Numéro 143 Avril • Mai 2007

56
Et les valeurs ? Numéro 143 Avril • Mai 2007

Transcript of Numéro 143 Avril • Mai 2007

Page 1: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Et les valeurs ?

Numéro 143 Avril • Mai 2007

Page 2: Numéro 143 Avril • Mai 2007

2007sommaire

L’éducation des jeunes aux valeurs : points de vue d’intervenants du milieu scolaire. Table ronde réunissant desconseillers pédagogiques et desenseignants et des enseignantes.par Guy Lusignan

11 Éthique et culture religieuse :un outil de réflexion inéditpar Denis Watters

22

ET LES VALEURS? Parce qu’elles sont présentes à toutes les étapes des prises de décision et que, dans les pratiques scolaires, la part dudialogue sur ce sujet est parfois limitée, il serait peut-être intéressant de supposer que briser le silence sur le sujet,pour exprimer ses principes idéaux, permettrait de bâtir des communautés apprenantes plus harmonieuses et capables de fonctionner dans un monde aux valeurs parfois éclatées.Dans le contexte scolaire, pourquoi ne pas s’attarder à faire place à une éducation qui laisse place à toutes cesexpériences qui offrent l’occasion à tous les enfants de prendre conscience de leurs valeurs, de ce qui est importantpour eux et de ce qui les rend fiers? Ce dossier de Vie pédagogique donne des pistes concrètes à tous les acteurs dumilieu qui sont préoccupés par la question.

dossier10

Au fronton de l’écolequébécoise, une frise devaleurs constructivespar Paul Francoeur

15

Des lieux d’incarnation devaleurs communautairespar Claude Beauchesne

26

Vie pédagogique, avril • mai

La compétence en éthiqueprofessionnelle, ça sedéveloppe?par Lise-Anne St.Vincent

37

Un récit pour une mélodiede valeurspar Mathieu Bruckmüller

28

La place et la fonction desvaleurs dans le contexteéducatifpar France Jutras

35

Mot de la rédaction

4Un pas vers la réussitepar Nadèje JeanIllustration de la résilience et de la force morale de ceux quimalgré les revers de la viechoisissent de se battre, letémoignage d’un ex-détenu nousrévèle son cheminementexemplaire.

45

Le décalage de valeurs entrel’école et les familles : uneoccasion de rapprochementUne entrevue avec Mme FasalKanoutépar Louise Sarrasin

41

lus, vus et entendus

52Rencontre avec Mme Britt-Mari BarthPropos recueillis par Donald GuertinUne rencontre entre une grandepédagogue et un grouped’enseignants et d’enseignantes. Un dialogue qui donne l’occasionaux lecteurs d’approfondir le lienentre la pratique et les théories qui ont inspiré plusieurs cohortesd’éducateurs québécois.

5

en abrégé

57

Le constructivisme en termessimplespar Domenico MasciotraBeau défi que de vulgariser cettethéorie de l’apprentissage quis’intéresse à la connaissance enaction. À partir d’analogies et decomparaisons, l’auteur illustreavec brio une théorie qui s’imposedans toutes les sphères du savoirhumain.

48

L’enseignement de l’éthiqueet de la culture religieusedans le cadre de la laïcitéscolairepar Jacques Racine

19

Vivre l’engagement auquotidienpar Camille Deslauriers

23

L’intégration des tic etl’éducation aux valeurs : leprojet « persévérance »par Guy Lusignan

33

histoire de rire

58

Page 3: Numéro 143 Avril • Mai 2007

sommaire – InternetVie pédagogique,

À ne pas manquerDans Le monde de l’Éducation, janvier 2007, Une entrevue de Tzvetan Todorov et Nancy Huston, « La littérature nous aide à vivre ».

Cinéclasse : La Vie des autres. [www.zerodeconduite.net]« L’Éducation civique et morale à l’école est-elle encore possible? » par Jean-Marc Lamarre dans Recherche et formation, no 52, 2006, p. 29-41. [www.inrp.fr]

Enseigner et former à l’éthique, ouvrage collectif sous la direction de Christiane Grenier et Denis Jeffrey, Presses de l’Université Laval, 2005.

Les idéaux des enseignants à la rencontre des idéaux promuspar Patrick LynesLes idéaux professionnels participent à la mobilisation de nombreuxenseignants, au point où certains soutiennent qu’ils quitteraient laprofession s’ils ne parvenaient pas à leur donner suffisamment forme. Les réformes véhiculent aussi des visées éducatives idéales qui pourraientfaciliter l’adhésion et la cohésion du milieu scolaire. Être en relationconstructive avec un idéal n’implique toutefois pas que l’on soit irréaliste.Dans cet article, l’auteur tente d’établir diverses conditions etconsidérations pour faciliter l’arrimage des idéaux promus avec ceux desenseignants qui tentent de leur mieux de leur donner forme dans uneréalité scolaire de plus en plus difficile.

L’évaluation des compétences au quotidien : utilisation del’outil « le portrait de l’élève compétent »par France Dubé et Nathalie ChampagneL’approche par compétences qui est actuellement mise en avant au Québeca entraîné des modifications des pratiques évaluatives des enseignants etdes enseignantes. Le rôle actif de l’élève est désormais favorisé, dans sesapprentissages bien sûr, mais aussi dans le processus évaluatif. L’évaluationest dorénavant intégrée à la dynamique des apprentissages de l’élève,s’effectue dans le respect des différences et de la diversité et se réalise encollaboration avec les divers partenaires impliqués.Cet article présente un outil d’évaluation qui a été élaboré par une équiped’enseignants et une conseillère pédagogique en mesure et évaluation àl’emploi de la Commission scolaire des Patriotes. Cette approche permet àl’élève d’évaluer au quotidien ses compétences et à l’enseignante ou àl’enseignant d’en faire le suivi.

« La trousse imagée pour cuisiner au four à micro-ondes »par Danielle ViauCe projet incarne bien toutes les préoccupations que soutient la réformescolaire pour renouveler les pratiques et motiver nos élèves à apprendre.En effet, le projet de la trousse culinaire a permis aux 78 élèves inscrits auprogramme de formation à l’intégration sociale (FIS) de la Commissionscolaire des Sommets de donner du sens à différents savoirs. Pour eux,cette réalisation a d’autant plus de valeur qu’elle leur est utile et qu’ils ontconscience qu’elle guidera d’autres personnes handicapées dans leursapprentissages en cuisine.L’exécution des recettes lors des séances de cuisines collectives a habilité lesélèves à transférer leurs acquis dans la vie courante. De plus, avec lespartenaires du milieu, l’école s’est ouverte pour fournir des occasionsconcrètes d’intégration sociale et d’expérimentation de différentes tâches.

L’approche bilingue auprès des élèves sourdspar Marijo Tardif et Daniel Daigle Selon l’Association des sourds du Canada (ASC), il y aurait environ 310 000Canadiens profondément sourds ou devenus sourds et probablement 2,8 millions de Canadiens malentendants. Au Québec, des milliers desourds utilisent la langue des signes québécoise (LSQ) pour communiquer.L’approche bilingue s’appuie sur les acquis développés en LSQ (considéréecomme une langue première) pour aborder l’apprentissage etl’enseignement du français. Pour évaluer la pertinence de cette approcheen contexte québécois, le ministère de l’Éducation a subventionné uneexpérimentation dans une école primaire pendant six ans. Les rapports de recherche ont révélé les effets positifs de cette approche sur lesapprentissages scolaires, mais aussi sur l’épanouissement des enfantssourds. Ainsi, on trouve des classes bilingues au primaire et le secondaires’ouvre maintenant à cette nouvelle approche.

Page 4: Numéro 143 Avril • Mai 2007

M o t de la r é da c ti o n

Le silence des valeurs

Les valeurs, ces éléments qui répondent à desnormes idéales, sont présentes dans notre vie quo-tidienne et conditionnent la plupart de nos actes.Elles s’expriment en silence, à travers nos actions,si minimes soient-elles. Elles sont le moteur de noschoix et de notre façon d’aborder le réel à traversdes références issues de notre éducation, de nosexpériences antérieures et de nos modèles.Les valeurs sont à la base de nos comportementsde façon plus ou moins consciente et il est impor-tant de réfléchir à la place que nous leur laissonsdans l’espace scolaire, lieu privilégié de mixité etde rapprochements.En revanche, ne pas en parler, c’est souvent laisserla place au relativisme. En effet, les valeurs sestructurent à travers des prises de parole person-nelles, soutenues par l’argumentation éclairée defaits vérifiés. Une telle démarche intellectuellecohérente est un atout pour fonctionner dans lemonde complexe qui est celui des jeunes d’aujour-d’hui.Toutefois, le respect de l’autre, la crainte depénétrer de façon intrusive dans la sphère privée,retient parfois l’éducateur ou l’éducatrice quihésite à intervenir. En ne soulevant pas certainesquestions, cette réticence entraîne parfois un laisser-faire, germe de conflits, à l’image de ceux quiprennent naissance dans nos valeurs intérioriséeset qui se déguisent en préjugés.L’exercice de clarification de valeurs permet sou-vent de ne pas entrer dans la généralisation,prémisse des idées préconçues.L’école, au centre de la sphère publique, lieu despremières expériences de socialisation, est unespace privilégié pour traiter des valeurs; ne pasaborder la question, c’est en parler. Ne pas toucherles valeurs avec les élèves, c’est nier que l’enfantest toujours en train de négocier entre les mes-sages reçus à la maison et ceux qui sont véhiculéspar l’école, et cela est très difficile à vivre pour cer-tains.Se taire, n’est-ce pas laisser libre cours à l’inter-prétation et, parfois, à un sentiment d’incohérencepour l’élève? Combien de fois une simple explica-tion n’a-t-elle pas permis d’éviter le conflit poten-tiel provoqué par la confrontation de façons defaire?C’est pour cette raison que la posture de l’éduca-teur nécessite, de temps à autre, une prise de posi-tion claire, nette et affirmée, qui donne lapossibilité aux jeunes de se situer en se con-frontant ou en adhérant aux modèles proposés.

Refuser de parler des valeurs en général et de sesconvictions profondes en particulier, c’est refuserde pénétrer dans un lieu riche d’interactionsgénératrices d’apprentissages significatifs pourl’élève.Pour cela, il faut que l’enseignant ait la croyanceprofonde que son rôle d’éducateur comporte aussice volet délicat de la clarification des valeurs.Il faut alors prendre le risque de laisser la paroleaux jeunes pour qu’ils puissent aller au bout de laformulation des certitudes qui les animent et quisont essentielles pour eux. Les écouter pour lesentendre permet parfois aux adultes de faire desdécouvertes et souvent de se rapprocher de cesjeunes et de mieux les comprendre.Le Programme de formation de l’école québécoiseoffre de belles prises à l’enseignant et à l’en-seignante pour aborder ces questions sans négli-ger les apprentissages essentiels.Au préscolaire et au primaire, les domainesgénéraux de formation – à travers les valeurs qui ysont clairement proposées – sont des plates-formes intéressantes pour que chaque élèvepuisse se situer par rapport à ce qu’il privilégie. Ausecondaire, les domaines généraux de formationne sont pas à négliger; toutefois, certaines compé-tences disciplinaires peuvent également donner àl’enseignant des possibilités d’explorer les croyan-ces des jeunes en leur donnant l’occasion de lespartager. Les disciplines qui traitent des langues,de l’éthique et de la culture religieuse ainsi que del’univers social permettent aux élèves, à traversdes situations d’apprentissage significatives, devérifier des représentations déjà fortement ancrées.L’école, dans cet effort de clarification de valeurs,doit également donner la possibilité aux parentsde s’exprimer en proposant des espaces où ils sesentent entendus sur cette question, laquelle estrarement à l’ordre du jour des réunions des con-seils d’établissement. Les milieux qui ont élaborédes projets en ce sens ont remarqué des change-ments d’attitude qui permettent de croire quecette avenue n’est pas à négliger et que le tempsconsacré à dialoguer et à parler de soi et de savision du monde est un moment employé à mieuxvivre ensemble. En mettant au jour les préjugés, ilest possible de faire scintiller les reflets du mur deverre qui freine la communication; le faire sauteren éclats est un leurre, mais bien le circonscrirepour ne pas s’y abîmer relève de la sagesse.Camille [email protected]

4 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

Numéro 143Avril • Mai 2007Revue québécoise de développement pédagogiquepubliée par le Secteur de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire et secondaire, en collaboration avec la Direction des communicationset la Direction des ressources matérielles.Secteur de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire et secondaire Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport600, rue Fullum, 10e étageMontréal H2K 4L1Tél. : (514) 873-8095Téléc. : (514) 864-2294Courrier électronique :[email protected] pédagogiqueSOUS-MINISTRE ADJOINTPierre BergevinDIRECTIONCamille MarchandCOMITÉ DE RÉDACTIONGhislaine BolducHélène BombardierYvon CôtéRéjeanne CôtéChristine CoutureClaude DaviauNicole GagnonLaurence HoullierCamille MarchandArthur MarsolaisJacqueline NoëlMarie-France NoëlMarthe Van NesteMarc-Yves VolcySECRÉTARIATJosée St-AmourCOORDINATION À LA PRODUCTIONMichel MartelDISTRIBUTIONFrance PleauRÉVISION LINGUISTIQUESuzanne VinetPHOTOCOMPOSITION TYPOGRAPHIQUE ET PHOTOGRAVUREComposition OrléansPHOTO DE LA PAGE COUVERTUREDenis GaronPUBLICITÉDonald BélangerTél. : (450) 974-3285Téléc. : (450) 974-7931Dépôt légal, Bibliothèque nationale du QuébecISSN 0707-2511Les textes publiés dans Vie pédagogique sont indexésdans le Répertoire canadien sur l’éducation et dans Repère.Les opinions émises dans les articles de cette revuen’engagent que les auteurs et non le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.Toute reproduction est interdite. Cependant, les étudiants et le personnel d’un établissementd’enseignement situé au Québec peuvent, à des finspersonnelles ou d’enseignement, reproduire la totalitéou une partie des articles figurant dans la revue Vie pédagogique, à condition d’en citer la source,lorsqu’applicable. Toute autre reproduction,notamment à des fins commerciales, nécessitel’autorisation du titulaire de droit.Au Québec, on peut recevoir gratuitementVie pédagogique en écrivant à :Vie pédagogiqueService de la diffusionMinistère de l’Éducation, du Loisir et du Sport3220, rue Watt, bureau 101Sainte-Foy (Québec) G1X 4Z7ou en consultant le sitewww.viepedagogique.gouv.qc.ca98-0808

Page 5: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

RENCONTRE AVEC MME BRITT-MARI BARTHPropos recueillis par Donald Guertin

C

5

Ce texte rend compte des propos de Mme Barth, qui a généreusement accepté derépondre aux questions d’enseignantes et deconseillères pédagogiques qui ont travaillé ens’inspirant de ses travaux.

Lundi 29 mai 2006, au 600 rue Fullum, à Montréal

Légende

B.-M. B. : Britt-Mari Barth, professeureémérite de l’Institut catholique de Paris

D. D. : Danièle D’Aragon, conseillère à laCommission scolaire Marie-Victorin

K. G. : Karine Girard, enseignante à laCommission scolaire des Hautes-Rivières

C. L. : Claudine Lachapelle, conseillère à laCommission scolaire du Lac-Abitibi

L. M. : Louise Maurice, enseignante à laCommission scolaire Marie-Victorin

J. N. : Julie Niquette, enseignante à laCommission scolaire des Patriotes

Bref préambule de Mme Barth

B.-M. B. – L’intention qui m’a toujours guidéedans mes travaux est la recherche de modesd’interaction en classe qui favorisent la discussion pour apprendre à résoudre desproblèmes que l’on rencontre. C’est unedémarche centrée à la fois sur la constructiondu savoir et sur le développement de la per-sonne.

Dans cette démarche, on trouve trois dimen-sions interdépendantes : un outillage métho-dologique (Comment faire?), un cadreexplicatif pédagogique (Pourquoi ça mar-che?) et un choix de fondements théoriquesinterdisciplinaires (Au nom de quoi?), quiimplique une vision et des valeurs qui sous-tendent l’ensemble.

Fondamentalement, il s’agit d’étudier leprocessus enseigner-apprendre et d’identifier

les facteurs qui étayent ce processus. Queveut dire apprendre? Quel est le rôle de l’en-seignant? Dans notre perspective, pouracquérir des connaissances à l’école, lesélèves ont besoin d’apprendre à maîtriser desoutils de pensée qui permettent de construirele sens des savoirs afin de pouvoir s’en servirpar la suite. C’est donc le rôle de l’enseignantde solliciter les élèves et de les outiller pourqu’ils puissent participer à des activités quimènent à ce niveau de compréhension, touten les mettant en confiance pour qu’ils aientenvie de le faire. Pour cela, il faut créer une« culture » à l’école qui soit propice à un teldéfi!

Au cœur de la démarche que je propose, il ya la « négociation de sens ». Pour négocier, etdonc argumenter, il faut que l’élève sachedistinguer les sources qui sont justes et perti-nentes pour exécuter la tâche en cours. Lesavoir se construit progressivement par cetteexpérience de la justification, associée à lanégociation et à la validation du sens.

Créer l’attention chez les élèves

J. N. – J’ai utilisé votre démarche de con-ceptualisation, mais j’ai constaté qu’il estdifficile de garder l’attention, surtout desélèves en difficulté, et de maintenir uneinteraction de groupe sur une longuedurée. Je suis en deuxième année du pre-mier cycle du primaire. Comment pour-rais-je faire pour rendre plus actifs lesinactifs, plus attentifs les inattentifs? Doit-on toujours passer par le groupe?

B.-M. B. – La participation de chacun dansl’interaction est importante, car elle conduit àfaire évoluer les conceptions des uns et desautres. En même temps, elle permet à l’en-seignant de se faire une idée de ce que lesélèves comprennent. L’activité intellectuelled’un élève passe à travers celles des autres.Parfois un élève s’isole ou devient inattentifparce que les structures d’interaction misesen place ne permettent pas la contribution dechacun; parfois, même si c’est le cas, il n’apas les bons outils pour réaliser la tâche.Mais, il faut éviter de confondre l’inaction etl’inattention, car un élève peut sembler inactifet être actif cognitivement; ce n’est donc pastoujours l’activité observable qui rend justiceà la participation intellectuelle. Participerintellectuellement, c’est aussi pratiquer l’écoute.

Il est donc important de varier les modalitésd’interventions pédagogiques et de pratiquerle partage des tâches et des responsabilités.On peut modifier les structures organisation-nelles, mais on peut également changer lessituations de base proposées aux élèves. Unefois les « règles de jeu » connues, il estsouhaitable de laisser les élèves travailler ensous-groupes où chacun peut s’exprimer.L’attention varie en fonction de la « place »qu’on a dans un groupe.

Il faut s’accorder du temps, laisser de la placeau vécu et aux explications, varier le nombredes attributs d’un concept, ouvrir sur des

Britt-Mari BarthPh

oto

: Den

is G

aron

Page 6: Numéro 143 Avril • Mai 2007

définitions plus complexes, etc. Quand on estplacé dans l’action, il est plus facile d’être actif et, être actif, c’est chercher avec lesautres, devenir plus réfléchi. L’enseignant doitconstamment avoir en tête ce qui est essen-tiel et éviter de vouloir tout faire et tout don-ner en même temps.

J. N. – Pour construire un concept, il n’y apas seulement le langage verbal?

B.-M. B. – Pour construire un concept, ilfaut toujours un langage afin exprimer lesens; mais il existe une variété de langages.Une de mes étudiantes au doctorat poursuitactuellement une recherche chez les enfantssourds. Pour permettre l’accès à l’abstractionà ces enfants, il faut leur donner un langage àeux qui rend possible la compréhension et lacommunication des idées. Howard Gardnernous a bien informés sur l’importance devarier les langages symboliques pour permet-tre à un plus grand nombre d’enfants d’entrerdans le monde de l’abstraction. Abstraire,c’est réduire une réalité complexe à un mot,ou à un autre symbole (quand le jeune enfantdit « Maman » pour la première fois, il estdans l’abstraction). Quel que soit le mode – lemot, l’image, le signe, le geste, le ton ouautres notations – , il faut avoir un langagepour pratiquer la communication intra etinterpersonnelle. Pour l’élève, le fait de pou-voir justifier son point de vue, d’exprimer ce

dont il peut être conscient, est une façond’entrer dans la matière qu’il étudie. Pourl’enseignant, il est donc important de définiravec précision ce qu’il enseigne afin deguider l’attention de l’élève vers tel ou telaspect de contenu. Apprendre, c’est autrechose que mémoriser des bonnes réponsesaux questions posées; il faut savoir pourquoi.

K. G. – Votre démarche est-elle applicableà toutes les clientèles, même les élèves engrande difficulté ou ayant une déficienceintellectuelle?

B.-M. B. – C’est la question de la quête desens; elle est particulièrement importantepour les élèves en grande difficulté. En cher-chant les exemples et les contre-exemples, unélève donne du sens aux mots qu’il utilise. S’ilne trouve pas les mots, on peut l’aider à seles approprier au moment même qu’il lesassocie au vécu. C’est le « en même temps »qui est important; nous séparons trop sou-vent le mot et le sens. Cette démarche peut sefaire partout, par n’importe qui. On concep-tualise, on catégorise tout le temps. Ainsi, lesmots renvoient à des représentations diffé-rentes selon les individus et selon les cultures.

Je n’ai pas inventé cette « méthode depenser » mais j’ai essayé de traduire dans leconcret une bonne façon de procéder intel-lectuellement, ce que font les philosophes etd’autres bons penseurs. Et est-ce que celas’apprend? Je crois que ce sont des démar-ches mentales qui sont acquises culturelle-ment. Pour être bien outillé, il faut apprendreces façons de penser, il faut pouvoir maîtriserdes outils intellectuels, ce avec quoi on pense.

À l’école, le problème vient du fait que l’on neconceptualise pas toujours de façon appro-priée. Chacun met un sens derrière un mot etcomme on communique le plus souvent avecdes mots, les malentendus ne se dévoilentpas tout de suite. On fabrique ainsi facilementde fausses conceptions qui peuvent devenirtrès robustes et c’est difficile, avec le temps,de les modifier. Pour les enfants en difficulté,il faut veiller davantage sur l’installation pro-bable de concepts erronés.

Certains prétendent que les élèves sont tropjeunes pour conceptualiser; ils manqueraientde vocabulaire. Mais justement, cette démar-che vise à leur donner du vocabulaire. Les

mots sont justes en autant qu’on peut les lierà ce que l’on fait. Plus on commence tôt letravail sur le sens des mots, plus on facilitel’accès au langage. Avec l’âge, un individus’installe dans ses conceptions, fausses oujustes; ça concerne ce qu’il est, ses croyances.En partant de situations, on permet auxjeunes de valider le sens qu’ils donnent auxmots et, si nécessaire, de le changer. Ainsi, onévite de heurter les croyances d’un individu.Collectivement, on décide de la justesse et dela pertinence des mots selon la tâche réalisée.Par conséquent, l’enseignant se doit de biencibler la question, les bons exemples et lesbons contre-exemples, afin de s’assurer quetous les élèves discrimineront l’important etl’essentiel.

C’est pourquoi les situations et les exemplesvariés permettent à chacun de cibler le sens àson rythme personnel. Cela exige de lapatience, pour éviter de tout noyer dans unemasse de choses à faire. Peu à peu, on faitvarier les contrastes, on recourt aux contre-exemples pour défaire l’information erronée,on éduque en quelque sorte le regard pourque chacun puisse exercer son jugementdans des situations variées. Par ricochet,l’élève devient attentif à sa pensée, au chemi-nement de sa pensée et aux moyens qu’ilprend pour créer du sens. Il apprend à porterun jugement.

6 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

RENCONTRE AVEC MME BRITT-MARI BARTH

Julie Niquette

Phot

o: D

enis

Gar

on

Karine Girard

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 7: Numéro 143 Avril • Mai 2007

J. N. – Qu’est-ce qui guide l’enseignantdans le choix des concepts à expliquer?

B.-M. B. – Ce qui me guide dans le choix desconcepts à faire construire est de savoir cedont mes étudiants ont besoin, en vue d’accomplir telle nouvelle tâche ou d’exercertelle nouvelle compétence. C’est le transfertrecherché qui guide. J’ai appris à réduire, àne pas tout faire en même temps, à êtreattentif à l’essentiel. Il faut avoir en tête unefinalité, une intention, qui est également àpartager avec les apprenants.

Ce n’est donc pas seulement les contenus quicomptent, mais aussi la façon dont ces con-tenus prennent forme dans l’esprit pour êtremis en œuvre ultérieurement. Il faut donnerdu sens aux contenus, pour qu’ils soient utilesdans une autre situation. Il importe que l’école prenne le temps de déterminer ce quiest essentiel dans la poursuite des apprentis-sages d’une année à l’autre et qu’on évite dejuxtaposer les contenus les uns aux autres; ilfaut avoir une vue à long terme et une con-ception commune de la finalité visée.

C’est donc le transfert recherché qui guide leschoix. Si cela n’est pas fait, on crée des chocsculturels. Il faut rechercher la concertationdans le milieu.

J. N. – Quelle place faites-vous au rappeldes connaissances antérieures?

B.-M. B – Qui rappelle? Comment se fait lerappel? Pour qui est fait le rappel? Rappelerles connaissances antérieures n’est pas unegarantie pour accéder aux connaissancesnouvelles. Selon moi, il faut rapidementlancer les élèves dans une situation et êtreattentif à leurs réactions; certaines confusionsémergeront derrière l’usage des mots.L’enseignant peut anticiper les confusions etles prévenir, en ayant de bonnes ressources àproposer aux élèves; il évite ainsi la construc-tion de conceptions erronées. On demandeaux élèves de manipuler des catégories liéesaux mots; les organisations seront différentes,on devra justifier et négocier. Cela permet debien cibler les confusions qui persistent chezles élèves et de leur faire prendre consciencedes bases sur lesquelles on fait évoluer lesconnaissances.

Le transfert des apprentissages

D. D. – En formation continue, commentaider les enseignants à comprendre qu’ilsont un rôle à jouer dans le transfert desapprentissages?

B.-M. B. – Que fait-on avec les élèves pours’assurer que ce que l’on enseigne soit utiliséet devienne vraiment des outils intellectuelsavec lesquels ils vont penser? Le problème estle même dans la formation des enseignants.Le transfert, c’est l’utilisation de connais-sances dans un contexte autre que celui oùelles ont été apprises. Pour y arriver, il fautd’abord avoir bien compris le sens des con-naissances dans le cadre même où on lesapprend. Puis, s’il y a bien quelque chose àtransférer, il faudrait rendre l’apprenant (quelque soit son âge) conscient du fait qu’il pour-rait transférer telle ou telle connaissance versd’autres contextes, rappeler les contextesdans lesquels ce serait utile et en donner desexemples. C’est une tâche qui fait toujourspartie de la planification de l’enseignant-formateur : quand et comment faire du trans-fert de connaissances. Il faut se rappeler quele transfert n’est pas automatique, qu’il fautsouvent ajouter d’autres connaissancesquand on arrive dans un contexte différent.Raison de plus d’être toujours attentif auxliens qu’on peut faire entre différentsdomaines de savoir.

Quant au changement des habitudes chez lesenseignants, cela représente un réel défi. Leshabitudes sont installées, le rôle de l’en-seignant est souvent formel. Il faut sans doutecommencer par la formation des jeunesenseignants, leur faire vivre des expériencesd’apprentissage signifiantes et, peu à peu,déstabiliser les habitudes. Quand l’expérienceest authentique, c’est puissant : on change sareprésentation de ce qu’est apprendre. Et celaouvre à la réflexion de ce qu’est enseigner!

Il m’arrive de demander aux élèves que jerencontre « Comment savez-vous que voussavez? » ou « Comment faites-vous poursavoir quand vient le temps d’arrêter d’étu-dier ou d’apprendre? ». Les réponses qu’ilsdonnent sont parfois surprenantes; le tempspassé, par exemple, est un critère souventdonné. Tout cela renvoie à une compréhen-sion de ce qu’est l’apprentissage dans cetteperspective : le pouvoir de distinguer, le pou-voir de comprendre, la conscience de ce quel’on sait.

D. D. – Serait-il pertinent d’amorcer uneformation avec des enseignants en lesfaisant travailler sur ce qu’est le transfert?

B.-M. B. – Oui, tout à fait. Toute formationavec les enseignants devrait commencer et seterminer par le transfert. Dès le début, on doitles guider dans la co-construction de leurssavoirs en ayant en tête le transfert. En fait, letransfert peut se concevoir en termes de com-pétences : « Que seront-ils capables de faireavec ce qu’ils sont en train d’apprendre? » Unapprentissage est fait pour être utile, dans unsens large; il doit outiller et enrichir la person-ne.

C. L. – Les enseignants planifient dessituations d’apprentissage et d’évalua-tion. Comment s’assurer qu’ils planifientle transfert tout en planifiant les activitésde la situation?

B.-M. B. – Ça dépend du transfert dont il estquestion. Si c’est le « petit transfert », lié audomaine même de la matière, il est proche,presque automatique; il se fait le plus souventinconsciemment. Toutefois, il arrive que l’onne soit pas en mesure de mobiliser ce quel’on a appris; le contrôle n’est pas toujourstotal. Il faut essayer de penser la constructiondes connaissances en fonction de leur utilisa-

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

RENCONTRE AVEC MME BRITT-MARI BARTH

7

Danièle D’Aragon

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 8: Numéro 143 Avril • Mai 2007

tion, planifier des activités qui permettent auxélèves de déjà « mettre en oeuvre » les com-pétences recherchées dans le cadre de l’ap-prentissage initial, accompagnés en cela par l’enseignant ou d’autres personnes-ressources.

C. L. – Selon vous, y a-t-il une hiérarchiedans le transfert des connaissances?

B.-M. B. – Oui, on peut dire cela. Il vautmieux commencer par les transferts de voisi-nage. Le transfert plus lointain est progressif,cela exige du temps. Ça ne se fait pasautomatiquement. Quand l’élève arrive dansun nouveau contexte, il est confronté à desconnaissances nouvelles; cela peut l’empê-cher de reconnaître ce qu’il a appris dans unautre contexte. Ainsi, on peut faire évoquerpar l’élève des contextes où les connaissancesqu’il construit pourront être utilisées.

Si c’est progressif, il faut offrir plusieurs situa-tions variées pour permettre aux élèvesd’élargir leur conscience et de généraliser.Peu à peu, on passe des détails à une idéeplus générale. Il faut plusieurs situations variées pour permettre à l’élève de délaisserles caractéristiques particulières d’un exem-ple. Cela exige du temps et de la patience.L’enseignant doit guider l’élève à devenir conscient des liens qui existent entre les situa-tions particulières.

Il peut s’intéresser aux expressions quitraduisent le mieux la compréhension et auxmodes variés pour évaluer; il existe plusieursfaçons de démontrer que l’on sait; c’est bond’avoir le choix. Dans la mesure du possible,intégrer les modes de l’éva-luation à l’ap-prentissage, cela permet à l’élève de devenir conscient de ce qu’il apprend et de la façonde le montrer. L’enseignant doit peu à peupasser d’une intervention d’aide à l’élève à larecherche de son autonomie.

La médiation

L. M. – Comment l’enseignant peut-il êtreun bon médiateur en classe? Quelles ques-tions devrait-il poser pour aller plus loinavec les élèves?

B.-M. B. – Pour moi, la médiation est LE rôlequ’un enseignant doit jouer en classe; c’est

tout ce dont nous parlons maintenant. Leterme « médiation » est ici synonyme depédagogie. Souvent, on associe ce motuniquement à la résolution d’un conflit. Maisl’enseignant peut également jouer le rôle demédiateur entre les élèves et le savoir. Aucœur de ce mot, il y a la réconciliation. Dansun conflit, le médiateur essaie de réconcilierles parties; en classe, un enseignant rap-proche l’apprenant du savoir et des connais-sances. Il crée la culture et le milieu propicepour que l’élève rencontre le savoir et seréconcilie avec les connaissances. PourBruner, on n’apprend que ce qui est cul-turellement accessible dans son environ-nement. L’enseignant doit donc rendreaccessibles aux élèves les outils qui provien-nent de notre culture; c’est un héritage àpartager avec les élèves pour qu’ils par-ticipent au développement et à l’évolution deces outils qu’ils se seront appropriés.

Pour faire de la médiation, il y a des condi-tions à mettre en place. D’abord, l’enseignantdoit rendre le savoir accessible. Puis, il déter-mine clairement ce qu’il souhaite que lesélèves apprennent, tout en sachant que lesavoir est d’abord dans les personnes; il n’estpas inerte, il est quelque chose que l’onutilise pour comprendre, penser, interpréter.Selon Einstein, apprendre n’est pas un devoir,mais plutôt une opportunité enviable de

prendre conscience de la force libératrice deconnaître, pour l’enrichissement de sa proprevie, mais aussi pour la société à laquelle onva appartenir. Il y a les élèves exclus de l’école – ou ceux qui s’excluent d’eux-mêmes– qui perdent le goût d’acquérir des connais-sances et de faire quelque chose d’intéres-sant; ils ont perdu leur place. L’école, ce n’estpas d’abord pour le futur, l’école est d’abordla vie, ici et maintenant; c’est pourquoi l’ex-périence scolaire doit donner du sens à la vie.

Devant des élèves désintéressés, il fautchercher à les convaincre d’entrer dans cettedémarche. Il faut parfois user de ruses pour yarriver. Lancer des questions intéressantescrée déjà un défi; et le défi est une force puis-sante pour entraîner dans l’action.

Un jour, à la suite d’une d’intervention, unejeune élève m’a dit : « Ah oui! J’ai bien aiméce que l’on a fait parce qu’il y avait une vraiequestion, on voulait chercher la réponse, toutle monde participait et on disait ce que l’onpensait sans avoir peur. » C’est la mêmechose avec les adultes. Trop souvent, il y a lapeur de ne pas être bon ou suffisamment à lahauteur. C’est le besoin d’avoir sa place dansle système et la possibilité de dire son mot,sans être jugé.

