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Cahiers du Genre, n° 35/2003 Notes de lecture Marie-Hélène Bourcier – Queer zones. Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs (2001). Paris, Balland, 247 p. Impeccable introduction à la praxis queer, Queer zones super- pose les objets (le post-porno post- féministe, le sang lesbien, le SM, les théories queers …) avec les angles d’attaques et les styles rhétoriques. Analyses filmiques (Despentes, Breillat, Bruce LaBruce, Monika Treut), enquête de terrain (les lesbiennes d’Eremos), veine polé- miste et critique acérée d’auteurs « classiques » comme Simone de Beauvoir (pour accorder une fonc- tion critique à la seule homo- sexualité féminine des femmes hétérosexuelles), Michel Foucault (pour ne reconnaître qu’un seul genre, le masculin homoérotique antique), Leo Bersani (pour la confusion entre le SM et le sado- masochisme freudien), ou Florence Tamagne (pour son histoire straight des lesbiennes). Et pour finir, approche didactique au scalpel de la performativité chez Butler, de la queerisation de Foucault par Halperin et du développement des (micro) politiques (sexuelles), entre autres. Cette brève récapitulation, non exhaustive des multiples ressources que contient le livre, ne doit pas laisser penser que celui-ci consis- terait en un inventaire hétéroclite d’objets « hirsutes », de méthodes louches et de savantes exégèses. Queer zones n’est pas un essai sur le queer. C’est un essai queer. Ce bizarre composé est de la dynamite. Une opération performative de dénaturation, donc de repolitisation des identités de genre et des identités sexuelles, d’où son carac- tère fortement désorganisateur (et non désorganisé). La cible en est le binarisme oppositionnel comme éteignoir de la pensée politique, attaqué ici sous sa forme la plus instituée : la croyance ferme en la « différence sexuelle ». Ou pour le « resignifier » autrement : Marie- Hélène Bourcier a des couilles. Elle parle de cul, sans le cache-sexe du jargon savant, à partir d’une sexualité « subalterne », le SM lesbien, dans une perspective définitivement dé- pathologisée. En déstigmatisant le SM lesbien ainsi que la lesbienne butch, c’est-à-dire celle qui dérange le plus du fait de son mauvais genre, le genre camionneur ou masculin prolo, elle jette un trouble, crée un topos de résistance dont on trouve peu d’équivalents dans la pensée française actuelle, un topos d’affirmation de soi sans complexe et sans culpabilité.

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Cahiers du Genre, n° 35/2003

Notes de lecture

Marie-Hélène Bourcier – Queer zones. Politiques des identités sexuelles, des représentations et des savoirs (2001). Paris, Balland, 247 p.

Impeccable introduction à la praxis queer, Queer zones super-pose les objets (le post-porno post-féministe, le sang lesbien, le SM, les théories queers…) avec les angles d’attaques et les styles rhétoriques. Analyses filmiques (Despentes, Breillat, Bruce LaBruce, Monika Treut), enquête de terrain (les lesbiennes d’Eremos), veine polé-miste et critique acérée d’auteurs « classiques » comme Simone de Beauvoir (pour accorder une fonc-tion critique à la seule homo-sexualité féminine des femmes hétérosexuelles), Michel Foucault (pour ne reconnaître qu’un seul genre, le masculin homoérotique antique), Leo Bersani (pour la confusion entre le SM et le sado-masochisme freudien), ou Florence Tamagne (pour son histoire straight des lesbiennes). Et pour finir, approche didactique au scalpel de la performativité chez Butler, de la queerisation de Foucault par Halperin et du développement des (micro) politiques (sexuelles), entre autres.

Cette brève récapitulation, non exhaustive des multiples ressources

que contient le livre, ne doit pas laisser penser que celui-ci consis-terait en un inventaire hétéroclite d’objets « hirsutes », de méthodes louches et de savantes exégèses. Queer zones n’est pas un essai sur le queer. C’est un essai queer. Ce bizarre composé est de la dynamite. Une opération performative de dénaturation, donc de repolitisation des identités de genre et des identités sexuelles, d’où son carac-tère fortement désorganisateur (et non désorganisé). La cible en est le binarisme oppositionnel comme éteignoir de la pensée politique, attaqué ici sous sa forme la plus instituée : la croyance ferme en la « différence sexuelle ». Ou pour le « resignifier » autrement : Marie-Hélène Bourcier a des couilles. Elle parle de cul, sans le cache-sexe du jargon savant, à partir d’une sexualité « subalterne », le SM lesbien, dans une perspective définitivement dé-pathologisée. En déstigmatisant le SM lesbien ainsi que la lesbienne butch, c’est-à-dire celle qui dérange le plus du fait de son mauvais genre, le genre camionneur ou masculin prolo, elle jette un trouble, crée un topos de résistance dont on trouve peu d’équivalents dans la pensée française actuelle, un topos d’affirmation de soi sans complexe et sans culpabilité.

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Qu’est-ce qu’une femme mas-culine ? Dans le système de pensée hétérocentrée, la réponse est simple : c’est une femme qui adopte le genre masculin. Un choix qui res-sortirait, peu ou prou, à un trouble de l’identité. Le système hétéro-sexuel ne connaissant que deux positions, une femme qui agit dans le genre masculin est censée de-venir psychiquement comme un homme, et n’aurait donc rien à nous apprendre de nouveau (ce que l’on sait sur les hommes est suffisant pour comprendre le mas-culin). Mais si l’on suit Judith Butler, comme nous y invite Marie-Hélène Bourcier, « Il n’y a pas de statut ontologique du genre mis à part les actes divers qui consti-tuent sa réalité ». La structure du genre est imitative. Il n’y a que des performances de la masculinité et de la féminité. Pendant qu’une femme féminine imite le genre « comme il faut », les skins se tra-vestissent « en homme dans une économie des corps masculins », etc. Nous sommes tous des travestis. Aussi le travestisme est-il à ran-ger parmi les « technologies du genre », au côté d’autres plus ordi-naires, comme la chirurgie esthé-tique par exemple. L’inadéquation femelle/masculinité n’est ni plus ni moins vraie ou authentique, pa-thologique ou immorale, que l’adé-quation mâle/masculinité. Surtout, la masculinité féminine n’est pas la répétition de la masculinité des hommes. La radicalisation de la sexualité lesbienne (sexe vs homo-sensualisme), révèle une sexualité

autre. Or, c’est précisément cela, l’abjection de la femme mascu-line : être explicitement un sujet sexuel. Cf. les analyses que Bourcier consacre à la protestation virile chez Simone de Beauvoir et au travestissement dans les ateliers drag king for a day 1 ; lesquels ne sont encouragés et valorisés que s’ils sont au service d’une promo-tion sociale et non à des fins d’exci-tation sexuelle. Ne pas s’exciter masculinement ? Ne pas s’exciter… tout court ? La resexualisation-politisation de la sexualité fémi-nine, via le post-porno post-féministe, le SM lesbien et la butch, jette une lumière crue sur le déni qui recouvre massivement l’activisme sexuel féminin dans toute la gamme de ses variations ou « orientations ».

D’objet devenir sujet. Entre la butch définie par elle-même et la femme masculine définie par les autres, la pile des hiérarchies so-ciales s’est émiettée, les frontières entre les sexualités, les genres, les identités se sont faites douteuses et la lumière des concepts se situe entre chien et loup. Le position-nement queer se méfie du carac-tère totalisant des définitions, en particulier des définitions identi-taires : « Renverser la position de ‘l’homosexuel’ qui d’objet devient sujet, c’est donc mettre à dispo-sition des lesbiennes et des gais

1 Il s’agissait d’apprendre à se faire passer pour un homme afin de sortir en ville et de faire l’expérience des changements d’atti-tudes et des privilèges conférés par la masculinité.

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un nouveau type d’identité sexuelle, caractérisé par un manque de contenu définitionnel clair […]. L’identité (homo) sexuelle peut désormais se constituer non en substance mais de manière oppo-sitionnelle, non pas à partir de ce qu’elle est, mais en tenant compte de où elle est, ainsi que de la ma-nière dont elle opère. Ceux qui occupent sciemment un tel lieu marginal, qui assument une iden-tité déessentialisée et de pure po-sition sont à proprement parler queer et non gais » 2. On peut se demander, conclut Marie-Hélène Bourcier, « si un relatif manque de sécurité défini-tionnelle ‘à l’identique’ n’est pas l’ultime gage d’une plus grande potentialité oppositionnelle fina-lement moins oppressive ». Distan-ciation, parodie et autoparodie (le livre est dédié « À mon grand bull ») desserrent l’étau normatif du rapport à l’identité. Grand merci. Il semble toutefois que l’on ne puisse se passer d’identité, straté-giquement selon Bourcier — et j’ajouterai, psychologiquement. On se dit alors que le concept d’iden-tité devrait pouvoir être modifié, pour désigner le vecteur d’une po-sition tangente, à la fois convoitée et intenable, une position de « frottement » entre assujettissement et résistance. Ce que suggèrent cer-taines pistes prometteuses bien qu’à peine esquissées. C’est le cas, en particulier, à propos du film de

2 Citation de David Halperin, traduite par Marie-Hélène Bourcier, soulignée par moi.

Bruce LaBruce, Skin Flick, de l’opposition tracée entre « les iden-tités totalitaires ou identités mer-cantilisées » et « l’identité positive » attribuée par LaBruce à la « femmelette » (pussy boy) qui échoue à construire une identité totale de skin. La femmelette réa-lise son identité involontairement, à travers les échecs de l’affir-mation identitaire. « Celui qui vou-lait apprendre à casser du pédé, n’apprend qu’à se casser la gueule. » L’échec de la femmelette signe la résistance de la subjectivité au trai-tement disciplinaire des identités. Ce que révèlent nos « chutes », pour reprendre la belle expression de Bourcier, est la béance entre notre subjectivité et les identités que nous convoitons. Ce serait quand même un comble que la ré-sistance s’initie depuis une posi-tion de radicale impuissance, là où le sujet, s’efforçant à l’assujettis-sement dans la discipline identi-taire, se fait doubler par sa propre subjectivité et « se casse la gueule ». Le sujet queer est un sujet politique. Bourcier est sur ce point complè-tement convaincante. Déchu de son promontoire ou inapte à s’y ins-taller, ne cherchant pas sa propre cohésion dans l’affirmation iden-titaire contre l’ennemi commun, il est et il se sent bizarre, singulier, instable. Le premier sujet politique à reconnaître « se casser la gueule » serait-il aussi le premier à nous ressembler un peu ?

