brésilien et premier Sud-Américain à recevoir la Fields Medal, le plus prestigieux des prix en mathéma-tiques. Spécialiste des systèmes dynamiques, Ávila est lié à l’IMPA (Institut pour les Mathématiques Pures et Appliquées), à Rio de Ja-neiro, et au CNRS (Centre National pour la Recherche Scientifique), à Paris. Ce carioca a partagé le prix avec trois autres lauréats, dont la première femme à recevoir cet honneur. Dans l’interview presentée

Eau, maths et maladies negligées

Alexandra Ozorio de Almeida

directrice de la rédaction

PESQUISA FAPESP | 5

ici, Ávila explique sa méthode de travail. Pour lui, lire des livres et des articles n’est pas le plus important; il préfère travailler en collaboration avec d’autres chercheurs, des spécialistes de ses différents champs d’interêt. Cela lui permet d’apprendre ce qui est le plus important dans leurs travaux, et d’utiliser cette connaissance pour attaquer le problème qui l’occupe à un moment ou à un autre.

La possibilité de coopération pour le déve-loppement et la mise à point de nouveaux trai-tements pour des maladies negligées, telles que le mal de Chagas, la leishmaniose viscérale, la malaria et la maladie du sommeil, a été discutée au siège de FAPESP en novembre 2014 (p. 26). Les participants, en plus de FAPESP, étaient la Royal Society of Chemistry, du Royaume Uni, et des organisations internationales telles que Drugs for Neglected Diseases initiative et Me-dicines for Malaria Venture. On a conclu, entre autres choses, que le Brésil est en état d’offrir une contribution importante à la découverte de nouveaux médicaments, par exemple dans les champs de la chimie organique et de la biologie moléculaire. Pourtant, un effort considérable est

toujours nécessaire pour établir des connections entre les différents groupes de recherche et pour créer des dispositifs de soutien à la coopération internationale dans ce champ au Brésil.

Quant aux maladies négligées, Pesquisa FAPESP rend hommage à la mémoire d’un grand homme de science, Luiz Hildebrando Pereira da Silva, un des parasitologues les plus respectés au monde dans le champ de la médecine tropicale (p. 40). Luiz Hildebrando a passé la plus grande partie de sa carrière à l’Institut Pasteur, à Paris, en tant que réfugié politique, et a développé des recherches très importantes en biologie molécu-laire de la malaria. Après sa retraite de l’Institut Pasteur, en 1996, il est rentré au Brésil pour re-prendre la direction de programmes de recherche en Amazonie, et a été directement responsable de la diminution des cas de malaria dans la ré-gion. Luiz Hildebrando est mort en septembre 2014, à l’âge de 86 ans, après une vie pleine de réalisations et entièrement dédiée à la science et à l’amélioration du bien-être de l’humanité.

Plusieurs autres articles pourront vous intéres-ser dans ce numéro de Pesquisa FAPESP.

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des courants de vapeur d’eau qui se forment au-dessus de la forêt tropicale amazonienne exportent des pluies au sud du brésil

6 | ÉDITION SPÉCIALE octobre 2015

La pénurie d’eau qui alarme le pays

possède une étroite relation avec les forêts

Danse de la pluie

coUVertUre

Des changements dans le volume et la fréquence des précipitations ainsi que la mauvaise utilisation des aquifères sont parmi les facteurs qui mettent à sec les canalisations dans certaines régions du Brésil

TexTe Maria Guimarães PhoTos Léo ramos

PubLié en décembre 2014

PeSQUISA FAPeSP | 7

L’Amazonie n’est pas uniquement la plus grande fo-rêt tropicale qui reste au monde. Cet infini de vert entrecoupé par des fleuves aux cours sinueux, de tailles et couleurs variées, ne se limite pas à être l’habitat d’une incroyable diversité de plantes et

d’animaux. La forêt amazonienne est aussi un moteur ca-pable de changer la direction des vents. C’est une pompe qui aspire l’eau de l’air sur l’océan Atlantique et du sol et la fait circuler en Amérique du Sud provoquant, dans les régions éloignées, les pluies tant enviées, de nos jours, par les habi-tants de São Paulo. Mais le fonctionnement de cette pompe dépend du maintien de la forêt, dont la portion brésilienne a perdu, jusqu’en 2013, 763 mille kilomètres carrés (km2) de sa superficie d’origine, l’équivalent de trois états de la taille de celui de São Paulo. Antonio Donato Nobre, chercheur à l’Institut National de Recherches Spatiales (Inpe), n’accuse personne. Ce qui lui importe c’est d’inverser ce processus et non seulement de réduire la déforestation à zéro, mais de récupérer la forêt. Dans le rapport O futuro climático da Ama-zônia (Le futur climatique de l’Amazonie), paru fin octobre, le chercheur indique clairement que la seule raison pour que des mesures immédiates ne soient pas prises pour réduire la déforestation c’est le fait de méconnaitre ce que sait la science. Pour lui, la voie à suivre est de sensibiliser la population. « C’est le moment idéal car l’eau disparaît des robinets », dit-il.

Dans le rapport, préparé à partir de l’analyse d’environ 200 articles scientifiques, il démontre que chaque jour la forêt du bassin amazonien transpire 20 milliards de tonnes d’eau (20 trillions de litres). C’est davantage que les 17 mil-liards de tonnes que le fleuve Amazone déverse quotidien-nement dans l’Atlantique. C’est ce fleuve vertical qui nour-

rit les nuages et aide à changer l’itinéraire des vents. Nobre explique que les cartes des vents au-dessus de l’Atlantique montrent que, dans l’hémisphère Sud et à basse altitude, l’air se déplace vers le nord-ouest en direction de l’équateur. « En Amazonie, la forêt détourne cet ordre » , affirme-t-il. « Pendant une partie de l’année, les alizés chargés d’humidité descendent de l’hémisphère Nord et convergent vers l’ouest et le sud-ouest, pénétrant en Amérique du Sud ».

Cette circulation contredit un paradigme météorologique qui affirme que les vents devraient souffler des régions plus froides vers celles plus chaudes. Il explique: « En Amazonie, ils vont toute l’année du chaud, l’Atlantique équatorial, vers le froid, la forêt ». Un partenariat avec les Russes Anastasia Makarieva et Victor Gorshkov, de l’Institut de Physique Nucléaire de Péters-bourg, a contribué à expliquer, du point de vue de la physique, les phénomènes météorologiques de l’Amazonie. Dans un article publié en février 2014 dans le Journal of Hydrometeorology, ils affirment, en se basant sur des analyses théoriques confirmées par des observations empiriques, que la déforestation modifie les modèles de pression et peut causer un déclin des vents char-gés d’humidité venant de l’océan vers le continent. Le groupe a analysé les données de 28 stations météorologiques dans deux régions du Brésil. Il a constaté que les vents venant de la forêt amazonienne transportent plus d’eau et sont associés à des taux plus élevés de pluies que les vents qui sont originaires de zones sans forêt et qui arrivent à la même station.

Selon les chercheurs, cela se produit en raison de la pompe biotique d’humidité, une théorie proposée par le duo russe en 2007 pour expliquer la dynamique de vents sous l’influence des forêts. Cette idée complète la description proposée par le climatologue José Antonio Marengo, à l’époque chercheur à

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l’Inpe, de comment l’Amazonie exporte des pluies vers les régions plus méridionales de l’Amérique du Sud. La théorie de la pompe biotique applique une physique inhabituelle à la météorologie et présuppose que la condensation de l’eau, favori-sée par la transpiration de la forêt, réduit la pres-sion atmosphérique qui pompe de la mer vers la terre les courants d’air chargés d’eau.

Les fondements de l’influence de la conden-sation sur les vents ont été présentés dans un article publié en 2013 par Makarieva et Gorshkov, en partenariat avec Nobre et d’autres collabora-teurs, dans l’Atmospheric Chemistry and Physics, l’une des revues les plus importantes dans ce domaine. Grâce à une série d’équations, ils dé-montrent que la vapeur d’eau rejetée dans l’at-mosphère par la transpiration de la forêt génère, en se condensant, un flux capable de propulser les vents sur de longues distances. Selon Nobre, la nouvelle physique de condensation qu’ils pro-posent a géré, au cours de la révision de l’article, une controverse avec les météorologistes qui ont débattu le sujet avec fureur sur les blogs scienti-fiques dans le but de renverser l’équation prin-cipale de cette étude. Ils ont échoué et le travail a été publié. Le chercheur de l’Inpe explique la polémique. « C’est une physique qui attribue à la condensation, un phénomène de base et cen-tral du fonctionnement atmosphérique, un effet opposé à ce que l’on croyait » affirme-t-il. « Il sera nécessaire de réécrire les livres didactiques dans ce domaine. »

P our comprendre la dimension des contro-verses entre physiciens théoriciens et mé-téorologues, Nobre rappelle que la physique

développe une compréhension des phénomènes atmosphériques à partir de lois fondamentales de la nature, tandis que la météorologie le fait, en grande partie, fondée sur l’observation de modèles climatiques du passé, dont la statistique est absor-bée par les modèles mathématiques. Ces modèles représentent bien les fluctuations climatiques observées, mais présentent des failles en pré-sence d’altérations significatives dans le modèle.

C’est le cas actuellement, lorsqu’un nouveau contexte – causé par la déforestation, les chan-gements climatiques globaux ou d’autres facteurs – génère des phénomènes climatiques inattendus pour certaines régions, comme des pluies torren-tielles et des périodes de sécheresse plus longues. La théorie physique a raison là où les extrapola-tions du passé ont eu tort. C’est pour cela que, selon lui, il est nécessaire de construire de nou-veaux modèles climatologiques qui replacent la physique au centre des efforts de la météorologie.

Le moment est désormais crucial car le climat amazonien est en train de changer. Les années 2005 et 2010 ont été marquées par d’importantes

sécheresses dans la région. « Auparavant, le cli-mat en Amazonie était marqué par une saison humide et une autre davantage humide ; mainte-nant il y a aussi la saison sèche », affirme Nobre. Les dégâts causés à la forêt par ces sécheresses n’ont pas été dévastateurs car elle est capable de se régénérer, mais le cumul des dommages détruit graduellement cette capacité. Un effet important que l’on observe déjà et qui a été prévu par des modèles climatiques il y a 20 ans est un prolongement de la saison sèche, qui a affecté la production agricole dans certaines parties de l’état du Mato Grosso. La préoccupation majeure est le risque d’atteindre un point de non retour, à partir duquel la forêt ne serait plus capable de produire suffisamment de pluie, ni même pour subvenir à ses propres besoins. Des travaux de modélisation qui tiennent compte du climat et de la végétation indiquent que ce point sera at-teint quand 40 % de la superficie originale de la forêt sera perdue, un pourcentage qui ne fait pas l’unanimité. Selon le rapport de Nobre, 20 % de la forêt a déjà été abattue et 20% supplémentaires ont été modifiés au point d’avoir perdu une par-tie de leurs propriétés.

Si la théorie de la pompe biotique est correcte, les effets de ce point de non retour devront être plus sévères que la savanisation proposée par le climatologue Carlos Nobre, frère aîné d’Anto-nio. « Si la forêt perd la capacité d’apporter de l’humidité de l’océan, la pluie dans la région peut cesser complètement » déclare Nobre, le cadet. Sans eau pour maintenir une savane, le résultat pourrait être une désertification en Amazonie. Si cela se produit, le scénario qu’il prévoit pour les régions Sud et Sud-Est du pays pourrait être similaire à celui d’autres régions sur la même latitude: se transformer en désert.

Antonio Nobre ne se risque pas trop à parler du cas de São Paulo. « Mon rapport concerne l’Amazonie. » Mais il croit que la sécheresse ici n’est pas indépendante de ce qui se passe dans le Nord. Selon lui, il a été possible de dévaster une bonne partie de la forêt tropicale atlantique sans sentir une réduction des précipitations car l’Ama-zonie était capable de satisfaire au manque d’eau dans l’atmosphère locale. Mais il semblerait que cela ne se produise plus. Il profite de l’occasion pour suggérer que non seulement la forêt ama-zonienne mais aussi celle qui longeait la côte de presque tout le Brésil puisse être immédiatement récupérée. Si ce n’est pas pour un autre motif, l’épuisement dont sont victimes les réservoirs qui alimentent une bonne partie de la population de São Paulo devrait être un argument suffisant.

L’exportation de l’eau de la région amazo-nienne vers d’autres régions du Brésil, parti-culièrement le Sud-Est et le Sud, est une réa-lité grâce à un phénomène connu comme les

8 | ÉDITION SPÉCIALE novemBre 2015

« FLeUVeS VoLAntS » La forêt amazonienne est installée sur

une immense quantité d’eau,

l’aquifère alter do chão. La végétation

absorbe l’humidité du sous-sol et de

l’océan et la lance sous forme de

vapeur dans l’atmosphère, provoquant

des courants d’air qui exportent des

pluies vers des endroits éloignés.

chemins jusqu’au robinet des sources aériennes, superficielles et souterraines complètent l’approvisionnement

DAnS LeS cAMPAGneS et DAnS LeS VILLeS La présence de forêt native est

essentielle à la santé des sources d’eau.

Les cultures intensives et les espèces

forestières telles l’eucalyptus

peuvent réduire le temps de

recharge des aquifères,

qui est plus élevé dans

les zones urbaines

Aquifère cristallin

eau atmosphérique

Approvisionnement public

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rechargerecharge

Irrigation

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Puits publics et privés

Aquifère sédimentaire

AQUIFèreS De São PAULo

Le chevauchement des sources

souterraines dans l’état de são

Paulo est un exemple de la

complexité du système, utilisé

comme source partielle ou totale

d’eau dans 75 % des communes

VéGétAtIon nAtIVe

Zone rUrALe

SoUrce ricardo hiraTa / igc-usP

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23

4

5Aquifères sédimentairesn Tubarãon guaranin bauruAquifères cristallinsn Précambrienn serra geralAquicluden Passa dois

« fleuves volants ». Les pluies intenses dans le sud-ouest de l’Amazonie début 2014 – pratique-ment le double du volume habituel, tandis que São Paulo traversait le pire moment d’une sé-cheresse historique – ont été un indice de cette ligne directe. « La pluie a été retenue à Rondônia, dans l’état de l’Acre, et en Bolivie en raison d’un blocage atmosphérique, une sorte de bulle d’air qui empêchait le passage de l’humidité. Cela a créé une stabilité atmosphérique, inhibant la formation de pluies et élevant les températures » explique Marengo, actuellement chercheur au Centro Nacional de Monitoramento e Alertas de Desastres Naturais (Centre National de Surveil-lance et d’Alerte Contre les Catastrophes Na-turelles/Cemaden). Il est coauteur d’un article dirigé par Jhan Carlo Espinoza, de l’Institut de Géophysique du Pérou, qui est en cours de publi-cation par l’Environmental Research Letters et fait partie des résultats du programme Green Ocean (GO) Amazon, soutenu par la FAPESP.

Il est cependant impossible d’affirmer à quel point cette relation influence la sécheresse à São Paulo. « Nous ne savons pas encore calcu-ler la quantité de pluies du Sud-est qui provient d’Amazonie ni celle qui arrive ici transportée par des courants froids venus du Sud, par l’humi-dité portée par les brises marines ou par l’éva-poration locale » explique-t-il. Selon lui, la dé-forestation peut avoir un impact à long terme, mais il est toutefois impossible d’affirmer si elle est liée à la sécheresse actuelle. « Le Sud-Est peut ne pas devenir un désert » pondère-t-il, « mais les conditions climatiques extrêmes peuvent devenir plus intenses. » Des études employant des modèles climatiques créés par le groupe de Marengo prévoyaient déjà une redis-tribution du total des pluies, avec un volume très important d’eau en quelques jours et des périodes de sécheresse plus longues, un phénomène déjà observé dans le sud-est et dans le sud du pays au cours des 50 dernières années.

S elon l’ingénieur agronome Walter de Pau-la Lima, professeur à l’École Supérieure d’Agriculture Luiz de Queiroz (Esalq) de

l’Université de São Paulo (USP) et coordinateur scientifique du Programme Coopératif de Sur-veillance Environnementale de Micro-bassins (Promab) de l’Institut de Recherches et d’Études Forestières, outre cet effet à distance sur une échelle nationale, la relation entre la végétation et les ressources en eau se déroule également à une échelle locale. Dans ses études sur l’effet des forêts (ou leur suppression) dans des micro-bassins, il a démontré que la bande de végéta-tion primaire (forêt ciliaire), qui longe les cours d’eau, contribue à la bonne santé des rivières. « Le système Cantareira, qui approvisionne São

Paulo, est composé de milliers de micro-bassins » rappelle-t-il. « Les plus dégradés ne contribuent pas aux sources d’eau ». Cette évaluation manque, toutefois, de données expérimentales concrètes. Selon Lima, pour connaître exactement l’effet des forêts ciliaires sur les sources d’eau, il serait né-cessaire d’étudier un micro-bassin expérimental dans lequel il serait possible de mesurer les pro-priétés des cours d’eau avec et sans la protection de la forêt, sans qu’il n’y ait d’autres facteurs en jeu. Un cadre pratiquement inatteignable.

Une expérience pratique qui renforce l’impor-tance de préserver les bandes riveraines pour l’entretien des ressources en eau est décrite par le biologiste Ricardo Ribeiro Rodrigues, spécialiste en récupération de forêts natives de l’Esalq. Il explique qu’il y a 24 ans l’eau a disparu du micro-bassin d’Iracemápolis, commune à l’intérieur de l’état de São Paulo. La mairie a demandé l’aide de l’Esalq et le groupe de Rodrigues a mis en place un projet de conservation des sols du micro-bas-sin et de restauration de la bande riveraine qui aurait dû s’y trouver. « J’y suis retourné récem-ment et j’ai eu un choc », raconte le chercheur. Le niveau du réservoir est un peu plus bas, mais il a suffisamment d’eau pour continuer à approvi-sionner Iracemápolis, dont la population a triplé au cours de cette période. « Toute la région, Ira-cemápolis mise à part, fait face à des problèmes de manque d’eau. »

« fleuves volants »: des courants de vapeur d’eau qui se forment au-dessus de la forêt amazonienne exportent de la pluie vers la région sud du brésil

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10 | ÉDITION SPÉCIALE novemBre 2015

Les forêts affectent la santé des ressources en eau par le biais de leur influence sur les pluies, mais leurs relations avec les eaux souterraines est également importante. L’ingénieur Edson Wendland, professeur au Département d’Hy-draulique et d’Assainissement de l’USP de São

Carlos, étudie justement ce qui se passe avec la recharge de l’aquifère Guarani quand la végétation du cer-rado est remplacée par des cultures telles les pâturages, la canne à sucre, les agrumes ou l’eucalyptus. Le tra-vail est développé dans le bassin du Ribeirão da Onça, dans la commune de Brotas, à l’intérieur de l’état de São Paulo, étudié depuis les années 1980.

L’idée est de détailler, grâce à des puits de surveillance et des sta-tions climatologiques et avant que toute la végétation originelle du cerrado de la région ne soit suppri-mée, comment se fait la recharge de l’aquifère Guarani avec diffé-rents usages du sol. « On ne peut gérer ce que l’on ne connait pas », affirme Wendland à propos de l’une des sources d’eau souterraine les plus importantes du Brésil. L’aquifère est une couche poreuse de roches dans

laquelle s’infiltre l’eau de pluie, ensuite libérée lentement vers les fleuves. Cette différence de temps entre l’approvisionnement et la décharge, une conséquence du lent trajet de l’eau dans le mi-lieu souterrain, est ce qui assure la pérennité des fleuves qui dépendent de cette épargne hydrique.

Le groupe de Wendland a montré, par exemple, que la disponibilité en eau diminue lorsque les petits arbres tortueux du cerrado, adaptés à vivre sous stress hydrique sont remplacés par des euca-lyptus, qui consomment beaucoup d’eau et qui en peu d’années atteignent la taille d’abattage. Des mesures réalisées entre 2004 et 2007 montrent que les taux de recharge ont une relation étroite avec l’intensité des précipitations et la taille des cultures agricoles dans cette région où le cerra-do a pratiquement disparu, conformément à un article accepté pour publication dans les Anais da Academia Brasileira de Ciências (Annales de l’Académie Brésilienne des Sciences).

Néanmoins, cela ne signifie pas que les eucalyp-tus soient des hors-la-loi inconditionnels. L’impact des arbres de haute taille dépend en partie de la profondeur de l’aquifère à l’emplacement où ils sont plantés. Selon Lima, les plus de 20 ans de suivi continu effectué par le Promab ont démon-tré que la relation entre les espèces forestières et l’eau n’est pas constante. « Là où la disponibilité est critique, un élément nouveau peut assécher les micro-bassins », explique-t-il. « Mais là où il

y a un bon équilibre hydrique et climatique, la diminution de l’eau ne se fait pas sentir. » Ces résultats indiquent clairement qu’il est nécessaire d’effectuer un zonage indiquant où l’on peut plan-ter et où la pratique serait nuisible. Il s’agit d’une planification qui n’existe pas au Brésil.

Pour Wendland, l’importance de comprendre la relation entre le cerrado et les aquifères est cruciale car les sources des plus grands bassins fluviaux du pays appartiennent à ce biome. Outre leur importance en tant que ressource en eau, cer-tains de ces bassins – celui du Paraná, du Tocan-tins, du Parnaíba et du São Francisco – sont les principaux fournisseurs d’eau pour la production d’électricité au Brésil.

En un peu plus d’un demi-siècle, la moitié de la superficie du cerrado a été déboisée et remplacée par des activités agricoles. Pour évaluer l’effet de ce changement dans l’utilisation des terres sur la disponibilité en eau, l’étudiant de doctorat Paulo Tarso de Oliveira, du groupe de São Carlos, a réalisé une étude en utilisant des données de télédétection sur toute la superficie de ce biome. Grâce à des capteurs, il a été possible d’évaluer non seulement le changement de végétation, mais aussi de quantifier les précipitations, les indices d’évapotranspiration par les plantes et d’estimer la variation de stockage de l’eau. Selon un article publié en septembre 2014 dans Water Resources Research, les données indiquent une réduction de l’écoulement en raison des activités agricoles plus intensives.

L a déforestation et l’exploitation agricole du sol ont une importance, mais Wendland affirme que le plus gros problème pour la

recharge de l’aquifère est aujourd’hui la réduction des précipitations. « L’aquifère pallie au manque de précipitations pendant deux ou trois ans ; ensuite, il n’arrive plus à maintenir le débit de base des fleuves ». Selon les résultats observés ces dernières années, les précipitations de la sai-son des pluies ont été inférieures à la moyenne. Il explique également des phénomènes alarmants tels l’épuisement de la source principale du fleuve São Francisco, qui est restée à sec pendant envi-ron trois mois et ne s’est remise à jaillir qu’à la fin novembre.

Le défi de la gestion des eaux souterraines, qui représentent 98 % de l’eau douce sur la planète, a d’autres particularités dans les zones urbaines, où elles peuvent être une ressource essentielle. Selon le géologue Ricardo Hirata, de l’Institut de Géosciences (CIG) de l’Université de São Pau-lo, 75 % des communes paulistes sont approvi-sionnées, en partie ou totalement, par ces eaux. Cela inclut des villes importantes de l’état de São Paulo, en particulier Ribeirão Preto, où elles approvisionnent 100 % de ses plus de 600 000

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Les forêts affectent des ressources en eau par le biais de leur influence sur les pluies et la recharge des eaux souterraines

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habitants. À l’échelle nationale, d’autres villes sont entièrement approvisionnées par les eaux souterraines, selon le livre Águas subterrâneas urbanas no Brasil (Eaux souterraines urbaines au Brésil) en cours de publication par l’IGc et par le Centre de Recherche en Eaux Souterraines (Cepas): Juazeiro do Norte, au Ceará, Santarém, au Pará et Uberaba, à Minas Gerais.

Ce qui est surprenant c’est que dans les villes l’eau perdue par l’approvisionnement public se retrouve dans l’aquifère. « L’imperméabilisa-tion des sols réduit la pénétration de l’eau de pluie, mais les pertes compensent et dépassent cette réduction et le bilan est un rechargement plus important là où se trouvent des villes, par rapport à d’autres régions » explique Hirata. « Si l’on analyse l’eau d’un puits quelconque à São Paulo, la moitié de cette eau proviendra de l’aqui-fère et l’autre moitié de la Sabesp » (NT: la Sabesp est la compagnie qui fournit des services d’eau et d’assainissement dans l’état de São Paulo). Il estime que la ville compte près de 13 000 puits, tous privés et la plupart illégaux. « Il existe une législation pour gérer cette ressource, mais elle n›est pas respectée » affirme-t-il.

Un problème causé par les villes est la contami-nation des eaux souterraines par les nitrates, en raison de fuites dans le réseau d’égouts. Comme le processus de décontamination est cher, les puits contaminés sont abandonnés. Dans les villes où ils sont utilisés pour l’approvisionnement public, la solution est de mélanger l’eau polluée à celle de puits non contaminés pour que la qualité finale soit acceptable. « À Natal il ne reste plus suffisam-ment d’eau propre pour ce mélange » alerte Hi-rata. Les eaux souterraines représentent 70 % de l’approvisionnement en eau dans cette capitale.

Un autre genre important de pollution pro-vient de l’industrie, comme celle causée par les solvants organochlorés. Le géologue Reginaldo Bertolo, également de l’IGc et directeur du Cepas, étudie comment se comporte ce polluant dans l’aquifère au-dessous de Jurubatuba, dans la zone sud de São Paulo, une région industrielle depuis les années 1950. « C’est un contaminant qui pré-sente une action complexe dans l’aquifère », dit-il. Dans cette roche solide, où l’eau coule dans les fractures, ce composé plus dense que l’eau coule vers le fond et ne s’arrête que lorsqu’il touche une couche imperméable. « Ils sont toxiques et cancérogènes ». La pollution empêche l’utilisa-tion des eaux souterraines dans une région où la demande est importante.

En collaboration avec des chercheurs de l’Uni-versité de Guelph, au Canada, le groupe de Ber-tolo identifie ces polluants pour comprendre comment ils se comportent et proposer des stra-tégies pour les éliminer de l’aquifère. La pro-chaine étape consistera à utiliser un système

développé par les Canadiens pour prélever des échantillons de la roche et installer des puits spéciaux de surveillance. « Cet équipement per-met de recueillir de l’eau de plus de 20 fractures différentes en utilisant une seule perforation », affirme-t-il. « Nous allons construire un modèle mathématique pour reproduire ce qui se passe et faire des prévisions. »

Bertolo avertit qu’il est important de mieux cartographier les eaux souterraines et d’analy-ser leur qualité, parce que c’est une ressource qui peut être complémentaire dans les villes. « L’eau souterraine est une ressource peu connue. » L’ingénieur Monica Porto, de l’École Polytech-nique de l’USP, ne croit pas qu’il soit possible de trop augmenter l’utilisation de ces eaux dans la région métropolitaine de São Paulo. Selon elle, pour aller au-delà des près de 10 mètres cubes par seconde (m3/s) pompés des milliers de puits existants, des milliers de nouveaux puits seraient nécessaires. « Mais ces 10 m3/s ne peuvent pas manquer, nous devons en prendre bien soin ».

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fin de novembre le système cantareira

avait de l’eau dans le réservoir Paiva

castro (à droite), tandis que la sécheresse

était évidente dans le jacarei/jaguari

Mme. Porto, qui a été Président de l’Association Brésilienne des Ressources en Eau et intègre tou-jours son Conseil Consultatif, pense à des façons d’assurer la sécurité hydrique pour la popula-tion. Le manque d’eau est l’un des problèmes les plus graves qui peuvent arriver dans une ville. « Nous sommes contraints de travailler avec une très faible probabilité de défaillance. » Selon elle, en 2009, le gouvernement de l’état de São Paulo a commandé une étude sur ce qui devrait être fait pour assurer l’approvisionnement en eau. L’étude a été achevée en octobre 2013, au cours de la plus importante crise d’approvisionnement en eau de l’état de São Paulo. Monica Porto explique qu’il est impossible de considérer la région de São Paulo et sa banlieue de façon isolée, car il n’y a plus d’endroit où capter de l’eau sans entrer en conflit avec des voisins. Par conséquent, l’étude englobe la méga-métropole, qui comprend plus de 130 communes et une population de 30 mil-lions de personnes.

