Nouvelle épreuve anticipée de français Épreuves orales de l'EAF ...

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Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche-Direction de l’enseignement scolaire- EAF-Épreuves orales-Quelques exemples de questions 1/3 Nouvelle épreuve anticipée de français Épreuves orales de l’EAF Quelques exemples de questions Avertissement La note qui suit propose une liste non limitative d’exemples de questions qui peuvent être posées aux candidats dans le cadre de l’épreuve orale anticipée de français. Elle ne limite en rien la liberté des examinateurs et suggère simplement certaines démarches susceptibles de faciliter le travail d’élaboration des questions. Elle ne prend de sens qu’en fonction des textes existants : - pour l’épreuve écrite : note de service n°2001-117 du 20 juin 2001, parue au BO n°26 du 28 juin 2001 ; - pour l’épreuve orale : note de service n°2003-002 du 8 janvier 2003, parue au BO n°3 du 16 janvier 2003. Quelle formulation des questions ? Les questions doivent être claires et accessibles. Elles ne peuvent exiger du candidat un travail de décryptage préalable que l’emploi d’un métalangage exagérément technique rendrait nécessaire. La première question relève d’une tournure interrogative directe : Ce texte vous paraît-il… ? ou En quoi/Pourquoi/Comment/Dans quelle mesure ce texte… ? La seconde question peut être posée de façon plus indirecte : Vous vous demanderez si…, Vous vous interrogerez sur … ou utiliser une formule destinée à orienter la réflexion de l’élève : Vous réfléchirez à… Quelle est la fonction de la question ? Elle porte sur un texte. C’est donc le caractère spécifique du texte qui appelle la question. Elle porte sur un texte déjà connu du candidat. Elle n’appelle donc pas une découverte du texte mais sa relecture, en fonction d’une orientation précise, indiquée par la question. Elle appelle l’étude d’un aspect essentiel du texte. Elle n’induit donc ni une étude pointilliste ni une analyse qui se voudrait exhaustive. Elle permet au candidat d’aborder tout à la fois le sens et les choix d’écriture, - soit en partant de l’observation pour élaborer progressivement une interprétation, - soit en partant d’une interprétation pour la justifier par l’étude des choix d’écriture. Elle permet d’évaluer les capacités du candidat à : - comprendre la question qui lui est posée, - comprendre, au sens littéral du terme, le texte qui lui est proposé, - trouver dans ce texte des éléments de réponse à la question en prenant appui sur sa connaissance de l’objet de l’étude, - mettre en relation ces différents éléments pour parvenir, en prenant appui sur le texte, à une réponse construite.

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Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche-Direction de l’enseignement scolaire- EAF-Épreuves orales-Quelques exemples de questions1/3

Nouvelle épreuve anticipéede français

Épreuves orales de l’EAF

Quelques exemples dequestions

AvertissementLa note qui suit propose une liste non limitative d’exemples de questions qui peuvent êtreposées aux candidats dans le cadre de l’épreuve orale anticipée de français.

Elle ne limite en rien la liberté des examinateurs et suggère simplement certainesdémarches susceptibles de faciliter le travail d’élaboration des questions.

Elle ne prend de sens qu’en fonction des textes existants :- pour l’épreuve écrite : note de service n°2001-117 du 20 juin 2001, parue au BO n°26du 28 juin 2001 ;- pour l’épreuve orale : note de service n°2003-002 du 8 janvier 2003, parue au BO n°3du 16 janvier 2003.

Quelle formulation des questions ?Les questions doivent être claires et accessibles. Elles ne peuvent exiger du candidatun travail de décryptage préalable que l’emploi d’un métalangage exagérément techniquerendrait nécessaire.

La première question relève d’une tournure interrogative directe :Ce texte vous paraît-il… ? ou En quoi/Pourquoi/Comment/Dans quelle mesure cetexte… ?La seconde question peut être posée de façon plus indirecte :Vous vous demanderez si…, Vous vous interrogerez sur … ou utiliser une formuledestinée à orienter la réflexion de l’élève : Vous réfléchirez à…

Quelle est la fonction de la question ?Elle porte sur un texte. C’est donc le caractère spécifique du texte qui appelle laquestion.Elle porte sur un texte déjà connu du candidat. Elle n’appelle donc pas unedécouverte du texte mais sa relecture, en fonction d’une orientation précise, indiquéepar la question.Elle appelle l’étude d’un aspect essentiel du texte. Elle n’induit donc ni une étudepointilliste ni une analyse qui se voudrait exhaustive.Elle permet au candidat d’aborder tout à la fois le sens et les choix d’écriture,- soit en partant de l’observation pour élaborer progressivement une interprétation,- soit en partant d’une interprétation pour la justifier par l’étude des choix d’écriture.Elle permet d’évaluer les capacités du candidat à :- comprendre la question qui lui est posée,- comprendre, au sens littéral du terme, le texte qui lui est proposé,- trouver dans ce texte des éléments de réponse à la question en prenant appui sur saconnaissance de l’objet de l’étude,- mettre en relation ces différents éléments pour parvenir, en prenant appui sur le texte,à une réponse construite.

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Quelles questions possibles ?Questions portant sur l’ensemble du texte donné, mais pouvant prendre appui plusparticulièrement :

- sur le titre :En quoi le titre annonce-t-il / éclaire-t-il le texte ?- sur un court passage, indiqué par l’examinateur :En quoi tel passage est-il une clef possible pour la lecture du texte ?En quoi tel vers est-il représentatif de l’ensemble du poème ?En quoi le premier vers est-il annonce-t-il le déroulement de l’ensemble du poème ?En quoi l’anecdote des lignes X à Y sert-elle la démonstration ?- sur la comparaison de deux brefs passage, indiqués par l’examinateur :le début et la fin d’une scène théâtrale,deux courts portraits,un texte et quelques variantes.- sur la recherche, par le candidat, d’une série d’extraits :Quelles sont, dans ce texte, les formules les plus révélatrices de la thèse soutenue parl’auteur ? Justifiez votre choix.

Questions liées :

- à la composition ou à la construction du texte :étapes d’un dialogue théâtral et enchaînement des répliques,construction d’un portrait,composition d’un sonnet.

- au mouvement du texte :évolution d’un raisonnement,progression d’une argumentation,développement d’une métaphore filée.

- à la visée du texte (implicite, intentions cachées, double sens) et à ses enjeux :En quoi ce texte est-il un apologue ?Quelles sont les valeurs morales qui sous-tendent ce texte ?En quoi ce texte est-il une forme d’art poétique ?En quoi tel portrait a-t-il une valeur argumentative ?Quel est l’enjeu de cette lettre ?

- à la réception du texte par le candidat :Quelle réaction la lecture de ce texte suscite-t-elle en vous ? Justifiez votre réponse enprenant appui sur le texte.Les procédés argumentatifs employés dans ce texte vous paraissent-ils efficaces ?Pourquoi ?

Questions amenant à étudier le texte :

- par rapport à un genre :Quelle relation s’établit dans ce texte entre le narrateur adulte et l’enfant qu’il a été et meten scène ?Comment s’opère dans ce texte la mise en forme du souvenir ?Comment ce poème joue-t-il avec le langage ?- par rapport à une esthétique :Par quels aspects ce texte se rattache-t-il à l’esthétique baroque ?- par rapport à une registre ou à l’articulation de plusieurs registres :Quels sont les éléments susceptibles de susciter le rire dans ce texte, et quelle forme derire ?Ce texte vous paraît-il devoir susciter le rire ou l’émotion ?

Avec un intérêt particulier accordé :

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- à l’utilisation du genre ou du registre :Comment l’auteur tire-t-il parti du genre épistolaire pour mettre en valeur l’anecdoteracontée ?Quel traitement particulier l’auteur fait-il subir dans ce texte au genre et dans quel but ?Dans quelle mesure cette lettre vous paraît-elle devoir être considérée – ou non –comme une œuvre littéraire ?- aux écarts entre le code, la norme et le texte :En quoi ce texte échappe-t-il au genre épistolaire ?Quel est l’effet produit par la construction particulière de ce sonnet ?

Quelles questions éviter ?- Toute question ce type purement formaliste qui n’induirait qu’un simple relevé devocabulaire, de figures de style ou de procédés d’écriture ;- toute question d’ordre uniquement psychologique, qui n’entraînerait pas uneapproche littéraire du texte et aboutirait, par exemple, à une simple analyse du« caractère » de tel ou tel personnage.

Quel type de réponse exigible ?On insistera seulement ici sur la liberté qui doit être laissée au candidat dans laprésentation ordonnée de sa réponse.

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collection Lycée – voie générale et technologiquesérie Accompagnement des programmes

Épreuves anticipées de françaisAnnales zéro

Épreuve écrite – Exemples de sujetsProgramme applicable à la rentrée 2001

Ministère de l’Éducation nationaleDirection de l’Enseignement scolaire

Centre national de documentation pédagogique

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Maquette de couverture : Catherine VilloutreixMaquette : Fabien Biglione

Mise en pages: Michelle Bourgeois

© CNDP, 4e trimestre 2001ISBN : 2-240-00760-5

ISSN : 1624-5393

Imprimé sur les presses de l’Imprimerie nationale, 4e trimestre 2001

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 3

Sommaire

Av e rt i s s e m e n t ....................................................................................................................................................... 5

Séries technologiques

Sujet 1. Objets d’étude : Le théâtre : texte et représentation. Convaincre, persuader et délibérer ...... 6

Texte A. Marivaux, La Colonie, scène 13 ................................................................................................................ 6

Texte B. Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, acte III, scène 16 ............................................................................ 7

Sujet 2. Objet d’étude : Le biographique ........................................................................................................ 9

Texte A. Emmanuel Carrère, L’Adversaire (quatrième de couverture) .................................................................. 9

Texte B. Deborah Ross, « Pour elle, la vie n’est vraiment qu’un long fleuve tranquille », The Independent .......... 9

Texte C. André Malraux, Antimémoires ................................................................................................................. 11

Sujet 3. Objet d’étude : La poésie ..................................................................................................................... 12

Texte A. Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre ............................................................................................................ 12

Texte B. Francis Ponge, « Le pain », Le Parti pris des choses .................................................................................. 12

Texte C. Jacques Réda, « La bicyclette », Retour au calme..................................................................................... 13

Sujet 4. Objet d’étude : La poésie ..................................................................................................................... 14

Texte A. Georges-Emmanuel Clancier, Contre-Chants ............................................................................................ 14

Texte B. Robert Desnos, « La peste », Contrée........................................................................................................ 14

Texte C. Pierre Emmanuel, « Les dents serrées », L’Honneur des poètes .............................................................. 15

Texte D. Jean Tardieu, « Vous étiez pourtant responsable », Domaine français .................................................... 15

Annexe. Paul Éluard, présentation de l’ouvrage collectif, L’Honneur des poètes ................................................. 15

Sujet 5. Objet d’étude : Convaincre, persuader et délibérer......................................................................... 17

Texte A. Jean de La Fontaine, « La cigale et la fourmi », Fables.............................................................................. 17

Texte B. Jean Anouilh, « Avertissement hypocrite », Fables................................................................................... 17

Texte C. Jean Anouilh, « La cigale », Fables ............................................................................................................ 18

Texte D. Italo Svevo, Fables..................................................................................................................................... 19

Séries générales

Sujet 6. Objet d’étude : Le biographique ......................................................................................................... 20

Texte A. François René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre premier, chapitre III ......................... 20

Texte B. Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, livre premier ........................................................................... 20

Texte C. Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfance............................................................................................. 21

Texte D. Nathalie Sarraute, Enfance......................................................................................................................... 21

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Sujet 7. Objets d’étude : La poésie. Convaincre, persuader et délibérer.................................................... 23

Texte A. Victor Hugo, « La Victoire », Histoire d’un crime .................................................................................... 23

Texte B. Victor Hugo, « Souvenir de la nuit du 4 », Les Châtiments ....................................................................... 24

Texte C. Victor Hugo, Lettre à Hetzel...................................................................................................................... 25

Annexe 1. Catherine Salles, Le Second Empire, 1852/1870 (extraits).................................................................... 25

Annexe 2. Guy Rosa, extrait de la chronologie historique, édition des Châtiments .............................................. 26

Sujet 8. Objet d’étude : La poésie ..................................................................................................................... 28

Texte A. Max Jacob, « Avenue du Maine », Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel........................... 28

Texte B. Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », Langage cuit ......................................................................... 28

Texte C. René de Obaldia, « Le plus beau vers de la langue française », Innocentines......................................... 29

Texte D. Raymond Queneau, « Lipogramme en A, en E et en Z », Oulipo, la littérature potentielle ..................... 30

Sujet 9. Objets d’étude : Le théâtre : texte et représentation. Convaincre, persuader et délibérer....... 31

Texte A. Jean Racine, Bérénice, acte I, scène 1 ...................................................................................................... 31

Texte B. Jean Racine, Bérénice, acte V, scène 5 (vers 1303-1347) ......................................................................... 31

Texte C. Interview du scénographe et peintre Gilles Aillaud, Théâtre aujourd’hui ............................................... 33

Document D. Photo de la mise en scène de Klaus Michael Grüber à la Comédie-Française................................. 34

Annexe. Bérénice, liste des personnages............................................................................................................... 35

Sujet 10. Objet d’étude : Le biographique ....................................................................................................... 36

Texte A. Michel Leiris, L’Âge d’homme................................................................................................................... 36

Texte B. François de La Rochefoucauld, Recueil des portraits et éloges ................................................................ 36

Texte C. Denis Diderot, Salon de 1767 ................................................................................................................... 37

Document D. Tableau de Louis-Michel Van Loo, Denis Diderot, écrivain .............................................................. 37

Série littéraireSujet 11. Objet d’étude : Les réécritures .......................................................................................................... 39

Texte A. Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias, extrait de l’acte I, scènes 9 et 10 ..................................... 39

Texte B. René de Ceccatty, « Le temps du rêve », avertissement de l’auteur

à sa version théâtrale modernisée de La Dame aux camélias ................................................................................ 40

Texte C. René de Ceccatty, La Dame aux camélias, adaptation théâtrale modernisée

du texte d’Alexandre Dumas fils, extrait du tableau VI .......................................................................................... 40

Sujet 12. Objet d’étude : L’épistolaire ............................................................................................................... 42

Texte A. Guilleragues, Lettres portugaises, quatrième lettre................................................................................... 42

Texte B. Madame de Sévigné, Lettre à madame de Grignan.................................................................................. 42

Texte C. Voltaire, Lettre à madame Denis................................................................................................................ 43

Sujet 13. Objets d’étude : L’épistolaire. La poésie .......................................................................................... 45

Texte A. Guillaume Apollinaire, « Lettre du 18 janvier 1915 » (extrait), Lettres à Lou............................................. 45

Texte B. Guillaume Apollinaire, « Lettre du 19 janvier 1915 », Lettres à Lou........................................................... 46

Texte C. Guillaume Apollinaire, « Adieu ! », Lettres à Lou ...................................................................................... 46

Sujet 14. Objets d’étude : Convaincre, persuader et délibérer. La poésie.................................................. 47

Philippe Jaccottet, La Promenade sous les arbres.................................................................................................. 47

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Avertissement

Les sujets proposés ne sont pas représentatifs de l’ensemble des possibilités off e rt e spar le programme de première et la définition des épreuves anticipées de français. Ilsne constituent donc pas une liste fermée de ces possibilités. Aussi doivent-ils être consi-dérés comme des exemples et non comme des modèles.

N.B. — Tous les sujets proposés pour les séries générales conviennent pour lesséries S, ES et L.

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SÉRIES TECHNOLOGIQUES

Sujet 1Objets d’étude : Le théâtre : texte et représentation

C o n v a i n c re, persuader et délibére r

Texte A — Marivaux, La Colonie

[ A rthénice, Lina et madame Sorbin suivies par une troupe de femmes vont à la re n-c o n t re des hommes assemblés pour établir la constitution nouvelle de l’île utopiqueoù ils se trouvent. Elles ont préparé un placard, c’est-à-dire une affiche où se trouveleur version de la constitution.]

HERMOCRATE — Mais qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie-là? Parlez-leur 1 donc seigneur Timagène, sachez de quoi il est question.TIMAGÈNE — Voulez-vous bien vous expliquer, madame?MADAME SORBIN — Lisez l’affiche, l’explication y est.ART H É N I C E — Elle vous apprendra que nous voulons nous mêler de tout, être asso-ciées à tout, exercer avec vous tous les emplois, ceux de finance, de judicature2, d’épée.HERMOCRATE — D’épée, madame?ART H É N I C E — Oui, d’épée, monsieur; sachez que jusqu’ici nous n’avons été poltro n n e sque par éducation.MADAME SORBIN — Mort de ma vie! qu’on nous donne des armes, nous serons plusméchantes que vous; je veux que dans un mois nous maniions le pistolet comme unéventail : je tirai ces jours passés sur un perroquet, moi qui vous parle.ARTHÉNICE — Il n’y a que de l’habitude à tout.MA D A M E SO R B I N — De même qu’au Palais à tenir audience, à être présidente,conseillère, intendante, capitaine ou avocate.UN HOMME — Des femmes avocates?MA D A M E SO R B I N — Tenez donc, c’est que nous n’avons pas la langue assez bienp e ndue, n’est-ce pas ?ARTHÉNICE — Je pense qu’on ne nous disputera pas le don de la parole.HERMOCRATE — Vous n’y songez pas, la gravité 3 de la magistrature et la décence dubarreau ne s’accorderaient jamais avec un bonnet carré sur une cornette 4 !ARTHÉNICE — Et qu’est-ce que c’est qu’un bonnet carré, messieurs? Qu’a-t-il de plusi m p o rtant qu’une autre coiff u re ? D’ailleurs, il n’est pas de notre bail, non plus quev o t re Code ; jusqu’ici c’est votre justice et non la nôtre ; qui va comme il plaît à nosbeaux yeux quand ils veulent s’en donner la peine, et si nous avons part à l’institutiondes lois, nous verrons ce que nous ferons de cette justice-là, aussi bien que du bonnetcarré, qui pourrait bien devenir octogone si on nous fâche; la veuve ni l’orphelin n’yperdront rien.

1. leur: Hermocrate désigne de la main, à l’intention de Timagène, toutes les femmes qui se pressentdevant l’affiche des « droits de la femme ».2. judicature: tout ce qui concerne les professions de justice.3. gravité : sérieux.4. bonnet carré : coiffe des juges ; cornette : coiffe des femmes.

Te x t e sA — Marivaux [1688-1763], La Colonie, scène 13, 1750.B — Beaumarchais [1732-1799], Le Mariage de Figaro, acte III, scène 16, 1784.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 7

Texte B — Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

[ M a rceline et Bartholo ont eu, des suites de leur ancienne union illégitime, un fils qu’ilsont abandonné.Marceline a prêté de l’argent à Figaro contre une promesse de mariage.Dans l’acte III, Figaro découvre que Marceline et Bartholo sont ses parents.]

FI G A R O [ e x a l t é ] — … Bon docteur, si vous me rendez à ma noble famille, mettez unprix à ce service ; des monceaux d’or n’arrêteront pas mes illustres parents.BARTHOLO [montrant Marceline] — Voilà ta mère.FIGARO — … nourrice ?BARTHOLO — Ta propre mère.LE COMTE — Sa mère !FIGARO — Expliquez-vous.MARCELINE [montrant Bartholo] — Voilà ton père.FIGARO [désolé] — Oooh! aie de moi !MARCELINE — Est-ce que la nature ne te l’a pas dit mille fois?FIGARO — Jamais.LE COMTE [à part] — Sa mère !BRID’OISON 5 — C’est clair, i-il ne l’épousera pas.BARTHOLO — Ni moi non plus.MARCELINE — Ni vous ! Et votre fils ? Vous m’aviez juré…BA RT H O L O — J’étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d’épousertout le monde.BRID’OISON — E-et si l’on y regardait de si près, personne n’épouserait personne.BARTHOLO — Des fautes si connues ! une jeunesse déplorable !MARCELINE [s’échauffant par degrés] — Oui, déplorable, et plus qu’on ne le croit! Jen’entends pas nier mes fautes, ce jour les a trop bien prouvées ! Mais qu’il est dur deles expier après trente ans d’une vie modeste! J’étais née, moi, pour être sage et je lesuis devenue sitôt qu’on m’a permis d’user de ma raison. Mais dans l’âge des illusions,de l’inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent, pendant que lam i s è re nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d’ennemis rassemblés? Te lnous juge si sévèrement, qui peut-être en sa vie a perdu dix infortunées!FIGARO — Les plus coupables sont les moins généreux ; c’est la règle.MA R C E L I N E [vivement] — Hommes plus qu’ingrats, qui flétrissez par le mépris lesjouets de vos passions, vos victimes ! c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notrejeunesse; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissentenlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seulétat pour les malheureuses filles? Elles avaient un droit naturel à toute la parure desfemmes : on y laisse former mille ouvriers de l’autre sexe 6.FIGARO [en colère] — Ils font broder jusqu’aux soldats !MARCELINE [exaltée] — Dans les rangs même plus élevés, les femmes n’obtiennent devous qu’une considération dérisoire ; leurrées de respects apparents, dans une serv i-tude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, en majeures pour nos fautes : ah, soustous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur, ou pitié !FIGARO — Elle a raison!LE COMTE [à part] — Que trop raison !

5. Brid’oison est le nom du juge.6. Depuis que des manufactures existent, les travaux traditionnellement féminins exécutés dans lescampagnes de manière artisanale sont devenus des travaux d’hommes. Avant la « r é v o l u t i o ni n d u strielle », il y avait déjà eu une révolution artisanale.

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Éc r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (6 points) :

R e f o rmulez les principaux arguments d’Arthénice, de madame Sorbin et de Marc e l i n e .

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (14 points) :

1. CommentaireVous commenterez l’extrait du Mariage de Figaro à partir du parcours de lectures u ivant :— Montrez que le texte relève du genre de la comédie.— Cette scène a été en partie censurée lors de sa création en 1784. Analysez quelséléments du texte ont pu entraîner cette interdiction.

2. DissertationLe théâtre est-il selon vous une bonne tribune possible pour défendre des idées ?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui toutà la fois sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe,vos lectures personnelles et votre expérience de spectateur.

3. InventionÉcrivez une courte scène théâtrale dans laquelle une Marceline moderne interv i e n tdevant un auditoire masculin hostile pour réclamer une insertion de plus en plus réelledes femmes dans la société.

Indications complémentaires— Le dialogue théâtral fera alterner courtes tirades et échange de répliques. Vo u spourrez donner des indications de mise en scène ou de jeu d’acteur (didascalies).— Vous imaginerez librement la situation dans laquelle se trouve placée cetteMarceline contemporaine (cadre, interlocuteurs).

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 9

SÉRIES TECHNOLOGIQUES

Sujet 2Objet d’étude : Le biographique

Texte A — Emmanuel Carr è re, L ’ A d v e r s a i r e

Le 9 janvier 1993, Jean-Claude Romand a tué sa femme, ses enfants, ses parents,puis tenté de se tuer lui-même. L’enquête a révélé qu’il n’était pas médecin comme ille prétendait et, chose plus difficile encore à croire, qu’il n’était rien d’autre. Il men-tait depuis dix-huit ans, et ce mensonge ne recouvrait rien. Près d’être découvert, il apréféré supprimer ceux dont il ne pouvait supporter le regard. Il a été condamné à laréclusion criminelle à perpétuité.

Je suis entré en relation avec lui, j’ai assisté à son procès. J’ai essayé de raconterprécisément, jour après jour, cette vie de solitude, d’imposture et d’absence.D’imaginer ce qui tournait dans sa tête au long des heures vides, sans projet ni témoin,qu’il était supposé passer à son travail et passait en réalité sur des parkings d’auto-route ou dans les forêts du Jura. De compre n d re, enfin, ce qui dans une expériencehumaine aussi extrême m’a touché de si près et touche, je crois, chacun d’entre nous.

Texte B — Deborah Ross, a rticle paru dans The Independent

Pour elle, la vie n’est vraiment qu’un long fleuve tranquille

Les mémoires de cette ancienne femme de ménage ont fait sensation enG r a n d e -Bretagne.

The Independent (extraits)Londres.

Sylvia Smith a pour réputation d’être très, très ennuyeuse. Ses mémoire s ,M i s a d v e n t u res [M é s a v e n t u re s, éd. Canongate, 248 pages], lui ont valu ce commen-taire presque admiratif d’un critique: « Je n’ai jamais rien lu d’aussi ennuyeux. »

J’arrive à son adresse — une maison de l’Est londonien où elle loue une chambremeublée, au rez-de-chaussée.

« J’vous sers un p’tit thé? » me demande-t-elle. Nous entrons. Le livre de Sylvia afait sensation. Les critiques n’en reviennent pas. Authentiques mémoires ou canularlittéraire? Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un canular. Ceux qui doutent de l’authenti-cité de ce livre sont des snobs. Tout simplement, Sylvia n’est pas un phénomène litté-r a i re comme les autres. Cette femme habite seule et vit de sa pension d’invalidité.Elle me fait faire le tour du pro p r i é t a i re, ce qui prend un sixième de seconde. Lesalon est minuscule, à peine de quoi loger le canapé-lit. Elle me montre les trous auplafond, elle pense qu’ils ont été faits par un précédent locataire. Sylvia a son pro p remobilier — du genre qu’on achète dans ces brocantes qui étalent une bonne partie de leur

Te x t e sA — Emmanuel Carr è re, texte de présentation de la biographie de Jean-Claude Romand, intituléeL’ A d v e r s a i re (quatrième de couvert u re), coll. « Folio », Éditions Gallimard, 2000, © POL.B — Deborah Ross, « Pour elle, la vie n’est vraiment qu’un long fleuve tranquille », article paru dans lej o u rnal anglais The Independent et publié par C o u rrier intern a t i o n a l, n° 561 (2 au 22 août 2001), sup-plément intitulé : « Génies, fous et imposteurs, trente-six portraits de personnages hors du commun ».C — André Malraux [1910-1976], Antimémoires, © Éditions Gallimard, 1967.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets10

m a rchandise sur le trottoir — et ses bibelots, des peluches, de vieux jouets et une statuettedu David de Michel-Ange.

« Mon homme nu de Rome, f a i t - e l l e .— C’est David, i n t e rvient le photographe.— Qui est David? demande Sylvia.— Le D a v i d de Michel-Ange. Il est à Florence, il fait six mètres de haut.— Ah, booon… s’étrangle-t-elle. Je croyais que c’était juste un homme nu de Rome. »Une telle simplicité n’a pas l’air vrai, direz-vous. Eh bien, si, en l’occurre n c e! Les émis-

sions préférées de Sylvia sont Who wants to be a Millionaire [Qui veut gagner des millions? ]et C o ronation Street [feuilleton qui évoque la vie quotidienne de plusieurs familles ouvrière sdu nord de l’Angleterre ]. Côté musique, c’est une fan de Julio Iglesias, Elain Page et« comment il s’appelle, déjà? Ce gars qui était très beau, puis qui a commencé à perd re sesdents. Neil Diamond! C’est ça, Neil Diamond. Je l’aime bien ».

Elle « en pince » aussi pour le prince Charles. Le prince Charles! Enfin, voyons, S y l v i a ,on n’en pince pas pour le prince Charles! « Il est pas mal du tout, moi j’t rouve. » Elle nelit que des biographies de Lady Di et le magazine people H e l l o ! Rien d’autre. Ellet rouve que H e l l o ! devrait parler davantage de Caroline de Monaco. Elle s’est off e rtrécemment The Rasputin File [Raspoutine, l’ultime vérité, d’Edvard Radzinski], « p a rc eque je me suis dit qu’il était temps que je m’instruise ». Alors? « Je me suis arrêtée à lapage 5. Ça m’a coûté vingt livres, quand même, c’t ’ a ff a i re-là. »

Une chose est sûre, ces M i s a d v e n t u re s se caractérisent avant tout par leur simplicité.Écrites sous forme de petits tableaux, elles retracent la vie très, très ord i n a i re de Sylvia.Née à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de parents ouvriers, dans l’est de Londre s ,elle a travaillé principalement comme secrétaire, intérimaire, puis femme de ménage.Passant de meublé en meublé, faisant des sorties avec son club d’échanges, elle a eu çà etlà des aventures avec des hommes se prénommant Ali, Héraclès, Ghalib ou Malcolm.

Oui, je sais. On ne fait pas plus ennuyeux. Mais, curieusement, par un effet d’accu-mulation, cela en devient presque hypnotiquement lisible. Sylvia n’a rien à dire, c’est vrai,les histoires qu’elle raconte n’ont rien de mémorable, sans doute, mais tout leur intérêtne réside-t-il pas dans leur banalité même? La plupart de nos vies ne sont-elles pas ainsi?Or Sylvia a su re n d re brillamment cette banalité. Même si j’ai du mal à le re c o n n a î t re ,M i s a d v e n t u re s n’est peut-être pas si ennuyeux que ça, en définitive. Bref, Sylvia, est-ceque vous comprenez tout le bruit qu’a fait votre livre ? « Pas vraiment, dit-elle. C ’ e s tjamais qu’un livre, après tout. Vous avez fro i d? Le chauffage s’arrête à 10 h 30 et re p re n dà 16 h 30… »

Le succès, ça vous fait quoi? « C’est sympa, un peu grisant. Si on m’enlevait ça, je seraisdéçue. » Elle a été invitée à des émissions de radio. On lui a aussi demandé de participer àdes shows télévisés, mais elle a refusé. « J’aurais trop peur de faire du direct à la télé.»

D’où lui est venu son désir d’écrire? Elle n’en a pas la moindre idée. Elle n’a jamaisété une grande lectrice, même si elle a peut-être lu des romans d’Agatha Christie à l’ado-lescence. Elle ajoute que l’envie d’écrire un livre l’a prise à quarante-trois ans, mais ellene s’y est pas attelée avant quarante-six ans, quand elle a dû arrêter de travailler à causede ses problèmes de santé. (Elle a une « grave maladie » dont elle ne veut pas parler,sans doute une affection re s p i r a t o i re : j’ai repéré un inhalateur sur un meuble de range-ment.) Elle a écrit M i s a d v e n t u re s p a rce qu’elle pensait que sa vie avait été « amusante eti n t é ressante ». Elle a cherché des agents littéraires à la bibliothèque locale et a d’abordenvoyé le manuscrit à six d’entre eux, qui l’ont tous refusé. Elle a envoyé le manuscrit àq u a t re autres agents, « et je suis tombée sur Caro l i n e ; une femme en or ». Il s’agit deC a roline Dawnay (de chez Peters Fraser & Dunlop), qui est aussi l’agent de Nick Horn b y.

Même si M i s a d v e n t u re s est déjà un livre culte, et pourrait bel et bien devenir un best-s e l l e r, Sylvia ne sait pas comment il se vend en ce moment. « Je l’ai cherché hier dans notreg r a n d - rue. Ils ne l’avaient pas. Mais je voulais pas aller trouver l’employée et lui demander,elle aurait pu me répondre: oui, nous l’avons, c’est 9,99 livres [100F F ] .» Enfin, quoi qu’ilen soit, il faut qu’elle y aille, maintenant. « Je dois aller chercher la pension de ma mère avantque la poste ne ferme. »

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 11

Texte C — André Malraux, A n t i m é m o i r e s

[On peut compter André Malraux parmi les grands auteurs et les grands témoins deson temps. Sa vie fut en effet placée sous le signe de l’art, de la littérature, de l’aven-ture et de l’action politique.]

Réfléchir sur la vie — sur la vie en face de la mort — sans doute n’est-ce guère qu’ap-p rofondir son interrogation. Je ne parle pas du fait d’être tué, qui ne pose guère de ques-tion à quiconque a la chance banale d’être courageux, mais de la mort qui aff l e u re danstout ce qui est plus fort que l’homme, dans le vieillissement et même la métamorphose dela terre (la terre suggère la mort par sa torpeur millénaire comme par sa métamorphose,même si sa métamorphose est l’œuvre de l’homme) et surtout l’irrémédiable, le « tu nesauras jamais ce que tout cela voulait dire ». En face de cette question, que m’importe cequi n’importe qu’à moi? Presque tous les écrivains que je connais aiment leur enfance, jedéteste la mienne. J’ai peu et mal appris à me créer moi-même, si se créer, c’est s’accom-moder de cette auberge sans routes qui s’appelle la vie. J’ai su quelquefois agir, mais l’in-térêt de l’action, sauf lorsqu’elle s’élève à l’histoire, est dans ce qu’on fait et non dans cequ’on dit. Je ne m’intéresse guère. L’amitié, qui a joué un si grand rôle dans ma vie, ne s’estpas accommodée de la curiosité. Et je suis d’accord avec l’aumônier des Glière s1 — maiss’il préférait qu’il n’y eût pas de grandes personnes, lui, c’est que les enfants sont sauvés2…

P o u rquoi me souvenir?P a rce que, ayant vécu dans le domaine incertain de l’esprit et de la fiction qui est celui

des artistes, puis dans celui du combat et dans celui de l’histoire, ayant connu à vingt ansune Asie dont l’agonie mettait encore en lumière ce que signifiait l’Occident, j’ai re n c o n t r émaintes fois, tantôt humbles et tantôt éclatants, ces moments où l’énigme fondamentale dela vie apparaît à chacun de nous comme elle apparaît à presque toutes les femmes devantun visage d’enfant, à presque tous les hommes devant un visage de mort. Dans toutes lesf o rmes de ce qui nous entraîne, dans tout ce que j’ai vu lutter contre l’humiliation, et mêmeen toi, douceur dont on se demande ce que tu fais sur terre, la vie semblable aux dieux desreligions disparues m’apparaît parfois comme le livret d’une musique inconnue.

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (6 points) :

Analysez, pour chacun de ces textes, les diff é rentes raisons qui peuvent amener à écrireun récit de vie.

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (14 points) :

1. CommentaireVous commenterez le texte d’André Malraux (texte C) en vous aidant du parcours de lec-t u re suivant:— Comment l’auteur insiste-t-il sur le caractère énigmatique de la vie?— En vous référant à ce que vous savez du genre autobiographique, comment compre-nez-vous, à la lecture du texte, le titre d’A n t i m é m o i re s?

2. DissertationDans son article concernant les M i d s a v e n t u res de Sylvia Smith, Deborah Ross écrit :« Sylvia n’a rien à dire, c’est vrai, les histoires qu’elle raconte n’ont rien de mémorable,sans doute, mais tout leur intérêt ne réside-t-il pas dans leur banalité même? » P e n s e z -vous que pour entre p re n d re le récit d’une vie, il faut que celle-ci soit « mémorable »?Vous répondrez à cette question en un développement composé prenant appui sur lestextes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et vos pro p res lecture s .

3. InventionPlusieurs éditeurs ont refusé de publier l’ouvrage de Sylvia Smith. Vous rédigez la lettrede refus de publication de l’un d’entre eux.

1. Plateau de Haute-Savoie où eut lieu un combat extrêmement violent entre Résistants et Allemandspendant la seconde guerre mondiale.2. Prêtre qui s’engagea dans la Résistance et trouva la mort aux Glières. Aff i rmant « il n’y a pas degrandes personnes », il reconnaissait à l’homme une certaine innocence qui pouvait le sauver.

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SÉRIES TECHNOLOGIQUES

Sujet 3Objet d’étude : La poésie

Texte A — Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre

On a coutume de présenter la poésie comme une dame voilée, langoureuse, éten-due sur un nuage. Cette dame a une voix musicale et ne dit que des mensonges.

Maintenant, connaissez-vous la surprise qui consiste à se trouver soudain en facede son pro p re nom comme s’il appartenait à un autre, à voir, pour ainsi dire, sa form eet à entendre le bruit de ses syllabes sans l’habitude aveugle et sourde que donne unelongue intimité? Le sentiment qu’un fourn i s s e u r, par exemple, ne connaît pas un motqui nous paraît si connu, nous ouvre les yeux, nous débouche les oreilles. Un coup debaguette fait re v i v re le lieu commun. Il arrive que le même phénomène se produise pourun objet, un animal. L’espace d’un éclair, nous « voyons » un chien, un fiacre, une mai-son, « pour la pre m i è re fois ». Tout ce qu’ils présentent de spécial, de fou, de ridicule,de beau nous accable. Immédiatement après, l’habitude frotte cette image puissanteavec sa gomme. Nous caressons le chien, nous arrêtons le fiacre, nous habitons lamaison. Nous ne les voyons plus. Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute laf o rce du terme. Elle montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les chosessurp renantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement.

Inutile de chercher au loin des objets et des sentiments bizarres pour surpre n d re led o rmeur éveillé. C’est là le système du mauvais poète et ce qui nous vaut l’exotisme. Ils’agit de lui montrer ce sur quoi son cœur, son œil glissent chaque jour, sous un angleet avec une vitesse tels qu’il lui paraît le voir et s’en émouvoir pour la pre m i è re fois. Vo i l àbien la seule création permise à la créature. Car s’il est vrai que la multitude desre g a rds patine les statues, les lieux communs, chefs-d’œuvre éternels, sont re c o u v e rt sd’une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté. Mettez un lieu commun1

en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse etavec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète.

Texte B — Francis Ponge, Le Parti pris des choses

Le painLa surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi pano-ramique qu’elle donne: comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, leTaurus ou la Cordillère des Andes.Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le fourstellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses…Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avecapplication couche ses feux, — sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la bise a son tissu pareil à celui des éponges:feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à lafois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent: elles se détachent alorsles unes des autres, et la masse en devient moins friable…Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que deconsommation. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

1. Idée banale, utilisée par tous.

Te x t e sA — Jean Cocteau [1889-1963], Le Rappel à l’ord re, © Comité Jean Cocteau, 1926.B — Francis Ponge [1899-1988], « Le pain », Le Parti pris des choses, © Éditions Gallimard, 1942.C — Jacques Réda [1929], « La bicyclette », Retour au calme, © Éditions Gallimard, 1989.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 13

Texte C — Jacques Réda, Retour au calme

La bicyclettePassant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,Au bout d’un corridor fermé de vitres en losange,On voit un torrent de soleil qui roule entre des branchesEt se pulvérise à travers les feuilles d’un jardin,Avec des éclats palpitants au milieu du pavageEt des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un vélo.C’est un grand vélo noir, de proportions parfaites,Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bêteEn éveil dans sa fixité calme : c’est un oiseau.La rue est vide. Le jardin continue en silenceDe déverser à flots ce feu vert et doré qui dansePieds nus, à petits pas légers sur le froid du carreau.Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.On pense à des murs écroulés, à des bois, des étangs.La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,On devine qu’avant d’avoir effleuré le guidonÉblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bondÀ travers le vitrage à demi noyé qui chancelle,Et lancer dans le feu du soir les grappes d’étincellesQui font à présent de ses roues deux astres en fusion. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

É c r i t u re

I. Après avoir pris connaissance de l’ensemble des textes, vous répondre zd ’ a b o rd aux questions suivantes (6 points) :

1. Reformulez brièvement:— la conception de la poésie que Jean Cocteau refuse ;— celle qu’il propose.2. À laquelle de ces deux conceptions les poèmes qui vous sont proposés corre s p o n-d e n t - i l s? Justifiez votre réponse par quelques éléments précis tirés des textes du corpus.

II. Vous traiterez ensuite un des trois sujets suivants au choix (14 points) :

1. CommentaireVous commenterez le texte « La bicyclette » (texte C) à partir du parcours de lecturesuivant :— Étudiez comment s’effectue dans le poème la métamorphose d’un objet quotidien.— Montrez comment l’ensemble des ressources poétiques (rimes, rythme, sonorités,réseaux lexicaux, images…) est utilisé pour créer un effet d’harmonie et de sérénité.

2. DissertationJean Cocteau définit dans les termes suivants l’effet que doit provoquer la poésie chezle lecteur : « lui montrer ce sur quoi son cœur, son œil glissent chaque jour, sous unangle et une vitesse tels qu’il lui paraît le voir et s’en émouvoir pour la pre m i è re fois». Dans quelle mesure partagez-vous cette conception de la poésie ? Vous répondrez àcette question en un développement argumenté, appuyé sur les textes du corpus, surceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.

3. InventionLe journal de votre lycée a proposé un concours de poésie. Vous avez re m p o rté le prix.Le rédacteur du journal vous demande donc d’exposer le rôle que vous attribuezp e rsonnellement à la poésie. Vous rédigez cet article.

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SÉRIES TECHNOLOGIQUES

Sujet 4Objet d’étude : La poésie

Av e rtissement

La graphie de certains textes ou titres (capitales, italiques, etc.) est de la volontéexpresse des poètes et ne constitue pas une fantaisie gratuite.

Texte A — Georges-Emmanuel Clancier, C o n t r e - C h a n t sFerme grise aux rives des châtaigneraies :l’exacte paix dans les feuilles,chaude pénombre, appel du troupeau,psalmodie d’une voix paysanneet couleur d’infini la promessedans les yeux de l’enfant.

Bel été. Soudain flambent les Oradour 1. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

Texte B — Robert Desnos, C o n t r é e[Robert Desnos est mort en déportation en 1945.]

La peste

Dans la rue un pas retentit. La cloche n’a qu’un seul battant. Où va-t-il le promeneur qui se rapproche lentement et s’arrête par instant ? Le voici devant la maison. J’entends son souffle derrière la porte.

Je vois le ciel à travers la vitre. Je vois le ciel où les astres roulent sur l’arête des toits. C’est la grande Ourse ou Bételgeuse , c’est Vénus au ventre blanc, c’est Diane2 qui dégrafe sa tunique près d’une fontaine de lumière.

Jamais lunes ni soleils ne roulèrent si loin de la terre, jamais l’air de nuit ne fut si opaque et si lourd. Je pèse sur ma porte qui résiste…

Elle s’ouvre enfin, son battant claque contre le mur. Et tandis que le pas s’éloigne je déchiffre sur une affiche jaune les lettres noires du mot « Peste ». ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

1. O r a d o u r : le 10 juin 1944, les Allemands massacrent la population entière (642 habitants)d’Oradour-sur-Glane, village de Haute-Vienne.2. Bételgeuse, Vénus, Diane évoquent des astres et constellations.

Te x t e sA — Georges-Emmanuel Clancier [1914], C o n t re - C h a n t s, © Éditions Gallimard, 2001.B — Robert Desnos [1900-1945], « La peste », Contrée, © Éditions Gallimard, 1944.C — Pierre Emmanuel [1916-1984], « Les dents serrées », L’Honneur des poètes ( recueil collectif), © Édi-tions de Minuit, 1943.D — Jean Ta rdieu [1903-1995], « Vous étiez pourtant responsable », Domaine français, © ÉditionsG a l l i m a rd, 1943.

