Nouvelle d'Olivier Mathieu Un Mari de Merde

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Vous lirez ici une nouvelle littéraire d'Olivier Mathieu, dit Robert Pioche, écrivain né à Paris le 14 octobre 1960. Son titre est : "Le mari de merde", et, à ce jour (2010), ce texte se trouve déjà, depuis plusieurs années, sur le site littéraire suisse de Monsieur Daniel Fattore.

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Note (2010).Cette nouvelle littéraire est purement imaginaire.

Toute ressemblance avec des noms ou des événements réels est ou serait purement fortuite.

Les notes à ce texte sont de la plume d’Olivier Mathieu.

Toute citation ou publication de cette nouvelle, par quelque moyen que ce soit, y compris sur Internet, est interdite sans l’accord du propriétaire du site littéraire suisse sur lequel on peut le lire, depuis plusieurs années, M. Daniel Fattore, et de l’auteur.

Le mari de merde,

nouvelle littéraire,par Olivier Mathieu

C’était un jour d’été. Virginie prononça ces mots :- Au revoir, Pietro Bocher…

Huit mois plus tôt, Pietro Bocher avait épousé Virginie.C’aurait été un mariage éclair.

Et donc c’était l’été, le peut-être dernier été. Pietro Bocher venait de dilapider lamentablement une année de sa vie, l’été était irrémédiablement gâché. Le bel été dont il avait rêvé, où était-il? Nulle part. Il n’existait pas. Il n’existait plus. Virginie lui pourrissait le soleil, la chaleur, le ciel bleu. Il était anéanti. Ou l’enfer conjugal, ou la misère. Il songeait à s’enfuir. Mais d’ailleurs, où serait-il allé? Et un été comme ça, et la vie avec Virginie, c’était tout simplement crever d’ennui.

On ne sait pas toujours pourquoi on dit « je t’aime », et encore moins pourquoi on l’a dit, autrefois – à supposer qu’on l’ait dit. Voilà une expression susceptible de toutes les interprétations, quand on y songe et surtout que l’on y songe après, lorsque l’histoire est finie ou qu’elle s’enlise dans

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l’horreur. Il est plus facile de s’apercevoir, sans l’ombre d’un doute, que l’on ne s’aime plus, et que, ici, il n’y a jamais eu le moindre amour.

Il eût été stupide, de la part de Pietro Bocher, de se demander si Virginie l’aimait, elle qui, dès leur première entrevue, l’avait trouvé vieux, malade, infréquentable, énervant. Au demeurant, Pietro Bocher ne se posait même pas cette question.

Ce mariage avait duré, officiellement, huit mois. Pietro Bocher regrettait les époques où, même affamé, gelé, en lambeaux, il avait des émotions. Il avait convolé en injustes noces avec Virginie par erreur, peut-être par désespoir, certainement par illusion lucide, ou par volonté de continuer à croire en l’amour. Mais Virginie et l’amour, ça faisait deux. Il était clair que Virginie avait épousé Pietro Bocher pour infliger un camouflet à son précédent amant, le violoncelliste sodomite Gérard Darnise1.

Virginie avait épousé Pietro Bocher parce qu’il savait le latin et qu’elle espérait qu’il l’aide à finir la thèse universitaire dans laquelle elle voyait l’œuvre de sa vie, l’aboutissement d’une jeunesse destinée à ce médiocre couronnement. Elle l’avait épousé parce qu’elle le croyait capable de la guérir de ses névroses et, notamment, de son habitude de se faire dégueuler après chaque repas. Ce n’était pas très poétique, il faut l’admettre. C’était Virginie.

Mais enfin, Pietro Bocher entendit les mots libérateurs:- Au revoir, Pietro Bocher.Au milieu de l’après-midi, tels furent les tout derniers

mots qu’eut pour lui Virginie, donc, quand il ferma sur elle, en silence, la porte de l’ascenseur qu’elle avait rempli de ses encombrants bagages. C’était aussi les plus gentilles des paroles qu’il aurait entendues, venant d’elle, depuis plusieurs mois qu’elle le traitait, avec sa délicatesse ordinaire, de « connard ».

Virginie s’en allait. Pietro Bocher ne savait où, et il s’en préoccupait fort peu. A ses diplômes, à ses colloques universitaires, à son pognon, à sa famille Vieille France, aux crucifix de sa maman, à son ambition suprême d’obtenir une « bonne situation » dans la société contemporaine. Pietro Bocher, lui, allait de nouveau tenir, dans sa main, la main de son éternelle compagne, la faim.

