Numéro 26 – printemps 2010 André Comte-SponvilleQu’à cela ne tienne, Albin Michel est au...

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L’image la plus mystérieuse du monde C’est une véritable énigme scientifique : même si le Suaire de Turin est effectivement un faux médiéval, comme semble l’indiquer la datation au carbone 14 réalisée en 1988, au- cune des nombreuses investigations scientifiques qui ont été faites très sérieusement avant et après cette date n’a réussi à percer le mystère de sa formation. P. 10 Xavier Emmanuelli Albin Michel Numéro 26 – printemps 2010 LIRE PAGE 16 Jacqueline Kelen La spiritualité par l’histoire des grandes « amitiés célestes » P. 6 Martine van Woerkens Deux siècles de combats féministes en Inde P. 12 Les bonnes ondes de Caroline Eliacheff P. 14 L’auteur de Dernier Avis avant la fin du monde retrouve sa grande veine testamentaire en revisitant ses multiples combats contre la Mort. Il revoit tous ceux qu’il a tenté d’arracher aux griffes de cette Ennemie jurée et en même temps intime, et il imagine ce que pourrait être une médecine de l’homme dans sa globalité. En exprimant son inextinguible soif de Dieu, il nous fait découvrir comment un humanisme totalement engagé dans l’action peut ouvrir aussi sur une dimension sacrée. C ent un propos pour dire une phi- losophie de la joie : Le Goût de vivre. Telle est la vocation du nouvel ouvrage d’André Comte- Sponville, pour lequel il continue de suivre cette ligne de force qu’il avait com- mencé de tracer avec les Carnets de philo- sophie, puis avec Le Capitalisme est-il mo- ral ? et L’Esprit de l’athéisme : faire de la philosophie dans la langue de tous, la ren- dre vivante, actuelle et présente. Ce livre a commencé de se bâtir, sujet par sujet, dans les colonnes des journaux qui le sollicitent depuis des années. Il a puisé parfois son inspiration dans l’actualité, ou bien encore en répondant aux questions que lui adres- saient ses lecteurs dans le courrier qu’il re- cevait. Autant de matériel à employer pour répondre à cette impérieuse question, sans cesse reposée : comment trouver un sens à sa vie ? Réponse : en vivant, et en cultivant le goût de vivre – mais encore faut-il par- courir les cent un propos pour laisser cette réponse s’élaborer patiemment, gagner en puissance, nourrie par les richesses insoupçonnées que la pen- sée glane dans sa fréquentation du quotidien. Car, écrit André Comte-Sponville, « le goût de vivre s’ap- prend ou s’éduque, comme tous les goûts ». Suivant Spinoza, pour qui une chose est bonne dès lors que nous la désirons, ce n’est pas parce que la vie est bonne qu’il faut l’aimer : c’est pour qu’elle le soit, qu’il faut l’aimer. Aimer la sagesse de la vie, la vie de la sagesse, cette joie inépuisable, tel est le motif de cet ouvrage essentiel : « La sagesse et la vie sont donc une seule et même chose, ou plutôt la sagesse n’est que fidélité lucide à la vie, à son évidence, à ses joies. » André Comte-Sponville Propos sur la joie © Bruno Charoy SUITE PAGE 2

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L’image la plusmystérieuse du mondeC’est une véritable énigme scientifique : même si le Suairede Turin est effectivement un faux médiéval, comme semblel’indiquer la datation au carbone 14 réalisée en 1988, au-cune des nombreuses investigations scientifiques qui ont étéfaites très sérieusement avant et après cette date n’a réussià percer le mystère de sa formation. P. 10

XavierEmmanuelli

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Numéro 26 – printemps 2010

LIRE PAGE 16

Jacqueline KelenLa spiritualité par l’histoire desgrandes « amitiés célestes » P. 6

Martine van WoerkensDeux siècles de combatsféministes en Inde P. 12

Les bonnes ondesde Caroline Eliacheff

P. 14

L’auteur de Dernier Avisavant la fin du monderetrouve sa grande veinetestamentaire en revisitantses multiples combatscontre la Mort. Il revoit tousceux qu’il a tenté d’arracheraux griffes de cetteEnnemie jurée et en mêmetemps intime, et il imaginece que pourrait être unemédecine de l’homme danssa globalité. En exprimantson inextinguible soif deDieu, il nous fait découvrircomment un humanismetotalement engagé dansl’action peut ouvrir aussi surune dimension sacrée.

Cent un propos pour dire une phi-losophie de la joie : Le Goût devivre. Telle est la vocation dunouvel ouvrage d’André Comte-Sponville, pour lequel il continue

de suivre cette ligne de force qu’il avait com-mencé de tracer avec les Carnets de philo-sophie, puis avec Le Capitalisme est-il mo-ral ? et L’Esprit de l’athéisme : faire de laphilosophie dans la langue de tous, la ren-dre vivante, actuelle et présente. Ce livre acommencé de se bâtir, sujet par sujet, dansles colonnes des journaux qui le sollicitentdepuis des années. Il a puisé parfois soninspiration dans l’actualité, ou bien encoreen répondant aux questions que lui adres-saient ses lecteurs dans le courrier qu’il re-cevait. Autant de matériel à employer pourrépondre à cette impérieuse question, sanscesse reposée : comment trouver un sens àsa vie ? Réponse : en vivant, et en cultivantle goût de vivre – mais encore faut-il par-courir les cent un propos pour laisser cetteréponse s’élaborer patiemment, gagner en puissance, nourrie par les richesses insoupçonnées que la pen-sée glane dans sa fréquentation du quotidien. Car, écrit André Comte-Sponville, « le goût de vivre s’ap-prend ou s’éduque, comme tous les goûts ». Suivant Spinoza, pour qui une chose est bonne dès lors quenous la désirons, ce n’est pas parce que la vie est bonne qu’il faut l’aimer : c’est pour qu’elle le soit, qu’ilfaut l’aimer. Aimer la sagesse de la vie, la vie de la sagesse, cette joie inépuisable, tel est le motif de cetouvrage essentiel : « La sagesse et la vie sont donc une seule et même chose, ou plutôt la sagesse n’estque fidélité lucide à la vie, à son évidence, à ses joies. »

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2 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Entre l’exposition La Voie du Tao. Un au-tre chemin de l’être qui se tiendra auGrand Palais du 31 mars au 5 juillet, etl’Exposition universelle de Shanghaï quicommence le 1er mai, il faut nous at-

tendre à vivre un printemps médiatique très chinois.Qu’à cela ne tienne, Albin Michel est au diapason decette actualité, avec un catalogue spécifique et denombreuses nouveautés. Tout d’abord, un livret de24 pages intitulé Cinquante titres pour comprendrela Chine répertorie le fonds d’Albin Michel : la Chiney est abordée à la fois à travers ses spiritualités(taoïsme, confucianisme, bouddhisme, Yi Jing…),ses arts martiaux, son écriture, sa poésie, sa calli-graphie, avec des livres signés de Marcel Granet,Jean Levi, Cyrille Javary, François Cheng, Pierre-Jean Remy, Fabienne Verdier, Shan Sa… Du livre depoche au beau-livre, des sciences humaines aux ro-mans, il y en a pour tous les goûts.En outre, la saison éditoriale sera particulièrementchinoise chez Albin Michel, avec une variété de ti-tres présentés dans ce journal : des contes (Contesde la chambre de thé de Sophie de Meyrac, pré-facés par Henri Gougaud) ; un essai sur les arts

martiaux (L’Art du combat avec son ombre. L’espritdu chigong et du tai-chi, de Grégorio Manzur) ;une biographie-poème sur le poète chinois le plusfantasque et le plus attachant – au titre digne deson sujet (Li Po, l’immortel banni sur terre, buvantseul sous la lune, d’Hervé Collet et Cheng Wingfun) ; la réédition d’un grand classique à l’occasiondu 400e anniversaire de la mort du missionnaire jé-suite Matteo Ricci (Matteo Ricci, le sage venu del’Occident, de Vincent Cronin) ; un essai fonda-mental d’histoire économique (Une grande diver-gence. La Chine, l’Europe et la construction del’économie mondiale, de Kenneth Pomeranz) ; et, àparaître en juin, un nouvel essai magistral de CyrilleJavary sur les trois grandes sources d’inspiration dela civilisation chinoise – taoïsme, bouddhisme etconfucianisme (Les Trois Sagesses chinoises).Enfin, pour nous reposer de toutes ces savantes etinstructives lectures, nous pourrons ensuite com-mencer l’été avec une anthologie de poèmes chinoissur un thème approprié : L’Art de la sieste et de laquiétude, à paraître en juin en collection « Spiritua-lités vivantes ». ■

Jean Mouttapa

LE PHILOSOPHE ALAIN, ADMIRÉ DE

COMTE-SPONVILLE, s’était adonné à

ce genre si particulier qu’est le recueil

de chroniques. La contrainte du for-

mat fait se condenser la pensée, qui

tire alors toute sa force de la tension

vers la touche finale : l’envoi lumineux

qui vient révéler l’ensemble. Comte-

Sponville renoue ici avec cette tradi-

tion. À une nuance près : Alain avait

pour préférence l’idéalisme, c’est-à-

dire la prééminence de l’Idée sur la

chose, un goût pour les hauteurs pla-

toniciennes, pour l’idéal kantien, pour

l’éminence de la volonté cartésienne.

Comte-Sponville, lui, a élu plutôt Aris-

tote contre Platon, Épicure contre les

stoïciens, Spinoza contre Descartes :

le matérialisme plutôt que l’idéalisme.

Et vise plutôt la joie que le bonheur :

pour saisir ce qui se donne comme

présent et non poursuivre ce qui ne

cessera d’échapper, pour jouir de ce

qui est présent et non vivre dans l’at-

tente de ce que l’on croit promis.

