L.J.Smith

NightWorld,Tome8:LeRoyaumedesTénèbres

Chapitre1MaggieNeelyfutréveilléeparlescrisdesamère.

Elles'étaitendormiecommed'habitude,lajoueposéesurunepagedesonlivredegéométrie,parmileschipsd'unpaquetrenverséetdesfeuillesdedevoirséparpilléessurlescouvertures,entreJake,sondogueallemandquis'affalaittoujoursàsespieds,etlestroischatsquisedisputaientlaplacelaplusprochedesatête.Elleportaitencoresonjeanetunhautdepyjamaàfleurs,ainsiquelesseuleschaussettesqu'elleaittrouvéescesoir-là,unedecotonrougeetunevieillebleuetouterâpée.

Chaussettesquifiniraientparreprésenterunjourladifférenceentrelavieetlamort.Maispourlemoment,Maggieétaitloindes'endouter.

Déconcertéeparceréveilensursaut,ellesedemandaitcommentsamèreavaitpupousseruncripareil.

Ilsepassaitforcémentquelquechosed'affreux.Lepire.

Leréveilsurlatabledenuitindiquait2h11.

D'unseulcoup,Maggieplongeaparmilesvêtementssalesetleschaussuresdesportéparpillésausolcommepourretardersacourse.Elleheurtadumentonunecorbeille,etseredressapourfilerverslecouloirobscur.Aufonddelamaison,lesalonrestaitéclairé,etc'étaitdelàqueprovenaientlescris.

Jaketrottaitàsoncôté,etilsdébouchaientdansl'entréelorsquelechiensemitàgronderpuispoussaunbrefaboiement.

D'uncoupd'œilcirculaire,Maggiecaptaunedecesscènesirrévocablesoùtoutchangeaitàjamais.

Laported'entréebéantelaissaitpénétrerleventdelanuit,toujoursglacialennovembredansl'EtatdeWashington.Vêtud'unpeignoircourt,lepèredeMaggiesoutenaitsafemmequisedébattaitenhurlant.

Surleseuilsetenaientquatrepersonnes:deuxshérifs,unhommeetunefemme,ungardeforestieretSylviaWeald.

Sylvia,lacopinedesonfrère,Miles.

Maggiecompritaussitôtetcetterévélationlafrappacommeuncoupdemarteau.

Monfrèreestmort.

Derrièreelle,Jakegrondadenouveau,maisellecrutl'entendredanslelointain.Etpersonneneréagit.

Jen'enrevienspasdesibienprendrecettenouvelle,songea-t-elle.Qu'est-cequinevapaschezmoi?Jen'aimêmepasenviedemeroulerparterre.

Sonespritavaitparfaitementcaptélasituation,pourtant,soncorpsneréagissaitpas,soncœurneseserraitpas.Jusqu'àcequecelavienned'unseulcoup,exactementcommeellelecraignait.Unevagued'adrénalinequiluidonnalachairdepoule,avecunehorriblesensationdechute,unengourdissementquiluiparalysalesjoues,puisleslèvresetlamâchoire.

Ohnon!songea-t-ellebêtement,cen'estpasvrai!Iln'estsûrementqueblessé.Çaira.Ilaeuunaccidentetilestblessé…maispasmort.

Non,s'ilétaitblessé,samèreneresteraitpaslààpousserdescris.Elleseprécipiteraitversl'hôpitaletpersonnenepourraitl'enempêcher.Cen'étaitdoncpaslaréponse.Etl'espritdeMaggiedeseremettreàbondircommeunanimalaffolé...

Non,cen'estpasvrai!

Curieusement,àcetinstant,elleeutl'impressiondevoirsurgirunetroisièmesolution.Sielleretournaitdanssachambresansquelesautresnes'enaperçoivent,sielleregagnaitsonlit,tiraitlescouverturessursatêteetfermaitlesyeux...

Pourtant,ellenepouvaitlaissersamèrecrierainsi.

Leshurlementscommencèrentàs'espacer.Sonpèreparlaitd'unevoixquineluiressemblaitpasdutout,commeunmurmureétouffé:

—Maispourquoinenousas-tupasditquevousalliezgrimper!SivousêtespartispourHalloween,çaremonteàsixjours,maintenant.Nousnesavionsmêmepasquenotrefilsavaitdisparu...