1 Tous les noms de cette nouvelle sont des noms de pure fantaisie.

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Ce mariage aurait ainsi duré moins d’un an. Il fallait un courage certain pour recommencer à vivre, ainsi que Pietro Bocher l’avait fait pendant vingt ans, voire toute sa vie, en exil, en cavale, comme un paria, sans domicile fixe, en refusant de travailler, sans le moindre argent, souvent sans manger, riche en tout et pour tout d’une petite valise - et pour avoir fait ce qu’il avait fait.

Quand il avait rencontré Virginie, il était clochard. Ils étaient passés devant Monsieur le Maire. Pietro Bocher avait songé:

- A dire vrai, le jour de ma naissance sera surtout, si tout va bien, celui de ma mort.

Les amis de Virginie, des « tolérants », n’avaient pas étudié les questions que Pietro Bocher soulevait, et auxquelles ils lui reprochaient de répondre d’une façon qui choquait leur ignorance, leur lâcheté ou leur conformisme. Ces preux sycophantes avaient tout de suite averti Virginie, les idées de son mari étaient « nauséabondes ». Diantre. Ils devaient avoir l’odorat des plus délicats. La meilleure amie de Virginie, qui s’appelait Julie Vaginet, tout un programme, s’était scandalisée. C’était évidemment une jeune fille vertueuse, Julie Vaginet, comme son nom l’indiquait.

La belle-mère de Pietro Bocher s’était alarmée:- Cet homme n’en veut-il pas à tes biens?La belle-sœur avait fait écho:- Ah? Cet homme n’a jamais travaillé?Et les beaux-frères (celui qui avait une tête d’œuf et un

regard d’âne, et fabriquait des missiles « intelligents »; et l’autre, qui avait un regard de bœuf et une tête de grenouille, et qui occupait son précieux temps devant des « jeux de rôle », sur Internet) avaient renchéri:

- Cet homme a de drôles d’idées!Au moins, cela semblait démontrer, avec une touchante

unanimité, que Pietro Bocher avait des idées. Evidemment, on ne peut pas en dire autant de tout un chacun.

Il n’était ni aisé, ni nécessaire d’expliquer à tant de braves gens que « cet homme » avait été un enfant qui passait ses journées et des années entières dans la seule compagnie des grands nuages blancs aux ventres gris. Et que, quand un tel personnage vieillit, que son cœur flanche, qu’il est poursuivi par la sensation physique du temps qui s’enfuit, il ne conçoit ni

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n’envisage avoir quoi que ce soit d’autre à faire, sur cette terre, que de souffler mélancoliquement la fumée de sa cigarette vers le ciel.

« Je m’unis à toi pour la vie », avait affirmé Virginie.C’était là une idée de cauchemar.Mais enfin, un an durant, Pietro Bocher avait mangé

matin, midi et soir. Il avait un domicile officiel, des chaussures neuves, des pantoufles, une baignoire, des vêtements propres, un lit chaud, un toit. Il était fiché à la sécurité sociale.

Virginie lui avait « donné sa jeunesse », claironnait-elle. Pietro Bocher n’en demandait pas tant. Il foutait en l’air, lui, quelque chose de nettement plus important: les dernières années de sa quarantaine.

Il bouffait et il s’emmerdait.

- Plus aucune femme ne voudrait de toi, assurait Virginie. Ma foi, Pietro Bocher ne trouvait vraiment rien à

répondre, à ça ! Il y avait longtemps que Virginie refusait de lui tenir la main ou de l’embrasser devant ses parents. Cela ne se fait pas, dans la bonne société de la banlieue comme il faut. La mère de Virginie était horrifiée et consternée par l’idée du sexe avant le mariage. La fille, elle, lui était hostile même après. Le désir naissait, à entendre disserter Virginie, « d’une promenade ». En effet, Pietro Bocher et elle, ils ne faisaient jamais de promenades.

Virginie se justifiait, même si Pietro Bocher était le dernier à souhaiter des justifications. Elle n’avait « pas envie » parce que, disait-elle, la barbe de son mari risquait d’endommager sa peau. Curieux, rigolait en son for intérieur Pietro Bocher : curieux, parce que Gérard Darnise, le musicien polygame qui l’avait introduite de tant de sujets, abordés par devant et par derrière, pendant un an, était barbu.