CETTE MÉDITATION SUR LA JOIE EST

UNE MÉDITATION SUR LA VIE, qui se

décline en cent un petits tableaux

aussi délicats que ce tableau de Ver-

meer, que le philosophe commente

et qu’il a choisi pour illustrer la cou-

verture de son livre : La Liseuse à la

fenêtre. Une femme a reçu une lettre,

qu’elle lit dans la clarté de la fenêtre

ouverte devant laquelle elle se tient,

debout. Dans le recueillement silen-

cieux que suggèrent les teintes du

tableau, le spectateur contemple un

moment d’éternité : « Cela ressem-

ble à la paix, et c’en est une. Cela

ressemble à la vie, et c’est la vraie. »

Ce qui est écrit dans la lettre, on ne

le voit pas, son contenu ne nous est

rendu lisible qu’à travers la tension

du corps penché vers la feuille de

papier. Une attention sereine qui

confère à ces signes inscrits toute

leur valeur. Voilà ce que montre ce

tableau : la valeur des choses vient

aussi du temps que nous leur ac-

cordons, de l’éclairage que nous leur

offrons, du sens que nous leur don-

nons. Qu’y a-t-il au fond dans cette

lettre ? Et si c’était la vie même, nous

invitant chacun à déchiffrer son

contenu avec cette sereine attention

et nous remplir de la joie qu’il nous

donne ?

CAR LA JOIE DEMEURE, qui est désignée

dans ce livre comme cette œuvre rare

et précieuse qu’il nous faut accomplir :

harmonie d’un corps qui compose

avec le monde qui l’entoure. Comme

ces symphonies de Beethoven et son

Hymne à la joie, dont parle le philo-

sophe et qui lui ont rappelé un jour,

larmes aux yeux, qu’il fallait aimer et fré-

quenter ce que le monde avait de plus

beau ; entreprendre de vivre avec cette

puissance née de la joie de ce qui est

aimé ; goûter chaque instant de la vie,

à commencer par celui-ci. ■ A.-S. J.

SUITE DE LA PAGE UNE

Éditorial4 ■ Jean Baumgarten

■ Un livre, un éditeurpar Claire Delannoy

5 ■ Marc-François Lacan■ La presse en parle…

Profession imâm

6 ■ Anselm Grün■ Trois questions à…

Jacqueline Kelen

7 ■ Fabrice Midal■ Denis Marquet■ Arnaud Desjardins

8 ■ Tai-chi■ Matteo Ricci

9 ■ Kenneth Pomeranz■ Li Po■ Contes de la Chine

10 ■ Le Suaire de Turin

12 ■ Ysé Tardan-Masquelier a lu…

13 ■ Homoparenté■ Dépression.

La maladie du siècle

14 ■ Violences conjugales■ Caroline Eliacheff

15 ■ Le Big Bang, et après ?■ George Steiner■ La biodiversité

16 ■ Xavier Emmanuelli

Sommaire

Le Goût de vivreet cent autres proposAndré Comte-Sponville416 pages, 20 €■ Du même auteur :L’Esprit de l’athéisme224 pages, 16 €

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3L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

F reud bien sûr, Jung, LouAndréas-Salomé, Einstein,Gödel, Lukács, Ernst Mach,

Pauli, Rilke, Wittgenstein sontquelques-unes de ces figures mar-quantes qui n’ont, a priori, pasgrand rapport entre elles. Mais est-ce bien sûr ? Cette effervescenceunique qui fait naître, dans unemême unité de temps et de lieu tantd’intuitions fondamentales n’est-elle que simple coïncidence ? Syn-chronicité, aurait dit Jung. Mais ils’agit de bien plus que cela. Trois Ex-plications du monde, le passionnant« roman » de Tom Keve, nous en li-vre les clefs, pour notre plus grandétonnement.

« ROMAN » ENTRE GUILLEMETS, parceque si la trame en est (magistrale-ment) romanesque, et les dialoguesnon attestés, l’assise historique etdocumentaire en est on ne peutplus assurée. Et, certes, le recoursaux correspondances, entre autres,n’est pas superflu pour étayer le

propos explosif de ce livre : tousces esprits se connaissaient, dialo-guaient, s’influençaient, compre-naient que les nouvelles sciencesqu’ils mettaient au jour partageaientun esprit commun. Plus encore, cetesprit commun n’était pas « l’espritdu temps », mais un souffle bienplus ancien, incarné quelques gé-nérations plus tôt par une figurerabbinique majeure, Rabbi MoïseSchreiber, dit le Chatam Sofer, etses élèves. Le Chatam Sofer, hé-rault du judaïsme strictement or-thodoxe face au judaïsme réforménaissant, était aussi et surtout untalmudiste d’une puissance intel-lectuelle rare, un kabbaliste che-

vronné, élève du mystique RabbiNathan Adler, et un amateur desciences exactes. Quel rapportavec la psychanalyse et la physiquequantique ? Tout simplement, laplupart de ces penseurs étaient desdescendants des principaux élèvesdu Chatam Sofer – et ils en étaientconscients. Même Niels Bohr, chefde file de l’École de Copenhagueen physique quantique, qu’ons’imaginerait facilement en Vikingde pure souche, se rattachait àdeux illustres généalogies de tal-mudistes, les Adler et les Schiff.Seul Jung semble perdu dans ce« club yiddish » – ce qui constituel’un des pivots du livre. Ainsi queFerenzci le lui lance, à propos duZohar : « Lisez-le, mon ami. Freudl’a lu. (…) Quoique. Quand bienmême vous le liriez, cela ne seraitpas pareil. Le Zohar coule dans sesveines comme il ne coulera jamaisdans les vôtres. »

DE CETTE DÉCOUVERTE GÉNIALE, TOM

KEVE TISSE UN ROMAN FASCINANT.S’il est nominalement centré sur lepersonnage de Ferenczi, élève deFreud, son véritable héros ne s’in-carne pas dans des individus maisdans des réseaux, intellectuels etgénéalogiques. En cela, la narra-tion épouse son sujet : psychana-lyse, physique quantique et kab-bale sont toutes trois fondées surl’idée que ce ne sont pas lesatomes de réalité qui constituent leréel, mais leurs interactions. Il enrésulte une œuvre unique, qui feradate, à n’en pas douter. ■

Les premières décennies du xxe siècle ont vu naître des révolutions scientifiques majeures :

psychanalyses freudienne et jungienne, physiques einsteinienne et quantique, mathématiques

fondamentales, philosophie analytique… Leur foyer : la Mitteleuropa, entre Vienne et Prague,

vivier intellectuel d’une richesse étourdissante et scène du roman de Tom Keve.

Les racines kabbalistiquesde la modernité

ROMANQuandla guerrebroieles enfants

Roger Bichelberger est un auteurà part dans le paysage littérairefrançais d’aujourd’hui. Loindes modes éphémères, il tracepatiemment le sillon d’une œuvreancrée dans la grande traditionclassique. La Fille à l’étoile d’or peutêtre lu comme le contrepoint de sonroman Le Déserteur, maintes foisrécompensé. En août 1945, Ansgar,un jeune Allemand de 16 ans estprisonnier de guerre dans un camp

américain deNormandie.Ce déserteurde l’arméeallemande,où il avait étéenrôlé de force,se voit traitéen ennemi.Pourtant, né à

Aix-la-Chapelle dans une famille decatholiques convaincus et antinazis,il n’a connu que la peste brune,l’embrigadement à l’école et l’effroide voir disparaître leurs voisinsjuifs, dont la petite Elsa, « la fille àl’étoile d’or »… Accroché ausouvenir de sa « petite reine juive »,prince amoureux et inconsolable,il demeurera à jamais hanté parcette question sans réponse :comment réparer l’irréparable ?Peu de romans ont pris pour sujetces opposants anonymes au IIIe

Reich, ceux que leur conscience ouleur foi empêchaient d’adhérer.L’auteur s’est inspiré du témoignagepersonnel d’un de ses lecteursallemands pour nous livrer cettehistoire poignante et belle, qui paraîtsimultanément en Allemagne. ■

ROMAN

La Fille à l’étoile d’orRoger Bichelberger176 pages, 15 €■ Du même auteur :Noëls pour un enfant perdu238 pages, 16 €Le Déserteur176 pages, 15 €

Trois Explications du mondeTom Keve560 pages, 25 €

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4 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

«L’obscurité dans laquelle nous restons tous, pauvres humains,de ce que nous n’osons pas nous avouer, de nos désirsd’amour ou de meurtre, d’oubli ou de mémoire, de notre peur

d’aimer, de notre peur de la mort, cette obscurité forme le substrat del’œuvre de Proust », écrit Diane de Margerie dans cet essai aussi per-sonnel que clairvoyant où sa connaissance de l’œuvre et le regardqu’elle lui porte permettent au lecteur de pénétrer de plain-pied dans l’uni-vers proustien. Qu’est-ce qu’un roman, qu’est-ce qu’une œuvre littérairesinon l’invention d’un monde qui a certes à voir avec une réalité objec-tive, mais qui la métamorphose et la trahit sans cesse ?