A n n e x ePaul Éluard, présentation de l’ouvrage collectif, L’Honneur des poètes, © Éditions de Minuit, 1943.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 15

Texte C — Pierre Emmanuel, L’Honneur des poètes

Les dents serr é e s

Je hais. Ne me demandez pas ce que je haisIl y a des mondes de mutisme entre les hommesEt le ciel veule 3 sur l’abîme, et le méprisDes morts. Il y a des mots entrechoqués, des lèvres

Sans visage, se parjurant dans les ténèbresIl y a l’air prostitué au mensonge, et la VoixSouillant jusqu’au secret de l’âme

mais il y ale feu sanglant, la soif rageuse d’être libreil y a des millions de sourds les dents serréesil y a le sang qui commence à peine à couleril y a la haine et c’est assez pour espérer.

Texte D — Jean Ta rdieu, Domaine français

Vous étiez pourtant re s p o n s a b l e

Et pendant ce temps-là que faisait le soleil ?— Il dépensait les biens que je lui ai donnés.

Et que faisait la mer? — Imbécile, têtueelle ouvrait et fermait des portes pour personne.

Et les arbres ? — Ils n’avaient plus assez de feuillespour les oiseaux sans voix qui attendaient le jour.

Et les fleuves ? Et les montagnes ? Et les villes?— Je ne sais plus, je ne sais plus, je ne sais plus. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

A n n e x e — Paul Él u a rd, présentationde l’ouvrage collectif, L’Honneur des poètesWhitman 4 animé par son peuple, Hugo appelant aux armes, Rimbaud aspiré par lacommune, Maïakovski 5 exalté, exaltant, c’est vers l’action que les poètes à la vueimmense sont, un jour ou l’autre, entraînés. Leur pouvoir sur les mots étant absolu,leur poésie ne saurait jamais être diminuée par le contact plus ou moins rude dumonde extérieur. La lutte ne peut que leur rendre des forces. Il est temps de redire,de proclamer que les poètes sont des hommes comme les autres, puisque les meilleursd ’ e n t re eux ne cessent de soutenir que tous les hommes sont ou peuvent être àl’échelle du poète.Devant le péril aujourd’hui couru par l’homme, des poètes nous sont venus de tousles points de l’horizon français. Une fois de plus la poésie mise au défi se regroupe,retrouve un sens précis à sa violence latente, crie, accuse, espère.

3. Qui n’a aucune énergie, aucune volonté, lâche.4. Walt Whitman, poète américain du XIXe siècle, souhaite que la poésie exalte l’homme moderne autravail.5. Vladimir Maïakovski, poète russe du début du XXe siècle, a célébré la révolution d’Octobre.

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É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord a la question suivante (6 points) :

Justifiez le rapprochement de ces quatre poèmes (textes A, B, C et D).

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (14 points) :

1. CommentaireVous commenterez le poème de Jean Ta rdieu (texte D) à partir du parcours de lectures u i v a n t :— Vous analyserez précisément l’énonciation en tenant compte du titre.— Vous étudierez la vision de la nature proposée par le poète.

2. DissertationLes auteurs de L’Honneur des poètes ont choisi, dans leur préface, de présenter ainsileur ouvrage : « C’est vers l’action que les poètes à la vue immense sont, un jour oul ’ a u t re, entraînés. » P a rtagez-vous cette conception de la poésie ? Vous org a n i s e re zvotre réponse en vous appuyant nécessairement sur les poèmes du corpus et d’autrespoèmes que vous avez lus ou étudiés.

3. InventionLe poète doit-il intervenir dans le débat politique?Vous rédigez un texte manifeste répondant clairement à cette question. Oui, il doitintervenir ou non, ce n’est pas là son rôle.Votre texte sera une lettre ouverte s’adressant à ceux qui défendent la thèse contraireà celle que vous avez choisi de soutenir.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 17

SÉRIES TECHNOLOGIQUES

Sujet 5Objet d’étude : Convaincre, persuader et délibére r

Texte A — Jean de La Fontaine, F a b l e s

La cigale et la fourm i

La cigale, ayant chantéTout l’été,

Se trouva fort dépourvueQuand la bise fut venue.Pas un seul petit morceauDe mouche ou de vermisseau.Elle alla crier famineChez la fourmi sa voisine,La priant de lui prêterQuelque grain pour subsisterJusqu’à la saison nouvelle.« Je vous paierai, lui dit-elle,Avant l’oût 1, foi d’animal,Intérêt et principal. »La fourmi n’est pas prêteuse ;C’est là son moindre défaut.« Que faisiez-vous au temps chaud?Dit-elle à cette emprunteuse.— Nuit et jour à tout venantJe chantais, ne vous déplaise.— Vous chantiez ? j’en suis fort aise.Eh bien dansez maintenant. »

Texte B — Jean Anouilh, F a b l e s

Av e rtissement hypocrite

Ces fables ne sont que le plaisir d’un été. Je voudrais qu’on les lise aussi vite et aussifacilement que je les ai faites et, si l’on y prend un peu de plaisir — ajouté au mien —il justifiera amplement cette entreprise futile2. Il y a tant de gens dont c’est le gagne-pain de penser, de nos jours, que ce petit livre refermé et oublié, les occasions d’êtreprofond ne vous manqueront certainement pas.

J. A., septembre 1961.

1. oût : août, mois où l’on fait les moissons.2. futile : léger, dépourvu de sérieux, superficiel, sans intérêt.

Te x t e sA — Jean de La Fontaine [1621-1695], « La cigale et la fourmi », Fables, I, 1, 1668.B — Jean Anouilh [1910-1987], « Av e rtissement hypocrite », F a b l e s (1962), © Éditions de La Table ro n d e ,1967.C — Jean Anouilh, « La cigale », Fables (1962), © Éditions de La Table ronde, 1967.D — Italo Svevo [1861-1928], Fables (1954), traduit par Jean-Yves Masson, © Fata Morgana, 2000.

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Texte C — Jean Anouilh, F a b l e s

La cigale

La cigale ayant chantéTout l’été,Dans maints casinos, maintes boîtesSe trouva fort bien pourvueQuand la bise fut venue.Elle en avait à gauche, elle en avait à droite,Dans plusieurs établissements.Restait à assurer un fécond placement.

Elle alla trouver un renard,Spécialisé dans les prêts hypothécairesQui, la voyant entrer l’œil noyé sous le fard,Tout enfantine et minaudière,Crut qu’il tenait la bonne affaire.« Madame, lui dit-il, j’ai le plus grand respectPour votre art et pour les artistes.L’argent, hélas ! n’est qu’un aspectBien trivial 3, je dirais bien triste,Si nous n’en avions tous besoin,De la condition humaine.L’argent réclame des soins.Il ne doit pourtant pas, devenir une gêne.À d’autres qui n’ont pas vos dons de poésieVous qui planez, laissez, laissez le rôle ingratDe gérer vos économies,À trop de bas calculs votre art s’étiolera.Vous perdriez votre génie.Signez donc ce petit blanc-seing 4

Et ne vous occupez de rien. »Souriant avec bonhomie,« Croyez, Madame, ajouta-t-il, je voudrais, moi,Pouvoir, tout comme vous, ne sacrifier qu’aux muses 5 ! »

Il tendait son papier. « Je crois que l’on s’amuse »,Lui dit la cigale, l’œil froid.Le renard, tout sucre et tout miel,Vit un regard d’acier briller sous le rimmel.« Si j’ai frappé à votre porte,Sachant le taux exorbitant que vous prenez,C’est que j’entends que la chose rapporte.Je sais votre taux d’intérêt.C’est le mien. Vous l’augmenterezLégèrement, pour trouver votre bénéfice.J’entends que mon tas d’or grossisse.J’ai un serpent pour avocat.Il passera demain discuter du contrat. »L’œil perdu, ayant vérifié son fard,Drapée avec éléganceDans une cape de renard(Que le renard feignit de ne pas avoir vue),Elle précisa en sortant :« Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement… »

3. trivial: bas, vulgaire.4. blanc-seing : document vide ou incomplet que l’on signe, qui donne donc le pouvoir à son bénéfi-ciaire de le modifier librement.5. sacrifier aux muses : s’adonner à l’art.

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(Ce dernier trait rendit au renard l’espérance.)« Oui, conclut la cigale au sourire charmant,On dit qu’en cas de non-paiementD’une ou l’autre des échéances,C’est eux dont on vend tout le plus facilement. »

Maître Renard qui se croyait cyniqueS’inclina. Mais depuis, il apprend la musique.

Texte D — Italo Svevo, F a b l e sUn héros sauva une fée d’un grave danger. La fée, reconnaissante, lui dit :

« Demande-moi ce que tu veux, tu l’obtiendras. »Sans hésiter, le héros répondit : « Donne-moi la gloire! »La fée lui offrit de l’or : « Avec ceci, il te sera plus facile de te la procurer. »Le héros réfléchit, puis dit : « Eh bien, donne-moi l’amour. »La fée répéta le moindre geste : « Ceci te procurera autant d’amour que tu veux.

— Si gloire et amour sont de l’or, déclara le héros, je ne veux ni gloire ni amour. Leb o nheur paisible me suffirait, la vie contemplative. Garantis-la moi.— Fou que tu es! s’exclama la fée en souriant. Prends cet or, car il en faut même pourla seule contemplation. »

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord aux questions suivantes (6 points) :

— F o rmulez brièvement la « morale » que l’on peut tirer de chacune des fablesc o mposant ce corpus.— Ces « morales » de fables vous paraissent-elles corre s p o n d re à ce qu’on appellecommunément la morale (« c’est-à-dire une théorie de l’action humaine en tantqu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien 6 »).

II. Vous traiterez un de ces trois sujets (14 points) :

1. CommentaireVous ferez un commentaire comparé des textes A et C à partir du parcours de lecturesuivant :— Comparez la progression du récit dans ces deux textes.— Comparez la place que la cigale occupe dans les deux fables et le portrait qui estfait d’elle.

2. DissertationEstimez-vous qu’écrire des fables soit une « e n t reprise futile »? Vous répondrez à cettequestion dans un devoir argumenté et organisé, que vous illustre rez d’exemplese m p runtés à ce corpus, aux textes que vous avez étudiés en classe et à vos lecture sp e rsonnelles.

3. InventionRédigez une fable illustrant une morale contraire à celle du texte d’Italo Svevo (texte D),morale que vous exposerez en conclusion de votre texte. Vous utiliserez le mêmeregistre que Jean Anouilh dans le texte C.

Indication complémentaireVous ferez intervenir à votre choix des êtres humains ou des animaux.

6. Définition du Petit Robert.

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SÉRIES GÉNÉRALES

Sujet 6Objet d’étude : Le biographique

Texte A — François René de Chateaubriand, M é m o i r e sd ’ o u t r e - t o m b e[Le chapitre III du livre premier est daté par l’auteur du 31 décembre 1811.]

La maison qu’habitaient alors mes parents est située dans une rue sombre et étro i t ede Saint-Malo, appelée la rue des Juifs: cette maison est aujourd’hui transformée enauberge. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de laville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend àperte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dansmon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille dumaréchal de Contades. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement desvagues soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchaitd ’ e n t e n d re mes cris : on m’a souvent conté ces détails; leur tristesse ne s’est jamais eff ac é ede ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie enp e nsée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, latempête dont le bruit berça mon premier sommeil, le frère infortuné qui me donnaun nom que j’ai presque toujours traîné dans le malheur. Le Ciel sembla réunir cesdiverses circonstances pour placer dans mon berceau une image de mes destinées.

Texte B — Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions[Jean-Jacques Rousseau est âgé de dix ans quand il est mis en pension chez le pasteurLambercier, à Bossey, près de Genève.]

Près de trente ans se sont passés depuis ma sortie de Bossey sans que je m’en soisrappelé le séjour d’une manière agréable par des souvenirs un peu liés, mais depuisqu’ayant passé l’âge mûr je décline vers la vieillesse, je sens que ces mêmes souvenirsrenaissent tandis que les autres s’effacent, et se gravent dans ma mémoire avec destraits dont le charme et la force augmentent de jour en jour; comme si, sentant déjàla vie qui s’échappe, je cherchais à la ressaisir par ses commencements. Les moindresfaits de ce temps-là me plaisent par cela seul qu’ils sont de ce temps-là. Je me rap-pelle toutes les circonstances des lieux, des personnes, des heures. Je vois la servanteou le valet entrant dans la chambre, une hirondelle entrant par la fenêtre, une mouchese poser sur ma main, tandis que je récitais ma leçon: je vois tout l’arrangement de lac h a m b re où nous étions ; le cabinet de M. Lambercier à main droite, une estampereprésentant tous les papes, un baromètre, un grand calendrier; des framboisiers qui,d’un jardin fort élevé dans lequel la maison s’enfonçait sur le derr i è re, venaient ombra-ger la fenêtre, et passaient quelquefois jusqu’en dedans. Je sais bien que le lecteur n’apas grand besoin de savoir tout cela; mais j’ai besoin, moi, de le lui dire. Que n’osé-

Te x t e sA — François René de Chateaubriand [1768-1848], Mémoires d’outre-tombe, livre premier, chapitre III(manuscrit de 1847).B — Jean-Jacques Rousseau [1712-1778], Les Confessions, livre premier, 1771.C — Georges Perec, [1936-1982], W ou le Souvenir d’enfance, © Denoël, 1975.D — Nathalie Sarraute [1900-1999], Enfance, © Éditions Gallimard, 1995.

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je lui raconter de même toutes les petites anecdotes de cet heureux âge, qui me fonte n c o re tressaillir d’aise quand je me les rappelle. Cinq ou six surtout… composons. Jevous fais grâce des cinq, mais j’en veux une seule ; pourvu qu’on me la laisse conterle plus longuement qu’il me sera possible, pour prolonger mon plaisir.

Texte C — Georges Perec, W ou le Souvenir d’enfanceJ’ai trois souvenirs d’école.Le premier est le plus flou : c’est dans la cave de l’école. Nous nous bousculons.

On nous fait essayer des masques à gaz; les gros yeux de mica, le truc qui pendouillepar-devant, l’odeur écœurante du caoutchouc.

Le second est le plus tenace : je dévale en courant — ce n’est pas exactement enc o u r a n t : à chaque enjambée, je saute une fois sur le pied qui vient de se poser ; c’estune façon de courir à mi-chemin de la course pro p rement dite et du saut à cloche-pied très fréquente chez les enfants, mais je ne lui connais pas de dénomination par-t i c u l i è re —, je dévale donc la rue des Couronnes, tenant à bout de bras un dessin quej’ai fait à l’école (une peinture même) et qui représente un ours brun sur fond ocre. Jesuis ivre de joie. Je crie de toutes mes forces : « Les oursons! Les oursons ! »

Le troisième est, apparemment, le plus organisé. À l’école on nous donnait desbons points. C’étaient des petits carrés de carton jaunes ou rouges sur lesquels il y avaitd ’ é c r i t : 1 point, encadré d’une guirlande. Quand on avait eu un certain nombre debons points dans la semaine, on avait droit à une médaille. J’avais envie d’avoir unemédaille et un jour je l’obtins. La maîtresse l’agrafa sur mon tablier. À la sortie, dansl ’ e s c a l i e r, il y eut une bousculade qui se répercuta de marche en marche et d’enfanten enfant. J’étais au milieu de l’escalier et je fis tomber une petite fille. La maître s s ecrut que je l’avais fait exprès; elle se précipita sur moi et, sans écouter mes protesta-tions, m’arracha ma médaille.

Je me vois dévalant la rue des Couronnes en courant de cette façon part i c u l i è requ’ont les enfants de courir, mais je sens encore physiquement cette poussée dans le dos,cette preuve flagrante de l’injustice, et la sensation cénesthésique 1 de ce déséquilibreimposé par les autres, venu d’au-dessus de moi et retombant sur moi, reste si fort e m e n tinscrite dans mon corps que je me demande si ce souvenir ne masque pas en fait sonexact contraire : non pas le souvenir d’une médaille arrachée, mais celui d’une étoileé p i n g l é e 2.

Texte D — Nathalie Sarraute, E n f a n c e[Enfance se présente comme un dialogue entre Nathalie Sarraute et elle-même.]

Exactement à gauche des marches qui montent vers la large allée conduisant à laplace Médicis, sous la statue d’une reine de France, à côté de l’énorme baquet peinten vert où pousse un oranger… avec devant moi le bassin rond sur lequel voguent lesbateaux, autour duquel tournent les voitures tapissées de velours rouge traînées pardes chèvres… avec tout contre mon dos la tiédeur de sa jambe sous la longue jupe…je n’arrive plus à entendre la voix qu’elle avait en ce temps-là, mais ce qui me revient,c’est cette impression que plus qu’à moi c’est à quelqu’un d’autre qu’elle raconte…sans doute un de ces contes pour enfants qu’elle écrit à la main sur de grandes pagesc o u v e rtes de sa grosse écriture où les lettres ne sont pas reliées entre elles… ou bienest-ce celui qu’elle est en train de composer dans sa tête… les paroles adressées ailleurscoulent… je peux, si je veux, les saisir au passage, je peux les laisser passer, rien n’estexigé de moi, pas de re g a rd cherchant à voir en moi si j’écoute attentivement, si jec o m p rends… Je peux m’abandonner à cette lumière dorée, ces roucoulements, cespépiements, ces tintements de clochettes sur la tête des ânons, des chèvres, ces sonne-ries des cerceaux munis d’un manche que poussent devant eux les petits qui nesavent pas se servir d’un bâton…

1. Sensation organique, due à une impression générale d’aise ou de malaise.2. Allusion à l’étoile jaune que Georges Perec, qui était juif, dut porter pendant l’Occupation.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets22

— Ne te fâche pas, mais ne crois-tu pas que là, avec ces roucoulements, avec cespépiements, tu n’as pas pu t’empêcher de placer un petit morceau de préfabriqué…c’est si tentant… tu as fait un joli petit raccord, tout à fait en accord…

— Oui, je me suis peut-être un peu laissée aller…— Bien sûr, comment résister à tant de charme… à ces jolies sonorités… ro u-

coulements… pépiements…— Bon, tu as raison… mais pour ce qui est des clochettes, des sonnettes, ça non,

je les entends… et aussi des bruits de crécelles, le crépitement des fleurs de celluloïdrouges, roses, mauves, tournant au vent… ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Analysez rapidement le fonctionnement de la mémoire et des souvenirs dans chacunde ces textes.

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez le texte de Chateaubriand (texte A).

2. DissertationSuffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique?Vous répondrez à cette question en un développement composé prenant appui sur lestextes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.

3. InventionVous vous préparez à écrire votre autobiographie. Vous vous interrogez sur vos sou-venirs d’enfance, sur les choix que vous ferez parmi eux, sur les anecdotes que vousraconterez ou passerez sous silence.Comme Nathalie Sarraute, vous dialoguez avec vous-même.

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SÉRIES GÉNÉRALES

Sujet 7Objets d’étude : La poésie

C o n v a i n c re, persuader et délibére r

Texte A — Victor Hugo, Histoire d’un crime[Un enfant de sept ans et demi est tué le 4 décembre 1851 par l’armée. Victor Hugo,qui était présent aux côtés des insurgés, raconte…]

E.P… s’arrêta devant une maison haute et noire. Il poussa une porte d’allée quin’était pas fermée, puis une autre porte, et nous entrâmes dans une salle basse, toutepaisible, éclairée d’une lampe.

Cette chambre semblait attenante à une boutique. Au fond, on entrevoyait deuxlits côte à côte, un grand et un petit. Il y avait au-dessus du petit lit un portrait defemme, et, au-dessus du portrait, un rameau de buis bénit.

La lampe était posée sur une cheminée où brûlait un petit feu.Près de la lampe, sur une chaise, il y avait une vieille femme, penchée, courbée,

pliée en deux, comme cassée, sur une chose qui était dans l’ombre et qu’elle avait dansles bras. Je m’approchai. Ce qu’elle avait dans les bras, c’était un enfant mort.

La pauvre femme sanglotait silencieusement.E.P…, qui était de la maison, lui toucha l’épaule et lui dit :— Laissez voir.La vieille femme leva la tête, et je vis sur ses genoux un petit garçon, pâle, à demi

déshabillé, joli, avec deux trous rouges au front.La vieille femme me re g a rda, mais évidemment elle ne me voyait pas ; elle

m u rmura, se parlant à elle-même :— Et dire qu’il m’appelait bonne maman ce matin!E.P… prit la main de l’enfant, cette main retomba.— Sept ans, me dit-il.Une cuvette était à terre. On avait lavé le visage de l’enfant ; deux filets de sang

s o rtaient des deux trous.Au fond de la chambre, près d’une arm o i re entro u v e rte où l’on apercevait du linge,

se tenait debout une femme d’une quarantaine d’années, grave, pauvre, pro p re, assez belle.— Une voisine, me dit E.P…Il m’expliqua qu’il y avait un médecin dans la maison, que ce médecin était

d e scendu et avait dit : « Rien à faire. »L’enfant avait été frappé de deux balles à la tête en traversant la rue « pour se

sauver ». On l’avait rapporté à sa grand-mère « qui n’avait que lui ».Le portrait de la mère morte était au-dessus du petit lit.

Te x t e sA — Victor Hugo [1802-1885], « La Victoire », Histoire d’un crime, 4, 1851, 1852.B — Victor Hugo, « Souvenir de la nuit du 4 », Les Châtiments, Jersey, 2 décembre 1852.C — Victor Hugo, Lettre à Hetzel, Jersey, 6 février 1853.

A n n e x e s1. Catherine Salles, Le Second Empire, 1 8 5 2 / 1 8 7 0 , coll. «H i s t o i re de France illustrée», n° 12, © LibrairieL a rousse, 1985.2. Guy Rosa, extrait de la chronologie historique, édition des Châtiments, Le Livre de Poche, 1973.

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L’enfant avait les yeux à demi ouverts, et cet inexprimable re g a rd des morts où lap e rception du réel est remplacée par la vision de l’infini. L’aïeule, à travers ses sanglots,parlait par instants : — Si c’est Dieu possible ! — A-t-on idée! — Des brigands, quoi!

Elle s’écria :— C’est donc ça le gouvernement!— Oui, lui dis-je.Nous achevâmes de déshabiller l’enfant. Il avait une toupie dans sa poche. Sa tête

allait et venait d’une épaule à l’autre, je la soutins et je le baisai au front. Versigny etBancel lui ôtèrent ses bas. La grand-mère eut tout à coup un mouvement.

— Ne lui faites pas de mal, dit-elle.Elle prit les deux pieds glacés et blancs dans ses vieilles mains, tâchant de les réchauff e r.Quand le pauvre petit corps fut nu, on songea à l’ensevelir. On tira de l’arm o i re un drap.Alors l’aïeule éclata en pleurs terribles.Elle cria : — Je veux qu’on me le rende.Elle se re d ressa et nous re g a rd a ; elle se mit à dire des choses farouches, où

B o n a p a rte était mêlé, et Dieu, et son petit, et l’école où il allait, et sa fille qu’elleavait perdue, et nous adressant à nous-mêmes des re p roches, livide, hagarde, ayantcomme un songe dans ses yeux, et plus fantôme que l’enfant mort.

Puis elle reprit sa tête dans ses mains, posa ses bras croisés sur son enfant, et seremit à sangloter.

La femme qui était là vint à moi et, sans dire une parole, m’essuya la bouche avecun mouchoir.

J’avais du sang aux lèvres.Que faire, hélas? Nous sortîmes accablés.Il était tout à fait nuit. Bancel et Versigny me quittèrent.

Texte B — Victor Hugo, Les Châtiments[En 1853, Victor Hugo publie Les Châtiments, recueil de poèmes consacré à la dénon-ciation de celui qu’il considère comme un usurpateur.]

L’enfant avait reçu deux balles dans la tête.Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;On voyait un rameau bénit sur un portrait.Une vieille grand-mère était là qui pleurait.Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,Pâle, s’ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;Ses bras pendants semblaient demander des appuis.Il avait dans sa poche une toupie en buis.On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.L’aïeule regarda déshabiller l’enfant,Disant : — Comme il est blanc ! Approchez donc la lampe.Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe! —Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.La nuit était lugubre ; on entendait des coupsDe fusil dans la rue où l’on en tuait d’autres.— Il faut ensevelir l’enfant, dirent les nôtres.Et l’on prit un drap blanc dans l’armoire en noyer.L’aïeule cependant l’approchait du foyerComme pour réchauffer ses membres déjà roides.Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froidesNe se réchauffe plus aux foyers d’ici-bas !Elle pencha la tête et lui tira ses bas,Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.— Est-ce que ce n’est pas une chose qui navre !Cria-t-elle ; monsieur, il n’avait pas huit ans !

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Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,C’est lui qui l’écrivait. Est-ce qu’on va se mettreÀ tuer les enfants maintenant ? Ah! mon Dieu!On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !Dire qu’ils m’ont tué ce pauvre petit être !Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;Cela n’aurait rien fait à monsieur BonaparteDe me tuer au lieu de tuer mon enfant ! —Elle s’interrompit, les sanglots l’étouffant,Puis elle dit, et tous pleuraient près de l’aïeule :— Que vais-je devenir à présent toute seule ?Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd’hui.Hélas ! je n’avais plus de sa mère que lui.Pourquoi l’a-t-on tué? Je veux qu’on me l’explique.L’enfant n’a pas crié vive la République. —Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,Tremblant devant ce deuil qu’on ne console pas.Vous ne compreniez point, mère, la politique.Monsieur Napoléon, c’est son nom authentique,Est pauvre et même prince ; il aime les palais ;Il lui convient d’avoir des chevaux, des valets,De l’argent pour son jeu, sa table, son alcôve,Ses chasses ; par la même occasion, il sauveLa famille, l’église et la société ;Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l’été,Où viendront l’adorer les préfets et les maires ;C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grands-mères,De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Texte C — Victor Hugo, Lettre à Hetzel[Dans cet extrait d’une lettre qu’il écrit en réponse à son éditeur Hetzel — lui-mêmeexilé en Belgique —, Victor Hugo précise le rôle que doit jouer, dans Les Châtiments,l’écriture poétique.]

Ce livre-ci sera violent. Ma poésie est honnête mais pas modérée.J’ajoute que ce n’est pas avec de petits coups qu’on agit sur les masses.

J ’ e ff a roucherai le bourgeois peut-être, qu’est-ce que cela me fait si je réveille le peuple?Enfin n’oubliez pas ceci : je veux avoir un jour le droit d’arrêter les représailles, deme mettre en travers des vengeances, d’empêcher, s’il se peut, le sang de couler, et desauver toutes les têtes, même celle de Louis Bonaparte. Or, ce serait un pauvre titreque des rimes modérées. Dès à présent, comme homme politique, je veux semer dansles cœurs, au milieu de mes paroles indignées, l’idée d’un châtiment autre que le car-nage. Ayez mon but présent à l’esprit : clémence implacable.

Annexe 1 — Catherine Salles, Le Second Empire, 1852/1870Jusqu’en 1860, la France connut un régime autoritaire. Aux pouvoirs considérablesque lui reconnaissait la Constitution de 1852, Napoléon III ajouta de nombre u s e srestrictions des libertés publiques. Le suffrage universel fut limité par d’habilesdécoupages électoraux et par l’instauration de la candidature officielle. Pourp e rmettre aux électeurs de « faire le bon choix », le gouvernement soutenait ouver-tement l’un des candidats, qui recevait l’aide de l’administration locale […].

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La liberté de la presse était profondément compromise. Pour paraître, les journauxdevaient avoir obtenu l’autorisation préalable et étaient contraints de faire figure rdans leurs pages les communiqués du gouvernement. Ce fut surtout le système de« l’avertissement », institué par décret en février 1852 sur l’instigation de Persignyet de Rouher, qui pesa lourdement sur la presse française: un journal qui avait reçuun avertissement du préfet était suspendu pour deux mois et, en cas de récidive,disparaissait définitivement. Un tel système de contraintes permit aux seuls journ a u xg o u v e rnementaux, L e M o n i t e u r et Le Constitutionnel, de paraître régulière m e n t .Malgré leur prudence, Le Siècle et La Pre s s e, de tendances libérales, l’orléanisteJ o u rnal des débats et l’ultramontain U n i v e r s de Louis Veuillot connurent en re v a n c h ede grandes difficultés de publication.Dans le pays entier, une administration toute-puissante limitait les libertés fonda-mentales. Les fonctionnaires, qui devaient prêter serment à la Constitution et à l’em-pereur, pouvaient être révoqués ou rétrogradés par les ministres. La police exerçaitsur tous les citoyens une surveillance rigoureuse, et de simples propos subversifs pou-vaient être passibles d’emprisonnement. Les personnages les plus redoutés étaient lespréfets, qui jouissaient dans leur département de pouvoirs considérables. Véritablesreprésentants de l’empereur dans leur circonscription, ils surveillaient l’opinionpublique, décidaient des élections, dirigeaient la police. Et leur rôle dans la viemondaine n’était pas moins important, car chaque préfecture était tenue de re p ro-duire à l’échelon local la vie brillante de la Cour.

Annexe 2 — Guy Rosa, extrait de la chro n o l o g i ehistorique, édition des C h â t i m e n t s

1 8 5 12 décembre. Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte. Par affiches, le président 1

annonce qu’il dissout l’Assemblée, proclame l’état de siège et rétablit le suffrage univer-sel. Plusieurs députés et les généraux républicains sont arrêtés. Les députés de droite seréunissent à la mairie du Xe a rrondissement, proclament la déchéance de Louis-Napoléon,puis sont arrêtés. Les députés de gauche appellent à la lutte armée et forment un Comitéde résistance clandestin. La police ne trouve pas Victor Hugo à son domicile.3 décembre. Hugo et les autres membres du comité, malgré la passivité évidente dupeuple parisien que l’Assemblée a combattu en juin 1848 et qu’elle n’a cessé de déce-voir, poursuivent la résistance. Le peuple élève quelques barricades. Hugo multiplieles proclamations.4 décembre. S a i n t - A rnaud, commandant, et Magnan, ministre de la Guerre, fontdonner l’assaut aux barricades. Dans l’après-midi, la troupe mitraille la foule despromeneurs et des curieux sur les boulevards Montmartre et Poissonnière. Les exé-cutions sommaires commencent à Paris et dans le reste de la France.11 décembre. Avec le passeport d’un camarade, Lanvin, V. Hugo part pour Bru x e l l e s .14 décembre. V. Hugo commence la rédaction de ce qui sera l ’Histoire d’un crime.21 décembre. Un référendum ratifie le coup d’État.

1 8 5 29 janvier. D é c ret expulsant du terr i t o i re V. Hugo et soixante-cinq autres re p r é s e n t a n t s .17 janvier. V. Hugo écrit qu’il a rencontré Hetzel, éditeur comme lui proscrit. Il songe à« c o n s t ru i re une citadelle d’écrivains et de libraires d’où nous bombard e rons le Bonaparte ».14 juin. V. Hugo abandonne l’Histoire d’un crime.31 juillet. V. Hugo quitte Bruxelles pour Jersey, via Anvers et Londres.22 octobre. La rédaction des C h â t i m e n t s commence, ininterrompue jusqu’en juin 1853.

1 8 5 321 novembre. Publication des Châtiments à Bruxelles.

1. Louis-Napoléon avait été élu en 1849 président de la République.

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É c r i t u re

I. Après avoir lu les textes qui vous sont proposés et pris connaissance desannexes 1 et 2, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Que dénonce Victor Hugo dans les textes A et B? Quel est celui de ces deux textes quivous paraît le plus susceptible d’émouvoir et d’indigner ses lecteurs ? Justifiez votreréponse.

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (16 points) :

1. CommentaireParlant des textes A (Histoire d’un crime) et B (« Souvenir de la nuit du 4 »), le poèteLouis Aragon a aff i rm é : « Je ne crois pas qu’il y ait de leçon de poésie plus valableque la comparaison de ce récit en prose et de ce poème. Il y a mille choses à dire decette prose et de ces vers comparés. »M o n t rez les plus importantes de ces « choses », en comparant et commentant les lignes22 à 46 du récit en prose et les vers 20 à 48 du poème.

2. DissertationDans sa Lettre à Hetzel (texte C), Victor Hugo propose de « réveiller le peuple ». Lespoètes, les écrivains, les artistes en général, vous paraissent-ils pouvoir, mieux qued’autres, remplir cette mission?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui toutà la fois sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe etvos lectures personnelles.

3. InventionVous choisirez un de ces deux sujets :— En 1853, malgré les interdits et la censure, Les Châtiments sont diffusés clandesti-nement en France. Un journaliste du Moniteur écrit et publie un article dans lequel ilattaque, critique et condamne le poème « Souvenir de la nuit du 4 ».Rédigez cet article.— En 1853, malgré les interdits et la censure, Les Châtiments sont diffusés clandesti-nement en France. Après avoir lu le poème « Souvenir de la nuit du 4 », un journ a-liste prend le risque d’écrire et de faire circuler un article dans lequel il salue le couragede Victor Hugo et rend hommage à son talent. Il est convaincu que le combat ainsimené contre Napoléon III sera utile et aboutira.Rédigez cet article.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets28

SÉRIES GÉNÉRALES

Sujet 8Objet d’étude : La poésie

Texte A — Max Jacob, Œuvres burlesques et mystiquesde frère Matorel

Avenue du MaineLes manèges déménagent.

Manèges, ménageries, où ?… et pour quels voyages ?Moi qui suis en ménageDepuis… ah ! il y a bel âge !De vous goûter manèges,Je n’ai plus… que n’ai-je ?…

L’âge.Les manèges déménagent.Ménager managerDe l’avenue du MaineQui ton manège mènePour mener ton ménage !Ménage ton manègeManège ton manège.Manège ton ménageMets des ménagementsAu déménagement.Les manèges déménagent,Ah ! vers quels mirages ?Dites pour quels voyagesLes manèges déménagent.

Texte B — Robert Desnos, Langage cuit

Un jour qu’il faisait nuit

Il s’envola au fond de la rivière.Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.Tout rien.Je la hais d’amour comme tout un chacun.La mort respirait de grandes bouffées de vide.Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.Après cela il descendit au grenier.Les étoiles de midi resplendissaient.Le chasseur revenait, carnassière pleine de poissons

Te x t e sA — Max Jacob [1876-1944], « Avenue du Maine », Œuvres burlesques et mystiques de frère Matorel,© Éditions Gallimard, 1912.B — Robert Desnos [1900-1945], « Un jour qu’il faisait nuit », Langage cuit, © Éditions Gallimard, 1923.C — René de Obaldia [1918], « Le plus beau vers de la langue française », I n n o c e n t i n e s, © Grasset, 1969.D — Raymond Queneau [1903-1976], « Lipogramme en A, en E et en Z », Oulipo, la littérature poten-tielle, © Éditions Gallimard, 1973.

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En attentede l’autorisation

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Sur la rive au milieu de la Seine.Un ver de terre, marque le centre du cercle sur la circonférence.En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.Quand la marche nous eut bien reposés nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.La pluie nous sécha.

Texte C — René de Obaldia, I n n o c e n t i n e s

Le plus beau vers de la langue française

« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »Voici, mes zinfintsSans en avoir l’airLe plus beau versDe la langue française.

Ai, eu, ai, inLe geai gélatineux geignait dans le jasmin…

Le poite aurait pu direTout à son aise :« Le geai volumineux picorait des pois fins »Eh bien ! non, mes infintsLe poite qui a du génieJusque dans son délireD’une main moiteA écrit :

« C’était l’heure divine où, sous le ciel gamin,LE GEAI GÉLATINEUX GEIGNAIT DANS LE JASMIN. »

Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji.Là, le geai est agiPar le génie du poiteDu poite qui s’identifieÀ l’oiseau sorti de son nidSorti de sa ouate.

Quel galop !Quel train dans le soupir !Quel élan souterrain!

Quand vous serez grindsMes zinfintsEt que vous aurez une petite amie anglaiseVous pourrez murmurerÀ son oreille dénaturéeCe vers, le plus beau de la langue françaiseEt qui vient tout droit du gallo-romain :

« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin. »

Admirez commeVoyelles et consonnes sont étroitement liéesLes zunes zappuyant les zuns de leurs zailes.Admirez aussi, mes zinfints,Ces gé à vif,Ces gé sans fin

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Tous ces gé zingénus qui sonnent comme un glas :Le geai géla… « Blaise ! Trois heures de retenueMotif :Tape le rythme avec son soulier froidSur la tête nue de son voisin.Me copierez cent fois :« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin ».

Texte D — Raymond Queneau, Oulipo, la littératurep o t e n t i e l l e

Lipogramme en A, en E et en Z

Ondoyons un poupon, dit Orgon, fils d’Ubu. Bouffons choux, bijoux, poux, puis dumou, du confit, buvons non point un grog: un punch. Il but du vin itou, du rhum, duw h i s k y, du coco, puis il dormit sur un roc. Un bruit du ru couvrit son son. Nous iro n ssous un pont où nous pourrons promouvoir un dodo, dodo du poupon du fils d’Org o nfils d’Ubu. Un condor prit son vol. Un lion riquiqui sortit pour voir un dingo. Un loupfuit. Un opossum court. Où vont-ils? L’ours rompit son cou. Il souffrit. Un lis cro î tsur un mur: voici qu’il couvrit orillons ou goulots du cruchon ou du pot pur stuc. Ubupond son poids d’or. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Ces poèmes jouent avec les mots et avec le langage. Pour chacun d’eux précisez briè-vement (en une ou deux phrases) la règle du jeu adoptée.

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez au choix le poème de Robert Desnos (texte B) ou celui de Renéde Obaldia (texte C).

2. DissertationLa poésie passe-t-elle essentiellement par les jeux avec les mots et le langage?Vous répondrez à cette question en un développement composé, en vous appuyant surles textes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

3. InventionVous choisirez un de ces deux sujets :— Après avoir lu un de ces textes, un lecteur indigné écrit à une revue littéraire pourdénoncer de façon véhémente le scandale que constitue à ses yeux le fait de les publiercomme de la poésie.Vous rédigerez cette lettre.— Après avoir lu un de ces textes, un lecteur enthousiaste écrit à une revue littéraire pourd i re le plaisir qu’il a eu à les découvrir. Pour lui, c’est la vraie poésie qui apparaît là…Vous rédigerez cette lettre.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 31

SÉRIES GÉNÉRALES

Sujet 9Objets d’étude : Le théâtre : texte et représentation

C o n v a i n c re, persuader et délibére r

Texte A — Jean Racine, B é r é n i c e[ L’ a rgument de la pièce pourrait se résumer à cette phrase de Suétone dans La Vi edes douze Césars que Racine cite dans sa préface: « Titus, qui aimait passionnémentBérénice, et qui même, à ce qu’on croyait, lui avait promis de l’épouser, la re n v o y ade Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. »]

ANTIOCHUS

Arrêtons un moment. La pompe de ces lieux,Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.Souvent ce cabinet superbe 1 et solitaireDes secrets de Titus est le dépositaire.C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.De son appartement cette porte est prochaine,Et cette autre conduit dans celui de la reine.Va chez elle : dis-lui qu’importun à regretJ’ose lui demander un entretien secret.

ARSACE

Vous, Seigneur, importun? vous, cet ami fidèleQu’un soin si généreux intéresse pour elle ?Vous, cet Antiochus, son amant autrefois?Vous, que l’Orient compte entre ses plus grands rois?Quoi ! déjà de Titus épouse en espérance,Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance?

ANTIOCHUS

Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d’autres soins,Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.

Texte B — Jean Racine, B é r é n i c eBÉRÉNICE

Non, je n’écoute rien. Me voilà résolue :Je veux partir. Pourquoi vous montrer à ma vue?

1. S u p e r b e : du latin s u p e r b u s, orgueilleux. Sens au X V I Ie : qui est plein de magnificence, donne uneimpression de grandeur.

Textes et document iconographiqueA — Jean Racine [1639-1699], Bérénice, acte I, scène 1.B — Jean Racine, Bérénice, acte V, scène 5 (vers 1303-1347).C — Interview du scénographe et peintre Gilles Aillaud [1928], parue dans Théâtre aujourd’hui, CNDP,1993.D — Document iconographique : photo de la mise en scène de Klaus Michael Grüber à la Comédie-Française, 1986, scénographie de Gilles Aillaud, Théâtre aujourd’hui.

A n n e x eBérénice, liste des personnages.

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets32

Pourquoi venir encore aigrir mon désespoir?N’êtes-vous pas content ? Je ne veux plus vous voir.

TITUS

Mais, de grâce, écoutez.

BÉRÉNICE

Il n’est plus temps.

TITUS

Madame,Un mot.

BÉRÉNICE

Non.

TITUS

Dans quel trouble elle jette mon âme !Ma princesse, d’où vient ce changement soudain?

BÉRÉNICE

C’en est fait. Vous voulez que je parte demain ;Et moi, j’ai résolu de partir tout à l’heure ;Et je pars.

TITUS

Demeurez.

BÉRÉNICE

Ingrat, que je demeure !Et pourquoi ? Pour entendre un peuple injurieuxQui fait de mon malheur retentir tous ces lieux?Ne l’entendez-vous pas, cette cruelle joie,Tandis que dans les pleurs moi seule je me noie?Quel crime, quelle offense a pu les animer ?Hélas ! et qu’ai-je fait que de vous trop aimer?

TITUS

Écoutez-vous, Madame, une foule insensée?

BÉRÉNICE

Je ne vois rien ici dont je ne sois blessée.Tout cet appartement préparé par vos soins,Ces lieux, de mon amour si longtemps les témoins,Qui semblaient pour jamais me répondre du vôtre,Ces festons, où nos noms enlacés l’un dans l’autreÀ mes tristes regards viennent partout s’offrir,Sont autant d’imposteurs que je ne puis souffrir.Allons Phénice.

TITUS

Ô ciel ! que vous êtes injuste !

BÉRÉNICE

Retournez, retournez vers ce sénat augusteQui vient vous applaudir de votre cruauté.Hé bien, avec plaisir l’avez-vous écouté?Êtes-vous pleinement content de votre gloire?Avez-vous bien promis d’oublier ma mémoire ?Mais ce n’est pas assez expier vos amours :Avez-vous bien promis de me haïr toujours ?

