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Pg Journal Pg Dossier Dimanche 1 Février 2015 Enjeux 1,,,_ F.:altos 40 1/8 NOUVEAUX PATRONS NOUVEAUX STYLES Management Depuis la crise, le renouvellement à la tête des grands groupes s'est accéléré. Les patrons d'aujourd'hui ont une manière bien à eux de diriger. Plus ouverts, plus internationaux, plus numériques.

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Dimanche 1 Février 2015Enjeux

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NOUVEAUXPATRONS

NOUVEAUXSTYLES

Management Depuis la crise, lerenouvellement à la tête des grandsgroupes s'est accéléré. Les patrons

d'aujourd'hui ont une manière bien àeux de diriger. Plus ouverts, plusinternationaux, plus numériques.

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De gauche à droite:

Alexandre Ricard (Pernod Ricard),Emmanuel Faber (Danone),Patrick Drahi (Altice),Carlos Tavares (PSA Peugeot Citroën),Isabelle Kocher (GDF Suez),Christophe Cuvillier (llnibail-Rodamco).

DOSSIER COORDONNÉ

PAR CLAUDE VINCENT

Dans quelques jours, le 11 février, Alexandre Ricardprendra officiellement la tête du numéro 2 mondialdes vins et spiritueux, Pernod Ricard. A 42 ans, ildeviendra le plus jeune PDG du CAC40. Un patron«enthousiaste et fier d'être entouré d'une équipeformidable », confie le petit-fils de Paul Ricard àEnjeux Les Echos, bien décidé à «faire du groupe lenuméro 1 du secteur».

Un an plus tard - soit en janvier 2016 -, et un demi-siècle après la fondation de Sodexo par son pèrePierre Bellon, Sophie Bellon deviendra la patronnedu géant mondial de la restauration collective. Ungroupe de 420 000 personnes et 18 milliards d'eurosde chiffre d'affaires (exercice 2013-14). Une futureprésidente qui se veut «à l'écoute» et privilégiant«le collectif et l'humain » (voir l'entretien pp. 44-45).

Deux héritiers, certes, mais formés à bonnes écoles.L'ESCP Europe et un MBA à la Wharton Schoolpour Alexandre Ricard; l'Edhec pour Sophie Bellon.A peu près au même moment, c'est aussi une femme,Isabelle Kocher, qui succédera à Gérard Mestralletaux commandes de GDF Suez.

Tous trois sont, chacun à leur façon, représentatifsde cette nouvelle génération de grands patrons fran-çais post-crise qui apparaît sur les écrans radars. Plusjeunes, mieux adaptés, par leur parcours interna-tional, aux défis économiques et culturels de la mon-dialisation, plus collectifs dans leur management,ouverts aux technologies numériques: «Des patronsWhatsApp et smartphone management », commeles décrit Stéphane Fouks, le vice-président d'Havas.Depuis 2007, le rythme du renouvellement des

dirigeants aux postes clés des grandes entreprises,privées ou liées à l'Etat, est impressionnant. La crisea contribué à pousser vers la sortie des patrons endifficulté, comme Ben Verwaayen (Alcatel- Bau

ALEXANDRE RICARD LE PLUS JEUN E

Né en mai 1972, le petit-fils de PaulRicard va devenir le plus jeune patrondu CAC40 le 11 février 2015, quand ilsuccédera à Pierre Pringuet - atteintpar la limite d'âge des 65 ans -à la têtedu numéro 2 mondial des vins etspiritueux. Héritier, il a pu se permettre- comme Sophie Bellon chez Sodexo -un parcours scolaire atypique (ESCPEurope, dont il sort l'un des premiers,puis MBA à la Wharton School, avec unespécialisation en finances) et un débutde carrière varié (Andersen Consulting,puis Morgan Stanley au départementfusions-acquisitions à Londres) avantde « rentrer à la maison » en 2003. «J'aivoulu aller voir autre chose avant de

rejoindre Pernod Ricard. Je savaisque je me sentirais plus à l'aise àl'extérieur pour commencer», confiait-ilaux Echos. Avec sa génération, il partageun style simple et informel - il serre lamain des hôtesses d'accueil quand ilrentre au siège après un déplacement -,une aisance en anglais et une passionpour le numérique. Ami du fondateurdes conférences Le Web, Loïc Le Meur,

il sort avec un plaisir évident sa tablettepour montrer ce que permet le réseauinterne Chatter: une «libertéd'expression » qui lui rappelle lesgrandes réunions sur l'île familiale desEmbiez, où «tout le monde s'exprimaitsans façons à table». ISABELLE LESNIAK