LA TANTE LÉONIE de La Recherche, qui n’a que peu à voir avec latante paternelle, Elisabeth Amiot, qui meurt d’un cancer à cinquanteans quand Marcel en a quatorze, ou encore cette scène capitale dela chambre de Combray où Marcel attend le soir le baiser maternelet d’où il a évacué son frère Robert de deux ans son cadet, sont au-tant d’exemples de re-création littéraire. Marcel a l’amour exclusif :lui, le jaloux, ne cesse de raviver un délire de possessivité que seulsle mensonge et la mort peuvent exprimer.Et ces mensonges, cette obsession de l’enfance, ces rapports am-bigus avec la mère et la nécessité de survivre à travers l’écriture,Diane de Margerie les explore dans La Recherche mais aussi dansses œuvres antérieures, Les Plaisirs et les Jours et Jean Santeuil.Il y a aussi toutes les métaphores inquiétantes du jardin imaginairede Combray, tous les personnages féminins, ces « Gomorrhéennes »qui, d’Odette à Mme Verdurin, fascinent le narrateur, les rêves par-ricides et criminels qui le hantent, ce goût pour le travestissementet la dissimulation, ses auteurs de prédilection, Baudelaire ou Tho-mas Hardy, chez qui il reconnaît ses propres hantises. La région ima-ginaire du Wessex tient chez Hardy une place aussi importante queCombray dans l’œuvre de Proust. Et puis il y a l’œuvre de GustaveMoreau, sur lequel Proust a écrit admirablement, une œuvre quimontre autant qu’elle dissimule au centre de sa maison-musée où,nous dit l’auteur, il y a la même omniprésence de la mère et autantde femmes mystérieuses. De tours en détours, c’est une vision iné-dite de Proust qui apparaît, un Proust violent, loin de l’homme pleinde langueur, dont on entrevoit les paradoxes, les failles, les pulsions,

la révolte et la peur de la mort. Commedans son essai sur George Sand, Au-rore et George (prix Médicis 2004),par ces arrêts sur images, ce génie dudétail et de l’analyse, Diane de Mar-gerie nous permet d’accéder mieuxque par une biographie au cœurmême de l’œuvre de Proust et d’encomprendre l’extrême modernité. ■

Proust et l’obscur

par Claire Delannoy

Un livre, un éditeur

Médaille d’argent du CNRS,Jean Baumgarten poursuitson œuvre pionnière d’ex-

ploration de la culture yiddish. Sondernier ouvrage, Le Peuple des livres,est la première somme en langue fran-çaise sur l’histoire des imprimeriesjuives et du livre en langue yiddishdans la société ashkénaze en Europe,à l’époque prémoderne. Si l’imprimerieyiddish a souvent été considéréecomme « populaire », donc bienmoins digne d’intérêt que la presti-gieuse imprimerie hébraïque, JeanBaumgarten montre qu’elle n’a pasété moins inventive ni moins riche. Sesréseaux de diffusion nous rensei-gnent sur un univers historique mé-connu, actif d’Amsterdam à Cracovieen passant par Venise, celui des au-teurs, des éditeurs, mais aussi desmécènes ou encore des colporteurs.Le livre yiddish a entraîné de profondesmutations culturelles dans la sociétéashkénaze, entretenant une relationcomplexe et enrichissante avec lestextes fondamentaux de la tradition,renforçant l’identité juive et accom-pagnant ses grandes mutationsjusqu’à l’entrée dans la modernité.

LE NOUVEAU VOLUME DE LA SÉRIE « LA

SOURCE DE VIE », de Josy Eisenberg,Livres de vie, nous fait découvrir un au-

tre versant de ces aventures littéraires.Au cours du dernier tiers de siècle,Josy Eisenberg a reçu dans son émis-sion du dimanche matin de nombreuxgrands écrivains, juifs comme non juifs,pour parler de la Bible, de Dieu, de lit-térature, et même de bande dessinée.Ce volume nous fait revivre les ren-contres les plus mémorables, avec no-tamment Albert Cohen et Marcel Pa-gnol, Jean Blot et Claude Lanzmannà propos de Belle du Seigneur, Jeand’Ormesson sur le temps, l’Ecclésiasteet Job, ou encore Joan Sfar. On se dé-lecte notamment de retrouver la com-plicité écolière de Pagnol et Cohen, devoir ce dernier parler comme dans seslivres, avec des phrases au longrythme méditerranéen… ■

Le peuple de l’écritVIE DU LIVRE

Souvent surnommés le « peuple du Livre », les juifs ont depuis

toujours aimé l’écrit, sous toutes ses formes. De manières très

différentes, Jean Baumgarten et Josy Eisenberg nous

montrent en quoi la lettre est indissociable de l’esprit.

Le Peuple des livresJean Baumgarten576 pages, 25 €■ Du même auteur :Le Yiddish, histoired’une langue errante288 pages, 8 €La Naissance du hassidisme656 pages, 27 €

Livres de vieJosy Eisenberg176 pages, 15 €■ Du même auteur :La Cabbale dans tous ses états192 pages, 15 €Dieu et les juifs176 pages, 15 €

Proust et l’obscurDiane de Margerie240 pages, 19,50 €

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5L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

La presseen parle ■ ■ ■

des moyens pour obtenir les pre-mières. Je n’aime pas ces moyenspour eux-mêmes ; je les utilise pourparvenir à ce que j’aime.” À la fin deson séminaire L’Éthique de la psy-

chanalyse, Jacques Lacan intro-duisait une distinction analogue : “Iln’y a d’autre bien que ce qui peutpermettre de payer le prix pour l’ac-cès au désir.”

MARC-FRANÇOIS LACAN NE SE SITUE

JAMAIS DANS UNE POSITION APOLO-GÉTIQUE. Il ne cherche absolumentpas à récupérer pour la religionl’œuvre de son frère. Au contraire, ilmaintient l’altérité de leurs engage-ments respectifs (…) Il allie uneperspective chrétienne à une trèsgrande liberté d’esprit (…) S’inter-rogeant sur la vie, [il] défend laconception d’une vie “vécuecomme une réalité dont l’expé-rience va nous faire découvrir nonpas comment la concevoir, maisplutôt comment l’inventer”. Nousretrouvons là une résonance avecl’approche psychanalytique inau-gurée par Freud, dans laquelle lesens est à faire, le sens n’est pas là(…) Le sens est à produire dans letâtonnement inhérent de la relationà l’autre, car l’autre demeure tou-jours énigmatique. Ce que Marc-François Lacan dit de la relation àl’autre, dans laquelle toujours l’Au-tre s’interpose, rejoint l’expérienceanalytique dans laquelle on ne dé-couvre pas une histoire déjà ins-crite, mais où l’on écrit sa proprehistoire. On l’écrit à partir des re-trouvailles avec les traces deson passé qui ne sauraientnous définir à jamais.

Tous deux [les deux frèresLacan] sont attachés à unerecherche sur l’autre et sur

la relation à l’autre, cet autre quel’on ne peut arraisonner, parce quetoujours s’interpose dans la rela-tion une altérité fondamentale.Cette question de l’altérité, Marc-François l’aborde à partir de l’op-position qu’il relève chez saint Au-gustin entre uti (user) et frui (jouir).Dans “Une présence dont je peuxjouir”, conférence qu’il donne àStrasbourg le 9 avril 1987, Marc-François Lacan développe ainsi sapensée : “Les réalités dont je puisjouir sont celles qui peuvent être ai-mées pour elles-mêmes. Les au-tres, celles dont je peux user, sont

Les frères Lacan,le moine et le psychanalyste

CHRISTIANISME

« Mon frère en religion » : ainsi Jacques Lacan qualifiait-il son frère cadet Marc, qui était

entré au couvent sous le nom de Marc-François – un moine qui a marqué tous ceux qui

l’ont rencontré, y compris Marie Balmary qui s’est inspirée de leur relation intense pour

imaginer une rencontre singulière entre Le Moine et la Psychanalyste (2005). Jacques

Sédat a présidé, avec l’actuel abbé de Ganagobie, à l’édition des écrits de Marc-François

Lacan, disparu en 1994. Extrait de sa lumineuse préface au premier volume de ces écrits.

■ Tareq Oubrou,enfant des Lumièreset du Prophète…

Le Nouvel ObservateurJean-Jacques Chiquelin

■ On n’a pas affaire seulementà un intellectuel réformateurmais au responsable religieuxd’une communauté locale,appelé quotidiennementà résoudre des questionsprécises : c’est tout l’intérêtde ce livre.

Le MondeRobert Sole

■ Pour Tareq Oubrou, la foimusulmane doit s’adapterau contexte occidental.

Le Pèlerin

■ Tareq Oubrou,un inclassable autodidacte.

Le Monde des religionsMacha Fogel

■ Ce livre, qui apportedes informations trèsconcrètes sur l’islam, estd’un niveau largementsupérieur à bien des essaisqui encombrent les rayonsde nos librairies.

Témoignage chrétienJérôme Anciberro

Dieu n’est pas un assureurMarc-François Lacan224 pages, 15 €

Profession imâmTareq OubrouEntretiens avec C. Baylocqet M. Privot256 pages, 16 €

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6 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Une vied’amouret d’écriture

BIOGRAPHIE

Jacqueline KelenJacqueline Kelen, essayiste, conférencière, auteur entre autres de L’Esprit de solitude et deDivine Blessure, a publié un très bel essai sur les grandes amitiés qui ont émaillé l’histoire duchristianisme, de Paul de Thèbes et Antoine de Nazianze à Teilhard de Chardin et Lucile Swanen passant par Ignace de Loyola et François Xavier, Thérèse d’Avila et Jean de la Croix ouencore Fénelon et Madame Guyon.

Qu’est-ce qui vous a amenéeà travailler sur ce thèmedes « amitiés spirituelles » ?Le thème de l’amitié m’a toujoursintéressée parce que ce n’est passeulement une relation entre deuxpersonnes mais un chemind’élévation et de perfectionnement.L’amitié spirituelle, qui existedans toutes les traditionsspirituelles et particulièrement dansle christianisme, est quelque chosede rare. Elle est un peu le « ciel »de toute relation – amoureuse,conjugale… – et indique laprésence du divin au cœur d’unerelation concrète et sensible. Etpuis, j’aime cheminer avec les« grands vivants », même si je nepartage pas toujours leurs valeurs.En effet, ces personnalités sontsouvent de grands voyageurs, desfondateurs d’ordres à lacorrespondanceprolixe –certains ont

écrit plus de cinq mille lettres dansleur vie, ce qui nous paraîtsurhumain. J’aime ces hommes etces femmes qui savent ne pas secontenter d’une « petite vie ». Enfin,j’ai été fascinée de rencontrerbeaucoup d’amitiés entre hommeset femmes, ce qui constitue un défiet une noble aventure : quel est cepoint de conjonction qui dépasse lasimple relation humaine et lui faitéchapper – non sans difficultés – àla trivialité de la relation sexuée ?