8 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

RENCONTRE AVEC MME BRITT-MARI BARTH

Claudine Lachapelle

Phot

o: D

enis

Gar

on

Louise Maurice

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 9: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Dans un autre groupe, au début de lajournée, à la question « Qu’est-ce que pourvous le savoir? », un garçon a répondu :« C’est du par cœur ». À la fin de la journée,après avoir réussi à apprendre autrementque par cœur, le même garçon est venu metrouver et m’a dit : « Vous savez, Madame, sic’est comme cela que ça marche, on pourraaider les profs! » Il avait compris que ce n’estpas une question d’être « intelligent » ou pas,mais qu’il faut apprendre à utiliser des « outilsintellectuels » efficaces; que tout le mondepeut le faire, indépendamment de l’originesociale. Il faut inviter les élèves à s’engager, àchercher par eux-mêmes – à condition biensûr de les outiller pour réussir la tâche. Onpeut varier les structures d’interaction : par-fois les élèves sont apprenants, parfois ilsenseignent aux autres. « Trop souvent, ce sonttoujours les mêmes qui sont les nuls! »

Ainsi, comme enseignant, il faut respectertous les élèves, ne pas accepter la moquerie,éviter les situations où les élèves en difficultéseront en panne, avoir des outils pourrécupérer les erreurs, veiller à ce que person-ne ne se trouve en situation d’humiliation,imposer l’écoute mutuelle afin d’apprécier ceque les autres expriment, favoriser lacoopération et avoir des structures d’interac-tion qui favorisent la prise de parole. C’est unclimat de confiance à créer.

Créer la confiance chez les élèves

D. D. – Dans certains cas, des élèves sontmeurtris par la vie. Un des rôles de l’en-seignant est de rétablir la confiance chezeux. Comment devrait-il s’y prendre?

B.-M. B. – L’élève meurtri doit être le premierà sentir la confiance qu’on a en lui. Il doit sen-tir que l’enseignant cherche à le comprendre.C’est risqué de faire confiance quand on n’estpas sûr de la réciprocité; il faut d’abord avoirdes assurances. Si l’élève remarque que l’en-seignant cherche avant tout à mettre ses connaissances à son service pour l’aider àréussir, il se crée ainsi un climat de confiance.Le cognitif est imbriqué à l’affectif, l’un nefonctionne pas sans l’autre. L’enseignant doitse donner tous les moyens pour favoriserl’établissement de ce lien de confiance. C’estce que j’appelle « le contrat d’intersubjecti-vité » : entrer dans une compréhensionmutuelle des attentes; de part et d’autre,clarifier les attentes. L’élève doit sentir qu’unepersonne qui croit en lui est là pour l’aider;ainsi, l’envie d’entrer dans cette relation deconfiance et de la mériter sera grande. C’esttoujours la recherche de ce qui enrichitl’autre, l’élève, dans son apprentissage dessavoirs.

Ce sont de grandes exigences vis-à-vis desenseignants. Parfois, un petit rien peut toutfaire basculer. Pour les élèves, c’est leur iden-tité, l’image d’eux-mêmes, qui est en cause.Au-delà du savoir, il s’agit de la transforma-tion des personnes, de la place que cesjeunes auront dans la société et de la façondont ils vont participer à l’évolution de celle-ci. On est toutefois surpris de constater quedans nos sociétés, le métier d’enseignantn’est pas toujours valorisé à sa juste valeur.

M. Donald Guertin est consultant en éducation.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

RENCONTRE AVEC MME BRITT-MARI BARTH

9

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 10: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

ET LES VALEURS?

LD o s s i e r

Les valeurs sont omniprésentes dans noschoix quotidiens et elles motivent la plupartde nos actions, mais elles sont peu nomméeset la part du dialogue sur ce sujet estrestreinte, dans les pratiques scolaires.

Aborder cette question à l’école, c’est toucherà un tabou. Devant la résistance du milieu scolaire à en parler, quelques hypothèses peu-vent être avancées. Peut-on penser que :

• La difficulté d’évaluer les savoir-êtreest l’une des causes. Depuis desdécennies, les docimologues n’onttrouvé que peu de pistes pour recon-naître une évaluation plus qualitativedes attitudes, dans le contexte sco-laire de la formation générale. Lesnouvelles orientations du cadre deréférence en évaluation permettrontcertainement de faire des avancéesdans ce domaine.

• Pour certains intervenants du milieuscolaire, il y a le choc des culturesdevant l’expression de valeurs quiheurtent des convictions profondes.

• Des personnes on parfois de la diffi-culté à affirmer leurs croyances profondes.

• On a l’impression que le curriculumest interprété de façon personnelleselon les convictions.

• L’attitude de certains intervenants doitêtre prise en considération.

• On laisse peu d’espace doi être prise enconsidération à l’expression des valeurspersonnelles et à la clarification de cesidéaux qui donnent du sens aux actions,quel que soit le rôle joué dans l’institutionqu’est l’école.

• Au secondaire plus particulièrement, lareprésentation que les enseignants et lesenseignantes ont de leur fonction sociale est,avant tout, d’instruire. Ils mettent, parfois audeuxième plan la fonction de socialiser.

• Certains milieux qui ont travaillé sur lesvaleurs lors de la mise en place de projetéducatif n’ont pas toujours réussi à établirde consensus.

Des expériences menées à court terme ontparfois donné des effets inverses, en faisantressortir des différences sur le plan descroyances. Que ce soit dans la classe, dans lasalle des profs ou dans une salle de réuniondu conseil d’établissement, exprimer sesvaleurs et ses croyances profondes est parfoisperçu comme un exercice de haute voltige…sans filet.

La loi du silence est une façon de se protéger,en reléguant aux conversations de corridor lavéritable parole qui permettrait de biencerner les problèmes qui nuisent à la com-préhension mutuelle, malgré les différences.

Ces attitudes de repli sont naturelles; ellesconstituent des mécanismes de survie dansdes milieux où semble régner l’arbitraire.Elles sont parfois le résultat de replisstratégiques dus à des incompréhensions et àl’ignorance de certains éléments.

Lutter pour proposer à chacun et à chacunede s’approprier les repères culturels et

administratifs lui permettant de porter unjugement éclairé dans un référentiel devaleurs qui sont lucidement portées, n’est-cepas, là le propre de l’évolution profession-nelle d’un éducateur qui réfléchit sur sa pra-tique?

C’est donc à la lumière de l’ensemble de cesconstatations que le présent dossier a été

élaboré.

Dans un premier temps, des membresdu réseau scolaire échangent sur lesujet. Leurs propos sont relatés par GuyLusignan.

Nous faisons part également de l’évolu-tion de la question des valeurs et deleur place dans le Programme de for-mation de l’école québécoise, dans desarticles signés par Paul Francoeur,Jacques Racine et Denis Watters.

Pour sa part, France Jutras nous entre-tient de la place et de la fonction desvaleurs dans le contexte éducatif.

Nous ne pouvions passer sous silencela question de l’éthique : Lise-AnneSt.Vincent en fait l’analyse.

Les parents ont un rôle à jouer dans cedomaine. Mme Fasal Kanouté répondaux questions de Louise Sarrasin sur le

sujet du décalage des valeurs entre l’école etla famille.

Enfin, nous sommes allés observer desmilieux pour lesquels l’éducation aux valeursest une préoccupation. Vous pourrez lire à cesujet les reportages de Claude Beauchesne,Mathieu Bruckmüller, Camille Deslauriers etGuy Lusignan.

Bonne lecture.

Camille [email protected]

10

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 11: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

L’ÉDUCATION DES JEUNES AUX VALEURS : POINTS DE VUE D’INTERVENANTS DU MILIEU SCOLAIRE

par Guy Lusignan

CCompte tenu de l’importance que l’écoleaccorde à l’éducation des jeunes aux valeurset de la mise en œuvre du nouveau pro-gramme Éthique et culture religieuse à l’au-tomne 2008, Vie pédagogique a réuni desintervenants1 du milieu scolaire pour con-naître leur perception des enjeux aveclesquels l’école doit composer pour assumerson rôle. Les participants à cette table rondeont mis en évidence certaines questionssoulevées par les différents intervenants dumilieu scolaire. Par exemple, pourquoi abor-der la question des valeurs à l’école? Quellesvaleurs l’école doit-elle privilégier? Doit-il yavoir un consensus chez les intervenantsquant aux valeurs à proposer aux élèves d’unmême établissement? Comment doit-onaborder la question de l’éducation des élèvesaux valeurs? Quelles pratiques doit-on mettreen place? Quel est le rôle de l’enseignant? Àquelles difficultés doit-il faire face? Voilàquelques-unes des questions qui ont alimen-té les discussions.

Pourquoi aborder la question des valeurs à l’école?Aborder la question des valeurs avec lesjeunes est perçue comme l’une des grandesresponsabilités de l’école. Daniel Gougeonrappelle que l’éducation aux valeurs est l’unedes missions de l’école, dans la mesure oùelle doit « favoriser l’intégration des jeunesdans la société et assurer la croissance de lapersonne ». Selon lui, l’école doit prendre lesmoyens nécessaires pour clarifier auprès desjeunes les enjeux sociaux qui sont soulevésrégulièrement et parfois remis en questionpar divers événements qui se passent ici etailleurs dans le monde.

En abordant la question des valeurs, l’écolecontribue à préparer l’avenir des jeunes quivivront dans une société en évolution, selonClaudette St-Cyr : « Il ne faut pas perdre devue que les jeunes qui sont dans nos classesaujourd’hui sont les futurs travailleurs, pa-rents et enseignants. »

En outre, les actions entreprises par l’écoleauprès des jeunes influencent indirectementles parents, comme le mentionne un partici-pant : « L’enseignant, comme professionnel auservice du sens, éduque les parents au sensdes valeurs. » Ceci est particulièrement vraidans les milieux multiculturels, selon DianneBédard : « Les réunions avec les parents per-mettent de discuter des valeurs de notresociété et d’établir un dialogue avec eux. »Pour elle, l’important est de leur dire : « Celase passe de telle façon dans notre école. Sivous avez des commentaires et des inquié-tudes, je vous demande de venir me voir. »C’est ainsi qu’à travers ses interventions, l’en-seignant lance un message aux familles : « Leschoses sont comme cela ici, ne le prenez pasmal. On interprète les actions et les gestesdes gens avec ces valeurs-là. » Faire connaîtreet expliquer aux parents les valeurs aux-quelles on adhère semble être une solutionporteuse. Un participant souhaite que l’écoleadopte une approche ayant une plus grandeincidence sociale : « Il faut apprendre à

défendre nos valeurs. Bien entendu, on valo-rise le dialogue et le respect mutuel, maiségalement l’affirmation de soi. » À cause deses effets immédiats et futurs sur la société,l’action des enseignants ne doit pas êtreisolée mais plutôt se conjuguer à celle desautres intervenants, comme le souligne TracyLyall : « Les enseignants, les parents et ladirection des écoles doivent travailler ensem-ble. » Cela ne doit pas se faire à sens unique,selon Marie Belle-Isle, pour qui les valeursdoivent faire l’objet de « discussions entre lesdivers intervenants, de manière à déciderensemble des valeurs de la communauté; passeulement celles de l’école, car c’est dans lacommunauté que l’élève va grandir ».

Quelles sont les valeurs que l’écoledoit aborder et quelles difficultésrencontrent les enseignants?Plusieurs participants sont conscients deslimites auxquelles ils sont soumis. « L’écolen’a pas à intervenir sur les valeurs indivi-duelles des familles et des religions, car lesélèves arrivent déjà avec des valeurs intério-risées. Toutefois, selon Jean Martineau, « l’école ne peut aller n’importe où, n’importecomment. On doit s’entendre sur une espècede bagage commun de valeurs en rapportavec la socialisation telle qu’elle est proposéepar l’école ». Claudette St-Cyr rappelle queparmi ces valeurs se trouvent « la coopéra-tion, le souci de l’autre, l’écoute et le respectet qu’elles peuvent être travaillées de façonconcrète et explicite à l’école ». Elle attire l’attention sur le fait que les programmes deformation actuels et le futur programmed’éthique et de culture religieuse proposentce tronc commun de valeurs. De plus, lesdomaines généraux de formation et certainescompétences transversales orientent etbalisent la façon d’aborder la question desvaleurs dans les activités d’apprentissage pro-posées aux élèves.

11

Daniel GougeonEnseignant – Collège Beaubois

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 12: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Bien que l’école définisse un certain nombrede valeurs, il arrive que celles-ci ne soient pasnécessairement partagées par des parentsissus de milieux culturels ou socioéco-nomiques différents. Cela est une source dedifficulté, comme en témoigne une partici-pante qui valorise l’autonomie des élèvesdans sa classe. En effet, fait-elle remarquer,dans certaines familles, l’autonomie de l’en-fant va à l’encontre de leurs principes éduca-tifs. Une telle situation crée des tensions dansles communications avec les parents.

Le malaise ressenti par certains enseignantsne tient pas seulement au choix des valeurs àaborder en classe, mais aussi à l’attitude qu’ildoit adopter, comme le souligne DianneBédard : « Moi, ce que je trouve difficile, c’estd’éviter que les élèves croient que c’est moiqui ai les seules bonnes valeurs. J’essaie deleur faire comprendre que mes valeurs sontpersonnelles, mais que cela ne veut pas direque ma façon de voir les choses est lameilleure. »

Parce que l’on ne veut pas froisser lesfamilles ou confronter leurs valeurs, on peutressentir un malaise. C’est pourquoi il y abeaucoup de questionnement dans le milieuscolaire sur la façon de procéder. Commentrespecter les valeurs des autres? Comment nepas imposer des valeurs sans tomber dans lerelativisme? Pour Claudette St-Cyr, la fron-

tière est parfois bien étroite entre le rela-tivisme et l’endoctrinement. Mais selonDaniel Gougeon, « il y a endoctrinementseulement quand on adopte un seul point devue et que l’on souhaite que tous yadhèrent ».

Aux difficultés liées au choix des valeurs,s’ajoutent celles que l’on observe parfoispour obtenir une cohésion entre lesenseignants quant aux valeurs à privilégierdans le projet éducatif et aux projets parti-culiers à mettre en place dans l’école.Lorsque cette situation se présente, elle peutengendrer des malentendus et créer des ten-sions au sein du personnel. Voici commentune participante présente cette réalité :« Dans notre école, c’est difficile de s’enten-dre sur les valeurs que l’on veut y aborder. Eneffet, le problème des valeurs existe dans lescorridors, dans la cour, partout où se trou-vent les élèves. Dans ma classe, les valeurs,c’est ce qui est important pour moi et mesélèves. Mais ce ne sont pas les mêmesvaleurs pour les autres enseignants et la com-munauté de l’école. »

Dans de nombreux établissements, des pro-jets sont mis en place pour éduquer lesélèves à des valeurs telles que le respect desautres, la persévérance scolaire, la toléranceou l’autonomie. Malheureusement, plusieursde ces projets n’atteignent pas nécessaire-ment leurs objectifs, car des enseignantsabandonnent en cours de route faute demotivation de leur part ou de la part desélèves, de leadership de la part de la directionou de soutien et d’encadrement adéquats.

Comment faut-il procéder et quelest le rôle de l’enseignant?Différentes pistes, suggérées par le programme de formation, peuvent êtreempruntées par les enseignants : « Si le déve-loppement des compétences passe par unsavoir agir, il va de soi que l’une des pistes àexplorer est de placer les élèves dans l’action.Il faut les habituer à découvrir leurs valeurs àtravers l’action. » Pour certains, il est clairqu’on ne peut séparer les valeurs de l’action :« Si on veut connaître les valeurs d’une per-sonne, on la regarde agir. »

Pour Natalie La France, il est essentiel qu’unenseignant tienne compte des événementsqui se déroulent dans la communauté quand

il planifie des activités d’apprentissage.Plusieurs partagent cet avis et croient qu’uneapproche à privilégier consiste à amener lesélèves à jeter un regard critique sur les différents événements qui se déroulent dansleur communauté ou dans la société engénéral : actes de bravoure et de générosité,projet de coopération internationale, guerre,confrontation religieuse, etc. Cette ouverturesur le monde les aide à prendre position parrapport à différentes valeurs. Pour Marie-Andrée Veilleux, cette approche va dans lesens des orientations du programme de for-mation car elle permet « d’amener l’enfant, àtravers le dialogue avec l’enseignant, à définirsa propre vision du monde ».

D’autres participants mentionnent l’impor-tance d’impliquer les élèves dans des projetsqui suscitent leur engagement. JeanMartineau donne l’exemple d’élèves d’uneécole secondaire de Trois-Rivières qui se sontengagés dans Amnistie internationale. Pourlui, il est important d’accompagner les élèvespendant la réalisation du projet pour lesinciter à se questionner sur leur engagement :Pourquoi me suis-je engagé dans ce type deprojet? Qu’est-ce que j’ai réalisé? Qu’est-ceque j’ai appris? Où en suis-je rendu? Cetteboucle réflexion-action-réflexion contribue defaçon significative au développement desvaleurs chez les élèves et les incite à faire des

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

12

Claudette St-CyrConsultante en éducation

Phot

o: D

enis

Gar

on

Dianne BédardEnseignante – École Nelligan

Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 13: Numéro 143 Avril • Mai 2007

gestes concrets qui favorisent leur réflexion,génèrent des retours critiques et alimententde nombreuses discussions. Pour une partici-pante, cet exemple illustre bien la nécessitéd’associer les valeurs à une action : « Au lieud’enseigner abstraitement la coopération, ilfaut proposer des situations d’apprentissagedans lesquelles les élèves coopèrent et lesfaire réfléchir pendant et après l’activité. »Dans son école primaire, Marie Belle-Isledonne l’exemple d’un projet de théâtreauquel ont participé des enseignants et desélèves, afin de valoriser des enfants quiavaient des difficultés dans un domaine, parexemple la lecture, et des talents dans unautre, comme la danse. À travers cette activitéculturelle, les élèves ont découvert le plaisirde la coopération et du respect. D’autrestypes de projets, tels que des chorales ou desprogrammes de réflexion sur l’intimidationou la communication, offerts par des orga-nismes spécialisés (par exemple AMCAL2)sont aussi donnés en exemple.

Des participants ont souvent observé queparmi les projets qui réussissent, plusieursont été proposés par des élèves. Selon TracyLyall, « c’est incroyable comme les élèvespeuvent avoir des idées et sont capables deréaliser des projets sans nous. Des projets

qu’ils veulent et peuvent réaliser seuls ».Marie-Andrée Veilleux donne l’exemple d’unélève de troisième cycle, au primaire, quiaprès avoir été témoin d’actes d’intimidationauprès de jeunes élèves de son école, a pro-posé un projet contre le taxage. On constatealors que la motivation est souvent à lasource de la réussite de plusieurs projets liésà l’éducation aux valeurs. Comme le dit sibien une intervenante, « la motivation setraduit dans l’action ». En général, les partici-pants s’entendent pour dire que la réussited’un projet à long terme tient au fait qu’il doitêtre soutenu par les enseignants dans lesclasses et pris en charge, à l’extérieur de laclasse, par plusieurs intervenants tels que lesparents, la direction ou les professionnels.

Une autre façon d’aborder l’éducation auxvaleurs est la discussion. Pour plusieurs, dis-cuter, c’est agir. Mais pas une discussion àvide; plutôt un échange qui est suscité pardes problèmes à résoudre ou des tâches àréaliser et qui est alimenté par le besoin desélèves de prendre position, de découvrir leuridentité et de s’affirmer dans la confrontationdes idées et des points de vue.

Au cours de la table ronde, les discussionsont mis en évidence que c’est dans le projet

éducatif que doivent apparaître clairementles valeurs de l’école et que c’est la responsa-bilité des enseignants de toutes les disciplinesd’en tenir compte dans leurs classes.Cependant, les participants conviennent queles attentes peuvent différer selon la matière.S’il est vrai qu’un enseignant de sciences,d’histoire ou de langues peut aborder laquestion des valeurs ou discuter d’un pro-blème d’éthique, il reviendra surtout auxenseignants du programme d’éthique et deculture religieuse de fournir les outils spéci-fiques pour en faire une étude plus poussée.

L’enseignant témoigne de ses valeurs dansses pratiques quotidiennes. Son attitude estrévélatrice de ce qu’il croit. Par exemple, s’ilvalorise le respect entre les élèves, il se doitde respecter ces derniers également. NatalieLa France applique ce principe : « Donner laparole aux enfants et tenir compte de leursopinions est la culture que j’ai bâtie dans maclasse. Les élèves peuvent exprimer des opi-nions contraires ou différentes des miennes,mais doivent toujours les justifier. »

Selon Daniel Gougeon, le nouveau pro-gramme Éthique et culture religieuse amè-nera l’enseignant à tenir un rôle encore plusimportant et à devenir un modèle significatif

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

13

Tracy LyallEnseignante – École Terry Fox

Commission scolaire Lester-B.-Pearson

Phot

o: D

enis

Gar

on

Marie Belle-IsleEnseignante – Purcell Academy

Commission scolaire Lester-B.-Pearson

Phot

o: D

enis

Gar

on

Jean MartineauAnimateur de vie spirituelle et d’engagement communautaire

Commission scolaire du Chemin-du-Roy

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 14: Numéro 143 Avril • Mai 2007

puisqu’il « favorisera la discussion en classe etla recherche d’une nuance dans la pensée,toujours dans l’optique d’une culture de l’esprit et de l’harmonisation des valeurs ».

Comment porter un jugement sur le développement des valeurs et en rendre compte?Comme il a été écrit précédemment, l’unedes missions de l’école est de favoriser chezles élèves l’éducation aux valeurs. Mais alors,se demandent plusieurs intervenants dumilieu scolaire, est-ce qu’on peut enseignerles valeurs et doit-on les évaluer? Brièvement,on peut répondre oui à la première question.En effet, un enseignant peut définir ce qu’estune valeur; par exemple, il peut expliquer ceque l’on entend par respect, coopération ouautonomie et décrire des comportements quiillustrent ces différentes valeurs. Mais l’im-portant réside davantage dans les dispositifsd’accompagnement mis en œuvre par lesenseignants et les différents intervenants dumilieu scolaire pour aider l’élève à dévelop-per son esprit critique, faire des choix person-nels et des gestes concrets et réfléchir sur sesactions lors de la réalisation d’activités d’ap-prentissage abordant la question des valeurs.À la deuxième question, qui concerne l’éva-

luation des valeurs, les participants recon-naissent que l’on ne peut évaluer les valeursde l’élève mais plutôt, comme le propose leprogramme, évaluer son « savoir-agir » dansla mobilisation des ressources qu’il utilisepour réaliser une activité ou résoudre unproblème concernant les valeurs. Commepour les autres compétences, l’évaluationdans ce domaine s’accomplit dans l’action etdoit cibler ce qui a fait l’objet d’un apprentis-sage, ainsi que le précise une participante :« En religion, il y a un enjeu moral. Je vais faireune évaluation d’un projet ou d’une activité làoù il y a un enjeu moral. » Elle ajoute :« J’aborde souvent la question des valeurs enclasse, mais comme ces discussions ou cesréflexions ne sont pas directement liées à uneactivité d’apprentissage particulière, je n’entiens pas compte dans l’évaluation. »

En guise de conclusionLes participants à la table ronde ont bien faitressortir toute l’importance de l’éducationdes jeunes aux valeurs, dans la mesure où seseffets se font ressentir à long terme dans lacommunauté. Malgré certaines difficultésrencontrées par les intervenants du milieu,les participants sont conscients de l’impor-tance du rôle de l’enseignant et croient que le

nouveau programme Éthique et culturereligieuse leur permettra d’aborder avec tousles élèves de leur classe la question desvaleurs dans la société avec une plus grandesérénité. Toutefois, comme le rappelle uneparticipante, « un programme de formationn’est pas suffisant; il faut compter sur les per-sonnes ». Des personnes qui favorisentdavantage les questions que les réponses,souligne Jean Martineau, et qui sont prêtes àtémoigner des valeurs auxquelles ellesadhèrent.

M. Guy Lusignan est consultant en éducation.

1 Les participants à la table ronde étaient :• Dianne Bédard, enseignante au primaire, 3e cycle,

école Émile-Nelligan, Commission scolaireMarguerite-Bourgeoys;

• Marie Belle-Isle, enseignante au primaire, 3e cycle,école Purcell Academy, Commission scolaire Lester-B.-Pearson;

• Daniel Gougeon, enseignant au secondaire, 2e cycle,collège Beaubois;

• Natalie La France, enseignante au primaire, 1er cycle, école Terry Fox, Commission scolaireLester-B.- Pearson;

• Tracy Lyall, enseignante au primaire, 1er cycle, écoleTerry Fox, Commission scolaire Lester-B.-Pearson;

• Jean Martineau, animateur de vie spirituelle et d’en-gagement communautaire, Commission scolaire duChemin-du-Roy;

• Claudette St-Cyr, conseillère pédagogique retraitéeet collaboratrice à la rédaction de programme auMELS;

• Marie-Andrée Veilleux, conseillère pédagogique,français langue seconde, Commission scolaireEnglish Montréal.

2 AMCAL : L’organisme communautaire Les Servicesfamiliaux Amcal, en collaboration avec le CLSC dePierrefonds, offre des programmes aux écoles pri-maires de la région de Montréal :• Se faire des amis – Rester des amis : un programme

qui s’adresse aux élèves de maternelle et de 1re et 2e année;

• Programme de résolution de conflits et de leader-ship, pour les élèves de 4e, 5e et 6e année.

• Pour plus d’information, consulter le site[http://www.amcal.ca/].

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

14

Natalie La FranceEnseignante – École Terry Fox

Commission scolaire Lester-B.-Pearson

Phot

o: D

enis

Gar

on

Marie-Andrée VeilleuxConseillère pédagogique

Commission scolaire English-Montréal

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 15: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

AU FRONTON DE L’ÉCOLE QUÉBÉCOISE, UNE FRISE DE VALEURS CONSTRUCTIVES

Au terme d’une évolution d’une cinquantaine d’années du système éducatif, le nouveau programme de formation sanctionne implicitement

une échelle de valeurs fondatrices pour notre société.

par Paul Francœur

DDepuis près d’un demi-siècle, à travers desavancées et des reculs, au milieu des débatset des luttes, le monde de l’éducation a peu àpeu agencé un référentiel de valeurs com-munes que le Programme de formation del’école québécoise consacre en filigrane, aumoins théoriquement : notamment lesvaleurs de liberté et d’autonomie; d’égalité,de justice et d’équité; de fraternité, decoopération et d’ouverture aux autres. Entreles lignes se profile assez nettement unepyramide de valeurs susceptibles d’entraînerchez l’élève une prise de conscience person-nelle et sociale, dans le sens d’une intégrationet d’une convergence.

C’est du moins la constatation essentielled’un échange qui rassemblait, le 13 novem-bre 2006, quatre représentants chevronnésdu renouveau pédagogique : Claude Lessard,Arthur Marsolais, Richard Pallascio et MartheVan Neste. Ils ont d’abord évoqué à grandstraits l’histoire de l’éducation scolaire depuis1960, en mettant en relief les valeurs émer-gentes. Ils ont ensuite jeté un regard croisésur la réforme scolaire en vigueur et le nou-veau programme de formation, considéréssous l’angle des valeurs porteuses. Ils ontenfin dégagé les nouvelles voies suggéréespour l’éducation aux valeurs par l’école.

Sans céder à l’euphorie et sans gommer nonplus certaines divergences dans leurs pointsde vue, les participants ont néanmoins estiméqu’en principe, le programme de formationpouvait représenter une source d’inspirationpour les enseignants sur le plan des valeurs àproposer et à illustrer auprès de leurs élèves.Dès le départ, Arthur Marsolais formule lesinterrogations suivantes : « Dans notre sociétéet dans notre environnement culturel, onpourrait croire spontanément que les valeursrelèvent totalement de la subjectivité. Chacunchoisit les siennes et personne ne saurait pré-

tendre les influencer ou les changer. Dans cecontexte, l’éducation morale se limite à l’ex-plicitation des valeurs de chacun. Comptetenu de cet arrière-plan d’abstention, sepourrait-il que, malgré tout, l’école puissepromouvoir activement des valeurs? Et si oui,lesquelles? Et dans quelle mesure des valeurspotentiellement communes peuvent-ellesprendre appui sur le propos et la légitimationdu programme de formation? » On a tenté derépondre à ces questions par un rappel dupassé et une analyse du présent.

Un legs de l’histoireLes débatteurs ont opéré en effet defréquents retours au passé pour reconstituerle fil conducteur des valeurs qui ont marquédurablement l’évolution scolaire depuis laRévolution tranquille.

Avant 1960, les valeurs religieuses et moralesanimaient et encadraient fortement notresociété. On entendait former à l’école des

personnes vertueuses selon l’idéal chrétienet, de surcroît, instruites. Claude Lessard rap-pelle que près des deux tiers des 450 pagesdu programme-catalogue touchaient directe-ment ou indirectement à l’enseignementmoral et religieux. Le maître, incontestablesource de la loi, dispensait la vérité avecautorité et rigueur. L’accès à l’instructiondemeurait restreint pour la majorité.

Dans les années soixante, le système d’en-seignement effectue un virage majeur auxdépens des valeurs morales jadis omni-présentes, en fonction de nouvelles valeurssociales dominantes :

Liberté, autonomie et responsabilitéL’avènement des programmes-cadres délè-gue aux organismes scolaires la responsabi-lité de traduire le contenu des enseignementsen programmes institutionnels, et aux écolesde se doter de plans d’études spécifiques. Lapédagogie active et coopérative fait sonentrée au primaire et propose de mettre enplace une école en principe moins répressiveet plus libératrice.

Égalité, justice et équitéAu secondaire, la démocratisation de l’en-seignement déclenche un effort colossal pourla mise en œuvre d’un plan d’organisationd’une école publique polyvalente et com-mune.

Fraternité, coopération et ouverture à l’autreLes progrès se révèlent plus décevants à cechapitre, malgré les percées d’une pédagogieouverte et coopérative. On rêve d’une indivi-dualisation de l’enseignement, pour aboutiren réalité à des classes homogènes, avec desvoies enrichies, ordinaires et allégées, selonune vision linéaire de la progression.

15

Claude Lessard

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 16: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Les débats et les luttes des années soixante-dix remettent en cause certaines de ces orien-tations. Au primaire, la nouvelle pédagogiene réussit guère à s’imposer et se marginalisepar rapport à l’approche behavioriste tou-jours dominante. Les programmes-cadres,jugés trop laxistes, perdent l’appui de l’opi-nion publique. Au secondaire, on constateque les voies ont rompu un équilibre. Parailleurs, au cours de cette période, un couranthumaniste à forte composante éthique s’affirme avec L’école, milieu de vie. Instruirecertes, mais aussi apprendre à être et à s’épanouir. D’autre part, les combats denature sociopolitique font progresser la règlede l’équité.

Dans les années quatre-vingt, avec l’énoncéde politique intitulé L’école québécoise et lamise en œuvre des programmes par objectifs,on met un accent plus prononcé sur ladynamique de chaque école, qui est invitée àse donner un projet éducatif, et on insiste surla responsabilité professionnelle de l’en-seignant.

À la suite des États généraux de 1996 et dulancement de la réforme scolaire, ces orienta-tions se trouvent consolidées, notammentdans les actions suivantes :

• L’école devient un « établissement d’en-seignement » au sens fort de l’appellation,avec les droits et les devoirs afférents;

• L’école doit résolument viser à l’acquisitiondes savoirs durables et viables que lesjeunes apprendront à mobiliser et à utiliserselon les contextes dans lesquels ils serontplacés. On appelle ces savoirs les compé-tences;

• Les domaines généraux de formation sor-tent du ghetto des cours parallèles, s’intè-grent aux champs disciplinaires et, surtout,deviennent la référence autour de laquellechaque établissement définit un projetéducatif;

• La profession enseignante est largementresponsabilisée par une décentralisationpédagogique et le dégagement d’une plusgrande marge de manœuvre en classe.

Une ratification de valeurscommunesCe survol de l’histoire apporte un vif éclairagesur les valeurs qui imprègnent le programmede formation actuel et que les domainesgénéraux nomment plus expressément.

Il apparaît d’emblée que l’audacieux conceptde la réussite pour tous en constitue la pierreangulaire et tend à marquer l’école du sceaude l’égalité et de la justice en recadrant larecherche de l’excellence. « L’insistance surles apprentissages de base et le rehausse-ment culturel, outillant l’élève en vue d’unedémarche d’autoformation permanente, luiprocure les moyens de construire son espacede liberté et d’autonomie », signale ClaudeLessard. Vigoureusement orienté vers le tis-sage du lien social, le programme valorise lasolidarité, la coopération, l’empathie, l’accueilde l’autre et la capacité du débat positif dansun contexte de pluralité d’options.

Pour illustrer ce constat, nos invités ont arti-culé leurs propos autour des trois axesmajeurs de la mission éducative : instruire,socialiser et qualifier.

InstruireClaude Lessard estime que le programmerenforce nettement la fonction cognitive del’institution scolaire et lui accorde la priorité àtitre de composante spécifique. Un parti prisest proclamé pour l’instruction, sans sous-estimation des deux autres aspects. Le pro-gramme se démarque ainsi par rapport auxsituations antérieures.

Selon Marthe Van Neste, l’élève d’aujourd’huia en effet besoin d’une solide préparation surle plan intellectuel pour appréhender la com-plexité de la société dans laquelle il s’insé-rera. « Le programme offre effectivement auxjeunes la possibilité de mettre au point unejuste vision du monde, de poser sur la réalitésociale un regard lucide, fondé sur les faits,dans une démarche intellectuelle solide,cohérente, rigoureuse et nuancée. Incité àl’exercice constant de son jugement critique,l’élève devient normalement en mesure des’évaluer lui-même et de se réajuster. La pro-gression de l’élève vers l’autonomie pleine-ment assumée est une caractéristique fortedu programme. »

Arthur Marsolais enchaîne en observantqu’en ce qui a trait aux valeurs intellectuelles,c’est justement par le développement de cejugement critique que l’école devient libéra-trice. Elle peut de cette manière contribuer à affranchir l’enfant et l’adolescent desredoutables conditionnements sociaux, éco-nomiques et médiatiques, y compris la réso-nance émotionnelle qu’ils provoquent. Leprogramme manifeste une conception posi-tive et dynamique de la liberté en donnant àl’école une distance critique par rapport à lasociété, amenant ainsi l’élève à adopter uneattitude de recul et à considérer la réalité audeuxième degré.

Pour Richard Pallascio, en modifiant le rap-port au savoir, le programme introduit unevaleur nouvelle, soit « une responsabilisationplutôt qu’une infantilisation ». La constructionde connaissances fait appel à une plusgrande individualisation et à la personnalisa-tion du processus d’apprentissage. La diver-sité des parcours cognitifs des personnesapprenantes commande une variété d’approches pédagogiques : apprentissagecoopératif, apprentissage par situations-problèmes, philosophie pour enfants, etc.

