Nom : Prénom : Classe : 1e ESA (24 élèves) · 2018-06-03 · Séquence 3 : Le Parti-pris des...

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Nom : Prénom : Classe : 1e ESA (24 élèves) DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES FRANÇAIS 1e ESA Séquence 1 : Cherchez la bête… Objet d’étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours Problématique(s) : L’animal peut-il faire un bon personnage de roman ? Pour l’exposé Pour l’entretien Lectures analytiques (extraits de romans cités ci-dessous) : - Victor Hugo, Les Travailleurs de la Mer, 1866 - Émile Zola, Germinal, 1885 - Joseph Kessel, Le Lion, 1958 - Joy Sorman, La Peau de l’Ours, 2014 Textes et documents complémentaires : L’animal dans la guerre : - Étude d’un extrait de Cheval de guerre , film de Steven Spielberg - Lecture d’un extrait de La Débâcle, d’Émile Zola Histoire des arts : - Analyse d’un dessin de Victor Hugo (en lien avec l’extrait des Travailleurs de la Mer) - Travail personnel : réalisation d’une exposé écrit les représentations et du traitement d’un animal dans l’art et la littérature. Lycée François Rabelais 45 rue Rabelais 85200 Fontenay le Comte

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Nom : Prénom : Classe : 1e ESA (24 élèves)

DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES FRANÇAIS 1e ESA

Séquence 1 : Cherchez la bête…

Objet d’étude : Le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Problématique(s) : L’animal peut-il faire un bon personnage de roman ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques (extraits de romans cités ci-dessous) :

- Victor Hugo, Les Travailleurs de la Mer, 1866

- Émile Zola, Germinal, 1885 - Joseph Kessel, Le Lion, 1958 - Joy Sorman, La Peau de l’Ours, 2014

Textes et documents complémentaires :

L’animal dans la guerre : - Étude d’un extrait de Cheval de guerre , film

de Steven Spielberg - Lecture d’un extrait de La Débâcle, d’Émile

Zola

Histoire des arts : - Analyse d’un dessin de Victor Hugo (en lien avec l’extrait des Travailleurs de la Mer) - Travail personnel : réalisation d’une exposé écrit les représentations et du traitement d’un animal dans l’art et la littérature.

Lycée François Rabelais 45 rue Rabelais 85200 Fontenay le Comte

Séquence 2 : L’Adversaire d’Emmanuel Carrère

Objets d’étude : • Le personnage de roman du XVIIème siècle à nos jours • La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation

Problématique(s) : en quoi, sous la plume du romancier, l’homme réel devient-il personnage de roman?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

NB : Les pages renvoient à l’édition P.O.L, collection folio 3520. - Le « double » incipit (page 9 et pages 11 à 12) - La prise de contact (pages 34-40) - Les récits du meurtre des enfants ( pages 162-165)

Étude(s) d’ensemble : - Le(s) sens du titre - La tentation de la fiction dans le traitement du fait

divers - La question du genre littéraire de l’œuvre

Documents complémentaires :

- Vidéo : entretiens avec Emmanuel Carrère, dans le DVD édité par le SCEREN dans la collection « romans d’aujourd’hui, lycée ». Les chapitres suivants ont été vus et commentés en classe.

- La genèse de l’oeuvre - La difficulté du traitement littéraire - La place de l’auteur-narrateur - Truman Capote et de Sang-froid

Des résumés de ces entretiens sont fournis dans ce descriptif

- Textes : Extraits d’entretiens avec E. Carrère

Lecture cursive : Albert Camus, L’Étranger

Travail en classe : comparaison de Meursault et de J-C Romand

Activité personnelle :

Rédaction d’une lettre à E. Carrère afin de proposer des éléments de réponse à la question du genre de cet « objet littéraire bizarre » qu’est L’Adversaire.

Séquence 3 : Le Parti-pris des Choses, Francis Ponge

Objet d’étude : Écriture poétique et quête de sens du Moyen-âge à nos jours

Problématique(s) : qui prend parti ? le poète pour les choses ou les objets pour la poésie ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

- « Pluie » - « Le cageot » - « Le pain » - « L’huître » - « Les plaisirs de la porte »

Questions d’ensemble

- Quel sens donner à la préposition « des » dans le titre

- Qu’est-ce qu’un poème ? comment caractériser l’écriture poétique dans ce recueil .

- Quelle est la cohérence de ce recueil?

Textes complémentaires :

Pour la question portant sur l’écriture poétique de Ponge,

- Rémy Belleau, Petites inventions (1556), « L’huître » (vers 29-56)

- Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1873), article «huître » (extrait)

- La Fontaine, Fables (1678-1679), « Le Rat et l’huître » (VIII, 9)

- Littré, Dictionnaire de la langue française (1863-1877), article « huître » (extraits)

Pour élargir le travail vers d’autres poètes,

- Arthur Rimbaud, « Le buffet » - Charles Baudelaire, « L’horloge » - Jacques Réda, « La bicyclette »

Histoire des arts :

Marcel Duchamp, Fontaine

Lecture(s) cursive(s) :

Deux poèmes longs extraits du Parti-pris des Choses

- « Escargots » - « Le galet »

Séquence 4: Incendies, Wajdi Mouawad (étude d’une oeuvre intégrale)

Objet(s) d’étude : • Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours • La question de l'Homme dans les genres de l'argumentation du XVIème à nos jours

Problématique(s) : Incendies, pièce consolatrice ou révoltée ? S’agit-il d’éteindre les flammes ou de nourrir le feu ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

(Les numéros des pages renvoient à l’édition Acte Sud, collection Babel)

- Scène 1 (scène d’exposition), pages 13 15 - Scène 5, « Ce qui est là », pages 32 à 35. - Scène 19, « Les pelouses de banlieues ,

pages 69 à 73 : depuis « Jeanne. Pourquoi vous pensez à notre mère chaque fois qu’un bus s’arrête? » à la fin de la scène.