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STÉPHANE FOUKS,vice-président d'Havas.L'agence a réalisé pour EnjeuxLes Echos une étude comparéedes profits des dirigeantsdu CAC40 en 2007 et fin 2014,qui permet de mesurer lesconstantes et les évolutionsdes élites patronales (voirtableau ci-contre). Un thèmedont Stéphane Fouks a faitun livre, Les Nouvelles Elites,publié en 2007 (Pion).

Lucent, 2013) ou Lars Olofsson (Carrefour,2012), contribuant au passage à réduire la part desdirigeants étrangers. Elle a aussi contribué à fairele ménage, en particulier dans le secteur bancaire.Le renouvellement « naturel» - la limite d'âge -etles aléas de la vie (la disparition tragique de Chris-tophe de Margerie chez Total ou la brusque maladiede Luc Oursel chez Areva) ont complété le tableau.Au final, ce sont près des deux tiers des entreprisesdu CAC40 qui ont changé leur tête d'affiche, avecune forte accélération ces deux dernières années,constate une enquête exclusive de Havas Paris pourEnjeux Les Echos (voir tableau ci-contre) sur lapériode 2007-14. Le secteur de l'énergie, en parti-culier, a été totalement bouleversé avec des chan-gements chez Areva, EDF, Total, etc.

En apparence, les nouveaux patrons ne semblentpas si différents de leurs prédécesseurs. «Je diraisque c'est le changement dans la stabilité !» synthétiseStéphane Fouks. Stabilité? Notons d'abord que l'esta-blishment français reste un monde d'hommes. I,esarrivées de Sophie Bellon, (Suite du texte page 46)

Présidentd'Altice.

EXCLUSIF : LES PROFILS DES DIRIGEANTS DU CACPatrons opérationnels, en poste au 1' janvier 2007et au 31 décembre 2014

Profit

Age moyen, en années

Sexe masculin, en %

Formation, en ')/0

Ecoles de commerce

dont HEC

Ecoles d'ingénieurs

dont Polytechnique

Double diplôme école de commerce/école d'ingénieurs

Double diplôme

ENA

Expérience en cabinet

2007 2014

57,7 58,1

97,5 100

20 32,5

17,5 25

42,5 45

27,5 32,5

12,5 10

45 47.5

20 20

47,5 42,5

Internationalisation, en

Nationalité française

Expérience étrangère

Diplôme étranger

90 95

60 60

27 15

Ancienneté, en années

En poste

Dans l'entreprise

PATRICK DRAHI LE PLUS DISCRET

Le président d'Altice, maison mère deNumericable, a construit son groupe detélécoms rassemblant SFR, Numericableet Virgin Mobile, en toute discrétionavant de se créer un pôle médias(Libération, L'Express...). Le « nouveautycoon », âgé de 51 ans et diplômé de l'Xet Télécom Paris, rechigne à êtreinterviewé et est absent du Who's who.Si sa fortune est estimée à 10,8 milliardsde dollars par Forbes, dont il a intégré laliste des milliardaires cette année, son

calcul est rendu malaisé par le montagecomplexe de ses investissements: difficilede lui en attribuer une part précise.Installé à Genève, l'homme d'affairesfranco-israélien mène ses affaires dans leplus grand secret selon la règle du privateequity. C'est sur la base d'acquisitions(Noos, Numericable, Completel, OutremerTelecom...) et d'opérations aux montagesfinanciers de haute voltige que ce géniede la finance s'est imposé comme l'un deshommes forts des télécoms. ISABELLE LESNIAK

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Président dudirectoire dePSA PeugeotCitroën.

