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Protégé par la loi !!!!

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Et toi, qu'est ce que tu ferais?

C'était l'hiver de l'an 1996, dans un village de la compagne profonde. Un endroit calme où

tous les villageois se connaissaient et qui distribuait tous les jours les informations dans son petit

journal local.

Le froid s'écrasait sur le visage d'un jeune garçon, dont on pouvait percevoir une fatigue

intense. D'après son uniforme, il était probablement au collège et préparait ses examens d'entrée au

lycée.

— Soran !

Il soupira silencieusement puis se retourna vers son interlocuteur, affichant un sourire impassible.

— Oh, Russell, que se passe-t-il ?

— Avec les gars on pensait aller aux arcades ou manger un bout, tu viens ?

Soran fit une mine quelque peu embêtée.

— Désolé, j'ai déjà quelque chose de prévu. En réalité je pensais réviser pour les examens d'entrée

le mois prochain...

Son camarade de classe ria aux éclats.

— Toi alors, toujours aussi sérieux ! Prends le temps de te détendre quand même, tu n'as pas l'air

bien en ce moment, tu pourras toujours réviser plus tard .

Ce à quoi répondit le jeune homme, toujours un sourire forcé aux lèvres.

— Haha d'accord, j'y penserais !

Puis chacun partit dans une direction opposée : l'un seul, l'autre entouré d'autres adolescents

riant tous ensemble. Une fois qu'il fut assez loin, il s'arrêta et soupira une nouvelle fois. Son sourire

imperturbable laissa place à une mine dépitée. Tête baissée, il reprit la route en direction de chez

lui. En réalité, il aurait voulu sortir avec eux, il en rêvait, mais il n'en avait pas le temps, s'occuper

de la maison était sa priorité.

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Le froid devint plus intense, l'obligeant à enfouir la tête dans sa vieille et longue écharpe

beige ne laissant apparaître plus que des cheveux bruns mi-long et des yeux marrons, montrant toute

la peine qu'il ressentait mais révélant aussi les traits d'un jeune homme fragile et pensif.

Il était vingt heures et Soran arpentait toujours les ruelles sombres et quasiment désertes.

Traînant les pieds, la tête baissée, il semblait comme perdu dans ses pensées, le regard vide.

Aussi taciturne et réservé qu'il était, il n'avait pas vraiment d'amis, les élèves qu'il côtoyait

n'était que des camarades de classe qui, une fois sortie de l'école se transformaient, à ses yeux, en

étrangers. Pourtant, à force de voir le jeune homme brun se tenir à l'écart, ils avaient tenté à

plusieurs reprises de le faire participer aux activités de groupes pour tenter un rapprochement.

Seulement, il a toujours poliment refusé, prétextant qu'il était occupé. Il avait un sentiment de

devoir à accomplir auprès des siens et qu'aucun d'eux, enfants insouciants, ne pourraient

comprendre.

Le brun s'arrêta devant l'entrée d'un petit immeuble dont la structure semblait si ancienne qu'elle

pourrait s'écrouler sans prévenir. Inconsciemment, et malgré tous les détours qu'il avait fait, ses pas

l'avaient emmené jusque chez lui. Après une légère hésitation, il monta les marches du bâtiment,

pratiquement vidé de toute présence humaine, une à une d'une allure lente jusqu'à arriver devant la

porte numéro six, la porte de l'appartement dans lequel il vivait. Il inspira un grand coup avant

d'ouvrir la porte lentement, ouvrant sur une pièce aussi sombre que les profondeurs de l'océan .

— Je suis rentré... Excuse moi, les cours ont fini plus tard que prévu.

Ne recevant comme réponse que le silence, Soran déposa ses affaires discrètement dans la petite

salle annexe qu'était sa chambre puis se rendit dans l'étroite cuisine, espérant y trouver un signe de

vie quelconque. Il ouvrit la porte.

— Tu es là ?

En entrant dans la salle, il découvrit une forme se tenant assise dans le noir, affalée sur la

petite table à manger, sanglotant dans la solitude.

— Maman ?

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La silhouette se retourna vers l'enfant d'un geste brusque, comme si elle n'avait pas remarqué

sa présence, un sentiment de peur l'envahit brusquement.

— So...Ran ? Soran c'est toi … ?