Les travaux nécessaires à l’amélioration de la sécurité hydrique ont déjà commencé, avec un système pour recueillir l’eau du fleuve Ju-quiá, dans la Vallée du Ribeira. Ils devraient s’achever en 2018. La construction des bar-rages de Pedreira et de Duas Pontes, qui doivent approvisionner la région de Campinas, sont en phase d’autorisation environnementale. « Manaus et Campinas sont les seules villes au Brésil avec plus de 1 million d’habitants qui ne possèdent pas de réservoir d’eau » explique Mo-nica Porto. Cela ne manque pas à Manaus, qui est au bord du fleuve Amazone, mais manque à Campinas, qui dépend du système Cantareira. Elle emploie tous les moyens possibles pour éco-nomiser l’eau et affirme que la crise actuelle est

importante pour sensibiliser la population sur le besoin de réduire sa consommation. Elle souligne également l’importance de l’ensemble des mesures qui devra être revu en caractère d’urgence. « Nous devons apprendre par la douleur » déclare Mo-nica Porto, qui a l’habitude de blaguer en disant qu’il vaut mieux qu’il ne pleuve pas trop pour ne pas écarter cette crise instructive. « Mais s’il ne pleut pas bientôt, je vais arrêter de plaisanter: il faut qu’il pleuve ». n

Projets 1. comprendre les causes des biais qui déterminent le début de la saison des pluies en amazonie en suivant les modèles climatiques à partir des observations de goamazon et de la pluie (nº 13/50538-7); chercheur responsable josé antonio marengo orsini (cemaden); modalité Ligne régulière d’aide au Projet de recherche – goamazon; investissement 57 960,00 reais (faPesP).2. mise en place du modèle hydrogéologique conceptuel et transport et destination des composés organochlorés dans l’aquifère fracturé de la région de jurubatuba, são Paulo (nº 13/10311-3); chercheur responsable reginaldo antonio bertolo (igc-usP); modalité Ligne régulière d’aide au Projet de recherche; investissement 502 715,27 reais (faPesP).

articles scientifiquesmaKarieva, a. m. et al. Why does air passage over forest yield more rain? examining the coupling between rainfall, pressure and atmospheric moisture content. Journal of hydrometeorology. v. 15, n. 1, p. 411-26. fév. 2014.maKarieva, a. m. et al. Where do winds come from? a new theory on how water vapor condensation influences atmospheric pressure and dynamics. Atmospheric chemistry and Physics. v. 13, p. 1039-56. 25 jan. 2013.esPinoZa, j. et al. The extreme 2014 flood in south-western amazon basin: The role of tropical-subtropical south atlantic ssT gradient. environmental research Letters. sous presse.WendLand, e. et al. recharge contribution to the guarani aquifer system estimated from the water balance method in a representative watershed. anais da academia brasileira de ciências. sous presse.oLiveira, P. T. s. et al. Trends in water balance components across the brazilian cerrado. Water resources research. v. 50, n. 9, p. 7100-14. sept. 2014.

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L’homme qui calcule

ENTRETIEN

Marcos Pivetta

Spécialiste en systèmes dynamiques, dont l’objectif est de développer une théorie ca-pable de prévoir l’évolution à long terme de phénomènes naturels et humains, Artur

Ávila a reçu le 13 août dernier la médaille Fields, le plus grand prix international de mathéma-tiques. Né à Rio de Janeiro il y a 35 ans, il est le premier Brésilien et Sud-américain à recevoir cette distinction attribuée tous les quatre ans par l’Union Internationale de Mathématiques (IMU, en anglais) à des chercheurs de moins de quarante ans. En plus du Brésilien qui travaille à l’Institut National des Mathématiques Pures et Appliquées (Impa) de Rio de Janeiro et est directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) de Paris, trois autres chercheurs ont également été récom-pensés: l’Autrichien Martin Hairer, le Cana-dien Manjul Bhargava et l’Iranienne Maryam Mirzakhani – première femme à gagner le prix. Sur ces quatre vainqueurs qui ont reçu avec la médaille une prime de 10 000 euros, Ávila était le plus jeune. Dans une interview accordée à Rio de Janeiro après s’être rendu au 27e Congrès In-ternational de Mathématiques de Séoul pour y recevoir son prix, Ávila a déclaré: « Pour les autres candidats, c’était l’ultime chance de gagner la médaille à cause de la limite d’âge. En raison des circonstances du moment, je pensais que j’avais peu de chances d’être reconnu cette année ».

L’excellence de ce Brésilien qui possède aussi la nationalité française depuis l’an dernier s’est manifestée de bonne heure. Fils unique de pa-rents séparés (avec une demi-sœur du côté de son père), il est issu de la classe moyenne et a fréquenté de bonnes écoles. En 1995, il rem-porte du haut de ses 16 ans la médaille d’or des Olympiades Internationales de Mathématiques. Deux ans plus tard, encore lycéen du tradition-nel Colégio Santo Agostinho et sans avoir mis les pieds à l’université, il termine son master à l’Institut National des Mathématiques Pures et Appliquées (Impa). En 2001, il est âgé de 21 ans, obtient son doctorat à l’Impa et en prime le 2e cycle [graduação] à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Pour Welington Celso de Melo, son ancien directeur de thèse, un « étu-diant intelligent aime généralement s’afficher et poser des questions. [...] Artur était différent. Il parlait peu, mais quand il posait des questions il était impossible de lui répondre sur-le-champ. J’avais besoin de rentrer chez moi pour penser à la réponse ».

Marié à une chercheuse en économie et sans enfants, Ávila vit entre Paris et Rio de Janeiro, les deux villes qui lui permettent de faire ce qu’il aime le plus: résoudre de grands problèmes ma-thématiques. On lui doit des solutions pour les opérateurs de Schrödinger, des outils mathéma-tiques qui aident à décrire l’évolution au cours du

Artur Ávila

ÂGE 35 ans

SPÉCIALITÉ Systèmes dynamiques

FORMATION Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ) et Institut National de Mathématiques Pures et Appliquées (Impa)

INSTITUTION Impa et Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Paris

PUblIé eN SePteMbRe 2014

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temps de vecteurs d’états dans des sys-tèmes quantiques, et plus d’une cinquan-taine d’articles publiés. Même avant de gagner la médaille Fields, Ávila jouissait déjà d’un énorme prestige dans l’univers des mathématiques. Sa manière de faire de la recherche est particulière. Il lit peu, ne donne pas de cours et peut travailler à la maison ou dans son bureau – voire au bord de la plage, quand il est à Rio de Ja-neiro. Il préfère cerner un nouveau thème en établissant des partenariats avec des collaborateurs qui sont spécialistes dans le domaine: « Vous discutez et la personne vous dit exactement quel chemin suivre pour résoudre un problème donné. Il n’est pas nécessaire de passer par une longue lecture de toute la bibliographie existante autour d’un problème » . Récalcitrant aux interviews, Ávila dit ne pas être fait pour parler des mathématiques au grand pu-blic; pourtant, il va avoir du mal à échap-per à cette demande après avoir reçu le plus grand prix international déjà attribué à un chercheur brésilien.

Est-il vrai qu’à la différence du Nobel les gagnants de la médaille Fields savent à l’avance qu’ils ont été choisis pour recevoir le prix?On le sait avant l’annonce. Je l’ai su 5 mois avant et j’ai du garder le secret. C’est beaucoup de temps, mais j’ai fait l’effort de ne rien dire.

Votre nom avait déjà été cité pour concourir à la médaille il y a 4 ans. Vous vous attendiez à la recevoir maintenant? Je ne pensais pas gagner cette fois à cause d’une autre candidature impor-tante dans un domaine proche du mien et parce que j’étais plus jeune que tous les autres candidats. J’avais encore une chance de pouvoir gagner la médaille en 2018. Pour les autres, c’était la dernière chance à cause de la limite d’âge de 40 ans. En fonction des circonstances du moment, je pensais avoir peu de chances d’être reconnu cette année.

Qui était l’autre candidat en question?L’Iranienne Maryam Mirzakhani, qui a aussi remporté le prix. Ça a été excep-tionnel, ils ont donné la médaille aux deux. Nous travaillons dans des do-maines voisins et donc c’était peu pro-bable que les deux gagnent cette année. Pour cette raison et parce que pour elle

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c’était sa dernière chance, je ne pensais pas faire partie des vainqueurs.

Vous avez déjà travaillé avec Maryam Mirzakhani?Ensemble, non. Mais j’ai travaillé avec des personnes qui ont mené des re-cherches avec elle. Elle a déjà utilisé des résultats de mes travaux et moi des résul-tats des siens. Elle travaille dans un do-maine qui a des intérêts communs et se recoupe avec le mien. Donc nous aurions pu travailler ensemble. Nous avons cer-tainement travaillé dans la même direc-tion avec des coauteurs communs. Mais nous ne nous sommes jamais rencontrés.

Les organisateurs du prix évitent nor-malement de donner la médaille à des mathématiciens de domaines très proches?Il n’existe pas de règles. S’il y a par exemple un candidat qui peut attendre pour l’édition suivante du prix, il est pos-sible que soit privilégiée la diversité des domaines. Je pensais que c’est ce qui allait se passer. J’aurais sûrement aussi pu être candidat en 2018. Il n’y avait pas d’urgence par rapport à mon nom.

En 2018, le Congrès International de Mathématiques aura lieu à Rio de Ja-neiro. Vous pensez que le choix du Brésil pour abriter l’événement a joué un rôle sur votre candidature?La décision concernant la réalisation du congrès est séparée de la décision du comité de remise des prix. Ce sont des questions très différentes. La réalisation de l’événement implique des questions de développement mathématique mais aussi d’organisation. Le fait que le Brésil ait montré qu’il était capable d’organiser de grands événements a joué en faveur de sa candidature. Beaucoup de pays qui ont abrité l’événement n’ont jamais gagné la médaille, comme la Corée du Sud, l’Inde et l’Espagne. La médaille est la reconnaissance d’un travail mathéma-tique, une question purement scienti-fique. C’est la première fois qu’un lauréat a suivi des études jusqu’au doctorat dans un pays qui, à la différence du comme le Japon, de certains pays européens, des États-Unis ou d’Israël, n’est pas un pays développé. J’ai suivi toute ma scolarité au Brésil et cela n’a pas été un obstacle. La qualité du doctorat que j’ai obtenu à l’Impa n’a rien à envier à ce que j’aurai

pu faire à l’étranger. C’est une démons-tration claire de la qualité de ce qui peut être fait ici au Brésil. Évidemment, c’est un travail de longue durée de l’Impa, qui offre un enseignement et une recherche de qualité depuis plusieurs décennies.

Quelle image aviez-vous de vous à 21 ans, alors que vous terminiez le doc-torat? Vous vous considériez comme un chercheur hors du commun parce que précoce?J’étais plus jeune qu’un chercheur norma-lement inscrit en doctorat. Mais je com-prenais que je pouvais faire un doctorat en étant jeune sans pour autant devenir un grand chercheur. Vous pouvez être un étudiant en mathématiques brillant, avoir de très bonnes notes mais ne pas être ca-pable de faire de la recherche. Et même si dans ce contexte vous avez la capacité de faire une recherche de doctorat, vous pouvez avoir du mal à donner suite à votre carrière. Il existe plusieurs moments où il n’est pas possible de donner suite au travail présenté. Il peut arriver aussi que vous n’ayez aucune capacité remarquable au début de votre carrière mais que ce-la se déclenche à un certain moment. C’est ce que je pensais, et mes objectifs étaient très basiques. À l’époque du doc-torat, mon objectif était de mener un tra-vail de recherche pour obtenir les choses basiques: tracer les voies normales d’un chercheur professionnel sans but trop élevé à atteindre. Mes ambitions étaient très raisonnables parce que je savais que je n’étais pas à l’abri de difficultés.

Vous êtes entré très tôt à l’Impa. Com-ment cela s’est-il passé?Parfois, l’Impa accepte des étudiants plus jeunes, qui sont encore au lycée. Ils le font quand ils pensent que le lycéen est capable de suivre le cours. Je savais cela et j’ai eu envie de tenter ma chance. Ce désir s’est réalisé après l’Olympiade Internationale de Mathématiques de 1995, où j’ai gagné la médaille d’or. L’Im-pa m’a proposé de suivre un des cours du niveau 1 juste avant de débuter le mas-ter. Et si tout se passait bien, je pour-rais m’inscrire en master. C’est donc ce que j’ai fait pendant que j’étais au lycée. J’ai commencé au niveau du master et après un certain temps j’ai continué en doctorat d’une manière assez simple, en suivant les cours de l’Impa. À un certain moment, j’ai commencé à discuter avec

les chercheurs, avec Welington [Celso de Melo], et c’est comme ça que j’ai rejoint le domaine des systèmes dynamiques.

Pourquoi vous-êtes vous intéressé aux mathématiques et non pas à d’autres sciences?Je ne sais pas. J’ai toujours aimé les ma-thématiques, même avant de savoir quelle était la différence entre les choses. Depuis l’âge de 5 ans, sans aucune raison particu-lière. J’aimais aussi d’autres domaines que je croyais être de la science. Mais en ma-thématiques, il est possible d’avancer par soi-même plus vite et j’ai eu ce contact avec les Olympiades de mathématiques, qui m’ont encouragé et qui ont aussi servi de tremplin pour entrer à l’Impa.

Comment est apparu votre intérêt pour le domaine des systèmes dynamiques?En tant que chercheur, j’ai certaines ca-ractéristiques qui s’adaptent bien à la recherche sur les systèmes dynamiques et qui s’adapteraient aussi à d’autres do-maines. Je suis un analyste. Je travaille avec des analyses, des statistiques, la géo-métrie. Dans le cas présent, j’ai plus été exposé au domaine des systèmes dyna-miques en fonction de ma présence à l’Impa et du contact direct avec Weling-ton. C’est pour ça que j’ai poursuivi dans les systèmes dynamiques, où ces carac-téristiques sont très importantes. Vous pouvez étudier ce thème en utilisant ces techniques ou d’autres manières. C’est quelque chose qui me convient bien, mais le choix des systèmes dynamiques est dû à la circonstance historique de ma présence à l’Impa.

Comment expliqueriez-vous le domaine des systèmes dynamiques à un profane?D’une manière générale, c’est l’étude de thèmes qui évoluent avec le temps, selon une règle qui décrit la transition entre un moment et le suivant, entre le moment actuel et le moment de de-main, par exemple. Cette règle peut être très simple. Mais à très long terme, des comportements très compliqués apparaissent. L’étude de ce compor-tement chaotique qui survient à long terme est une des préoccupations prin-cipales du champ des processus dyna-miques. [Les résultats et les méthodes issus du domaine des systèmes dyna-miques sont utilisés pour expliquer des phénomènes complexes de domaines

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tels que la chimie (réactions, processus industriels), la physique (turbulence, transition de phase, etc.), la biologie (compétition d’espèces, neurobiologie) et l’économie (modèles de croissance, comportement du marché financier)].

Les personnes ont tendance à associer superficiellement le chaos à la désor-ganisation, mais il y a des règles dans le chaos, n’est-ce pas?Nous réussissons à mieux décrire les systèmes chaotiques de bonne quali-té, qui présentent certaines caractéris-tiques. Ils sont sensibles aux conditions initiales et des petites modifications pro-voquent en eux de grands effets. D’un côté, on a l’impression d’être empêché de dire quelque chose d’utile sur le sys-tème, qui détruit la possibilité de faire des prévisions. Mais d’un autre côté, cela introduit de nouvelles règles qui sont suivies par le système, de nouvelles lois qui peuvent être utilisées par le système. Des lois qui cessent d’être déterministes et acquièrent un caractère statistique et de probabilité. Il faut alors poser des questions et tenter de donner des ré-ponses en termes de probabilités et de comportements du système au lieu de se ranger derrière une certitude absolue. Nous essayons de modeler le système de manière stochastique [par le biais d’une description probabilistique des proces-sus]. Nous essayons de traiter le système de la façon dont il peut être traité.

Peut-on penser au soleil et à ses pla-nètes comme exemple de système dyna-mique chaotique?Dans le système planétaire, il est diffi-cile de décrire l’émergence du chaos. C’est encore très complexe et pas très bien compris. Mais il est un événement où apparaissent des phénomènes chao-tiques: l’interaction de fonctions du se-cond degré [polynômes du second de-gré], que tout enfant apprend à l’école. Après beaucoup de temps, quel est l’effet de l’application successive de la même loi du second degré? Elle peut présenter l’émergence du chaos. C’est un exemple très simple de ce qui se produit.

Certaines personnes disent que vous êtes d’abord quelqu’un qui résout des problèmes, peut-être même plus qu’un ‘formulateur’ de théories. Vous êtes d’accord?

Très souvent dans mon travail, j’ai cher-ché des problèmes connus et reconnus comme difficiles, et j’ai tenté de les ré-soudre. Comme j’ai fait cela plusieurs fois, c’est sûrement vrai que j’ai résolu beaucoup de problèmes. Mais dans une moindre mesure j’ai aussi travaillé à la construction et au développement de ces théories qui demandent aussi bien la ré-solution que la formulation du problème. J’ai résolu un problème au début de mon travail sur les opérateurs de Schrödinger, mais après j’ai aussi construit une théo-rie et j’ai résolu des problèmes en lien avec cette théorie. Mais il est vrai que la partie la plus visible de mon travail, c’est la résolution d’une grande quantité de problèmes de plusieurs domaines dis-tincts des systèmes dynamiques.

Votre directeur de thèse, le professeur Welington Celso de Melo, a dit que vous étiez toujours sélectif dans le choix de vos objets de travail et que vous vous êtes concentré sur les grands problèmes des mathématiques en faisant en sorte de laisser de côté les sujets de moindre importance. C’est votre stratégie?Je travaille sur des sujets qui m’inté-ressent, sur des problèmes qui m’inté-ressent tout particulièrement. Souvent, les problèmes considérés difficiles sont fondamentaux parce qu’ils sont d’un grand intérêt. Et autour de ces pro-blèmes se développent des théories. En général, le mathématicien est attiré par la richesse de la théorie autour de ces objets. Travailler avec ces problèmes

permet d’explorer des choses plus plai-santes. Mais je ne rejette pas un pro-blème parce que d’autres personnes ne le considèrent pas important. J’ai aussi travaillé avec des questions dont je savais qu’elles n’auraient pas une répercussion monumentale. Ces problèmes, quand ils sont plus simples, je les résous plus vite. Je ne passe pas tout mon temps à travailler sur ces problèmes parce qu’ils sont résolus plus rapidement. Ils sont plus simples.

Vous avez réalisé plusieurs travaux en collaboration. Vous aimez travailler en équipe?J’aime surtout quand c’est pour ap-prendre. Je n’ai pas l’habitude de lire.

Comment cela?Je lis des livres de mathématiques et des articles, je lis très peu.

Mais comment peut-on faire de la re-cherche ainsi?En mathématiques, il est possible d’avan-cer sans avoir une connaissance plus profonde de la littérature. Il est plus im-portant d’avoir une compréhension très précise des choses fondamentales. Et ces choses je les retiens plus facilement en discutant avec d’autres chercheurs. D’où l’importance de la collaboration. Vous discutez et votre interlocuteur vous dit exactement quel chemin suivre pour résoudre un problème donné. Il n’est pas forcément nécessaire de lire toute la bibliographie autour d’un problème.

Cérémonie de remise de la médaille de Fields pendant le Congrès International de Mathématiques à Séoul

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C’est une caractéristique personnelle ou beaucoup de mathématiciens tra-vaillent de cette manière? Ce n’est pas une caractéristique totale-ment unique. Les mathématiciens tra-vaillent de différentes manières. Cer-tains aiment beaucoup lire. Ce n’est pas mon cas. Je connais pas mal de choses parce que j’ai déjà résolu beaucoup de problèmes. Très souvent, je commence à travailler dans un domaine en faisant des recherches avant même d’étudier ce domaine. Avant d’étudier, j’essaie de ré-soudre un problème. Mais c’est très dif-ficile de partir de zéro, sans rien savoir. Alors je mets en place une collaboration et avant même d’apprendre en profon-deur le sujet, j’ai déjà résolu un problème qui me motive davantage. J’ai changé plu-sieurs fois de domaine et j’ai rapidement résolu un problème important, et c’est seulement après que j’ai mieux compris ce que disait la théorie sur le problème. Ça concerne un peu la caractéristique technique de la personne ainsi que l’intui-tion. Pour moi, ça fonctionne comme ça.

Comment l’intuition aide-t-elle le mathématicien?Les parties les plus difficiles d’un travail mathématique sont celles qui concernent la créativité, qui l’amènent à faire une dé-couverte qui est en dehors, évidemment, des règles de base. Tout grand mathéma-ticien possède des habiletés techniques formidables et réussit à emprunter des chemins connus sans grandes difficul-tés. C’est certainement mon cas. Ce qui bloque le travail, c’est de sortir des voies connues, de découvrir quelque chose et d’essayer d’identifier comment aborder le problème. Devant l’inconnu, il n’existe pas par définition de règles pour choisir son approche. C’est l’intuition qui tente d’indiquer comment aborder le pro-blème. Cela exige un peu d’expérience, qui aide beaucoup à développer l’intui-tion sur une question. Vous allez dans une direction parce que vous espérez que ça va marcher, mais il est encore trop tôt pour formaliser mathématiquement.

Pourquoi avez-vous pris la nationalité française?Après avoir terminé mon doctorat au Bré-sil, je suis allé en France en 2001. Mes premiers emplois ont été en France et j’y suis resté 5 ans avant de repartir au Brésil. Puis je suis resté 3 ans au Brésil et

ensuite j’ai partagé mon temps entre les deux pays. Le temps passé en France a complété ma formation de mathématicien et élargi mes domaines de recherche. À la fin de mon doctorat, j’étais déjà capable de faire de la recherche de haut niveau. Mes résultats étaient reconnus mais j’avais une vision restreinte du domaine et de sa place dans l’ensemble des mathé-matiques. À Paris, j’ai eu des contacts avec la plus grande communauté de mathéma-ticiens du monde et une activité incom-parable. Cela m’a obligé à sortir de mon domaine de l’époque, la dynamique uni-dimensionnelle, et à rechercher d’autres choses pour pouvoir interagir avec ces personnes qui n’avaient pas forcément les mêmes intérêts que moi. Dans cette quête où il y avait tellement de gens bons, tel-lement de possibilités de co-auteurs, j’ai travaillé dans d’autres domaines et mon travail y a été très reconnu. Le mathéma-ticien que je suis aujourd’hui a accumulé beaucoup de choses de France et du Bré-sil. Donc je pensais qu’il était normal de me considérer comme un mathématicien franco-brésilien. Si je suis un mathéma-ticien franco-brésilien, il était logique que j’ai la nationalité française, ce qui en plus m’apporte des avantages pratiques pour la vie là-bas.

Comment organisez-vous votre travail entre Paris et Rio?Je vais et je viens. Ce ne sont pas 6 mois complets ici ou là bas, mais plus en-trecoupés. Je reste quelques mois ici, d’autres là-bas. J’essaie de fuir l’hiver de Paris, mais parfois il peut y avoir des exceptions. Les détails des voyages sont décidés au dernier moment, conformé-ment aux circonstances, au choix et aux spécificités. Je suis très flexible, je tra-vaille seulement avec la recherche et je ne donne pas de cours. C’est ma carac-téristique. Je préfère me consacrer à la recherche et je ne me sens pas très doué pour l’enseignement. Je dirige des étu-diants de doctorat, mais je ne donne pas de cours. Par conséquent, je n’ai pas de calendrier fixe à remplir, ce qui n’aurait pas été le cas si j’avais décidé d’enseigner.

Est-ce vrai que vous vous réveillez tard et que vous avez l’habitude de travailler jusque tard dans la nuit?Je continue de me réveiller tard, vers 11 heures et parfois même vers 13 heures. Mais cela varie beaucoup. Ça dépend du

jour précédent et de la situation, si elle est plus agitée ou non. Le soir je travaille avant de dormir, si je me réveille au milieu de la nuit il peut m’arriver de penser aux mathématiques. Mais j’essaie de travailler l’après-midi aussi. Je travaille souvent avec des collaborateurs et je ne vais pas travail-ler avec eux après minuit. Je travaille dans des situations diverses. Plus récemment à la plage ou en marchant au bord de la mer, par exemple. Je travaille moins la nuit.

La routine à Paris et à Rio est la même?Pas du tout. Pour commencer, je n’ai pas de routine fixe. À Paris, je vais plus sou-vent au bureau. Là il n’y a pas de plage. Alors je rencontre les co-auteurs, les per-sonnes proches et les étudiants. J’essaie d’organiser plusieurs rencontres dans la même journée, pas forcément dans mon bureau. Il y a des jours où je reste à la maison. En France, c’est plus fréquent. Au Brésil, j’ai l’habitude de proposer aux gens de me rencontrer près de chez moi. Quand je travaille tout seul, je reste beau-coup à la maison ou je vais au bord de la mer. Je ne travaille pas toujours de ma-nière intense. Quand je ne travaille pas sur une ligne de recherche très spécifique ou quand je suis un peu perdu, sans savoir comment aborder un problème – ce qui arrive la plupart du temps –, ça n’aide pas beaucoup de travailler pendant des heures. Donc je travaille quelques heures par semaine. C’est différent de certaines situations qui ont lieu de temps en temps, quand j’ai de l’espoir, que je sais ou que j’imagine que quelque chose va se pro-duire et donner beaucoup de travail tech-nique, mais dirigé. Dans ces cas-là, je tra-vaille de manière très intense, beaucoup d’heures par jour.

Le Brésil affiche de mauvais résultats au niveau de l’enseignement des mathéma-tiques et des sciences. Vous vous consi-dérez comme une exception?Je crois que je suis plutôt une consé-quence naturelle de l’évolution de la science et en particulier des mathéma-tiques, qui est peut-être le domaine bré-silien le plus développé sur la scène in-ternationale. Cela est dû aux caractéris-tiques spécifiques des mathématiques mais aussi aux personnes qui travaillent dans ce domaine. Les mathématiques dépendent plus de ressources humaines que matérielles. Avoir des personnes qui savent ce qu’elles veulent peut suffire

PESQUISA FAPESP | 19

pour aller plus loin. Quand on dépend de beaucoup de ressources, comme des laboratoires, la volonté des personnes, aussi compétentes soient-elles, ne suffit pas. [Le prestige du Brésil est lié au fait qu’actuellement 4 représentants ayant un droit de vote à l’assemblée générale de l’IMU sont Brésiliens, un de moins que des puissances comme les États-Unis et la France. Au congrès international de Séoul, 4 mathématiciens de l’Impa ont donné des conférences].

Que pourrait-on faire dans les écoles pour éveiller de nouvelles vocations dans le domaine des mathématiques?Personnellement, je n’ai pas eu de contact avec l’enseignement dans les écoles. J’ai fréquenté des écoles très select, je suis allé directement à l’Impa et je n’ai pas beaucoup été à l’universi-té. J’ai officiellement été ins-crit à l’université, mais j’étu-diais à l’Impa. Je n’ai pas eu de contact avec cette réa-lité de l’enseignement dans le pays. Si je parle d’ensei-gnement, c’est plutôt sur la façon dont je l’imagine. Je n’enseigne pas à l’université, donc je ne suis pas en contact avec le quotidien. Je préfère laisser parler les personnes qui sont plus habitués à cette réalité et qui ont plus d’idées sur le sujet. Il y a des mathé-maticiens de haut niveau qui sont beaucoup plus à même que moi d’en parler.

Un autre Brésilien de l’Impa, Fernan-do Codás, a des chances de gagner la médaille. Comment évaluez-vous cette possibilité?Je pense que le Brésil et l’Impa pro-duisent des mathématiciens de qualité depuis un certain temps. Je n’aime pas trop mettre la pression sur les gens. Ga-gner un prix n’est pas quelque chose de surnaturel. Ce qui ne pouvait pas arriver est arrivé. Et c’est arrivé dans un proces-sus continu d’amélioration des mathéma-tiques au Brésil. Ce n’est pas un événe-ment unique qui ne peut pas se répéter. Mais c’est vraiment un prix rare. Ne pas le recevoir ne signifie pas une recherche de mauvaise qualité. J’aime bien rappeler aux personnes que l’Allemagne – qui a

plus de 100 prix Nobel et le Brésil aucun – n’a décroché qu’une seule médaille Fields pour toute sa recherche. Ce qui montre bien que ce prix est rare. Cela ne dévalo-rise en rien la qualité de la recherche réa-lisée par les Allemands et leur contribu-tion dans le domaine des mathématiques. On ne peut pas mesurer les choses avec ces prix, cela donnerait lieu à des distor-sions immenses. L’analyse est beaucoup plus compliquée. Avec la médaille, il est facile de montrer aux gens que le Brésil a fait quelque chose au plus haut niveau international. Avant elle, le Brésil faisait déjà quelque chose mais il était difficile de le démontrer. Les gens pouvaient même dire: alors, où est la récompense? Désor-

mais, ils ne peuvent plus dire cela. Mais ce n’est pas à ce stade que les choses doivent être mesurées, parce que ce n’est pas le centre de la question.