—Jesuisdésolée,soufflaSylvia.Onnepensaitpaspartirlongtemps.LescolocsdeMilessavaientoùonallait,maisc'esttout.Ons'étaitdécidésàladernièreminute...commeonn'avaitpascoursetqu'ilfaisaitbeau,Milesadit:«Allez,onvafaireuntouràChimneyRock!»Etvoilà...

«Allez,onyva!»Ilmedisaitsouventcegenredechose,songeaMaggieavecunpincementaucœur.

Maisplusdepuisqu'ilavaitrencontréSylvia.

L'undesdeuxshérifss'adressaaupèredeMaggie.

—Vousnetrouviezpasçaétonnantd'êtresansnouvellesdevotrefilsdepuisvendredi?

—Non.Ilestdevenusiindépendant,depuisqu'ilestàl'université...L'undesescolocatairesamêmetéléphonécetaprès-midipourdemanders'ilétaitlà...

maissanspréciserqu'ilétaitpartidepuisprèsd'unesemaine.Jecroyaisqu'ilavaitmanquéuncoursouquelquechosecommeça...

Savoixs'étrangla.

—Apparemment,observaleshérif,sesamispensaientqu'ilavaitprisdesvacancesimprévues.C'estparcequ'ilsétaientvraimentinquietsqu'ilsnousontappeléscettenuit.Maisàcemoment-là,ungardeforestieravaitdéjàramenéSylvia.

Celle-ciétaitenlarmes.Longueetfine,d'apparencefragile,elleavaitlescheveuxsiclairs,sibrillantsqu'ilsenparaissaientpresqueargentés;quantàsesyeux,ilsavaientlacouleurpuredesviolettes.

Petite,levisagerond,descheveuxfauvesetdesyeuxbruns,Maggiel'avaittoujoursenviée.Maisplus

maintenant.NulnepouvaitregarderSylviasanséprouverdelapitié.

—C'estarrivélepremiersoir.Onétaitenpleinemontéequandletempss'estgâté;alorsonavoulufairedemi-tour.

Maggiesefigea.

Uneerreur?Miles?

Ellevoulaitbiencroireàl'apparitiond'uneavalanchesoudaine,ouaumauvaisfonctionnementd'unepiècedeleurmatériel.Aupire,queSylviaétaittombée,déséquilibrantMiles.Maisquecelui-cicommetteuneerreur?

Toutendévisageantlacopine,ellesentitbrusquementquequelquechosen'allaitpas,quelquechosedebizarredanscevisagedélicat,danscesyeuxvioletsnoyésdelarmes.L'imageétaittropparfaite,troptragique,commes'ils'agissaitd'uneactriceoscariséeentraindéjouerunescènecélèbre...avecdélectation.

—Jenesaispascequis'estpassé,murmurait-elle.

Lesystèmed'ancrageétaitbon.Onauraitdûutiliserunrelais,maisonn'avaitpasletemps.Etilauraitdû...monDieu!C'estsûrementquelquechosedanssonharnaisquin'apasfonctionné.Peut-êtrequesabouclen'étaitpasbienaccrochée,oualorslesmousquetonsontétéinversés...

Soudain,lesimpressionsdeMaggiesecristallisèrent.

Commesitoutdevenaitparfaitementnet.

C'estimpossible.C'estfaux.

Milesétaittropdouépourcommettrecegenredebourde,sûrdeluimaisprudent.Sasœurseseraitdéjàbiencontentéed'atteindreuntelniveau.JamaisElles'interrompitlepoingsurlabouche.

—C'étaitunepériodeplutôtrisquéepourentreprendreuneascension,intervintdoucementlafemmeshérif.

CommeSylviasecouaitlatête,Maggieseditqu'elleavaitraison,queçan'avaitriend'extraordinaire.

Certes,ilpleuvaitbeaucoupdanslarégionenautomne,maisilsuffisaitdupassaged'unanticyclonepourseretrouveravecunmoisdecielbleu.Touslesrandonneurslesavaient.

Etpuis,Milesn'avaitpaspeurdutemps.Àdix-huitans,ilavaitdéjàeffectuédesescaladesautrementdifficilesdanslachaînedesCascadesetlesOlympiquesdel'ÉtatdeWashington.L'arrivéedel'hivernel'empêchaitpasdegrimper,malgrélaneigeetlestempêtes.