Même au sein du christianisme,vous montrez que ce typede relations est beaucoup plusprégnant dans le catholicismequ’en milieu protestant.Comment l’expliquez-vous ?Je me suis posé la question, et jen’arrive pas à me l’expliquer. J’aipourtant interrogé beaucoup d’amisprotestants ou encore orthodoxes,

et je n’ai pas trouvé là une tellerichesse. Les suggestions de

mes lecteurs seront lesbienvenues ! Reste que sile christianisme, dans sa

globalité, est plusréceptif à l’amitié, cela

tient sans doute à laparole de Jésus dansl’Évangile de Jean : « Je

ne vous appelle plusdisciples, maisamis. » Réciprocitéde la relation entreJésus et les apôtres,cette amitié est le

reflet sur terre de l’amour divin – cequi est sans doute le messageessentiel du christianisme. Resteque je ne sais pas pourquoi cetteamitié n’est pas, à maconnaissance, magnifiée dans lesautres traditions chrétiennes autantque dans le catholicisme alorsqu’elle est bien présente dans lechristianisme antique.

Au terme de cette étude,iriez-vous jusqu’à dire que l’amitiéest une condition sine qua nonde l’aventure spirituelle ?Oui, parce que s’il y a certes destrajectoires solitaires, celles-ci sonttrès périlleuses et parfoisdesséchantes, vouées au désespoir.J’aime citer la béguine Mechthildede Magdebourg : « Je choisis mescompagnons terrestres commecompagnons d’éternité. » L’amitiéest l’aspect proprement humainindispensable à toute aventurespirituelle. Mais il ne s’agit passeulement de vivre en groupe ou encommunauté : l’amitié est unerelation d’élection, une préférencesouvent inexplicable – pourquoi lui,pourquoi elle ? – qui vise le divin ets’achemine vers lui. C’est un pan duciel qui se reflète sur terre. ■

Trois questions à ■ ■ ■

B ien des lecteurs de L’Homme enQuestion sont familiers de l’œu-vre d’Anselm Grün ; sans doute

certains d’entre eux y ont-ils trouvé uneécoute précieuse, un soutien dans lavie. Mais quelle âme se cache vérita-blement derrière ce visage barbu demoine jovial ? Tel est le point de départde la belle biographie que lui consacrele journaliste Freddy Derwahl. On dé-couvre ainsi que le jeune Grün, élevédans l’atmosphère sereine et reli-gieuse de la petite villede Lochham, à la péri-phérie de Munich, confiaà son père, dès l’âge dedix ans, sa vocationnaissante. Le SecondConcile du Vatican, en1962, ne fit que confor-ter le jeune Anselm Gründans sa vocation de prê-tre. Haut lieu du débat qui divisait alorsl’Église, l’institut romain de San An-selmo, où il fit ses études de théolo-gie, exerça sur le jeune moine une in-fluence déterminante. Il entre àl’automne 1964 à l’abbaye de Müns-terschwarzach, de tradition mission-naire. Depuis le silence de son mo-nastère bavarois, le bénédictin AnselmGrün a changé la vie de dizaines demilliers de personnes. Auteur prolifique– environ 300 titres traduits en 32langues –, il fait partager à chacun sesdons d’écoute et d’accompagne-ment, souvent avec des êtres en dé-tresse. Son ambition n’est ni littéraireni stylistique, mais spirituelle ; il s’agitd’être compris par tous, de rendre au-dible le message de la foi en mêlantspiritualité et expérience vécue. En re-liant la vie à l’œuvre, cette biographiepermet d’approfondir les deux. ■

Anselm Grün,une sagesse pour tousFreddy Derwahl266 pages, 18 €

Les Amitiés célestesJacqueline Kelen308 pages, 18 €

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7L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

On croyait tout savoir surl’amour, ses romances, sespoèmes, ses tyrannies et ses

plaisirs. Mais était-ce bien là la réalitéde l’amour, ou n’en était-ce que le mi-rage ? Que savons-nous de l’amouren vérité ? Savons-nous le commentet le pourquoi de l’amour ? Pourquoinous égarons-nous si souvent etnous restreignons-nous ? Ces ques-tions ne cessent de se poser à tous.

LE PHILOSOPHE ET DISCIPLE BOUD-DHISTE FABRICE MIDAL tente d’y ré-pondre à partir de la tradition occi-dentale et des sagesses orientales. Ilnous entraîne à la découverte desdifférentes facettes de l’amour et enexplore les vertiges, en mettant à malnombre d’idées reçues. Chaque in-dividu est doué d’amour, malgré les

obstacles apparemment insurmon-tables. Retrouver un chemin dansl’amour, reconnaître le point tendredu cœur, accepter nos imperfectionset en faire autant de chances pournous ouvrir réellement, telle est l’invi-tation de ce livre qui nous aide à en-trer dans l’immensité de l’amour. Uneinvitation double : partir à la décou-verte de textes fondateurs, parfoisméconnus, tels ceux de Sapho ou deMadame Guyon. Et également prati-quer de véritables exercices spirituelspour s’ouvrir enfin à l’amour véritable.Un programme que résume ainsi Fa-brice Midal : « Il est temps de se met-tre en route en sachant cependant qu’ilne s’agit pas d’être malin, ni d’être in-telligent, mais de se disposer à unetâche plus simple, qui est aussi beau-coup plus difficile : ouvrir son cœur. » ■

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La sagessed’aimer vraimentESSAI

S i le philosophe et l’essayiste di-vergent dans leur approche, leurdiagnostic est identique : notre

société est malade, rongée par desimpensés délétères.

POUR DENIS MARQUET, LES NOTIONS

CLÉS DE L’HUMANISME MODERNE –subjectivité, raison, savoir, autono-mie, libre arbitre… – reposent sur lacroyance cachée selon laquelle dire« Non » serait le propre de l’homme.À travers de courts dialogues incisifs,il nous démontre au contraire que cequi nous différencie réellement dumonde animal est notre capacité àdire « Oui », notamment à la trans-cendance.Jean-Louis Servan-Schreiber part, lui,d’un constat : nous avons tous l’im-pression de manquer de temps. L’ur-gence de l’action, de la décision, do-mine l’horizon des dirigeants commecelui des citoyens. Tout fonctionne àcourt terme, que ce soit en politique,dans notre relation aux autres ou,plus grave encore, en écologie. Tropvite ! s’appuie sur les réflexions et

exemples que des experts et acteursqualifiés dans différents domaines ontélaborés au gré de leurs expériences.À sa lecture, chacun se sentiraconfronté à des interrogations in-times, souvent occultées, sur sa ma-nière de vivre. ■

Malaisedans la civilisationSOCIÉTÉ

De la chenille au papillon…DIALOGUE

On dit souvent qu’« on ne changepas sa nature ». Mais la naturemême de l’homme est juste-

ment de pouvoir changer : nous avonstous l’expérience de ces améliorationset de ces développements. En re-vanche, une transformation d’un autreordre, une métamorphose au sens pré-cis du terme, a été proposée partoutes les civilisations d’Orient et d’Oc-cident, à travers la transmission d’en-seignements et de méthodes connuessous le nom de traditions initiatiques ou

encore définies comme la Voie, leChemin. L’« Éveil » ou « Libération »,puisque c’est cela qui est visé, ne s’at-teint pas par une doctrine, mais à tra-vers une « réalisation », vérification parl’expérience personnelle de la naturespirituelle de l’être. Arnaud Desjardins,célèbre pour l’enseignement œcumé-nique qu’il a su élaborer à partir de sesvoyages en Orient, et Jean-LouisCianni, philosophe, méditent ensem-ble sur les métamorphoses possiblesde l’être. ■

Éléments de philosophie angéliqueDenis Marquet320 pages, 19,50 €Trop vite ! Pourquoi sommes-nousprisonniers du court-terme ?Jean-Louis Servan-SchreiberMai 2010

Et si de l’amour on ne savait rien ?Fabrice Midal256 pages, 17 €

Oui, chacun de nous peutse transformerArnaud Desjardins,entretiens avec Jean-Louis Cianni176 pages, 16 €■ Des mêmes auteurs :Ashrams, grands maîtres de l’IndeArnaud Desjardins216 pages, 16,50 €La philosophie comme remèdeau chômageJean-Louis Cianni216 pages, 15 €

Notre crise contemporaine n’est pas qu’économique,

c’est devenu une évidence. Deux auteurs tentent

d’en explorer les causes profondes :

Denis Marquet et Jean-Louis Servan-Schreiber.

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8 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Dans le taoïsme commedans les arts martiaux, ex-

plique la sinologue dans cette ad-mirable préface, le maître demandaitsouvent à l’élève de prendre desnotes sur ce qu’il ressentait danssa pratique, sur ses expériences,ses progrès, ses doutes, sur lechangement de ses perceptions delui-même ou des autres. Car si latransmission s’effectue en Chine parl’imitation d’un modèle, elle se fondeaussi sur des formules souventconsidérées comme secrètes quiservent de points de repères au

cours de l’apprentissage (…) Mal-heureusement ces notes manus-crites n’étaient pas destinées à êtreimprimées et très peu sont parve-nues jusqu’à nous. Par chance,L’Art du combat avec son ombre li-vre cette démarche que les élèveschinois notaient dans leurs cahiers :dans son récit, Grégorio Manzur dé-crit certaines étapes du développe-ment de sa puissance intérieure,ses doutes, ses embûches et, dansune correspondance qu’il a tenueavec Gu Meisheng, il nous dévoileune partie de son questionnement

et la façon dont le maître attestait ouinfirmait la justesse du processus.Cet ouvrage présente certes deséléments techniques du tai-chich’üan, notamment des exercicesde base, mais toujours comme sup-port au cheminement spirituel et à laquête de chaque instant quiconstituent la véritable al-chimie intérieure du soi.

Le secret des arts martiauxRÉCIT

Que Catherine Despeux, la grande spécialiste du taoïsme, ait accepté de préfacer

le dernier livre de Grégorio Manzur sur le tai-chi et le chigong dit bien l’intérêt et le sérieux

de ce témoignage exceptionnel.

L’Art du combat avecson ombre. L’Espritdu chigong et du tai-chiGregorio Manzur256 pages, 17 €.