CARLOS TAVARESLE DLUS FONCELJ R

Nommé à ta tête du directoire de PSA Peugeot Citroënen 2014, Carlos Tavares n'est pas un PDG commeles autres. A défaut d'avoir tes moyens financiersd'embrasser la carrière de pilote de Fi, ce fou du volantest devenu un ingénieur hors pair. Né en 1958 àLisbonne dans une famille francophile, te jeunePortugais s'installe à Toulouse à 17 ans pour préparerles grandes écoles. Ce sera Centrale avec un stageouvrier chez Renault. Il passera finalementvingt-trois ans dans la firme au losange, de l'ingénierieau management, de Renault à Nissan. de l'Europe auxEtats-Unis via le Japon, avant d'être appelé en 2011pour remplacer du jour au lendemain le numéro 2 deRenault, Patrick Pélata, touché par te faux scandale del'espionnage interne. Mais Carlos Tavares préfère lapremière marche du podium. Et pas seulement auvolant d'un bolide de son écurie Clementeam.«A un moment donné, vous avez l'énergie et l'appétitpour devenir numéro 1 », déclare, en août 2013 àBloomberg, cet impulsif ambitieux, candidat à ladirection de GM ou Ford. Ce qui provoque son éjectionrapide de Renault. Trois mois après, le Car Gay serarecruté... pour redresser PSA. Le rival hexagonal deRenault Nissan. Une première dans l'histoireautomobile française. FLORENCE BAUCHARD

un d'Isabelle Kocher ou encore de Stéphane Pal-lez à la tête de la Française des jeux ne modifierontqu'à la marge un déséquilibre patent. Observonsensuite que les renouvellements n'ont eu que peud'influence sur lasociologie globale desprofils. L'âge moyen- 58 ans - est quasi-ment inchangé et, sur-tout, le capital scolairedes uns et des autresest à peu près iden-tique à celui des géné-rations antérieures.Les écoles d'élites (X, HEC, ENA) se sont mêmerenforcées avec cependant une tendance plus netteaux doubles cursus ingénieur/commerce et au retourdes X face aux énarques. Les X-HEC sont à la têtede la moitié des entreprises du CAC40. « Sur ce plan,les vieux atavismes semblent se confirmer avec unrenforcement des grands corps d'Etat », confirmeFrançois-Xavier Dudouet, chercheur en sociologiepolitique et morale à Paris-Dauphine (lrisso). « Enla matière, je ne vois pas vraiment pas de tendancerévolutionnaire», confirme Florence Magne, du cabi-net de recrutement CTPartners.

La tendance est audéveloppement desdoubles cursusécole d'ingénieurs-école de commerce.

UNE «GÉNÉRATION SCHLUMBERGER»De fait, pour ce qui est de l'ouverture des profils, lesévolutions sont lentes. A preuve le brillant PatriceCaine, 44 ans, le nouveau directeur général de Thales:lauréat du concours général, X-Mines, ancien conseil-ler « énergie » de Laurent Fabius... Ou IsabelleKocher, ENS-Ulm, Mines et cabinet de Lionel Jospin.Des pedigrees bien classiques, si les personnages lesont moins. Mais si on examine de plus près ces nou-veaux dirigeants, et surtout si l'on élargit le cercledes grands patrons au-delà du CAC40, une véritabletransformation est bien en cours. Vincent de La Vais-sière, conseil en communication et auteur d'uneenquête biennale sur les hauts dirigeants dont laprochaine doit être publiée sous peu, perçoit une« consolidation » des profils de la «générationSchlumberger » comme il l'a baptisée: des ingénieursmondialisés et multiculturels qui n'ont pas forcémentsuivi la voie royale des grandes écoles de prestige (X,Centrale), ne sont pas passés par les cabinets minis-tériels, mais ont multiplié les postes à l'étranger etsont moins dans l'ostentation du pouvoir.

Ils ont le plus souvent bien traversé la crise, à l'ins-tar de Jean-Pascal Tricoire (président du directoire

depuis ni-me\de Schneider Lacq-LI it, ucptub 2006), de Thierry

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Directricegénéraledéléguée deGDF Suez,

future numéro 1.

