Notre-Dame de Paris

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 Lacc lamatio n fut una nime. On se pré cipita ver s la cha pel le. On en fit sor tir en tri omphe le  bienheureux pape des fous. Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble. La grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne était une grimace. [! "e l était le pape que les fous venaient de se donner. On e#t dit un géant brisé et mal ressoudé. $uand cet esp%ce de c&clope parut sur le seuil de la chapelle' immobile' trapu' et presque aussi large que haut' carré par la base' comme dit un grand homme' à son surtout  mi(parti rouge et violet' semé de campanilles d’argent' et surtout à la perfection de sa laideur' la populace le reconnut sur(le(champ' et s’écria d’une voix ) *’est $uasimodo' le sonneur de cloches + c’est $uasimodo' le bossu de ,otre(-ame + $uasimodo le  borgne + $uasimodo le banca l + ,ol + ,ol + [! *ependant tous les mendiants' tous les laquais' tous les coupe(bourses' réunis aux écoliers' avaient été chercher processionnellement' dans l’armoire de la basoche' la tiare de carton et la simarre dérisoire du  pape des fous. $uasimodo s’en laissa rev/tir sans sourciller et avec u ne sorte de docilité orgueilleuse. 0uis on le fit asseoir sur un brancard bariolé. -ou1e officiers de la confrérie des fous l’enlev%rent sur leurs épaules 2 et une esp%ce de 3oie am%re et dédaigneuse vint s’épanouir sur la face morose du c&clope' quand il vit sous ses pieds difformes toutes ces t/tes d’hommes beaux' droits et bien faits. 0uis la procession hurlante et déguenillée se mit en marche pour faire' selon l’usage' la tournée intérieure des galeries du 0alais' avant la  promenade des rues et des carrefours. 45i ctor 6ugo  Notre-Dame de Paris 47897:' éd. ;allimard' <olio classique' =>>=' p88(?7.: @@@ Le champ était désormais libre à toute folie. Al nB& avait plus que des flamands et de la canaille.  Les grimaces commenc%rent. La premi%re figure qui apparut à la lucarne' avec des paupi%res retournées au rouge' une bouche ouverte en gueule et un front plissé comme nos bottes à la hussarde de lBempire' fit éclater un rire tellement inextinguible quB6om%re e#t pris tous ces manants pour des dieux. *ependant la grandBsalle nBétait rien moins quBun Ol&mpe' et le pauvre Cupiter de ;ringoire le savait mieux que personne. Dne seconde' une troisi%me grimace succéd%rent' puis une autre' puis une autre' et tou3ours les rires et les trépignements de 3oie redoublaient. Al & avait dans ce spectacle 3e ne sais quel vertige particulier' 3e ne sais quelle puissance dBenivrement et de fascination dont il serait difficile de donner une idée au lecteur de nos  3ours et de nos salons. $uBon se figure une série de visages présentant successivement toutes les formes géométriqu es' depuis le triangle 3usquBau trap%1e' depuis le cône 3usquBau pol&% dre 2 toutes les expres sions humaines' depuis la col%re 3usquBà la luxure 2 tous les Eges' depuis les rides du nouveau(né 3usquBaux rides de la vieille moribonde 2 toutes les fantasmagories religieuses' depuis <aune 3usquBà Fel1ébuth 2 tous les profils animaux' depuis la gueule 3usquBau bec' depuis la hure 3usqu’au museau. $uBon se représente tous les mascarons du 0ont(,euf' ces cauchemars pétrifiés sous la main de ;ermain 0ilon' prenant vie et souffle' et venant tour à tour vous regarder en face avec des &eux ardents 2 tous les masques du carnaval de 5enise se succédant à votre lorgnette 2 en un mot' un Galéidoscope humain.  LBorgie devenait de plus en plus flamande. "e niers nBen donnerait quBune bien imparfaite idée. $uBon se figure en bacchanale la bataille de Halvator Iosa. Al nB& avait plus ni écoliers' ni ambassadeurs' ni bourgeois' ni hommes' ni femmes 2 plus de *lopin "rouillefou' de ;illes Lecornu' de Marie $uatrelivres' de Iobin 0oussepain. "out sBeffaJait dans la licence commune. La grandBsalle nBétait plus quBune vaste fournaise dBeffronterie et de 3ovialité oK chaque bouche était un cri' chaque oeil un éclair' chaque face une grimace' chaque individu une posture. Le tout criait et hurlait. Les visages étranges qui venaient tour à tour grincer des dents à la rosace étaient comme autant de brandons 3etés dans le brasier. t de toute cette foule effervescente sBéchappait' comme la vapeur de la fournaise' une rumeur aigre' aigu' acérée' sifflante comme les ailes dBun moucheron. ( 6ohée + malédiction + ( 5ois donc cette figure + ( lle ne vaut rien. ( Dne autre + ( ;uillemette Maugerepuis' regarde donc ce mufle de taureau' il ne lui manque que des cornes. *e nBest pas ton mari ( Dne autre + ( 5e ntre du pape + quBest(ce que cette grimace(là ( 6olàhée + cBest tricher. On ne doit montrer que son visage. ( *ette damnée 0errette *allebotte + elle est capable de cela. ( ,ol + ,ol + ( CBétouffe +

