NOTE DE PROGRAMME - Orchestre National de Lille...guitariste, Paco de Lucia, avec lequel le musicien...

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INCANDESCENCES ESPAGNOLES Jeudi 22 & vendredi 23 novembre 2018 – 20h Nouveau Siècle, Lille Samedi 24 novembre 2018 - 16h Philharmonie de Paris NOTE DE PROGRAMME

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Page 1: NOTE DE PROGRAMME - Orchestre National de Lille...guitariste, Paco de Lucia, avec lequel le musicien a travaillé durant dix ans. Le concerto n’appartient pas précisément au genre

INCANDESCENCES ESPAGNOLES

Jeudi 22 & vendredi 23 novembre 2018 – 20hNouveau Siècle, Lille

Samedi 24 novembre 2018 - 16h

Philharmonie de Paris

NOTE DE PROGRAMME

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Plus encore que l’Orient, l’Espagne fut la grande passion des compositeurs français de la Troisième République. Deux signes concomitants en favorisent l’éclosion : le réveil économique d’un pays qui se remet de deux siècles de repli culturel mais également la proximité géographique d’un folklore qui propose un antidote salutaire à la domination wagnérienne. Dans Alborada del Gracioso, Ravel signe l’un des grands chefs-d’œuvre inspirés par la péninsule ibérique. Tirée des Miroirs, recueil pour piano de 1905, la pièce attendra 1919 pour être orchestrée en vue d’unballetpour la saison de Serge de Diaghilev. "El Gracioso" désigne un clown typique du Siècle d’Or espagnol, tour à tour plaintif et satirique. Tout l’orchestre prolonge la magie de la pièce originelle pour piano : glissandi de harpes et flûtes, scansion des castagnettes, sombre plainte du basson… Toute en accords arpégés, notes répétées, pincements et grattements, la musique entière évoque une immense guitare, à la fois véloce et tourbillonnante.

Enric Granados appartient à la génération des premiers musiciens ibériques modernes. Comme Albéniz, son aîné, le Catalan fera le voyage à Paris mais reviendra vite aux sources de l’art de son pays. Parallèlement à un vaste cycle pour piano, l’opéra Goyescas (1915) s’inspire ainsi des tableaux de son compatriote Goya. L’Intermezzo est l’une des pages les plus célèbres du compositeur. Difficile de résister à l’élan passionné des violoncelles, dont le chant s’étend petit à petit aux cordes plus aigües, avant que la musique ne se disperse dans un halo impressionniste.

Parmi les folklores de la péninsule ibérique, le flamenco est certainement le plus célèbre et le plus emblématique. Dans Al- Andalus, Cañizares offre un hommage émouvant au légendaire guitariste, Paco de Lucia, avec lequel le musicien a travaillé durant dix ans. Le concerto n’appartient pas précisément au genre : de l’aveu de son auteur, il n’utilise que des "caractéristiques" du style flamenco. Toutefois, l’esprit de Paco de Lucia infuse Al-Andalus au cours de ses trois mouvements, qui, tous évoquent un aspect de la vie du guitariste disparu en 2014. Le premier mouvement utilise une "Bulería", un rythme rapide accompagné de battements de mains, qui selon la coutume, termine les fêtes flamencas. Le deuxième mouvement est le cœur émotionnel de l’œuvre : Cañizares décrit avec une douleur éperdue l’enterrement de son maître. Le compositeur barcelonais y raconte le poids du cercueil porté sur l’épaule gauche, le jour triste et pluvieux, qui brusquement s’illumina de soleil à la sortie de l’église. Le troisième mouvement est le lent retour à la vie grâce à un "tanguillo de Cádiz", la ville natale de Paco de Lucia.

Après le succès de Pelléas et Mélisande, Debussy était un compositeur scruté. En choisissant les couleurs chaudes de l’Espagne, le compositeur de La Mer s’éloignait délibérément d’une esthétique dite impressionniste pour affirmer une franchise de trait, qui allait profondément dérouter les spectateurs de la première audition de la pièce en 1910. La création intégrale de l’œuvre – puisque Ibéria fait partie d’un triptyque appelé Images pour orchestre – en 1913 n’allait pas améliorer le sort critique d’une œuvre secrète, les uns reprochant au compositeur des effets de pittoresque, les autres déplorant une verdeur rythmique qui les éloignait des sortilèges brumeux du symbolisme musical. Le premier tableau, "Par les rues et les chemins", s’apparente à une promenade. On y entend les castagnettes et le tambour de basque qui jouent un rythme de sevillana. Le thème principal est joué par les clarinettes, mais ce qui frappe dans ce mouvement, c’est la profusion d’idées musicales et le changement incessant de tempo, qui font de "Par les rues et les chemins" un éblouissant kaléidoscope, comme un palais des glaces qui briserait chacune de ses vitres pour faire apparaître un nouveau reflet. Le deuxième mouvement, "Les parfums de la nuit", atteint des sortilèges orchestraux peut-être jamais égalés. Cordes en sourdine, motifs aux bois, xylophone, célesta sur fond de tambourin, tout concourt à créer une musique d’une sensualité inouïe, presque en "odorama". La coda, aux cordes exaltées, déploie une étreignante mélancolie, comme une balade amoureuse par une chaude nuit venteuse. Et puis survient "Le matin d’un jour de fête" : l’amoureux nocturne est pris à partie par les violons qui deviennent guitares avant que tout n’explose dans une joyeuse et débridée cacophonie.

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Aux côtés de Manuel de Falla, Joaquín Turina témoigne enfin de la pleine maturité des compositeurs espagnols dans la maîtrise de leur tradition musicale. D’abord conçues pour piano, ses Danzas fantásticas (1920) dressent un passionnant panorama du folklore ibérique. Après un début debussyste, l’"Exaltación" initiale fait entendre une jota aragonaise, dont on entend les échos festifs s’approcher puis s’éloigner dans l’espace. "Ensueño" déploie ensuite une langoureuse rêverie sur un rythme de zortziko basque à cinq temps dans une orchestration translucide. Quant à l’"Orgía" finale, qui rappelle les origines sévillanes de Turina, elle charme par la délicatesse et le raffinement de son écriture mélodique et orchestrale.

Laurent Vilarem