Vous pensez qu’à l’avenir vous serez une sorte d’ambassadeur de la science et des mathématiques brésiliennes à l’étranger?L’Impa était déjà reconnu par les mathé-maticiens. Donc ce rôle n’est pas aussi fondamental. Je crois que je dois aider internement à développer un peu la com-munication avec des personnes qui ne sont pas mathématiciennes et qui ne sa-vaient pas qu’il existe des mathématiques de bon niveau au Brésil.

Vous envisagez de donner des confé-rences dans les écoles?

Je vais sans doute faire quelque chose dans ce sens, mais l’objectif est de le faire aux côtés de personnes pour qui c’est une vocation. Je suis très limité quand il est question d’exposer les ma-thématiques à un public plus général. Ce n’est pas de mon ressort. J’ai déjà du mal à parler avec des étudiants de pré-doctorat en mathématiques, qui sont pourtant de mon domaine. D’un autre côté, j’ai une plus grande visibi-lité. Nous n’avons pas encore décidé comment concilier tout cela. Mais dans la pratique, mes limitations ne me per-mettent pas d’être celui qui communi-quera directement avec les personnes.

Mais n’est-ce pas naturel que les personnes attendent de votre part un plus grand contact avec le public non spécialisé?Ils peuvent le souhaiter, mais accepter ou non est mon choix. Je crois que je peux faire quelque chose de positif sans que cela se fasse de manière directe. Il existe des personnes très compé-tentes, qui communiquent beaucoup mieux que moi. Je n’ai pas besoin d’être la per-sonne qui parle, je peux être à côté d’elle.

Comment se passe votre vie en dehors des mathé-matiques?Au Brésil, j’essaie d’aller sou-

vent à la salle de gym, et quand c’est pos-sible à la plage. J’habite dans le quartier Leblon. J’aime m’y balader et faire les choses qu’aiment faire les gens du quar-tier, comme aller boire un jus de fruits frais au bar du coin. À Rio, je vois encore mes amis de l’époque de l’école, j’orga-nise des rencontres avec eux. Rien qui ne sorte de la norme. Je ne fais rien de bizarre, aucun sport de haut risque, pas beaucoup de voyages qui n’aient rien à voir avec les mathématiques. À Paris, j’ai un groupe de confrères mathématiciens que je ren-contre après le travail pour aller dans les bars et les choses du genre.

Paris est célèbre pour sa vie culturelle, ses musées. Vous allez beaucoup dans ces endroits?Non. n

La médaille Fields est une démonstration claire de la qualité de la recherche qui peut être menée au Brésil

20 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Un rapport montre que l’expansion des

biocarburants nécessite un soutien des politiques

publiques pour se maintenir à un niveau mondial

Les enjeux de changement d’échelle

Le niveau actuel de développe-ment scientifique et technolo-gique des bioénergies leur per-met déjà d’être produites à une

grande échelle dans le monde. Mais pour ce faire, il est nécessaire d’adopter des politiques publiques tenant compte de l’ensemble de la chaîne de production d’énergies renouvelables, y compris la question de l’usage de la terre et l’effi-cacité des technologies de conversion de la biomasse en énergie, jusqu’aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux. C’est l’une des principales conclusions d’un rapport sur l’implanta-tion de systèmes bioénergétiques dans le monde qui a été partiellement présenté lors de l’ouverture de la deuxième édi-tion du Brazilian Bio Energy Science and Technology Conference (BBest), qui s’est tenue du 20 au 24 octobre à Campos do Jordão (SP). Le rapport, intitulé Proces-sus Rapide d’Évaluation sur les Biocar-burants et leur Développement Durable, a été élaboré par des chercheurs liés aux programmes spéciaux de la FAPESP en Recherche Bioénergétique (Bioen), en Recherches de Caractérisation, Pré-servation, Restauration et Utilisation Durable de la Biodiversité (Biota) et en

Recherche sur les Changements Clima-tiques Globaux.

« Les politiques publiques mondiales indiquent qu’il sera nécessaire de tripler la production bioénergétique moderne d’ici 2030 », affirme Glaucia Mendes Sou-za, chercheuse à l’Institut de Chimie de l’Université de São Paulo (USP) et coor-donnatrice du Bioen. Elle a été chargée de l’organisation du rapport rédigé en colla-boration avec des scientifiques de 24 pays, sous la tutelle du Comité Scientifique pour les Problèmes Environnementaux (Scope, sigle anglais), partenaire de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (Unesco). Le docu-ment final a été présenté les 14 et 15 avril 2015 au cours d’un séminaire tenu à la FAPESP qui a inclus également le lance-ment d’un guide résumé, destiné à orien-ter les politiques publiques.

Le rapport souligne le rôle de la bioé-nergie dans le domaine de la sécurité ali-mentaire. Selon le document, la bioéner-gie moderne pourrait permettre d’aug-menter la productivité de la terre en intégrant à l’agriculture alimentaire la production de maïs et de canne à sucre pour produire de l’éthanol, ou de soja et de palmier à huile pour le biodiesel. « La e

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Bruno de Pierro

production de bioénergie dans les zones rurales plus pauvres peut également favoriser l’essor de l’économie locale en créant des emplois et un marché », explique Glaucia Souza.

Le rapport souligne cependant qu’il faut avoir une meilleure compréhen-sion des impacts causés par les mesures adoptées en ce qui concerne l’usage de la terre dans la production de bioénergie. Un même type de biomasse comme celle de la canne à sucre peut avoir différentes uti-lisations comme le chauffage, son usage en tant que carburant liquide, la fourni-ture d’électricité mais peut également avoir différents impacts. Le contrôle de ces impacts est essentiel. « Le dépôt de tonnes d’azote dans le sol pour planter de la canne à sucre pourrait augmenter les émissions de gaz à effet de serre, à l’instar du protoxyde d’azote. Il faut être très pru-dent avec les technologies employées » , estime Reynaldo Victoria, professeur à l’USP et membre de la Coordination du Programme FAPESP de Recherche sur les Changements Climatiques Globaux.

Une étude liée au Bioen montre que les émissions directes de gaz à effet de serre dues à la culture de la canne à sucre au Brésil sont inférieures à celles esti-

PoLitique s&t Bioénergie y

PUBlié en novemBre 2014

PesquisA FAPesP z 21

canne à sucre: l’efficacité de la plante en matière de production bioénergétique au Brésil est reconnue sur le plan international; la prochaine étape concernera la mise au point de nouveaux procédés afin d’augmenter la production d’éthanol

22 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

mées par la littérature scientifique in-ternationale. « Les conditions dans les-quelles nous produisons la canne à sucre au Brésil ne génèrent pas de grandes émissions de protoxyde d’azote », déclare Heitor Cantarella, chercheur à l’Institut Agronomique (IAC) et coor-donnateur de l’étude. Cependant, dit-il, l’idéal serait que les champs de canne à sucre adoptent des solutions visant à réduire ou à atténuer les émissions du gaz. Certaines stratégies commencent à être étudiées par le groupe de recherche d’Heitor Cantarella dans la province de São Paulo. L’une d’entre elles est de ne pas appliquer en même temps l’engrais et la vinasse (résidus du traitement in-dustriel de l’alcool), car l’association de ces deux éléments accroît la production de protoxyde d’azote dans le sol. « Les usines ont pour pratique de les appliquer simultanément pour accélérer le pro-cessus. Il faut changer cette mentalité », déclare Heitor Cantarella. La canne à sucre est encore une production durable. Notre objectif actuel est d’améliorer ses indicateurs par rapport aux émissions de gaz à effet de serre », dit-il.

VersAtiLité de L’éthAnoLLa production de bioénergie à partir de la biomasse peut également contribuer à la récupération et à l’augmentation de ressources environnementales au profit de la faune des sols dégradés. « Dans cer-tains cas, quand les pâturages sont dé-gradés, ils sont remplacés par la culture de la canne à sucre ou de l’eucalyptus et ceci peut favoriser la récupération du sol

et augmenter les ressources au profit de la faune de cette zone », déclare Luciano Verdade, professeur à l’USP et membre de la Coordination du Programme Bio-ta-FAPESP, qui a également participé à ce rapport.

Des cas concrets illustrant le poten-tiel d’exploitation de la biomasse ont été présentés au BBest par des spécialistes durant toute la semaine. L’un d’entre eux concerne l’utilisation de l’éthanol de la canne à sucre pour obtenir de l’hydrogène qui pourra à son tour ali-menter des véhicules à piles à combus-tible. Le projet est en cours d’étude au Laboratoire d’Hydrogène de l’Univer-sité Publique de Campinas (Unicamp), qui, en partenariat avec l’entreprise Hytron, cherche à développer de pe-tites stations d’extraction de l’hydro-gène à partir de l’éthanol commercialisé dans les stations-service. « L’idée est de montrer que l’éthanol est versatile et qu’il pourrait être employé de manière plus efficace que sa commercialisation actuelle dans les stations-service », explique Carla Cavaliero, professeur à l’Université Publique de Campinas (Uni-camp) et chercheur au laboratoire.

Certains constructeurs automobiles, comme Honda, Toyota et Hyundai, ont récemment lancé de nouveaux modèles de véhicules équipés de piles à combus-tible. Le coût de production de ces vé-hicules est cependant très élevé. Dans les pays européens et aux États-Unis, l’extraction de l’hydrogène se fait direc-tement dans certaines stations-service, non pas à partir de l’éthanol, mais par électrolyse (décomposition de l’eau). « L’avantage d’utiliser l’éthanol pour ob-tenir de l’hydrogène est que le Brésil est déjà compétitif dans la production du carburant à partir de la canne à sucre, ce qui rend ce processus bon marché », déclare la chercheuse.

La production probable de biocarbu-rants liquides avancés a également été discutée au cours du BBest. Les partici-pants ont ainsi eu la possibilité de décou-vrir les progrès réalisés dans le domaine de la production d’éthanol de cellulose obtenue à partir de déchets agroindus-triels comme la bagasse de canne à sucre au Brésil. Cette année, deux entreprises ont commencé à produire à une échelle commerciale de l’éthanol de deuxième génération, appelé également éthanol cellulosique. L’une d’entre elles, l’entre-prise GranBio, a lancé une unité de pro-duction dans l’état d’Alagoas. GranBio a investi environ 190 millions dollars US dans la partie industrielle, auxquels s’ajoutent 300 millions reais financés par la BNDES. L’usine a une capacité de pro-duction de 82 millions de litres d’éthanol anhydre par an et fonctionnera à plein régime à partir de 2015. Le Centre de

des spécialistes venant de différentes parties du monde

se sont réunis à campos do Jordão (sP) lors de la

deuxième édition du BBest qui abordait les défis à

relever en termes d’articulations politiques pour

le secteur bioénergétique

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« La production bioénergétique dans les zones rurales plus pauvres peut stimuler l’économie locale », déclare Glaucia souza

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PesquisA FAPesP z 23

Technologie de la Canne à Sucre (CTC), créé en 1969 par Copersucar, a lancé une autre initiative à travers la mise en service d’une usine de démonstration d’éthanol de deuxième génération à São Manoel, dans l’état de São Paulo. L’usine peut trai-ter 100 tonnes de biomasse de canne à sucre par jour. L’objectif de cette unité est de montrer le potentiel de ce procédé développé par le centre qui peut accroître la production d’éthanol sans augmenter la zone plantée de canne à sucre.

Le procédé mis au point par le CTC pour obtenir de l’éthanol cellulosique à partir de la canne à sucre a été bre-veté en 2008 car il représente un atout stratégique par rapport aux méthodes adoptées par d’autres entreprises dans cette course de la recherche en matière d’éthanol de deuxième génération au Brésil. Le processus d’hydrolyse enzy-matique de la cellulose présente dans la bagasse et dans la paille sera totalement intégré à la structure actuelle de l’usine.

enzymesIl y a cependant encore certains obs-tacles qui freinent le développement de la production d’éthanol de deuxième gé-nération à une échelle industrielle. « Le principal obstacle est lié aux enzymes », déclare Jaime Finguerut, conseiller tech-nique de la présidence du CTC. La pro-duction d’éthanol de deuxième généra-tion dépend d’enzymes utilisées pour rompre la lignine, dépend des hémicel-luloses des cellules de la canne pour obte-nir la cellulose et ensuite du glucose pour permettre la fermentation du sucre et obtenir de l’éthanol. « Il y a très peu d’en-treprises qui fournissent cette enzyme et elle est très chère, ce qui augmente le coût de production de l’éthanol cellulosique », explique Jaime Finguerut. Le CTC, en partenariat avec l’Embrapa et le Labora-toire National de Sciences et Technologie du Bioéthanol (CTBE), est actuellement à la recherche de nouveaux intrants pour développer ce procédé.

La programmation du BBest ne s’est pas limitée à une discussion autour des biocarburants, comme l’éthanol. L’accent a également été mis sur l’avenir des éner-gies renouvelables comme l’éolien et le solaire. L’idée était de montrer qu’outre la production de bioénergie à partir des biomasses, il y avait d’autres manières de produire de l’électricité. « Les films pho-tovoltaïques, par exemple, sont flexibles

et peuvent être associés à la construction de maisons et de bâtiments ou adaptés aux fenêtres, réduisant ou augmentant la luminosité », déclare Helena Li Chum, Brésilienne installée depuis 30 ans aux États-Unis et chercheuse au Laboratoire National en Énergie Renouvelable du Dé-partement d’Énergie nord-américain. Selon Helena Li Chum, le procédé visant à individualiser la captation et la distri-bution de l’énergie est une manière de répondre aux demandes spécifiques éma-nant de différents secteurs de l’industrie.

Un exemple de cette interaction des énergies renouvelables a été présenté par Danny Krautz, du Berlin Partner for Business and Technology, agence allemande de soutien à l’innovation. Il a ainsi montré les avantages des cellules photovoltaïques cristallines, technologie utilisée dans la fabrication de films de polymères ultrafins qui peuvent conver-tir la lumière solaire en énergie élec-trique de manière plus efficace que les panneaux solaires à base de silicium. « Les cellules photovoltaïques cristal-lines sont déjà utilisées en Asie, principa-lement dans les zones rurales. Elles sont légères et faciles à installer », explique Danny Krautz.

Tout comme les films photovol-taïques, les mini-usines éoliennes sont

de bonnes alternatives pour la produc-tion d’électricité de manière décentra-lisée. Constituées de petites hélices de cinq mètres de haut, elles pèsent envi-ron 800 kilos et peuvent être installées auprès de maisons, de fabriques ou dans de petites communautés. Jon Samseth, de l’Oslo and Akershus University Colle-ge of Applied Sciences, en Norvège, ex-plique que ces projets, la plupart encore en phase d’élaboration, visent à propo-ser une alternative au modèle de distri-bution électrique centralisé que nous connaissons aujourd’hui. «La produc-tion décentralisée d’électricité cherche à répondre à des besoins spécifiques, évitant le gaspillage et les coûts éle-vés», dit-il. Jon Samseth cite l’exemple du NuScale SMR, un petit réacteur nucléaire mis au point par l’entreprise américaine NuScale Power. L’équipe-ment qui devrait être commercialisé à partir de 2020 pourra être transporté en camion ou en train pour répondre ponc-tuellement à différents clients comme les industries et les hôpitaux. Ce mini-réacteur d’une puissance de 540 mé-gawatts et d’une autonomie de 60 ans, peut être rapidement construit et, en cas d’accident, les dommages environ-nementaux et économiques seront plus faciles à contrôler. n P

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des turbines éoliennes à

Parnaíba, dans l’état du Piauí:

l’avenir des énergies

renouvelables a été abordé

durant la conférence

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24 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Une méthodologie pour

évaluer le Programme

Biota-FAPESP est décrite dans

un article scientifique

SCIENTOMÉTRIE y

Calculs innovateurs

Un article publié par des brési-liens dans la revue scientifique Scientometrics montre l’uti-lité d’une méthodologie pour

évaluer l’impact des programmes de recherche, en particulier quand l’uni-vers de projets à analyser est restreint et que le groupe de contrôle – ce qui sert de référence pour la comparaison – a des caractéristiques différentes de celles de l’objet d’étude. Signé par Fer-nando Colugnati (Université Fédérale de Juiz de Fora), Sergio Firpo (Fondation Getúlio Vargas), Paula Drummond et Sergio Salles-Filho (tous deux de l’Uni-versité d’État de Campinas, Unicamp), l’article décrit en détail cette méthodo-logie novatrice destinée à l’évaluation du Programme Biota-FAPESP, qui étu-die depuis 1999 la biodiversité de l’État de São Paulo. Pour obtenir des données sur l’impact du programme, le groupe a comparé des projets du Biota-FAPESP avec d’autres aux caractéristiques équi-valentes mais qui ne font pas partie du programme. Le challenge était d’éviter que certains éléments aient des consé-quences sur les résultats; par exemple, que le groupe de contrôle ait un plus grand nombre de projets, et dans cer-

Partant de là, les chercheurs se sont attachés à créer une méthodologie ca-pable de dissocier statistiquement les effets des projets thématiques du Pro-gramme Biota-FAPESP. Ils ont recouru à une théorie statistique développée dans les années 1980 pour estimer la proba-bilité de comparaison de chaque pro-jet du groupe de contrôle avec un pro-jet du Programme Biota. Les variables choisies (l’âge du coordonnateur du projet, le nombre d’articles publiés ou la taille de l’équipe, par exemple) sont apparues comme des voies potentielles pour l’étude et ont augmenté la proba-bilité que le projet soit du groupe Biota. Cette probabilité porte le nom de score de propension (propensy score) pour les projets du groupe de contrôle – l’inverse de cette valeur fournit une sorte de poids capable de corriger des distorsions. Un autre challenge était de compenser le fait que les deux groupes puissent présen-ter des tailles et des compositions dif-férentes, et que l’échantillon provienne d’un univers limité de projets. Comme l’explique Colugnati, « une fois le score de propension estimé, les projets théma-tiques du groupe de contrôle qui étaient plus rares ont acquis plus de poids. Dès

Fabrício Marques

tains cas aux caractéristiques différentes. Vu que le Programme Biota-FAPESP compte une quantité élevée de projets thématiques, qu’ils réunissent plus de ressources financières et humaines et peuvent durer jusqu’à 5 ans, les projets du groupe de contrôle s’inscrivaient généralement dans la modalité ‘Aide régulière à la recherche’, aux délais plus courts et avec moins de ressources.

PUBlIÉ EN OCTOBRE 2014

pESQUISA FApESp z 25

en segments, comme le pharmaceutique et celui des cosmétiques.

L’évaluation du Programme Biota a été réalisée grâce à un soutien de la FAPESP par le Groupe d’Études sur l’Organisation de la Recherche et de l’Innovation (Geo-pi), rattaché au Département de Politique Scientifique et Technologique (DPCT) de l’Institut de Géosciences de l’Uni-versité d’État de Campinas (Unicamp). Elle a été dirigée par Sergio Salles-Filho, également coordonnateur adjoint d’éva-luation des programmes de la FAPESP (bourses, Jeune Chercheur, Équipements Multiusagers (EMU) et Recherche Inno-vation dans les Petites Entreprises (Pipe), entre autres). Salles-Filho indique que les particularités de chaque programme exigent habituellement le développe-ment de méthodologies spécifiques pour l’évaluation: « Et parfois ce n’est pas né-cessaire, mais nous en profitons pour tester des hypothèses et de nouvelles méthodes. [...] En évaluant l’impact d’un programme, le grand défi est de garan-tir l’attribution de causalité, c’est-à-dire que les mesures obtenues soient effec-

lors, nous avons obtenu une meilleure homogénéité et un équilibre de distri-bution, ce qui a permis une comparai-son plus fiable entre les groupes et les modèles statistiques » .

Pour sélectionner les projets du groupe de contrôle, les chercheurs ont eu accès à 1 400 projets de sciences biologiques de la base de données de la FAPESP, mais qui ne faisaient pas par-tie du Programme Biota-FAPESP. Une sélection à partir de mots-clés (biodi-versité, biomes,...) a réduit l’échantil-lon à environ 300 projets. Puis une ana-lyse au cas par cas a finalement donné un échantillon de 117 projets pour ce groupe, parmi lesquels des projets thé-matiques, des projets du module ‘Aide Régulière à la Recherche’ et des pro-jets ‘Jeune Chercheur’. Le groupe du Programme Biota comptant 66 projets, l’univers de projets a été au total de 183. Leurs coordonnateurs ont été invités à remplir le questionnaire en ligne qui a servi de base à l’évaluation. Au final, 142 personnes ont répondu : 56 du Pro-gramme Biota-FAPESP et 86 du groupe de contrôle. Le score de propension et la modélisation statistique ont été appli-qués à ces données.

pROSpECTIONLe résultat de l’évaluation du Programme Biota-FAPESP s’est avéré positif, aussi bien en termes de productivité scienti-fique que de capacité à fournir une base pour de nouvelles politiques publiques – même si les résultats étaient timides au niveau de l’exploitation de composés au potentiel de développement de produits Il

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la formulation de méthodologies donne l’opportunité à des processus d’évaluation de générer de nouvelles connaissances

tivement attribuées à l’investissement fait pour le programme, en cherchant à isoler des facteurs qui peuvent avoir une influence sur les impacts. Il faut recou-rir à un groupe de contrôle chaque fois que cela est possible. Mais le groupe de contrôle doit être fiable, d’où l’utilité de la méthodologie qui utilise le score de propension » . La méthodologie a des ap-plications bien définies: « Notre groupe a travaillé sur une évaluation d’entre-prises ayant utilisé les incitations de la loi informatique et il n’était pas possible d’avoir un groupe de contrôle parce que la grande majorité des entreprises du pays utilise ces incitations. Donc il n’était pas possible de construire un groupe de contrôle fiable » .

De l’avis de Salles-Filho, la formula-tion de nouvelles méthodologies donne aux processus d’évaluation l’opportu-nité de générer de la connaissance. La contribution scientifique de l’évaluation du Programme Biota-FAPESP ne va pas se limiter à l’article publié dans Sciento-metrics. Le groupe du Geopi doit achever une étude qui compare deux méthodo-logies différentes en utilisant les résul-tats de l’évaluation du Programme Bio-ta. L’une d’elles est celle qui recourt au groupe de contrôle, décrite dans l’article. L’autre est la méthodologie d’addition-nalité avec vérification de la causalité, qui mesure les impacts sans utiliser de groupe de contrôle et compare les don-nées du début et de la fin du projet. Et Salles-Filho de conclure: « L’objectif est de savoir si les deux méthodologies pro-duisent des résultats équivalents ou s’il y a des différences ». n

26 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Des chercheurs réfléchissent à des partenariats

en quête de traitements de maladies qui intéressent

peu les industries pharmaceutiques

COLLABORATION y

Pour sortir de l’oubli

Des chercheurs de plusieurs pays se sont réunis les 13 et 14 novembre dernier au siège de la FAPESP afin de discuter des

possibilités de coopération en matière de développement et d’offre de nouveaux traitements contre les « maladies tropi-cales négligées », celles qui intéressent peu les industries pharmaceutiques parce qu’elles touchent surtout des populations et des pays pauvres. À titre d’exemples, la maladie de Chagas, la leishmaniose viscérale, le paludisme et la trypano-somiase africaine (ou maladie du som-meil). Organisée avec la Royal Society of Chemistry (RSC) du Royaume Uni et les organisations internationales Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi) et Medicines for Malaria Venture (MMV), la rencontre a montré que le Brésil pos-sède des compétences particulières dans les domaines de la chimie organique et de la biologie moléculaire pour aider à trouver de nouveaux médicaments – et ce même si l’articulation entre les groupes de recherche et les incitations à des colla-borations internationales est encore rare dans ce domaine. De l’avis d’Alejandra Pa-lermo, responsable innovation de la RSC, « la rencontre a permis de comprendre

comment le Brésil peut être inclus dans de grandes études sur les maladies négli-gées. Nous souhaitons approfondir cette relation parce que le pays possède une forte communauté dans le domaine de la chimie, et beaucoup de maladies évoquées pendant la réunion sont ici endémiques ».

D’après les données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les mala-dies tropicales négligées atteignent près d’1 milliard de personnes dans le monde. Sur les 17 maladies de ce type enregis-trées par l’OMS, 14 sont présentes au Brésil. L’an dernier, la RSC a signé un accord avec les deux entités internatio-nales (dont le siège est en Suisse) dans l’objectif de développer de nouveaux mé-dicaments. L’entité britannique a offert l’accès à un réseau de collaboration dans le domaine de la chimie organique et à des logiciels qui facilitent l’échange de connaissances. Pour Palermo, beaucoup de travaux présentés par des chercheurs brésiliens peuvent être poursuivis sous l’orientation et en partenariat avec les deux organisations internationales, dont la mission est de développer des médi-caments accessibles aux plus pauvres.

Une initiative déjà en cours compte sur la participation du Laboratoire

de Chimie Organique Synthétique de l’Université d’État de Campinas (Uni-camp), avec lequel DNDi développe un programme inédit en Amérique latine: le Lead Optimization Latin America (Lola). Luiz Carlos Diaz, coordonna-teur du laboratoire, explique que « le but est de perfectionner et de tester des composés chimiques in vivo contre la maladie de Chagas et la leishmaniose ». Selon lui, le travail en réseau promu par l’organisation internationale permet de tester une même molécule sous diffé-rents aspects dans d’autres pays, et donc d’accélérer le processus de production d’un médicament. Au cours de la der-nière décennie, l’entité mondiale a réus-si à lancer deux nouveaux traitements contre le paludisme, un contre la maladie du sommeil, un contre la leishmaniose viscérale, une combinaison de médica-ments contre la leishmaniose viscérale spécifique pour l’Asie et un traitement pédiatrique avec dose adaptée contre la maladie de Chagas.

En ce moment par exemple, l’analyse et la préparation d’un nouveau composé pour la maladie de Chagas ont été répar-ties entre le laboratoire de l’Unicamp, le Centre de Biotechnologie Molécu- e

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PuBLIé eN DéCemBRe 2014

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Des enfants jouent dans un cours d’eau de Rondônia en fin d’après-midi, la période la plus propice aux piqûres du moustique du paludisme

laire Structurelle de l’USP, coordonné par le professeur Adriano Adricopulo, et l’Institut de Physique de l’USP à São Carlos. À ce projet participent égale-ment des entreprises pharmaceutiques – dont Abbvie et Pfizer – et des instituts de recherches internationaux, comme le Swiss Tropical Institute (Suisse) et le Drug Discovery Unit de l’Université de Dundeee (Australie), entre autres.

Une autre initiative inédite en Amé-rique latine réunit l’équipe de Dias et le MMV dans le programme nommé Brazil Heterocycles, qui a déjà synthétisé deux molécules prometteuses pour le traite-ment du paludisme. Ce projet compte sur des collaborations avec des centres internationaux, parmi lesquels Impe-rial College London, Monash Univer-sity (Australie), Glaxo Smith Kline (Es-pagne), Astra Zeneca et Syngene (Inde).

OBSTACLESPour Glaucius Oliva, « les étapes les plus chères du développement de nouveaux médicaments sont la découverte de la molécule et les tests précliniques et de toxicité » . Oliva est coordonnateur du Centre de Recherche et Innovation en Biodiversité et Médicaments (CIBFar), un des Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) de la FAPESP qui participe à l’un des projets de synthèse moléculaire coordonnées par l’équipe de Carlos Dias à l’Unicamp: « Avec le soutien financier de grandes organisa-tions mondiales à cette étape précise, l’industrie pharmaceutique peut entrer postérieurement dans les étapes d’es-sais cliniques et de production à grande échelle. Du coup, l’industrie pharmaceu-tique commence à s’intéresser aux ma-ladies tropicales négligées » . Président du Conseil National de Développement Scientifique et Technologique jusqu‘a février 2015 (CNPq), Oliva pense que le partenariat entre la DNDi, le MMV et l’Unicamp doit servir d’exemple pour d’autres initiatives.

Mais il estime également que la re-cherche brésilienne doit surmonter cer-

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tains obstacles pour pouvoir contribuer davantage aux études sur les maladies tropicales négligées. L’un d’eux est relié à la pharmacocinétique, qui est le che-min parcouru par une molécule dans l’organisme après son administration. Pour Walter Colli, biochimiste, profes-seur de l’Université de São Paulo (USP) et coordonnateur adjoint de la FAPESP en sciences de la vie, « les chercheurs en toxicologie et en chimie synthétique et médicinale qui travaillent à la création de nouvelles molécules sont encore peu nombreux au Brésil ».