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Transcript of Notre-Dame de Paris

Lacclamation fut unanime. On se prcipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais cest alors que la surprise et ladmiration furent leur comble. La grimace tait son visage. Ou plutt toute sa personne tait une grimace. []

Tel tait le pape que les fous venaient de se donner.

On et dit un gant bris et mal ressoud.

Quand cet espce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carr par la base, comme dit un grand homme, son surtout mi-parti rouge et violet, sem de campanilles dargent, et surtout la perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et scria dune voix:

Cest Quasimodo, le sonneur de cloches! cest Quasimodo, le bossu de Notre-Dame! Quasimodo le borgne! Quasimodo le bancal! Nol! Nol! []

Cependant tous les mendiants, tous les laquais, tous les coupe-bourses, runis aux coliers, avaient t chercher processionnellement, dans larmoire de la basoche, la tiare de carton et la simarre drisoire du pape des fous. Quasimodo sen laissa revtir sans sourciller et avec une sorte de docilit orgueilleuse. Puis on le fit asseoir sur un brancard bariol. Douze officiers de la confrrie des fous lenlevrent sur leurs paules; et une espce de joie amre et ddaigneuse vint spanouir sur la face morose du cyclope, quand il vit sous ses pieds difformes toutes ces ttes dhommes beaux, droits et bien faits. Puis la procession hurlante et dguenille se mit en marche pour faire, selon lusage, la tourne intrieure des galeries du Palais, avant la promenade des rues et des carrefours. (Victor Hugo Notre-Dame de Paris (1831), d. Gallimard, Folio classique, 2002, p88-91.)

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Le champ tait dsormais libre toute folie. Il n'y avait plus que des flamands et de la canaille. Les grimaces commencrent. La premire figure qui apparut la lucarne, avec des paupires retournes au rouge, une bouche ouverte en gueule et un front pliss comme nos bottes la hussarde de l'empire, fit clater un rire tellement inextinguible qu'Homre et pris tous ces manants pour des dieux. Cependant la grand'salle n'tait rien moins qu'un Olympe, et le pauvre Jupiter de Gringoire le savait mieux que personne. Une seconde, une troisime grimace succdrent, puis une autre, puis une autre, et toujours les rires et les trpignements de joie redoublaient. Il y avait dans ce spectacle je ne sais quel vertige particulier, je ne sais quelle puissance d'enivrement et de fascination dont il serait difficile de donner une ide au lecteur de nos jours et de nos salons. Qu'on se figure une srie de visages prsentant successivement toutes les formes gomtriques, depuis le triangle jusqu'au trapze, depuis le cne jusqu'au polydre; toutes les expressions humaines, depuis la colre jusqu' la luxure; tous les ges, depuis les rides du nouveau-n jusqu'aux rides de la vieille moribonde; toutes les fantasmagories religieuses, depuis Faune jusqu' Belzbuth; tous les profils animaux, depuis la gueule jusqu'au bec, depuis la hure jusquau museau. Qu'on se reprsente tous les mascarons du Pont-Neuf, ces cauchemars ptrifis sous la main de Germain Pilon, prenant vie et souffle, et venant tour tour vous regarder en face avec des yeux ardents; tous les masques du carnaval de Venise se succdant votre lorgnette; en un mot, un kalidoscope humain.