SocialiserAu moment où notre société risque l’éclate-ment, l’école reçoit le mandat de sauvegarderle lien social en proposant et en alimentantune culture commune. Tout en maintenantles orientations antérieures, il force le trait surcertains aspects, entre autres le respect del’environnement, qui est présent dans toutesles disciplines. Cet engagement consensuel

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

16

Arthur Marsolais

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 17: Numéro 143 Avril • Mai 2007

sur le plan de l’écologie propulse souvent l’école à la pointe d’une civilisation confron-tée à la nécessité « d’apprendre à vivre avecmoins de biens et plus de liens », selonl’heureuse formulation de Nicolas Hulot.

Le programme insiste sur l’importance pourles jeunes de structurer leur identité person-nelle, afin de s’intégrer harmonieusement àune identité plus large avec un sentimentnaturel d’appartenance. Ce qui présupposeune connaissance et un respect de soi et desautres. Dans cette perspective, la maîtrised’une langue commune devrait nourrir chezl’élève une fierté relative à une identité com-mune et le prédisposer à l’accueil de l’autre.Mais une condition s’impose alors : que cettelangue soit de qualité et puisse se déclineravec souplesse selon divers registres etniveaux d’expression. En exigeant que lesnouveaux arrivants apprennent notre langue,le Québec fait un choix décisif en faveur durenforcement du lien social. Le programmede français langue seconde en témoigne élo-quemment.

Comme société, nous avons fait le pari d’essayer de progresser par consensus. Uneidentité commune nous prédispose à la sym-pathie et au partage, étant donné que noussommes engagés dans un même destin col-lectif. Le programme soutient que les élèvespeuvent en arriver à une attitude de solida-rité, d’interdépendance et de saine tolérance.Cependant, les jeunes se trouvent inélucta-blement placés devant un dilemme, du faitdes valeurs contradictoires qui ont cours dansleur environnement social. Par l’ouvertureculturelle et une attitude tolérante, ils peu-vent accepter des compromis : par exemple,au sujet du port du voile, du costume augymnase, de la séparation des filles et desgarçons, etc. En traitant ces problèmes pra-tiques, l’école se situe à l’avant-garde del’évolution sociale. C’est l’occasion pour lemilieu scolaire d’effectuer un apprentissagefondamental : accepter comme normales lessituations de tensions, de dissensions et deconflits. On a trop tendance à les esquiverdans un commode « chacun pour soi », refu-sant l’échange, la délibération et le métissageen vertu d’une dérive caractéristique de l’hypermodernité. Dans la discussion, l’élèvefait l’expérience d’être remis en question parle point de vue de l’autre et peut-être trans-formé à travers cette interaction.

Pour encadrer et soutenir ce processus déli-cat, l’enseignant doit prendre appui sur saposture d’adulte, car les bonnes réponses nelui sont pas fournies à l’avance. Il doit doncaccepter de progresser dans la relativité etl’incertitude, de cheminer dans la recherchedu vrai et du juste et de se garder d’instru-menter l’histoire pour une éducation à lacitoyenneté.

Le programme entérine l’idéal d’une sociéténon violente, en quête de consensus. Il inviteà initier l’élève au fonctionnement démocra-tique, en lui enseignant l’art de vivre positive-ment dans une ambiance de débat, dedivergence ou de controverse. Il s’inscrit sou-vent à contre-courant de l’idéologie majori-taire actuelle, acquise à un individualismelibertaire.

QualifierSelon Marthe Van Neste, « attester la maîtrisedes savoirs essentiels, mais aussi soutenir desprogressions diversifiées sans ségrégation » et« travailler sur les limitations de l’élève dansle quotidien, mais aussi reconnaître en boutde course et officiellement le chemin qu’il aparcouru » sont des affirmations du pro-gramme qui appuient les valeurs d’équité etde réalisation personnelle. Par le développe-ment systématique de compétences, l’élèveforge son propre pouvoir d’action et se pré-pare à travailler utilement et efficacementdans la société. Grâce à une maîtrise maxi-male de ses points forts, et surtout par son

aptitude à poursuivre indéfiniment sa forma-tion, il devient en mesure d’assumer son des-tin personnel.

Le programme contient des visées précisesen vue du développement de l’individu et dela personne. Claude Lessard montre queselon des voies diverses et au-delà de la sim-ple transmission d’un héritage culturel, ilfournit à l’élève les instruments utiles à laconstruction de sa propre liberté, d’une posture consistante où sa compétence s’im-posera d’emblée. « On a dit que le program-me tend à former des individus forts etautonomes. Or, pour être autonome, il estindispensable de faire preuve de compé-tence, d’être outillé et d’avoir la maîtrise desprincipaux codes culturels. Dans ce contexte,la recherche abusive de l’excellence se révèleincompatible avec la réussite pour tous, enprivilégiant une transmission de connais-sances au détriment d’une construction desavoirs, risquant de transformer l’école enclub de chevaux gagnants. » Richard Pallascioremarque que, dans ce sens, la différenciationde la pédagogie et la diversification des par-cours scolaires représentent des atouts majeurspour la qualification de tous les élèves.

Cette grille de lecture du programme permetde déchiffrer assez aisément les valeurs quien sont le fondement et démontre dansquelle mesure ce document officiel fournitd’utiles repères pour peu qu’on y prête uneattention ouverte et pénétrante.

Nouvelles pistes pour une éducation aux valeursInscrit dans une trajectoire de continuité, leprogramme se distingue cependant d’unpassé récent quant au mode de transmissiondes valeurs. Confinée depuis quelques décen-nies à des matières circonscrites (ensei-gnement moral et religieux, formationpersonnelle et sociale), l’éducation auxvaleurs relève désormais d’une prise encharge à la fois collective, personnelle et mul-tidisciplinaire.

CollectiveC’est l’ensemble de l’équipe-école, en asso-ciation avec les partenaires, qui, au moyend’un projet éducatif, détient la responsabilitéd’assumer la transmission de valeurs com-munes. Prenant le relais du programme deformation, le projet éducatif choisit et

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

17

Richard Pallascio

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 18: Numéro 143 Avril • Mai 2007

explicite les valeurs à privilégier dans lemilieu. Les accents mis sur l’environnementou sur l’ouverture interculturelle en consti-tuent des exemples significatifs. De plus, lestyle de fonctionnement de l’établissement,sur le plan administratif ou pédagogique,joue à cet égard un rôle déterminant, car iltémoigne en pratique de la cohérence ou del’incohérence des adultes à l’endroit desvaleurs théoriquement affirmées.

Par exemple, qu’en est-il des relations entrela direction et les enseignants, de celles desenseignants entre eux ou des rapports entrel’école et les parents? L’organisation de l’écoleconstitue un puissant vecteur de valeurs. Fait-on preuve d’injustice en acculant à la margi-nalité les jeunes en difficulté ou ensélectionnant des groupes enrichis à l’avan-tage des enseignants expérimentés, tout enréservant aux débutants les élèves défa-vorisés qui accusent du retard? Autant de signaux que l’élève ne manquera pas dedécoder et qui, plus que les discours édi-fiants, façonneront sa propre mentalité etmodèleront ses attitudes.

PersonnelleL’éducation aux valeurs relève donc moinsd’un enseignement systématique que d’uneposture personnelle développée par chacundes agents d’éducation. L’enseignant devientun témoin et un promoteur de valeurs. C’est

en se comportant lui-même de manièreécologique, tolérante et respectueuse qu’ilassurera la transmission efficace des valeurscorrespondantes. Il est donc appelé à adopterune posture adulte et professionnelle et àfaire preuve de cohérence dans ses attitudespar rapport à une éthique intellectuelle, cul-turelle et civique.

Quoique le programme ne soit point asep-tique sur le plan des valeurs, la relationmaître-élève demeure en pratique primor-diale dans ce domaine. Le programme fournitla base de départ à un enrichissement. Ilappartient ensuite à l’enseignant de s’affirmeret de réagir comme un véritable adulte dansun milieu d’enfants et d’adolescents, coura-geusement et avec créativité.

Dans son ordre de mission, l’enseignant faitfonction de substitut parental et de représen-tant de la société. C’est d’ailleurs une sourcede malaise pour plusieurs, qui souhaiteraientn’avoir qu’à témoigner d’eux-mêmes dansl’esprit de l’hypermodernité et qui rêvaient dejouer un rôle de grand-frère ou de grande-sœur auprès de leurs élèves et d’être plutôtun camarade qu’un visage de l’autorité. Or,ils se retrouvent sur le terrain avec le mandatde représenter un curriculum formel quis’éloigne parfois de leurs convictions person-nelles. L’école est décidément un lieu d’ap-prentissage civique.

MultidisciplinaireDans tous les champs disciplinaires, et parti-culièrement dans les domaines généraux deformation, les enseignants ont vocation depromouvoir des valeurs qui trouvent unancrage concret dans la plupart des matières.On a déjà souligné comment l’écologie trou-ve partout des points de soutènement.L’histoire offre un terrain propice à l’éduca-tion civique, où les opinions personnelles del’enseignant peuvent s’exprimer légitime-ment, mais sans exclusivité.

Le programme Éthique et culture religieusefournit l’occasion d’orienter les jeunes dansune recherche personnelle des racines pro-fondes qui donnent vie et plénitude auxvaleurs. L’éventail des cultures et des tradi-tions procure un espace propice à cettequête. Arthur Marsolais précise : « Histori-quement, dans le domaine des valeurs, la

laïcité scolaire a souvent véhiculé unéclairage différent de celui des confessionsreligieuses. Aujourd’hui, l’école laïque, plutôtque d’adopter une posture de combat, tend àadmettre la coexistence légitime de fonde-ments variés – religieux ou non – pour desvaleurs en bonne partie consensuelles. » Ildéplore que certains choix de textes – davan-tage imposés – porteurs de valeurs fonda-mentales, n’aient pas leur place, alors qu’ilspourraient contribuer à construire un substratde conscience sociale.

Enfin, par une mise en œuvre judicieuse etéquilibrée de la politique d’évaluation, envi-sagée avant tout comme une aide à l’appren-tissage, chaque enseignant peut manifesterun idéal égalitaire et démocratique.

Un jardin de valeursMarthe Van Neste conclut que certaines con-ditions s’appliquent pour que ce courantpasse : « D’abord, prendre acte du plan dematch que constitue le programme et de l’esprit qui l’anime. Ensuite, faire preuve deprofessionnalisme dans une pratique éthiquerigoureuse. Puis, cultiver le sens de la profes-sion, approfondir sans cesse son champ disci-plinaire et la didactique correspondante, agircollégialement, être sensible à la missionsociale de l’école et apporter sa contributionau projet éducatif. Enfin, choisir de croiredans les jeunes et avoir le courage desrecommencements sans fin. »

En approfondissant les textes officiels quiencadrent le renouveau pédagogique, il estdonc possible d’y repérer une utile sourced’inspiration pour l’action dans le champ desvaleurs durables à cultiver à l’école. C’est entout cas l’avis convergent des membres decette table ronde, qui font appel à la détermi-nation et à la persévérance des enseignantspour incarner ces principes à l’état embryon-naire dans le programme. De cette manière,l’école prend l’allure d’un véritable labora-toire où s’élabore le Québec en devenir. Maisles textes officiels, si consistants qu’ils soientd’un point de vue idéal, demeurent lettremorte si les agents d’éducation ne lui don-nent un souffle de vie au moyen d’un engage-ment personnel et professionnel.

M. Paul Francoeur est consultant en éducation.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

18

Marthe Van Neste

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 19: Numéro 143 Avril • Mai 2007

D

NDLR : M. Jacques Racine préside le Comitésur les affaires religieuses, qui a pour mis-sion de conseiller le ministre de l’Éducation,du Loisir et du Sport sur toutes les questionstouchant la place de la religion dans lesécoles. Il répond ici aux questions les plusfréquemment posées par le milieu scolaire.Celles-ci sont générées par la nouvelle légis-lation qui a donné naissance à une laïcitéproprement québécoise.

Deux ans avant que le programme Éthique etculture religieuse soit offert à tous les élèvesdes écoles primaires et secondaires duQuébec, le Comité sur les affaires religieusesa présenté le cadre dans lequel ce pro-gramme s’inscrivait, dans un avis au ministreportant sur le modèle québécois de laïcitéscolaire1.

Qu’entend-on par le modèlequébécois de laïcité scolaire?Depuis les années soixante, la question de lalaïcité est lancinante au Québec, même si ellen’a pas fait l’objet d’une prise de position offi-cielle de l’État comme en France. LaCommission Parent, dès 1965, posait leprincipe de la neutralité de l’État, qui ne doitfavoriser ni défavoriser aucune religion, etcelui de la liberté de conscience et de reli-gion. Elle invitait l’État à respecter toutes lesoptions religieuses des citoyennes et descitoyens et lui recommandait, en tenantcompte de la Constitution canadienne de1867, d’offrir aux élèves le choix entre unenseignement catholique, un enseignementprotestant ou un enseignement non confes-sionnel. Elle rappelait cependant que cettefaçon de faire ne devait pas remettre encause les exigences de la qualité de l’en-seignement pour tous. Cette dernière voie,qui ouvrait à la possibilité d’un triple systèmed’éducation, n’a pas alors été suivie par legouvernement pour diverses raisons constitu-tionnelles, pratiques, religieuses et politiques.

Avec l’adoption de la Charte québécoise en1975 et de la Charte canadienne en 1982, lesgouvernements successifs ont pris plus forte-ment conscience de la difficulté qu’ils avaientà respecter le principe de la neutralité de l’État et celui de la liberté de conscience et dereligion. Ils ont été conduits à admettre lanécessité de reconnaître le choix d’optionpour les parents et les élèves et le droit d’exemption pour les enseignants et ils ontété obligés de recourir aux clauses déroga-toires. Dans la pratique, on a assisté peu àpeu à un assouplissement de la compréhen-sion de la confessionnalité, en restreignant saportée afin de s’adapter à l’évolution de lasociété et à la réalité des élèves. On est passéde la catéchèse à l’enseignement religieux, ona délaissé l’initiation aux sacrements et lesanimateurs de pastorale ont changé leursfaçons de faire. Les projets éducatifs ainsi queles réflexions des milieux scolaires se sontnourris à même les traditions humanistes etpédagogiques.

En 1995, les participants aux États générauxsur l’éducation ont invité le gouvernement àfranchir les derniers pas et à établir la laïcitéde l’école. En 1999, le groupe de travailprésidé par M. Jean-Pierre Proulx a pousséplus loin la réflexion sur la place de la religionà l’école, dans le contexte de la Charte desdroits de la personne et de l’évolutionsocioreligieuse du Québec2. L’exercice a don-né lieu à un vaste débat dans l’opinionpublique et à l’Assemblée nationale. La com-mission parlementaire qui a suivi a été parmiles plus importantes des dernières décennies,tant par le nombre de mémoires présentésque par le nombre d’heures d’audience.

Comme suite à ces travaux, le gouvernementa procédé, en 2000, à la déconfessionnalisa-tion du système scolaire et de l’école et il apris la décision, en 2005, d’abolir l’enseigne-ment confessionnel. Ces orientations ont été

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

19

L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉTHIQUE ET DE LA CULTURE RELIGIEUSEDANS LE CADRE DE LA LAÏCITÉ SCOLAIRE

par Jacques Racine

perçues par beaucoup comme la fin de lareligion dans les écoles. « La religion est sortiede l’école », titraient certains journaux. Cetteconclusion passait un peu vite sur la spéci-ficité de la laïcité à la québécoise.

Au moment où l’État acceptait dans toute leurrigueur les principes de neutralité en matièrereligieuse et de respect de la liberté deconscience et de religion des élèves, des pa-rents et des éducateurs, le législateur rappe-lait, dans la Loi sur l’instruction publique (en2000), que l’école devait faciliter le chemine-ment spirituel de l’élève et il créait le nouveauservice d’animation spirituelle et d’engage-ment communautaire. Cela est largementpassé inaperçu. Cinq ans plus tard, le minis-tère de l’Éducation, du Loisir et du Sportlançait une vaste opération d’élaborationd’un programme d’éthique et de culturereligieuse qui devrait remplacer, en 2008, lesprogrammes d’enseignement catholique etprotestant et le programme d’enseignementmoral. Ce sont ces cinq éléments3 qui consti-tuent le modèle québécois de laïcité scolaire,souvent qualifiée de laïcité ouverte au spiri-tuel et au religieux.

Phot

o: M

arc

Robi

taille

Jacques Racine

Page 20: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Est-il vraiment possible que l’écolepuisse et même doive faciliter lecheminement spirituel de l’élèvedans le contexte de la laïcitéscolaire?Des personnes ont été surprises de cet ajout,d’autres, dans les milieux de l’éducation, n’enont pas pris conscience, occupées qu’ellesétaient par les défis de la réforme. Certainesse sont même montrées inquiètes de lareconnaissance de ce rôle, y décelant un cer-tain risque de retour du « confessionnel ».Enfin, comme vous, plusieurs se sontdemandé ce que l’on visait par l’article 36 dela loi qui traite de cette question et de quellefaçon l’école pouvait intervenir.

Pour bien comprendre ce dont il s’agit, il fautpréciser que le cheminement spirituel del’élève n’est pas considéré comme unematière scolaire; il ne fait l’objet d’aucunenseignement. La facilitation du chemine-ment spirituel par l’école est au service de l’épanouissement de l’élève; c’est là sa seulefinalité. En mentionnant ce rôle de l’écoleparmi d’autres, le législateur se situe dansune perspective large de formation globalede l’élève. Il invite l’école à le considérercomme une personne à part entière et à participer à son développement intégral. Ilsuggère que le projet éducatif de l’école,actualisé dans un plan de réussite, vise lapleine réalisation de l’élève dans toutes lesdimensions de son être et de son existence.Par la mention du spirituel, il rappelle doncqu’au-delà des performances et des compé-tences, des connaissances et des habiletés àacquérir, il faut rester attentif à chaque élèveen tant que personne.

Cette responsabilité de l’école, partagée avecd’autres partenaires dont principalement lesparents, est celle de tout le personnel; elledoit être portée par l’équipe-école et par leconseil d’établissement et trouver sa placedans le projet éducatif.

Mais pourquoi faire appel auqualificatif « spirituel » pour parlerdu cheminement de l’élève?Ce qualificatif désigne la reconnaissance de lapersonne humaine dans sa dignité, dans sasingularité, dans son désir de plénitude et dedépassement, dans sa réflexivité et sarecherche de sens. Il s’agit de la reconnaîtrecomme une valeur absolue, disait Kant.

Faciliter le cheminement spirituel d’un élève,c’est lui offrir des conditions pour qu’il de-vienne de plus en plus humain, pour qu’ilprogresse en humanité.

À cette fin, l’école doit favoriser certainsapprentissages : ceux de la liberté, de l’inté-riorité, de la responsabilité, du couraged’être, de la construction de soi et du sens del’altérité. Cela peut se réaliser à l’intérieur desdéfis posés par les diverses disciplinesenseignées, par les situations d’apprentissageet d’évaluation ou par les activités de la viescolaire et parascolaire. Faciliter le chemine-

ment spirituel de l’élève suppose une atten-tion à l’enfant ou à l’adolescent réel. Il fautprendre chacun au sérieux; s’intéresser à cequ’il est, à ce qu’il vit, à ce qu’il devient; sepréoccuper de ce qui lui arrive. Bref, il s’agitde saisir les occasions pour l’inviter àeffectuer les apprentissages déjà mentionnés.

Cela est-il possible dans l’école telle qu’on la connaît?Cela dépend comment on regarde la ques-tion. Ainsi, on pourrait dire que les conditionsidéales ne sont pas présentes dans l’écoleactuelle et évoquer les ratios enseignant/

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

20

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 21: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

21

pluraliste, en partageant des valeurs et enparticipant à des projets.

Ces deux grands objectifs se réalisent danschaque école et dans chaque classe, d’abordpar le respect des uns et des autres, par l’attention à ce qu’ils sont, mais aussi par l’in-térêt à connaître les traditions qu’ils portentou qui sont présentes au Québec, tout ens’ouvrant aux grandes traditions religieusesdu monde qui, par les moyens de communi-cation, sont de plus en plus proches de nous.

Est-ce qu’on ne met pas toutes les religions sur un même plan?Le programme ne se présente pas sous lemodèle d’une étude comparative des reli-gions et il ne fait d’aucune d’elles un critèrepour évaluer les autres. Cependant, commele signalaient les orientations du ministre en2005, la familiarisation avec l’héritagereligieux du Québec est le premier axe descontenus de formation en culture religieuse.Le projet de programme tient compte decette réalité, en affirmant que le christianismeest traité tout au long de chaque année d’uncycle. De plus, dans les orientations spéci-fiques du primaire, le ministre affirme quec’est à partir des réalités de leur milieu de vieque les élèves travailleront et découvriront lesprincipales caractéristiques de différentes tra-ditions religieuses. Au secondaire, il diraplutôt que les jeunes le feront à partir desréalités de la société québécoise et d’ailleursdans le monde. Ces différentes remarquesdoivent servir de guide aux enseignants etaux enseignantes et il est normal que, selonles milieux, les situations d’apprentissage etd’évaluation soient différentes.

Qu’en est-il alors de l’enseignementcatéchétique ou confessionnelqu’assumait l’école auparavant?Il doit être pris en charge totalement par lesÉglises, les communautés de foi ou les orga-nismes pertinents. Il est intéressant deconstater que l’Assemblée des évêquescatholiques du Québec a mis sur pied un pro-gramme en ce sens depuis quelque temps.De plus, une vaste campagne d’information aété lancée, en septembre 2006, pour invitertoutes les paroisses ou communautés chré-tiennes et tous les diocèses à s’impliquerpour reprendre en main l’éducation de la foisous diverses formes.

élèves, les problèmes posés par l’intégrationdes élèves en difficulté, le manque de profes-sionnels dans les services complémentaires,etc. D’autre part, on ne voit pas comment onpeut faire œuvre éducative, peu importe lesconditions et dans les limites de ces condi-tions, sans donner priorité à l’élève et à saréussite, sans exercer une certaine vigilancesur ce qu’il devient, sans chercher à saisir lesoccasions de dépassement qui se présententà lui, tout en sachant qu’on ne porte pas seul,que l’école non plus ne porte pas seule, cesouci de faciliter le cheminement spirituel despersonnes qui lui sont confiées.

Il faut aussi se rappeler que le Ministère acréé le service complémentaire d’animationspirituelle et d’engagement communautaire,qui a pour objectif de favoriser le développe-ment d’une vie spirituelle autonome chez lesélèves et de soutenir l’ensemble du personnelde l’école dans sa mission commune defaciliter l’épanouissement des élèves dansleur cheminement spirituel. Il faut surtoutreconnaître que toutes les conditions néces-saires ne sont pas encore réunies dans cer-tains milieux pour permettre aux animateurset aux animatrices à la vie spirituelle et à l’en-gagement communautaire de jouer pleine-ment leur rôle.

Comment situer le rôle duprogramme Éthique et culturereligieuse dans l’école laïque?Rappelons-nous d’abord que la neutralité del’État en matière religieuse signifie qu’il nefavorise ni ne défavorise aucune religion etque, d’autre part, la liberté de conscience etde religion permet à toute personne d’exer-cer sa religion ou sa non-religion selon saconvenance. L’affirmation du principe de laneutralité de l’État n’est pas une négation dufait religieux ou de l’importance des convic-tions dans la vie des personnes et dessociétés.

En mettant sur pied ce programme à la placedes programmes d’enseignement religieuxconfessionnels, le Ministère cherche àfavoriser, par une information et une forma-tion pertinentes, la reconnaissance de cha-cune des personnes dans ce qu’elle est, ycompris dans son appartenance à une tradi-tion religieuse ou séculière. Il veut aussi per-mettre à tous les citoyens d’apprendre àtravailler au bien commun dans une société

Comment faire le lien entre ce quiest véhiculé à la maison et les coursd’éthique et de culture religieuse?Ce sera un véritable défi d’impliquer les pa-rents qui vont parfois se sentir dépassés etincapables de suivre ou d’accompagner leurenfant dans un domaine pour lequel ils con-sidèrent détenir la première responsabilité. Ilappartient aux écoles de leur fournir uneinformation adéquate, comme on l’a fait aumoment du passage du petit catéchisme à lacatéchèse, à la fin des années soixante.D’autre part, face à ce problème réel, il nefaut pas négliger l’influence des médias demasse, qui renvoient à la société une certaineimage d’elle-même. Dans cette société où sevit une grande diversité de croyances et deconvictions, s’exprime aussi – et on ne le voitpas toujours assez clairement – le désir de sedonner des valeurs communes. Il fautaccepter que celles-ci se traduisent dans demultiples référents identitaires. L’acceptationde cette réalité se fera progressivement, dansla mesure où l’on n’exaspérera pas les dif-férences et où l’on ne déformera pas le passéen l’idéalisant ou en le dévaluant.

Pour en savoir plus :COMITÉ SUR LES AFFAIRES RELIGIEUSES, Lalaïcité scolaire au Québec. Un nécessairechangement de culture institutionnelle, avisau ministre de l’Éducation, du Loisir et duSport, 2006.

En ligne : [http://www.mels.gouv.qc.ca/affairesreligieuses/CAR/PDF/Avis_LaiciteScolaire.pdf]

1 COMITÉ SUR LES AFFAIRES RELIGIEUSES, La laïcitéscolaire au Québec. Un nécessaire changement deculture institutionnelle, avis au ministre de l’Éduca-tion, du Loisir et du Sport, Québec, octobre 2006.

2 GROUPE DE TRAVAIL SUR LA PLACE DE LA RELIGIONÀ L’ÉCOLE, Laïcité et religions. Perspective nouvellepour l’école québécoise, rapport du Groupe de travailsur la place de la religion à l’école, Québec, 1999.

3 La liberté de conscience et de religion; la neutralité del’État; la prise en compte du cheminement spirituel del’élève; le service complémentaire d’animation spiri-tuelle et d’engagement communautaire; le pro-gramme d’éthique et de culture religieuse.

Page 22: Numéro 143 Avril • Mai 2007

ÉTHIQUE ET CULTURE RELIGIEUSE : UN OUTIL DE RÉFLEXION INÉDIT

par Denis WattersÀD o s s i e r

À compter de septembre 2008, en remplace-ment des programmes optionnels d’en-seignement moral et religieux catholique ouprotestant et d’enseignement moral, un pro-gramme d’éthique et de culture religieusesera offert à tous les élèves des écoles duQuébec des secteurs public et privé1. À tra-vers les deux volets de ce programme, lesjeunes du primaire et du secondaire appren-dront à réfléchir sur des questions éthiques età comprendre des expressions du religieuxdans la société. C’est à travers la pratique dudialogue qu’ils feront ces apprentissages.Largement souhaité par une majorité deQuébécois – et dans la foulée de la Révolu-tion tranquille –, le programme Éthique etculture religieuse constituera une pièceinédite du Programme de formation de l’école québécoise.

Le choix du QuébecDans une société comme la nôtre, un pro-gramme d’éthique et de culture religieuse atoute sa pertinence. Il constitue le choix quefait le Québec pour répondre au besoin deformation des jeunes concernant les grandesquestions éthiques et religieuses qui tra-versent notre société pluraliste. Si la diversitédes croyances et des valeurs contribue à larichesse de la culture québécoise, on sait quecette diversité peut aussi être source de ten-sion. En ce sens, il importe que l’école amèneles jeunes à reconnaître l’apport des person-nes et des groupes qui composent le tissusocial du Québec, leur fasse acquérir unepensée autonome, critique et créatrice, lesoutille pour les aider à se prémunir contre leseffets du relativisme moral, du laisser-faire etde l’intégrisme et leur apprenne à connaîtreet à respecter les valeurs fondamentales de lasociété québécoise.

Une réflexion critiqueDans cet ordre d’idées, le programmed’éthique et de culture religieuse fera une

large place à la réflexion critique sur lesvaleurs telles que la liberté, l’équité, la justice,la tolérance, le sens des responsabilités,l’amitié, l’entraide et le respect2. Cette ré-flexion portera aussi sur les règles et lesdroits que se donnent les membres d’unesociété ou d’un groupe pour guider et régulerleur conduite. En plus d’interroger la signifi-cation et la raison d’être de ces règles et deces droits, on les abordera pour apprendreaux jeunes à faire des choix judicieux. L’undes buts recherchés sera de les rendre aptesà étayer leur réflexion en interaction avec différentes personnes et à présenter leurpoint de vue et à agir de façon responsabledans une situation donnée, par rapport à soi,à autrui et en tenant compte des retombéesde leurs actions sur le vivre-ensemble. Dansce programme, on s’intéressera aussi à desquestions telles que les relations entre lesêtres humains, l’environnement, ou les défisque posent les avancées scientifiques et tech-nologiques. On examinera les principes et lesvaleurs qui justifient des prises de positionsur ces questions. Faisant appel à la pratiquedu dialogue, à l’autonomie de l’individu, àl’exercice du jugement critique et à la respon-sabilité de chacun, la formation en éthiqueoffrira aux jeunes la possibilité de donner unsens à leurs décisions, à leurs actions et à leurrapport au monde.

Reconnaissance de l’autre etpoursuite du bien communCommuns à l’éthique et à la culturereligieuse, la reconnaissance de l’autre et lapoursuite du bien commun constituerontdeux finalités du nouveau programme3. Lareconnaissance de l’autre, indissociable de laconnaissance de soi, est liée au principe selonlequel toutes les personnes sont égales envaleur et en dignité, d’où l’importance pourchacune d’entre elles d’être reconnue,notamment dans sa vision du monde, c’est-à-dire dans ce regard que chacun porte sur soi

et sur son entourage et qui oriente ses atti-tudes et ses actions. Cette reconnaissance,qui s’actualisera dans un dialogue empreintde réflexion personnelle, d’écoute et de dis-cernement, n’admettra toutefois pas d’at-teinte à la dignité de la personne ni d’actionsqui compromettraient le bien commun. Sesituant au-delà de la satisfaction d’intérêtspurement individuels, la poursuite du biencommun amènera quant à elle les élèves àrechercher avec les autres des valeurs com-munes, à valoriser des projets qui favorisentle vivre-ensemble et à promouvoir lesprincipes et les idéaux démocratiques pro-pres à la société québécoise. Prenant encompte le fait que les élèves sont issus d’hori-zons divers, cette poursuite du bien communles amènera à s’entendre, de façon respon-sable, pour relever des défis inhérents à la vieen société.

M. Denis Watters est responsable de lacoordination des équipes de rédaction duprogramme d’éthique et de culturereligieuse à la Direction générale de laformation des jeunes du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

1 QUÉBEC, MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ETDU SPORT, La mise en place d’un programmed’éthique et de culture religieuse : Une orientationd’avenir pour tous les jeunes du Québec, Québec,ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005,16 p.

2 Voir à ce sujet : MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DULOISIR ET DU SPORT, « Projet de programme. Éthiqueet culture religieuse. Document de travail », 1er sep-tembre 2006.

3 Ibid.

22 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

Page 23: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

VIVRE L’ENGAGEMENT AU QUOTIDIENpar Camille Deslauriers

PPrenez d’abord une cour d’école aux dimen-sions d’une forêt; puis, ajoutez-y une cabaneà sucre; enfin, incorporez des élèves et desenseignants motivés qui viennent à l’écolemême le dimanche pour participer de leurplein gré aux différentes corvées saison-nières. Une recette irréaliste, dites-vous? Etpourtant. Grâce à l’implication des parents,des enfants et du personnel de l’école duGrand Boisé, située à Chelsea, en Outaouais,la compétence transversale « Coopérer »prend tous les printemps l’odeur du siropbouillant, la couleur mordorée de la tire surla neige et la saveur de l’eau d’érable que l’onrecueille… dans la cour d’école! « La cabanequi est là, en arrière, a été construite par desparents bénévoles, entre septembre 2000 etmars 2001, grâce à une subvention d’Envi-ronnement Québec accordée dans le cadred’un projet d’éducation environnementale »,raconte M. Steve Mc Allister, le président duconseil d’établissement. Il ajoute : « Évidem-ment, il y a des choses qu’on n’a pas pu faire,comme les fondations, par exemple. Maisavec la subvention, on a acheté les matériauxde construction et le reste a été fait en grandepartie par des parents qui ont donné de leurtemps et qui connaissaient l’industrie del’acériculture, l’électricité ou la menuiserie.Les enseignants et les enfants sont venusaider et en moins de six mois, on avait unecabane! Au printemps 2003, on produisait dusirop. Depuis, toutes les classes ont un rôlespécifique à jouer : collecte de l’eau, assis-tance au bouillage, stérilisation des bouteilles,fabrication des produits, embouteillage, éti-quetage. » Intriguée, je me retourne etj’aperçois par la fenêtre une cour d’école quise mue en boisé. Environ cent quatre-vingtsmètres plus loin, nichée entre les érables : lacabane à sucre. Une vraie cabane en boisrond qui, m’apprend-on, fait bel et bien par-tie de l’école et sert aussi de salle communau-taire où deux cohortes de dîneurs vontmanger leur lunch quotidiennement, descène improvisée où se déroulent les répéti-tions de théâtre, et même de local où l’onenseigne la fabrication du papier, l’une desactivités parascolaires.

Étonnement, émerveillement, puis curiosité.Bientôt, les questions affluent et plusieursintervenants y apportent des réponses fasci-nantes : Steve McAllister; Louise Cousineau,la directrice de l’école; et Suzanne Barthe,animatrice de vie spirituelle et d’engagementcommunautaire ainsi que les personnesqu’elle a réunies en table ronde, soit NathalieBussières, enseignante en 4e année, et sesanciens élèves Alexandre Marengère, Marie-Ève Gingras, Paule Desrochers et ValérieSoublière, maintenant en 6e année.