Avec son mari, Virginie n’avait « pas envie » parce qu’il faisait trop chaud. Curieux, car le délicat Gérard Darnise, l’Elu, le bien-aimé de son cœur, l’avait introduite de tant de sujets, abordés par devant et par derrière, surtout par derrière, tout au long d’un été de canicule.

Avec son mari, Virginie n’avait « pas envie » parce qu’il faisait froid. Il eût été plus rapide d’avouer qu’elle n’avait pas envie, simplement. Nulle loi n’interdit, à qui que ce soit, d’être coincé. D’ailleurs, c’est à Pietro Bocher que l’envie était depuis

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longtemps et définitivement passée, à supposer qu’elle lui soit jamais vraiment venue.

Surtout depuis le jour où, obéissant à un prurit de charité chrétienne dont elle espérait probablement toucher les dividendes dans l’au-delà, Virginie avait proposé à son mari de le branler, de sa main morne et absente, dans une chaussette. Tel avait été, entre eux, le sommet envisagé de l’érotisme.

Les derniers temps, la phrase de prédilection de Virginie avait été:

- Remballe ta souffrance. Est-ce que ma souffrance – se demandait Pietro Bocher -

était un mensonge, un chantage, du cinéma, quantité négligeable?

Dans ses jours de bonté, Virginie lui balançait rageusement par terre un billet de cinq euros. Il se baissait pour le ramasser. Il aurait dû s’estimer trop heureux de tant de générosité. Ca rappelait ce que Léon Bloy a si souvent remarqué, quant à la charité chrétienne.

De l’un de ses amis, un baryton octogénaire et libidineux du nom de Laurent Walter, elle avait reconnu qu’elle aurait pu avoir une relation avec lui.

Virginie acceptait, en pleine rue, les avances du Père Audin, un inconnu de soixante ans qui se prétendait « artiste » (tout le monde est artiste, de nos jours) et peintre, un gribouilleur qui l’invitait chez elle et, dès le premier jour, la surnommait « ma Desdémone ».

Gérard Darnise avait eu droit, après leur rupture à une lettre où elle lui déclarait qu’elle l’aimerait « toujours » et, en prime, à une pipe. Pietro Bocher ne serait jugé digne ni de l’une, ni de l’autre. Ce fut, pour lui, un vrai bonheur.

- Le sexe me dégoûte, répétait inlassablement Virginie. Si tu en rencontres une autre, j’espère qu’elle te sucera. Et bien.

Virginie se voulait, probablement, ironique. La fellation était sa phobie. Elle lui donnait, en l’excluant par principe, une importance outrancière. La seule idée de sucer l’écœurait. Soixante-huitarde quand elle se pâmait en écoutant Ma liberté, c’était une pseudo-libertaire qui se croyait libérée et libre parce qu’elle prétendait aimer Boris Vian, et qui votait Chirac. Preuve vivante de ce qu’il n’y a aucune différence notable entre une féministe et une bigote réactionnaire, elle blablatait:

- L’amour est anti-social.

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Pietro Bocher, lui, ce qui le faisait gerber, c’était les intellos illettrés, qui se disaient amateurs de musique lyrique mais dont la culture musicale semblait curieusement s’arrêter à Bocelli et à Patrick Bruel, et les étudiants américains (« étudiants américains » ?) que Virginie se plaisait tant à fréquenter, bien qu’il échappât à Pietro Bocher ce que ces petits messieurs étudiaient, sinon la vertu de leurs compatriotes, le caractère sublime et sacré du rock and roll des discothèques, ou les effets scientifiques du pop corn et du Coca Cola sur la minceur de leurs tailles ou les performances inouïes de leurs cerveaux.

Les intellos amis de Virginie, directeurs de thèses pluri-diplômés de l’Université, peinaient à écrire trois phrases sans y faire douze fautes grossières d’orthographe, et n’arrivaient pas à conjuguer les verbes être et avoir au subjonctif présent. Quant au subjonctif imparfait, l’Université est comme les jeunes filles : on ne peut leur demander que ce qu’elles peuvent donner.

Quand ce beau monde allait au restaurant, c’était à ces gens-là de décider si la présence de Pietro Bocher serait acceptée ou non. Ce qui avait pour effet de l’ennuyer beaucoup, Pietro Bocher. Non pas qu’il rêvât vraiment de fréquenter cette crème des hommes et des femmes. Mais il n’avait pas envie de sauter un repas.

C’était drôle, tout ça, cocasse.