Textes complémentaires :

- Préface de Wajdi Mouawad - Extrait de Roméo et Juliette de William

Skakespeare et du mythe « Pyrame et Thisbé » d’Ovide (étude de l’intertextualité lors de l’analyse de la scène 5)

- Extraits d’Oedipe-Roi de Sophocle

Étude(s) d’ensemble :

- Composition, structure et mise(s) en scène, comment mettre en scène une pièce se déroulant à deux époques et dans deux pays ?

- Incendies et la tragédie grecque. Est-il pertinent de rapprocher cette pièce d’Oedipe-Roi de Sophocle, voire d’en faire une réécriture moderne ?

Histoire des arts :

- Photographies de mises en scène - Étude d’un extrait d’Incendies, adaptation

cinématographique de Denis Villeneuve

Lecture cursive : Le quatrième mur, Sorj Chalendon

Prolongement de la séquence 4 : le monstrueux a-t-il sa place sur la scène ?

Travail collectif puis individuel débouchant sur la rédaction d’une dissertation.

Sujet : Dans l'article "Débat sur la violence au théâtre" publié dans le journal Le Monde, du 4 décembre 2006, Jean-loup Rivière, auteur dramatique et critique au théâtre, fait référence à Aristote, pour qui "Le monstrueux doit être dans le texte, pas sur la scène". Vous discuterez cette affirmation.

Les textes de ce corpus n’ont pas fait l’objet de lectures analytiques mais s’inscrivent dans une réflexion sur la violence et le monstrueux amorcée lors de l’étude d’Incendies.

Corpus d’extraits - Pierre Corneille, Horace, V, 6 - Jean Racine, Phèdre, IV, 5 - Victor Hugo, Hernani, V, 6 - Jean Cocteau, La Machine infernale - Wajdi Mouawad, Incendies, sc.31 (pages

107-109)

Extraits vidéo - Molière, Dom Juan, Acte V, scène 5 et 6,

mise en scène de Daniel Mesguich - Phèdre, V, scène dernière, mise en scène de

Patrice Chéreau

Photographies : - La Machine Infernale - Incendies, le personnage de Nihad de la

scène 31

Activités :

- Lecture et analyse du corpus (travail de groupe, chaque groupe a lu et travaillé sur chaque extrait, vidéo et image)

- Confrontation des analyses - Élaboration d’un plan de dissertation - Rédaction individuelle de la dissertation

Séquence 5 : La Femme gelée, Annie Ernaux (1981)

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation

Problématique(s) : - Comment le récit intime et autobiographique s’inscrit-il dans un projet engagé et féministe ? - Comment le « Je » du récit fait-il l’expérience de la difficile, voire impossible conciliation entre ses désirs d’émancipation et un certain modèle social ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

Les numéros des pages renvoient à l’édition Gallimard, folio n° 1818

- Extrait 1 : pages 58 à 62, depuis « De leur discours… » à « je suis entrée dans l'image et je crève.

- Extrait 2 : pages 67 à 69, depuis « Brigitte, ma prêteuse de soutien-gorge » jusqu’à « se perdre dans l’autre, mais pareil au fond ».

- Extrait 3 : pages 130 à 132, depuis « Par la dînette… » jusqu’à « Moi, je me sentais couler. »

Textes complémentaires

Corpus sur l’éducation des femmes, à compléter par un extrait choisi dans La Femme gelée :

• Molière, L’École des Femmes, acte I, scène 1 (1662)

• J-J Rousseau, Émile ou de L’Éducation (1762)

• Simone de Beauvoir, Le deuxième Sexe (1949)

Étude(s) d’ensemble

- Les sens du titre - Les questions de société abordées dans

l’oeuvre. - la question du genre ; qu’est-ce

qu’une« socio-auto-biographie » (terme donné par l’auteur à son oeuvre)

Activité d’écriture personnelle

La série des « uns » (cf consignes)

Lecture(s) cursive(s) (au choix)

- Annie Ernaux, La Place - Annie Ernaux, Une Femme - L’Abbé Prévost, Manon Lescaut

Le proviseur du Lycée François Rabelais, Mme Katia Monteiro-Teles

Le professeur de la classe, M. Cédric Beaupin

Prolongement de la séquence 4 : le monstrueux a-t-il sa place sur la scène ?

Travail collectif puis individuel débouchant sur la rédaction d’une dissertation.

Sujet : Dans l'article "Débat sur la violence au théâtre" publié dans le journal Le Monde, du 4 décembre 2006, Jean-loup Rivière, auteur dramatique et critique au théâtre, fait référence à Aristote, pour qui "Le monstrueux doit être dans le texte, pas sur la scène". Vous discuterez cette affirmation.

Les textes de ce corpus n’ont pas fait l’objet de lectures analytiques mais s’inscrivent dans une réflexion sur la violence et le monstrueux amorcée lors de l’étude d’Incendies.

Corpus d’extraits - Pierre Corneille, Horace, V, 6 - Jean Racine, Phèdre, IV, 5 - Victor Hugo, Hernani, V, 6 - Jean Cocteau, La Machine infernale - Wajdi Mouawad, Incendies, sc.31 (pages

107-109)

Extraits vidéo - Molière, Dom Juan, Acte V, scène 5 et 6,

mise en scène de Daniel Mesguich - Phèdre, V, scène dernière, mise en scène de

Patrice Chéreau

Photographies : - La Machine Infernale - Incendies, le personnage de Nihad de la

scène 31

Activités :

- Lecture et analyse du corpus (travail de groupe, chaque groupe a lu et travaillé sur chaque extrait, vidéo et image)

- Confrontation des analyses - Élaboration d’un plan de dissertation - Rédaction individuelle de la dissertation

Séquence 5 : La Femme gelée, Annie Ernaux (1981)

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation

Problématique(s) : - Comment le récit intime et autobiographique s’inscrit-il dans un projet engagé et féministe ? - Comment le « Je » du récit fait-il l’expérience de la difficile, voire impossible conciliation entre ses désirs d’émancipation et un certain modèle social ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

Les numéros des pages renvoient à l’édition Gallimard, folio n° 1818

- Extrait 1 : pages 58 à 62, depuis « De leur discours… » à « je suis entrée dans l'image et je crève.