Redécouvrir un classique d’Albin Michel

Matteo Ricci, le sage venude l’Occident de Vincent Cronin

On fête cette année le quatre centième anniversaire de la mort du jésuite Matteo Ricciet de sa mise en terre à Pékin. Cette dernière précision serait anecdotique n’était le faitque, sous les Ming, aucun non-Chinois ne pouvait être enterré en Chine. Mais l’Empiredu Milieu avait admis le jésuite italien comme l’un des siens. Missionnaire mais pasconquérant, il s’était assimilé à la culture chinoise au point d’adopter l’habit des lettrésconfucéens. Pour lui, chaque civilisation portait en elle les germes d’une véritécommune et, s’il était souhaitable que les Chinois viennent – d’eux-mêmes – aucatholicisme, les Européens avaient beaucoup à apprendre de la sagesse chinoise. La biographie classiquede Vincent Cronin nous fait revivre, comme un roman, l’épopée extraordinaire de cet aventurier de l’esprit.Fondé sur des sources rares, telles que la correspondance de Ricci, il nous permet de comprendre pourquoi,aujourd’hui encore, cette figure singulière est tenue en haute estime par les Chinois – et pourquoi le souvenirde ce premier Occidental sinisé devrait être mieux entretenu chez nous.

378 pages,15 €

La Chine,terre dessyncrétismes

RELIGIONS

La spiritualité chinoise, commebien des aspects de cette culture,échappe à nos catégories occi-

dentales. Les notions de religion, dedieu, de philosophie ont-elles un sensdans l’Empire du Milieu ? À l’heure oùle taoïsme s’expose au Grand Palais,il est précieux de pouvoir se référer àdes ouvrages de référence. Les Édi-tions Albin Michel republient à cette oc-casion des volumes indispensables. Uncoffret « Les Maîtres du Tao », d’unepart, qui regroupe les trois textes ma-jeurs de cet enseignement millénaire ettoujours actuel : le Tao Te King de Lao-tseu, célèbre « Classique de la Voie etde la Vertu », qui énonce notammentque « le Tao qu’on peut nommern’est pas le vrai Tao » ; le Tchouang-tseu, et son fameux « rêve du pa-pillon » ; et Le Traité du Vide parfait deLie-tseu. Complément idéal à cesclassiques, La Religion des Chinois deMarcel Granet déroule un vaste pa-norama historique du phénomène re-ligieux, depuis le chamanisme primitifjusqu’aux pratiques contemporaines enpassant par le taoïsme, le confucia-nisme et le bouddhisme. L’année duTigre commence bien ! ■

Coffret « Les Maîtres du Tao »3 vol., 24,50 €La Religion des ChinoisMarcel Granet256 pages, 8 €

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9L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Pourquoi la révolution industrielles’est-elle d’abord produite enEurope et non sur le continent

asiatique, et plus particulièrement enChine ? Faut-il y voir, comme beau-coup le pensent sans doute encore,l’effet d’une sclérose séculaire d’unEmpire refermé sur lui-même ou,pire, le symptôme d’un « esprit orien-tal » prompt à la rêverie et à l’immo-bilisme ? Mais alors, comment com-prendre le formidable essor de laChine contemporaine, dont les valeurset le fonctionnement restent fonda-mentalement différents de ceux del’Occident ?

TELLES SONT LES QUESTIONS QUE KEN-NETH POMERANZ MET AU CENTRE DE

SON LIVRE. Historien de la Chine mo-derne à l’université californienne d’Ir-vine, il rouvre le débat et refuse touteréponse qui attribuerait à l’Europeune capacité particulière à l’indus-trialisation, et aux pays d’Asie unemoindre aptitude à la croissance.Après avoir établi que performanceséconomiques et niveaux de vie auXVIIIe siècle en Europe occidentale eten Asie ne donnaient pas un avan-tage décisif à la première, l’auteurdémontre que ce sont l’inégale loca-lisation géographique des ressourcesen charbon et la conquête du Nou-

veau Monde qui ont donné une im-pulsion décisive à l’économie euro-péenne. Les principaux facteurs de larupture seraient donc écologiques etnon technologiques et culturels,comme on l’a longtemps supposé.Un essai magistral, qui permet demieux comprendre les racines de no-tre modernité et de nous débarrasserde certains préjugés occidentalo-centristes. ■

Quand la Chine dormaitÉCONOMIE

Li Po (ou Li Bai, 701-762) est, avecson ami intime Tu Fu, l’un desdeux plus grands poètes chinois

de tous les temps. Ils appartenaient àune confrérie littéraire informelleconnue sous le nom des « Huit Im-mortels du vin ».

SON IMAGINAIRE TAOÏSTE DÉBRIDÉ ET

FRAPPANT, associé à son amour im-modéré pour l’alcool et à sa vie er-rante, font de lui une figure icono-claste et universelle. Mort, dit lalégende, noyé dans le Yang-tsé pouravoir tenté, ivre, d’embrasser le refletde la lune, il nous laisse de superbespoèmes toujours liés à son expé-rience de vagabond céleste : « leneuvième jour je bois sur le mont duDragon | les fleurs jaunes se mo-quent de l’exilé | ivre je regarde levent emporter mon bonnet | avec lalune je m’attarde à danser. »

AUTOUR DE CES POÈMES, CALLIGRA-PHIÉS ET TRADUITS PAR LEURS SOINS,Cheng Wing fun et Hervé Collet ontarticulé une fascinante biographie dece sage incongru. Ils parviennent à

nous restituer simultanément l’atmo-sphère historique de la Chine desTang et la magie discrète et enivrantede la nature éternelle.Un ouvrage passionnant qui intègreles poèmes dans une narration bio-graphique. ■

Ivre de Tao…et de vinPOÉSIE

De la Chine au Japon, le thé estl’objet d’innombrables contestraditionnels. Les thés, plutôt,

car chaque variété révèle l’essence in-time de sa région d’origine : unemontagne sacrée, une vallée secrète,un séjour d’Immortels taoïstes…

COMME L’ÉCRIT HENRI GOUGAUD DANS

SA PRÉFACE, « ces contes ont le par-fum fragile mais combien émouvantd’un au-delà des apparences où lesilence émerveille, où les cœurs bat-tent à l’unisson. Sophie de Meyracest une parfaite traductrice de cetesprit singulier ». ■

Le thé, essencede l’esprit orientalCONTES

Une grande divergence.La Chine, l’Europeet la constructionde l’économie mondialeKenneth Pomeranz560 pages, 35 €

Li Po, l’immortel banni sur terre,buvant seul sous la luneCheng Wing fun et Hervé Colletmai 2010

Contes de la chambre de théSophie de Meyrac368 pages, 10 €

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Depuis qu’il avait publié, il y a une trentaine d’années, lelivre de référence sur la question (traduit chez AlbinMichel, déjà), Ian Wilson était considéré comme le grandspécialiste du Suaire de Turin, de son histoire complexeet des mille investigations scientifiques dont il avait étél’objet. Mais le jour où trois laboratoires indépendantsdatèrent le mystérieux linge par la méthode du carbone14 et conclurent qu’il avait été fabriqué entre 1260et 1390, le sujet sembla avoir perdu l’essentiel de sonintérêt. Mais c’était il y a plus de vingt ans, d’autresrecherches ont eu lieu depuis, et aujourd’hui Wilsonmène sa contre-enquête.

L’imagela plus mystérieusedu monde

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11L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Pour se rassurer sur le sérieux de cettecontre-enquête (car le sujet, il faut bienl’avouer, est assez sulfureux), il suffit de lirele chapitre intitulé « Que veut dire unedate ? », qui interroge, sans condamna-tion aucune mais en toute rigueur mé-thodologique, la datation au carbone 14

du Suaire de Turin. À l’époque, en 1988, plusieurs groupesde partisans de l’authenticité s’étaient insurgés contre lesconclusions des laboratoires : certains de ces réfractaires,relevant de la sphère catholique intégriste, n’hésitaient pasà invoquer le sombre complot d’un Vatican dévoyé de-puis le concile Vatican II, destiné à saper la preuve ultimede la Résurrection ! D’autres prétendaient que l’échan-tillon de tissu choisi avait été pris dans une pièce rapportée.Wilson, avec précision et sérénité, commence par dé-monter ces thèses farfelues, avant de poser des ques-tions proprement scientifiques concernant la datation aucarbone 14 : il évoque d’abord l’existence de deux mé-thodes, dont une seule avait été choisie, et sans doutepas la meilleure ; mais surtout il interroge la pertinence decette technologie pour des objets qui ont été touchés, pal-pés, enduits de sueur et de larmes pendant des siècles(d’autant que l’échantillon fourni aux laboratoires a été pré-levé à un endroit particulièrement manipulé). L’interférenced’une contamination microbiologique capable de faussertoutes les mesures n’est pas du tout improbable, de mêmeque les incendies subis par le linge. Bref, le doute est plusque permis sur cette datation, sans qu’il soit besoin d’in-venter une quelconque conspiration ou de remettre enquestion une technologie qui, employée à bon escient,a largement fait ses preuves.

MAIS IAN WILSON, ET C’EST LÀ CE QUI FAIT TOUT L’INTÉRÊT

DE SON ENQUÊTE, se contente de poser cette probléma-tique du carbone 14, il ne la résout pas. Il n’en a nul be-soin, car il n’est pas nécessaire de croire absolument quele Suaire de Turin a réellement enveloppé il y a plus dedeux mille ans le corps de Jésus pour s’étonner de sescaractéristiques extraordinaires. Au contraire, si l’on partdu principe qu’il est un vulgaire faux médiéval, alors il de-vient encore plus fascinant : quel faussaire européen degénie a pu avoir l’idée d’intégrer à la structure de ce tissudes dizaines de pollens venus d’Orient, et notamment dePalestine ? Comment a-t-il pu imager les blessures deJésus avec des connaissances précises de l’anatomiedont on ne disposait pas au XIVe siècle (savoir, par exem-ple, que les clous de la crucifixion traversaient néces-sairement le poignet et non la paume, sous peine de dé-chirer les chairs et de laisser choir le corps) ? Quel était-il,ce faussaire, pour inventer à lui seul, en plein Moyen Âge,la technique de la photographie (car tel est bien le sta-tut ou au moins l’apparence de cette image sans pig-ment, dont la nature de « négatif photographique » fut ré-vélée par la première photo qu’on en prit à la fin duXIXe siècle) ? Mieux : comment a-t-il fait pour que son œu-vre d’artiste, soumise tout récemment à un analyseurd’image de type VP-8 (utilisé pour restituer les reliefs entransformant les dégradés de noir et blanc en niveaux de

hauteur), révèle un corps en 3D d’une précision épous-touflante, alors qu’aucune peinture humaine ne rendquoi que ce soit avec ce système ? Surtout, quel intérêtavait ledit contrefacteur à donner à son faux de telles ca-ractéristiques… qui ne pourraient être dévoilées que sixou sept siècles plus tard, avec les techniques d’au-jourd’hui ?