ISABELLE KOCHERLA PLUS SCIENTIFIQUEEn 2016, la directrice généraledéléguée de GDF Suez

succédera, à 49 ans, à GérardMestrallet à la tête du géantfrançais de l'énergie. CommeAnne Lauvergeon, cette triplediplômée (ENS-Ulm, agrégéede physique, ingénieurgénéral des Mines) doitson ascension à la protectiondes parrains du corps desMines et à un passage encabinet ministériel (elle futconseillère pour les affairesindustrielles du Premierministre Lionel Jospin).Ce qui distingue cette femme,élevée à Neuilly dans un milieucatholique, c'est son goût pourla science. Adolescente, elles'enthousiasmait pour Sally

Ride, une astrophysicienneet astronaute américaine.A l'ENS, elle se prenait à«simuler la capacité demémoire d'un réseauneuronal» avec une équipede biologistes, de physicienset de roboticiens. C'est aulabo qu'elle a fait ses classesavant de tâter de l'industrie(Safran) et de la finance(Rothschild). Elle se voit«avant tout comme uningénieur, une industrielle quiaime bâtir». «Isabellea la rigueur de la démarchesans ta morgue et la rigiditéde bien des scientifiques»,expliquait Erik Orsenna qui amonté avec elle un grandforum sur l'eau. ISABELLE LESNIAK

Pilenko (PDG de Technip depuis 2007) ou d'OlivierPiou (PDG de Gemalto depuis 2006). Le premier acomplété une école d'électronique par un MBA àl'EM Lyon. Surtout, il a multiplié les responsabilitéshors de l'Hexagone (Italie, Chine, Afrique du Sud...).Le deuxième, ingénieur de l'Ecole de géologie deNancy et de l'Ecole du pétrole et desmoteurs, a passé deux bonnes décen-nies à l'étranger (Venezuela, Gabon,Nigeria, Emirats, Etats-Unis...). Letroisième, Centrale Lyon, a été moteurdans la construction du spécialiste dela sécurité numérique. Des carrièresinternes, aussi, qui ont tendance à valo-riser la connaissance du secteur,notamment dans l'automobile ou lapharmacie. Carlos Tavares a fait toute sa carrière chezRenault/Nissan avant de passer chez PSA. Le « véto »(et HEC) Pascal Soriot, Factuel patron d'AstraZeneca,dont le nom a été évoqué pour rejoindre Sanofi, n'aofficié que dans l'industrie pharmaceutique. Etlabouré nombre de pays sur tous les continents.

Tous ces nouveaux profils seraient plus adaptés aumonde qui change. « Ils sont passés par l'opération-

nel, avec très souvent de longues années en poste àl'étranger. Aujourd'hui, l'expérience internationaleremplace, ou plutôt complète, l'expérience en cabinet,analyse Stéphane Fouks. Ils sont aussi plus souventchoisis au sein même de l'entreprise, y compris dansles grands groupes publics. La connaître de l'intérieur

est devenu un atout. A la méritocratierépublicaine s'ajoute désormais laméritocratie interne. » « Dans cemonde global, il faut de nouveaux kitsmentaux, renchérit Michel Zarka,directeur associé du cabinet de conseilAnthenor. En Inde, Sodexo doit savoirgérer un plateau repas au dixièmed'euro près, ce n'est pas la même pro-blématique qu'en Europe. » Aller à

l'international, chercher les zones de croissance ou- plus complexe - trouver des modèles profitablessans croissance, comprendre les marchés frugaux,maîtriser des réglementations disparates - lorsqu'ellesexistent - appelle des talents et des parcours nou-veaux, quand bien même l'ADN serait peu modifié.

«Que veut-on aujourd'hui? interroge la chasseusede têtes Catherine Euvrard, patronne du cabinet Raz

Pour en devenirle boss, connaîtrel'entreprise del'intérieur està présent un atout.

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Di rectetigénéral deDanone.

EMMANUEL FABERLE PLUS HUMANISTE

Il est hors normes. Non par saformation: il a fait HEC. Ni enraison de son parcours: entréchez Danone en 1997 commedirecteur finance, stratégieset systèmes d'informations,il a gravi tous tes échelonsjusqu'au poste suprême.Non, ce qui fait la spécificitéd'Emmanuel Faber dansle cénacle des patrons duCAC40, c'est son approche« humaniste» de l'entreprise etson ambition affichée de tenterde réconcilier l'économiqueet le social. «Une actionéconomique qui n'a pas devisées sociales, c'est unebarbarie. Une action socialequi ne prend pas en compte

des données économiquesdevient très vite une utopieet s'arrête», martelait cecatholique pratiquant à lasortie de son dernier livreChemins de traverse: vivrel'économie autrement. En lepréférant à Bernard Hours,l'autre candidat à sasuccession, Franck Riboud aprobablement voulu réaffirmerle «double projet» économiqueet social promu pour Danonepar son père Antoine. Ce quine l'a pas empêché de souligner«l'exigence de résultat » et«la capacité d'innovation» dece jeune quinqua qui a aussi laréputation d'être un redoutablenégociateur. STEFANO LUPIERI

