Nouv. Tendances en Matiere d'Arbitrage Intl, X. Train, 2006

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IIB2 - France 1 XVII ème Congrès de l'Académie internationale de droit comparé Utrecht, 22-26 juillet 2006 II-B – Droit international privé Nouvelles tendances en matière d'arbitrage international Rapporteur général : Monsieur le Professeur Attila Harmathy Juge à la Cour constitutionnelle de Hongrie Rapport français François-Xavier Train Agrégé des facultés de droit Professeur à l'Université de Franche-Comté Questionnaire : A/ General questions - arbitrability - - antitrust law, competition - - insolvency, liquidation procedure - - intellectual property disputes - - labour law relations - validity of contracts - - illegality - - corruption - - moneylaundering - - public order - challenge of arbitrators - interim measures - State as a partner in contracts - multiparty arbitration - groupings of companies, lifting the corporate veil - assignment - changed conditions - trade secrets B/ Specific fields of business relations - privatisation - concession contracts - long term business relations - sale of goods - agency - agreement to agree - consultancy contracts - construction contracts - engineering contracts - joint ventures - franchise - multiple contracts (indivisibility) - subcontract

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XVIIème Congrès de l'Académie internationale de droit comparé

Utrecht, 22-26 juillet 2006

II-B – Droit international privé

Nouvelles tendances en matière d'arbitrage international Rapporteur général : Monsieur le Professeur Attila Harmathy

Juge à la Cour constitutionnelle de Hongrie

Rapport français

François-Xavier Train Agrégé des facultés de droit

Professeur à l'Université de Franche-Comté Questionnaire : A/ General questions

- arbitrability - - antitrust law, competition - - insolvency, liquidation procedure - - intellectual property disputes - - labour law relations - validity of contracts - - illegality - - corruption - - moneylaundering - - public order - challenge of arbitrators - interim measures - State as a partner in contracts - multiparty arbitration - groupings of companies, lifting the corporate veil - assignment - changed conditions - trade secrets

B/ Specific fields of business relations - privatisation - concession contracts - long term business relations - sale of goods - agency - agreement to agree - consultancy contracts - construction contracts - engineering contracts - joint ventures - franchise - multiple contracts (indivisibility) - subcontract

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PLAN DU RAPPORT

INTRODUCTION PREMIERE PARTIE : GENERALITES – METHODES

1. Consolidation de la méthode des règles matérielles (Principe de validité – Règle matérielle générale et règles matérielles particulières – Règle matérielle corrective et règle matérielle positive – Quasi-impérativité des règles matérielles)

2. Principes de l'arbitrage international (Identification – Rôle)

3. Autres procédés (Clause réputée non écrite – Fins de non-recevoir) DEUXIÈME PARTIE : SOLUTIONS

1 – La convention d'arbitrage 1-1. Arbitrabilité 1-1-1. Droit de la concurrence (Principe d'arbitrabilité – Réforme du droit communautaire) 1-1-2. Procédures collectives (Maintien de la compétence arbitrale – Perturbations de la procédure arbitrale) 1-1-3. Propriété intellectuelle (Propriété industrielle – Propriété littéraire et artistique) 1-1-4. Corruption 1-1-5. Droit pénal (Inarbitrabilité de l'action publique et arbitrabilité de l'action civile – La règle « le criminel tient le civil en l'état » est facultative pour l'arbitre du commerce international – La portée limitée de la règle « le criminel tient le civil en l'état » devant le juge du contrôle de la sentence – Dommages-intérêts punitifs) 1-1-5. Parties faibles – salarié et consommateur (Généralités – Contrats de travail – Contrats de consommation)

1-2. La séparabilité de la convention d'arbitrage 1-3. L'Etat, partie à une convention d'arbitrage 1-3-1. L'aptitude de l'Etat à compromettre 1-3-2. Injonctions anti-arbitrage

1-4. La transmission de la clause compromissoire (Principe de transmissibilité – Applications – Automaticité de la transmission de la clause compromissoire ?) 1-5. L'extension de la clause compromissoire 1-5-1. Extension ratione personae (Principe – Applications : groupes de sociétés, levée du voile social, interposition de personnes) 1-5-2. L'extension ratione materiae (Fondement – Applications – Indivisibilité du litige) 1-5-3. Extension ratione personae et ratione materiae (Le sous-contrat – L’ensemble contrat-cadre/contrats d’application)

2 – La procédure arbitrale

2-1. L'extension de la compétence du juge français dans sa mission d'assistance à la constitution du tribunal arbitral (« le juge d'appui »)

2-2. Le défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre : cause de récusation et de nullité de la sentence arbitrale (Notion d'indépendance et d'impartialité – Exemples – Sanctions – Obligation de révélation de l'arbitre et annulation de la sentence)

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2-3. Mesures provisoires et conservatoires 2-3-1. Compétence du juge (Mesures de référé classiques – Référé-provision) 2-3-2. Compétence et pouvoirs de l'arbitre (Mesures ex parte : art. 17, Loi-type de la CNUDCI)

2-4. Protection de la procédure arbitrale contre les interférences

2-5. La responsabilité de l'arbitre

3 – Le contrôle de la sentence arbitrale (Vers un contrôle de l'apparence de la régularité de la sentence arbitrale ? – Motivation de la sentence – Amiable composition – Ordre public)

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INTRODUCTION 1 – Le droit français est connu pour sa faveur à l'égard de l'arbitrage international. Il s'agit d'une tendance lourde, initiée par la jurisprudence dans les années 50-60

1, relayée par le législateur de

1981, et qui n'a pas été renversée depuis, bien au contraire. Cette favor arbitrandum est d'autant plus remarquable qu'elle s'est développée sur la base d'une législation interne largement hostile à l'arbitrage, que la jurisprudence s'est employée à neutraliser avec une constance et une efficacité sans faille, au nom des intérêts du commerce international. Le droit français s'est ainsi construit par les « grands arrêts » de la jurisprudence française. Les premières décennies furent celles des grandes conquêtes de l'arbitrage international : l'autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat principal

2 ; sa validité sans condition de commercialité

3 ; l'aptitude de l'Etat à compromettre

4

; les premiers pas de l'arbitrabilité des matières d'ordre public5 ; dans un autre registre, la montée en

puissance de la lex mercatoria dans les sentences arbitrales, en attendant la consécration de sa juridicité

6. Le législateur de 1981 donna un satisfecit à cette jurisprudence ; il édicta une

réglementation minimale, essentiellement procédurale, qui ne remettait nullement en cause – au contraire, elle était conçue pour assimiler – les solutions qui avaient été dégagées auparavant. Mieux, en se contentant de prévoir les modalités de l'intervention des juridictions françaises, sans énoncer aucune règle relative à la convention d'arbitrage, et en renvoyant, pour le reste, à la volonté des parties et des arbitres, il invitait la jurisprudence à poursuivre son oeuvre créatrice en vue d'élaborer un régime spécifique de l'arbitrage international. Ce qui fut fait, avec la clause compromissoire par référence

7 ; son extension à des non signataires

8 et à des contrats liés

9 ; la

consécration du contrôle a posteriori de l'ordre public10

; l'affirmation d'un contrôle étatique des sentences à la fois limité dans son objet et plein dans son intensité

11, incluant la défense de certaines

valeurs fondamentales de l'ordre public international, comme l'égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral

12 et la sanction de la fraude procédurale

13. Le droit français de

l'arbitrage international était parvenu à maturité : les années Dalico-Zanzi et le célèbre principe de validité de la convention d'arbitrage international

14 ; l'émancipation par rapport à la convention de

1V. cependant, posant les premières pierres, Cass. civ., 19 févr. 1930, Mardelé et 27 janv. 1931, Dambricourt, S.

1933.41, note Niboyet. 2Cass. 1

re civ., 7 mai 1963, Gosset, D. 1963.543, note J. Robert ; JCP 1963, II, 13405, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP

1963.615, note H. Motulsky ; JDI, 1964.82, note J-D. Bredin. 3Cass. 1

re civ., 4 juil. 1972, Hecht, JDI 1972.843, note B. Oppetit ; Rev. crit. DIP 1974.89, note P. Level ; Rev. arb.

1974.89, et chr. Francescakis, ibid.67. 4Cass. 1

re civ., 2 mai 1966, Galakis, D. 1966.575, note J. Robert ; JDI 1966.648, note P. Level ; Rev. crit. DIP

1967.553, note B. Goldman. 5Cass. 1

re civ., 18 mai 1971, Impex c. P.A.Z., JDI 1972.62, 1

re esp., note B. Oppetit ; Rev. crit. DIP 1972.124, note E.

Mezger ; Rev. arb. 1972.2, note Ph. Kahn ; D. 1972.37, note D. Alexandre. 6Cass. 1

re civ., 22 oct. 1991, Valenciana, Rev. crit. DIP 1992.113, note B. Oppetit ; JDI 1992.177, note B. Goldman ;

Rev. arb. 1992.466, note P. Lagarde. 7Cass. 1

re civ., 9 nov. 1993, Bomar Oil, Rev. arb. 1994.108, note C. Kessedjian ; JDI 1994.690, note E. Loquin ; Cass.

1re

civ., 3 juin 1997, Prodexport, Rev. arb. 1998.537 ; Rev. crit. DIP 1999.92, note P. Mayer. 8V. par ex. Cass. 1

re civ., 25 juin 1991, Cotunav, Rev. arb. 1991.453, note P. Mayer ; CA Paris, 7 déc. 1994, Jaguar,

Rev. arb. 1996.245, note Ch. Jarrosson ; RTD com. 1995.401, obs. E. Loquin. 9V. par ex. Cass. com. 5 mars 1991, Peptrax, Rev. arb. 1992.66 (1

re esp.), note L. Aynès ; RTD com, 1992.591, obs. E.

Loquin. 10

CA Paris, 19 mai 1993, Labinal, Rev. arb. 1993.645, note Ch. Jarrosson ; JDI 1993.957, note L. Idot ; RTD com. 1993.494, obs. E. Loquin ; v. déjà CA Paris, 29 mars 1991, Ganz, Rev. arb. 1991.478, note L. Idot.

11Cass. 1

re civ., 6 janv. 1987, SPP, Rev. arb. 1987.469, note Ph. Leboulanger ; JDI 1987.638, note B. Goldman.

12Cass. 1

re civ., 7 janv. 1992, Dutco, Rev. arb. 1992.470, note P. Bellet ; JDI 1992.707, note Ch. Jarrosson.

13Cass. 1

re civ., 25 mai 1992, Fougerolle, Rev. crit. DIP 1992.699, note B. Oppetit ; JDI 1992.974, note E. Loquin ; Rev.

arb. 1993.91, et chr. M. de Boisséson, ibid.3. 14

Cass. 1re

civ., 20 déc. 1993, Dalico, Rev. arb. 1994.116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994.432, note E. Gaillard ; ibid.663, note E. Loquin ; Rev. crit. DIP, 1994.663, note P. Mayer ; Cass. 1

re civ., 5 janv. 1999, Zanzi, Rev. arb.

1999.260, note Ph. Fouchard ; RTD com. 1999.380, obs. E. Loquin ; Rev. crit. DIP 1999.546, note D. Bureau ; JDI 1999.784, note S. Poillot-Peruzzeto ; adde Cass. 1

re civ., 5 janv. 1999, Banque Worms, et 19 oct. 1999, Banque

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New-York et l'indifférence au contrôle exercé par les juridictions étrangères sur les sentences arbitrales

15, mais aussi l'indifférence au sort des faibles

16 ; l'inévitable expansion de l'effet négatif de

la compétence-compétence, ombre portée de l'efficacité toujours renforcée de la clause compromissoire...

17 En l'an 2000, il n'y eut point de bog, sauf à signaler l'intrusion inopinée de

l'article 24 du règlement d'arbitrage de la CCI dans le visa d'un arrêt de la Cour de cassation18

, où il n'a assurément rien à faire ; et sauf à se demander si n'était pas venu, après ces quarante ans de croissance exponentielle, le temps du « sacré » : l'arrêt Peavey et la « multiplication » des clauses compromissoires dans les chaînes de ventes

19 ; l'arrêt Cimat et la « sublimation » de la convention

d'arbitrage, qui l'autorise à circuler indépendamment des droits et obligations auxquels elle se rapporte, sans lesquels elle n'a pourtant aucune raison d'être

20 ; l'arrêt NIOC, à deux doigts de

consacrer la « compétence universelle » du juge d'appui français pour éviter un déni de justice arbitrale

21 ; l'arrêt NIOC encore, qui consacre solennellement l'existence d'un « droit à l'arbitre »,

sur le modèle du « droit au juge », fondé sur l'article 6, §1 de la Convention européenne des droits de l'Homme sans toutefois remettre en cause l'inapplicabilité de ce texte à l'instance arbitrale

22. Et

si, emporté par ce mouvement de faveur à l'arbitrage, on sortait de son contexte et prenait au pied de la lettre l'affirmation de la cour d'appel de Paris selon laquelle « la compétence arbitrale n'est pas [...] une exception à la compétence des juridictions étatiques »

23, on pourrait croire, en effet, que

l'arbitrage est en état de grâce. Plus sérieusement, si on peut relever ici et là quelques excès, au demeurant inévitables dans un droit d'essence jurisprudentielle, qui se construit au gré des espèces, le droit français de l'arbitrage international n'a pas quitté la voie qu'il s'est lui-même tracée. Depuis quelques années, une nouvelle impulsion lui a été donnée par les cours d'appel, en particulier celle de Paris, et la Cour de cassation ; ce nouvel élan a profité de l'arrivée et de la promotion d'une nouvelle génération de magistrats, spécialistes reconnus de l'arbitrage – et connus pour leur faveur à son égard, au sein des deux principales juridictions françaises qui font le droit de l'arbitrage, et aussi, plus récemment, de la

générale du commerce, Rev. arb. 2000.85, note D. Cohen.

15Cass. 1

re civ., 23 mars 1994, Hilmarton, Rev. arb. 1994.327, note Ch. Jarrosson ; JDI 1994.701, note E. Gaillard ; Rev.

crit. DIP 1995.356, note B. Oppetit ; v. déjà Cass. 1re

civ., 9 oct. 1984, Norsolor, Rev. arb. 1985, note B. Goldman ; D. 1985.101, note J. Robert.

16Cass. 1

re civ., 21 mai 1997, Jaguar, Rev. arb. 1997.537, note E. Gaillard ; Rev. crit. DIP 1998.87, note V. Heuzé ;

RTD com. 1998.330, obs. E. Loquin. 17

V. not. Cass. 1re

civ., 21 mai 1997, Jaguar, préc. ; Cass. 1re

civ., 1er

déc. 1999, 2 arrêts : Métu System et Exportles, Rev. arb. 2000.96, note Ph. Fouchard. En ajoutant à la « nullité manifeste » de l'article 1458, al. 2 NCPC, le cas de l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire, l'arrêt Quatro Children (Cass. 1

re civ., 16 oct. 2001, Rev.

arb. 2002.919, note D. Cohen ; Gaz. Pal., 21-23 juill. 2002, p. 23, obs. M-L. Niboyet) prend en compte de nouvelles applications de l'effet négatif de la compétence-compétence, notamment lorsque la transmission ou l'extension de la clause d'arbitrage est alléguée. Dans ces cas, en effet, la question posée est celle de l'applicabilité de la clause au tiers ou au contrat lié, non celle de sa validité : v. infra au texte, n°18-19.

18Cass. 1

re civ., 6 juill. 2000, Creighton, Rev. arb. 2001.114 (1

re esp.), note Ph. Leboulanger ; RTD com. 2001.410, obs.

E. Loquin ; JDI 2000.1046, note I. Pingel-Lenuzza ; JCP 2001, II, 763, note Ch. Kaplan et G. Cuniberti ; sur la présence contestable de l'article 24 Règl. CCI dans le visa de l'arrêt, v. spéc. Ph. Théry, « Feu l'immunité d'exécution », Gaz. Pal., 10-12 juin 2001, p. 18.

19Cass. 1

re civ., 6 févr. 2001, Peavey, Rev. arb. 2001.765, note D. Cohen ; Gaz. Pal., 12-13 déc. 2001, p. 26, obs. M-L.

Niboyet ; JCP 2001, II, 10567, note C. Legros ; RTD com, 2001.413, obs. E. Loquin ; Rev. crit. DIP 2001.522, note F. Jault-Seseke. Sur cette idée que l'arrêt Peavey consacre la multiplication de la clause compromissoire, hybride malheureux de transmission et d'extension, v. notre ouvrage, Les contrats liés devant l'arbitre du commerce international, LGDJ 2003, n°354 et s.

20Cass. 1

re civ., 28 mai 2002, Cimat, Rev. arb. 2003.397, note D. Cohen ; Rev. crit. DIP 2002.758, note N. Coipel-

Cordonnier ; Gaz. Pal., 19-20 févr. 2003, p. 28, obs. M-L. Niboyet. 21

Cass. 1re

civ., 1er

févr. 2005, NIOC c/ Etat d'Israël, Rev. arb. 2005.693, note H. Muir Watt ; JCP 2005, I, n°134, §4, obs. J. Béguin ; RTD com. 2005.266, obs. E. Loquin ; D. 2005.3054, obs. Th. Clay ; du même auteur, à paraître, Rev. crit. DIP 2006 ; Gaz. Pal., 27-28 mai 2005, p. 37, obs. F-X. Train.

22Cass. 1

re civ., 20 févr. 2001, Cubic, Rev. arb. 2001. 511, note Th. Clay ; Gaz. Pal., 12-13 déc. 2001, p. 29, obs. M.-L.

Niboyet ; Rev. crit. DIP 2002. 124, note Ch. Séraglini. 23

CA Paris, 13 févr. 2003, Rev. arb. 2004.311 (2e esp.), note J-B. Racine ; la cour répondait en réalité à l'argument du

demandeur selon lequel la clause compromissoire est d'interprétation stricte ; elle avait énoncé juste avant « que la justice contractuelle et la justice étatique constituent deux possibilités également offertes aux parties pour le règlement de leurs différends ».

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concentration entre les mains de la première chambre civile de la cour de cassation du contentieux de l'arbitrage international et de l'arbitrage interne. 2 – S'il fallait dégager une nouvelle tendance du droit français de l'arbitrage dans ces dernières années, ce serait sans doute le rapprochement de l'arbitrage interne et de l'arbitrage international. Le premier profite en effet des avancées conquises de haute lutte par le second, comme l'illustrent, par exemple, l'ouverture croissante de l'arbitrage aux personnes publiques

24, l'arbitrabilité de principe

des matières d'ordre public25

, la suppression de la condition de commercialité pour la validité de la clause compromissoire

26, son autonomie

27, l'assouplissement de la condition de sa forme écrite

28, sa

transmission29

, son extension30

, le contrôle restreint de la motivation des sentences arbitrales au nom de la prohibition de la révision au fond

31, etc. Ce mouvement vers l'unité est naturel si l'on

s'attache à la fonction de l'arbitrage, et plus encore à la fonction de la convention d'arbitrage, qui ne varie pas du seul fait que le litige met en cause les intérêts du commerce international. Certaines spécificités de l'arbitrage international sont irréductibles

32, comme la faculté pour les parties de

choisir la loi applicable à la procédure et au fond, les questions liées à la compétence internationale du juge d'appui ou à l'existence de procédures judiciaires à l'étranger, l'organisation des voies de recours, les contrats d'Etat ... sans compter l'intervention en principe plus modérée de l'ordre public en matière internationale qu'en matière interne, qui n'est pas propre à l'arbitrage

33. Mais si l'on s'en

tient à la convention d'arbitrage, pierre angulaire du système, les différences pourraient ne porter, à l'avenir, que sur le domaine de l'arbitrabilité en général et le domaine de validité de la clause compromissoire en particulier. Rétrospectivement, il apparaît que la spécificité de la convention d'arbitrage international, longtemps incontestée, ne tenait pas tant à sa nature ou aux « besoins du commerce international » qu'à la liberté dont bénéficiaient les juges français pour lui définir un régime sur mesure. Celui-ci étant désormais bien abouti, on voit toute la légitimité et l'utilité qu'il y a à l'étendre progressivement à l'ordre interne. Saluons au passage la méthode des règles matérielles, la seule qui permette de tendre vers l'unité substantielle de régime de la convention d'arbitrage interne et international. 3 – Mais tel n'est pas notre sujet ; il nous a été demandé d'identifier les « nouvelles tendances » de l'arbitrage international. Or il n'y pas, à proprement parler, de tendance nouvelle ; c'est toujours la même, qui consiste à renforcer toujours plus l'efficacité de l'arbitrage : efficacité de la convention d'arbitrage, efficacité de la procédure arbitrale, efficacité de la sentence arbitrale

34. On parle aussi

de l'autonomie de l'arbitrage international35

, c'est-à-dire son détachement des ordres juridiques

24

Dans les contrats de partenariat public-privé (Ord. 17 juin 2004) : M. Audit, « Le contrat de partenariat ou l'essor de l'arbitrage en matière administrative », Rev. arb. 2004.541.

25Cass. com., 9 avr. 2002, Toulousy, cité infra note 27.

26Art. 2061 C. civ. dans sa rédaction issue de l'article 126 de la loi NRE n°2001-420 du 15 mai 2001.

27Cass. 2

e civ., 4 avr. 2002, Barbot et Cass. com., 9 avr. 2002, Toulousy, Rev. arb. 2003.103, note P. Didier ; JCP 2002,

II, 10154, note S. Reifergerste ; Procédures, juin 2002, n°112, p. 8, note R. Perrot. 28

Cass. 2e civ., 21 janv. 1999, RTD com 1999.847, obs. E. Loquin : « si l'article 1443 du nouveau Code de procédure

civile exige que la clause compromissoire figure dans un document écrit, il ne régit ni la forme ni l'existence des stipulations qui, se référant à ce document, font la convention des parties ».

29Cass. 2

e civ., 20 déc. 2001, Rev. arb. 2002.379, note C. Legros.

30CA Paris, 21 févr. 2002, RTD com. 2002.277, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2002.955, note F-X. Train.

31Cass. 2

e civ., 6 déc. 2001, Bull. civ. II, n°183, p. 128.

32V. P. Mayer, pour qui la différence fondamentale entre arbitrage interne et arbitrage international tient à « l'objectif de

la réglementation » : le droit de l'arbitrage international doit être ouvert à toutes les cultures juridiques et doit faire de la France un siège attractif pour les arbitrages internationaux : « Faut-il distinguer arbitrage interne et arbitrage international », Rev. arb. 2005/N°2 – Journées d'hommage et d'études à la mémoire de Ph. Fouchard, Paris, 11 mars 2005, p. 361 et s., n°11 et s.

33Cette différence serait même moins importante en matière de contrôle des sentences arbitrales : P. Mayer, « La

sentence contraire à l'ordre public au fond », Rev. arb. 1994.615. V. aussi le n°27, pp. 637-638, sur les différences de rédaction des articles 1502-5° et 1484-6° NCPC.

34V. Th. Clay, « L'efficacité de l'arbitrage », LPA 2003, n°197, p. 4 et s.

35V. dernièrement l'étude approfondie de J-B. Racine, « Réflexions sur l'autonomie de l'arbitrage commercial

international », Rev. arb. 2005/N°2 – Journées d'hommage et d'études à la mémoire de Ph. Fouchard, Paris, 11 mars 2005, p. 305 et s. ; v. l'approche critique de A. Kassis, L'autonomie de l'arbitrage commercial international – Le

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nationaux et sa capacité à se gouverner par ses propres lois. A l'image de l'efficacité, l'autonomie caractérise également la convention, la procédure et la sentence arbitrales. Mais cette autonomie est-elle une fin en soi ou n'est-elle que le moyen de l'efficacité ? Difficile à dire, d'autant qu'en l'état, l'autonomie de l'arbitrage international reste un concept assez flou, de faible valeur normative, dont la principale utilité est d'exprimer de façon synthétique les nombreuses manifestations concrètes de l'efficacité qui, elles, sont bien tangibles. Cependant, le qualificatif autonome ne se rapporte pas qu'à l'arbitrage en tant que mode de résolution des litiges ; il se rapporte aussi au droit de l'arbitrage international. Au delà du fait que celui-ci s'est construit en prenant le contre-pied des dispositions applicables à l'arbitrage interne, il apparaît, au sein du droit privé français, comme une branche autonome : il s'affranchit très largement des méthodes du droit international privé, tourne à son avantage la théorie générale des contrats et constitue une forme de procédure originale

36. Le droit

français de l'arbitrage international est un système complet, qui trouve en lui-même et dans les usages du commerce international, les moyens d'évoluer et de combler ses propres lacunes ; la consécration formelle de certains « principes de l'arbitrage international » par la cour de cassation va dans ce sens

37. Par rapport à l'ordre juridique communautaire, l'arbitrage et son droit sont

également autonomes38

; ils devraient le rester39

, sans se priver, ici pas plus qu'ailleurs, de tirer profit de certains de ses avantages

40. Enfin, l'autonomie du droit français de l'arbitrage international

trouve un prolongement en droit comparé, du fait de sa singularité par rapport aux autres droits nationaux. Il se caractérise par le faible rôle reconnu au siège de l'arbitrage et surtout par le fait que le juge français applique exclusivement le droit matériel de source française, sans considération pour le droit du siège ou tout autre droit étranger, et ce, qu'il soit saisi d'un recours en annulation d'une sentence (art. 1504 NCPC), de l'appel d'une ordonnance d'exequatur (art. 1502 NCPC) ou d'une exception d'arbitrage (art. 1458, al. 2 NCPC). Ce qui lui a valu d'être taxé d'impérialisme

41.

Il convient, à ce stade, d'évoquer très brièvement les travaux conduits par une commission d'étude mise en place par le Comité français de l'arbitrage dans la perspective de la réforme du droit français de l'arbitrage. En écho à ce qui a été dit précédemment, la commission est face à une option de législation : édicter deux corps de règles distincts et autonomes, l'un consacré à l'arbitrage interne, l'autre à l'arbitrage international, ou bien élaborer une législation unitaire, un tronc commun qui serait assorti de dispositions particulières, relatives à l'arbitrage interne et/ou à l'arbitrage international. Pour ce dernier, le principal objectif étant de rendre le droit français plus lisible de l'extérieur, il s'agirait pour l'essentiel de codifier les acquis jurisprudentiels ; de « légères

droit français en question, L'Harmattan, 2005, Préf. P. Lagarde.

36Qui s'inscrit néanmoins harmonieusement dans le « droit commun du procès », v. X. Lagarde, in S. Guinchard et alii,

Droit processuel – Droit commun et droit comparé du procès, Dalloz, 2e éd. 2003, n°609 et s.

37V. infra n°10-11.

38V. l'exclusion : de l'arbitre du bénéfice des questions préjudicielles (CJCE, 23 mars 1982, aff. C-102/81, Nordsee, Rev.

arb. 1982.473 ; CJCE, 27 janv. 2005, aff. C-125/04, Denuit, Rev. arb. 2005.765, note L. Idot) ; de la convention d'arbitrage du champ d'application de la Convention de Rome (art. 1, §2-d) ; de l'arbitrage (sentences et jugements relatifs à des sentences) du champ d'application du règlement Bruxelles I (art. 1, §2-d).

39Les exclusions évoquées à la note précédente sont en général approuvées par la doctrine, v. par ex. L. Idot, note sous

CJCE, 27 janv. 2005, préc. V. également l'accueil plutôt réservé fait par la doctrine et les praticiens à l'arbitrage comme mode de contrôle des engagements des entreprises dans le cadre du contrôle des concentrations, L. Idot, « Une innovation surprenante : l'introduction de l'arbitrage dans le contrôle communautaire des concentrations », Rev. arb. 2000.591 ; « Les réformes du droit communautaire de la concurrence et l'arbitrage international : un nouveau rôle pour les arbitres », Colloque de l'IAI, 4 oct. 2002, compte rendu in Rev. arb. 2002.1069. Plus généralement, une partie de la doctrine s'est prononcée contre l'élaboration d'un « statut communautaire » de l'arbitrage : A. Mourre, « Faut-il un statut communautaire de l'arbitrage ? », Bull. ASA 2005.408 ; publié également in D. Vidal (dir.), « L'arbitrage commercial et l'espace judiciaire européen », Actes du colloque de Nice, 20-21 janvier 2005, Revue des Affaires européennes – RAE/LEA, 2005/2, p. 191.

40V. la proposition de H. Van Houtte tendant à inclure la sentence arbitrale dans le champ d'application du règlement

(CE) n°1348/2000 du 29 mai 2000 relatif à la notification et à la signification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale : « The Delivery of Awards to the Parties », Arb Int'l Vol. 21 No. 2 (2005), p. 177 et s.

41V. J-F. Poudret, « L'originalité du droit français de l'arbitrage au regard du droit comparé », RIDC 2004.133, spéc. pp.

134-135 ; J-F. Poudret, S. Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, Bruylant, LGDJ, Schulthess 2002, n°182 et les réf.

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8

malfaçons »42

de la législation actuelle, telle la compétence du juge d'appui français en cas de choix de la loi française de procédure, seraient corrigées, des précisions seraient apportées, notamment quant aux pouvoirs de l'arbitre – en particulier en matière de mesures provisoires et conservatoires, et des nouveautés, dont la pratique a révélé l'utilité, pourraient être introduites, tel le recours en inopposabilité contre les sentences arbitrales étrangères. Les réflexions sont en cours. 4 – Quel que soit le sort de ce projet de réforme, il ne remettra pas en cause le mouvement vers l'autonomie et l'efficacité de l'arbitrage international en droit français. Si ce mouvement profite à l'heure actuelle d'un nouveau souffle, il ne s'agit pas, comme il a été dit, d'une tendance nouvelle mais plus modestement de développements jurisprudentiels nouveaux. Ceux-ci se traduisent de différentes manières. On assiste d'abord à une consolidation de la méthode des règles matérielles régissant la convention d'arbitrage international. Quant au contenu de ces règles et au régime de l'arbitrage international en général, les acquis sont confirmés (le principe de validité, la transmission et l'extension de la clause, les effets positif et négatif de la compétence-compétence, la jurisprudence Hilmarton, la portée considérable de la prohibition de la révision au fond de la sentence, etc.) et font parfois l'objet d'une reformulation, dans le sens d'une plus grande efficacité et d'une plus grande portée (l'autonomie de la clause d'arbitrage par rapport au contrat principal) ; sont apparus, au visa des arrêts de la cour de cassation, les « principes de l'arbitrage international ». Certaines solutions, expérimentées par la cour d'appel de Paris, sont consacrées expressément par la cour de cassation (la règle de l'estoppel, la portée limitée de la règle « le criminel tient le civil en l'état ») ; d'autres pourraient l'être (le contrôle limité de la sentence au regard de l'ordre public substantiel) ; d'autres encore évoluent (l'appréciation de l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre) ou s'apprêtent à le faire (la clause compromissoire dans le contrat de consommation). Enfin, des nouveautés apparaissent, parfois grandioses (le for de nécessité), parfois inattendues (la responsabilité de l'arbitre pour dépassement des délais de la procédure). Parmi tous ces développements, on peut distinguer ceux qui ont une portée générale, en ce qu'ils ont trait aux méthodes de réglementation de l'arbitrage international (I), et ceux qui ont une portée limitée à des solutions particulières (II).