TITUS

Non, je n’ai rien promis. Moi, que je vous haïsse !Que je puisse jamais oublier Bérénice !

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Ah! dieux! dans quel moment son injuste rigueurDe ce cruel soupçon vient affliger mon cœur !Connaissez-moi, Madame, et depuis cinq annéesComptez tous les moments et toutes les journéesOù par plus de transports et par plus de soupirsJe vous ai de mon cœur exprimé les désirs :Ce jour surpasse tout. Jamais je le confesse,Vous ne fûtes aimée avec tant de tendresse ;Et jamais…

BÉRÉNICE

Vous m’aimez, vous me le soutenez ;Et cependant je pars, et vous me l’ordonnez !

Texte C — Gilles Aillaud, Théâtre aujourd’hui[C’est en peintre avant tout que Gilles Aillaud a conçu la scénographie 2 de Bérénicemise en scène par Klaus Michael Grüber (Comédie-Française, 1984).]

— Comment avez-vous abordé cette scénographie ?— Au départ, travailler sur B é r é n i c e me faisait très peur. Car je pense que ce n’estpas une pièce à représenter mais à lire. Racine, à mon sens, n’est pas très théâtral etparticulièrement cette œuvre. Pour une question de langage. C’est comme si on vou-lait mettre en scène un poème de Baudelaire. Ce serait quelque peu absurde.— L’élaboration de votre travail s’est-elle faite à partir de références à la représenta-tion classique de la tragédie ?— Non. Absolument pas. Je ne me suis inspiré d’aucune théorie part i c u l i è re et n’aieu recours à aucune référence.— Avez-vous travaillé à partir d’images suggérées par la lecture de la pièce ?Les images ne sont pas venues. Alors, en désespoir de cause, j’ai recréé sur scènel ’ a ppartement habité par Grüber. Un jour, en visite chez lui, j’ai été touché par la dis-position des lieux. Il y avait, d’une part, une cage d’escalier, de l’autre, une grandefenêtre. Tout le décor est parti de là. La cage d’escalier s’est transformée en une cou-pole recouverte de briques, semblable à l’intérieur du Panthéon à Rome. La coupoleavait un aspect opprimant. C’est le coté de Titus, la Rome antique, un univers oppre s s i f .La grande fenêtre avec son appui me faisait penser à celle peinte par Matisse dans sontableau, La Leçon de piano. Je l’ai transposée entourée d’un mur peint en ro u g e ,avec une ouvert u re vert clair. Un rideau transparent remuait car du vent soufflait. Celadonnait une atmosphère plutôt tropicale, orientale. C’est le côté de Bérénice. Le sol,lui, était re c o u v e rt de mosaïques d’inspiration romaine sur un thème plus ou moinsérotique de l’époque de Dioclétien.— C’est donc plus le contexte historique, l’Antiquité qui ont nourri votre imagination?— Oui, l’antique, mais également ce tableau de Matisse qui m’évoquait une sorte degrâce, de laisser-aller plus ou moins féminin. En fait, c’est surtout la volonté dereprésenter une poésie particulière à Racine qui nous a guidés, Grüber et moi.— Et vous avez donc voulu une partie « Ti t u s » plus masculine et une part i e« Bérénice », plus féminine.— Oui j’ai conçu l’espace comme cela. Mais c’est ce que dit le texte au début :« AntiochusArrêtons un moment. La pompe de ces lieux,Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.Souvent ce cabinet superbe et solitaireDes secrets de Titus est le dépositaire.C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.De son appartement cette porte est prochaine,Et cette autre conduit dans celui de la reine. »

2. Scénographie : étude ou conception de l’ensemble des aménagements matériels d’un théâtre.

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— Pourquoi avoir posé une pierre sous la coupole ?— C’était un galet que j’avais trouvé dans la mer en Grèce et que j’ai fait copier par uns c u l p t e u r. Elle sert à meubler le côté « Titus ». Elle représente quelque chose de tombal,de violent, qui empêche. Comme dit Ponge: « La vie est un cœur de pierre . » Et ce cœurde pierre s’opposait au rideau, à la légèreté aérienne de la partie « Bérénice ».— Comment avez-vous travaillé la lumière ?— Pour moi, réaliser un décor ou penser la lumière s’effectuent dans un même élan.En haut de la coupole s’ouvrait un trou par où tombait une lumière verticale, froide.De l’autre côté, une lumière horizontale et chaude traversait l’espace, balayée par uncertain mouvement nonchalant.Car deux univers se heurtaient, celui dur, tranchant de Titus, celui plus flottant deBérénice.— Quelle relation l’espace entretenait-il avec le jeu des acteurs ?Comme toujours chez Grüber, les acteurs ne bougeaient pas beaucoup. Et là, encore moins.C’est une tragédie où tout est immobile, le désastre est accompli. C’est comme un feu déjàéteint mais dans lequel il reste des braises. C’est en définitive peut-être plus le décor queles acteurs qui apportait le mouvement avec la fenêtre ouverte et le rideau qui s’agitait.— Vous sentez-vous davantage peintre que scénographe?Je suis peintre avant tout et ne tiens pas vraiment à faire de la scénographie. Je n’aiaucun principe et aucune formation en ce domaine. D’ailleurs je n’aime pas le termede scénographe. Je préfère celui de responsable visuel.Le problème, au théâtre, c’est qu’on perd un temps énorme. Il faut se plier aux exi-gences d’un travail d’équipe. Et, à la diff é rence de la peinture, l’œuvre réalisée — ledécor — est destinée à être piétinée par la pratique du jeu. Ce travail re s s e m b l ep l utôt à celui d’un architecte : créer un lieu fait pour être parcouru, habité.— P o u rtant de nombreux peintres (à commencer par Picasso) ont collaboré à desmises en scène?C’est vrai, on est tenté de participer à une entreprise dirigée par d’autres. C’estre p osant. Cela casse la solitude de la toile.

Document iconographique D — Photographie de la miseen scène de K. M. Grüber à la Comédie-Française en 1986,scénographie de Gilles Aillaud

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Épreuves anticipées de français. Épreuve écrite – Exemples de sujets 35

Annexe — B é r é n i c e, liste des personnagesTitus, empereur de Rome.Bérénice, reine de Palestine.Antiochus, roi de Comagène.Paulin, confident de Titus.Arsace, confident d’Antiochus.Phénice, confidente de Bérénice.Rutile, Romain.Suite de Titus.

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord aux questions suivantes (4 points) :

— Quelles indications concernant l’espace scénique de B é r é n i c e vous donnent les deuxtextes de Racine (textes A et B) ?— En prenant appui sur la photographie et sur l’interview de Gilles Aillaud, présen-tez brièvement les choix du scénographe.

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez l’extrait de la scène 5 de l’acte V de Bérénice (texte B).

2. DissertationGilles Aillaud affirme qu’il est des pièces qui ne sont pas à « représenter mais à lire ».Vous réfléchirez sur ce propos en vous aidant du corpus mis à votre disposition, desœuvres que vous avez étudiées en classe et de votre expérience de spectateur.

3. InventionUn lecteur réagit au travail de Gilles Aillaud et adresse son texte au courrier des lec-teurs de T h é â t re aujourd ’ h u i. Il pourra exprimer son admiration, son ironie ou sonindignation.Vous rédigez ce courrier.

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SÉRIES GÉNÉRALES

Sujet 10Objet d’étude : Le biographique

Texte A — Michel Leiris, L’Âge d’homme ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

[L’Âge d’homme est une autobiographie rédigée par Michel Leiris.]

Je viens d’avoir trente-quatre ans, la moitié de la vie. Au physique, je suis de taillemoyenne, plutôt petit. J’ai des cheveux châtains coupés court afin d’éviter qu’ils ondu-lent, par crainte aussi que ne se développe une calvitie menaçante. Autant que je puisseen juger, les traits caractéristiques de ma physionomie sont : une nuque très dro i t e ,tombant verticalement comme une muraille ou une falaise, marque classique (si l’onen croit les astrologues) des personnes nées sous le signe du taure a u; un front déve-loppé, plutôt bossué, aux veines temporales exagérément noueuses et saillantes. Cetteampleur de front est en rapport (selon le dire des astrologues) avec le signe du bélier ;et en effet je suis né un 20 avril, donc aux confins de ces deux signes: le bélier et letaureau. Mes yeux sont bruns, avec le bord des paupières habituellement enflammé ;mon teint est coloré ; j’ai honte d’une fâcheuse tendance aux rougeurs et à la peauluisante. Mes mains sont maigres, assez velues, avec des veines très dessinées ; mesdeux majeurs, incurvés vers le bout, doivent dénoter quelque chose d’assez faible,d ’ a ssez fuyant dans mon caractère.

Ma tête est plutôt grosse pour mon corps; j’ai les jambes un peu courtes par rapportà mon torse, les épaules trop étroites relativement aux hanches. Je marche le haut ducorps incliné en avant ; j’ai tendance, lorsque je suis assis, à me tenir le dos voûté; mapoitrine n’est pas très large et je n’ai guère de muscles. J’aime à me vêtir avec le maxi-mum d’élégance; pourtant, à cause des défauts que je viens de relever dans ma stru c t u reet de mes moyens qui, sans que je puisse me dire pauvre, sont plutôt limités, je me juged ’ o rd i n a i re profondément inélégant : j’ai horreur de me voir à l’improviste dans uneglace car, faute de m’y être préparé, je me trouve à chaque fois d’une laideur humiliante.

Texte B — François de La Rochefoucauld, Recueil des portraits et éloges

Je suis d’une taille médiocre, libre et bien pro p o rtionnée. J’ai le teint brun maisassez uni, le front élevé et d’une raisonnable grandeur, les yeux noirs, petits et enfon-cés, et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serais fort empêché à dire dequelle sorte j’ai le nez fait, car il n’est ni camus ni aquilin, ni gros, ni pointu, aumoins à ce que je crois. Tout ce que je sais, c’est qu’il est plutôt grand que petit, et qu’ildescend un peu trop bas. J’ai la bouche grande, et les lèvres assez rouges d’ordinaire,et ni bien ni mal taillées. J’ai les dents blanches, et passablement bien rangées. On m’adit autrefois que j’avais un peu trop de menton: je viens de me tâter et de me re g a rd e rdans le miroir pour savoir ce qui en est, et je ne sais pas trop bien qu’en juger. Pour letour du visage, je l’ai ou carré ou en ovale; lequel des deux, il me serait fort difficilede le dire. J’ai les cheveux noirs, naturellement frisés, et avec cela assez épais et assezlongs pour pouvoir prétendre en belle tête. J’ai quelque chose de chagrin et de fier dansla mine ; cela fait cro i re à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le

Textes et document iconographiqueA — Michel Leiris [1901-1990], L’Âge d’homme, © Éditions Gallimard, 1939.B — François de La Rochefoucauld [1613-1680], Recueil des portraits et éloges, 1659.C — Denis Diderot [1713-1784], Salon de 1767.D — Document iconographique. Louis-Michel Van Loo [1707-1771], Denis Diderot, écrivain, 1767,Le Louvre.

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sois point du tout. J’ai l’action fort aisée, et même un peu trop, et jusques à faire beau-coup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au-dehors,et l’on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus n’est pas fort éloignéde ce qui en est. J’en userai avec la même fidélité dans ce qui me reste à faire de monp o rt r a i t ; car je me suis assez étudié pour me bien connaître, et je ne manque nid ’ a ssurance pour dire librement ce que je puis avoir de bonnes qualités, ni de sincé-rité pour avouer franchement ce que j’ai de défauts.

Texte C — Denis Diderot, Salon de 1767[ D i d e rot lui-même fait la description du tableau de Van Loo dans ses écrits de critique d’art . ]

Moi. J’aime Michel, mais j’aime encore mieux la vérité. Assez re s s e m b l a n t ; trèsv i v a n t ; c’est sa douceur, avec sa vivacité ; mais trop jeune, tête trop petite, joli commeune femme, lorgnant, souriant, mignard, faisant le petit bec, la bouche en cœur ; etpuis un luxe de vêtement à ruiner le pauvre littérateur, si le receveur de la capitation vientl’imposer sur sa robe de chambre. L’ é c r i t o i re, les livres, les accessoires aussi bien qu’ilest possible, quand on a voulu la couleur brillante et qu’on veut être harm o n i e u x .Pétillant de près, vigoureux de loin, surtout les chairs. Du reste, de belles mains bienmodelées, excepté la gauche qui n’est pas dessinée. On le voit de face; il a la tête nue;son toupet gris, avec sa mignardise, lui donne l’air d’une vieille coquette qui fait encorel ’ a i m a b l e ; la position d’un secrétaire d’État et non d’un philosophe. La fausseté dup remier mouvement a influé sur tout le reste. C’est cette folle de madame Van Loo quivenait jaser avec lui, tandis qu’on le peignait, qui lui a donné cet air-là et qui a tout gâté.[…] Il fallait le laisser seul et l’abandonner à sa rêverie. Alors sa bouche se serait entro u-v e rte, ses re g a rds distraits se seraient portés au loin, le travail de sa tête fort e m e n toccupée se serait peint sur son visage, et Michel eût fait une belle chose. Mon joli phi-losophe, vous me serez un témoignage précieux de l’amitié d’un artiste, excellent art i s t e ,plus excellent homme. Mais que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à com-

p a rer mes tristes ouvrages avec ceriant, mignon, efféminé, vieuxc o q u e t - l à! Mes enfants, je vous pré-viens que ce n’est pas moi. J’avais enune journée cent physionomiesdiverses, selon la chose dont j’étaisa ffecté. J’étais serein, triste, rêveur,t e n d re, violent, passionné, enthou-s i a s t e ; mais je ne fus jamais tel quevous me voyez là. J’avais un grandf ront, des yeux très vifs, d’assezgrands traits, la tête tout à fait duc a r a c t è re d’un ancien orateur, unebonhomie qui touchait de bien prèsà la bêtise, à la rusticité des ancienst e m p s .

D — Documenticonographique —Denis Diderot, écrivain,Louis-Michel Van Loo,1 7 6 7 ,huile sur toile,Le Louvre

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É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord a la question suivante (4 points) :

En quoi le texte de Diderot (texte C) diffère-t-il des deux autres? En quoi cependantpeut-il en être rapproché?

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets, au choix (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez le texte de La Rochefoucauld (texte B).

2. DissertationEn prenant appui sur le corpus proposé, sur les œuvres que vous avez étudiées au coursde l’année et sur vos lectures personnelles, vous réfléchirez à l’intérêt et aux diff i c u l t é squ’il peut y avoir à se peindre soi-même.Vous présenterez vos réflexions en un développement ordonné.

3. InventionLe peintre Van Loo défend son œuvre et tente de démontrer à Diderot que seule lap e i n t u re permet de tracer un véritable portrait. L’écrivain estime quant à lui queseule l’écriture permet d’atteindre ce but. Vous présenterez ce débat sous la forme d’undialogue entre le peintre et l’écrivain et donnerez le dernier mot à l’interlocuteur devotre choix.

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SÉRIE LITTÉRAIRE

Sujet 11Objet d’étude : Les réécriture s

[Marguerite Gautier est une courtisane, c’est-à-dire une prostituée de luxe, souffrantde la tuberculose et menant une vie frénétique et festive. Le jeune Armand Duval,a m o u reux d’elle, la rejoint dans une chambre où elle s’est réfugiée au milieu d’une fête,prise d’un nouvel accès de sa maladie.]

Texte A — Alexandre Dumas fils, La Dame aux caméliasScène IXMA R G U E R I T E, seule, essayant de re p re n d re sa respiration — Ah!… [Elle se re g a rd edans la glace.] Comme je suis pâle!… Ah !…Elle met sa tête dans ses mains et appuie ses coudes sur la cheminée.

Scène XMarguerite, ArmandARMAND, rentrant — Eh bien, comment allez-vous, madame?MA R G U E R I T E — Vous, monsieur Arm a n d! Merci, je vais mieux… D’ailleurs, je suisaccoutumée…AR M A N D — Vous vous tuez ! Je voudrais être votre ami, votre parent, pour vous empê-cher de vous faire mal ainsi.MARGUERITE — Ah! vous êtes bien bon! Regardez les autres, s’ils s’occupent de moi.ARMAND — Les autres ne vous aiment pas comme je vous aime.MARGUERITE — C’est juste ; j’avais oublié ce grand amour.ARMAND — Vous en riez ?MARGUERITE — Dieu m’en garde! j’entends tous les jours la même chose; je n’en risplus.ARMAND — Soit ; mais cet amour vaut bien une promesse de votre part.MARGUERITE — Laquelle ?ARMAND — Celle de vous soigner.MARGUERITE — Me soigner ! Est-ce possible?ARMAND — Pourquoi pas ?MA R G U E R I T E — Mais, si je me soignais, je mourrais, mon cher. Ce qui me soutient,c’est la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner, c’est bon pour les femmes du mondequi ont une famille et des amis; mais, nous, dès que nous ne pouvons plus servir auplaisir ou à la vanité de personne, on nous abandonne, et les longues soirées succè-dent aux longs jours ; je le sais bien, allez ; j’ai été deux mois dans mon lit : au boutde trois semaines, personne ne venait plus me voir.ARMAND — Il est vrai que je ne vous suis rien, mais, si vous le vouliez, Marguerite, jevous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas et je vous guérirais. Alors,quand vous en auriez la force, vous re p rendriez la vie que vous menez, si bon voussemble ; mais, j’en suis sûr, vous aimeriez mieux alors une existence tranquille.

Te x t e sA — Alexandre Dumas fils [1824-1895], La Dame aux camélias, drame, extrait de l’acte I, scènes 9 et 10,1852.B — René de Ceccatty, « Le temps du rêve », avertissement de l’auteur à sa version théâtrale moderniséede La Dame aux camélias, 2000.C — René de Ceccatty, La Dame aux camélias, adaptation théâtrale modernisée du texte d’AlexandreDumas fils, extrait du tableau VI, © Éditions du Seuil, 2000.

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MARGUERITE — Vous avez le vin triste.ARMAND — Vous n’avez donc pas de cœur, Marguerite ?MARGUERITE — Le cœur! C’est la seule chose qui fasse faire naufrage dans la traver-sée que je fais. [Un temps.] C’est donc sérieux?ARMAND — Très sérieuxMA R G U E R I T E — Prudence ne m’a pas trompée, alors, quand elle m’a dit que vous étiezsentimental. Ainsi, vous me soigneriez ?ARMAND — Oui !MARGUERITE — Vous resteriez tous les jours auprès de moi ?ARMAND — Tout le temps que je ne vous ennuierais pas.MARGUERITE — Et vous appelez cela ?ARMAND — Du dévouement.MARGUERITE — Et d’où vient ce dévouement?ARMAND — D’une sympathie irrésistible que j’ai pour vous.MARGUERITE — Depuis ?AR M A N D — Depuis deux ans, depuis un jour où je vous ai vue passer devant moi, belle,fière, souriante. Depuis ce jour, j’ai suivi de loin et silencieusement votre existence.MARGUERITE — Comment se fait-il que vous me disiez cela aujourd’hui.ARMAND — Je ne vous connaissais pas, Marguerite.MARGUERITE — Il fallait faire connaissance. Pourquoi, lorsque j’ai été malade et quevous êtes si assidûment venu savoir de mes nouvelles, n’avez-vous pas monté ici ?ARMAND — De quel droit aurais-je monté chez vous?MARGUERITE — Est-ce qu’on se gêne avec une femme comme moi?ARMAND — On se gêne toujours avec une femme… Et puis…MARGUERITE — Et puis?ARMAND — J’avais peur de l’influence que vous pouviez prendre sur ma vie.MARGUERITE — Ainsi vous êtes amoureux de moi !AR M A N D, la re g a rdant et la voyant rire — Si je dois vous le dire, ce n’est pas aujourd ’ h u i .MARGUERITE — Ne le dites jamais.

Texte B — René de Ceccatty, « Le temps du rêve »Si on lit la pièce de Dumas, on peut percevoir tout ce qui fait l’artifice du théâtre

de la seconde moitié du XIXe siècle. […]L’expression des sentiments, la mise en place des personnages, l’évolution drama-

tique n’ont rien de réaliste, mais usent d’un langage naturaliste et emphatique, mêmesi, au jugement de tous, la pièce paraissait communiquer une émotion immédiate.

A l e x a n d re Dumas fils était embarrassé pour représenter sur scène des situations quipouvaient passer pour scabreuses, puisqu’il y était question de la vénalité, de la doublevie des notables, de la respectabilité et de la déchéance. Il avait donc pris un cert a i nn o m b re de précautions oratoires qui se manifestaient dans des discours puritains. […]

Le théâtre n’est plus reçu comme il l’était au X I Xe siècle. Nous avons désorm a i sd’innombrables points de comparaison. La narration peut y être moins rigide, lerythme plus fluide, les ellipses y sont admises. Il y a, dans mon adaptation, uneinfluence du temps cinématographique. Mais c’est surtout le temps de la remémora-tion, le temps intérieur, le temps du rêve que j’ai voulu re t rouver et que la mise en scènepeut permettre aux comédiens d’incarner.

Texte C — René de Ceccatty, La Dame aux caméliasMA R G U E R I T E — Je suis fatiguée. Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Ne prenez pascette mine dramatique. Je ne suis pas morte. Restez. Je suis rassurée de vous savoirprès de moi. Je suis seule sans l’être en vous sachant là. Vous êtes pâle. Avez-vous lamême maladie que moi ?ARMAND — Je voudrais être malade à votre place. Est-ce que vous souffrez ?MARGUERITE — Très peu. J’y suis habituée.ARMAND — À mener cette vie, vous vous tuez.

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MARGUERITE, se voyant dans un miroir — Comme je suis pâle! Vous avez raison. Jeme tue. Et alors ? [Il reste muet.] Vous êtes un enfant. Écoutez, je ne dors pas. Il fautbien que je me distraie.ARMAND — Mais avec un… Rodolphe de Nevers… avec un duc de Bassano…MARGUERITE — Avec le premier je m’ennuie et le second me poursuit de sa jalousie.ARMAND — C’est donc une piètre distraction.MARGUERITE — Aussi n’est-ce pas avec eux que j’entends me divertir.ARMAND — Êtes-vous sûre d’avoir besoin de divertissement?MA R G U E R I T E — De quoi d’autre ? D’amour ? J’en connais l’apparence, ce n’est déjàpas si mal.ARMAND — L’apparence? C’est-à-dire ?MARGUERITE — Séduire, changer.ARMAND — Jouir ?MARGUERITE — Vous me posez la question sur un ton qui condamne le mot. Commevous êtes chaste.ARMAND — Qui vous l’assure?MA R G U E R I T E — Vo t re re g a rd. Vo t re voix. Vo t re sérieux. Vous avez une maître s s e ?Laissez-moi deviner. J’imagine une petite bourgeoise fort tendre et fort sentimentale.Qui serait bien malheureuse de vous voir ici, près de moi, à cette heure. Qui vousattend peut-être.ARMAND — J’avais pour maîtresse une femme comme vous la décrivez.MA R G U E R I T E — Et après ? Car je comprends qu’il y a un après, puisqu’il y a un avant.ARMAND — Ses lettres mélancoliques me faisaient sourire.MA R G U E R I T E — Vo u s ? Vous êtes capable de cette dure t é ? La dureté qui fait sourirede l’amour qu’on suscite ?ARMAND — Je comprends le mal que je lui ai fait, par celui que j’éprouve, quand…MA R G U E R I T E — Quand? Vous ne voulez pas poursuivre ? Il vaut mieux me laissermaintenant. Ne vous occupez pas de moi. Cela ne vaut pas la peine. Voyez si les autre sse soucient de moi. Ils savent bien qu’il n’y a rien à faire. [Il reste muet, immobile.]Vous ne partez pas ? Une fille comme moi, vous savez, une de plus ou de moins…ARMAND — Que disent les médecins?MARGUERITE — Que le sang que je crache n’est pas bon.ARMAND — Soignez-vous.MA R G U E R I T E — Pourq u o i ? Pour qui ? On se soigne quand on a des amis à qui l’onveut épargner la douleur de sa perte.

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

À partir de deux exemples précis confrontant les textes A et C, et en vous appuyantsur le texte B, vous expliquerez dans quelle perspective René de Ceccatty a choisid’infléchir l’œuvre d’Alexandre Dumas fils.

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez l’adaptation de René de Ceccatty de La Dame aux camélias (texte C).

2. DissertationC o m p renez-vous qu’un écrivain puisse choisir de réécrire ce que lui ou d’autres ontdéjà écrit ?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur lestextes proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.

3. InventionVous pro p o s e rez à votre tour une réécriture du texte d’Alexandre Dumas fils (texte A).Au lieu de prétendre restituer le pouvoir d’émotion de ce texte à des spectateursm o d e rnes, vous insisterez sur ses possibles défauts, dans une perspective paro d i q u erendant la scène ridicule.

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SÉRIE LITTÉRAIRE

Sujet 12Objet d’étude : L’ é p i s t o l a i re

Texte A — Guilleragues, Lettres portugaises[En 1669 parut à Paris un livre anonyme intitulé L e t t res port u g a i s e s consistant en cinql e t t res d’amour adressées par une religieuse du Portugal, Marianne, à un gentilhommefrançais passionnément aimé et qui l’a abandonnée. On crut d’abord à l’authenticitédes lettres mais très vite le bruit circula que cette correspondance était inventée, œuvrel i t t é r a i re due à la plume de Guilleragues. Les cinq lettres se présentent comme unmonologue, les réponses du destinataire étant absentes.]

[…] Il y a longtemps qu’un officier attend votre lettre ; j’avais résolu de l’écrired’une manière à vous la faire recevoir sans dégoût : mais elle est trop extravagante,il faut la finir. Hélas ! il n’est pas en mon pouvoir de m’y résoudre, il me semble queje vous parle, quand je vous écris, et que vous m’êtes un peu plus présent. La pre-m i è re ne sera pas si longue, ni si importune, vous pourrez l’ouvrir et la lire sur l’as-surance que je vous donne ; il est vrai que je ne dois point vous parler d’une passionqui vous déplaît, et je ne vous en parlerai plus. Il y aura un an dans peu de jours queje m’abandonnai toute à vous sans ménagement : votre passion me paraissait forta rdente et fort sincère, et je n’eusse jamais pensé que mes faveurs vous eussent assezrebuté pour vous obliger à faire cinq cents lieues, et à vous exposer à des naufragespour vous en éloigner ; personne ne m’était redevable d’un pareil traitement : vouspouvez vous souvenir de ma pudeur, de ma confusion et de mon désord re, maisvous ne vous souvenez pas de ce qui vous engagerait à m’aimer malgré vous. L’ o ff i c i e rqui doit vous porter cette lettre me mande pour la quatrième fois qu’il veut part i r ;qu’il est pre s s a n t ! il abandonne sans doute quelque malheureuse en ce pays. Adieu,j’ai plus de peine à finir ma lettre, que vous n’en avez eu à me quitter, peut-être ,pour toujours. Adieu, je n’ose vous donner mille noms de tendresse, ni m’abandon-ner sans contrainte à tous mes mouvements : je vous aime mille fois plus que ma vie,et mille fois plus que je ne pense ; que vous m’êtes cher ! et que vous m’êtes cru e l !Vous ne m’écrivez point, je n’ai pu m’empêcher de vous dire encore cela ; je vaisre c o m m e n c e r, et l’officier part i r a ; qu’importe qu’il parte, j’écris plus pour moi quepour vous, je ne cherche qu’à me soulager, aussi bien la longueur de ma lettre vousfera peur, vous ne la lirez point ; qu’est-ce que j’ai fait pour être si malheure u s e ? Etp o u rquoi avez-vous empoisonné ma vie ? Que ne suis-je née en un autre pays? Adieu,p a rd o n n e z - m o i ! je n’ose plus vous prier de m’aimer ; voyez où mon destin m’ar é d u i t e ! Adieu.

Texte B — Madame de Sévigné, Lettre à madamede Grignan[Les pre m i è res lettres de Mme de Sévigné à sa fille, Mme de Grignan, furent écrites en1671 à l’occasion de la séparation qui suivit le mariage de sa fille partie re j o i n d reson mari, lieutenant général de Provence.]

Te x t e sA — Guilleragues [1628-1685], Lettres portugaises, quatrième lettre, 1669.B — Madame de Sévigné [1626-1696], Correspondance, 5 octobre 1673.C — Voltaire [1694-1778], Correspondance, 18 décembre 1752.

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À Montélimar, jeudi 5 octobre [1673]

Voici un terrible jour, ma chère fille; je vous avoue que je n’en puis plus. Je vousai quittée dans un état qui augmente ma douleur. Je songe à tous les pas que vous faiteset à tous ceux que je fais, et combien il s’en faut qu’en marchant toujours de cettes o rte, nous puissions jamais nous re n c o n t re r. Mon cœur est en repos quand il estauprès de vous; c’est son état naturel, et le seul qui peut lui plaire. Ce qui s’est passéce matin me donne une douleur sensible, et me fait un déchirement dont votre philo-sophie sait les raisons; je les ai senties et les sentirai longtemps. J’ai le cœur et l’ima-gination tout remplis de vous. Je n’y puis penser sans pleure r, et j’y pense toujours,de sorte que l’état où je suis n’est pas une chose soutenable; comme il est extrême, j’es-p è re qu’il ne durera pas dans cette violence. Je vous cherche toujours, et je tro u v eque tout me manque, parce que vous me manquez. Mes yeux qui vous ont tant ren-contrée depuis quatorze mois ne vous trouvent plus. Le temps agréable qui est passérend celui-ci douloureux, jusqu’à ce que j’y sois un peu accoutumée. Mais ce ne serajamais assez pour ne pas souhaiter ardemment de vous revoir et de vous embrasser. Jene dois pas espérer mieux de l’avenir que du passé. Je sais ce que votre absence m’afait souffrir; je serai encore plus à plaindre, parce que je me suis fait imprudemmentune habitude nécessaire de vous voir.

Il me semble que je ne vous ai point assez embrassée en part a n t ; qu’avais-je àménager? Je ne vous ai point assez dit combien je suis contente de votre tendresse. Jene vous ai point assez recommandée à M. de Grignan. Je ne l’ai point assez remerciéde toutes ses politesses et de toute l’amitié qu’il a pour moi. J’en attendrai les eff e t ssur tous les chapitre s ; il y en a où il a plus d’intérêt que moi, quoique j’en sois plustouchée que lui. Je suis déjà dévorée de curiosité ; je n’espère de consolation que devos lettres, qui me feront encore bien soupirer. En un mot, ma fille, je ne vis que pourvous. Dieu me fasse la grâce de l’aimer quelque jour comme je vous aime ! […]

Adieu, ma chère enfant, aimez-moi toujours : hélas ! nous revoilà dans les lettre s .A s s u rez Monsieur l’Archevêque de mon respect très tendre, et embrassez le coadjuteur;je vous recommande à lui. Nous avons encore dîné à vos dépens. Voilà M. de Saint-Geniez qui vient me consoler. Ma fille, plaignez-moi de vous avoir quittée.

Texte C — Vo l t a i re, Lettre à madame Denis[Les lettres de Vo l t a i re adressées à sa nièce, Mme Denis, constituent un documentsur la désillusion du philosophe à Berlin, conséquence de la dégradation progressivede ses relations avec son hôte Frédéric II, roi de Prusse, qui avait invité Voltaire à sacour pour contribuer à la diffusion des Lumières.]

À Berlin, le 18 décembre 1752

Comme je n’ai pas dans ce monde-ci cent cinquante mille moustaches à mon ser-vice, je ne prétends point du tout faire la guerre. Je ne songe qu’à déserter honnête-ment, à prendre soin de ma santé, à vous revoir, à oublier ce rêve de trois années.

Je vois bien qu’on a pressé l’orange ; il faut penser à sauver l’écorce. Je vais mefaire, pour mon instruction, un petit dictionnaire à l’usage des rois.

Mon ami signifie mon esclave.Mon cher ami veut dire vous m’êtes plus qu’indifférent.Entendez par: je vous rendrai heureux, je vous souffrirai tant que j’aurai besoin

de vous.Soupez avec moi ce soir signifie je me moquerai de vous ce soir.Le dictionnaire peut être long ; c’est un article à mettre dans l’Encyclopédie.Sérieusement, cela serre le cœur. Tout ce que j’ai vu est-il possible ? Se plaire à

mettre mal ensemble ceux qui vivent ensemble avec lui! Dire à un homme les chosesles plus tendres, et écrire contre lui des brochures, et quelles brochures !

Arracher un homme à sa patrie par les promesses les plus sacrées, et le maltrait e ravec la malice la plus noire ! que de contrastes ! Et c’est là l’homme qui m’écrivait tant

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de choses philosophiques, et que j’ai cru philosophe ! et je l’ai appelé le S a l o m o ndu Nord !

Vous vous souvenez cette belle lettre qui ne vous a jamais rassurée. Vous êtes phi-l o s o p h e, disait-il : je le suis de même. Ma foi, Sire, nous ne le sommes ni l’un ni l’autre .

Ma chère enfant, je ne me croirai tel que quand je serai avec mes pénates et avecvous. L’embarras est de sortir d’ici […].

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord aux questions suivantes (4 points) :

— Analysez la place qui est dévolue au destinataire dans chacune de ces lettres ?— Quel est d’après vous l’enjeu de chaque lettre ?

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez le texte de Mme de Sévigné (texte B).

2. DissertationDans le texte A, Guilleragues fait dire à Marianne: « J’écris plus pour moi que pourvous. » En quoi cette formule surprenante vous paraît-elle pouvoir s’appliquer augenre épistolaire, envisagé dans sa diversité? Vous prendrez appui sur les textes pro-posés dans le corpus, les textes étudiés en classe et vos lectures personnelles.

3. InventionLa fille de Mme de Sévigné s’empresse de répondre à la lettre de sa mère afin d’atté-nuer la douleur de la séparation en cherchant à la persuader des mérites de l’échangeépistolaire. Vous rédigerez cette lettre.

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SÉRIE LITTÉRAIRE

Sujet 13Objets d’étude : L’ é p i s t o l a i re

La poésie

[En septembre 1914, Apollinaire fait connaissance à Nice de Louise de Coligny-Châtillon, qu’il appellera Lou.Engagé volontaire, il est affecté à Nîmes, le 6 décembre, au 38e régiment d’art i l l e r i ede campagne. En janvier et février 1915, il entretient avec elle une corre s p o n d a n c erégulière.Apollinaire meurt en 1918; certaines de ces lettres — les poèmes — sont publiées en1947 sous le titre : Ombres de mon amour puis en 1959 sous le titre Poèmes à Lou.L’ensemble de cette correspondance est publié en 1990 sous le titre : Lettres à Lou.]

Texte A — Guillaume Apollinaire, Lettres à LouNîmes, le 18 janvier 1915

[…]Maintenant, je te prie de ne plus me chiner 1 sur le métier de poète. Je sais bienque c’est gentiment mais c’est une habitude que tu prendrais facilement. D’abordê t re poète ne prouve pas que l’on ne puisse faire autre chose. Beaucoup de poètesont été autre chose et fort bien — (je t’écris à la cantine — excuse ce papier, Louchéri —). D’autre part, le métier de poète n’est pas inutile, ni fou, ni frivole. Lespoètes sont les créateurs, (poète vient du grec et signifie en effet créateur et poésiesignifie création) — Rien ne vient donc sur terre, n’apparaît aux yeux des hommess’il n’a d’abord été imaginé par un poète. L’amour même, c’est la poésie nature l l ede la vie, l’instinct naturel qui nous pousse à créer de la vie, à re p ro d u i re. Je te discela pour te montrer que je n’exerce pas le métier de poète simplement pour avoirl’air de faire quelque chose et de ne rien faire en réalité. Je sais que ceux qui sel i v rent au travail de la poésie font quelque chose d’essentiel, de primordial, den é c e s s a i re avant toute chose, quelque chose enfin de divin. Je parle de ceux qui,péniblement, amoureusement, génialement, peu à peu peuvent exprimer une chosenouvelle et meurent dans l’amour qui les inspirait. Voilà, Lou, encore une lettret rop longue, si tu la lis, bien, sinon je me vengerai en poète, c’est-à-dire divinementet tu sais que la vengeance est le plaisir des dieux. Je t’aime mon Lou, mais je suisfâché que dans tes lettres de maintenant tu sembles moins fortement à moi, cesemble, qu’il y a quelques jours. Mais je suis content tout de même en prévisionde la perm i s s i o n .

Je t’aime, Amour.

Gui. ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

1. Chiner quelqu’un : se moquer avec gentillesse de quelqu’un.

Te x t e sA — Guillaume Apollinaire [1880-1918], « L e t t re du 18 janvier 1915 » (extrait), L e t t res à Lou,coll. « L’Imaginaire », © Éditions Gallimard, 1990.B — Guillaume Apollinaire, « L e t t re du 19 janvier 1915 », L e t t res à Lou, coll. « L’ I m a g i n a i re », © ÉditionsGallimard, 1990.C — Guillaume Apollinaire, « Adieu ! », L e t t res à Lou, coll. « L’ I m a g i n a i re », © Éditions Gallimard, 1990.

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Texte B — Guillaume Apollinaire, Lettres à Lou19 janvier 1915

Ma chérie,Je tâcherai de partir vendredi à 8 h. pour arriver à Nice s a m e d i matin à six heure s .Donc couche au P. L . M . 2 la nuit du vendredi au samedi — sous mon nom, puis si je nesuis pas arrivé le matin sois à la gare à midi, puis en te renseignant sur l’heure juste,sois aux autres trains si je ne suis pas arrivé à midi.Donc, sois à la gare à midi si je ne suis pas arrivé par le train du matin, mais ne soispas à ce train du matin, reste couchée au P.L.M.Je vais t’écrire encore tout à l’heure à la cantine.Télégraphie une seconde fois pour que je sache si t’as compris cette lettre et surtout re ç u e .

Ton Gui. […]

Texte C — Guillaume Apollinaire, Lettres à LouA d i e u !

’amour est libre il n’est jamais soumis au sortLou le mien est plus fort encor que la mortn cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord

ettres Envoie aussi des lettres ma chérien aime en recevoir dans notre artilleriene par jour au moins une au moins je t’en prie

entement la nuit noire est tombée à présentn va rentrer après avoir acquis du zan3

ne deux trois À toi ma vie À toi mon sang

a nuit mon cœur la nuit est très douce et très blondeLou le ciel est pur aujourd’hui comme une onden cœur le mien te suit jusques au bout du monde

’heure est venue Adieu l’heure de ton départn va rentrer Il est neuf heures moins le quartne deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard

4 fév. 1915 ( w w w. g a l l i m a rd . f r )

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Quelle est la fonction essentielle de chacune de ces trois lettres?

II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets (16 points) :

1. CommentaireVous commenterez le poème d’Apollinaire : « Adieu ! » (texte C).

2. DissertationEst-il légitime, selon vous, de re n d re public l’ensemble des lettres rédigées par uné c r ivain, qu’elles aient été conçues ou non par lui comme objets littéraires?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textesqui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

3. InventionPoursuivant sa réflexion sur le « métier de poète » (texte A), Guillaume Apollinaireexplique à Lou pourquoi il écrit des poèmes pour elle, dans une caserne, parm id’autres soldats, en attendant de partir pour la guerre. Vous rédigerez cette lettre.

2. P.L.M. : la compagnie ferroviaire Paris-Lyon-Méditerrannée assurait le transport des voyageurs etleur hébergement dans ses hôtels.3. zan : confiserie à base de réglisse.

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SÉRIE LITTÉRAIRE

Sujet 14Objets d’étude : C o n v a i n c re, persuader et délibérer

La poésie

[Le poète suisse Philippe Jaccottet a choisi ici la forme du dialogue pour présenter sonesthétique et sa vision du monde.]

L’A U T R E — Il est vrai, je me demande parfois s’il est juste d’aimer les arbres commevous le faites, et si vous ne vous égarez pas.

L’U N — Il n’y a qu’une chose dont je me soucie vraiment : le réel. Presque toute notre vieest insensée, presque toute elle n’est qu’agitation et sueur de fantômes. S’il n’y avait ce« p resque », avec ce qu’il signifie, nous pourrions aussi bien nous avilir ou désespére r.

L’AUTRE — Je parlais de votre amour des arbres.

L’U N — Il n’est pas séparable de ce que j’ai dit. Venez que je vous en montre quelques-uns qui parleront mieux que moi. Ce sont des peupliers et quelques saules; il y a uner i v i è re auprès pour les nourr i r, et une étendue d’herbe déjà, bien que nous soyonsencore en mars. C’est en ce mois que, dans les forêts qui avoisinent Paris, j’ai ressentipour la pre m i è re fois peut-être à les voir une impression obscure et profonde, et main-tenant je la retrouve ici, où il n’y a plus guère de forêts, et presque point d’eau.

L’AUTRE — Je ne vois rien de si étrange pourtant.

L’UN — Il n’y a jamais rien de « si étrange » dans ce qui me fascine et me confond. Jepuis même dire en très peu de mots, et des plus simples, ce que nous avons sous lesy e u x: la lumière éclairant les troncs et les branchages nus de quelques arbres. Pourt a n t ,quand je vis cela naguère, et maintenant que je la revois avec vous, je ne puis m’em-pêcher de m’arr ê t e r, d’écouter parler en moi une voix sourde, qui n’est pas celle detous les jours, qui est plus embarrassée, plus hésitante et néanmoins plus forte. Si jela comprends bien, elle dit que le monde n’est pas ce que nous croyons qu’il est. Écou-t e z - m o i : nous parlons d’ord i n a i re avec une voix de fantôme, et souvent, dans lemoment même que nous parlons, nous souff rons déjà d’avoir été si prompts et siv a i n s ; car nous avons le sentiment que chaque mot dit après le fantôme est dit en pureperte, et même qu’il ajoute encore à l’irréalité de notre monde; tandis que cette voix-ci, avec son incertitude qui s’élève sans que rien ne l’étaie de l’extérieur et s’aventuresans prudence hors de notre bouche, on dirait qu’elle est moins mensongère, bienqu’elle puisse tromper davantage ; on dirait surtout qu’elle ranime le monde, qu’à tra-vers elle il prend de la consistance. C’est une voix, semble-t-il (et qui en serait sûr? )qui parle de choses réelles, qui nous oriente vers le réel.

L’A U T R E — Attendez. Il n’est pas aisé de vous suivre, et vous paraissez avoir oublié ces arbre s .