m. CEConsultants. Des leaders charismatiques,des managers qui jouent l'équipe tout en étant eux-mêmes des attaquants et qui soient aussi des experts.Une nouvelle race de quadras déchaînés et éclectiquesqui partent au bout du monde en avion, mais res-ponsabilisent et écoutent les collaborateurs tout enassumant les décisions. Et qui apportent un regardneuf, moins de conformisme et plus de prise derisque. Ce n'est pas simple à trouver!»

LES PIÈGES DE LA GOUVERNANCE À LA FRANÇAISED'autant, ajoute Florence Magne, que « les profilsrecherchés sont aussi très contradictoires, dans lamesure où on demande aux grands patrons françaisd'avoir à la fois un large vécu opérationnel, immer-sif, à l'étranger tout en maîtrisant la subtilité d'en-grenages typiquement français ». En clair, pas ques-tion de négliger la gouvernante à la modehexagonale. Faute de l'avoir bien perçu, le germano-canadien Christopher Viehbacher est tombé, mal-gré un parcours remarquable à la tête de Sanofi. Cen'est pas parce qu'une entreprise réalise l'essentielde son chiffre d'affaires hors de France et que lamajorité de ses salariés n'y réside pas qu'il faut négli-ger les parties prenantes, conseil d'administrationet syndicats notamment.

Reste que pour Patrick Levy-Waitz, conseil en stra-tégie et ressources humaines, «la nouvelle économie,la mondialisation et le numérique bousculent en pro- i

fondeur la fabrication des élites. Il faut désormais êtrecapable de penser en dehors du cadre et de bousculerles codes d'hier pourchanger la société,comme le font parexemple Xavier Niel, deFree, ou Patrick Drahi,le patron d'Altice(Numericable) ». Cesdeux-là, il est vrai créa-teurs de leur entreprise,ne sont pas issus du microcosme ou n'y participentguère. Le premier a arrêté sa prépa scientifique pourlancer une entreprise. Le second, un X-Telecom, vità Genève et se montre peu. Tous deux se rejoignentdans leur appétit pour les médias. « Il y a toujoursune part de singularité dans la personnalité de cesnouveaux dirigeants», estime Michel Zarka.

Cible idéale des chasseurs de têtes, un EmmanuelFaber, chez Danone, coche toutes les cases du haut

Comme un XavierNiel ou un PatrickDrahi, ilfautêtre capable de4imibousculer les codes.'"

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dirigeant post-crise. Quinqua, HEC passé par Bain& Company, il a intégré Danone dès 1997 et y a exercéà peu près toutes les fonctions avant de devenir direc-teur général. Mais il a aussi initié le projet de joint-venture à visée sociale Grameen-Danone Foods, auBangladesh, et multiplie, dans et hors de l'entreprise,les initiatives visant à concilier l'économie et le social.Xavier Niel, à 48 ans, a déjà investi dans un millierde start-up, a créé l'école d'informatique 42 etconstruit actuellement le grand incubateur parisiende la Halle Freyssinet. Sébastien Bazin, lui, a démon-

tré chez Accor unebelle plasticité : en tro-quant son costumed'administrateur auservice du fondsColony, gros action-naire du groupe hôte-lier, pour celui dePDG, il n'a pas hésité

à prendre à contrepied la stratégie qu'il préconisaitauparavant Le tout présenté aux analystes finan-ciers en tee-shirt et en jean! «Ces dernières années,on voit moins de cravates et plus de barbes de troisjours, ce qui est symbolique de la façon dont chacunconçoit son rôle », s'amuse Michel Zarka. « Maisc'est aussi le monde nouveau qui pousse à cela. Etl'éducation se fait beaucoup plus dans la confron-tation directe avec la réalité », poursuit-il.