Sylviapoursuivaitsesexplicationsd'unevoixdeplusenpluscassée:

—Milesétait...ilavaiteulagrippelasemaineprécédenteetnes'enétaitpascomplètementremis.

Maisçaallaitmieux,ilavaitreprisdesforces.Etpuisc'estarrivéalorsqu'ondescendaitenrappel.Ilriaitetplaisantait...Jen'auraisjamaiscruqu'ilpuisseêtrefatiguéaupointdecommettreuneerreur...

Elleneputdavantageréprimersessanglotsetlegardeforestierluipassaunbrasautourdesépaules.

Ilnenégligeraitjamaisunrelais.Enfait,c'estmoiquipratiquecegenred'acrobatie,etilcrieaprèsmoiendisantquejevaismecasserlafiguresijenefaispasplusattention.

Milesn'auraitpasfaitça.

Autrementdit,Sylviamentait.

CetteidéesecouaMaggie,commeunrazdemaréeluidonnantl'impressiondereculeràunevitessevertigineuse.

Maispourquoi?PourquoiSylviainventerait-elleunehistoireaussiatroce?Çanetenaitpasdebout.

Celle-cisecachaitlevisagedanslesmains.

—Jel'aicherché,mais...ilyavaitcettecascadegelée...cettecrevasse.

Ainsi,ellen'apasretrouvésoncorps.Cettefois,cefutuneondedechaleurquitraversaMaggie,curieusement,grâceauxyeuxdeSylvia.

Cesyeuxvioletsqu'elleavaitgardésbaissésdepuisledébutdesesexplicationssefixaientmaintenantsurMaggie,dumoinssursespieds.Ellelesendétournauninstant,pouryreveniraussitôt.

Meschaussettes,elleregardemeschaussettes.

Unerougeetunebleue,etçalachiffonne.Ellen'estpasplusémuequ'uneactricequirépéteraitpourlamilièmefoissontexte,aupointdeneplusyfaireattention.

Alorsunesourdecolères'emparadeMaggie.Cettefois,elleenétaitcertaine.Cettefillement.

Elledoitavoirfaitquelquechosed'épouvantable...etelleneveutpasnousmontrerlecadavredeMilesàmoinsqu'iln'existepasparcequemonfrèreesttoujoursvivant.

Oui!Unfolespoirs'emparadeMaggie.Toutçan'estqu'unecomédie.Iln’yaaucuneraisonpourqueMilessoitmort!Ilnemerestequ'àfairecracherlavéritéàSylvia.

Cependant,personnedanslapiècenesemblaitdecetavis.Ilsrestaientsuspendusauxlèvresdelajeunefemmeetlacroyaient.

—Jen'aipaspum'enalleràtempsetj'aidûm'abritertroisjourssouslatente.Quandj'ensuissortie,j'étaistrèsfaiblemaisj'aipuattirerl'attentiond'ungroupedegrimpeursquim'ontsauvéeetm'ontramenée...IlétaittroptardpourrechercherMiles.Jesavaisquelatempêtel'avaitemporté.Là,elles'effondra.

Legardeforestierconfirmaqu'avecunetellemétéoMilesn'auraiteuaucunechancedes'entirer.Dans

ungémissement,lamèredeMaggies'écroulaausol.

—Maman!s'écrialajeunefilleenseprécipitant.

Sonpèreparutenfins'apercevoirqu'elleétaitlà.

—Oh,Maggie,nousavonsunemauvaisenouvelle!

Ilveutmeménager,maisilneserendpascompte…

jedoisluidire…

—Papa!Écoute,ilyaquelquechose...

—Maggie,coupasamèreentendantunemainaffolée.Mapauvrepetitefille,ils'estpasséunechoseeffroyable...

Là-dessus,elles'évanouitetsonépouxeutdumalàlasoutenir.Legardeforestieretleshérifvinrentàlarescousse,maisdéjàsatêteroulaitsurlecôté,lesyeuxmi-clos,labouchebée.Effrayée,Maggieeutelle-mêmedumalàgardertoutesaconscience.

—Oùpeut-onla...commençalepolicier.

—Surlecanapé,articulalepèredeMaggie.