L'orgie devenait de plus en plus flamande. Teniers n'en donnerait qu'une bien imparfaite ide. Qu'on se figure en bacchanale la bataille de Salvator Rosa. Il n'y avait plus ni coliers, ni ambassadeurs, ni bourgeois, ni hommes, ni femmes; plus de Clopin Trouillefou, de Gilles Lecornu, de Marie Quatrelivres, de Robin Poussepain. Tout s'effaait dans la licence commune. La grand'salle n'tait plus qu'une vaste fournaise d'effronterie et de jovialit o chaque bouche tait un cri, chaque oeil un clair, chaque face une grimace, chaque individu une posture. Le tout criait et hurlait. Les visages tranges qui venaient tour tour grincer des dents la rosace taient comme autant de brandons jets dans le brasier. Et de toute cette foule effervescente s'chappait, comme la vapeur de la fournaise, une rumeur aigre, aigu, acre, sifflante comme les ailes d'un moucheron.

- Hohe! maldiction!- Vois donc cette figure!- Elle ne vaut rien.- Une autre!- Guillemette Maugerepuis, regarde donc ce mufle de taureau, il ne lui manque que des cornes. Ce n'est pas ton mari?

- Une autre!- Ventre du pape! qu'est-ce que cette grimace-l?- Holhe! c'est tricher. On ne doit montrer que son visage.- Cette damne Perrette Callebotte! elle est capable de cela.- Nol! Nol!- J'touffe!- En voil un dont les oreilles ne peuvent passer!Etc., etc.

Il fallut que Gringoire se contentt de cet loge, car un tonnerre d'applaudissements, ml une prodigieuse acclamation, vint couper court leur conversation. Le pape des fous tait lu.- Nol! Nol! Nol! criait le peuple de toutes parts.

C'tait une merveilleuse grimace, en effet, que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Aprs toutes les figures pentagones, hexagones et htroclites qui s'taient succd cette lucarne sans raliser cet idal du grotesque qui s'tait construit dans les imaginations exaltes par l'orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever les suffrages, que la grimace sublime qui venait d'blouir l'assemble. Matre Coppenole lui-mme applaudit; et Clopin Trouillefou, qui avait concouru, et Dieu sait quelle intensit de laideur son visage pouvait atteindre, s'avoua vaincu. Nous ferons de mme. Nous n'essaierons pas de donner au lecteur une ide de ce nez ttradre, de cette bouche en fer cheval, de ce petit oeil gauche obstru d'un sourcil roux en broussailles tandis que l'il droit disparaissait entirement sous une norme verrue, de ces dents dsordonnes, brches et l, comme les crneaux d'une forteresse, de cette lvre calleuse sur laquelle une de ces dents empitait comme la dfense d'un lphant, de ce menton fourchu, et surtout de la physionomie rpandue sur tout cela, de ce mlange de malice, d'tonnement et de tristesse.***

Si l'on rsume ce que nous avons indiqu jusqu'ici trs sommairement en ngligeant mille preuves et aussi mille objections de dtail, on est amen ceci: que l'architecture a t jusqu'au quinzime sicle le registre principal de l'humanit, que dans cet intervalle il n'est pas apparu dans le monde une pense un peu complique qui ne se soit faite difice, que toute ide populaire comme toute loi religieuse a eu ses monuments; que le genre humain enfin n'a rien pens d'important qu'il ne l'ait crit en pierre. Et pourquoi? C'est que toute pense, soit religieuse, soit philosophique, est intresse se perptuer, c'est que l'ide qui a remu une gnration veut en remuer d'autres, et laisser trace. Or quelle immortalit prcaire que celle du manuscrit! Qu'un difice est un livre bien autrement solide, durable, et rsistant! Pour dtruire la parole crite il suffit d'une torche et d'un turc. Pour dmolir la parole construite, il faut une rvolution sociale, une rvolution terrestre. Les barbares ont pass sur le Colise, le dluge peut-tre sur les Pyramides.

Au quinzime sicle tout change.

La pense humaine dcouvre un moyen de se perptuer non seulement plus durable et plus rsistant que l'architecture, mais encore plus simple et plus facile. L'architecture est dtrne. Aux lettres de pierre d'Orphe vont succder les lettres de plomb de Gutenberg.