- Extrait 2 : pages 67 à 69, depuis « Brigitte, ma prêteuse de soutien-gorge » jusqu’à « se perdre dans l’autre, mais pareil au fond ».

- Extrait 3 : pages 130 à 132, depuis « Par la dînette… » jusqu’à « Moi, je me sentais couler. »

Textes complémentaires

Corpus sur l’éducation des femmes, à compléter par un extrait choisi dans La Femme gelée :

• Molière, L’École des Femmes, acte I, scène 1 (1662)

• J-J Rousseau, Émile ou de L’Éducation (1762)

• Simone de Beauvoir, Le deuxième Sexe (1949)

Étude(s) d’ensemble

- Les sens du titre - Les questions de société abordées dans

l’oeuvre. - la question du genre ; qu’est-ce

qu’une« socio-auto-biographie » (terme donné par l’auteur à son oeuvre)

Activité d’écriture personnelle

La série des « uns » (cf consignes)

Lecture(s) cursive(s) (au choix)

- Annie Ernaux, La Place - Annie Ernaux, Une Femme - L’Abbé Prévost, Manon Lescaut

Texte 2 : Pierre Corneille, Horace, acte IV, scène 5 (extrait), 1641.

[Deux Romains, Horace et Camille, sont frère et sœur. Par un tragique hasard, Horace doit combattre l’époux de Camille, un guerrier issu de la cité voisine, Albe. N’écoutant que son devoir patriotique, il tue cet ennemi, provoquant la colère de sa sœur Camille.]

Horace

Suis moins ta passion, règle mieux tes désirs, Ne me fais plus rougir d’entendre tes soupirs ; Tes flammes désormais doivent être étouffées ; Bannis-les de ton âme, et songe à mes trophées : Qu’ils soient dorénavant ton unique entretien.

Camille

Donne-moi donc, barbare, un cœur comme le tien ; Et si tu veux enfin que je t’ouvre mon âme, Rends-moi mon Curiace, ou laisse agir ma flamme : Ma joie et mes douleurs dépendaient de son sort ; Je l’adorais vivant, et je le pleure mort. Ne cherche plus ta sœur où tu l’avais laissée ; Tu ne revois en moi qu’une amante offensée, Qui comme une furie attachée à tes pas, Te veut incessamment reprocher son trépas. Tigre altéré de sang, qui me défends les larmes, Qui veux que dans sa mort je trouve encor des charmes, Et que jusques au ciel élevant tes exploits, Moi-même je le tue une seconde fois ! Puissent tant de malheurs accompagner ta vie, Que tu tombes au point de me porter envie ; Et toi, bientôt souiller par quelque lâcheté Cette gloire si chère à ta brutalité !

Horace

Ô ciel ! Qui vit jamais une pareille rage ! Crois-tu donc que je sois insensible à l’outrage, Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ? Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur, Et préfère du moins au souvenir d’un homme Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome.

Camille

Rome, l’unique objet de mon ressentiment ! Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant ! Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore ! Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Puissent tous ses voisins ensemble conjurés Saper ses fondements encor mal assurés ! Et si ce n’est assez de toute l’Italie, Que l’orient contre elle à l’occident s’allie ; Que cent peuples unis des bouts de l’univers Passent pour la détruire et les monts et les mers ! Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mains déchire ses entrailles ! Que le courroux du ciel allumé par mes vœux Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux ! Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre, Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre, Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !

Horace, mettant l’épée à la main, et poursuivant sa sœur qui s’enfuit.

C’est trop, ma patience à la raison fait place ; Va dedans les enfers plaindre ton Curiace.

Camille, blessée derrière le théâtre.

Ah ! Traître !

Horace, revenant sur le théâtre.

Ainsi reçoive un châtiment soudain Quiconque ose pleurer un ennemi romain !

Jean Racine, Phèdre, 1677

[Phèdre traite de la passion incestueuse de l’héroïne éponyme pour son beau-fils Hippolyte. Phèdre a été convaincue par Œnone, sa servante, qu’elle pouvait révéler son amour pour Hippolyte croyant que Thésée était mort mais Hippolyte repousse ses avances et le retour de Thésée conduit Phèdre a accusé Hippolyte de lui avoir déclaré son amour. Thésée maudit son fils et demande à Neptune de le venger. Dans l’acte V, scène 6, Théramène, proche d’Hippolyte rapporte à Thésée les circonstances de la mort du jeune héros.]

THERAMENE […] Un effroyable cri, sorti du fond des flots, Des airs en ce moment a troublé le repos ; Et du sein de la terre, une voix formidable Répond en gémissant à ce cri redoutable. Jusqu'au fond de nos coeurs notre sang s'est glacé ; Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé. Cependant, sur le dos de la plaine liquide, S'élève à gros bouillons une montagne humide ; L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux, Parmi des flots d'écume, un monstre furieux. Son front large est armé de cornes menaçantes ; Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes ; Indomptable taureau, dragon impétueux, Sa croupe se recourbe en replis tortueux. Ses longs mugissements font trembler le rivage. Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage, La terre s'en émeut, l'air en est infecté ; Le flot qui l'apporta recule épouvanté. Tout fuit ; et sans s'armer d'un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros, Arrête ses coursiers, saisit ses javelots, Pousse au monstre, et d'un dard lancé d'une main sûre, Il lui fait dans le flanc une large blessure. De rage et de douleur le monstre bondissant Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant, Se roule, et leur présente une gueule enflammée Qui les couvre de feu, de sang et de fumée. La frayeur les emporte, et sourds à cette fois, Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ; En efforts impuissants leur maître se consume ; Ils rougissent le mors d'une sanglante écume. On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux, Un dieu qui d'aiguillons pressait leur flanc poudreux. A travers des rochers la peur les précipite. L'essieu crie et se rompt : l'intrépide Hippolyte Voit voler en éclats tout son char fracassé ; Dans les rênes lui-même, il tombe embarrassé.