OUI, VRAIMENT, CETTE IMAGE EST LA PLUS ÉNIGMATIQUE DU

MONDE : si c’est un faux médiéval, nous avons affaire àun génie improbable cent fois plus fort qu’un Léonard deVinci ; et si ce linge est « authentique »… L’auteur ne se prononce pas à proprement parler surcette authenticité supposée : que le Suaire soit bien ce-lui qui enveloppa le corps mort de Jésus, et qui restaitdans le tombeau vide à l’arrivée des apôtres, cela nepourra, bien sûr, jamais être prouvé. Mais Ian Wilsontente au moins de corroborer l’hypothèse qu’il avait déjàémise il y a trente ans, et que des éléments nouveauxviennent aujourd’hui étayer : cette thèse est celle del’identité entre le Suaire (dont on n’a des traces certainesen Europe que depuis la fin du XIVe siècle) et l’Imaged’Edesse, vénérée en Orient dans les premiers âgeschrétiens. Cet objet de culte aurait été ensuite protégé àConstantinople jusqu’au sac de 1204, puis emporté enEurope par l’Ordre des Templiers, pour réapparaître plustard sur les terres d’un ancien croisé… Une histoire pas-sionnante qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, et qui selit comme une saga pleine de rebondissements et de per-sonnages hauts en couleur. ■

L’Énigme du SuaireIan Wilson,432 pages, 22,50 €

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12 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Nous ne sommes pas des fleursÉcrire sur les femmes indiennes,c’est écrire sur l’Inde dans ce qu’ellea de plus divers et de plus vivant.Car le point de vue des femmesrévèle des lignes de forces, desrésistances, des dynamiques que lesanalyses institutionnelles neperçoivent pas. « Stars et déesses »comme les actrices de Bollywood,chefs d’État comme Indira Gandhi, ouau contraire « pathétiques victimesligotées aux diktats des coutumes,sanctuaires de l’identité dugroupe » : ces clichés dualistes,habituels en Occident, empêchent decomprendre tout le chemin parcourudepuis le milieu du XIXe siècle par lescombats féministes dans la plusgrande démocratie du monde.Refusant de s’enfermer dans cesreprésentations, Martine vanWoerkens propose une lecture trèsnouvelle, rassemblant l’histoire deces combats en trois volets : letemps des pionnières quiappartiennent à l’élite, celui desfemmes de la classe moyenne dontles prises de conscienceaccompagnent le développement del’Inde indépendante, et enfin celui

d’une prise de parole par desfemmes issues de très bassescastes. Elle restitue ainsi uneévolution complexe, entresoumission et révolte, maintien sousla tutelle familiale et apprentissagedes responsabilités politiques. Elledessine des portraits magnifiques :Ramabai Ranade, l’épouse parfaite etéduquée ; Phoolan Devi, la Reine desBandits ; ou Baby Halder, la servantedevenue écrivaine. Loin d’être desimples vignettes illustratives, ces« vies parlantes » éclairent desprocessus collectifs comme la

pesanteur des coutumes religieuses,les hiérarchies de castes, lesinterprétations diverses de ladifférence sexuelle, l’évolution versla démocratisation, le développementde l’arsenal législatif contre lesdiscriminations et les violences…Pour réussir le récit de cette épopéequi réunit femmes savantes, rebelleset sans grade, l’auteure a eul’intelligence de s’appuyer sur lestravaux issus de l’anthropologie etde la sociologie indiennes, qui sedécouvrent ainsi dans toute leurrichesse inédite. Sa connaissancevécue de l’espace du féminin dansdifférents milieux s’allie à undécryptage subtil des discours quientendent en rendre compte. Lerésultat est un livre original etsensible, à l’écriture fluide, oùtransparaissent continûment lerespect et l’amour pour le mondeindien. ■

Nous ne sommes pasdes fleursDeux siècles de combatsféministes en IndeMartine van Woerkens368 pages, 22 €

Ysé Tardan-Masquelier a lu ■ ■ ■André Padoux

Comprendre le tantrisme■ Le tantrisme est, depuis plus d’unmillénaire, un aspect essentiel de la viereligieuse indienne et de sa penséephilosophique. Du tantrisme relèventbien des traits fondamentaux de

l’hindouisme. AndréPadoux, l’un des plusgrands spécialisteseuropéens de laquestion, nous confieles clésindispensables pourdécouvrir cetunivers.368 pages, 9,50 €

Jean-Marc VivenzaTout est conscience

■ L‘école du Yogâcâra, ou voie de« l’esprit-seul », est l’une des écolesphilosophiques bouddhistes les plusfécondes et les plus influentes, et enmême temps l’une des plus méconnueset des moins comprises. Après

Nâgârjuna et ladoctrine de lavacuité, Jean-MarcVivenza poursuit làson explorationlimpide desphilosophies les plusradicales dubouddhisme ancien.256 pages, 8,50 €

Manfred Heim2 000 Dates

pour comprendre l’Église■ Cet ouvrage offre un panorama del’histoire de l’Église, de l’Antiquitéjusqu’au début du XXIe siècle. Il donneles dates des conciles, des synodes, desschismes et des refondations. Une listechronologique des papes, un glossaireet un index des noms complètent cetouvrage pratique et de référence. 432pages, 11 €

Nathalie Nabert (dir.)Le Chant des profondeurs

■ Selon les mots d’Etty Hillesum, « il y aen moi un puits très profond. Et dans cepuits, il y a Dieu. Parfois je parviens àl’atteindre. Mais, plus souvent, despierres et des gravats obstruent cepuits, et Dieu est enseveli. Alors il fautle remettre au jour ». Pour creuser cesprofondeurs, Nathalie Nabert a réuni des

POCHES

hommes de foi de tous horizons. Unebelle méditation polyphonique sur laprière et la lecture des textes sacrés.192 pages, 7,50 €

Bernie GlassmanLe Cercle infini

■ Fondateur d’un ordre zen engagésocialement, Bernie Glassman pose iciles fondements d’un bouddhismemilitant. À travers le commentaire dedeux textes fondamentaux du Zen, leSûtra du Cœur et le Sandokaï, il met enlumière le lien qui unit le bouddhisme etl’action sociale. 224 pages, 8 €

Michel LarocheLa Voie du silence

■ De nombreux Occidentaux cherchentdans les sagesses orientales unepratique du silence qui leur permettrade se recentrer sur la vie de l’esprit.Beaucoup ignorent cependant que le

christianisme, luiaussi, propose unetelle discipline dusilence et de laméditation. MichelLaroche, théologienorthodoxe, nousinvite à découvrircette « voie

du silence » et les moyens de la suivreaujourd’hui. Mai 2010

Maître Taisen Deshimaru(trad. et prés.)

Shodoka■ Le Shodoka, ou « Chant de l’immédiatsatori », est l’un des textes essentiels duZen. Composé de 78 poèmes, ce chantqui, par sa fraîcheur et sa force, resteformidablement actuel, a été écrit auVIIIe siècle par le maître chinois YokaDaishi. Maître Taisen Deshimaru, par satraduction et ses commentaires, nous

en livre enfin la sagesse universelle etnous invite à emprunter son cheminspirituel. 226 pages, 8 €

Idries ShahChercheur de vérité

■ À travers son œuvre humaniste etuniverselle, Idries Shah (1924-1996) ajoué un rôle de premier plan dans ladécouverte du soufisme par l’Occident.Il a réuni dans ce livre un grand nombrede contes, d’anecdotes tirées duquotidien, d‘histoires à valeur d’exempleou d’avertissement, par lesquels les

maîtres soufistransmettaient leurenseignement.290 pages, 8 €

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13L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Àpropos de cette question de so-ciété, on parle le plus souventd’homoparentalité. Mais à quoi

cela renvoie-t-il ? Pour le psychana-lyste, parler d’homoparentalité, c’estparler plutôt du rôle éducatif de parentsde même sexe. Or, là-dessus, nul nedoute des capacités pédagogiques nide l’amour des homosexuels pour lesenfants dont ils ont la charge.

En revanche, légaliser la filiation deparents de même sexe, c’est parler,non plus de parentalité, mais de pa-renté. Un autre mot s’impose donc :celui d’homoparenté. Un mot nou-veau pour désigner une situation toutaussi inédite, qui vient bouleverserles schémas qui structuraient jusque-là nos définitions de la filiation.

TOUTE SOCIÉTÉ GÉNÈRE DE NOUVELLES

DÉFINITIONS et évolue à travers l’in-flexion qu’elle donne aux grands prin-cipes qui la constituent. C’est dansl’ordre des choses. Mais une telle loine viendrait-elle pas franchir avec em-pressement un pas qui pourrait serévéler dommageable ? Par exemplepour l’état civil : jusqu’à présent, ilmentionnait le nom de l’enfant, sonprénom, son sexe, ses lieu et date denaissance, sa nationalité et éventuel-lement les mêmes informationsconcernant les personnes qui l’ontporté dans la vie, personnes biolo-

giques ou tutélaires. Mais si une loi lé-galisait l’homoparenté, la préférencesexuelle des parents deviendrait alorslisible sur cet état civil. Est-ce là unemention que l’on souhaite ajouter àl’identité juridique d’un sujet ? Ce sontbien de telles questions qui préoccu-pent le psychanalyste, et non le soucide protéger une conception tradi-tionnelle de la famille.