Le livre va tuer l'difice.L'invention de l'imprimerie est le plus grand vnement de l'histoire. C'est la rvolution mre. C'est le mode d'expression de l'humanit qui se renouvelle totalement, c'est la pense humaine qui dpouille une forme et en revt une autre, c'est le complet et dfinitif changement de peau de ce serpent symbolique qui, depuis Adam, reprsente l'intelligence.

Sous la forme imprimerie, la pense est plus imprissable que jamais; elle est volatile, insaisissable, indestructible. Elle se mle l'air. Du temps de l'architecture, elle se faisait montagne et s'emparait puissamment d'un sicle et d'un lieu. Maintenant elle se fait troupe d'oiseaux, s'parpille aux quatre vents, et occupe la fois tous les points de l'air et de l'espace.

Nous le rptons, qui ne voit que de cette faon elle est bien plus indlbile? De solide qu'elle tait elle devient vivace. Elle passe de la dure l'immortalit. On peut dmolir une masse, comment extirper l'ubiquit? Vienne un dluge, la montagne aura disparu depuis longtemps sous les flots que les oiseaux voleront encore; et, qu'une seule arche flotte la surface du cataclysme, ils s'y poseront, surnageront avec elle, assisteront avec elle la dcrue des eaux, et le nouveau monde qui sortira de ce chaos verra en s'veillant planer au-dessus de lui, aile et vivante, la pense du monde englouti.

Et quand on observe que ce mode d'expression est non seulement le plus conservateur, mais encore le plus simple, le plus commode, le plus praticable tous, lorsqu'on songe qu'il ne trane pas un gros bagage et ne remue pas un lourd attirail, quand on compare la pense oblige pour se traduire en un difice de mettre en mouvement quatre ou cinq autres arts et des tonnes d'or, toute une montagne de pierres, toute une fort de charpentes, tout un peuple d'ouvriers, quand on la compare la pense qui se fait livre, et qui il suffit d'un peu de papier, d'un peu d'encre et d'une plume, comment s'tonner que l'intelligence humaine ait quitt l'architecture pour l'imprimerie? Coupez brusquement le lit primitif d'un fleuve d'un canal creus au-dessous de son niveau, le fleuve dsertera son lit.

Aussi voyez comme partir de la dcouverte de l'imprimerie l'architecture se dessche peu peu, s'atrophie et se dnude.***

Le pauvre pote jeta les yeux autour de lui. Il tait en effet dans cette redoutable Cour des Miracles, o jamais honnte homme n'avait pntr pareille heure; cercle magique o les officiers du Chtelet et les sergents de la prvt qui s'y aventuraient disparaissaient en miettes; cit des voleurs, hideuse verrue la face de Paris; gout d'o s'chappait chaque matin, et o revenait croupir chaque nuit ce ruisseau de vices, de mendicit et de vagabondage toujours dbord dans les rues des capitales; ruche monstrueuse o rentraient le soir avec leur butin tous les frelons de l'ordre social; hpital menteur o le bohmien, le moine dfroqu, l'colier perdu, les vauriens de toutes les nations, espagnols, italiens, allemands, de toutes les religions, juifs, chrtiens, mahomtans, idoltres, couverts de plaies fardes, mendiants le jour, se transfiguraient la nuit en brigands; immense vestiaire, en un mot, o s'habillaient et se dshabillaient cette poque tous les acteurs de cette comdie ternelle que le vol, la prostitution et le meurtre jouent sur le pav de Paris.

C'tait une vaste place, irrgulire et mal pave, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes tranges, y brillaient et l. Tout cela allait, venait, criait. On entendait des rires aigus, des vagissements d'enfants, des voix de femmes. Les mains, les ttes de cette foule, noires sur le fond lumineux, y dcoupaient mille gestes bizarres. Par moments, sur le sol, o tremblait la clart des feux, mle de grandes ombres indfinies, on pouvait voir passer un chien qui ressemblait un homme, un homme qui ressemblait un chien. Les limites des races et des espces semblaient s'effacer dans cette cit comme dans un pandmonium. Hommes, femmes, btes, ge, sexe, sant, maladie, tout semblait tre en commun parmi ce peuple; tout allait ensemble, ml, confondu, superpos; chacun y participait de tout.