Excusez ma douleur. Cette image cruelle Sera pour moi de pleurs une source éternelle. J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils Traîné par les chevaux que sa main a nourris. Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ; Ils courent ; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie. De nos cris douloureux la plaine retentit. Leur fougue impétueuse enfin se ralentit ; Ils s'arrêtent non loin de ces tombeaux antiques Où des rois ses aïeux sont les froides reliques, J'y cours en soupirant, et sa garde me suit. De son généreux sang la trace nous conduit, Les rochers en sont teints, les ronces dégouttantes Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. […]

Texte 4 : Victor Hugo, Hernani, 1830

ACTE V, SCÈNE 6

HERNANI, DON RUY GOMEZ, DONA SOL

[…]

HERNANI Il a ma parole et je dois la tenir. DON RUY GOMEZ Allons! Hernani approche la fiole de ses lèvres. Doña Sol se jette sur son bras. DONA SOL Oh ! pas encor ! Daignez tous deux m'entendre ! DON RUY GOMEZ Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre. DONA SOL Un instant ! - Monseigneur! Mon don Juan ! - Ah ! tous deux Vous êtes bien cruels ! Qu'est ce que je veux d'eux ? Un instant ! voilà tout, tout ce que je réclame ! Enfin on laisse dire à cette pauvre femme Ce qu'elle a dans le cœur !... - Oh ! laissez-moi parler ! DON RUY GOMEZ, à Hernani. J'ai hâte. DONA SOL Messeigneurs, vous me faites trembler ! Que vous ai-je donc fait ? HERNANI Ah ! son cri me déchire. DONA SOL, lui retenant toujours le bras. Vous voyez bien que j'ai mille choses à dire ! DON RUY GOMEZ, à Hernani. Il faut mourir. DONA SOL, toujours pendue au bras d'Hernani. Don Juan, lorsque j'aurai parlé, Tout ce que tu voudras, tu le feras. Elle lui arrache la fiole. Je l'ai ! Elle élève la fiole aux yeux d'Hernani et du vieillard étonné. DON RUY GOMEZ Puisque je n'ai céans affaire qu'à deux femmes, Don Juan, il faut qu'ailleurs j'aille chercher des âmes. Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors, Et je vais à ton père en parler chez les morts ! - Adieu ! Il fait quelques pas pour sortir. Hernani le retient.

HERNANI Duc, arrêtez ! A Doña Sol. Hélas ! je t'en conjure, Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ? Veux-tu que partout j'aille avec la trahison Ecrite sur le front ? Par pitié, ce poison, Rends-le moi ! Par l'amour, par notre âme immortelle !... DONA SOL, sombre. Tu veux ? Elle boit. Tiens maintenant. DON RUY GOMEZ, à part. Ah ! c'était donc pour elle ! DONA SOL, rendant à Hernani la fiole à demi vidée. Prends, te dis-je. HERNANI, à don Ruy. Vois-tu, misérable vieillard ! DONA SOL Ne te plains pas de moi, je t'ai gardé ta part. HERNANI, prenant la fiole. Dieu ! DONA SOL Tu ne m'aurais pas ainsi laissé la mienne, Toi ! Tu n'as pas le cœur d'une épouse chrétienne. Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva. Mais j'ai bu la première et suis tranquille. - Va ! Bois si tu veux ! HERNANI Hélas ! qu'as-tu fait, malheureuse ? DONA SOL C'est toi qui l'as voulu. HERNANI C'est une mort affreuse ! DONA SOL Non. Pourquoi donc ? HERNANI Ce philtre au sépulcre conduit. DONA SOL Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ? Qu'importe dans quel lit ? HERNANI

Texte complémentaire

Jean Cocteau, La Machine infernale, Acte II, extrait (1932).

LE SPHINX : Ensuite, je te commanderais d'avancer un peu et je t'aiderais en desserrant tes jambes. Là ! Et je t'interrogerais. Je te demanderais, par exemple : «Quel est l'animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, sur trois pattes le soir ? » Et tu chercherais, tu chercherais. À force de chercher, ton esprit se poserait sur une petite médaille de ton enfance, ou tu répéterais un chiffre, ou tu compterais les étoiles entre ces deux colonnes détruites ; et je te remettrais au fait en te dévoilant l'énigme. Cet animal est l'homme qui marche à quatre pattes lorsqu'il est enfant, sur deux pattes quand il est valide, et lorsqu'il est vieux, avec la troisième patte d'un bâton. ŒDIPE : C'est trop bête ! LE SPHINX : Tu t'écrierais : « C'est trop bête ! » Vous le dites tous. Alors puisque cette phrase confirme ton échec, j'appellerais Anubis, mon aide. Anubis ! Anubis paraît, les bras croisés, la tête de profil, debout à droite du socle. ŒDIPE : Oh ! Madame... Oh ! Madame ! Oh ! non ! non ! non ! non, madame ! LE SPHINX : Et je te ferais mettre à genoux. Allons… Allons... là, là… Sois sage. Et tu courberais la tête... et l'Anubis s'élancerait. Il ouvrirait ses mâchoires de loup ! Œdipe pousse un cri. J'ai dit : courberais, s'élancerait... ouvrirait... N'ai-je pas toujours eu soin de m'exprimer sur ce mode? Pourquoi ce cri ? Pourquoi cette face d'épouvante ? C'était une démonstration, Œdipe, une simple démonstration. Tu es libre. ŒDIPE : Libre ! (Il remue un bras, une jambe... il se lève, il titube, il porte la main à sa tête.) ANUBIS : Pardon, Sphinx. Cet homme ne peut sortir d'ici sans subir l'épreuve. LE SPHINX : Mais...ANUBIS : Interroge-le... ŒDIPE : Mais...ANUBIS : Silence ! Interroge cet homme. Un silence. Œdipe tourne le dos, immobile. LE SPHINX : Je l'interrogerai... je l'interrogerai... C'est bon. (Avec un dernier regard de surprise vers Anubis.) Quel est l'animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, sur trois pattes le soir ? ŒDIPE : L'homme parbleu ! qui se traîne à quatre pattes lorsqu'il est petit, qui marche sur deux pattes lorsqu'il est grand et qui, lorsqu'il est vieux, s'aide avec la troisième patte d'un bâton. Le Sphinx roule sur le socle. ŒDIPE, prenant sa course vers la droite : Vainqueur ! Il s'élance et sort par la droite. Le Sphinx glisse dans la colonne, disparaît derrière le mur, reparaît sans ailes. LE SPHINX : Œdipe ! Où est-il ? Où est-il ? ANUBIS : Parti, envolé. Il court à perdre haleine proclamer sa victoire. LE SPHINX : Sans un regard vers moi, sans un geste ému, sans un signe de reconnaissance. ANUBIS : Vous attendiez-vous à une autre attitude ? LE SPHINX : L'imbécile ! Il n'a donc rien compris. ANUBIS : Rien compris.