De plus en plus, les grandes entreprises sont desassemblages de diversités. Le talent du patron est deles faire vivre dans un monde dont nul -transforma-tion numérique et transition énergétique obligent- neconnaît vraiment les modèles économiques gagnants;de défendre des convictions plus que des planspluriannuels devant un conseil d'administration.Sophie Bellon rappelle qu'un dirigeant doit êtreengagé sur des valeurs fortes. Le patron « Roi soleil »omnipotent et omniscient, au mode de managementdicté par l'ego, s'efface devant le manager chefd'orchestre. « Un agrégateur de conseils et de com-pétences plutôt qu'un expert», estime Patrick Levy-Waitz. «Je n'ai pas l'intention d'incarner quoi quece soit. Un dirigeant d'hier et d'aujourd'hui, c'estcelui qui sait porter une vision, animer une équipeet insuffler un état d'esprit», assure Alexandre Ricard,qui résume simplement son style de management:« Clarity ofpurpose, speed of action ». En anglaisdans le texte. Of course. CLAUDE VINCENT

Tout un symbole:on voit moinsde cravates etplus de barbesde trois jours.

Présidentdu directoired'Unibail-Rodamco.

CHRISTOPHE CUVILLIERLE PLUS INTERNATIONAL

Né le 5 décembre 1962 à Etterbeek (Belgique),le nouveau patron d'Unibail-Rodamco abeau avoir la nationalité française, il est uncitoyen du monde. De ses parents (pèrediplomate et mère interprète), il a hérité tegoût pour le grand large. Sorti major d'HEC,il a complété ses études à Barcelone et àBerkeley. Puis il a passé quatorze ans au seinde la division produits de luxe de L'Oréal,en France et à l'étranger. Et lorsqu'il estdevenu patron de la Fnac, il a pu se vanterde parler toutes les langues des pays où legroupe est implanté: l'italien, le catalan,l'allemand et le portugais « niveau débutant»,en plus de l'anglais! ISABELLE LESNIAK

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L'éditorial deLaurent Guez

Directeur déléguéde la rédaction.

Pour préparer le dossier de ce numérod'Enjeux Les Echos, qui montre les nou-

veaux visages des grandspatrons, nous avions pris

contact, dès la fin de l'année dernière, avec SophieBellon afin de réaliser un grand entretien. Le choixs'imposait: elle prendra la tête de Sodexo au 1" jan-vier prochain et devien-dra, avec Isabelle Kocherchez GDF Suez, l'une desrares Françaises à dirigerun géant mondial.

Après avoir dit oui, ellenous recevait, le 7 janvierdernier, au siège du groupe à Issy-les-Moulineaux,pour une rencontre qui a largement tenu ses pro-messes (lire pp. 44-45). La fille de Pierre Bellon,fondateur de Sodexo, est « une » future PDG etelle en est fière. Comme si elle représentait, à elleseule, l'ascension des femmes au plus haut niveaude la sphère économique. Mais ce n'est pas tout:Sophie Bellon illustre à merveille la différence

Renech

entre les anciens et les modernes.Comme elle, les managers de nou-velle génération sont plus directsvoire plus humains, souvent moinsformels (y compris dans leur tenuevestimentaire et leur expression),plus mondialisés, moins politiques,plus numériques. Autant de diffé-rences qui nous ont sauté aux yeux,pendant les deux heures passées dans

son bureau sans porte, au cours desquelles ellenous a raconté son parcours, livré ses convictionset dévoilé une partie de sa sensibilité. Mais cetterencontre nous aura réservé une triste surprise.En effet, au moment même où nous parlions

style de management avec la future PDG, desévénements tragiques se déroulaient à quelqueskilomètres de nous. Chef d'équipe chez Sodexo,Frédéric Boisseau travaillait ce mercredi matindans un immeuble parisien, dont il assurait lamaintenance - c'est l'un des métiers méconnusdu groupe, surtout réputé pour ses restaurantsd'entreprise - lorsque deux barbares ont faitirruption dans le hall. C'étaient les frères Kouachi.L'immeuble abritait Charlie Hebdo. Frédéric

Boisseau fut leur pre-mière victime.Ce funeste attentat

- comme ceux qui ontsuivi à Montrouge et à laPorte de Vincennes -allait marquer la France

et le monde. Nous ne l'apprendrons que quelquesminutes après l'interview. L'émotion fut évidem-ment considérable dans le pays et bien sûr chezSodexo, la tristesse des collègues venant s'ajouterà celle ressentie par l'ensemble des citoyens.C'est ainsi : l'actualité des entreprises croise par-fois, par un hasard brutal, les pages noires denotre histoire.

ontieoc