Elle-mêmeduts'écarterduchemin,commesiellen'avaitpassaplacedanscettescène.

Cefutlàqu'elleperçutlemurmuredeSylviaetensaisitpeuàpeulesparoles:

—Pardon,jesuisdésolée.Sijepouvaisfairequelquechose...maisilfautquejerentremaintenant.

—Restezici!luiintimalashérif.Vousn'êtespasenétatdecirculerseule.Normalement,onauraitdûvousconduireàl'hôpital,sivousn'aviezpasinsistépourveniricid'abord.

—Jen'aipasbesoind'alleràl'hôpital.Jesuisjustefatiguée...

—Allezplutôtvousasseoirdanslavoiture.

Sylviaobtempéraenhochantlatête.Elleavaitl'airsifragileensedirigeantverslesvoituresdepolice...

Joliesortie,pensaMaggie,onentendraitpresquelesviolons.

Elleétaitbienlaseuleàenapprécierlabeauté;d'ailleurs,elleétaitlaseuleàregarderSylvias'éloigner...s'arrêter...changerdedirectionpourdescendrelarue.

Etlà,commencelegénérique.Ellefuieverssonappartement.

Quefaire?sedemandaMaggiepétrifiée.Resterpouraidermamère?Maisaufondd'elle-même,unélanfurieuxlapoussaitàsuivreSylvia.

Or,elleavaitpourhabitudedesuivresoninstinct.

Uncourtinstant,elledemeurasurplace,hésitante,lecœurbattantsifortqu'elleenavaitletournis.Puisellerentralatêtedanslesépaules,serralespoings.

Attitudequeseséquipièresdefootauraienttrèsbienreconnue:MaggieBrindacieravaitprissadécisionetallaitplongeraucœurdelabagarre.Attention,lesgars,çavachauffer!

Enuncoupdevent,ellefonçaverssachambre.

Elleallumaetregardaautourd'ellecommesic'étaitlapremièrefoisqu'elleymettaitlespieds.Dequoiavait-ellebesoin...pourquoinerangeait-ellejamaisrien,d'abord?

Tirantsurdeuxdrapsdebain,elleensortitunepairedebasketsqu'elleenfilasur-le-champ.Pasletempsdechangersonhautdepyjama;ellesaisitunevestebleumarinequitraînaitparterre,tombantsoudainnezànezavecunephotocoincéedanslecadredumiroir.

UnportraitdeMiles,ausommetdumontRainier,souriant,lespouceslevés,lechapeaurabattuenarrièresursescheveuxauburnquibrillaientausoleilcommedel'orrouge.Ilétaitbeau,unbrinmalicieux.

Onavaitajoutécetteinscriptiongribouilléeaumarqueurnoirsurlaneige:«Pourlaplusautoritaire,laplusbruyante,laplustêtue,laMEILLEUREdespetitessœursdumonde.Bisous.Miles.»

Sanstropsavoirpourquoi,elleladécrocha,lafourradanssapochepuisdévalal'escalier.

Toutlemondeétaitrassembléautourducanapé-

mêmeJakereniflaitdanslesparages-,aupointqueMaggienevoyaitplussamère;cependant,commepersonnenesemblaits'affoler,elleenconclutquelasituationn'étaitpascritique.

J'enaijustepourquelquesminutes.Paslapeinedeleurdirequelquechoseavantd'êtresûre.Jeseraisansdouterentréeavantqu'ilsneserendentcomptequejesuispartie.

Faussementrassuréeparcetteexcusebidon,ellesefaufilaparlaported'entrée,àlapoursuitedeSylvia.

Chapitre2Bienentendu,ilpleuvait.Pasviolemment,justeunepetiteaversequeMaggieremarquaàpeine,maisquiluicollalescheveuxsurlefront.Etmasqualebruitdesespas.

LesnuagesbascachaientlemontRainier;partempsclair,levolcandominaitlavilletelunarchangevengeurauxailesdéployées.

Jesuisentraindesuivrequelqu'un,seditMaggieincrédule.Pourtant,elledescendaitbiensaproprerue,telunespion,évitantlesvoituresetsecachantderrièrelesbuissonsderhododendrons.

Sansquitterdesyeuxlamincesilhouettedevantelle.