42

Selon l'expression de Ph. Fouchard, « Discussion de l'exposé du Professeur Jean-François Poudret » (cité note précédente), RIDC 2004.151, p. 153, §1 in fine.

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PREMIERE PARTIE

GENERALITES

METHODES

Au chapitre des méthodes, la place d'honneur revient naturellement aux règles matérielles (1). Viennent ensuite les principes de l'arbitrage international (2), enfin divers procédés, qui contribuent à l'efficacité de l'arbitrage (3).

1 – Consolidation de la méthode des règles matérielles 5 – Principe de validité. La première critique adressée au principe de validité et d'efficacité propre de la clause compromissoire

43 était qu'un contrat ne peut pas être en principe valable ; un contrat ne

peut être valable que s'il est conforme à une norme logiquement première, fut-elle très peu exigeante. La jurisprudence ne s'est pourtant pas déjugée, en reprenant explicitement le « principe de validité » dans l'arrêt Zanzi

44, sans même l'assortir des réserves de l'arrêt Dalico, et en

expérimentant d'autres formulations, plus contestables encore, en ce qu'elles faisaient de la convention d'arbitrage, « valable par le seul effet de la volonté des parties »

45, un authentique

contrat sans loi. La cour régulatrice semble finalement avoir arrêté sa position, en reprenant la formule de son arrêt Dalico dans une décision Uni-Kod du 30 mars 2004

46: « en vertu d'une règle

matérielle du droit de l'arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et [...] son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». On peut donc estimer aujourd'hui que le débat est clos : la convention d'arbitrage ne tire pas sa validité d'elle-même ou de la seule volonté des parties

47 ; elle n'est pas un

contrat sans loi mais simplement un contrat sans conflit de lois, réglementé par un corps de règles matérielles. 6 – Règle matérielle générale et règles matérielles particulières. Qu'il soit ou non explicite

48, le

principe de validité demeure, avec les réserves dont il est assorti, le coeur de cet ensemble de règles matérielles applicables à la convention d'arbitrage international. Sans doute traduisait-il, dans l'arrêt Zanzi, une forme d'aboutissement de la jurisprudence, qui synthétisait à travers lui le régime extrêmement favorable qu'elle avait élaboré au fil du temps au profit de la clause compromissoire. Mais aujourd'hui, il n'est plus cette ligne d'arrivée ; il est une ligne de départ. En tant que principe consacrant la double autonomie de la clause compromissoire, par rapport au contrat principal et par rapport à toute loi étatique, il peut être compris comme la règle matérielle générale, qui trouve autant d'applications particulières ou de prolongements qu'il y a de questions relatives à l'efficacité et à la portée de la convention d'arbitrage international. Induit des solutions passées, on en déduira désormais ces dernières ainsi que les solutions futures. C'est ainsi, par exemple, que la cour d'appel

43

V. H. Gaudemet-Tallon, note sous CA Paris, 26 mars 1991, Dalico, Rev. arb. 1991.456. 44

Préc. supra n°1. 45

Cass. 1re

civ., 5 janv. 1999, Banque Worms, Rev. arb. 2000.85 (1re esp.), note crit. D. Cohen ; Rev. crit. DIP 1999.536,

note crit. E. Pataut ; Defrénois 1999.752, note crit. Ph. Delebecque. 46

Cass. 1re

civ. 30 mars 2004, RTD com. 2004.443, obs. E Loquin ; Rev. arb. 2005.959, note Ch. Séraglini ; JCP 2004, II, 10132, note G. Chabot ; adde la note de S. Bollée, à paraître au JDI.

47L'arrêt est salué pour cette raison par Ch. Séraglini, note préc. spéc. n°3 et s., qui y voit un retour à davantage de

rigueur ; il n'en critique pas moins, de façon générale, la méthode des règles matérielles. 48

Il l'est souvent : v. par ex. Cass. 1re

civ., 25 oct. 2005, Omenex, infra n°15 ; CA Paris, 24 févr. 2005, note suivante.

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de Paris a récemment affirmé que « [l]a convention d'arbitrage international n'obéit à aucune règle de forme, mais à un principe de validité qui repose sur le seul accord de volonté des parties », et, dans la même décision, qu'« un principe de capacité fondé sur la croyance légitime dans les pouvoirs des représentants se déduit du principe de validité de la convention d'arbitrage pour mettre un terme aux comportements contraires à la bonne foi »

49.

7 – Règle matérielle corrective et règle matérielle positive. Cette même décision de la juridiction parisienne permet d'illustrer la maturation d'une règle matérielle : intervenant d'abord comme correctif à la règle de conflit de lois, elle devient une règle matérielle positive dès lors que son utilité pour les relations commerciales internationales est établie et qu'elle a été suffisamment reçue par les tribunaux arbitraux. Sur la question délicate du pouvoir du représentant (plus largement du négociateur du contrat) d'engager la personne morale, on sait en effet que le recours au conflit de lois peut conduire à des solutions peu satisfaisantes, s'il n'est pas corrigé par la théorie du mandat apparent et/ou de la confiance légitime. Un arrêt du Tribunal fédéral suisse en date du 4 juillet 2003

50 en offre une illustration : suivant à la lettre la jurisprudence française qui exclut l'application

de la théorie du mandat apparent aux SARL, les juges suisses approuvèrent les arbitres de s'être déclarés incompétents au motif que le contrat prévoyant le recours à l'arbitrage avait été signé par un représentant sans pouvoir, en sorte que la SARL, avec laquelle le recourant croyait pourtant avoir traité, n'y était pas partie. Sans discuter ici la position du droit interne français, l'arrêt du Tribunal fédéral nous paraît critiquable pour ne pas avoir envisagé l'application de la théorie du mandat apparent en tant qu'usage du commerce international, très largement reconnu. En France, en effet, une doctrine majoritaire relayant plusieurs sentences arbitrales51 et décisions de la cour de Paris

52, se prononce depuis longtemps déjà en faveur d'une généralisation de la règle « de

l’inopposabilité du défaut de pouvoir du négociateur du contrat »53, et prône même l'élaboration d'une règle positive de pouvoir des dirigeants d'engager la personne morale54. L'analogie avec l'aptitude de l'Etat à compromettre est permise, aussi bien sur le fond que sur l'évolution de la fonction de la règle matérielle. Sur le fondement de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui, ou du principe de bonne foi, ou encore, au nom de l'ordre public international, on a d'abord interdit à l'Etat d'opposer à son cocontractant les restrictions à sa capacité de compromettre qui résultaient de son droit interne, dont il n'était pas contesté qu'il était seul compétent pour déterminer le pouvoir de l'Etat de conclure une convention d'arbitrage. Cette règle matérielle d'inopposabilité du droit applicable, dite corrective

55, est devenue, on le sait, une règle

49

CA Paris, 24 févr. 2005, Sidermétal, JCP 2005, I, 179, obs. crit. Ch. Séraglini. 50

ATF du 4 juil. 2003, CMN c/ Bravo, cause 4P.137/2002, Bull. ASA 2003.842. 51

V. en particulier Sent. CCI n°4381, S. Jarvin, Y. Derains, J-J. Arnaldez, Rec. sent. CCI, Vol. II, 1986-1990, p. 263, spéc. p. 264. Adde les réf. citées aux notes suivantes.

52V. not. CA Paris, 4 janv. 1980, Intercast, Rev. arb. 1981.160, note P. Level ; 11 janv. 1990, Orri, Rev. arb. 1990.95,

note D. Cohen ; JDI 1991.141, note B. Audit ; RTD com. 1992.586, obs. E. Loquin. 53

E. Loquin, L’arbitrage du commerce international, Dictionnaire Joly – Pratique des contrats internationaux, Livre X (déc. 2001), n°101, p. 49 ; du même auteur, v. déjà « La réalité des usages du commerce international », Rev. int. dr. éco. 1989/2.163, spéc. p. 173 ; Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l'arbitrage commercial international, Litec, 1996, n°465, n°470 ; D. Cohen, Arbitrage et société, LGDJ, 1993, p. 215 et s. ; P. Mayer, « Le principe de bonne foi devant les arbitres du commerce international », Etudes Pierre Lalive, Bâle, 1993, p. 543 et s., spéc. p. 551 ; Y. Derains, obs. sous Sent. CCI n°5065 de 1986, JDI 1987.1039 ; obs. sous Sent. CCI n°4381, préc. ; D. Alexandre, « Rapport Français – Droit international privé », in La bonne foi, Travaux de l’Association Henri Capitant, Tome XLIII, Litec, 1992, p.547 et s., spéc. p. 554 in fine. Comp. Ch. Séraglini, note sous Cass. 1

re civ., 30

mars 2004, Uni-Kod, préc., spéc. n°12 in fine. Adde P. Devaux, « La convention d'arbitrage signée par le représentant sans pouvoirs », Bull. ASA 2005.2

54V. not. D. Hascher, Rép. Dr. Int., V° « Arbitrage du commerce international » (janv. 2005), n°48 ; D. Cohen, op. et

loc. cit., spéc. p. 218-219 : « si elle n’a pas encore été véritablement consacrée, l’existence d’une règle matérielle du pouvoir des dirigeants d’engager la société à un arbitrage est plus qu’en germe. On peut en souhaiter l’avènement prochain tant l’arbitrage a besoin de sécurité et d’un retour à une plus grande sécurité en matière internationale » ; l’auteur ajoutait que les solutions du droit français devraient être limitées en matière interne, et ne pas être étendues en matière d’arbitrage international.

55V. aussi l'arrêt Lizardi, Req., 16 janv. 1861, B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française

de droit international privé, n°5, et l'article 11 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.

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positive d'aptitude de l'Etat à compromettre dans les contrats passés pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce international

56. Susceptible d'être rattachée à des

valeurs universelles – ici la bonne foi ou la confiance légitime, utile – pour assurer la sécurité des transactions, enfin, admise par les arbitres, la règle matérielle de droit commercial international peut alors accéder à la consécration jurisprudentielle. Ce chemin a semble-t-il été parcouru avec succès par la règle du pouvoir du négociateur du contrat d'engager la personne morale. 8 – Quasi-impérativité des règles matérielles. Les règles matérielles régissant la clause compromissoire sont de source nationale, ce qui ne les empêche pas de s'appliquer directement, hors de toute référence à un système de conflit de lois, à toute convention d'arbitrage international du seul fait que celle-ci vient à la connaissance du juge français, et sans égard aux solutions retenues par la loi qui serait applicable à telle ou telle question en vertu de la règle de conflit de lois pertinente. Pour un peu, la réglementation française de la convention d'arbitrage international serait une loi d'application nécessaire

57 ! Il ne lui manquerait que le caractère impératif dès lors que la

saisine du juge français suffirait par elle-même à caractériser le lien avec le for. La cour de cassation ne va pas jusque là ; dans son arrêt Uni-Kod du 30 mars 2004

58, elle réserve le choix par

les parties d'une loi applicable à la convention d'arbitrage. Très rare en pratique, un tel choix devrait donc imposer au juge français d'interroger le droit choisi par les parties, et d'écarter par conséquent le droit matériel français. Originale sur le plan méthodique, cette solution est fondée sur l'autonomie de la volonté, qu'il serait paradoxal d'ignorer en matière d'arbitrage international ; elle apporte ainsi un juste bémol à la thèse défendue par M. Eric Loquin notamment

59, suivant laquelle la méthode

« des règles matérielles internationales appliquées unilatéralement par un Etat aux relations internationales »

60 interdit toute intrusion, même partielle, du mécanisme des conflits de lois ; elle

permet d'écarter du même coup la thèse du retour au conflit de lois, défendue par M. Christophe Séraglini notamment, qui propose de généraliser l'exclusion du droit matériel français, admise à des conditions restrictives par cet arrêt, en admettant le choix de loi implicite qui serait présumé porter sur la lex contractus

61.

2 – Principes de l'arbitrage international 9 – Identification. Les principes de l'arbitrage international apparaissent au visa de neuf arrêts de cassation de la cour régulatrice, dont sept depuis 1999. Le plus souvent visé est le principe compétence-compétence

62 ; vient ensuite celui de l’égalité des parties dans la constitution du

tribunal arbitral63

, enfin le principe de validité de la convention d'arbitrage international64

. Deux arrêts

65 font quant à eux référence aux « principes de l'arbitrage international », sans préciser

lesquels. On en déduit qu'à côté des principes qui sont d'ores et déjà formellement consacrés, il en existe d'autres. L'idée n'est pas nouvelle ; l'actuel président de la Première chambre civile de la cour de cassation (compétente en matière d'arbitrage), M. Jean-Pierre Ancel, l'avait avancée, en évoquant une liste semble-t-il non limitative de principes fondateurs de l'arbitrage international, se rapportant aux quatre piliers du droit de l'arbitrage : l'internationalité de l'arbitrage, le régime juridique de la

56

CA Paris, 24 oct. 1994, Bec Frères, Rev. arb. 1995.275, note Y. Gaudemet. 57

Dans ce sens, v. J.-P. Ancel, « La cour de cassation et les principes fondateurs de l'arbitrage international », Mélanges Pierre Drai – Le juge entre deux millénaires, Dalloz, 2000, p. 161 et s., spéc. p. 161. V. infra n°11.

58Préc. supra n°5.

59V. aussi J-P. Ancel, « La cour de cassation et les principes fondateurs de l'arbitrage international », préc.

60E. Loquin, obs. sous Cass. 1

re civ., 30 mars 2004, Uni-Kod, préc. supra n°5, spéc. p. 444 in fine.

61Ch. Séraglini, note préc., n°17 et s.

624 fois : Cass. 1re civ., 1er déc. 1999, Rev. arb. 2000, p. 96 (1re esp.), note Ph. Fouchard ; 26 juin 2001, A.B.S., Rev. arb.

2001.529, note E. Gaillard ; Cass. 1re

civ., 16 oct. 2001, Quatro Children, préc. supra n°1 ; Cass. com. 4 mars 2003, n°99-17316, inédit.

632 fois : Cass. 1re civ., 7 janv. 1992, Dutco, préc. supra n°1 ; 8 juin 1999, Rev. arb. 2000.116 (2

e esp.), note E. Loquin.

64Cass. 1

re civ., 5 janv. 1999, Zanzi, préc. supra n°1.

65Cass. 1

re civ., 1

er févr. 2005, NIOC, préc. supra n°1 ; Cass. 1

re civ., 13 oct. 1981, Rev. arb. 1983.63, note J.-L.

Delvolvé.

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clause d'arbitrage, le procès équitable et la coopération du juge étatique, enfin, le statut international de la sentence arbitrale

66. On peut donc s'attendre à ce que d'autres principes soient formellement

consacrés par la cour de cassation dans les années à venir. Doctrine et juges du fond s'acquittent d'ailleurs de leur devoir de proposition. Un auteur a ainsi évoqué non pas deux mais trois principes fondamentaux du droit français de l'arbitrage international : en plus du principe de validité et du principe compétence-compétence, il y aurait le principe du contrôle a posteriori de l'ordre public

67 ;

toutefois, en ce qu'il n'est que le corollaire de l'arbitrabilité des matières d'ordre public, ce troisième principe est virtuellement inclus dans le premier. Un autre auteur a souhaité que la cour de cassation consacre formellement « le principe de l'autonomie de l'arbitrage international »

68. La cour d'appel

de Paris n'est pas en reste, lorsqu'elle évoque, dans un arrêt récent confirmant la jurisprudence Hilmarton, « les principes fondamentaux de l'arbitrage dans notre pays tels qu'exprimés par les articles 1498 et suivants du nouveau code de procédure civile qui poursuivent l'élimination des obstacles à la circulation internationale des sentences en n'érigeant pas l'annulation de la sentence dans l'Etat d'origine en cause de refus d'exequatur »

69.

10 – Rôle. Selon M. Ancel, les principes fondateurs de l'arbitrage international tendent à « constituer un ensemble de règles fondamentales, inéluctables, ayant vocation à régir tout arbitrage international rattaché à l'ordre juridique français, soit par le siège de l'arbitrage, soit par l'accueil et l'exécution de la sentence », et sont ainsi « des règles de droit de l'arbitrage qui ont un caractère impératif, d'application nécessaire – à l'instar de celles que l'on désigne en droit international privé sous le vocable de lois de police »

70. On a vu pourtant qu'une entorse à cette

impérativité du droit matériel français avait été admise71

. Toutefois, cette entorse est limitée au régime de la convention d'arbitrage ; s'agissant des trois autres piliers du droit de l'arbitrage évoqués par M. Ancel, ils sont bel et bien étayés par des règles d'application nécessaire. On s'est aussi demandé si ces principes, en particulier lorsqu'il y est fait référence globalement, sans les nommer, ne signalaient pas l'existence d'un véritable ordre juridique arbitral en formation, anational et autonome

72. Cette thèse peut se prévaloir de la récente réception en droit français de la règle de

l'estoppel73

, qui montre une fois de plus que le droit français de l'arbitrage international n'hésite pas à puiser aux sources du droit comparé et des principes généraux de la lex mercatoria, dont les arbitres sont les principaux artisans. Plus prosaïquement, on peut relever avec Carbonnier

74 que le

principe est « une règle de droit qui vient en tête, qui est placée au sommet, qui est plus importante que d'autres ». C'est peut-être simplement de cela qu'il s'agit : structurer le droit français de l'arbitrage international, maintenant que son contenu est défini, en élaborant une hiérarchie des règles qui le composent ou, à tout le moins, en les articulant les unes avec les autres de telle façon que certaines d'entre elles deviennent des références, utiles à la compréhension et à la bonne marche de l'ensemble. Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : lorsque deux principes de l'arbitrage international sont associés, ils développent une force à laquelle rien ne saurait résister ; les consommateurs, notamment, en ont fait la douloureuse expérience (V. infra, Partie II, n°1-1-6).

66

J.-P. Ancel, « La cour de cassation et les principes fondateurs de l'arbitrage international », préc. 67

E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », Communication au Comité français de droit international privé, 25 nov. 2005, à paraître in Travaux CFDIP, éd. Pédone, Paris.

68J.-B. Racine : « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », préc., spéc. n°65 p. 360.

69CA Paris, 29 sept. 2005, Dir. G

ale de l'aviation civile de l'Emirat de Dubaï c/ Sté International Bechtel, n° Rép. Gal.

2004/07635. 70

J.-P. Ancel, « La cour de cassation et les principes fondateurs de l'arbitrage international », préc., spéc. p. 161. 71

V. supra n°8. 72

V. Th. Clay, note sous Cass. 1re

civ., 1er

févr. 2005, NIOC, à paraître in Rev. crit. DIP 2006. Pour la promotion d'un tel ordre juridique anational auto-suffisant, v. J.-B. Racine : « Réflexions sur l’autonomie de l’arbitrage commercial international », préc., spéc. n° 40 à 57.

73Cass. 1

re civ., 6 juill. 2005, Golshani, Rev. arb. 2005.993, note Ph. Pinsolle ; D. 2005.3060, obs. Th. Clay ; JCP 2005,

I, 179, n°6, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 24-25 févr. 2005, p. 18, obs. F-X. Train. Sur l'appartenance de l'estoppel aux principes généraux du droit, v. E. Gaillard, « L'interdiction de se contredire au détriment d'autrui comme principe général du droit du commerce international », Rev. arb. 1985.241

74Droit civil – Introduction, 27

e éd. refondue, PUF, Coll. Thémis, Paris, 2002, n°138.

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3 – Autres procédés Deux techniques employées par les juridictions françaises pour assurer l'efficacité du processus arbitral méritent d'être évoquées : la clause réputée non écrite et la fin de non-recevoir. 11 – Clause réputée non écrite. Cette sanction, qui frappe notamment les clauses abusives dans les contrats de consommation, trouve à s'appliquer en matière d'arbitrage international, ce qui illustre au passage le caractère impératif de son régime. A notre connaissance, la première application concerne la stipulation d'appel dans une convention d'arbitrage international. On sait que le caractère interne ou international de l'arbitrage n'est pas disponible et que l'organisation des voies de recours contre les sentences arbitrales est impérative ; les parties ne peuvent donc pas y déroger en introduisant par exemple un appel-réformation contre une sentence rendue en matière internationale. Traditionnellement, la jurisprudence décidait donc qu'une stipulation d'appel dans une convention d'arbitrage international entachait celle-ci de nullité dans sa globalité

75, sous réserve

de la croyance erronée des parties quant à la nature interne ou internationale de l'arbitrage au moment de la conclusion du contrat, qui autorisait le juge, par la voie de l'interprétation de la volonté des contractants, à maintenir la convention d'arbitrage

76. Dans une série d'arrêts récents

77, la

cour d'appel de Paris a fait de cette exception le principe, sans plus faire référence à la croyance erronée des parties quant à la nature interne ou internationale de l'arbitrage, et en abandonnant par conséquent l'interprétation de la volonté des contractants comme remède à cette pathologie particulière de la clause compromissoire. Après avoir rappelé le caractère indisponible des voies de recours, elle a affirmé sans ambiguïté que la stipulation d'appel, « bien que réitéré[e] dans l'acte de mission à propos des règles applicables à la procédure, est simplement réputé[e] non écrite et n'entache pas de nullité la convention d'arbitrage international, laquelle est valable du seul consentement des parties de s'en remettre aux arbitres pour trancher leur litige »

78, et même, plus

généralement, que toutes « dispositions qui dérogent aux articles 1502 et 1504 du nouveau code de procédure civile sont réputées non écrites. »

79

Péremptoire – en comparaison des méthodes d'interprétation de la volonté des contractants, la sanction de la clause réputée non écrite est très efficace et pourrait être généralisée pour soulager les clauses compromissoires de certaines pathologies. Et ce, même au-delà de la question des voies de recours. Ainsi, par exemple, de la convention d'arbitrage renfermant des stipulations tendant à conférer aux arbitres le pouvoir de contourner les dispositions d'ordre public substantiel ou procédural – ou tendant à les priver du pouvoir de les appliquer, ce qui revient au même ; une telle clause d'arbitrage n'est pas manifestement nulle – il appartient à l'arbitre de statuer prioritairement sur sa validité et sa portée

80. On peut aller plus loin et estimer qu'elle est valable, si l'on admet que

les stipulations incriminées sont réputées non écrites parce que contraires à l'ordre public international. 12 – Fins de non-recevoir. Depuis quelques années, aussi bien en matière interne qu'internationale, de très nombreux moyens d'annulation dirigés contre les sentences sont déclarés irrecevables par le juge étatique, sur le fondement de la renonciation des parties à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale

81 ou, plus récemment, de la règle de l'estoppel

82. Les deux mécanismes ont un

lien de parenté83

– le devoir de loyauté procédurale – et tendent à un objectif unique, celui d'imposer aux parties un devoir de cohérence dans l'argumentation qu'elles développent

75

CA Paris, 12 déc. 1989, Rev. arb. 1990.862, note P. Level ; 27 oct. 1994, Rev. arb. 1995.263, note P. Level. 76

CA Paris, 23 mai 1991, Rev. arb. 1991.661, obs. J. Pellerin. 77

CA Paris, 19 oct. 2000, 2 oct. 2003 (2 arrêts), 16 oct. 2003, 19 févr. 2004, Rev. arb. 2004.859, note L. Jaeger. 78

2e esp. (1

er arrêt) et 3

e esp., citées à la note précédente.

79CA Paris, 19 févr. 2004, préc.

80Cass. 1

re civ., 6 juil. 2005 (4 arrêts : n°04-10454, 04-10455, 04-10456 et 04-10457), Rev. arb. 2005, Somm.801.

81L. Cadiet, « La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale », Rev. arb. 1996.3

82Cass. 1

re civ., 6 juil. 2005, Golshani, préc. surpa n°11.

83Le second constituant même le prolongement du premier, v. nos obs. sous l'arrêt Golshani, préc. ; dans le même sens,

Th. Clay, obs. préc. ; contra, Ph. Pinsolle, note préc.

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successivement devant l'arbitre puis devant le juge, ou inversement84

. La sanction de l'irrecevabilité est particulièrement énergique, surtout si se confirme la tendance de la cour d'appel de Paris à la relever d'office

85. Elle coupe court à tout débat et allège en cela la charge de travail du juge ; elle lui

permet même parfois de ne pas avoir à prendre parti sur une question délicate86

. Prolongée par la règle de l'estoppel, la renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, « véritable ligne de force de la jurisprudence française en matière d'arbitrage »

87, participe ainsi

pour une grande part à l'objectif d'efficacité des sentences arbitrales. Toutefois, en ce qu'elle impose aux parties, sous peine de renonciation, un véritable devoir d'objection devant l'arbitre, il n'est pas certain que cette politique jurisprudentielle favorise la décrispation des procédures arbitrales internationales, dont chacun reconnaît qu'elles sont devenues très conflictuelles. On y reviendra, en abordant les solutions apportées à quelques questions particulières.

84

V. not. CA Paris, 12 sept. 2002, Rev. arb. 2003.173, note M-E. Boursier, qui juge déloyal le comportement d'un plaideur qui, assigné devant le juge étatique, avait invoqué la compétence arbitrale, puis, une fois devant l'arbitre, avait invoqué la compétence du juge étatique et avait réitéré cette prétention devant le juge de l'annulation.

85M. Bandrac, note à la Rev. arb., 2004.283 (4 arrêts), spéc. n°9, p. 296-297.

86C'était le cas dans l'affaire Golshani, Cass. 1

re civ., 6 juil. 2005, préc. : les arguments de M. Golshani, relatifs à la

réalité de son consentement et à la nature du tribunal des différends irano-américains et des décisions qu'il rend, étaient loin d'être fantaisistes ; la cour d'appel de Paris avait d'ailleurs été quelque peu embarrassée pour y répondre (CA Paris, 28 juin 2001, Rev. arb. 2002.165, et la note de J. Paulsson), et s'était retranchée d'autant plus volontiers derrière la mauvaise foi du demandeur – qui, elle, ne faisait aucun doute – pour déclarer irrecevable le moyen tiré de l'absence de convention d'arbitrage. La cour de cassation a fait de même.

87Th. Clay, obs. sous Cass. 1

re civ., 6 juil. 2005, préc., spéc. p. 3060, 1

re col., dernier §. V. en effet, outre L. Cadiet, art.

préc., les nombreuses décisions recensées par M. Bandrac, note préc. ; adde not. dans la jurisprudence de la cour de cassation, Cass. 1

re civ., 6 juil. 2005, n°03-15223, AIC c/ Skanska, JCP 2005, I, 179, n°4, obs. J. Ortscheidt ; 25 oct.

2005, Omenex, infra n°15 ; 31 janv. 2006, n°03-19054.

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DEUXIÈME PARTIE

SOLUTIONS PARTICULIÈRES

Les développements récents de la jurisprudence française renforcent l'autonomie et l'efficacité de la convention d'arbitrage (1), de la procédure arbitrale (2) et de la sentence arbitrale (3).

1 – La convention d'arbitrage Il n'est pas question ici de reprendre dans son ensemble le régime de la convention d'arbitrage, certains points ayant d'ailleurs été évoqués précédemment au titre des méthodes. En ce qui concerne la formation et l'efficacité de la convention d'arbitrage, seront évoquées les solutions du droit français en matière d'arbitrabilité (1-1), d'autonomie de la clause compromissoire (1-2), enfin, l'hypothèse dans laquelle un Etat est partie à la convention d'arbitrage (1-3). S'agissant de la portée de la clause compromissoire, on envisagera sa transmission (1-4) et son extension (1-5).

1-1. Arbitrabilité Généralités. L'arbitrabilité d'un litige est son aptitude à faire l'objet d'un arbitrage, autrement dit, la possibilité de soustraire son règlement à la juridiction étatique pour le confier à une juridiction arbitrale

88. Sans reprendre cette question complexe dans son intégralité

89, il convient de rappeler

brièvement l'évolution du droit français sur les rapports entre arbitrabilité et ordre public, directement utile au présent rapport. Les articles 1003 et 1004 du Code de procédure civile, dont le contenu a été repris aux articles 2059 et 2060 du Code civil à l'occasion de la loi du 5 juillet 1972, excluent de l'arbitrage, outre les litiges “intéressant les collectivités publiques”

90, ceux portant sur des droits indisponibles (art. 2059 C.

civ.), notamment les questions d'état et de capacité des personnes, le divorce et la séparation de corps (art. 2060 C. civ.), “plus généralement [...] toutes les matières qui intéressent l'ordre public” (art. 2060 C. civ.). Cette dernière formule a d'abord été appliquée dans toute sa généralité, avant d'être vidée de toute portée au terme d'une évolution jurisprudentielle longue et complexe, dont il

88

Les limites de la licéité de l'exclusion du juge étatique sont celles de l'arbitrabilité : E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », Communication au Comité français de droit international privé, 25 novembre 2005, à paraître in Travaux CFDIP, éd. Pédone, Paris.

89Sur l’ensemble de la question, v. not. Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial

international, Litec 1996, n°559 et s. ; D. Hascher, Rép. Int. Dalloz, V° « Arbitrage du commerce international » (janvier 2005), n°23 et s. ; J. Béguin et M. Minjucq (sous la direction de), Droit du commerce international, Litec 2005, n°2497 et s. ; J-B. Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, op. cit., n°35 et s. et n°245 et s. ; P. Level, « L’arbitrabilité », Rev. arb., 1992, p. 213 et s. ; N. Coipel-Cordonnier, Les conventions d’arbitrage et d’élection de for…, op. cit., spéc. n°207 et s. Ch. Jarrosson, « L'arbitrabilité : présentation méthodologique », Rev. jur. com. 1996.1. Adde P. Mayer, « Le contrat illicite », Rev. arb. 1984.205.

90art. 2060 C. civ. Sur cette question, dite d'arbitrabilité subjective ou d'aptitude de l'Etat et des personnes de droit

public à compromettre, v. infra n°1-3.

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convient de n'évoquer que les principales étapes. Dans un premier temps, les juridictions françaises décidaient que l'arbitrage était exclu dès lors que la résolution du litige supposait l'interprétation ou l'application de dispositions législatives ou réglementaires d'ordre public

91. En 1950, dans son arrêt Tissot

92, la cour de cassation opéra un

revirement, en admettant que l'existence d'une réglementation d'ordre public applicable au litige ne suffisait pas à entraîner la nullité du compromis d'arbitrage. Mais ce revirement n'était que partiel ; l'arbitre qui constatait une violation de l'ordre public ne pouvait pas la sanctionner, et devait se dessaisir

93. Cette solution était peu logique et révélait en outre une certaine méfiance à l'égard des

arbitres, qui se voyaient reconnaître le pouvoir de constater l'illicéité mais pas celui de la sanctionner. C'est dans un arrêt Impex de 1971 que la cour de cassation reconnut enfin aux arbitres le pouvoir de se prononcer sur la nullité du contrat pour contrariété à l'ordre public, sous réserve du contrôle ultérieur de la sentence si une atteinte à l'ordre public était alléguée contre elle

94.