Précisons-le d’entrée de jeu, l’école du GrandBoisé est située dans un milieu très favoriséet, souligne la directrice, « l’implicationparentale est exceptionnelle. Elle témoigne devaleurs de coopération, d’engagement et debénévolat : en plus de s’impliquer dans leprojet éducatif de l’érablière, les parents par-ticipent à l’entretien de la bibliothèque et animent des activités parascolaires ». Mme Cousineau ajoute par ailleurs que si lesenfants vivent quotidiennement dans l’abon-dance, l’idée de partage semble tout demême fort bien intégrée chez eux, notam-ment parce qu’ils participent à différents pro-jets d’animation spirituelle et d’engagementcommunautaire où ils sont amenés, tour à

tour, à donner aux moins favorisés et à pren-dre conscience de leur différence. En avril2004, par exemple, les élèves de 4e année de la classe de Nathalie Bussières ont reçu àdîner, dans leur cabane à sucre, une classe de4e année de l’école Saint-Rédempteur, deHull, située dans un milieu beaucoup plusdéfavorisé que le leur, « pour partager un peules richesses de notre lieu avec d’autresélèves », explique Mme Barthe. NathalieBussières ajoute : « On voulait faire prendreconscience aux enfants de la chance qu’ilsavaient. Parce qu’en vivant là-dedans, c’estparfois moins évident de s’en rendre compte.Alors, l’un des buts de l’activité, c’était de leurfaire connaître un milieu qu’ils n’auraient pasconnu autrement en invitant des enfants qui,peut-être, n’étaient jamais allés à la cabane àsucre. Et moi, en tant qu’enseignante, ça m’avraiment touchée. Ça fait déjà dix ans quej’enseigne ici et, parfois, j’oublie un peuqu’ailleurs, les enfants n’ont pas tout ce qu’ona, qu’ils ne déjeunent peut-être même pas lematin. Ça nous ramène aux valeurs fonda-mentales. » Sur ce, son ancienne élève Valérierenchérit : « Alors que nous, des fois, quandon arrive pour souper, on chiâle… » Aussi,quand Mme Barthe leur demande ce qu’ils ontretenu de cette expérience et ce qui les a per-

23

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 24: Numéro 143 Avril • Mai 2007

sonnellement le plus touchés, les quatreélèves abondent dans le même sens. « Moi, jeme suis trouvée vraiment chanceuse. Dansma tête, c’était des personnes d’autres paysqui étaient plus défavorisées que moi, mais jeme suis rendu compte qu’il y en avait mêmeà Hull », précise Marie-Ève. Paule, quant àelle, souligne leur joie de vivre : « Moi, j’aivraiment aimé comment ils se comportaient.Leur sourire. Ils étaient très chaleureux. Jen’aurais jamais pu croire que des enfants quin’avaient pas tout et qui ne mangeaient pastout le temps à leur faim pouvaient être aussisouriants! » Pour sa part, Alexandre évoquesa fierté de leur avoir fait visiter les lieux et deleur avoir servi un repas typique. Et même sinous sommes en novembre 2006 et que l’ac-tivité remonte déjà au mois d’avril 2004, touss’en souviennent très bien. Ils racontent qu’ilsavaient été jumelés avec les enfants de l’écoleSaint-Rédempteur lors d’un jeu questions-réponses pour mieux les connaître et qu’ilsleur avaient offert des petits cadeaux : leursproduits de l’érable, des signets faits à lamain et un livre de recettes au sirop d’érablequ’ils avaient publié.

Des projets d’animation spirituelle et d’en-gagement communautaire de cet ordre –lesquels, éventuellement, pourraient amenerdes visites réciproques – Mme Barthe enorganise plusieurs chaque année. À cetégard, l’animatrice souligne l’implicationexceptionnelle de l’équipe-école du GrandBoisé : « Moi, je rencontre la direction de l’école à la fin de l’année. On fait le bilan eton prévoit les projets pour l’année suivante.Je fais des recommandations, la direction faitdes propositions à l’équipe-école et quand onpropose un projet, ici, la réponse est toujoursoui! Et on garde toujours une ouverture pourrecevoir les suggestions des enseignants etdes enseignantes. L’année dernière, parexemple, l’équipe-école m’a dit qu’en plusde réaliser des projets locaux, elle souhaite-rait faire un peu d’aide internationale. » Ainsi,en 2006-2007, les élèves participeront entreautres au projet « La goutte d’eau », qui sevivra par étapes, tout au long de l’année. Ennovembre, les élèves ont rencontré Mme LucieGravel, une enseignante retraitée deGatineau qui, depuis six ans, fait la collected’objets divers à l’intention de jeunesNigériens. Au départ, elle recueillait des four-nitures scolaires de seconde main. Elle lesenvoyait, en conteneur, par bateau au Niger

et, deux mois plus tard, elle se rendait surplace pour recevoir, dédouaner et distribuerles articles. Depuis quelques années, son pro-jet a pris de l’ampleur. En plus des fournituresscolaires, elle collecte également des vête-ments, des bicyclettes, des chaises, des fau-teuils roulants, etc. Elle doit maintenant louerun entrepôt! Mme Gravel a montré des photosaux jeunes et elle leur a parlé de son expé-rience, des besoins qu’il y avait au Niger et deson projet (envoyer un conteneur coûte 12 000 $ et se rendre au Niger, plus de 2 000 $), et les a invités à y participer con-crètement. Mme Barthe mentionne que lesélèves ont paru extrêmement émus par sontémoignage et particulièrement emballés parle projet. Et de fait, lors de la table ronde,Marie-Ève, Alexandre, Paule et Valérie abor-dent spontanément le sujet. Elle leurdemande alors ce qui les avait le plus touchésdans le témoignage de Mme Gravel et quelleétait l’image qui leur est restée après cetterencontre. Tout de suite, Alexandres’exclame : « Il fallait que les enfants mar-chent longtemps pour aller à l’école et leurspieds brûlaient sur le sable! » Paule soulignela différence entre sa propre situation et celledes enfants du Niger : « C’était une école depaille! Ça n’a pas de bon sens comme noussommes chanceux. Ils n’avaient pas depupitres ni de chaises ». Marie-Ève a été trou-blée par la petitesse et l’insalubrité desmaisons africaines : « Ils ont des grossesfamilles et les maisons sont vraiment petites,elles n’ont qu’une chambre et il y a mêmedes enfants qui meurent parce qu’ils n’ontpas d’eau ». Valérie insiste sur le fait que tousles dons sont importants, même ceux quisemblent les plus anodins : « Pour nousautres, donner un petit bout de crayon àmine, ça n’a pas d’importance. Mais poureux, c’est un morceau d’or. » Mme Bartheajoute qu’à la suite de la rencontre avec Mme Gravel, les 371 élèves du Grand Boisé ontproposé de ramasser de l’argent pour par-rainer trois enfants du Niger. Marie-Èveexplique que s’ils donnent chacun un dollarpar mois, ils permettront à trois Nigériensd’aller à l’école.

Un sujet tabou, les valeurs? Absolument pas,de toute évidence. Mais comment SuzanneBarthe réussit-elle à faire parler les enfantsaussi aisément? D’une part, elle souligne l’im-portance de planifier une « relecture » desprojets qu’ils ont vécus. « Souvent, il s’agit

seulement de poser la question. Qu’est-ce quit’a touché? Qu’est-ce qui t’a rejoint? Qu’est-ceque tu ressens? Qu’est-ce que tu souhaiteraisfaire? Qu’est-ce que tu as découvert sur toi?Ce sont des questions magiques! Je l’aiconstaté pour avoir souvent vécu l’expé-rience. C’est vraiment étonnant. On n’a qu’àposer les questions de base, c’est aussi sim-ple que ça. On peut le faire de vive voix oupar écrit, mais le retour reste une étape trèsimportante pour intégrer ce qu’ils ont appris,ce que ça leur dit sur le monde. Lorsqu’onpropose des projets, ils embarquent, ilsaiment beaucoup être dans l’action.Lorsqu’on leur demande des suggestions, ilsont plein d’idées. Et ils collaborent très bien,ils sont très ouverts à partager leur vécu. Ilfaut vraiment prendre le temps de vivre leretour sur l’expérience. Par exemple, peuaprès la visite des élèves de l’école Saint-Rédempteur, en avril 2004, j’ai voulu vérifierce qu’ils avaient retenu. Ils ont été trèsgénéreux dans les commentaires par rapportà l’évaluation du projet : ce qu’ils avaientaimé, ce qui avait bien fonctionné et ce quiavait moins bien fonctionné. Ils ont fait unetrès bonne suggestion pour améliorer le pro-jet : ils ont émis l’idée de correspondre avecles autres élèves avant la rencontre. Ensuite,j’ai posé la question : qu’est-ce qui t’a touché?Et là, d’eux-mêmes, ils ont parlé de la chancequ’ils avaient… Et ils étaient authentique-ment impressionnés par le fait que cesenfants-là étaient si joyeux, si heureux, mêmes’ils n’avaient pas de gymnase, même s’ilsn’avaient pas les mêmes opportunités devoyage ou de loisirs qu’eux ». D’autre part,une excellente façon d’aborder le sujet desvaleurs avec les enfants, soutient Mme Barthe,s’avère de leur proposer des ateliers de sensi-bilisation avant de les impliquer dans un pro-jet. Par exemple, pour faire réfléchir lesenfants sur la notion d’appauvrissement etles amener à comprendre que rien n’estjamais acquis, ni la santé, ni la richesse, elleorganise chaque année l’atelier « Tirer le dia-ble par la queue ». « L’idée, c’est de les ame-ner à réfléchir sur l’appauvrissement, sur lesraisons qui pourraient faire que l’on seretrouve défavorisé ou plus démuni. Audébut, je demande ce que l’expression “ Tirerle diable par la queue ” signifie. Souvent, ilsne le savent pas; alors, je leur lis un conte quiparle des racines de cette expression et de cequ’elle veut dire. Ensuite, on lit l’histoired’une jeune maman dont le mari perd son

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

24

Page 25: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

25

emploi et se met à consommer de l’alcool. Lecouple se sépare et la maman se retrouveseule avec deux enfants, en situation de pau-vreté. Et là, on fait le décompte : combien çacoûte pour le loyer, la nourriture, qu’est-cequ’elle peut faire, combien elle reçoit, com-ment elle va procéder... On fait vraiment ledécompte au tableau : si cela coûte 1 300 $ etqu’elle ne reçoit que 800 $, que peut-ellefaire? On en vient à la conclusion qu’elle doitcouper dans les dépenses, ce qui expliquepourquoi les enfants n’ont pas d’ordinateur,pourquoi ils sont moins bien habillés,pourquoi ils ne déjeunent peut-être pas…Puis, on fait aussi un sketch. Deux enfantsviennent en avant de la classe et jouent unejeune fille et un monsieur d’un certain âgequi se retrouvent assis l’un à côté de l’autredans un autobus. La jeune fille, tout bon-nement, doit demander à l’homme :“ Comment ça se fait qu’il y a tant de genspauvres? ” Et lui, répond : “ Bien, c’est pascompliqué, c’est parce que les gens ne veu-lent pas travailler. ” Et là, on réfléchit pouressayer de voir s’il a raison, on fait une tem-pête d’idées. À ce moment, j’entends tous lespréjugés; c’est comme si des adultes étaientassis dans la classe : “ Ils sont paresseux, ils neveulent que s’amuser, ils ne savent pasdépenser leur argent… ” Et là, je suscite ledébat : “ Est-ce que tout le monde est d’ac-cord avec ça? ” Et habituellement, il y en a unou une qui a le courage de dire : “ Je ne pensepas que c’est toujours à cause de ça. ” Et onessaie de trouver d’autres causes, en seréférant à l’histoire qu’on a lue. Et de fil enaiguille, en énumérant toutes les causes d’appauvrissement possibles, on voit lesenfants qui réalisent l’ampleur de leurspréjugés. Et je leur demande ce qu’ils pour-raient faire, comme enfants de onze ans,pour aider des gens qui vivent une situationsemblable. On en arrive à parler de collectede denrées, mais aussi de l’importance durespect. Et ils parviennent à cette conclusionpar eux-mêmes : on doit être plus respec-tueux envers les gens qui sont d’un milieuplus défavorisé, parce qu’on ne connaît pasleur situation. Ça les ébranle et leur donne unautre regard. Ça les interpelle et les amène àréfléchir. » À titre d’animatrice de vie spiri-tuelle et d’engagement communautaire, Mme Barthe est amenée à intervenir dansplusieurs écoles de la Commission scolairedes Portages-de-l’Outaouais. Elle m’expliqueque son travail comporte deux volets : d’un

côté, l’engagement communautaire, del’autre, la vie spirituelle. « On veut les initieraussi à tout ce qui touche à l’intériorité, àl’estime de soi. Cela peut se faire, par exem-ple, par un atelier de méditation. Je fais aussibeaucoup d’ateliers d’affirmation de soi. Ilsont un grand besoin de se dire. Je pense qu’ilfaut leur offrir des occasions de réfléchir, allerles chercher. C’est parfois difficile, avec lesplus petits. Mais on développe des outils, destechniques. On peut y arriver, entre autres,en vivant des moments dans la nature avecles enfants; et ici, c’est facile! Mais développerleur estime de soi, c’est une grande préoccu-pation. Il faut du temps pour les aider à sedécouvrir et à prendre confiance (particu-lièrement pour préparer le passage entre leprimaire et le secondaire), pour les informer,les rassurer, leur donner l’occasion de parta-ger leurs craintes, leurs rêves, leurs espoirs ettout. Et c’est plus facile qu’on pense de lesamener sur ce terrain-là. »

D’autres projets qui concernent les valeurs àl’école du Grand Boisé? Je pourrais en énu-mérer plusieurs encore. Je pense, entreautres, au projet de l’enseignant MarcThibault qui, à tous les deux ou trois ans,choisit une quinzaine d’élèves de onze etdouze ans et supervise des rencontres et descampagnes de financement pendant deuxans, pour ensuite les accompagner enRépublique dominicaine pour une semaineintensive de bénévolat pendant la relâchehivernale. Les quatre enfants qui ont participéà la table ronde auraient accepté d’y aller

n’importe quand, et ce, même si dans lesmaisons dominicaines, ils avaient dû « dormirdans des chambres pleines de rats », ont-ilsprécisé… Je pense aussi à un autre projetdont m’a parlé la directrice : l’engagementd’une dizaine d’élèves de 5e année à parti-ciper au Prix des enfants en architecture.Étonnant, dites-vous? Pour reprendre lesmots de la directrice, « si une école a autantde projets, c’est parce que l’équipe-école estprête à s’embarquer dans ces projets-là. Ladirection peut avoir l’ouverture requise, maiselle ne peut pas faire ça toute seule. L’écoledu Grand Boisé, c’est une école dynamique,avec un personnel impliqué, qui croit à laréussite des élèves et pense que cette réussitepasse par de multiples projets qui viennentrejoindre toutes les catégories d’élèves. Etquand je parle de personnel, je parle autantdu personnel enseignant que du personnelde soutien et du personnel du service degarde. C’est vraiment une famille, ici ».

Oui, une famille où les valeurs de coopéra-tion et de partage se vivent au quotidien ets’apprennent par l’exemple. Une famille oùles multiples projets permettent de dévelop-per une conscience sociale grâce à laquelleles citoyens de demain seront ouverts auxautres, même s’ils vivent dans un milieu trèsfavorisé. Une grande famille qui m’a sembléplus vivante encore que la nature qui l’en-toure!

Mme Camille Deslauriers est rédactrice-pigiste.

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 26: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

DES LIEUX D’INCARNATION DE VALEURS COMMUNAUTAIRESpar Claude Beauchesne

A

D o s s i e r

Avant de rencontrer Line Painchaud, anima-trice de vie spirituelle et d’engagement com-munautaire, j’ai jeté un coup d’œil sur leprospectus de l’établissement d’enseigne-ment secondaire où elle travaille, soit l’écolePointe-Lévy, de la Commission scolaire desNavigateurs (Chaudière–Appalaches). J’ai putout de suite constater que – au même titreque les grands objectifs de l’école québécoise– des valeurs « reconnues par l’ensemble desmembres de la communauté » ont inspiré leprojet éducatif de ce milieu scolaire. Lesvaleurs retenues à Pointe-Lévy sont, en l’occurrence : la responsabilisation, le respect,le dépassement de soi et l’entraide.

Mme Painchaud ainsi que les quelques inter-venants scolaires rencontrés en vue de larédaction du présent article ont tous signalé,chacun à leur manière, que les activitéséducatives qui tissent la vie quotidienne de leur école (les cours de mathématiques,les séances d’entraînement des équipessportives, les consultations individuelles enorientation scolaire, etc.) permettent aux édu-cateurs d’interpeller les jeunes sur leursvaleurs et de les inviter à mettre en œuvrecelles auxquelles il leur apparaît souhaitabled’adhérer.

Dans un contexte où les valeurs peuvent, enprincipe, se transmettre et s’incarner danstous les « maillons de la chaîne éducative »,quel rôle particulier joue le service complé-mentaire (et non confessionnel) d’animationspirituelle et d’engagement communautaire?Voilà l’une des questions dont j’ai eu l’occa-sion de discuter avec Line Painchaud ainsiqu’avec trois de ses collègues et cinq jeunesqui, à sa demande, ont accepté de participerà une table ronde pour Vie pédagogique(organisée généreusement par l’animatricequi jugeait que, tous ensemble, ils sauraientmieux qu’elle seule refléter l’esprit du serviceéducatif dont elle assume la responsabilité1).

La gratuitéMme Painchaud travaille en milieu scolairedepuis plus de vingt ans. Au début desannées 1980, lorsqu’elle poursuivait ses

études en théologie à l’Université du Québecà Chicoutimi, elle n’avait pas de plan de car-rière en perspective. Peu de temps aprèsavoir obtenu son diplôme, elle découvrit savoie en répondant à une offre d’emploi d’ani-matrice de pastorale pour la Commission sco-laire de Chicoutimi. Son choix d’études n’enavait pas moins, pour elle comme pourplusieurs de ses collègues, un caractère gra-tuit (motivation liée prioritairement au do-maine de connaissance plutôt qu’à uneprofession).

La gratuité est d’ailleurs le terme qui pourraitle mieux résumer les propos de l’animatriceau sujet de la caractéristique distinctive duservice éducatif qu’est l’animation à la viespirituelle et à l’engagement communautaire.Non seulement les jeunes y participent-ils defaçon volontaire, comme ils le font à diversesactivités parascolaires, mais aucune perfor-mance ni compétence mesurable n’estattachée à la clef (comme c’est le cas dansd’autres domaines, où l’on peut viser une victoire sportive, une plus grande maîtrised’un instrument de musique ou la réussited’un examen). Les jeunes sont appelés àutiliser leurs talents non dans le but premierde les développer (ce qui leur est, du reste,« donné de surcroît »), mais dans celui de lesmettre au service des autres. Par exemple,

deux jeunes humoristes de l’école ont récem-ment été mis à contribution pour faire la pro-motion d’une levée de fonds. L’animation à lavie spirituelle et à l’engagement communau-taire est, par ailleurs, essentiellement axéesur les « qualités de l’âme », lesquelles échap-pent aux objectifs d’apprentissage, à la com-pétition ou à toute évaluation formelle.

Des collègues de l’animatrice se sont parti-culièrement intéressés à son ministère laïc etlui ont, tout aussi volontairement que l’ontfait les jeunes, apporté leur soutien en partici-pant à quelques activités. Le directeur desprogrammes Arts, Langues et Sports consi-dère qu’il en va du « sens » de la mission del’école d’y entretenir un espace éducatif vouéà « toucher le cœur » des jeunes, notammenten les invitant à se tourner vers des êtres quivivent de grandes difficultés ou à s’engagerdans des causes humanitaires. L’enseignantde mathématiques voit dans l’engagementcommunautaire une opportunité offerte auxprivilégiés de faire acte de reconnaissance encontribuant aux progrès de l’équité et de lajustice dans notre société. La psychologuescolaire croit que la recherche du sens de lavie – voire du sens de la souffrance pour certains jeunes particulièrement marqués – etle détachement de soi peuvent enrichir ladémarche thérapeutique.

26

Page 27: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Des pratiques liées à l’engagementcommunautaireSi la spiritualité et l’engagement communau-taire supposent un questionnement profondet une inévitable prise de conscience de ladétresse humaine, Line Painchaud – secon-dée par ses collègues – tient à ajouter qu’ilsn’excluent pas le plaisir pour autant, prenantainsi le contre-pied de « l’esprit de sacrifice »qui animait les œuvres de charité, voire lapratique religieuse, il n’y a pas si longtemps(puisque plusieurs s’en souviennent enco-re…). C’est à travers l’action que la joieapparaît, comme le révèlent les témoignagesdes jeunes.

Nombreuses et variées, les activités créées ausein du Service d’animation à la vie spirituelleet à l’engagement communautaire four-nissent entre autres aux jeunes des occasionsd’entrer en relation avec des personnes dedivers milieux en leur apportant un soutienmatériel ou moral. Stéphanie et Julie ont par-ticipé à des soirées récréatives mensuellesorganisées à l’intention de personnes handi-capées intellectuellement; Sara et Audreyfont partie d’une chorale qui visite régulière-ment des personnes âgées vivant en CHSLDou dans un autre milieu de vie substitut; Saraaccorde chaque semaine quelques heures derépit à une mère de famille de quatre enfants,en aidant de plus ces derniers à faire leursdevoirs; Johanie et Audrey – comme plu-sieurs autres jeunes qui apprécient parti-culièrement cette activité – servent àl’occasion le repas du midi au Grenier, unorganisme qui offre de l’aide alimentaire aux

démunis et pour lequel les élèves et les mem-bres du personnel de l’école ont, à l’automne2006, effectué une collecte de fonds. Julie etJohanie ont également eu l’occasion de s’im-pliquer dans des organismes qui défendentde grandes causes humanitaires, dontSecours Tiers-Monde et Amnistie interna-tionale. La cause de l’environnement faitégalement l’objet d’actions menées « locale-ment », c’est-à-dire à l’école.

Mentionnons enfin une activité ayant traitparticulièrement au problème de la violenceà l’école : les « Ambassadeurs de l’affirma-tion ». Quelques jeunes ayant vécu desexpériences d’intimidation – des victimes, desintimidateurs et aussi des témoins d’événe-ments – acceptent de parler de celles-ci à desélèves du primaire (de 4e, 5e et 6e année) etdu secondaire (de 1re et 2e année). La psycho-logue scolaire apporte ici sa contribution pro-fessionnelle, en participant à la préparationdes jeunes à ces rencontres.

Au-delà de leur diversité et des gestes degénérosité qu’elles génèrent, les activités ontsuscité, accentué ou modifié les valeurs per-sonnelles des jeunes. Sara en témoigne :« Cela a carrément donné un sens à ma vie, aouvert la porte; maintenant je sais que jeveux être heureuse et rendre les autresautour de moi heureux. »

La question de la spiritualitéSelon Line Painchaud, le virage de l’engage-ment communautaire avait été entrepris bienavant la laïcisation complète de l’école

québécoise et, plus particulièrement, de laréorientation (soit la déconfessionnalisation)du service complémentaire de pastorale sco-laire. Qu’advient-il du volet spirituel dans untel contexte? La question se pose notammentaux membres des générations de Québécois(âgés maintenant de 40 ans et plus) éduquésà la spiritualité – tout comme à la morale – ausein de la religion catholique, laquelle était desurcroît intégrée à la vie scolaire et familiale2.

Tel que l’a précisé le MELS, le service complé-mentaire d’animation spirituelle et d’engage-ment communautaire doit donner l’occasionaux jeunes de « vivre des situations de ré-flexion et d’expérimentation qui les aiderontà faire librement des progrès dans leur viespirituelle ». Parmi les principales activités quiont été organisées à l’école Pointe-Lévy, men-tionnons les journées de silence, les activitésponctuelles de relecture3 et les rencontresd’accompagnement individuelles au coursdesquelles les participants partagent leursréflexions sur le sens de la vie. Une ancienneélève de l’école confie que les expériencesqu’elle a vécues en animation spirituelle luiont entre autres permis de « faire le ménagedans ses émotions, de les comprendre etd’apprendre à les accepter et à les exprimer ».Mais il est apparu que c’est principalement àtravers l’engagement communautaire –notamment en « relisant » et en « réinvestis-sant » leurs expériences de partage – que lesjeunes alimentent leur vie spirituelle et leursréflexions sur le sens de la vie.

La spiritualité demeure très difficile à cerner,même si les jeunes et les adultes trouvent desmots pour en exprimer leur vision (par exem-ple, « croire en un monde meilleur », « croireque tu as quelque chose à faire ici et que tupeux le faire », « découvrir l’amour à travers lasouffrance », « avoir confiance en la vie »).Line Painchaud elle-même admet que, mal-gré les indications du MELS et la formation

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

27

Page 28: Numéro 143 Avril • Mai 2007

qu’elle a suivie récemment (voir la note 2), ily a encore beaucoup de travail pour déployerle volet spirituel. Est-ce peut-être parce que,dans le contexte actuel, il s’avère plus délicatd’incarner les valeurs spirituelles que cellesqui fondent l’agir communautaire? L’anima-trice – pourrions-nous dire en guise de con-clusion – poursuit sa recherche sur le sujet,en compagnie des jeunes et de tous les inter-venants intéressés.

M. Claude Beauchesne est consultant enéducation.

1. La rencontre s’est tenue dans les locaux du Serviced’animation, en novembre 2006. Outre LinePainchaud, les membres du personnel présentsétaient Pierre Boulanger, directeur des programmesArts, Langues et Sports, Éric Fillion, enseignant demathématiques et Diane Harvey, psychologue. Deuxanciennes élèves de l’école, Stéphanie Morel et JulieRousseau, sont venues témoigner de leur expérience.Ont aussi participé à la table ronde Audrey Bouffard etJohanie Lacasse (toutes deux en 5e secondaire) ainsique Sara Boudreault-Thiboutot (4e secondaire). Desgarçons (car il y en a aussi qui participent aux acti-vités) avaient également été invités à se joindre augroupe, mais ils n’étaient pas disponibles.

2. C’est d’ailleurs dans le domaine de la spiritualité quele MELS a proposé aux animateurs de pastorale de se« recycler » en vue de l’implantation du « nouveauprogramme » de leur service complémentaire(comme quoi il n’y a pas que les enseignants quifurent touchés par les récentes réformes).

3. La relecture est la phase au cours de laquelle « lesélèves prennent du temps pour analyser leur agir, envue d’en circonscrire la valeur et les répercussions[…]C’est l’occasion […] de se situer et de faire le point surleurs actions ou leurs expériences de même que surles motifs qui les animent ».MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION, DU LOISIR ET DUSPORT, Pour approfondir sa vie intérieure et changerle monde. L’animation spirituelle et l’engagementcommunautaire, un service éducatif complémentaire.Cadre ministériel, 2005, p. 21.

Le déroulement était le suivant : les élèvestravaillaient par équipe de deux. Ils étaientd’abord amenés à explorer divers récits ima-ginaires et à les analyser à l’aide d’une fiche.Après cette mise en condition, ils devaientdans un deuxième temps rédiger un plan etse familiariser avec la pratique du dialogueavant de composer leur récit. La musiqueentrait alors en scène par l’écoute du contemusical Pierre et le loup, de Serge Prokofiev.Suivait un jeu d’association. Tout commedans l’expérience dont nous avons fait men-tion plus haut, réalisée avec des adultes, lesélèves étaient amenés à choisir la voix ou l’instrument qui leur faisait penser à un ani-mal, après en avoir dépeint les traits carac-téristiques. Une autre séance d’écoute futproposée, avec Le Carnaval des Animaux, deCamille Saint-Saëns. À ce moment, les élèvesidentifiaient les traits caractéristiques de leurspersonnages principaux. Ils faisaient le lienentre les traits du personnage et le timbre del’instrument qu’ils avaient choisi ainsi quel’expressivité de la mélodie.

Par la suite, les élèves composaient lamélodie qui allait soutenir l’action et l’émo-tion de leur récit imaginaire. Celui-ci étaitéchangé avec le travail d’une équipe del’autre groupe pour être passé sous le filtrede la critique. Les élèves mettait ensuite à

l’épreuve leur habileté manuelle pour fabri-quer un toutou ou une marionnette quireprésentait le personnage principal. Pourfinir, les élèves devaient lire leur récit et inter-préter leur mélodie devant un auditoire com-posé d’élèves du premier cycle. Ces derniersont ainsi découvert en primeur différents per-sonnages de contes, tels que Flouflou, lefoulard qui voyage en tapis volant à larecherche de son maître. Que fait Violette,une tuque rose, dans le désert du Sahara?Après s’être mêlé, le Ruban réussira-t-il à con-vertir un troll voleur? Marilyn décrochera-t-elle son étoile? Ou encore, Bonbondemeurera-t-il dans le globe magique de laFée des glaces? Sera-t-il attiré par ce mondemerveilleux de nuages en barbe à papa?

Au-delà du désir de travailler en commun,Luisa et Lise voulaient donner naissance à unprojet qui, par l’intégration de matières, per-mettrait aux jeunes de parler d’eux-mêmes etde ce qui les animent. Par exemple, ellescroient que dans un cours de français, il fautdépasser l’enseignement « à froid » de la con-jugaison des verbes. Pour rendre les activitéssignificatives, on peut enseigner en faisantdes liens avec différents domaines. Bref, ren-dre l’enseignement pratique et vivant. Maissurtout, il s’agit de mettre en valeur les dif-férents types d’intelligence. Selon ces ensei-

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

28

UN RÉCIT POUR UNE MÉLODIE DE VALEURSpar Mathieu Bruckmüller

PPrenez un groupe d’adultes. Donnez-leur unjeu d’association qui comprend cinq person-nages et leurs traits caractéristiques. Jouezcinq mélodies et demandez à ces « grandsenfants » de vous dire laquelle correspond àJulie, aux skis, à Monsieur Nicolas (le bon-homme de neige), à Pingou (le hibou) ouencore à Casse-Noisette. Chacun aura uneréponse différente. En fait, chaque individuréagit à sa manière, selon sa sensibilité et sesvaleurs. L’expérience est réelle; elle s’estdéroulée à Montréal le 4 décembre dernier,lors de la journée régionale sur le renouveaupédagogique au secondaire. Luisa Merca-dante et Lise Beauchemin, de l’école Nesbitt,de la Commission scolaire English-Montréal,y ont animé un atelier interactif pour présen-ter leur projet : « Mon récit… Toute unemélodie1 ». Cela faisait plusieurs années queLuisa, enseignante de français depuis 23 anset Lise, enseignante de musique depuis 13 ans, souhaitaient s’associer pour réaliserun travail en vue de marier les deux disci-plines. L’idée se concrétisa au cours de l’an-née scolaire 2004-2005, avec ce projet quis’adressait à des élèves de sixième année.Une expérience de cinq mois, de novembre àavril. Il s’agissait d’un voyage à la fois dans lemonde littéraire et dans le monde musical,qui donnait une place prépondérante à l’ex-pression de valeurs.

Page 29: Numéro 143 Avril • Mai 2007

gnantes, « Mon récit… Toute une mélodie »permet à l’élève d’exprimer différents aspectsde sa personnalité, soit son imaginaire, sonsens du réel et son côté artistique, à traversl’expression de valeurs. « Les enfants sonttous intelligents, mais de manières diffé-rentes. On a parfois tendance à l’oublier,dans nos pratiques pédagogiques », regretteLuisa. « Mon récit… Toute une mélodie » estune expérience interdisciplinaire qui vise à lafois le français, les arts plastiques et lamusique. Ces trois volets permettent d’allerchercher la sensibilité et l’individualité dechaque élève; de mettre tout simplement envaleur ce qu’il est, d’aller explorer plus enprofondeur ses capacités. « La musique a illu-miné certains élèves », souligne Lise, qui serappelle encore la réaction enjouée de l’und’entre eux : « Madame, j’ai encore ma mélo-die dans la tête, je ne peux pas me l’enlever ».Tranquillement et facilement, l’enfant décou-vre ce qui l’anime.

Par ailleurs, à travers l’imaginaire, l’enfantdéveloppe sa pensée créatrice. Il invente dif-férentes façons de faire et s’engage dans uneréalisation. En même temps, il doit coopéreravec un camarade pour créer un récit et unemélodie. Dans l’altérité, il se développe entant que personne. Il exerce aussi son juge-ment critique, en l’exprimant mais aussi en lerelativisant. Il s’agit clairement de mettre envaleur les compétences d’ordre personnel etsocial. Pour Lise, le plus intéressant est d’ob-server l’évolution des enfants dans leurprocessus créatif. Comment ils arrivent àstructurer leur identité en prenant consciencede la place qui est la leur au sein du grouped’élèves.

De plus, leur intériorité est projetée dans lespersonnages principaux. Ils vont choisir destraits caractéristiques qui leur ressemblent.Ce qui confirme bien le dicton Qui se ressem-ble, s’assemble. Ainsi, l’élève transmet plusou moins consciemment ses valeurs et sesrêves. Par ailleurs, donner aux personnages –plus ou moins consciemment – des traits quileur sont familiers permet aux élèves d’as-sumer leurs valeurs. Pour Luisa, « il s’agit dedonner un sens à la responsabilité person-nelle : oui, je suis responsable de mes choix etj’en assume les conséquences. “ Mon Récit…Toute une mélodie ” va au-delà du conte; iltouche au développement personnel. Quandon communique, on se respecte, on s’écoute.

On ne peut apprendre à se connaître unique-ment en se parlant à soi-même ».

Comme l’expliquent les enseignantes, « à tra-vers les péripéties du personnage, l’élèveinvite l’auditeur à partager ses préoccupa-tions et ses croyances ». Marie-Ève est à larecherche d’un ami. Elle se sent seule, elleveut quelqu’un qui l’adopte et qui prennesoin d’elle. On retrouve ici l’importance queprennent les valeurs familiales. Flouflou lefoulard est à la recherche de son maître, car ils’est perdu dans la tempête hivernale. Il vajusqu’à regarder dans le bottin téléphoniquepour trouver son propriétaire. C’est la quêted’un enfant qui n’a pas confiance en lui et quicherche à s’identifier à un adulte, à un mo-dèle. Le conte permet aussi de verbaliser desbesoins, comme dans l’histoire de Violette,une tuque dans le désert du Sahara, où on estface à un enfant qui change de classe et quidoit s’adapter à son nouvel environnement.

Le projet permet donc non seulement d’ex-térioriser des valeurs mais aussi de les trans-mettre, car chaque enfant s’engagepersonnellement. L’histoire est imaginaire,mais on reconnaît les traits de caractère del’élève. En fait, il est difficile d’échapper à sespropres valeurs, même dans un scénario. Ilen va de même pour la musique. Au fond,chacun choisit en fonction de ce qu’il est, dece qu’il ressent. En même temps, il est amenéà interagir avec ouverture d’esprit dans dif-

férents contextes. Si l’autoévaluation en con-tinu fait partie du projet, l’élève doit aussifaire face aux critiques de ses pairs et, en pre-mier lieu, à celles de son équipier. De plus, il apprend à reconnaître l’apport de l’autreainsi que sa propre collaboration. Il est, eneffet, très important pour le développementde l’élève qu’il puisse travailler avec d’autreset qu’il soit amené à faire des choix. L’écoledoit donner cette possibilité aux enfants à tra-vers l’exploration de divers scénarios. Un pas-sage nécessaire dans l’apprentissage de soi,qui permettra plus facilement de se mettre envaleur.