C'étaitmêmecequilapoussaitàcontinuer.Elleauraitdûsesentirmalade,quasihonteusedefaireunechosepareille...maispascettenuit.Cequivenaitd'arriverluiôtaittoutcomplexeet,siellecommençaitàsedétendreintérieurement,àressentirlepicotementdel'incertitude,lessouvenirsrevenaientdeplusbelle,balayanttoutlereste.

LesouvenirdelavoixdeSylvia.Peut-êtrequesabouclen'étaitpasbienaccrochée?Etlesouvenirdelamaindesamèrequiretombait,toutemolle,desoncorpsquis'effondrait.

Jetesuivraioùquetuailles!Etlà…

Là,ellenesavaitpastrop.Ellesefiaitàsoninstinct,lelaissantlaguider,plusfort,plusaviséqu'elleencetinstant.

L'appartementdeSylviasetrouvaitloindelà,danslacitéuniversitaire;letempsqu’ellesyarrivent,lapluieavaitredoublé.Maggiefutcontented'yéchapperlorsqu'ellesdescendirentdanslegarage.

Cen'estpastrèsprudent,songea-t-elleenpénétrantdanscecouloirobscur.

Sansplusd'anxiétéqueça;ilnes'agissaitqued'unefroideconstatation.Ellesesentaitcapabledeboxern'importequelagresseur,deleplaquercontrelemur.

ToujoursàunedistancerespectabledeSylvia,quivenaitd'appelerl'ascenseur,ellesedirigeaversl'escalier.Troisièmeétage.Maggiegrimpavite,sanss'essouffler.Endébouchantsurlepalier,ellevitqueSylvias'apprêtaitàfrapperàuneportequis'ouvritsansluilaisserletempsdefinirsongeste;surleseuil,ungarçonlaissaitsortirdeuxfillesriantauxéclats.Lamusiquejouaitenfondetcelasentaitl'encens.

Ilssontenpleinesoirée,là.

Cequin'avaitriend'étonnant,puisqu'onétaitsamedi.Sylviavivaitavectroiscolocataires,etvisiblement,c'étaienteuxquirecevaient.Pourtant,enlacroisant,lesdeuxfillesluidirentaimablementbonsoiretelleleurréponditd'unsourireavantd'avancerdanslecouloir.

Etrangeattitudepourquelqu'unquivenaitdeperdresoncopain.Là,onn'étaitplusvraimentdanslerôledel'héroïnetragique.

Maggies'aperçutquelegarçonn'avaitpastoutàfaitrefermélaporte.Etsij'essayais?Enayantl'airsûredemoi,jepasseraissanspeine.Surtoutnepastergiverser.

PourvuqueSylvianes'aperçoivederien.Enrestantbienderrièreelle,jeverraisàquielleparle,j'entendraiscequ'elledit...

Lesfillesrieusesvenaientd'entrerdansl'ascenseur.

Maggiepassadevantsanshésiter,poussala»portedel'appartementetentra.

Gardeunairconfiant,sedit-elleenlongeantunmur.

Sonentréeneparaissaitpasavoircauséderemue-ménage.C'étaitplusfacilequ'ellenel'auraitimaginé.

L'appartementétaittrèssombreetlamusiquepastropforte;toutlemondesemblaitdiscuter.

Leseulennuiétantqu'ellenevoyaitplusSylvia.Elles'adossaaumurenattendantquesavisions'adapte.

Nilà...niàcôtédesenceintes.Peut-êtreplutôtdansunechambre,entraindesechanger?

Cefutensedirigeantversl'étroitcorridorqu'elleressentitcetteimpressionétrangequisedégageaitautantdeslieuxquedelafête...Bizarre.AumoinsautantqueSylviaelle-même.

Ledanger.

Cetendroitestdangereux.

Touscesgenssemblaientsibeaux...ouplutôtaffreuxmaisavecstyle,commes'ilssortaienttoutdroitdeMTV.Néanmoins,ilsaffichaientunregarddignedesrequinsdel'aquariumdeSeattle.D'unefroideurquisepercevaitplusqu'ellenesevoyait.

Ilsepassedeschosespasnettesici.Peut-êtrequecesonttousdesdealers,oualorsdessatanistes?Ouencoreunemafiajeune?Enfin,quelque,chosed'effrayant.