Cette dernière étape de l'évolution jurisprudentielle fut définitivement consacrée, en matière internationale, par la cour d'appel de Paris dans une série d'arrêts rendus entre 1989 et 1993, dont l'arrêt Ganz

95, dans lequel la juridiction parisienne affirmait qu' “en matière internationale, l'arbitre

dispose du pouvoir d'appliquer les principes et règles relevant de l'ordre public ainsi que de sanctionner leur méconnaissance éventuelle, sous le contrôle du juge de l'annulation”, et que, “dès lors, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière – en ce qu'elle intéresse au plus près l'ordre public international et exclut de manière absolue la compétence arbitrale du fait de la nullité de la convention d'arbitrage – l'arbitre international, dont la mission consiste aussi à assurer le respect de l'ordre public international, a le pouvoir de sanctionner les comportements contraires à la bonne foi qui doit présider aux relations entre partenaires du commerce international”. La même solution s'applique désormais en matière interne

96.

Principe d'arbitrabilité des matières d'ordre public. La confusion n'est donc plus permise aujourd'hui : l'existence de dispositions d'ordre public ou de lois de police applicables à la cause ne suffit pas à rendre celle-ci inarbitrable. L'arbitre peut donc appliquer de telles dispositions et sanctionner leur violation ; il le doit, même, dès lors que sa sentence est susceptible d'être annulée pour contrariété à l'ordre public international. En l'état actuel du droit français de l'arbitrage international, on peut donc poser un principe

91

Cass. civ. 9 janv. 1854 (arbitrage interne), DP 1854, 1, 69 ; E. Mezger L'arbitrage commercial et l'ordre public, RTD com. 1948.611.

92Cass. com., 29 nov. 1950, S., 1951.120, note J. Robert, RTD com. 1951.275, obs. M. Boitard.

93CA Paris, 22 févr. 1967, JCP 1967, II, 15233, note J. Robert.

94Cass. 1

re civ., 18 mai 1971, Impex c. P.A.Z., JDI 1972.62, 1

re esp., note B. Oppetit ; Rev. crit. DIP 1972.124, note E.

Mezger ; Rev. arb. 1972.2, note Ph. Kahn ; D. 1972.37, note D. Alexandre. Le revirement de jurisprudence n'était toutefois pas parfaitement clair, dans la mesure où dans deux arrêts du même jour, impliquant également la société Impex, la cour de cassation avait limité la compétence des arbitres aux contestations relatives à l'inexécution des contrats argués d'illicéité, à l'exclusion de celles relatives à leur validité, v. Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., spéc. n°560 et 566.

95CA Paris, 29 mars 1991, Ganz, Rev. arb. 1991.478, note L. Idot.

Cet arrêt avait été précédé par CA Paris, 16 févr. 1989, Rev. arb. 1989.711, note L. Idot, maintenu par Cass. 1re

civ., 5 févr. 1991, Rev. arb. 1991.625, note L. Idot : « l'arbitrabilité d'un litige au regard de l'ordre public ne doit pas s'entendre de l'interdiction faite aux arbitres d'appliquer des dispositions impératives, mais seulement de statuer sur une matière relevant par sa nature de la compétence exclusive de la juridiction étatique ou de consacrer par leur décision une violation de l'ordre public”, et fut suivi par CA Paris, 12 janv. 1993, Beyrard, Rev. arb. 1994.685 ; CA Paris, 19 mai 1993, Labinal, Rev. arb. 1993.645, note Ch. Jarrosson ; JDI 1993.957, note L. Idot, RTD com. 1993.494, obs. E. Loquin ; CA Paris, 14 oct. 1993, Rev. arb. 1994.165, note Ch. Jarrosson.

96Cass. com., 9 avr. 2002, Toulousy, Rev. arb. 2003.103, note P. Didier ; D. 2003.1117, note L. Degos et somm.2470,

obs. Th. Clay : “il appartient à l'arbitre, hors les cas où la non-arbitrabilité relève de la matière, de mettre en oeuvre les règles impératives du droit, sous le contrôle du juge de l'annulation” ; adde Cass., 2

e civ., 20 mars 2003,

D. 2003, somm.2470, obs. Th. Clay.

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d'arbitrabilité, sous réserve de quelques exceptions. Ces exceptions restent définies par référence à l'ordre public international ou aux lois de police françaises, auxquels est assignée une fonction particulière : celle de dessiner les contours d'un domaine – en principe incompressible – où le recours à l'arbitrage est exclu ; ce rôle de l'ordre public international et des lois de police en matière d'arbitrabilité n'est d'ailleurs qu'une illustration du rôle général qui leur est reconnu en tant que limite au principe de validité de la convention d'arbitrage. Exceptions. Les exceptions à l'arbitrabilité sont d'abord relatives aux causes extrapatrimoniales, qui correspondent, brevatis causa, au statut personnel en droit international privé. Le critère de l'indisponibilité des droits litigieux, posé en général à l'article 2059 C. civ., est ici pertinent. Les exceptions à l'arbitrabilité sont ensuite relatives à certaines “causes patrimoniales sensibles”

97

qui mettent en cause des intérêts publics, ou à tout le moins collectifs. Ici, en effet, la loi prescrit impérativement la compétence exclusive d'une juridiction étatique ou d'un organe spécifique, cette compétence étant jugée nécessaire pour l'accomplissement des objectifs de la loi. L'arbitrage est exclu parce que l'Etat considère, à tort ou à raison, qu'il ne permettrait pas de garantir les intérêts défendus par la loi. Il faut toutefois préciser qu'une attribution de compétence à une juridiction étatique, fût-elle impérative, n'est pas nécessairement synonyme d'inarbitrabilité de la matière ; il n'en est ainsi que si elle est justifiée par la nature même de la matière litigieuse, et non si elle n'a été instituée que pour des motifs de répartition des contentieux entre les juridictions étatiques (pour un exemple, v. infra n°1.1.3). Enfin, il faut ajouter un facteur supplémentaire de complication, qui redonne de l'importance à la distinction entre le compromis et la clause compromissoire

98 : certaines restrictions à l'arbitrabilité

ne sont que relatives, en ce sens qu'elles ne concernent que l'arbitrage des litiges non encore nés. Ici, seule la clause compromissoire serait visée par l'interdiction – ou susceptible de l'être –, à l'exclusion du compromis. On vérifiera ce régime complexe de l'arbitrabilité en droit français, au travers des principales hypothèses rencontrées dans le contentieux du commerce international : droit de la concurrence (1-1-1), procédures collectives (1-1-2), propriété intellectuelle (1-1-3), corruption, blanchiment d'argent (1.1.4). Il apparaît également utile d'évoquer, à ce stade, la solution très récemment consacrée par la Cour de cassation française à propos de l'application de la règle “le criminel tient le civil en l'état” en matière d'arbitrage international (1-1-5 : Droit pénal). Seront enfin évoquées les relations de travail et de consommation (1-1-6). 1-1-1. Droit de la concurrence Arbitrabilité. Les litiges déférés aux arbitres du commerce international et mettant en cause le droit de la concurrence, en particulier le droit communautaire (art. 81 et 82 CE), sont aujourd'hui très nombreux. Comme il a été dit précédemment, de tels litiges sont arbitrables, à charge pour les arbitres, le cas échéant, d'appliquer les dispositions impératives du droit communautaire de la concurrence et de prononcer les sanctions civiles afférentes – annulation des contrats constitutifs d'ententes prohibées, allocation de dommages-intérêts, etc. En revanche, les arbitres n'ont en principe pas le pouvoir de prononcer des injonctions ou des amendes, qui sont de la compétence

97

Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., spéc. n°574 et s. 98

Cette distinction est discutée en matière d'arbitrage international. Les articles 1493 et 1494 du NCPC, relatifs à l'arbitrage international, ne font référence qu'à la « convention d'arbitrage » en général, contrairement aux dispositions du même code relatives à l'arbitrage interne, qui distinguent clairement compromis (art. 1447 et s.) et clause compromissoire (art. 1442 et s.). En outre, la cour d'appel de Paris a récemment jugé que « la distinction entre la clause compromissoire et le compromis s'abolit en matière internationale, pour se voir substituer la seule catégorie de convention d'arbitrage laquelle intervient indifféremment à l'égard d'un litige né ou éventuel » : CA Paris, 17 janv. 2002, Rev. arb. 2002.391, note J-B. Racine. Dans le même sens, v. l'avis de l'Avocat général J. Sainte-Rose sur le pourvoi rejeté par Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, D. 2006.199.

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exclusive des autorités de la concurrence99

. Ces solutions sont fermement acquises et il n'y a pas lieu de s'y attarder plus longtemps. Les difficultés sont ailleurs ; elles concernent l'étendue et, partant, l'effectivité du contrôle de non contrariété à l'ordre public international qu'exerce le juge étatique au visa de l'article 1502-5° NCPC sur les sentences arbitrales rendues en matière de droit de la concurrence. Cette question fait actuellement l'objet d'importantes controverses, nourries par une jurisprudence de la cour d'appel de Paris dont les tendances seront évoquées ultérieurement (V. infra, 3). Réforme du droit communautaire. Les rapports entre le droit de la concurrence et l'arbitrage international sont toutefois en pleine évolution. Celle-ci est marquée par un accroissement des pouvoirs des arbitres, dont la source ne se trouve pas dans le droit français de l'arbitrage ni dans la pratique arbitrale, mais dans le droit communautaire lui-même. Ce nouveau rôle qui est reconnu aux arbitres se manifeste de deux façons différentes, relativement aux ententes anticoncurrentielles (i) et au contrôle des concentrations (ii). (i) Les ententes. Le règlement (CE) n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des articles 81 et 82 CE, entré en vigueur le 1

er mai 2004, a profondément modifié le

système de contrôle des ententes issu du règlement 17/62 du 6 février 1962100

. En un mot, au système de déclaration et d’autorisation préalables des ententes, a succédé un système d’exception légale, suivant lequel les accords respectant les critères fixés par le nouveau règlement sont valables ab initio, sous réserve d’un contrôle a posteriori. L’exercice de ce contrôle est par ailleurs décentralisé, c’est-à-dire confié aux juridictions des Etats membres, qui se voient ainsi reconnaître le pouvoir d'appliquer l'article 81, §3 CE (exemptions), pouvoir qui était jusqu'alors réservé à la Commission. Enfin, des mécanismes de coopération entre la Commission et les juridictions nationales ont été institués pour éviter que cette décentralisation du contrôle ne nuise à l'application uniforme du droit communautaire. Il résulte de ce nouveau règlement que les arbitres du commerce international ont désormais, comme les juridictions nationales, la compétence et les pouvoirs d'appliquer l'article 81, §3 CE

101.

Ils se voient ainsi habilités à accorder des exemptions à des ententes prohibées par l'article 81, §1 CE, ce qui revient à leur reconnaître le pouvoir de se prononcer sur les intérêts et la politique économiques promus par l'ordre juridique communautaire. Ces nouveaux pouvoirs reconnus aux arbitres soulèvent de nombreuses questions. En effet, les tribunaux arbitraux ne sont pas visés par les dispositions du règlement instituant un devoir de coopération entre les juridictions nationales et la Commission. Plus généralement, la CJCE refuse

99

V. CA Paris, 19 mai 1993, Labinal, préc. : « Si le caractère de loi de police économique de la règle communautaire du droit de la concurrence interdit aux arbitres de prononcer des injonctions ou des amendes, ils peuvent néanmoins tirer les conséquences civiles d'un comportement jugé illicite au regard de règles d'ordre public pouvant être directement appliquées aux relations des parties en cause »

100Pour une étude d'ensemble, v. not. L. Idot, « La modernisation du droit communautaire de la concurrence. Adoption par le Conseil du nouveau règlement relatif à la mise en oeuvre des articles 81 et 82 CE », JCP, éd. G, 2003.1 ; adde (ouvrage collectif), Le nouveau règlement d'application du droit communautaire : un défi pour les juridictions françaises, Paris, Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2004.

101V. W. Abdelgawad, « L'arbitrage international et le nouveau règlement d'application des articles 81 et 82 CE », Rev. arb. 2004.253 ; C. Nourrissat, « La place de l'arbitrage dans le nouveau paysage communautaire de la concurrence », in Le nouveau règlement d'application du droit communautaire : un défi pour les juridictions françaises, Paris, Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2004, p. 51 et s. ; D. Vidal (dir.), « L'arbitrage commercial et l'espace judiciaire européen », Actes du colloque de Nice, 20-21 janvier 2005, Revue des Affaires européennes – RAE/LEA, 2005/2, spéc. les communications de F-X. Train, p. 157, V. Christianos et F. Picod, p. 161, M. Béhar-Touchais, p. 177, A. Mourre, p. 191. V. aussi le colloque de l'Institut pour l'arbitrage international (IAI, 4 octobre 2002) : « Les réformes du droit communautaire de la concurrence et l'arbitrage international : un nouveau rôle pour les arbitres », compte rendu par F-X. Train, Rev. arb. 2002.1069 ; L. Idot, « Arbitration and the reform of regulation 17/62 », European Competition Law Annual 2001 : Effective Private Enforcement of EC Antitrust Law, C.D. Ehlermann and I. Atanasiu (Eds.), Oxford, Hart Publishing, 2003, p. 305 et s.

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d'admettre la juridiction arbitrale au bénéfice de l'article 234 CE102

, ce qui prive l'arbitre de la possibilité de poser des questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg. La solution pourrait venir d'une coopération informelle entre les tribunaux arbitraux et la Commission

103, laquelle

semble d'ailleurs ouverte à une telle pratique104

. Une telle coopération, certainement souhaitable en pratique, ne va pas sans difficultés, notamment : la Commission peut-elle intervenir dans la procédure arbitrale ? Si oui, à la requête des arbitres ou des parties ? Pourra-t-elle intervenir si une partie s’y oppose ? Si elle intervient, quel sera son statut dans la procédure : témoin, amicus curiae, expert ? Les parties auront-elles la faculté de faire intervenir leurs propres experts ? Si oui, quelle sera, en fait, l’autorité de ces experts-parties face aux représentants de la Commission ? Quelle sera la marge de manoeuvre des arbitres après avoir entendu la Commission ?, etc. En outre, les arbitres se demandent légitimement si une coopération étroite entre eux et la Commission ne porterait pas atteinte à la confidentialité de l’arbitrage

105, dans le cas où la Commission utiliserait des

informations révélées au cours de la procédure106

. (ii) Contrôle des concentrations. En matière de contrôle des concentrations, la Commission, qui déclare ne pas disposer de moyens suffisants pour contrôler le respect des engagements comportementaux (soft remedies) des entreprises, impose de plus en plus, depuis quelques années, le recours à l'arbitrage

107. Les arbitres se voient ainsi chargés de vérifier que les engagements

souscrits par telle ou telle entreprise auprès de la Commission ont bien été respectés. A cette fin, ils peuvent se voir conférer des pouvoirs qui appartiennent en principe exclusivement à la Commission : accès à des informations confidentielles, pouvoir d'investigation et d'enquête, et même pouvoir d'injonction. Toutefois, investie par le Traité CE d'une compétence exclusive en matière de concurrence, la Commission peut exercer un droit de regard sur la procédure suivie et, surtout, elle se réserve le droit de “réviser” la sentence, à tout le moins de prendre une décision qui peut aller au-delà ou à l'encontre de la décision des arbitres. A plusieurs égards, ce type d'arbitrage ne ressemble que de très loin à l'arbitrage tel qu'il est entendu en droit français : le fondement conventionnel est douteux, l'étendue des pouvoirs conférés à l'arbitre relève plus d'une espèce de délégation de pouvoirs de la part de la Commission que d'une mission juridictionnelle confiée par les parties, enfin, le caractère “révisable” de la décision des arbitres est incompatible avec la notion de sentence arbitrale au sens des articles 1498 et s. du NCPC. 1-1-2. Procédures collectives Des arrêts récents ont apporté d'utiles précisions relativement à l'articulation entre une procédure de faillite et une procédure arbitrale

108.

102

CJCE, 23 mars 1982, aff. C-102/81, Nordsee, Rev. arb. 1982.473 ; CJCE, 27 janv. 2005, aff. C-125/04,Denuit, Rev. arb. 2005.765, note L. Idot. ; RTD com. 2005.440, obs. M. Luby ; ibid. p. 488, obs. E. Loquin. Pour un plaidoyer en faveur d'un revirement, v. not. V. Christianos et F. Picod, « L'insertion de l'arbitrage dans le système juridictionnel communautaire », RAE/LEA, 2005/2.161 (préc.) ; contra, v. not. L. Idot, note sous CJCE, 27 janv. 2005, préc.

103V. L. Idot, note sous CJCE, 27 janv. 2005, préc. ; W. Abdelgawad, art. préc.

104V. les déclarations de M

me C. Gauer lors du colloque de l'IAI, « Les réformes du droit communautaire de la

concurrence et l'arbitrage international : un nouveau rôle pour les arbitres », compte rendu in Rev. arb. préc., spéc. p. 1072.

105En droit français, le principe de confidentialité de l'arbitrage commercial international est reconnu même s'il ne résulte d'aucun texte : Ph. Cavalieros, « La confidentialité de l'arbitrage », Les cahiers de l'arbitrage, 2005/3, Gaz. Pal. du 14-15 déc. 2005, p. 6 et s. et les réf. citées.

106Les arbitres n’ont nullement l'intention de devenir des « agents de renseignement » de la Commission, v. l'intervention de M. Hans Van Houtte au colloque de l'IAI, « Les réformes du droit communautaire de la concurrence et l'arbitrage international : un nouveau rôle pour les arbitres », compte rendu in Rev. arb. préc., spéc. p. 1072-1073.

107 V. L. Idot, « Une innovation surprenante : l'introduction de l'arbitrage dans le contrôle communautaire des concentrations », Rev. arb. 2000.591 ; colloque de l'IAI, « Les réformes du droit communautaire de la concurrence et l'arbitrage international : un nouveau rôle pour les arbitres », compte rendu in Rev. arb. préc. ; G. Decocq, « Arbitrage et droit communautaire du contrôle des concentrations », in L'arbitrage commercial et l'espace judiciaire européen, Actes du colloque de Nice, 20-21 janvier 2005, RAE/LEA 2005/2.169.

108Sur l'ensemble de la question, v. Ph. Fouchard, « Arbitrage et faillite », Rev. arb. 1998.471 ; chr., Rev. arb. 2003.131

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Les restrictions à l'arbitrabilité en cette matière sont fondées sur des considérations d'ordre public. Les objectifs que poursuit la procédure collective, à savoir le redressement de l'entreprise, la sauvegarde de l'emploi et l'apurement du passif, justifient la centralisation de l'ensemble du contentieux lié à la faillite entre les mains d'un seul juge, en l'occurrence le Tribunal de commerce. Aussi celui-ci a-t-il compétence exclusive pour ce qui concerne “les contestations nées de la procédure collective ou sur lesquelles cette procédure exerce une influence juridique”. Il en va ainsi des décisions relatives à l'ouverture de la procédure collective, à la portée du dessaisissement du débiteur, à la nullité des actes conclus pendant la période suspecte, ou encore, aux sanctions pouvant être prononcées à l'encontre des dirigeants sociaux. Ces restrictions à l'arbitrabilité procédant d'une loi de police française, elles ne trouvent à s'appliquer que pour les procédures collectives relevant du droit français

109. Et, lorsque tel est le cas, la compétence arbitrale, dans son

principe, n'est pas affectée par l'ouverture d'une faillite (i). En revanche, il est certain que la procédure collective perturbe le déroulement de la procédure arbitrale (ii). (i) Maintien de la compétence arbitrale. S'agissant de la compétence arbitrale, le droit français admet depuis longtemps que les conventions d'arbitrage passées par le débiteur avant l'ouverture de la faillite demeurent efficaces postérieurement à celle-ci. En d'autres termes, les différends relatifs aux contrats antérieurs ne deviennent pas inarbitrables du seul fait de l'ouverture de la procédure collective. En conséquence, les litiges purement contractuels, qui portent sur la validité ou l'exécution d'un contrat antérieur entre le débiteur et l'un de ses partenaires contractuels, relèvent de la compétence arbitrale, même si la solution que l'arbitre est susceptible de donner à de tels litiges peut avoir une influence sur le bien fondé de la créance produite à la procédure par l'un des créanciers. (ii) Perturbations de la procédure arbitrale. Quant au déroulement de la procédure arbitrale, il faut distinguer selon que le tribunal arbitral était ou non déjà constitué au moment de l'ouverture de la faillite. Dans le premier cas, les solutions sont acquises de longue date en droit français. Le tribunal arbitral doit respecter les dispositions relevant de l'ordre public international français, en particulier les principes de la suspension des poursuites et de l'égalité des créanciers, sous peine de voir sa sentence annulée sur le fondement de l'article 1502-5° NCPC (contrariété à l'ordre public international). C'est ainsi que l'instance arbitrale est suspendue à l'ouverture de la faillite, pendant le temps nécessaire à la déclaration de la créance

110. Elle reprendra ensuite mais son objet sera limité :

si l'arbitre pourra fixer le montant des sommes dues par le débiteur failli, en aucun cas il ne pourra le condamner à les payer

111 ; un tel paiement se fera en effet conformément aux règles spécifiques

de la procédure collective. Lorsque le tribunal n'était pas constitué au moment de l'ouverture de la faillite, celle-ci influe sur les opérations de constitution du tribunal arbitral. Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 2 juin 2004

112, est venu apporter d'utiles précisions à ce sujet. Ici encore, c'est

le principe fondamental de l'arrêt des poursuites individuelles qui fonde les solutions retenues par la

et 207 ; P. Ancel, « Arbitrage et procédures collectives », Rev. arb. 1983.255 ; « Arbitrage et procédures collectives après la loi du 25 janvier 1985 », Rev. arb. 1987.127 ; note sous Cass. com., 14 janv. et 2 juin 2004 (2 arrêts), Rev. arb. 2004.591.

109Cass. 1

re civ., 3 avril 2001, Rev. arb. 2003.220, obs. Ph. Fouchard préc. : « Lorsqu'une sentence arbitrale rendue à

l'étranger ne tranche qu'un litige entre un vendeur en faillite dans son pays et un acheteur français, les dispositions du droit français de la liquidation judiciaire qui sous-tendent l'ordre public international dont la violation est invoquée ne sont pas applicables. »

110Cass. 1

re civ., 8 mars 1988, Rev. arb. 1989.473, note P. Ancel, qui annule une sentence pour violation de la règle de la

suspension des poursuites, en vertu de laquelle les arbitres auraient dû prononcer la suspension de l'instance arbitrale ; adde Cass. 1

re civ., 5 févr. 1991, Rev. arb. 625, note L. Idot.

111Cass. 1

re civ., 8 mars 1988, préc.

112Préc.

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cour suprême. Lorsque le tribunal arbitral n'était pas constitué à l'ouverture de la faillite, il ne peut pas l'être immédiatement après, ce qui implique notamment que le juge d'appui ne peut pas prêter son concours à la constitution du tribunal

113. Cela ne signifie pas pour autant que l'arbitrage n'aura

jamais lieu car le principe de la compétence arbitrale n'est pas en cause. C'est une question de calendrier : le créancier devra au préalable déclarer sa créance et se soumettre à la procédure de vérification des créances, qui relève de la compétence du juge-commissaire ; il invoquera alors la convention d'arbitrage devant ce dernier juge, lequel n'aura d'autre choix que de se déclarer incompétent : à ce moment là, le tribunal arbitral pourra être constitué et la procédure se dérouler aux conditions et réserves évoquées précédemment. 1-1-3. Propriété intellectuelle Il faut distinguer propriété industrielle (i) et propriété littéraire et artistique (ii). (i) En matière de propriété industrielle

114, le droit français est fixé depuis longtemps : les litiges

mettant en cause la validité d'un brevet ou d'une marque sont inarbitrables, tandis que “les litiges portant sur les contrats relatifs à l'exploitation des brevets, qu'il s'agisse d'interprétation ou d'exécution des contrats, sont arbitrables”

115, de la même façon que le litige relatif à la rupture d'un

contrat du fait de l'atteinte portée à une marque116

. Au demeurant, une fois n'est pas coutume, les textes sont ici en phase avec la jurisprudence. Les articles L. 615-17, al. 3 du Code de la propriété intellectuelle (brevets d'invention) et L. 716-4 du même code (marques) attribuent certes compétence aux tribunaux de grande instance mais précisent que cette attribution de compétence ne fait pas obstacle au recours à l'arbitrage. Cette solution est justifiée par le fait que ces règles impératives de compétence n'ont d'autre objet que de répartir le contentieux entre les juridictions étatiques, et non de le réserver à une autorité publique pour la préservation d'intérêts publics. En revanche, les articles L. 613-27 et L. 714-3 du Code la propriété intellectuelle disposent que la décision judiciaire d'annulation, respectivement, d'un brevet ou d'un enregistrement de marque, a “un effet absolu” ou erga omnes – tout comme la délivrance du titre par l'autorité compétente, l'Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI), qui confère à son titulaire un monopole. En conséquence, une telle décision intéresse les tiers et doit donc être exclue de l'arbitrage, dès lors qu'une sentence arbitrale, en raison de sa source conventionnelle, ne saurait avoir d'effet absolu

117.

(ii) En matière de propriété littéraire et artistique

118, les litiges relatifs aux droits pécuniaires des

auteurs sont arbitrables, sur compromis ou sur clause d'arbitrage, dès lors, d'une part, que celle-ci est licite dans l'ordre international sans condition de commercialité

119 et dès lors, d'autre part, que

les droits pécuniaires doivent être considérés comme disponibles. En revanche, en ce qui concerne le droit moral de l'auteur, le doute est permis. Non pas parce que les dispositions y relatives revêtent le caractère de lois de police

120 – l'existence de dispositions d'ordre public ou de lois de police

applicables à la cause ne suffit pas à caractériser son inarbitrabilité – mais en raison de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui qualifie le droit moral de “perpétuel, inaliénable et imprescriptible”, autrement dit, d'indisponible. C'est ainsi au titre de l'article 2059 C. civ. que les

113

C'était la question posée par l'arrêt du 2 juin 2004, préc. 114

V. G. Bonet et Ch. Jarrosson, « L'arbitrabilité des litiges de propriété industrielle », in Arbitrage et propriété intellectuelle, publication de l'Institut H. Desbois – IRPI, n°12, Librairies techniques, 1994, p. 61.

115CA Paris, 24 mars 1994, Rev. arb. 1994.515, note Ch. Jarrosson.

116TGI Paris, 17 mars 1981, Rev. arb. 1983.89, 2

e esp., note A. Françon.

117Cette justification de l'inarbitrabilité est d'ailleurs critiquée par la doctrine, dernièrement, F. Perret, « L'arbitrabilité des contentieux en matière de brevet d'invention », Liber Amicorum Claude Reymond, Litec, 2004, p. 229.

118Sur l'ensemble de la question, v. B. Oppetit, « L'arbitrabilité des litiges de droit d'auteur et droits voisins », in Arbitrage et propriété intellectuelle, publication de l'Institut H. Desbois – IRPI, n°12, Librairies techniques, 1994, p. 121 et s.

119Cass. 1

re civ., Zanzi, 1

er déc. 1999, Elle l'est également entre professionnels dans l'ordre interne, art. 2061 dans sa

rédaction issue de la loi NRE du 15 mai 2001. 120

Cass. 1re

civ., 28 mai 1991, Huston, Rev. crit. DIP 1991.752, note P-Y. Gautier ; JCP, éd. G, 1991, n°21731, note A. Françon.

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différends portant sur le droit moral de l'auteur devraient être inarbitrables. Pourtant, en pratique, des arbitres ont tranché à plusieurs reprises des litiges relatifs à la qualité d'auteur ou de co-auteur d'une oeuvre

121. En outre, il ressort d'une décision de la cour de Paris que le droit moral de l'auteur

n'est pas manifestement inarbitrable122

. 1-1-4. Corruption L'arbitrabilité des litiges dans lesquels des actes de corruption sont en cause est acquise en droit français. L'arbitre peut ainsi refuser de prononcer l'exécution forcée de contrats de commissions illicites ou les annuler

123.

En guise de conclusion sur l'application par les arbitres des dispositions internationalement impératives de droit substantiel, il convient de rappeler qu'il appartient aux tribunaux arbitraux internationaux de se prononcer sur toutes les causes de nullité du contrat alléguées par les parties, qu'elles trouvent leur source dans l'ordre public international ou dans des dispositions supplétives de la lex contractus. Or les arbitres prononcent de telles annulations, ainsi qu'en attestent quelques sentences rendues sous l'égide de la CCI et publiées récemment

124. L'annulation du contrat y est

prononcée notamment pour cause d'incapacité de l'une des parties, pour cause d'absence d'obtention de toutes les autorisations administratives nécessaires, s'agissant d'un marché de travaux publics, ou encore, pour cause de non respect d'une disposition de la loi française du 31 décembre 1975 relative

121

Les décisions publiées sont rares : v. les réf. citées par B. Oppetit, « L'arbitrabilité des litiges de droit d'auteur et droits voisins », préc.

122CA Paris, 26 mai 1993, Zeldin, Revue internationale du droit d'auteur – RIDA, janv. 1994.292. En l'espèce, le litige était relatif, notamment, au droit de l'auteur au “respect de son oeuvre”, qui est l'un des attributs du droit moral. Invoquant l'arrêt Huston (cité supra), l'auteur se prévalait du caractère d'ordre public du droit moral pour justifier la saisine des juridictions françaises nonobstant la présence d'une clause compromissoire. Or, conformément au principe compétence-compétence (art. 1458 NCPC), en vertu duquel l'arbitre est prioritaire pour statuer sur sa compétence, c'est-à-dire sur l'existence, la validité et la portée de la clause compromissoire, les juges du fond saisis au mépris d'une clause compromissoire doivent se déclarer incompétents, à moins que la convention d'arbitrage ne soit “manifestement nulle ou inapplicable” ; c'est l'effet négatif du principe compétence-compétence, en vertu duquel le juge étatique n'exerce qu'un contrôle sommaire ou prima facie, qui le conduit à se déclarer incompétent dès lors qu'un doute est permis, si minime soit-il, sur la nullité ou l'inapplicabilité de la convention d'arbitrage ; en d'autres termes, il ne retient sa compétence qu'en présence d'une clause d'arbitrage dont, à l'évidence, nul ne pourrait sérieusement prétendre qu'elle est valable. Ainsi, dans l'affaire Zeldin examinée ici, la cour d'appel, approuvant le premier juge, se déclara incompétente sur le fondement de l'existence d'une convention d'arbitrage. On en déduit que la clause compromissoire n'est pas manifestement nulle ou inapplicable au litige portant sur le droit moral de l'auteur. Un tel litige n'est donc pas manifestement inarbitrable, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit effectivement arbitrable, donc que la clause soit valable ; simplement, en vertu du principe compétence-compétence, il appartiendra à l'arbitre de se prononcer prioritairement sur cette question, en fait et en droit, sous réserve d'un éventuel contrôle a posteriori du juge de l'annulation (comp., en matière de contrat de consommation, infra au texte). A notre connaissance, les suites de cette affaire Zeldin n'ont pas donné lieu à publications.