Parmi les valeurs que les enseignantessouhaitent inculquer aux enfants, on trouve lerespect d’autrui et l’écoute, lesquelles sontdes valeurs cardinales : « J’écoute ce que tume dis, mais j’ai aussi des choses à te dire. »Et ce ne sont là que les plus importantes,d’autres valeurs s’exprimant au fil des acti-vités.

Dans une société multiethnique comme leQuébec d’aujourd’hui, il est fondamental dese respecter soi-même et de respecter lesautres. Il faut accepter les différences. Si lacommunication diffère selon les individus, ilfaut néanmoins apprendre aux élèves àmieux vivre ensemble. Pour mettre en valeurses propres valeurs, le respect mutuel est unerègle d’or.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

29

Luisa Mercadante et Lise Beauchemin

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 30: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Les enseignantes insistent beaucoup sur l’im-portance de présenter son projet devant unauditoire d’enfants du premier cycle. Avoirconscience de ses valeurs est une chose; pou-voir les exprimer est encore mieux. L’enfantdéveloppe ainsi une estime de soi; il ne gardepas ses idées dans un placard. En constatantles réactions des plus petits, il voit que sesidées sont acceptées.

Pour celles et ceux qui seraient intéressés àréaliser un tel projet avec leurs élèves, Lise etLuisa estiment qu’il est adaptable, peuimporte l’âge ou la classe. Par exemple, ausecondaire, il pourrait s’intégrer dans unenouvelle, avec le récit d’aventure. « On pour-rait même faire ce projet avec des adultes »,croient-elles. Leur seul regret est de ne pasavoir eu le temps nécessaire pour quechaque équipe puisse interpréter le récit et lamélodie d’une autre équipe.

Cette année, « Mon récit… Toute une mélo-die » s’offre un nouveau départ. Le projet ini-tial a été quelque peu modifié. On n’a puinclure la musique, pour cause d’incompati-bilité d’horaire entre les deux enseignantes.Luisa a donc remplacé la mélodie par la pein-ture. Les élèves ont exploré le travail de dif-férents peintres, pour ensuite s’approprierune technique, par exemple le cubisme. Lebut était de réaliser un tableau qui reflétait lestraditions de Noël et de la nouvelle annéechez l’un de ses camarades de classe issud’une autre culture que la sienne. C’était làun nouveau moyen pour entrer en contactavec des valeurs différentes. Alors queprécédemment, les élèves lisaient leur texte,la peinture allait permettre d’organiser unvernissage à la fin de l’année scolaire.

« Je souhaite sensibiliser ces enfants à lasociété dans laquelle ils grandissent et leurdonner l’occasion de partir à la découvertede nouvelles richesses culturelles », conclutLuisa.

M. Mathieu Bruckmüller est journalistepigiste.

1. Pour en savoir plus sur ce projet, consulter le site suivant : [www.qesnrecit.qc.ca/FLS/projets/recit_melodie/index.php[0]]

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

30

Page 31: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

L’INTÉGRATION DES TIC ET L’ÉDUCATION AUX VALEURS :LE PROJET « PERSÉVÉRANCE »

par Guy Lusignan

DDepuis quelques années, des enseignantsintègrent les technologies de l’information etdes communications (TIC) à des fins péda-gogiques dans leurs classes. Afin de lessoutenir dans leurs efforts, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a créé leRéseau pour le développement des compé-tences par l’intégration des technologies(RÉCIT)1. Les enseignants du domaine dudéveloppement de la personne peuvent êtreappuyés dans leurs pratiques par le servicenational du RÉCIT, hébergé à la Commissionscolaire de Saint-Hyacinthe. Vie pédagogiquea rencontré2 les deux conseillers péda-gogiques responsables de ce service : BenoitPetit, pour la formation morale et religieuse,et Joël Bouthillette, pour l’éducation physiqueet à la santé. Étant spécialisés dans des disci-plines différentes, ces deux pédagogues ontrapidement vu les avantages d’unir leurscompétences pour intervenir auprès desenseignants en leur proposant des projetsinterdisciplinaires. Au cours de la rencontre,la discussion a porté sur le rôle du RÉCITdans le domaine du développement de lapersonne ainsi que sur des projets qui ont étéréalisés ou qui sont en cours d’élaboration.

Le projet Persévérance : un projetmultidisciplinaire en développementde la personne mis en place en 2006Les programmes d’éducation physique et à lasanté et de formation morale et religieuseaccordent une grande attention à l’éducationdes jeunes aux valeurs et à l’éthique. Lesélèves sont amenés à réfléchir, à développerleur esprit critique et à prendre position parrapport à des valeurs comme la per-sévérance, l’estime de soi et la confiance ensoi. L’idée du projet Persévérance est née dela volonté de Benoit Petit et Joël Bouthillettede conjuguer leurs efforts et de mettre encommun leur expertise pour offrir auxenseignants du deuxième et du troisièmecycle du primaire un projet multidisciplinaireintégrant les technologies de l’informationpour l’éducation des élèves aux valeurs.Pourquoi avoir choisi la persévérance commevaleur à aborder avec les élèves? C’est que denombreux enseignants ont souvent constaté

« que des élèves avaient de la difficulté à per-sévérer, à aller jusqu’au bout quand il s’agis-sait de réaliser une tâche », comme lerapporte Joël Bouthillette. Dans ce projet,l’élève a été amené à persévérer pour menerà terme des activités dans les deux pro-grammes disciplinaires et à se demander :« Qu’est-ce que la persévérance peutapporter dans ma vie? Quelle est son influen-ce dans mes rapports avec les autres? Est-ceque je retire de la satisfaction dans ma vie engénéral quand je persévère pour réaliser uneactivité? »

Déroulement du projetDans les écoles où le projet s’est déroulé, unpartenariat a été établi entre le titulaire de laclasse responsable des cours de formationmorale et religieuse et le spécialiste d’éduca-tion physique et à la santé. Les enseignantsont obtenu deux jours de libération pourplanifier les activités, se synchroniser dansleur déroulement et échanger des informa-tions concernant la progression des élèves.

Dans la majorité des écoles, le projet a étémis en oeuvre entre les mois de janvier et

juin 2006 et généralement, huit cours ont éténécessaires pour le réaliser. Selon les établis-sements, pour différentes raisons, le projetprésenté ici a connu des variantes, ce quiillustre bien la dynamique et l’originalité dechacun des milieux d’expérimentation.

Le tableau suivant – adapté de celui préparépar Benoit Petit et Joël Bouthillette – donneun aperçu du projet tel qu’il a été vécu dansune école en particulier.

33

Enseignement moral et religieux catholique

Première phaseIndividuellement, chaque élève est invité àréfléchir sur ce que la persévérance représentepour lui.

Deuxième phaseEn équipe, les élèves réalisent au choix une cap-sule vidéo, une capsule audio ou un reportagephoto/audio sur le concept de persévérance.Chacun est appelé à exprimer ce que représentepour lui la persévérance à partir de l’affirmation :« Pour moi, la persévérance est… »

Troisième phaseAu deuxième cycle, les élèves amorcent une ré-flexion en groupe autour du concept de per-sévérance, de la confiance en soi et de l’estime desoi. Au troisième cycle, la réflexion s’orienteautour du concept de persévérance et de réalisa-tion de soi.

Éducation physique et à la santé

Première phaseL’enseignant invite les élèves à explorer des activi-tés mobilisant différentes habiletés motrices, tellesque la jonglerie, le saut à la corde, le Bâton-Fleur,le monocycle, etc. Pour aider l’élève à explorer et à connaître diffé-rentes figures et divers mouvements, l’enseignantlui propose des ressources variées : des affiches surle Bâton-Fleur, le DVD produit par le RÉCIT nationaldu développement de la personne L’apprentissagedu saut à la corde, le site Internet 1001 figures de jon-glerie [http://mogador.club.fr/jongle/accueil.htm], etc.

Deuxième phaseAprès la phase d’exploration, l’enseignant fait unlien avec le cours d’enseignement religieux ausujet du concept de persévérance. Il aborde avecles élèves différents éléments liés à l’éthique et quitouchent la persévérance : la combativité, lamaîtrise de soi et le dépassement de soi.

suite du tableau page suivante

Benoît Petit et Joël Bouthillette

Page 32: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Comme on peut le constater, les technologiesde l’information sont bien intégrées à l’ap-prentissage et les données recueillies permet-tent de soutenir de façon concrète ledéveloppement des compétences des élèves.Au dire des enseignants avec lesquels BenoitPetit et Joël Bouthillette ont travaillé, le projetPersévérance a souvent eu des effets inatten-dus auprès de plusieurs élèves. Certains sesont épanouis, d’autres, généralementeffacés, se sont affirmés non seulement enéducation physique, mais également dans la

cour et dans la classe. De plus, les élèves ontpu percevoir des liens entre les disciplines, cequi représente un atout pour leur apprentis-sage. À un autre niveau, le projet a favorisé la réflexion d’enseignants et de directions d’école, qui ont vu l’intérêt d’intégrer les TICdans le domaine du développement de lapersonne.

ConclusionSelon Benoit Petit, il est pertinent que lesenseignants du domaine du développement

de la personne se renseignent auprès de leurservice national du RÉCIT « pour connaître lesressources technologiques qu’ils peuventutiliser dans l’éducation des jeunes auxvaleurs ». Et l’avenir est prometteur! En effet,plusieurs services nationaux et locaux ontpour objectif de favoriser la concertation etde faciliter la réalisation de projets communs.Par contre, il ne faut pas se le cacher, dessolutions doivent être trouvées dans plusieursmilieux d’enseignement pour résoudre desdifficultés liées entre autres à la vétusté desappareils, ou encore à la facilité avec laquelleles élèves peuvent accéder à Internet. Larésolution des quelques problèmes rencon-trés dans différents milieux d’enseignementpermettraient sans aucun doute de répondredavantage aux attentes de nombreuxenseignants qui modifient peu à peu leuropinion sur l’utilisation des TIC, considèrentque leur intégration dans le domaine dudéveloppement de la personne est une valeurajoutée et se rendent compte que les élèvessont avides de les utiliser.

C’est donc avec beaucoup d’optimisme queles deux conseillers pédagogiques voientl’avenir, d’autant plus que, selon Benoit Petit,le programme Éthique et culture religieuseréserve une place importante, tout commec’est le cas pour les autres disciplines, à l’utili-sation des technologies de l’information etdes communications.

M. Guy Lusignan est consultant en éduca-tion.

1 Le RÉCIT « a pour mission de harnacher l’immensepotentiel pédagogique des technologies de l’informa-tion et des communications (TIC), en conformité avecle Programme de formation de l’école québécoise ». Ilexiste dix services nationaux du RÉCIT, 70 serviceslocaux dans autant de commissions scolaires et unservice dédié aux écoles privées. Le lecteur intéressépeut trouver des informations additionnelles sur lesujet en consultant les sites [www.recit.qc.ca] et[www.recitdp.qc.ca].

2 La rencontre a eu lieu le 6 décembre 2006.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

34

Enseignement moral et religieux catholique

Troisième phasePour alimenter leurs réflexions, les enseignantsproposent aux élèves des textes présentant desexpériences vécues par différents personnages,dont certains peuvent appartenir à la traditioncatholique, par exemple le récit de David contreGoliath. La réflexion peut aussi reposer sur la viede jeunes de leur entourage qui s’engagent dansdifférents types de projets.

Quatrième phaseAu cours des activités proposées par lesenseignants, les élèves doivent préciser quellesactions concrètes ils pourraient poser pour fairepreuve de persévérance et évaluer dans quellemesure celles-ci peuvent influencer leur estime desoi ou avoir une influence sur la réalisation de soi.

À cette phase du projet, les enseignants encoura-gent l’élève à se fixer un défi à relever et luiprésentent le cours d’éducation physique et à lasanté (ÉPS) comme un contexte idéal de réalisa-tion.

Cinquième phaseUne fois que l’élève a déterminé le défi à releveren ÉPS, il doit en établir clairement les objectifsainsi que les étapes de réalisation pour atteindreces derniers.

Sixième phaseL’élève est amené à se prononcer de nouveau surce qu’il pense de la persévérance et de son impactsur un défi à relever. Il est souhaitable que l’onfasse un enregistrement vidéo au moment où ils’exprime sur le sujet à partir de l’affirmation : « Lapersévérance m’a permis de… »

Éducation physique et à la santé

Troisième phaseL’enseignant demande à chaque élève de sechoisir une activité parmi celles explorées précé-demment.

Quatrième phaseL’enseignant forme des dyades. À tour de rôle, àl’aide d’une caméra vidéo numérique, un élèveenregistre la prestation de son partenaire, qui faitla démonstration de son niveau d’habileté en réali-sant des figures ou des mouvements qu’il maîtrisede l’activité choisie. C’est le point de départ utilisépar l’élève pour se fixer un défi. Celui-ci expliqueaussi à la caméra quel sera son défi, les moyensqu’il veut prendre pour y arriver et en quoi il devrafaire preuve de persévérance.

Cinquième phasePendant le déroulement du projet, l’élève est invitéà faire enregistrer ses prestations par son parte-naire, de manière à pouvoir observer la façon dontil réalise les mouvements ou les figures, porter unjugement sur sa progression et prendre lesmoyens nécessaires pour réguler ses apprentis-sages.

Sixième phase À la fin de la séquence d’apprentissage, un enre-gistrement vidéo numérique est réalisé lorsquel’élève exécute son numéro. Il a alors en mains undocument visuel qui lui permet d’évaluer dansquelle mesure il a relevé le défi qu’il s’était fixé etde constater par lui-même ses progrès par rapportà la situation observée à la quatrième phase.

suite du tableau

Septième phaseLes différentes captations vidéo et audio recueillies depuis le début du projet sont utilisées pour réaliserun DVD présentant les étapes de la progression de leur réflexion et de leurs actions, afin de conserverdes traces du développement de leurs compétences.

Page 33: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

LA PLACE ET LA FONCTION DES VALEURS DANS LE CONTEXTE ÉDUCATIF

par France Jutras

BBien souvent, la valeur ou la norme sert deréférent, c’est-à-dire de principe au nomduquel on agit, à la réponse aux questionssuivantes : Qu’est-ce qui motive votre agir?Qu’est-ce qui motive votre décision? De tellesquestions peuvent tout aussi bien s’adresserà un individu qu’à un agent éducatif. Si lepremier peut répondre à partir de ses valeurspersonnelles, en est-il de même pour le second? D’ailleurs, qu’est-ce qui distingue lavaleur de la norme? Pourquoi l’institutionscolaire est-elle considérée comme un lieutraversé par de multiples valeurs? Pourrépondre à ces questions, on mettra en reliefdes pistes pour clarifier le concept de valeuret son lien avec celui de norme. Ensuite, onexaminera le rapport entre l’éducation et lasocialisation dans les institutions éducatives.Enfin, on analysera le cas de l’école, que l’onconsidère depuis toujours comme un lieuessentiel d’acquisition de valeurs. À cemoment, on devra forcément s’attarder aupersonnel enseignant qui est en contactdirect et quotidien avec les élèves. Tout celadevrait permettre de saisir certaines carac-téristiques de la place et de la fonction desvaleurs dans le contexte éducatif.

1. Le concept de valeurPour certains, la valeur évoque l’économique.On pense à la valeur d’une propriété ou aucours de la Bourse. Il peut s’agir aussi d’uneunité de mesure : la valeur d’une blanche oud’une croche dans une partition musicale.Pour d’autres, c’est un jugement qu’on portesur une personne : c’est un homme degrande valeur, dit-on de quelqu’un dont onadmire les qualités morales. Ces exemples dulangage courant montrent déjà une carac-téristique du concept de valeur : un jugementest nécessaire pour estimer sa qualité, savaleur, pourrait-on même dire. C’est ce quiamène un philosophe comme Olivier Reboul(1992) à écrire que toutes les valeurs ne sontpas d’égale valeur. On peut les hiérarchiser.En effet, certaines ont plus de poids qued’autres. Mais comment peut-on reconnaîtreune valeur?

Pour les philosophes, réfléchir sur le bienamène à traiter des valeurs, alors queréfléchir sur le devoir ou l’obligation conduità examiner les normes (Ogien 2001). Lesnormes réfèrent à ce qu’il faut faire, et lesvaleurs, à un idéal. Aussi, en éthique, on con-sidère que les normes et les valeurs font par-tie du mode de régulation de l’agir. Ellescontrôlent et orientent nos décisions et nosconduites en nous fournissant des raisonsd’agir dans tel ou tel sens, dans telle ou telledirection. Parfois il s’agit de contrôle interne,parfois de contrôle externe des comporte-ments. Un juriste ou un sociologue dirait,quant à lui, que les normes et les valeurs sontliées aux modèles sociaux à la base des rap-ports que nous entretenons les uns avec lesautres. Les normes d’une société ou d’ungroupe social sont explicitées clairement dansdes codes, des règlements et des lois qu’onpeut consulter parce qu’ils sont écrits et dif-fusés. On dit, par exemple, que nul n’est cen-sé ignorer la loi. Les valeurs se situent à unniveau d’implicite plus diffus que les normes :les normes sont explicites et elles sont misesen évidence de manière concrète. Il restequ’en fait, les valeurs sont au fondement desnormes. Une norme ne peut être déconnec-tée d’un accord sur ce qui est désirable.

Toujours est-il que les valeurs, mêmeimplicites, sont enracinées profondément.C’est en ce sens qu’on évoque parfois le chocdes valeurs car, tant qu’elles vont de soi, onn’y prête pas attention, mais au hasard d’unévénement ou d’un comportement qui nousperturbe, tout d’un coup, on est ébranlé. Lechoc peut tout aussi bien se manifester dupoint de vue culturel, psychologique,idéologique, intellectuel que social. Pourquoisommes-nous si touchés par un choc devaleurs? Le sociologue Guy Rocher (1969)répond que c’est parce que les valeurs nousrenvoient à l’ordre symbolique, c’est-à-dire àdes éléments d’adhésion qui invitent aurespect et qui expriment un fort sentimentd’appartenance. D’ailleurs, sa définition duconcept de valeur (p. 56) le représente bien :

la valeur « est une manière d’être ou d’agirqu’une personne ou une collectivité recon-naissent comme idéale et qui rend désirablesou estimables les êtres ou les conduites aux-quels elle est attribuée ». L’idée de valeurcomme idéal et même idéal partagé dans unesociété montre bien sa composante socialenécessaire au vivre-ensemble. Selon Rocher,l’adhésion à une valeur ne résulte pas d’uneréflexion rationnelle et logique, mais plutôtd’un mélange de raison et d’intuition spon-tanée et directe dans lesquels l’affectivité joueun rôle important. La charge affective desvaleurs constitue ainsi une grande source demotivation à l’agir, un puissant facteurd’orientation de l’agir des personnes et descollectivités. Par exemple, la dimension affec-tive de la valeur et la liberté d’y adhérer amè-nent Claude Paquette (1991) à parler devaleurs de préférence et de valeurs de réfé-rence. Il entend par valeur de préférence cellequ’on dit explicitement valoriser, et valeur deréférence, celle qu’on actualise réellementdans nos conduites. D’après cet auteur, ledéfi des éducateurs consiste à réduire l’écartentre les valeurs affichées dans le discours etles valeurs actualisées dans les pratiques.

Plusieurs domaines des sciences humainesont été évoqués pour définir ce qu’on entendpar valeur. Cela montre assurément la com-plexité de cet objet intangible qui possèdepourtant une grande importance pour l’êtrehumain. À tout le moins, l’analyse du conceptde valeur a permis de dégager la puissancedes valeurs pour l’orientation de la conduitehumaine individuelle et sociale. On pourraretenir que des jugements ont lieu sur lepréférable, qu’une régulation des conduitesse fait soit grâce à des valeurs traduites ennormes explicites, soit par des valeurs pro-fondes qui expriment un idéal et, enfin, queles valeurs sont fortement enracinées enl’être humain du fait de sa culture et de sonappartenance et son adhésion à celle-ci, d’oùla nécessité de s’intéresser aux porteurs devaleurs dans l’institution éducative.

35

Page 34: Numéro 143 Avril • Mai 2007

2. Les valeurs dans les institutionséducatives et leur lien avec lasocialisation

Dissipons d’emblée un malentendu : les insti-tutions éducatives où on acquiert des valeursne se résument pas à l’école. Avec la défini-tion du concept de valeur vue précédem-ment, le lien très fort entre les valeurs etl’appartenance à la culture et au groupe a étémis en relief. Or, le premier lieu du déve-loppement de l’appartenance est la famille.Dans nos sociétés, c’est un fait reconnu etencadré par le droit. La sociologie fournit debonnes explications sur le développement del’appartenance dans le cadre de l’éducationfamiliale. Les porteurs de valeurs dans lafamille sont les parents, les proches, la familleélargie. Ce sont eux qui, par leurs interactionsdans la vie de tous les jours, font la premièreéducation aux valeurs. On dit qu’elle seréalise par les mille et un gestes du quotidien,par l’apprentissage de la langue qui donneune vision du monde et par la structurationdes comportements attendus propres aumilieu. Les valeurs acquises dans le milieud’origine sont si profondément ancrées quemême pour les contester, à l’adolescence parexemple, on s’y réfère lorsqu’on se rebelle.

Quand les sociologues parlent d’éducation,ils emploient le concept de socialisation, unprocessus diffus et continu qui nous amène àintérioriser des préférences, des valeurs etdes normes. C’est pourquoi ils vont dire del’éducation familiale qu’elle produit unesocialisation primaire. Ainsi, enfants, on croitque notre monde est le monde. Cependant,de nos jours, la famille n’est pas la seule àavoir des effets de socialisation sur lesenfants. Dès le bas âge, ils sont en contactavec une pluralité de milieux, du fait, parexemple, des différents modes de garde desenfants. Les sociologues parlent alors desocialisation primaire plurielle. Cette expres-sion signifie que certains contenus de sociali-sation primaire véhiculés par la famille sontintégrés, d’autres non, ou encore ils sontnégociés, et d’autres enfin sont issus desautres milieux de vie de l’enfant et de l’effetsocialisateur du groupe des pairs. Par ailleurs,il ne faudrait pas passer sous silence les mul-tiples messages communiqués par les dif-férents médias qui entrent dans l’intimité dufoyer, mettant en évidence toutes sortes decomportements et de valeurs sociales etaffichant des préférences. Cependant, les

sociologues considèrent que cette instancesocialisatrice est de l’ordre de la socialisationsecondaire, au même titre que celle quiprovient d’instances comme l’État, l’école, lesindustries culturelles, le monde du travail, leconjoint ou les groupements associatifs, poli-tiques ou religieux (Darmon 2006).

La socialisation primaire s’inscrit en sommedans un contexte affectif privé chargé d’émo-tions. La socialisation secondaire liée à l’écoleouvre sur un espace social plus large, qui vaau-delà des préférences du clan. Cette formede socialisation, jamais terminée une foispour toutes, commence avec les apprentis-sages faits à l’école et se poursuit dans lemonde du travail. Si la socialisation primaireest liée à des valeurs spécifiques propres auxcatégories particulières d’appartenance, lasocialisation secondaire ouvre sur des valeurscentrales partagées par l’ensemble d’unepopulation donnée (Rezsohazy 2006).

3. Les valeurs à l’écoleOn dit des valeurs qu’elles sontomniprésentes à l’école. Encore faut-il voir oùelles se trouvent. On peut penser que, toutcomme les normes, elles fournissent desrepères et des balises, entre autres pour l’or-ganisation scolaire en tant que telle. Parexemple, avec la réforme, la gestion centrali-sée a cédé le pas au pouvoir local dans laprise de décision. Cela entraîne nécessaire-ment une différenciation des décisions selonles besoins, les valeurs et les ressources dumilieu et comporte, en conséquence, deseffets sur les orientations des établissementsd’enseignement. Mais, plus fondamentale-ment encore, certaines valeurs fondent l’édu-cation. Ainsi, la connaissance est jugée plusdésirable que l’ignorance. Mais, même aveccette position, les réponses à la question desavoir « qui » on éduque ont varié dans letemps. De nos jours, on considère qu’unbagage minimum est requis de chacun pourpouvoir mener une vie digne pour soi-mêmeet avec les autres. C’est en ce sens que l’obli-gation scolaire a été instituée. Et la missionaffichée de l’école – instruire, socialiser etqualifier – sert à donner un sens partagé auxdiverses interventions qui sont faites dans lesétablissements scolaires. Les résultats atten-dus de l’école sont explicites. Pour les attein-dre, les visées globales de l’éducation scolairesont intégrées dans les programmes de for-mation dont les enseignantes et les

enseignants se servent pour amener leursélèves à se développer selon des attentes quiont fait l’objet de discussions et de consensussociaux. Ici encore, les contenus et lesattentes de développement sont largementexplicités et évalués régulièrement. Aussi, lapédagogie pratiquée transmet des valeursdans sa forme même : manipuler du matérielactualise des valeurs intellectuelles liées àl’activité de découverte, alors que débattred’un sujet en actualise d’autres. L’analyse desvisées éducatives de ce qui est accomplicomme allant de soi à l’école permet d’ensaisir le sens profond. Quelle importance etquelle place accorde-t-on au savoir, à l’élève,aux rapports interpersonnels ou au pouvoiret à son partage?

Ces divers exemples illustrent que les struc-tures et les conduites transmettent, parfois àl’insu des personnes, un grand nombre devaleurs éducatives et sociales. Mais on peutregarder la situation sous un autre angle, àpartir des personnes qui fréquentent l’école.D’une part, pour les jeunes, le groupe despairs a une importance capitale. De nom-breux apprentissages sociaux liés aux valeursdes générations y sont faits. Le sentimentd’appartenance au groupe s’y développe.D’où les grands drames liés au rejet et ledésir de conformisme. D’autre part, le per-sonnel enseignant a un rôle explicite à jouer àl’école. Bien que ce rôle soit encadré par laLoi sur l’instruction publique, les ensei-

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

36

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 35: Numéro 143 Avril • Mai 2007

gnantes et les enseignants possèdent unemarge de manœuvre dans la manière d’ac-complir leur travail. Mais pour le faire, ilsdoivent se référer aux finalités éducatives toutautant que prendre des décisions sur lesmoyens à utiliser dans le feu de l’action, avectous les imprévus que cela comporte. Leursvaleurs personnelles, professionnelles etsociales sont toujours convoquées. Il importedonc qu’elles soient clarifiées pour assurerune certaine cohérence dans leur conduite,un accord entre ce qu’ils désirent commeeffet de l’intervention et les modalités con-crètes de celle-ci. Il y a une réelle demandesociale pour que leur agir soit juste etéquitable à l’endroit de chacun des élèves.Dépassant largement le rapport au savoir etle développement des compétences desélèves, la tâche d’éducation renvoie à unevisée, une intention, jamais acquise une foispour toutes : apprendre à être.

ConclusionL’école est loin d’être exempte de critiques :on l’accuse de ne pas faire assez, ou de fairetrop de ceci ou de cela. Bref, elle ne corres-

pond pas toujours à l’idéal auquel on adhère.Cela montre bien jusqu’à quel point elle estun enjeu social d’importance qui n’est pasuniquement lié au développement cognitif etaux compétences. Les répercussions de cequi s’y passe ou ne s’y passe pas sont impor-tantes et laissent des empreintes indélébiles.

La place et la fonction des valeurs dans lemilieu scolaire nous montrent le sens réel del’école et l’enjeu social qu’elle comporte : elleest un endroit où on apprend et, contraire-ment à la vie dans le marché du travailauquel elle prépare, elle est un lieu où onpeut faire des erreurs et connaître deséchecs, mais où on peut se reprendre. Lesvaleurs de l’éducation ne sont pas seulementun calque des valeurs centrales de la société;elles proposent parfois des valeurs idéalessupérieures. Par exemple, l’école valorise lacoopération alors que la compétition permetde réussir socialement. L’école préconise lesvaleurs de respect et de solidarité alors que lavaleur postmoderne par excellence, l’indivi-dualisme, incarne la primauté du moi faceaux autres, à la collectivité, à l’universel. On

comprend dès lors pourquoi l’éducation à lacitoyenneté est maintenant intégrée explicite-ment à l’école pour développer l’être social.

Mme France Jutras est professeure titulaireau Département de pédagogie de laFaculté d’éducation de l’Université deSherbrooke.

Références bibliographiquesDARMON, M. La socialisation, Paris, Armand Colin, 2006.OGIEN, R. « Normes et valeurs », dans M. Canto-Sperber(dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, 3e édition, Paris, PUF, 2001, p. 1110-1121.PAQUETTE, C. Éducation aux valeurs et projet éducatif,Montréal, Québec-Amérique, 1991, 2 tomes.REBOUL, O. Les valeurs de l’éducation, Paris, PUF, 1992.REZSOHAZY, R. Sociologie des valeurs, Paris, ArmandColin, 2001.ROCHER, G. Introduction à la sociologie générale,Montréal, HMH, 1969, 1er tome.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

37

LA COMPÉTENCE EN ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE, ÇA SE DÉVELOPPE?

par Lise-Anne St. Vincent

AAu retour de la récréation, durant la périodede relaxation, Julianne se promène entre lestapis disposés un peu partout sur le plancherde la classe. Chaque élève est couché sur sontapis personnalisé. Ce groupe de huit élèvesde deuxième cycle du primaire – des enfantsqui souffrent de troubles envahissants dudéveloppement – est assez agité depuis leretour des vacances de Noël. Benoît est par-ticulièrement nerveux depuis quelquessemaines, alors que son nouveau beau-pèrehabite maintenant à la maison. Julianneréalise soudainement que Benoît se mas-turbe. Les autres ne le voient pas. Elle ne saitpas quoi faire. Devrait-elle intervenir main-tenant? Comment? Il réagirait probablementfortement. Devrait-elle en parler? À qui?

Les dilemmes éthiques se manifestent enprovoquant chez l’individu un inconfort. C’estce sentiment qui incite l’individu à rechercherune solution. Dans de telles situations, il n’y acependant pas de réponse claire. Cetteabsence de repères sollicite davantagequ’une décision basée sur le « bon sens ». Cessituations font émerger un conflit de valeurset exigent un processus important de réflexion.

Que doit faire Julianne?

Pourquoi s’intéresser à l’éthique?L’éthique est un domaine qui intéresse deplus en plus le monde de l’éducation. Lacompétence éthique fait partie des douzecompétences essentielles prescrites par le

Ministère dans la formation initiale enenseignement, depuis la réforme des pro-grammes (MEQ 2001).

La conception de l’éthique demeure toutefoisambiguë dans les milieux de la formation etde la pratique. Ainsi, on semble reconnaîtrefacilement que certains actes posés ne sontpas éthiques; cependant, il devient difficiled’expliquer pourquoi ou de prendre positionclairement devant de telles situations.L’individu et la collectivité doivent par con-séquent développer des compétences pourêtre en mesure d’agir lorsque se présententcertaines situations complexes. Aucun cadresocial ne réussit à répondre clairement à cha-cun des problèmes qui surviennent.

Page 36: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Il est apparu essentiel de développer unecompétence éthique chez l’enseignant, parti-culièrement durant les dernières décennies.Dans un texte publié par le Conseil supérieurde l’éducation (CSE 1990), on mettait claire-ment en évidence les transformationssociales et leurs défis éthiques. Par exemple :la mondialisation des cultures et des sociétés,la transformation des liens fondamentauxentre les personnes ou l’intégration de la science, des technologies et de l’information.On peut constater qu’au cours du dernier siècle, plusieurs changements ont bouleverséla culture, entre autres sur le plan scientifiqueet technologique et en ce qui concerne l’accèsà l’information. En évoluant, la culture amodifié les valeurs collectives et individuelles.Toutes ces transformations génèrent dessituations complexes importantes, qui sollici-tent de la part des individus une approche deplus en plus éthique. Les enseignants agissentcomme des passeurs culturels et demeurentdes agents centraux dans le développementde ces attitudes.

Mais comment définit-on l’éthique profes-sionnelle actuellement? Comment dévelop-per cette compétence? Par où faut-ilcommencer?

On propose ci-après des définitions del’éthique et des points de repère pourdévelopper sa compétence en éthique pro-fessionnelle en tant qu’enseignant.

Quelques définitionsL’éthique professionnelle est un concept com-plexe, difficile à définir. Certains auteurs per-mettent de se faire un meilleur portrait del’éthique professionnelle en enseignement enexpliquant l’éthique comme un mode derégulation sociale et une activité communica-tionnelle.

Desaulniers et Jutras expliquent en quoil’éthique est un mode de régulation sociale,comme la morale, la déontologie ou la reli-gion, qui reposent sur le principe que les con-duites humaines ont besoin de repères et delimites pour le mieux-être de chacun et detous : « L’éthique appliquée est une approchede l’éthique centrée sur la prise de décisionéclairée par des personnes, dans des situations concrètes où les solutionshabituelles sont inefficaces ou inexistantes. »(Desaulniers et Jutras 2006, p. 36). L’éthique

professionnelle est une forme d’éthiqueappliquée, qui s’est développée particulière-ment depuis les vingt dernières années, pourguider les professionnels dans leurs respon-sabilités envers les personnes aidées. Vuesous l’angle de la régulation sociale, l’éthiqueprofessionnelle exige que l’enseignant soitconscient qu’il joue un rôle précis dans unsystème de règles établies.

Également, Legault (1999) explique en quoil’éthique est une activité communicationnelle,en faisant ressortir la relation intersubjective,le travail d’équipe qu’elle implique. L’éthiqueest une quête de sens commun dans l’action.Il distingue par ailleurs l’éthique de la moraleparce qu’elle se réfère à des valeurs plutôtqu’à des obligations. L’éthique situe nos déci-sions d’agir par rapport aux valeurs que nousdésirons mettre en pratique et ainsi, penseréthique, implique avant tout la considérationd’autrui, de ses valeurs, pour rejoindre ladiversité. Par conséquent, une démarcheéthique ne demeure pas une réflexion sur soi,mais se complète dans un dialogue, à la ren-contre de l’autre, afin de décider ensemble etde prendre action. L’individu doit pouvoirreconnaître la posture et les valeurs profes-sionnelles de l’autre. Il pourra le faire, toute-fois, s’il est capable de les reconnaître enpremier lieu chez lui-même. Les valeurs sontdonc les éléments principaux de la démarcheéthique. Chaque individu impliqué dans ladécision doit considérer l’ensemble desvaleurs en jeu. Cela suppose une communi-cation réelle. Selon Patenaude (1998), ladémarche éthique et le dialogue sont reliés

de par leurs caractéristiques. Ainsi, commedans le dialogue, on retrouve dans ladémarche éthique : l’intersubjectivité, larecherche de sens commun, le processus deconstruction de sens en coopération, lareconnaissance des écarts existants entre lesinterlocuteurs, la modification de la situationrespective des interlocuteurs et la mobilisa-tion de notions fondamentales d’ordreéthique.