Pascale Molinier Psychologue

Laboratoire de psychologie du travail et de l’action – CNAM

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Danielle Chabaud-Rychter et Delphine Gardey (eds) – L’engen-drement des choses. Des hommes, des femmes et des techniques (2002). Paris, Archives Contemporaines, 328 p.

Ce recueil d’articles va devenir la référence majeure en France sur la question des rapports croisés du genre et des techniques dans le tra-vail productif. Son traitement d’une vieille question, celle du travail, et des étapes qui y mènent (« jouer », « apprendre » et « travailler » sont les trois parties qui regroupent les contributions) est particulièrement original en France puisqu’il prend en compte à la fois le rôle des rap-ports de genre, mais aussi des tech-niques. Certes, en France, il existe déjà avec le MAGE 3 et le GERS 4 des travaux sur « genre et travail », mais ce nouveau recueil de contri-butions décale le regard sociolo-gique sur un autre objet, à savoir la façon dont les techniques véhi-culent des constructions du genre dans le travail productif. Or, ce type d’objet est davantage étudié dans le monde anglo-saxon qu’en France, comme en témoignent l’excellente bibliographie générale et les deux revues de la littérature, par Judy Wajcman en sociologie, et par Nina Lerman en histoire.

Dans leur introduction, Danielle Chabaud-Rychter et Delphine Gardey cherchent à ancrer cette

3 Groupement de recherche Marché du travail et genre. 4 Genre et rapports sociaux (ex-Groupe d’études sur la division sociale et sexuelle du travail), CNRS-Université Paris 8.

nouvelle problématique dans le contexte théorique français, en pri-vilégiant le dialogue avec la socio-logie de l’innovation de Bruno Latour et Michel Callon, et la sociologie pragmatique de Nicolas Dodier et Laurent Thévenot. L’ambition principale de l’ouvrage est dès lors posée : il s’agit de tester la capacité de ces théories pragmatiques des techniques à ab-sorber le genre comme outil analy-tique. Or, comme l’illustre ici un article d’Isabel George sur le travail cognitif des opératrices du téléphone, inspiré des travaux de Laurent Thévenot, la perspective des auteurs français a jusqu’alors beaucoup limité la place du genre, en l’intégrant uniquement dans la mesure où il est mobilisé par les acteurs. Intégrer le genre dans une théorie pragmatique des techniques, est-ce en modifier la version qui a été jusque-là formulée en France ?

En suivant le dialogue théorique proposé par Danielle Chabaud-Rychter et Delphine Gardey, et pour trancher cette question, on peut tirer des « prédictions » de ces théories, en essayant de deviner ce qu’elles auraient à dire du genre au travail. On en dénombre deux principales. Premièrement, si la technique est bien co-construite avec le social, comme le dit Latour, on peut supposer que des repré-sentations de genre sont toujours « attachées » aux techniques, et que la mobilisation des techniques dans l’action s’insère toujours dans des modes d’organisation genrés du travail : la technique ne fonc-

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tionne pas en dehors du social ou en dehors des rapports de genre. Deuxièmement, si la technique est bien, comme le dit Latour, un « actant » comme un autre, on peut supposer que les techniques peu-vent ériger des différences de genre, stabiliser des hiérarchies sexuelles en naturalisant certaines compé-tences. La première prédiction éta-blit donc une causalité du genre vers l’innovation technique alors que la seconde suppose une causa-lité réciproque de la technique vers le genre.

Quelles conclusions peut-on ti-rer de la lecture des contributions, quant au dialogue possible avec les théories pragmatiques françaises des techniques ? À propos de la première « prédiction », plusieurs auteurs montrent bien comment la technique fonctionne à condi-tion qu’elle soit « encastrée » dans les rapports de genre existants dans le monde du travail. Delphine Gardey met en évidence par exemple comment certains objets comme la machine à écrire et le téléphone réussissent leur entrée dans le monde productif en s’appu-yant sur des représentations conven-tionnelles du genre, opposant une féminité docile, patiente, média-trice, et une masculinité conqué-rante et pressée, ainsi que sur un mode d’organisation genré du tra-vail, séparant le monde masculin de la direction, du commandement et des cadres, et le monde des secré-taires et des ouvrières. La technique n’existerait donc que portée par des représentations culturelles et

des modes d’organisation genrés du travail.

Le propos va même plus loin avec l’analyse de Nicolas Auray qui montre comment le « masculin » s’attache aux phases « techniques » de l’innovation d’un objet tech-nique particulier : les jeux électro-niques. Le caractère désigné comme purement « technique » de l’inno-vation est réservé au moment « masculin » (et non pas neutre) de l’innovation ; et inversement, lorsque les femmes interviennent dans la construction d’un objet, les changements introduits sont dès lors désignés comme « esthétiques » et non plus « techniques ». Cet exemple s’ajoute aux nombreux cas présentés dans l’excellente synthèse de Judy Wajcman, qui établissent que l’innovation d’un objet technique (le four à micro-onde par exemple) s’appuie sur des relations genrées conventionnelles, définies par un double rapport d’interdépendance et de dénégation, avec d’un côté des ingénieurs « productifs », qui masculinisent la technique et, de l’autre, des utilisa-trices, dont les qualités d’innovation sont sollicitées puis déniées ex-post, en étant présentées comme des qualités « domestiques » et non comme des compétences « techniques ».

Il semble que quelques auteurs soient prêts à passer de l’idée d’une causalité du genre vers la tech-nique à l’idée que la technique sta-bilise, ou durcit, en fait, la domi-nation d’un genre sur l’autre. Mais est-ce à dire qu’elle la produit ?

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Souligner que la technique a un genre, ou qu’elle stabilise des frontières de genre, ne revient pas à dire qu’elle « produit » les caté-gories de genre au travail, ou qu’elle les reproduit « mieux » que d’autres facteurs. Sur ce point, les auteurs contredisent en partie la prédiction qu’on pourrait tirer de Latour (cité à ce propos p. 251), selon laquelle les objets techniques stabiliseraient mieux les rapports de genre que les modes d’organisation sociale et que les « structures culturelles » (au sens de Jeffrey Alexander) dont ils émanent. Les auteurs évitent ce glis-sement, qui reviendrait à donner a priori à la variable « technique » un plus fort poids explicatif qu’aux autres variables socioculturelles. Certes Delphine Gardey montre que les objets sociotechniques intro-duits dans l’usine produisent des relations de domination de genre qui laissent peu d’espérance de changement, en réduisant les fem-mes à des « maillons de dispositifs qu’elles alimentent sans cesse » (p. 263), retrouvant là la définition qu’Halbwachs 5 faisait du prolé-taire, celui qui, séparé du monde des relations sociales, n’a de res-sources d’action que face à la ma-chine, et dont la souffrance tout autant que la « virtuosité ordinaire » doit se vivre en silence (comme Isabel George le montre parfai-tement). Mais organisation sociale, technique, et représentations peu-vent s’articuler de façon changeante,

5 Halbwachs Maurice (1912). La classe ouvrière et les niveaux de vie. Paris, Alcan.

et leur évolution n’est pas forcé-ment soumise au rythme des inno-vations techniques. La comparaison exemplaire de la division sexuelle du travail en usines d’assemblage, par Kurumi Sugita, montre com-ment celle-ci peut changer dans deux contextes différents, en France et au Japon, même lorsque les machines sont identiques.

La perspective d’une histoire de longue période est ici essen-tielle si on veut sérieusement ana-lyser cette question de la produc-tion technique du genre. Plusieurs histoires longues attestent que ce n’est pas la technique qui meut toujours l’histoire des changements de représentation du genre. Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard met bien en lumière que si le féminin et la couture entretiennent ainsi une relation privilégiée sur le long terme, longtemps médiatisée par l’aiguille, objet genré par excellence (l’apprentissage de la maîtrise de l’aiguille étant en même temps l’apprentissage de la féminité, et l’entrée dans un monde de femmes), l’entrée en scène au milieu du XIXe siècle d’un nouvel objet technique, la machine à coudre, ne déstabi-lise pas complètement et ne re-configure pas les rapports de genre qui sont inscrits dans les modes d’organisation et les structures culturelles qui définissent le travail de la couturière : le travail féminin, même « industrialisé » par la ma-chine à coudre, reste un travail lar-gement domestique, non reconnu comme métier, qui échappe donc aux régulations nouvelles du tra-

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vail qui s’inventent dans le monde industriel. D’une certaine façon, avec Delphine Gardey, on pourrait dire que plus les objets changent, plus les structures culturelles trou-vent à se reproduire, sans qu’il y ait là aucun déterminisme, ni aucune vision mécaniste. Et, inversement, les représentations culturelles peu-vent changer sans que les objets aient à être remplacés. Michel Manson dépeint les décalages sur la longue période entre histoire genrée des objets (aux filles, la poupée ; aux garçons, le tambour, puis Polichinelle) et histoire de leur représentation culturelle. La leçon est brillante, reflétant la haute qua-lité du livre, et l’apport théorique qu’il propose.