L’UN — Quelle relation y a-t-il en effet de ces arbres à la naissance de cette voix? Lesmots dont je me suis servi il y a un instant pour les décrire, vous avez compris commemoi qu’ils étaient loin de traduire ma fascination, et qu’ils relevaient encore, précisé-ment, du langage de fantôme. Prenez donc patience, écoutez-moi quelques instants deplus; si j’essaie devant vous de corriger et de nourrir ce langage spectral, même si jen’aboutis pas à la voix profonde, peut-être aurons-nous fait en chemin quelque décou-verte propre à nous intéresser tous deux.

Te x t ePhilippe Jaccottet [1925], La Promenade sous les arbres, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, Suisse.

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L’AUTRE — Je feindrai donc d’avoir assez de loisir pour écouter.

L’U N — Dire comme je l’ai fait, à la légère, que ces arbres étaient nus, nous égaredéjà vers des souvenirs ou des rêves qui ne sont pas de saison; ces arbres sont beaux,mais d’une beauté d’arbre. Ce que nous voyons d’eux, simplement, c’est le bois, encoresans feuilles; sentez-vous que ce seul mot déjà, loin de nous égarer, nous aide à péné-t rer dans l’intimité de ce moment ? Quand nous considérons ces troncs nus et cesbranches, ou plutôt qu’ils nous sautent ainsi aux yeux, tout à coup, avec la brusque-rie et la fraîcheur de ce qu’un coup de projecteur illumine et révèle, c’est du bois quenous voyons; et sans que nous le sachions clairement, je crois qu’au fond de nous esttouchée notre relation intime avec la matière essentielle à notre vie et presque constam-ment présente en elle; et, sans que nous le sachions, encore une fois, ce sont plusieursétats du bois qui apparaissent en nous dans la mémoire, créant par leur diversité unespace et un temps pro f o n d s : ce peut être le tas de bois bûché devant la maison,c ’ e s t - à - d i re l’hiver, le froid et le chaud, le bonheur menacé et préserv é ; les meublesdans la chambre éclairés par les heures du jour ; des jouets même, très anciens, uneb a rque peut-être ; l’épaisseur d’un tel mot est inépuisable ; mais nous n’en sentonsmaintenant que l’épaisseur, et non pas les couches diverses dont je viens d’imaginerq u e l q u e s - u n e s ; nous ne sommes donc pas dispersés, mais nous avons le sentimentd’avoir posé le pied sur de profondes assises.

L’A U T R E — Ce n’est pas sans un rien de vraisemblance, et toutefois, je suis plein de doutes…

L’U N — Poursuivons quand même nos erreurs. Car l’essentiel n’est pas ce que j’ap-pellerai maintenant le « bois de mars » (et je devrais, pour être plus complet, vousp a rler aussi de ce mois poignant) ; mais bien, une fois de plus dans ma vie de fantôme,la lumière qui le touche.Cette lumière, la plus commune des lumières de printemps, n’en a pas moins quelquechose de surprenant: merveilleuse, et presque un peu effrayante, dure et cruelle. Ellen’a rien des feux du soir, ni des cuivres de l’automne (cette boutique de chaudro n n i e r ) ;plutôt serait-elle un peu froide dans sa fragilité, comme quelque chose qui commenceet, par timidité, se raidit. Considérez que nous ne pensons pas au soleil en la voyant,et que nous ne l’avons pas cherc h é ; car on dirait, vous ne le nierez pas, qu’elle estp l utôt la lumière même du bois, et que ce sont les arbres qui les éclairent…

L’A U T R E — J’espère que vous êtes conscient de l’extrême subjectivité de vos re m a rq u e s ,et que tout cela contredit gravement la vérité.

É c r i t u re

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

En vous appuyant sur l’étude des interventions de « L’ a u t re », vous direz ce qu’apport ela forme dialoguée à la présentation des idées du poète.

II. Vous traiterez ensuite un de ces sujets (16 points) :

1. CommentaireVous ferez un commentaire composé du texte depuis « Attendez… » jusqu’à «… profondes assises » (lignes 30 à 56).

2. DissertationAttendez-vous de la poésie qu’elle nous rapproche ou qu’elle nous libère de la réalité?Vous tenterez de répondre à cette question en tenant compte des idées exprimées dansle texte ci-dessus, mais aussi en faisant appel aux œuvres poétiques étudiées dansl ’ a nnée et à vos lectures personnelles.

3. Invention« L’épaisseur d’un tel mot est inépuisable. » À votre tour, vous rédigerez un dialogue danslequel deux personnages choisissent un mot et s’eff o rcent d’expliquer ce que PhilippeJacottet appelle son « épaisseur ».

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Ministère de l’éducation nationale – Direction de l’enseignement scolaire – EAF 2002 – Annales zéro : commentaires et éléments de corrigés – page 1

Nouvelle épreuve anticipée de français

Annales zéro :commentaires et éléments de corrigé

Texte de présentation

14 sujets, constituant des "annales" pour l'épreuve écrite des EAF, ont été mis en ligne surle site Eduscol le 25 octobre 2001 et sont actuellement consultables sur celui du CNDP(www.cndp.fr). Une « version papier » a paru à la mi-décembre (CNDP, collection "Lycée", série"Accompagnement des programmes").

Les compléments qui suivent ne constituent pas des corrigés des sujets proposés. Ilsdonnent des éléments de réponses, des commentaires, des explicitations. Aussi, prennent-ilsdes formes variées : développement de problématiques, justification de corpus, de libellé, pistesou plans de corrigé, énoncé de critères d’évaluation. Il situent toujours les sujets par rapport auprogramme, et en particulier par rapport aux objets d’étude de la classe de première.

Présentation d'ensembleComme il est précisé en avertissement de leur publication, ces sujets « doivent être

considérés comme des exemples et non comme des modèles ». Ils indiquent des orientations,proposent des ouvertures susceptibles de suggérer aux professeurs des pistes pour élaborerleurs propres sujets de devoirs.

Ils fixent aussi une « maquette » de sujet EAF respectant l’ordre suivant : objet(s) d’étudevisé(s) ; annonce du corpus de textes ; textes ; éventuelles annexes ; énoncé de la ou desquestions ; sujet de commentaire ; sujet de dissertation ; sujet d’invention.

L’ensemble des 14 sujets s’efforce de respecter un certain nombre de contraintes etd’équilibres :- Il explore quasiment toutes les possibilités de constitution de corpus : groupement de

textes, groupement de textes et d’image, groupement de textes avec annexes, texte long.Seule l’œuvre intégrale brève n’est pas représentée.

- Il illustre tous les objets d’étude et cinq sujets croisent deux objets d’étude. Seul l’objetd’étude intitulé « Mouvement littéraire et culturel » n’apparaît pas. Relevant du choix desprofesseurs ou des équipes pédagogiques, il ne saurait faire, à l’écrit, l’objet d’uneévaluation.

- Il respecte l’équilibre entre les séries (5 exemples de sujets spécifiques pour les sériestechnologiques, 4 pour les séries littéraires, 5 pour les séries générales).

- Il allie textes connus et textes moins consacrés, textes « classiques » et textescontemporains (2 sont datés de 2001), textes d’un abord aisé et textes plus difficiles (Sujet14 : Jaccottet).

- Il s’ouvre à l’image et au texte argumentatif non littéraire.- Il présente une large gamme de sujets d’invention, couvrant toutes les possibilités offertes

par le texte officiel de définition des épreuves : essai, dialogue, discours, lettre, scènethéâtrale, réécriture…

Avant de lire les propositions rédigées pour chacun des 14 sujets, chacun gagnera àprendre connaissance des points généraux suivants.

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La ou les questionsElle(s) porte(nt) sur la totalité du corpus et donc impose(nt) qu’il soit lu en totalité par les

candidats.Tous les sujets sont pourvus d’une question (séries générales) ou de deux questions (séries

technologiques). Certaines questions peuvent se subdiviser en deux sous-questions, de façon àguider les candidats.

Les exemples de réponses que nous proposons vont au-delà de ce qui est exigible descandidats et chacun comprendra qu’on ne saurait attendre de lycéens les mêmes réponses.Aussi indiquons-nous chaque fois ce qu’il paraît raisonnable d’attendre des élèves.

Dans tous les cas, la réponse à ces questions (évaluée sur 4 points ou 6 points selon lesséries) ne saurait être une simple formalité. Elle doit être rédigée, argumentée, étayée par desobservations et références précises.

Les sujets d'écritureQuelles que soient leurs formes, les sujets d’écriture appellent des candidats des

compétences analogues : lecture interprétative des textes du corpus, respect des consignes,mobilisation de connaissances acquises pendant l’année sur les objets d’étude, organisationd’un développement, manifestation d’une culture littéraire, maîtrise de l’expression…

Chacun de ces trois sujets, envisagé séparément, impose en outre la maîtrise decompétences spécifiques.

CommentairePour les séries technologiquesLe libellé du commentaire pour les séries technologiques prend la forme de deux (voire trois)

questions qui orientent et balisent un « parcours de lecture ». Le commentaire attendu est doncconstitué par le développement des deux ou trois pistes suggérées par le libellé.

Elles s’articulent en effet entre elles et permettent le développement d’une réflexionorganisée. De ce fait, il n’est pas nécessaire d’exiger du candidat la rédaction de transitions,d’une introduction et d’une conclusion canoniques. En revanche, on valorisera les productionsqui auront su marquer une réelle cohérence du propos.

Pour les séries généralesLe commentaire peut prendre des formes d’organisation variées1 : plan en deux ou trois

parties, ou élaboration plus souple d’un mouvement qui épouse la construction du sens. Le

1On soulignera qu'il n'y a là aucune nouveauté.En 1972, la définition suivante de l'épreuve était proposée :« Plusieurs modes d’organisation sont évidemment possibles. Le commentaire peut se

présenter comme un compte rendu qui classe dans un ordre expressif les centres d’intérêt de lalecture. Il peut s’attacher à caractériser le texte en allant du plus extérieur au plus intime et desobservations les plus simples aux impressions les plus personnelles. Il peut reconstruire lesétapes successives de la lecture et de la découverte. Il peut encore, selon la nature du texte,s’inspirer de ses structures mêmes et de sa composition, s’organiser d’après les effets qui s’ydéveloppent.Seule est exclue une démarche juxtalinéaire qui ferait se succéder sans lien entre elles et sansperspectives des remarques ponctuelles et discontinues. Un lecture vraie se construit et nesaurait consister en une poussière de remarques". (circulaire 72-455 du 23 novembre 1972).

Cette définition est intégralement reprise par le BO n°27 du 7 juillet 1983 et on la retrouvepour l'essentiel dans le BO spécial n°10 du 28 juillet 1984 :

"Plusieurs types de présentation sont possibles selon la nature du texte. Le candidat peutpar exemple s'attacher à caractériser le texte en allant de l'observation à l'interprétation. Il peutreconstruire les étapes successives de la lecture et de la découverte. Il peut encore s'inspirerdes structures mêmes du texte et de sa composition ou organiser son commentaire d'après leseffets qui s'y développent.

Seule est exclue une présentation qui distinguerait artificiellement entre le fond et la forme,ou bien encore qui ferait se succéder au fil du texte, sans lien entre elles et sans perspectives,des remarques ponctuelles et discontinues. Un commentaire ne saurait consister en unepoussière de remarques."

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lecteur trouvera des exemples diversifiés de ces approches. Quelle que soit l’organisationadoptée par le candidat, on peut recenser pour cet exercice les critères d’évaluation suivants :- compréhension des niveaux essentiels du texte ;- interprétation fondée sur une observation méthodique ;- mobilisation, pour éclairer le texte, des connaissances liées à l’objet d’étude ;- principe d’organisation cohérent ;- lisibilité, correction de l’expression et de l’orthographe.

Les sujets introduisent deux éléments qui ouvrent plus largement l’exercice ducommentaire :- le commentaire comparé de deux textes ;- la longueur du texte à commenter. Celui ci peut dépasser la norme des 15 à 25 lignes fixée

antérieurement et atteindre une ou deux pages, en particulier dans le cas du texte théâtral.

DissertationOn rappellera les critères généraux qui s’appliquent à la dissertation :

- compréhension du sujet et de sa problématique ;- exploitation du corpus ;- connaissance de l’objet d’étude et de ses enjeux ;- mobilisation pertinente des textes ou des œuvres lus et étudiés ;- argumentation et organisation du propos ;- lisibilité, correction de l’expression et de l’orthographe.

InventionL’écriture d’invention prend également appui sur un ou des textes du corpus : l’exercice

impose donc une lecture approfondie de ces textes.Les sujets d’invention proposent en effet un certain nombre de contraintes. Le candidat doit

rédiger un texte qui obéisse à une situation de communication où il se voit imposer :- un énonciateur (scripteur) dont on précise le plus souvent quelques caractéristiques (il aime

ou il n’aime pas la poésie ; il partage tel point de vue ; il est enthousiaste ou indigné) ;- un destinataire souvent identifié ;- un support et/ou une forme liée à un genre : article de journal, journal intime, lettre de

lecteur, lettre intime, scène d’exposition, dialogue…;- un objet ou thème de réflexion, lié à l’objet d’étude ;- un effet à produire (persuader, amuser, informer…).

Toutes ces indications ne sont pas données explicitement dans le même libellé. Mais uncroisement de trois de ces exigences est facilement repérable dans tous les libellés quiinstaurent donc une écriture « sous contrainte ». On valorisera cependant les productions, qui,tout en intégrant l’observance de la forme requise, manifestent des qualités d’inventivité (desidées et/ou de l’expression) et de créativité : par exemple le pittoresque d’un personnage, lemouvement d’une scène, la vivacité d’une réplique, l’expression d’une émotion, etc.

Quelques sujets d’invention laissent le choix au candidat d’adopter une position ou laposition contraire. Cette possibilité d’effectuer un choix paraît conforme à une conceptionouverte de l’écriture d’invention.

Les critères d’évaluation sont intimement liés au libellé du sujet. On peut cependantrecenser quelques critères généraux :- le respect des contraintes imposées par le sujet ;- l’utilisation pertinente d’un ou de plusieurs textes du corpus ;- la connaissance de l’objet d’étude et de ses enjeux ainsi que des genres et registres, et

l’exploitation pertinente des lectures antérieures ;- la manifestation de compétences qui relèvent de l’amplification, de l’approfondissement, du

prolongement ou du réinvestissement du texte support ;- la richesse du vocabulaire, la lisibilité et la correction de l’expression et de l’orthographe.

RemarqueLes commentaires proposés sur chacun des 14 sujets croisent le plus souvent :

- une analyse des réponses ou des exercices d’écriture attendus ; - des remarques qui explicitent des approches, nuancent, expliquent des choix.

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Sujet 1 - Séries technologiquesObjets d’étude : le théâtre : texte et représentation ; convaincre, persuader et délibérer

TextesA. Marivaux (1688-1763), La Colonie, scène 13, 1750, Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F.B. Beaumarchais (1732-1799), Le Mariage de Figaro, Acte III, scène 16, 1784, Editions Garnier-Flammarion.

A. Présentation du sujetLe sujet retenu présente la particularité d’inscrire le travail au croisement de deux objets

d’étude, « Le théâtre, texte et représentation » et « Convaincre, persuader, délibérer ». Ilpropose en effet à l'élève d'étudier le théâtre comme lieu d’enjeux politiques et sociaux, commeune tribune ouverte sur les débats de société. Il permet donc d'aborder la dimensionargumentative, voire polémique du dialogue théâtral, mais aussi de réfléchir sur les différentesformes que peut revêtir l'argumentation, et particulièrement sur la spécificité du théâtre : le lienentre texte et représentation n'est pas absent de cette problématique. En outre, les textes ducorpus présentent une riche palette de registres : le correcteur pourra ainsi évaluer lescapacités de l'élève à les identifier mais aussi et surtout à en comprendre l'enjeu, à enapprécier les procédés et à les mettre en rapport avec le jeu de l'acteur.

Le texte de Marivaux s’inscrit dans une tradition antique - l’émergence d’une consciencepolitique féminine déjà présente dans Lysistrata d’Aristophane - mais surtout dans un thème àla mode au XVIIIème siècle : l’émancipation des femmes et des filles. Nous retrouvons ainsicertains thèmes de l’Ile des esclaves et de l’Ile de la raison, thèmes ardemment débattus dansle salon de Mme de Lambert que fréquentait Marivaux.

L’extrait de la pièce de Beaumarchais inscrit la revendication féminine dans un contexteéconomique préindustriel, celui de la révolution artisanale qui, par l’émergence desmanufactures, privait les femmes de métiers traditionnellement féminins exécutés dans lescampagnes.

Le sujet offre donc une réflexion qui allie dans un registre mi-comique mi-sérieux desinquiétudes, des ressentiments, des revendications destinés à affirmer les « droits desfemmes » d’une part dans l’univers anhistorique de l’utopie, d’autre part dans un enracinementéconomico-social préindustriel.

B. QuestionReformulez les principaux arguments d'Arthénice, de Madame Sorbin et de Marceline.

La question appelle un travail de repérage et de reformulation qui pousse l’élève à entrerdans la stratégie argumentative de trois personnages ; ce faisant il découvre la place, la natureet la forme des principaux arguments, travail qui lui permettra de mieux cerner la deuxièmepiste du commentaire (« Cette scène a été en partie censurée lors de sa création en 1784.Analysez quels éléments du texte ont pu entraîner cette interdiction » ), la problématiquecentrale de la dissertation (« Le théâtre est-il selon vous une bonne tribune possible pourdéfendre des idées ? » ) et la composante majeure du texte de Beaumarchais, point d’appuipour mener à bien l’écriture d’invention (« Ecrivez une courte scène théâtrale dans laquelle uneMarceline moderne intervient devant un auditoire masculin hostile pour réclamer une insertionde plus en plus réelle des femmes dans la société » ).

Proposition de corrigéArthénice

- Les femmes ont le droit de participer à la vie publique, à la vie de la cité.- Les femmes n’ont pas moins de courage que les hommes mais elles ne bénéficient pas

d’un apprentissage aux métiers de la guerre.- Les femmes jouissent de toutes les aptitudes nécessaires pour confectionner les lois.- La justice se montre inégalitaire envers les femmes en favorisant les hommes.

Madame Sorbin- Les femmes ont des capacités équivalentes, sinon supérieures à celles des hommes (par

exemple dans le maniement de la parole) pour exercer les fonctions de la justice,notamment celle d’avocat.

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Marceline- Les hommes exploitent la détresse des femmes de condition sociale modeste, maintenues

dans l’ignorance et la pauvreté.- Les femmes pauvres ne sont pas responsables de leurs fautes car les hommes ne leur

laissent pas le choix.- La justice se montre inique en sanctionnant des femmes victimes de la place inférieure qui

leur est donnée par la société.- Les hommes sont coupables d’accaparer les métiers traditionnellement réservés aux

femmes.- Les hommes méprisent et oppriment les femmes, quelle que soit leur condition sociale.

C. CommentaireVous commenterez l’extrait du Mariage de Figaro à partir du parcours de lecture suivant :- Montrez que le texte relève du genre de la comédie.- Cette scène a été en partie censurée lors de sa création en 1784. Analysez quels éléments du texte ont pu entraîner cette interdiction.

Le texte retenu utilise le théâtre comme une tribune. On comprend que ce passage,prononcé à une époque et dans une société ouvertement inégalitaires, ait suscité la censure.

Les axes directeurs sont donnés par le libellé du sujet.Le présent travail ne propose que quelques pistes destinées à organiser l’étude.

Proposition de corrigéI. Un texte qui relève du genre de la comédieLa comédie est définie par les personnages, les questions en jeu, les registres.

1. On attend qu'un élève définisse les personnages de la comédie.Ils appartiennent à l'univers quotidien (un père, une mère, un médecin au contraire des

personnages de la tragédie qui appartiennent à l'univers des grands. L'élève trouve dans letexte les indices lui permettant de prouver que les personnages appartiennent bien à l'universde la comédie.2. Les questions en jeu dans la comédie relèvent de la vie quotidienne

(ici, l'éducation des filles).3. La comédie est définie par les registres comique et satirique :

a. Registre comique :- Comique de situation : une scène de reconnaissance - mettant en scène un coup de

théâtre - entre un enfant trouvé et ses parents ; comique de la déception de Figaro.- Comique de langage : traits d’esprit (« Est-ce que la nature ne te l’a pas dit mille fois ?

jamais » « on serait tenu d’épouser tout le monde »), noms ridicules (Brid’oison), répétitions demots, anaphores, expressions en écho (« ni moi non plus/ni vous » ; « épouser tout le monde »/ « personne n’épouserait personne » ; « Elle a raison !/ que trop raison ! ») ; vivacité du rythmepar la brièveté des répliques (gaieté, énergie du jeu théâtral).

b. Registre satirique :Satire de la justice à travers le personnage ridicule de Brid’oison dont les répliques

expriment des évidences de manière burlesque. Satire renforcée par le discours de Marcelinequi met en cause les « magistrats, si vains du droit de nous juger ».(Ce qui mène à la secondepartie).

On valorisera les élèves qui prendront en compte la question de la représentation dans lamise en œuvre d'effets comiques.

II. Un texte polémique, ce qui explique la censure1. Le réquisitoire de Marceline contre les hommes et une société discriminatoire.

- Violence polémique de Marceline qui se traduit par le nombre important des exclamativeset un vocabulaire dépréciatif à l’égard des hommes («séducteurs », « ingrats », « nous faithorreur »), l’hyperbole et l’apostrophe (« Hommes plus qu’ingrats »), la gradation dans lesdidascalies (« s’échauffant par degrés », « vivement », « exaltée »).

- Marceline accuse les hommes d’être les oppresseurs et les bourreaux des femmes,responsables de leurs misères et de leurs égarements.2. Le plaidoyer pour les femmes : l'utilisation du pathétique.

Beaumarchais utilise des images propres à frapper les esprits (effet de scandale).- La situation misérable des femmes perceptible dans le champ lexical du malheur :

« déplorable », « la misère », « infortunées », « malheureuses », « servitude ».

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- Les métaphores pathétiques hyperboliques : « la misère nous poignarde », « qui flétrissezpar le mépris les jouets de vos passions ».

- Les antithèses frappantes : « traitées en mineures pour nos biens, en majeures pour nosfautes ».

Les femmes sont présentées victimes de l’égoïsme et du cynisme des hommes, victimesd’une société et d’une justice inégalitaires qui les privent de tout droit, de tout pouvoir et d’unlégitime emploi.

On pourra valoriser les élèves qui dégagent la contradiction entre le genre de la comédie etle registre pathétique.3. Un texte audacieux et engagé.

Le texte a été censuré dans la mesure où il remet en cause l'ordre social.- Marceline semble le porte-parole des idées de Beaumarchais sur la condition inégalitaire et

injuste des femmes au XVIIIème siècle. Pamphlet féministe.- Texte audacieux également par ses attaques contre la justice.

D. DissertationLe théâtre est-il selon vous une bonne tribune possible pour défendre des idées ?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui tout à la fois sur les textes qui vous sont proposés, ceux quevous avez étudiés en classe, vos lectures personnelles et votre expérience de spectateur.

Proposition de corrigéL'élève peut par exemple adopter une organisation selon le mouvement concessif :

« certes…, mais… ».I. Le théâtre est un phénomène social, un art public et collectif qui se prête au débat d’idées.

1. Le dialogue théâtral se prête au débat d’idées.Importance du dialogue argumentatif, forme vivante, héritière du dialogue philosophique.Analyse des scènes du corpus.Les élèves peuvent faire allusion aux scènes argumentatives chez Molière où chaque

personnage défend sa thèse.2. La double énonciation théâtrale.

Les idées s'incarnent dans des personnages.Le texte théâtral est principalement constitué de dialogues, mais les personnages

s’adressent autant, sinon davantage, au public qu’aux autres protagonistes. Le public estinterpellé, sommé de juger les situations, les discours et les comportements. Par exemple, àtravers Marceline, Beaumarchais interpelle ses contemporains.3. L’action théâtrale repose sur le conflit et la crise.

Les conflits et les crises mis en scène reflètent les conflits et les crises de la société. Parexemple, le conflit entre le héros aristocrate et le pouvoir royal dans le théâtre de Corneille ; ouencore les conflits entre le maître et le valet de Molière à Hugo (Ruy Blas) sans oublier,naturellement, le théâtre de Beaumarchais.

II. Le théâtre est une tribune efficace mais risquée.1. Le théâtre permet de dénoncer les injustices sociales.

Marceline et la question des femmes.Le monologue de Figaro qui pose le problème des privilèges de la naissance.

2. Le théâtre permet de poser des problèmes politiques.Le théâtre d’Aimé Césaire qui dénonce le colonialisme ou celui de Genet.Les Mains sales de Sartre qui montre les contradictions du parti communiste.Tartuffe de Molière qui dénonce le pouvoir de la compagnie du Saint Sacrement.

3. Le théâtre s’expose à le censure et au malentendu.Censure contre Molière, Genet.Interprétations diverses de l’Antigone d’Anouilh ; le dramaturge est-il pour Créon ou

Antigone ? Ne commet-on pas des erreurs en faisant d’un seul personnage le porte-parole deson auteur ?

Conclusion Le théâtre est un miroir de la société, un porte-parole des idées de l’auteur dont il est

cependant difficile parfois de déceler les intentions. L’auteur s’exprime à travers plusieurspersonnages, il pose des questions sans forcément y répondre. Peut-on penser que le théâtre,

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par les débats qu’il propose, est un art particulièrement propice à l’éveil d’une consciencecitoyenne ?

NB. Les exemples sont donnés à titre totalement indicatif. L'élève doit s'appuyer sur saculture et éventuellement sur sa propre expérience du théâtre. On attend essentiellement del'élève une argumentation qui repose sur la spécificité du genre théâtral. Dans la deuxièmepartie, on admettra que l'élève considère le théâtre comme un genre divertissant et donc peupropice à l'engagement.

E. InventionEcrivez une courte scène théâtrale dans laquelle une Marceline moderne intervient devant un auditoire masculin hostile pour réclamer uneinsertion de plus en plus réelle des femmes dans la société.Indications complémentaires :- Le dialogue théâtral fera alterner courtes tirades et échange de répliques. Vous pourrez donner des indications de mise en scène ou de jeud'acteur (didascalies).- Vous imaginerez librement la situation dans laquelle se trouve placée cette Marceline contemporaine (cadre, interlocuteurs).

Critères d’évaluationLe sujet d’invention s’inscrit dans la logique des textes retenus et se situe explicitement au

croisement des deux objets d’étude ; c’est la raison pour laquelle le professeur portera, dansson évaluation, une attention toute particulière aux trois éléments qui constituent la particularitédu sujet :- la forme dialoguée et la présence de didascalies, modalités textuelles caractéristiques de

l’écriture théâtrale ;- la dimension argumentative du propos qui permet d’inscrire l’écriture d’invention en relation

étroite avec le corpus du sujet ;- les références précises à l’époque contemporaine qui permettent de voir si l’élève réussit à

transposer les formes, les codes et les enjeux du dialogue théâtral.

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Sujet 2 - Séries technologiquesObjet d'étude : le biographique

TextesA. Emmanuel Carrère, texte de présentation de la biographie de Jean-Claude Romand, intitulée L'Adversaire (quatrième de couverture), coll."Folio", Editions Gallimard, 2000, POL.B. Deborah Ross, "Pour elle, la vie n'est vraiment qu'un long fleuve tranquille", article paru dans le journal anglais The Independant et publié parCourrier international, n° 561 (2 au 22 août 2001), supplément intitulé : "Génies, fous et imposteurs, trente-six portraits de personnages hors ducommun".C . André Malraux [1910-1976], Antimémoires, éditions Gallimard, 1967.

A. Présentation du sujetL'objet d'étude « Le biographique » est abordé sous ses deux aspects : biographie et

autobiographie ; les élèves peuvent donc exploiter l'aspect qu'ils ont principalement traité enclasse.

Les documents ont été choisis en fonction de la variété de leur statut, une des compétencesévaluées correspond donc bien aux enjeux du programme : maîtriser une documentation.

Le corpus est constitué autour d'une problématique claire : pourquoi s'intéresser à la vie dequelqu'un, au point de considérer qu'elle mérite d'être racontée et gardée en mémoire ? Lesréponses apportées par les documents sont de nature variée.

Le travail sur les registres, effectué tant en seconde qu'en première, est particulièrementévalué dans l'écriture d'invention.

B. QuestionAnalysez, pour chacun de ces textes, les différentes raisons qui peuvent amener à écrire un récit de vie.

Critères d'évaluation- repérage dans les textes des passages où se trouvent les informations permettant derépondre (lecture cursive et sélection) ;- exhaustivité ;- dans certains cas, clarté et précision de la reformulation ;- prise en compte de la particularité du texte B qui suppose deux niveaux de réponse.

Propositions de corrigéTexte A"Comprendre ce qui dans une expérience humaine aussi extrême m'a touché de si près et

touche chacun d'entre nous".Texte BDeux niveaux de réponses :

1. Pourquoi Sylvia Smith a-t-elle écrit son autobiographie ?- Ce qu'elle en dit elle même :une part de mystère : "elle n'en a pas la moindre idée" ;elle pensait que sa vie avait été amusante et intéressante.- Ce qu'on peut déduire :un projet qui s'est mûri en dépit d'elle : l'idée en est venue à 43 ans et se réalise à 46 grâce

à un catalyseur : la gravité de la maladie (la proximité de la mort ?) ;le loisir (arrêt de travail) peut aussi être considéré comme un facteur.

2. Pourquoi la journaliste, Deborah Ross s'intéresse-t-elle à la vie de Sylvia Smith ?- actualité de la presse littéraire, livre qui se vend ;- fascination de la journaliste pour un monde qui lui est étranger (prolétariat) ;- désir d'élucider un paradoxe : absence de goût et de connaissance littéraire et culturelle de

l"écrivain" ;extrême simplicité, banalité qui diffuse l'ennui, mais qui aussi fascine.Texte CMotivation principale : volonté d'élucider le mystère de la vie.

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C. CommentaireVous commenterez le texte d’André Malraux (texte C) en vous aidant du parcours de lecture suivant :- Comment l’auteur insiste-t-il sur le caractère énigmatique de la vie ?- En vous référant à ce que vous savez du genre autobiographique, comment comprenez-vous, à la lumière du texte, le titre d’Antimémoires ?

Critères d'évaluation- observation méthodique du texte ;- mise en relation des trois démarches (analyse du vocabulaire, formation d'un mot ; lecturesélective d'un texte ; convocation des connaissances sur le genre) ;- organisation du discours ;- expression ;- intégration des références au texte.

Parcours de lecture. Proposition de corrigéL'introduction pourrait mettre l'accent sur les raisons qui poussent un écrivain à raconter sa

vie.I. Les formes de l'insistance sur le caractère énigmatiqueOn attend que l'élève s'intéresse aux points suivants :

1. la présence du réseau lexical :"interrogation" (l. 2), "question" (l2 et 8), "on se demande" l. 23, l’expression générique :

"l'énigme fondamentale de la vie" (l 19) ;2. l'effet de redoublement du discours

par le jeu de citation et la nominalisation : le "tu ne sauras jamais ce que cela voulait dire" ;3. les comparaisons :

- "auberge sans routes qui s'appelle la vie" : on peut analyser le sens du mot auberge, leprivatif et le pluriel (sans routes), la valeur passive de la forme pronominale qui occulte le nomde celui qui a proposé la désignation ;

- la double comparaison : "la vie semblable aux dieux des religions disparues m'apparaîtparfois comme le livret d'une musique inconnue".

L'évocation des dieux et des religions devrait, a priori, dans le système de la comparaison,servir de repère, mais ce repère est immédiatement invalidé par la correction portée parl'épithète "disparues". A cela s'ajoute la référence ultime à une double inconnue « le livret d’unemusique inconnue » .

Ainsi se pose la question du sens, mais aussi de la valeur du travail de l'écrivain, questionqui prend la forme presque provocatrice de : "que m'importe" (l. 8).

II. "Antimémoires"On attend de l'élève qu'il porte son attention sur les points suivants :

1. Définition du mot :- mémoires : souvenirs d'un grand homme, d'un homme politique (voir ce qui dans le texte

permet de deviner la dimension historique de Malraux) ;- mot composé : anti-mémoires, le contraire d'un texte voué à l'écriture du souvenir.Ce titre révèle un premier paradoxe : le texte relève du genre autobiographique, mais refuse

une de ses dimensions essentielles : la mise en mémoire.2. Lecture du texte en fonction de la connaissance du genre :

- le genre se caractérise par l'importance accordée à l'ego, or"que m'importe ce qui n'importe qu'à moi","je ne m'intéresse guère" (avec la particularité syntaxique de la formule : utilisation du verbe

avec pour COD "m'") ;refus du passage obligé par le récit de l'enfance.- le genre se caractérise par le retour sur le souvenir, or la question centrale, distinguée

typographiquement est : "Pourquoi me souvenir ?".Apparaît ainsi un second paradoxe : le texte relève du genre autobiographique, mais refuse

une de ses dimensions essentielles : la prédominance du "je". Ce double paradoxe - refus dusouvenir et refus de l'écriture de soi - justifie le choix du titre.

D. DissertationDans son article concernant les Midsaventures de Sylvia Smith, Deborah Ross écrit : « Sylvia n’a rien à dire, c’est vrai, les histoires qu’elleraconte n’ont rien de mémorable, sans doute, mais tout leur intérêt ne réside-t-il pas dans leur banalité même ? »Pensez-vous que pour entreprendre le récit d’une vie, il faut que celle-ci soit mémorable ? Vous répondrez à cette question en undéveloppement composé prenant appui sur les textes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.

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Critères d'évaluation- analyse du sujet ;- problématisation ,- prise en compte des documents du corpus ;- prise en compte des textes abordés dans l'année ;- argumentation et organisation du propos ;- pertinence des exemples et qualité de leur exploitation ;- expression.

Propositions pour le corrigéDéfinition du mot "mémorable" : digne d'être mémorisé, exceptionnel, remarquable.Problématisation par la mise en évidence du paradoxe : exceptionnel / banal : comment la

banalité d'une vie sans intérêt particulier peut-elle être jugée digne d'entrer dans la mémoire dela collectivité formée par les lecteurs ?

Réflexion sur le positionnement de l'auteur et du lecteur :- un personnage exceptionnel fait naître admiration, étonnement, fascination.- le récit de vie d’un personnage banal crée chez le lecteur des formes d'identification et

entraîne un retour sur soi avec un effet miroir.Première proposition : plan analytiqueI. La banalité, le fait de "ne rien avoir à dire", distillent l'ennui pour deux raisons :- risque d’un discours creux ;- absence d'éléments qui suscitent une émotion, pitié ou admiration.II. Ce que désire le public, c'est ce qui frappe la mémoire, du sang et des larmes.- cf. que m'importe ce qui n'importe qu'à moi (Malraux) ;- cf. les lectures de S. Smith elle-même (l'histoire du prince Charles).III. Ce genre de récit n'est pas digne de la mémoire collective, il ne peut servir ni d'exemple,

ni de modèle.- cf. hagiographie ;- pourquoi garder en mémoire les traces de la bêtise humaine (cf le discours de S. Smith lui-

même) ?Deuxième proposition : plan dialectiqueI. Certes une telle conception ne peut avoir la valeur de l'exemple ou du modèle.II. Cependant, la vie d'un "sans nom" peut avoir la valeur d'un document historique.III. Et au delà, pareille banalité nous tend un miroir qui doit être un moyen de nous interroger

sur nous-mêmes et sur le sens de notre vie.

E. InventionPlusieurs éditeurs ont refusé de publier l’ouvrage de Sylvia Smith. Vous rédigez la lettre de refus de publication de l’un d’entre eux.

Critères d'évaluation- prise en compte de la consigne : lettre et refus ;- critères de rédaction d'une lettre : émetteur, destinataire, objet, formules d'accroche et depolitesse ;- présence d'une argumentation développée ;- exploitation des informations figurant dans l'article ;- choix et cohérence du registre sur l'ensemble de la lettre ;- clarté et précision de l'expression.

Difficulté : Pour les élèves, une lettre de refus n'est pas nécessairement motivée.

Proposition pour le corrigé1. On exige le respect des règles épistolaires :

dates, émetteur et destinataire, formules de politesse, rappel de l'objet.2. Dans le choix du registre

On ne peut accepter ni agressivité (hors de propos, puisque l'éditeur n'est pas en danger), nihumiliation (inutile en l'occurrence) ;

On peut accepter diverses possibilités :- politesse froide, indifférence ;- condescendance ;- agacement ;

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- sympathie, compassion ;- connivence (pour le cas où l'éditeur considère qu'il s'agit d'un canular).3. Le choix du registre détermine le choix des arguments et la présence ou non de conseils.

a. Les types d'arguments attendus sont :- le genre d'ouvrage publié par la maison d'édition ;- le critère de la rentabilité / public, on ne peut pas prendre le risque à prendre de publier unauteur inconnu ;- le critère de la définition du genre biographique : destin exceptionnel et grands hommes sevendent mieux (voir ce que l’auteur dit elle-même) ;- l'argument du canular : l'éditeur considère qu'il s'agit d'un canular et relève ce qui peut leprouver (exemple : son inculture crasse, et même son nom Mrs Smith).

b. Les conseils éventuels portent sur :- le style ;- la structure ;- les mises en valeur ou les modifications de la réalité (ex : les histoires d'amour) ;- l'envoi à un autre éditeur plus apte à retravailler sur un tel texte.

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Sujet 3 - Séries technologiquesObjet d’étude : la poésie

TEXTESA. Jean Cocteau, Le Rappel à l’ordre.B. Françis Ponge, “ Le pain ”, Le Parti pris des choses.C. Jacques Réda, “ La bicyclette ”, Retour au calme.

A. Présentation du sujetLes textes regroupés dans ce corpus sont constitués d’un extrait théorique présentant les

conceptions d’un écrivain par ailleurs poète, et de deux poèmes datant du XXème siècle etrejoignant, de manières diverses, les principes édictés par Cocteau. Le poème en prose dePonge constitue l’exemple le plus frappant du renouvellement des choix poétiques effectués ; lepoème de Réda s’inscrit de manière ténue dans le cadre d’une forme poétique plus identifiablepar les élèves, grâce notamment à la présence de vers, d’assonances et de procédésrythmiques caractéristiques de la poésie. Les deux textes sont, en revanche, proches sur leplan thématique : ils prennent tous les deux appui sur un objet quotidien.

Ce corpus place les élèves face à des formes poétiques contrastées ; il correspond à l’undes objets d’étude préconisés par le programme, la poésie, et aux perspectives d’étude liéesaux genres et aux registres. Même si le mouvement littéraire n’est pas un objet obligatoire enséries technologiques, les élèves ont pu réfléchir au fil de l’année au sens de l’évolution desformes littéraires et aux choix d’écriture effectués par les auteurs. En première, l’étude de lapoésie doit être conduite en prenant appui sur les particularités de l’expression poétique, etquels qu’aient été les choix de l’enseignant, tout élève se trouve doté, en fin d’année, d’unvocabulaire d’analyse et de capacités de réflexion sur le travail poétique.

Ce sujet permet d’évaluer particulièrement la maîtrise des connaissances propres à l’objetd’étude, telles que l’aptitude à reconnaître les formes poétiques, à analyser les liens entreformes prosodiques et sens du texte, à identifier les images et autres figures, à appréhenderune démarche poétique.

B. Questions1. Reformulez brièvement :- la conception de la poésie que Cocteau refuse ;- celle qu’il propose.2. A laquelle de ces deux conceptions les poèmes qui vous sont proposés correspondent-ils ? Justifiez votre réponse par quelques élémentsprécis tirés des textes du corpus.

Proposition de corrigéQuestion 1La conception de la poésie que Cocteau refuse est celle d’un art nécessairement associé à

l’Idéal, à la recherche d’une beauté inaccessible. Cette conception, héritée de l’Antiquité etrevisitée par les poètes de la Pléiade, est évoquée ironiquement dans la première phrase sousla forme d’une allégorie, “ une dame voilée, langoureuse… ”, renvoyant à la muse inspiratrice.Reprise au début du troisième paragraphe, plus explicitement cette fois, elle vise par le termede “ mauvais poètes ” des écrivains tels que les Parnassiens (Leconte de Lisle, Hérédia…).

Cocteau préconise au contraire une poésie du quotidien, consistant non à privilégier deséléments du réel choisis pour leur supposée qualité esthétique, mais plutôt à renouveler leregard porté sur l’environnement le plus prosaïque, afin d’éclairer sa beauté propre, sonidentité. Les termes employés par le poète pour qualifier cette transfiguration appartiennent auréseau lexical de la lumière : “ un éclair ”, “ elle dévoile ”, “ une lumière qui secoue sa torpeur ”.Ils renvoient à une activité sensorielle pleine : “ voir ”, “ entendre ”, “ nous ouvre les yeux ”,“ nous débouche les oreilles ”. La poésie telle que l’envisage Cocteau suppose donc uneopération de transfiguration évoquée sous la forme de l’injonction à la fin du texte : le poète estcelui qui procède à une transmutation du langage, qui vivifie les lieux communs.

On attend des élèves qu’ils repèrent les thèses en présence (identification du rejet manifestéimplicitement par l’allégorie initiale, puis explicitement), qu’ils prennent appui sur les réseauxlexicaux, les modalisateurs (“ il est vrai ”…) , qu’ils élaborent une reformulation effective desthèses et ne se contentent pas d’un simple relevé des parties du texte.

On n’attend pas des élèves des références culturelles précises, mais le corrigé peut êtrel’occasion de préciser quelques éléments d’histoire littéraire. De même, les justifications

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empruntées au texte de Cocteau sont bienvenues et valorisées. Mais, comme elles ne sont pasdemandées par la consigne, leur absence ne devrait donc pas être sanctionnée.

Question 2Les poèmes de Ponge et de Réda répondent chacun à leur manière aux attentes de

Cocteau.Réda opère dans son texte une transfiguration d’un objet technique appartenant au domaine

du sport ou à l’univers de l’enfance. En saisissant les mouvements infimes de la lumière sur unobjet banal, en les traduisant par les images des “ gouttes d’or ” (vers 6), du “ feu vert et doré ”(vers 11), il entraîne le lecteur dans l’expérience sensorielle qu’il a connue, lui offre ainsi uneimage renouvelée de la bicyclette désormais métamorphosée en oiseau (vers 9), puis enplanète (vers 21). L’objet quotidien est donc devenu presque surnaturel, et le poète a ainsirempli la mission que lui confère Cocteau.