PERSONNE NE PEUT MESURER a prioriles implications à long terme d’unphénomène comme celui de l’homo -parenté. S’agit-il d’une simple exten-sion du droit ou d’une mise en ques-tion des liens de filiation, allantjusqu’au désaveu d’un certain typede procréation – celui qui a eu coursjusqu’ici ? Cet essai invite courageu-sement à prendre le temps de s’in-terroger, plutôt que de se précipiter àpromulguer des lois dont on ne peutmesurer quels en seraient les effetsdans dix ou vingt ans. ■

La filiation en questionFAMILLE

Dans un essai passionnant, le psychanalyste Jean-Pierre

Winter s’interroge sur les conséquences que pourrait avoir une

loi qui rendrait légale la filiation homosexuelle.

Mais, sous ce terme, on a ten-dance à confondre deuxchoses : l’une est une mala-

die, la dépression, l’autre est un mal-être sans cause médicale. La premièrese guérit, le second ne peut ques’éprouver ou se combattre par desluttes individuelles ou sociétales. Cetamalgame a de nombreux effets né-fastes. Le premier étant de mettre endoute que la dépression soit vraimentune maladie et que les antidépresseurssoient vraiment efficaces. Comme lemontre le psychiatre Alain Gérard, en-touré de spécialistes de la dépression,on a confondu la maladie avec le mal-être, et ses remèdes avec des anti-dotes au malheur. Dans cet ouvrageextrêmement documenté, et partantde leur expérience de cliniciens, ilspointent les erreurs de diagnostics etde prescriptions, de méthodes d’éva-luation des thérapeutiques, de stra-tégies de prévention. Mais ils souli-gnent également les confusions dansla formation des médecins et dans l’in-formation adressée aux praticiens ouaux publics.À partir des connaissances les plusactuelles, Alain Gérard et l’équipe

qu’il a réunie montrent commentneurosciences et psychothérapies secomplètent pour éviter que la mala-die ne progresse. Au-delà de ce tra-vail de mise au point et d’éclaircisse-ment, on lit dans ce livre despropositions très concrètes pouraméliorer l’approche de la maladie-dépression tant du côté des méde-cins que des patients ou des phar-maciens. Pour que la dépressioncesse d’être une fatalité. ■

Sortir de l’équivoqueSANTÉ

Selon l’OMS, la dépression sera en 2020 au second rang des

maladies affectant l’espèce humaine au niveau mondial.

Fatema Mernissi, universitaire ma-rocaine, est une observatrice at-tentive et passionnée de la mo-

dernité arabe. Sont récemment parusau format poche deux de ses essaisfondateurs : Le Harem politique, quianalyse comment on en est venu à re-léguer les femmes à l’arrière-plan de lapolis ; et Islam et démocratie, qui nousexplique comment la première guerredu Golfe a fait éclater les frontières sym-

boliques du monde arabe et com-ment, grâce aux télévisions satel-litaires et à internet, sa jeunesse seréapproprie actuellement ce mondeouvert. ■

Les paradoxesde la modernité arabe

ISLAM

HomoparentéJean-Pierre Winter224 pages, 18 €

Dépression. La maladie du siècleDr Alain Gérard240 pages, 16 €

Le Harem politique.Le Prophète et les femmes336 pages, 9,50 €Islam et démocratie336 pages, 9,50 €

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14 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

«Le présent est invisible », telest l’un des exergueschoisis par la psychana-

lyste à son ouvrage. Invisible certes,mais pas inaudible. Au contraire, ils’agit d’être à l’écoute, faute de quoion n’entend pas, derrière le brou-haha des rumeurs ou des certitudesopposées, ce qui se dit réellement.Entendre par exemple, à travers lesstatistiques affichées, les faits divers,que la souffrance des adolescentsn’est peut-être pas le symptômed’enfants qui ne veulent pas gran-dir, mais pourrait être bien plutôt lesymptôme de parents qui se rêventen éternels adolescents… Écouterencore les confusions entre justiceet psychiatrie, notamment dans leprocès Roman Dupuy – assassind’une infirmière et d’une aide-soignante –, pour bien voir le risqueencouru par la société : « On juge unpays sur sa justice et sur la façondont il traite ses malades men-taux : quand on veut que les psy-chiatres contrôlent les libertés et queles magistrats soient des théra-peutes pour les familles des victimes,c’est la société tout entière qui bas-cule dans la folie. »

TOUTES CES CHRONIQUES SUIVENT

UNE MÊME LIGNE : ne pas être dupe,révéler les faux-semblants. La fa-mille reste alors bien sûr un sujet deprédilection, dans la ligne de La Fa-mille dans tous ses états, son pré-cédent recueil de chroniques quiavait connu un immense succès.Et la société ne cesse de poser denouvelles questions à ce sujet :mères porteuses, droits du fœtus,nouveaux schémas familiaux, etc.Chacune de ces chroniques estune volonté de prendre du recul,de la hauteur. Caroline Eliacheff, en

citoyenne du monde, convie seslecteurs à retrouver le bonheurd’être attentif à ce qui se passe.Ainsi, alors que le suspens surl’élection américaine était à soncomble, que diverses prédictionsse livraient bataille, consacrait-elleune de ses interventions à l’élogede la surprise, dont il ne faut, dit-elle, pas s’effrayer, bien aucontraire. Elle cite Einstein : « Celuiqui ne peut éprouver ni étonnementni surprise est pour ainsi dire mort ;ses yeux sont éteints. » Alors, unconseil, ajoute-t-elle : « Gardons lesyeux ouverts ! »

CONSEIL RÉITÉRÉ QUELQUES SEMAINES

PLUS TARD, après que BarackObama a été investi. La psychana-lyste rappelle alors un épisode anté-

rieur. Janvier 2007. Les couloirs dumétro de Washington à une heurede pointe. Un homme joue du violon.Pendant quarante-cinq minutes, desmilliers de personnes passeront de-vant lui, mais personne ne s’arrê-tera. Sauf deux personnes : un en-fant, vite rappelé par sa mère, et unejeune femme qui a reconnu l’un desmeilleurs musiciens du monde, lecélèbre violoniste Joshua Bell. Il aurainterprété les plus belles pièces pourviolon. C’est le journal The Wash-ington Post qui avait imaginé cetteexpérience afin de répondre à cettequestion : dans un environnementbanal, à un moment inapproprié, labeauté, le talent pouvaient-ils êtrereconnus ? En écho à cette ques-tion, Caroline Eliacheff, commentantl’arrivée du nouveau président Ba-rack Obama, sur la scène interna-tionale, se demande : sera-t-il re-connu ? Sera-t-il écouté ?Et nous, saurons-nous écouter lessignes du présent ? Caroline Elia-cheff nous y convie en tout cas – etnous aide dans cette démarche. ■

Une fois par semaine, la psychanalyste Caroline Eliacheff intervient dans « Les Matins de

France Culture ». L’actualité vient nourrir ses interventions, sans que jamais elle n’en reste

l’esclave. Dans cet ouvrage qui recueille un choix de chroniques de septembre 2007 à

octobre 2009, il s’agit de lancer des pistes de réflexions. Et de rester à l’écoute.

Les bonnes ondesde Caroline EliacheffCHRONIQUESFemmes

battues :quandles motsremplacentles coups

La violence psychologique peut êtred’une grande brutalité, elle peutlaminer un être, lui faire perdre sesrepères, son estime de soi, jusqu’àson intégrité. Cette forme deviolence qui peut s’exercer dans uncouple est en passe d’être reconnuejuridiquement. Encore faut-il savoirl’identifier et pouvoir s’en sortir – àtemps. Deux auteurs se sont ici

associés pour nousprésenter cettesituation demanipulationaffective pluscourante qu’on nele croit. L’uneœuvre depuis desannées dans lecadre associatif

pour venir en aide à ces victimes,l’autre est psychanalyste etspécialiste des addictions. Dans cetouvrage, ils saisissent le moment oùtout bascule : quand les petitesmanipulations quotidiennes, quandle narcissisme ordinaire deviennentpathologiques ; quand la relationdevient toxique. Tout commencesouvent comme dans un conte defées. Et pourtant, insidieusement,sans qu’elle s’en rende compte, lavictime commence à être prise aupiège dans son propre couple. Elleest assujettie par celui qui se révèleêtre un pervers narcissique.Comment se soustraire à sonemprise dévastatrice ? Grâce à detrès nombreux cas concrets, ce livremontre par quelle voie la victimepeut parvenir à se reconstruire. Unelecture qui peut se révéler salutaire. ■

SOCIÉTÉ

La Manipulation affectivedans le couple. Faire faceà un pervers narcissique.Pascale Chapaux-Morelliet Pascal Couder194 pages, 17 €

Puis-je vous appeler Sigmund ?Et autres chroniquesCaroline Eliacheff19 euros, 264 pages©

Ant

oine

Doy

en

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15L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Nourries ces dernières décenniespar de grandes avancéesscientifiques, dont l’astrophy-

sicien Trinh Xuan Thuan dresse ici lerécapitulatif, ces questions n’en sontpas moins inépuisables. Sans douteparce que l’humanité a compris detout temps que pour savoir où elle de-vait aller, il lui fallait savoir d’où elle ve-nait. Récits de création bibliques(Victor Malka), « preuves laïques » del’existence de Dieu (Dany-Robert Du-four) ou encore conception hindouedes origines du monde, c’est toutel’odyssée de l’humanité qui secondense dans cet ouvrage auxvoies multiples.