Un groupe de chercheurs de l’USP a notamment montré qu’il était possible d’améliorer l’action de médicaments déjà existants par le biais de la synthèse chimique de composés naturels, au moins tant que de nouveaux médicaments ne sont pas prêts. Ils ont réussi à synthétiser une molécule à partir des bétalaïnes, les pigments présents dans des fleurs fluores-centes et dans les betteraves. Le composé

parvient à traverser facilement des mem-branes de cellules animales et à servir de sondes et de marqueurs fluorescents pour la biologie cellulaire. Selon le chercheur de l’Institut de Chimie de l’USP et coor-donnateur de la recherche, Erik Bastos, « la molécule fluorescente pourra être fonctionnelle et agir comme un taxi, qui n’éteindra sa lumière rouge que lorsqu’il aura laissé le médicament au bon endroit et au bon moment ».

La nouvelle molécule est encore en phase de tests. Comme le développe-ment d’un nouveau médicament et les analyses pharmacologiques sont chers, le groupe de Bastos pense que le com-posé peut initialement être utilisé pour améliorer l’action de médicaments pour le paludisme déjà disponibles sur le mar-ché: « Nous avons prouvé avec des tests in vitro que les bétalaïnes synthétisées en laboratoire pouvaient aller au-delà des membranes du parasite du paludisme. Avec cette technique, la dose du médi-

« Nous devons former une grande masse critique dans le domaine de la chimie synthétique », affirme Vanderlan Bolzani

cament habituel peut être réduite. L’effi-cacité du traitement est meilleure parce que le traçage du médicament permettra de trouver de nouveaux chemins pour conduire la drogue jusqu’au parasite ».

Des recherches de ce type peuvent jouer un rôle important dans le proces-sus d’éradication de certaines maladies. « En améliorant ce qui existe déjà, il est possible, à court terme, d’augmenter l’efficacité d’un traitement » , affirme Carolina Batista, directrice médicale de la DNDi en Amérique latine. Elle cite comme exemple le traitement de la ma-ladie de Chagas, dont le médicament le plus utilisé est le benznidazole, créé dans les années 1970.

Entre 2012 et 2013, la DNDi a com-mandé une vaste étude chargée de com-parer le benznidazole et l’E1224, une nouvelle molécule prometteuse dans la lutte contre la maladie de Chagas. Les tests in vitro ont donné de bons résul-tats, par contre il n’en a pas été de même dans les tests cliniques avec des patients. Malgré tout, une partie de l’étude a ré-vélé l’efficacité du traitement à base de benznidazole chez des patients chro-niques. Une autre étude publiée cette année par des institutions de recherche espagnoles a prouvé que le benznida-zole reste le composé le plus efficace pour le traitement de la maladie de Cha-gas. Mais Carolina Batista rappelle que le problème du benznidazole reste ses « effets secondaires compliqués, comme des allergies et des maux de tête. Cela montre que même un médicament an-cien et largement utilisé a encore besoin d’être amélioré et étudié ».

L’une des études qui évaluent actuelle-ment l’action du benznidazole est menée par l’Institut Dante Pazzanese de São Paulo et des institutions du Canada et d’Argentine. Plus de 3 000 patients de

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1 Le moustique anopheles gambiae, vecteur du paludisme

2 sur des images traitées numériquement, un composé extrait de fleurs fluorescentes traverse des membranes de deux érythrocytes, l’un d’eux infecté avec un plasmodium de paludisme

PESQUISA FAPESP z 29

différents pays ont été recrutés et les premiers résultats doivent être diffusés en 2015. Sergio Sosa-Estani, directeur de l’Institut National de Diagnostic et Recherche sur la Maladie de Chagas de Buenos Aires et membre de la DNDi en Argentine, précise: « Nous avons déjà réussi à analyser l’action du médicament chez des enfants atteints de la maladie de Chagas, ce qui nous a permis d’en conclure qu’il serait possible de dimi-nuer leurs doses de benznidazole ».

EXPANSION DE LA RECHERCHELes participants de la rencontre ont mis l’accent sur la nécessité de découvrir de nouvelles molécules capables de renfor-cer la lutte contre les maladies tropi-cales négligées. En 2012, l’OMS a lancé de nouvelles directives sur le contrôle et l’élimination de ces maladies jusqu’en 2020. D’après l’organisation, les défis sont énormes en ce qui concerne la ma-ladie de Chagas et la leishmaniose. Ac-tuellement, près de 7,6 millions de per-sonnes sont infectées par la maladie de Chagas dans le monde. Mais si l’on tient compte des facteurs de risque (dont les logements précaires dans les régions les plus pauvres), le nombre de personnes qui risque d’attraper la maladie est envi-ron de 100 millions de personnes rien qu’en Amérique latine – conformément aux données de la DNDi. L’OMS ajoute que seul 4,3 % du total des financements pour des recherches sur les maladies tropicales négligées est consacré à la maladie de Chagas et à la leishmaniose.

Pour combler cette lacune, le MMV et la DNDi ont signé à Londres un accord destiné à élargir les recherches dans ce domaine. Les institutions reçoivent des donations de gouvernements, d’entre-prises et de fondations (comme celle de Bill et Melinda Gates). Chef du départe-

ment de la découverte de médicaments du MMV, Jeremy Burrows explique que l’objectif de l’entité est d’élaborer de nouveaux composés pour traiter le paludisme, qui atteint annuellement de 80 à 100 millions de personnes dans le monde: « Nous collaborons déjà avec plus de 300 partenaires, et avec l’aide de la science brésilienne nous pouvons contribuer de manière importante à la lutte contre le paludisme ».

La DNDi est le fruit d’un partena-riat entre des institutions publiques de recherche et une partie de l’industrie pharmaceutique. L’entité est née avec l’argent gagné par l’organisation humani-taire Médecins Sans Frontières à l’occa-sion du Prix Nobel de la Paix en 1999, et aujourd’hui elle administre un réseau de 350 collaborations dans 43 pays. Robert Don, directeur des découvertes et du développement préclinique de la DNDi, dit que l’entité « met en contact des uni-versités et l’industrie, qui n’arriveraient

pas à développer de nouveaux produits si elles travaillaient seules ».

Pour le chimiste britannique Simon Campbell, membre de la RSC et consul-tant des deux entités dans les projets en collaboration avec l’équipe de l’Unicamp, la communauté scientifique brésilienne est reconnue parmi celles qui font des recherches sur les maladies tropicales négligées. En outre, elle possède de bons laboratoires et un financement adapté. Ce nonobstant, il pense que le pays doit investir davantage dans les domaines de la chimie synthétique et médicinale pour transformer la connaissance de la biologie en nouveaux traitements: « Nous avons besoin de traitements plus efficaces et avec moins d’effets secon-daires. Une manière d’accélérer ce pro-cessus est de travailler en collaboration, et pour cela nous comptons sur le sou-tien des scientifiques brésiliens » .

Cette vision est partagée par Vander-lan Bolzani, professeur de l’Institut de Chimie de l’Université d’État Paulista (Unesp): « Nous avons besoin de former une grande masse critique dans le do-maine de la chimie synthétique, d’encou-rager des chercheurs plus jeunes à tra-vailler la préparation à la mise au point de molécules qui puissent contribuer à l’éradication de maladies comme le palu-disme et la maladie de Chagas ». Lors de l’ouverture de la rencontre, le directeur scientifique de la FAPESP, Carlos Hen-rique de Brito Cruz, a déclaré qu’un tel événement était l’opportunité de rappro-cher directement des chercheurs de São Paulo avec d’autres chercheurs du monde et deux fondations scientifiques impor-tantes, la FAPESP et la Royal Society of Chemistry: « Les institutions concernées souhaitent partager des informations de recherche pour aboutir plus rapidement à des résultats ». n Bruno de Pierro

« Si l’on améliore ce qui existe déjà, il est possible d’augmenter l’efficacité d’un traitement », observe Carolina Batista

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30 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Les lianes donnent un nouveau visage à

l’Amazonie, et les bambous à la forêt atlantique

Après avoir dormi dans un ha-mac d’un campement installé dans la forêt à 80 kilomètres de Manaus, l’écologue nord-

américaine Robyn Burnham se réveille peu avant l’aube, avale deux gorgées de café et s’enfonce dans la forêt dense à la recherche de lianes, un type de plante grimpante qui s’enroule autour des arbres. Sans se laisser abattre par la chaleur et la sueur incessantes, elle fixe des rubans rouges sur les espèces qu’elle rencontre dans les entremêlements de feuilles, de branches et de troncs pour pouvoir accompagner leur croissance au

Forêts en mutation

fil des années. Puis, aidée de ses assis-tants, elle mesure les tiges des plantes de plus d'un centimètre (cm) de diamètre, collecte des échantillons de branches et les emmène dans son laboratoire pour analyser et identifier l’espèce.

Sur la base de 35 années d’observa-tions sur le terrain, Burnham et d’autres chercheurs ont remarqué une augmen-tation des populations de lianes au mi-lieu des forêts vierges de l’intérieur de l’Amazonie. C’est la première fois que ce phénomène est observé. Jusqu’à pré-sent, on pensait que la prolifération de lianes était seulement commune dans

Rodrigo de Oliveira Andrade

des zones de végétation dégradée, en particulier les fragments de forêts entou-rés de pâturages et de routes.

Dans la forêt atlantique – même si le nombre de données recueillies n’est pas aussi vaste –, ce sont les bambous qui semblent vouloir donner un nouveau visage à des fragments forestiers; c’est en tout cas ce que montrent des études de chercheurs de l’Institut de Botanique de São Paulo (Ibt). Les bambous comme les lianes tirent profit de la fragilité de milieux perturbés pour augmenter leur espace. Ces deux constats laissent sup-poser que l’Amazonie et la forêt atlan-

ScienceS BOTANIQUE y

PUBLIé EN OcTOBrE 2014

peSQUiSA FApeSp z 31

tique sont soumises à des pressions envi-ronnementales auparavant méconnues.

On sait depuis longtemps que les brû-lis, l’abattage massif de forêts primaires pour l’agriculture et l’élevage et même la coupe sélective interfèrent sur la dyna-mique de la forêt, modifient la variété des espèces de plantes et leur rythme de croissance. On commence désormais à percevoir que d’autres facteurs peuvent aussi affecter cette dynamique. Pour Wil-liam Laurance, biologiste nord-améri-cain et auteur de deux articles publiés cette année dans la revue Ecology sur le comportement des lianes en Amazonie, l’augmentation de leur prolifération dans des zones non dégradées peut être due à l’élévation des niveaux de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère.

Bien qu’abondantes et diverses dans les forêts du monde entier, c’est sous les tropiques qu’elles sont les plus nom-

breuses, les plus riches et les plus variées en termes de formes et de tailles. Certaines, aux tiges fragiles et verdâtres, sont quasiment invisibles au milieu des forêts. D’autres ont des écorces comme celles des arbres et reposent mélanco-liquement sur les sommets des forêts.

Les lianes se propagent dans des mi-lieux divers. Elles peuvent produire jusqu’à 40 % des feuilles qui couvrent les arbres, sans compter les semences et petits fruits qui servent d’aliment aux oiseaux et aux petits mammifères. En général, les lianes montent en spirale autour des troncs des arbres et les en-tourent comme si elles les étranglaient. Les arbres recouverts de lianes poussent plus lentement, se reproduisent moins et meurent plus rapidement – beaucoup ne supportent pas le poids, par exemple.

Partant de là, les cher-cheurs ont remarqué que les lianes étaient susceptibles de reconfigurer la communauté d’arbres, qu’elles refaçonnent des milieux en favorisant la survie de certaines espèces au détriment d’autres.

Avec son travail d’identification des espèces de lianes, Robyn Burnham ef-fectue progressivement un relevé de la distribution de ces plantes dans certaines zones de l’Amazonie. Elle a déjà identifié 300 espèces, beaucoup d’entre elles pas encore décrites: « Nous avons trouvé plus de 80 espèces sur un demi-hectare! ». Écologue de l’Université de Michigan, elle se rend en Amazonie au moins deux fois par an: « Nous espérons que ce re-censement aidera à identifier quelles espèces de lianes bénéficient plus de ce scénario et occupent de plus en plus E

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En Amazonie, les populations de liane gagnent du terrain dans des zones de forêt continue et sans historique de perturbation

32 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

agir comme un fertilisant qui, en ac-célérant aussi bien la croissance des lianes que des arbres (mais surtout des lianes), contribue à la reconfiguration de la forêt. Pour les lianes, la plus grande concentration de CO2 remplacerait en partie le peu de lumière dans ces milieux et les ferait pousser plus rapidement. Mais pour les arbres, cela intensifierait la dispute pour l’espace. « La compéti-tion pour l’eau, les nutriments et la lu-mière dans les forêts continues est aussi plus forte entre les arbres et les lianes », explique Camargo. Pour Laurance, cette situation « rend le comportement de la forêt plus dynamique ». L’écologue a vécu 5 ans au Brésil et aujourd’hui il tra-

Des niveaux plus élevés de cO2

dans l’atmosphère semblent

accélérer la croissance des

arbres et, en particulier, des lianes en

Amazonie

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d’espace ». Burnham et Laurance font tous deux partie du Projet Dynamique Biologique de Fragments Forestiers (PDB-FF) de l’Institut National de Recherches de l’Amazonie (Inpa). Ce projet suit de-puis plus de 30 ans l’évolution de plus de 1 000 kilomètres carrés (km2) de forêts fragmentées et continues en Amazonie. Le travail de Burnham augmente aussi la connaissance d’autres chercheurs sur la composition des communautés de lianes et offre une vision plus détaillée de leur prolifération.

Depuis 35 ans, les chercheurs de ce programme vont sur le terrain pour ana-lyser les taux de croissance et de morta-lité de 60 000 arbres et 178 295 arbustes (de moins de 10 cm de diamètre à hau-teur de la poitrine) sur 55 hectares de forêt continue et 39 hectares de forêt fragmentée. La surveillance continue a donné naissance à une banque de don-nées sophistiquée sur le comportement de ces forêts. Plus récemment, les cher-cheurs ont également compté les popu-lations de lianes qui représentent une parcelle importante de la biomasse et de la diversité des forêts, mais qui ne fai-saient pas encore l’objet de relevés fores-tiers. Ils ont accompagné la croissance de plus de 35 000 lianes dans 66 zones d’un

hectare dans des forêts continues et dans des forêts fragmentées dont la taille varie de 1 à 100 hectares.

Par le biais de si-mulations informa-tiques, ils se sont

aperçus que les populations de lianes se propageaient dans des zones forestières sans historique de perturbation. Pour José Luís Camargo, écologue de São Paulo et coordonnateur scientifique du PDBFF, « ce fut une surprise. La prolifération de lianes est commune dans des zones à proximité des forêts fragmentées ».

Camargo observe que la population de lianes dans les forêts vierges proches de Manaús a augmenté annuellement de 1 % en plus que ce qui était espéré au cours des 14 dernières années. Les chercheurs pensent que la prolifération de ces plantes dans ces zones est liée à l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Le CO2 semble

L’écologue robyn Burnham et son assistant, João Batista da silva, récoltent et mesurent des exemplaires de lianes pendant le travail de terrain de 2013

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ProjetInfluence de Paradiolyra micrantha dans la régénération d’un fragment urbain de forêt atlantique (n° 05/51747-2) modalité Ligne régulière d’aide au projet de recherche; responsable Maria Tereza Grombone Guaratini (IBt-sP); Investissement 45.219,86 reais (FAPEsP).

Articles scientifiquesLAUrANcE, W. F. et al. Long-term changes in liana abun-dance and forest dynamics in undisturbed Amazonian forests. ecology. v. 95, n. 6, p. 1604–11. 2014.GrOMBONE-GUArATINI, M. T. et alii. Atmospheric cO2 enrichment markedly increases photosynthesis and growth in a woody tropical bamboo from the Brazilian Atlantic Forest. new Zealand Journal of Botany. v. 51, n. 4, p. 275-85. dez. 2013.

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vaille à l’Université James Cook en Australie.

D’une manière générale, les lianes s’adaptent mieux aux forêts perturbées, en partie à cause de l’« effet de bord » – chaque année, la déforestation ajoute 32 000 kms de bordures à la forêt amazonienne. Dans les zones de transition entre la forêt fermée et les zones ouvertes, les arbres tombent, sèchent et meurent plus vite en raison de l’excès de lumière, de chaleur et de vent. Avec plus de lumière, les lianes qui sont plus résistantes à la sécheresse et croissent plus vite avancent et atteignent facilement le sommet des arbres. De l’avis de Camargo, « ces changements peuvent diminuer le stock de carbone, modifier plusieurs aspects de l’écologie de la forêt et réduire la diversité des es-pèces d’arbres ». Dans ce sens, les lianes aident les chercheurs à comprendre le niveau de perturbation des forêts.

cOMpÉTiTiOn AcHARnÉeTous les jours entre novembre 2008 et août 2009, la biologiste Maria Tereza Grombone Guaratini et son équipe de l’Institut de Botanique de São Paulo ont mesuré et numéroté les lianes qui se trouvaient dans des milieux avec et sans bambous, séparés par 1 km de distance, sur le troisième plus grand fragment de la forêt atlantique de São Paulo – dans le

parc das Fontes do Ipiranga, à 14 kms du centre de São Paulo. Ils ont été témoins de quelque chose d’inatten-du: les lianes doivent faire avec la présence gênante des bambous qui, comme elles, ont besoin de lumière et d’espace pour se propager. « Dans cette compétition, les

bambous sont plus forts que les lianes», explique la biologiste.

Guaratini et ses collègues ont consta-té que les bambous ligneux de l’espèce Aulonemia aristulata, native de la fo-rêt atlantique, libèrent des composés chimiques dans la terre qui inhibent la croissance des arbres et même la ger-mination des lianes. Sans les arbres, les lianes n’ont pas d’appui pour grimper à la recherche de la lumière. En plus, elles ne réussissent pas à se fixer sur les tiges lisses des bambous. Au total, les cher-cheurs ont identifié 1 031 exemplaires de lianes de plus d’1 cm de diamètre, 277 dans des zones dominées par des bam-bous et 754 dans des zones non dominées par des bambous. Comme une grande partie des lianes rencontrées dans des milieux occupés par l’espèce Aulone-mia aristulata possèdent une grosse tige, Guaratini pense qu’elles étaient déjà là avant l’invasion des bambous.

De même qu’en Amazonie, la pro-lifération des bambous peut être liée à l’augmentation de la concentration

de CO2 dans l’atmosphère. En 2013, Guaratini a vérifié cette hypothèse en cultivant de jeunes exemplaires de l’es-pèce A. aristulata dans deux types de chambres: une avec des concentrations élevées de CO2 et l’autre dans des condi-tions normales.

Après 7 semaines, les bambous culti-vés dans la chambre ayant plus de CO2 produisaient 70 % de photosynthèse en plus, étaient 92 % plus hauts et avaient une superficie foliaire 104 % plus grande que celle de ceux de l’autre chambre. La chercheuse pense que dans un scénario de changements climatiques mondiaux les bambous peuvent dominer chaque fois plus de milieux et affecter la com-position d’espèces d’arbres. Et ce qu’elle a observé entre les bambous de la forêt atlantique est peut-être aussi valable pour les lianes de l’Amazonie. n

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Pousse du bambou Aulonemia aristulata, natif de la forêt atlantique (ci-contre)

Exemplaire de liane Bauhinia guianensis en Amazonie (ci-dessus)

34 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

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C’est une mauvaise nouvelle pour ceux qui aiment prendre un bain de soleil et cela même en appliquant une crème pro-

tectrice. Les crèmes solaires vendues sur le marché protègent contre les effets nocifs des ultraviolets invisibles à l’œil nu, mais n’évitent pas les dommages cau-sés par la lumière visible et qui peuvent être intenses. Une étude menée par des chercheurs de São Paulo et de l’état du Paraná vient de démontrer que la lu-mière visible peut également causer le cancer de la peau, le plus fréquent au Brésil, et qui correspond à 25% des cas de tumeurs malignes, selon des données de l’Institut National du Cancer.

Maurício Baptista, biochimiste de l’Université de São Paulo (USP) et coor-donnateur de l’étude, n’est pas surpris par ce résultat publié en novembre 2014 dans la revue PLoS ONE. En effet, d’un point de vue physique, la lumière que nous percevons et les rayons ultravio-lets (UV) possèdent les mêmes caracté-ristiques. Les deux présentent la même forme d’énergie, le rayon électromagné-tique qui, selon son intensité, est appelé différemment à l’instar des rayons gam-

pesQUisa Fapesp z 35

Tout comme les rayons ultraviolets, la lumière visible

peut également causer le cancer de la peau

Un danger de plus du soleil

comprendre les profils de mutations que nous trouvons dans les mélanomes hu-mains et où nous observons fréquem-ment des évidences de manifestations d’oxydation de l’ADN », affirme Roger Chammas, professeur à la Faculté de Médecine de l’USP et chercheur à l’Ins-titut du Cancer de l’état de São Paulo. « Ces manifestations étaient autrefois attribuées aux rayons UVA, mais main-tenant, comme nous l’avons démontré, elles peuvent également être dues à la lumière visible ».

Le mécanisme producteur de ces molécules plus réactives observé par le groupe de Maurício Baptista confirme le double rôle joué par la mélanine, pig-ment qui protège la peau des dommages causés par certains types de lumière, mais qui en favorise d’autres. Les tra-vaux précédents avaient déjà révélé, tout comme l’expérience actuelle, que l’expo-sition aux rayons ultraviolets de type B (UVB) amenait les mélanocytes, cellules productrices de mélanine, à accroître la synthèse du pigment. Ils avaient éga-lement démontré qu’une grande par-tie de ces cellules survivait à ce type de rayonnement. Le taux de mortalité

gilberto stam

était toutefois plus élevé quand les cel-lules plus pigmentées étaient soumises à un rayonnement ultraviolet de type A (UVA), similaire à ce qui a été observé sous la lumière visible.

La protection offerte par la méla-nine contre les rayons UVB n’est ce-pendant pas suffisante pour éviter le cancer de la peau. Ce type de rayon-nement, associé aux brûlures du so-leil, réponse inflammatoire aiguë à une exposition excessive au rayonnement solaire, a été la première cause de can-cer découverte. Il pénètre peu dans la peau, mais ce qui n’est pas absorbé par la mélanine atteint directement l’ADN (principalement des mélanocytes) pouvant l’endommager et provoquer un type rare et très agressif de cancer, le mé-lanome, plus communs chez les adultes à peau claire et qui représente 4% des tumeurs de peau malignes au Brésil.

Quant aux rayons UVA qui, comme la lumière visible, provoquent des lé-sions de l’ADN à travers la production de formes excitées et plus réactives d’oxy-gène, ils pénètrent plus profondément. Dans les années 80, on a découvert que les rayons UVA déclenchaient un autre

PuBlIé En janvIEr 2015

ma, des rayons X, de la lumière et du rayon infrarouge. «Pour la peau, la divi-sion entre la lumière visible et invisible est arbitraire », déclare Maurício Bap-tista, professeur à l’Institut de Chimie de l’USP et chercheur à Centres de Re-cherche, Innovation et Diffusion (Cepid).

Avec son équipe, il a démontré que la lumière visible pouvait endommager le matériel génétique (ADN) des cellules de manière indirecte en interagissant avec la mélanine. Ce pigment sombre, responsable de la coloration de la peau, absorbe une partie de l’énergie de la lu-mière visible et la transfère aux molé-cules d’oxygène, générant un type hau-tement réactif, l’oxygène singulet. Quand cette molécule d’oxygène est excitée, elle réagit avec des molécules organiques, comme l’ADN, et les détériore. Quand ce type de dommage affecte un gène régula-teur de la prolifération cellulaire, la cel-lule peut commencer à se multiplier de manière incontrôlée, causant le cancer.

Cette découverte peut aider à mieux comprendre l’origine de certains types de cancer de la peau. «Les résultats obtenus par le groupe, très rigoureux sur le plan scientifique, permettent de

36 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Projets1. Photosensibilisation dans les sciences de la vie (nº 12/50680-5); modalité Projet Thématique; Cher-cheur responsable Maurício da silva Baptista (IInstitut de Chimie/usP); Investissement 3.067.571,88 reais (FaPEsP).2. redoxoma (nº 13/07937-8); modalité Centres de re-cherche, Innovation et Diffusion (Cepid); Chercheur respon-sable Ohara augusto (Instituto de Química/usP); Investis-sement 20.674.781,25 reais (pour tout le projet) (FaPEsP).

article scientifiqueCHIarEllI nETO, O. et al. Melanin photosensitization and the effect of visible light on epithelial cells. pLos one. 18 nov. 2014.

Les crèmes solaires actuelles protègent contre l’action des rayons UV, mais non contre les effets de la lumière visible

type de cancer de la peau appelé non-mélanome, plus commun à partir de 40 ans et originaire des cellules basales ou squameuses. Peu de temps après la confirmation des effets nuisibles des rayons UVA et UVB, l’industrie phar-maceutique a développé des composants qui bloquaient efficacement ces deux types de rayonnement. On commence maintenant à s’apercevoir que ceci se-rait insuffisant. « Les crèmes solaires ne protègent que contre les rayons ultravio-lets, c’est pour cela que les informations mentionnant qu’elles protègent la peau sont incomplètes », explique Maurício Baptista. « La réglementation des em-ballages et la publicité sont des élément importants pour lutter contre la publi-cité mensongère ». C’est d’ailleurs un aspect crucial qui généralement prend du temps avant d’être résolu. À ce sujet, Maurício Baptista nous rappelle le cas du rayonnement UVA. Bien que ses ef-fets nuisibles aient été prouvés depuis environ 30 ans, ce n’est qu’en 2013 que les fabricants ont été obligés de men-tionner sur les emballages si le produit protégeait contre un ou deux types de rayonnement UV.

Maurício Baptista a découvert en 2011 les premiers indices de nocivité de la lu-mière visible lors de tests montrant que son interaction avec la mélanine pure ou la mélanine de fils de cheveux fai-sait apparaitre l’oxygène singulet. « La découverte de l’action nocive de l’UVA il y a plusieurs décennies a contredit l’idée reçue selon laquelle l’UVB était la seule bande du spectre solaire qui endomma-geait la peau », déclare Maurício Bap-

tista. « Maintenant il faut lutter contre cette idée reçue qui affirme que cette nocivité n’est due qu’aux seuls UV ».

Il reste encore une étape à franchir pour démontrer complètement l’effet cancérigène de la lumière visible. Il faut prouver que la lésion causée par la lu-mière visible dans l’ADN déclenche de profondes modifications (mutations) des gènes. « Il faudra faire des tests sur des animaux et ensuite sur des êtres humains et si cela se confirme, il s’agira d’une découverte importante », déclare João Duprat Neto, chirurgien oncologique et directeur du Département du Cancer de la Peau au A. C. Camargo Cancer Center. « Il est possible que ces données favo-risent la mise au point de crèmes solaires plus efficaces ».