Ponge, lui, appelle l’attention du lecteur sur l’un des objets les plus familiers, le pain, maisuse d’effets de grossissement qui le rendent presque inconnu. La métaphore filée de lagéographie et de la géologie, présente par les termes de “ vallées, crêtes, ondulations,crevasses… ” contraint le lecteur à redécouvrir des formes maintes fois rencontrées. Le travailpoétique effectué sur les sonorités, les allitérations en “ f ”, en “ s ”, participent de cet appel ausens revendiqué par Cocteau. Enfin, Ponge dans ce texte interpelle son lecteur : le jeu demot “ brisons-la ”, pourrait être entendu comme “ brisons-là ” ; il rappelle que la poésiehumblement s’efface pour s’inscrire dans le quotidien. Le “ respect ” mentionné par Ponge peuten effet rappeler la conception idéale et élevée du travail langagier refusé par Cocteau. En cela,le poème a presque valeur d’art poétique.

Critères d'évaluationOn évaluera par ce travail d’écriture :- les compétences de lecture autonome de textes poétiques : les textes proposés ne

présentent pas de difficulté de lecture insurmontable ; ils peuvent cependant désorienter desélèves qui n’auraient pas eu l’occasion de réfléchir à une représentation conventionnelle de lapoésie ;

- la capacité à comparer les thèses mises en valeur précédemment et les principaux choixpoétiques effectués par les auteurs : thème emprunté au quotidien, forme poétique, travail surle langage (images, travail prosodique…).

C. CommentaireVous commenterez le texte “ La bicyclette ”(texte C) à partir du parcours de lecture suivant :Etudiez comment s’effectue dans le poème la métamorphose d’un objet quotidien.Montrez comment l’ensemble des ressources poétiques (rimes, rythmes, sonorités, réseaux lexicaux, images… ) est utilisé pour créer un effetd’harmonie et de sérénité.

La première étape du parcours se fixe sur la manière dont la bicyclette, rencontrée auhasard d’une déambulation, retient le regard du passant. L’élève doit donc montrer comment lepoète traduit par un flot d’images la métamorphose de cet objet technique et banal sous l’effetd’une lumière ardente de soleil couchant. Le texte déroule le récit de cette transfigurationprogressive, mais la communication de cette aventure sensorielle ne peut s’effectuer sans unralentissement auquel invite un ensemble de ressources poétiques, objet de la seconde partiede l’étude attendue ici.

Ce poème de Jacques Réda, extrait de son recueil Retour au calme, marque par le titremême du recueil la rupture nécessaire avec l’agitation quotidienne : un changement de rythmes’impose pour permettre l’observation attentive de la métamorphose opérée par la lumière dusoir sur le vélo. La sérénité dans laquelle s’installe l’observateur favorise l’acuité du regard et lamobilisation de toutes les activités sensorielles. L’harmonie sonore qui baigne le poèmecherche dès lors à traduire la plénitude de l’expérience sensible.

Eléments de corrigéI. Première partie de l’étude 1. Le cadrage du récit, la mise en place des circonstances, la création d’une temporalité :- rôle du participe présent (vers 1),- repères temporels (“ à six heures ”, “ soudain ”, le verbe “ continue de ”, l’adverbe “ alors ”),- référence aux éléments extérieurs (la rue, au vers 10, le chien, au vers 13).Ces éléments conduisent à la perception de l’effet de la lumière.2. Le rôle de la lumière, illustré par les multiples images qui en sont proposées : vers 3 à 6,

vers 11, vers 20-21.

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3. La métamorphose opérée :- la première présentation de l’objet par l’alexandrin parfait du vers 7,- la métaphore de l’oiseau,- la mise en évidence par le rejet et l’antithèse du vers 9,- le dernier quatrain (effets rythmiques, verbes d’action, le motif de l’élévation, l’alchimie

opérée par la lumière).II. Deuxième partie de l’étude 1. La perception sensorielle accrue :- l’attention portée au silence (vers 10), aux bruits (vers 13), aux détails concrets de

l’environnement observé (“ vitres en losange ” au vers2, “ carreau ” au vers 12).- l’évocation d’une rêverie intérieure par les verbes (“ on pense ”, “ on devine ”)…2. La présence du sujet observant, discrètement rappelée par le pronom “ on ” qui ponctue

les étapes de la métaphore, mais sans qu’aucune subjectivité affirmée ne vienne s’intercalerentre le lecteur et la transfiguration opérée.

3. La forme du poème en vers assonancés, la présence de quelques traits qui l’apparententà une forme classique, comme la présence de quatrains au début et à la fin du texte. Cescaractéristiques formelles permettent d’installer une harmonie sonore.

D. DissertationJean Cocteau définit dans les termes suivants l’effet que doit provoquer la poésie chez le lecteur : « lui montrer ce sur quoi son cœur, son œilglissent chaque jour, sous un angle et une vitesse tels qu’il lui paraît le voir et s’en émouvoir pour la première fois ».Dans quelle mesure partagez-vous cette conception de la poésie ? Vous répondrez à cette question en un développement argumenté, appuyésur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.

Eléments de corrigéJean Cocteau récuse la recherche du beau langage, du beau thème, et prône au contraire

une poésie du quotidien, qui s’inscrit dans le trivial et le banal. Est poète celui qui cherche à agirsur le réel, à le transfigurer, et ainsi parvient à réveiller les émotions du lecteur en lui offrant uneperception et une sensation nouvelles. Cocteau n’hésite pas pour défendre sa conception àuser d’un langage presque didactique, insistant sur le fait que la poésie doit “ montrer ”l’essentiel et pour cela user d’un “ angle et d’une vitesse ” particuliers. Par ces termes, il sembleque le poète renvoie à un travail langagier effectué sur les mots mêmes, comme l’énonced’ailleurs son texte programmatique extrait du Rappel à l’ordre. Il s’agira donc dans cetteréflexion de s’interroger sur la fonction assignée à la poésie, sur son aptitude à convoquerconjointement l’expérience sensorielle et affective du lecteur, pour nous demander ensuite si lapoésie ne pourrait pas aussi faire appel à la culture, à la tradition dans laquelle elle s’inscrit. Ellepermettrait de la sorte le partage d’expériences qui nous sont communes par delà les frontièresmêmes du langage.

Proposition de planI. Une poésie à contre-courant ?1. Une poésie qui n’hésite pas à battre en brèche nos habitudes intellectuelles, notre confort,

en refusant par exemple de s’inscrire dans le cadre habituel de la norme référentielle dulangage.

2. Une poésie inscrite dans le quotidien, refusant les traditionnels sujets poétiques.3. Une poésie qui peut ainsi explorer, jusqu’à l’excès, l’envers du réel, par exemple dans des

expériences telles que celle de Baudelaire dans "La charogne".II. Une poésie qui refuse de survoler hâtivement le réel pour mieux « le voir et s’en émouvoir ».1. Une poésie renouvelant le regard du lecteur grâce à la mobilisation de ses sens et de ses

émotions.2. Une poésie de la transfiguration qui oblige à s’ouvrir à des équivalences, qui privilégie

l’image, l’analogie. Ex : « Le pain », « La bicyclette » ; on pourrait par exemple développerl’exemple offert par “ Le pain ” en rappelant comment la langue ordinaire parle de la “ croûte ”du pain, mais omet le rapprochement avec celle de la terre. "La bicyclette" de Jacques Réda sefond dans le paysage et s’en attribue les formes par la magie du langage poétique.

3. Une poésie du dévoilement qui vise à construire l’unicité de chaque expérience poétique.III. Une conception poétique partagée par le lecteur ?(Cette dernière partie fait appel au point de vue de l’élève, à la place et à la fonction qu’il

assigne à l’expérience poétique). Par exemple :1. Une poésie qui nous offre la joie de recréer la réalité.

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2. Une poésie qui fait appel non seulement à nos propres sensations, mais à une fraternité,une communion. Force du lyrisme, y compris dans des formes très codifiées qui laissent lepartage de l’intime affleurer. Exemple : Louise Labé, « Je vis, je meurs… », ou dans un autreregistre les poèmes d’Eluard extraits de Capitale de la douleur.

3. Une poésie de l’ouverture à une voix qui rejoint un combat universel, qui s’élève pourtranscrire l’expérience de la douleur propre à tous les opprimés, en empruntant la diversité desressources propres au langage poétique. Exemple : Victor-Hugo, “ Où vont tous ces enfants ? ”

E. InventionLe journal de votre lycée a proposé un concours de poésie. Vous avez remporté le prix. Le rédacteur du journal vous demande donc d’exposerle rôle que vous attribuez personnellement à la poésie. Vous rédigez cet article.

Critères d'évaluationUn tel sujet permet d’évaluer nombre de compétences :- l’aptitude à endosser une identité fictive, ici celle d’un lycéen, amateur de poésie et

susceptible de participer à un concours et de le remporter ;- la capacité à exprimer un engagement personnel nuancé ;- l’aptitude à tenir compte du genre imposé, en l’occurrence un article de presse, dans un

journal lycéen : le support autorise un jeu avec les lecteurs, une connivence, mais en mêmetemps impose le recours à des genres sociaux précis : l’article classique, mais aussi la lettreouverte, la réponse à un article fictif précédent (inscription dans le genre de la contre-argumentation), d’autres formes encore…

- l’usage de procédés rhétoriques aptes à persuader et/ou convaincre l’auditoire, en fonctionde la stratégie choisie ;

- la capacité à concevoir un argumentaire à partir d’une problématique littéraire. Cettecompétence peut sembler ambitieuse en séries technologiques, mais beaucoup d’élèvespratiquent eux-mêmes l’écriture - y compris poétique -, écrivent des chansons.

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Sujet n°4 - Séries technologiquesObjet d’étude : la poésie

TEXTES A. Georges-Emmanuel Clancier, Contre-Chants, Gallimard, 2001.B. Robert Desnos, « La peste », Contrée, Gallimard, 1944.C. Pierre Emmanuel, « Les dents serrées », L’Honneur des poètes (recueil collectif), Editions de Minuit, 1943.D. Jean Tardieu, « Vous étiez pourtant responsable », Domaine français, Gallimard, 1943.

Annexe : Paul Eluard, présentation de l’ouvrage collectif L’Honneur des poètes, Editions de Minuit, 1943.

A. Présentation du sujetLe corpus rapproche quatre poèmes brefs qui évoquent chacun les horreurs de la guerre. La

cohérence est tout à la fois générique, thématique, historique puisque les quatre poètes duXXème siècle se réfèrent à la Seconde Guerre mondiale et singulièrement à l’occupation de laFrance par les troupes allemandes. La réponse à la première question permettra aux élèvesd’expliciter quelques-unes des correspondances que l’on peut établir entre les quatre textes. Laproblématique du groupement est moins centrée, semble-t-il, sur la « poésie engagée » que surla traduction lyrique ou pathétique d’une émotion devant le scandale de la guerre, devantl’horreur dont elle se repaît. Les poèmes apparaissent surtout comme une interrogation devantl’absurdité de la guerre, sa brutalité, la perversion des valeurs qu’elle produit. Ils sont denses,concis, d’un abord aisé, même si tel vers, telle strophe ou telle image n’autorisent pas uneinterprétation immédiate. Les sentiments qui s’y expriment sont ceux de la grande traditionlyrique : indignation, haine, peur, amour. Les soins apportés par les poètes à la typographie, àl’occupation de la page, à la composition du texte, à la ponctuation doivent intéresser descandidats que le travail de l’année sur l’objet d’étude « la poésie » a nécessairement préparés àdes lectures analytiques, donc attentives, des textes poétiques modernes ou contemporains. Letexte d’Eluard proposé en annexe contextualise les poèmes en rappelant comment ils inscriventdans une tradition littéraire qui confère des missions à la poésie, une « fonction » que résumentles trois verbes de la fin : « la poésie mise au défi (…) crie, accuse, espère ». La date du poèmede Clancier paru en 2001 pourrait justifier que ce texte ne figure pas dans le corpus composépar ailleurs de textes écrits et publiés pendant l’Occupation. Sa présence s’explique cependantpar ce qu’il révèle de la permanence dans l’imaginaire collectif, et singulièrement dans laconscience d’un poète qui a traversé le siècle, des événements douloureux de la SecondeGuerre mondiale.

B. QuestionJustifiez le rapprochement de ces quatre poèmes.

On attend des candidats qu’ils reconnaissent quelques éléments de cohérence du corpus :- les quatre textes sont des poèmes brefs ;- ils sont écrits pour trois d’entre eux dans la même période historique, de violence etd’angoisse ;- tous évoquent des épisodes ou un climat liés à la Seconde Guerre mondiale ;- ils expriment des sentiments puissants : l’effarement devant l’explosion brutale de la violencebarbare chez Clancier, la peur chez Desnos, l’indignation et la haine chez Pierre Emmanuel,l’incompréhension angoissée chez Tardieu ;- ils accomplissent le programme que fixe Eluard à la poésie : elle « crie, accuse, espère ».

Les quatre poèmes apparaissent ainsi comme des formes concises de poésie engagée,dénonçant les horreurs de la guerre et la perversion des valeurs que les temps de haine et delâcheté produisent.

C. CommentaireVous commenterez le poème de Jean Tardieu à partir du parcours de lecture suivant :- Vous analyserez soigneusement l’énonciation en tenant compte du titre.- Vous étudierez la vision de la nature proposée par le poète.

Conformément à la définition du commentaire pour les séries technologiques, le libelléimpose de suivre un « parcours de lecture ». Le candidat développe les pistes suggérées enargumentant et en prenant appui sur une étude précise du texte. Quand les deux propositionssont bien articulées, l’ensemble construit dessine un commentaire organisé cohérent.

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Critères d’évaluation- l’attention portée à la forme dialogale du poème, et donc à la définition des interlocuteurs ;- la mise en valeur des procédés les plus significatifs : répétitions, anaphores, interrogations,rythme, effets prosodiques ;- la prise en compte de la disposition du poème comme facteur de sens ;- l’identification des sentiments et des émotions exprimés.

Proposition de corrigéL’interprétation de ce poème bref (quatre distiques) ne va pas de soi. Seule une démarche

de lecture analytique attentive permet de percevoir, derrière la simplicité apparente de la formeet du lexique, un autre niveau de sens : qui parle ? à qui ? quel est ce « vous » du titre et qu’onne retrouve plus dans le poème ? quel rôle jouent ici les éléments du décor, du monde, cités enabondance ?

Le parcours de lecture suggéré cherche à guider les lecteurs dans cette patiente recherchequi devrait déboucher sur des hypothèses plus profondes que l’impression initiale ne le laissaitsupposer. La date de la composition, la contextualisation du poème au sein du groupement,l’annexe doivent permettre à des élèves d’esquisser et de justifier une interprétationconvaincante.

Les élèves peuvent prendre appui, pour la première partie de cette étude, sur les marquesénonciatives et syntaxiques. L'identification du créateur sera valorisée mais son absence nesera pas sanctionnée car sa construction relève d'indices implicites complexes. A l'inverse, lamise en relation du destinataire tel qu'il est construit dans le titre et dans l'échange de répliquesest attendue. Cette référence à la responsabilité collective est en effet au cœur du corpus.

Première partie du parcours de lectureLe poème se présente sous la forme d’un dialogue dont les personnages restent anonymes

et difficilement identifiables dans un premier temps. Par quatre fois, dans un jeu d’anaphoresbinaires, un interlocuteur interroge, demandant à « l’autre » une explication ou une justification.De façon complète (vers 1 et 3) ou elliptique (vers 5 et 7), la question porte sur le rôlequ’auraient tenu dans une circonstance indéterminée les différents éléments de la nature(soleil, mer, arbres, fleuves, montagnes) ou du monde (« les villes »). On ne note aucune tracegrammaticale de la subjectivité de l’interrogateur : seule son insistance, la brièveté croissantede ces interrogations, leur accumulation dans l’avant-dernier vers traduisent une fièvre, unefébrilité, une impatience ou une colère que nous devons interpréter. Face à ce feu de questionsqu’on peut assimiler à quelque interrogatoire (mais qui est accusé et de quoi ? ), le questionnédonne par trois fois des éléments de réponses. A la dernière salve de questions, il sembles’effondrer et avoue par trois fois son ignorance : « Je ne sais plus, je ne sais plus, je ne saisplus ». Les interrogations ont eu raison de son assurance, et il s’effondre, vaincu et, semble-t-il,désespéré. Le dernier vers scelle une défaite, une déroute. Un indice doit alerter le lecteurattentif : les trois derniers « je » reprennent un premier pronom (vers 2) : « Il dépensait les biensque je lui ai donnés ». Quel peut être ce personnage dispensateur des biens du soleil sinonl’ordonnateur du cosmos lui-même ? L’hypothèse que l’on peut donc tenter est que lepersonnage sommé de répondre est le créateur, Dieu lui-même. C’est donc la déroute de Dieu,comparaissant devant un tribunal peut-être, que le poème met en scène.

Dès lors, pourrait s’expliquer le « vous » du titre. Le poète interpelle Dieu , le met enaccusation en lui rappelant sa responsabilité dans la situation que vit le monde. Le temps del’écriture du poème (1943), le titre du recueil (Domaine français) indiquent qu’il s’agit de l’état deguerre et d’occupation dont souffre la France. Le poème dénoncerait l’abandon de la Francepar Dieu et exprimerait la déréliction de l’homme privé de l’assistance divine. On songe au versde Pierre Emmanuel dans « Les dents serrées » (texte C) : « Et le ciel veule sur l’abîme ».

Une autre lecture du titre peut croiser la précédente. Le « vous » impliquerait chaquehomme et renverrait à une responsabilité collective. Le sentiment exprimé, sensiblementdifférent, serait proche de la douleur et du désespoir. Ici encore, le rapprochement avec lepoème de Pierre Emmanuel s’avère éclairant.

Seconde partie du parcours de lectureL’analyse de la situation d’énonciation choisie par Tardieu permet d’esquisser une

hypothèse de sens que doit confirmer l’étude de la vision que le poète présente de la nature.Notons d’emblée l’abondance des éléments naturels et leur présentation générique : « lesoleil » (vers 1), « la mer » (vers 3), « les arbres » (vers 5), « les fleuves », « les montagnes »(vers 7). La récurrence des articles définis, l’absence de localisation ou de déterminationindiquent bien que le poète évoque le monde, et non tel ou tel océan, tel ou tel mont. C’estl’univers entier - le ciel et la terre, les villes et les champs - que le poète convoque devant sontribunal, comme autant de témoins, de coupables ou de complices. Les réponses de l’Autreméritent examen. Le soleil « dispensait les biens que je lui ai donnés ». L’argument doit se

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gloser ainsi. Le soleil était tout entier à la tâche que Dieu lui a attribuée : dispenser chaleur etlumière, sans examiner s’ils réchauffent et éclairent innocents ou coupables, victimes oubourreaux. La mer accomplissait, insensible, son ouvrage incessant : c’est le sens que revêtentles deux adjectifs placés en contre rejet au vers 3 « Imbécile, têtue ». Le troisième argumentprésenté par l’accusé laisse percevoir une faille dans l’argumentation : les arbres ne pouvaientplus être des asiles, tant le nombre d’« oiseaux sans voix qui attendaient le jour » était grand.C’est reconnaître implicitement que la nature est pervertie, qu’elle dévoie sa fonction. L’accusé,à cours d’arguments, reconnaît sa défaite. La nature - et il faut prendre désormais le mot dansson sens étymologique de « création » - est restée indifférente au sort des hommes humiliés,« sans voix » et sans abri dans la nuit. Ce silence, cet abandon reconnus sous le jeu desquestions inlassables du procureur constituent les éléments les plus accablants de l’acted’accusation.

D. DissertationLes auteurs de L’Honneur des poètes ont choisi, dans leur préface, de présenter ainsi leur ouvrage : « C’est vers l’action que les poètes à lavue immense sont, un jour ou l’autre, entraînés ». Partagez-vous cette conception de la poésie ? Vous organiserez votre réponse en vousappuyant nécessairement sur les poèmes du corpus et d’autres poèmes que vous avez lus ou étudiés.

La poésie est un des objets d’étude communs à toutes les séries. Parmi les problématiquesévoquées par le professeur dans le projet pédagogique, une part a pu être faite à la fonction dela poésie ou à la fonction du poète. Le corpus et l’annexe suffisent à évoquer un aspect majeurde la poésie : elle témoigne, elle dénonce, elle mobilise. Maints poèmes de Hugo (voir sujet n°7des annales 0 parmi d'autres), des extraits des Châtiments peuvent être sollicités de façonjudicieuse.

On peut imaginer que, dans un premier temps, le candidat démontre l’utilité et la grandeurde ce type de poésie mise au service d’une cause politique. Dans un second temps, il sedemande si l’essence même de la poésie n’est pas altérée par l’engagement dans le politique,si la poésie n’y perd pas son âme même. On pourra en classe éclairer la réflexion des élèvesgrâce à des extraits du texte de Benjamin Perret mentionné ci-après dans la partie "écritured'invention".

Les citations qui s’insèrent dans les suggestions de dissertation ci-après ou les référencesne sont pas celles que l’on attend systématiquement. Elles figurent ici comme exemples pourrappeler qu’une dissertation se nourrit de références aux textes du corpus, aux œuvres et auxtextes lus et étudiés dans l’année.

Proposition de corrigéI. Un plaidoyer pour la poésie engagée1. Le manifeste d’Eluard s’ancre dans une situation historique précise : la France sous

l’Occupation allemande, l’émergence de la Résistance. Des poètes s’engagent pour faire de lapoésie une arme. Eluard écrit la préface d’un recueil collectif dont le titre confère à la poésieune fonction éthique, L’Honneur des poètes, qui paraît le 14 juillet 1943 aux Editions de Minuit,appellation symbolique d’une maison d’édition clandestine. Un seul des poèmes du corpus aété publié dans ce recueil. Mais tous présentent les émotions et les interrogations du poète faceà la tragédie qu’est toute guerre. Ils obéissent à la mission que leur assigne Eluard : dépassantle drame individuel, la poésie « crie, accuse, espère ». Les poètes se mobilisent pour uneaction commune.

2. D’autres poètes « à la vue immense » en d’autres temps ont manifesté une conceptionanalogue. Les Châtiments de Hugo est l’œuvre la plus représentative d’une poésie de combatcontre un pouvoir autoritaire. On peut penser aussi aux Tragiques de d’Aubigné. Des poètes dela « négritude », tels Senghor ou Césaire, ont fait entendre le cri de révolte du peuple noirbafoué, nié, réduit naguère à l’esclavage ou à des formes tout aussi inhumainesd’asservissement. Le poète noir ainsi, comme le proclame Sartre dans un essai « Orphée noir »(préface à l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de L. S. Senghor, 1948), « enchantant ses colères, ses regrets ou ses détestations, en exhibant ses plaies (…) atteint le plussûrement à la grande poésie collective. […] Il entreprend alors de ruiner systématiquementl’acquis européen et cette démolition en esprit symbolise la grande prise d’armes future parquoi les noirs détruiront leurs chaînes ». (J. P Sartre, Situations III, Gallimard, 1949).

II. Une défense d’autres formes de poésie1. Sartre, définissant l’ambition de la poésie « noire » démontre que les poètes comme

Césaire ou Senghor retrouvent le sens de la poésie « lyrique. Or, la poésie lyrique est plustraditionnellement, et dès son origine mythologique liée à Orphée, l’expression de sentimentsintimes (amour, deuil, douleur). Le courant lyrique est très certainement celui qui irrigue le plusnotre histoire littéraire. (On attend ici la référence à des poèmes ou à des poètes précis – de

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Ronsard à Apollinaire, de Hugo à Eluard ou Aragon, de Verlaine à André Velter - et unedéfinition du lyrisme).

2. Une autre conception de la poésie à laquelle on peut être plus sensible encore est celle,plus contemporaine, qui cherche à capter l’instant, l’émotion sensible, l’éphémère de lasensation (Bonnefoy, Jaccottet…).

Les élèves ne maîtrisent bien évidemment pas l'ensemble de ces références qui serontl'occasion d'éclairages apportés lors de la séance de corrigé. On valorisera dans les copiesl'usage pertinent de l'annexe d'Eluard, ainsi que l'appropriation des textes du corpus.

E. InventionLe poète doit-il intervenir dans le débat politique ? Vous rédigez un texte manifeste qui choisit de répondre clairement à cette question. Oui, ildoit intervenir ou non, ce n’est point là son rôle. Votre texte sera une lettre ouverte à ceux qui défendent la thèse contraire à celle que voussoutenez.

Le texte de commentaire initial sur l’ensemble des annales 0 plaide pour ce type de libelléqui laisse le choix au candidat de la position qu’il défend. A condition d’éviter les sujets surlesquels la présentation de thèses adverses serait douteuse ou inadmissible (en faveur duracisme ! contre les droits de la femme ! ), on doit admettre que l’écriture d’invention puisseimposer de défendre clairement un point de vue net ou, au choix, un point de vue contraire. Ici,le débat est engagé depuis longtemps, et adversaires et partisans d’une poésie qui se fourvoie,se compromet ou se distingue sur le terrain politique ont échangé leurs arguments et leurssarcasmes réciproques.

On attendra du candidat qu'il reprenne en les explicitant ou en les développant les exemplesou les arguments d’Eluard : nécessité du témoignage, conviction que le poète se doitd’exprimer les sentiments de chacun, contribution à l’esprit de résistance, haute mission d’unepoésie politique qui s’engage pour rendre compte d’émotions collectives, pour mobiliser lesénergies. Plus difficile se révèle la tâche inverse.

Voici des extraits du texte que Benjamin Péret publie à Mexico en 1945, intitulé "leDéshonneur des poètes" contre le principe même de ce recueil et la qualité des poèmes qui yfigurent. Ils donnent une idée du ton du débat.

"Pas un de ces « poèmes » ne dépasse le niveau lyrique de la publicité pharmaceutique, etce n’est pas un hasard si leurs auteurs ont cru devoir, en leur immense majorité, revenir à larime et à l’alexandrin classiques. La forme et le contenu gardent nécessairement entre eux unrapport des plus étroits et, dans ces « vers », réagissent l’un sur l’autre dans une courseéperdue à la pire réaction.(…)

En réalité, tous les auteurs de cette brochure partent sans l’avouer ni se l’avouer d’uneerreur de Guillaume Apollinaire et l’aggravent encore. Apollinaire avait voulu considérer laguerre comme un sujet poétique. Mais si la guerre, en tant que combat et dégagée de toutesprit nationaliste, peut à la rigueur demeurer un sujet poétique, il n’en est pas de même d’unmot d’ordre nationaliste, la nation en question fût-elle, comme la France, sauvagementopprimée par les nazis. L’expulsion de l’oppresseur et la propagande en ce sens sont duressort de l’action politique, sociale ou militaire, selon qu’on envisage cette expulsion d’unemanière ou d’une autre. En tout cas, la poésie n’a pas à intervenir dans le débat autrement quepar son action propre, par sa signification culturelle même, quitte aux poètes à participer en tantque révolutionnaires, à la déroute de l’adversaire nazi par des méthodes révolutionnaires, sansjamais oublier que cette oppression correspondait au vœu, avoué ou non, de tous les ennemis -nationaux d’abord, étrangers ensuite - de la poésie comprise comme libération totale de l’esprithumain car, pour paraphraser Marx, la poésie n’a pas de patrie puisqu’elle est de tous lestemps et de tous les lieux ".

On n’attend pas que les élèves composent un réquisitoire mentionnant la polémiqueentourant L'Honneur des poètes.

Critères d’évaluation :- un parti pris pleinement affiché ;- des arguments et des exemples pertinents au service de cette prise de position, nourris par lalecture et l'étude du corpus.- la présence d'une stratégie relevant de la contre-argumentation : mention des argumentsopposés, registre polémique- la forme attendue est celle d'une lettre.

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Sujet 5 - Séries technologiquesObjet d’étude : convaincre, persuader, délibérer

Textes A. Jean de La Fontaine, « La cigale et la fourmi », Fables, I, 1 (1668).B. Jean Anouilh, « Avertissement hypocrite », Fables (1962).C. Jean Anouilh, « La cigale », Fables (1962).D. Italo Svevo, Fables (1954).

Erratum : page 19 de la brochure "annales zéro". Dans le texte de Svevo, lire "le même geste" et non "lemoindre geste".

A. Présentation du sujet Ce corpus est fédéré par une triple cohérence :- autour d’un thème, susceptible de concerner et d’intéresser les élèves : le rapport à

l’argent.- autour d’un genre, la fable, que les élèves auront abordé avec l’apologue (compris dans

l’objet d’étude « Convaincre, persuader et délibérer »), l’intérêt du corpus étant de souligner lafortune moderne de la fable, notamment avec la reprise par Jean Anouilh d’un des poèmes lesplus célèbres de La Fontaine. Deux des fables proposées sont en vers (elles sont audemeurant l’objet d’un commentaire comparé), et nécessitent donc que l’élève mette en œuvredes capacités de lecture acquises lors de l’étude de la poésie.

- autour d’une problématique, exposée dans le bref préambule d’Anouilh (texte B) et qui faitl’objet de la dissertation : l’ambiguïté fondamentale de la fable, entre « futilité » et« profondeur ». Au-delà des particularités de la fable, cette problématique permet d’évaluer laréceptivité de l’élève à des niveaux de lecture multiples, sa capacité à se méfier de l’effet le plusimmédiat d’un texte pour en chercher et en apprécier la richesse moins apparente.

B. Questions1. Formulez brièvement la « morale » que l’on peut tirer de chacune des fables composant ce corpus.2. Ces « morales » de fables vous paraissent-elles correspondre à ce qu’on appelle communément la morale (« c’est-à-dire une théorie del’action humaine en tant qu’elle est soumise au devoir et a pour but le bien ») ?

En plus d’inviter à une lecture globale du corpus, ces questions mettent précisément l’élèveen garde contre une lecture simpliste des fables : en l’amenant à s’apercevoir que la prétenduemorale des fables cache souvent une sévère critique de la société, elles préparent un desarguments majeurs attendus dans la dissertation, et doivent éviter que les analyses ducommentaire sombrent dans la superficialité ou le contresens. De plus, l’écriture d’inventionexige que la « morale » du texte de Svevo ait été comprise, puisqu’il est demandé à l’élève d’enprendre le contre-pied.

Proposition de corrigéQuestion1On attend ici que l’élève dégage le premier degré des textes qui lui sont proposés : « La

cigale et la fourmi » souligne les dangers d’une existence imprévoyante et peu soucieuse desréalités matérielles, les déboires de cette vie de saltimbanque dont la cigale est icireprésentative ; « La cigale » d’Anouilh montre au contraire qu’il est naïf de prendre les artistespour des gens désintéressés et uniquement préoccupés par leur art, qu’en matière d’argent leplus cynique n’est pas toujours celui qu’on croit ; la fable de Svevo oppose à un noble idéalisme(le héros incarne les valeurs chevaleresques) l’absolue nécessité de l’argent et son immensepouvoir.

L’élève est supposé savoir que les fables, et les apologues en général, ne proposent passystématiquement une morale explicite, si bien que la réponse ne saurait se contenter d’unecitation, même vaguement commentée, d’un passage de chaque texte. En revanche, touteremarque complémentaire à ces reformulations, visant par exemple à comparer ces morales,sera gratifiée.

Question 2L’élève doit ici mesurer le décalage entre les « morales » qu’il vient de formuler et le mépris

pour l’argent, l’exaltation de valeurs immatérielles (l’art pour les deux premières fables, la gloire,l’amour et la sagesse dans le dernier texte) traditionnellement prônées par les morales

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religieuses ou laïques. Ce décalage peut permettre à l’élève de conclure que ces fabless’inscrivent en faux contre une certaine naïveté, qu’en réalité elles dénoncent une sociétématérialiste et intransigeante (incarnée par la fourmi), dont les principes sont incompatiblesavec le détachement et la poursuite d’objectifs élevés. Toute remarque de l’élève allant dans cesens sera largement valorisée.

C. CommentaireVous ferez un commentaire comparé des textes A et C à partir du parcours de lecture suivant :- Comparez la progression du récit dans ces deux textes.- Comparez la place que la cigale occupe dans les deux fables et le portrait qui est fait d'elle.

Critères d'évaluationLe commentaire propose une étude comparative des textes A et C (les fables de La

Fontaine et d’Anouilh), exercice explicitement prévu par le BO régissant les nouvelles épreuves.Si, dans les séries technologiques, le commentaire est guidé par un parcours de lecture, l’élèven’en doit pas moins faire un effort pour organiser son étude en adoptant un plan à l’intérieur dechacune de ses deux réponses. Dans le cas particulier du commentaire comparé, ce plan deréponse peut suivre deux méthodes :

- L’élève étudie successivement les deux textes en fonction de l’axe de lecture qui lui estproposé par la consigne. Cette démarche est acceptable dans la mesure où il ne se borne pasà une juxtaposition de remarques indépendantes, mais apprécie chaque texte relativement àl’autre, en établissant des liens et en soulignant des contrastes de façon explicite. Ici, une copiequi ne verrait pas en quoi Anouilh se réfère à La Fontaine et en quoi il s’en distingue, au moinspour l’essentiel, devrait être notée sans complaisance.

- L’élève élabore un plan, même modeste, qui lui permet de comparer les deux textes selondifférents critères, chaque critère faisant l’objet d’une partie. Dans la mesure où les critèresretenus sont appropriés, ce souci d’organisation doit être valorisé.

Proposition de corrigé 1. Comparez la progression du récit dans ces deux textes.La Fontaine propose une fable courte, qui ne comporte ni morale ni exposé didactique, le

seul commentaire qui marque une pause dans la progression du récit se résumant à deux vers(15 et 16). En revanche, Anouilh rédige un texte plus développé et décomposé en quatreétapes.

Dans les deux cas l'entrée en matière est directe (en quelques vers rapides le personnagede la cigale est présenté et le thème introduit). Anouilh réécrit la première phrase de « La cigaleet la fourmi » : à la reprise des deux premiers vers bien connus succède une transpositioninversant la situation de la cigale (voir notamment l’opposition « dépourvue »/« pourvue ».

A partir de l''opposition "dépourvue / bien pourvue" le schéma est identique : la cigale va voirla fourmi / le renard. Mais la visée de la requête s'inverse (demande de biens / demande deplacement de biens).

Les poèmes diffèrent en ce que celui de La Fontaine est vide d’argumentation alors quecelle-ci est très développée dans le texte d’Anouilh : La Fontaine veut montrer que la pauvretén’a aucun argument pour se défendre et la richesse égoïste aucune raison pour se justifier (lesvers 15 et 16 prouvent que La Fontaine condamne aussi la fourmi), alors qu’Anouilh ironise surles ressources de ruse que le renard banquier déploie pour gagner de l’argent au détriment del’artiste aussi bien que sur la froide rationalité de la cigale prête à toutes les cruautés par appâtdu gain.

Les deux fables progressent vers des conclusions symétriques : chez La Fontaine, la cigaleest éconduite, chez Anouilh le renard s'incline.

2. Comparez la place que la cigale occupe dans les deux fables et le portrait qui est fait d’elle.Dans un premier temps, l’élève peut étudier la place de la cigale à un triple titre :- dans le titre ;- dans la progression du récit et dans la signification de la fable ;- dans son rapport à l’autre personnage.Dans un deuxième temps, l'élève peut montrer comment les deux portraits sont symétriques

: pauvreté / richesse ; candeur / cynisme ; transparence / duplicité.(voir par exemple « la voyantentrer l’œil noyé sous le fard / Tout enfantine et minaudière » et « Vit un regard d’acier brillersous le rimmel » ; les verbes à connotation autoritaire : « J’entends », « Je veux », « Je sais »,placés en début de vers opposés à « la priant » chez La Fontaine ; la cruauté qui rend terrifiantson « sourire charmant ».

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D. DissertationEstimez-vous qu’écrire des fables soit une « entreprise futile » ? Vous répondrez à cette question dans un devoir argumenté et organisé, quevous illustrerez d’exemples empruntés à ce corpus, aux textes que vous avez étudiés en classe et à vos lectures personnelles.

Commentaire du sujet à destination des professeurs I. Naïveté et profondeur des « morales » Bien des fables conduisent à des morales naïves ou rebattues (« le travail est un trésor »

dans « Le laboureur et ses enfants », « Je conclus qu’il faut qu’on s'entr'aime » dans « L’âne etle chien »), qui ne peuvent instruire que les plus jeunes. Certaines morales peuvent même êtredénoncées comme immorales (voir les fables du corpus). La forme généralement brève etl’irréalité des personnages et des situations (bestiaire ou univers du conte) font suspecter ladémarche d’un genre qui prétend accéder à une vérité universelle à partir d’un cas singulier etfictif, voire invraisemblable. Cet argument peut être étayé par une comparaison avec d’autresgenres didactiques que l’élève aura aussi étudiés pendant l’année : l’essai et le dialoguephilosophique.

D’autres arguments plaident au contraire pour la pertinence du contenu des fables : la fableest parfois un discours politique crypté (la fable « Les loups et les brebis » a été affichée par lesRévolutionnaires ; Hugo intitule « Fable ou histoire » son poème des Châtiments où il dépeintNapoléon III sous les traits d’« un singe d’une peau de tigre [vêtu] », etc.) et le choix du genrese justifie souvent par la censure ou la prudence. La fable, plus descriptive que prescriptive, apar ailleurs acquis avec La Fontaine une haute valeur satirique (l’élève peut s’appuyer ici sur letexte d’Anouilh qui lui est soumis).

II. Légèreté et puissance du genre Les fables, avec leur bestiaire, leur style précieux proche de la conversation, leur humour,

sont la plupart du temps empreintes d’une légèreté qui trahit un désir de plaire plutôt qued’instruire : La Fontaine ne s’en cache pas dans sa longue préface à l’édition de son premierlivre de fables, et le mot « plaisir » revient deux fois dans le court avertissement de JeanAnouilh (texte B). Leur brièveté, leur dominante narrative, la simplicité de leurs intrigues en fontdes œuvres peu exigeantes pour le lecteur (voir la deuxième phrase du texte B).

La Fontaine répond lui-même à ces objections : cette légèreté, la défiance à l’égard du tropde sérieux, confèrent au genre le « charme » qui le rend persuasif et en fait donc uneargumentation plus efficace que les discours théoriques dont l’austérité peut rebuter le lecteur.Pour développer cet argument, l’élève peut faire appel aux avantages de l’« argumentationindirecte » en général et aux vertus de l’apologue qu’il aura étudiés en cours. Par ailleurs, pourLa Fontaine, le plaisir procuré par les fables ne mérite pas d’être dénigré, car c’est, selon lui, un« baume » consolateur, et cet apaisement n’est pas la fonction la plus « futile » de la littérature.

Si ces textes lui ont été présentés en classe durant l’année, l’élève peut enfin évoquer unefacture plus moderne des fables, par exemple à l’œuvre dans La Fable du monde de JulesSupervielle : dans « Le coquillage et l’oreille », par exemple, le simple tableau d’un anonymequi écoute le roulis de la mer en posant une conque à son oreille cache une belle réflexion sur« le dehors et le dedans ». La qualité de ces fables (et de la poésie en général) est précisémentde déceler l’intérêt caché du futile, de revêtir de sens l’insignifiant.

Critères d'évaluationDans cet exercice, l’élucidation de la problématique ne devrait pas faire difficulté, dans la

mesure où le terme essentiel, « futile », est longuement défini par la note 2. Le correcteurs’attachera donc à évaluer :

- la pertinence des argumentsOn n’attend pas de l’élève un panorama des caractéristiques du genre, mais ses arguments

doivent viser le message, la « morale » des fables et au moins certains traits formels propres augenre. Le correcteur veillera à ce que les arguments ne se bornent pas à faire l’éloge ou lacritique des fables en général, mais s’articulent toujours à la problématique de la « futilité ».

- leur organisationIl est probable qu’une majorité des copies présentera un plan en deux temps (1- futilité des

fables ; 2- profondeur ou intérêt des fables). La simplicité de cette organisation ne sera passanctionnée dans la mesure où l’argumentation est pertinente. En revanche, il va de soi quel’effort d’une structuration plus recherchée (troisième partie pour démontrer que la futilitéapparente des fables fait justement tout leur intérêt) doit être valorisé.

- la variété des exemplesComme toute dissertation, ce devoir doit utiliser des exemples tirés du corpus et des

exemples autres. Le correcteur ne pénalisera pas sévèrement les copies qui confondent

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occasionnellement fable et apologue en général, dans la mesure où l’argument reste valablepour la fable.

E. InventionRédigez une fable illustrant une morale contraire à celle du texte d’Italo Svevo (texte D), morale que vous exposerez en conclusion de votretexte. Vous utiliserez le même registre que Jean Anouilh dans le texte C.Indication complémentaire : Vous ferez intervenir à votre choix des êtres humains ou des animaux.

Critères d'évaluationCe sujet permet d’évaluer largement les compétences du candidat :- compréhension de la signification et des procédés littéraires des textes, dans la mesure où

le candidat doit avoir identifié le message du texte de Svevo pour en proposer une moralecontraire (limites des pouvoirs de l’argent, nécessité du désintéressement, apologie del’héroïsme ou de la sagesse…) et où il doit avoir reconnu le registre de « la cigale » d’Anouilh.

- correction et qualité de l’expression : la correction orthographique va de soi ; en plus, ici, ils’agit d’évaluer la capacité de l’élève à produire un texte satirique (ou pour le moins ironique).On gratifiera particulièrement les copies où le candidat aura essayé, à l’imitation d’Anouilh, demêler références contemporaines et langage précieux.

- connaissance du cours : le candidat doit en effet connaître les caractéristiques génériquesde la fable et les appliquer à son texte (articulation récit/morale, intrigue simple à valeurexemplaire, personnages typiques même s’ils sont peu caractérisés, absence de contrainte deréalisme, l’alternance récit/dialogue étant la bienvenue).

- capacités d’imagination : le sujet en général et l’indication complémentaire en particulierlaissent une grande latitude à l’élève dans le choix de ses personnages et de la situation qu’ilexploitera, ce qui permet au correcteur de valoriser l’originalité, la justesse ou le pittoresque del’intrigue proposée.