Grégoire Mallard Sociologue

Princeton University, ENS-Cachan

Sylvie Schweitzer – Les femmes ont toujours travaillé. Une his-toire du travail des femmes aux XIXe et XXe siècles (2002). Paris, Odile Jacob « Histoire », 336 p.

Grâce à ce livre de vulgarisation, c’est-à-dire accessible à tout esprit curieux, et qui ne prétend pas être autre chose, l’auteure espère mettre un terme à la sempiternelle affir-mation : « Depuis que les femmes travaillent [...] » ; en étudiant à la fois les femmes au travail depuis deux siècles, l’occultation de ce travail, et l’amnésie contemporaine face à ce phénomène du temps passé. Dans ce but, elle cherche d’abord à rendre caduques quelques idées reçues : les femmes ne sont

pas plus une armée de réserve convoquée ponctuellement sur le marché du travail, qu’elles ne sont des voleuses d’emplois, puisque longtemps elles exercèrent des « métiers féminins » – notion qui n’a pas disparu aujourd’hui – et qu’essentiellement « leur place s’est forgée dans l’innovation et non dans la substitution ».

Plus qu’à une première partie, qui peut sembler indispensable à l’auteure pour replacer le travail féminin dans son contexte poli-tique, social et juridique, mais qui tourne parfois au catalogue, faisant regretter qu’elle n’ait pas été rem-placée par quelques tableaux plus clairs, on s’intéressera aux cha-pitres traitant vraiment du travail. On peut y voir, en chiffres, la place des femmes dans la production des biens et de services, même si, ayant été longtemps ignorée, elle n’est pas toujours accessible à l’historien. Surtout ces chapitres, allégrement menés, nous mon-trent la réalité du travail. Sylvie Schweitzer sait, en quelques pages, planter un décor. Elle nous donne à voir la ferme et le travail de reproduction et de production des paysannes, qui deviennent aussi au XIXe siècle des ouvrières, en particulier par l’intermédiaire d’une proto-industrie qui se prolonge en France. Avec une grande richesse de détails, elle présente le travail à domicile qui, au début du troi-sième millénaire est loin d’être en voie de disparition, tant il a de « qualités » : il reflète et renforce les rapports sociaux de sexes, il est

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un moyen de mettre en place une flexibilité difficile à contester. En un chapitre dense, elle montre l’évolution des métiers tradition-nellement féminins, ceux qui relè-vent de la vocation, ce qui évita, évite encore, de parler pour eux de juste rémunération. Pour com-pléter un tableau qu’elle trouve dé-solant de l’histoire des femmes et de leurs métiers (je me permets de ne pas partager cette « désolation », d’ailleurs le livre lui-même montre combien le travail rémunéré, alié-nant bien sûr, misérable parfois, peut être facteur d’émancipation), elle passe à une étude de ce que l’on peut désormais appeler des pro-fessions, dont l’exercice, par les femmes, est lié à la levée des iné-galités, en particulier celle des for-mations ; elle n’en néglige pas pour autant la pérennité du « plafond de verre ». L’intérêt de ces diffé-rents chapitres est surtout de résu-mer, en quelques pages très claires, des recherches multiples ; cepen-dant, le livre présente aussi des approches originales du travail des femmes et qui sont par là vraiment heuristiques.

Dans son étude historique, après avoir décrit des « travaux féminins » éternels pourrait-on dire, grâce à une problématique et une présen-tation originales, Sylvie Schweitzer renouvelle l’approche des métiers moins licites, ceux qui s’exercent « à l’extérieur de chez soi et contre un salaire, qui émancipe poten-tiellement du conjoint » ; en effet, elle les classe en deux catégories qui les différencient et en même

temps les rapprochent : ceux qui s’exercent au service de la machine, ceux qui gèrent les papiers. On comprend mieux alors les conti-nuités et les ruptures qui marquent l’histoire du travail féminin. On pourrait regretter que l’auteure n’ait pas réellement intégré le tra-vail domestique à son étude, elle en aurait été encore enrichie.

Dans sa conclusion, avec une innocence feinte, sans doute pour faire d’un livre d’histoire qui ins-truit une œuvre qui arme pour les combats futurs, Sylvie Schweitzer exprime son étonnement et son in-dignation après ce survol d’un des aspects majeurs de la condition fé-minine. Cependant, il faut se mé-fier d’une vision trop noire et trop manichéenne du passé (par exem-ple, l’Enseignement primaire supé-rieur ne fut pas seulement créé pour éloigner les filles du bacca-lauréat et donc de l’Enseignement supérieur, mais surtout pour le ré-server aux notables) ; elle risque toujours de nous faire accepter le présent trop facilement ; il est telle-ment moins désespérant. Certes le droit de vote, dont les conséquences furent longues à se mettre en place, est essentiel, certes la contracep-tion a relégué dans le passé la plus pesante des contraintes biologiques, mais si le travail salarié reproduisait et renforçait les rapports sociaux de sexes existants, il contribuait aussi à leur destruction ; et n’est-ce pas ce que montre ce livre ?

Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard

Historienne – GERS

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Éliane Gubin et Valérie Piette (eds) – « Domesticité » (2001). Sextant, n° 15/16. Université libre de Bruxelles, 372 p.

Revue bisannuelle belge du groupe interdisciplinaire d’études sur les femmes, Sextant a consa-cré en 2001 un numéro théma-tique, coordonné par Eliane Gubin et Valérie Piette, à la domesticité féminine en Europe. Ce numéro, qui réunit les contributions de cher-cheurs et chercheuses en sciences sociales présentées lors d’un col-loque international ouvert à la comparaison avec le Canada sur le même thème, propose une his-toire, une sociologie et une démo-graphie du service domestique entre la fin du XIXe et la fin du XXe siècles. Ce sont plus particu-lièrement les conditions de traite-ment, les évolutions d’un statut aux contours incertains, les modalités d’entrée en service ainsi que, lors-que l’histoire est convoquée, les différentes formes d’encadrement de jeunes femmes « placées », mises en œuvre par des réseaux associatifs et caritatifs, qui sont analysées dans ce numéro. C’est d’ailleurs autour de cette trame thé-matique commune que la majeure partie des articles a été construite, chaque auteur(e) explorant, à par-tir d’un pays d’Europe, ces diffé-rents aspects d’une réalité sociale déclinée au féminin, devenue tar-divement un objet d’investigation pour les sciences sociales franco-phones.

Ce volume est introduit par un texte d’Antoinette Fauve-Chamoux

qui pose le cadre problématique de ce numéro et procède à un état des savoirs sur le service domes-tique et servile à partir d’un bilan de l’historiographie internationale. Un premier groupe de textes traite ensuite des transformations tou-chant à « l’organisation des emplois domestiques » (p. 58) dans l’entre-deux guerres ainsi que des modes d’entrée en domesticité (mais aussi de sortie) de jeunes filles et de femmes migrantes venues grossir les rangs des travailleuses ancil-laires puisque ce métier de femmes seules, issues des classes dominées est, comme le montrent les contri-butions, profondément lié au fait migratoire, qu’il s’agisse de migra-tions de l’intérieur, transfrontalières ou encore internationales en ce qui concerne la période contem-poraine. Parmi ces articles, certains centrent plus particulièrement leurs propos sur les diverses tentatives qui ont été menées, dans différents états, par le législateur, des asso-ciations ou encore des militantes socialistes ou catholiques afin d’ins-crire le statut de ces travailleuses, qui relevaient du monde pluriel et éclaté de la domesticité, dans le noyau dur du salariat et ce, en le rapprochant des normes de travail, d’emploi, voire de formation alors en construction d’un salariat émer-gent et, rappelons-le, plutôt masculin.

Les textes portant sur la période contemporaine traitent, dans la même veine, des transformations actuelles de ce que les auteures s’entendent à nommer un « modèle de domesticité » ou encore un

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« système de la domesticité ». Le premier d’entre eux propose un état des lieux de la situation de la domesticité en Belgique depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cet essai de définition et de ca-drage fait apparaître un groupe profondément hétérogène tant en termes de statut, de condition d’em-ploi et de travail ou encore de parcours que la catégorie géné-rique administrative « travailleurs domestiques » ne restitue pas (p. 237). Le second met en lumière les liens qui rattachent, en France, les aides à domicile au monde de la domesticité, tandis que le troi-sième met en exergue la construc-tion d’un marché international des services domestiques à partir de la lecture des projets et parcours mi-gratoires de femmes philippines venues « se placer » en France auprès de familles de milieux aisés. Le dernier texte part, quant à lui, de l’analyse « d’un parcours de vie de femme au travail » ainsi que des catégories et logiques de représentations des « travailleuses du domicile » (p. 322) afin d’inter-roger la construction d’un modèle de domesticité.