En droit comparé, on peut relever l'arrêt de la Cour suprême du Qébec, en date du 21 mars 2003 (Les éditions Chouette c/ Desputeaux, Rev. arb. 2003.473, note F. Bachand), qui a jugé, entre autres choses, que le litige mettant en cause le droit moral de l'auteur était arbitrable. Cette solution pourrait inspirer le droit français, même si, d'une part, l'article 14.1 (2) de la loi canadienne sur le droit d'auteur de 1985 prévoit que si “les droits moraux sont incessibles, ils sont toutefois susceptibles de renonciation, en tout ou en partie”, ce qui atteste du caractère partiellement disponible du droit moral en droit qébecois et, d'autre part, l'article 2639, al. 1er C.c.Q. n'interdit l'arbitrage que pour les différends portant “sur l'état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres questions qui intéressent l'ordre public”, en précisant – utilement – dans son alinéa 2 qu' “il ne peut être fait obstacle à la convention d'arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d'ordre public.” La libre disponibilité des droits n'est donc pas un critère d'arbitrabilité en droit qébecois. Après avoir relevé que “Sauf dans quelques matières fondamentales mentionnées à l'article 2639 C. c. Q., l'arbitre peut statuer sur des règles d'ordre public, puisqu'elles peuvent faire l'objet de la convention d'arbitrage”, la cour suprême du Qébec a considéré que “bien que l'oeuvre constitue une manifestation de la personnalité de l'auteur, on se trouve fort loin des questions relatives à l'état et à la capacité des personnes et aux matières familiales”, en précisant que les artistes pouvaient transiger sur leur droit d'auteur et “monnayer l'exercice des droits moraux qui en font partie.”

123CA Paris, 10 sept. 1993, Rev. crit. DIP 1994.349, note V. Heuzé ; Rev. arb. 1994.359, note D. Bureau.

124E. Jolivet, « Chronique de jurisprudence arbitrale de la CCI : l'annulation du contrat par les arbitres dans l'arbitrage CCI », Les Cahiers de l'arbitrage n°2005/3, Gaz. Pal. 14-15 déc. 2005, p. 14 et s.

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à la sous-traitance de travaux, laquelle, si elle ne peut être qualifiée de loi de police ou de réglementation d'ordre public international, était néanmoins applicable en l'espèce dès lors que les parties avaient désigné le droit français comme devant régir le fond du litige et n'avaient pas exclu la loi de 1975 ou certaines de ses dispositions. 1-1-5. Droit pénal – Application de la règle “le criminel tient le civil en l'état” (art. 4, al. 2 du Code de procédure pénale) Inarbitrabilité de l'action publique et arbitrabilité de l'action civile. La matière pénale touche directement aux prérogatives souveraines de l'Etat, ce qui se traduit notamment par l'intervention directe de la puissance publique dans le litige. Il en résulte une inarbitrabilité absolue de la matière, qui trouve son prolongement dans l'absence de pouvoir de l'arbitre de prononcer des sanctions pénales et assimilées. Le droit pénal est ainsi l'archétype de la matière inarbitrable

125.

Néanmoins, l'inarbitrabilité de l'action publique ne s'étend pas aux conséquences civiles de l'infraction, lesquelles – à condition qu'elles ne touchent pas au noyau dur des droits indisponibles – peuvent être arbitrées. Se pose alors la question de l'applicabilité de la règle “le criminel tient le civil en l'état” en matière d'arbitrage

126, qui a connu très récemment des développements

significatifs en droit français. La règle « le criminel tient le civil en l'état » découle de l'article 4, al. 2 du Code de procédure pénale (C. pr. pén.), qui oblige la juridiction civile à surseoir à statuer dans l'attente de la décision du juge répressif, à la double condition, d'une part, que l'action publique ait été effectivement exercée devant la juridiction d'instruction ou de jugement compétente et, d'autre part, que la décision pénale soit de nature à influer sur la décision civile. Elle tend à prévenir le risque de contrariété entre le jugement pénal et le jugement civil en faisant primer le premier, qui intéresse la société, sur le second, qui n'intéresse que les particuliers. A ce titre, la règle « le criminel tient le civil en l'état » participe du principe général de l'autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, dont elle constitue un dérivé procédural permettant d'en assurer l'effectivité

127. Dès lors qu'elle ne

constitue que l'accessoire de ce principe, elle lui emprunte naturellement son champ d'application. Ainsi, dans l'ordre international, son application ne dépend pas du caractère interne ou international du rapport litigieux ou de l'infraction pénale, mais uniquement du fait de savoir si l'action publique est conduite en France ou à l'étranger. Dans le second cas, elle ne s'impose pas au juge

128, à moins

qu'une convention liant la France à l'Etat où est exercée l'action publique ne le prévoit expressément

129.

En revanche, si la procédure pénale se déroule en France, la règle s'impose au juge civil français, notamment au juge du contrôle de la sentence arbitrale (ii), alors qu'elle ne s'impose pas à l'arbitre du commerce international (i). Ces solutions, dégagées par la cour d'appel de Paris depuis quelques

125

V. aussi le droit fiscal, Arbitrage et fiscalité, numéro spécial de la Revue de l'arbitrage, 2001/n°2. 126

M. Sfeir-Slim, « L'applicabilité de la règle « le criminel tient le civil en l'état » en matière d'arbitrag », in Le droit en mouvement – Mélanges en l'honneur de M. Topakian, éd. Bruylant-Presses de l'Université Saint-Joseph (PUSJ), 2005, p. 255 et s.

127R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. II, Cujas 2001, n°364 ; S. Guinchard, J. Buisson, Procédure pénale, Litec 2000, n°977.

128Un jugement pénal étranger étant en principe dépourvu de toute autorité positive de chose jugée en France, la règle « le criminel tient le civil en l'état » ne s'impose pas à la juridiction civile française lorsque l'action publique est conduite devant une juridiction étrangère : Cass. crim., 22 nov. 1967, Bull. crim., n°297 ; JCP, 1968, II, 15363, note J. A. ; v. A. Huet et R. Koering-Joulin, Droit pénal international, PUF, coll. Thémis, Paris, 2

e éd. 2001, n°169. Pour

une application en matière d'arbitrage, v. Paris, 24 janv. 1991, Rev. arb. 1992.158, obs. D. Cohen ; Paris, 30 mars 1995, RTD com 1997.230, obs. E. Loquin.

129La règle « ne s'applique dans les relations internationales qu'en vertu d'un traité » : Cass. 1

re civ., 7 avril 1998, Bull.

civ., I, n°139 ; 6 mai 2003, SOPIP, Rev. arb. 2004.311, 1re esp., obs. J-B. Racine ; Rev. crit. DIP 2004.124, note D.

Chilstein.

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24

années130

, viennent d'être consacrées sans ambiguïté par la cour de cassation dans un arrêt du 25 octobre 2005

131.

(i) La règle « le criminel tient le civil en l'état » est facultative pour l'arbitre du commerce international La cour d'appel de Paris a eu l'occasion d'affirmer à plusieurs reprises que l'article 4, al. 2 du Code de procédure pénale (C. pr. pén.) était « sans application pour l'arbitre statuant en matière internationale » tout en précisant qu'il ne lui était pas interdit « d'estimer qu'une procédure pénale est de nature à influer sur la solution du litige dont il est saisi et d'ordonner pour ce motif un sursis à statuer dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité »

132. La cour de cassation a confirmé cette

solution dans son arrêt du 25 octobre 2005 mais sans en préciser le fondement, contrairement à la cour de Paris, qui l'avait quant à elle justifiée par « l'autonomie de [la procédure arbitrale internationale] qui obéit à des règles propres »

133.

Il est vrai que le sursis à statuer institué par le code de procédure pénale « touche à l'ordre même des juridictions en même temps qu'aux règles de procédure et au fonctionnement des instances judiciaires »

134 ; l'article 4, al. 2 C. pr. pén. tend ainsi à assurer la coordination des procédures

civiles et pénales se déroulant sur le territoire national. Or l'arbitre n'est pas assimilable à un juge de l'Etat ; il n'est pas lié par la loi de cet Etat, que ce soit pour régler la procédure ou pour déterminer le droit applicable au fond du litige ; la sentence qu'il rend est également autonome, en ce sens qu'elle n'est pas rattachée à l'ordre juridique français, même si le siège de l'arbitrage est en France. Il semble ainsi assez naturel que l'arbitre international ne soit pas tenu de participer à cette mission de coordination des instances judiciaires

135. Un autre fondement peut être proposé : l'autorité de la

chose jugée au criminel sur le civil n'est pas d'ordre public international. Par conséquent, la règle de l'article 4, al. 2 C. pr. pén., qui n'en constitue que l'accessoire, ne l'est pas non plus

136. D'où il suit

que le refus par l'arbitre de surseoir à statuer n'entache pas sa sentence de contrariété à l'ordre public international au sens de l'article 1502-5° NCPC, ce qui implique que ce sursis est facultatif pour lui. Fondée en droit, la solution l'est également en opportunité : la liberté de l'arbitre d'ordonner ou non le sursis permet d'éviter que le dépôt d'une plainte pénale suffise à lui seul à paralyser la procédure arbitrale ; elle permet en d'autres termes de lutter contre les manoeuvres dilatoires, ce pour quoi elle est approuvée par l'ensemble de la doctrine

137.

(ii) La portée limitée de l'article 4, al. 2 C. pr. pén. devant le juge du contrôle de la sentence. Comme il a été dit, pour que l'article 4, al. 2 C. pr. pén. soit susceptible de recevoir application dans l'ordre international, il faut et il suffit que deux juridictions françaises – l'une répressive, l'autre

130

CA Paris, 10 sept. 1998, 7 sept. 1999, 20 avril 2000, 1er

mars 2001, Rev. arb. 2001.583, note J-B. Racine ; CA Paris 17 janv. 2002, Omenex, Rev. arb. 2002.391, note J-B. Racine ; CA Paris, 23 mai et 20 juin 2002, Rev. arb. 2002.971, note J-B. Racine ; CA Paris, 13 févr. et 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004.311 (2

e et 3

e esp.), note J-B. Racine.

V. aussi les obs. d'E. Loquin sous CA Paris, 1er

mars 2001, 17 janv. 2002 et 20 juin 2002, RTD com. 2003.63. Adde les réf. citées par J-B. Racine, note sous CA Paris, 17 janv. 2002, préc., spéc. n°14.

131Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, Omenex, D. 2005.3052 et 3060, obs. Th. Clay ; avis de l'Avocat général J. Sainte-Rose,

D. 2006.199 ; Rev. arb. 2006, note J-B. Racine, à paraître ; JDI 2006, note F-X. Train, à paraître. 132

V. not. CA Paris, 17 janv. 2002, préc. 133

Sur l'autonomie en général, v. récemment J-B. Racine, « Réflexions sur l'autonomie de l'arbitrage commercial international », Rev. arb. 2005.305, v. spéc. n°29, pp. 327-328 à propos de l'article 4 C. pr. pén. ; comp. du même auteur, note à la Rev. arb. 2002.391, préc., spéc. n°19 p. 407.

134Cass. crim. 22 nov. 1967, Bull. crim., n°297 ; JCP, 1968, II, 15363, note J. A.

135L'arbitre statuant en matière interne, au contraire, est lié par l'article 4, al. 2 C. pr. pén., v. CA Paris, 23 févr. 1996, Rev. arb., 2000.471, 1

re esp., note J-B. Racine ; adde les obs. d'E. Loquin, RTD com. 1997.231.

136V. J-B. Racine, note sous CA Paris, 17 janv. 2002, préc. et les réf. citées ; adde J. Sainte-Rose, avis sur le pourvoi rejeté par Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, préc.

137E. Loquin, obs. RTD com. 2003.63, préc. ; Th. Clay, obs. sous Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, Omenex, préc. ; J-B.

Racine, note sous CA Paris, 17 janv. 2002, préc. ; J-F. Poudret et S. Besson, op. et loc. cit. ; M. Sfeir-Slim, art. préc. ; adde Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°1660.

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civile – soient saisies. Il s'ensuit que la règle « le criminel tient le civil en l'état » s'impose aux juridictions étatiques chargées du contrôle de la régularité des sentences arbitrales, dès lors que la procédure pénale se déroule en France

138. Toutefois, les conditions du sursis à statuer, strictes en

droit commun, le sont encore plus devant le juge du contrôle de la sentence, en raison de la nature spécifique de l'instance en annulation ou en exequatur. En règle générale, le juge civil ne doit surseoir à statuer que s'il est saisi des mêmes faits que le juge répressif ou si l'issue de l'action publique est susceptible d'influer sur sa décision. En droit commun, ce critère donne lieu, sous le contrôle de la cour de cassation, à une casuistique fort complexe

139.

Mais le juge étatique chargé du contrôle des sentences arbitrales rendues en matière internationale n'est pas un juge civil comme les autres. Comme le relève très justement la cour de Paris dans son arrêt du 20 juin 2002 (préc.), le sursis à statuer de l'article 4, al. 2 C. pr. pén. « vise le juge civil saisi du fond de l'affaire dans un contexte d'identité des fautes civile et pénale ». Dès lors que le juge de l'annulation « ne saurait [...] remettre en cause le jugement des arbitres sur le fond du litige », l'action publique ne peut influer sur sa décision qu'au travers d'une fenêtre très étroite : « les faits constitutifs de l'infraction pénale doivent avoir une incidence directe sur l'existence des griefs visés par l'article 1502 [NCPC] ». Dans son arrêt du 25 octobre 2005, la cour de cassation a confirmé cette approche restrictive : « la demande de sursis à statuer ne peut être accueillie que si les faits dénoncés comme constituant l'infraction ont une incidence directe sur la cause d'annulation de la sentence et si la décision pénale à intervenir est susceptible d'influer sur la décision civile ». D'un point de vue statistique, il apparaît que le sursis à statuer est rarement prononcé ; dans la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, à notre connaissance, deux décisions de sursis seulement peuvent être relevées

140, pour plus de dix qui l'ont refusé.

En pratique, l'hypothèse la plus probable de mise en oeuvre de la règle « le criminel tient le civil en l'état » devant le juge de l'annulation est celle de la fraude procédurale, à la double condition, d'une part, qu'une telle fraude tombe sous le coup d'incriminations pénales – par exemple la production de documents falsifiés au cours de la procédure arbitrale – et, d'autre part, qu'elle ait influé sur la décision des arbitres : « la fraude, qui peut résulter notamment des manoeuvres accomplies par l'une des parties au cours de la procédure arbitrale, fait exception à toutes les règles et justifie, lorsqu'elle est établie, l'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1502-5° du nouveau code de procédure civile en raison de sa contrariété à l'ordre public international, à la condition cependant que ces manoeuvres aient déterminé en tout ou en partie la décision des arbitres »

141.

Dommages-intérêts punitifs. Une autre question peut être très brièvement évoquée, celle des dommages-intérêts punitifs

142. La question ne se pose pas, nous semble-t-il, en termes d'arbitrabilité

ou de pouvoir des arbitres de prononcer ce type de sanction. Dès lors que le droit applicable au fond autorise les dommages-intérêts punitifs, l'arbitre devrait avoir le pouvoir de les prononcer. En revanche, l'ordre public international français pourrait s'opposer à la reconnaissance et à l'exécution en France d'une sentence arbitrale prononçant une telle sanction, en raison de sa possible contrariété

138

Solution confirmée par Cass. 1re

civ., 25 oct. 2005, préc. : « l'article 4 du Code de procédure pénale est applicable, même en matière internationale, au recours en annulation d'une sentence arbitrale si la procédure pénale se déroule en France ».

139V. la jurisprudence citée in J-Cl. Procédure pénale, Art. 4 à 5-1, n°31 et s.

140Il s'agit des arrêts du 7 septembre 1999 et 20 avril 2000, Rev. arb. 2001.583 (2

e et 3

e esp.).

141CA Paris, 14 déc. 1999, préc. Sur la fraude procédurale comme cause d'annulation de la sentence sur le fondement de l'article 1502-5° NCPC, v. Cass. 1

re civ., 19 déc. 1995, Rev. arb., 1996.49, note D. Bureau ; RTD com, 1996.667,

obs. E. Loquin ; CA Paris, 17 juin 1997, Rev. arb., 1997.583, obs. D. B. ; CA Paris, 21 janv. 1997, Rev. arb., 1997.429, obs. Y. D. ; v. déjà l'arrêt Fougerolle, 25 mai 1992, Rev. crit. DIP, 1992.699, note B. Oppetit ; JDI, 1992.974, note E. Loquin.

142Sur la question, v. spéc. J. Ortscheidt, La réparation du dommage dans l'arbitrage commercial international, Dalloz, 2001, pp. 281 et s. ; J-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, op. cit., n°156.

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à l'ordre public international (art. 1502-5° NCPC). Le droit français est en effet hostile à ce type de dommages-intérêts. 1-1-6. Parties faibles – salarié et consommateur Généralités. Certaines personnes, réputées faibles, tels le consommateur et le salarié, bénéficient d'un corps de règles protectrices, substantielles et procédurales, relevant d'un ordre public de protection. Les critères de l'arbitrabilité retenus par le droit français sont, en ces matières, largement inopérants

143. Il faut d'abord rappeler que le caractère d'ordre public des règles substantielles

applicables au contrat de travail ou de consommation ne suffit pas à rendre les litiges y afférant inarbitrables, sous réserve du contrôle ultérieur du juge sur la conformité de la sentence à l'ordre public international. Ensuite, quant aux règles attribuant compétence à certaines juridictions pour connaître des litiges de consommation ou de droit du travail, elles tendent, a priori, à répartir lesdits litiges entre les juridictions étatiques, et non à les réserver de façon impérative à l'autorité publique

144 ; à ce titre non plus, les litiges relatifs aux relations de travail ou de consommation ne

paraissent pas par nature inarbitrables. Enfin, en ce qui concerne la disponibilité des droits, celle-ci apparaît doublement relative dans les litiges impliquant une partie faible. D'une part, tous les droits du consommateur ou du salarié ne sont pas indisponibles ; certains sont pleinement disponibles, en sorte qu'une application rigoureuse du critère de disponibilité pourrait conduire à des situations inextricables, dans lesquelles certains aspects d'un litige pourraient être déférés à l'arbitrage tandis que les autres relèveraient impérativement de la compétence du juge étatique. D'autre part, on peut estimer, brevatis causa, que les droits protégeant le salarié et le consommateur sont indisponibles tant qu'ils ne sont pas acquis ; quand ils sont acquis, ils deviennent disponibles

145, ce qui se

traduirait par l'illicéité de la clause compromissoire et, au contraire, la licéité du compromis d'arbitrage. Dans l'ordre international, la situation est encore plus confuse. En premier lieu, l'article 2061 C. civ., qui, selon la doctrine unanime

146, condamne la clause compromissoire dans les contrats de

consommation, n'est pas applicable à la convention d'arbitrage international ; le principe de validité de la convention d'arbitrage international joue donc à plein. En second lieu, la législation sur les clauses abusives, a priori pertinente

147, est d'une mise en oeuvre difficile dans l'ordre international

en raison du doute quant à sa qualification en droit international privé, et laisse en outre au juge une certaine lattitude pour apprécier la licéité d'une clause relative au règlement des différends, ce qui ne favorise guère la prévisibilité des solutions. Pourtant, il semble que les dangers que recèle l'arbitrage pour les parties faibles soient décuplés dans les situations internationales, notamment en raison du possible éloignement géographique du siège de l'arbitrage ou d'une langue étrangère gouvernant la procédure. Or, conformément au principe de validité de la convention d'arbitrage, la licéité et/ou l'efficacité de la clause compromissoire insérée dans un contrat de consommation ou de travail ne peut être mise en doute qu'au regard des règles impératives du droit français ou de l'ordre public international. Quelques propositions récemment émises par la doctrine à cet égard méritent l'attention. A propos du contrat de consommation, un auteur

148 a proposé de s'appuyer sur le caractère exclusif

des règles de compétence prévues en la matière par le règlement CE n°44/2001 du 20 décembre 2000 (« Bruxelles I »), pour en déduire que le recours à l'arbitrage serait interdit, comme pour

143

Sur l'ensemble de la question, v. E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », Communication au Comité français de droit international privé, 25 novembre 2005, à paraître aux éditions Pédone.

144V. cependant E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », préc.

145C'est ainsi par exemple que le salarié ne peut librement disposer de ses droits qu'après la cessation du contrat de travail, ce qui lui permet alors de conclure avec son employeur une transaction ou un compromis : Cass. soc., 5 nov. 1984, Rev. arb. 1986.47, note M-A. Moreau.

146V. les réf. citées supra.

147V. J-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, op. cit., n°113.

148E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », préc.

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d'autres causes patrimoniales sensibles réservées aux juridictions étatiques149

; une telle proposition tend ainsi à mettre en cause l'arbitrabilité même des litiges de consommation, ce qui peut paraître un peu excessif

150. Il a également été proposé de se référer à l'article 6, §1 de la Convention

européenne des droits de l'Homme : imposer à un consommateur – ou à un salarié – une procédure arbitrale, généralement plus coûteuse qu'une procédure judiciaire, qui peut se dérouler loin de son domicile et, pourquoi pas, dans une langue étrangère, pourrait revenir à le priver de son droit à un procès équitable, en le privant d'un accès effectif à un tribunal

151. Cette dernière solution est

séduisante mais elle obligerait le juge étatique à un examen approfondi des modalités de l'arbitrage prévu car seul un tel examen lui permettrait de vérifier, au cas par cas, si la procédure arbitrale est effectivement incompatible avec l'article 6, §1 CEDH. En effet, l'arbitrage ne doit pas, nous semble-t-il, être condamné de façon absolue en présence d'une partie faible ; les arbitres peuvent en effet, autant que les juges, donner leur plein effet aux dispositions protectrices de la partie faible, et, plus que les juges, ils peuvent également, lorsqu'ils statuent en amiables compositeurs, rétablir l'équilibre entre les parties si celui-ci devait être rompu par une application stricte du droit des contrats. Or l'examen approfondi des modalités de l'arbitrage convenu entre les parties n'est pas autorisé au juge en toutes circonstances. C'est la raison pour laquelle la solution doit être mesurée et laisser une place importante à la volonté de la partie faible. Cette solution équilibrée pourrait consister à valider la clause compromissoire insérée dans un contrat de consommation ou de travail, tout en autorisant le salarié ou le consommateur à renoncer à l'arbitrage après la naissance du litige. Cette solution semble acquise dans les relations de travail, mais pas – encore – dans les relations de consommation. Contrats de travail. Après avoir décidé que la clause compromissoire insérée dans un contrat de travail international était nulle

152, la Chambre sociale de la cour de cassation semble désormais

s'être fixée sur une solution plus nuancée et plus opportune : la clause est licite mais elle “n'est pas opposable au salarié qui a saisi régulièrement la juridiction compétente en vertu des règles applicables, peu important la loi régissant le contrat de travail”

153. Cette inopposabilité de la clause

se traduit en pratique par une option au profit du salarié, qu'il est en mesure d'exercer en toute connaissance de cause après la naissance du litige. Sous cet angle, la solution est conforme à l'esprit des dispositions protectrices du salarié en droit international privé, notamment les articles 18 à 21 du règlement CE n°44/2001 du 20 décembre 2000 (« Bruxelles I »). Contrats de consommation. Au premier abord, la jurisprudence de la première chambre civile de la cour de cassation semble moins favorable au consommateur que ne l'est celle de la chambre sociale à l'égard du salarié. Mais cette différence peut s'expliquer par les circonstances dans lesquelles la première chambre civile a été amenée à intervenir. On le montrera en évoquant brièvement deux arrêts de la cour de cassation des 21 mai 1997

154 et 30 mars 2004

155.

149

V. supra n°1-1. 150

V. les débats ayant suivi l'intervention de E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », préc. 151

Dans ce sens, v. J-P. Ancel (Président de la 1re

Chambre civile de la Cour de cassation, compétente en matière d'arbitrage interne et internationale) lors des débats ayant suivi l'intervention d'E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », préc.

152Cass. soc., 12 févr. 1985, Rev. arb. 1986.47, note M-A. Moreau-Bourlès ; Rev. crit. DIP 1986.469, note M-L. Niboyet.

153Cass. soc., 28 juin 2005, JCP 2005, I, 179, n°2, obs. J. Béguin ; D. 2005.3052, obs. Th. Clay. Cette jurisprudence a été initiée par deux arrêts de la chambre sociale, Cass. soc., 16 févr. et 4 mai 1999, Rev. arb. 1999.290 (2 esp.), note M-A. Moreau ; Rev. crit. DIP 1999.745 (2 esp.), note F. Jault-Seseke ; Gaz. Pal., 2000, 1, Somm.699 (2 esp.), note M-L. Niboyet, confirmés par Cass. soc., 9 oct. 2001, Rev. arb. 2002.347, note Th. Clay. L'arrêt du 28 juin 2005 se distingue toutefois des arrêts de 1999 et 2001 dans la mesure où il ne conditionne plus l'inopposabilité de la clause compromissoire au salarié à la saisine par celui-ci d'une juridiction française compétente. Ceci pourrait signifier que la compétence internationale impérative d'un juge étranger, invoquée par le salarié, fait également obstacle à l'efficacité de la clause compromissoire. Cette solution serait opportune, et fondée en droit dès lors que l'on admet que le juge français peut donner effet à des lois de police étrangères (dans ce sens, v. Ch. Séraglini, op. cit., n°2519).

154Cass. 1

re civ., 21 mai 1997, Jaguar, Rev. arb. 1997.537, note E. Gaillard ; Rev. crit. DIP 1998.87, note V. Heuzé ;

RTD com. 1998.330, obs. E. Loquin ; JDI 1998.969, note S. Poillot-Peruzetto, rejetant le pourvoi contre CA Paris, 7 déc. 1994, Rev. arb. 1996.245, note Ch. Jarrosson ; RTD com. 1995.401, obs. E. Loquin.

155Cass. 1

re civ., 30 mars 2004, Rev. arb. 2005.115 (1

re esp.), note X. Boucobza ; RTD com. 2004.447, obs. E. Loquin ;

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Dans les deux cas, le consommateur avait saisi le juge étatique (français) en dépit de la convention d'arbitrage stipulée au contrat l'unissant au professionnel. Celui-ci, au contraire, s'en prévalait pour faire échec à la compétence de la juridiction étatique. Or, conformément au principe compétence-compétence (art. 1458 NCPC), en vertu duquel l'arbitre est prioritaire pour statuer sur sa compétence, c'est-à-dire sur l'existence, la validité et la portée de la clause compromissoire, les juges du fond saisis au mépris d'une clause compromissoire doivent se déclarer incompétents, à moins que la convention d'arbitrage ne soit “manifestement nulle ou inapplicable”

156 : c'est “l'effet

négatif du principe compétence-compétence”157

. Le juge étatique n'exerce ici qu'un contrôle sommaire ou prima facie, qui le conduit à se déclarer incompétent dès lors qu'un doute est permis, si minime soit-il, sur la nullité ou l'inapplicabilité de la convention d'arbitrage ; en d'autres termes, il ne retient sa compétence qu'en présence d'une clause d'arbitrage dont, à l'évidence, nul ne pourrait sérieusement prétendre qu'elle est valable. Or, eu égard au principe de validité de la clause compromissoire internationale, sans condition de commercialité, l'effet négatif du principe compétence-compétence ne pouvait, dans les affaires examinées ici, que conduire les juges à se déclarer incompétents et à renvoyer ainsi les consommateurs à l'arbitrage. La cour de cassation les approuva en ces termes : “en l’absence de nullité manifeste, la clause compromissoire devait recevoir application en vertu de l’indépendance d’une telle clause en droit international, sous la seule réserve des règles d’ordre public international qu’il appartiendra aux arbitres de mettre en oeuvre, sous le contrôle du juge de l’annulation, pour vérifier leur propre compétence, spécialement en ce qui concerne l’arbitrabilité du litige”

158.

L'examen approfondi, en fait et en droit, de la validité de la clause compromissoire insérée dans un contrat de consommation, est ainsi renvoyée à l'arbitre et, le cas échéant, à un stade ultérieur, au juge du contrôle de la sentence arbitrale. Or, à ce jour, ni la cour de cassation ni, à notre connaissance, aucune cour d'appel, ne s'est jamais prononcée sur la question dans le cadre d'un recours contre une sentence arbitrale. Toutefois, un consensus semble se dégager dans la doctrine française sur le fait que dans certains cas, l'arbitrage n'est pas adapté au contentieux du contrat international de consommation

159. Ainsi, même si la plus grande prudence est de mise, on peut

raisonnablement prévoir que les juridictions françaises poseront des conditions à l'efficacité de la clause compromissoire insérée dans un contrat international de consommation ; on pourrait par exemple envisager que la solution applicable au contrat de travail soit étendue au contrat de consommation.

1-2. L'autonomie de la convention d'arbitrage La première règle matérielle consacrée par la cour de cassation, à savoir l'autonomie de la cc par rapport au contrat qui la contient, continue d'évoluer, plus de quarante ans après le célèbre arrêt

D. 2004.2458, note I. Najjar ; D. 2005.3053, obs. Th. Clay ; JCP 2005, I, 134, n°3, obs. Ch. Séraglini ;

156V. Cass. 1

re civ., 26 juin 2001 (A.B.S.), Rev. arb., 2001.529, note E. Gaillard ; RTD com, 2002.49, obs. E. Loquin ;

Gaz. Pal., 12-13 déc. 2001, p. 26, obs. M-L. Niboyet-Hoegy, qui a ajouté au texte de l'article 1458, al. 2 NCPC, qui ne vise que la nullité manifeste, la notion d' « inapplicabilité manifeste ».

157E. Gaillard, « L’effet négatif de la compétence-compétence », Etudes de procédure et d’arbitrage en l’honneur de J-F. Poudret, Lausanne 1999, p. 387 et s. ; I. Fadlallah, « Priorité à l’arbitrage : entre quelles parties ? », Gaz. Pal., 5-6 juin 2002, p. 26 et s. ; v. aussi Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°661 et s., spéc. n°672 ; A. Dimolitsa, « Autonomie et ‘Kompetenz-Kompetenz’ », Rev. arb., 1998, p. 305 et s. ; Ph. Fouchard, obs. sous l’arrêt Exportles, Rev. arb., 2000, p. 96. L’effet négatif de la compétence-compétence et ses conséquences sur l’étendue du pouvoir du juge sont régulièrement rappelés par la Cour de cassation (récemment, v. not. les arrêts Jaguar, Civ. 1

ère,

21 mai 1997, Rev. arb., 1997, p. 537, note E. Gaillard ; Rev. crit dr. int. pr., 1998, p. 87, note V. Heuzé ; JDI, 1998, p. 969, note S. Poillot-Peruzetto ; RTD com., 1998, p. 327, obs. E. Loquin ; Zanzi, Civ. 1

ère, 5 janv. 1999, Rev. arb.