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Sujet 6 - Séries généralesObjet d’étude : le biographique

TEXTESA. François René de Chateaubriand (1768-1848), Mémoires d’outre-tombe, livre premier, chapitre 3 (manuscrit de 1847), Bibliothèque de laPléiade, Gallimard.B. Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Les Confessions, Livre 1, 1771, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.C. Georges Perec, (1936-1982), W ou le Souvenir d’enfance, Editions Denoël, 1975.D. Nathalie Sarraute (1900-1999), Enfance, Editions Gallimard, 1995.

A. Présentation du sujetLe corpus de textes s’inscrit dans le cadre de l’objet d’étude « Le biographique ». Il se centre

sur quatre textes de nature autobiographique propres à éclairer un aspect majeur mais nonunique de l’objet d’étude. La question préalable porte sur la mémoire et le souvenir ; elle vise àengager la réflexion sur la diversité des démarches de réappropriation ou de recomposition dupassé. La mémoire n’est pas l’enregistrement passif d’une époque révolue, le souvenir n’estpas la simple convocation du passé. Le corpus offre une diversité de textes destinés, par leursdivergences et leurs convergences, à aider l’élève dans l’approche problématisée del’entreprise autobiographique. Les élèves pourront donc s'appuyer sur leurs connaissances desdifférents genres (autobiographie, souvenirs, mémoires) relevant des écrituresautobiographiques.

Les professeurs gagneront à s'appuyer sur les propositions de Jean Starobinski, qui évoqueune double tonalité - la tonalité élégiaque, la tonalité picaresque - dans l’entrepriseautobiographique ; la distinction s'avère pertinente pour l'ensemble du genre. (Jean Starobinski,La Relation critique, L'Œil vivant II).

B. QuestionAnalysez rapidement le fonctionnement de la mémoire et des souvenirs dans chacun de ces textes.

Proposition de corrigé- Convergences :Tous les textes montrent l’importance de l’enfance dans la mémoire et le rôle des

sensations. Tous permettent de distinguer le « je » narré du passé et le « je » narrant et posentle problème de leurs liens complexes.

- Divergences :Au foisonnement des souvenirs de Rousseau s’oppose l’ordonnancement analytique de

ceux de Perec ; au souvenir exhibé comme trompeur par Nathalie Sarraute s’oppose lesouvenir feint de Chateaubriand, soucieux de recréer son passé et de le construire en destin.

La réponse, volontairement détaillée, ne correspond pas aux attentes du professeur vis-à-visdes élèves ; elle vise à montrer la richesse d'une exploitation en cours. Si l’élève réussit àrepérer les éléments mentionnés plus haut sous la rubrique « convergences / divergences », ilaura perçu l’essentiel du fonctionnement de la mémoire et des souvenirs dans chacun destextes et pourra donc, dans un second temps, mener à bien l’un des trois sujets suivants.

On attend que les élèves remarquent l’originalité du texte de Chateaubriand qui raconte sanaissance alors qu’il ne peut s’en souvenir consciemment. Il s’agit donc d’un souvenir façonnéà partir du récit de son entourage, représenté par le « on » : « on m’a souvent conté cesdétails ». On remarque aussi l’empreinte laissée par les récits de sa naissance, traceapparemment aussi forte que des souvenirs directs. Se mêlent donc mémoire etimagination : « Il n’y a pas de jour où rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée … ».

Rousseau ne raconte pas un souvenir précis mais s’intéresse au fonctionnement de samémoire qui privilégie les souvenirs agréables au détriment de ceux qui furent désagréables :« je sens que ces mêmes souvenirs renaissent tandis que les autres s’effacent, et se graventdans ma mémoire avec des traits dont le charme et la force augmentent de jour en jour ». Ilconstate qu’un souvenir se transforme au fil du temps. Contrairement à Chateaubriand, il insistesur le plaisir qui accompagne la remémoration : « toutes les petites anecdotes de cet heureuxâge, qui me font tressaillir d’aise quand je me les rappelle ». Il montre donc le caractère affectifde la mémoire.

Chez Perec, on note le souci de précision du narrateur qui compte ses souvenirs et chercheà en reconstituer le déroulement avec le plus de détails possible. L’emploi dominant du présentde narration dans le récit des trois souvenirs d’école montre la persistance du souvenir dans lamémoire et son caractère intemporel. Le narrateur analyse l’acte de remémoration et le travail

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de sélection de la mémoire. Il interprète l’intensité du dernier souvenir par son lien avec unautre souvenir, celui du port de l’étoile jaune. Les trois souvenirs évoquent le corps enmouvement et deux relatent une bousculade. Tous les souvenirs ne sont pas conscients, ilsappartiennent à des chaînes associatives. Cette approche témoigne d’une influence possible dela psychanalyse.

La syntaxe originale du premier paragraphe du texte de Nathalie Sarraute et sa ponctuation(cascade de compléments circonstanciels, parataxe, points de suspension) révèlent lecaractère discontinu, inachevé et éclaté des souvenirs. Ils « miment » l’effort de la mémoirepour exhumer le passé.

La deuxième partie du texte, dialogue de la narratrice avec elle-même, engage une réflexionsur l’écriture des souvenirs et souligne la tentation d’enjoliver et de transformer le souvenirbrut : « […] mais ne crois-tu pas que là, avec ces roucoulements, avec ces pépiements, tu n’aspas pu t’empêcher de placer un petit morceau de préfabriqué […] ».

C. CommentaireVous commenterez le texte de Chateaubriand (texte A ).

Souvenir ou absence de souvenir ? Le texte met en scène un souvenir inventé, recréé. Il secaractérise par l’importance problématique donnée à la naissance dans une autobiographie.Peut-être peut-on y voir une mise en abyme de la destinée de l’auteur et des thèmes majeursdu livre ; le texte annoncerait alors la suite des Mémoires d'outre-tombe. Le commentaireproposé par l'élève peut prendre des formes diverses. Quelle que soit la démarche choisie, ildevra prendre en compte cette question de la recréation du souvenir.

On pourrait, entre autres exemples, envisager le plan suivant.I. Le récit de la naissance : la reconstitution d’un souvenir indirect

1. Un souvenir indirect :Les faits sont reconstitués à partir du récit oral de témoins de sa naissance.

2. Le souci d’exactitude, de précision :- Le cadre spatial : nom de ville, rue ; opposition entre intérieur et extérieur.- Le cadre temporel : la saison, l’équinoxe.- Les personnages : mère, frère, marraine nommée précisément.- Gage de vérité : l’extrait de baptême.3. Atmosphère lugubre et sinistre :- Obscurité : « rue sombre ».- Solitude : « partie déserte ».- Mer déchaînée, tempête.

Le narrateur mêle au récit ses commentaires, il donne à sa naissance une significationprophétique.

II. L’importance et la signification données par le narrateur à ce souvenir1. Un souvenir obsessionnel :

« il n’y a pas de jour où… ».2. Un souvenir douloureux :

Champ lexical de la tristesse ; un enfant presque mort-né ; des cris étouffés par la tempête.3. Une naissance prédestinée au malheur :

Registre épique et tragique : une tempête envoyée par Dieu (« Le ciel sembla réunir … »)pour désigner la venue au monde d’un être à part mais une destinée vouée au malheur.

Autre proposition d’organisation du commentaire :I. Le souvenir.II. La recomposition du souvenir.III. La recréation du souvenir.

D. DissertationSuffit-il de se souvenir pour écrire un récit autobiographique ?Vous répondrez à cette question en un développement composé prenant appui sur les textes du corpus, les textes que vous avez étudiés enclasse et vos propres lectures.

La richesse du corpus de départ est telle qu'elle permettrait de traiter les divers aspects dusujet. Toutefois des ouvertures, par les études menées en classe ou par les lecturespersonnelles faites par les élèves, sont réclamées par le libellé. Les élèves auront à mentionnercertaines des lectures faites pendant l'année.

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On peut proposer notamment la construction suivante.Le souvenir est une composante essentielle du récit autobiographique. Néanmoins, celui-ci

ne se limite pas à l’acte de remémoration, il n’est pas non plus une simple compilation dessouvenirs. Quelle est la place et le fonctionnement du souvenir dans l’autobiographie ?

I. La place essentielle du souvenir1. Retrouver les souvenirs :

l’effort de remémoration, la mémoire sensorielle : le chant de la grive de Montboissier chezChateaubriand ( cette thématique et cette démarche analytique seront reprises et amplifiées parProust dans A la Recherche du temps perdu, par exemple l’épisode de la Madeleine) ;Sarraute et Perec dans le corpus proposé.2. Choisir, trier les souvenirs :

Rousseau choisit de ne raconter qu’un des cinq souvenirs de Bossey, Perec nous lesprésente de façon ordonnée.

II. Se souvenir ne suffit pas à caractériser le récit autobiographique.1. Reconstituer les souvenirs :

le récit de naissance de Chateaubriand.2. Le récit autobiographique est une interprétation des souvenirs :

il leur confère une place, un rôle dans la genèse de la personnalité ; par exemple l’épisodedu ruban volé chez Rousseau.3. Le récit autobiographique est une confrontation,

un dialogue entre le moi passé et présent : L’Age d’homme de Leiris.Le récit autobiographique est un discours narratif qui a aussi d’autres visées que la simple

résurrection du passé : il peut avoir une visée persuasive (Rousseau), épique et tragique(Chateaubriand érige sa naissance en destin), cathartique (Perec veut exorciser un passédouloureux).

On n'attendra pas des élèves le traitement précis de chacun des points ici traités. En termed'évaluation, l'essentiel réside dans la prise en compte de la remémoration et de sesambiguïtés.

E. InventionVous vous préparez à écrire votre autobiographie. Vous vous interrogez sur vos souvenirs d’enfance, sur les choix que vous ferez parmi eux,sur les anecdotes que vous raconterez ou passerez sous silence.Comme Nathalie Sarraute, vous dialoguez avec vous-même.

En cohérence avec la problématique du corpus, le sujet invite à réfléchir sur le travail dubiographique (sélection, interrogation, interprétation…) mais cette fois par le biais decontraintes formelles inspirées d'un texte du corpus. Si les élèves "jouent le jeu" de la sincéritéautobiographique, on peut s'attendre à des confidences (récit d'expériences personnelles,aveux familiaux…) dont le caractère douloureux ou excessivement intime ne manque pas deplonger le correcteur dans l'embarras. Les exigences formelles et discursives formulées par lelibellé aident grandement, si tel est le cas, à discriminer ce qui est à évaluer.

Critères d’évaluation - Le candidat doit écrire un dialogue ; on peut accepter de courts passages narratifs mais lamajeure partie du texte doit être au discours direct.- Le texte rédigé doit opposer dans l’échange dialogué l’existence d’un « je » narrateur et celuide son double, les deux argumentant sur les choix narratifs envisagés.- Le dialogue inclut la référence à des souvenirs précis.Seront valorisés les textes qui insèrent dans le dialogue des éléments relatifs auxproblématiques majeures de l’objet d’étude, par exemple :- Pourquoi écrire son autobiographie ?- Quelle place donner à l’enfance ?- Peut-on être exact, sincère ? (le pacte autobiographique est-il un pacte de vérité ou desincérité ?)- L’entreprise autobiographique obéit-elle à d’autres impératifs : justification de soi, réhabilitationde ses actes, anamnèse, recomposition d’un passé définitivement effacé, démarchethérapeutique, posture devant l’histoire ?- La tonalité dominante est-elle élégiaque ou picaresque ?- Comment fonctionne la mémoire ?

Il ne sera pas demandé aux élèves d’aborder la totalité des pistes évoquées.

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Sujet 7 - Séries généralesObjets d’étude : la poésie ; convaincre, persuader, délibérer

TEXTESA. Victor Hugo (1802-1885), « la Victoire », Histoire d’un Crime, 4 décembre 1852 (publié en 1877 – 1878).B. Victor Hugo, « Souvenir de la nuit du 4 », Les Châtiments, Jersey, 2 décembre 1852 (publication novembre 1853).C. Victor Hugo, Lettre à Hetzel, 6 février 1853.

AnnexesCatherine Salles, Le Second Empire, 1852/1870, coll. « Histoire de France illustrée », n°12, Librairie Larousse, 1985.Guy Rosa, extrait de la chronologie historique, édition des Châtiments, Le Livre de Poche, 1973.

A. Présentation du sujetIl n’est sans doute pas nécessaire de démontrer la cohérence du corpus : un auteur unique,

une circonstance historique très délimitée, une conception et une manifestation de la poésieexplicites. L’intérêt de la confrontation entre les deux textes de Hugo - le récit en prose, lepoème - apparaît d’emblée. La comparaison entre les deux pages permet en effet de travaillersur deux versions d’un même épisode douloureux, de confronter deux moyens d’expressiondifférents, de travailler sur la spécificité de chacun des deux textes, comme y invitent lesnouveaux programmes de la classe de première (voir le sujet du commentaire). Chacun voitbien encore combien il est aisé sur un pareil corpus de rendre sensibles les élèves à lasingularité du texte poétique, à la qualité des moyens qu’il met en œuvre, aux effets qu’ilproduit. La lettre à Hetzel situe les deux récits précédents, « paroles indignées », dans unevision plus large de la poésie et de l’écriture hugoliennes (voir le sujet de dissertation).L’ensemble des documents fournis en annexe démontre aussi la nécessité de situer les textesdans un contexte - en l’occurrence historique, biographique et politique - pour en apprécier laportée et l’enjeu.

On aura noté que ce sujet se situe au croisement de deux objets d’étude obligatoires danstoutes les séries : « La poésie » et «Convaincre, persuader, délibérer ». Les trois textes deHugo, avec des moyens et des visées différents, procèdent en effet de l’argumentation. Lesdeux récits - en prose et en vers - non seulement prononcent des réquisitoires contre NapoléonIII et son régime, mais fonctionnent dans leur totalité comme des actes d’accusation. La mort del’enfant devient un exemple de la barbarie de ce régime et sa dénonciation à elle seule devraitpouvoir réveiller les consciences, persuader les lecteurs de l’ignominie de l’Empereur honni etde ses méthodes de gouvernement. La lettre à Hetzel est celle d’un « homme politique » - c’estainsi que se désigne Hugo - ; elle sonne aussi comme un manifeste, une profession de foi quiproclame la fonction du poète, les missions d’une poésie « honnête mais pas modérée ». C’estla dimension argumentative des textes du corpus qui donne aux élèves les moyens d’amorcerla réflexion à laquelle les invite le sujet de dissertation.

La question et le commentaire portant sur une comparaison entre les deux pages, il nousparaît utile de proposer ci-après quelques-unes, selon le mot d’Aragon (voir sujet ducommentaire), des « mille choses à dire de cette prose et de ces vers comparés ».

Eléments de corrigé pour le professeur"Souvenir de la nuit du 4" est un des plus bouleversants poèmes, polémique et lyrique, de

Hugo. Aragon l’a par ailleurs magnifiquement commenté. En raison de sa densité et de sapuissance, le poème apparaît curieusement comme une réécriture du récit en prose, alorsmême qu’il est antérieur. En effet dans la « quatrième journée » d’Histoire d’un crime (LaVictoire, I, « Les faits de la nuit. – La rue Tiquetonne », chapitre écrit en 1877-1878), Hugoprécise : « J’ai raconté ailleurs cette chose tragique » et précise en note « Châtiments ». Il nousinvite ainsi lui-même à lire les deux textes en les confrontant. Loin de prétendre épuiser leséléments de comparaison, nous nous contentons ici de suggérer quelques pistes de lectureanalytique des deux textes.

Les similitudes sont nombreuses. Les mêmes événements historiques servent de cadre à lamême « anecdote » dramatique : ce sont des « choses vues » par un témoin direct, journalistede talent et visionnaire puissant, rapportées par un narrateur qui maîtrise les procédés de laprose et de la poésie pour faire éprouver à son lecteur des émotions puissantes. Le narrateur-témoin note les mêmes éléments descriptifs qui évoquent un décor et un univers marqué par lasimplicité et l’humilité. Se met en place un tableau pathétique qui appelle la comparaison avec

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les piétà : la grand-mère porte le corps de l’enfant mort, tout comme Marie soutient le corps deJésus à la descente de la croix. Le même mouvement soulève les deux récits : on passe d’uneveillée funèbre à la condamnation d’un régime politique. Les deux textes articulent les registrestragique et polémique.

L’analyse du récit en prose révèle quelques traits d’écriture particuliers qui le distinguentnettement du poème.

Le récit est localisé avec précision (Rue Tiquetonne). Il indique la présence d’autres témoinsidentifiés. Ainsi il répond à l’objectif que s’assigne Hugo dans l’Histoire d’un crime : « J’(…) aidéclaré que j’avais un devoir, celui de faire l’histoire immédiate et toute chaude de ce qui vientde se passer. Auteur, témoin et juge, je suis historien tout à fait. » ou encore dans la Préface de1877 : « Le proscrit s’est immédiatement fait historien. Il emportait dans sa mémoire indignéece crime, et il a voulu n’en rien laisser perdre. De là ce livre ». Mais l’historien se fait procureuret son récit se construit comme un acte d’accusation.

Soulignant un mouvement dramatique, il suit une progression chronologique et spatialerégulière : le lecteur suit l’action de la rue obscure à la maison, de l’entrée à la chambre ; leregard se focalise sur les objets, enfin sur le corps de l’enfant dont on détaille les parties : lefront, les yeux, la tête, l’épaule, les pieds… Ce mouvement est souligné encore par un effet dedramatisation intense : « Une chose qui était dans l’ombre » amène « Je m’approchai » quiconduit à fixer le regard sur le corps : « Ce qu’elle avait dans les bras, c’était un enfant mort ».Mais le mouvement se prolonge encore, rapprochant le regard et le corps du narrateur del’enfant ensanglanté : « deux trous rouges au front », « deux filets de sang « , «J’avais du sangaux lèvres ». Ce mouvement lent, inexorable, éprouvant, traduit l’horreur qu’éprouve lenarrateur et produit sur le lecteur un effet de pathétique violent.

Le discours « farouche » de l’aïeule est rapporté essentiellement en discours indirect àl’exception de quelques cris d’autant plus désespérés : « Je veux qu’on me le rende ». Ladouleur et la colère de la grand-mère sont marquées encore par l’éclatement du discoursnarrativisé dont on entend des bribes, dont le texte souligne les exclamations, lesinterrogations.

Le récit en prose apparaît comme un texte narratif d’une grande sobriété où apparaissentdes insistances puissantes : le motif du sang, le thème de la fragilité (« enfant », « petit » auxmultiples occurrences, « vieille »). Il présente dans le même tableau dramatiquement construitl’impuissance des « misérables » devant les horreurs d’un régime, l’impuissance des témoinsdevant la douleur et le scandale de la mort, la révolte latente.

Le poème se construit en deux parties (un tableau dramatique / un discours politique), maisl’unité de l’ensemble est fortement marquée par la construction en boucle : le dernier vers faitécho au premier, mettant sous les yeux du lecteur le spectacle affligeant d’un enfant tué.

Dans la présentation de la scène tragique, Hugo a effacé l’inutile, l’accessoire : pas delocalisation précise, aucune identification des témoins, un « nous » sobre et général (« desnôtres ») inclut le narrateur sans que son rôle soit mis en évidence. Un groupe humain indéfini,tel un chœur tragique, devient le témoin de la douleur pathétique d’une aïeule. Identiquement,les interventions du narrateur-témoin résonnent comme les commentaires du chœur de latragédie antique : « dans la rue où on en tuait d’autres » ; « Hélas ! ce que la mort touche deses mains froides… ». La mise en scène focalise l’attention du lecteur sur l’essentiel, objet dedouleur et de scandale : l’enfant mort. L’effet saisissant obtenu par le premier vers est ainsisoutenu dans la totalité d’un poème.

Le fait-divers dramatique – comme souvent chez Hugo – se transforme en symbole. Cetteélévation est sensible dans le discours de l’aïeule rapporté « directement ». ce n’est pas laseule différence avec le récit en prose. Le discours est plus long et plus organisé. Dès lors, sapuissance et sa véhémence s’en trouvent accrues. L’interpellation (« Avez-vous vu saigner lamûre dans les haies ? », les métaphores, les comparaisons (« comme un bois qui se fend »)cherchent à exprimer l’indicible et permettent de détourner l’attention de la vision insoutenable(« saigner la mûre ») ou au contraire de suggérer la violence brutale du choc (le crâne qui sefend, puissance de la rime « fend/ enfant »). Le rythme des vers contribue à créer le climat detension et le registre pathétique. Par exemple l’enjambement de « Sa bouche / Pâle, s’ouvrait »accroît la force de l’adjectif placé en rejet et associe le mouvement du détail pictural àl’ouverture de la voyelle [a].

Le discours politique adressé à l’aïeule frappe par la violence de la diatribe et son ironiegrinçante. Dans un effet admirable de polyphonie énonciative, Hugo fait entendre la voixofficielle de Napoléon III. Les citations de ses discours - programmes (« Il sauve / la famille,l'église, la société » met en place un alexandrin avec une diérèse fortement ironique)s’opposent antithétiquement à la réalité de sa politique : crimes, assassinats d’enfants,répression sanglante, déni de justice. Une articulation logique (« C’est pour cela que… ») meten parallèle les préoccupations futiles, le goût du luxe, l’orgueil de la société impériale et la

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tragique réalité. La visée polémique et satirique du poème retrouve celles de l’ensemble durecueil Les Châtiments.

B. QuestionAprès avoir lu les textes qui vous sont proposés et pris connaissance des annexes 1 et 2, vous répondrez à la question suivante :Que dénonce Victor Hugo dans les textes A et B ? Quel est celui des deux textes qui vous paraît le plus susceptible d’émouvoir et d’indignerses lecteurs. Justifiez votre réponse.

On notera que la question posée prépare à la fois au commentaire, à la dissertation et ausecond sujet d’invention.

Les analyses suggérées dans la présentation du sujet offrent des éléments de comparaisonet d’interprétation suffisants pour répondre à la question. On n’attend pas des élèves le mêmetravail. La réponse à la question impose toutefois que soient présentés :

- l’identification de l’acte d’accusation que dresse Hugo dans les deux textes : mise en caused’un régime autoritaire, violence de la répression, scandale d’une situation qui condamne à lamort des enfants ;

- quelques-uns des choix qui distinguent les deux textes. Certains élèves peuvent être plussensibles à la dramatisation du récit en prose ; d’autres au climat pathétique qu’instaure le textepoétique. On ne saurait ici imposer une quelconque hiérarchie entre les deux textes, même si lepoème s’avère d’une puissance émotive prodigieuse.

C. CommentaireParlant des textes A et B, le poète Louis Aragon a affirmé : « Je ne crois pas qu’il y ait de leçon de poésie plus valable que la comparaison dece récit en prose et de ce poème. Il y a mille choses à dire de cette prose et de ces vers comparés ».Montrez les plus importantes de ces « choses », en comparant et commentant les lignes 22 à 48 du récit en prose et les vers 20 à 48 dupoème.

Le libellé du commentaire n’est pas orthodoxe. Chacun comprendra que son originalitén’enlève rien aux exigences qui prévalent dans ce type d’exercice : qualité de la lecture, respectde la consigne, maîtrise d’une organisation. La citation d’Aragon est une invite au commentairecomparé, exercice désormais explicitement prévu dans la définition de l’EAF et illustré dans lesannales 0 par deux sujets, le 5 et le 7. Il porte ici sur deux extraits qui se répondent en écho.Dès lors, ce ne saurait être le référent seul qui doit faire l’objet d’une analyse, mais bien lesmoyens spécifiques de sa mise en scène, non le seul signifié, mais bien le signifiant.

La démarche peut emprunter des voies plus ou moins complexes. On ne saurait décrier uneméthode qui s’intéresserait d’abord aux similitudes, pour ensuite distinguer les moyens mis enœuvre. On peut cependant souhaiter un principe d’organisation plus élaboré qui permettrait decomparer les procédés et de distinguer les effets produits :

- une scène de deuil : dramatisation / théâtralisation ;- les paroles rapportées : bouleversement / réquisitoire organisé ;- la condensation du poème.

D. DissertationDans sa lettre à Hetzel (texte C), Victor Hugo propose de « réveiller le peuple ». Les poètes, les écrivains, les artistes en général, vousparaissent-ils pouvoir, mieux que d’autres, remplir cette mission ?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui tout à la fois sur les textes qui vous sont proposés, ceux quevous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles.

Les nouveaux programmes de français ont instauré des objets d’étude obligatoires dontl’intitulé est désormais rappelé en tête des sujets de l’épreuve écrite. Les élèves ont desconnaissances sur les notions ou les problématiques imposées, et ils doivent être évalués à lafois sur leurs connaissances, leur faculté à mobiliser arguments, références et exemples, surleurs capacités à ne pas « réciter une leçon », à reformuler, à concevoir une organisation quirende compte à la fois de leurs savoirs et de la spécificité du sujet donné. On peut penser quesur l’objet d’étude « poésie », les professeurs ont conduit les élèves à réfléchir à la fonction dupoète ou aux missions que s’assigne la poésie. Dès lors, en prenant appui sur l’ensemble ducorpus et en réinvestissant les acquis de leur travail de préparation, les élèves ne doivent pasavoir des difficultés majeures pour traiter le sujet posé.

La définition de la mission de la poésie est récurrente dans l’œuvre de Hugo. Pour mémoire,on peut rappeler ces vers extraits d’« Amis un dernier mot » (Les Feuilles d’automne,novembre1831) :

« Alors, oh ! je maudis, dans leur cour, dans leur antre,Ces rois dont les chevaux ont du sang jusqu’au ventre !Je sens que le poète est leur juge ! je sensQue la muse indignée, avec ses poings puissants,

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Peut, comme au pilori, les lier sur leur trôneEt leur faire un carcan de leur lâche couronne,Et renvoyer ces rois, qu’on aurait pu bénir,Marqués au front d’un vers que lira l’avenir !Oh ! la muse se doit aux peuples sans défense.J’oublie alors l’amour, la famille, l’enfance,Et les molles chansons, et le loisir serein,Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain ! »

Ce que l’on attend ici dans le traitement du sujet relève de plusieurs compétences :- la définition explicite de la mission de l’art exprimée par Hugo : il doit « réveiller le peuple »,

c’est à dire le sortir de la torpeur où le maintiennent le mensonge, la propagande, la peur, lalâcheté, la compromission, la facilité, l’art officiel ;

- l’illustration de cette thèse par des exemples précis et pertinents : la poésie engagée, cellede la Résistance (voir sujet 4), la majorité de l’œuvre de Hugo (Les Châtiments, LesMisérables, l’extrait des Feuilles d’automne « Amis, un dernier mot » de 1831, le poème« Fonction du poète » in Les Rayons et les ombres de 1839), mais aussi les « philosophes »des Lumières ;

- l’organisation d’une démarche qui permette de répondre à la question posée : pourquoi etpar quels moyens les artistes s’acquittent-ils de cette mission « politique » ? Le poète, l’artisteont à la fois un pouvoir et un devoir de subversion ;

- l’élargissement de cette problématique : qu’est ce qui confère aux artistes le pouvoir et ledevoir de « réveiller le peuple » ? On peut ici encore solliciter Hugo et des poèmes tels que « AAlfred Dürer » in Les Voix intérieures (1837).

E. InventionVous choisirez un de ces deux sujets.- En 1853, malgré les interdits et la censure, Les Châtiments sont diffusés clandestinement. Un journaliste du Moniteur écrit et publie un articledans lequel il attaque, critique et condamne le poème « Souvenir de la nuit du 4 ». Rédigez cet article.- En 1853, malgré les interdits et la censure, Les Châtiments sont diffusés clandestinement. Après avoir lu le poème « Souvenir de la nuit du4 », un journaliste prend le risque d’écrire et de faire circuler un article dans lequel il salue le courage de Victor Hugo et rend hommage à sontalent. Il est convaincu que le combat mené contre Napoléon III sera utile et aboutira.Rédigez cet article.

- Le libellé du premier sujet et la posture qu’ils conduiraient l’élève à prendre ont été remisen cause ici ou là. Demander à des adolescents de prendre la plume d’un journaliste duMoniteur de 1853 a pu choquer. Au nom de quoi, si ce n’est au nom d’une idéologieréactionnaire, peut-on condamner le poème « Souvenir de la nuit du 4 » en effet ? On peutprésenter autrement la problématique d’un tel libellé. Rédiger cet article, c’est reconnaître laforce de conviction du poème, la puissance persuasive de son propos, la charge explosive desa dénonciation, c’est s’inquiéter face à sa force et reconnaître donc, par une voie détournée, legénie du poète. Imaginer qu’un journaliste du Moniteur remette en cause les procédésemployés par Victor Hugo appelle donc l’analyse de ces procédés. On prendra ici pourexemples l’ironie finale et l’attaque frontale (« Vous ne compreniez point… ») succédant aupathétique, ou la généralisation opérée dans les trois derniers vers du poème : « les vieillesgrand-mères »… « des enfants de sept ans »…

- Il convient de rappeler que si « L’épistolaire » est un objet d’étude réservé aux seulesséries L, l’écriture d’une lettre doit être une compétence partagée. Le libellé impose ici unémetteur doté de caractéristiques propres : un journaliste engagé dans le soutien au régime enplace ou au contraire un journaliste qui partage les idéaux politiques de Hugo. Il impose enoutre un registre : critique, polémique dans le premier cas ; enthousiaste, louangeur dans lesecond. Le blâme comme l’éloge peuvent porter aussi bien sur les qualités stylistiques et leseffets émotionnels du poème que sur son contenu politique et polémique.

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Sujet 8 - Séries généralesObjet d’étude : la poésieTEXTESA. Max Jacob, « Avenue du Maine », 1912.B. Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », 1923.C. René de Obaldia, « Le plus beau vers de la langue française », 1969.D. Raymond Queneau, Lipogramme en A, en E et en Z, 1973.

A. Présentation du sujetLes documents d’accompagnement (CNDP 2001) précisent les objectifs et les contenus du

programme de première sur l’objet d’étude « La poésie » : « Le programme indique deuxgrandes directions pour cette étude : la spécificité du travail poétique sur le langage et lescontinuités et les évolutions dans les conceptions de la poésie, notamment autour desreprésentations de la modernité. ». C’est dans cette double perspective que se situe legroupement de textes proposé par le sujet n°8. La lecture cursive du corpus suffit pour prendreconscience de sa cohérence : les jeux sur le langage construisent chacun des textes, qui deMax Jacob à Queneau embrassent soixante ans de création poétique du XXème siècle.

B. QuestionCes poèmes jouent avec les mots et avec le langage. Pour chacun d’eux précisez brièvement (en une ou deux phrases) la règle du jeuadoptée.

On attend des élèves la reconnaissance de quatre procédés distincts. Le terme de« paronomase » n’est pas exigible, mais l’explicitation de cette figure s’impose (Paronomase :« Rapprochement de mots dont le son est à peu près semblable, mais dont le sens estdifférent », Littré). Le libellé de la question ne demande pas que soient analysés, fût-cebrièvement, les effets produits. Cette aptitude sera évidemment requise dans l’exercice ducommentaire.

- Max Jacob rapproche des mots qui offrent des sons analogues tout en présentant des sensdifférents ; la paronomase permet ici de créer des vers fantaisistes : « Manège ton ménage /mets des ménagements / Au déménagement ». Le poète construit aussi son jeu verbal à partirde nombreuses dérivations lexicales (« ménage / deménagent »).

- Robert Desnos utilise le « langage cuit » c’est à dire par référence à l’expressionantithétique "employer un langage cru", l’emploi systématique du mot opposé à celui qu’onattendrait : « un jour qu’il faisait nuit ; il s’envola au fond d’une rivière » pour « il plongea » ou« il s’engloutit au fond d’une rivière» ou « il s’envola au fond du ciel ».

- Le jeu sur les allitérations et assonances sature « le plus beau vers de la languefrançaise » ; mais le jeu de René de Obaldia est surtout dans le décalage ironique qu’il introduitentre ce prétendu chef d’œuvre et la leçon de français qui est censée en dévoiler lessplendeurs.

- Le lipogramme est un texte qui obéit à une règle de jeu stricte : elle interdit l’usage de telleou telle lettre dans le texte écrit. Ici Queneau s’est imposé une triple loi : la disparition desvoyelles « e » et « a », ce qui constitue une contrainte très exigeante, et celle plus humoristiquede la consonne « Z », moins difficile à suivre.

C. CommentaireVous commenterez au choix le poème de Robert Desnos ou celui de René de Obaldia.

Texte de Robert DesnosDeux modes d’organisation du commentaire peuvent ici être suggérés.1. Le premier épouse les réactions du lecteur et se situe ouvertement du côté de la réception

du poème.- Un poème surprenant et en apparence énigmatique : personnages, énonciation, logiquediscursive, cadre spatio-temporel.- La reconnaissance d’un mode d’organisation narratif.- La définition du procédé du « langage cuit » et les effets produits : esthétique de la surprise,étonnement, perte des repères, merveilleux, triomphe de l’imaginaire.

2. Le second part d’une interprétation déjà construite et organise un redéploiement du sens :- Un « langage cuit ».- Un récit merveilleux.

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Texte de René de ObaldiaIci encore, le texte se prête à deux modes d’approche.1. Le premier parcours rend sensibles les différents niveaux de sens auxquels parvient tout

lecteur qui découvre le poème, puis construit progressivement des réseaux de reconnaissanceet de cohérence, élabore enfin une interprétation raisonnée.- Une leçon passionnée de poésie.- Des jeux avec le langage : allitérations, assonances, déformations des mots, répétitions.- La parodie d’un cours de français.- Une réflexion ludique sur le langage poétique.

2. Le second parcours de lecture met en scène une interprétation déjà élaborée suivant lesétapes suivantes :- L’imitation burlesque d’un cours de littérature française.- Une interrogation sur le fait poétique.

D. DissertationSujet : La poésie passe-t-elle essentiellement par les jeux avec les mots et avec le langage ?

Le sujet invite à réfléchir sur la « fonction poétique » du langage. R. Jakobson, dans sesEssais de linguistique générale, 4e Partie, chapitre 11, « Linguistique et poétique », la définitcomme celle « qui met en évidence le côté palpable des signes », et de citer le procédépoétique de la paronomase. Les textes du corpus, amorce fertile à la réflexion, permettentd’affirmer que tout un pan de la poésie moderne est faite de jeux avec le langage. Le poème deDesnos invente un « langage cuit » ; les paronomases de Max Jacob créent un univers ludiqueoù « Avenue du Maine / Les manèges déménagent ». Les contraintes proposées par l’OULIPOet auxquelles se plie Raymond Queneau par exemple imposent d’explorer des possibilitéslangagières que le code ou les conventions sociales s’interdisent ou ignorent.

Le sujet impose aux élèves de réfléchir à la notion de « jeu » poétique. Jeu verbal d'unepart, la poésie joue aussi avec le rythme, la disposition graphique du poème. Mais d’autre partla poésie est un acte de travail sur les mots dont les limites sont extensibles : le poète se livre-t-il à une activité ludique à l’intérieur même de conventions transgressées mais reconnaissablesou cherche-t-il à créer un nouveau langage, à réinventer le langage ? Notons que cette dernièredimension n’est pas le propre de la poésie.

Dès lors, il apparaît que tout acte d’écrivain, et a fortiori de poète, engage une réflexion surles rapports qu’il entretient avec sa langue et avec les mots. On rappellera l’anecdote qui meten scène le peintre Degas et le poète Mallarmé, telle que la rapporte Paul Valéry in Degasdanse dessin. Degas déplore : « Je ne parviens pas à écrire. Ce ne sont pourtant pas les idéesqui me manquent ». Mallarmé réplique : « Mais, Degas, ce n’est pas avec des idées que l’onécrit, c’est avec des mots ».

« La poésie est un langage à part, sans être pour autant une infraction à la langue »(Michèle Aquien, Dictionnaire de poétique, « Les usuels de Poche », Livre de Poche n° 8073).Ce que l’on peut attendre des élèves ou des candidats - qui ont obligatoirement travaillé dansl’année sur l’objet d’étude « La poésie » - c’est une réflexion sur les rapports qu’entretiennentpoésie et langage. Dans l’introduction du même dictionnaire, Michèle Aquien cite trois poètesqui, à leur manière, disent ces relations complexes :- Paul Valéry in Les Droits du poète sur la langue : «Toute littérature qui a dépassé un certainâge montre une tendance à créer un langage poétique séparé du langage ordinaire, avec unvocabulaire, une syntaxe, des licences et des inhibitions différents plus ou moins descommuns » ;- Octavo Paz in L’Arc et la lyre : « L’expérience poétique est irréductible à la parole etcependant la parole seule l’exprime » ;- Paul Claudel in Cinq grandes Odes : « Les mots que j’emploie / Ce sont des mots de tous lesjours et ce ne sont point les mêmes ! ».

Le poète apparaît ainsi avant tout comme un artisan des mots. Des poèmes virtuoses desgrands Rhétoriqueurs du Moyen Age aux « objeux » de Ponge, la poésie a toujours travaillépour créer un nouveau langage, en utilisant à sa façon le lexique, la phrase, la syntaxe, laforme, l’inscription du texte dans la page, la typographie…

Il appartient aux élèves de trouver dans les poèmes lus et/ou étudiés dans l’année lesexemples les plus éclairants. Les calligrammes d’Apollinaire - et l’ensemble de son œuvrepoétique -, les explorations que Ponge fait dans Le Parti pris des choses, les recherches despoètes baroques, des dadaïstes, de l’OULIPO s’avèrent utiles pour traiter la problématique dusujet.

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Le mouvement de la dissertation peut articuler les élément suivants.I. La poésie joue avec la langage.

- Refus des règles ordinaires de l’expression quotidienne ; détournement des lois du langagesocial.- Aspect ludique des exemples proposés dans le corpus (Max Jacob, Desnos, Obaldia,Queneau).- La poésie par ses jeux sur le langage peut apparaître comme une ornementation ou un écartface au langage quotidien.- Le poète apparaît comme un technicien jouant gratuitement avec le langage.- Mais tout jeu de mots, toute recherche formelle ne mènent pas nécessairement à la poésie ; lapublicité, le slogan, le langage quotidien travaillent également l’euphonie, le rythme, l’image.

Dans bon nombre de cas évoqués la poésie se définit essentiellement par son aspectludique ; le jeu sur le langage est-il liberté prise avec le langage ou affirmation de nouvellescontraintes linguistiques ?

II. La poésie travaille sur le langage et émet de nouvelles contraintes.- Le langage poétique n’est pas simple jeu, il « cède l’initiative aux mots » (Mallarmé, Crise duvers). Ainsi le poète ne va pas rechercher un sens préexistant ; il n’est pas celui qui pense,mais celui à qui s’impose le langage.- La poésie se fonde sur des recherches autour des rimes et des jeux phoniques.- La poésie est travail sur les jeux métriques et rythmiques.- La poésie engage un usage particulier du mot : recherches lexicales, images.- La poésie peut s’inscrire dans l’observation de règles formelles - voir l’exemple fertile dusonnet - règles qui ont nourri son histoire ; « nul n’est poète sans art » (Du Bellay).

Exemples divers : les Rhétoriqueurs, la Pléiade, les recherches formelles des classiques surle beau vers. La poésie n’est pas seulement élaboration ludique ou formelle, pure gratuité ; elleengage un sens.

III. Un jeu entre liberté et contraintes qui répond à différentes fonctions.- La poésie comme expression des sentiments et de la subjectivité (fonction lyrique) ; exempledes romantiques qui choisissent les voies de l’effusion.- La poésie peut aussi être engagement et message adressé aux hommes (fonctions polémiqueet politique) ; exemple des écrivains engagés dans les tourments de l’Histoire pendant laSeconde Guerre mondiale.- La poésie peut être contemplation et interrogation sur le monde et la vie (finalitésphilosophiques) ; exemple des surréalistes qui explorent les hasards des rencontres et ledérèglement de la conscience.

ConclusionNombre de poètes modernes privilégient le jeu de mots conscient, le « travail sur la langue »

pour construire leur œuvre poétique, comme le montrent les exemples donnés dans le corpus.Le poète est celui qui accorde aux mots tout leur poids ; le poète invite le lecteur à redécouvrirle côté tangible et palpable du langage.

E. InventionVous choisirez un des deux sujet suivants.- Après avoir lu un de ces textes, un lecteur indigné écrit à une revue littéraire pour dénoncer de façon véhémente le scandale que constitue àses yeux le fait de les publier comme de la poésie. Vous rédigerez cette lettre.- Après avoir lu un de ces textes, un lecteur enthousiaste écrit à une revue littéraire pour dire le plaisir qu’il a eu à les découvrir. Pour lui, c’est lavraie poésie qui apparaît là. Vous rédigerez cette lettre.

Le double libellé réserve aux élèves le choix d’une posture. Soit l’énonciateur admire ce typede poésie - jeu avec le langage - , soit il considère scandaleux que l’on puisse imprimer de telsécrits. Notons que la production de telles lettres n’a rien d’artificiel et qu’elle correspond à dessituations de communication authentiques : le courrier des lecteurs des revues d’art - plastique,cinématographique, photographique ou littéraire - regorge de réactions après que le critique aencensé telle nouvelle œuvre jugée inepte, ou critiqué telle autre, considérée comme géniale.

On attend ici de l’élève ou du candidat :- qu’il parte précisément d’un des textes du corpus ;- que son argumentation fasse l’objet d’un développement organisé et fondé sur des élémentsprécis ;- que sa production dépasse le poème élu pour construire une argumentation sur ce qu’est lapoésie à ses yeux : conception classique, romantique ou moderne de la poésie ;- que sa production mobilise comme références (positives ou négatives) d’autres poèmes oudes poètes lus et admirés ou moins aimés ;- que la lettre rédigée porte les marques du sentiment exprimé : émerveillement, enthousiasme,ou à l’opposé indignation, colère.

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Sujet 9 - Séries généralesObjets d'étude : le théâtre, texte et représentation ; convaincre, persuader, délibérer

Textes et document iconographiqueA. Jean Racine [1639-1699], Bérénice, acte I, scène 1.B. Jean Racine, Bérénice, acte V, scène 5 (vers 1303-1347).C. Interview du scénographe et peintre Gilles Aillaud [1928-], parue dans Théâtre aujourd'hui, CNDP, 1993.D. Document iconographique : photo de la mise en scène de Klaus Michael Grüber à la Comédie française, 1986, scénographie de GillesAillaud, Théâtre aujourd'hui.AnnexeBérénice, liste des personnages.