Voyant la terreur dans les yeux de sa mère, le jeune garçon n'eut d'autre choix que de la

prendre dans ses bras pour essayer de calmer les pulsions de la femme dont l'angoisse s'intensifiait à

chaque seconde. Lentement, il la berçait de peur que son état n'empire, comme c'était souvent le

cas.

— Oui, je suis là … Calme-toi, respire doucement, tout va bien maintenant.

Dans ses souvenirs, sa mère était autrefois une femme aimante, rendant service aux autres

villageois avec plaisir et qui avait une joie de vivre si forte qu'elle redonnait le sourire à tous ceux

qu'elle connaissait. Mais, quand Soran eut six ans, son mari l'abandonna pour une femme plus jeune

et sans enfants. Suite à sa disparition, elle sombra peu à peu dans l'alcool, cessa de sortir de chez

elle et devint dépressive au point de développer un symptôme de stress post-traumatique. Elle

faisait régulièrement des cauchemars, revivant la trahison de l'homme qu'elle aimait encore et

encore. Depuis lors, elle était sujette à l’insomnie et était prise de violences fréquentes envers son

jeune fils, le tenant responsable de ses malheurs. Il était d'ailleurs courant que le garçon n'aille pas

au collège durant plusieurs jours ou qu'il s'y rende couvert de blessures.

Face aux gestes doux de son enfant, la femme sursauta et, le regard déformé par un mélange

de haine et de crainte, elle le repoussa de toutes ses forces en hurlant.

— Va-t' en !!

Les preuves d'amour, même venant de son fils, la dégoûtait. Elle détestait la proximité

qu'avait l'enfant de ce traître avec elle. Jour après jour, la mère s'était mise à haïr le fils qu'elle avait

tant aimé à sa naissance. Mais le traumatisme était trop fort, il était le fils de ce monstre qui l'avait

jeter comme une moins que rien après l'avoir mise enceinte, cet homme qui ne voulait pas assumer

son rôle de mari et de père parce qu'il se disait trop jeune pour être sérieux dans sa vie sentimentale,

trop jeune pour avoir un fils. Alors elle avait plaqué la vision de cet homme sur son fils, une

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manière de survivre à travers la haine.

Soran ne savait pas comment réagir, il avait toujours écouté sa mère et fait tout ce qu'il

pouvait pour elle, malgré les coups et les insultes qu'il prenait en plein visage lors de ses crises. Le

jeune homme avait toujours fait de son mieux pour le bien de sa mère, mais elle le voyait comme un

monstre, comme la cause de tout ses problèmes, le fruit de sa relation abjecte avec cet homme

qu'elle avait eu tord d'aimer.

La vieille femme, fatiguée, pleura de plus belle, criant toujours plus sur son fils pour qu'il la

lâche.

— Va-t' en, sors de ma vie ! Si seulement tu n'étais pas né … J'aurais pu avoir une vie heureuse,

mais non, il a fallu que tu arrives, que tu gâches tout ! Je te haïs ! Si tu savais comme je te haïs !

Il sentit comme un couteau lui transpercer le cœur. Il connaissait la dureté des mots de sa

mère quand elle faisait une crise, mais il ne parvenait pas à s'habituer à les entendre, ses mots que la

personne qui nous a donné la vie, notre seule famille, utilisait pour nous transmettre sa haine. Une

haine intense, si intense que Soran ne trouva quoi dire, ne sachant quoi faire. Il était perdu, sa gorge

se serrait, tandis que la femme aux long cheveux châtains criait toujours plus fort et commença à le

frapper violemment.

— Ma... Man...

— Rends moi ma jeunesse, rends moi ma vie !

Une larme coula le long de la joue de l'adolescent, cela en était trop pour lui. La voir pleurer

ainsi, regrettant amèrement sa naissance. Il était un enfant non voulu, il le savait pourtant, à vrai

dire tout le village le savait, mais il avait toujours cru qu'en faisant tout ce que sa mère disait, en

faisait d'elle sa priorité, qu'en devenant l'enfant modèle dont tous les parents rêvaient secrètement, il

l'aiderait à surmonter cet abandon, cette souffrance. Mais ce n'était pas suffisant. Si jeune et déjà en

proie à tant de haine...

Toujours dans les bras du jeune garçon, elle cessa soudainement toute violence physique,

redoublant de larmes dans ses yeux devenus rouges. Les cris laissèrent place aux murmures presque

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inaudibles, cachés par les sanglots.