1999, p. 260, note Ph. Fouchard ; Rev. crit. dr. int. pr., 1999, p. 546, note D. Bureau ; JDI 1999, p. 784, note S. Poillot-Peruzzetto ; RTD com. 1999, p. 380, obs. E. Loquin,. ; Métu et Exportles, préc. ; Netter, Civ. 2

ème, 30 mars

2000, Rev. arb., 2000, p. 457, note A. Laude ; A.B.S., Civ. 1ère

, 26 juin 2001, préc. 158

Cass. 1re

civ., 30 mars 2004, préc. 159

V. les débats ayant suivi l'intervention d'E. Loquin, « Arbitrabilité et partie faible », préc.

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29

Gosset160

. Un arrêt Omenex du 25 octobre 2005161

énonce pour la première fois « qu'en application du principe de validité de la convention d'arbitrage et de son autonomie en matière internationale, la nullité non plus que l'inexistence du contrat qui la contient ne l'affectent », levant ainsi l'ambiguïté de la condition d'“existence du contrat en la forme”, qui persistait depuis l'arrêt Cassia

162. Une fois n'est pas coutume, ce serait ici l'arbitrage international qui s'alignerait sur

l'arbitrage interne au profit de la convention d'arbitrage163

. Une limite rationnelle à la séparabilité de la clause compromissoire n'en demeure pas moins, qui tient à l'existence de droits et obligations substantiels, laquelle dépend de l'existence même du consentement des parties au contrat

164.

1-3. L'Etat, partie à une convention d'arbitrage La participation très fréquente des Etats ou de leurs émanations aux opérations commerciales internationales soulève de nombreuses questions

165, parmi lesquelles deux méritent d'être évoquées

dans le cadre du présent rapport. La première est celle de l'aptitude de l'Etat à compromettre, autrement désignée arbitrabilité subjective, qui ne pose plus de difficulté en droit français de l'arbitrage international ; les solutions du droit français seront simplement rappelées (1-3-1). La seconde est celle des interférences de l'Etat dans le processus arbitral, en particulier la pratique récemment apparue des “anti-arbitration injunctions” (1-3-2). 1-3-1. L'aptitude de l'Etat à compromettre

Aux termes de l'article 2060 C. civ., on ne peut compromettre « [...] sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics ». « Toutefois, des catégories d'établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre »

166.

Cette disposition a été écartée en matière internationale au profit d'une règle matérielle d'aptitude de l’Etat à compromettre dans les contrats du commerce international. Cette règle, posée pour la première fois à propos de l'Etat français par la cour d'appel de Paris dans l'arrêt Myrtoon Steamship du 10 avril 1957

167, a été consacrée par la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Galakis du 2 mai

1966168

. Depuis, la solution est constante, et elle a été étendue à toutes les personnes morales de

160

Préc. supra n°1. 161

Cass. 1re

civ., 25 oct. 2005, Omenex, D. 2005.3052, obs. Th. Clay ; avis J. Sainte-Rose, D. 2006.199 , JDI 2006/N°2, note F-X. Train.

162Cass. 1

re civ., 10 juil. 1990, Cassia, Rev. arb. 1991.851, note J.-H. Moitry et C. Vergne ; RTD com. 1991.578, obs. E.

Loquin ; JDI 1992.168, note E. Loquin ; adde Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°593-598. V. aussi CA Paris, 14 nov. 1996, Rev. arb. 1997.434, obs. Y Derains ; 30 janv. 1997, Justices 1997, n°7 p. 215, obs. M.-C. Rivier ; 19 janv. 1999, Rev. arb. 1999.601 (3

e esp.), note Ch. Jarrosson.

163Dans ce sens, v. Th. Clay, obs. sous Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, Omenex, préc.

164V. P. Mayer, « Les limites de la séparabilité », Rev. arb. 1998.359 ; v. aussi notre note à paraître au JDI.

165Pour une vision globale, v. not. dans les travaux récents : Les Etats dans le contentieux économique international, Colloque, Paris, 24 janvier 2003, Rev. arb. 2003/N°3 – N° spécial ; Les émanations des Etats dans l'arbitrage international, Séminaire de l'IAI, Paris, 20 oct. 2005, à paraître aux éditions IAI Series.

166V. par ex., pour les établissements publics d'enseignement supérieur, v. Décr. no 2000-764 du 1er août 2000 (JO 6 août) fixant les conditions dans lesquelles ces établissements peuvent recourir à l'arbitrage. — v. aussi Décr. no 2002-56 du 8 janv. 2002 (JO 15 janv.) autorisant à compromettre des établissements publics à caractère industriel et commercial (secteur des mines et secteur de l'électricité et du gaz). La Poste et France Télécom disposent de la faculté de transiger et de conclure des conventions d'arbitrage (L. no 90-568 du 2 juill. 1990, art. 28). Il en est de même de la SNCF (L. no 82-1153 du 30 déc. 1982, art. 25, JO 31 déc.). Plus récemment, c'est une exception, non plus ponctuelle, mais générale, à l'inarbitrabilité des litiges relevant du droit administratif, qui a été instituée en droit interne français, à propos des contrats de partenariat public-privé : Ord., 17 juin 2004, J.O., 19 juin 2004, p.10994. V. M. Audit, « Le contrat de partenariat ou l'essor de l'arbitrage en matière administrative », Rev. arb. 2004.541.

167JCP 1957, II, 10078, note Motulsky.

168Cass. 1

re civ., 2 mai 1966, Rev. crit. DIP, 1967.553, note Goldman ; D., 1966.575, note J. Robert ; JDI, 1966.648,

note P. Level. V. aussi Cass. 1re

civ., 14 avril 1964, San Carlo, JDI 1965.646, note B. Goldman. Sur l’ensemble de la question, v. Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, op. cit., n°542 et s.

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droit public, françaises ou étrangères : « la prohibition pour un Etat de compromettre est limitée aux contrats d’ordre interne ; […] cette prohibition n’est en conséquence pas d’ordre public international ; […] pour valider la clause compromissoire incluse dans un marché, il suffit de constater l’existence d’un contrat international passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages du commerce international »

169.

La seule difficulté qui subsiste, relative à la notion de contrat d'Etat et, partant, au domaine de règle consacrant l'aptitude de l'Etat à compromettre, provient d'une divergence entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives françaises. Pour la cour de cassation et les cours d'appel, l'aptitude de l'Etat à compromettre n'est pas limitée aux contrats de droit privé passés par l'Etat ; la règle s'applique à tout contrat, dès lors qu'il met en cause les intérêts du commerce international

170. Dans la jurisprudence judiciaire, la définition de l'arbitrage commercial

international en tant qu'il met en cause les intérêts du commerce international (art. 1492 NCPC), permet ainsi de transcender la distinction spécifique au droit français entre le contrat de droit privé et le contrat administratif. Au contraire, en dépit des critiques doctrinales qui lui sont réguilièrement adressées, le Conseil d'Etat maintient quant à lui une conception excessivement restrictive du contrat administratif, suivant laquelle la notion de contrat administratif est exclusive de la notion de contrat international. En conséquence, dès lors que le contrat répond à la qualification de contrat administratif en droit français, l'Etat ne peut compromettre, sauf autorisation spéciale de la loi

171.

1-3-2. Injonctions anti-arbitrage. Dans l'arbitrage international, on a vu se développer dans les dernières années la pratique des anti-suit injunctions, que connaissent les pays de common law en droit commun. Appliquée à l'arbitrage, l'anti-suit injunction se définit comme une décision émanant d'une juridiction étatique, s'adressant à l'une des parties à la procédure voire au tribunal arbitral lui-même, et ayant pour objet de suspendre la procédure arbitrale voire de l'empêcher purement et simplement de se dérouler. Il convient de rappeler que la Cour de Luxembourg – dans le champ d'application de la Convention de Bruxelles – et la Cour de cassation – en droit commun – se sont montrées hostiles aux anti-suit injunctions en général

172 ; celles-ci sont en effet incompatibles avec

la confiance mutuelle qui sous-tend le système de la Convention de Bruxelles, heurtent le droit d'accès à la justice consacré par l'article 6, §1 de la CEDH et, plus généralement, les principes du droit international public. Lorsque elles sont dirigées contre des procédures arbitrales, on peut invoquer principalement leur contrariété au principe compétence-compétence, que consacrent notamment l'article II, §3 de la Convention de New York ainsi que le droit français. Les arbitres leur résistent

173 et la doctrine

condamne unanimement cette pratique, en particulier lorsque l'injonction est sollicitée par l'Etat partie à la procédure auprès de ses propres juridictions

174.

169

CA Paris, 24 févr. 1994 (Bec Frères), Rev. arb., 1995.275, note Y. Gaudemet ; v. aussi CA Paris, 17 déc. 1991, Gatoil, Rev. arb. 1993, note H. Synvet.

170V. par ex. CA Paris, 13 juin 1996, JDI 1997.151, note E. Loquin : « quel qu'en soit le fondement, la prohibition pour un Etat de compromettre est limitée aux contrats d'ordre interne et n'est pas d'ordre public international lequel interdirait au contraire à un opérateur public de se prévaloir des dispositions restrictives de son droit national ou de la loi du contrat pour se soustraire a posteriori à l'arbitrage convenu ».

171CE, avis Eurodisney, 6 mars 1986, Grands avis du Conseil d'Etat, p. 219 ; M. de Boisséson, « Interrogations et doutes sur une évolution législative : l'article 9 de la loi du 6 août 1986, Rev. arb. 1987.3.

172CJCE, 27 avr. 2004 (aff. C-159/02), Cass. 1

re civ., 30 juin 2004, Gaz. Pal. 14-15 janv. 2005, p. 30, obs. M-L.

Niboyet. 173

V. Sent. CCI n°10623 (7 déc. 2001), Salini Construtorri v. Ethiopia, Bull. ASA, Vol. 21 No. 1 (2003), p. 82, note M. Scherer ; Mealey's Int. Arb. Report, Vol. 20, n°3 March 2005, p. 47, note F. Bachand.

174V. M. Scherer et F. Bachand, obs. préc. à la note précédente ; E. Gaillard, « Il est interdit d'interdire... », préc. ; Y. Derains, « L'abus des anti-suit injunctions... », préc. ; adde B. Hanotiau, « Quand l'arbitrage s'en va-t-en guerre : les perturbations par l'Etat de la procédure arbitrale », Rev. arb. 2003/N°2, Numéro spécial – Les Etats dans le contentieux du commerce international, Colloque Paris, 24 janv. 2003, p. 805 et s. ; E. Kleiman, « Les incidences politiques de la souveraineté sur l'arbitrage : les perturbations de la procédure arbitrale », Ibid. p. 827 et s. ; R. Carrier, « Anti-suit injunctions : réquisitoire pour l'abandon de leur prononcé en matière d'arbitrage », D. 2005.2712.

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En France, les juridictions étatiques devraient en principe refuser d'accorder de telles injonctions anti-arbitrage. C'est ainsi que le président du Tribunal de grande instance de Paris, « quel que soit le fondement invoqué [...] n'a en aucune façon le pouvoir d'enjoindre à un tribunal arbitral de surseoir à statuer dans l'attente d'un événement tel que la demande de récusation du président qui ressort de la seule compétence de cette juridiction »

175. Même si elle concerne le cas particulier de

récusation d'un arbitre, cette décision « a le mérite de souligner que le droit français de l'arbitrage international n'est pas un terrain propice à la déferlante d'injonctions anti-arbitrage qui sévit actuellement »

176.

1-4. La transmission de la clause compromissoire Principe de transmissibilité. Il est acquis depuis longtemps que la clause compromissoire est transmissible

177 : d'une part, en ce qu'elle fixe le régime procédural du contrat et des obligations qu'il

génère, elle en est indissociable et il est donc naturel qu'elle circule en même temps que ce rapport de fond qui lui sert de support ; d'autre part, il est généralement admis en droit français que, sauf circonstances particulières, la convention d'arbitrage ne revêt pas de caractère intuitus personae

178.

Quant aux conditions de la transmission, la jurisprudence française a toujours présumé l'acceptation de la convention d'arbitrage en cas d'adhésion au rapport de fond ; la transmission opère donc objectivement, sans qu'une manifestation de volonté spéciale des parties ne soit nécessaire

179. C'est

au contraire si les parties entendent transmettre l'obligation ou le contrat sans la clause, qu'elles devront le stipuler expressément. Applications. Ainsi, la clause compromissoire s'impose et bénéficie à toute personne qui vient aux droits de l'un des contractants

180 et ce, quel que soit le mécanisme de la transmission et son

fondement juridique : cession de créance – quel qu’en soit le mode181

; cession de contrat182

;

175

TGI Paris (Ord. réf.), 24 juin 2004, Rev. arb. 2005.1037, note Y. Derains. 176

Y. Derains, note sous TGI Paris (Ord. réf.), 24 juin 2004, préc., n°13. Sur les injonctions anti-arbitrage en général, v. not. Anti-suit injunctions in International Arbitration, Actes du colloque de l'IAI, Paris, 21 nov. 2003, IAI Series, Juris Publishing, 2005 ; E. Gaillard, « Il est interdit d'interdire : réflexions sur l'utilisation des anti-suit injunctions dans l'arbitrage commercial international », Rev. arb. 2004.47 ; « L'interférence des juridictions du siège dans le déroulement de l'arbitrage », in Liber Amicorum Claude Reymond, Litec 2004, p. 83 et s. Y. Derains, « L'abus des anti-suit injunctions en matière d'arbitrage international et la Convention de New-York », in De lege ferenda – Etudes pour le Professeur Alain Hirsch, Slatkine, Genève 2004, p. 105 ; S. Clavel, « Anti-suit injunctions et arbitrage », Rev. arb. 2001.669.

177Sur l'ensemble de la question, parmi une littérature extrêmement abondante, v. les travaux récents : P. Mayer , « La circulation de la clause compromissoire », JDI 2005.251 ; E. Loquin, « Différences et convergences dans le régime de la transmission et de l’extension de la clause compromissoire devant les juridictions françaises », in Les cahiers de l’arbitrage, Volume II, éd. Gaz. Pal., 2004, p. 49 et s. ; C. Legros, L’arbitrage et les opérations juridiques à trois personnes, Th. Rouen, 1999 ; F-X. Train, Les contrats liés devant l'arbitre du commerce international – Etude de jurisprudence arbitrale, LGDJ 2003, n°343 et s. ; J. El Ahdab, La clause compromissoire et les tiers, LGDJ 2004 ; adde Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, n°690 et s.

178V. P. Mayer, « La circulation de la clause compromissoire », préc., spéc. n°11 et s. Toutefois, si un tel caractère était établi, il pourrait faire obstacle à la transmission de la clause : Cass. 1

re civ., 28 mai 2002, Cimat, Rev. arb.

2003.397, note D. Cohen ; Gaz. Pal., 19-20 févr. 2003, p. 28, obs. M-L. Niboyet-Hoegy ; Rev. crit. dr. int. pr., 2002, p. 758, note N. Coipel-Cordonnier (ce n'était pas le cas en l'espèce).

179La volonté des parties est au contraire requise en matière d'extension de la clause compromissoire, v. infra n°1-5.

180Cass. 1

re civ., 8 févr. 2000, Rev. arb. 2000.280, note P-Y. Gautier ; Rev. crit. DIP, 2000.763, note N. Coipel-

Cordonnier ; Defrénois, 2000, p. 721, obs. Ph. Delebecque. 181

V. CA Paris, 20 nov. 1988, Rev. arb. 1988.570 ; 6 mai 1992, Rev. arb., 1993.624, note L. Aynès ; Civ. 1ère

5 janv. 1999, Banque Worms c/ R. Bellot et SNTM-Hyproc, Rev. arb., 2000.83, note crit. D. Cohen ; Defrénois, 1999, p. 752, note crit. Ph. Delebecque ; Rev. crit. DIP 1999.536, note E. Pataut : « la clause d’arbitrage international, valable par le seul effet de la volonté des parties, est transmise au cessionnaire avec la créance, telle que celle-ci existe entre le cédant et le débiteur cédé. » ; dans les mêmes termes, Civ. 1

ère 19 oct. 1999, Banque générale du

commerce c/ SNTM-Hyproc, Rev. arb., 2000.84 (2ème

esp.), note D. Cohen. Ces arrêts confirment la transmission de la clause d'arbitrage à toute personne venant aux droits de l’un des contractants initiaux et l’appliquent en l’occurrence à la cession Dailly (dont la spécificité aurait nécessité, selon D. Cohen, un fondement particulier – note

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subrogation personnelle183

; substitution dans une promesse unilatérale de vente184

; substitution de mandataire

185 ; transmission au sous-acquéreur des droits et actions attachés à la chose, dans une

chaîne de vente186

. A contrario, dès lors que l'opération à trois personnes n'opère pas substitution d'une personne dans les droits et obligations de l'un des contractants, la clause ne peut lui être transmise ; ainsi en va-t-il en présence d’une promesse de porte-fort

187.

Enfin, l’étendue de la cession des droits et obligations de fond est sans incidence sur la transmission de la clause compromissoire. Lorsque le cessionnaire, subrogé ou substitué ne vient que partiellement aux droits de l'un des contractants, la clause d’arbitrage lui est également acquise, et elle demeure efficace dans les rapports entre le débiteur cédé et le cédant pour la partie des droits et obligations non transmise

188.

Automaticité de la transmission de la clause compromissoire ? Si l'ensemble de ces solutions sont fermement acquises en droit français, une difficulté est toutefois survenue récemment, à propos d'un arrêt du 28 mai 2002

189, dans lequel la cour de cassation a énoncé que la transmission de la

clause compromissoire s'effectuait « quelle que soit la validité de la transmission des droits substantiels ». Le caractère illogique – voire schizophrénique – de cette solution a été souligné par l'ensemble des commentateurs : comment la clause d'arbitrage pourrait-elle être « transmise » sans les obligations qui lui servent de support ? Au demeurant, à quoi servirait-elle dans un tel cas, dès lors qu'aucune obligation substantielle ne lierait les parties ? Ceci est rationnellement incompatible avec sa qualité de clause d'accompagnement, dont l'objet est de fixer le régime procédural d'obligations substantielles. C'est la raison pour laquelle on peut proposer d'interpréter l'arrêt du 28 mai 2002 comme une simple application du principe compétence-compétence à la transmission de la clause compromissoire. Dans cette interprétation, il ne ferait que confirmer qu'il appartient à l'arbitre de statuer prioritairement sur la question de la transmission de la clause compromissoire, ce qui peut le conduire, en cas de contestation, à se prononcer à titre préalable sur la réalité de la transmission des droits et obligations substantiels, dont dépend la transmission de la convention

préc., p. 89). Adde Paris, 17 nov. 1998, RTD com, avr.-juin 1999, p. 377, obs. E. Loquin et J-Cl. Dubarry ; Paris, 25 nov. 1999, Rev. arb., 2001, p. 165, note D. Cohen, confirmé par Civ.1

ère 28 mai 2002, Bull. I, n°146, p. 112 ; Gaz.

Pal., 19-20 févr. 2003, Numéro spécial Contentieux judiciaire international et européen, p. 28, obs. M-L. Niboyet-Hoegy ; Rev. crit. DIP, 2002, p. 758, note N. Coipel-Cordonnier. La solution est désormais consacrée dans l’ordre interne, sur le fondement du caractère accessoire de la clause compromissoire (l’arrêt est rendu au visa de l’article 1692 C. civ.), Civ. 2

ème, 20 déc. 2001, Rev. arb. 2002.379, note C. Legros. Pour la cession de la garantie des vices

cachés dans une opération de crédit-bail, v. Paris, 18 janv. 2000, inédit, cité par P-Y. Gautier, note sous Civ. 1ère

8 févr. 2000, Rev. arb. 2000, préc., n°5, note 13 p. 285, qui juge que le crédit-preneur d’un bateau peut faire jouer la clause compromissoire contre le constructeur car celle-ci constitue l’accessoire de la garantie des vices cachés dont le crédit-bailleur lui avait transmis le bénéfice.

182CA Paris, 28 janv. 1988, Rev. arb., 1988, p. 565.

183Cass. 2

e civ., 13 mai 1966, Rev. crit. dr. int. pr., 1967, p. 355, note E. Mezger ; Cass. com. 3 mars 1992, Rev. arb.

1992.560, note Ph. Delebecque ; Paris, 13 nov. 1992, Rev. arb. 1993.632, note J-L. Goutal ; CA Paris, 6 févr. 1997, Rev. arb. 1997.556, note P. Mayer.

184CA Paris, 15 mai 1997, Rev. arb. 1997.402, préc.

185Cass. 1

re civ., 8 févr. 2000, préc.

186Cass. 1

re civ., 6 févr. 2001, Peavey, Rev. arb. 2001.765, note D. Cohen ; Gaz. Pal., 12-13 déc. 2001, p. 26, obs. M-L.

Niboyet-Hoegy ; D. 2001, Somm.1135, obs. Ph. Delebecque (« La circulation de la clause d’arbitrage : toujours plus fluide ! ») ; JCP, 11 juill. 2001, II, 10 567, p.1390, note C. Legros ; RTD com, 2001.413, obs. E. Loquin ; Rev. crit. DIP 2001.522, note F. Jault-Seseke ; JCP 2001, éd. E., p. 1238, note D. Mainguy et J-B. Seube ; Defrénois 2001, p. 708, n°42, obs. R. Libchaber ; CCC, juin 2001, n°82, obs. L. Leveneur ; adde J. Moury, « Réflexions sur la transmission des clauses de compétence dans les chaînes de contrats translatifs », D. 2002, chr. p. 2744. Cet arrêt du 6 février 2001 marquait un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure, Civ. 1

ère, 6 nov. 1990 (Fraser), Rev.

arb., 1991.73, et les obs. de Ph. Delebecque, « La transmission de la clause compromissoire », ibid., p. 19 et s. 187

Cass. 1re

civ., 16 juill. 1992, Rev. arb. 1993.611, note Ph. Delebecque ; v. aussi Ch. Larroumet, « Promesse pour autrui, stipulation pour autrui et arbitrage », Rev. arb. 2005.903.

188CA Paris, 20 avril 1988, Rev. arb. 1988.570.

189Cass. 1

re civ., 28 mai 2002, Cimat, Rev. arb. 2003.397, note D. Cohen ; Gaz. Pal., 19-20 févr. 2003, p. 28, obs. M-L.

Niboyet-Hoegy ; Rev. crit. dr. int. pr., 2002, p. 758, note N. Coipel-Cordonnier ; adde P. Mayer, « La circulation des conventions d'arbitrage », préc., spéc. n° 16 et s.

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d'arbitrage190

. Quoique critiquable, l'arrêt du 28 mai 2002 confirme néanmoins la constance et la cohérence du droit français sur la méthode : la transmission de la convention d'arbitrage, comme les autres questions relatives à sa formation et à ses effets, relève d'une règle matérielle, même si celle-ci s'avère difficile à formuler

191. Selon le Professeur Pierre Mayer, elle pourrait s'écrire ainsi : « la

clause d'arbitrage est transmise dès lors que le transfert des droits substantiels a été voulu par le cédant et le cessionnaire »

192.

1-5. L'extension de la clause compromissoire La portée de la clause compromissoire peut être étendue dans deux directions : ratione personae, à une personne qui n’en est pas signataire ; et ratione materiae, à un litige qui trouve sa source en dehors des limites du contrat qui la contient, en particulier dans un autre contrat, lié au précédent. Dans les deux cas, l’extension est fondée sur la volonté des parties. Mais, s’agissant, par hypothèse, de volonté implicite, il faut identifier les éléments susceptibles de la révéler, ainsi que nous le vérifierons en étudiant successivement l'extension ratione personae (1-5-1), l'extension ratione materiae (1-5-2), avant d'envisager la possibilité d'une double extension, à la fois ratione personae et rationae materiae (1-5-3). 1-5-1. Extension ratione personae L’extension de la clause compromissoire à un non signataire, soit son extension ratione personae, a été consacrée dans la célèbre sentence Dow Chemical de 1982

193, dans laquelle les arbitres ont

retenu que « la clause compromissoire expressément acceptée par certaines des sociétés du groupe doit lier les autres sociétés qui, par le rôle qu'elles ont joué dans la conclusion, l'exécution ou la résiliation des contrats contenant ladite clause, apparaissent selon la commune volonté des parties, comme ayant été de véritables parties à ces contrats ou comme étant en premier chef concernées par ceux-ci et par les litiges qui peuvent en résulter ». Depuis, le droit français a largement contribué à son développement

194.

Principe. En droit français de l’arbitrage international, la possibilité d'imposer la clause compromissoire à un non signataire a été étendue au-delà de son domaine initial, celui des groupes de sociétés

195. Elle est désormais d'application générale ; son principe et ses conditions résultent

d’une règle matérielle formulée comme suit : « dans le droit de l’arbitrage international, les effets

190

V. dans ce sens, Cass. com. 20 janv. 2004, Gaz. Pal. 2005, n°14-15, p. 33, obs. F-X. Train. 191

V. déjà Cass. 1re

civ., 5 janv. 1999, Banque Worms, et 19 oct. 1999, Banque générale du commerce, Rev. arb. 2000.85, note D. Cohen.

192P. Mayer, art. préc., spéc. n°19.

193Sent. CCI n°4131 (1982), Rev. arb. 1984.137 ; JDI 1983.899, obs. Y. Derains.

194Parmi une littérature extrêmement abondante, v. not. Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°498 et s. ; I. Fadlallah, « Clauses d'arbitrage et groupes de sociétés », préc. ; Ch. Jarrosson, « Convention d’arbitrage et groupes de sociétés », in Groupes de sociétés : contrats et responsabilités, LGDJ, 1994, p. 53 et s. Y. Derains et S. Schaf, « Clauses d'arbitrage et groupes de sociétés », RD aff. int. 1985, p. 221 et s. ; D. Cohen, Arbitrage et société, LGDJ, 1993, Préf. B. Oppetit, spéc. n°521 et s. ; J-F. Poudret, « L'extension de la clause d'arbitrage : approches française et suisse », JDI, 1995, p. 893 et s. ASA Special Series No. 8, Dec. 1994, The Arbitration Agreement – Its Multifold Critical Aspects, dans lequel six interventions sont consacrées à la question (M. Blessing, p. 151 et s., qui fait une typologie des différentes hypothèses dans lesquelles la règle de l’extension est susceptible de s’appliquer : principalement : groupes de sociétés, société-écran et interposition de personnes, contrat principal/sous-contrat ; O. Sandrock, p. 165 et s. ; S. Jarvin, p. 181 et s. ; Ch. Jarrosson, p. 209 et s. ; E. Stauffer, p. 229 et s. et Y Derains, p. 241 et s.) ; adde, dans les publications récentes, B. Hanotiau, « L’arbitrage et les groupes de sociétés », in Les cahiers de l’arbitrage, Volume II., Gaz. Pal., 2004, p. 111 et s. ; M. de Boisséson et P. Duprey, « L’arbitrabilité subjective en matière de droit des sociétés », ibid., p. 121 et s.

195V. aussi en matière de groupes d'Etats, Ph. Leboulanger, « Groupes d'Etat(s) et arbitrage », Rev. arb. 1989.415 et s. ; Ph. Fouchard, B. Goldman, E. Gaillard, op. cit., n°507 et s.

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de la clause compromissoire s’étendent aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat dès lors que leurs situations et leurs activités font présumer qu’elles avaient connaissance de l’existence et de la portée de cette clause afin que l’arbitre puisse être saisi de tous les aspects économiques et juridiques du litige »

196. La règle ainsi conçue par la jurisprudence a vocation à

s’appliquer à toutes les hypothèses dans lesquelles un tiers au contrat contenant la clause intervient dans sa négociation, sa conclusion, son exécution ou son extinction.

Plus précisément, les conditions de l’extension ratione personae sont, d’une part, la participation effective du non signataire à l’opération et, d’autre part, la connaissance par celui-ci de la clause compromissoire. La première condition, qui s'analyse en une acceptation tacite du contrat de fond, devrait faire présumer la seconde, compte tenu de la présomption de compétence des acteurs du commerce international et du caractère désormais très habituel du recours à l’arbitrage. Aussi a-t-on pu conclure que sont parties à la clause arbitrale les personnes qui sont ou sont devenues parties, même de fait, aux obligations de fond

197.

Applications : groupes de sociétés – levée du voile social – interposition de personnes. Si la règle de l’extension ratione personae a une portée générale, il reste qu’elle est née, puis s’est développée, principalement au sein des groupes de sociétés

198. Dans cette situation, en effet, le non

signataire de la clause compromissoire, auquel celle-ci est susceptible d'être étendue, a des rapports organiques avec le signataire. La présomption d’acceptation de la convention arbitrale s'en trouve renforcée ; les rapports organiques entre le signataire et le tiers permettent en effet, à eux seuls, de présumer que ce dernier avait connaissance de l’existence de la convention d'arbitrage

199.

Néanmoins, dans le dernier état de la jurisprudence arbitrale, il semble bien que l’appartenance du non signataire à un groupe de sociétés, critère organique, n’est pas un élément suffisant, voire ni même pertinent, pour fonder l’extension de la clause compromissoire – même s’il reste utile pour rapporter la preuve de la connaissance de l’existence de la clause. L’élément déterminant l’acceptation par le non signataire de la clause compromissoire est sa participation aux négociations, à la conclusion ou à l’exécution du contrat, ou encore, son attitude vis-à-vis de la partie qui prétend l’attraire à la procédure, seules susceptibles d’établir « la commune intention des contractants » d'étendre la portée de la stipulation d’arbitrage

200.

La jurisprudence française a également fait application de l'extension de la clause compromissoire dans une hypothèse d'interposition de personnes

201. Ici, l'extension permet non seulement d'attraire à

la procédure toutes les personnes qui ont été véritablement parties à l'opération contractuelle, mais encore, elle permet de sanctionner un comportement frauduleux. 1-5-2. L'extension ratione materiae

196

CA Paris, 7 déc. 1994 (Jaguar), RTD com., 1995, p. 401, obs. E. Loquin ; Rev. arb., 1996, p. 245, note Ch. Jarrosson. Plus récemment, dans les mêmes termes, Paris, 17 déc. 1997, SA Fred et Pétillon c/ SA laboratoire de Docteur Payot, RJDA 4/1998, n°539 ; RTD com., 1998, p. 580, obs. E. Loquin. ; v. déjà Cass. 1

re civ., 5 juin 1991, Cotunav,

Rev. arb. 1991.453, note P. Mayer, qui fonde l’extension de la clause compromissoire sur la ratification du contrat de fond par la partie non signataire et Cass. 1

re civ., 11 juin 1991, Orri, Rev. arb. 1992.73, note D. Cohen ; JDI,

1991.141, note B. Audit ; RTD com, 1992.596, obs. E. Loquin (fraude par interposition de personnes). 197

V. en particulier I. Fadlallah, « Clauses d'arbitrage et groupes de sociétés », préc. 198

V. la sentence Dow Chemical, Sent. CCI n°4131 (1982), préc. 199

V. I. FADLALLAH, « Clauses d’arbitrage et groupe de sociétés », préc., v. spéc. n°32 : « l’existence du groupe atteste de l’unité d’intérêts, de la connaissance des différents documents contractuels, de l’indifférence du tiers à son organisation interne ou de sa croyance légitime qu’il traite avec tout un groupe ».