Fruit d’une fructueuse collabo-ration entre des chercheuses venues d’horizons divers, réunies depuis 1996 dans le cadre du réseau Servant project, l’ambition collec-tive de ce groupe était de rompre le silence de l’historiographie, et plus largement des sciences so-ciales (francophones), sur un phé-nomène alors peu étudié et pour-tant résolument constitutif, pour les

membres du réseau, de la forma-tion et des transformations des so-ciétés européennes dites modernes : la mise en domesticité d’une main-d’œuvre, parfois masculine, et sur-tout quasi exclusivement féminine et jeune. C’est chose faite. Avec ce numéro, c’est également un pro-longement des savoirs que ces auteures offrent aux lecteurs et lec-trices, en faisant porter leurs ana-lyses sur le XXe siècle qui fut une période charnière et pourtant en-core peu explorée. Ce faisant, c’est un nouvel aspect de l’histoire et de la réalité contemporaine de la mise au travail salarié et domes-tique des femmes et des jeunesses laborieuses féminines qui est ici éclairé. De même, elles participent au travail de rupture, auquel contri-buent de plus en plus de chercheurs et chercheuses, avec les approches masculinistes. Le choix de l’appro-che comparative permet par ailleurs une lecture tout à fait stimulante en termes de changements et sur-tout de continuité, dans le temps mais aussi, ce qui est plus rare et d’autant plus heuristique, dans l’espace, d’un phénomène encore aujourd’hui constitutif des moda-lités de mise au travail des femmes : les formes de (néo) domesticité. La réunion de ces contributions met ainsi parfaitement en lumière l’émergence et la transformation, sur près d’un siècle, d’un « système de la domesticité », puisque « les constantes l’emportent sur les différences », à la fois hérité des formes de domesticité relevées en période précapitaliste et s’en

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détachant résolument à partir de l’entre-deux-guerres. On voit par exemple plus particulièrement dans quelle mesure c’est toujours par la mobilité géographique de femmes jeunes et seules que la domesticité fut et continue d’être construite et alimentée, les aires géographiques de provenance s’étant diversifiées et élargies dans le temps. Par ailleurs, si le personnel domestique fut et reste un personnel quasi ex-clusivement féminin, la mise en perspective historique et la compa-raison internationale montrent dans quelle mesure il s’agit d’« autres » groupes de femmes. On voit éga-lement dans quelle mesure la ré-férence récurrente à des qualités féminines naturelles constitua un espace d’assignation profession-nelle et un frein à la reconnaissance de ce que différents législateurs ou des réseaux associatifs de femmes tentèrent d’organiser et d’instituer comme emploi et métier. À ce titre, l’article de Denyse Baillargeon sur le projet de création des aides-maternelles au Québec par des organisations maternalistes de femmes est tout à fait intéressant.

Un autre apport de ce numéro est de proposer une lecture tout en nuances des modalités d’entrée en domesticité et des conséquences d’un passage par la condition an-cillaire. Si des rapports de domina-tion et d’exploitation étaient et sont encore fondamentalement en jeu dans le rapport entre employeuse et employée (il s’agit plus préci-sément d’un rapport femmes-femmes doublé d’un rapport de

classe), les textes montrent éga-lement, grâce à la prise en compte du vécu et des projets, dans quelle mesure l’embauche comme domes-tique pouvait et continue de rele-ver d’une stratégie afin d’échapper à la pénibilité du travail des champs ou en usine, pouvait être appré-hendée comme une voie de mobi-lité sociale tout en permettant de se soustraire au contrôle familial, ou encore comme un outil de réalisation d’un projet à plus long terme.

On peut parfois regretter l’accent mis, notamment dans la partie his-torique, sur l’analyse des discours et pratiques des classes domi-nantes, alors que l’on aurait aimé davantage « entendre » la parole de celles qui ont été domestiques. Si les contributions apportent un éclairage là encore tout à fait in-téressant sur les origines sociales ainsi que sur les parcours de celles qui occupèrent ces emplois grâce au traitement de données souvent inédites, la question des conditions de travail aurait pu être plus pré-sente. Quelques contradictions ou des postures divergentes non ex-plicitées d’un article à l’autre dans l’analyse des recensements peuvent également être relevées, ce qui brouille quelque peu la lecture. Ces quelques remarques n’enlèvent cependant rien à la portée de ce travail qui, à l’heure de la valori-sation de ce que le discours poli-tique et médiatique ont appelé les « nouveaux emplois de proximité », s’avère être un formidable outil d’interrogation des tendances et

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freins actuels rencontrés dans leur mise en œuvre. Il apparaît éga-lement comme un outil de dévoi-lement des impensés et des non-dits en termes de stéréotypes de sexe, de rapports sociaux de sexe qui organisent la construction de ces gisements d’emplois. Les textes font en effet largement écho à ce que nous observons dans les dif-ficiles (impossibles ?) émergence et professionnalisation de cette né-buleuse construite et traversée par la division sexuelle du travail que sont les emplois dits de proximité, lesquels auraient pu constituer un gisement de nouveaux métiers.

Emmanuelle Lada Doctorante en sociologie au GERS

ATER à l’IUFM de Créteil

Rose-Marie Lagrave, Agathe Gestin, Éléonore Lépinard, Geneviève Pruvost (eds) – Dissemblances. Jeux et enjeux du genre (2002). Paris, L’Harmattan « Bibliothèque du féminisme », 238 p.

Pour celles qui en ont dirigé la publication, la première raison d’être de ce livre était de donner l’occasion à de jeunes chercheuses et chercheurs en cours de doc-torat de présenter les résultats de leurs travaux dans le domaine des études sur le genre. Par le titre, elles ont aussi voulu marquer une vo-lonté de comparaison. À la lecture, l’ensemble de l’ouvrage apporte surtout la démonstration de la valeur heuristique des conceptuali-sations du genre et des rapports sociaux entre les sexes, et cela d’une double façon : d’une part,

le livre témoigne que les bases théoriques sur lesquelles se fondent les contributions qui le composent, des bases construites antérieu-rement par d’autres, sont aujour-d’hui solides et suffisamment clari-fiées pour être maîtrisées par des chercheuses et chercheurs en for-mation. D’autre part, l’ouvrage montre comment, du fait même de cette solidité du cadre théorique, des explorations nouvelles et des audaces sont possibles, en termes de terrain ou d’angle d’approche.

Les quatorze textes de l’ouvrage portent pour la plupart sur la France contemporaine, quelques-uns sur différentes cultures et aires géogra-phiques. Quelques articles abordent des périodes historiques peu tra-vaillées dans le domaine du genre : Moyen Âge et guerre coloniale en Algérie pour la France, partage des territoires après la création de l’État d’Israël pour le Moyen-Orient. C’est donc à travers l’espace et le temps que les « dissemblances » et, par conséquent, aussi, les res-semblances dans le jeu des rapports sociaux entre les sexes, sont ici collectivement présentées.

Le livre, organisé en trois regroupements autour de ques-tions devenues des classiques du « genre », joue d’emblée la carte de l’interdisciplinarité. Il présente en effet une sélection de communications faites lors de journées d’étude doctorales inter-disciplinaires sur « les construc-tions des sexes et des sexualités » animées en particulier par Rose-Marie Lagrave.

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Dans la présentation générale, celle-ci souligne que les conditions de la transmission des savoirs, dans le domaine du genre comme ailleurs, ne sont pas uniquement une question de pédagogie, mais bien d’abord de constitution d’un savoir initial. Concernant le genre, ce savoir a dû s’imposer de haute lutte contre les catégories natura-listes du savoir jusque-là en vi-gueur. Les textes présentés ici, qui explorent « le travail du genre », c’est-à-dire de la société en train de créer ses classements, sont bien signés des héritières de ces dé-constructions critiques. Mais la transmission des savoirs c’est aussi la confrontation entre deux géné-rations : ainsi le concept de genre constitue-t-il pour ces jeunes cher-cheuses et chercheurs autant un point de départ établi que l’objet d’une nouvelle discussion théorique.

Point de départ établi : le fait social de la domination mascu-line n’a plus à être démontré ni justifié. Ce qui permet d’aller plus directement au cœur des questions abordées. Ce qui permet aussi d’examiner les mille et une ma-nières par lesquelles cette domi-nation et les catégorisations sa-vantes ou profanes qu’elle génère se confortent ou se déforment pour mieux renaître sous de nouveaux aspects.

C’est particulièrement flagrant en ce qui concerne les textes sur l’homosexualité et le trans-sexualisme qui constituent les objets traités dans la première partie. Deux études des repré-

sentations de l’homosexualité en France dans les populations de culture maghrébine d’une part, guadeloupéenne de l’autre, mon-trent les relations triangulaires qui s’établissent entre la hiérarchie sociale des sexes, le rejet ou la tolérance de l’homosexualité (mas-culine et féminine) et la définition de l’honneur masculin. Bien que par des chemins différents, dans les deux cas le système repose sur le déni de la réalité de l’homo-sexualité et sur l’impossibilité ra-dicale de penser une sexualité fé-minine autonome. Un autre article montre ce que la société française d’aujourd’hui est prête à concéder en matière d’état civil des trans-sexuel(le)s, dès lors que ceux-ci ou celles-ci acceptent que leur sexe biologique soit mis en conformité avec leur sexe ressenti et leur iden-tité sociale souhaitée, c’est-à-dire à la condition qu’ils ou elles en passent par une opération chirur-gicale.