En attendant ces crèmes solaires qui filtrent également la lumière visible, la meilleure manière de se protéger du can-cer de la peau est d’éviter une exposi-tion excessive au soleil. Mais seulement excessive, car il faut tenir compte d’un autre facteur: la lumière solaire est fon-damentale dans la synthèse de la vita-mine D pour lutter contre l’ostéoporose et d’autres maladies osseuses. Selon le dermatologue Marco Antônio Oliveira, également du Département du Cancer de la Peau à l’Institut A. C. Camargo, les personnes courant plus de risques de développer un cancer de la peau doivent remplacer l’exposition au soleil par des compléments alimentaires riches en vita-mine D, dont la production chute après 40 ans avec le vieillissement de la peau. «Il est toutefois important de rappeler que l’utilisation de crèmes solaires est fondamentale», explique Oliveira. « En effet, l’incidence du cancer a chuté sensi-blement chez les nouvelles générations, mieux informées sur les effets du soleil et qui de ce fait utilisent davantage de crèmes solaires ». n

Double rôlela mélanine est protectrice ou nocive selon le type de lumière

les rayons uvB, quand ils atteignent les mélanocytes, stimulent la production de mélanine. un rayonnement excessif agit directement sur l’aDn et peut l’endommager

l’association du rayonnement uva et de la lumière visible interagit avec la mélanine, créant des formes excitées et plus réactives d’oxygène qui peuvent endommager l’aDn des cellules

Mélanocytes

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pESQUISA FApESp z 37

Deux dents d’un grand cerf découvertes dans un site préhistorique aux alentours du Parc National de la Serra da Capivara, à São Raimundo Nonato, dans le sud de

l’état du Piauí, vont relancer le débat sur la date d’arrivée de l’homme moderne dans les Amériques. Les restes de ces grands mammifères, découverts à environ 50 cm de profondeur dans la même couche géologique de la Toca do Serrote das Moendas où ont été trouvés des ossements humains, ont été datés par deux laboratoires indépendants. Une dent a été analysée par le Département de Physique de la Faculté de Philosophie, Sciences et Lettres de l’Université de São Paulo (USP) à Ribeirão Preto ; et l’autre par le Département de Chimie du Williams College, dans le Massachusetts, aux États-Unis. Les deux examens sont arrivés à la même conclusion: 29 mille ans dans le premier cas et 24 mille ans dans le second. Un troisième groupe du campus de la Baixada Santista de l’Université Fédérale de São Paulo (Unifesp), a daté l’âge d’une couche de

Marcos pivetta

Vision extérieure de la Toca do Serrote das Moendas à São Raimundo Nonato

du puzzle

De nouvelles pièces

Des dents de cerf découvertes

aux côtés d’ossements

humains dans des cavernes

de l’état du Piauí suggèrent

la présence de l’homme dans cette

région il y a plus de 20 mille ans

PRéhiSToiRe y

Publié eN jaNVieR 2015

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38 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

Depuis les années 70, Niède Guidon et ses collaborateurs mènent principalement des recherches dans des zones archéolo-giques et paléontologiques situées dans la région du parc, classé au patrimoine culturel de l’humanité par l’Unesco. Son équipe a inventorié 1 400 sites préhisto-riques dans la Serra da Capivara, la plus grande concentration des Amériques avec 900 sites riches en peintures rupestres faites il y a des milliers d’années. Outre la reproduction de figures humaines, les dessins sur les roches représentent des animaux, y compris le Cerf du Pantanal (Blastocerus dichotomus), une espèce de cervidé dont les dents ont été trouvées dans la Toca do Serrote das Moendas. Bien que les sites soient abondants dans le semi-aride de l’état du Piauí, ils n’avaient jamais fourni d’ossements humains qui puissent être datés au carbone 14, habi-tuellement utilisé pour déterminer l’âge de la matière organique (ossements, co-quillages, bois, charbon, tissu) jusqu’à 50 mille ans ou, dans certains cas, jusqu’à 100

Piauí

Parc National de la Serra da Capivara

concrétion, strate compacte riche en carbonates qui recouvrait les sédiments où se trouvaient les dents de l’animal et les fragments de squelette humain. On supposait que la couche de concré-tion était plus jeune que les restes des animaux. Les tests ont confirmé cette hypothèse en datant cet échantillon de sol à 21 mille ans. Les deux datations faites au Brésil ont été réalisées grâce à des équipements acquis à l’aide d’un financement de la FAPESP.

Grâce à ces trois tests, le groupe de chercheurs pense avoir réuni un en-semble de preuves indirectes qui at-testent de la présence de l’homme dans la région semi-aride du Nordeste il y a environ 20 mille ans, soit bien avant les thèses défendues par l’archéologie tra-ditionnelle sur le peuplement des Amé-riques. « Les trois dates s’alignent », af-firme le physicien Oswaldo Baffa, coor-donnateur du groupe de l’USP de Ribeirão Preto, et l’un des auteurs des recherches. « Pour amenuiser les cri-tiques, nous avons pris le soin d’analyser les échantillons dans trois endroits dif-férents et cela de manière aveugle sans que les différents groupes sachent exac-tement ce qu’ils analysaient ». La vision classique de groupes nord-américains situait l’arrivée du premier groupe d’Ho-mo sapiens sur le continent à environ 13 mille ans, en passant par le détroit de Béring qui sépare l’Asie et l’Alaska. Les résultats obtenus grâce au matériel dé-couvert dans cette caverne de la région semi-aride du Nordeste ont été publiés en décembre dans un article de la revue scientifique Journal of Human Evolution. « L’absence de collagène ne permettait pas de dater directement les ossements humains au carbone 14 », déclare l’ar-

Cerf du Pantanal (cerf de marais) :

l’animal est représenté dans

les peintures rupestres de la

région

chéologue Niède Guidon, également au-teur de ces travaux et présidente de la Fondation Musée de l’Homme Américain (Fumdham). « Cependant, les résultats obtenus par trois laboratoires distincts grâce aux datations des dents de cerfs et de la couche de concrétion indiquent une occupation humaine très ancienne dans la région ». La Fumdham gère le parc conjointement avec l’Institut Chico Mendes de Conservation de la Biodiver-sité (ICMBio), entité liée au Ministère de l’Environnement.

Selon Niède Guidon, l’Homo sapiens a pu arriver dans l’état du piauí par voie maritime

1

pESQUISA FApESp z 39

mille ans. Le collagène, qui est la partie organique des os, est indispensable pour réaliser une datation à l’aide de ce pro-cédé. Il s’agit d’une protéine rarement préservée dans les squelettes découverts dans la région.

Comme il n’a pas été possible de dé-terminer l’âge d’ossements découverts sur des sites probablement plus anciens de la Serra da Capivara, Niède Guidon s’est constamment attachée à établir une chronologie acceptable de l’environne-ment dans lequel les fragments d’os humains ont été déterrés et également pour les objets et les vestiges produits par la main de l’homme. Au cours de ces trois dernières décennies, elle a daté des restes de foyers et d’objets en pierre at-tribués à l’Homo Sapiens, ainsi que des peintures rupestres omniprésentes et marquant la présence humaine. Ses ré-sultats, encore remis en question par une bonne partie de la communauté scien-tifique, indiquent que l’homme serait arrivé dans la région à une époque datant de 30 à 100 mille ans, utilisant préco-cement pour ce faire une hypothétique route maritime à travers l’Atlantique. L’archéologue mène actuellement des recherches dans la Toca do Serrote das Moendas, un site situé à environ 5 kilo-mètres du parc, à l’aide d’autres procédés de datation qui lui permettront d’accu-muler des données afin de résoudre ce casse-tête polémique sur l’arrivée de l’homme dans le Nordeste et par consé-quent dans les Amériques.

Ce site préhistorique offre de nou-velles possibilités d’analyse. Cette ca-verne de grande dimension, avec 35 mètres de long et 23 mètres sur sa plus grande largeur, possédait des restes de paléofaune, d’objets en pierre, de frag-ments de poteries et des parties de trois squelettes humains, deux d’enfants et un d’adulte. Les deux dents de Cerf du Pantanal se trouvaient côte à côte à 30 centimètres des fragments du squelette adulte et à la même profondeur. Cette disposition, qui n’est pas irréfutable, in-dique que l’homme et l’animal ont pro-bablement vécu à la même époque.

La méthode de datation par résonance de spin électronique, également appelée spectroscopie, a été utilisée pour déter-miner l’âge des dents. Cette technique mesure la quantité de radiation ioni-sante réfléchie par un échantillon à tra-vers la concentration de spins créée par

cette énergie et déposée sur le matériel. «Normalement, plus la dent est ancienne plus la dose déposée y est grande», ex-plique la physicienne Angela Kinoshita, de l’Université Sagrado Coração (USC), de Bauru, et chercheur post-doctorant au Département de Physique de l’USP à Ribeirão Preto, qui a examiné une des dents avec cette méthode. Outre le fait d’enregistrer le niveau de radiation stoc-ké dans l’émail et dans la dentine de la dent, la datation d’un échantillon doit te-nir compte des conditions spécifiques du site où le matériel analysé a été décou-vert (niveaux local de la radiation émise par des éléments comme l’uranium, le thorium et le potassium) et également par la radiation cosmique.

La couche de concrétion riche en carbonates qui scellait pratiquement la strate sédimentaire où se trouvaient les dents de l’animal et les restes d’os-sements humains a été datée à l’aide d’une autre méthode, la luminescence optiquement stimulée (OSL). Cette méthode mesure les niveaux du type de lumière présente dans les cristaux de quartz d’une couche géologique. « Théoriquement, plus l’échantillon est

ancien, plus l’intensité du signal OSL est forte », explique Sonia Tatumi, physi-cienne de l’Unifesp qui a analysé deux échantillons de la couche de concrétion de la Toca do Serrote das Moendas. « Le quartz a la propriété d’absorber la lumière bleue et d’émettre par cette mé-thode dans la région de l’ultraviolet ». Les résultats obtenus à partir d’un échantil-lon extrait de la partie la plus centrale de la concrétion n’ont pas été concluants. Cependant, l’analyse d’un morceau plus externe de la couche a permis d’obtenir le résultat publié dans l’article scientifique, soit un âge de 21 mille ans avec un degré de précision d’environ 94%, dit-telle. n

ProjetProgrès en dosimétrie, datation archéologique et carac-térisation de biomatériaux par résonance de spin élec-tronique (nº 2007/06720-4); modalité ligne Régulière d’aide au Projet de Recherche; Chercheur responsable oswaldo baffa (uSP/Ribeirão Preto); Investissement 507 101,73 reais (faPeSP).

article scientifiqueKiNoShiTa, a. et al. Dating human occupation at Toca do Serrote das Moendas, São Raimundo Nonato, Piauí-brasil by electron spin resonance and optically stimulated lumi-nescence. Journal of Human Evolution. v. 77, p. 187-95. décembre. 2014.

les os humains se trouvaient à 35 cm de deux dents de cerf, dans la même couche géologique

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40 z édition spéciale novembre 2015

Luiz Hildebrando Pereira da Silva

fut l’un des plus grands spécialistes

mondiaux en parasitologie

AVIS DE DÉCÈS y

Le scientifique des maladies tropicales

exilé après avoir été poursuivi par le gouverne-ment militaire qui a pris le pouvoir en 1964 – il était alors professeur à la Faculté de médecine de l’USP. De retour au Brésil dans les années 1990, il a réalisé des recherches sur le paludisme dans l’État de Rondônia.

Diplômé en médecine à l’USP en 1953, l’année d’après il est parti avec le parasitologue Samuel Pessoa à Misericórdia de Piancó (dans le sertão de Paraíba) pour participer à l’organisation du Laboratoire de Parasitologie et de l’enseignement de la discipline dans la nouvelle Faculté de méde-cine de João Pessoa. Il y a développé entre 1954 et 1956 des recherches sur l’épidémiologie de la bilharziose et de la maladie de Chagas. C’est là qu’il a vu, à travers la loupe d’un microscope et à la lumière d’une simple rallonge électrique, le para-site Schistosoma mansoni, très fréquent dans les zones côtières du Nord-Est mais encore inconnu dans le sertão. Comme il l’a raconté dans une inter-view accordée en 2013 après avoir remporté la 12e édition du Prix de la Fondation Conrado Wessel dans la catégorie médecine, c’est à ce moment-là

chercheur et médecin de santé publique, Luiz Hildebrando Pereira da Silva s’est éteint à São Paulo le 24 septembre, à l’âge de 86 ans. Il était hospitalisé depuis

quelques semaines à l’Institut du Cœur (InCor) de São Paulo suite à une pneumonie. Luiz Hildebran-do Pereira da Silva [n.d.t. : communément appelé Luiz Hildebrando] n’a pas réagi au traitement et est décédé après une défaillance multiple des organes. La veillée funèbre a été réservée à la famille et aux proches, dont son grand ami le parasitologue Erney Plessmann de Camargo, professeur de l’Institut de Sciences Biomédicales de l’Université de São Paulo (USP). Dans les années 1990, Camargo a mené des études avec Hildebrando sur le paludisme dans l’État de Rondônia : « J’ai connu Hildebrando à la faculté de médecine en 1959 et après on a travaillé ensemble sur plusieurs recherches ».

Professeur émérite de l’USP et de l’Université Fédérale de Rondônia, Luiz Hildebrando était un des plus grands spécialistes mondiaux en mala-dies tropicales. Il a effectué une grande partie de sa carrière à l’Institut Pasteur en France, où il s’est

1 PubLIÉ En oCtobrE 2014

pESQUISA FApESp z 41

qu’il a ressenti pour la première fois « l’émotion esthétique de la découverte ».

Invité à occuper le poste de professeur assistant de parasitologie à la FMUSP, il est rentré à São Paulo et a développé, entre 1956 et 1960, des recherches sur la chimiothérapie de la trypanosomiase américaine. Reçu au concours de profes-seur titulaire, il a obtenu une bourse du Conseil National de Recherche Scien-tifique et Technologique (CNPq) pour un stage de postdoctorat à l’Université Libre de Bruxelles. En 1962 et 1963, il a travaillé à l’Institut Pasteur avec le cher-cheur François Jacob, qui a découvert avec Jacques Monod le modèle de régu-lation de l’expression génique chez les procaryotes – découverte qui leur a valu le Prix Nobel de médecine en 1965. Il est rentré à la fin de l’année 1963 et a orga-nisé, avec le professeur Camargo, le La-boratoire de Génétique de Protozoaires à la Faculté de médecine de l’USP.

C’est alors qu’a éclaté le coup d’état militaire. Militant communiste depuis son adolescence, Luiz Hildebrando a été emprisonné trois mois sur le bateau Raul Soares pour avoir recueilli des fonds et donné l’asile à des personnes recher-chées. Sur décret du gouverneur Ademar de Barros, il a été destitué de ses fonc-tions le dernier jour du fonctionnement de l’Acte Institutionnel n°1. Nouveau dé-part pour Paris et l’Institut Pasteur. Mais en 1967, encouragé par une campagne de rapatriement de scientifiques pro-mue par le Ministère brésilien des Af-faires Étrangères, il a organisé au Brésil un cours sur la génétique moléculaire au département de biochimie de l’USP. L’année suivante, il a accepté le poste de professeur du département de génétique de l’USP à Ribeirão Preto et a centré ses recherches sur la génétique d’eucaryotes unicellulaires. En 1969, il a à nouveau été renvoyé (en fonction cette fois de l’Acte Institutionnel 5 de la junte militaire) et est reparti à Paris, où il a repris ses fonc-tions au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et à l’Institut Pas-teur. Pendant ses années d’exil, il est devenu une référence intellectuelle des exilés brésiliens en France en occupant le poste de secrétaire politique de la base du Parti Communiste Brésilien à Paris.

En 1971, il a été nommé chef de l’Unité de Différenciation Cellulaire du Dépar-tement de Biologie Moléculaire de l’Ins-titut Pasteur. En 1976, il a été invité par

Jacques Monod (alors directeur de l’Ins-titut) à organiser une nouvelle unité de Parasitologie Expérimentale. L’unité a été créée en 1978 dans le but de déve-lopper des recherches sur la biologie moléculaire des parasites du paludisme, et en particulier du Plasmodium falcipa-

rum. Ce fut une période d’activités in-tenses, avec une équipe qui a développé des études sur des modèles expérimen-taux et avec des volontaires humains sur des molécules candidates à des vaccins contre le paludisme.

En 1990, alors qu’il était encore à Pa-ris, il a organisé avec Erney Camargo une équipe de recherche dans l’État de Rondônia. Quand il a pris sa retraite de l’Institut Pasteur en 1996, il a décidé de rentrer au Brésil. En 1997, il a été admis sur concours au poste de professeur titu-laire de parasitologie à l’USP. Il a alors pris la direction des programmes de re-cherches à Rondônia, dans une annexe de l’USP en Amazonie. Les programmes ont permis de réduire le taux de palu-disme dans la région de 40 à 7 % du total des cas de maladie dans la région ama-zonienne. Là-bas il a monté le Centre de Médecine Tropicale (Cepem) au Secré-tariat à la santé de Rondônia. Il a aussi créé l’Institut de Recherche en Patholo-gies Tropicales (Ipepatro), qui réunit des spécialistes et des chercheurs diplômés de l’Université Fédérale de Rondônia. L’Ipepatro a été absorbé par la Fondation Oswaldo Cruz et est devenu l’une des 5 nouvelles unités de la Fiocruz en 2009. Luis Hildebrando Pereira da Silva était marié et père de 5 enfants. n

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Quand il a vu le Schistosoma mansoni, très courant dans les zones côtières mais jamais rencontré dans le sertão, il a ressenti « l’émotion esthétique de la découverte »

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42 z édition spéciale novembre 2015

GéoloGie y

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L’élévation du Rio Grande

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PESQUISA FAPESP z 43

De grands blocs rocheux d’époques

et d’origines différentes se sont agencés

pour former les deux côtés de l’Atlantique Sud

échos

Non, il ne s’agit pas d’une erreur. En 2011, des géologues ont pré-levé des échantillons de granit, un type de roche continentale,

de l’Élévation du Rio Grande, une chaîne de montagnes immergée à environ 1 300 kilomètres de la côte de l’état du Rio Grande do Sul. On pensait que ces mon-tagnes étaient le résultat de la formation du plancher océanique et d’éruptions vol-caniques bien qu’étant constituées d’un autre type de roche. Deux ans plus tard, des échantillons de roches continentales ont été prélevés à l’aide d’un sous-marin et leur analyse a renforcé l’hypothèse selon laquelle cette région de l’Atlantique Sud pourrait être en fait un morceau de continent qui aurait été submergé durant la séparation de l’Amérique du sud et de l’Afrique il y a 120 millions d’années.

Les découvertes concernant l’Éléva-tion du Rio Grande ont également eu des

retombées économiques. En juillet, le gouvernement fédéral a reçu l’autorisation d’entre-prendre l’exploration de gise-ments de cobalt dans cette ré-gion située dans des eaux inter-nationales. Il est également fort probable d’y trouver d’autres

gisements de minéraux comme du nickel, du manganèse et des terres rares. Cette découverte représente également une valeur ajoutée sur le plan scientifique car elle apporte des arguments supplé-mentaires aux hypothèses émises sur la séparation de l’Amérique du Sud et de l’Afrique, et qui semblent plus complexes et fascinantes qu’on ne le pensait. Lors d’une réunion qui s’est tenue au mois d’avril, des géologues brésiliens, étasu-niens, allemands et français ont conclu que les grands blocs rocheux (ou micro-plaques) qui constituent les deux conti-nents et le plancher océanique ne se sont pas séparés comme les deux parties d’une feuille déchirée, mais se sont étirés, ont rompus et se sont agencés de manière chaotique. Certaines parties ont dû cou-ler durant ce processus alors que d’autres se sont éloignées et mélangées, formant ainsi une immense mosaïque que nous commençons juste à comprendre.

Les roches prélevées sur l’Élévation du Rio Grande (granits, granulites, gneiss et pegmatites) doivent avoir entre 2,2 milliards et 500 millions d’années selon les analyses de chercheurs de l’Univer-sité de Brasilia, de la Compagnie de Re-cherche en Ressources Minérales et du

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SéPARAtIoN

l’élévation du rio Grande: désormais fragments d’un continent

Carlos Fioravanti

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publié en oCTobre 2014

44 z édition spéciale novembre 2015

Service Géologique du Brésil (CPRM). « Les périodes correspondent à ce que nous trouvons en Amérique du Sud et en Afrique », déclare Roberto Ventu-ra Santos, directeur de géologie de la CPRM. D’après lui, les relevés sismiques ont indiqué que l’épaisseur de la croûte à cet endroit y est d’environ 30 km, « typique de la croûte continentale et non pas océanique », soulignant ainsi qu’il s’agit d’un vestige de continent.

Cette découverte, l’une des plus spec-taculaires de la géologie brésilienne de ces dernières années, apporte néanmoins certains doutes. On pensait que les deux chaînes montagneuses de l’Atlantique

Sud (le Rio Grande et la Dorsale At-lantique), s’étaient formées à la même époque, mais on estime maintenant qu’il peut en être autrement. Et quels sont les effets de l’Élévation du Rio Grande ? Une chaîne avec des montagnes s’élevant à 3 200 mètres au fond de l’Atlantique Sud et dont le sommet se situe à peine à 800 mètres de profondeur doit constituer une barrière à la circulation océanique, mais on ne sait pas encore au juste com-ment. Ventura estime que certaines ré-ponses pourraient être apportées grâce à l’analyse d’une colonne de sédiments de 70 mètres au fond de l’océan qui, on l’espère, permettra de reconstituer les

phénomènes climatiques et géologiques depuis ces 7 derniers millions d’années.

« La découverte de roches continen-tales dans l’Élévation du Rio Grande change le cadre évolutif de l’Atlantique Sud qui s’est formé avec la séparation des deux continents », affirme le géologue Peter Christian Hackspacher, professeur à l’Université Publique Pauliste (Unesp) de Rio Claro. Il mène des recherches de terrain depuis une vingtaine d’années dans le sud-est et le sud du Brésil, en Namibie et en Angola afin d’étudier les traces d’éventuelles forces qui ont ame-né à la séparation de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. Ses conclusions conso-lident la contestation du modèle tradi-tionnel selon lequel les lignes de côte des deux continents, constituées des blocs rocheux qui les ont formées, pourraient s’emboîter parfaitement. Il y a en effet un emboîtement possible sur la côte du Nordeste avec l’ouest africain, mais dans d’autres régions, comme sur la côte de Rio de Janeiro, il semble manquer cer-taines parties de ce casse-tête rocheux.

SERRA do MAR RAJEUNIELes blocs rocheux qui auparavant for-maient un seul continent se sont frag-mentés et se sont alignés à d’autres plus anciens ou plus récents, formant ainsi la région montagneuse du sud-est brésilien et de l’ouest africain, a conclu Christian Hackspacher, en collaboration avec les équipes d’Ulrich Glasmacher, en Alle-magne, d’Antonio Olímpio Gonçalves, d’Angola et d’Ana Olívia Magalhães, de l’Université Fédérale d’Alfenas, dans l’état de Minas Gérais. Contre toute at-tente, on rencontre des blocs plus an-ciens à l’intérieur du continent, à l’instar de ceux des chaînes de la Mantiqueira et de la Bocaina, qui ont surgi il y a 120 millions d’années, alors que sur les bords, comme sur la côte située entre les états du Paraná et du Rio Grande do Sul, on trouve des blocs plus récents âgés de 35 à 20 millions d’années (voir carte).

« Je ne suis pas en train d’inventer la roue, j’effectue seulement des mesures avec d’autres techniques », dit-il, recon-naissant les contributions en termes de

effets du soulèvement après l’ouverture de l’Atlantique : vallée d’un fleuve dans le centre-ouest de l’Angola avec des roches formées il y a 2 milliards d’années…

Roches d’âges variés

SoURCE: ADApTé De KArl M. et al.

Lieux de prélèvement

n Sédiments du quaternaire (il y a 1,8 million d’années)n Déversements basaltiques du bassin du Paraná datant du Crétacé (134 millions d’années)n Intrusions alcalines du Crétacé n roches sédimentaires du Jurassique au Crétacé (206 à 142 millions d’années)n roches sédimentaires du Permien (290 à 248 millions d’années)n roches sédimentaires du Permien au Carbonifère (354 à 290 millions d’années)n roches sédimentaires de l’ordovicien (495 à 443 millions d’années) et du Dévonien (417 à 354 millions d’années)n Assise Précambrienne (4,6 milliards à 545 millions d’années)

PESQUISA FAPESP z 45

bases conceptuelles des professeurs de l’Université de São Paulo à l’instar de Fer-nando Almeida, Umberto Cordani et Ben-jamim Bley Brito Neves, qui avaient déjà découvert que l’Amérique du Sud était constituée de microplaques rocheuses d’âges et d’origines variés. Claudio Ri-commini, également de l’USP, a quelque peu remis en question la vision habituelle de la formation des continents en consta-tant que l’âge des roches du bassin sédi-mentaire de Taubaté variait de 55 à 33 millions d’années, bien loin des supposées 120 millions d’années qu’elles devraient avoir pour être à proximité de la côte.

Il y a une dizaine d’années, Ana Olí-via, munie d’équipements pour mesurer l’âge et la variation de température des roches selon leur profondeur (plus la température est basse, plus la roche est près de la surface et est récente), a pro-posé à Christian Hackspacher, alors son directeur de doctorat, d’examiner l’âge des roches de régions éloignées de la côte et situées dans le sud et le sud-est du Brésil. Ils sont partis de l’hypothèse que des blocs rocheux plus anciens et plus récents montent et coulent, s’expo-sant de manière alternée à la surface. « Dès lors, nous avons obtenu de très bons résultats, cohérents sur le plan géologique et avec un degré raisonnable de fiabilité statistique en ce qui concerne les processus qui ont contribué au sou-lèvement de la croûte des

chaînes des Serras do Mar et de la Man-tiqueira », dit-elle. Lors d’une série de « découvertes spectaculaires », selon les termes de Christian Hackspacher, ils ont découvert des blocs rocheux qui ont sur-gi il y a 90 à 60 millions d’années, et qui ne correspondaient pas au modèle clas-sique de formation de l’Amérique du Sud à partir de la séparation avec l’Afrique.

Les résultats obtenus grâce à des centaines de mesures ont permis de re-mettre en question de vieux concepts. À l’instar de l’âge probable de la Serra do Mar, chaîne montagneuse qui s’étend sur environ 1 500 km de côte entre l’état d’Espírito Santo et celui de Santa Cata-rina. « Il y a 10 ans, quand nous avons commencé à mettre le doigt sur la plaie et à remettre en question certaines hy-pothèses sur l’évolution géologique de l’Atlantique Sud, tous pensaient que la Serra do Mar s’était formée il y a 120 mil-lions d’années. Cependant, nous savons maintenant qu’elle n’a que 35 millions d’années et qu’elle n’est pas un vestige de la séparation des continents », déclare Christian Hackspacher.

Le fait que le fleuve Tietê s’écoule vers l’ouest est une indication de phé-nomènes géologiques plus récents. Selon

Christian Hackspacher, si cette chaîne s’était formée il y a 120 millions d’années, le fleuve s’écoulerait pro-bablement vers l’océan et non pas vers l’intérieur du continent. Aujourd’hui,

l’hypothèse la plus en vue, est que cette chaîne montagneuse serait peut être le résultat de la formation des Andes qui a débuté il y a environ 60 millions d’années et qui aurait pu provoquer de grandes ondulations, entrainant des abaisse-ments de relief, comme dans la région du Pantanal de l’état du Mato Grosso, et des soulèvements, à l’instar des chaînes de la Serra da Mantiqueira et de la Ser-ra do Mar. « Cette possibilité est envi-sageable, mais les preuves sont encore insuffisantes », dit-il.

Christian Hackspacher et ses collè-gues ont constaté des phénomènes simi-laires en Namibie et en Angola. Dans le but de compléter les relevés de terrain, un navire océanographique allemand a observé au mois de juin près des côtes namibiennes des traces de plaques ro-cheuses ayant apparemment le même âge que celles du Rio Grande. n

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... et route Florianópolis-São Joaquim, qui traverse la chaîne du rio do rastro dans l’état de Santa Catarina avec des roches volcaniques qui se sont formées il y a 134 millions d’années

projetHistoire de l’exhumation de la plateforme sud-américaine, à l’exemple de la région sud-est brésilienne: thermo- chronologie par traces de fission et systématiques Ar/Ar et Sm/nd (nº 2000/03960-5); modalité projet Thématique; Chercheur responsable peter C. Hackspacher (unesp); Investissement 1 282 335,65 reais (FApeSp).

Articles scientifiquesKArl, M. et al. evolution of the South Atlantic passive continental margin in southern brazil derived from zircon and apatite (u–Th–Sm)/He and fission-track data. tectonophysics. v. 604, p. 224-44. 2013.SAloMon, F. et al. Major paleostress field differences on complementary margins of the South Atlantic. EGU 113, p. 10894. 2013.

46 z édition spéciale novembre 2015

Les météorologistes veulent comprendre pourquoi

les vents soufflent-ils aussi fort sur Vénus et Titan

les jours sont longs sur Vénus. La planète tourne très lentement. Presque aussi grande que la Terre, Vénus a une période de

rotation de 243 jours. Avec une rotation aussi lente, les météorologistes pensaient que l’atmosphère vénusienne était l’une des plus calmes du Système Solaire. Tou-tefois, des sondes envoyées sur la planète ont détecté dans la haute atmosphère des vents violents constants soufflant à 400 kilomètres heure. Des vents d’une telle intensité ne se manifestent généralement sur terre que lors d’ouragans ou, par-fois à de hautes altitudes. Sur Vénus, ils soufflent constamment, principalement à l’équateur.