A. Présentation du sujet1. Ce sujet croise deux objets d'étude.- Objet d'étude principal : théâtre et représentation :

Le choix d'un texte de scénographe et d'une photographie de son spectacle doivent permettrede réfléchir sur les différentes options qu'on peut prendre lorsqu'on "représente" une pièce.Le sujet de dissertation permet de mettre en perspective la tradition scolaire de l'approchethéâtrale ("lire") et les conditions de diffusion sociales du théâtre.

- Objet d'étude : convaincre, persuader, délibérer : l'essai, le dialogue, l'apologue :Le corpus propose deux formes de dialogue : dialogue théâtral et interview.Dans un cas, un dialogue impossible (Bérénice), dans l'autre, un pseudo dialogue. Lesconnaissances des élèves pourront leur servir dans le cadre du commentaire, ou pour le sujetd'invention lorsqu'ils réagiront sur le travail de Gilles Aillaud.

2. Les élèves auront aussi la possibilité d'exploiter leurs connaissances en histoire littéraire(classicisme / le théâtre au XVIIème siècle) tant pour le commentaire que pour la dissertation.Racine conçoit ses pièces comme des œuvres à représenter devant le Roi et la cour, et pourBérénice, il s'agit même d'un acte politique. "La pompe de ces lieux" redouble celle du lieu de lareprésentation. Les connaissances qu’ont les élèves sur le contexte historique de la création dela pièce seront utiles pour critiquer la démarche de G. Aillaud qui affirme ne pas tenir compte ducontexte de rédaction de la pièce.

3. Le travail d'écriture d'invention présente enfin l'intérêt de proposer aux élèves de choisirune position aussi bien qu'un registre. L'argumentation peut-être développée aussi bien enpartant de la démarche du scénographe que du résultat de son travail, mais aussi à partir de cequ'auraient imaginé les élèves à la lecture du texte (lien avec la question n°1).

Le sujet est l'occasion de mettre en œuvre des connaissances acquises en lecture del'image, et plus particulièrement de réinvestir ce qui aura été vu en termes de représentationthéâtrale (position des personnages dans l'espace, valeur des éléments du décor, costumes…).

B. Questions1. Quelles indications concernant l'espace scénique de Bérénice vous donnent les deux textes de Racine (textes A et B) ?2. En prenant appui sur la photographie et sur l'interview de G. Aillaud, présentez brièvement les choix du scénographe.

Question 1Critères d'évaluation

- observation précise des textes ;- connaissance des didascalies internes ;- utilisation du paratexte ;- capacité d'induction.

Proposition de corrigéTexte A

Les élèves trouveront aisément (grâce à la lecture du texte de G. Aillaud) que le lieu est àconsidérer comme un espace médian entre les appartements de Titus et de Bérénice.

Les termes de "pompe" et de "superbe" (expliqués en note) posent la question de la manièredont le pouvoir orgueilleux cherche à s'illustrer. L'étonnement d'Arsace redouble celui duspectateur et se charge de l'exprimer (les élèves ne sont pas censés connaître le sensclassique du verbe, mais peuvent s'interroger sur cet étonnement).

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"Cabinet solitaire", répétition du mot "secret" : ces notations peuvent permettre des'interroger sur le paradoxe du secret violé par le regard du spectateur et sur la manière de lereprésenter.

Les plus attentifs s'interrogeront sur le "Arrêtons un moment" qui inaugure la pièce etpourront trouver dans le texte B des éléments pour nourrir leur réflexion.Texte B

La connaissance des règles du théâtre classique ("en un lieu…") peut amener les élèves àquelques remarques pertinentes : il s'agit du même lieu ; cette unité renforce le caractèrestatique - déjà pressenti dans le "Arrêtons…"- et qui pourra être confirmé par la contradictionentre les affirmations de Bérénice ("je pars") et le fait qu'elle "demeure".

Les élèves pourront néanmoins signaler un problème : le lieu est désigné comme celui des"appartements" de Bérénice, appartements décorés de festons où les noms des deux amantssont enlacés ; l’espace scénique apparaît ainsi comme le lieu d'amour, contraire à l'orgueilsolitaire du cabinet qui se présentait en scène 1.

On pourra aboutir à une réflexion sur l'espace scénique : faudrait-il imaginer deux décors ?faut-il concevoir un lieu à fonctions multiples, susceptible de représenter les deux lieux ?

Enfin, la présence de la rumeur du peuple peut faire imaginer un espace ouvert sur Rome.

Question 2Critères d'évaluation

- observation du texte et de l'image ;- repérage de l'essentiel ;- reformulation.

Proposition de corrigéLa lecture du texte de G. Aillaud et l'observation de l'image permettent d'effectuer les

remarques suivantes :- la scénographie n'a pas recours à des références contextuelles ou textuelles ; on note

l’atemporalité des choix pour le décor et les costumes. Même si les élèves ne savent pas que laréférence à Dioclétien est un anachronisme, ils peuvent constater que les marqueurs temporelssont quasiment absents et que la pierre au centre du décor évoque une idée d'immuabilité.

- Gilles Aillaud conçoit un espace binaire : le masculin, romain, "dur" de Titus ; le fémininoriental, "flottant" de Bérénice. Cette conception cherche à souligner la distance qui s'estconstruite entre les deux amants et que confirme l'éloignement des deux corps sur la photo. Onpeut constater que les regards ne se rencontrent pas.

C. CommentaireVous commenterez l’extrait de la scène 5 de l’acte V de Bérénice (texte B).

Critères d’évaluation- mise en œuvre des connaissances sur le fonctionnement du dialogue au théâtre (longueurdes répliques, enchaînements…) ;- mise en œuvre des connaissances sur les registres pour caractériser les personnages ;- maîtrise de la langue (ici, importance des modalités) ;- connaissance de la métrique et des places remarquables dans le vers ;- exploitation du paratexte et des orientations proposées par les questions ;- capacité à organiser le propos ;- expression et intégration des références au texte.

Proposition de corrigéLe commentaire a d'abord pour vocation d'éclairer le sens du texte et de rappeler le propos

de la pièce (la manière dont l'extrait s'y inscrit). On peut penser que le travail sur le dialogueeffectué dans le cadre des objets d'étude aidera les élèves à réfléchir ici sur sesdysfonctionnements. Enfin, les éventuelles analyses des déplacements des acteurs sur scènepeuvent engager les élèves à s'interroger sur l'aspect statique des personnages.

I. Le conflit amour / étatLa lecture du paratexte doit aider les élèves à saisir l'enjeu de la discussion entre les

personnages ainsi que celui de la pièce, et dès lors de ce qui fait le ressort du tragique.II. L'impossible dialogueOn note au début du texte, dès le premier hémistiche : "Non, je n'écoute rien", paroles

prononcées hors de toute réponse à un précédent discours, soulignées par les négations (non,rien).

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On peut étudier l'enchaînement des répliques v. 4-5 : « Je ne veux plus vous voir / Mais degrâce écoutez ». Cet enchaînement impossible conduit à l’aparté (v. 6), à la parole coupée. Etpourtant, on pourra souligner la progression : «Demeurez /que je demeure» qui correspond àune reprise des paroles de l'autre, même si c'est avec une autre modalité et un autre registre ;au sein du même vers 10 on passe de la tension totale à une première forme d'union avec uneffet de rime intérieure : "Et je pars" (3)/ Demeurez (3) //Ingrat, que je demeure (6).

Le même effet de rime entre les deux premiers hémistiches sur "promis" se retrouve aux v.32 et 33, comme dans la reprise du "haïr" avec la rime impossible « haïsse/ Bérénice » (vers33-34). Ce retournement est confirmé par l'évolution des temps de parole, Titus peut enfins'exprimer.

On relèvera enfin le nombre d'interrogations formulées par Bérénice mais qui n'attendentpas de réponses et la présence de registres différents. Le désespoir de Bérénice prend lesaccents de la colère et de l'indignation. Le désespoir de Titus se traduit par deux mouvementsopposés : d’abord l'abattement puis la révolte contre l'injustice qui lui est faite.

La synthèse partielle de l’analyse peut prendre la forme d’une interrogation : qui donc est"orgueilleux", qui donc est "cruel" ?

III. L’impossible départOn peut mettre en évidence la contradiction entre les dires et les actes de Bérénice en

relevant le nombre de fois où le départ est affirmé et pourtant contredit par le simple fait queBérénice parle.

On remarque le retournement : "je veux partir / je pars et vous me l'ordonnez". Lemouvement volontaire devient un mouvement subi et impossible.

On pourra noter, si on a bien lu le paratexte, que toute la problématique de la pièce est là :Bérénice renvoyée doit prendre elle même la décision de partir.

La réflexion sur le caractère statique de la mise en scène trouve ici son sens.

D. DissertationGilles Aillaud affirme qu'il est des pièces qui ne sont pas à "représenter mais à lire". Vous réfléchirez sur ce propos en vous aidant du corpusmis à votre disposition, des œuvres que vous avez étudiées en classe et de votre expérience de spectateur.

Critères d'évaluation- exploitation du corpus ;- exploitation des lectures effectuées dans l'année et des analyses faites en classe ;- exploitation de la culture théâtrale ;- pertinence des arguments ;- organisation du propos ;- pertinence des exemples et qualité de leur exploitation ;- expression et intégration des références.

Proposition de corrigéLire, c’est déchiffrer dans la linéarité, mais aussi et surtout mettre en relation, prendre le

temps de s'arrêter pour s'interroger, pour analyser. Rôle très actif du lecteur qui intervient dansle texte, participe à son élaboration.

Représenter, c’est présenter une nouvelle fois : le mot même souligne le phénomène derecréation, de transformation ; il renvoie de plus à un autre code, le code de l'imageprincipalement qui peut venir redoubler le texte, le compléter, se superposer à lui, voire le nier.S’ajoute pour le spectateur l’impossibilité d'arrêter le temps : le théâtre peut alors être considérécomme un art "total" certes, mais aussi totalitaire.

On peut accepter aussi bien un plan dialectique, qu'une prise de position étayée.

Exemple de planI. Une position doublement paradoxale

1. Le théâtre se définit comme un texte à voir (cf. étymologie du mot, cf. le fait que les auteurspensent leurs pièces en fonction d'acteurs précis, en fonction du lieu où la représentation auralieu).2. G. Aillaud formule une telle affirmation alors qu'il est lui-même chargé de la scénographie.Et pourtant, l'on peut justifier cette position.

II. Pourquoi privilégier la lecture du texte théâtral ?1. Reprise de l'argument d'Aillaud : sa dimension poétique.2. Mais, au delà, au nom de la liberté du lecteur :- liberté de circuler dans l'œuvre,- liberté de s'attarder sur le sens d'un mot d'une réplique, d'une tirade, liberté de "muser",

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- liberté d'imaginer les éléments d'une représentation,- liberté de refuser toute mise en image, toute actualisation du texte.

E. InventionUn lecteur réagit au travail de Gilles Aillaud et adresse son texte au courrier des lecteurs de Théâtre d'aujourd'hui. Il pourra exprimer sonadmiration, son ironie ou son indignation. Vous rédigez ce courrier.

Critères d'évaluation- critères formels : l’adresse au courrier des lecteurs impose l’emploi de la 1ère personne dusingulier, l’explicitation des raisons de la prise de plume ; on rédige un texte d'humeur, quipermet une grande souplesse des articulations logiques et de la structure ;- analyse des justifications présentées par G. Aillaud ;- observation attentive de la photo ;- exploitation des apports donnés par la réponse à la première question ;- qualité et richesse des arguments ;- cohérence du propos (organisation, unité du registre).

Proposition de corrigéLa scénographie de G. Aillaud peut provoquer l'admiration :

- on peut apprécier le génie de l'intuition, le travail des masses et de la lumière, la clarté desoppositions entre le féminin et le masculin, ce qui facilite l'appréhension du spectateur.- on peut aussi aimer la désinvolture du peintre, son goût de la provocation, sa franchise.

L'épistolier choisit l'indignation : le spectateur-lecteurpourra reprocher à G. Aillaud

L'épistolier choisit l'ironie : le spectateur-lecteur pourrase moquer de G. Aillaud en arguant de

- Sa présomption, voire sa prétention : "Racine à monsens n'est pas très théâtral"; "je préfère celui deresponsable visuel", voire sa cuistrerie (citation dePonge).

- Sa manière de travailler caractérisée par l'absence deculture : pas de référence à une connaissance de lareprésentation classique ; aucun recours à uneréférence, une théorie.

- Arbitraire des choix : modèle de l'appartement deGruber,"me faisait penser à celle de Matisse".

- Vision stéréotypée, caricaturale : système binaire dumasculin et du féminin.

- Approximations : "mosaïques d'inspiration romaine surun thème plus ou moins érotique de l'époque deDioclétien".

Idem

- Ses erreurs de jugement : la comparaison entremettre en scène Racine et mettre en scène Baudelaireest elle-même absurde, puisque Baudelaire n'a pasécrit ses poèmes en vue de les représenter.- Voire sa naïveté : " les images ne sont pas venues","la pierre sert à "meubler".

Idem

Idem

Idem

Idem

- Rapprochements non motivés : "l'antique, maiségalement ce tableau de Matisse".

- Lecture simplificatrice de la scène 1 (voir réponse à laquestion 1).

- Préférence pour le travail solitaire du peintre.

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Sujet 10 - Séries généralesObjet d’étude : le biographique

Textes et document iconographiqueA. Michel Leiris [ 1901-1990], L’âge d’homme, 1939.B. François de La Rochefoucauld [ 1613-1680], Recueil des portraits et éloges, 1659.C. Denis Diderot [1713-1784], Salon de 1767.D. Document iconographique. Louis-Michel Van Loo [1707-1771], Denis Diderot, écrivain, 1767, Le Louvre.

A. Présentation du sujetCe sujet pose le problème de l'écriture de soi à travers un corpus qui juxtapose des

autoportraits et un portrait, celui de Diderot par Van Loo, commenté par Diderot, critique d’art,et à travers lequel il construit son autoportrait. La clé qui permet d’interroger le dossier peut êtreformulée ainsi : les images de soi, destinées aux autres, peuvent-elles prétendre atteindre lavérité ou au moins l’objectivité ?

En mettant en relation la littérature et la peinture, ce dossier illustre une piste qu’il estessentiel de développer dans le travail en classe.

B. QuestionEn quoi le texte de Diderot (texteC) diffère-t-il des deux autres ? En quoi cependant peut-il en être rapproché ?

On propose aux élèves une mise en comparaison de textes pour évaluer leur aptitude àsaisir et à justifier, dans un groupement de textes, leurs points communs et leurs différences. Letravail sous la forme de groupements de textes doit les avoir entraînés à faire ce type d’analyseet à en rendre compte dans une mise en ordre étayée d’exemples tirés des textes.

On attend que l’élève formule ce qui fait l’originalité du texte de Diderot puisque sonautoportrait est tracé à partir des choix du tableau peint par Van Loo.

- Les différences se trouvent, dans la première partie du texte, au niveau de l’énonciation(« sur sa robe de chambre », « on le voit de face ») qui produit un effet de distance par ledédoublement et presque l’étrangeté de l’image renvoyée. Diderot nie la vérité de ce portrait« Mes enfants, je vous préviens que ce n’est pas moi. ».

- Les points communs sont nombreux à mettre en évidence. On en attendra plusieursaccompagnés de l’analyse des passages qui les éclairent : l’énonciation à la première personnequi apparaît dans la deuxième partie du texte de Diderot comme dans les deux autres, larecherche de la connivence avec le lecteur obtenue par la mise en évidence dans les troistextes d’un regard distancié et critique.

On valorisera les réponses qui montrent le rôle du miroir dans les textes A et B et qui verrontque le portrait de Van Loo joue le même rôle dans le texte de Diderot.

C. Commentaire Vous commenterez le texte de La Rochefoucauld (texte B).

Il s'agit d'un autoportrait "canonique", exemplaire par son organisation comme par leproblème de l'affichage d'une impossible objectivité. Les élèves y retrouvent donc un discours(le descriptif) et un problème (le regard porté sur soi-même) forcément abordés au cours de lascolarité. La question préalable les a aidés à entrer aussi dans ce texte.

Le commentaire pourra mettre en évidence :- l’organisation du portrait qui passe de l’aspect physique à la mise en évidence d’éléments

du caractère (dehors/dedans) ;- la recherche de l’objectivité par l’étude des tournures syntaxiques et des choix lexicaux qui

refusent la mise en valeur du personnage ;- l’opposition entre la modestie affichée et la fierté qui dessine l’éloge (dedans/dehors) par la

justification faite par lui-même de ce qui est présenté comme « fidèle » à sa vérité intérieure. Untravail sur les oppositions lexicales complexes pourra montrer le décalage entre la rhétoriqued’un portrait qui s’affiche comme élogieux par le titre du recueil dont il est tiré, avec les choixd’écriture qui y sont mis en œuvre. Le modèle proposé est celui de la lucidité et de l’analyse etnon celui de la personne comme le montre la dernière phrase dont le mouvement est complexe.

L’analyse de la dernière phrase sera à valoriser car elle trace des pistes de réponses sansqu’on puisse attendre une formulation aussi précise de la part des élèves.

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D. DissertationEn prenant appui sur le corpus proposé, sur les œuvres que vous avez étudiées au cours de l’année et sur vos lectures personnelles, vousréfléchirez à l’intérêt et aux difficultés qu’il peut y avoir à se peindre soi-même.Vous présenterez vos réflexions en un développement ordonné.

Il faut d’abord signaler que le sujet proposé est en extension vis à vis de l’aspect développépar le corpus. Il renvoie à l'enjeu ou aux enjeux de la représentation de soi, qui traversentdifférents arts (visuels ou littéraires) et différents genres (autoportraits, journaux intimes,autobiographies, voire essais). Les élèves y rattacheront les connaissances acquises dansl'année sans qu'on attende d'eux le traitement exhaustif d'une question que la critique littéraireet esthétique considère comme transversale. Les choix personnels des élèves pourront sortirdu cadre littéraire car l’autobiographie représente un genre dont ils apprécient la lecture. Leurschoix ne les porteront pas toujours vers les textes que nous aurions tendance à attendre. Onveillera à observer l’équilibre de ces choix qui doivent aussi faire appel au travail de l’année etdont on voudrait trouver une trace dans le développement.

« Se peindre » doit être explicité pour ouvrir à d’autres formes que celle du portrait, quiauront été travaillées dans l’année et qui pourront illustrer le développement élaboré par l'élève.Cette explicitation pourra pointer la permanence de ce type d’écriture et l’illustration pourra enêtre faite par les textes du dossier en même temps qu’à l’aide des diverses lecturesconvoquées par l’élève.

Le libellé du sujet conduira un grand nombre d’élèves à organiser leur développementautour des termes « difficultés » et « intérêt » en dégageant dans une troisième partie leurposition personnelle ou en la faisant apparaître au fil de l’exposé sous la forme d’une prise deposition étayée.

On pourrait imaginer aussi un développement qui ferait un répertoire des différentes formesautobiographiques et qui montrerait pour chacune les difficultés et l’intérêt que peut y trouvercelui qui écrit. La problématique serait : quelle forme choisir pour écrire son autobiographie ?On se place alors du côté de la production et non de la réception, ce qui n’interdirait pasd’ouvrir, dans ce cas, une dernière partie qui montrerait les préférences du lecteur que noussommes et permettrait de justifier un goût pour telle ou telle dont on peut être lecteur assidu.

Pour montrer la difficulté que l’on peut rencontrer à se peindre :- se connaître, s’observer, mettre à distance les événements, les sentiments ;- choisir parmi les éléments car on ne peut tout dire ;- décider d’un ordre pour rendre compte de l’expérience ou de l’état d’esprit qu’on donne à

découvrir ; - respect de la chronologie ou reconstruction éclairante ;- choisir son destinataire : écrire pour soi, pour ses contemporains, pour la postérité.Les élèves s'appuieront sur des arguments qui montreront l’intérêt de l’écriture

autobiographique :- faire partager une expérience, qu’elle soit originale ou ordinaire ;- porter témoignage d’une situation dans un moment donné ;- rendre compte d’un état d’esprit du moment qu’on choisit d’évoquer ;- se proposer de donner à voir au lecteur des facettes de sa personnalité (effet de

distanciation qui lui permettra de mieux se comprendre). Miroir tendu pour qu’il y retrouvequelque chose de lui-même ;

- comprendre plus précisément qui on est ou qui on était car souvent il y a un décalagetemporel entre le moment relaté et la mise en mots qu’on doit faire pour le lecteur ;

- témoigner d’une originalité ou s’inscrire dans une filiation qui donne une valeur plusgénérale au propos.

On peut imaginer que quelques devoirs pourront proposer une thèse personnelle :- l’autobiographie est un miroir dans lequel chacun de nous découvre ou retrouve

alternativement ce qu’il est , ce qu’il ne connaissait pas encore, ce qu’il voudrait être ou ce qu’ilcherche à fuir ;

- l’autobiographie part du particulier, de l’anecdotique mais vise à donner une vision plusgénérale ;

- l’autobiographie permet de saisir que la conscience claire de ce qu’on est est construite, etqu’elle doit toujours être mise en regard de l’image que les autres nous renvoient et qu’ils onteux-mêmes construite. La vérité ne peut être perçue qu’au croisement de ces divers regards,donc toute simplification est elle-même illusion.

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E. InventionLe peintre Van Loo défend son œuvre et tente de démontrer à Diderot que seule la peinture permet de tracer un véritable portrait. L’écrivainestime quant à lui que seule l’écriture permet d’atteindre ce but. Vous présenterez ce débat sous la forme d’un dialogue entre le peintre etl’écrivain et donnerez le dernier mot à l’interlocuteur de votre choix.

Ce travail suppose certaines connaissances esthétiques de la part des élèves. L'importancedes confrontations entre le visible et le lisible dans le champ théorique, et l'insistance sur l'étudede l'image en classe de français, qui y répond au plan didactique, devront les avoir préparés àce genre de travaux. Ce sujet est l'occasion de rappeler en conséquence la nécessité deconsacrer une part de l'enseignement à la découverte des arts visuels, que ce soit à l'occasionde séances régulières (portraits d'écrivains dont on étudie l'œuvre, analyse d'illustrations, dedessins de presse, de tableaux, d'affiches de spectacles, de couvertures de livres…) ou dans lecadre d'une séquence complète organisée autour de ce problème. Certains pourront trouverdans un tel sujet l’occasion de faire valoir leur culture personnelle. Le tableau qui suit estdestiné à proposer des pistes de réflexion que les élèves auront pu se donner avant d’entrerdans l’écriture du dialogue.

Arguments de Van Loo Arguments de Diderot- La saisie des éléments de la personne,du lieu et de l’époque s’impose dans unevision instantanée.- Le cadre autour du tableau délimitel’espace et fait une place au lieu danslequel évolue le personnage.- La peinture rend compte du mouvementet saisit la gestuelle.- Le regard y prend une place importanteet c’est ce qui rend compte de la vie d’unpersonnage.- La comparaison avec d’autrespersonnages peut être opérée par le choixde la construction, des couleurs et desformes. La mémoire visuelle est forte pourcelui qui observe le tableau.- Seule la peinture donne à voir lapersonne.

- On peut suivre un personnage dans letemps au lieu de ne retenir qu’un momentdélimité.- On peut faire apparaître des facettesdifférentes ou convergentes de la personne.- Le portrait permet de rendre compte duphysique, des traits du visage, desmouvements d’une personne.- On donne à comparer l’apparenceextérieure et la pensée. Vision pluscomplexe de la personne.- L'écriture permet de donner un certainnombre d’informations utiles pour lacompréhension de la situation, de l’état dupersonnage. On dépasse le constat ou letémoignage.- Les mots évoquent les couleurs, lesmouvements, les formes : ils donnent à voircomme la peinture.

La forme d’écriture attendue est la construction d’un dialogue d’idées faisant apparaître despoints de vue d’artistes qui ne travaillent pas avec les mêmes matériaux mais qui ont la mêmevisée : « donner à voir et à comprendre ».

La question laissée ouverte est celle de la préférence qui sera exprimée par tel d’entre eux.Il est clairement demandé de faire un choix et on doit considérer que la recherche de laconciliation n’est pas contenue dans la consigne. C’est un dialogue « engagé » et non larecherche d’un point de vue partagé par les deux interlocuteurs que le libellé du sujet demanded’écrire. Ceci n’interdit pas qu’il y ait une forme d’interaction dans le dialogue développé.

Ce dialogue d’idées qui s’opposent ne doit pas laisser la parole à une seule des deux voix :les deux artistes débattent et l’un d’eux n’est pas simple auditeur de l’autre. Cela implique uneforme d’équilibre dans le nombre de répliques sans nécessairement viser l’exacte distributionentre les contradicteurs.

En revanche si Van Loo et Diderot peuvent rester dans la polémique, il ne faut pas oublierqu’ils ont des liens d’amitié, comme l'élève a pu l'apprendre à la lecture du texte de Diderot. Encela, l’élève devra prendre en compte le texte proposé à sa lecture, sans le trahir. C’estnotamment dans la langue utilisée qu’on trouvera des traces de ces points que l’élève aura àchoisir.

On attend d’un élève de classe de première que les registres fassent l’objet d’une réflexionavant qu’il engage une telle écriture. C’est l’interprétation que l’on pourra faire des choix opérésqui compte davantage que le strict respect de ce qu’un élève ne peut « inventer », et qu’onn’est pas en droit d’attendre de lui, dans la connaissance de la langue mise en jeu dans unéchange supposé entre deux artistes du XVIIIème siècle.

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Sujet 11 - Série littéraireObjet d'étude : les réécritures

TEXTESA. Alexandre Dumas-fils, La Dame aux camélias (1852), drame, extrait de l’Acte I, scènes 9 et 10, Editions Garnier-Flammarion, 2000.B. René de Ceccatty, « Le temps du rêve », avertissement de l’auteur à sa version théâtrale modernisée de La Dame aux camélias (2000).C. René de Ceccatty, La Dame aux camélias (2000), adaptation théâtrale modernisée du texte d’Alexandre Dumas-fils, extrait du tableau VI,Editions du Seuil, 2000.

A. Présentation du sujet S’il s’inscrit dans l’objet d’étude "les réécritures", il est aussi lié par son corpus et les

problèmes qu’il soulève à l’objet d’étude "Le théâtre, texte et représentation". La modernisationpar René de Ceccatty du drame d’Alexandre Dumas-fils permet de réfléchir à la réception d’uneœuvre, au degré d’acceptabilité des conventions ou du pathétique suivant les époques. Le texteB explicite certains des reproches adressés par la modernité aux conventions du drame, etfacilite donc le travail de confrontation des textes demandé aux élèves. Par sa présence, ilpermet aussi d’évaluer la capacité à utiliser le paratexte.

B. QuestionVous répondrez d’abord à la question suivante :A partir de deux exemples précis confrontant les textes A et C, et en vous appuyant sur le texte B, vous expliquerez dans quelle perspectiveRené de Ceccatty a choisi d’infléchir l’œuvre d’Alexandre Dumas-fils.

Cette question préalable aide à entrer dans la problématique de la réécriture ; elle renvoieaussi au problème de l’évolution des conventions théâtrales et de leur réception. Elle vise àpréparer aux trois sujets proposés. Pour le commentaire, l’élève peut prendre en comptecertaines spécificités du texte de René de Ceccatty et commencer à analyser les modificationset « corrections » qu’il impose à celui d’Alexandre Dumas-fils. Pour la dissertation, la réécritureconçue comme modernisation fournit un argument dans le débat proposé. Pour l’écritured’invention, le travail préalable permet d’envisager certains exemples du pathétique à l’œuvredans le texte A, que l’élève aura à amplifier pour parvenir à la parodie exigée.

La réponse à la question suppose une réflexion précise sur le texte B, qu’on peut tenir pourun guide de lecture, l’auteur y expliquant ses réserves quant à l’écriture théâtrale d’AlexandreDumas-fils et plus exactement de son époque. La perception d’un « artifice » (ligne 1), ladénonciation d’un « langage naturaliste et emphatique » (ligne 4), la mention de « précautionsoratoires » (ligne 8) sont autant d’indices pour comprendre la direction dans laquelle René deCeccatty a voulu retravailler le texte initial. L’étude du texte B requise par le libellé de laquestion aide donc les élèves, qui y apprennent ce qu’ils doivent chercher dans la confrontationdes textes A et C.

On a limité à deux exemples précis le travail de confrontation dans le souci de ne pasalourdir exagérément le travail. Chaque exemple de confrontation des textes, analysé etexpliqué, pourra être noté sur deux points. Les critères d’évaluation sont les suivants :

- une sélection pertinente des exemples : il s’agit de confronter des passages précis desdeux textes dans lesquels le travail de réécriture est apparent ;

- une étude précise de la réécriture : un collage de citations n’explique rien s’il nes’accompagne pas d’une analyse succincte, d’un effort d’interprétation.

On peut attendre, parmi d’autres possibilités :- La comparaison du traitement de l’exclamation « Comme je suis pâle ! » dans les deux

versions. Dumas-fils opte pour un monologue avant l’entrée en scène d’Armand. L’artificialité duprocédé théâtral s’accompagne d’exclamations pathétiques (« Ah ! » encadrant l’énoncé) et dedidascalies fort abondantes qui redoublent le caractère pathétique du propos (« Essayant dereprendre sa respiration », « Elle se regarde dans la glace », « Elle met sa tête dans ses mainset appuie ses coudes sur la cheminée »). L’énoncé pathétique est donc souligné par lagestuelle et la situation du personnage seul en scène : la dramaturgie court le risque de laredondance. René de Ceccatty a choisi pour sa part d’intégrer la réplique au dialogue, où ellevient confirmer à la ligne 7 la réplique précédente. La seule didascalie maintenue est cellementionnant le miroir, élément indispensable à la situation. Immédiatement suivie de phrasesbrèves et sèches (« Je me tue. Et alors ? »), l’exclamation apparaît comme un rapide momentde révélation, comme une brutale inquiétude aussitôt maîtrisée. Par les jeux de scène, lerythme et la construction de la parole, les deux versions opposent ainsi une dramaturgie del’effet à une réécriture visant à estomper les procédés du mélodrame.

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- Une comparaison de variantes plus longues.Des lignes 12 à 18 notamment, René de Ceccatty innove en faisant exposer par Marguerite

sa philosophie de la vie : apparence, séduction, variété, la question du plaisir étant évoquéepuis laissée de côté. Ce passage ajoute une dimension réflexive au personnage de Marguerite,et répond davantage à une morale moderne qu’aux bienséances du théâtre du XIXème siècle.

D’autres exemples sont évidemment envisageables : l’approfondissement du personnaged’Armand questionné par Marguerite dans la version de René de Ceccatty, la disparition dedéclarations solennelles et un peu trop imagées (« Le cœur ! c’est la seule chose qui fassenaufrage dans la traversée que je fais », réplique 18 de la scène X), la substitution d’unvocabulaire direct et presque brutal (« Séduire », « jouir », « chaste », « une petite bourgeoisefort tendre ») aux périphrases sentimentales d’Alexandre Dumas-fils (« D’une sympathieirrésistible que j’ai pour vous »), l’avertissement de Marguerite (« Ne prenez pas cette minedramatique ») presque emblématique du travail de René de Ceccatty. Dans tous les cas, lesexemples concernent chaque fois les reproches d’artificialité, d’emphase ou de prudencemoralisatrice. On sanctionnera toute confrontation sans étude des visées et effets desvariantes ; on valorisera les efforts d’analyse et la prise en compte du texte B comme guide deconfrontation.

C. Commentaire Vous commenterez l’adaptation de René de Ceccatty de La Dame aux camélias (texte C).

Dans le cadre de l’objet d’étude, le commentaire suppose une réflexion concernant laréécriture, comme le précise le terme choisi dans le libellé (« vous commenterez l’adaptation »).Il convient donc que les élèves envisagent le texte C non comme une totalité close, mais dansses liens et déplacements avec le texte initial. Cette optique générale du travail de commentairene signifie cependant pas que la copie doive confronter terme à terme les textes A et C. Onn’imposera donc pas un commentaire comparé, mais une étude interprétative qui prenne encompte la question de la réécriture. D’autre part, même si l’objet d’étude « le théâtre : texte etreprésentation » ne se trouve pas explicitement mentionné dans le sujet proposé, il est permisd’estimer que la considération de la dimension dramaturgique s’impose dans le travail decommentaire d’un texte théâtral.

Compte tenu de ces exigences minimales, le commentaire pourra envisager :- le rythme et l’évolution du dialogue (choix de répliques brèves, renversement du jeu des

questions, Marguerite interrogeant Armand au moins autant qu’elle se voit questionnée) ;- la relation des personnages : inquiétudes, reproches, plaintes ou ironie ne se comprennent

ici que dans le cadre d’une scène amoureuse. L’appartenance à deux mondes différents, voireinconciliables, est particulièrement soulignée dans la deuxième moitié de l’extrait ;

- les liens entre amour et mort, l’amour étant conçu comme le rêve d’un partage de lamaladie (« Avez-vous la même maladie que moi ? » / « Je voudrais être malade à votreplace ») ;

- la tension permanente entre le contenu pathétique (maladie, mort, solitude) et l’apparentesécheresse de l’expression (constats, phrases brèves et parfois nominales, ironie, vocabulairebrutal) : la morbidité se dit dans une écriture concise, et une dramaturgie soucieuse d’éviterl’effet ;

- le découpage par « tableaux » mentionné dans la présentation des textes plutôt que par« scènes », qui pourrait bien répondre au souhait d’une « narration plus fluide » exprimé dans letexte B.

Les pistes ici mentionnées ne forment nullement un plan obligatoire. On acceptera aussibien un commentaire construit à partir d’axes de lecture qu’un commentaire rendant compte dela découverte progressive du texte, partant par exemple de la gravité du propos pour constaterque l’écriture et la dramaturgie visent à effacer les marques habituelles du mélodrame.

Ces deux démarches peuvent donner lieu notamment aux constructions suivantes.

Première propositionI. Ce que l’adaptation reprend à la tradition :- des personnages (identité, milieu, situation) et leurs relations,- des expressions, des répliques.II. Ce que l’adaptation modifie :- le refus affiché du pathétique dans le dialogue et la dramaturgie,- l’approfondissement psychologique des personnages,- un fantasme du partage de la maladie.

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Deuxième propositionI. Une scène amoureuse :- compassion, aveu, partage et reproche,- des personnages aimants et étrangers : « Votre sérieux » face à la « distraction », « une

fille comme moi » face à « une petite bourgeoise fort tendre »,- l’amour avoué dans la menace de la mort.II. Une écriture et une dramaturgie qui tentent de limiter le caractère pathétique du thème :- le « tableau » et le refus du monologue,- le rythme du dialogue, des répliques et le vocabulaire choisi.III. Une adaptation qui vise à modifier la portée du texte :- Une Marguerite plus brutale et plus réfléchie,- Un amour rêvant le partage de la maladie.

Troisième propositionI. Les visées d’une adaptation :modernisation, estompe des effets mélodramatiques, fluidité et rapidité du discours.II. Les effets d’une adaptation :dans quelle mesure l’adaptation échappe-t-elle vraiment aux conventions du mélodrame ?

D. Dissertation Comprenez-vous qu’un écrivain puisse choisir de réécrire ce que lui ou d’autres ont déjà écrit ? Vous répondrez à cette question en undéveloppement composé, prenant appui sur les textes proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos propres lectures.

La problématique du corpus concerne la réécriture comme modernisation. Elle prenddélibérément appui sur un texte qui n’a peut-être pas été capable de dépasser ou de déplacerles conventions de son époque. Si le sujet de dissertation concerne aussi cet aspect de laréécriture (conçue comme correction et modernisation) il ne se limite cependant pas à ce seulenjeu. S’il peut partir des éléments du corpus, l’élève est en conséquence invité à élargir leproblème. La réécriture d’un mythe (les Antigone, les Oreste, les différents Amphitryon, lesOdyssées, les Faust…), la réécriture-transposition (parodies, pastiches…), la réécriture d’uneforme (les fables) ou la réécriture par un même auteur, comme le précisent les termes du sujetconstituent autant de pistes de réflexion. On n’attendra évidemment pas de l’élève qu’il soit enmesure de les envisager toutes dans les limites d’un devoir. En revanche, comme le sujet l’yinvite, il devra nécessairement élargir aux formes de réécriture étudiées dans l’année. Demême, c’est délibérément que le sujet insiste sur une prise de position personnelle(« Comprenez-vous ») dans le but de sanctionner ce qui ne serait que la récitation d’un cours.

On peut attendre des élèves qu’ils envisagent notamment, sans préjuger du plan choisi :- la question de l’originalité, qui les préoccupe souvent, en montrant qu’elle n’est peut-être

qu’un mythe historiquement daté. L’acquisition d’une culture littéraire, objectif des classes delycée, suppose en effet un minimum de recul historique permettant de contester cettereprésentation de l’activité créatrice. Pourtant, la question peut continuer à se poser, à un autreniveau : la réécriture d’Amphitryon ou de l’Orestie ne vaut que dans la mesure où Molière,Giraudoux ou Sartre s’approprient et modifient les œuvres précédentes.

- la question de la modernisation et ses limites : si le souci de « corriger » les effets datés dudrame d’Alexandre Dumas-fils peut sans doute se comprendre, n’y a-t-il pas un péril de paressedes lecteurs, voire d’amnésie culturelle, à prétendre « transposer » des œuvres dans le seul butde les rendre plus immédiatement accessibles ? La réécriture d’un texte en fonction del’idéologie du moment ne constitue-t-elle pas un péril, voire une malhonnêteté ?

- la question de la lecture : il s’agit peut-être moins dans la réécriture d’effacer l’œuvreprécédente que d’entretenir un jeu complexe de révérence et d’irrespect, qui suppose, de lapart du lecteur, une confrontation permanente avec le texte-source – ce qu’on appelle uneculture.

Outre les critères généraux d’évaluation de l’exercice de la dissertation, on peut donc retenirici :

- l’élargissement de la problématique au-delà de celle du seul corpus,- l’expression d’une opinion personnelle, et donc une démarche délibérative qui ne se limite

ni au catalogue, ni à la simple opposition du bien-fondé et de l’illégitimité des réécritures.On valorisera la variété comme la précision des exemples, ainsi que l’effort de diversification

des problèmes posés par les réécritures.

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E. InventionVous proposerez à votre tour une réécriture du texte d’Alexandre Dumas-fils (texte A). Au lieu de prétendre restituer le pouvoir d’émotion de cetexte à des spectateurs modernes, vous insisterez sur ses possibles défauts, dans une perspective parodique rendant la scène ridicule.

La parodie constitue un exercice d’écriture d’invention pertinent en ce qu’il suppose descompétences de lecture autant que d’écriture. Il faut préciser cependant qu’il ne s’agit pas, dansle cadre de la classe comme de l’examen, d’en faire un idéal : il serait dommageable d’imposerà des adolescents d’ironiser sur ce qu’ils peuvent aussi admirer. Ici, le travail proposé paraîtéchapper à ce problème : il est directement lié à la problématique du corpus ; il prend appui surun texte dont il peut être intéressant de faire ressentir les possibles limites.

La réalisation d’une parodie suppose ici le repérage précis de procédés textuels etdramaturgiques (exclamation, monologue, registre pathétique) et de certains thèmes (maladie,mort, amour, solitude) qu’il s’agit de reprendre et d’outrer. Les élèves peuvent, entre autressources d’inspiration, renchérir sur le monologue de Marguerite, faire de l’entrée en scèned’Armand un coup de théâtre, suraccentuer les exclamations ou les passages de déploration.

L’évaluation peut donc retenir, outre ceux valables pour toutes les écritures d’invention, lescritères suivants :

- le respect de la forme théâtrale ;- le maintien de la situation ;- l’affichage d’un registre pathétique ;- l’outrance de procédés textuels et dramaturgiques.On sanctionnera en conséquence les incohérences par rapport à l’intrigue, le basculement

dans une autre histoire, les réécritures confondant la parodie avec le seul changement deregistre de langue. On valorisera en revanche la finesse avec laquelle la réécriture peutparvenir à inscrire de l’ironie sans utiliser des effets trop grossiers.

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Sujet 12 - Série littéraireObjet d’étude : l’épistolaire

TEXTESA. Guilleragues [1628-1685], Lettres portugaises, quatrième lettre, 1669.B. Madame de Sévigné [1626-1696], Correspondance, 5 octobre 1673.C. Voltaire [1694-1778], Correspondance, 18 décembre 1752.

A. Présentation du sujetLa confrontation de ces trois textes, couvrant une période de deux siècles correspondant à

l’âge d’or de l’épistolaire, présente un triple intérêt problématique car elle permet de dégagercertains enjeux paradoxaux du genre.

- La diversité du genre Un roman épistolaire (texte A) où la lettre est un gage d’authenticité et joue sur la frontière

réel/fiction ; une lettre authentique (texte B) et une lettre adressée autant à son destinataireréel, d’ailleurs fort effacé, qu’à la postérité (texte C).

- Place du lecteur-destinataire dans la lettre(Réflexion amorcée à partir des questions initiales et qui offrent des pistes intéressantes

pour traiter les trois sujets). Un bref repérage des marques de l'énonciation permet dedistinguer plusieurs fonctions de l’écriture épistolaire.

Le texte C est sans doute davantage écrit pour la postérité (références à L’Encyclopédie)comme le suggère la rareté des occurrences désignant le destinataire de la lettre. Un teldéséquilibre souligne les ambivalences profondes de l’échange épistolaire. A rapprocher de lalettre ouverte et de l’écriture comme arme dans le combat des philosophes.

Le texte B semble plus classique et atteint une sorte d’équilibre entre les marques du « je »et celle du « vous » ; ce qui laisse à penser que la lettre fonctionne d’une part comme l’aveulyrique du manque (dimension d’introspection), d’autre part comme tentative d’incarner l’absent,de le rendre présent à travers l’acte même de l’écriture. La lettre remplit pleinement unefonction de catharsis.

Le texte A présente l’écart le plus grand et souligne la parenté de la lettre avec le journalintime (une sorte « d’autobiographie morale fragmentée » selon Fumaroli) puisque le moiscripteur finit par prendre une place prépondérante, se livrant à une introspection du moi intime,le destinataire n’étant alors perçu que comme une écoute privilégiée. La lettre, par naturedialogale ou dialogique, se fait ici miroir narcissique et tourne au monologue, au lamento oùl’autre finit par n’être qu’une altérité fantasmée.