Cette condition révèle que la société préfère faire violence aux corps plutôt que d’intégrer la réalité de l’inadéquation du sexe et du genre. La sexualité, thème jusqu’ici assez peu exploré par les études féministes françaises, constitue à l’évidence un espace social où se révèle de façon par-ticulièrement claire l’enjeu de la catégorisation de sexe et les limites de ce qu’une société où règne la domination masculine peut sup-porter en termes de brouillage des frontières entre les genres.

La deuxième partie du livre

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prend appui sur la division des tâches et des statuts qui a cours dans le monde du travail pour montrer, dans différents contextes, le travail du genre dans les pro-cessus de définition des statuts féminins et masculins dans la sphère professionnelle. On retiendra en particulier l’exemple du « terrain » original des « caritats », ces orga-nisations professionnelles de la fin du Moyen Âge dans le Languedoc, pour lequel sont ici reconstruits les processus d’infériorisation du statut professionnel des femmes, en lien avec leur statut familial. Le cas, contemporain cette fois, de la police française, institution qui a utilisé l’entrée des femmes dans la profession pour promou-voir une police de proximité, per-met de revenir sur ce que d’autres chercheuses ont pu montrer dans les travaux sur les articulations entre travail professionnel et vie familiale : le genre n’est pas donné une fois pour toute. Selon les caractéristiques que les représen-tations sociales attribuent aux dif-férentes tâches du métier de policier (de l’accueil aux interpellations « musclées »), il s’opère, pour une même personne et au sein même du métier, des déplacements de frontières entre le masculin et le féminin, et donc, là aussi, un brouillage de la division sexuelle du travail policier. Une étude de presse concernant les représen-tations d’une retraite « réussie » selon que l’on est un homme ou une femme témoigne, quant à elle, de la prégnance, au-delà de la

cessation d’activité, des normes attachées à la division sexuelle du travail professionnel et domestique.

La troisième série d’articles revient sur les enjeux politiques des luttes féministes, à travers diffé-rentes situations de conflit poli-tique où le point de vue féministe doit en découdre avec d’autres priorités : lutte coloniale en Algérie, identités nationalistes au Moyen-Orient, pragmatisme dans la lutte pour le droit à l’avortement libre et gratuit au Mexique, parité poli-tique en France ou encore accès à la parole pour les « sans-voix » dans la Roumanie post-communiste. Dans ses choix politiques, le fé-minisme doit souvent se contrain-dre à un travail sur ses propres théories et priorités pour dépasser les paradoxes dans lequel l’enferme l’intérêt immédiat des plus dému-nis, qui, précisément, sont quasi uni-versellement les plus démunies. Un des aspects les plus intéres-sants des sciences sociales fémi-nistes n’a-t-il pas été de montrer l’étroite imbrication de la domina-tion masculine avec les autres types de domination, socioéconomique, coloniale ou politique ?

Dilemme et paradoxe des théori-sations féministes constituent donc une autre trame de l’ouvrage. Or, travailler sur les situations empi-riques où ces théorisations sont mises en question constitue sans doute une prise de risque intellec-tuel, celui d’une certaine déstabi-lisation des acquis. Sans doute, faut-il, pour s’y atteler, bénéficier non seulement de la distance qu’offre

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l’éloignement culturel, géogra-phique ou historique, mais aussi du recul rendu possible par le fait que le mur auquel on s’adosse a de solides fondations.

Anne-Marie Devreux Sociologue

Cultures et sociétés urbaines IRESCO-CNRS

Houria Alami M’Chichi – Genre et politique au Maroc. Les enjeux de l’égalité hommes-femmes entre islamisme et modernisme

(2002). Paris, L’Harmattan « Histoire et perspectives méditerranéennes », 155 p.

À partir du débat qui a eu lieu autour du projet de « Plan d’action pour l’intégration des femmes au développement » en 1999, Houria Alami M’Chichi tente de mettre en lumière les blocages à la parti-cipation politique des femmes au Maroc.

L’auteure questionne d’abord l’apport de « l’approche genre » à la question de la participation poli-tique féminine au Maroc. Elle mon-tre en quoi l’approche « genre et politique » a changé l’analyse du politique, notamment en ce qui concerne la séparation public/privé, et a ainsi élargi la conception de la démocratie et de la citoyenneté. Au Maroc, cette problématique a été marquée par le débat qui a eu lieu autour du projet de Plan. Présenté par le pouvoir, ce projet synthétisait les revendications des ONG « féminines » 6 quant au statut

6 Malheureusement, l’auteure ne distingue pas clairement les associations féministes de celles qui se disent « féminines », et

des femmes, et réclamait notam-ment la révision du Code de sta-tut personnel (CSP) qui consacre l’inégalité entre les sexes. Le CSP étant considéré comme d’essence religieuse, le projet a été attaqué comme « atteinte à la personnalité musulmane », notamment par les mouvements islamistes.

Elle retrace ensuite l’histoire de la « citoyenneté féminine » au Maroc. Le pouvoir, depuis l’indé-pendance, a proclamé l’égalité entre les sexes, mais « les rapports de pouvoir, institutionnalisés par un système politique fondé sur le pa-triarcat, restent présents dans la conception et l’exécution de toutes les règles juridiques » (p. 60).

Le système politique marocain se base sur un double référentiel, islam/modernité, qui se répercute sur le statut des femmes : égales aux hommes dans le droit public, elles leur sont subordonnées dans le droit privé. Au nom du carac-tère islamique du CSP, tous les litiges qui en relèvent échappent aux principes d’égalité contenus dans la Constitution et réaffirmés dans les conventions internationales ratifiées par le pays.

Est ensuite analysé le discours des mouvements dits islamistes qui, au nom de la « complémentarité entre les sexes », rejettent l’idée d’égalité, qu’ils attribuent à une « idéologie occidentale », repré-sentée, entre autres, par les féministes occidentales. Ils ne

qui n’ont pas forcément une visée politique.

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rejettent pas la participation poli-tique des femmes, mais celle-ci est subordonnée, à leurs yeux, à l’accomplissement prioritaire de leurs « responsabilités familiales ». De plus, leur référentiel principal est l’islam, siège de l’identité qu’il faut défendre contre les attaques de l’Occident, tâche principalement dévolue aux femmes, par l’inter-médiaire de leur rôle dans la fa-mille. Remettre en cause ce rôle, c’est donc attaquer l’islam et, par voie de conséquence, « l’identité ». « Comme à l’époque coloniale, le discours sur l’émancipation fémi-nine reste étroitement limité par sa focalisation excessive autour de la religion, ce qui bloque toute velléité de réflexion et de débat. » (p. 68-69).

Cette logique, clairement énon-cée par les islamistes, est néan-moins, explicitement ou implici-tement, partagée par bon nombre d’hommes politiques, « traditiona-listes » ou plus « à gauche ».

Les « modernistes » 7, quant à eux, admettent, au niveau des prin-cipes, l’égalité entre les sexes, notamment dans le champ poli-tique, mais partagent les représen-tations décrites ci-dessus sur le rôle social des femmes dans la fa-mille, et refusent de considérer les choses en termes de rapports de pouvoir. Ils imputent ainsi l’absence des femmes dans le champ politique à un « retard » qu’il faut combler, notamment en

7 On remarquera la difficulté de l’auteure à délimiter ce groupe.

matière d’éducation des filles. Les difficultés des modernistes

à se positionner sur la question du genre trouvent leur origine dans la tension, dans leurs représentations, entre le référentiel de la modernité et celui de la famille. Pour eux aussi, la famille est le centre de la structure sociale et les femmes sont le centre de la famille, idéologie qui trouve son assise dans le système patriarcal exprimé par la religion.

Ces tensions révèlent la place de la religion dans le système poli-tique marocain, le pôle monarchie-islam étant la référence centrale de ce système, ce qui a empêché les partis politiques de formuler une revendication claire de la laïcité.

Enfin, Houria Alami M’Chichi évoque, trop rapidement malheu-reusement, la difficulté pour les modernistes de remettre en cause l’ordre établi pour assumer leur modernité ; en insistant sur le rôle des femmes dans la famille, « cellule où s’enracine et se per-pétue l’ordre social qui distribue les rôles et les positions sociales hiérarchiques », ils assurent en effet la préservation des intérêts de ceux qui ont déjà le pouvoir (p. 101), et par conséquent leurs propres intérêts.

L’auteure essaye par ailleurs de résumer les effets du débat, en montrant la dynamique que cela a imprimé au champ politique maro-cain. On assisterait ainsi à l’émer-gence de la question de genre dans sa globalité, notamment à travers la dimension politique. Mais le lien

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établi, par les islamistes, entre iden-tité nationale (liée selon eux à la religion) et statut des femmes, interdit aux modernistes toute vel-léité de réaction : « Nous sommes tous des musulmans » répliquent-ils dans une position défensive. De fait, les débats se sont foca-lisés autour de la religion, et la question de l’ijtihad (effort en-couragé par la tradition islamique pour comprendre et interpréter les textes) a été invoquée comme moyen pour réviser le Code de statut personnel.

Finalement, l’auteure fait le point sur le réseau d’associations « féminines » et son influence sur une redéfinition du politique qui intègrerait le point de vue et l’expérience des femmes. Elle note qu’elles hésitent, également, entre la référence religieuse et la reven-dication de sécularisation du droit de la famille.