Maggiesesentaitaussitranquillequ'unchathérissé.

Quandelleentenditunevoixdefilleretentirdanslapremièrechambre,elles'immobilisadansl'espoirdereconnaîtreSylvia.

—C'estvraimentl'endroitleplussecretquetupuissesimaginer!

Non,pasSylvia.

Maggieapercevaitlafilleparl'ouverturedelaporte,elleétaitravissante,coifféed'unenattenoire,penchéeversungarçondontellecaressaitlamain.

—Siincroyable,simystérieux...c'estunendroitquivientdupassé,tuvois;tellementancienquetoutlemondel'aoublié,maisilexistetoujours.Biensûr,çaresteterriblementdangereux...saufpournous...

Pascequejecherche,conclutMaggiequicessaaussitôtd'écouter.Quelqu'unquis'esttrouvéunlieudevacancestordu;rienàvoiravecSylviaouMiles.

Ellepoursuivitsafilature.Laportedufondétaitclose.

LachambredeSylvia.

Elleestsûrementlà,puisquejenel'aivuenullepartailleurs.

Aprèsavoirvérifiéquepersonnenelasuivait,Maggieserapprochadelaporte,collantl'oreillesurlepanneaudeboispeintenblanc,toutensurveillantlesalentoursducoindel'œil.Elleretenaitsonsouffleets'efforçaitdegarderunairdécontracté,maissoncœurbattaitsifortqu’ellel'entendaitpresquemalgrélamusique.

Entoutcas,personneneparlaitàl'intérieurdecettepièce.Inutiledechercheràsurprendrelamoindreinformationainsi.

Bon,j'yvais.Paslapeinedeprendredesgants,detoutefaçon,elles'enapercevra.

Autantfoncer.Elleétaitsiexcitéequ'ellen'eutmêmepasbesoindeseconvaincre.Lecorpstenduàl'extrême,elleneressentaitpaslapeur,malgrél'irrésistibleimpressiondedangerquil'habitait;sarage,sonardeuràselancerdanslabatailleétaienttropfortes.Ellebrûlaitdecasserquelquechose.

Surlemoment,elledutsecontenterdetournerbrusquementlapoignéeetd'ouvrirengrand,malgréunelégèrerésistance.

Uneboufféed'encensl'envahit,pluspuissanteencorequedansleliving,plusentêtanteetmusquée,presquesucrée.Maggiesefrayaunchemindansunequasi-obscurité,etdèsqu'elleeutlâchélaporte,celle-ciclaquadoucement.

Sylviasetenaitderrièresonbureau.

Seule,toujoursdanssacombinaisond'ascension,avecsesbeauxcheveuxbrillantsquicommençaientàsécheretàsedressercommelesplumesd'unangelot.

Ellesemblaittrèsoccupéeàremplirsonbrûleurd'encensencuivred'unepoudred'herbesaromatiques,celles-làmêmesquirépandaientuneodeursiécœurantedanslapièce.

Maggieavaitprévu—pourautantqu'onpuisseprévoirquelquechose—deseplanterdroitdevantellepourluifairepeuretl'obligeràavouer.Elleallaitluidire:«Ilfautquejeteparle!»

Mais,sansluilaisserletempsd'articulerunmot,Sylvialança,sansleverlatête:

—C'estignoble,tuauraispuaumoinsresteravectesparents!

Elleparlaitd'unevoixlangoureuse,sanssepresser,sansymettrenonpluslamoindrecompassion.

Maggies'arrêtanet.

Ellememenace,là,ouquoi?Sielleveutjoueràça,onseradeux.

Néanmoins,unriensurprise,elledéglutitavantdelaissertomber:

—Jenesaispascequeturacontes,maisaumoins,tunejouespluslespleurnicheuses.Franchement,c'étaittropnul.

—Jetrouvaisçaplutôtréussi,rétorquaSylviaenajoutantunepincéedepoudre.Jesuissûrequelesshérifsaussiétaientdecetavis.

Denouveau,Maggieenrestamuette.Lesévénementsnesedéroulaientpasdutoutcommeprévu.Sylviaparaissaittropcalme,tropàl'aise,tropsûred'elle.

Attends,çanevapasdurer…Enfait,ellevientjusted'avouerqu’ellejouaitlacomédie!AlorstoutcecinémasurlafindeMiles…

Prisedefureur,Maggies'avançadetroispas.