- La lettre mise en abyme en tant qu’objetIl est remarquable que les trois lettres, à des degrés différents, fassent mention de l’objet

lettre afin d’en souligner les enjeux paradoxaux. Le problème de la transparence et del’hypocrisie est posé à la fin du texte C. Le texte B (ligne 26) montre la vanité de l’écritureépistolaire qui tente d’abolir la distance et de rendre présent l’absent alors que paradoxalementc’est cette absence même qui est le moteur premier de la communication épistolaire. Quant autexte A, en montrant que l’envoi de la lettre et sa réception restent secondaires, il confirme laparenté de l’épistolaire avec le journal intime.

B. QuestionsAnalysez la place qui est dévolue au destinataire dans chacune de ces lettres.Quel est d’après vous l’enjeu de chaque lettre ?

Proposition de corrigéL’originalité de chaque missive s’affiche dans la manière dont la lettre, expression du moi,

crée non seulement un message mais dessine également la figure du destinataire. Les troislettres offrent chacune un rapport spécifique au récepteur de la lettre. Dans le texte deGuilleragues, la présence du destinataire est explicite à travers un ensemble de questions,d’apostrophes, d’ordres, qui confère à l’amant un caractère tangible (on pourrait parler dedimension performative du langage ; un énoncé performatif est un énoncé qui accomplit l’actequ’il énonce) ; la lettre affirme par ailleurs l’omniprésence d’un moi qui se livre au lecteur. Letexte de Madame de Sévigné atteint une sorte d’équilibre entre les marques du « je » et cellesdu « vous » ; la lettre fait l’aveu du manque, mais simultanément elle comble par l’acte d’écrire

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l’absence du destinataire chéri. Le texte de Voltaire se caractérise par la rareté des occurrencesdésignant le destinataire de la lettre ; la lettre perd ici son caractère privé et intime.

Dans le roman épistolaire de Guilleragues, la lettre s’apparente au journal intime ; ellepermet au destinataire de livrer son moi profond sous la forme dialogale du lamento. La lettrede Madame de Sévigné - correspondance réelle inscrite dans les conventions sociales duXVIIème siècle - permet d’exprimer dans une parole mi-publique mi-privée la souffrance de laséparation, mais dans le même temps de l’objectiver et donc de l’épurer. Le texte de Voltaireutilise la lettre pour mener une véritable explication des conventions de la vie de cour. Voltairedénonce le mensonge des mots et inscrit sa lettre bien au delà d’une communication privée ; ilvise le combat philosophique et d’une certaine façon la postérité.

C. CommentaireVous commenterez le texte de Mme de Sévigné (texte B).

Le travail visera à :- exploiter les marques de l’énonciation : lyrisme du « je » ; omniprésence du « vous », afin

de souligner la double fonction paradoxale de cette lettre, épanchement lyrique d’une douleurliée à l’absence et tentative de conjurer l’absence en donnant corps à l’autre dans la lettre ;

- exploiter le champ lexical de la passion et ses enjeux ; écart par rapport à la discrétionclassique et au moi haïssable ;

- mettre en évidence la mise en abyme ou la vanité de l’écriture épistolaire.

Proposition de planI. La situation d’énonciation d’une lettre authentique

1. Une mère à sa fille :- Présence du destinataire : « ma chère fille », « ma fille », « ma chère enfant », « ma fille » ;

rappel du lien familial.- Le code épistolaire est respecté, il comporte une formule introductive « ma chère fille » et

une prise de congé à la fin de la lettre « Adieu, ma chère fille ».2. Une situation de séparation récente :

- Mme de Sévigné vient de quitter sa fille récemment comme le prouve l’étude des indicesde temps et de lieu : lettre écrite à « A Montélimar », « ce qui s’est passé ce matin » (laséparation ? ), « Mes yeux qui vous ont tant rencontrée depuis quatorze mois » ; elle évoquedans l’avant-dernier paragraphe le moment de la séparation : « Il me semble que … »

- Le champ lexical de la séparation : répétition de « Je vous ai quittée » au début et à la finde la lettre, « en partant » ; thème de la distance spatiale : « tous les pas que vous faites … »3. Le jeu des pronoms : une lettre centrée sur l’émetteur :

Les verbes sont conjugués pour la plupart à la première personne ; Mme de Grignan, elle,est le plus souvent en position d’objet : « je vous avoue », « je vous cherche partout », « devous voir ».

Il s’agit donc d’une lettre intime, d’une confidence qui répond à un besoin d’épanchement ; letexte dit la fonction d’expression du moi intime.

II. Une lettre lyrique et pathétique mais néanmoins lucide1. Une lettre lyrique :

a. Le lyrisme prend la forme de l’expression de sentiments intimes :- champ lexical de la souffrance (« douleur », « douleur sensible », « déchirement », « sans

pleurer » « douloureux », « souffrir », « soupirer ») ;- expression du regret (début du premier paragraphe).b. Le lyrisme est aussi expression d’un amour maternel passionné :- hyperboles «Voici un terrible jour », « j’ai le cœur et l’imagination tout remplis de vous »,

« « tout me manque, parce que vous me manquez », « comme il est extrême », « souhaiterardemment », « je suis dévorée de curiosité », « je ne vis que pour vous » ;

- anaphores : « je ne vous ai point assez » et « je ne l’ai point assez » ;- champ lexical de l’amour : « mon cœur », « Dieu me fasse la grâce de l’aimer comme je

vous aime ! » « aimez-moi toujours » ;- exclamations.

c. Le lyrisme est enfin :- variations sur l’aveu d’amour : « mon cœur est en repos quand il est auprès de

vous », « remplis de vous », «Je vous cherche toujours », « je ne vis que pour vous » ;

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- leitmotiv du manque et du désir de voir sa fille (champ lexical de la vision, répétition duverbe voir/revoir ).2 Une lettre pathétique, un lyrisme élégiaque :

- Mme de Sévigné cherche à susciter compassion et attendrissement chez sa fille ; elleinsiste sur sa souffrance et sur son caractère insoutenable et lancinant : « l’état où je suis n’estpas une chose soutenable », « je serai encore plus à plaindre », « Plaignez-moi », l’interjectionpathétique « hélas ! ».

- Elle emploie le ton de la supplication : « je n’espère de consolation que de vos lettres »,« aimez-moi toujours ».3 Lucidité de Mme de Sévigné sur sa passion maternelle :

- Beaucoup de verbes à valeur modalisatrice qui montrent une certaine distance de Mme deSévigné par rapport à ses sentiments et une capacité d’analyse : « je vous avoue », « j’espèreque », « je trouve que tout me manque », « je ne dois pas », « je sais que », « il me sembleque ».

- Elle se connaît, est capable d’anticiper sur l’évolution de ses sentiments, préfigure lescauses de son chagrin (par l’emploi répété de « parce que » à la fin du premier paragraphe), aconscience de son idolâtrie (dans la phrase où elle évoque Dieu).

ConclusionSimplicité, sincérité, ferveur.Démesure "racinienne" d’un amour maternel ?

D. DissertationDans le texte A, Guilleragues fait dire à Marianne : « J’écris plus pour moi que pour vous ». En quoi cette formule surprenante vous paraît-ellepouvoir s’appliquer au genre épistolaire, envisagé dans sa diversité ? Vous prendrez appui sur les textes proposés dans le corpus, les textesétudiés en classe et vos lectures personnelles.

Pistes en vue de la dissertation et critères d’évaluation- Prendre appui sur le corpus afin de ne pas s’en tenir à une pure illustration de la thèse

paradoxale (la lettre comme écriture narcissique de soi) et envisager d’autres configurations : lalettre comme écriture pour soi / la lettre comme catharsis écrite pour soi tout en cherchant àrendre présent l’autre / la lettre écrite pour les autres, à visée universelle, adressée à lapostérité. Dans la mesure où le corpus offre un exemple de chaque cas, on valorisera lescopies se fondant sur une confrontation problématique des différents enjeux illustrés par desexemples pris hors corpus. Il est rappelé qu’en aucun cas la dissertation ne peut se réduire àune stricte analyse, si pertinente soit-elle, des exemples du corpus.

- Prise en compte paradoxale de la formule afin de montrer que le paradoxe est celui dugenre épistolaire tout entier. Les copies moyennes s’en tiendront sans doute au seul premierpoint. Toute lettre est miroir de soi, théâtre narcissique, épanchement lyrique. Lacommunication différée fait qu’on échappe rarement à cette dimension quasi autobiographiquede l’épistolaire.

- Exploiter la lettre de Voltaire afin d’élargir à la lettre ouverte, à la philosophie des Lumièresqui a fait de la lettre et du roman épistolaire une arme au service des idées. Les copiesmoyennes s’en tiendront au rapprochement fait par Voltaire entre cette lettre et L’Encyclopédie,les meilleures feront appel à leur culture littéraire et élargiront soit vers le roman épistolaire (LesLettres persanes) soit vers des lettres ouvertes (J’accuse de Zola).

- Les meilleures copies pourront opposer ce que certains ont appelé la double énonciationépistolaire. La lettre, au sein du genre épistolaire, est destinée à la fois à son destinataire, etpar delà lui, que le scripteur s’en soucie ou non, au public des lecteurs. D’où l’intérêt du romanépistolaire qui fait du lecteur un voyeur en toute impunité (voir Guilleragues, Laclos…). Lesbonnes copies pourront faire appel à leur culture personnelle et réfléchir à la correspondanceprivée des grands écrivains, ces derniers écrivant parfois davantage pour la postérité que pourles intimes.

Proposition de plan de dissertationIntroductionL’affirmation de Marianne remet en cause l’idée courante qu’une lettre est d’abord un

message adressé à l’autre, destiné soit à établir un contact avec lui, soit à l’informer, l’émouvoir,l’amuser, le convaincre, l’informer. Elle invite à se demander : pour qui écrit-on ? quelle est laplace de l’émetteur dans le genre épistolaire ?

Le caractère paradoxal de l’affirmation peut justifier un plan où l’on commence par réfutercette affirmation pour ensuite la justifier.

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I. Une lettre est à première vue un discours adressé à l’autre.1. Les lettres pallient l’absence de l’autre, celui à qui l’émetteur veut parler :

la nature dialogale ou dialogique de la lettre.Présence des marques du discours adressé : pronoms personnels, apostrophes, rituel de

captation de la bienveillance de l’autre etc. L’émetteur compense le caractère différé de lacommunication en donnant la date, le lieu où il se trouve et en évoquant la situationd’énonciation (allusions à l’officier dans la lettre A). On termine la lettre par une formule qui doitdonner envie à l’autre de vous répondre ; le discours est orienté vers la lisibilité du propos parl’autre.2. La lettre est gouvernée par une intention majeure à l’égard du destinataire.

- Intention informative et narrative : lettre de Madame de Sévigné sur la mort de Turenne ;- intention didactique : lettres de Rica sur les mœurs des Français dans les Lettres persanes

;- intention satirique et critique : lettre d’Usbek sur le roi de France dans les Lettres persanes

où les destinataires réels sont le public français ;- intention polémique : les Provinciales de Pascal, lettre C ;- intention affective : atteindre l’autre dans sa sensibilité, lettres d’amour (lettres A et B) ;- obtenir quelque chose de l’autre : épîtres de Marot.

3. Ecrire à quelqu’un,c’est anticiper ses réactions, en livrer et en construire une image au sein de la lettre.Aspect très présent dans les lettres A et B.TransitionLe discours épistolaire, qu’il soit authentique (lettres B et C) ou fictif (lettre A), est façonné

par la prééminence de l’autre, dont l’absence motive l’existence même de la lettre, dont ondevance les réactions. Ecrire à autrui, c’est dessiner une image de lui, un portrait implicite ouexplicite. Comment comprendre alors l’affirmation de Marianne ?

II. Ecrire est aussi un acte solitaire qui mime une communication réciproque mais qui est en réalité unmonologue.1. Un acte solitaire :

Cet aspect apparaît particulièrement dans les lettres d’amour (lettres de Saint Preux à Juliedans La Nouvelle Héloïse, lettres de Mme de Sévigné marquées par le thème du manque et del’absence).2. Un faux dialogue :

On ne sait pas comment l’autre réagit à la lecture de la lettre et l’on n'a aucun moyen devérifier le degré de sincérité de sa réponse : l’autre est une inconnue, un mirage. On l’imaginemais on n’est pas vraiment en contact avec lui (cf. les lettres hypocrites de Madame de Merteuilà ses destinataires dans Les Liaisons dangereuses).3. On écrit d’abord pour soi et à soi :

- pour se libérer de sa tristesse,- pour épancher son amour,- pour s’abandonner à ses sentiments (lettres A et B, exemple de La Nouvelle Héloïse),- pour s’analyser ou se confesser : Lettres à Malesherbes de Rousseau, Lettres à Milena de

Kafka,- pour avoir le plaisir narcissique de construire et de maîtriser l’image que l’on donne de soi,

sans s’exposer au regard immédiat de l’autre ; la lettre devient le miroir choisi de soi.Conclusion Pour qui écrit-on ? Ambiguïté du discours épistolaire ; interaction complexe entre soi et

l’autre ; apparente sincérité et spontanéité alors que le genre est très codé. Une double mise enscène sociale ou intime de soi et de l’autre.

E. InventionLa fille de Madame de Sévigné s’empresse de répondre à la lettre de sa mère afin d’atténuer la douleur de la séparation en cherchant à lapersuader des mérites de l’échange épistolaire. Vous rédigerez cette lettre.

Explicitation des enjeux et critères d’évaluationCe sujet gagnera à s’appuyer sur les questions initiales afin de respecter certaines

contraintes d’écriture :

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- prise en compte du cri du cœur « hélas ! nous revoilà dans les lettres » pour construirel’argumentation ;

- exploiter le paradoxe qui fait que le moteur premier de la lettre est la distance oul’absence (que la lettre est impossible sans l'existence d’une altérité désirée, projetée oudécalée dans le temps) ;

- dépasser l’idée que la lettre n’offre qu’une présence en creux pour souligner qu’elle faitappel au plaisir de l’imagination et place l’être aimé dans la position de confident, voire devoyeur suppléant par l’imagination les non-dits de la lettre ;

- il semble important, toujours à partir des repérages effectués dans les questions initiales,de garder certaines caractéristiques d’écriture, telles que les apostrophes, le lyrisme du « je »,le caractère ouvertement dialogal de cette lettre avec des allusions à la lettre de la mère (ils’agit d’une réponse et non d’un texte argumentatif purement monophonique).

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Sujet 13 - Série littéraireObjets d’étude : l’épistolaire ; la poésie

TEXTESA. Guillaume Apollinaire [1880-1918], »Lettre du 18 janvier 1915 »(extrait), Lettres à Lou, 1990.B. Guillaume Apollinaire [1880-1918], « Lettre du 19 janvier 1915 », Lettres à Lou, 1990.C. Guillaume Apollinaire [1880-1918], « Adieu !», Lettres à Lou ,1990.

A. Présentation du sujetLe sujet 13 est destiné aux séries littéraires ; trois lettres du même auteur le composent. Il

présente, par delà la convergence historique et thématique, une différence générique. Cettepluralité, désignée par les deux objets d’étude (le sujet croise l’épistolaire et la poésie), serecentre autour d’une problématique commune : les lettres du sujet justifient-elles toutes unepublication ? D’autre part, la réflexion peut se fixer sur les liens intertextuels que ces textesentretiennent les uns avec les autres : comment un texte peut-il informer l’autre ? commentchacun contribue-t-il à construire une partie du sens des autres ?

B. QuestionQuelle est la fonction essentielle de ces trois lettres ?

La question posée engage un classement précis et justifié pour chaque texte.On attend que les élèves montrent que ces trois lettres ont un même destinataire et que

c’est toujours la même personne qui lui écrit. Leur point commun est de parler à Lou de l’amourqu’éprouve pour elle Guillaume Apollinaire. Ils devraient également noter la proximité des dateset montrer qu’ils ont compris que le scripteur des trois lettres est à Nîmes, dans une caserne,alors que Lou séjourne à Nice dans les deux premières et qu’elle part en voyage dans latroisième lettre.

Une fois cette situation clarifiée, la réponse attendue pour le texte A est de mettre à jourl’engagement personnel du scripteur pour l’écriture poétique : « Je te dis tout cela », « Je teprie », « Voilà, Lou ».

Pour le texte B le scripteur cherche à avoir prise sur les actes de Lou et à obtenir d’ellequ’elle vienne l’attendre à la gare : « donc sois à la gare », « donc couche au P.L.M ».Cependant le désordre de la présentation des faits est révélatrice de l’émotion d’Apollinaire àl’idée de retrouver celle qu’il aime.

Pour le texte C la fonction poétique est portée par la forme choisie. La forme rimée etrythmée joue de la répétition du prénom de la femme aimée qui parcourt l’espace de la page etinscrit sa présence dans l’esprit d’Apollinaire. Répétition aussi et insistance avec le rappel deson amour qui joue le rôle d’un refrain « Un cœur le mien te suit ». Le texte poétique affiche larichesse de sa facture formelle ; sa présence permet de rendre sensible la constance de lapensée et de l’amour par delà l’absence de l’être aimé.

C. CommentaireVous commenterez le poème d’Apollinaire : « Adieu ! » (texte C).

Le commentaire pourra mettre en évidence les points suivants :I. Une lettre d’amour qui est aussi une conversation et un discours sur la monotonie de la vie à la

caserne.Elle utilise la forme rhétorique traditionnelle de la lettre :- rappel de la situation de celui qui écrit,- puis narration elliptique de sa vie à la caserne,- et enfin, retour à leur situation respective qui les tient éloignés.II. Une écriture entre jeu et émotion :- jeu de l’acrostiche,- jeu des répétitions,- mais surtout une syntaxe faite de ruptures et un jeu sur les images qui dévoilent l’émotion

et la tristesse du poète.

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III. Un chant qui conjure l’absence - presque une incantation ! - mais aussi une sorte de préfiguration dela rupture :

- temps ralenti, espace qui se dilate et les sépare,- l’analyse peut mettre à jour le jeu sur le nombre de syllabes ( nombre pair ou impair) et sur

le rythme syncopé qui s’oppose à des passages presque « legato » (d’une manière liée, sansdétacher les notes.) et harmonieux par les sonorités ; les premiers rendent compte de la prisede conscience de la séparation alors que les autres résonnent comme une confidencechuchotée à l’oreille de celle qui est loin de lui.

D. Dissertation Est-il légitime selon vous, de rendre public l’ensemble des lettres rédigées par un écrivain, qu’elles aient été conçues ou non par lui commeobjets littéraires ?Vous répondrez à cette question en un développement composé, prenant appui sur les textes proposés, ceux que vous avez étudiés en classeet vos lectures personnelles.

Le sujet proposé présente une certaine difficulté pour les élèves car ceux-ci n’auront pasnécessairement étudié des correspondances d’écrivains et ne sauront peut-être pas lesquellesont été publiées avec leur accord et celles qui ont été publiées après leur mort. C’est doncplutôt sur la valeur littéraire de tels écrits que pourra se construire le développement.

L’élève devra d’abord s’interroger sur l’emploi du mot « légitime » pour indiquer sous quelangle il place son développement. Il peut découvrir ainsi la question du domaine privé et dudomaine public d’une correspondance. Mais encore faut-il envisager la nature descorrespondances publiées : personnelles, amoureuses, littéraires, politiques, historiques ? Onpense aux correspondances de Chateaubriand, de Diderot à Sophie Volland, de Voltaire avecFrédéric II, de George Sand, de Musset, de Flaubert, de Victor Hugo, de Marcel Proust, d’AndréGide, de Simone de Beauvoir, de Jean-Paul Sartre. Le élèves auront aussi étudié en troisièmedes lettres de poilus.

On peut imaginer un développement qui adopterait le mouvement suivant :I. Certains pensent qu’il ne faut pas publier les correspondances sans l’accord de l’auteur ou

de ses descendants.- Sorte de voyeurisme du lecteur qui s’immisce dans un domaine intime et qui ne respecte

pas la vie privée des individus.- Problème de la propriété littéraire et des droits des héritiers de l’écrivain.II. Voici pourquoi je trouve utile de publier ces correspondances…

Autre mouvement possible :- Voici ce qu’avancent les partisans de la publication.- Voici pourquoi ils se trompent ou voici les limites de cette thèse.- Voici ce que j’en pense. Cette ultime étape peut également s’organiser autour du

dépassement des limites évoquées par le deuxième mouvement.Les arguments développés pourront montrer la valeur historique ou littéraire de ces

correspondances. Elles portent témoignage de sentiments divers, de relations privées oupubliques ; elles expriment des sentiments humains à travers des faits particuliers ; ellesrendent compte d’une situation historique et font, du reste, l’objet d’une analyse par leshistoriens ; elles s’inscrivent dans un temps daté ou visent la postérité ; elles précèdent,anticipent, accompagnent, prolongent l’œuvre : on pourra trouver des élèves qui montrerontqu’au-delà du dialogue avec les contemporains, ces correspondances représentent des sortesde matrices de l’écriture littéraire qui, de ce fait, anticipent et préfigurent l’œuvre publiée ; enfin,par leur écriture, ces correspondances enrichissent et modifient la réception des œuvresofficiellement publiées.

E. InventionPoursuivant sa réflexion sur le « métier de poète » (texte A), Guillaume Apollinaire explique à Lou pourquoi il écrit des poèmes pour elle, dansune caserne, parmi d’autres soldats, en attendant de partir pour la guerre. Vous rédigerez cette lettre.

Il est clair que c’est la première lettre qui sert de base à l’écriture du texte attendu. Lesarguments avancés pourraient être les suivants :

I. Les uns feraient référence au cadre et au contexte de l'écriture.- Aide à oublier un quotidien difficile, laid, inquiétant.- Permet de fuir un monde masculin.- Représente un témoignage sur une situation historique essentielle pour l’avenir de la

France.

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II. Les autres montreraient comment la poésie est une ouverture, un espoir, une parole libre.- Permet de reconstruire, à travers l’écriture, une relation devenue impossible en raison des

circonstances.- Fait renaître l’espoir d’un monde où l’amour l’emporterait sur la guerre.- Permet d’exercer la liberté de l’esprit malgré les difficultés et les contraintes.- Permet de retrouver l’espoir d’une reconquête de la liberté.On pourrait imaginer qu’Apollinaire revient sur cette question, dans une lettre qui serait

également datée du 4 février 1915. Cette lettre serait alors une sorte de glose de l’écriturepoétique qu’il vient de faire et une autre façon de retrouver celle qui s’éloigne de lui, et aussipeut-être de la presser une fois de plus de lui envoyer une réponse. D’autres propositions,quant au moment de l’écriture, peuvent être trouvées et justifiées.

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Sujet 14 - Série littéraireObjets d'étude : convaincre, persuader, délibérer ; la poésie

TEXTEPhilippe Jaccottet (1925) La Promenade sous les arbres, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, Suisse.

Erratum : page 48 de la brochure "annales zéro". Dans le libellé du commentaire, lire "Vous commenterez"et non "Vous ferez un commentaire composé".

A. Présentation du sujet Il concerne deux objets d’étude. Les élèves ont au cours de l’année étudié la poésie, mais

aussi le dialogue dans le cadre de l’argumentation. L’un des intérêts du texte choisi provient dece qu’il tresse inextricablement la forme dialoguée et l’esthétique ici exposée : l’art poétique dela vigilance devant les séductions du rêve et du langage trouve dans la contestation apportéepar la division des voix et des points de vue une parfaite réalisation. Le texte proposé est unextrait du dialogue appelé « La promenade sous les arbres » donnant son titre au volume de1980. Il reproduit les treize premières répliques d’un dialogue qui en comporte seize. C’est doncla quasi-totalité du texte qui se trouve proposée ; cependant, le corpus ne constitue pas une« œuvre intégrale ». La coupure proposée a souhaité tenir compte de la difficulté du texte, qu’ilne fallait pas alourdir de remarques philosophiques dans les dernières répliques du dialogue.L’ambiguïté générique (le texte constitue une prose poétique et réflexive, mais pas un poèmeen prose à proprement parler) et la subtilité de la réflexion proposent un sujet déjàsuffisamment exigeant : Il n’était pas nécessaire d’y ajouter la longueur du texte ou lacomplexité croissante du débat mené. C’est un même raisonnement qui a conduit à réserver cesujet à la série littéraire, quand les objets d’étude auxquels il renvoie appartiennent auprogramme de toutes les séries.

Un tel sujet est l’occasion de rappeler qu’un seul texte peut à lui seul constituer le corpusfourni lors de l’examen. L’art poétique examiné dans le dialogue conduit à une expressionpersonnelle, expliquant ce que le candidat peut attendre de la poésie (dissertation) ou invitant àune célébration du langage (invention).

B. QuestionVous répondrez d’abord à la question suivante : En vous appuyant sur l’étude des interventions de « L’autre », vous direz ce qu’apporte laforme dialoguée à la présentation des idées du poète.

Cette question préalable ouvre aux trois sujets. Elle fournit une entrée dans le commentaireen attirant l’attention des élèves sur la forme dialoguée et sa fonction dans l’exposition desidées. Elle permet d’amorcer une réflexion quant aux arguments de « L’un » et de « L’autre »au sujet du réalisme poétique ou des réserves exprimées devant « l’extrême subjectivité desremarques » de « L’un ». Elle aide l’élève à envisager les rôles respectifs des interlocuteursdans le dialogue qu’il aura à composer pour l’écriture d’invention.

Il n’est pas demandé aux élèves de s’interroger sur le statut des deux voix qui composent letexte. L’ambiguïté délibérée (s’agit-il de deux personnages ou d’une division de l’auteur ? faut-ilassigner « L’un » seulement au rôle du poète ?) est en partie résolue par le libellé, qui parle« des idées du poète », proposant en cela que l’art poétique réside dans le conflit des voix etnon pas seulement dans le discours de « L’un ».

A travers une rapide étude des interventions de « L’autre », on peut raisonnablementattendre des élèves qu’ils repèrent sa fonction de contestation et à la fois de relance du propos.La brièveté de ses interventions lui confère d’ailleurs ce statut de pur contrepoint. Ainsi est-ce« L’autre » qui interroge (« je me demande parfois », première réplique) et oblige à préciser (« Iln’est pas aisé de vous suivre », septième réplique) ; c’est encore lui qui conteste (« je ne voisrien de si étrange », réplique cinq, « je suis plein de doutes », réplique onze, « tout celacontredit gravement la vérité », réplique finale). Grâce à la forme dialoguée, la réflexion estdonc animée : elle évite le didactisme, d’autant plus qu’elle se voit chaque fois contestée.

On n’attend pas de l’élève qu’il relie cette mise en scène de l’hésitation au primat del’hésitation propre à la poétique de Philippe Jaccottet.

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C. Commentaire Vous ferez un commentaire composé du texte depuis « Attendez… » jusqu’à « … profondes assises ».

La question ainsi formulée comporte une coquille, qu’il est nécessaire de corriger. En effet,le « commentaire » demandé au candidat n’a pas à être nécessairement « composé », au sensoù la tradition scolaire comprend cet exercice. Cette nécessaire suppression de l’adjectif nesignifie cependant pas que le commentaire n’ait pas à être « construit ». Mais l’habitude a faitque la « composition » s’entend d’ordinaire aujourd’hui comme répondant à un exercice (trop)précisément défini. Ce n’est pas l’absence d’organisation qu’une telle suppression bienévidemment réclame, mais l’ouverture de l’exercice au-delà de la combinaison de trois « axesde lecture » préalablement défini. L’exercice peut donc prendre la forme d’une réflexioninterprétative qui accompagne le mouvement du texte ou celui de sa découverte.

Le commentaire ainsi précisé portant sur un extrait du texte, il faut mentionner qu’il peut tenircompte du contexte. L’élève a parfaitement le droit de s’y référer, par exemple pour préciser cequ’est le « langage de fantôme » ou « ce langage spectral » évoqué aux lignes 4 et 6 de sonextrait, qui a été défini plus clairement à la ligne 21 du dialogue (« nous parlons d’ordinaire avecune voix de fantôme »). Il est permis également de montrer que l’apparente conclusion de« L’un » (« nous avons le sentiment d’avoir posé le pied sur de profondes assises ») se verraaussitôt contestée dans le texte.

Le travail effectué dans l’année sur le dialogue comme sur la poésie fournit à l’élève desoutils qu’il peut confronter à la singularité du texte. On peut attendre en conséquence qu’ilréfléchisse à la forme et à la fonction du dialogue, au thème apparent de la nature, à la rêveriesur le langage qui fait de ce texte un art poétique.

Pour rendre compte de ces différents enjeux, on peut imaginer le développementsuivant :

I . Une rêverie systématiquement contestée1. La forme dialoguée : noms et fonctions des interlocuteurs.

Le texte est un dialogue ; il suppose donc un affrontement de points de vue, et une réflexionqui tire profit de la vivacité de la parole pour échapper au didactisme. Il met en en scène despersonnages réduits ici à des voix : l’indétermination règne en effet dans les noms (« L’un » et« L’autre ») si bien qu’il est permis d’envisager la confrontation de deux entités distinctes, maisaussi, plus subtilement peut-être, la division de l’auteur en deux voix de sorte que leuraffrontement le définisse, comme c’est souvent le cas dans les formes dialoguées. Cettedistribution de « rôles » est caractérisée par le déséquilibre : « L’autre » ne peut être défini quepar rapport à « L’un » ; il a d’ailleurs fort peu la parole. « L’autre » « donne la réplique », il sert àrelancer la réflexion ou à la contester, quand c’est « L’un » qui propose ses idées.2. Un esprit qui rêve face à un esprit qui doute et ironise.

Les interventions de « L’autre » montrent un esprit réticent, parfois ironique (ligne 38).« L’un » en revanche réclame patience et attention, si bien que « L’autre » n’est peut-êtrequ’une figure du lecteur. L’évolution du discours de « L’un » montre un mouvement croissantdes phrases, depuis la première interrogative (moins d’une ligne) jusqu’à la phrase finale (14lignes). En développant ses idées, il semble porté de plus en plus vers les « profondesassises » qu’il nous promet. Son propos avance aussi par touches successives (d’oùl’abondance des modalisations et des corrections), il est sous-tendu par un art de la dérive.L’homme qui rêve se débat et se défend devant celui qui doute, voire qui nie.3. Une réflexion contextualisée.

Par son titre notamment, comme par la forme dialoguée, le texte contextualise la réflexion icimenée. C’est en se promenant sous « les arbres » que les interlocuteurs débattent. L’étude desdémonstratifs peut ici être éclairante : la forme « ces arbres » oscille en effet entre valeuranaphorique et valeur déictique. Il ne s’agit pas là seulement d’un procédé de mise en scèned’une argumentation : l’évocation de la nature paraît d’autant plus exacte et plus vive qu’elle sefait de visu.

II. Des mots de la nature1. Un thème poétique apparemment traditionnel.

Le constant retour sur « ces arbres » dans le texte place le dialogue dans le cadre d’unetradition poétique. Cet amour de la nature est davantage développé dans le passage quiprécède l’extrait donné à commenter, où transparaît même une esquisse de paysage. Dansl’extrait strictement défini, l’espace bucolique est réduit à des « arbres nus ».2. Une rêverie sur la matière.

La disparition du paysage donne plutôt lieu à une rêverie sur la matière. L’évolution duvocabulaire dans la deuxième réplique de « L’un » doit ici être étudiée : les « arbres »

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deviennent « du bois », et la présence réelle se décline en autant de connotations et deréminiscences : « le tas de bois bûché », « les meubles », « des jouets », « une barque ».Chaque terme déplie lui-même un monde : « l’hiver », « la chambre », « des jouets trèsanciens ». Dans cette dérive de l’imaginaire, l’ordre des songes a son importance puisqu’onpasse de la « demeure » stable à la « barque » qui symbolise le mouvement. Derrièrel’évocation de probables souvenirs, il n’est pas interdit d’envisager aussi des symboles (« lebonheur menacé et préservé ») ou des réminiscences culturelles (la « barque » peut aussi êtrecelle du passeur, voire celle de Charon). La nature n’est donc présente que pour disparaître,servir de tremplin à une réflexion d’un autre ordre.

III. … à la nature des mots1. Une rêverie portée par les mots et concernant les mots.

La matière elle-même s’efface au profit de ces connotations ; le « bois » devient « ce seulmot ». Toute la deuxième réplique de « L’un » est portée par ce mouvement général, qui faitpasser délicatement de la chair des arbres à celle du langage. L’amour des « arbres » quidevait être le sujet du dialogue devient peu à peu un amour des mots.2. Une espérance dans les mots.

C’est que le dialogue constitue un véritable art poétique, opposant non pas seulement « lerêve » et sa « contestation », mais plus profondément la parole inauthentique, inconsistante,définie comme « langage de fantôme » à une parole pleine, capable de rivaliser par son« épaisseur » avec celle des choses qu’elle désigne. Les propos de « L’un » représentent ainsiun acte de foi dans la beauté des choses, et une espérance dans celle du langage qui nouspermettrait peut-être d’espérer sortir de la parole inhabitée et vaine.3. Une poétique de l’hésitation.

Par le mouvement de la pensée de « L’un », fait de reprises, de corrections, de précisions,comme par les doutes de « L’autre », le texte échappe cependant à toute affirmation. Lediscours de « L’un » exprime sans doute une tentation du poète, mais le texte la remet encause et la complique : l’épaisseur du langage nous donne le « sentiment » (ligne 55) de« profondes assises », mais on peut encore douter de cette impression. Confiance et défiancedans le langage s’exprimant en même temps, le discours de l’auteur par-delà ses protagonistespropose bien un art poétique de la modernité, qui accepte de « soupçonner » l’espérancelyrique, mais qui ne se résout pas pourtant à ce seul soupçon.

Ce développement ne visait qu’à rendre compte de la richesse, et donc de l’intérêt du texte,tel qu’il pourrait être abordé dans le cadre du cours, par exemple en conclusion d’une étude dela poésie contemporaine. On ne saurait évidemment le confondre avec une copie d’élève. Outreceux communs à tout exercice de commentaire, on peut retenir pour évaluer le travail desélèves les critères suivants :

- une réflexion sur le dialogue, la nature et les fonctions des interlocuteurs,- une attention portée à la dérive de l’imaginaire dans le discours de « L’un »,- un repérage sinon une analyse précise de l’évolution du propos, passant de la nature aux

mots,- une interrogation sur le statut du texte (en quoi s’agit-il de « poésie » comme l’indique le

sujet ?).Ces pistes de réflexion peuvent donner lieu à bien des constructions. On acceptera aussi

bien une compréhension progressive du texte (du type : I. Un dialogue qui semble opposerdeux attitudes devant la nature, II. Une réflexion sur les mots) qu'une réorganisation a posterioride la compréhension. On valorisera les copies attentives à la progression des phrases, àl’amplitude croissante du discours exprimant la dérive de l’imaginaire et plus généralementcapables d’ancrer le commentaire dans une étude précise

D. Dissertation Attendez-vous de la poésie qu’elle nous rapproche ou qu’elle nous libère de la réalité ? Vous tenterez de répondre à cette question en tenantcompte des idées exprimées dans le texte ci-dessus, mais aussi en faisant appel aux œuvres poétiques étudiées dans l’année et à vos lecturespersonnelles.

Dans le cadre du cours, l’un des traitements les plus intéressants d’un tel sujet consisterait àévoquer les deux poétiques mises en tension (quête de la réalité contre celle d’un au-delà) pourmontrer qu’elles ne s’opposent peut-être pas. Ce traitement dialectique n’est en rien exigé del’élève, non plus qu’une réflexion approfondie quant au statut de ce qu’on appelle « la réalité »(est-elle liée au visible, à l’historique ? n’est-elle pas plutôt le résultat d’une construction oud’une figuration ?). Le libellé propose plutôt une expression personnelle argumentée, comme lemontre le tour initial : « Attendez-vous ». Il s’agit pour l’élève de rendre compte de sesexpériences de lecteur de façon argumentée, non de reparcourir toutes les poétiques dans leurdiversité et leur possible complémentarité.

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En conséquence, on acceptera aussi bien un traitement du sujet soucieux de confronterd’abord les termes (« rapprocher », « libérer ») pour élaborer une proposition personnellequ’une prise de position initiale ensuite justifiée. Il est permis d’imaginer que la prise de positionde l’élève dépende aussi bien de sa sensibilité que du corpus poétique sur lequel il auratravaillé dans l’année, assises personnelles et scolaires qui ne sauraient faire partie des critèresd’évaluation : on ne saurait reprocher à un élève de connaître davantage les Parnassiens queles poètes de la présence tels que Bonnefoy, Jaccottet, les poètes engagés plutôt que l’Oulipo.

La copie de l’élève peut donc donner lieu aux développements suivants :Première propositionI. La poésie reconstruit la réalité : par son appel à l’imaginaire, par son travail des images.II. La poésie dit un monde intérieur : le lyrisme, la rêverie de « L’un » dans le texte en sont

autant de preuves.En conséquence, j’attends de la poésie qu’elle me libère de la réalité.Deuxième propositionI. La poésie apparaît comme un genre de l’imaginaire : l’opinion commune associe la poésie

à la rêverie et à l’enjolivement du monde.II. Cependant, cette opinion commune ne comprend pas ce qu’est le travail de la poésie : le

poète ne décrit pas toujours de façon réaliste le monde, mais le recompose et le configure.III. En nous libérant de la réalité, la poésie ne s’évade pas : elle peut nous rapprocher du

monde en disant la réalité autrement.Troisième propositionMon expérience de lecteur et mes choix me conduisent à souhaiter une poésie qui me

rapproche de la réalité. Voici pourquoi :- la poésie de pure imagination me paraît tourner à vide ;- les poètes engagés dans l’Histoire sont les écrivains qui la disent le mieux, et qui font de la

littérature une intervention dans la réalité ;- des poètes plus soucieux de la nature ou du monde donnent aussi à lire le monde réel en

nous apprenant à le voir tel qu’il est, non comme on se le représente d’habitude ;- même quand elles contestent le réalisme, les esthétiques le font au nom d’une autre réalité

supérieure et « plus réelle », comme le prouveraient Rimbaud ou les surréalistes.Ces plans succincts ne résument pas la diversité des traitements possibles : ils montrent

que bien des constructions sont acceptables, dès lors que le point de vue, fût-il jugéapparemment naïf, est argumenté et justifié dans une démonstration bien conduite.

E. Invention « L’épaisseur d’un tel mot est inépuisable ». A votre tour, vous rédigerez un dialogue dans lequel deux personnages choisissent un mot ets’efforcent d’expliquer ce que Philippe Jaccottet appelle son « épaisseur ».

L’intérêt d’un tel sujet est d’inviter les élèves à une réflexion sur un mot : le cours de françaisest aussi une initiation à la langue et à ses richesses. « L’épaisseur » telle que l’envisagePhilippe Jaccottet relève d’une rêverie sur le vocabulaire de la matière ; elle procède surtout parconnotations personnelles et sans doute quelques réminiscences culturelles, comme celle de la« barque » que la connaissance de l’œuvre invite à entendre comme un symbole du« passeur » antique.

Il ne s’agit pas d’attendre de l’élève qu’il reproduise strictement cette rêverie : touteméditation sur un mot doit plutôt être acceptée, qu’elle s’inspire de l’étymologie, de l’histoireaffective ou culturelle du locuteur, de la dérive par paronomase, de la motivation du signe, etc.« L’épaisseur » d’un mot est aussi bien historique, culturelle, sémantique que phonétique ; ellepasse aussi bien par le référent que par ses dénotation et connotations. L’exercice invite autantà une réflexion lexicologique qu’à des jeux poétiques.

Le choix du mot « madeleine » pourrait par exemple donner lieu à bien des traitements :- il ouvre à l’univers de la gourmandise et peut-être de l’enfance, qu’il désigne des variétés

de fruits estivaux ou une plus fameuse pâtisserie ;- il évoque à tout littéraire la clé du temps retrouvé, Proust n’hésitant pas lui-même à

multiplier les métaphores à partir de la forme et de la consistance de la pâtisserie ;- nom propre, il laisse imaginer la repentante aux pieds de Jésus, les traits que lui ont

donnés Le Corrège ou Le Titien, à moins que l’imaginaire personnel ait préféré retenir d’abordl’image de la sainte finissant ses jours dans une grotte provençale, ou encore quelque figureféminine relevant de l’autobiographie ;

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- c’est la voix de Jacques Brel que le nom aussi peut réveiller, et davantage encore sil’histoire personnelle du rêveur lui a fait aimer jadis une Madeleine peu ponctuelle ;

- le mot peut faire se lever aussi dans la lumière grise de Paris une Place célèbre et uneéglise néoclassique ;

- madeleine peut s’entendre Ma-de-laine, ou Amas-de-laine, redoublant de chaleur et dedouceur, voire de douce haleine ;

- l’épaisseur du mot redouble dès lors qu’on tente de regrouper ses différents sens :l’étymologie apprend que la relation entre le fruit et la sainte viendrait de ce que la pêche fonden eau autant que la repentante en larmes ; mais une interprétation moins métaphorique est enconcurrence : ce serait par métonymie qu’on aurait baptisé ainsi les fruits mûrissant à la date dela sainte-Madeleine ;

- la rêverie peut faire se succéder les images, ou à l’inverse les synthétiser dans une sortede délicieux monstre fait de fruits, de gâteaux et de diverses femmes.

Quelle que soit la voie choisie, on voit que « l’épaisseur » est d’autant plus consistante quele rêveur s’efforce de relier entre elles, par l’imaginaire ou par le savoir, les images différentesque fait naître le mot.

On peut retenir pour critères d’évaluation :- le respect de la forme dialoguée ;- le souci de distinguer les fonctions des deux voix : qu’elles collaborent ou s’affrontent, elles

ne doivent pas être une distribution par tirets d’un monologue ;- le choix précis d’un mot initial ;- le développement progressif d’une rêverie ou d’une réflexion lexicales.On valorisera les copies capables de diversifier les entrées, manifestant ainsi des

compétences lexicologiques.Testé en classe, l’exercice a prouvé que les élèves pouvaient choisir des mots moins

marqués culturellement, et même relevant parfois d’un tout autre registre de langue. On peutraisonnablement penser que le français est une discipline où provocation et humour ont leurplace, dès lors que le terme choisi a véritablement donné lieu à un travail d’exploration d’une« épaisseur » sémantique, référentielle, sonore ou connotative.