200V. les nombreuses références citées par J-J. Arnaldez., obs. sous Sent. CCI n°7604 et 7610, JDI, 1998.1053, spéc. p. 1057. Adde, très explicite sur le caractère non décisif du critère organique, et refusant par conséquent d’étendre la clause faute d’une participation effective du non signataire à la vie du contrat litigieux, Sent. CCI n°10758 (2000), JDI, 2001.1171, obs. J-J. Arnaldez (Genève, droit égyptien).

201Cass. 1

re civ., 11 juin 1991, Orri, Rev. arb. 1992.73, note D. Cohen ; JDI, 1991.141, note B. Audit ; RTD com,

1992.596, obs. E. Loquin. Pour la levée du voile social, v. la Sent. CCI n°8385, JDI 1997.1061.

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Il s'agit ici d'étendre la clause compromissoire insérée dans un contrat à un ou plusieurs autres, liés au précédent dans un ensemble contractuel ou groupe de contrats

202. Les juridictions françaises se

sont montrées très favorables à cette extension. Le fondement reste pourtant incertain. En effet, pour justifier cette extension, les tribunaux français font référence, tantôt à des ensembles de conventions, parfois « indivisibles »

203 ou composés d’éléments « indissociables »

204, ou bien

constitués de contrats « complémentaires ou à tout le moins connexes » et, en tout cas, unis par des « liens économiques étroits »

205, ou encore constitués de conventions s’inscrivant dans « une

opération économique unique qui concourt au même objet »206

, tantôt à des accords inspirés « l’un et l’autre par la même pensée », « liés entre eux » et devant « s’apprécier comme faisant un tout »

207, tantôt à un contrat qui constitue le « complément » du contrat contenant la clause

compromissoire, soit qu’il trouve « son origine dans l'inobservation » de ce dernier208

, soit qu’il s’inscrive dans « un même ensemble contractuel »

209 ; ou encore, la portée de la clause arbitrale est

étendue à la « convention destinée à concrétiser » un accord antérieur entre les parties renvoyant à l’arbitrage, accord dont cette convention ne constitue ainsi « que la suite »

210 ; ou bien encore, la

clause est étendue aux contrats dits « accessoires », comme étant « nés dans le cadre des relations contractuelles établies entre les parties »

211.

Fondement. L'extension ratione materiae, tout comme l'extension ratione personae, est fondée sur la volonté des parties. Celle-ci étant par hypothèse tacite, il faut identifier les éléments susceptibles de la révéler. Le principal élément à prendre en considération est l’existence de liens substantiels ou, à tout le moins, fonctionnels entre les contrats. Si l’existence de tels liens est nécessaire — admettre l’extension de la clause compromissoire à un contrat indépendant de celui qui la prévoit serait contraire au fondement conventionnel de l’arbitrage —, on ne peut affirmer qu’elle est suffisante. Toutefois, elle autorise à présumer la volonté des parties de conférer une portée étendue

202

Sur l'ensemble de la question, v. not. D. Cohen, « Arbitrage et groupes de contrats », Rev. arb. 1997.471 ; F-X. Train, Les contrats liés devant l'arbitre..., op. cit. ; B. Hanotiau, Complex Arbitrations – Multiparty, Multicontract, Multi-Issue and Class Actions, International Arbitration Law Library, Kluwer Law International, The Hague, 2005 (issued in late January 2006) ; Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°497 à 524 ; E. Loquin, « Différences et convergences dans le régime de la transmission et de l’extension de la clause compromissoire devant les juridictions françaises », préc. spéc. n°25 et s. ; Ph. Leboulanger, « Multi-contract Arbitration », Journ. Int. Arb., 1996, Vol. 13/N°4, p. 43 et s. Adde le Supplément spécial du Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI de 2003, « Complex Arbitration – L'arbitrage complexe », ICC Publishing-Kluwer, 2003.

203V. par ex. Paris, 11 janv. 1990 (Orri c/Elf Aquitaine), JDI, 1991, p. 141, note B. Audit ; Rev. arb., 1992, p. 95, note D. Cohen ; RTD com, 1992, p. 596, obs. J-Cl. Dubarry et E. Loquin. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par Civ. 1

ère, 11 juin 1991, Rev. arb., 1992, p. 73, note D. Cohen. Toutefois, il convient de relever que dans cette espèce, la

qualification d’« ensemble contractuel indivisible » n’avait pas été retenue pour fonder l’extension ratione materiae de la clause compromissoire à tous les contrats. L’existence d’un tel ensemble indivisible n’était qu’un élément de fait permettant d’établir le comportement frauduleux de Monsieur Orri (non signataire de la clause compromissoire, ayant agi par interposition de personnes) et justifiant que lui soit étendue la convention d’arbitrage ratione personae. V. supra.

204Cass. 1

re civ. 30 mars 2004, RTD com. 2004.443, obs. E Loquin ; JCP 2004, II, 10132, note G. Chabot ; Rev. arb.

2005.959, note Ch. Séraglini.; CA Paris, 13 févr. 2003, RTD com. 2003.obs E. Loquin ; adde Ord. réf. Pdt. Trib. gr. inst. de Paris, 20 sept. 1999, inédite, à paraître, citée par X-Y. LI-KOTOVTCHIKHINE, note sous Paris, 23 nov. 1999 (Sté Glencore Grain Rotterdam c/ Sté Afric), Rev. arb., 2000. 501, spéc. n°7 p. 508.

205CA Paris, 23 nov. 1999 (Glencore), cité note précédente.

206CA Paris, 1

ère Ch.-C, 21 févr. 2002 (SA Groupe des sablières modernes (GSM) c/ SA Groupama Transports et

autres), RTD com., 2002, p. 277, obs. E. LOQUIN ; Rev. arb. 2002, p. 955, et la note (arbitrage interne). 207

Cass. com. 22 févr. 1949, JCP, 1949, II, n°4899, note MOTULSKY. 208

Cass. 1re

civ., 14 mai 1996, Rev. arb. 1997.535. 209

Trib. gr. inst. de Paris, 20 mai 1987 et Paris, 9 déc. 1987 (GIE Acadi c/Thomson-Answare), Rev. arb., 1988, p. 573, 1

ère déc., obs. G. PLUYETTE, p. 534.

210Cass. com. 5 mars 1991, Peptrax, Rev. arb., 1992.66 (1

ère esp.), note L. AYNES ; ibid., p. 153, obs. D. COHEN; RTD

com, 1992.591, obs. E. LOQUIN. 211

Trib. com. de Bobigny, 29 mars 1990, Rev. arb., 1992, p. 66 (2ème

esp.), note L. AYNES ; RTD com., 1992, p. 591. Adde Com. 10 févr. 1969, Bull. civ. IV, n°47, p. 48 ; Com. 16 mai 1972, Bull. civ. IV, p. 62 ; Paris, 9 janv. 1963, Rev. arb., 1963, p. 71 ; Paris, 13 juin 1963, Rev. arb., 1963, p. 125 ; Paris, 25 mars 1983, Rev. arb., 1984, p. 363, note J. ROBERT.

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à la convention arbitrale212

. Dans ses derniers développements, la jurisprudence française semble bien adhérer à cette conception, en s'attachant à l'unité économique de l'opération, laquelle, précisément, se déduit des rapports fonctionnels entre les différents contrats formant l'ensemble. Aussi peut-on avancer que le critère de l’extension de la clause compromissoire à un contrat lié réside dans la fonction économique que lui ont assignée les parties

213.

Un arrêt récent de la cour de cassation, en date du 30 mars 2004

214, illustre fort bien cette tendance.

Un accord de coopération, ayant pour objet la création d'une société commune, avait été conclu entre plusieurs sociétés ; ce contrat de base entre les parties prévoyait le recours à l’arbitrage en cas de litige. Par la suite, un contrat dit n°1 avait été conclu par deux des sociétés parties au contrat de base, aux termes duquel l'une d'entre elles s'engageait à verser à l'autre les sommes nécessaires à l’achat des matières premières nécessaires à la conduite de l’activité de la société commune ; ce contrat ne contenait aucune stipulation relative au règlement des différends. Un litige survint relativement à l’exécution de ce contrat n° 1 tandis que le contrat de coopération, contrat de base, ne faisait l'objet d'aucune contestation. La question de l'extension de la convention d'arbitrage stipulée à l'accord de base vers le contrat n°1 était ainsi posée aux arbitres. Ceux-ci l'admirent, et se déclarèrent par conséquent compétents pour statuer sur le litige relatif au contrat n°1. La cour d'appel de Paris rejeta le recours en annulation contre la sentence, et la cour de cassation rejeta pareillement le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel. Après avoir rappelé que : « En vertu d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient directement ou par référence et [...] son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique », la cour suprême a décidé que la cour d'appel, dans une « appréciation souveraine de la clause d’arbitrage dont les termes très généraux imposait l’interprétation, a estimé [à bon droit] que les deux contrats étant indissociables en vue d’assurer la viabilité économique de l’opération et que la soumission à l’arbitrage concernait tous les litiges et divergences pouvant naître du contrat de coopération ou en liaison avec celui-ci, comme l’était le contrat de fourniture, de sorte que la clause compromissoire était tacitement mais nécessairement incluse dans le contrat n° 1 » (souligné par nous)

Cet arrêt montre bien que c'est dans la fonction économique que les parties ont expressément ou implicitement assignée aux différents contrats que réside le critère de l'unité économique de l'opération, fondant l'application de la convention d'arbitrage à tous les litiges susceptibles de s'élever de n'importe lequel des contrats du groupe. Applications. Dans notre thèse de doctorat

215, nous avons montré que les arbitres se fondaient

également sur les liens substantiels entre les contrats pour fonder l'extension de la clause compromissoire, et nous avons proposé une typologie des contrats liés. Les liens entre contrats justifiant l'extension de la clause compromissoire sont (i) le lien de complémentarité, qui caractérise les contrats tendant à la réalisation d'un accord de base entre les parties. Cette première catégorie comprend les groupes de contrats à dépendance unilatérale ou bilatérale, les ensembles contractuels indivisibles, et, très importants en pratique, les ensembles composés d'un contrat-cadre et de contrats d'application ; (ii) le lien de substitution, qui caractérise les conventions tendant à la transformation de l'accord de base entre les parties. Cette deuxième catégorie comprend la modification conventionnelle du contrat originaire, le mutuus dissensus, la transaction

216 et la

212

E. Loquin, op. et loc. cit. ; comp. D. Cohen, art. préc., spéc. p. 487 213

CA Paris, 21 février 2002, préc., et la note. 214

Cass. 1re

civ. 30 mars 2004, RTD com. 2004.443, obs. E Loquin ; JCP 2004, II, 10132, note G. Chabot ; Rev. arb. 2005.959, note Ch. Séraglini.

215Les contrats liés devant l'arbitre du commerce international – Etude de jurisprudence arbitrale, op. cit.

216Cass. 1

re civ., Cosiac, 10 mai 1988, Rev. arb. 1988.639, note Ch. Jarrosson, rejetant le pourvoi contre CA Paris, 4

mars 1986, Rev. arb. 1987.167, note Ch. Jarrosson.

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novation217

.

Indivisibilité du litige. La jurisprudence fait parfois référence à un deuxième élément, l'indivisibilité du litige, pour justifier l'extension de la clause compromissoire au sein d'un groupe de contrats. Il est vrai que la clause compromissoire ayant pour objet les différends susceptibles de s’élever à propos d’un contrat, on pourrait considérer que son étendue doit être directement fonction de l’étendue du litige, ratione personae et ratione materiae. L’extension de la convention arbitrale a ainsi pu être fondée sur la double constatation de l’existence de liens économiques étroits entre les contrats et de ce qu’ils donnaient lieu, ensemble, à un « litige aux composantes indissociables »

218.

Il convient toutefois de constater que cet élément n'est pas suffisant à lui seul ; l'existence de liens substantiels ou fonctionnels entre les contrats est nécessaire. L'indivisibilité du litige soulève une autre question, d'une très grande importance pratique. Il s'agit des hypothèses dans lesquelles un litige porté devant le juge étatique implique une pluralité de défendeurs, en raison notamment d’appels en garantie. Dans une telle situation, contrairement à la clause attributive de juridiction

219, la clause compromissoire ne peut être mise en échec, quand bien

même le litige soumis au juge serait indivisible, et ce, au motif que la clause d’arbitrage déroge, non pas à la compétence territoriale mais, plus fondamentalement, à la compétence d’attribution des juridictions étatiques

220.

1-5-3. Extension ratione personae et ratione materiae Il a observé que l’extension ratione personae de la clause compromissoire trouvait essentiellement à s’appliquer en présence d’un contrat unique, tandis que l’extension ratione materiae ne concernerait que les ensembles contractuels entre deux parties

221 . Aussi bien, le cumul des deux

extensions — ratione materiae et ratione personae — ne serait pas permise en présence de plus de deux parties unies deux à deux dans des contrats distincts : l'exemple du sous-contrat permet de le vérifier, mais l'ensemble contrat-cadre / contrats d'application montre que cette limite n'est pas absolue. Le sous-contrat. Le sous-traitant ne « vient pas au droit » de l'entrepreneur principal ; il conclut avec ce dernier un contrat, distinct du contrat principal, et ces deux contrats coexistent. En d'autres termes, le sous-contrat n'est pas un mécanisme de transmission des obligations, ce dont il résulte que la clause compromissoire insérée au contrat principal n'est pas transmise au sous-contractant

222.

Seul le mécanisme de l'extension de la clause compromissoire du contrat principal pourrait éventuellement justifier son application au sous-traitant, ce qui se traduirait par l'organisation d'une procédure tripartite réunissant les trois protagonistes de l'opération. La jurisprudence française est rare sur cette question de l'extension au sous-traitant de la clause compromissoire insérée dans le marché principal. On peut noter un arrêt de la cour d'appel de Paris l'ayant admis, dans des

217

Sur cette question, controversée, v. P. Ancel, « Arbitrage et novation », Rev. arb., 2002.3 ; comp. CA Paris, 22 mai 2003, Rev. arb. 2003.1252, note F-X. Train.

218CA Paris, 23 nov. 1999, Rev. arb. 2000.501, note X-Y. Li-Kotovtchikhne ; RTD com, 2001.59, obs. E. Loquin.

219Cass. com. 2 janv. 1968, Rev. crit. DIP 1969.507 (1

re esp.), note J. Normand ; Cass. 1

re civ., 23 oct. 1990, Bull. civ., I,

n°219. 220

La solution et son fondement sont acquis depuis Cass. 1re

civ., 3 mai 1957, Rev. arb. 1957.132 ; D. 1958.167, note Pochon ; Rev. crit. DIP 1957.495, note Mezger. La solution, qui fut un temps remise en cause, est constamment réaffirmée par la Cour de cassation depuis un arrêt Cass. com., 8 nov. 1982, Rev arb. 1983.177,obs. J. Rubellin-Devichi. Dernièrement, avec une formulation différente, Cass. 1re civ., 6 févr. 2001, Peavy, préc. : « Attendu que la prorogation de compétence en cas de pluralité de défendeurs – le litige fût-il indivisible – est étrangère à la détermination du pouvoir de juger de la juridiction étatique à laquelle est opposée une clause compromissoire » (sur cette partie de l’arrêt Peavey, peu commentée, v. D. Cohen, note à la Rev. arb., 2002.765, spéc. pp. 768-769 ; Gaz. Pal., 12-13 déc. 2001, p. 26, obs. M-L. Niboyet-Hoegy) ; Cass. 1re civ., 16 oct. 2001, Gaz. Pal., 21-23 juill. 2002, p. 23, obs. M-L. Niboyet ; Rev. arb., 2002, p. 919, note D. Cohen.

221V. D. Cohen, « Arbitrage et groupes de contrats », Rev. arb. 1997.471, spéc. pp. 492-493 ; F-X. Train, Les contrats liés devant l'arbitre du commerce international, op. cit., n°46 et les réf.

222V. F-X. Train, op. cit., n°337 et s.

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circonstances particulières, et au contraire des arbitres qui s'y étaient refusés223

. Cet arrêt est critiquable dans la mesure où il fait une interprétation trop laxiste de la condition de l'extension ratione personae de la clause compromissoire, rappelée précédemment, tenant à l'implication directe du non signataire dans la conclusion ou l'exécution du contrat ; l'arrêt se contente en effet d'une implication du sous-traitant dans la réalisation de l'opération globalement considérée

224. Or, il

est exclu que le sous-traitant soit directement impliqué dans la conclusion ou l'exécution du contrat principal, dès lors que sa participation à l'opération est concrétisée dans un second contrat, certes lié au premier, mais distinct juridiquement. Quoi qu'il en soit, l'étude de la jurisprudence arbitrale a clairement montré que les arbitres du commerce international étaient en faveur de l'autonomie du sous-contrat par rapport au contrat principal. Cette autonomie se traduit aussi bien sur la compétence que sur le fond du litige. Sur la compétence, tout d'abord, l’autonomie du sous-contrat signifie que la clause compromissoire du contrat principal ne peut pas être étendue au sous-contractant. S'agissant ensuite du traitement du litige par les arbitres, l'autonomie du sous-contrat se traduit, d'une part, par sa localisation propre au stade de la résolution du conflit de lois et, d'autre part, par le fait que l'extinction du contrat principal (par sa nullité ou résolution) n'affecte par le sous-contrat, qui se voit ainsi reconnaître une efficacité propre

225.

L’ensemble contrat-cadre/contrats d’application. La structure particulière de l'ensemble contrat-cadre / contrats d'application incite à étendre la clause d'arbitrage insérée dans le contrat-cadre à toute personne, même tiers au contrat-cadre, qui conclut un contrat d'application. En effet, dès lors qu’il est établi que le non signataire de la clause, partie à un contrat d'application, avait conscience qu’il s’engageait dans une opération plus large définie dans un accord-cadre, il faut présumer qu’il avait connaissance des obligations afférentes, notamment la convention d'arbitrage. Cette conception semble bien avoir été adoptée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt Cotunav du 28 novembre 1989

226. Dans cette affaire, la Cour a appliqué la clause compromissoire contenue dans

une convention-cadre à un accord d’exécution qui n’y faisait nullement référence et qui avait été conclu par des parties différentes. Après avoir posé le principe de la validité et de l’efficacité propres de la convention d’arbitrage et le principe de son extension aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat, elle considère que le signataire du contrat d’exécution, étant intervenu dans l’exécution de la convention-cadre, a « nécessairement souscrit aux obligations définies par cette convention et accepté ses modalités, parmi lesquelles la clause compromissoire. »

Cette solution doit être retenue a fortiori lorsque l'ensemble contrat-cadre / contrats d'application réunit en outre un voire deux groupes de sociétés

227. Une sentence arbitrale récente

228 offre une

parfaite illustration de la possible extension ratione materiae et ratione personae de la clause compromissoire, dès lors que la structure du groupe de contrats s'y prête. Dans cette affaire, les arbitres devaient en effet se prononcer sur leur compétence pour connaître d’une convention conclue par un tiers au contrat de base comportant la clause compromissoire. Ils procèdent en deux temps : ils constatent tout d’abord que la réalisation de l’opération telle que définie par les parties à

223

CA Paris, 26 oct. 1995, Rev. arb. 1997.553, et les obs. crit. de D. Cohen, « Arbitrage et groupes de contrats », préc., annulant Sent. CCI n°6769 (1991), Rec. sent. CCI, Vol. III, p. 456 ; JDI, 1992.1019, obs. Y. Derains ; adde J-F. Poudret, « L'extension de la clause d'arbitrage : approche française et suisse », JDI 1995.893.

224V. la critique développée, F-X. Train, Les contrats liés devant l'arbitre..., op. cit., n°404 et s. ; dans le même sens, J-F. Poudret, préc. note précédente ; E. Loquin, « Convergences et divergences... », préc.

225V. F-X. Train, op. cit., n°334 et s., not. n°425 et s. et les sentences arbitrales analysées, qui consacrent l'autonomie du sous-contrat sur le fond.

226CA Paris, 28 nov. 1989, maintenu par Civ. 1

ère , 11 juin 1991 (Cotunav), préc.

227V. not. l'affaire Kis France, Sent. CCI n°5894 et 5895 (1989), la première étant publiée in Bull. Cour CCI, Vol. 2, n°2, p. 25. Elle a fait l'objet d'un recours en annulation rejeté par CA Paris, 31 oct. 1989, Rev. arb. 1992.90, et les obs. de L. Aynès, ibid. p. 70, et de D. Cohen, ibid. p. 74 ; adde sur cette affaire, Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°506 ; F-X. Train, op. cit., n°147.

228Sent. CCI n°8910, sentence partielle (1998), JDI, 2000.1085, obs. D. Hascher (Paris, droit français), v. spéc. (3), pp. 1089-1091.

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l’accord de base rendait nécessaire la conclusion et l’exécution de la convention litigieuse (le caractère complémentaire de celle-ci est ainsi établi, ce qui justifie l'extension ratione materiae de la clause d'arbitrage ; les arbitres constatent ensuite l’existence d’un groupe de sociétés entre le signataire de cette dernière et le non signataire. Dès lors, ils concluent que « le litige fait apparaître simultanément un groupe de contrats et un groupe de sociétés », justifiant la compétence du tribunal arbitral sur la convention complémentaire (ratione materiae) et les parties à celles-ci (ratione personae).

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2 – La procédure arbitrale Il convient d'évoquer en premier lieu l'extension jurisprudentielle de la compétence internationale du juge d'appui français (2-1). Seront ensuite étudiés l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre (2-2), les mesures provisoires et conservatoires (2-3), la protection de la procédure arbitrales contre les interférences extérieures (2-4), enfin la responsabilité de l'arbitre (2-5).

2-1. L'extension de la compétence du juge français dans sa mission d'assistance à la constitution du tribunal arbitral (« le juge d'appui ») Le 1

er février 2005

229, la cour de cassation a rendu un « grand arrêt de l'arbitrage international »,

dans lequel elle admet, après la cour d'appel de Paris230

, que l'impossibilité pour une partie d'obtenir l'assistance d'un juge étranger dans la constitution du tribunal arbitral constitue un déni de justice, fondant la compétence internationale du juge d'appui français, s'il existe un rattachement avec la France. En l'espèce, un contrat de coopération en matière pétrolière avait été conclu en 1968 entre l’Etat d'Israël et la National iranian oil company – NIOC, une émanation de l'Etat iranien. La clause compromissoire renvoyait à un arbitrage ad hoc, sans référence ni à un lieu de l'arbitrage ni à un règlement quelconque, et se bornait à prévoir une autorité de nomination du troisième arbitre pour le cas où les deux arbitres choisis par les parties ne s'accorderaient pas à ce sujet. Mais rien n'était prévu en cas de difficulté dans la désignation des co-arbitres. Or justement lorsque un litige survint, en 1994, la société NIOC se heurta au refus persistant de l'Etat d'Israël de désigner son arbitre. Elle se mit donc en quête d'un juge d'appui susceptible d'y pourvoir mais en l'absence de lieu de l'arbitrage convenu, donc de juge d'appui local, ne s'offraient à elle que le juge israélien en tant que juge du défendeur, le juge iranien, ou encore ... le juge français, sur lequel elle jeta finalement son dévolu. Pourtant, il n'était certainement pas compétent sur le fondement de l'article 1493, al. 2 NCPC – le siège de l'arbitrage n'était pas fixé en France et les parties n'avaient pas choisi la loi française de procédure – mais la société NIOC invoquait un déni de justice : selon elle, ni le juge israélien ni le juge iranien ne pouvaient être utilement saisis. Le président du tribunal de grande instance de Paris, comme une fois déjà par le passé

231, admit que

sa compétence puisse être fondée sur un déni de justice mais décida à deux reprises qu'il n'était pas constitué en l'espèce

232. La cour d'appel jugea au contraire qu'il était avéré, dès lors que l’Etat

d'Israël avait expressément déclaré ne pas reconnaître la compétence des tribunaux israéliens et iraniens pour nommer un arbitre à sa place ; et considérant que le litige présentait un lien suffisant avec la France, à savoir le choix par les parties du Président de la CCI (dont le siège est à Paris) comme autorité de nomination du troisième arbitre, elle se reconnut compétente pour nommer le second co-arbitre. Pour l'essentiel, la cour de cassation reprend à son compte les constatations et les motifs des juges du fond, en particulier l'idée que l'impossibilité d'accéder à l'arbitrage constitue un déni de justice.

229

Cass. 1re

civ., 1er

févr. 2005, National Iran Oil Company c/ Etat d'Israël, Bull. civ. I, n° 53 ; Rev. arb. 2005.693, note H. Muir Watt ; JCP 2005, I, n°134, §4, obs. J. Béguin ; RTD com. 2005.266, obs. E. Loquin ; D. 2005.3054, obs. Th. Clay ; Gaz. Pal. 27-28 mai 2005, p. 37, note F-X. Train ; D. 2005.2727, note S. Hotte ; JCP, éd. E, 2005.II.447, note G. Kessler ; adde Gaz. Pal. 27-28 avr. 2005, p. 3, obs. S. Lazareff ; Rev. crit. DIP 2006, note Th. Clay, à paraître ; Stockholm International Arbitration, 2005:2, note F-X. Train, à paraître.

230CA Paris, 29 mars 2001, Rev. arb. 2002.427 (2

e esp.), note approb. Ph. Fouchard ; RTD com. 2001.651, obs. approb.

E. Loquin ; JDI 2002.498, note crit. D. Cohen. 231

TGI Paris (ord. réf.), 11 mai 1987, Rev. arb. 1988.699 (1re

déc.), note Ph. Fouchard ; adde H. Arfazadeh, « Juge d'appui et for de nécessité », Bull. ASA 1996.325.

232V. Ph. Fouchard, note sous CA Paris, 29 mars 2001, préc.

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41

L'arrêt du 1er

février 2005 donne avec éclat une seconde jeunesse au « for de nécessité », qui n'a connu que de très rares applications depuis l'abolition du principe d'incompétence des juridictions françaises pour connaître des litiges entre étrangers

233. Par nature exceptionnel, ses conditions sont

strictes : d'une part, le demandeur doit démontrer qu'aucune juridiction n'est pratiquement saisissable pour statuer sur le litige qu'il prétend soumettre au juge français ; d'autre part, le litige doit présenter un lien avec le for. Nous ne nous attarderons pas sur cette seconde condition en l'espèce

234, si ce n'est pour préciser que la cour de cassation reconnaît que le lien était ténu ; elle le

juge néanmoins suffisant, comme étant « le seul dont la société NIOC pouvait utilement se prévaloir pour assurer la réalisation de [la] commune volonté [des parties] de recourir à l'arbitrage », près de huit ans après la naissance du litige. La formule est de loin plus heureuse que celle qu'avait retenue la cour d'appel, qui avait estimé quant à elle que le juge français était « le moins mal placé » pour intervenir. Il reste que le lien avec le for était plus que mince. Le principal apport de la décision est relatif à la notion de déni de justice. Rejetant le moyen tiré de ce qu'un tel déni suppose l'impossibilité d'obtenir justice au fond (la société NIOC n'avait jamais tenté de saisir un juge du fond du litige), la cour énonce en termes très généraux qu'il y a déni de justice en cas d'impossibilité pour une partie d'exercer son droit d'accès à l'arbitre, droit qu'elle fonde sur les principes de l'arbitrage international et sur l'article 6, §1 de la CEDH. Cette affirmation doit être précisée car si on peut considérer qu'il existe un « droit à l'arbitre », c'est en réalité dans l'impossibilité d'accéder au juge d'appui que réside le déni de justice. Les « principes de l'arbitrage international » auxquels se réfère la cour, au premier rang desquels le principe pacta sunt servanda, consacrent le droit pour chaque partie de contraindre son adversaire à soumettre à l'arbitrage, et exclusivement à l'arbitrage, les litiges visés par la clause compromissoire ; et en cas de besoin, le juge d'appui intervient (si les parties n'ont pas prévu un autre mécanisme, directement ou par référence à un règlement d'arbitrage, art. 1493, al. 1 NCPC). Ceci est bien connu et aurait suffit, nous semble-t-il, à fonder la solution au nom de la prohibition du déni de justice. Mais celle-ci participe de la protection d'un droit fondamental plus large, celui pour tout justiciable d'accéder à la justice, consacré par l'article 6, §1 de la CEDH

235. D'où la tentation de se référer à ce

texte. Tentation à laquelle la cour de Paris a déjà cédé, en invoquant l'article 6, §1 et en brandissant le risque de déni de justice pour mieux faire échec à l'immunité de juridiction qu'un défendeur invoquait devant le juge d'appui

236. Tentation à laquelle cède aujourd'hui la cour de cassation. Ainsi

frappé au coing de l'article 6, §1, le droit à l'arbitre, jusqu'alors fondé sur la force obligatoire de la convention d'arbitrage, deviendrait, au même titre que le droit au juge, un droit fondamental ; son appartenance à l'ordre public transnational serait ainsi formellement reconnue. On peut y voir la consécration de ce que l'arbitrage est une véritable justice, autonome et à égalité avec la justice étatique. Mais serait-il fondamental, le droit d'accès à l'arbitre ne saurait être absolu. En effet, l'arrêt NIOC ne devrait pas pouvoir être interprété comme autorisant le juge français à intervenir dans tous les cas où une partie n'a pas pu accéder à l'arbitrage, faute pour elle d'avoir obtenu auprès des juridictions étrangères ce qu'elle aurait pu obtenir auprès du juge d'appui français, aux conditions et avec l'efficacité que l'on sait ; le président du tribunal de grande instance de Paris n'a pas vocation à devenir un juge d'appui de secours, destiné à suppléer les carences réelles ou supposées de ses homologues étrangers. Aussi bien, le déni de justice consacré par la cour de

233

V. l'étude de la jurisprudence par A. Huet, J-Cl. Droit Civil, art. 14 et 15, Fasc. 21 (déc. 2001), n°85 et s. Adde L. Corbion, Le déni de justice en droit international privé, PUAM, 2004. En droit comparé, v. C. Kessedjian, Synthesis of the work of the special commission of March 1998 on international jurisdiction and the effects of foreign judgments in civil and commercial matters, Hague Conference on Private International Law, Prel. Doc. No. 9, July 1998, n°83-84, p. 37.