Elle s’interroge par ailleurs sur les femmes des mouvements isla-mistes, qui revendiquent une visi-bilité et une reconnaissance de leurs spécificités (en tant que musulmanes) et critiquent le point de vue de la théorie du genre qui les exclut ; comme les femmes noires aux États-Unis, elles invitent donc à d’autres formes de connais-sance et de savoir sur la « question des femmes ». Mais, à la différence de ces dernières, les femmes isla-mistes ne cherchent pas à mettre l’accent sur la forme particulière que prend la domination des femmes dans leur culture, puisqu’elles ne reconnaissent pas l’existence de

rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Cependant, on ne peut pas nier l’investissement du champ politique par ces femmes.

L’auteure reconnaît que leur dénonciation des risques d’ethno-centrisme contenu dans la mondia-lisation n’est pas dénuée de sens, mais, conclut-elle : « Les femmes ne peuvent pas se soumettre à la subordination au nom de la dé-fense de l’identité construite sur une base sexuée. » (p. 140-141).

Nous touchons ici à un pro-blème qui traverse tout le livre sans être jamais attaqué de front : l’omniprésence dans les discours de l’association identité/islam d’une part et identité/femmes (à travers leur rôle dans la famille) d’autre part. Cela explique que l’on ne conçoive pas de changement dans le statut des femmes en dehors de la référence religieuse. C’est ce dernier point que l’auteure de ce livre tente de déconstruire, prô-nant une réelle laïcisation de la politique marocaine et des débats autour des droits des femmes. Mais, n’ayant pas questionné la double association citée ci-dessus, elle n’y parvient pas.

En effet, comme l’évoque l’auteure très rapidement vers la fin de son livre, la culture marocaine « n’est pas seulement [musulmane]. Son histoire est berbère, arabe, marocaine et aussi largement mar-quée par l’influence occidentale » (p. 118).

Ensuite, l’association femmes/ identité n’est pas propre au Maroc, et on peut comparer, par exemple,

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les discours islamistes actuels à ceux tenus par les administrateurs français pendant la colonisation. Les autorités coloniales ont ainsi évité la « question des femmes » (selon les termes utilisés) en la rejetant dans la sphère de la « vie privée », donc intouchable 8. Mais il ne faut pas oublier que ces colo-nisateurs étaient, eux aussi, issus d’une société patriarcale et que la lutte contre la domination mas-culine, dans les colonies comme en France, n’était pas leur priorité.

Ceci nous amène à une seconde critique concernant cet ouvrage : les revendications féministes au Maroc sont présentées comme issues de « valeurs universelles » véhiculées par les conventions internationales sur les droits des femmes et non comme le résultat des luttes féministes dans les pays dits « occidentaux ». Or cela laisse penser qu’il s’agit de valeurs do-minantes dans ces pays, ce qui va dans le sens des idées véhiculées par les mouvements islamistes.

Aujourd’hui, le discours domi-nant au Maroc est en effet qu’en Occident l’égalité des sexes est une chose acquise, et qu’actuellement l’Occident essaie d’imposer cette valeur aux autres cultures, ou aires religieuses. Cette idée légitime le rejet de ces revendications, qui se-raient l’expression de la domina-tion occidentale. C’est donc en montrant que ces revendications sont le fruit de luttes contre l’ordre

8 Cf. Fatima Mernissi (1983). Sexe, idéo-logie, islam. Paris, Tierce.

établi, en rappelant les inégalités persistantes « là-bas » aussi, que l’on peut déconstruire cette argu-mentation.

Ainsi, on verrait que la domination externe (exercée par l’Occident), réelle par ailleurs, est invoquée par certains pour masquer la domination interne dont ils sont les tenants (et cela s’applique aussi bien aux « modernistes » qu’aux « islamistes », pour reprendre les termes utilisés dans ce livre).

Il aurait donc fallu, pour mener à bien cette réflexion, questionner l’opposition tradition/modernité qui est, à mon sens, à la base de ces représentations faisant obstacle à toute avancée de l’égalité entre les sexes au Maroc.

Meriem Rodary Doctorante en anthropologie à l’EHESS

Laboratoire d’anthropologie sociale

Colette Guillaumin – L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel (2002). Paris, Gallimard, 378 p.

L’idéologie raciste constitue, en France, la première étude socio-logique approfondie du phénomène raciste et demeure une œuvre de référence. Publié pour la pre-mière fois en 1972 et réédité trente années plus tard, l’ouvrage, riche d’enseignements, reste d’actualité. Son objectif est l’analyse du sys-tème de pensée qui sous-tend les théories et les conduites racistes. L’argumentaire s’appuie sur de nombreuses références biblio-graphiques (romans, essais, récits d’explorateurs, presse…) que

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l’auteure a le souci d’analyser et de resituer dans le contexte socio-historique.

L’auteure situe l’émergence de la théorie raciste, c’est-à-dire de la « forme explicite de l’idéologie raciste », au XIXe siècle. Aupa-ravant, le racisme était légitimé par la religion : l’appartenance au genre humain était définie par l’ordre di-vin, ceux qui n’avaient pas d’âme étant simplement exclus de l’huma-nité. Au cours du XIXe siècle, la conception du genre humain se modifie radicalement sous l’in-fluence des sciences naturelles qui affirment l’existence de diverses « races » humaines et de l’évolu-tion des espèces – dont l’espèce humaine – selon un schéma tem-porel. Les groupes sont alors pen-sés comme des groupes clos et étanches, la « race » devenant une catégorie perceptive prioritaire. Le terme lui-même change de signifi-cation : il ne renvoie plus à la li-gnée, mais au groupe humain. Si l’anthropologie physique est la première à lui donner un contenu scientifique, il n’en demeure pas moins que la différenciation des groupes humains est opérée selon des critères d’ordre physique. Même les sciences humaines té-moignent de la difficulté à appré-hender les faits socioculturels in-dépendamment des phénomènes biophysiques, puisque le terme « race », employé au XIXe siècle et au début du XXe siècle, est rem-placé par le terme « ethnie », ethnos en grec qui signifie « peuple », « nation », mais aussi

« race »… Si la « race » désigne en premier

lieu des groupes « raciaux », toute catégorie peut être « racisée » en fonction de l’attribution d’un carac-tère biologique. Ainsi, les femmes, les ouvriers de même que les homo-sexuels et les catégories « légales » (comme les « aliénés » ou les « hors-la-loi ») sont constitués en groupes altérisés, leur différence perçue étant sous-tendue par un caractère somatique qui apparaît comme signifiant d’une altérité radicale, cette altérité essentielle justifiant les conduites racistes. Les différents groupes dominés partagent, d’une part, les mêmes formes d’oppression et, d’autre part, la conscience d’appartenir à une minorité (alors que les membres de la société majoritaire n’ont pas conscience de leur situation). Toute conduite raciste – qui englobe des relations hostiles ainsi que des at-titudes positives comme l’admi-ration – comporte un invariant : le souci du maintien de la parti-cularité de l’autre et de l’enfer-mement de l’autre dans cette dif-férence, contenue dans la marque physique indélébile. Le racisme se définit donc comme « toute conduite de mise à part revêtue du signe de la permanence » (p. 110).

Au XXe siècle, les minorités prennent la parole au travers des revendications nationalistes et des protestations internes (mouvement des femmes, des ouvriers, négri-tude…), engendrant une certaine forme de prise de conscience au sein de la société majoritaire.

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Cependant, en France, cette prise de conscience s’accompagne d’une attitude de déni et de silence, té-moins du refoulement de sa culpa-bilité : les médias ne se font nul-lement l’écho des problèmes des minorités et, alors que l’anti-sémitisme est une « constante culturelle », on l’associe systé-matiquement au passé nazi. Par ailleurs, la décolonisation permet aux populations anciennement colonisées d’accéder à la parole et à l’existence en tant que groupes nommés, mais elles sont main-tenues dans un état de domination économique et ne peuvent de ce fait prétendre à l’indépendance et à l’existence réelles. Le système de pensée raciste demeure : il passe simplement d’une expression ou-verte à une négation.

L’argumentaire général du livre repose sur l’analyse du langage courant – tant au niveau de l’ex-plicite que de l’implicite – et de la manière dont s’y manifeste le « sens raciste ». L’analyse quali-tative de textes écrits (notamment des articles parus dans cent-dix-huit numéros du quotidien France Soir) et de discours (conversations, émis-sions radiophoniques et télévisées, cinéma…) permet à l’auteure de mettre en évidence le « mécanisme » et les « constituants centraux » de l’idéologie raciste (p. 201). L’étude couvre la période de l’immédiat après-guerre à 1960.

D’une part, il apparaît que les « autres » sont pensés selon les caractéristiques de leurs groupes et sont dépourvus de particula-

rités propres, et donc d’humanité, alors que le dominant se pense en tant qu’individu doté de qualités individuelles. D’autre part, les « autres » sont systématiquement désignés, de manière explicite ou implicite, tandis que le « moi » le dominant n’est jamais nommé. C’est ainsi que l’on évoque la cou-leur noire, alors que la mention de la couleur est inexistante pour les blancs ; on ne désigne jamais les « jaunes » ou les « juifs » comme tels mais on cite leur nom et on utilise à leur endroit des ré-férents d’ordre physique ou com-portemental qui constituent des signifiants implicites. De même, s’agissant des catégories d’âge ou de sexe, les enfants, les jeunes, les vieillards, ainsi que les femmes, sont toujours désignés comme tels. À l’inverse, les adultes et les hom-mes ne le sont jamais puisqu’ils portent la connotation du général et incarnent le non-dit ou l’impli-cite des catégories d’âge et de sexe.