• L’intersubjectivité est invoquée par le faitque tout discours se passe entre deux per-sonnes en relation dans la recherche desens. Le dialogue n’est pas un modèle decommunication directionnelle, mais unedynamique entre deux parties. L’éthiqueimplique une telle intersubjectivité, uneinterrogation dans notre rapport à l’autre.

• La recherche de sens commun répond à unbesoin d’approfondir ensemble une ques-tion initiale. Cette question de départ doitêtre conjointe et trace l’objectif du dia-logue. Le seul présupposé certain, dans larecherche de sens commun, est que touteréponse est possible.

• Le processus de construction de sens encoopération implique que le contexte peutmodifier la forme de la communication. Lediscours échappe aux conventions ou auxorganisations préétablies. Ensemble, lesdeux personnes s’interrogent et enri-chissent leur construction. Chaque partici-pant parle et écoute.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

38

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 37: Numéro 143 Avril • Mai 2007

• La reconnaissance des écarts existantsentre les interlocuteurs est nécessaire à lacompréhension. Chacun fait ses hypothè-ses sur les croyances et les connaissancesque détient celui à qui il s’adresse. C’estdans l’interrogation qu’il vérifie seshypothèses et révise ses présupposés.

• La modification de la situation respectivedes interlocuteurs qui résulte du dialogueconduit à la construction de l’identité per-sonnelle de chaque personne participante.L’éthique implique l’évolution des person-nes concernées.

• La mobilisation de notions fondamentalesd’ordre éthique est essentielle dans le dia-logue. Dialoguer, dans la perspective qu’ons’approche de l’autre, laisse voir que cetacte n’est pas qu’un moyen d’échange deparoles, mais aussi un exercice où cer-taines notions fondamentales entrent enconsidération dans l’élaboration communede sens : la parité de la parole, la récipro-cité. Les règles éthiques rendent possiblel’interrelation dans le dialogue.

On peut constater – que ce soit sous l’angled’une activité communicationnelle ou d’unmode de régulation sociale – que l’éthiqueest une quête de sens dans l’action, un senscommun. L’éthique professionnelle impliquedes prises de décision et des prises d’action qui prennent en considération le contexteprofessionnel. Une démarche éthique se veutainsi la co-construction de la meilleure solu-tion et de la prise d’action qui respectent aumieux toutes les personnes concernées dansun contexte précis.

Comment développer son éthiqueprofessionnelle?

Par où commencer?En prenant d’abord conscience du cadresocial dans lequel on s’inscrit commeenseignant. Quelles sont les lois qui régissentla société actuelle et les établissements sco-laires? Quelles sont les missions véhiculéespar les programmes de formation?

Chaque établissement est soumis à des bali-ses qui sont imposées aux enseignants.Celles-ci encadrent les interventions denature plus spécifiques aux particularités desinstitutions. À l’intérieur de celles-ci, plusieurs

conventions, normes administratives et règle-ments sont en place et exigent que lesenseignants justifient leurs actes.

Par ailleurs, on constate actuellement quel’éthique professionnelle collective à laquelletous les enseignants pourraient se référer, etdans laquelle ils pourraient se reconnaître,est encore en émergence avec la profession-nalisation de l’enseignement, laquelle vise àce que les enseignants soient capables derépondre de leurs actes devant les membresde la profession et de la société.

La mission du Programme de formation del’école québécoise se présente en trois axes :

instruire, qualifier et socialiser. Les mandatsgénéraux du système éducatif sollicitent unemobilisation des actions à l’intérieur desétablissements et génèrent des normes : « Ladéfinition des finalités de l’éducation est unenjeu social et éducatif très important. Eneffet, les finalités explicites d’un système édu-catif résultent d’un consensus social sur cequi est considéré comme essentiel à dévelop-per par l’école. » (Desaulniers et Jutras 2006,p. 88)

On trouve également, à l’intérieur des milieuxscolaires, des normes implicites telles que lescodes de vie, qui donnent un sens aux actionsjournalières et une culture interne qui établit

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

39

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 38: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Développer son éthique dans les situations difficiles

Reconnaître un problème éthiqueJulianne est placée devant une situation diffi-cile. Est-ce vraiment un problème éthique?Un problème éthique se reconnaît par sescaractéristiques : il implique des conflits devaleurs; il génère une zone d’inconfort etd’incertitude; il implique autrui; il exige uneréflexion; il exige une prise de position; ilexige une prise d’action; il mobilise deshabiletés de communication.

Par exemple, dans le contexte social actuel, lasituation à laquelle Julianne fait face impliquedes conflits de valeurs puisque la masturba-tion en public n’est pas acceptée par la société.Cependant, elle ne sent pas mal à l’aise per-sonnellement avec ce fait. Elle se demande àqui elle peut en parler, puisqu’elle est préoc-cupée par la confidentialité. Elle est inquiètepour la sécurité de Benoît parce qu’ellesoupçonne que son beau-père lui inflige descorrections physiques et qu’il pourraitdevenir furieux s’il apprenait que Benoît posedes gestes pouvant rendre plusieurs person-nes inconfortables. Julianne fait face à unproblème éthique puisqu’on retrouve toutesles caractéristiques mentionnées plus haut.

Un contre-exemple serait qu’un enseignantdécouvre qu’un collègue fait des attouche-ments à un élève. Il aurait peut-être unmalaise, mais, en principe, pas de conflit devaleurs, puisque le cadre social indiqueclairement que l’action à privilégier pourtoutes les personnes concernées est dedénoncer un tel acte et de faire cesser lesgestes offensants. Il y aurait clairement uneattitude non éthique de la part du collègue enfaute, mais pas de problème éthique àrésoudre pour l’enseignant qui le découvre.

Développer une attitude éthiqueLa réflexion ressort comme la principale compétence à cibler pour développer uneattitude éthique : « La conscience éthique sedéveloppe en favorisant la réflexion, le ques-tionnement à propos des conséquences sur les personnes de toute décision et detoute intervention. » (Desaulniers et Jutras2006, p. 6)

Dans cette vision, la connaissance de soiapparaît comme le premier vecteur dechangement dans la réflexion. L’individu doitd’abord connaître ses valeurs. Ensuite, placédevant un dilemme éthique, le dialoguedevient nécessaire. La communication réelleexige par ailleurs des habiletés de base pouréviter le monologue.

Moyens pour développer son éthiqueprofessionnelle dès le départComment favoriser le développement del’éthique professionnelle dès le début de lapratique? Un moyen adéquat serait dechercher des lieux pour échanger, desespaces de partage exempts d’enjeux poli-tiques. Également, s’exercer à vivre desdélibérations éthiques en équipe de profes-sionnels, en traitant de problèmes réels.

Legault (1999) propose une grille de délibéra-tion éthique qui permet de considérer lesvariables importantes à considérer dans uneprise de décision à l’intérieur d’un processusdialogique collectif qui permet le classementet l’évaluation des informations. Elle com-prend quatre phases principales touchant desdimensions de la décision motivée : prendreconscience de la situation (analyser tous leséléments et les conséquences possibles), cla-rifier les valeurs conflictuelles (analyser leschoix contradictoires), prendre une décisionéthique (hiérarchiser des valeurs et des choixde l’action respectueuse) et établir un dia-logue réel (déterminer si la solution choisieest acceptable pour toutes les personnes con-cernées).

Ces moyens contribuent au développementde la compétence éthique, mais dans l’actionoù les interventions rapides sont nécessaires,qu’advient-il de l’attitude éthique?

Julianne devant le problème éthiqueJulianne a une dizaine d’années d’expériencedans l’enseignement. C’est la première foisqu’elle se trouve dans la situation où un élèvese masturbe dans la classe. Ce n’est toutefoispas son premier problème éthique à résou-dre. Le processus d’intervention est différentde celui dans lequel elle se serait engagée il ya dix ans. L’urgence n’est pas la même. Sacapacité à vivre l’incertitude aussi a changé.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

40

le climat et la gestion des pratiques quoti-diennes. Les milieux scolaires attendent desenseignants qu’ils s’impliquent dans les acti-vités de la vie de l’école.

Finalement, comme la culture institutionnelles’inscrit dans le mandat des programmes, onsouhaite que les enseignants démontrent,dans leurs nombreuses interventions, leurimplication dans le développement de leurscompétences et qu’ils demeurent actifs dansleur formation continue.

Exemples de loisLa Loi sur la protection de la jeunesse pré-cise les actions que la société attend desadultes afin de protéger les jeunes.

La Loi sur l’instruction publique, qui a étémodifiée en 1997 par le projet de loi 180,détermine le cadre légal d’exercice de laprofession enseignante. Elle comprend unepartie relative à l’éthique professionnelleenseignante, qui aborde successivementtrois éléments : les droits de l’enseignant,ses obligations et la suspension ou la révo-cation du brevet d’enseignement.

Les conventions collectives régies par la Loisur le régime de négociation des conven-tions collectives dans les secteurs public etparapublic, négociées par le gouvernement,les commissions scolaires et les syndicats.

(Desaulniers et Jutras 2006)

Pourquoi le cadre social est-ilimportant à connaître?Les règles et les lois servent de repères pourcomprendre les limites du cadre quand il fautrepenser une solution. Ignorer ce cadre auraitpour conséquence de ne pas considérer lesconsensus sociaux, les valeurs de société ser-vant de langage commun pour construire,justifier et communiquer nos décisions. Parexemple, dans un cas où le harcèlement sexuel est en jeu, il est impensable de pren-dre une décision sans considérer que c’estinacceptable socialement. En ce qui a traitaux situations de harcèlement sexuel, celaapparaît plus facilement. Mais en ce qui con-cerne, par exemple, la confidentialité, quellessont les lois qui existent concernant lesenseignants? Les connaissent-ils?

Page 39: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Elle a conscience de l’importance de ne pasréagir trop rapidement à une situation quiimplique autant de complexité et de prendrele temps nécessaire pour réfléchir.

Elle baisse le volume de la musique etannonce aux élèves qu’aujourd’hui, il y auraune activité surprise et que la relaxation seraplus courte. Elle leur demande de ranger leurtapis et venir à l’avant de la classe près del’armoire pour l’activité surprise. Cette inter-ruption a suscité l’intérêt de Benoît qui a aus-sitôt cessé ses activités personnelles. Tous lesélèves s’affairent rapidement à ranger leurtapis.

Julianne prendra le temps d’en parler avecl’éducatrice dès la fin de la classe. Ellesdécideront ensemble des personnes à impli-quer dans leur prise de décision. Ellesrechercheront ensemble la meilleure solutionet prise d’action qui respectera au mieuxtoutes les personnes concernées, y compriselles-mêmes.

Mme Lise-Anne St.Vincent est actuellementprofesseure invitée à l’Université deMontréal, au Département de psychopéda-gogie et d’andragogie, et responsable dela formation pratique en enseignement enadaptation scolaire.

Références bibliographiquesCONSEIL SUPÉRIEUR DE L’ÉDUCATION. Développer unecompétence éthique pour aujourd’hui : une tâche éduca-tive essentielle. Rapport annuel 1989-1990 sur l’état etles besoins de l’éducation, Québec, 1990.DESAULNIERS, M.P. et F. JUTRAS. L’éthique profession-nelle en enseignement : fondements et pratiques,Québec, PUQ, 2006.LEGAULT, G.A. Professionnalisme et délibération éthique,Sainte-Foy, PUQ, 1999.MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION DU QUÉBEC. La formationà l’enseignement : Les orientations – Les compétencesprofessionnelles, Québec, 2001.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

41

LE DÉCALAGE DE VALEURS ENTRE L’ÉCOLE ET LES FAMILLES :UNE OCCASION DE RAPPROCHEMENT

Une entrevue avec Mme Fasal KanoutéPropos recueillis par Louise Sarrasin

AAujourd’hui, la réussite éducative des enfantset des jeunes passe inévitablement par ledéveloppement d’une relation de qualitéentre l’école, les familles et la communauté.Or, cette relation s’articule autour de valeurséducatives véhiculées autant par les parentsque par les intervenants communautaires oule personnel scolaire. Que ces valeurs soientconvergentes ou divergentes, elles influen-cent les rapports entre les acteurs; demanière objective, il en découle un décalageplus ou moins grand. Pour en traiter et pourjeter un regard réflexif sur les valeurs domi-nantes que le personnel scolaire et l’écoletransmettent, Vie pédagogique a réalisé uneentrevue avec Fasal Kanouté, professeure auDépartement de psychopédagogie et d’an-dragogie de l’Université de Montréal et spé-cialiste de ces questions.

Vie pédagogique – Selon vous, de quellefaçon s’explique le décalage entre lesvaleurs véhiculées à la maison et à l’école? Est-il observable dans tous lesmilieux?

Fasal Kanouté – En fait, je dirais que cedécalage est une réalité en soi pour toutes lesfamilles et pour l’école, parce qu’il n’y a pasde chevauchement parfait entre la culturefamiliale et la culture scolaire. Par exemple,certaines familles vivent dans des conditionsobjectives tellement dures qu’elles ont de ladifficulté à se mettre en continuité avec la culture scolaire. D’autres ont déjà une vision de l’école structurée dans un environnement différent. C’est le cas des personnes immi-grantes ayant vécu un rapport à l’école dansleur pays, comme parents ou comme élèves.Cette vision reste dans leurs représentations.Pour certaines, ce décalage est dû à un con-tentieux qui a pris naissance dans leur expé-rience scolaire. L’école ne leur a pas laissé unbon souvenir parce qu’elles y auraient, par

exemple, accumulé des échecs. Il faut alorsbeaucoup de patience pour pallier cetteexpérience scolaire douloureuse afin que ledécalage puisse se résorber. Cela prend dutemps pour défaire une vision de l’école et enconstruire une nouvelle. Quand on est inter-venant, il faut reconnaître que la culture sco-laire est une culture projetée et consensuellequi n’est évidemment pas à la même distancede toutes les familles. Je crois que ce décalagemérite d’être décortiqué de manière trèsdiversifiée, de manière à pouvoir lire ce qui lestructure pour chaque groupe de familles.

V. P. – Aujourd’hui, le personnel scolaireet les parents ont à négocier avec une plusgrande palette de valeurs que par lepassé. Est-ce un avantage ou un incon-vénient?

F. K. – Je trouve que c’est très bien pour unesociété. Il y a une cinquantaine d’années, auQuébec, la centralité culturelle était struc-turée autour de la religion. Aujourd’hui, il y a

Page 40: Numéro 143 Avril • Mai 2007

plusieurs formats de famille et plusieurs pos-sibilités de se définir en tant qu’individu dansla société. L’école doit négocier avec cetteréalité, tout en s’occupant du volet de sonmandat qui est de former des citoyens.Depuis les années 70, une culture de partici-pation s’est installée. Beaucoup de débats ontpris naissance dans les familles, dans lescommunautés, et c’est ce questionnementqui fait évoluer les choses et permet au milieude revoir son mandat et de le réajuster.Cependant, il ne faut pas oublier que la cul-ture scolaire n’est pas seulement propre auxenseignants et aux directions d’école. C’estune culture qui se transforme à l’image desrapports de force qui existent dans la société.

V. P. – Devant ce décalage, quelles sont lesréactions possibles des familles?

F. K. – Confrontées à ce décalage, les famillesutilisent des stratégies diverses. Ainsi, cer-taines connaissent déjà toutes les formes pos-sibles que cette relation peut prendre avecl’école, de la communication à distance partéléphone ou au moyen de l’agenda jusqu’àl’implication dans les comités, en passant parle suivi scolaire à la maison ou l’échange avecl’enfant concernant son quotidien à l’école,par exemple. D’autres familles peuvent nepas être en accord avec certaines valeurs del’école, mais elles vont choisir, sur un planstratégique, de s’engager dans le suivi sco-laire. Pour ce faire, il faut que les famillesaient les moyens et les ressources néces-saires. Enfin, il est évident qu’il y a desfamilles qui vivent une distance telle avec l’école que le décalage ne fait pas l’objetd’une réflexion prioritaire; ce qui a un impactsur la réussite scolaire de l’enfant parce quecelui-ci est partagé entre deux milieux desocialisation, la famille et l’école, et que toutest conflictuel pour lui entre ces deux expé-riences. Il est alors nécessaire que l’école etles parents travaillent sur ce décalage et qu’ily ait une médiation pour aider les familles àle résorber.

V. P. – Quelles sont les valeurs dominantesvéhiculées par l’école comme institution etdans son mandat?

F. K. – L’enseignant transmet les valeurs quele curriculum lui demande de transmettreparce qu’il est un agent de transmission, mais

il transmet aussi desvaleurs en tant quepersonne. Si on voitl’ensemble des adul-tes comme une haieque traverse l’enfant,on ne peut penserqu’il puisse s’en sortirindemne, cela dit aubon sens du terme.L’enfant va fairesiennes certaines va-leurs de l’école –même si elles sontconflictuelles aveccelles de sa famille –parce qu’elles luiapportent quelquechose. Quant au man-dat de l’école, il est de créer un rapportstructuré au savoir,surtout un savoir àl’écrit, du moins dansles sociétés occiden-tales. Il y a des con-textes familiaux oùl’enfant est déjà so-cialisé à cette cultureformelle. Pour cesfamilles, l’école estune plus-value, ce quipeut les amener àvisualiser le chemine-ment de celle-ci et lesdifférentes possibili-tés de qualificationsociale pour leur en-fant. D’autres familles sont plus éloignées decette culture formelle. Il revient à l’école deles y rapprocher.

La question fondamentale à se poser est :Que peut-on mettre en place pour ne pascreuser ces inégalités, pour les réduire aumaximum, puisque les élèves ne viennent pasà l’école avec les mêmes acquis? À l’école, onles forme à des valeurs consensuelles tellesque l’égalité, le respect et la tolérance. C’estle rôle de l’école de s’ouvrir sur les milieuxdes enfants, non pas en les disqualifiant, maisen prenant appui sur ces milieux. En grandis-sant, les enfants développeront eux-mêmesdes outils pour composer avec leurs dif-férentes appartenances.

V. P. – Selon vous, le personnel scolairedans son ensemble est-il conscient de cedécalage?

F. K. – Dans l’ensemble, oui, mais le nœud duproblème, c’est ce que les personnes vontfaire devant ce décalage. Certaines pensentque si elles se centrent sur l’élève et sur saréussite à l’école, elles vont le juguler. Or,l’enfant et l’élève, c’est la même personne. Sefermer les yeux, oublier la famille, occulter ceque l’enfant vit à l’extérieur et apporte à l’école pour se centrer uniquement sur ce quipasse dans la classe n’est pas une perspectiveféconde. D’autres personnes voient la culturescolaire comme la norme, la référence. Ellescroient alors que c’est à la famille de se con-

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

42

Phot

o: D

enis

Gar

on

Fasal Kanouté

Page 41: Numéro 143 Avril • Mai 2007

former aux attentes de l’école. Il ne s’agit paslà non plus d’une bonne perspective, car onnéglige certains enfants. On avantage surtoutceux qui sont capables de négocier seulsentre ces deux milieux, ainsi que les famillesqui ont les moyens de dialoguer avec l’écoleou de la bousculer. Par contre, celles qui sontintimidées par la culture scolaire et par lesymbole que constitue l’école vont rester enretrait. En général, on a tendance à ne pasprêter attention à tout ce qui d’emblée n’estpas en convergence avec notre vision deschoses. Parce qu’évidemment, constater qu’ily a un décalage implique que l’on se ques-tionne sur sa responsabilité. Toutefois, il estrare que cette dernière n’appartienne qu’à lafamille. Donc, une fois qu’on a reconnu saresponsabilité, on doit travailler à réduire cedécalage. Les intervenants du milieu scolairesont de plus en plus conscients du fait que lafamille et l’école doivent agir en même tempset que l’école doit baliser les conditions decette coéducation.

V. P. – Devant la prédominance de la culture scolaire et des valeurs projetéespar l’école, que devrait faire le personnelscolaire?

F. K. – L’enseignant possède beaucoup depouvoir et il doit pratiquer une décentration :objectiver ses propres valeurs pour mieuxentrevoir la légitimité d’autres possibles. Lesparents ont le droit d’avoir des valeurs dif-férentes. L’enseignant peut se positionner parrapport à des pratiques religieuses ou socio-culturelles, mais il n’est pas pertinent de ver-baliser son désaccord sur ces valeurs –implicitement ou explicitement – auprès del’enfant. Un élève a besoin de temps pour « se socialiser » à la culture scolaire et pours’approprier le curriculum. De la mêmemanière, la démarche de socialisation fami-liale de l’enfant s’inscrit dans la durée et ellen’est pas toujours facile pour lui. Ceci me faitpenser à un père musulman qui déclarait :« Des gens me disent que mon enfant ne doitpas apprendre à jeûner, car c’est difficile pourun enfant… Ce n’est pas une raison suffi-sante! ». Donc, on peut avoir toutes sortes dereprésentations sur les pratiques sociales etles valeurs des familles, mais on ne peut pasd’emblée les aborder comme un problème.Par contre, si elles ont un impact sur le bien-être de l’enfant ou sur son vécu scolaire, onpeut approcher le parent par ce biais en lui

disant, par exemple, qu’on a perçu que sonenfant ne se sentait pas bien en classe parcequ’il ne supporte pas d’avoir faim. On a ledevoir de s’en ouvrir à la famille en mettantl’enfant au centre de nos préoccupations. Ilfaut inviter les parents à venir partager notreréflexion sur le vécu de leurs enfants et àtrouver la solution avec nous, mais il ne fautpas d’emblée disqualifier les valeurs desfamilles.

V. P. – Quelles sont les activités que l’écolepeut mettre en place pour discuter desvaleurs avec les familles?

F. K – Globalement, il s’agit d’accueillir lesparents. Certains veulent venir à l’école, maison leur ferme la porte, parce qu’on craintl’envahissement ou parce qu’on se demandecomment négocier avec les différences devaleurs, les divergences et les conflits. Toutcela est pourtant inhérent à la relation entrela famille et l’école. Il faut ouvrir la porte auxparents et discuter du projet éducatif aveceux. La valeur la plus consensuelle sur la-quelle on peut faire cheminer les parents,c’est la plus-value de l’école. On doit les con-vaincre que l’école peut apporter quelquechose à leur enfant. Je crois que les famillessont en mesure d’assimiler un tel discours dumoment qu’on les écoute. D’ailleurs, dansune recherche qui portait sur la réussite desenfants dans un contexte où leurs parents ontpeu d’instruction, j’ai constaté que cesderniers avaient un discours très présent surla réussite scolaire. Bien sûr, ce discours n’estpeut-être pas aussi structuré qu’il peut l’êtredans d’autres milieux, mais on observe queces parents sont conscients que l’école ouvreune fenêtre à leurs enfants.

Il faut reconnaître aussi que le vécu difficilede certains parents leur démontre que l’écolen’est pas là pour tout le monde. Prenonsl’exemple de ceux qui sont victimes de dis-crimination en raison de leur appartenance àune communauté culturelle donnée. Même sion dit à leurs enfants que la réussite passepar l’école et qu’ils auront une place dans lasociété, ces parents s’attendent à ce que lasociété oppose des barrières à leurs enfants,car c’est ce qu’ils vivent. De leur côté, lesenfants constatent que leurs parents n’arri-vent pas à s’insérer professionnellement dansla société, malgré leurs diplômes et leurscompétences. Il en va ainsi, également, pour

certains enfants de milieux défavorisés, quiréalisent que leurs parents n’arrivent pas àleur assurer une sécurité à la hauteur de leurinvestissement, même s’ils cumulent deuxemplois dans des manufactures. Donc, cen’est pas toujours une question de manquede volonté ou de convergence de valeurs,mais plutôt une question de contexteextrêmement difficile. Il ne faut surtout pasvoir ce décalage comme un handicap, maisplutôt comme une donnée dont il faut pren-dre acte pour essayer de trouver la manièrela plus heureuse d’y travailler sans disquali-fier les familles.

V. P. – De quelle façon le personnel sco-laire peut-il encourager la participationdes parents et de la communauté dans l’école?

F. K. – On peut demander aux parents cequ’ils aimeraient faire à l’école et respecterleur contexte familial. Dans tous les cas, il fautaffirmer que le parent est en mesure de fairequelque chose pour son enfant. De la mêmemanière, il est important de connaître la com-munauté pour laquelle on travaille et desavoir ce qu’elle a à offrir. Ce ne sont pastoutes les écoles qui font cette démarche. Parcontre, certaines sont conscientes du béné-fice qu’elles peuvent retirer à mettre les parents en réseau autour de l’exercice de laparentalité, un travail beaucoup plus largeque celui du métier de parent d’élève. Cefaisant, ils vont pouvoir rencontrer d’autresparents et se donner une voix propre. Oncraint parfois cette voix organisée des parents, mais il est sain qu’ils aient le pouvoirde nous déstabiliser. Bien sûr, les recevoir neveut pas dire tout accepter, parce que l’écolea un mandat et qu’elle a des comptes à ren-dre à la société, mais il est important qu’ellenégocie avec les parents.

V. P. – Quels sont les effets les plus néga-tifs de ce décalage sur les familles?

F. K. – L’école est un milieu de vie. Les enfantsy expérimentent les mêmes difficultés queleurs familles le font dans la société : lephénomène d’exclusion, le fait de sentir qu’ily a beaucoup d’omissions et de non-dits parrapport aux difficultés qu’ils rencontrent àl’intérieur et à l’extérieur, etc. Je parle aussidu racisme, osons le dire, parce qu’il y a desjeunes des minorités et d’autres élèves à qui

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

43

Page 42: Numéro 143 Avril • Mai 2007

D o s s i e r

44

l’école envoie le message que pour réussir, illeur faudra toujours donner 200 p. 100 ouqu’ils ne sont pas faits pour réussir. Imaginezun enfant qui, tout au long de sa scolarité,reçoit le message explicite de l’école que sesparents ne sont pas de bons modèles ni debons citoyens. Les enfants décodent ces atti-tudes et ces comportements comme unrenoncement non seulement à les aider, maisaussi à refléter ce qu’ils vivent dans leur com-munauté comme minorité. On n’atteint passeulement la relation avec le parent, mais ontouche la relation avec l’enfant dans ce qu’ilest, parce que ses parents font partie de sonidentité. Cette disqualification de ses parentsa un impact sur l’enfant. L’école ne soulèvepas ces problèmes. Pourtant, il est très impor-tant de les aborder.

V. P. – Croyez-vous que l’école doit incluredans son mandat une réflexion sur lesproblématiques sociales? Si oui, de quellemanière doit-elle y sensibiliser son per-sonnel?

F. K. – Il faut que l’école enseigne la diversitéet l’intègre dans son fonctionnement, c’est-à-

dire que les familles sentent que l’école, ladirection et les enseignants sont sensibles à ladiversité d’ici et d’ailleurs. Le personnel sco-laire doit être sensibilisé aux défis et auxenjeux relatifs à cette diversité. Notre rôle,fondamentalement, est d’essayer de redis-tribuer les cartes. Ce qui me rassure, c’estqu’il y a des gens qui partagent cette vision,même si d’autres pensent – et c’est ma-lheureux – que le travail ne se situe pas danscette réflexion. Il faut s’ouvrir au monde, enmontrer la richesse, parler de la diversité au-delà de la façon dont elle se structure enclasse et avoir une vision positive de ce quienrichit notre propre culture, notre propresociété. Cela se réalise sur le plan du dis-cours, du symbolisme du matériel didactique,des exemples et des analogies ainsi que desactivités de réinvestissement. Il faut provo-quer une réflexion globale sur ce qui se passedans le monde, mais d’une façon positive. Sil’on parle tout le temps de la diversité à tra-vers des clichés misérabilistes, sexistes ouracistes, on ne peut pas encourager lesenfants qui ont besoin, eux, d’un messaged’espoir. Cette ouverture sur la diversité, ilfaut d’abord la connaître soi-même, en ayant

le courage de l’explorer, en sortant de sazone de confort. L’enseignant doit com-mencer par visiter le quartier de l’école, car jene vois pas comment on peut enseigner sanspartager ce vécu. Traverser le quartier à unmoment où les familles sont revenues à lamaison, pour en sentir l’ambiance; aller dansles marchés, les cafés; lire des romans, voirdes films qui sont réalisés par des personnesporteuses d’une culture différente. Pour pou-voir enseigner, il faut découvrir la diversité dumonde!

Mme Louise Sarrasin est journaliste indé-pendante et enseignante.

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

POSTFACE…

Certes, le changement de posture péda-gogique que va induire l’implantation dunouveau programme d’Éthique et de culturereligieuse est une occasion privilégiée pouraborder cette question délicate des valeursdans le milieu scolaire. La compétence« Pratiquer le dialogue dans la perspective duvivre-ensemble » est une piste à explorer.

Il est intéressant de s’attarder à toutes cesexpériences qui donnent aux enfants l’occa-sion de partager leurs valeurs, en les expri-mant et en les confrontant parfois.

Cette place laissée au dialogue — que ce soitdans des conseils de coopération ou à traversdes expériences de philosophie pour enfants— est un axe de prolongement qui permet àtous les intervenants de mesurer l’importancede travailler en ce sens dans les écoles.L’émission Philosopher sur les mathéma-tiques, diffusée sur le canal Savoir[www.canal.qc.ca] propose des exemples quidémontrent la faisabilité de telles démarchespour exprimer ses principes idéaux afin debâtir des communautés apprenantes plusharmonieuses et capables de fonctionnerdans un monde aux valeurs parfois éclatées.

La déconfessionnalisation du système sco-laire québécois nous donne l’occasion collec-tivement et concrètement de mettre en avantune école publique qui se veut inclusive,commune, ouverte et démocratique.

Il est certain que la question de la formationdes enseignants et de l’ensemble du person-nel qui travaille dans les écoles se pose et leréférentiel de compétences professionnellesen fait mention. Faut-il le rappeler?

FIN

Page 43: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 45

UN PAS VERS LA RÉUSSITEpar Nadèje Jean

IIl y a certaines conférences qui, tout en susci-tant la réflexion, vous bouleversent au plushaut point. Lors du 31e congrès annuel del’Association québécoise des troubles d’ap-prentissage (AQETA), qui s’est tenu en mars2006, c’est ce que j’ai effectivement ressenti.J’ai eu le plaisir d’écouter Mario, un ex-détenu, nous parler de son cheminementscolaire pendant son séjour en prison.Cheminement remarquable, extraordinaire : ily est entré classé analphabète et il en estressorti en ayant obtenu un diplôme du collé-gial! Alors que Mario venait tout juste declore sa présentation, les applaudissementsnourris et prolongés de l’auditoire présentdans la salle du congrès exprimaient unesincère émotion remplie d’admiration.

Mais avant la prison et un tel succès, que s’était-il donc passé? Dans une certainemesure, l’histoire de Mario ressemble à cellede plusieurs enfants de notre époque. Famillemonoparentale, père absent, la vie dans unquartier défavorisé où on ne joue pas qu’auballon dans la rue… Son parcours scolairedébute difficilement. Il devient vite honteuxde ses échecs scolaires. Sa grande tailleconstitue pour lui une sorte d’handicap. Onattend davantage de lui. Dès lors, un énormeeffet Pygmalion lui porte préjudice tant auregard de ses capacités intellectuelles que deses habiletés sociales. Il n’est pas violent,mais renfermé sur lui-même. Au primaire, ilest considéré fortement à risque et au secon-daire, il est orienté dans une classe de che-minement particulier, avec des élèvesdéficients. N’ayant pas le sentiment d’y être àsa place, c’est là que tout dérape. Il ne con-trôle plus rien dans le milieu scolaire ni sur le plan des apprentissages, ni socialement. Ildérive et finit par se retrouver en prison. Il a alors vingt-six ans. Il y restera au moins six ans.

À l’école, il avait en quelque sorte « manquéle bateau ». Pourquoi donc? Dans quellemesure n’avait-on pas su souffler convena-blement dans ses voiles? Comment Mario a-t-il pu surmonter son analphabétisme et aussi

son ressentiment face au système scolaire etainsi obtenir un diplôme du collégial? Pourrépondre à ce genre de questions et ainsimieux comprendre son parcours et tirerleçon de ses expériences, la pédagogue queje suis est ainsi allée lui rendre visite enprison. Sa réflexion sur son parcours m’aétonnée, car elle n’est pas simplement pro-fonde, elle est remarquable.

Je n’avais pas encore commencé à le ques-tionner qu’il me confia un élément clé expli-quant sa motivation :

« Chaque fois que ma famille me rendait vi-site, j’emprisonnais une partie de leur vie etcela me faisait mal au cœur… Il fallait que jem’en sorte pour les en sortir. C’est ma femmequi, la première, a eu confiance dans mescapacités d’apprendre. Elle a commencé parme donner des petites dictées par téléphone.Par la suite, en alphabétisation, j’apprenaisen même temps que mon fils qui com-mençait l’école. Lui et moi, on s’écrivait despetits mots et je l’encourageais dans sesdevoirs. Notre intérêt pour l’école devenaitnotre point de rencontre et ça me donnait legoût de le suivre. On allait jusqu’à s’échangerdes trucs pour mieux apprendre. On a créédes liens. »

Voilà qu’il me met sur une nouvelle piste;celle du rôle incontournable des parents.Malgré son emprisonnement, Mario a tout demême réussi à être, pour son fils, le père qu’ilaurait lui-même voulu avoir. N’ayant pas reçul’attention tant désirée ni de son père, ni deses enseignants, il n’est pas surprenant queles rêves que Mario a pu avoir comme enfantse soient malheureusement trop tôt et trèsvite évanouis. Je n’ai pas pu m’empêcher depenser à tous ces enfants qui peuventressembler à Mario et que nous, pédagogues,avons croisés hier dans nos classes et quenous croisons aujourd’hui et encore certaine-ment demain. Qu’aurions-nous dû faire pouréviter que Mario ne dérive? Que pouvons-nous faire?