234V. et comp. Ph. Fouchard et D. Cohen, notes préc. Comp. Th. Clay, note à la Rev. crit. DIP, à paraître, qui juge quant à lui inutile l'existence d'un rattachement, même ténu, avec le for, et préconise ainsi de reconnaître au juge d'appui français une sorte de compétence universelle, lorsque l'accès à l'arbitrage est impossible en raison de la défaillance de l'une des parties et des juridictions étatiques internationalement compétentes.

235S. Guinchard et alii, Droit processuel, 2

e éd., Dalloz 2003, n°241 et s.

236CA Paris, 19 juin 1998, Rev. arb. 1999. 343, note Ch. Jarrosson.

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cassation devrait-il être limité à l'impossibilité de saisir un juge d'appui. Impossibilité de droit d'abord : aucun juge n'est susceptible de se reconnaître compétent (hypothèse rarissime, sinon purement virtuelle) ou bien le juge internationalement compétent n'est pas habilité, par sa loi nationale, à intervenir dans la constitution d'un tribunal arbitral, ou encore, le juge étranger s'est déjà déclaré incompétent (comp., en l'espèce, selon la cour de cassation, c'est en vertu de la jurisprudence de la cour suprême d'Israël que les juridictions de cet Etat étaient incompétentes). L'impossibilité peut ensuite être de fait : il est matériellement impossible d'accéder au juge étranger compétent (en cas de guerre par exemple). Dans tous les cas, l'impossibilité doit être générale et durable, comme le précise à juste titre la cour de cassation. Ainsi, dès lors qu'une juridiction habilitée à coopérer à la constitution d'un tribunal arbitral est compétente, et en pratique accessible, le déni de justice ne devrait pas pouvoir jouer car « l'idéal de justice exige simplement que les parties trouvent un juge et non pas quelqu'un qui leur donne nécessairement raison »

237. Le sort que le juge étranger est susceptible de réserver à la demande de

nomination d'arbitre est donc en principe indifférent. Et pourtant, s'il était établi, dans un cas donné, qu'il refuserait de désigner un arbitre alors que le juge français le ferait, n'y aurait-il pas là aussi une violation du droit d'accès à l'arbitrage, contraire à l'ordre public international et, partant, de nature à justifier l'intervention du juge français s'il existe un lien avec le for ? En principe non car « l’ordre public international français, s’il permet[ ] à une juridiction française d’écarter une loi étrangère qui normalement régirait le litige mais qui contreviendrait à cet ordre, n’autoris[e] pas d’écarter la compétence territoriale d’une juridiction étrangère au profit d’un tribunal français »

238.

2-2. Le défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre : cause de récusation et de nullité de la sentence arbitrale Notion d'indépendance et d'impartialité. Parce qu'il est investi, temporairement, d'une véritable mission juridictionnelle, l'arbitre doit, comme tout juge, être indépendant et impartial ; ce sont là des qualités qui « sont de l'essence de sa fonction juridictionnelle exclusive par nature de tout lien de dépendance à l'égard notamment des parties, et de tout préjugé »

239. Deux qualités essentielles

sont ainsi requises de l'arbitre : d'une part, l'indépendance, qui correspond à une situation de droit ou de fait, relative aux rapports qu'il entretient avec les parties, et qui est susceptible d'une appréciation objective ; d'autre part, l'impartialité (parfois désignée indépendance d'esprit

240), qui correspond,

quant à elle, plutôt à une disposition de l'esprit, une donnée psychologique, qui est, pour cette raison, d'appréciation nécessairement subjective, et qui se rapporte à l'absence de préjugé de l'arbitre à l'égard de l'une des parties ou des questions de fait et de droit que soulève la cause sur laquelle il est amené à se prononcer. Distinctes, ces deux qualités de l'arbitre font néanmoins l'objet d'un traitement unitaire de la part de la jurisprudence. Exemples. Dans la jurisprudence de la cour d'appel de Paris, l'arbitre bénéficie d'une présomption d'indépendance et d'impartialité qui ne peut être combattue qu'en démontrant l'existence de liens matériels avec les parties ou d'un préjugé de nature intellectuelle, et, ces éléments établis, qu'il en résulte, d'une part, un risque certain de prévention dans son jugement à l'encontre d'une partie en faveur de l'autre et, d'autre part, un doute raisonnable dans l'esprit des parties sur l'indépendance de

237

Bischoff, Rev. crit. DIP 1975.678. 238

Cass. com. 11 juin 2002, JCP 2003, I, 107, n°16, obs. S. Poillot-Peruzzetto ; v. déjà Paris, 10 nov. 1959, Rev. crit. DIP 1960.218, note Ph. F ; JDI 1960.790, note A. Ponsard.

239CA Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003.445, note Ch. Belloc ; sur l'ensemble de la question, v. not., parmi les travaux récents : Th. Clay, L'arbitre, Dalloz 2001, n°275 et s. ; M. Henry, Le devoir d'indépendance de l'arbitre, LGDJ 2001 ; V.V. Veeder, « L'indépendance et l'impartialité de l'arbitre dans l'arbitrage international », in Médiation & arbitrage – Alternative Dispute Resolution (dir. L. Cadiet, Th. Clay et E. Jeuland), Actes du colloque Paris-Dijon, 21-24 sept. 2004, Litec 2005, p. 219 ; adde Ph. Fouchard, « Le statut de l'arbitre dans la jurisprudence française », Rev. arb. 1996.325.

240Cass. 2

e civ., 13 avr. 1972, Rev. arb. 1975.235, note E. Loquin, D. 1973.2, note J. Robert : « l'indépendance d'esprit

est indispensable à l'exercice du pouvoir juridictionnel, elle est l'une des qualités essentielles de l'arbitre ».

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l'arbitre241

. Pour se limiter à quelques exemples, les rapports de famille entre l'arbitre et l'avocat de l'une des parties mettent en cause son indépendance

242 ; de même pour l'arbitre qui a été l'employé

de la société mère de l'une des deux parties243

ou, dans le même esprit, pour celui qui a été recruté par l'une des parties le lendemain du prononcé de la sentence

244, ou encore, pour celui qui est

cotitulaire avec une partie d'un brevet qu'ils exploitent en commun par l'intermédiaire d'une autre société

245. Enfin, plusieurs décisions récentes

246 entendent exercer un contrôle sur la fréquence de

nomination d'un arbitre par une même partie : la répétition dans la désignation d'un arbitre constituerait un fait objectif susceptible à lui seul d'affecter son indépendance. Ainsi, la cour d'appel de Paris a pu annuler une sentence en considération de la seule désignation répétée d'un même arbitre par une société de construction

247 ; un juge d'appui a récusé un arbitre au seul visa de sa

désignation répétée par la même société franchiseur248

. Par ailleurs, la cour d'appel de Paris accepte de nommer un expert avec pour mission d'évaluer le nombre de nominations dont l'arbitre critiqué a fait l'objet

249.

En revanche, le fait que le président du tribunal arbitral et le conseil de l'une des parties appartiennent à la même « Chamber » est sans incidence sur l'indépendance du premier

250, pas plus

que la participation commune d'un arbitre et du conseil de l'une des parties à des colloques et autres manifestations scientifiques sur l'arbitrage, même régulières

251. Ceci n'empêche pas la

reconnaissance par la jurisprudence française de la position particulière qu'occupe le co-arbitre par rapport à la partie qui l'a désigné. S'il n'en est certes pas l'avocat, on admet toutefois qu'il ait « un intérêt particulier, spécial, pour l'argumentation de cette partie, en s'assurant que les points soulevés par celle-ci ont bien été vérifiés par ses collègues. La présence du co-arbitre au sein du tribunal arbitral représente pour la partie qui l'a nommé une garantie morale, psychologique, que son point de vue sera entendu, ce qui ne veut pas dire adopté. »

252

Quant aux liens entre les arbitres eux-mêmes, ils ne posent pas un problème d'indépendance dès lors que celle-ci s'apprécie entre l'arbitre d'une part, et les parties d'autre part. Toutefois, l'existence d'un lien de subordination professionnelle entre deux arbitres membres d'un même tribunal prive le subordonné de l'indépendance d'esprit suffisante et de l'impartialité nécessaire pour accomplir sa mission

253. En revanche, « la seule appartenance [d'un arbitre et du président au même réseau

d'avocats] n'établit aucune perte de liberté d'esprit des arbitres qui seule pourrait être sanctionnée »

254.

Sanctions. Le défaut d'indépendance et d'impartialité connaît trois sanctions. La première est la récusation de l'arbitre, laquelle relève généralement, dans l'arbitrage institutionnel, de la compétence de l'institution d'arbitrage. A défaut d'institution, elle relève de la compétence du juge d'appui, lequel tranche définitivement la question, avec cette conséquence que le juge de l'annulation de la sentence ne pourra pas remettre en cause la décision du juge d'appui

255, sous

241

CA Paris, 9 avr. 1992, Rev. arb. 1996.483, 2e esp. ; v. aussi CA Paris, 2 juin 1989, Rev. arb. 1991.87 (2e esp.). V. Ph.

Fouchard, « Le statut de l'arbitre dans la jurisprudence française », Rev. arb. 1996.325. 242

CA Paris, 12 janv. 1999, Rev. arb. 1999.381. 243

CA Paris, 16 mars 1978, Rev. arb. 1978.501 (3e esp.), note P. Roland-Lévy.

244CA Paris, 2 juill. 1992, Rev. arb. 1996.411 (1

re esp.), et les obs. de Ph. Fouchard, « Le statut de l'arbitre... », préc.

245CA Paris, 23 mars 1995, Rev. arb. 1996.446, et les obs. de Ph. Fouchard, « Le statut de l'arbitre... », préc.

246M. Henry, « Pluralité de désignation et devoir d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre », note sous CA Paris, 29 janv. 2004, 10 février 2005, 17 févr. 2005, et Trib. com. Paris (réf.), 6 juillet 2004, Rev. arb. 2005.709.

247CA Paris, 29 janv. 2004, préc. (1

re esp.).

248Trib. com. Paris (réf.), 6 juillet 2004, préc. (4

e esp.).

249CA Paris, 16 mai 2002 et 2 avr. 2003, Rev. arb. 2003.1231, note E. Gaillard.

250CA Paris 28 juin 1991 (Icori), Rev. arb. 1992.568.

251Cass. 1

re civ., 29 janv. 2002, Rev. arb. 2002.208.

252D. Hascher, « Arbitrage du commerce international, Rép. Dt. Int., préc., spéc. n°82, se référant à CA Paris, 16 janv. 2003, Rev. arb. 2004, note L. Jaeger ; JDI 2004.161, note C. Kessedjian.

253CA Paris, 29 juin 1989, Rev. arb. 1990.497 (3

e esp.).

254CA Paris, 28 nov. 2002, préc.

255CA Paris, 4 juin 1992, Rev. arb. 1993.449, note A. Hory.

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réserve de circonstances révélées postérieurement à son intervention. La deuxième sanction est l'annulation de la sentence, sur le fondement de l'article 1502-2° NCPC. La troisième, enfin, est l'éventuelle responsabilité civile de l'arbitre à l'égard des parties (sur cette question, v. infra n°2-5). Obligation de révélation de l'arbitre et annulation de la sentence. Il convient de préciser deux points relatifs à la deuxième sanction, à savoir l'annulation de la sentence. D'une part, l'annulation de la sentence ne peut être obtenu sur le fondement du défaut d'indépendance de l'arbitre, que si celui-ci n'est apparu qu'après que la sentence ait été rendue ou, dans le cas d'un arbitrage institutionnel, si la récusation, sollicitée par l'une des parties en temps utile, n'a pas été accueillie par l'institution. En effet, si la partie avait connaissance de cette cause de récusation de l'arbitre – soit que l'arbitre s'était acquitté de son obligation de révélation, soit que le lien avec l'une des partis était notoire, soit encore que ledit lien est apparu avant le prononcé de la sentence – et qu'elle s'est abstenue de l'invoquer, elle sera réputée avoir renoncé à cette cause d'annulation de la sentence

256, en vertu d'une règle désormais parfaitement établie en droit français

de l'arbitrage interne et international, suivant laquelle tout grief qui n'a pas été soulevé au cours de la procédure arbitrale alors qu'il aurait pu l'être, est irrecevable devant le juge de l'annulation

257.

D'autre part, il convient de préciser les rapports entre l'annulation de la sentence pour cause de dépendance de l'arbitre et l'obligation d'information pesant sur celui-ci. Il est un usage constant, dans la pratique de l'arbitrage international

258, selon lequel l'arbitre doit informer les parties des

éléments susceptibles de faire douter de son indépendance et de son impartialité : c'est l'obligation de révélation, prévue à l'article 1452 NCPC, aux termes duquel « l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de récusation doit en informer les parties. » Ce devoir de révélation, qui constitue en quelque sorte un moyen préventif de lutter contre le défaut d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre, est régi par trois principes

259 : 1) l'arbitre doit révéler

aux parties toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ses qualités d'impartialité et d'indépendance qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale ; 2) l'obligation d'information vise à permettre aux parties d'exercer leur droit de récusation ; 3) l'obligation d'information s'apprécie au regard de la notoriété de la situation critiquée et de son incidence sur le jugement de l'arbitre. La question qui se pose alors, est de savoir si un manquement de l'arbitre à son obligation de révélation emporte ipso facto un manquement à son devoir d'indépendance, et par conséquent l'annulation de la sentence. La réponse traditionnelle de la jurisprudence française était négative

260

jusqu'à un arrêt de la cour de cassation du 6 décembre 2001261

, qui a semé le trouble en reprochant à une cour d'appel une contradiction de motifs, pour avoir relevé le manquement de l'arbitre à son obligation d'information et, dans le même temps, l'absence de dépendance susceptible d'entraîner la nullité de la sentence. Cette solution était certainement excessive dans la mesure où toute

256

V. par ex. CA Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003.445, note Ch. Belloc ; Cass. 2e civ., 25 mars 1999, Rev. arb. 1999.319, note Ch. Jarrosson.

257L. Cadiet, « La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale », Rev. arb. 1996.3 ; v. aussi les nombreuses décisions recensées par M. Bandrac, Rev. arb. 2004.283 ; adde par ex. Cass. 1

re civ., 6 juillet 2005,

n°03-15.223 ; 25 octobre 2005, n°02-13.252. V. supra, Partie I, 3, n°12. 258

V. not. Règlement d'arbitrage CCI, art. 7(2) ; Règlement CNUDCI, art. 9 ; Loi-type CNUDCI, art. 12(1) ; adde Th. Clay, présentation des « Directives de l'International Bar Association sur les conflits d'intérêts dans l'arbitrage international », Rev. arb. 2004.891 ; V.V. Veeder, « L'indépendance et l'impartialité de l'arbitre dans l'arbitrage international », préc.

259V. par ex., rappelant ces principes, CA Paris, 2 avr. 2003, Rev. arb. 2003.1231, note E. Gaillard.

260Le juge était invité à mesurer les effets de la réticence de l'arbitre et à apprécier si, à elle seule ou rapprochée d'autres éléments de la cause, elle constituait une présomption suffisante du défaut d'indépendance allégué : v. not. CA Paris, 12 janv. 1996, Rev. arb. 1996.428 (2e esp.), note Ph. Fouchard, et CA Paris, 28 oct. 1999, Rev. arb. 1999.299 (1

re

esp.), note Ph. Grandjean. 261

Cass. 1re civ., 6 déc. 2001, Rev. arb. 2003.1231, note E. Gaillard ; D. 2003.2472, obs. Th. Clay ; E. Loquin, RTD com. 2002.657, obs. E. Loquin.

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circonstance susceptible d'être révélée par l'arbitre n'est pas nécessairement de nature à affecter son indépendance. Récemment, la cour d'appel de Paris est venue ré-affirmer cette évidence : « tout manquement [à l'obligation d'information] n'entraîne pas automatiquement l'annulation de la sentence dans la mesure où ce devoir d'information s'étend au-delà des causes de récusation »

262.

Si l'annulation n'est pas automatique en cas de manquement de l'arbitre à son devoir de transparence, certaines circonstances pourraient toutefois fonder des présomptions quasi-irréfragables de défaut d'indépendance. Ainsi, par exemple, que penser « de l'arbitre qui a été désigné dans 51 affaires pour le groupe auquel appartient l'une des parties, la fréquence et la régularité de ces désignations ayant créé les conditions d'un courant d'affaires entre lui et cette partie »

263. A l'évidence, cet arbitre aurait dû révéler de tels liens ; en les dissimulant à l'autre partie,

il avait privé celle-ci de son droit de demander sa récusation, ce qui justifiait l'annulation de la sentence.

2-3. Mesures provisoires et conservatoires Certaines mesures provisoires et conservatoires peuvent s'avérer nécessaires, aussi bien avant la saisine des arbitres que pendant le cours de la procédure arbitrale

264. Ici, le juge (2-3-1) et l'arbitre

(2-3-2) ont une compétence concurrente mais cette concurrence est organisée de telle sorte que le juge n'empiète pas sur la compétence de l'arbitre sur le fond du litige. 2-3-1. Compétence du juge A titre préalable, il faut préciser qu'à l'instar de l'article IV(4) de la Convention de Genève de 1961, de l'article 9 de la loi-type de la CNUDCI ainsi que de nombreux règlements d'arbitrage

265, le droit

français considère que la saisine d'un juge étatique aux fins de mesures provisoires et conservatoires n'emporte pas renonciation à la convention d'arbitrage

266. Néanmoins, les parties peuvent renoncer à

cette faculté de saisir le juge étatique, soit directement et expressément, soit en se référant à un règlement d'arbitrage prévoyant une telle renonciation

267. En l'absence d'une telle renonciation, le

juge français peut intervenir, à condition d'être internationalement compétent268

. Mesures de référé classiques. Le juge français des référés peut être saisi aux conditions du droit commun, c'est-à-dire en cas d'urgence, pour prendre toutes les mesures provisoires qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse (art. 808 NCPC), ou pour ordonner les mesures conservatoires nécessaires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite (art. 809, al. 1 NCPC ou art. 873, al. 1 NCPC). Et ce, même si le tribunal arbitral est déjà saisi, dès lors que l'urgence est caractérisée

269. Cette compétence du juge des référés

et son maintien après la saisine des arbitres s'expliquent par le fait que les mesures visées aux

262

CA Paris, 17 févr. 2005, préc. ; dans le même sens, CA Paris, 2 avr. 2003, préc. 263

CA Paris, 2 avr. 2003, préc. 264

Sur l'ensemble de la question, v. M-A. Bahmaei, L'intervention du juge étatique des mesures provisoires et conservatoires en présence d'une convention d'arbitrage, Droit français, anglais et suisse, LGDJ, 2002 ; A. Reiner, « Les mesures provisoires et conservatoires et l'arbitrage international, notamment l'arbitrage CCI, JDI 1998.853 ; Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°1302 et s.

265V. not. Règl. CCI de 1998, art. 23(2) ; Règl. CNUDCI, art. 26(3).

266Plus généralement, une action à titre conservatoire n'a pas d'effet sur l'efficacité de la clause compromissoire : Cass. 1

re civ., 4 octobre 2005, n°03-18482, à paraître au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, qui décide que

« l'exercice, à titre conservatoire, d'une action en garantie devant la juridiction étatique ne caractérise pas une renonciation non équivoque à une convention d'arbitrage ».

267Notamment l'arbitrage CIRDI : Cass. 1

re civ., 18 nov. 1986, Rev. arb. 1987.315, note G. Flécheux ; JDI 1987.125,

note E. Gaillard ; Rev. crit. DIP 1987.760, note B. Audit. 268

Sur le fondement de l'article 24 de la Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968 (art. 31 du règlement (CE) 44/2001, dit Bruxelles I) : CJCE, 17 nov. 1998, Van Uden, Rev. arb. 1999.143, note H. Gaudement-Tallon ; JDI 1999.613, note A. Huet ; Rev. crit. DIP 1999.340 (1

re esp.), note J. Normand ; RTD com. 2000.340 (1

re esp.), obs. E. Loquin.

269Cass. 2

e civ., 1

er févr. 1989, Rev. arb. 1989.494 (1

re esp.), note G. Couchez ; pour la saisie conservatoire : Cass. 1

re

civ., 20 mars 1989, Rev. arb. 1989.653 (1re

esp.), JDI 1990.1004, note Ph. Ouakrat.

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articles 808 et 809, al. 1 (ou 873, al. 1) NCPC n'impliquent aucun examen du fond, et donc aucun empiètement sur les pouvoirs de l'arbitre. De la même façon, le juge des référés peut ordonner les mesures d'instruction in futurum de l'article 145 NCPC

270, nonobstant l'existence d'une convention

d'arbitrage. Ce sont ici aussi les conditions du droit commun qui s'appliquent : sans condition d'urgence, dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès au fond (en l'occurrence arbitral), la preuve de faits dont peut dépendre la solution du litige. Référé-provision. En revanche, en ce qui concerne le référé-provision de l'article 809, al. 2 NCPC (ou 873, al. 2 NCPC), celui-ci n'est admis, en présence d'une convention d'arbitrage, qu'à des conditions plus restrictives qu'en droit commun. En effet, ici, l'immixtion du juge dans le fond du litige est beaucoup plus probable car même si sa décision n'a d'autorité de chose jugée que provisoire et qu'elle ne préjudicie pas au principal, elle permet au créancier d'obtenir une provision, parfois égale au montant de sa créance, ce qui, en pratique, prive bien souvent l'instance au fond de tout intérêt. C'est ainsi que le référé-provision n'est possible, d'une part, qu'avant la saisine des arbitres

271 et, d'autre part, qu'en cas d'urgence caractérisée

272 – condition non prévue par le texte du

NCPC. 2-3-2. Compétence et pouvoirs de l'arbitre de prononcer des mesures provisoires et conservatoires La compétence des arbitres pour ordonner des mesures conservatoires et provisoires est largement admise

273, parfois expressément dans certaines législations

274 ou règlements d'arbitrage

275. Certaines

mesures sont toutefois exclues, dès lors qu'elles nécessitent un pouvoir de contrainte, dont l'arbitre est dépourvu. Il en va ainsi notamment des mesures portant sur l'exécution d'une sentence à intervenir, comme une saisie conservatoire frappant d'indisponibilité les biens sur lesquels la sentence pourrait être exécutée

276. En ce qui concerne les mesures que l'arbitre a le pouvoir

d'ordonner, leur efficacité peut être relativement limitée dès lors qu'aucun pouvoir de coercition ne lui permet d'imposer l'exécution forcée à une partie qui ne se conformerait pas à sa décision. Sans doute l'arbitre peut-il prononcer des astreintes

277, pour inciter les parties à respecter ses injonctions,

mais seul le juge étatique a le pouvoir d'ordonner l'exécution forcée et d'en assurer l'effectivité. Deux possibilités s'offrent par conséquent aux parties : soit elles préfèrent saisir directement le juge étatique, aux conditions vues précédemment ; soit elles tentent d'obtenir du juge étatique l'exequatur de la décision arbitrale ordonnant la mesure dont l'exécution forcée est souhaitée. Cette dernière possibilité soulève une difficulté importante, relative à la notion de sentence arbitrale. En effet, seule la sentence arbitrale est susceptible de recours, donc d'exequatur. Or, en principe, ne répond à la qualification de sentence que la décision tranchant de manière définitive tout ou partie du litige soumis aux arbitres

278, en sorte que la décision visant une mesure provisoire ou

270

Cass. 2e civ., 11 oct. 1995, Rev. arb. 1996.228 (3 arrêts), et les obs. de A. Hory, « Mesure d'instruction in futurum et

arbitrage », ibid.191. 271

Cass. 1re

civ., 6 mars 1990, Rev. arb. 1990.633, note H. Gaudemet-Tallon. 272

Cass. 1re

civ., 29 nov. 1989 et 6 mars 1990, Rev. arb. 1990.633, note H. Gaudemet-Tallon ; Cass. com. 29 juin 1999, Rev. arb

. 1999.817, note A. Hory. 273

V. J-F. Poudret, S. Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, Bruylant, 2002, n°606 et s. 274

Art. 17 de la loi-type de la CNUDCI. 275

Art. 23(1) Règl. CCI ; art. 25(1) Règl. LCIA ; art. 26(1) Règl. CNUDCI. 276

De telles mesures relèvent des prérogatives de l'Etat en matière d'exécution et sont donc exclues des pouvoirs de l'arbitre. De ce fait, la jurisprudence et la doctrine française ont sur ce point fait une distinction entre les mesures provisoires et les mesures conservatoires. Lorsque ces dernières sont opposables aux tiers et rendues de manière non contradictoire il a paru nécessaire de les exclure de la compétence des arbitres afin de les cantonner à la compétence exclusive des juridictions étatiques, l'arbitre ne pouvant échapper au principe du contradictoire et ne pouvant prononcer de décisions opposables à tiers à la convention d'arbitrage.

277CA Paris, 10 mars 1995, Rev. arb. 1996.143, note Y. Derains ; CA Paris, 7 oct. 2004, Rev. arb. 2005.737, note E. Jeuland ; JDI 2005.341, note A. Mourre et P. Pédone.

278V. par ex. CA Paris, 25 mars 1994, Rev. arb. 1994.391, note Ch. Jarrosson : « Seules peuvent faire l'objet d'un recours en annulation les véritables sentences arbitrales, c'est-à-dire les actes des arbitres qui tranchent de manière

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conservatoire relèverait plutôt de la catégorie des ordonnances de procédure, non susceptibles de recours

279. Toutefois, dans un arrêt du 7 octobre 2004

280, la cour de Paris a admis que les arbitres

pouvaient faire le choix de prendre des mesures provisoires ou conservatoires sous forme de sentence et que, dans un tel cas, si les parties ne s'étaient pas opposées à ce choix de procédure fait par le tribunal arbitral, la décision de celui-ci avait autorité de chose jugée et était susceptible d'un recours immédiat. Mesures ex parte – art. 17, Loi-type de la CNUDCI. Pour finir, il convient d'évoquer le projet de révision de l'article 17 de la loi-type de la CNUDCI. Intégré dans le chapitre 2, intitulé « compétence du tribunal arbitral », il prévoit, dans sa rédaction actuelle, que « sauf convention contraire des parties, le tribunal arbitral peut, à la demande d'une partie, ordonner toute partie de prendre toute mesure provisoire ou conservatoire qu'il juge nécessaire en ce qui concerne l'objet du différend. [...] ». Cette disposition est un fidèle reflet du droit français en la matière, plus généralement de la tendance actuelle en droit comparé et ce, d'autant que, comme il a été dit, la loi type admet la compétence concurrente du juge étatique (art. 9), tout en laissant le soin aux droits étatiques de préciser les modalités de l'intervention du juge. Consciente, d'une part, de l'importance que prennent les mesures provisoires et conservatoires dans le contentieux du commerce international et, d'autre part, de l'insuffisance de l'actuel article 17, la CNUDCI a entrepris, en 2000, de le réviser. La dernière session du groupe de travail compétente en matière d'arbitrage commercial international sur le sujet a eu lieu du 3 au 7 octobre 2005 à Vienne. Les changements proposés sont nombreux. Pour commencer, au lieu d'un paragraphe, le projet suggère la rédaction de trois articles, 17, 17 bis et 17 ter, composés chacun de plusieurs paragraphes. L'esprit général du nouveau texte est incontestablement de renforcer le pouvoir des arbitres d'ordonner des mesures provisoires, et de faciliter l'intervention des juridictions étatiques pour en assurer l'exécution. En substance, il s'articule de la façon suivante :

- l'article 17 est relatif au pouvoir d'un tribunal arbitral d'accorder des mesures provisoires ou conservatoires, avec comme principales modifications, une définition des mesures provisoires et conservatoires, et la possibilité pour l'arbitre d'octroyer des mesures provisoires ex parte ; - l'article 17 bis est relatif à la reconnaissance et à l'exécution des mesures provisoires ou conservatoires, qui prévoit que de telles mesures s'imposent en principe aux parties et que, si elles font l'objet d'une demande d'exécution devant une juridiction étatique, cette dernière ne pourra refuser de les reconnaître ou de les faire exécuter que dans certains cas précisément énumérés par l'article, et uniquement à la demande d'une partie ; - l'article 17 ter, enfin, est relatif aux mesures provisoires ou conservatoires ordonnées par les juridictions étatiques à l'appui d'un arbitrage.

Le point saillant et, au demeurant, le plus controversé, du projet, est incontestablement la faculté pour l'arbitre d'ordonner des mesures provisoires sur requête d'une partie, à l'issue d'une procédure non contradictoire, c'est à dire ex parte. La partie bénéficiaire de la mesure pourrait en outre solliciter d'un tribunal étatique qu'il lui confère force exécutoire au terme d'une procédure elle aussi ex parte. Ces dispositions ont donné lieu à d'importantes divergences au sein du groupe de travail.

définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur a été soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l'instance ; que les décisions qui ne répondent pas à ces critères, quelles que soient leurs dénominations, participent seulement de l'instruction du litige sans préjuger de son règlement ; qu'elles peuvent être modifiées après débat par les arbitres eux-mêmes et ne peuvent faire l'objet d'un recours distinct de celui exercé contre la sentence ».

279V. CA Paris, 25 mars 1994, préc. note précédente ; adde J. Ortscheidt, « L'exécution provisoire des sentences arbitrales », Rev. arb. 2004.9, spéc. n°15 et les réf. citées.

280CA Paris, 7 oct. 2004, préc.

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Les trois principales critiques dont elles ont fait l'objet sont les suivantes. D'une part, de telles décisions supposent le secret et la rapidité ; or, les décisions des arbitres nécessitent l'intervention du juge étatique, et quand bien même on pourrait se passer de son intervention, il serait plus rapide et efficace de s'adresser directement à lui. D'autre part, on a observé que la méconnaissance, exceptionnelle, du principe du contradictoire devant les juridictions étatiques, était le plus souvent compensée par le fait que le juge du provisoire n'est pas le même que le juge du principal et aussi par le fait que la décision de celui-ci était susceptible d'appel, deux éléments absents en matière d'arbitrage. Enfin, la possibilité d'octroyer de telles mesures conduirait nécessairement l'arbitre à discuter de l'affaire avec une partie, en dehors de la présence de l'autre, ce qui est critiquable aussi bien du point de vue du principe du contradictoire que du point de vue de l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre. Il est possible que, dans un souci de consensus, la CNUDCI prévoit la faculté pour les parties d'exclure conventionnellement les mesures ex parte. Il est également envisagé de traiter de ces mesures dans un paragraphe distinct, afin de faciliter l'adoption par les Etats de la Loi-type, avec ou sans cette disposition.