Pour essayer de comprendre ce mys-tère, le météorologiste João Rafael Dias Pinto, de l’Université de São Paulo (USP), et Jonathan Lloyd Mitchell, as-tronome de l’Université de Californie à Los Angeles, ont créé un modèle infor-matique simplifié de planète avec une atmosphère. Des simulations utilisant ce modèle et publiées en août dans la revue Icarus décrivent correctement pour la première fois comment se com-portent les vents qui balaient Vénus. Il s’agit d’un phénomène connu sous le nom de super-rotation atmosphérique et également observé sur Titan, la plus

ASTRONOMIE y

Atmosphère perturbée

grande lune de Saturne. « Nous avons détecté de nouveaux et d’importants mécanismes qui nous aident à mieux comprendre ces vents », déclare Jona-than Lloyd Mitchell.

Le secret de la super-rotation, selon ce nouveau modèle, réside dans le mode de propagation de la chaleur dans l’atmos-phère de Vénus et de Titan. La chaleur s’y propage verticalement vers le haut et en direction des pôles et cela plus len-tement que sur Terre. En outre, un type particulier d’ondulation dans l’atmos-phère affecte les courants de gaz.

Vénus et Titan sont si dissemblables qu’il est assez curieux que leurs atmos-phères se comportent de manière iden-tique. La température à la surface de Vénus atteint 477 degrés Celsius, consé-quence de l’effet de serre de son atmos-phère riche en gaz carbonique. Sur Titan, la température est de moins 180 degrés, et des pluies de méthane alimentent des lacs en surface. Cependant, en se posant sur Titan, la sonde spatiale Huygens a découvert en 2005 un profil de vents quasi identique à celui observé sur Vé-nus par les sondes soviétiques de la sé-rie Venera dans les années 70 et 80. Les vents qui soufflent faiblement en sur-face atteignent 360 km/h à l’équateur de Vénus et de Titan et cela à plus de 50

La planète Vénus, photographiée par la sonde européenne Venus Express: pratiquement de la même taille que la Terre avec des vents soufflant à 400 kilomètres heure

pubLIé EN NOVEMbRE 2014

Igor Zolnerkevic

pESQUISA FApESp z47

kilomètres d’altitude. Sur la Terre, ces vents de haute altitude situés à l’équa-teur ne dépassent pas 15 km/h.

OUtrE lA rOtAtIOnJoão Rafael Dias Pinto explique que sur la Terre le déplacement des masses d’air qui entourent le globe est dû à la diffé-rence de température entre l’équateur et les pôles et à la rotation de la planète. C’est pour cela que les météorologistes s’attendaient à des vents plus faibles pour des planètes et satellites ayant une rota-tion plus lente. Les chercheurs essayaient de comprendre cette super rotation de-puis les années 70 et ont fini par conclure que, outre cette rotation plus lente, il est probable qu’un type spécifique d’oscil-lations situé dans les mouvements de l’atmosphère, les ondes atmosphériques, aident à créer un jet d’air intense qui se concentre à l’équateur et qui couvre pra-tiquement tout le corps céleste. « C’est comme si l’atmosphère entière se dépla-çait dans un seul sens », explique João Rafael Dias Pinto. « Le problème, c’est que la plupart des modèles atmosphé-riques de Vénus et de Titan, même les plus réalistes, ne parviennent pas à re-produire cette super-rotation ».

Il s’est mis à étudier la super rotation au cours de son doctorat et, lors d’une

conférence en France en 2011, il a ren-contré Mitchell, un spécialiste de Titan et de Vénus qui souhaitait attaquer de front le problème à l’aide d’un modèle plus simplifié. « Avec un modèle mieux conçu, je peux mieux contrôler la dy-namique de l’atmosphère », explique João Rafael Dias Pinto. Il a mené des recherches sous l’orientation de Mit-chell et des brésiliens Rosmeri Porfírio da Rocha et Tércio Ambrizzi, de l’Ins-titut d’Astronomie de Géophysique et de Sciences Atmosphériques (IAG) de l’USP, et est parvenu à simuler cette su-per rotation en utilisant un modèle at-mosphérique utilisé pour les prévisions météorologiques.

En modifiant certains paramètres de ce modèle, João Rafael Dias Pinto a découvert que le ralentissement de la rotation de la planète n’était pas suffi-sant pour accélérer la rotation de l’at-mosphère. « João Rafael a démontré que le modèle ne déclenche une super rotation que s’il transporte plus lente-ment la chaleur de l’équateur vers les pôles », explique Mitchell, observant que sur Vénus et Titan l’air circule ver-ticalement très lentement, malgré la force des vents.

João Rafael Dias Pinto a également observé dans ses simulations un type

spécial d’onde planétaire issu des oscil-lations dans le mouvement d’air à l’équa-teur de la planète. « Il s’agit d’ondes pla-nétaires qui produisent et entretiennent la super rotation », déclare Mitchell.

« Ces aspects liés à la super rotation n’avaient jamais été analysés de manière détaillée », déclare Sébastien Lebon-nois, astronome du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) en France et qui étudie la super rotation de Vénus et de Titan. « Pour confirmer ces analyses, nous aurons besoin d’ob-servations du vent et de la tempéra-ture avec un degré de précision qu’il est même difficile d’obtenir sur Terre ». Malgré les difficultés, il espère obte-nir des données concrètes de la sonde Vénus Express ou de la sonde Cassini qui survole Titan. n

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Au gré des ventsSur la Terre et sur Mars prédomine un régime de

courants d’air plus doux que sur Vénus et Titan

projetInteraction onde-écoulement moyen et super-rotation atmosphérique sur des planètes terrestres (nº 12/13202-8) ; modalité bourse de Doctorat – Stage à l’étranger ; Chercheur responsable Tercio Ambrizzi (IAG/uSp) ; boursier João Rafael Dias pinto; Investissement 40 381,84 reais (FApESp).

Article scientifiqueDIAS pINTO, J. R. et MITcHELL, J. L. Atmospheric super-rotation in anid ealized GcM: parameter dependence of the eddy response. Icarus. v. 238. p.93-109. Août 2014.

Des super-vents, créés par des ondes atmosphériques situées à l’équateur, balaient Titan et Vénus

Des rafales intenses stimulées par la rotation de la planète apparaissent dans des bandes étroites de l’atmosphère

TITAN VéNuS TERRE MARS

48 z édition spéciale novembre 2015

Des Brésiliens découvrent comment mesurer

des variations d’énergie de noyaux atomiques

Machine de spins

lors d’une expérimentation encore jugée impossible il y a à peine un an, une équipe coordonnée par Roberto Serra, physicien de

l’Université Fédérale de l’ABC (Ufabc), a déterminé la quantité d’énergie qu’un noyau atomique pouvait gagner ou perdre quand il est atteint par une pulsation d’ondes radio. La plupart des chercheurs étaient convaincus que le comportement du noyau était imprévi-sible. Les probabilités que le noyau de-vienne plus chaud en absorbant l’énergie des ondes et refroidisse en transmettant une partie de son énergie à ces ondes étaient inconnues.

Les récentes expériences du Centre Brésilien de Recherches Physiques (CBPF) de Rio de Janeiro montrent que cet échange d’énergie obéit aux lois de la physique jamais testées dans le monde subatomique. Ces lois peuvent aider à mieux comprendre des réactions chimiques telle que la photosynthèse des plantes et à déterminer combien d’éner-gie les calculateurs quantiques utilise-ront pour fonctionner. D’après Serra, « c’est la première expérimentation d’un nouveau domaine de la physique, la ther-modynamique quantique ».

Les calculateurs quantiques pro-mettent d’utiliser les lois de la méca-nique quantique pour dépasser de ma-

PHYSIQUE y

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à-dire réaliser en physique ce que l’on connaît comme travail. « La thermody-namique impose des limites à n’importe quelle technologie », remarque Serra.

Les ingénieurs victoriens ont résolu leurs problèmes grâce à un petit truc. Leurs calculs ne fonctionnaient que lorsque les machines étaient thermi-quement isolées du reste du monde, donc en échangeant peu de chaleur avec le milieu. En plus, il fallait que ces pro-cessus soient lents. Néanmoins, cela ne s’applique pas à la majorité des situa-tions qui se produisent dans la nature – dans nombre de réactions chimiques, par exemple. Quand il est impossible d’isoler thermiquement un objet de son milieu pour une longue durée, la température augmente et diminue de manière appa-remment imprévisible, au contraire de ce qui se passe dans les systèmes isolés où tout tend à l’équilibre.

C’est seulement en 1997 que le phy-sicien chimiste Christopher Jarzynski a découvert une expression mathématique capable de calculer les variations d’éner-gie et de travail mécanique qui ont lieu en dehors de l’équilibre. Serra explique que « l’équation de Jarzynski et d’autres théorèmes de fluctuation permettent de mesurer en laboratoire la variation d’énergie d’une molécule avant et après une réaction ».

PUBlIé En DécEmBrE 2014

nière phénoménale le pouvoir de calcul des ordinateurs conventionnels. Mais combien d’énergie ce nouveau type d’ap-pareil va-t-il dépenser dans la pratique ? Combien de chaleur va-t-il produire en fonctionnant ? Aura-t-il besoin de réfri-gération ? Répondre à ces questions est un des objectifs de la thermodynamique quantique.

Des questions similaires sont appa-rues pendant le XIXe siècle. Quelle était la quantité nécessaire que les fours de-vaient consommer et quelle température devaient atteindre les chaudières pour que les machines à vapeur atteignent leur efficacité maximale ? Les scienti-fiques de l’époque se sont aperçus que la chaleur et la capacité des machines à travailler étaient des formes différentes d’une même quantité physique, l’énergie, qui n’est jamais créée à partir du néant ni détruite, juste transformée. En analysant la conversion d’une forme d’énergie en une autre, ils ont découvert les lois de la thermodynamique classique.

Conformément à ces lois, l’énergie passe spontanément d’un volume dont la température est chaude à un autre plus froid. Et même la plus idéale des machines ne peut que convertir une par-tie de l’énergie disponible sous la forme de chaleur en énergie capable de réali-ser des mouvements mécaniques, c’est-

pEsQuisa FapEsp z 49

50 z édition spéciale novembre 2015

radio

Serra, ses étudiants et ses collègues de l’Ufabc tentaient depuis quelque temps d’étudier la thermodynamique quantique en laboratoire en collaboration avec l’équipe des physiciens Alexandre Sou-za, Ruben Auccauise, Roberto Sarthour et Ivan Oliveira, qui travaillent avec la technique de résonance magnétique nu-cléaire au CBPF. Les deux groupes ont déjà fait ensemble plusieurs découvertes.

Au centre de l’équipement du labora-toire du CBPF se trouve un petit tube à essai contenant une solution extrême-ment pure de chloroforme dilué dans l’eau. La solution possède près d’un tril-lion de molécules de chloroforme et cha-cune contient un atome de carbone 13. Le noyau de ce type de carbone a une propriété quantique appelée spin, qui rappelle un peu l’aiguille d’une bous-sole magnétique et peut être représen-tée par une flèche. Sous un grand champ magnétique parallèle au tube, de bas en haut, les flèches de ces spins tendent à s’aligner avec le champ – la moitié de bas en haut et l’autre moitié de haut en bas. Le champ magnétique conduit les spins qui apparaissent de haut en bas à avoir plus d’énergie que ceux qui appa-raissent de bas en haut.

la machine quantiquel’expérimentation extrait de l’énergie de molécules de chloroforme

molécules de chloroforme

diluées dans l’eau

Antenne

1e PUlSAtIon 2e PUlSAtIonéQUIlIBrE éQUIlIBrE

chines quantiques qui absorbent l’énergie des particules de lumière et l’emmaga-sinent sous forme de molécules de sucre : « le processus est très efficace, il ne gé-nère quasiment pas de chaleur. [...] Des études suggèrent qu’il s’agit d’un pro-cessus quantique ».

Avec une équipe de Californie, Jarzyn-ski a lui-même confirmé son équation en 2005 en observant le travail méca-nique d’une molécule ARN étirée et al-longée comme un ressort. Serra note cependant que malgré le microscope, le mouvement de la molécule ARN était suffisamment grand pour être calculé en utilisant la fameuse formule dérivée des lois de la mécanique de Newton : « travail = force x déplacement ».

Que ce soit dans ou en dehors de l’équilibre, les équations de la thermo-dynamique ont été déduites en utilisant la mécanique de Newton. Mais les lois de Newton ne fonctionnent pas pour plu-sieurs processus qui se produisent dans les molécules et pour tous ceux qui se produisent à l’intérieur des atomes, parce qu’il n’est pas possible d’y mesurer avec précision les forces et les déplacements. D’autres lois sont à considérer dans ces échelles, celles de la mécanique quan-tique. Serra voulait savoir si des équa-tions comme celle de Jarzynski étaient valables dans ce monde subatomique afin de comprendre des réactions chimiques comme la photosynthèse. Dans la photo-synthèse, des molécules dans les cellules des feuilles fonctionnent comme des ma-

En présence d’un champ magnétique, les

spins des noyaux de carbone 13 du

chloroforme se comportent comme une

boussole magnétique et sont dirigés vers le

haut ou vers le bas. Des ondes radio

contrôlent les spins jusqu’à ce qu’ils soient

en équilibre thermique

prÉparation FonCtionnEMEnt

Des pulsations d’ondes radio

de moins d’1 microseconde

et de faible amplitude

transfèrent l’énergie vers les

noyaux de carbone, ce qui

laisse les spins sans équilibre

Une autre séquence de pulsations,

cette fois d’une plus grande amplitude,

déstabilise à nouveau les spins et

absorbe une partie de l’énergie des

noyaux de carbone. les spins sont

manipulés et retournent à l’état initial

25ºc

Dans la photosynthèse, des molécules à l’intérieur des cellules des feuilles fonctionnent comme des machines quantiques

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pEsQuisa FapEsp z 51

faites par le biais de pulsations d’onde et ne durent que quelques microsecondes. L’expérimentation est si rapide que c’est comme si chaque atome de carbone du tube à essai était, pendant quelques ins-tants, isolé du reste de l’univers et soumis à une température très proche du zéro absolu (-273° Celsius). Les chercheurs parviennent à diminuer ou à augmenter la différence d’énergie entre les spins vers le bas et vers le haut quand ils réduisent ou augmentent l’amplitude de leurs ondes radio. Quand ce changement d’amplitude est très rapide, les spins sortent de leur isolement thermique et commencent à absorber l’énergie des ondes radio (situa-tion où les ondes réalisent un travail sur les spins) et à transmettre une partie de leur énergie pour les ondes (en réalisant un travail sur elles). Selon Serra, « cela est très difficile à mesurer parce que les spins des carbones peuvent échanger de l’énergie de quatre manières différentes, toutes en même temps et de manière pro-bable. [...] J’ai connu un groupe en Alle-magne qui a essayé de faire cette même expérimentation pendant cinq ans sans succès ». De l’avis du physicien, l’échec du groupe allemand est dû au fait qu’il a tenté de mesurer directement combien de fois l’énergie était émise ou absorbée par les spins : « l’erreur accumulée dans ces mesures était si grande qu’à la fin ils n’ont rien réussi à déterminer ».

MEsurE intElliGEntELa solution est arrivée à Serra en février 2013, lorsque le physicien Mauro Pater-nostro de la Queen’s University de Belfast a présenté un séminaire à l’Ufabc sur des types d’observations inédites du travail produit par des particules de lumière de manière indirecte. Paternostro, actuel-lement professeur visitant à l’Ufabc et Laura Mazzola, sa collègue à Belfast, ont alors commencé à échanger avec Serra, Accauise et le doctorant Thiago Batal-hão sur la manière d’adapter ces tech-niques pour observer indirectement le travail des spins de carbone. Avec John Good de l’Université anglaise d’Oxford, l’équipe a découvert comment utiliser au mieux les spins des noyaux d’hydro-gène des molécules de chloroforme pour observer les spins des atomes de carbone pendant qu’ils réalisent leur travail, et ce sans interférer sur le processus.

La précision de l’expérimentation a été suffisante pour enregistrer des variations

Les physiciens manipulent les spins au moyen de champs électromagnétiques, qui oscillent autour d’une fréquence de 125 mégahertzs (l’équipement a besoin d’être isolé pour ne pas capter les sta-tions de radio FM qui transmettent à cette fréquence). Ces manipulations sont

de température sur les spins de carbone de l’ordre de billionièmes de degrés et vérifier que l’équation de Jarzynski est valable à l’échelle subatomique. L’autre résultat intéressant a été le suivant : les spins de carbone possèdent une plus grande tendance à extraire l’énergie des ondes radio quand l’amplitude de la pul-sation de l’onde est réduite. La tendance s’inverse quand l’amplitude de l’onde est augmentée : les spins tendent à transférer de l’énergie vers les ondes – autrement dit, à réaliser un travail sur les ondes.

Serra pense qu’il est possible d’« exploi-ter cette différence pour créer une ma-chine thermique quantique ». La machine fonctionnerait en alternant des pulsations d’amplitude réduite et augmentée entre deux états d’équilibre thermique, chacun d’une température différente (cf. encadré). La machine fonctionnerait comme un mo-teur à combustion, qui effectue un travail mécanique avec une partie de l’énergie chimique transformée en chaleur avec l’explosion du combustible.

La machine de spins aurait peu d’uti-lités : le travail produit fournirait une énergie infime pour les ondes radio, juste assez pour faire bouger le spin d’un noyau atomique quelconque. Serra est plus intéressé par la mesure d’énergie qu’elle dépense et par la chaleur qu’elle dissipe pendant son fonctionnement.

Pour Lucas Céleri, physicien de l’Uni-versité Fédérale de Goiás, « la technique appliquée dans cette expérimentation possède un grand potentiel ». Céleri prévoit d’observer au début de l’année prochaine la thermodynamique d’une seule particule de lumière en parte-nariat avec les physiciens Paulo Souto Ribeiro et Stephen Walborn, de l’Uni-versité Fédérale de Rio de Janeiro : « Des avancées expérimentales sont très rares dans la thermodynamique quan-tique à cause de la nécessité de contrôler le système quantique et son isolement du milieu ». n igor Zolnerkevic

ProjetInstitut national de Science et technologie d’Informa-tion Quantique (n° 2008/57856-6); modalité Projet thématique; Chercheur responsable Amir caldeira (Uni-camp); Investissement 1 384 811,24 reais (FAPESP) et 5 700 000,00 reais (cnPq).

Article scientifiqueBAtAlHÃo, t. B. et al. « Experimental reconstruction of work distribution and study of fluctuation relations in a closed quantum system ». physical review letters. v. 113 (14), 3 oct. 2014.

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l’énergie transférée par les noyaux de

carbone vers l’onde radio est plus grande

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solde positif d’énergie. l’énergie extra

peut être utilisée pour réaliser le travail

rÉsultatc

l’expérimentation a enregistré des variations de billionièmes de degrés de la température au niveau des spins de carbone

52 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

pESQUISA FApESp z 53

L’avancée de la eScience n’est pas sans effets sur

la pratique scientifique traditionnelle

L’époque est déjà loin où la dif-ficulté des scientifiques était d’obtenir des données pour faire avancer leurs recherches. Dans

nombre de domaines de connaissance, les récents progrès en technologie de l’information avec la démocratisation de l’informatique, l’augmentation des réseaux informatiques et la multipli-cation des sources d’information ont eu comme effet direct une production intensive de données. Cela concerne des champs aussi distincts que l’astronomie (régulièrement inondée par des milliers d’images et d’informations sur des corps célestes captées par des télescopes puis-sants), la biologie moléculaire (grâce à l’apparition de machines de séquençage génétique hautement performantes) ou l’écologie (favorisée par une série de technologies et de capteurs capables de documenter avec précision les trans-formations vécues par les différents biomes). Tout cela place les chercheurs devant un nouveau problème : comme traiter, élaborer et visualiser l’avalanche de données obtenues par les moyens les

Yuri Vasconcelos

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Avalanche de données

plus divers ? Pour tenter de répondre à ce dilemme, une nouvelle branche de la science acquiert chaque fois plus d’importance : l’eScience, qui recourt à des modèles mathématiques et à des instruments informatiques pour ana-lyser des informations et accélérer la recherche dans d’autres domaines de la connaissance.

Lors du Microsoft eScience Workshop 2014 qui s’est tenu du 20 au 22 octobre à Guarujá (littoral de l’État de São Paulo), Carlos Henrique de Brito Cruz, directeur scientifique de la FAPESP, a déclaré : « L’idée de connecter la pratique scienti-fique traditionnelle avec l’accès, l’utilisa-tion et le traitement de grandes quantités de données va modifier la manière dont est réalisée la science et augmenter sa po-tentialité. La FAPESP est à l’avant-garde de ce processus ; l’an dernier, en fin d’an-née, elle a lancé le programme eScience ». L’objectif du programme est d’organiser ou d’intégrer des groupes engagés dans la recherche sur les algorithmes, la simu-lation informatique et l’infrastructure de données avec des équipes de scien-

PubLié en novembre 2014

tEChnoloGIE inFormaTiQue y

54 z ÉDITION SPÉCIALE novembre 2015

chés par l’échelle moderne de production de données ». Il souligne l’importance des data scientists (scientifiques des don-nées), ces professionnels qui se penchent sur le grand volume de données géné-rées par les recherches pour produire de nouvelles connaissances : « Ce sont des chercheurs qui travaillent entre les disciplines. Ils construisent des ponts ». À la Gordon and Betty Moore Founda-tion, Mentzel dirige un programme de 60 millions de dollars US destiné à en-courager les initiatives dans le domaine de l’eScience. Pour Rhody, les scienti-fiques sont confrontés à un changement de paradigme : « Nous sommes en train de passer d’une culture de pénurie à une culture d’abondance de données ».

Créé en 1999 par John Taylor, le di-recteur du Cabinet de Sciences et Tech-nologie du Royaume Uni, l’eScience ou e-Science est aussi appelée « science orientée par des données » (data-inten-sive computing) ou encore « informa-tique fortement orientée par des données » (data-intensive computing). Certains pays comme l’Angleterre et les États-Unis disposent déjà de programmes soutenus par le gouvernement pour le développement de ce nouveau domaine scientifique. Au Brésil, il faut signaler

tifiques qui interviennent dans d’autres domaines de la connaissance comme la biologie, les sciences sociales, la méde-cine et les sciences humaines.

DÉFI MonDIAlD’après Brito, « l’une des principales barrières sera peut-être la difficulté de communication entre les scientifiques des équipes nécessaires pour faire une science de cette manière, fortement basée sur des données ou des grandes quantités de données. Cela requiert une communication très effective entre des chercheurs en informatique et des scien-tifiques d’autres domaines. C’est un défi au Brésil et partout ailleurs ». le direc-teur scientifique de la FAPESP était un des participants de la table ronde L’im-portance stratégique de l’eScience, qui a également compté sur la présence des scientifiques Jason Rhody, directeur senior de l’Office of Digital Humanities de National Endowment for the Huma-nities, et Chris Mentzel, directeur de Gordon and Betty Moore Foundation, deux organisations nord-américaines qui possèdent des programmes de sou-tien à la science.

Mentzel indique qu’« actuellement, tous les champs de la recherche sont tou-

le Centre de Recherche en eScience de l’Université de São Paulo (USP), insti-tutionnalisé en 2012. Coordonné par le professeur Roberto Marcondes Cesar Junior, membre de l’Institut des Mathé-matiques et Statistiques (IME) et coor-donnateur adjoint du département des sciences exactes et ingénieries de la Direction Scientifique de la FAPESP, le centre regroupe 20 chercheurs.

Le Microsoft eScience Workshop 2014 a été réalisé en même temps que la 10e Conférence internationale IEEE en eScience, organisée par Computer So-ciety de l’Institute of Electrical ans Elec-tronics Engineers (IEEE) – une entité fondée aux États-Unis par des ingé-nieurs électriciens et électroniciens. Pendant l’événement, des chercheurs boursiers de l’Institut Virtuel de Re-cherches FAPESP-Microsoft Research ont présenté des travaux qui relient les applications de la science informatique aux défis de la science de base dans des domaines en relation avec les change-ments climatiques et l’environnement. L’un de ces travaux explore des solu-tions novatrices pour la surveillance de plantes dans les tropiques en associant la recherche informatique et la phénolo-gie. La phénologie est une des branches les plus anciennes de la science ; elle est un domaine de l’écologie qui étudie les phénomènes cycliques de plantes (l’apparition de feuilles, boutons, fleurs et fruits) et leur lien avec les conditions environnementales.

Coordonné par le professeur Leonor Patrícia Morellato du Laboratoire de Phénologie de l’Institut de Biosciences de l’Université d’État Paulista (Unesp)

Connecter les applications de l’informatique à la phénologie, qui étudie les phénomènes cycliques des plantes

pESQUISA FApESp z 55

à Rio Claro (État de São Paulo), le projet prévoit la combinaison de technologies pour contrôler les altérations survenues au cours du temps sur des végétations natives du cerrado [note de trad. : région de savane d’Am. du Sud], de la forêt at-lantique, des campos rupestres [écosys-tèmes néotropicaux d’altitude] et même de la caatinga [forêt épineuse]. La zone centrale de la recherche se trouve à Iti-rapina, dans la province de São Paulo. Morellato explique : « En plus de l’obser-vation directe des plantes au sol, nous avons installé un appareil photo en haut d’une tour de 18 mètres pour photogra-phier chaque jour la végétation et une saison météorologique. Nous allons aussi disposer d’un drone équipé d’un capteur hyperspectral et d’un appareil photo pour additionner une échelle spatiale à la col-lecte de données ». D’une grande réso-lution spatiale, les capteurs hyperspec-traux peuvent fournir des détails sur les caractéristiques physico-chimiques et les réponses physiologiques des plantes observées. Pour la chercheuse, la phé-nologie est un des meilleurs outils pour comprendre les effets des changements climatiques sur les plantes : « Cela est déjà établi dans des régions tempérées, où le déclencheur de la phénologie est la température environnementale et la durée de la journée. Mais on sait peu de choses sur ce qui se passe dans les végé-tations tropicales. Avec les données des appareils photos et du capteur hyperspec-tral, nous cherchons à savoir quels sont les déclencheurs de la phénologie dans les tropiques, c’est-à-dire ce qui fait appa-raître à des moments donnés les fleurs, les fruits et les feuilles sur les plantes ».

AnAlYSEr DES IMAGESDe l’avis de Morellato, la recherche serait impossible sans l’aide des chercheurs et des ressources informatiques : « Le volume de données que nous allons re-cueillir est gigantesque. À lui seul, un appareil photo numérique prend 60 photos par jour. 11 appareils surveillent 6 types de végétation et nous devons observer l’évolution pendant au moins une saison de croissance pour pouvoir ensuite établir un lien avec le climat. Puis il faut traiter et analyser toutes les images, ce qui serait impossible avec un simple formulaire électronique. Il faut de l’aide pour travailler avec ce big data. C’est pour cette raison qu’une étudiante

de master a créé une banque de données spéciale pour le projet et qu’un post-doctorant a élaboré un logiciel pour la visualisation et l’organisation d’images ».

La recherche de Morellato compte sur la participation du scientifique Ri-cardo Silva Torres, directeur de l’Institut d’Informatique de l’Université d’État de Campinas (Unicamp), qui mène égale-ment un projet dans le cadre de l’accord FAPESP-Microsoft Research. L’objec-tif de son étude est de développer de nouvelles techniques analytiques et des outils informatiques pour le traitement d’images de télédétection afin d’analy-ser la dynamique de certains biomes à des échelles régionales et continentales. Réalisé en partenariat avec le professeur Marina Hirota du Département de phy-sique de l’Université de Santa Catarina (UFSC), le travail cible les biomes tro-picaux sud-américains.

Un autre travail présenté pendant la rencontre de Guarujá est celui de l’éco-logue de l’Unicamp Rafael Silva Olivei-ra, développé en partenariat avec les chercheurs Antonio Alfredo Ferreira Loureiro, du Département d’informa-tique de l’Université Fédérale de Mi-nas Gerais (UFMG), et Stephen Burgess, de l’University of Western Australia : « Notre étude a comme objectif l’étude de la dynamique de l’eau et du carbone dans des forêts de nuages, des pâturages et dans la zone de transition entre eux. [...] Nous voulons comprendre comment des éléments-clés, comme l’absorption et le stock de charbon, la transpiration

Projets1. Towards an understanding of tipping points within tropical South american biomes (2013/50169-1); modalité Programme de recherche ‘Partenariat pour l’innovation Technologique’ (Pite) et accord FaPeSP-microsoft; Chercheur responsable ricardo da Silva Torres (unicamp); Investissement 384 838,38 reais (FaPeSP).2. Combining new technologies to monitor phenology from leaves to ecosystems (2013/50155-0); modalité Programme FaPeSP de recherche sur les changements climatiques mondiaux -Programme de recherche ‘Par-tenariat pour l’innovation Technologique’ (Pite) et ac-cord FaPeSP-microsoft; Chercheuse responsable Leonor Patrícia Cerdeira morellato (unesp); Investissement 1 115 752,48 reais et 535 902,72 dollars uS (FaPeSP).3. interactions entre sol-végétation-atmosphère dans un paysage tropical en mutation (2011/52072-0); modalité Programme de recherche ‘Partenariat pour l’innovation Technologique’ (Pite) et accord FaPeS-Pmicrosoft; Chercheur responsable rafael Silva oli-veira (unicamp); Investissement 644 800,74 reais et 663 429,82 dollars uS (FaPeSP).

des arbres et la captation d’eau du nuage par la végétation, sont affectés par des changements d’utilisation de la terre et par des variations du climat ».