Si le majoritaire ne se nomme ni ne se définit jamais, ses carac-téristiques apparaissent en creux des discours portés sur les mino-rités. Le groupe adulte, blanc, de sexe mâle, catholique, de classe bourgeoise, sain d’esprit et de mœurs, est donc celui qui ne se définit pas comme groupe mais qui catégorise les autres. La place et le statut des catégories altérisées évoluent avec le temps (certaines naissent, disparaissent ou sont remplacées par d’autres), mais l’organisation perceptive raciste reste inchangée : les autres chan-

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gent, le mode d’appréhension de l’altérité est constant.

Trente ans après la première publication de cet ouvrage, les pro-cessus d’appréhension et d’essen-tialisation de l’altérité, tels que les a analysés Colette Guillaumin, demeurent, comme en témoignent les discriminations religieuses, sexuelles et raciales qui ont cours en France et dans le monde. À ce titre, l’ouvrage de Colette Guillaumin constitue une référence incon-tournable.

Dolorès Pourette Anthropologue

Laboratoire d’anthropologie sociale

Michel Sonya, Mahon Rianne (eds) – Child Care Policy at Crossroads : Gender and Welfare State Restructuring (2002). New York, Londres, Routledge.

En matière de politiques de la petite enfance, les pays développés se trouvent tous, peu ou prou, à la croisée des chemins. Alors que l’érosion du modèle de « Monsieur Gagne-pain » génère une demande accrue de prise en charge des jeu-nes enfants hors du foyer, les États-providence, sous l’emprise de la transition postindustrielle, la glo-balisation et la montée des idéo-logies néo-libérales, connaissent une restructuration synonyme de contrôle et de limitation des dé-penses. Face à une telle complexité, les réponses varient. Qu’elles soient égalitaires ou rétrogrades, elles sont parfois en rupture avec les ancrages institutionnels des nations examinées dans ce volume.

Quelles nouvelles voies et réponses empiriques voit-on émer-ger au Japon, en Amérique du Nord, en Australie, dans divers pays de l’Union européenne, y compris l’un de ses nouveaux membres – la Pologne ? Quelles configurations ou justifications idéologiques, pré-sident à la mise en place des mesures adoptées ? Et pour quels résultats ? Les politiques de la petite enfance constituent un ana-lyseur de choix pour l’étude des effets sexués de la restructuration des États-providence, saisis ici dans treize études de cas.

Quatre types de contextes poli-tiques émergent, selon que la mise en œuvre des politiques d’accueil de la petite enfance s’y caractérise par : la faiblesse du féminisme (Japon, Espagne, Pologne) ; l’idéo-logie du libre choix (Australie, Belgique flamande, Pays-Bas, France) ; l’impact du néo-libéra-lisme (Italie, Canada, Angleterre, États-Unis) ; la mise en place ou le maintien de l’universalisme (Suède, Danemark, Québec).

Comme Rianne Mahon le rap-pelle dans son introduction, cette typologie ne correspond pas à celle qu’Esping Andersen a dessinée des régimes d’États-providence, mais elle donne à voir des évolutions très variées. Ainsi, l’Australie, qui s’est dotée d’un système national de prise en charge de la petite en-fance dès les années 1970, constitue une exception parmi les régimes libéraux. Aujourd’hui c’est au tour du Québec de s’en distinguer, avec une politique universaliste à contre-

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courant de celles de ses voisins nord-américains. De leur côté, les politiques de garde en France et en Belgique sont plus proches de celles pratiquées par les régimes sociaux-démocrates nordiques que par les régimes conservateurs, ce-pendant que, parmi ces derniers, une réponse originale est en voie d’expérimentation aux Pays-Bas…

La première qualité de ce re-cueil d’articles réside dans la co-hérence des objectifs partagés par les auteur(e)s – on est loin du patchwork hétérogène qu’offre par-fois ce type d’ouvrage. Deuxiè-mement, il est constitué d’une série d’exemples incluant des pays aty-piques ou moins connus, comme le Japon (analysé par Ito Peng), la Pologne (Jacqueline Heinen) et l’Australie (Deborah Brennan). Côté théorique, signalons la contri-bution originale de Monique Kremer, qui rend compte de l’influence des modèles culturels dans son ana-lyse comparative des Pays-Bas et de la Belgique flamande. Enfin, le lecteur hexagonal pourra goûter le « regard distant » de l’Américaine Kimberly Morgan sur le cas fran-çais, qualifié de compromis em-preint de pragmatisme élitiste.

L’impossible « conciliation »

La contribution d’Ito Peng met en lumière l’histoire des politiques d’accueil au Japon. L’État y a long-temps prôné une orientation dualiste se caractérisant par l’idéologie de la femme au foyer pour les classes moyennes et par une politique de garde d’enfants plus « réaliste »

en direction des mères seules ou défavorisées. Mais la surcharge que représente la prise en charge des enfants et des parents vieillissants pour les unes et les autres a fait éclater ce modèle dans les années 1990, sous la forme d’une chute de la fertilité et d’une montée des divorces. Malgré un « mea culpa » gouvernemental, la mise en place de congés parentaux, et le dévelop-pement de la capacité d’accueil à cette époque, la sauce nataliste n’a pas pris, en l’absence d’une réelle volonté de transformation des rapports sociaux de sexe au foyer, dans les entreprises et dans la vie politique. À l’instar des Japonaises (mais aussi des Espagnoles, des Italiennes et des Allemandes), les Polonaises limi-tent aujourd’hui leur descendance, un phénomène comparé à une « grève des ventres » par Jacqueline Heinen. Elle relève la chute bru-tale de la capacité d’accueil dans ce pays qui était déjà le parent pauvre des pays de l’Est en ma-tière de crèches sous le régime communiste. Sans doute s’agit-il de l’unique mode de « conciliation » qui reste aux Polonaises, lesquelles maintiennent aujourd’hui, contre toute attente et en dépit du tradi-tionalisme de l’Église catholique, des discriminations multiformes et de la défaillance du secteur social, un taux d’activité élevé, mais en ayant moins recours aux congés d’éducation – la plupart du temps non rémunérés. « L’institution de la grand-mère » contribue sans doute à une telle stratégie, tout

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comme en Espagne, pays dont Celia Valiente montre qu’il s’efforce néanmoins de développer le nombre de places dans les écoles maternelles.

Les limites du « libre choix » Dans une approche théorique

originale, Monique Kremer rend compte du rôle de prescripteur moral, « de prêtre », que revêt l’État-providence. L’auteure souligne les différences importantes observées entre deux régimes conservateurs – les Pays-Bas et la Belgique flamande – pourtant proches sur le plan géographique et linguis-tique. Certes le facteur économique et le décalage historique auront joué : les Flamands bénéficient de-puis longtemps d’un financement public substantiel pour faire face à la bi-activité de nombreux cou-ples, alors que la prospérité éco-nomique exceptionnelle des Hollan-dais a contribué à ce que l’idéal de la maternité à temps plein domine encore à l’orée des années 1990. Mais il demeure que, l’heure des choix venue, les options des deux voisins diffèrent. L’importance accordée à une prise en charge maternelle – qu’il s’agisse de la « vraie » mère ou d’une mère de « remplacement », la nourrice –, inhibe, selon Kremer, le taux d’ac-tivité des mères flamandes, quand bien même le taux des modes de garde publics y avoisine celui de la Suède. Aux Pays-Bas, l’idéal nouveau est qualifié par Kremer « d’anti-scandinave » : c’est aux parents, et non aux institutions ou aux personnes extérieures, d’as-

surer l’essentiel de la prise en charge des jeunes enfants. Le gâchis économique et humain représenté par des mères éduquées et inac-tives conduit à inciter les indivi-dus des deux sexes à travailler à temps partiel, les hommes étant exhortés à assumer leurs respon-sabilités paternelles : grâce aux dispositions légales, 16 % des hommes travaillent à temps par-tiel (7 % des pères contre une moyenne de 1 % dans les pays de l’Union européenne). Toutefois, les structures d’accueil sont principa-lement financées par les employés et les employeurs, ce qui implique une inégalité sociale devant les différentes formes de garde – un écueil que ni les Français ni les Australiens, autres « champions du libre choix », n’ont su résoudre à ce jour. Par ailleurs, il s’agit d’un « choix » illusoire puisque la res-ponsabilité morale de la prise en charge des enfants continue à in-comber aux mères.

Néo-libéralisme versus universalisme

Parmi les régimes ayant appli-qué des recettes néo-libérales, les pays anglophones – ce n’est pas une surprise – sont fortement re-présentés. Rianne Mahon et Susanne Phillips évoquent les rendez-vous manqués des Cana-diens, cependant que Vicky Randall se demande « Comment restruc-turer l’inexistant ? » à propos de la Grande-Bretagne, tout en sou-lignant le caractère positif du chan-gement de perspective en cours. Sonya Michel et Denise Urias

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Levy, elles, analysent la situation aux États-Unis. Il ressort qu’au cours des trois dernières décennies, et malgré une augmentation des financements, les politiques éta-tiques de ces trois régimes libé-raux ont été axées sur le workfare et sur l’aide aux mères élevant seules leurs enfants. De son côté, Vincent Della Sala traite du néo-libéralisme et de la globalisation à l’italienne, perçus comme ins-truments de modernisation insti-tutionnelle. À l’opposé des poli-tiques centrant les mesures sur des catégories de mères en situation difficile, sont présentées les options de deux pays, chantres de l’uni-versalisme, et qui ont plus ou moins maintenu leur cap : ici la Suède (Christina Bergqvist et Anita Nyberg) et le Danemark (Anette Borchorst). Last but not least, en guise de happy end à cette série de contributions, Jane Jenson rend compte de l’embellie québécoise, mélange d’une politique d’accueil des jeunes enfants de type uni-versel (au coût modeste de 5 dollars par jour), d’une politique familiale de distribution verticale et d’une promesse de congés parentaux étendus et mieux compensés.