Le rayonnement chancelant et pauvre des feux permettait Gringoire de distinguer, travers son trouble, tout l'entour de l'immense place, un hideux encadrement de vieilles maisons dont les faades vermoulues, ratatines, rabougries, perces chacune d'une ou deux lucarnes claires, lui semblaient dans l'ombre d'normes ttes de vieilles femmes, ranges en cercle, monstrueuses et rechignes, qui regardaient le sabbat en clignant des yeux.

C'tait comme un nouveau monde, inconnu, inou, difforme, reptile, fourmillant, fantastique.

***

Personne n'avait encore remarqu, dans la galerie des statues des rois, sculpts immdiatement au-dessus des ogives du portail, un spectateur trange qui avait tout examin jusqu'alors avec une telle impassibilit, avec un cou si tendu, avec un visage si difforme, que, sans son accoutrement mi-parti rouge et violet, on et pu le prendre pour un de ces monstres de pierre par la gueule desquels se dgorgent depuis six cents ans les longues gouttires de la cathdrale. Ce spectateur n'avait rien perdu de ce qui s'tait pari depuis midi devant le portail de Notre-Dame. Et ds les premiers instants, sans que personne songet l'observer, il avait fortement attach l'une des colonnettes de la galerie une grosse corde nuds, dont le bout allait traner en bas sur le perron. Cela fait, il s'tait mis regarder tranquillement, et siffler de temps en temps quand un merle passait devant lui. Tout coup, au moment o les valets du matre des oeuvres se disposaient excuter l'ordre flegmatique de Charmolue, il enjamba la balustrade de la galerie, saisit la corde des pieds, des genoux et des mains, puis on le vit couler sur la faade, comme une goutte de pluie qui glisse le long d'une vitre, courir vers les deux bourreaux avec la vitesse d'un chat tomb d'un toit, les terrasser sous deux poings normes, enlever l'gyptienne d'une main, comme un enfant sa poupe, et d'un seul lan rebondir jusque dans l'glise, en levant la jeune fille au-dessus de sa tte, et en criant d'une voix formidable : Asile !

Cela se fit avec une telle rapidit que si c'et t la nuit, on et pu tout voir la lumire d'un seul clair.

Asile ! asile ! rpta la foule, et dix mille battements de mains firent tinceler de joie et de fiert l'oeil unique de Quasimodo.

Cette secousse fit revenir elle la condamne. Elle souleva sa paupire, regarda Quasimodo, puis la referma subitement, comme pouvante de son sauveur. Charmolue resta stupfait, et les bourreaux, et toute l'escorte. En effet, dans l'enceinte de Notre-Dame, la condamne tait inviolable. La cathdrale tait un lieu de refuge. Toute justice humaine expirait sur le seuil.

Quasimodo s'tait arrt sous le grand portail. Ses larges pieds semblaient aussi solides sur le pav de l'glise que les lourds piliers romans. Sa grosse tte chevelue s'enfonait dans ses paules comme celle des lions qui eux aussi ont une crinire et pas de cou. Il tenait la jeune fille toute palpitante suspendue ses mains calleuses comme une draperie blanche ; mais il la portait avec tant de prcaution qu'il paraissait craindre de la briser ou de la faner. On et dit qu'il sentait que c'tait une chose dlicate, exquise et prcieuse, faite pour d'autres mains que les siennes. Par moments, il avait l'air de n'oser la toucher, mme du souffle. Puis, tout coup, il la serrait avec treinte dans ses bras, sur sa poitrine anguleuse, comme son bien, comme son trsor, comme et fait la mre de cette enfant ; son oeil de gnome, abaiss sur elle, l'inondait de tendresse, de douleur et de piti, et se relevait subitement plein d'clairs. Alors les femmes riaient et pleuraient, la foule trpignait d'enthousiasme, car en ce moment-l Quasimodo avait vraiment sa beaut. Il tait beau, lui, cet orphelin, cet enfant trouv, ce rebut, il se sentait auguste et fort, il regardait en face cette socit dont il tait banni, et dans laquelle il intervenait si puissamment, cette justice humaine laquelle il avait arrach sa proie, tous ces tigres forcs de mcher vide, ces sbires, ces juges, ces bourreaux, toute cette force du roi qu'il venait de briser, lui infime, avec la force de Dieu.

Et puis c'tait une chose touchante que cette protection tombe d'un tre si difforme sur un tre si malheureux, qu'une condamne mort sauve par Quasimodo. C'taient les deux misres extrmes de la nature et de la socit qui se touchaient et qui s'entr'aidaient.