Les études sur le terrain ont lieu dans la région montagneuse da Mantiqueira (région de Campos do Jordão, dans la province de l’État de São Paulo). D’après Oliveira, un réseau de capteurs sans fil est installé sur place pour contrôler, sur trois couches de l’écosystème (atmos-phère, végétation et sol), des paramètres microclimatiques de métabolisme de la végétation et de dynamique de l’eau dans le sol : « Ces données pourront amélio-rer la prédiction des impacts environ-nementaux provoqués par des chan-gements d’utilisation de la terre et, en même temps, permettront le dévelop-pement de modèles hydrologiques et de circulation biosphère-atmosphère avec une meilleure capacité prédictive ». n

Des capteurs sans fil installés dans des forêts fournissent de nombreuses données sur les processus naturels

56 z édition spéciale novembre 2015

Une mousse fabriquée à partir

d’oxyde de graphène et de

nitrure de bore a la propriété

d’être légère, résistante et

de reprendre sa forme originale

après avoir été comprimée

NoUveaUx MatériaUx y

Malléable et indéformable

associée à d’autres molécules, le graphène constitué d’une feuille d’atomes de carbone possède des propriétés encore

plus surprenantes. Une équipe de cher-cheurs de l’Université Rice (USA), en collaboration avec des physiciens de l’Université Publique de Campinas (Uni-camp), a développé un type d’éponge ex-trêmement légère, résistante et malléable à partir d’une réaction chimique qui unit une variante de ce matériau, l’oxyde de graphène (GO) à la forme hexagonale du nitrure de bore (BN), composé synthé-tique utilisé comme lubrifiant et additif dans les cosmétiques. Des échantillons d’éponge de quelques centimètres ont été comprimés avec des pièces améri-caines d’un cent et ont repris facilement leur forme initiale. La structure nano-métrique du nouveau matériau appelé GO-0.5BN ressemble aux entrailles d’un bâtiment en construction où les étages et les parois se montent seuls à partir d’une base de feuille d’oxyde de graphène renforcée par des plaques de nitrure de bore. La densité du GO-0.5BN est 400 fois inférieure à celle du graphite.

Le nitrure de bore, formé seule-ment par des liaisons d’atomes de bore et d’azote, possède une configuration hexagonale similaire à celle du graphène auquel il s’emboîte parfaitement, favo-risant ainsi une plus grande résistance

Marcos Pivetta

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au sein de la structure de carbone (en nid d’abeille) hexagonale du graphène lui confère un autre avantage. En effet, il est plus facile d’empiler des feuilles d’oxyde de graphène et de créer ainsi des couches à la fois extrêmement résis-tantes et fines qu’avec le seul graphène. « Nous espérions que l’addition de ni-trure de bore à l’oxyde de graphène créerait une nouvelle structure, mais pas exactement avec l’agencement des couches que nous avons découvert », affirme l’ingénieur électrique Soumia Vinod, de l’Université Rice, première auteur de l’article sur l’éponge.

Les plaques de nitrure de bore hexago-nal se répartissent uniformément à tous les étages et sur les parois de la struc-ture interne du matériau qui constitue l’éponge. Leur présence permet d’unir les feuilles d’oxyde de graphène qui jouent le rôle de squelette du GO-0.5BN. Selon Soumia Vinod, les plaques absorbent les stress inhérents à la compression et à l’étirement de l’éponge et évitent que les étages d’oxyde de graphène s’effondrent ou se fissurent et augmentent également la stabilité thermique du composé.

sans brevetLes chercheurs ont testé plusieurs ver-sions du nouveau matériau avec dif-férentes proportions de ses deux in-grédients avant d’arriver à la formule

et malléabilité mécanique. « Le nou-veau matériau est stable d’un point de vue chimique et thermique, et peut être utilisé dans des systèmes pour stocker de l’énergie, à l’instar des supercon-densateurs, des électrodes de batteries et absorber les gaz », déclare Douglas Galvão, de l’Institut de Physique Gleb Wataghin de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), qui a participé à cette étude. « Le nitrure de bore ren-force la structure de l’oxyde de graphène qui possède certains trous et qui peut devenir cassant à certains endroits », explique le physicien théoricien Pedro Alves da Silva Autreto, post-doctorant à l’Université Publique de Campinas avec une bourse de la FAPESP. Il a séjourné à l’Université Rice, où il a réalisé des simulations informatiques sur les carac-téristiques du GO-0.5BN. Le procédé utilisé pour obtenir l’éponge et ses pro-priétés ont été présentés dans un article scientifique publié le 29 juillet dans la revue Nature Communications.

L’oxyde de graphène possède prati-quement les mêmes propriétés que le graphène pur mais son obtention est plus simple et bon marché. C’est pour cette raison que les chercheurs ont préféré l’utiliser dans leurs expériences. Il peut être produit en grande quantité à travers l’exfoliation chimique de l’oxyde de gra-phite. La présence d’atomes d’oxygène

pUblié eN octobre 2014

PesQuisa FaPesP z 57

chimique de l’éponge présentée dans l’article scientifique. Alors que l’équipe de l’Université de Rice mélangeait dif-férentes quantités d’oxyde de graphène et de nitrure de bore, les deux se pré-sentant sous la forme de poudre, Pedro Alves da Silva Autreto réalisait des si-mulations informatiques pour essayer de prévoir les propriétés du matériau en gestation et fournir des paramètres à ses collègues afin de raffiner leur tra-vail pratique. « J’étais le seul physicien théoricien au milieu de 50 chercheurs du secteur expérimental du groupe du professeur Pulickel Ajayan », déclare Pedro Autreto, se rappelant son séjour dans l’université américaine. La ver-sion la plus stable de l’éponge fut celle qui devait la moitié de son poids final à la présence de nitrure de bore dans le mélange. L’oxyde de graphène interagit avec le nitrure de bore grâce à l’action de catalyseurs chimiques. Le produit final de la réaction, le matériau spongieux, est lyophilisé, c'est-à-dire qu’il est congelé et perd son eau par sublimation. L’éponge adopte également la forme du récipient dans lequel elle a été créée. « Quand nous avons découvert les quantités exactes d’oxyde de graphène et de nitrure de bore hexagonal, il nous a fallu deux ou trois jours pour produire la mousse », explique Soumia Vinod.

L’éponge nanostructurée indéfor-mable et qui peut stocker de l’énergie ou absorber des gaz n’est pour l’instant pas protégée par un brevet commercial. Le partenariat entre l’Université Publique de Campinas et l’Université Rice doit se poursuivre et produire de nouveaux travaux. « Deux post-docteurs de notre équipe vont rejoindre l’équipe du pro-fesseur Pulickel Ajayan pour poursuivre la collaboration », affirme Douglas Gal-vão, qui a été le superviseur de master et de doctorat de Pedro Autreto et qui supervise son post-doctorat. n

projetpropriétés structurelles, mécaniques et de transport de graphène et structures liées (nº 11/13259-7) ; modalité bourse de post-doctorat ; Chercheur responsable dou-glas soares Galvão (ifGW/Unicamp) ; boursier pedro alves da silva autreto ; Investissement 139 310,43 reais (fapesp).

article scientifiqueviNod, s. et al. low-density three-dimensional foam using self-reinforced hybrid two-dimensional atomic layers. nature Communications. 29 juillet 2014.

renfort structurel

des images au microscope électronique montrent les couches de la structure interne (ci-dessus) et le détail d’une paroi de soutènement des feuilles d’oxyde de graphène

le Nitrure de bore grâce à sa forme hexagonale rend les feuilles d’oxyde de graphène moins cassantes et évite que les couches internes du matériau s’effondrent

oxyde de graphène

Nitrure de bore ● oxygène ● carbone ● azote ● bore

la structure interne de l’éponge est composée d’étages et de parois qui se montent seuls à partir d’une base de couche d’oxyde de graphène renforcée par des plaques de nitrure de bore

58 z édition spéciale novembre 2015

Un substitut cutané pourrait être utilisé comme greffe

dans le traitement des brûlures et des lésions graves

Biotechnologie y

peau artificielle

Environ un million de personnes souffrant de brûlures sont en-registrées chaque année dans le pays. Sur ce total, 10% se rendent volontairement à l’hô-

pital et 2 500 patients décèdent. Les acci-dents dus au feu sont la deuxième cause de mortalité des enfants au Brésil et aux États-Unis. C’est pour cette raison que la création en laboratoire de substituts de peau pouvant être greffés est devenue une priorité de la recherche depuis ces 30 dernières années. Les scientifiques de nombreux pays essayent de mettre au point une peau artificielle qui pourra être appliquée avec succès sur les per-sonnes atteintes de lésions graves. Il faut souligner le travail réalisé au Brésil par une équipe de chercheurs de l’Université Publique de Campinas (Unicamp), qui a démontré lors d’essais en laboratoire l’efficacité d’un substitut cutané tridi-mensionnel composé d’une substance extraite d’un arbre originaire du pays, le copaïer (Copaifera langsdorffii). Cette étude a été menée durant le doctorat de la biologiste Ana Luiza Garcia Millás,

du Département d’Ingénierie des Maté-riaux et des Bioprocessus de la Faculté d’Ingénierie Chimique de l’Université Publique de Campinas, avec une bourse de la FAPESP. Cette étude a remporté en septembre le premier prix de l’innova-tion lors de la 8ème Rencontre Nationale de l’Innovation en Produits Pharma-ceutiques et Médicaments, promue par l’Institut de Recherche et de Dévelop-pement des Produits Pharmaceutiques et Médicaments en collaboration avec la Société Brésilienne Pro-Innovation Technologique.

« Le traitement de brûlures et de lé-sions cutanées étendues et graves est un enjeu pour la médecine régénérative. Il y a certaines alternatives pour rempla-cer la peau, mais aucune d’entre elles ne répond à 100% à la demande et aux be-soins pour obtenir une bonne cicatrisa-tion. Notre objectif est de créer une peau artificielle qui puisse être absorbable par l’organisme et qui résolve les pro-blèmes chroniques comme les ulcères, les escarres profondes et les brûlures au troisième degré », déclare Ana Luiza

Garcia Millás. « Nous voulons mettre au point un substitut cutané 3D qui, en plus de son rôle réparateur, ait également une fonction régénérative, esthétique, et qui facilite la cicatrisation ».

La nouvelle peau artificielle sera pro-duite à partir d’une solution composée de polymère absorbable PLGA Poly (acide lactide-co-acide glycolide), huile-résine du copaïer et également un solvant. Très utilisé dans la fabrication d’implants, le PLGA se dégrade peu à peu et est ab-sorbé par l’organisme du patient. Une fois prête, la solution de polymère est transformée en fibre à l’aide d’une mé-thode appelée électrofilage. La structure créée par ce procédé, également appelée scaffold, servira de support ou d’arma-ture cellulaire tridimensionnelle, imi-tant par mimétisme l’architecture de la peau. Parallèlement, les fibroblastes, qui sont des types de cellules du derme, la partie la plus profonde de la peau, sont retirés par biopsie du patient brûlé. Ces cellules sont ensuite cultivées sur une structure fibreuse qui après quelques jours est greffée sur le patient.

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pUBlié en décemBre 2014

pESQUISA FApESp z 59

tronc du copaïer: matière première de l’huile-résine qui favorise la régénération de brûlures

60 z édition spéciale novembre 2015

Selon Benedicto de Campos Vidal, professeur émérite de l’Institut de Bio-logie de l’Université Publique de Campi-nas et spécialiste en collagène, les résul-tats in vitro obtenus jusqu’à présent sont bien prometteurs et permettent d’arriver à l’importante constatation suivante: les cellules adhèrent, prolifèrent, se diffé-rencient et, apparemment, produisent du collagène, protéine fondamentale dans le processus de cicatrisation. «Tout indique que les fibroblastes (cellules du derme) aboutissent à une matrice de collagène. Ceci est fondamental pour le succès de la recherche», déclare Benedicto Vidal. La nouvelle structure cellulaire aide l’épi-derme, la partie la plus superficielle de la peau, à proliférer. Outre le fait de travail-ler avec des cellules du propre patient, Ana Luiza Garcia Millás a l’intention d’utiliser des fibroblastes provenant de tiers. « L’avantage d’utiliser des cel-lules extraites d’autres personnes est de pouvoir produire à grande échelle pour une banque de la peau. Le point néga-tif est qu’elles augmentent les chances de rejet ».

L’emploi de la méthode d’électrofilage (electrospinning) est un élément impor-tant de la recherche qui a éveillé l’intérêt du secteur d’ingénierie des tissus compte tenu de sa facilité à produire des fibres ultra fines et une différence élevée entre la surface et le volume ne nécessitant pas d’une instrumentation chère et com-plexe. Cette méthode, applicable à une grande variété de polymères naturels ou synthétiques, se distingue également en permettant le contrôle du diamètre, la porosité et la topographie des filaments. Elle améliore également le transport de nutriments entre la matrice fibreuse et l’environnement externe.

L’introduction dans le substitut cutané d’une substance naturelle peu étudiée mais avec des propriétés thérapeutiques éprouvées est une autre innovation de la recherche. L’huile-résine du copaïer, utilisée à des fins médicinales depuis le début du seizième siècle, agit comme agent cicatrisant, analgésique, anti-in-flammatoire et antimicrobien. « C’est un aspect novateur du travail, conjointe-ment avec l’emploi d’un polymère pour la production de la matrice qui sera appli-quée sur la lésion », affirme la dermato-logiste Beatriz Puzzi, coordonnatrice du Laboratoire de Culture des Cellules de la Peau à la Faculté des Sciences Médicales

utilisant des imprimantes numériques 3D combinées avec la méthode d’élec-trofilage. Cette idée est apparue suite au besoin d’échelonner la production du produit et compte tenu des exigences en ce qui concerne la manipulation de la structure qui sera greffée. « Nous avons commencé certains tests qui com-binent les deux méthodes, l’impression 3D et l’électrofilage. Ceci pourrait être une alternative car les matrices sont extrêmement fragiles et difficiles à ma-nipuler », explique Ana Luiza Garcia Millás. « Les essais in vitro ont déjà montré que le matériel est biocompa-tible et qu’il a un grand potentiel. Je pense que les tests cliniques pourraient débuter d’ici deux ans, et si tout se passe

Greffe synthétiquedécouvrez les principales étapes du développement du produit qui pourra être utilisé dans des greffes de la peau

SoUrcE ana lUiza garcia millás / Unicamp

ÉLEcTroFILAGEla solution polymérique est

introduite dans une seringue et

transformée en fil par la

méthode d’électrofilage

il en résulte une matrice

fibreuse (ou scaffold), formée

de filaments. le scaffold

fibreux polymérique est

stérilisé avec des rayons

gamma ou des ultraviolets

haute tension

seringue

collecteur

1

2

plga, huile de copaïer et solvant

matrice fiBreUse

de l’Université Publique de Campinas et codirecteur de doctorat d’Ana Luiza Garcia Millás. L’introduction dans la ma-trice d’huile de copaïer a pour objectif de la rendre fonctionnelle en facilitant la régénération des brûlures. La doc-torante de l’Unicamp explique que la substance extraite du tronc d’arbre porte le nom d’huile-résine car elle est consti-tuée d’environ 45% d’huiles essentielles volatiles et de 55% de résine.

ImprImAnTE dE pEAULes tests précliniques sur des animaux et cliniques sur des humains n’ont pas encore été réalisés, mais le groupe en-trevoit déjà la possibilité de produire ce matériel à une plus grande échelle en

SoLUTIon poLYmÉrIQUEla première étape est la

préparation d’une solution

composée de pellets du

polymère bio-réabsorbable

poly (acide lactide-co-

acide glycolide), connu

simplement sous le nom de

plga, huile-résine de

copaïer et solvant

pESQUISA FApESp z 61

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projetdéveloppement de scaffolds bioactifs incorporés à des huiles végétales pour la régénération du tissu cutané à partir de la méthode d’électrofilage (nº 2012/09110-0) ; modalité Bourse dans le pays – régulière – doctorat ; Chercheur responsable edison Bittencourt (Unicamp) ; Boursière ana luiza garcia millás (Unicamp) ; Investis-sement 116 615,19 reais (fapesp).

article scientifiqueYUsUf, m. et al. platinum blue staining of cells grown in electro spuns caffolds. Biotechniques. v. 57, n. 3, p. 137-41. sept. 2014.

Les essais in vitro montrent que le matériel est biocompatible. La prochaine étape concernera les tests cliniques sur l’homme

bien le produit pourrait être commer-cialisé dans cinq ans ».

Cette innovation produite par l’Uni-versité Publique de Campinas possède des similitudes avec deux produits nord-américains des entreprises Or-gano genesis, propriétaire d’Apligraft, et Forticell Bioscience, avec Orcel. Les deux utilisent du collagène bovin et du fibroblaste humain. La recherche me-née par Ana Luiza Garcia Millás est la continuation d’une étude qui a débuté en 2010 durant son master, intitulée « Installation de la technologie d’élec-trofilage pour la production et la carac-térisation de nanofibres de cellulose incorporées à de l’huile naturelle ». Ce travail a débouché sur le dépôt d’un

brevet qui propose l’emploi de fibres produites par la méthode d’électrofi-lage et incorporées à des huiles essen-tielles non seulement pour être utilisées comme peau artificielle ou pansements, mais également comme filtres, tissus et emballages pour aliments et cosmé-tiques. La mise au point du substitut cu-tané a été réalisée par une équipe com-posée des ingénieurs chimiques Edi-son Bittencourt, professeur à la Faculté d’Ingénierie Chimique de l’Unicamp et directeur de doctorat d’Ana Luiza Garcia Millás, João Vinícios Silveira, et des professeurs Maria Beatriz Puzzi et Benedicto Vidal, également de l’Uni-versité Publique de Campinas.

Une partie du développement de la peau artificielle a été réalisée à l’étran-ger. En 2012, Ana Luiza Garcia Millás a été financée durant son post-doctorat par le programme de bourses mobilité internationale de la banque Santander et a suivi un programme sandwich, in-tercalant une partie de ses études en Angleterre. « J’ai été orientée par le scientifique Bob Stevens, professeur à l’Université de Nottinghan Trent et chercheur associé chez The Electrospin-ning Company. Cette entreprise utilise la plateforme d’électrofilage pour mettre au point des biomatériaux fibreux dans le domaine de la médecine régénéra-tive. Durant mon séjour dans l’entre-prise, j’ai choisi le type de polymère que j’allais utiliser pour poursuivre l’objec-tif visé. J’ai également défini tous les paramètres concernant les solutions et l’équipement d’électrofilage pour la pro-duction des scaffolds, et j’ai réalisé des tests préliminaires in vitro en utilisant des fibroblastes de poumon », dit-elle. Ana Luiza Garcia Millás a de nouveau suivi un programme sandwich en 2013 à l’Université Cornell, aux États-Unis, dans le cadre du programme Sciences sans Frontières. n Yuri Vasconcelos

cULTUrE cELLULAIrEdans une serre à 37

degrés celsius permettant

un échange gazeux, les

cellules du patient

chargées de la synthèse

du collagène, appelées

fibroblastes sont placées

sur le scaffold. après

s’être fixées sur le

substrat, elles se

développent, prolifèrent

et se différencient

croISSAncEla taille du pore de

la matrice fibreuse

permet que les

fibroblastes y migrent

et y prolifèrent, se liant

les uns aux autres,

et grandissent en

couches qui forment

une structure

tridimensionnelle.

ce processus se déroule

en 20 à 30 jours

GrEFFEfinalement, la peau

artificielle (ou substitut

de peau) formée par

l’ensemble scaffold

polymérique et cellules

dermiques est prête à

être greffée sur des

patients atteints de

lésions cutanées graves

comme des brûlures au

troisième degré, des

ulcères et des escarres

3 4 5

20 à 30 joUrs greffe

62 z édition spéciale novembre 2015

Une légumineuse

utilisée

comme engrais

peut augmenter

la production

de canne à

sucre de 35%

Les engrais verts à base de bio-masse d’espèces végétales utili-sées par les exploitants agricoles du monde entier et qui servent

à fertiliser d’autres plantes ne datent pas d’hier, mais il y a peu d’études scientifiques expliquant leur fonction-nement et quantifiant leurs résultats. C’est justement ce qu’a cherché à dé-couvrir l’agronome Edmilson José Am-brosano, chercheur à l’Agence Pauliste de Technologie des Agrobusiness (Ap-ta), du Secrétariat à l’Agriculture et à l’Approvisionnement de São Paulo, dans deux projets soutenus par la FAPESP. Les études montrent que l’utilisation du crotalaire (Crotalaria juncea) peut remplacer totalement l’apport d’engrais à base d’azote chimique dans les champs

AgricUltUre y

Engrais naturel

de canne à sucre, favorisant ainsi un gain de productivité de l’ordre de 35% et un bénéfice financier d’environ 150%.

Le crotalaire est une plante vigoureuse et à croissance rapide originaire d’Asie. C’est l’espèce qui produit la plus grande quantité de biomasse dans un minimum de temps. C’est en outre une plante fi-breuse utilisée pour la fabrication de papiers spéciaux.

L’un des principaux avantages de son utilisation comme engrais vient du fait qu’il s’agit d’une légumineuse, famille dont les espèces ont la capacité de fixer ou d’incorporer l’azote de l’air en une molécule organique. « Dans le règne vé-gétal et à de rares exceptions, il n’y a que les légumineuses qui parviennent à fixer l’air atmosphérique à l’aide de bacté-

1

PUblié en décembre 2014

Evanildo da Silveira

ries qui se trouvent dans leurs racines », explique Edmilson José Ambrosano. « Outre le fait de fournir cet élément, le crotalaire est également utilisé pour récupérer les sols dégradés ».

Quant à la canne à sucre, c’est l’une des principales cultures agricoles du pays. La production de canne est une culture semi-pérenne, étant cultivée au même endroit durant quatre ou huit ans avec une récolte par an. À la fin de ce cycle, les champs de canne à sucre sont détruits et à nouveau replantés. Au Brésil, 1,9 millions d’hec-tares sont replantés chaque année. « C’est dans ces zones ou dans de nouvelles que l’on incorpore l’engrais vert pour récupé-rer le sol et introduire l’azote », déclare Edmilson José Ambrosano. « Ceci se fait au Brésil depuis 1934 ».

pESQUISA FApESp z 63

L’objectif de la recherche qui a com-mencé en 2003 et qui s’est poursuivie jusqu’à récemment était d’étudier l’effet de l’apport d’engrais vert sur la canne à sucre. « Nous savions déjà que le crota-laire était un bon engrais et fonctionnait bien en tant que fournisseur d’azote », explique-t-il. « Nous voulions savoir combien de cet élément était transféré de la légumineuse vers la canne à sucre. Nous en avons profité pour vérifier le transfert de l’azote présent dans le sul-fate d’ammonium qui est un engrais chimique très répandu. Notre intention était de comparer l’efficacité des deux types d’engrais, le vert et le chimique ».

(Cena), de l’Université de São Paulo (USP), également à Piracicaba, qui a pro-duit de l’azote contenant 70% de 15N et 30% de 14N. L’étape suivante a consis-té à préparer deux terrains, un de 2,80 mètres sur 2 et l’autre de 1,40 mètre sur 1, pour y planter le crotalaire. Dans le pre-mier terrain la plante a reçu un apport d’urée riche en 15N, par aspersion sur ses feuilles. Dans le second, la plantation a reçu un apport de sulfate d’ammonium, également riche en 15N. On a ensuite lais-sé la plante se développer jusqu’à une hauteur d’environ 2 mètres. Les deux ter-rains ont ensuite été fauchés et la canne à sucre y a été plantée pour y être cultivée pendant cinq ans et récoltée trois fois. La récupération du 15N a été mesurée au cours des deux premières récoltes.

Pour réaliser ces mesures, le cher-cheur prélevait des feuilles de la canne à sucre qui partaient ensuite au laboratoire pour analyser la quantité d’azote marqué, c’est-à-dire du 15N du crotalaire, à l’aide d’un spectromètre de masse. « Dans les deux premières récoltes consécutives, la transmission d’azote du crotalaire vers la canne à sucre a été de 19% et de 21%, et pour celui ayant reçu un apport de sulfate d’ammonium, a été de 46% à 49% », raconte Edmilson Ambrosano. « Nous avons conclu que cet apport d’azote est subvenu aux besoins de la canne qui s’élèvent à 70 kilos par hectare ».

Bien que le sulfate d’ammonium ait transmis davantage d’azote à la canne à sucre, l’engrais vert possède d’autres avantages qui dépassent cette différence. « Outre le fait d’être bon marché, le cro-talaire protège le sol des fortes pluies en le décompactant et en améliorant l’in-filtration de l’eau », déclare Edmilson Ambrosano. n

Projets1. dynamique de l’azote sur la canne à sucre après apport d’engrais vert avec crotalaria juncea (nº 2006/59705-0) ; modalité Aide à la recherche régulière; Chercheur res-ponsable edmilson José Ambrosano (Apta) ; Investisse-ment 36 860,00 reais (FAPeSP).2. dynamique de l’azote sur la canne à sucre après apport d’engrais vert avec crotalaria juncea (nº 1998/16446-6) ; modalité ligne régulière d’Aide au Projet de recher-che ; Chercheur responsable edmilson José Ambrosano (Apta); Investissement 26 309,10 reais et 701,02 dollars US (FAPeSP).

Article scientifiqueAmbroSAno, e. J. et al. 15n-labeled nitrogen from green manure and ammonium sulfate utilization by the sugarcane ratoon. Scientia Agricola. v. 68, n. 3, p. 361-8. jun. 2011. p

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tEchnIQUE nUcLéAIrEPour mener cette étude, Edmilson Am-brosano a réalisé une expérience à l’aide d’une méthode appelée marquage isoto-pique de l’azote. C’est l’élément le plus abondant de l’atmosphère terrestre et il représente environ 78% de la totalité des gaz qui entourent la planète, l’oxygène ne représentant que 21% de ces gaz. Il se trouve dans l’air sous la forme de N2, molécules formées de deux atomes liés par une liaison covalente (qui partage les électrons) triple, hautement résistante. C’est pour cela que les animaux et les plantes ne parviennent pas à métabo-liser l’azote.

Les légumineuses sont une manière naturelle de tirer profit de l’azote grâce aux bactéries, principalement celles du genre Rhizobium. Ces microorganismes s’associent et entrent en symbiose avec les plantes, créant des nodules sur leurs racines qui leur permettent de capturer le gaz de l’air (le sol est poreux), et le transformer en composants azotés com-

posés d’acides aminés qui peuvent être méta-bolisés par les végétaux. Les fabricants d’engrais utilisent une autre ma-nière pour transformer l’azote de la nature en élément utilisable par les plantes, mais ce proces-sus est coûteux en éner-gie et c’est donc l’engrais le plus onéreux.

L’azote existe dans la nature sous la forme de deux isotopes, l’azote14 (14N), qui représente 99,634% du total dans l’atmosphère, et le 15

(15N), équivalent à 0,366%. Les iso-topes sont des variantes d’un même élément chimique, avec les mêmes propriétés, le même nombre de pro-tons mais pas de neutrons. Ainsi, le 14N possède sept protons et sept neu-trons, par contre le 15N possède un neu-tron de plus, ce qui le rend plus lourd. « C’est pour cela que nous avons dû ima-giner une manière pour marquer ces éléments présents dans le crotalaire et pouvoir ainsi vérifier la quantité dont la canne à sucre tirerait profit », explique Edmilson Ambrosano.