Dites-moi, Mario, quels ont été lesévènements les plus marquants quevous ayez vécus à l’école?Son regard s’est subitement voilé. « Ce sontles paroles qui m’ont été dites. Le pire, c’estque comme enfant, on ne réalise pas les con-séquences de certaines paroles. Ce n’estqu’avec le recul que, beaucoup plus tard, onles comprend. J’étais tellement timide, renfer-mé et isolé; j’avais une telle difficulté à com-muniquer.

Je le vois bien avec mon fils. Il a une prof quile soutient et qui l’écoute sans préjugé, mêmesi son père est en prison. Elle l’aide à com-prendre ce qu’il vit. Elle l’encourage à com-muniquer. Il aurait fallu que j’aie la mêmechance. Les rares fois que quelqu’un essayaitde me parler, je m’isolais, vu que ce que l’onme disait n’était pas accessible dans ma com-préhension d’enfant. Il aurait fallu qu’onvienne me chercher en dedans pour me fairevoir autre chose. »

Mais pour lui « faire voir autre chose », encorefallait-il que les enseignants et les autresadultes que Mario a rencontrés sur le cheminde son enfance et de son adolescence puis-sent apercevoir cette fragilité! Or, ce n’est nisa carrure, ni sa haute taille qui auraient per-mis de la détecter. Bien au contraire, cetteapparence constitua une sorte de handicap,le signe trompeur d’une maturité qu’il n’avaitpas. C’est pour cette raison que les en-seignants et les adultes exigeaient beaucouptrop de sa part, intellectuellement et sociale-ment. Ce genre d’incompréhension aura deseffets dévastateurs. Son estime de soi va com-mencer à se fissurer.

Qu’est-ce qu’un adulte ou unenseignant aurait pu vous dire pour vous éviter de décrocher?Sa réponse fut instinctive. « Ce n’est pas de ledire qu’il aurait fallu, mais de le faire, de levivre avec moi! De mémoire, je ne vois pasd’enseignants qui se soient vraiment assispour discuter avec moi afin de m’écouter, dem’aider dans le but de me sortir de mes

Page 44: Numéro 143 Avril • Mai 2007

46 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

difficultés. Ce n’était pas de leur faute, ilsn’avaient pas le temps, ou peut-être tropd’élèves dans leur classe, alors je m’effaçais.À la maison, il n’y avait pas grand mondepour m’aider. Le prof aurait pu être un mo-dèle ou m’en suggérer un. Une chose quej’aurais aimée, c’est d’être au courant de cequi se disait dans les rencontres de parentsavec les profs. J’aurais aimé ça savoir ce quise disait, parce qu’après, je restais avec laconviction que je n’étais pas bon, sans savoirpourquoi. J’aurais voulu être consulté etimpliqué. Personne ne prenait le temps dem’expliquer mes difficultés et de me direcomment faire pour comprendre. Étant don-né que l’on ne me disait rien, je restais sur ledoute et je m’enfonçais dans mon manquede communication parce que je ne me faisaispas confiance : je devais être trop bête pourqu’ils ne prennent pas le temps de m’expli-

quer mon problème d’apprentissage. J’avaisun gros déchirement en dedans et ça, per-sonne ne le savait. »

Ce propos m’interpelle profondément. Unequestion ne manque pas de surgir dans monesprit. Je n’hésite pas à la lui poser.

Vous dites que vous étiez renfermé.Comment un enseignant ou l’écoleaurait pu faire pour vous rejoindre?« Le prof aurait pu être un modèle ou m’ensuggérer un. J’ai eu la chance une fois de ren-contrer un monsieur qui me laissait prendresoin de ses chevaux. Il m’encourageait àaimer l’école, la vie. Un jour, il a déménagé.C’était le vide et personne n’a pensé remplirce vide. Il y a une autre personne qui a voulum’aider en 1re secondaire. C’était une reli-gieuse qui avait dû comprendre ma difficulté,

une sorte de dyslexie. Elle était allée voir ledirecteur pour lui demander de me fairepasser l’examen à l’oral. Mais cela n’a pasdonné les résultats escomptés. »

Tout en comprenant bien ce que me disaitMario, une question me trottait dans la tête :bien sûr, il y a l’école, les enseignants, le sys-tème, etc., lui ai-je dit de manière quelquepeu provocante,

Mais vous, qu’est-ce que vous auriezpu faire pour vous en sortir?

Mario me répondit avec lucidité :

« Je me pose souvent la question. J’auraispeut-être dû crier à l’aide! Mais je n’ai pas su.Parce que je ne me faisais pas confiance, jepensais que je devais être trop bête. En toutcas, je sais une chose, j’aurais aimé ça que lesourire soit au rendez-vous. Parce que pourmoi, ça, c’est une ouverture vers la communi-cation, ce que je n’ai pas eu… J’avais un grosdéchirement en dedans et ça, personne ne lesavait. Il aurait été important de m’expliquerla situation. M’expliquer pourquoi et à quoiça sert. Si, à l’école, j’avais eu plus de soutienaux devoirs et plus d’encadrement, peut-êtrecela aurait changé les choses… Comme jen’avais aucun soutien, je me suis tourné versdes modèles “ non scolaires ”. Ceux qui m’écoutaient venaient de la rue. Eux, aumoins, ils me valorisaient. »

En effet, dans la rue, Mario prend consciencede capacités jusque-là insoupçonnées.Disposant d’une forte carrure, celle-ci lui pro-cure une force physique qui ne demandequ’à être exploitée. De mauvais coups enmauvais coups, avec d’autres garçons miscomme lui dans la marge de la société, il vatrès rapidement rencontrer de jeunes délin-quants et aussi de moins jeunes. Ce sont euxqui vont prendre le temps de l’écouter. Dèslors, il va être perçu tout autrement quecomme un incompétent. Et le voilà promuchef de bande. Souvent impliqué dans diversdélits, pendant plusieurs années, il réussit àpasser à travers les mailles des filets de lapolice. Un jour tout de même, il se faitarrêter. Accusé, reconnu coupable, il se trou-ve alors incarcéré. Au moins six années àpasser derrière des barreaux.

UN PAS VERS LA RÉUSSITE…Ph

oto

: Den

is G

aron

Page 45: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Que faire? Il vient tout juste de devenir père.Pour lui permettre une véritable réhabilita-tion, les autorités carcérales lui proposent deretourner aux études. Mais comment diables’y prendre quand on est comme lui classéanalphabète? Soutenu par sa femme et safamille, Mario prend son courage à deuxmains. Dans un premier temps, il décide des’inscrire à un programme d’alphabétisation.Quelques années plus tard, ses progrès sontincontestables. Désormais, la vie se présentepour Mario sous un tout autre jour.

En peu de temps, Mario arrive à obtenir sondiplôme de 5e secondaire avec une moyennede 81 p. 100! Fort et fier de ce remarquablesuccès, il poursuit ses études au collégial. Illes termine avec une moyenne de 85 p. 100!La reconnaissance que Mario voue à sesenseignants du milieu carcéral1 est immense.

Avez-vous toujours ce désird’apprendre?« Aujourd’hui, maintenant que je sais lire etque je lis beaucoup, je suis devenu capablede mieux communiquer. On dirait qu’en plusde lire, à cause de toutes les nouvelles con-naissances et du vocabulaire que j’ai apprisen lisant, je réussis mieux à dire ce que j’ai àdire et à mieux penser.

Il y a aussi la volonté de m’en sortir, pour moiet ma famille, mes enfants. Il y a eu desmoments d’échanges avec mes enseignants,en prison. Ils m’ont valorisé, m’ont mis enconfiance. C’est drôle à dire, mais maintenantje me sens plus libéré, plus confortable avecmoi-même. J’ai acquis maintenant ce que jen’avais pas pu apprendre quand j’étais jeune.De voir comment mes profs en prison étaienttous excités avant et après mes examens duMinistère parce qu’ils avaient à cœur maréussite, ça me valorisait et m’encourageait.C’était nouveau pour moi de voir que je pou-vais avoir une relation constructive quim’aidait dans mon cheminement personnel.

Tout ça m’a permis de regarder les événe-ments du passé, de pardonner et surtout deregretter certains gestes que j’avais posés.

Mais ce qui est triste ici, c’est qu’à part avecmes profs, il n’y a pas grand monde avec quije peux le partager, car ça éloigne certains,sans oublier ceux qui n’ont pas confiance enma démarche.

Mais quand même, c’est plein de petiteschoses qui font de grandes choses. »

Si la situation de Mario m’a donc profondé-ment interpellée, c’est que moi-même,comme enseignante ou comme orthopéda-gogue, j’ai déjà rencontré d’autres petitsMario. Ai-je su être attentive à leurs deman-des d’écoute? Ai-je vraiment su leur adresserdes paroles ou faire des gestes qui leurauraient montré le bon chemin, celui le longduquel ils auraient pu s’épanouir et aussicontribuer au bien-être général de la sociétéplutôt que de glisser vers le monde de ladélinquance? Dans quelle mesure notre sys-tème scolaire est-il fautif? Pour éviter cegenre de dérapage qui peut conduire audécrochage et éventuellement à la petitedélinquance, voire à la grande, il me paraîtnécessaire comme éducateur ou commeenseignant de nous interroger de la sorte. Defait, si le milieu scolaire ne saurait assumertoutes les responsabilités en la matière – lesparents, les pairs, l’environnement social ontégalement leur part – les différents inter-venants du milieu scolaire doivent prendresoin de toujours intelligemment décoder cer-tains signaux de détresse d’enfants commeMario. Une véritable écoute et une sérieuseempathie pourraient permettre de percern’importe quelle carapace, du moins avantque celle-ci ne devienne trop dure, comme cefut le cas pour le jeune Mario.

Pour terminer, permettez-moi de soulignerdeux propos que Mario m’a adressés, commeau détour de notre agréable et fort instructiveconversation, qui m’ont tout particulièrementébranlée.

• « En prison, toutes les connaissances intel-lectuelles m’ont permis de me libérer, deprendre conscience comment et pourquoiça existe une société. Il ne faut pas seule-ment le dire, mais le démontrer. »

• « Je peux vous dire que l’ignorance intel-lectuelle est la pire des puissances, car ellepeut nous amener au pire. »

Comment combattre cette ignorance intel-lectuelle? Pourquoi donc être instruit? Pouravoir les moyens de tracer son proprechemin dans l’existence. Pourquoi enseigner?Pour combattre l’ignorance, tout simplement,cette ignorance qui peut être dangereuse, qui

peut devenir, ainsi que Mario me l’a fait com-prendre à travers son témoignage, une puis-sance néfaste qui a le pouvoir de menercertains à l’indifférence et d’autres à la délin-quance.

Comme pédagogue, je n’ai qu’un souhait :que l’indifférence et l’ignorance fassent lemoins de dommage possible, sachant que cesont les enfants eux-mêmes qui en sont tou-jours les premières victimes, les enfants duQuébec d’aujourd’hui, les adultes de demain.Comment aller au-delà d’un apprentissagesimplement scolaire pour lutter contre l’igno-rance? Si Mario avait eu la chance dedévelopper ses compétences transversales,cela ne lui aurait-il pas permis de mieux s’orienter dans la vie et ainsi assurer vérita-blement son développement métacognitif etson développement global comme personne?C’est une avenue à explorer!

Nous étions à la fin d’une belle rencontrelorsque, avant de nous quitter, Mario me confia :

« Je veux repartir à neuf, mais est-ce que toutle monde va me croire ou l’accepter? Voussavez, il y a encore un doute qui vient de loin,quand j’étais petit… Je dois encore grandir!Merci à ma conjointe qui a cru en moi! »

Merci Mario! Avec vous j’ai grandi.

Mme Nadèje Jean est orthopédagogue.

NDLR : Maintenant libre, Mario poursuitdes études à temps plein, en techniquesde génie.

1. Le Service correctionnel du Canada offre dans sesdouze établissements carcéraux du Québec tous lesprogrammes d’enseignement allant de l’alphabétisa-tion jusqu’au diplôme d’études secondaires (DES).Cinq établissements dispensent des cours menant audiplôme d’études collégiales (DEC) en scienceshumaines. Certains autres donnent une formation eninformatique en vue d’une attestation d’études collé-giales (AEC). Une trentaine de programmes de forma-tion professionnelle menant à une AFP sont aussiofferts de même que cinq types de diplômes d’étudesprofessionnelles (DEP). Les DEC et AEC sont dispensésen collaboration avec le cégep Marie-Victorin, tandisque les autres formations sont sanctionnées par leministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport duQuébec.

UN PAS VERS LA RÉUSSITE…

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 47

Page 46: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 48

LE CONSTRUCTIVISME EN TERMES SIMPLESpar Domenico Masciotra

LLe constructivisme est une posture épisté-mologique qui prétend qu’une personnedéveloppe son intelligence et construit sesconnaissances en action et en situation et parla réflexion sur l’action et ses résultats. Lapersonne appréhende et comprend les situa-tions nouvelles à travers ce qu’elle sait déjà etmodifie ses connaissances antérieures afin des’y adapter. Chaque adaptation à une situa-tion permet d’élargir et d’enrichir le réseaude connaissances antérieures dont disposeune personne et cette progression continuedu réseau lui permet de traiter des situationsde plus en plus complexes.

Le constructivisme est une théorie du con-naître (actif) plus qu’une théorie de la con-naissance (passif) parce que l’action est lemoteur du développement cognitif. Le cons-tructivisme s’intéresse donc à la connaissanceen action, à l’acte de connaître.

À la question « Qu’est-ce que connaître? », leconstructivisme répond : connaître c’ests’adapter au nouveau, c’est une questiond’intelligence des situations nouvelles. Eneffet, la fonction de l’intelligence est l’adapta-tion aux situations nouvelles. Une personnes’adapte en faisant l’expérience active de l’en-vironnement.

Importance de l’expérience activeUne étude célèbre de Held et Hein (1958) faitbien ressortir la différence entre l’expérienceactive de l’environnement et la perceptionpassive de celui-ci. Ils ont élevé des chatonsdans l’obscurité pendant plusieurs semaines,puis les ont soumis à une expérience visuelledans des conditions contrôlées. Les chatonssont répartis dans deux groupes. Le premiergroupe pouvait se déplacer librement et faireactivement l’expérience visuelle de l’environ-nement; le deuxième groupe était attelé à unchariot et transporté, ne pouvant que voirpassivement l’environnement. Après l’expé-rience, les chatons du deuxième groupe secomportent comme des chatons aveugles. Ilssont incapables de se diriger dans l’espace, secognent sur les obstacles et tombent.

Selon Varela (1993), « cette expérienceaccrédite la thèse selon laquelle la perceptionvisuelle ne se fait pas grâce à l’extraction d’in-formations dans le monde extérieur, maisgrâce au guidage visuel de l’action ». En effet,c’est parce qu’il se dirige dans l’espace aumoyen de sa perception visuelle que le cha-ton construit l’espace et apprend à s’y dépla-cer. Dans le cas des chatons passifs, leurregard se limite à voir passivement et nedirige pas leurs déplacements.

Dans cette expérience, tout se passe commesi on demandait aux chatons « passifs » deconnaître de l’extérieur, d’observer visuelle-ment leur environnement et de se lereprésenter. Ensuite, on leur demande d’ap-pliquer ce qu’ils auraient ainsi appris. Onprocède parfois pareillement avec leshumains. Ainsi, on enseignait autrefois à na-ger en dehors de l’eau. On suspendait dansun harnais l’apprenant nageur au-dessus del’eau, et on ne le descendait dans l’eau quelorsqu’il avait accompli correctement le gestetechnique approprié. La personne se retrou-vait ainsi dans une position similaire à celledu chaton attelé à un chariot.

Dans certaines pratiques pédagogiques, l’ap-prenant est relativement passif. À titre d’exem-ple de pédagogie passive, pour enseigner lacommutativité, on procède par des exercicesroutiniers du type suivant : [2 + 3 = 5 donc 3 +2 = ?]; [4 + 5 = 9 donc 5 + 4 = ?] et ainsi desuite. De tels exercices sont répétés pendantun certain temps. Puis l’enseignant informel’apprenant que l’ordre dans lequel se faitl’addition ne joue aucun rôle et que cela s’ap-pelle la loi de commutativité de l’addition. Ouencore, l’adulte fait l’apprentissage de lacommutativité par enseignement programmé(voir le tableau 1).

Dans ce dernier exemple, l’apprenant est re-lativement passif; tout ce qui lui est demandéest de transposer un résultat dans chacun descouples d’addition, la réponse lui étant déjàfournie dans la première addition d’un cou-ple. Puis il mémorise la définition de la com-mutativité qui lui est aussi donnée. Il ne setrouve pas à faire une expérience active ensituation d’utilisation de ses connaissancesarithmétiques. Son expérience ressembledavantage à celle des chatons passifs ou dunageur suspendu dans un harnais au-dessus

1. 2 + 4 = 6 donc 4 + 2 = ?

2. 9 = 4 + 5 donc 9 – 5 = ? 6

3. a + b = c donc b + a = ? 4

4. x = y + z donc x = z + ? c

5. L’ordre dans lequel se fait l’addition yne joue aucun rôle. C’est la loi de commutativité de l’addition. Cette loi dit que b + a = a + ?

6. Le fait que x + y = y + z se nomme la bloi de la commutativité de

7. Le fait que y + z = z + y se nomme la l’additionloi de la de l’addition

8. La somme de trois nombres ou plus commutativitéest la même quelle que soit la manière dont on les groupe 3 + 4 + 6 = (3 + 4) + ?

Dans ce type d’apprentissage,l’apprenant ne voit pas laréponse qui est fournie seule-ment à la ligne suivante (laréponse est cachée d’une façonquelconque : par ex. par unefeuille de papier). Toutefois laréponse est déjà contenue dansl’information qu’on lui donneavant de poser la question. Cesont donc des réponses qui sontapprises sans qu’elles résultentd’une expérience active.

Tableau 1 : L’apprentissage de la commutativité par enseignement programmé linéaire (tiré de De Montmollin 1971)

Page 47: Numéro 143 Avril • Mai 2007

de l’eau. Bref, son acte d’apprendre en estsurtout un de mémorisation d’informationsreçues de l’extérieur et une fois l’apprentis-sage réalisé, on espère qu’il pourra restituerce qu’il aura mémorisé lors d’examens, etéventuellement, de l’appliquer dans dessituations de la vie.

Piaget (1977, p. 40-41) raconte comment unmathématicien a découvert la commutativitépar une expérience active réalisée quand ilétait petit.

Tout jeune enfant, il était en train decompter des cailloux. Il les aligna et lescompta en commençant par la gauche, etil en trouva dix. Puis, pour s’amuser, ilcommença par les compter de droite àgauche, juste pour voir, et il fut étonnéd’en compter également dix. Il forma alorsun cercle avec les cailloux et se mit à nou-veau à les compter; il y en avait toujoursdix. Il fit le tour du cercle de l’autre côté ettrouva à nouveau dix cailloux. De quelquemanière dont il les disposait, il retrouvaitsans cesse le même nombre. C’est ainsiqu’il découvrit ce qu’en mathématique, onappelle la commutativité : c’est-à-dire quela somme est indépendante de l’ordre.

Dans cet exemple, la commutativité a étécomprise en action et en situation.L’apprenant a appris en appliquant ses con-naissances antérieures (compter, aligner lespierres, les mettre en cercle, etc.). L’acte d’ap-prendre n’en est pas un de mémorisation.Quand une connaissance est apprise en

action, elle prend « naturellement » du senspour la personne et ne nécessite pas d’effortde rétention. Une pédagogie s’inspirant duconstructivisme proposerait aux apprenantsdes situations semblables à celles de cetenfant ou du chaton actif. Chez l’enfant, laperception visuelle guide les actions d’aligne-ment et de comptage. Elle ne tire pas desinformations de l’extérieur et traite des résul-tats de l’action propre, les pierres en elles-mêmes n’étant qu’un appui à la penséeconstructive. L’apprenant pose donc desactions, puis il réfléchit sur ses actions et leursrésultats et conséquences. Puis, retour à l’action et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il aitconstruit le concept de commutativité.

Apprendre, c’est appliquer ses connaissances antérieuresConnaître est un processus actif : c’est activeret appliquer ses connaissances antérieures.Connaître le nouveau se fait toujours à partirde ce qu’on sait déjà en action. La connais-sance se vit et se conquiert en mode d’action.On donne sens aux situations non pas en trai-tant des informations, mais en activant d’em-blée ses connaissances antérieures. Sanscette activation, la situation dans laquelle onse trouve et tout ce qu’elle comprend (objets,personnes, etc.) n’aurait aucun sens. Appren-dre, c’est donc d’abord utiliser ce que l’on saitdéjà. L’enfant qui fait son entrée au primairen’arrive pas vide de toute connaissance; il adéjà tout un bagage cognitif. Il serait faux, parexemple, de croire qu’il ne connaît rien engrammaire, puisqu’il est capable de faireoralement un ensemble infini de phrases

grammaticalement correctes. Un premierprincipe constructiviste s’énonce ainsi :Tout apprentissage se réalise à partir de sesconnaissances antérieures.

Lorsque j’apprends à jongler avec des balles,je m’y prends d’abord comme je sais déjàfaire : lancer des balles et les rattraper. Maisje me rends très vite compte que je neparviens pas à leur donner la trajectoireappropriée et que je ne coordonne pas bienmes lancers et mes attrapés. Je dois alorstransformer mes gestes en les raffinant et enles coordonnant mieux. Un deuxième prin-cipe constructiviste ressort ici : Tout apprentissage repose sur la transforma-tion de ses connaissances antérieures.

Les deux principes d’apprentissage énoncésci-dessus correspondent aux deux fonctionscognitives identifiées par Piaget : l’assimila-tion et l’accommodation. L’analogie de ladigestion va permettre d’expliciter ces deuxfonctions cognitives que Piaget a empruntéesà la biologie.

Analogie de la digestion L’incorporation des aliments dans un orga-nisme nécessite une double transformation :celle des aliments et celle de l’organisme.

La transformation des aliments Les aliments doivent être décomposés ennutriments pour pouvoir s’intégrer dans l’or-ganisme. En effet, ce ne sont pas des alimentsentiers qui sont incorporables dans l’orga-nisme, mais seulement certains des nutri-ments qui les composent. La notionbiologique d’assimilation renvoie strictementau processus qui permet d’incorporer desnutriments dans la structure physiologiquede l’organisme sans entraîner une modifica-tion significative de celle-ci.

La transformation de l’organismeUne personne qui ne consomme jamais defruits de mer, de mets épicés ou de boissonsalcoolisées risque l’indigestion les premièresfois qu’elle va en prendre. Boire l’eau du robi-net ou ingurgiter certains mets en paysétranger provoque parfois des troubles gas-tro-intestinaux. En effet, lorsque l’organismeabsorbe des aliments inhabituels, son sys-tème digestif doit se transformer pour s’ajuster à ces nouveautés : par exemple,apprendre à sécréter les sucs gastriques

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 49

LE CONSTRUCTIVISME EN TERMES SIMPLESPh

oto

: Den

is G

aron

Page 48: Numéro 143 Avril • Mai 2007

appropriés ou améliorer sa résistance auxépices et à l’alcool. La notion biologique d’accommodation renvoie à une transforma-tion du système digestif pour s’adapter auxnouveaux aliments.

Lorsqu’on nourrit un bébé, on lui donne lanourriture appropriée au développement deson système digestif. Progressivement, onpasse de l’alimentation liquide à une alimen-tation plus solide. L’alimentation est ajustée àson système digestif, qui se transforme gra-duellement. Cette transformation s’effectuetoutefois de l’intérieur, sous l’effet de la crois-sance, bien sûr, mais aussi et surtout par sa capacité d’assimiler les aliments et de s’accommoder. On voit ici les limites de l’in-tervention extérieure : on peut alimenter lebébé, mais on ne peut lui donner un systèmedigestif, ni assimiler et s’accommoder à saplace. Il en va pareillement pour le systèmecognitif.

Du point de vue du constructivisme, le sys-tème cognitif d’une personne a un fonction-nement analogue à celui de son systèmedigestif.

Apprendre, c’est assimiler et s’accommoderLes notions d’assimilation et d’accommoda-tion sont aussi des fonctions cognitives : ellespermettent de comprendre comment les con-naissances fonctionnent pour accéder à l’in-connu à partir du connu.

Du point de vue de ces deux fonctions,apprendre signifie être doublement actif :pour connaître quelque chose de nouveau,une personne lui applique ses connaissancesantérieures (assimilation) et transformeensuite une partie de ces connaissances(accommodation).

AssimilerAu départ, une personne ne peut assimilerune nouveauté que dans le réseau de con-naissances dont elle dispose déjà. Assimiler,c’est rendre pareil : par exemple, l’expressionassimiler des immigrants veut dire les rendresemblables aux membres de la société d’ac-cueil. La signification est la même sur le plancognitif : assimiler des connaissances nou-velles, c’est les rendre semblables à cellesdont on dispose déjà. C’est en quelque sorteles transformer en connaissances anciennes.

À titre d’exemple, considérons la prononcia-tion des mots selon la langue parlée par lapersonne : assimiler la prononciation d’unmot d’une autre langue serait lui imposer laprononciation de sa propre langue. Ainsi onprononce le mot « pizza » à la française, alorsqu’en italien il se prononce « pittsa », tout ens’écrivant pizza.

Assimiler, c’est transformer les connaissancesnouvelles en ses connaissances anciennes.

L’assimilation est donc, pour ainsi dire, défor-mante. Piaget se plaisait à dire que lorsque lachèvre mange le chou, ce n’est pas la chèvrequi devient du chou, mais le chou qui esttransformé en chèvre. Assimiler est donctransformer le nouveau et se l’approprierdans ses termes propres. D’où l’importancede demander aux apprenants de ne pasrépéter textuellement la matière qu’on leurprésente, mais de l’interpréter dans leurs pro-pres mots.

Pour apprendre, il faut préalablement trans-former la nouveauté et l’exprimer dans sespropres termes.

On dit souvent qu’apprendre, c’est assimilerla matière. On pense alors que c’est lamatière telle quelle qui est mémorisée, sanstransformation aucune. Cette interprétationde l’assimilation ne correspond pas à celleque lui attribue le constructivisme. Assimiler,dans le sens constructiviste, implique tou-jours une transformation (du chou enchèvre…). Dans l’analogie de la digestion, ilfaut transformer les aliments en nutrimentspour que ceux-ci puissent être assimilés. Il enva pareillement pour les connaissances : ilfaut transformer les nouveautés reçues del’extérieur en « nutriments cognitifs » et cesont ces derniers qui s’intègrent dans le sys-tème cognitif de la personne.

Un point crucial mérite d’être ici souligné. Siun apprenant pouvait assimiler textuellementla connaissance qu’on lui présente, sanstransformation aucune, cela voudrait direqu’il « n’apprendrait » que ce qu’il savait déjà,et par conséquent, il n’aurait rien appris denouveau dans ce qu’on lui enseigne.

En assimilant textuellement, on n’apprendrien de nouveau parce qu’on n’a rien trans-formé.

Certaines théories de l’apprentissage neprennent pas en compte l’assimilation. C’estle cas de la théorie béhavioriste, qui misestrictement sur une modification du com-portement par l’environnement extérieur :tout se passe comme s’il n’y avait que desaccommodations (décrites en termes demodifications du comportement) dans l’acted’apprendre. Or, puisque l’activité assimila-trice vient de l’initiative de la personne et quel’activité accommodatrice s’impose de l’exté-rieur à la personne, la perspective béha-vioriste est cohérente lorsqu’elle propose quela personne apprend passivement.

Le béhaviorisme néglige l’assimilation, dansle processus d’apprentissage, et s’en tient àl’accommodation, réduite à une stricte modi-fication passive du comportement.

Du point de vue du constructivisme, l’assimi-lation pure du nouveau constitue, en quelquesorte, une déformation de celui-ci. L’acted’assimilation ne conduit au nouveau que siet seulement si il y a aussi accommodation,c’est-à-dire transformation des connaissancesanciennes.

S’accommoderLorsque la personne assimile une chose, ellelui impose ses connaissances, elle la trans-forme en ses connaissances : dans notreexemple précédent, elle lit pizza au lieu depittsa. Dans ce cas, il n’y a pas d’apprentis-sage nouveau. Par contre, en transformant saprononciation, en passant donc de pizza àpittsa, la personne se trouve à accommodersa prononciation. Simplement en termes deprononciation, l’apprentissage d’une languenouvelle nécessite déjà une multitude d’ac-commodations. Pour pouvoir communiquer àl’intérieur d’une même langue, il s’avère par-fois nécessaire de modifier son accent : lesFrançais comprennent difficilement l’accentquébécois, par exemple. Changer son accentn’est pas aussi facile qu’il n’y paraît et néces-site aussi de multiples accommodations.

S’accommoder, c’est transformer ses con-naissances anciennes en connaissances nou-velles ou renouveler ses connaissancesanciennes.

S’accommoder consiste donc à transformerses connaissances anciennes, à les différen-cier : par exemple, je peux prononcer le mot

50 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LE CONSTRUCTIVISME EN TERMES SIMPLES

Page 49: Numéro 143 Avril • Mai 2007

larges et plus ou moins intégratrices de con-naissances spécifiques. Une personne nepeut donner sens à une situation ou à unobjet qu’en l’assimilant à l’une ou l’autre ou àplusieurs de ses structures cognitives.

Une personne donne du sens à une situationen l’assimilant à ses structures cognitives.

Le pouvoir d’assimilation d’une personnerepose sur la diversité et la structuration deses connaissances antérieures. Or, les con-naissances qu’elle possède ont été cons-truites lors d’accommodations antérieures.Assimiler signifie donc appliquer ses connais-sances antérieures et s’en tenir aux accom-modations que l’on est déjà capable de faire.

Assimiler permet de naviguer en terrain con-nu, mais pas en terrain nouveau.

Chaque nouvelle accommodation élargit lespossibilités d’application des connaissancesd’une personne. Leur élargissement est plusou moins important selon qu’il s’agit de con-naissances spécifiques ou de connaissancesstructurales ou conceptuelles. Par exemple,apprendre de nouvelles additions (1+1 = 2;1+2 = 3, etc.) élargit relativement peu le pou-voir assimilateur des connaissances. Par con-tre, la compréhension d’un concept, parexemple celui de nombre, décuple le pouvoirassimilateur : ainsi, la compréhension de lastructure du nombre entier positif permet deconcevoir et de réaliser toutes les additions etles multiplications possibles, mais pas toutesles soustractions, ni toutes les divisions; enélargissant cette structure aux nombres néga-tifs, elle permet aussi de concevoir et deréaliser toutes les soustractions possibles;enfin, en élargissant la structure aux fractions,elle permet de concevoir et de réaliser toutesles divisions possibles.

Le nombre n’est qu’un exemple simple pourmontrer que la connaissance structurale per-met d’intégrer et de rendre efficace tout unensemble de connaissances spécifiques.Strictement apprendre des additions pourelles-mêmes, par mémorisation, ne conduitpas nécessairement à la construction de con-naissances structurales. Celles-ci s’acquièrentplutôt de la façon dont l’enfant qui jouait avecses pierres avait construit la commutativité(voir l’exemple cité plus haut). C’est pour-quoi :

Le constructivisme insiste sur l’importance dela structuration des connaissances.

Plus le concept de couleur chez une personneintègre des couleurs diversifiées, plus sonpouvoir assimilateur est grand. Ainsi, le spec-tre des couleurs est beaucoup plus différen-cié chez un peintre que chez un novice : lepremier perçoit une plus grande diversité dejaunes que le second. Chaque nouvelleaccommodation permet de mieux différen-cier les nuances subtiles des couleurs.

Assimiler et s’accommoder, c’est s’adapterLorsqu’une personne fait face à une situationnouvelle et que l’assimilation n’est pas suivied’une accommodation, il se produit alors undéséquilibre. Par contre, dès que la personneparvient à s’accommoder, il s’ensuit unrééquilibre qui correspond à une adaptationà la situation nouvelle. La construction de lacommutativité par un mathématicien endevenir que Piaget a racontée ci-dessusconstitue un exemple de déséquilibre suivid’un rééquilibre : lorsque l’enfant compte unepremière fois de gauche à droite les pierresalignées, l’équilibre demeure parce que rienne vient déranger sa façon de voir. Par contre,en comptant une deuxième fois les pierres,de droite à gauche cette fois, il est surprisd’obtenir le même résultat, ce qui déséquili-bre sa façon de voir. Pour lui, en effet,compter dans une direction ne devrait pasaboutir au même résultat que de le faire dansla direction contraire, car il n’a pas encoreconstruit la commutativité. Pour surmonter cedéséquilibre, il fait une expérience active : ilordonne les pierres de différentes façons etse rend compte que le résultat est toujours lemême. En réfléchissant sur son expérience, ilen conclut que l’ordre dans lequel il compteles pierres ne joue aucun rôle sur le résultat.Il se rééquilibre alors : sa pensée accommo-dée et les faits de l’expérience s’accordent.

LE CONSTRUCTIVISME EN TERMES SIMPLES

« table » en français ou en anglais. En toutesituation, de telles modifications s’opèrent,leur variation provoquant, la plupart dutemps, des ajustements plus ou moins impor-tants aux connaissances que la personne meten action. Bref, les connaissances se renou-vellent toujours un peu chaque fois qu’ellessont activées. Pour qu’une nouvelle connais-sance soit incorporée, il faut que l’assimila-tion et l’accommodation se combinent : laconnaissance ancienne assimile la connais-sance nouvelle, puis elle s’y accommode.

Tout apprentissage résulte d’un processusd’équilibration entre l’assimilation et l’ac-commodation.

La transformation des connaissances activéess’avère parfois plus importante et va jusqu’àune modification de l’organisation même desconnaissances. Ainsi, apprendre l’anglaiscomme langue seconde implique aussi unemodification de la structure de ses connais-sances, puisque chaque langue a sa structurepropre. Pour un francophone, penser enanglais exige qu’il réorganise ses connais-sances.

S’accommoder, c’est différencier ses connais-sances antérieures ou les réorganiser.

C’est l’environnement (ou l’objet de connais-sance, qu’il soit réel ou abstrait) qui forcel’accommodation. Lorsque je parle à unParisien qui n’est pas familier avec le françaisquébécois, je me vois forcé d’ajuster monaccent si je tiens à être compris. La réussitede mon accommodation est sanctionnée parle fait que le Parisien comprend maintenantce que je lui dis. À un niveau plus abstrait, lefait que j’admette que a > b et que b > c meconduira, avec le temps certes, et la logiques’imposant sous l’effet d’expériences actives,à comprendre que a > c.