— Si seulement tu n'étais pas là...

Je sais maman... Je sais... pensa Soran, dont les larmes reprirent de plus belle, serrant toujours sa

mère dans ses bras.

Dans un dernier élan, la mère du jeune garçon le renversa sur le sol, dévoilant le corps frêle

de celui-ci. Lentement, elle mit ses mains autour du coup de son fils et, resserrant sa prise, elle

releva la tête. Ses yeux croisèrent ceux de l'enfant brun, un sourire naissant sur ses lèvres et les

larmes aux yeux, elle ria bruyamment. Son regard respirait désormais la folie.

— Soran, meurs.

— Ma...Man....

L'air lui manquait, mais le collégien ne savait comment réagir. Lui qui avait toujours tout fait

pour soulager sa mère, se retrouvait ce soir dans cette situation difficile. Après tout, si sa mère

voulait si ardemment sa mort, pourquoi ne pas la lui donner ? Celle qui lui avait donné la vie le

haïssait, le méprisait, et par dessus tout souhaitait qu'il disparaisse. Au final, peut-être qu'il n'aurait

jamais du naître, que tout ceci n'était qu'une erreur. Sa mort serait alors la meilleure solution ?

Soudainement, le visage de Russell apparu dans son esprit puis, petit à petit, il voyait les élèves de

sa classe, les efforts qu'ils faisaient chaque jour pour l'aider à s'intégrer, leur sourire lorsqu'ils lui

proposaient une activité tous ensemble, ce plaisir dont il rêvait mais qu'il avait toujours fuit pour sa

mère. Il regrettait d'avoir refusé leur aide.

Tout s'embrouillait dans sa tête. Devait-il suivre sa mère, la soulager enfin. Ou devait-il

résister, accorder un peu plus de valeur à sa propre vie. Le doute s'empara de lui, la panique aussi,

ne sentant plus l'air parvenir jusqu'à ses poumons. Il devait faire un choix, maintenant, mais à quoi

fallait-il renoncer ? Sa tête tournait, il souffrait, c'était la fin.

Un sourire chaleureux lui vint en tête.

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Puisant dans ses dernières forces, il commença à se débattre. Non, il ne voulait pas partir

comme ça, pas sans avoir goûter le plaisir d'une vie normal, avoir des amis, rire avec eux, sans avoir

eu l'occasion de dire aux élèves de sa classe à quel point il leur en était reconnaissant d'avoir prit

soin de quelqu'un comme lui, de l'avoir soutenu, d'être restés près de lui, tout simplement.

Soran donna des coups dans le ventre de sa mère à l'aide de ses jambes, tandis qu'il essayait

toujours de libérer son cou de son emprise, afin qu'elle le lâche. Il sentait l'air revenir peu à peu,

avec soulagement, elle avait enfin cédé. Il la poussa alors sur le côté puis manqua de tomber après

s'être relevé, sa tête tournait toujours. S’agrippant à la petite table, le garçon brun reprit de grandes

bouffées d'air puis se dirigea rapidement en direction du salon. Quelque chose s'empara de sa

jambe. Sa mère, toujours au sol, avait attrapé son pied et s'accrochait à lui telle une sangsue à la

recherche de sang.

— Tu vas mourir Soran …

Il paniqua à la vue du visage de la femme qu'était sa mère, déformé par la folie de ses actes.

Ses membres commencèrent à trembler, il ne pourra jamais sortir d'ici. Il lui donna désespérément

quelques coups de pieds sur la tête afin d'essayer de libérer sa jambe . Lorsqu'il eu réussi, il couru

vers le mur, s'attendant à ce qu'elle le poursuive, mais elle était là, toujours couchée sur le sol,

inerte.

— Maman... ?

Aucune réponse. Une nouvelle peur l'envahi alors et tout devint blanc. Du sang sur son

visage, était-ce son œuvre ? Affolé, il prit la direction de la sortie en courant. Partir loin où

personne ne le connaissait, voilà ce qu'il devait faire. Soran dévala les escaliers et disparut à

travers les ruelles sombres.

[…]

Le lendemain matin, en première page du journal local, on apprit que le corps d'un enfant,

percuté par un véhicule durant la nuit, fut retrouvé sur le bord de la route.