Cependant, aprs quelques minutes de triomphe, Quasimodo s'tait brusquement enfonc dans l'glise avec son fardeau.

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Il y a quelques annes quen visitant, ou, pour mieux dire, en furetant Notre-Dame, lauteur de ce livre trouva, dans un recoin obscur de lune des tours, ce mot grav la main sur le mur:

NKH.

Ces majuscules grecques, noires de vtust et assez profondment entailles dans la pierre, je ne sais quels signes propres la calligraphie gothique empreints dans leurs formes et dans leurs attitudes, comme pour rvler que ctait une main du moyen-ge qui les avait crites l, surtout le sens lugubre et fatal quelles renferment, frapprent vivement lauteur.

Il se demanda, il chercha deviner quelle pouvait tre lme en peine qui navait pas voulu quitter ce monde sans laisser ce stigmate de crime ou de malheur au front de la vieille glise.

Depuis, on a badigeonn ou gratt (je ne sais plus lequel) le mur, et linscription a disparu. Car cest ainsi quon agit depuis tantt deux cents ans avec les merveilleuses glises du moyen-ge. Les mutilations leur viennent de toutes parts, du dedans comme du dehors. Le prtre les badigeonne, larchitecte les gratte; puis le peuple survient, qui les dmolit.

Ainsi, hormis le fragile souvenir que lui consacre ici lauteur de ce livre, il ne reste plus rien aujourdhui du mot mystrieux grav dans la sombre tour de Notre-Dame, rien de la destine inconnue quil rsumait si mlancoliquement. Lhomme qui a crit ce mot sur ce mur sest effac, il y a plusieurs sicles, du milieu des gnrations, le mot sest son tour effac du mur de lglise, lglise elle-mme seffacera bientt peut-tre de la terre.

Cest sur ce mot quon a fait ce livre. (Fvrier 1831, Prface)

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Il y a aujourd'hui trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours que les parisiens s'veillrent au bruit de toutes les cloches sonnant grande vole dans la triple enceinte de la Cit, de l'Universit et de la Ville.

Ce n'est cependant pas un jour dont l'histoire ait gard souvenir que le 6 janvier 1482. Rien de notable dans l'vnement qui mettait ainsi en branle, ds le matin, les cloches et les bourgeois de Paris. Ce n'tait ni un assaut de picards ou de bourguignons, ni une chsse mene en procession, ni une rvolte d'coliers dans la vigne de Laas, ni une entre de notre dit trs redout seigneur monsieur le roi, ni mme une belle pendaison de larrons et de larronnesses la Justice de Paris. Ce n'tait pas non plus la survenue, si frquente au quinzime sicle, de quelque ambassade chamarre et empanache. Il y avait peine deux jours que la dernire cavalcade de ce genre, celle des ambassadeurs flamands chargs de conclure le mariage entre le dauphin et Marguerite de Flandre, avait fait son entre Paris, au grand ennui de Monsieur le cardinal de Bourbon, qui, pour plaire au roi, avait d faire bonne mine toute cette rustique cohue de bourgmestres flamands, et les en son htel de Bourbon, d'une moult belle moralit, sotie et farce, tandis qu'une pluie battante inondait sa porte ses magnifiques tapisseries.

Le 6 janvier, ce qui mettait en motion tout le populaire de Paris, comme dit Jehan de Troyes, c'tait la double solennit, runie depuis un temps immmorial, du jour des Rois et de la fte des Fous.

Ce jour-l, il devait y avoir feu de la joie la Grve, plantation de mai la chapelle de Braquet et mystre au Palais de Justice. Le cri en avait t fait la veille son de trompe dans les carrefours, par les gens de Monsieur le prvt, en beaux hoquetons de camelot violet, avec de grandes croix blanches sur la poitrine.

La foule des bourgeois et des bourgeoises s'acheminait donc de toutes parts ds le matin, maisons et boutiques fermes, vers l'un des trois endroits dsigns. Chacun avait pris parti, qui pour le feu de joie, qui pour le mai, qui pour le mystre. Il faut dire, l'loge de l'antique bon sens des badauds de Paris, que la plus grande partie de cette foule se dirigeait vers le feu de joie, lequel tait tout fait de saison, ou vers le mystre, qui devait tre reprsent dans la grande salle du Palais