Une connaissance n’existe pas isolément; elleest toujours liée à d’autres connaissances. Parexemple, je ne pourrais connaître la couleurjaune s’il n’y avait pas d’autres couleurs aveclesquelles la contraster. La couleur représenteune structure cognitive (connaissance géné-rale) qui permet de différencier et d’intégrerla grande diversité des couleurs (connais-sances spécifiques). La cognition d’une per-sonne serait ainsi organisée en structuressemblables, des structures plus ou moins

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 51

Phot

o: D

enis

Gar

on

Page 50: Numéro 143 Avril • Mai 2007

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

lu s , v u s e t e n t e n du s

classe. Il explique que le projet original comp-tait 1 000 objets, mais qu’il a fallu faire deschoix. Après tout, la Grande Bibliothèquen’est pas un musée. D’ailleurs, l’inaugurationde l’exposition devait coïncider avec le col-loque international « Le manuel scolaire d’iciet d’ailleurs, d’hier à demain », qui s’est tenudans la même institution en avril dernier. Cetévénement qui devait présenter quelquesdizaines de communications en a comptéplus d’une centaine, si bien que ses program-mateurs, participant également à l’organisa-tion de l’exposition, n’auraient pas pu menerles deux projets simultanément. Ils ont été, enquelque sorte, victimes de leur succès. Lesactes du colloque compteront environ 80textes, dont une partie seulement se trouverasur support imprimé, les autres étant réunissur cédérom. « On n’a pas assez parlé desmanuels dans l’histoire de l’éducation,affirme Paul Aubin, l’un des commissaires del’exposition. J’ai lu des synthèses de 250pages où on n’en dit rien! »

52

nationale de France, la British Library et cer-taines communautés religieuses québécoises.On y trouve des volumes, bien entendu, maisaussi des photos, des films et des instrumentspédagogiques parfois fort étonnants : descartes géographiques très anciennes dessi-nées à la main, un boulier, un arbregénéalogique de l’histoire du Canada, etmême un projecteur de diapositives desdébuts du XXe siècle. Qui donc croit encoreque la « révolution de l’audiovisuel » date desannées 1970?

Le public est convié à « un univers visuel, unenvironnement, une ambiance », affirmeFrance Gascon, directrice de la programma-tion à BAnQ. « Il s’agit d’une évocation, et nond’une reconstitution, de l’histoire des ma-nuels scolaires », ajoute Michel Allard, duGroupe de recherche sur l’éducation et lesmusées de l’Université du Québec à Montréal(UQAM), sous l’énorme lanterne qui repro-duit des illustrations extraites de livres de

Lorsqu’il y a équilibre entre l’assimilation etl’accommodation, il y a construction d’unenouvelle connaissance et adaptation à la si-tuation.

Fait intéressant, cet enfant ne connaît pasencore le terme commutativité, mais il a déjàconstruit le concept. Chacun fait souventl’expérience d’une idée qu’il a dans la têtemais qu’il ne peut traduire en mot. L’idéeexiste pourtant. C’est pourquoi le construc-tivisme postule que la connaissance vient del’action (ou de l’expérience active) et de laréflexion sur l’action en situation, et pasnécessairement du langage, bien que celui-cisoit indispensable au développement intel-lectuel.

Une personne peut construire un conceptsans connaître le mot qui le définit, car lesconcepts émergent de l’expérience active (del’action et de la réflexion sur l’action).

Connaître est faire. Faire, c’est appliquer uneconnaissance ou un réseau de connaissances.Connaître renvoie toujours à des actions, quecelles-ci soient en grande partie extériorisées,comme dans les actions écrire, lire, parler,jongler avec des balles ou nager, ou surtoutintériorisées (mentales), comme dans lesactions raisonner, imaginer, penser ouréfléchir.

Il n’y a pas de connaissance morte ou pas-sive dans le constructivisme.

Connaître se situe au moins à trois niveaux :celui de l’action (ce que je fais effectivement),celui de la pensée (ce que je pense que je faiset la compréhension que j’en ai) et celui de laréflexion (ce que je pense de mes pensées etde ma compréhension). Action, pensée etréflexion ne sont pas du même ordre, maisconstituent toutes les trois des activités cogni-tives.

M. Domenico Masciotra est consultant enéducation et chercheur à l’Observatoiredes réformes en éducation (ORE) del’Université du Québec à Montréal.

Références bibliographiquesHELD, R. et A. HEIN. « Adaptation of disarranged hand-eye coordination contingent upon re-afferent stimula-tion », Perceptual and Motor Skills, no 8, 1958, p. 87-90.DE MONTMOLLIN, M. L’enseignement programmé, Paris,PUF, 1971. (Collection Que sais-je?).PIAGET, J. Mes idées, Paris, Denoël Gonthier, 1977.VARELA, F., E. THOMPSON et E. ROSCH. L’inscription cor-porelle de l’esprit : sciences cognitives et expériencehumaine, Paris, Éditions du Seuil, 1993.

LE CONSTRUCTIVISME EN TERMES SIMPLES

« 300 ANS DE MANUELS SCOLAIRES AU QUÉBEC »VOYAGE AU CŒUR DE MILLIONS D’ENFANCES

PAR MICHEL SARRA-BOURNET

S’il est un « genre littéraire » qui s’adresse àtous, c’est bien le manuel scolaire. Qui ne sesouvient pas du plaisir de prendre possessionde ses nouveaux livres chaque année à larentrée? Depuis le 21 novembre, Bibliothèqueet Archives nationales du Québec (BAnQ)nous propose sa troisième expositionmajeure sur le site de la Grande Bibliothèque.Que ceux et celles qui craignent de suivre unparcours entre des rayons de livres empous-siérés se détrompent, car la scénographeDanièle Lessard a composé six tableauxingénieux et bien aérés, à partir de 366 objetsde toutes sortes portant sur l’éducation pri-maire et secondaire. Plusieurs proviennentdes collections de BAnQ, mais une quaran-taine de partenaires se sont donné la mainpour compléter l’œuvre, dont la Bibliothèque

Page 51: Numéro 143 Avril • Mai 2007

« 300 ans de manuels scolaires au Québec »s’adresse à tous, petits et grands. Tant les pro-fanes que les spécialistes trouveront matièreà découverte en visitant cette exposition,tellement les thèmes sont riches et variés etqu’ils se prêtent à une lecture à plusieursniveaux. Des visites commentées, conçuespour le grand public et la famille, sontoffertes à intervalles réguliers. Un horairecomplet est disponible sur le site[www.banq.qc.ca], sous l’onglet Activités. Lesenseignants des deuxième et troisième cyclesdu primaire sont également invités à organi-ser une visite d’une demi-journée avec leursélèves. Le programme complet des activitéséducatives de BanQ peut être consulté sur lesite [jeunes.banq.qc.ca], sous l’onglet Éduca-teurs. On y trouve un dossier pédagogiqueintitulé Les enseignants sous la loupe, pourpréparer la visite et organiser des activitéscomplémentaires. Le parcours proposé inviteles élèves à suivre les traces du détective dechoc Boukino et à mener une enquête àl’aide d’un « carnet de l’enquêteur ».

Notre voyage dans le passé débute dans unespace entouré de photographies d’enfantsen contact avec leurs manuels, sur un fondsonore de comptines. Le ton est donné : detout temps, le livre a été destiné à l’élève.C’est après avoir regardé ces photographiesqu’on découvre les premiers manuels sco-laires. Le roi de France craignant la sédition,aucun livre ne fut imprimé au Canada sous le

Régime français. Il faudra attendre 1765 pourvoir paraître ici un premier manuel, leCatéchisme du diocèse de Sens. Après nousêtre recueillis quelques minutes, et avant depasser à la deuxième étape, il ne faut pasoublier d’ouvrir, sous les vitrines, les tiroirsqui recèlent des trésors!

Les deux tableaux suivants captiveront lesenseignants. Nous sommes invités à suivre laprogression du manuel dans le temps. Toutd’abord, il change selon la technologieemployée, la matière enseignée et la clientèlevisée. Ensuite, il témoigne de la pédagogie dumoment. L’évolution des différentes mé-thodes d’enseignement se reflète dans cesmanuels dont au moins une phase de la pro-duction a été faite au Québec, tout commec’est le cas du matériel préparé par lesenseignants eux-mêmes. « Le manuel est uncaméléon, conclut Michel Allard. Le livres’adapte à toutes les méthodes d’enseigne-ment et à toutes les disciplines. »

Après avoir pris une pause en visionnantquelques extraits de films d’époque, nousabordons le quatrième tableau, qui nous per-met d’entrer dans le vif des enjeux qui onttraversé l’histoire de l’éducation. « Le manuelest au cœur des débats de la société, d’af-firmer Paul Aubin. Doit-il véhiculer des

valeurs morales, patriotiques ou civiques? »Depuis toujours, il a reflété des normesappliquées de différentes façons. Autrefois, ily avait la censure du clergé. Aujourd’hui, il y ades programmes et un mécanisme d’appro-bation. Un petit test pour savoir si vous exa-minez l’exposition minutieusement : trouvezle manuel duquel Lise Payette avait extrait lepersonnage d’Yvette, qu’elle avait comparé àla femme du chef de l’Opposition, provo-quant ainsi la naissance du mouvement des« Yvette » et favorisant la cause du Non lorsdu référendum de 1980.

Selon Michel Allard, « le manuel a été lemoteur de l’industrie du livre ». Les premièresmaisons d’édition québécoises (dont Beau-chemin) sont nées et ont vécu grâce à l’édi-tion scolaire. D’abord, en reproduisant et enadaptant des manuels étrangers puis, peu àpeu, en produisant des œuvres originales.

Dans le cinquième tableau, on apprend quele best-seller de l’édition scolaire, Explicationlittérale et sommaire du catéchisme deQuébec, s’est vendu à un peu plus d’un mil-lion d’exemplaires. Et c’est sans compter« Mon premier livre », le manuel unique etgratuit produit par le gouvernement duQuébec de 1900 à 1938 pour les élèves depremière année. L’expérience s’est limitée à

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LUS, VUS ET ENTENDUS

53

Phot

o:

Om

er B

eaud

oin

(195

2), C

entre

d’ar

chive

s de

Qué

bec,

Min

istèr

e de

la C

ultu

re e

t des

Com

mun

icatio

ns,

série

Offi

ce d

u fil

m d

u Q

uébe

c.

Page 52: Numéro 143 Avril • Mai 2007

cela, au grand soulagement des éditeursprivés.

Nous voici déjà arrivés à la dernière étape duparcours, celle qui illustre la persistance dumanuel dans le temps. « Tous les 25 ans, on aprédit la disparition du manuel », rappelleMichel Allard. Certes, le livre fait face à laconcurrence d’autres instruments didac-tiques, mais il s’adapte. Les jeunes préfèrentl’écran au papier? Qu’à cela ne tienne, lemanuel migre en tout ou en partie surcédérom et Internet. Ainsi, il demeure letémoin de son époque. D’ailleurs, à la toutefin de l’exposition, deux postes informatiquespermettent de consulter en ligne la recensiondes quelque 20 000 titres de manuels sco-laires québécois inventoriés à la bibliothèquede l’Université Laval. L’exposition « 300 ans demanuels scolaires au Québec » s’adressedonc bel et bien à tous : chercheurs, prati-ciens et publics de tous âges.

Comme il se doit, BAnQ a publié un cata-logue, en collaboration avec les Presses del’Université Laval. Paul Aubin explique quecelui-ci est différent, parce qu’il ne reproduitpas intégralement le contenu de l’exposition.Dix auteurs abordent dix thèmes différents,chacun des textes étant accompagné d’illus-trations qui n’en font pas nécessairementpartie. En d’autres termes, ce catalogue necorrespond pas à un « manuel », mais à du« matériel complémentaire »!

Les commissaires qui ont été invités à par-ticiper à l’exposition sont Paul Aubin,chercheur affilié au Centre interuniversitaired’études québécoises (CIEQ) de l’UniversitéLaval, et Soraya Bassil, muséologue et histo-rienne d’art œuvrant au Groupe de recherchesur l’éducation et les musées de l’UQAM.Avec Michel Allard, professeur associé auDépartement d’éducation et de pédagogie del’UQAM, et Monique Lebrun, professeur titu-laire de didactique de français, également àl’UQAM, ils forment le comité scientifique del’exposition dont l’équipe a été coordonnéepar Claude Sauvageau et Catherine Melan-çon, sous la direction de France Gascon.

L’exposition se poursuit jusqu’au 27 mai2007, durant les heures d’ouverture de laGrande Bibliothèque, dans la salle d’exposi-tion principale. L’entrée est libre. Elle voya-gera ensuite à Mons, en Belgique, et à Lyon,en France, puis à Saint-Boniface, Moncton etToronto, au Canada. Vu l’intérêt de l’œuvre,d’autres villes pourraient bien s’ajouter à laliste d’ici là.

Pour en savoir plus :300 ans de manuels scolaires au Québec,sous la direction de Paul Aubin, Bibliothèqueet Archives nationales du Québec et Pressesde l’Université Laval, 2006.

Le manuel scolaire. Un outil à multiplesfacettes, sous la direction de MoniqueLebrun, Québec, Presses de l’Université duQuébec, 2006.

À rayons ouverts. Chroniques de Biblio-thèque et Archives nationales du Québec,numéro 69 (automne 2006), qui présente ledossier « Les manuels scolaires ».

Les manuels scolaires québécois, un instru-ment de recherche que l’on peut consultersur le site [http://www.bibl.ulaval.ca/ress/manscol/].

M. Michel Sarra-Bournet était rédacteurde Tiré à part. Le périodique de l’édition,de 2003 à 2005.

54 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LUS, VUS ET ENTENDUS

Phot

o:

Om

er B

eaud

oin

(196

2), B

ANQ

, Ce

ntre

d’ar

chive

s de

Qué

bec.

Page 53: Numéro 143 Avril • Mai 2007

COLLABORATION (SOUS LA DIRECTION DE

FERNAND OUELLET). QUELLE FORMATIONPOUR L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉTHIQUE À L’ÉCOLE, SAINT-NICOLAS, ÉDITIONS LES

PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL, 2006, 221 P.

Quelle place doit-on faire à l’enseignement de l’éthique à l’école?Dans la foulée de l’horizon « juillet 2008 », oùla dernière étape de déconfessionnalisationdu système scolaire québécois sera com-plétée, ce livre fournit matière à réflexion.Sous la direction de M. Fernand Ouellet, pro-fesseur à l’Université de Sherbrooke, dix col-laborateurs d’ici et de la France discutent dela place de la formation morale et éthique àl’école. Dans le contexte où les écoles duQuébec seront bientôt dotées du programmede formation Éthique et culture religieuse, enremplacement des programmes actuels d’en-seignement moral et d’enseignement moralet religieux, les sujets traités dans cet ouvragesuscitent la discussion et l’échange, ouvrentsur le dialogue. Cela situe bien le lecteur dansle contexte des réflexions actuelles. Les pointsde vue sont présentés sous des angles variéset des perspectives diversifiées.

Ce livre est particulièrement destiné auxdirections d’école, aux formateurs en éthiqueet culture religieuse, aux concepteurs de pro-grammes et aux enseignants intéressés par lesujet. Dans la foulée des débats qui entourentla mise en place du programme Éthique etculture religieuse, il importe de se donner dutemps pour réfléchir à la question capitale dela formation éthique à l’école et d’avoir prisune certaine distance critique par rapport àdes points de vue divergents. Cet ouvrageoblige le lecteur à se situer et à élaborer sapropre prise de position.

Dans des textes dont le style, l’intérêt et laclarté de l’exposé varient, les auteurs démon-trent en quoi l’enseignement de l’éthique estun apport incontournable à la vie de l’école.Sous l’optique de l’éducation à la citoyen-neté, la démonstration devient évidente : l’école doit se doter d’un tel programme poursoutenir la formation générale des jeunesqu’elle reçoit. Certains auteurs traitent laquestion en se situant dans la perspectived’une école laïque, d’autres abordent le sujetdans une optique plus sociétale, didactiqueou pédagogique.

En introduction, M. Ouellet présente l’en-seignement moral et éthique comme étantindissociable de l’éducation à la citoyenneté;il précise toutefois que coexistent différentesconceptions de la citoyenneté1. Cependant,quatre composantes doivent être considéréesquand on traite la question de la formation àla citoyenneté dans une perspective curricu-laire : il faut initier les jeunes à la démocratie,favoriser leur engagement dans des projetscommunautaires, s’assurer que l’éducation àla citoyenneté fasse l’objet de thèmes dansles divers programmes disciplinaires; et voir àce que l’éducation à la citoyenneté soit elle-même l’objet d’un programme explicite2.Situant l’éducation à la citoyenneté dans lecontexte de la post-modernité, M. Ouelletestime que « c’est l’idée même de citoyennetéet du politique comme prise en charge par lescitoyens de leur destin collectif qui sembleremise en question dans l’évolution récentedes démocraties3 ». Pour ce chercheur del’Université de Sherbrooke, on ne peut plusse contenter simplement de discuter deschoses sociales à l’école.

Selon M. François Galichet, « dans le contexteactuel, il ne suffit plus d’éduquer à la recon-naissance et au respect de l’autre. Il faut aussiapprendre à ébranler la “ suffisance identi-taire ” et à s’intéresser à l’autre par-delà lesdivergences et les conflits de valeurs4 ». Dansl’optique d’une « pédagogie du conflit »(expression de M. Galichet), le traitement desquestions controversées prend une placecentrale. Ainsi cesse-t-on d’occulter les « ten-sions inévitables »5. Pour ce professeurémérite d’Alsace, il faut dépasser le modèledélibératif pour favoriser la relation péda-gogique où l’élève apprend à penser. C’est ledéfi d’un programme scolaire d’éducation àla citoyenneté. L’école doit demeurer unmilieu éducatif. Pour lui, l’éducation à lacitoyenneté englobe l’éducation à la moraleet à l’éthique6. « L’identité devient le premieret le principal vecteur de redéfinition de lapersonne : l’homme maître de sa vie doitcommencer par dire qui il est. Il est sommé“ d’être soi ”; l’autonomie est devenue unidéal, mais aussi une injonction, entraînant“ une inflation de subjectivité ”7. »

L’urgence vient du fait que l’on constate deplus en plus un analphabétisme social et unedéfaillance des milieux éducatifs face auxquestions éthiques. « Faute d’environnement

source de médiations et de contraintes objec-tives, l’éducation morale et civique se réduit àun ensemble d’injonctions reposant exclu-sivement sur une relation d’autorité et de cul-pabilisation diffuse8. » Ainsi, l’éducation à lacitoyenneté ne résulte pas seulement de l’ap-prentissage du débat; il faut « apprendre àmanifester, à vivre et à organiser des modesde convivialité qui signifient une certainefaçon de faire de la politique9 ».

Quant à Mme Monelle Parent, elle établit unlien entre l’éducation à la citoyenneté et laformation au jugement moral; il s’agit desavoir quelle dimension de la personne oncherche à former!

M. Thomas De Koninck traite la question durelativisme en formation éthique. Il préciseque « l’agir éthique n’est jamais donné d’avance et n’admet pas de solution toutefaite10. » L’éducation morale doit amener l’in-dividu à exercer sa liberté et à s’épanouirdans un agir personnel authentique. Il traitedes questions de tension et de médiation.« Le présent de notre conscience contient à lafois les trois composantes du temps, le passéqui n’est plus, le présent toujours autre, etl’avenir qui n’est pas encore, par la triplemédiation du souvenir, de l’attention et del’attente11. » Tout converge vers la dignitéhumaine; c’est le caractère même de l’univer-salité de l’humain. « Le recours au dialogueprésuppose la liberté des interlocuteurs, lacapacité d’infléchir le jugement d’autrui,comme celle de laisser infléchir le sien, envue du bien commun12. »

Pour sa part, Fouad Nohra traite la questionde l’endoctrinement; il met l’accent sur l’im-portance de se doter d’une démarche d’en-seignement de la morale : c’est le « processusd’émancipation13 » plus que les résultats qu’ilfaut escompter. L’éducation à la citoyennetéimpose des références communes, des pro-jets communs, une volonté commune dedébattre et la conscience d’une responsabilitééducative14.

François Galichet et Marie-France Danielabordent le sujet de la philosophie pourenfants; pour lui, elle met en œuvre la pra-tique délibérative, est un aspect essentiel dela responsabilisation, participe à l’éducation àla citoyenneté, justifie l’exigence d’égalité etcontribue au dialogue et à la délibération

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LUS, VUS ET ENTENDUS

55

Page 54: Numéro 143 Avril • Mai 2007

intérieure15. Quant à Mme Daniel, elle exposeles résultats d’une recherche menée auprèsd’élèves du primaire.

Les dernières collaborations permettent àPierre Blackburn, Jean-Marc Larouche, DanielWeinstrock et Pierre Lucier d’exposer leursperceptions et leurs points de vue respectifsquant au sujet du contexte qui a conduit leGouvernement du Québec à faire le choixd’un programme unique en éthique et culturereligieuse.

Donald Guertin

1 Page 4.2 Page 4.3 Page 7.4 Page 9.5 Page 8.6 Page 237 Page 27.8 Page 32.9 Page 47.10 Page 12.11 Page 75.12 Page 83.13 Page 15.14 Page 17.15 Pages 14 et 16.

LA PROFESSIONNALISATION AU CARREFOUR DES VALEURS

DESAULNIERS, Marie-Paule et France JUTRAS.L’éthique professionnelle en enseignement.Fondements et pratiques, Québec, Presses del’Université du Québec, 2006, 226 p.

L’environnement institutionnel de la forma-tion initiale des enseignants appelle de plusen plus clairement une première sensibili-sation à l’éthique professionnelle. Ce livreconstitue un outil à cette fin. Il comporte pourchaque chapitre un instrument de question-nement collectif et individuel. Les positions ysont présentées d’une manière simple, claireet méthodique. Au cours d’une table rondetenue avec les auteurs à Québec le 1er mars2006, on a volontiers salué l’apparition d’uneréférence qui manquait jusqu’ici.

Le propos de ce livre repose sur certainschoix. En premier lieu, on adopte une pers-pective de « praticien réflexif », faisant d’unretour analytique et critique sur des pratiquesl’ancrage du professionnalisme. En secondlieu, on reconnaît une priorité stratégique au

mouvement de professionnalisation, sanstoutefois trancher la question du caractèresouhaitable ou non d’un ordre professionnel.En troisième lieu, on enracine les margesd’autonomie des futurs enseignants etenseignantes en formation dans le cadre dela réforme en cours, et particulièrement dansson postulat d’une mission de socialisationassociée à celle d’instruction. En dernier lieu,le propos d’éthique se garde soigneusementd’une parenté avec la morale, comprisecomme des règles à respecter et inséparablede connotations de sanctions et d’espritrépressif.

On tient pour acquis le concept de « compé-tence éthique », qui a migré d’un rapport duConseil supérieur de l’éducation (1991) aurang de douzième compétence profession-nelle dans le cadre établi de la formation pro-fessionnelle des enseignants. Cela reste unconcept curieux, moins compréhensible queceux d’attitude éthique, de délibérationéthique ou d’agir éthique. Nous naviguons ici,il me semble, dans le même esprit que celuide l’éducation éthique des élèves, d’uneexplicitation de valeurs fournies par eux etnon pas de proposition de valeurs. On trouve,dans cet outil de sensibilisation, une distinc-tion utile entre valeurs personnelles, valeursprofessionnelles et valeurs sociales. S’il y a,toutefois, des appels divers pour aller plusloin, pour mettre l’éthique professionnelledavantage en osmose avec les dilemmes con-temporains, ils se manifesteront sans doutedans la porosité entre ces catégories. J’enprends un exemple chez Nancy Huston, dansson essai récent : Professeurs de désespoir. Ily a dans la culture intellectuelle de notreépoque une exaltation de la transgression, laséduction d’une vision sombre et plus oumoins désespérée de l’existence, dontBeckett, Cioran, Sartre et bien d’autres,même Kundera, se sont faits les chantres.Invariablement, l’enfance est dépréciée, ladisposition à donner naissance honnie.Nancy Huston s’appuie sur le documentaireLes enfants du refus global pour montrerl’enfance sacrifiée à l’œuvre, à la libertéabsolue de l’homme génial, à l’esprit du refustotal, pour ainsi dire. Je crois qu’il est difficilede gouverner sa vie personnelle dans le tonde ce rejet de toute interdépendance (voir lebeau roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, Lapart de l’autre, où l’enfermement dans le soise légitime par un nietzschéisme de bas étage

chez le personnage Hitler) et de déni deresponsabilité, tout en inspirant sa carrière deresponsabilité professionnelle.

Du côté des valeurs sociales aussi, certainesdissonances guettent. Par exemple dans unecertaine compréhension de l’autonomie,voulant que les seules règles admissiblessoient celles établies contractuellement. Il y atoute une philosophie politique et juridiquequi tend à discréditer toute institution, touthéritage de mœurs. Elle met en concepts lerêve individualiste de ne rien devoir à person-ne. Mais la relation dissymétrique entre l’en-seignant et l’enseigné s’accommode mald’une telle version de l’autonomie. L’en-seignement est plus qu’un contrat donnant-donnant, plus qu’une sorte d’échangemarchand; c’est pourquoi l’éthique profes-sionnelle a plus d’ambition que la simpleéthique du travail et du travailleur. L’école avaleur « instituante », elle outille pour habiterle monde de façon libre et responsable. C’estpourquoi il faut craindre une tension entredes valeurs sociales trop naïvement inspiréesdu contractualisme et du narcissismeambiants, et des valeurs professionnelles queles premières mineraient secrètement.L’éthique professionnelle a beaucoup à voiravec la morale commune, à condition de dis-tinguer celle-ci du moralisme. D’un côté, onse garde ici de parler de morale, de règles etd’obligations, et de l’autre, on exalte l’au-tonomie et la responsabilité correspondante.Je comprends l’argument employé, selonlequel l’ancienne emprise sociale de la reli-gion a laissé sur le concept « morale » desconnotations de répression. Mais on peut fortbien soutenir que la difficulté vient d’ailleurs.Depuis le début du XIXe siècle, dans le sillagede la philosophie kantienne, on a trop sou-vent réduit la morale aux impératifs, auxobligations et aux interdictions. Comme lemontre le livre de Charles Taylor, Les sourcesdu moi, on réintègre de plus en plus dans lechoix moral ce qui relève du désir de « vivrebien ». Ainsi, si l’éducateur travaille à libéreret à émanciper l’élève, ce n’est pas forcémentpour dire : « Une fois les interdits respectés,que le caprice règne ». C’est bien plutôt pourque l’ambition de faire quelque chose debien de sa vie fasse émerger chez la personnedes habitudes et des attitudes où l’intelli-gence a beaucoup à faire avec la conduite desa vie et de son action professionnelle. Il estheureusement dépassé ce temps où, partant

56 Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LUS, VUS ET ENTENDUS

Page 55: Numéro 143 Avril • Mai 2007

de constats fatalistes sur la complicité de l’école avec les dominants, s’engendrait unepropagande moraliste soutenant qu’il ne fal-lait surtout pas se prendre pour des profes-sionnels dans l’enseignement, mais plutôt seconsidérer comme des travailleurs en lutte etquasi des prolétaires! S’il y a un moralisme àpurger, dans la culture institutionnelle, c’estsûrement celui de cette voie d’autoculpabili-

sation – et à la fois de victimisation – quiouvre la porte à des démissions débilitantes.

Mmes Désaulniers et Jutras proposent dans celivre une base de référence substantielle,directement liée à l’état présent de nosécoles. Si l’on voulait élargir la problématiquede l’éthique professionnelle, un ouvrage toutrécent, issu du contexte français, fournira un

autre éclairage également pertinent, en vuenon pas d’un code d’éthique, mais plutôtd’une charte de l’éthique professionnelle : ils’agit de l’essai De la déontologie ensei-gnante, par Eirick Prairat (Paris, PUF, 2005,115 p.).

Arthur Marsolais

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007

LUS, VUS ET ENTENDUS

57

e n a b r é g é

Plusieurs études ont démontré que la capaci-té à lire est un des prédicateurs de la réussitescolaire. Pourtant, ce préalable fait défautchez de nombreux élèves. Face au défi quereprésente le soutien des élèves en difficulté,l’Association québécoise des troubles d’ap-prentissage (AQETA) a organisé, le 26 octobre2006, un colloque sur les troubles de l’ap-prentissage. Assistés par le modérateur PierreMaisonneuve, plusieurs professionnels dumilieu de l’éducation se sont posé la questionsuivante : Pourquoi les élèves qui arrivent ausecondaire ne savent-ils pas tous lire?

Le constat est inquiétant. Si l’on en croit lesstatistiques du ministère de l’Éducation, duLoisir et du Sport, 2,7 % des enfants de pre-mière année ont des retards dans l’apprentis-sage de la lecture et, à la fin du primaire, cetaux grimpe à 13,3 %. À la fin de la premièreannée du secondaire, 27,2 % des enfantséprouvent des difficultés ou ne savent paslire. Que faire devant cette réalité?

Les incantations ne changeront rien, il fautagir et le plus vite possible. « La prévention etl’intervention précoce ont disparu. Il fautintervenir dès la maternelle ou la premièreannée », recommande Égide Royer, pro-fesseur à la Faculté des sciences de l’éduca-tion de l’Université Laval. Les directionsd’école devraient disposer d’indicateurs clairssur l’évolution des lecteurs débutants, maisaussi sur l’évolution de leur comportement,

et ce, dès la maternelle. En effet, il existe unecorrélation assez nette entre les difficultés decomportement et celles de l’apprentissagedes pratiques de lecture. Dès qu’un jeune nerépond pas de manière appropriée à uneintervention éducative en maternelle, laprésence de l’orthopédagogue pourrait êtreune aide précieuse. Selon les types de diffi-cultés, il y a lieu de trouver des solutions surmesure et de compter, s’il y a lieu, sur l’impli-cation d’une ou d’un psychologue.

Dans tous les cas, il faut donner à ces jeunesles moyens de développer l’estime de soi.Malgré ses difficultés à lire, un jeune de 12 ans ne doit pas croire que sa vie est finie!Pour pallier un retard d’apprentissage, lasolution passe notamment par la surstimula-tion, surtout au moment du passage au se-condaire, car cette période de transition est unmoment clef. Tout comme elle l’est en mater-nelle et au primaire, la présence de l’ortho-pédagogue est essentielle au secondaire.

Denise Mayano, orthopédagogue à l’écolesecondaire Vanguard et directrice de l’écoleFélix-Antoine, à Montréal, suggère que l’ap-prentissage de la lecture devienne une prio-rité nationale avec des mesures claires poursa mise en application. Elle propose ainsi uneévaluation de tous les élèves, de la premièreannée à la cinquième secondaire, relative-ment à leur capacité à lire, et ce, à chaqueannée en septembre. Ceux qui sont au-

dessous de la moyenne de leur classe pour-raient bénéficier d’un bain de lecture durantdeux mois. Chaque enseignant serait impli-qué, et non seulement le professeur de fran-çais. Le tout avec le soutien du personnelprofessionnel de la rééducation et de l’ortho-pédagogie.

Pour mettre en place de nouvelles pratiques,la question des moyens financiers n’est pas laplus importante. Il faut orienter au mieux lesressources existantes. Si le milieu réclameplus d’argent, il faut absolument que lessommes obtenues soient dédiées, et nonsaupoudrées.

Il n’en reste pas moins qu’« apprendre à lire,ça prend du temps et cela doit être du bontemps », rappelle Jean-Louis Tousignant,coordinateur à l’adaptation scolaire à laCommission scolaire des Patriotes. L’enfanten proie à des difficultés ne ressent querarement ou tardivement du plaisir à lire.Pour remédier à la situation, la solution estcomplexe. Elle nécessite de travailler sur desstratégies affectives et cognitives. Pour garan-tir « du bon temps » à l’enfant qui apprenddifféremment, il faut avoir l’énergie et lecourage de se questionner sur son enseigne-ment et son organisation. Les efforts sont là.Ils doivent être redéployés et augmentés dèsl’entrée des enfants à l’école.

Mathieu Bruckmüller

LES DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE DE LA LECTURE NE SONT PAS UNE FATALITÉ

Page 56: Numéro 143 Avril • Mai 2007

58

❑ ABONNEMENT — ❑ CHANGEMENT D’ADRESSE POUR LES ABONNÉS DU QUÉBEC

Remplir ce coupon en y indiquant, pour un changement d’adresse, votre numéro d’abonné ainsi que votre nouvelle adresse.

Numéro d’abonné (réabonnement)

Nom

Prénom

No rue-route appartement

Ville Province Code postal

Courriel électronique

Adresser à : Vie pédagogiqueService de la diffusionMinistère de l’Éducation, du Loisir et du Sport3220, rue Watt, bureau 101Sainte-Foy (Québec) G1X 4Z7Télécopieur : (418) 646-6153Courriel : [email protected]

À quel titre travaillez-vous en éducation ou vous intéressez-vous à ce domaine?

• administrateur scolaire 13• commissaire d’école 14• directeur d’école ou directeur adjoint 15• enseignant 16• étudiant 17• personnel du ministère de l’Éducation,

du Loisir et du Sport 18• professionnel non enseignant 19• parent 20• autre 65

h is t o ir e de r ir e

Vie pédagogique no 143 Avril • Mai 2007 58

1. Lors d’un trajet en voiture, Elysabeth est éblouie par la lumière du jour : « Maman, le soleil… il fouille dans mes yeux ».

2. La maman de Marie-Lou lui demande quel programme elle regarde à la télévision. Elle lui répond qu’elle écoute des dessins « abîmés ».

Chers lecteurs et lectrices, cette rubrique vous est ouverte. Ne soyez pas égoïstes, faites-nous partager les « bons » mots de vos élèves ou les faitscocasses, absurdes même, dont vous êtes les témoins dans vos classes ou dans l’école. Adressez vos envois à : Vie pédagogique, Ministère del’Éducation, du Loisir et du Sport, 600, rue Fullum, 10e étage, Montréal (Québec) H2K 4L1.

Sous la direction de M. Daniel Charest, enseignant d’arts plastiques, les illustrations qui suivent ont été réalisées par des élèves de la Polyvalentedes Monts, de la Commission scolaire des Laurentides.

Si vous résidez au Québec, vous pouvez maintenant vous abonner à Vie pédagogique ou, le cas échéant, procéder à votre changement d’adresse sur le site Internet de la revue : http://www.viepedagogique.gouv.qc.ca

Pier

re D

oré

Pier

re D

oré