2-4. Protection de la procédure arbitrale contre les interférences Pour se terminer dans des délais raisonnables et afin d'éviter les manoeuvres dilatoires, la procédure arbitrale se prémunit contre les procédures ou décisions qui lui sont extérieures. Sous réserve des cas prévus par un règlement

281, la suspension des opérations d'arbitrage ne s'impose à l'arbitre que si

elle résulte d'une règle d'ordre public international. Ainsi en va-t-il du principe de la suspension des poursuites individuelles en matière de faillite, qui impose à l'arbitre de surseoir à statuer pendant le temps nécessaire à la déclaration de la créance

282 ; ce même principe interdit également la

constitution du tribunal arbitral, donc l'intervention du juge d'appui à cette fin, lorsque la faillite est ouverte avant que le tribunal n'ait été définitivement constitué

283. Dans les autres cas, la suspension

est facultative et laissée à la libre appréciation du tribunal arbitral ; deux exemples récents permettent d'illustrer cette étanchéité de la procédure arbitrale

284 : le caractère facultatif de la règle

“le criminel tient le civil en l'état” devant l'arbitre du commerce international (V. supra n°1-1-5) et le rejet des injonctions anti-arbitrage (V. supra n°1-3-1).

2-5. La responsabilité de l'arbitre Le 6 décembre 2005, la première chambre civile de la cour de cassation a décidé, au visa de l'article 1142 du Code civil, « qu’en laissant expirer le délai d’arbitrage sans demander sa prorogation au juge d’appui, à défaut d’accord des parties ou faute pour celles-ci de la solliciter, les arbitres, tenus à cet égard d’une obligation de résultat, ont commis une faute ayant entraîné l’annulation de la sentence, et ont engagé leur responsabilité »

285. La solution est sévère pour les arbitres mais elle

ne remet pas en cause le régime de leur responsabilité, marqué, d'une part, par une immunité pour mal jugé et, d'autre part, en dehors des aspects strictement juridictionnels de leur mission, par une responsabilité pour faute lourde ou intentionnelle

286, encore appelée faute personnelle, révélant une

« violation délibérée de [leurs] devoirs de juge ou une négligence caractérisée dans leur

281

V. not. l'article 30(4) Règl. CCI prévoyant une possible suspension pour non paiement de la provision pour frais. 282

Cass. 1re

civ., 8 mars 1988, Rev. arb. 1989.473, note P. Ancel ; 5 févr. 1991, Rev. arb. 625, note L. Idot. 283

Cass. com., 2 juin 2004, Rev. arb. 2004.591 (2e esp.), note P. Ancel (arbitrage interne).

284Auxquels on ajoutera les cas recensés par L. Lévy et A.-V. Schlaepfler, « La suspension d'instance dans l'arbitrage international », Les cahiers de l'arbitrage, Vol. I, Gaz. Pal., Paris, 2002, p. 132 et s., spéc. pp. 135-137.

285Cass. 1

re civ., 6 déc. 2005, Crts Juliet, D. 2006.274, note P-Y. Gautier ; RLDC 2006/26 (avril), note F-X. Train. V.

déjà, évoquant l'éventualité d'une telle responsabilité, TGI Paris, 29 nov. 1989, Rev. arb. 1990.525. 286

TGI Paris, 13 juin 1990 et CA Paris, 22 mai 1991, Rev. arb. 1996.476.

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accomplissement »287

. Engage ainsi sa responsabilité l'arbitre qui omet de révéler une circonstance de nature à faire douter de son indépendance

288 ; au titre de la faute lourde, l'arbitre qui

démissionnerait de façon intempestive289

; et, désormais, au titre d'une obligation de résultat, celui qui rend sa sentence hors délai sans avoir sollicité de prorogation.

287

Ph. Fouchard, « Le statut de l'arbitre dans la jurisprudence française », Rev. arb. 1996.325, n°64 et s., spéc. n°79 ; Th. Clay, L'arbitre, Dalloz 2001, n°565 et s. ; « De la responsabilité de l'arbitre », in E. Silva Romero, F. Mantilla Espinosa (dir.), El Contrato de Arbitraje, Legis, 2005, p. 543 et s.

288TGI Paris, 9 déc. 1992, Rev. arb. 1996.483 ; TGI Paris, 12 mai 1993, Rev. arb. 1996.411.

289Solution envisagée par TGI Paris, 15 févr. 1995, Rev. arb. 1996.503 (2

e esp.), note Ph. Fouchard.

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3 – Le contrôle de la sentence arbitrale Vers un contrôle de l'apparence de la régularité de la sentence arbitrale ? Depuis quelques années, le droit français de l'arbitrage international s'oriente résolument vers un contrôle plus restreint des sentences arbitrales. Non seulement celui-ci est-il limité dans son objet par la liste des griefs de l'article 1502 NCPC, ce qui n'est pas nouveau, mais encore, il est doublement limité dans sa mise en oeuvre : d'une part, quantitativement : comme il a été dit, un grand nombre de moyens dirigés contre les sentences sont déclarés irrecevables

290, ce qui conduit à une diminution non

négligeable du nombre de griefs examinés par les cours d'appel ; d'autre part, qualitativement : la prohibition de la révision au fond de la sentence affecte l'intensité du contrôle du juge étatique sur certains griefs, dans une mesure telle, que l'on peut se demander si ce n'est pas la nature même de ce contrôle qui s'en trouve affectée. En principe, « si la mission de la Cour d’appel saisie en vertu des articles 1502 et 1504 du nouveau Code de procédure civile est limitée à l’examen des vices énumérés par ces textes, aucune limitation n’est apportée au pouvoir de cette juridiction de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question »

291. Mais en pratique, ce pouvoir de la cour d'appel est

grignoté par l'interdiction qui lui est faite d'apprécier le bien fondé de la décision des arbitres sur le fond du litige

292. C'est à propos de la contrariété de la sentence à l'ordre public substantiel que les

controverses sont les plus vives, mais le mouvement semble bien être général : le contrôle en droit et en fait tendrait en fait ... et en droit vers un contrôle assez formel. Motivation de la sentence. C'est ainsi qu'a été abandonné, dans l'arbitrage interne et international, le contrôle de la contradiction de motifs, ce grief constituant « nécessairement une critique de la sentence au fond qui échappe au pouvoir du juge de l'annulation »

293. Jusqu'alors, il était admis en

raison de l'assimilation traditionnelle de la contradiction de motifs à une absence de motifs294

; seul le contrôle du bien fondé de la motivation était exclu

295. Il ne devrait donc plus rester aujourd'hui

que le contrôle de l'existence matérielle d'une motivation. Il est vrai qu'en matière d'arbitrage international, l'absence de motivation de la sentence ne figure pas parmi la liste des griefs ouvrant droit à annulation ; elle était néanmoins exigée par la jurisprudence, au titre du respect par l'arbitre de sa mission

296, si bien que l'on aurait pu voir dans le revirement de 1999 un simple retour à la

normale. Mais le fait que la même solution s'applique en matière interne, où la motivation de la sentence est au contraire expressément exigée à peine de nullité

297, suffit à démontrer que l'abandon

du contrôle de la contrariété de motifs procède de la logique même de la prohibition de la révision au fond dans le cadre du contrôle des sentences arbitrales. Amiable composition. De la même façon, on sait que l'arbitre amiable compositeur doit statuer en

290

V. supra n°14. 291

Cass. 1re

civ., 6 janv. 1987, SPP, préc. supra n°1. 292

V. not. Cass. 1re

civ., 23 févr. 1994, Multitrade, Rev. arb. 1994.683. 293

Cass. 1re

civ., 14 juin 2000, CA Paris, 16 nov. 2000, 28 juin 2001, Rev. arb. 2001.741, note H. Lécuyer. (arbitrage interne et international). La solution était acquise dans l'ordre international depuis Cass. 1

re civ., 11 mai 1999, Rev.

arb. 1999.811, note E. Gaillard. Dans l'ordre interne, adde par ex. Cass. 2e civ., 6 déc. 2001, Bull. civ. II, n°183, p.

128. V. I. Fadlallah, « Nouveau recul de la révision au fond... », Les cahiers de l'arbitrage, Gaz. Pal., 2002, p. 148 et s. ; A. Mourre, « Réflexions critiques sur la suppression du contrôle de la motivation des sentences arbitrales en droit français », Bull. ASA 2001, p. 634 et s.

294V. par ex. L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 4

e éd. 2004, n°918. La jurisprudence vérifiait ainsi, au

cas par cas, si les sentences critiquées de ce chef étaient ou non fondées sur des motifs contradictoires, v. en dernier lieu, CA Paris, 5 mars 1998, Rev. arb., 1999.86, note E. Gaillard.

295A fortiori l'est-il encore : Cass. 2

e civ., 31 janv. 2002, Bull. civ. II, n°9.

296Dans les cas où la procédure arbitrale était régie par une loi ou un règlement exigeant la motivation : v. par ex. CA Paris, 30 mars 1995, Rev. arb. 1996.131, obs. J. Pellerin. Sur cette jurisprudence, comp. I. Fadlallah, « Nouveau recul de la révision au fond... », préc. n°3 et s. et A. Mourre, « Réflexions critiques sur la suppression du contrôle de la motivation des sentences arbitrales en droit français », préc.

297Art. 1484-5° NCPC, renvoyant à l'article 1480, renvoyant à son tour notamment à l'article 1471, al. 2 du même code.

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équité ; il ne lui est certes pas interdit de se prononcer exclusivement par référence à des règles de droit mais, dans ce cas, il est tenu d'expliciter en quoi les solutions auxquelles il est parvenu sont conformes à l'équité, sous peine de voir sa sentence annulée

298. On a justement relevé que cette

solution était excessivement rigoureuse si elle devait conduire à l'annulation d'une sentence dans laquelle l'arbitre aurait simplement oublié d'insérer la mention « équitable »

299. Mais cette rigueur

pourrait bien être factice si elle n'était destinée qu'à cacher l'impuissance du juge à exercer un contrôle utile en la matière. Dès lors qu'il lui est interdit de vérifier la conformité de la sentence à l'équité – d'ailleurs, le pourrait-il ? – ou de porter une appréciation sur la cohérence, a fortiori sur la pertinence, de la motivation de la sentence, que peut-il faire sinon exiger une apparence d'équité et se contenter, faute de mieux, de vérifier que la sentence comporte des références formelles à celle-ci

300 ? Dans ces conditions, une sentence « équitable en la forme » mais qui ne le serait pas dans sa

substance n'encourrait pas l'annulation, et inversement. Ceci relève plus du formalisme que de la rigueur. La prohibition de la révision au fond conduit ainsi la jurisprudence vers un contrôle de l'apparence de la régularité de la sentence, ce qui peut susciter quelques inquiétudes au moment d'aborder l'ordre public. Ordre public. Une étude approfondie de la question du contrôle de la contrariété de la sentence à l'ordre public international substantiel dépasserait largement les limites du présent Rapport

301. Nous

nous limiterons à quelques observations dans le prolongement de ce qui précède. Aux termes de l'article 1502-5° NCPC, la sentence est annulée – ou l'exequatur ne lui est pas accordé – si sa reconnaissance ou son exécution sont contraires à l'ordre public international français, lequel s'entend des lois de police françaises (dont la source peut être supranationale, notamment communautaire) et des principes fondamentaux du droit français ; à titre d'exemple, le droit communautaire de la concurrence fait partie intégrante de l'ordre public international au sens de l'article 1502-5° NCPC. On peut d'abord relever un paradoxe : ce 5° vise le contrôle ultime, celui auquel l'Etat ne saurait renoncer et, dans le même temps, il est le seul des cinq paragraphes de l'article 1502 qui invite ouvertement le juge à un examen de la décision des arbitres au fond du litige

302. Le contrôle exercé risque donc de se heurter de plein fouet à la prohibition de la révision

298

V. Cass. 2e civ., 15 févr. 2001, Rev. arb. 2001.135, note E. Loquin ; Cass. 2e civ., 10 juil. 2003, Rev. arb. 2003.1361,

note J-G. Betto ; D. 2003.Somm.2474, obs. Th. Clay ; RTD com. 2004.252, obs. E. Loquin ; JCP 2004, I, n°119, n°4, obs. Ch. Séraglini.

299Ch. Séraglini, obs sous Cass. 2

e civ., 10 juil. 2003, préc.

300Comp. Ch. Séraglini, in Droit du commerce international, op. cit., n°2688. Cet auteur approuve un arrêt ultérieur de la cour de cassation (Cass. 2

e civ., 8 juil. 2004) qui atténue le formalisme excessif de la solution antérieure, en se

contentant du fait que la sentence « témoign[ait] de la recherche d'une solution conforme à l'équité » ; mais l'auteur remarque que cet arrêt pourrait bien inviter le juge à aller au-delà de l'apparence, où commence la révision au fond. Comp. E. Loquin, obs. préc., qui juge ce contrôle suffisant.

301Sur l'ensemble de la question, v. P. Mayer, « La sentence contraire à l'ordre public au fond », Rev. arb. 1994.615. V. la jurisprudence française en matière d'arbitrage interne et international : Cass. 1

re civ., 5 janv. 1999, 21 mars 2000 ;

Cass. 2e civ., 3 mai 2001 ; CA Paris, 15 févr. 1996, 16 avr. 1996, 20 avr. 2000, 15 juin 2000, 14 déc. 2000, 14 juin

2001, Rev. arb. 2001.805, note Y. Derains ; adde CA Paris, 14 juin 2001, Rev. arb. 2001.773, note Ch. Séraglini. Plus particulièrement, à propos de la conformité de la sentence internationale au droit communautaire de la concurrence (art. 81 CE), v. CJCE, 1

er juin 1999 (aff. C 126/97), Eco Swiss, Rev. arb. 1999.631, note L. Idot ; et v.

les vifs débats dans la doctrine française, suscités par CA Paris, 18 nov. 2004, Thalès, RTD com. 2005.263, obs. E. Loquin ; JDI 2005.357, note A. Mourre ; JCP 2005, II, 10039, note G. Chabot ; Journal of Int'l Arb, 2005.239, note D. Bensaude ; Revue Lamy Concurrence, 2005, n°2, p. 68, note E. Barbier de La Serre et C. Nourrissat ; Rev. dr. concurrence, 2005, n°1, p. 1, note C. Lucas de Leyssac ; Ch. Séraglini, « L'affaire Thalès et le non-usage immodéré de l'exception d'ordre public (ou les dérèglements de la déréglementation », Les cahiers de l'arbitrage, Gaz. Pal. 21-22 oct. 2005, p. 5 et s. ; L. G. Radicatti di Brozolo, « L'illicéité qui « crève les yeux » : critère du contrôle des sentences au regard de l'ordre public international », Rev. arb. 2005.529 ; adde D. Vidal (dir.), « L'arbitrage commercial et l'espace judiciaire européen », Actes du colloque de Nice, 20-21 janvier 2005, Revue des Affaires européennes – RAE/LEA, 2005/2, not. D. Vidal, p. 137 ; F-X. Train, p. 157 ; M. Béhar-Touchais, p. 177 ; A. Mourre, p. 191.

302En ce qu'il vise l'ordre public substantiel. Quant à l'ordre public procédural, tout aussi essentiel, il est également protégé au titre des 2° (égalité des parties dans la constitution du tribunal, indépendance de l'arbitre) et 4° (droits de

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au fond et de se limiter, lui aussi, à un contrôle de l'apparence, peu compatible avec la protection de l'ordre public. Le droit positif confirme cette première impression. Admettons, pour les besoins du raisonnement, qu'un contrat constitutif d'une entente prohibée au sens de l'article 81 CE est soumis à un tribunal arbitral. Si la sentence n'en prononce pas l'annulation, ou à tout le moins si elle ne le prive pas d'effet, elle devrait être annulée car on ne peut accepter l'insertion dans l'ordre juridique français d'un acte – la sentence – contraire à l'ordre public pour ne pas avoir neutralisé un autre acte – le contrat – lui même contraire à l'ordre public. L'illicéité du contrat s'étend par contagion à la sentence qui ne le condamne pas, à moins qu'elle ne le prive de tout effet. Si l'on admet ce point de départ, encore faut-il que la juridiction de contrôle ait les pouvoirs de constater la contrariété de la sentence à l'ordre public, pour pouvoir la sanctionner ; ceci dépend de l'étendue du contrôle qu'elle exerce. Dans un premier temps, la jurisprudence a suivi les directives de la cour de cassation

303. La cour

d'appel de Paris décidait que son contrôle devait porter « en droit et en fait sur tous les éléments permettant notamment de justifier l'application ou non de la règle d'ordre public international et dans l'affirmative d'apprécier, au regard de celle-ci, la licéité du contrat »

304. Il s'agissait donc pour

le juge de l'annulation de procéder lui-même à la qualification du contrat litigieux et de vérifier, le cas échéant, que les arbitres avaient fait une bonne application des dispositions d'ordre public. La cour de Paris révélait en outre les justifications profondes de la méthode employée : « [e]n décider autrement aboutirait à priver le contrôle du juge de toute efficacité et, partant, de sa raison d'être ». Dont acte. Au demeurant, cette approche était justifiée par l'admission de l'arbitrabilité des matières d'ordre public

305, qui s'accompagne nécessairement de l'obligation faite aux arbitres de

respecter et de faire respecter l'ordre public, sous le contrôle du juge306

. Si celui-ci devait ne pas être effectif, en effet, on se trouverait confronté à une alternative bien embarrassante : soit l'Etat renoncerait à une protection efficace de l'ordre public, soit l'on reviendrait à l'inarbitrabilité des matières d'ordre public... Pourtant, l'arrêt de la cour d'appel de Paris évoqué ci-dessus est resté isolé

307, et le contrôle qu'il préconisait est aujourd'hui qualifié de « maximaliste », par opposition au

contrôle actuel, dit « minimaliste ». Désormais, si la cour d'appel de Paris affirme que la finalité du contrôle qu'elle exerce est de « vérifier d'une part que l'arbitre n'a pas fait produire effet à un contrat contraire aux dispositions d'ordre public [...] et d'autre part que, en statuant comme il l'a fait, il n'a pas violé l'une des règles d'ordre public »

308, elle énonce, dans le même temps, que ce contrôle, « exclusif de tout pouvoir de

révision au fond de la décision arbitrale, doit porter non sur la qualification que les arbitres ont donnée de la convention liant les parties, même s'il est prétendu que celle-ci est régie par des dispositions d'ordre public »

309, ni « sur l'appréciation que les arbitres ont faite des droits des

parties au regard des dispositions d'ordre public invoquées »310

, mais qu'il doit porter seulement « sur la solution donnée au litige, l'annulation de la sentence n'étant encourue que si son exécution heurte la conception française de l'ordre public international », à condition que cette violation de l'ordre public soit en outre « flagrante, effective et concrète »

311. Le juge tient ainsi pour acquis les

la défense). V. par ex. I. Fadlallah, « Nouveau recul de la révision au fond... », préc., n°7 : « Si l'on examine les conditions de l'exequatur, [...] l'on vérifie que seule la condition relative à l'ordre public substantiel intéresse le contenu de la sentence. » ; Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, op. cit., n°1634 : « On n'insistera jamais assez sur le fait que le droit français de l'arbitrage ne prévoit aucun contrôle de la manière dont les arbitres statuent au fond, sous la seule réserve du respect des exigences de la conception française de l'ordre public international. »

303Cass. 1

re civ., 6 janv. 1987, SPP, préc. supra n°1.

304CA Paris, 30 sept. 1993, Sté European Gas Turbine c/ Sté Westman, Rev. arb. 1994.359, note D. Bureau ; Rev. crit. DIP, 1994.343, note V. Heuzé ; RTD com. 1994.703, obs. E. Loquin.

305V. CA Paris, 29 mars 1991, Ganz, et 19 mai 1993, Labinal, préc. supra n°1.

306V. E. Loquin, “Les illusions perdues du contrôle de l'arbitrabilité du litige international”, Etudes offertes à Jacques Normand – Justice et droits fondamentaux, Litec 2004, p. 339 et s.

307V. cependant CA Paris, 7 sept. 1999, Rev. arb. 2001.583 (2

e esp.), note J-B. Racine.

308CA Paris, 16 avr. 1996, Rev. arb. 2001.805, préc. (5

e esp.).

309CA Paris, 14 déc. 2000, Rev. arb. 2001.805, préc. (8

e esp.).

310V. not. CA Paris, 14 juin 2001, Rev. arb. 2001.805, préc. (9

e esp.).

311V. par ex. CA Paris, 18 nov. 2004, Thalès, préc. Sur le sens de ces trois termes, v. Y. Derains, obs. Rev. arb. 2001,

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éléments de fait et de droit retenus par les arbitres, ne contrôle pas la qualification qu'ils ont retenue – quand bien même celle-ci déterminerait l'applicabilité des dispositions d'ordre public, et ne vérifie pas non plus, le cas échéant, que les arbitres ont fait une bonne application de ces dispositions. Dans ces conditions, il paraît difficile de vérifier qu'ils n'ont pas fait produire d'effet à un contrat illicite ou qu'ils n'ont pas méconnu une règle d'ordre public en rendant leur décision. Par suite, seule la sentence qui, dans son résultat, produit des conséquences contraires à l'ordre public international encourt l'annulation

312. Or le plus souvent les sentences arbitrales prononcent des condamnations de

sommes d'argent, qui, en elles-mêmes, ne sont pas contraires à l'ordre public ... sauf à imaginer qu'elles soient assorties d'un taux d'intérêt usuraire... Ainsi limité, le contrôle étatique est bien « un contrôle de l'apparence de la conformité de la sentence à l'ordre public »

313 : si les arbitres se sont prononcés sur la contrariété du contrat à l'ordre

public, le juge ne peut que se fier à leur jugement, sous peine de révision au fond ; et si les arbitres ne se sont pas prononcés, le juge ne peut pas le faire non plus, sous peine également de révision au fond, comme l'a affirmé on ne peut plus clairement la cour de Paris dans son arrêt Thalès du 18 novembre 2004, relatif à une sentence dont il était allégué qu'elle était contraire à l'article 81 CE : « le juge de l'annulation ne saurait, sous peine de remettre en cause le caractère final de la détermination des arbitres sur le fond du procès, la violation alléguée d'une loi de police n'autorisant aucune atteinte à la règle procédurale de l'interdiction d'une révision au fond, effectuer en l'absence de fraude ou [...] de violation manifeste, un examen de l'application des règles de la concurrence au contrat litigieux »

314. La réserve de la « violation manifeste » confirme,

s'il en était besoin, que le juge n'exerce qu'un contrôle de l'apparence. Pourtant tout débat de fond et toute révision de la sentence ne sont pas exclus devant le juge de l'annulation. Certains griefs de l'article 1502 NCPC permettent « un contrôle extrinsèque de la sentence »

315, tel celui de la régularité de la procédure sur le fondement des 2° et 4° de l'article

1502, qui ne nécessite aucune appréciation de la décision des arbitres, mais seulement une vérification, le cas échéant très minutieuse, du respect des garanties procédurales. Ici, la cour d'appel ne refuse pas le « débat de fond » lorsqu'il est nécessaire, notamment pour s'assurer de l'indépendance de l'arbitre, question fort complexe mêlée d'éléments de droit et d'éléments de fait – matériels et psychologiques. Ici, le débat de fond est admis parce qu'il ne touche pas au contenu de la sentence. D'autres contrôles, comme celui de la compétence de l'arbitre (art. 1502-1° et 3° NCPC), ne sont pas « extrinsèques »

316 et peuvent néanmoins donner lieu à un débat de fond approfondi

317. Par

préc., spéc. p. 817.

312Dans le même sens, dans la jurisprudence récente, v. par ex. Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005, Omenex, préc. Dans son

pourvoi, la société Omenex reprochait notamment à la cour d'appel de Paris d'avoir violé l'article 1502-5° NCPC pour ne pas avoir vérifié la conformité de la sentence à l'ordre public, alors qu'elle invoquait la violation par les arbitres de l'article L. 134-4 du Code de commerce, disposition d'ordre public international relative à l'obligation de loyauté et d'information pesant sur l'agent commercial. La cour de cassation rejette ce moyen au motif « que, sous couvert de violation de l'ordre public international non fondé en l'espèce, le grief [...] ne tend, comme l'a justement relevé la cour d'appel, qu'à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l'annulation ». V. aussi CA Paris, 1

re Ch.-C, 24 nov. 2005, Sté BVBA Interstyle Belgium c/ Sté CAT et Co, No Rép. Gal 04/19144, inédit : pour

rejeter le moyen d'annulation de la sentence arbitrale CCI n°12045 du 4 mars 2003, tiré de ce que les arbitres avaient, en violation de la Convention de Rome du 19 juin 1980, écarté la loi belge du 13 avril 1995 sur les contrats d'agence commerciale laquelle met en place un régime de protection des agents commerciaux et dont les dispositions sont d'ordre public international, notamment celles de son article 26 relatif à la prescription, la cour de Paris énonce « que la détermination et la mise en oeuvre de la règle de droit par l'arbitre pour le fond du litige échappe au contrôle du juge de l'annulation, que les critiques faites à la sentence par la société BVBA Interstyle Belgium touchent au fond de la solution atteinte par l'arbitre, ce qui échappe encore au contrôle au juge de l'annulation, sans démontrer, autrement une quelconque contrariété à l'ordre public international ».

313E. Loquin, note sous Cass. 1

re civ., 3 juin 1998, Rev. arb. 1999.71, spéc. p. 76.

314CA Paris, 18 nov. 2004, Thalès, préc.

315I. Fadlallah, « Nouveau recul de la révision au fond... », préc., n°7.

316Comp. I. Fadlallah, préc., loc cit.

317V. par ex. CA Paris, 12 juil. 1984, Rev. arb. 1986.75 ; JDI 1985.129, note B. Goldman.

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exemple, pour apprécier la portée ratione personae de la clause compromissoire, le juge étatique doit vérifier que le non-signataire, d'une part, a participé à la conclusion ou à l'exécution du contrat, d'autre part, qu'il avait connaissance de la clause

318 : débat de fond s'il en est. A cette fin, il peut

s'appuyer sur les constatations de fait des arbitres mais il procède lui-même à une application du droit aux faits, et censure la sentence s'il ne parvient pas au même résultat qu'eux ; il y a bien ici révision de la sentence, c'est-à-dire annulation (ou refus d'exequatur) au seul motif que la solution retenue par la décision contrôlée n'est pas la même que celle retenue par l'auteur du contrôle

319. Ici,

la révision est admise parce qu'elle ne porte pas sur le fond du litige mais sur la compétence, à moins que ce ne soit parce que le contrôle ainsi exercé garantit le respect de la volonté des parties à la convention d'arbitrage. Le contrôle de la compétence de l'arbitre est, en contre-point, celui du dessaisissement des juridictions étatiques, sa réalité (existence de la convention d'arbitrage), son étendue (portée de la convention d'arbitrage) et sa licéité, qui relève de l'ordre public (arbitrabilité). Ce contrôle est essentiel car il a trait aux conditions et aux limites dans lesquelles l'Etat accepte que les litiges soient soustraits à la connaissance de ses juridictions pour être définitivement réglés par la voie de l'arbitrage. Il y a toutefois des degrés : les causes inarbitrables sont réservées aux juridictions de l'Etat parce que ce dernier considère, à tort ou à raison, que c'est le seul moyen de garantir les intérêts protégés par la loi ; ceci est sans doute plus important que, par exemple, la question de la portée de la clause compromissoire dans un groupe de contrats, qui met en cause des intérêts essentiellement privés. Pourtant dans les deux cas le juge de l'annulation opère un contrôle plein. Dès lors, au regard des intérêts en présence, la défense de l'ordre public international substantiel, à tout le moins de l'ordre public de direction, mériterait un contrôle poussé. Mais quoi qu'on en dise, et même si l'on adoptait un système tendant à ne sanctionner que les atteintes les plus graves à l'ordre public

320, cela supposerait que la cour d'appel ouvre ou ré-ouvre, selon le cas, le débat de

fond relatif à la conformité du contrat litigieux aux dispositions d'ordre public. Outre le fait que ce serait une révision au fond, cela provoquerait, en droit de la concurrence notamment, eu égard à la complexité de la matière, un accroissement considérable de la charge de travail des cours d'appel et, corrélativement, un allongement des délais de recours. Le recours contre la sentence ou l'ordonnance d'exequatur étant suspensif

321, on mesure tout l'enjeu qui est attaché au contrôle plein

de la conformité de la sentence à l'ordre public. Le droit français semble actuellement dans une impasse : la révision au fond est exclue alors qu'elle est la seule à permettre une protection efficace de l'ordre public substantiel. En l'état du droit positif, l'interdiction de la révision prévaut mais le débat reste ouvert, en doctrine et en jurisprudence, comme le montre un arrêt récent de la chambre commerciale de la cour de cassation, dont les termes attestent que la cour d'appel saisie du recours en annulation avait exercé un contrôle plein de la contrariété de la sentence au droit de la concurrence

322.

318

Ce sont les conditions de l'extension de la clause compromissoire à un non-signataire, v. not. CA Paris, 7 déc. 1994, Jaguar, préc. supra n°1.

319Pour un exemple récent d'annulation d'une sentence qui avait retenu, à tort selon le juge étatique, l'extension de la clause compromissoire à un second contrat entre les mêmes parties, v. CA Paris, 22 mai 2003, JCP 2004, I, n°119, p. 502, obs. Ch. Séraglini ; Rev. arb. 2003.1252 (2

e esp.), note F-X. Train.

320V. Ch. Séraglini, « L'affaire Thalès... », préc., n°32 et s.

321Sous réserve de l'exécution provisoire de la sentence, qui peut être ordonnée par l'arbitre ou par le juge, v. J. Ortscheidt, « L'exécution provisoire des sentences arbitrales », Rev. arb. 2004.9.

322Cass. com., 17 janv. 2006, n°03-12382, à paraître au Bulletin. Le demandeur à l'annulation, franchisé, reprochait aux arbitres d'avoir validé une clause de non-réaffiliation insérée dans le contrat de franchise, dont il prétendait qu'elle était contraire à l’article 3,§1 du règlement (CE) n° 4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988. La cour d'appel de Caen avait rejeté le recours en annulation, et la chambre commerciale de la cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes : « attendu que l’article 3, paragraphe 1 c) du règlement CE n° 4087/88 de la Commission des communautés européennes concernant l’application de l’article 85, paragraphe 3, devenu l’article 81 du Traité, à des catégories d’accord de franchise permet d’imposer au franchisé l’obligation de ne pas exercer, directement ou indirectement, une activité commerciale similaire dans un territoire où il concurrencerait un membre du réseau franchisé, y compris le franchiseur, dans la mesure où cette obligation est nécessaire pour protéger des droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur ou pour maintenir l’identité commune ou la réputation du

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réseau franchisé ; qu’ayant retenu que la clause de non-réaffiliation n’interdisait pas la poursuite d’une activité commerciale identique et se trouvait limitée dans le temps et dans l’espace, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a constaté que la décision arbitrale était motivée, a retenu que cette clause ne violait aucune règle d’ordre public et a rejeté le recours en annulation » (arbitrage interne). Comp. les motifs de Cass. 1

re civ., 25 oct. 2005,

Omenex, et ceux de CA Paris, 24 nov. 2005, Sté BVBA, reproduits supra en note.