Cette étude a été menée au Centre d’Énergie Nucléaire dans l’Agriculture

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Plantation de crotalaire (à gauche) : une plus grande quantité de biomasse en un temps plus court

expérimentation réalisée au cena, à Piracicaba, par l’application de composants d’azote 15 sur le crotalaire (dessous)

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L’étude des 100 ans du logement social

au Brésil dévoile des projets

d’une grande qualité sous l’ère Vargas

Architecture pour tous

Immeuble d’habitation Gávea d’Affonso eduardo reidy, également créateur de Pedregulho, deux ensembles de rio de Janeiro du début des années 1950 : projets sociaux historiquement et esthétiquement importants

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huMAnItés SoCiéTé y

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Même si le Brésil abrite des noms et des repères impor-tants de l’architecture du XXe siècle, mondialement

connus – Oscar Niemeyer et la ville de Brasília en tête –, il existe toute une pro-duction tournée vers le logement social encore peu connue et quelque peu en marge de l’histoire officielle. Non pas que cette production soit peu visible ou quantitativement insignifiante. Elle est présente dans nombre de villes brési-liennes et son histoire constitue un récit avec des ruptures mais aussi des traits forts de continuité jusqu’aux politiques publiques actuelles. En outre, elle a créé un répertoire précieux d’expériences techniques et formelles sur le plan de l’architecture et de l’urbanisme.

Répertorier et faire la lumière sur l’histoire du logement social brésilien qui a complété 100 ans en 2012 est à

l’origine du livre Os pioneiros da habi-tação social [les pionniers du logement social], livre en trois volumes récemment publié par Nabil Bonduki, architecte, professeur de la Faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Université de São Paulo (FAU-USP) et député du parti poli-tique PT à São Paulo. La partie centrale de l’ouvrage se trouve dans le volume 2, consacré à la période allant de 1930 à 1964 ; autrement dit, du premier man-dat du président Getúlio Vargas jusqu’au coup d’état militaire. D’après Bonduki, « il y a eu là un cycle de logement social lié aux débuts de l’urbanisme moderne ».

Si les 100 ans du logement social ont débuté avec un projet du gouverne-ment fédéral de 165 maisons à Marechal Hermes (État de Rio de Janeiro), mené à terme malgré une forte opposition, l’ère Vargas a créé une nouvelle culture et une autre approche. Bonduki écrit sur cette

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(éd. Estação Liberdade, 1994, qui en est aujourd’hui à sa 6e édition). L’auteur y parle de la transformation des villes bré-siliennes sous l’ère Vargas, marquée par une production architecturale impor-tante jusque là très peu étudiée. D’où le désir d’élargir l’historiographie sur le sujet pour « penser l’architecture mo-derne brésilienne, surtout celle des an-nées 1940 et 1950 du XXe siècle, et sa relation avec le logement social ».

Le travail de recherche s’est étendu sur 17 années (1997-2013) dans les locaux de l’USP, d’abord à l’École d’Ingénierie de São Carlos puis à la FAU. Il a compté sur la participation d’une quarantaine de chercheurs, beaucoup d’entre eux ayant poursuivi avec des recherches person-nelles sur des thèmes apparus pendant le processus. L’étape clé de la recherche a été le relevé complet sur le terrain de la production du logement social entre 1930 et 1964 – le deuxième des 3 volumes du livre, qui fut d’ailleurs le premier à être prêt. Les deux grandes étapes de la re-cherche ont reçu le soutien de la FAPESP et la deuxième, développée après le rele-vé, a été sélectionné dans un appel d’offres public de l’entreprise Petrobras dans la catégorie ‘patrimoine et documentation’.

L’activité de recherche s’est faite au-tour de l’équipe du professeur Carlos Ferreira Martins, directeur de l’Institut d’Architecture et d’Urbanisme de l’USP à São Carlos (et auteur du volet intérieur du volume 2), qui reprochait à l’approche

immeuble collectif de paquetá à rio de Janeiro, 1952, et immeuble du début de la construction de Brasília : tentatives dans le passé d’harmonisation des constructions avec le milieu

période : « l’idée de la fonction sociale du logement se met en place ; l’État décide d’affronter les questions urbaines. Et le modernisme est devenu le langage de ce nouveau temps ».

AVAnCéEs Et REtouRs En ARRIÈREGlobalement, Os pioneiros da habitação social évoque simultanément les fonde-ments et les pratiques de la politique bré-silienne du logement au cours d’un siècle ainsi que les avancées et les retours en arrière architecturaux pendant la même période. Publié conjointement par les éditrices Unesp et Sesc de São Paulo, l’ouvrage compte 1208 pages agrémen-tées de photographies et graphiques. Le volume 1, Cem anos de política púbica no Brasil [Cent ans de politique publique au Brésil], présente et commente l’histoire du logement social dans le pays avant d’aborder dans le détail la production des organismes de sécurité sociale res-ponsables de ce type d’habitation sous l’ère Vargas. Le volume 2, Inventário da produção pública no Brasil entre 1930 e 1964 [Inventaire de la production pu-blique au Brésil entre 1930 et 1964] a été coécrit avec l’architecte et urbaniste Ana Paula Koury. Les auteurs proposent un relevé documenté des 322 projets (dans 24 États fédérés) de la période, avec y compris de nouveaux dessins de chacun à des échelles comparatives. Le volume 3, Onze propostas de morar pa-ra o Brasil moderno [Onze propositions

d’habitation pour le Brésil moderne], étudie en profondeur 11 de ces projets avec des modèles tridimensionnels des dessins originaux et des photographies du photographe Bob Wolfenson.

La base de ce travail se trouve dans les recherches de master et de docto-rat de Bonduki, présentées dans les an-nées 1990 à la Faculté d’Architecture et d’Urbanisme de l’USP, soutenues par la FAPESP et décrites dans le livre As origens da habitação social no Brasil [Les origines du logement social au Brésil]

pour Le Corbusier, l’habitat c’est aussi l’espace public, comme les places et les écoles

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pEsQuIsA FApEsp z 67

historique traditionnelle de l’architec-ture moderniste brésilienne de ne pas tenir compte de certains noms et thèmes. Pour Martins comme pour Bonduki, il y a dans la trajectoire de l’architecture « plus traditionnelle », tournée vers le logement collectif, une contribution aus-si importante que celle des architectes célèbres tels que Niemeyer, Lúcio Costa, Rino Levi et Lina Bo Bardi.

Même un architecte comme Affonso Eduardo Reidy, généralement inclus dans ce groupe select, est peu connu pour son activité dans le logement social. Et pour-tant, il est l’auteur de projets d’une grande importance historique et esthétique, à l’exemple des barres d’immeubles serpen-tueuses de Gávea et Pedregulho à Rio de Janeiro, toutes deux inaugurées au début des années 1950. Reidy était marié avec Carmen Portinho, théoricienne, ingé-nieur et autre nom associé à l’histoire du logement social brésilien. Portinho a été directrice du Département du loge-p

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ment social relié à la mairie du District Fédéral (Rio de Janeiro), un des rares or-ganismes à avoir réalisé une production importante pendant la période de l’État Nouveau ; et pendant le deuxième mandat de Vargas (1952-1954), elle a été membre du Conseil Central de la Fondation du Logement Social.

ouBLIé dE L’hIstoRIoGRAphIEDe l’avis de Bonduki, un des architectes « oubliés par l’historiographie domi-nante » est Carlos Frederico Ferreira, qui a consacré toute sa vie profession-nelle à l’Institut des Retraites et Pen-sions des Ouvriers de l’Industrie (Iapi), l’organisme public qui s’est le plus distin-gué dans la production d’habitats de la période Vargas. Ferreira en a été le chef du Secteur Architecture et Dessin puis du Département d’Ingénierie. Bonduki raconte : « J’ai réussi à parler avec lui en 1994, six mois avant sa mort. Personne ne savait où il était jusqu’à ce que je le

retrouve à Nova Friburgo, dans l’État de Rio de Janeiro ».

Lors de cette conversation, Ferreira a indiqué que la préoccupation prin-cipale du Iapi était de « mettre les im-meubles d’habitation à la portée de la grande majorité des associés de revenu modeste, c’est-à-dire en établissant un prix minimum sans pour autant sacrifier les conditions indispensables d’hygiène et de confort ». Cette préoccupation était conforme aux principes établis par le Suisse Le Corbusier en 1933 à l’occa-sion du Congrès International d’Archi-tecture Moderne. L’un de ces principes, selon Bonduki, est le suivant : l’idée que l’habitation n’est pas « seulement un lo-gement » mais aussi un espace public comme des places et des écoles. Néan-moins, ce concept rencontrait de grandes difficultés au Brésil, à commencer par l’industrie du bâtiment : « Les questions à résoudre étaient basiques, comme le manque de normes pour la production

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68 z édition spéciale novembre 2015

une surpopulation dans les banlieues, une carence de services publics et une vague d’expulsions. En somme, une crise grave de l’habitat. À la fin de la période, les organismes sociaux étaient très loin de combler les besoins de logement de la population avec seulement 175 000 unités construites. « Pour la popula-tion à faible revenu, l’issue, a été l’auto-construction dans les banlieues – créant ainsi le modèle des grandes villes que l’on connaît aujourd’hui », écrit Bonduki.

À contre-courant de l’idée selon la-quelle Brasília, inaugurée en 1960, a été un projet révolutionnaire, Bondu-ki y voit plutôt là la « ligne d’arrivée » des expériences survenues entre 1930

d’un simple moellon, dont la diversité de tailles, selon l’origine, rendait difficile la réalisation d’œuvres de grande taille ».

Un autre nom important de cette époque est celui de l’architecte Rubens Porto, assesseur du Conseil National du Travail qui a établi les directives générales pour les organismes de sécurité sociale et les recommandations pour la construc-tion des immeubles d’habitation. En 1938, Porto a réuni dans un livre une série de solutions pour ces bâtiments, parmi les-quelles la rationalisation des processus, la suppression de toute décoration super-flue, la livraison de la maison meublée et une typologie de blocs multifamiliaux de quatre étages, avec des pilotis et des duplex. Dans la pratique et même sans nécessairement suivre ces préceptes, une grande partie de la production des orga-nismes montrait des signes clairs d’inser-tion urbaine et d’utilisation rationnelle et industrielle des matériaux.

Bonduki pense qu’« il est difficile de souligner l’existence d’une politique de l’habitat pendant cette période, mais qu’il y a eu des actions simultanées qui ont coïncidé et se sont regroupées. [...] Le scénario était dispersé, composé de plusieurs organismes et instituts ayant chacun leurs caractéristiques et un per-sonnel qui tentait de rester actualisé et de garantir les coûts les plus bas ». Une « technobureaucratie compétente » s’est formée, avec des services ingénierie ca-

pables de formuler des solutions pour les défis de création de logements so-ciaux à bas prix mais de qualité. À une époque où il n’y avait pas les entreprises du bâtiment qu’il y a aujourd’hui et où les écoles d’architecture étaient encore une nouveauté, ces services fonction-naient comme de « grands cabinets d’ar-chitecture » et comme des « laboratoires pratiques » (Bonduki).

popuLAtIon À FAIBLE REVEnuD’après l’étude de Bonduki, les grandes avancées de l’architecture et de l’urba-nisme ainsi que la création d’un héritage inspirateur n’ont cependant pas été syno-nymes d’un meilleur accès au logement de la population à faible revenu. Dans le contexte de la transition d’une société essentiellement agraire-exportatrice à une ère urbano-industrielle et capita-liste, où le gouvernement mettait l’accent sur la fonction de protection du travail-leur, les initiatives privées en matière de logement n’ont pas été encouragées par la Loi sur les loyers de 1942, qui a gelé le prix des loyers. Au départ, l’effet a été positif pour la population parce que les dépenses de logement avaient considé-rablement diminué pour les ouvriers.

Mais cette situation associée au mou-vement intense d’urbanisation du pays (8 millions d’habitants dans les villes en 1930 et 32 millions en 1960) a fini par provoquer un déficit de logements,

pour Bonduki, il est urgent que les pouvoirs publics s’occupent vraiment des questions foncières

Concentration d’immeubles collectifs

dans la zone est de São paulo (à droite) et parque

do iguaçu à Curitiba : faible qualité urbanistique

et architecturale

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projetLes pionniers du logement social au Brésil (n° 2012/50030-0) ; modalité Aide à la publication ; Chercheur responsa­ble nabil Bonduki (fAu-uSp) ; Investissement 40 000, 00 reais (fApeSp).p

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et 1950, avec ses ensembles organisés d’immeubles résidentiels similaires aux ensembles projetés dans les années 1940. Sans compter le rôle important des orga-nismes de sécurité sociale dans l’édifi-cation des zones résidentielles.

nouVEAuX pRoGRAMMEsDu point de vue politique, l’inauguration de la nouvelle capitale a lieu au moment où la vitalité atteinte par l’État Nouveau pour l’activité architecturale et urbaniste est en plein recul. D’autre part, c’est à la fin de la période qu’a été proposée l’uni-fication des instituts de sécurité sociale en un seul organisme et le transfert d’une partie de leurs fonds à une institution chargée spécifiquement de la prise en charge universelle des questions de lo-gement de la population, la Fondation du Logement Social (FCP, Fundação da Casa Popular). Les directions des insti-tuts et d’autres secteurs de la société se sont opposés à ce changement qui allait leur supprimer des ressources et des pri-vilèges. Finalement, la FCP est déjà née « vidée » et son échec, selon Bonduki, « a retardé de 20 ans la formulation d’une politique consistante  de l’habitat ».

La reprise s’est faite au début du régime militaire de 1964, quand les fonds de re-traite ont été abolis avec la création de l’Institut National de Prévoyance Sociale

(INPS, aujourd’hui remplacé par l’Insti-tut National de Sécurité Sociale, INSS) et de la Banque Nationale de l’Habitat (BNH), tourné vers la production et le financement de logements. Cette banque qui travaillait directement avec d’autres banques et non pas avec le public a fonc-tionné jusqu’en 1986 avant d’être incor-porée par la banque Caixa Econômica Federal. Cependant, l’inaction de la FCP et le démantèlement de structures après le coup d’État de 1964 ont retiré du de-vant de la scène les forces politiques qui agissaient pour une politique de loge-ment social conséquente et qui réponde vraiment aux besoins de la population. Les logements étaient désormais ven-dus au futur habitant ; mais la réussite de la production massive (4,2 millions d’habitats) a laissé de côté la qualité des projets. Lorsque la BNH s’est arrêtée de fonctionner – pendant la période de redé-mocratisation –, le sigle était devenu le synonyme d’immeubles laids et mal faits.

À partir des années 1990, d’impor-tantes expériences dans le contexte mu-nicipal ont précédé une série d’avan-cées dans la construction de politiques urbaines et d’habitat, la plupart sur ini-tiative populaire. Ce fut la période d’ins-titution du Statut de la Ville, du Minis-tère des Villes et du Fonds National de l’Habitat. Cette base a formé un cadre

favorable, renforcé par de bonnes condi-tions démographiques – comme la fin du cycle de migration champ-ville et la diminution du rythme de croissance de la population.

Toutefois, des questions politiques ont conduit en 2009 à la création du pro-gramme fédéral Minha Casa, Minha Vi-da [Ma Maison, Ma vie], face auquel Bonduki émet plusieurs réserves. Il évoque l’existence d’un « système de fi-nancement et d’aides aux sources per-sonnelles, très robuste et sain ». Mais il affirme aussi que l’on a « cherché à asso-cier la création d’emplois et la croissance économique avec l’agenda de l’habitat sans agir sur les questions foncière et urbaine, ce qui a donné lieu à des résul-tats contradictoires ». L’auteur prévoit comme résultat une aggravation des pro-blèmes de mobilité, de sécurité et d’en-vironnement. Pour lui, il est urgent de remplacer l’aspect quantitatif par le qua-litatif, comme l’ont fait les « pionniers » – et pour cela, il faut aujourd’hui que les pouvoirs publics traitent sérieusement du problème foncier ». n

70 z édition spéciale novembre 2015

Des données sur la population révèlent une banlieue plus

hétérogène dans la région métropolitaine de São Paulo, avec plus de

proximité entre les classes moyennes et les classes pauvres et des

zones encore plus exclusives pour les classes aisées

Les nouvelles

configurations dela métropole

au cours de ce siècle, un évé-nement non prévu à la fin du siècle dernier s’est pro-duit au niveau des normes de ségrégation résidentielle

de la région métropolitaine de São Pau-lo. La métropole connaît toujours une ségrégation intense, mais elle n’a pas vécu la tendance attendue de polarisa-tion d’espaces et de structure sociale. Si l’exclusivité des zones habitées par l’élite a augmenté, le reste de la ville a connu un processus d’altération qui a fait d’elle une ville plus hétérogène. Pour Eduardo Marques, professeur du Département de science politique de la Faculté de Phi-losophie, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de São Paulo (FFLCH-USP) et chercheur du Centre d’Études de la Métropole (CEM), un des Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) soutenus para le FAPESP, « l’hy-pothèse de la polarisation sociale conti-nue, exprimée en métaphores célèbres telle que ‘ville divisée, ne s’est pas véri-fiée à São Paulo. [...] La dynamique de la structure sociale a montré une véri-

table polarisation occupationnelle dans les années 1990, mais la situation s’est complètement inversée dans les années 2000. Par rapport à ce qui était attendu, la métropole a moins changé et d’une manière différente ».

Le tableau qui se dessine confirme un diagnostic surgi dans les années 1990 sur les grandes tendances urbaines liées aux transformations du capitalisme apparues dans les années 1970, comme la forma-tion d’un groupe social de très riches et la création de bulles immobilières qui allaient abriter des centres de direction des affaires. Néanmoins, les effets de la désindustrialisation qui a débuté à cette période – avec l’essoufflement d’activi-tés intermédiaires sur l’échelle produc-tive, en particulier fordiste (modèle de production industrielle massive) – ne se vérifient pas totalement dans l’étude des changements des dernières décen-nies à São Paulo.

La présence relative de l’industrie s’est réduite en faveur du commerce et des services, un secteur qui a généré 800 000 emplois dans la région métropolitaine de

SOCIOLOGIE y

São Paulo [en portugais, Grande São Pau-lo] pendant les années 2000. Pas à cause de l’essoufflement de l’activité, comme dans d’autres pays, mais parce que le sec-teur s’est déplacé vers d’autres régions – dont les « macrométropoles » de Cam-pinas et São José dos Santos. En outre, l’activité fordiste est encore la classe la plus nombreuse (ouvriers qualifiés) de la métropole au recensement de 2010, même si elle est « en chute en raison de la croissance des professionnels et des classes moyennes ». L’impact sur la carte de la ségrégation sociale est important : les classes qui ont proportionnellement le plus augmenté ont eu tendance à se déconcentrer pendant la première dé-cennie de ce siècle, tandis que celles qui ont diminué (celles des plus riches) sont devenues encore plus exclusives.

Marques est arrivé à cette conclusion dans une étude basée sur les données des recensements de 1991, 2000 et 2011. Son article intitulé Estrutura social e segrega-ção em São Paulo : Transformações na de-cada de 2000 [Structure sociale et ségré-gation à São Paulo : Transformations dans p

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Au centre de São Paulo, un immeuble occupé par des SDF (au fond) à proximité du métro, dont les vitres reflètent un bâtiment tout juste réformé : la ville a moins changé que ce qui était prévu et d’une manière différente

72 z édition spéciale novembre 2015

classes au sommet de la structure. D’une manière générale, les élites présentent les taux les plus élevés de ségrégation et les classes moyennes les taux les plus bas.

C’est une des évidences de l’hypo-thèse de polarisation sociale : les effets locaux des processus mondiaux ne sont pas toujours les mêmes. Et Marques de poursuivre : « Au Brésil, après la res-tructuration des années 1990, ce siècle a apporté le retour de l’emploi, la crois-sance du travail formel et l’amélioration des salaires. Si l’on y ajoute les change-ments des modèles de croissance démo-graphique et l’investissement étatique en matière d’infrastructure, suivi d’une plus grande distribution de l’activité immobi-lière, l’ensemble a contribué à l’hétérogé-néisation de la banlieue ». Le chercheur observe que la période étudiée est anté-rieure au programme gouvernemental Minha Casa, Minha Vida [Ma maison, ma vie], qui a produit près de 130 000 logements dans la région métropolitaine de São Paulo depuis 2009.

Marques a utilisé comme paramètre statistique la classification EGP (des ini-tiales de ses créateurs, Erikson, Gold-thorpe et Portocarrero) adaptée au cas brésilien. Il s’agit d’un regroupement par catégories occupationnelles qui permet d’observer des oscillations « plus suaves, continues et durables » que celles exclu-sivement basées sur la scolarité ou le re-venu, par exemple. Un autre avantage de cette classification est qu’elle offre un terrain commun pour les débats interna-tionaux. L’une des activités du CEM est maintenue par un groupe de recherche comparative de modèles internationaux de gouvernance et de politiques publiques à São Paulo, Paris, Londres, Mexico et Milan. Le CEM dispose officiellement

maisons de Paraisópolis avec des immeubles de moumbi au fond : enclave d’ouvriers sur le territoire de l’élite

les années 2000] a été publié en décembre dans la revue Dados de l’Institut d’Études Sociales et Politiques (Iesp) de l’Univer-sité d’État de Rio de Janeiro (UERJ) et sera l’un des chapitres du livre São Paulo 2010 : Espaços, heterogeneidades e desi-gualidades na metrópole [São Paulo 2010 : Espaces, hétérogénéités et inégalités dans la métropole], dont le lancement est prévu en mai par la maison d’édition Unesp.

En ce qui concerne la distribution des habitants dans la métropole, l’étude signale un modèle d’évitement social confirmé par les indices de dissimilarité et de Moran (mesures de ségrégation résidentielle) et une distribution pro-portionnelle des classes dans la région métropolitaine. D’après Marques, « ce n’est pas seulement un groupe qui s’isole, même si les élites sont réellement les groupes les plus concernés par la ségré-gation, mais c’est une caractéristique de la structure de la ségrégation. [...] Les données suggèrent d’une manière assez éloquente que plus la distance sociale entre les classes est grande, plus la ségré-gation l’est aussi, d’où un modèle d’évi-tement dans les choix résidentiels des groupes qui peuvent payer des prix plus élevés pour le terrain ». La conclusion va dans le sens des études anthropolo-giques et sociologiques sur l’utilisation des espaces publics dans les villes, les copropriétés fermées et l’ascension des grands centres commerciaux.

En plus d’être intense, la ségrégation est fortement hiérarchisée, comme le

montrent les données obtenues avec l’indice de dissimilarité. « Le degré de différenciation est parfaitement organisé par classe », explique Marques. Avec cette progression, la dissimilarité est faible entre n’importe quel groupe et ses groupes voisins, mais elle croît consi-dérablement pour des groupes distants dans la structure. Dans un chapitre du livre qui sera lancé en mai, Danilo França précise également que la ségrégation n’est pas seulement socioéconomique. Elle est aussi ethnique-raciale – un fac-teur qui se superpose au facteur socioé-conomique vu qu’une hiérarchie combi-née est perceptible quand on tient simul-tanément compte des classes sociales et de la couleur de peau.

Un phénomène apparemment para-doxal et un des facteurs d’hété-rogénéisation des banlieues, dé-

jà étudié dans la littérature en tant que « proximité physique et distance sociale ». C’est notamment ce qui s’est produit (en conséquence de la dissémination) dans les zones périphériques avec les copropriétés fermées – déjà en soi hétérogènes parce qu’elles accueillent des classes dont le re-venu varie entre celui du haut de l’échelle et celui des classes moyennes. Dans la région métropolitaine de São Paulo, le phénomène a eu un impact significatif sur des zones périphériques comme celles des communes de Barueri, Cotia et San-tana de Parnaíba.

À l’échelle des indices de dissimilari-té, les distributions d’espace de la classe moyenne sont plus proches que celles des classes inférieures. Cet état de fait ren-force le constat d’un tissu mélangé dans la région métropolitaine de São Paulo, à l’exception de la ségrégation intense des

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« en dépit de discontinuités spatiales et d’une présence substantielle d’espaces moyens-mélangés, en particulier dans la zone est de la commune de São Pau-lo ». Le centre historique est un espace essentiellement moyen-mélangé, signe d’une popularisation de la zone par rap-port aux données du recensement de 2000. La « tâche » composée de l’élite sur la carte du centre élargi se situe au sud-ouest du centre historique (les ré-gions d’Higienópolis, Pinheiros, Jardins, Morumbi, entre autres). De 2000 à 2010 se sont ajoutées des régions en direc-tion de l’ABC Paulista, des expansions de Morumbi et la Vila Leopoldina, qui a connu un boom immobilier au cours de ce siècle.

cependant, la région du sud-ouest abrite deux enclaves d’ouvriers sur le territoire de l’élite : les deux

seuls bidonvilles de grande taille édifiés dans les limites du centre élargi, Paraisó-polis à l’ouest et le Complexe Heliópolis-São João Clímaco au sud-est. Dans un phénomène inverse, les régions de Ta-tuapé et de Santana sont aussi des petits espaces de l’élite, à l’est et au nord du ter-ritoire de concentration de l’élite. Quant aux centres de Guarulhos au nord-est et de Mogi das Cruzes à l’est, ils appa-

au premier plan, squelette d’immeuble à vila Leopoldina, zone Ouest de São Paulo. au fond, nouveaux immeubles érigés pendant le boom immobilier des premières années de ce siècle

de deux sièges : un au FFLCH-USP et un autre au Centre Brésilien d’Analyse et de Planification (Cebrap).

Ce que l’auteur classifie d’espaces moyens-bas mélangés, caractéristiques de l’hétérogénéité observée dans les régions périphériques, représente en moyenne la résidence de 71,6 % de la population appartenant aux classes d’ou-vriers (qualifiés et non qualifiés) habi-tuellement de faible scolarité, de techni-ciens et superviseurs. Le revenu de ces zones se situe entre moyen et faible. La population compte une forte présence de personnes métisses et noires (40 %) qui vivent surtout dans des maisons (9 % seulement en appartements) et dont les conditions d’infrastructure sont proches de la moyenne de la métropole (selon l’indicateur, parfois même supérieurs).

Dans la configuration géographique de la région métropolitaine de São Paulo observée avec le recensement de 2010, les espaces moyens-bas-mélangés se trouvent dans les régions périphériques

ProjetCEm – Centres d’études de la métropole (nº 13-07616-7) ; modalité Centres de Recherche, Innovation et Diffusion (Cepid) ; responsable marta arretche (ffLC H-uSP) ; Investissement 7 124 108,20 reais (pour l’ensemble du projet) (faPESP)

article scientifiquemaRQuES, E. « Estrutura social e segregação em São Paulo: transformações na década de 2000 ». DADOS-Re-vista de Ciências Sociais. v. 57, n. 3, pp. 675-710, 2014.

raissent comme des zones de classes moyennes-supérieures. À Guarulhos, des zones pas très éloignées du centre ont été popularisées.

L’étude de Marques s’insère dans une recherche plus vaste et de longue durée du CEM. Le livre prévu pour mai dia-logue avec São Paulo : Segregação, po-breza e desigualidade [São Paulo : Ségré-gation, pauvreté et inégalité], ouvrage organisé par Marques et par l’économiste Haroldo Torres (2005, édition Senac). Basé sur des données du recensement de 2000, cet ouvrage (de même que le prochain) est composé de chapitres coor-donnés entre eux sur des thèmes comme la croissance démographique, la ségréga-tion, les conditions d’accès aux politiques publiques, entre autres. Désormais les auteurs ont inclus les dimensions asso-ciées au marché du travail, à la race et à la mobilité urbaine. n Márcio Ferrari

74 | édition spéciale novembre 2015

Étoiles en zincL’amoncellement de petites étoiles bleues est le résultat

d’oxyde de zinc cristallisé en présence de nanoparticules d’or.

Ci-contre, les branches de l’étoile brisée sont en bleu et l’or se

trouve au centre, en jaune. Les images ont été prises à l’aide

d’un microscope électronique à balayage à effet de champ,

agrandies 80 mille fois et colorées par ordinateur par Eder

Guidelli, doctorant de la Faculté de Philosophie, Sciences

et lettres de Ribeirão Preto (FFCLRP), de l’Université de São

Paulo (USP). Guidelli, dont la thèse est dirigée par Oswaldo

Baffa, étudie l’application de la nanotechnologie en physique

médicale pour le développement de nanomatériaux utilisés

pour la détection de rayons X. Les photos ont été finalistes

du concours de Science as Art de l’édition 2013 du Materials

Research Society Fall Meeting à Boston, aux États-Unis.

Images envoyées par Eder Guidelli, de la FFCLRP-USP

Art

PUBLiÉ En SEPtEMBRE 2014