Dans l’ensemble, il apparaît que le laborieux et lent développement des politiques d’accueil ne peut être imputé à la seule restruc-turation de l’État-providence. La crise financière, réelle, a parfois servi de paravent aux hésitations et oppositions idéologiques, en fonction d’attentes variées. En re-vanche, un consensus fort semble

entourer l’éducation en tant que facteur favorable au développement de l’enfant et de l’égalité sociale – d’où un investissement consi-dérable des États dans les institu-tions préscolaires pour les enfants âgés de 3 à 7 ans, cependant que les droits des plus jeunes enfants, âgés de 0 à 3 ans, restent limités. Par ailleurs, la revendication de congés parentaux a trouvé un écho dans la plupart des pays. Mais comme le souligne Sonya Michel, le développement de telles mesures, dans une optique féministe, exige qu’existent préalablement des ser-vices d’accueil de qualité acces-sibles à tous les enfants, que ces congés soient correctement rému-nérés, qu’ils soient assortis de droits sociaux équitables (droit à la retraite notamment) et qu’ils donnent lieu à un réel partage entre les parents des deux sexes – autant de conditions qui sont encore loin d’être remplies à l’heure actuelle et sans lesquelles on peut diffici-lement parler de « libre choix ».

Heini Martiskainen Sociologue

PRINTEMPS-Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines

Philippe Zarifian – À quoi sert le travail ? (2003). Paris, La Dispute, 187 p.

Dans cet ouvrage riche et sti-mulant, Philippe Zarifian apporte sa contribution aux redéploiements actuels de la sociologie du travail ; aux conceptions, selon lui domi-nantes, qui tendent à considérer l’individu au travail comme étant réductible à sa fonction dans la

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division du travail ou à la domi-nation qu’il subit de la part de sa hiérarchie, il oppose, en utilisant des concepts élaborés par Foucault et Deleuze et en s’appuyant sur des observations effectuées dans dif-férents espaces de travail, l’idée selon laquelle le travail est avant tout un cadre dans lequel les indi-vidus expriment ce qu’il appelle leur « puissance de pensée et d’action » et mettent en œuvre leur inventivité.

Ainsi, Philippe Zarifian regrette la tendance à ne voir dans le travail qu’une simple succession d’opérations ; selon lui, le travail est gorgé d’événements face aux-quels les individus doivent inventer – qu’il s’agisse de « grandes » ou de « petites » inventions. Il montre ainsi de manière convaincante que, même dans le cas de travaux que l’on pourrait avoir tendance à considérer comme relativement répétitifs, les individus sont très souvent amenés à faire face à des événements imprévus et, afin de bien faire leur travail, à inventer, et à « contre-effectuer ces évé-nements » (Il emprunte ce concept à Deleuze) ; et que s’affranchir des procédures prescrites par la hié-rarchie est souvent une condition à ce que les salariés parviennent à donner du sens à leur travail et à le faire bien.

L’auteur développe aussi l’idée selon laquelle la conception habi-tuelle du temps est inapte à saisir efficacement le travail concret. S’appuyant sur le « devenir » deleuzien, il oppose ainsi le « temps

spatialisé » au « temps-devenir ». Le temps spatialisé est celui qui encadre le travail et le contraint, en mesure la durée ; mais c’est un temps abstrait, qui ne permet pas de bien appréhender les événements constitutifs du travail, la tension entre passé et devenir, entre mé-moire et anticipation, qui carac-térise tout travail. Le temps spa-tialisé est le temps de travail. Le temps du travail concret, selon Philippe Zarifian, peut être appré-hendé par le concept de « temps-devenir », qui permet de saisir les anticipations, les visées éthiques, les prises de risques effectuées par les individus.

Philippe Zarifian évoque éga-lement l’éclatement à l’œuvre ac-tuellement de l’« unité théâtrale » (unité de temps, unité de lieu, unité d’action) de la société industrielle, et propose une interprétation ori-ginale des implications de l’écla-tement de l’unité d’action. Selon lui, le travail aujourd’hui est de moins en moins une fraction de la division du travail, et s’apparente de plus en plus souvent à une « monade », une totalité en soi, d’où l’usage répandu de termes comme « autonomie » ou « res-ponsabilité ». L’auteur, prenant pour exemple le cas de conseillers financiers à La Poste, s’intéresse à la dimension solitaire du travail. Pour une part, explique-t-il, le travail tend à devenir plus indivi-duel (les salariés ont des situations à gérer individuellement, dans une certaine solitude) ; et pour une autre part, le travail est plus pro-

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fondément collectif au sens où les échanges entre salariés, s’ils sont irréguliers, sont fortement chargés de sens, de considérations d’ordre éthique. L’auteur identifie trois temps principaux qui structurent l’activité professionnelle des salariés : un moment de concen-tration individuelle, un moment d’échanges d’informations au sein de l’équipe ou du réseau, et un moment d’échanges de sens au sein des relations intersubjectives. Et il décrit les espaces spatio-temporels nécessaires à la mise en œuvre efficace de ces moments.

Philippe Zarifian consacre plu-sieurs passages aux rapports sociaux de sexe. Ainsi, évoquant, dans une perspective « foucaldo-deleuzienne » de l’histoire, le pas-sage de la « société disciplinaire » à la « société de contrôle », il analyse, à l’aide du concept de « modulation » qu’il préfère à celui de flexibilité, les formes de domination et les potentialités d’émancipation qu’elle comporte et remarque que celles-ci sont déjà bien connues, car, vécues, par les cadres, certes, mais aussi par les enseignants et les femmes.

L’auteur développe aussi l’idée selon laquelle le culte d’une intel-lectualité pure, désincarnée, coupée des sens et des affects, est au fon-dement des rapports de domination dans la société de contrôle. En effet, dans cette société, les individus autonomes sont censés s’auto-mobiliser. Or, dans cette optique, et dans le cadre des rapports de genre actuels, les femmes, consi-

dérées comme étant asservies par leur « nature », leurs passions, leurs affects, leurs sentiments voire, plus prosaïquement, par leur(s) enfant(s), sont suspectes, supposées ne pas être disponibles pour s’auto-engager.

L’auteur analyse également le fait que, alors qu’il avait forgé le concept de rapports sociaux, Marx n’ait fait aucune tentative pour conceptualiser les rapports sociaux de sexe. Selon Philippe Zarifian, la subordination, dans la pensée de Marx, de tous les rapports sociaux à celui entre exploitants et exploi-tés peut se comprendre comme une conséquence de la difficulté – voire d’un certain renoncement – de Marx à penser concrètement les mouvements d’émancipation.

Dans ce livre très dense, Philippe Zarifian annonce aussi « la dis-parition du marché » ; propose, en s’appuyant sur les concepts de « temps-devenir » et d’« événement », des modalités alternatives de me-sure de la productivité ; et cri-tique la notion de « société de la connaissance ».

On ressort de l’ouvrage de Philippe Zarifian avec le sentiment agréable d’avoir lu un livre riche et fourmillant d’idées, mais aussi avec une gêne. Le travail et son organisation ont connu des évolu-tions importantes en France ces dernières années et décennies, évolutions analysées par Philippe Zarifian à l’aide des concepts de monade, d’engagement subjectif, de solitude, ou encore de modu-lation. Or, l’auteur ne propose

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pas d’éléments d’explication de ces évolutions, n’explicite pas ce qu’ont pu en être les logiques ou les matrices, ce qui donne l’im-pression qu’il les considère comme inéluctables, qu’il ne s’agirait pour les salariés que de les accompa-gner ou de les « contre-effectuer », que toute résistance serait vaine, n’ouvrirait pas « des pistes de de-venirs valables » (p. 134). Cette présentation des choses garantit au moins à Philippe Zarifian de ne pas se faire accuser d’archaïsme ou de nostalgie passéiste ; mais on re-grette qu’il ne confronte pas son approche avec celles d’auteurs 9 qui se sont attachés à montrer les liens entre certains objectifs patro-naux (déstructuration des collectifs de travail, neutralisation/récupération de la « critique artiste » du capi-talisme) et l’éclatement de l’unité théâtrale – et du même coup des cadres collectifs – du travail.

9 Ils sont nombreux. On peut citer notam-ment Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme (Gallimard, 1999).

Car on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que cet éclatement doit certes beaucoup aux évolu-tions techniques, mais qu’il est étroi-tement lié aussi à une volonté de la part des employeurs d’affaiblir les capacités de lutte des salariés. Or cet aspect des choses devrait amener selon nous à ne pas inva-lider trop rapidement la question des résistances à cet « éclatement ».

Mais cette réserve n’enlève rien à l’intérêt de cet ouvrage vivifiant, tonique et stimulant, qui ouvre et explore des pistes innovantes et prometteuses pour la recherche en sociologie du travail.

Jean-Robin Merlin Doctorant en sociologie

CEMS/EHESS

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