Mon père, tu te venges Sur moi qui t'oubliais ! Il porte la fiole à sa bouche. DONA SOL, se jetant sur lui. Ciel ! des douleurs étranges !... Ah ! jette loin de toi ce philtre ! - Ma raison S'égare. Arrête! Hélas ! mon don Juan, ce poison Est vivant ! ce poison dans le cœur fait éclore Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore ! Oh ! je ne savais pas qu'on souffrît à ce point ! Qu'est-ce donc que cela ? c'est du feu ! Ne bois point ! Oh ! tu souffrirais trop ! HERNANI, à don Ruy. Oh ! ton âme est cruelle ! Pouvais-tu pas choisir d'autre poison pour elle ? Il boit et jette la fiole. DONA SOL Que fais-tu ? HERNANI Qu'as-tu fait ? DONA SOL Viens, ô mon jeune amant, Dans mes bras. Ils s'asseyent l'un près de l'autre. Est-ce pas qu'on souffre horriblement ? HERNANI Non. DONA SOL Voilà notre nuit de noces commencée ! Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ? HERNANI Ah ! DON RUY GOMEZ La fatalité s'accomplit. HERNANI Désespoir ! O tourment ! Doña Sol souffrir, et moi le voir ! DONA SOL Calme-toi. Je suis mieux. - Vers des clartés nouvelles Nous allons tout à l'heure ensemble ouvrir nos ailes. Partons d'un vol égal vers un monde meilleur. Un baiser seulement, un baiser ! Ils s'embrassent. DON RUY GOMEZ O douleur ! HERNANI, d'une voix affaiblie. Oh ! béni soit le ciel qui m'a fait une vie D'abîmes entourée et de spectres suivie, Mais qui permet que, las d'un si rude chemin, Je puisse m'endormir ma bouche sur ta main ! DON RUY GOMEZ

Qu'ils sont heureux ! HERNANI, d'une voix de plus en plus faible. Viens, viens... Doña Sol... tout est sombre... Souffres-tu ? DONA SOL, d'une voix également éteinte. Rien, plus rien. HERNANI Vois-tu des feux dans l'ombre ? DONA SOL Pas encor. HERNANI, avec un soupir. Voici... Il tombe. DON RUY GOMEZ, soulevant sa tête qui retombe. Mort ! DONA SOL, échevelée, et se dressant à demi sur son séant. Mort ! non pas ! nous dormons. Il dort. C'est mon époux, vois-tu. Nous nous aimons. Nous sommes couchés là. C'est notre nuit de noce. D'une voix qui s'éteint. Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce. Il est las. Elle retourne la figure d'Hernani. Mon amour, tiens-toi vers moi tourné... Plus près... plus près encor... Elle retombe. DON RUY GOMEZ Morte ! - Oh ! je suis damné. Il se tue.

Incendies, page107-110

Le personnage de Nihad, dans Incendies (mise en scène de Wajdi Mouawad)

Document complémentaire

Jean Cocteau, La Machine infernale (1932)

Dans cette pièce, le Sphinx est une jeune fille, tombée sous le charme d'Œdipe, mais celui-ci lui résiste. Elle le tient alors dans un état de paralysie et lui fait connaître les souffrances qu'elle lui infligerait si elle lui faisait subir le sort des autres hommes tombés en son pouvoir. Le chien Anubis, dieu égyptien de la mort, veille au respect des consignes données par les dieux : il n'est pas question de s'attendrir sur les humains.

Séquence 5 : La Femme gelée, Annie Ernaux (1981)

Objet d’étude : La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation

Problématique(s) : - Comment le récit intime et autobiographique s’inscrit-il dans un projet engagé et féministe ? - Comment le « Je » du récit fait-il l’expérience de la difficile, voire impossible conciliation entre ses désirs d’émancipation et un certain modèle social ?

Pour l’exposé Pour l’entretien

Lectures analytiques :

Les numéros des pages renvoient à l’édition Gallimard, folio n° 1818

- Extrait 1 : pages 58 à 62, depuis « De leur discours… » à « je suis entrée dans l'image et je crève.

- Extrait 2 : pages 67 à 69, depuis « Brigitte, ma prêteuse de soutien-gorge » jusqu’à « se perdre dans l’autre, mais pareil au fond ».

- Extrait 3 : pages 130 à 132, depuis « Par la dînette… » jusqu’à « Moi, je me sentais couler. »

Textes complémentaires

Corpus sur l’éducation des femmes, à compléter par un extrait choisi dans La Femme gelée :

• Molière, L’École des Femmes, acte I, scène 1 (1662)

• J-J Rousseau, Émile ou de L’Éducation (1762)

• Simone de Beauvoir, Le deuxième Sexe (1949)

Étude(s) d’ensemble

- Les sens du titre - Les questions de société abordées dans

l’oeuvre. - la question du genre ; qu’est-ce

qu’une« socio-auto-biographie » (terme donné par l’auteur à son oeuvre)

Activité d’écriture personnelle

La série des « uns » (cf consignes)

Lecture(s) cursive(s) (au choix)

- Annie Ernaux, La Place - Annie Ernaux, Une Femme - L’Abbé Prévost, Manon Lescaut

Annie Ernaux, La Femme gelée, pages 58-62 (Lecture analytique n°1)