EN MÊME TEMPS, TOUTES DESSINENT

UN ENJEU IMMENSE : ne pas laisserces questions des origines en frichepour éviter qu’elles ne disparaissent,reléguées dans le giron des fana-tismes. Comme le souligne NadiaBenjelloun, qui dirige cet ouvrage etqui avait orchestré les conférencesdu Festival de Fès dont il est né :« Deux cents ans après Darwin, l’ori-gine de la vie n’a pas cessé d’êtreune question. Bien des fanatiquesvoudraient la taire au nom de Dieuqui, de leur point de vue, l’a tran-chée une fois pour toutes, et s’esti-ment fondés à propager sa réponsenon par les œuvres de l’esprit maispar la contrainte des corps et la vo-lonté d’imposer silence. »Ici, au contraire, il s’agit de ne rientaire, et de dire la multiplicité des gé-néalogies qui sont les nôtres. Gé-néalogies monothéistes qu’explorel’historien Alexandre Adler, ou artis-tiques pour Marc Fumaroli, dont ils’agit de définir et célébrer les diffé-rents territoires, afin que l’humanité,tel cet Arbre de Vie qu’évoque la phi-losophe Blandine Kriegel, puisses’épanouir, nourrie par ses racines. ■

D’où venons-nous ?…Où irons-nous ?

RENCONTRES

Philosophe de la culture et de latransmission, l’auteur de DixRaisons (possibles) à la tris-

tesse de la pensée et d’Éloge de latransmission, entre bien d’autres, étaità Paris début mars pour une série deconférences. À cette occasion, les Édi-tions Albin Michel publient un fascinantrecueil d’études sur son œuvre sin-gulière. Deux thèmes majeurs s’en-tremêlent : la place primordiale qu’oc-cupe, pour le philosophe, la musiquedans le processus de transmission,comme le révèle en particulier untrès beau texte inédit de Steiner lui-même, « Tritons », où dialoguent unmusicien, un mathématicien et unpoète sur la question du langage –comme un lointain écho au Jeu desperles de verre d’Hermann Hesse. Leslimites de la transmission d’autre part,constat tragique qui forme l’un desmotifs essentiels de cette pensée : leschefs-d’œuvre intellectuels et artis-tiques ne semblent pas rendre la so-ciété et les hommes plus humains.

« J’ai essayé de passer ma vie à com-prendre pourquoi la haute culture n’apas pu enrayer la barbarie », conclutamèrement Steiner. ■

Musique ou barbarieCULTURE

George Steiner, professeur honoraire au Churchill College

de Cambridge, est l’une des figures majeures de la pensée

française contemporaine.

Préserver la richesse du mondeÉCOLOGIE

Les origines du monde, de la vie et de l’homme sont une

source d’interrogation constante.

La biodiversité, qui recouvre la va-riété des formes de vie sur terre, estaujourd’hui menacée de toutes

parts. Quels sont les enjeux de la pro-tection des espèces et des milieux na-turels pour l’avenir de la biosphère et deshommes ? Comment inventorier la ri-chesse en espèces de la planète(1,6 millions d’espèces connues surun total pouvant atteindre 50 millions) ?Comment retracer l’histoire biologiquemouvementée d’une terre en évolutionpermanente, histoire dans laquelle l’es-

pèce humaine est devenue un acteurprépondérant ? Que signifie « conserverla biodiversité » ? Comment les idées sesont-elles formées, oscillant sans cesseentre des points de vue différents sur ceque devraient être les relations des hu-mains avec la nature ? Patrick Blandin,l’un des initiateurs de cette année de labiodiversité, répond à ces questions etnous livre ses propositions pour l’éla-boration d’une éthique évolutionniste. Unremarquable et indispensable plaidoyerpour que « nature vive… » ■

Avec George SteinerMai 2010■ À lire également :Dix Raisons (possibles)à la tristesse de la penséeGeorge Steiner196 pages, 15 €Éloge de la transmission : le maître et l’élèveAvec C. Ladjali142 pages, 14 €

Biodiversité.L’avenir du vivantPatrick Blandin264 pages, 20 €

Le Big Bang, et après ?Sous la direction de Nadia Benjelloun168 pages, 12 €■ Dans la même série issue des ren-contres du Festival de Fès :Les Femmes, l’amour et le sacré(Leili Anvar, Souad Ayada, MichaelBarry, Karima Berger, Jean Clair,Abdelwahab Meddeb, Amina TahaHussein-Okada, sous la direction deNadia Benjelloun)210 pages, 12 €

Par décision de l’ONU, 2010 est l’année de la biodiversité.

À cette occasion, l’Union internationale pour la conservation

de la nature va promouvoir une « éthique de la biosphère ».

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16 L’Homme en Question ■ PRINTEMPS 2010

Cofondateur de Médecins sans frontières,pionnier du SAMU puis fondateur à Paris duSAMU social qu’il a ensuite fait essaimer dans

d’autres métropoles françaises et étrangères, XavierEmmanuelli a toujours été ce qu’on appelle unhomme d’action, et même un sauveteur, un hommede l’urgence. Paradoxalement, il est aussi un grandcontemplatif. Ou, plus précisément, un homme as-piré par des fulgurances visionnaires qui lui adviennentdans le feu même de ses interventions médicaleset humanitaires. La Mort lui apparaît alors comme uneEnnemie hideuse qu’il s’agit de combattre pied à piedpour lui voler, autant que faire se peut, quelques vic-times. Mais il sait bien que le monstre est aussi unefiancée avec laquelle le rendez-vous demeure iné-luctable… même s’il a su repousser jusqu’à présentla date de cette rencontre fatidique, ce qui nemanque pas de l’étonner. Aussi commence-t-il sonmagnifique prologue par cette étrange interrogationsur la longévité : « J’ai désormais dépassé l’âge demon père. Il n’est pas arrivé jusqu’à ses soixante-dixans, il lui a manqué treize jours. Dans cette mesure,moi, son fils, j’ai été plus performant que lui (…) Sur-vivre, cela montre-t-il des aptitudes particulières à l’exis-tence ? Une rigueur, une plus grande compétence,ou au contraire une habileté, des qualités obscuresutilisées à bon escient pour se ménager, pour ne pastrop s’engager et ainsi s’économiser ? »

L’HOMME QUI SE REMET AINSI EN QUESTION n’a pour-tant rien d’un « planqué » de la vie. Pour beaucoupde ses admirateurs, il aurait plutôt l’étoffe d’un hé-ros, et même d’un « pur » qui aurait toujours refusé,contrairement à certains de ses anciens camaradespionniers de l’humanitaire, de capitaliser son couragepassé. Mais « il n’y a pas de héros, affirme-t-il, lesvrais héros sont restés sur le champ de bataille jus-tement parce qu’ils étaient des héros ». C’est doncen « petit homme » qu’il a décidé de réunir les images

discontinues de son parcours médical et humanitairevécu comme une initiation sacrée. Ces images sontavant tout celles de corps, des corps dégradés, sca-rifiés, (auto)mutilés des SDF ou des détenus, descorps en souffrance des réfugiés, des victimesanonymes des guerres et des cataclysmes. Mais au-delà de cette plongée dans l’incarnation la plus pau-vrement humaine, la plus avilie parfois, Xavier Em-manuelli lit toujours ces corps et leurs symptômescomme des hiéroglyphes au sens propre : des signesdu sacré. Cet homme qui aura vu tant de misèresdésespérantes, qui aura aussi constaté tant de pe-titesses humaines – comme certaines dérives mé-diatiques de l’humanitaire qu’il dénonce au passage –est toujours habité d’une vision noble de l’humanité.Vision qui est pour lui inséparable d’une foi expriméeen termes de soif, de désir, de tension vers la trans-cendance. Et qu’on ne s’y méprenne pas : cecredo, parfois déroutant par sa « naïveté » totalementassumée par l’auteur, n’a pourtant rien d’éthéré, il estau contraire enraciné dans le charnel, dans cettecondition humaine que Xavier Emmanuelli a explo-rée jusque dans ses pires dérélictions. ■

Un cœur mis à nuTESTAMENT

Au seuil de l’éternitéXavier Emmanuelli238 pages, 16 €

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ALBIN MICHEL, 22 rue Huyghens, 75014 Paris – Tél. : 01 42 79 10 92 – Fax : 01 43 27 21 58 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, éditeur ; Julien Darmon ; Anne-Sophie Jouanneau – Coordination : Gil Rousseaux – Maquette : Caractère B.

À lire très bientôtLes mois de mai et juin seront riches en ouvragesspirituels – dans tous les sens de l’adjectif.Premier de cette floraison printanière, le nouveaulivre de Marie Rouanet, Tout jardin est Éden,splendide méditation poétique sur les jardins etl’intense satisfaction qu’apporte la culture de cespetits royaumes où le temps, le silence sontramenés à exacte mesure humaine. D’une écriturelimpide, dense et lumineuse, Marie Rouanet ouvrirapour nous le portillon de bois par lequel on pénètredans l’étroit territoire du bonheur.

Alain Durel, homme de théâtre et écrivain,spécialiste de la patristique, nous emmènera versdes hauteurs mystérieuses : celles du Mont Athos.Tout le monde aentendu parler de cettepresqu’île grecqueconsacrée à la prière etla méditationorthodoxes. Mais trèspeu de témoignagesexistent sur la viemême des moines. LaPresqu’île interditenous introduira dansl’intimité de ce lieupeuplé d’une faunemonastique haute encouleur.

À l’heure du grand retour du religieux en politique,la journaliste Isabelle Dillmann s’est posé unequestion provocatrice : Les politiques ont-ils uneâme ? Elle est allée à la rencontre de plusieurspolitiques français – dont François Bayrou,Roselyne Bachelot, Arnaud Montebourg, PhilippeSeguin, Jack Lang, Christine Lagarde, FrançoisBaroin, Manuel Valls, Jean-François Copé, GérardLarcher, Bernard Kouchner, Fadela Amara… – poursavoir quelle place la transcendance tient dansleur vie privée et publique.

Enfin, au mois de juin, Cyrille Javary nous feradécouvrir de l’intérieur Les Trois Sagesseschinoises – taoïsme, confucianisme etbouddhisme –, leur vocabulaire, leur histoire, leursrivalités aussi, pour mieux comprendre cette Chinedont la modernité se réclame d’enseignementsmillénaires. ■

Tout jardin est ÉdenMarie Rouanet

La Presqu’île interditeAlain Durel

Les politiques ont-ils une âme ?Isabelle Dillmann

Les Trois Sagesses chinoisesCyrille Javary

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