- Va te faire foutre ! disait Virginie.C’était une des plus grandes amabilités dont elle fût

capable. Puis, les lamentations:- J’aurais dû épouser un homme avec une bonne situation.On y était. Le fric. Pietro Bocher ne gagnait pas de

pognon. Virginie renchérissait:- Tu vis d’expédients, de combines. Tu es immoral.

Pietro Bocher croyait pourtant avoir expliqué à la très douce et très intelligente, et dans le détail, pourquoi et comment la société moderne ne lui manifestait pas beaucoup de sympathies. Pour toute réponse, elle lui reprochait de « vivre d’expédients ». Aurait-il donc dû crever de faim, la gueule ouverte? Et lui, s’il cherchait un peu de nourriture en se mêlant aux soupes populaires offertes aux clochards et aux immigrés, avait-il tort? Etait-il « immoral »? L’immoralité, pour Virginie, devait consister à ce que des hommes cherchent à

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résister aux lois des gais sots. L’immoralité était que Pietro Bocher, que Virginie avait épousé, n’ait pas une « bonne situation ».

- Et tu es athée!Curieux qu’une titulaire de l’agrégation, une toute

prochaine Docteur de l’université accuse son mari païen et qui vénérait les Dieux grecs d’être athée, « sans Dieux ». Au nom de quelle suprématie du christianisme voulait-elle que Pietro Bocher se convertisse à sa superstition? Ce devait être un mystère de la religion, et Pietro Bocher – qui n’était pas dans les petits secrets du Vatican - ignorait si Marie l’avait révélé à l’une des trois bergères analphabètes de Fatima.

Pietro Bocher plaisanta :- Tiens… Jadis, Virginie causait de « tolérance ». La

sienne. Désormais, elle parle de conversion. La mienne.Quand Virginie, comme à regret, lui adressait la parole,

c’était à voix si basse et si lasse qu’il ne distinguait rien. S’il la priait de lui répéter ce qu’elle avait chuchoté, elle se mettait à l’insulter en hurlant, hystérique. Un instant auparavant, elle semblait ne pas avoir la force d’articuler. Pour glapir, elle retrouvait une énergie inépuisable et prodigieuse:

- Je me demande si je suis capable de vivre avec quelqu’un de pauvre.

C’était une conception fort moderne et très remarquable qu’elle avait de la liberté, liberté chérie. La sienne consistait entre autres à aller se trémousser en discothèque, dans une fièvre de sabbats, le samedi soir, puis à se confesser dès le lendemain matin.

- Au premier mot que tu dis et qui me déplaît, je te quitte. J’ai bien dit: au premier.

Tant de tolérance laissait pantois. Qu’aurait-il dû faire, Pietro Bocher? Se lobotomiser, par souci d’égalité? S’emmémoirder le cerveau? Suivre un cours intensif de rock and roll? Ingurgiter six litres de Coca-Cola par jour? Engloutir trois Big Mac au petit déjeuner? Suivre une thérapie chez un psychanalyste? Vendre, amoindrir, prostituer, trahir sa liberté? Se convertir au christianisme, ou pire? Se faire châtrer la queue, ou un bout de la queue?

Pietro Bocher préféra obéir. Il remballa sa souffrance. Virginie lui avait confié, un an plus tôt:

- Il y a en moi une menteuse, une paresseuse de première, une frivole à faire peur.

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Il aurait mieux fait de la croire, cette fois-là.

Pietro Bocher en avait assez d’entendre, parce qu’il aimait le jeu des échecs, « tes échecs de merde ». Parce qu’il aimait le Calcio italien, « ton foot de merde ». Parce qu’il était tragique, « ton tragique de merde ».

Pietro Bocher ne savait pas s’il était un mari de merde mais, sans nul doute, il en avait sa claque de ce mariage de merde.

Il ne devait pas être fait pour être marié, Pietro Bocher. En tout cas, pas avec Virginie.

Il convenait que Pietro Bocher se remette en quête de la belle fée.

Virginie lui dit, donc, pompeusement :- Au revoir, Pietro Bocher.

Pietro Bocher répondit, en italien dans le texte :- …Ma, per favore...! Ma vaffanculo 2 !

Olivier Mathieu

2 L’expression italienne « vaffanculo » (la traduction littérale serait vaguement grossière : « va te faire enculer ») correspond en vérité à l’expression française « va te faire foutre ». En Italie, d’ailleurs, tout récemment, la Cour de Cassation a prononcé une sentence qui a établi qu’il ne s’agit nullement d’une insulte, mais d’une interjection depuis longtemps entrée dans le langage courant.