[…] De leur discours, j'en prends donc et j'en laisse. On en laisse toujours moins qu'on s'imagine. Surtout qu'il est ardu, impossible même, de repérer à dix ans des tas de rapports, comme entre cette admiration qu'on nous inculque pour la Vierge, notre mère à tous, l'église aussi est notre mère, et le respect de « votre chère maman ». J'espère que vous l'aidez, mes petites filles, jamais vous ne lui prouverez assez votre reconnaissance, la maison en ordre, c'est elle, votre robe repassée, c'est elle, et les repas, etc. Interminable. Lourde à porter l'iconographie maternelle déballée par l'école des sœurs. « Votre maman, quand vous lui faites de la peine, elle pleure en secret. » Les deux vallées de larmes dans les joues de la Vierge. « Que deviendriez-vous sans votre maman ? » La maîtresse se fait menaçante. La terre se vide, dans un rêve de désert, j'avance à l'aveugle, seule au monde. Encore une angoisse molle à me rappeler la mélopée de ces voix, atrocement mielleuse et tragique. Prouver à toute force sa reconnaissance. Napperons brodés, corbeilles de raphia, compliments avec des cordelières de coton perlé, vite dès la rentrée de Pâques, toutes les fins d'après-midi bruissent d'une activité trépidante, on prépare la fête des Mères. Pour moi c'est la liberté, l'école pour rire enfin, je passe des moments délicieux, l'aiguille à la main, un point toutes les minutes, à raconter des histoires, en écouter. Une voix glace soudain la fête : « Mademoiselle, je vous vois, vous ne faites rien, vous n'aurez pas fini votre corbeille ! » J'ai envie de dire la vérité, celle dont je suis sûre à onze ans, que ma mère s'en bat l'œil de son cadeau, le dimanche de la fête, elle devra trisser d'un bout à l'autre du magasin tout le matin, que le petit paquet posé entre le plat de sardines à l'huile et sa serviette la fera se tortiller de gêne « gentil tout plein, un bisou ! » et puis « range-le, qu'on ne le salisse pas ». Terminé. Qu'il n'est pas question de réciter le compliment, ce qu'on se sentirait ridicules toutes les deux. Je n'oserai jamais avouer des choses pareilles, d'autant plus que la maîtresse affirme devant toute la classe : « Si vous ne finissez pas votre corbeille, c'est que vous n'aimez pas votre maman ! » Je pique du nez sur mon ouvrage, persuadée d'être un monstre, même si chez moi la fête des Mères c'est roupie de sansonnet . 1

Obscurément, en ces occasions, je sentais avec malaise que ma mère n'était pas une vraie mère, c'est-à-dire comme les autres. Ni pleureuse ni nourricière, encore moins ménagère, je ne rencontrais pas beaucoup de ses traits dans le portrait-robot fourni par la maîtresse. Ce dévouement silencieux, ce perpétuel sourire, et cet effacement devant le chef de famille, quel étonnement, quel incrédulité, pas encore trop de gêne, de ne pas en découvrir trace en ma mère. Et si la maîtresse savait qu'elle dit des gros mots, que les lits ne sont pas faits de la journée quelquefois et qu'elle flanque dehors les clients qui ont trop bu. Tellement agaçante en plus la maîtresse à susurrer « votre mââman », chez moi et dans tout le quartier, on disait « moman ». Grosse

roupie de sansonnet : sans valeur1

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différence. Ce mââman-là s'applique à d'autres mères que la mienne. Pas celles que je connais bien de ma famille ou du quartier, toujours à râler dur, se plaindre que ça coûte cher les enfants, distribuer des pêches à droite et à gauche pour avoir le dessus, incroyable ce qu'elles manquent du « rayonnement intérieur » attribué par la maîtresse aux mââmans. Mais celles, distinguées, pomponnées, aux gestes mesurés, que je vois à la sortie de l'école quand mon père m'attend près de son vélo. Ou celles qu'on appelle dans l'Echo de la mode des « maîtresses de maison », qui mijotent de bons petits plats dans des intérieurs coquets, dont les maris sont dans des bureaux. La vraie mère, c'était lié pour moi à un mode de vie qui n'était pas le mien. Marie-Jeanne, si peu ma copine, pourquoi m'invite-t-elle ce jour de juin à boire de la limonade chez elle, une villa dans un petit jardin. On devait vendre ensemble des billets de tombola dans sa rue. Le couloir sombre, avec des tableaux, débouchait sur une cuisine miroitante, blanche comme dans les catalogues. Une femme mince, en blouse rose, glissait entre l'évier et la table. Une tarte peut-être. Par la fenêtre ouverte j'apercevais des fleurs. On entendait juste l'eau du robinet s'écouler sur des fraises dans une passoire. Silence, lumière. Propreté. Une espèce de femme à mille lieues de ma mère, une femme à qui on pouvait réciter le compliment de la fête des mères sans avoir l'impression de jouer la comédie. Femme lisse, heureuse je croyais parce qu'autour d'elle tout me paraissait joli. Et le soir, Marie-Jeanne et ses frères mangeraient tranquillement le repas préparé, comme dans la poésie de Sully Prudhomme, ni cris ni sous comptés aigrement sur un coin de table. L'ordre et la paix. Le paradis. Dix ans plus tard, c'est moi dans une cuisine rutilante et muette, les fraises et la farine, je suis entrée dans l'image et je crève. Pourtant, jusqu'à l'adolescence, je trouve normal que mon père soit à la vaisselle et ma mère aux casiers. Cuisine, repassage et couture ne sont pas des valeurs pour moi, pour qui d'ailleurs, à l'école on expédie à l'« enseignement ménager », sous les combles, toutes celles qui roupillaient au fond de la classe, dont on est sûr qu'elles n'auraient pas le certificat d'études en triplant. Les danseuses de dix ans en tutus me pincent le cœur cinq minutes mais dans la cour je m'envole sur la balançoire, je pédale en rêvant, j'ai toujours envie de me dépenser comme répète ma mère. Belle ou laide, gracieuse ou non, j'aime me regarder dans la glace en culotte petit-bateau et en chemise à faire des entrechats sur ma musique intérieure. C'est l'été, j'ai bientôt douze ans. Une nuit d'insomnie j'assiste pour la première fois le nez collé à la fenêtre à la levée du jour. Quand le bleu aura fini de pâlir, je m'endormirai dans l'étonnement d'une découverte étrange et précieuse. C'était comme quelque chose d'interdit. J'étais encore libre et heureuse cette année-là.

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Annie Ernaux, La Femme gelée, pages 67-69 (lecture analytique n°2)

Brigitte, ma prêteuse de soutien-gorge, disait qu'elle était trop maigre, que moi j'étais un peu grosse et puis trop grande, les hommes n'aiment pas les femmes grandes, se plaignait d'être « obligée » de se mettre des amplis, tortillait ses cheveux sur un doigt et souriait bouche fermée parce que ses dents n'étaient pas bien plantées. Difficile en réalité dans les fous rires qui nous prenaient pour un rien. On s'était perdues de vue depuis les séances instructives dans les vécés, deux ans plus vieille que moi, elle avait quitté l'école et suivait des cours de sténodactylo. On est devenues amies parce que c'était pratique pour les dimanches : à deux on pouvait aller au cinéma, au moto-cross ou à la quinzaine commerciale. Initiatique, avec ses années de plus et son langage que toute sa petite personne menue et décidée rendait plus que vivant, indiscutable. Vers deux heures le dimanche elle arrivait en se trémoussant, « tu t'es mis ta jupe plissée aujourd'hui », œil critique, « ça te fait des grosses jambes. » Elle enchaînait « t'as vu je me suis lavé la tête, j'ai les cheveux électriques ». Et de comparer les fringues, de nous les échanger, passe-temps favori, et comment tu me trouves avec ci et ça. Un jour où je me suis noué un carré de coton autour de la tête, j'attends son verdict. Un petit sourire et soudain, son ton affecté, celui des films : « Tu es de celles dont on ne dit rien. » Cinq secondes, le vide, néantisée. Mais dans ses moments cafardeux elle ne se ménage pas non plus, « on n'est pas des beautés, normales quoi ». Pas un pouce du corps qui échappait à sa sagacité, pas un orteil à bouger librement, des jambes à croiser, un rire à laisser partir sans penser à rien. Me rappelait tout le temps à l'ordre : « Les poils aux pattes c'est pas beau. Tu devrais mettre du vernis sur tes ongles de pieds. On te voit trop les cuisses quand tu t'assois. » Le corps tout le temps sous surveillance, encarcanné, brusquement éclaté en des tas de morceaux, les yeux, la peau, les cheveux, dont il fallait s'occuper un à un pour atteindre l'idéal. Entreprise difficile puisqu'un seul détail pouvait tout gâcher : « T'as vu celle-là, ses fesses en goutte d'huile ! » La plupart du temps Brigitte arrivait à me persuader qu'elle avait un genre, Françoise Arnoul peut-être, quelque chose d'attirant et de mystérieux, attention 1

un bon genre pas voyant. Effarant ce qu'elle connaissait le code, paraître jolie, désirable tant qu'on veut, mais surtout pas laisser supposer qu'on est « facile », un de ses mots. Imbattable pour détecter « ce qui fait poule », la permanente trop frisée, le rouge trop rouge, les talons hauts avec des pantalons, ou « ce qui fait péquenot », la combinaison qui dépasse, le jaune et vert ensemble. Elle naviguait adroitement entre deux frousses. À ses côtés je me sens parfois empouquée , voyante, ma mère choisit encore mes vêtements et elle 2

Françoise Arnoul : actrice française née en 1931.1

Empouqué(e) : adjectif, terme de patois normand formé à partir de 2

« pouque », qui signifie « sac de toile de jute » ou « prostituée ».

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ignore ces subtilités, moi-même j'ai du mal à croire qu'un pantalon noir donne mauvais genre et le même en gris un bon. Pas difficile de deviner maintenant qu'elle ne tenait pas à passer pour une ouvrière, Brigitte, un bureau pas pareil, son rêve c'était l'allure petite fille toute simple, maquillage imperceptible, de quoi dégotter un type sérieux, pas ouvrier de préférence. Les aventures ça lui faisait envie, avec Luis Mariano, elle n'aurait pas hésité, mais ça finissait toujours mal. Comme dans les romans et les histoires en photos qu'elle me refilait, femmes toujours refaites, des existences d'un loupé inouï et puis crac le bonheur. Là elle a échoué, Brigitte, je n'y croyais plus. Son exaltation du don total ne me bottait pas davantage, quand on aime un homme on accepte tout de lui, disait-elle, on mangerait sa merde. Plus tard j'en entendrai d'autres, plus évolué, plus précieux, sur la passion, se perdre dans l'autre, mais pareil au fond.

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Lecture analytique Séquence 6

La Femme gelée, extrait 4, pages 130-132

Texte 1 : Molière, L’École des Femmes (1662)

ARNOLPHE Épouser une sotte, est pour n’être point sot : Je crois, en bon chrétien, votre moitié fort sage ; Mais une femme habile est un mauvais présage, Et je sais ce qu’il coûte à de certaines gens, Pour avoir pris les leurs avec trop de talents. Moi j’irais me charger d’une spirituelle, Qui ne parlerait rien que cercle , et que ruelle ? 1 2

Qui de prose, et de vers, ferait de doux écrits, Et que visiteraient marquis, et beaux esprits, Tandis que, sous le nom du mari de Madame, Je serais comme un saint, que pas un ne réclame ? Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut, Et femme qui compose, en sait plus qu’il ne faut. Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime, Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ; Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon 3

Et qu’on vienne à lui dire, à son tour : "Qu’y met-on ?" Je veux qu’elle réponde, "Une tarte à la crème" ; En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ; Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler, De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre, et filer.

CHRYSALDE Une femme stupide est donc votre marotte ?

ARNOLPHE Tant, que j’aimerais mieux une laide, bien sotte, Qu’une femme fort belle, avec beaucoup d’esprit.

cercle littéraire1

réception où l’on discute arts et littérature2

jeu qui consiste à trouver des rimes en on3

Texte 2 : Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l’Éducation (1762)

Dans son traité sur l'éducation, Jean-Jacques Rousseau, après avoir donné des conseils pour l’éducation des garçons, consacre une partie de son ouvrage à l’éducation des filles.

Les femmes, de leur côté, ne cessent de crier que nous les élevons pour être vaines et coquettes, que nous les amusons sans cesse à des puérilités pour rester plus facilement les maîtres ; elles s'en prennent à nous des défauts que nous leur reprochons. Quelle folie ! Et depuis quand sont-ce les hommes qui se mêlent de l'éducation des filles ? Qui est-ce qui empêche les mères de les élever comme il leur plaît ? Elles n'ont point de collège : grand malheur ! Eh ! Plût à Dieu qu’il n’y en eût point pour les garçons ! ils seraient plus sensément et plus honnêtement élevés ! Force-t-on vos filles à perdre leur temps en niaiseries ? Leur fait-on malgré elles passer la moitié de leur vie à leur toilette, à votre exemple ? Vous empêche-t-on de les instruire et faire instruire à votre gré ? Est-ce notre faute si elles nous plaisent quand elles sont belles, si leurs minauderies nous séduisent, si l'art qu'elles apprennent de vous nous attire et nous flatte, si nous aimons à les voir mises avec goût, si nous leur laissons affiler à loisir les armes dont elles nous subjuguent ? Eh ! Prenez le parti de les élever comme les hommes, ils y consentiront de bon coeur. Plus elles voudront leur ressembler, moins elles gouverneront, et c’est alors que nous serons vraiment les maîtres.

Toutes les facultés communes aux deux sexes ne leur sont pas également partagées ; mais prises en tout, elles se compensent. La femme vaut mieux comme femme et moins comme homme ; partout où elle fait valoir ses droits, elle a l'avantage ; partout où elle veut usurper les nôtres, elle reste au-dessous de nous. On ne peut répondre à cette vérité générale que par des exceptions ; constante façon d'argumenter des galants partisans du beau sexe.

Cultiver dans les femmes les qualités de l'homme, et négliger celles qui leur sont propres, c'est donc visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d'usurper nos avantages, elles n'abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns et les autres parce qu'elles sont incompatibles, elles restent au dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre et perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme, et soyez sûre qu'elle en vaudra mieux pour elle et pour nous.

S'ensuit-il qu'elle doive être élevée dans l'ignorance de toute chose, et bornée aux seules fonctions du ménage ? L'homme fera-t-il sa servante de sa compagne ? Se privera-t-il auprès d'elle du plus grand charme de la société ? Pour mieux l'asservir l'empêchera-t-il de rien sentir, de rien connaître ? En fera-t-il un véritable automate ? Non, sans doute ; ainsi ne l'a pas dit la nature, qui donne aux femmes un esprit agréable et si délié ; au contraire, elle veut qu’elles pensent, qu’elles jugent, qu’elles aiment, qu'elles connaissent, qu’elles cultivent leur esprit comme leur figure ; ce sont les armes qu'elle leur donne pour suppléer à la force qui leur manque et pour diriger la nôtre. Elles doivent apprendre beaucoup de choses, mais seulement celles qu'il leur convient de savoir.

Texte 3 : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949)

On ne naît pas femme : on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d'autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu'il existe pour soi, l'enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié. […]. En vérité, l’influence de l’éducation et de l’entourage est ici immense. […] Ainsi, la passivité qui caractérisera essentiellement la femme « féminine » est un trait qui se développe en elle dès ses premières années. Mais il est faux de prétendre que c’est là une donnée biologique ; en vérité, c’est un destin qui lui est imposé par ses éducateurs et par la société. L’immense chance du garçon, c’est que sa manière d’exister pour autrui l’encourage à se poser pour soi. Il fait l’apprentissage de son existence comme libre mouvement vers le monde ; il rivalise de dureté et d’indépendance avec les autres garçons, il méprise les filles. Grimpant aux arbres, se battant avec des camarades, les affrontant dans des jeux violents, il saisit son corps comme un moyen de dominer la nature et un instrument de combat ; il s’enorgueillit de ses muscles comme de son sexe ; à travers jeux, sports, luttes, défis, épreuves, il trouve un emploi équilibré de ses forces ; en même temps, il connaît les leçons sévères de la violence ; il apprend à encaisser les coups, à mépriser la douleur, à refuser les larmes du premier âge. Il entreprend, il invente, il ose. Certes, il s’éprouve aussi comme « pour autrui », il met en question sa virilité et il s’ensuit par rapport aux adultes et aux camarades bien des problèmes. Mais ce qui est très important, c’est qu’il n’y a pas d’opposition fondamentale entre le souci de cette figure objective qui est sienne et sa volonté de s’affirmer dans des projets concrets. C’est en faisant qu’il se fait être, d’un seul mouvement. Au contraire, chez la femme il y a, au départ, un conflit entre son existence autonome et son « être-autre » ; on lui apprend que pour plaire il faut chercher à plaire, il faut se faire objet ; elle doit donc renoncer à son autonomie. On la traite comme une poupée vivante et on lui refuse la liberté ; ainsi se noue un cercle vicieux ; car moins elle exercera sa liberté pour comprendre, saisir et découvrir le monde qui l’entoure, moins elle trouvera en lui de ressources, moins elle osera s’affirmer comme sujet […].

Séquence 5 : Annie Ernaux, La Femme gelée, 1981

Après la lecture…

La série des « uns »

1) Un épilogue : imaginez la vie du personnage principal, dix ans après la dernière page.

2) Un titre : expliquez le titre du livre, donnez votre avis sur ce choix.3) Un genre : dans quel genre classeriez-vous ce livre ? Justifiez votre choix4) Un titre alternatif : changez le titre et expliquez votre choix.5) Un personnage secondaire : autour d’Annie Ernaux, gravitent des personnages

secondaires, lequel vous a particulièrement marqué ? Pourquoi ?6) Un passage : présentez un passage qui a retenu votre attention (donnez avec

précision les pages, les premiers et derniers mots de ce passage) et justifiez votre choix.

7) Une phrase : recopiez une phrase que vous avez particulièrement appréciée et justifiez votre choix.

8) Une question à l’auteur : quelle question aimeriez-vous poser à Annie Ernaux.9) Un tweet : tweetez ce livre, dites-en l’essentiel en un minimum de mots.