—Tusaistrèsbienpourquoijesuislà.Jeveuxquetumedisescequis'estvraimentpasséavecmonfrère.

—Jetel'aidit...

—Arrêtedementir!Jenesaispascequiestarrivé,maisjesuisentoutcascertainequeMilesn'auraitjamaiscommislabêtisedenepasaccrochersaboucle.

Écoute,sic'esttoiquiasfaitça...s'ilestencorelà-bas,blesséoujenesaisquoi,etquetuaseutroppeurdel'avouer...tuasintérêtàmelediremaintenant.

C'étaitlapremièrefoisqu'elleformulaituneraisonauxmensongesdeSylvia.Celle-cirelevaenfinlatête.

Maggien'enrevenaitpas.Àlalueurdel'uniquebougie,elledécouvraitdesyeuxnonplusvioletsmaisgrenat,virantaurouge,immenses,clairsauxrefletsdelaflamme.

—C'estcommeçaquetuvoisleschoses?

demandaSylvia.

—J'aiditquejen'ensavaisrien,soufflaMaggiesoudainprisedevertige.Vousvousêtesdisputés,ouquoi?Tut'estrouvéunautrecopain?Oupire,vousn'êtesmêmepaspartisgrimperpourHalloween.Toutcequejesais,c'estquetuasmentietqu'onn'estmêmepascensésretrouveruncadavre.Alorsjeveuxlavérité!

LesflammessereflétaientdanslespupillesdeSylvia.

—Tusaiscequetonfrèrem'aditsurtoi?Deuxchoses.D'abord,quetun'abandonnaisjamais.Il

répétait:«QuandMaggies'accroche,ellenelâcheplusprise,unvraibull-terrier.»Ensuite,quetutecollaiscommeuneventouseàceuxquiavaientdesennuis,parcequetuavaisuncœurgroscommeça.

Elleajoutaquelquespeluresparfuméesaumélangequifumaitdanslebrûleur.

—Dommage,conclut-elle.Volontaireetcompatissante.Larecetteidéalepourundésastre.

Cettefois,Maggieenavaitassez.

—Qu'est-cequiestarrivéàMiles?Qu'est-cequetuluiasfait?

Sylviapartitd'unpetitriresibyllin.

—Tunedevinerasjamais,mêmesitupassestavieentièreàchercher.Jeleregrette,d'ailleurs.Jel'aimaisbien.Onseseraitsûremententendus,touslesdeux.

UneseulechoseintéressaitvraimentMaggie:

—Ilestmort?

—Jet'aiditquetuneleretrouverasjamais.Mêmeentedonnanttoutecettepeine.

Elleavaitdumalàcomprendre,maiss'entenaitàsonobjectif.

—Tuasunproblème,jenesaispaslequel.Tudoisêtrefolleouquelquechosedecegenre.Maisjetejurequesituasfaitquoiquecesoitàmonfrère,jetetuerai.

Jamaisellen'avaitprononcédetellesparoles,pourtantcelles-ciluiétaientvenuestoutnaturellement,avecforceetconviction.Sacolèreallaitjusqu'àsereflétersurlevisagedeSylvia,etuneflammedouloureusebrûlaitenelle.

—Alors,reprit-elle,tuvasmedirecequiluiestarrivé,ouiounon?

—Non.

Instinctivement,Maggievenaitd'attraperSylviaparlecoldesavesteverte.Danslesyeuxviolets,ellevitbrillerunelueurintéressée,marquéed'unrespectbieninvolontaire.

—Bon,tuvasmetuer,maintenant?soupiralajeunefemmeensouriant.

—Espècede...

—Dequoi?

Maggieclignadespaupières,tantsesyeuxlabrûlaientsoudain.Lafuméedel'encensmontaitdroitverssonvisage.

—Tu...

Jenemesenspasbien...

Unvertigel'envahit,desombresgrisessemirentàdanser,voilantsavision.Lecœurretourné,ellesesentitprisedenausées.

—Çanevapas?luidemandaSylviad'unevoixlointaine.

L'encens.

—Qu'est-cequetum'asfait?bredouillaMaggie.

Ellereculapoursedégagerdelafumée,maistroptard.Lesgenouxhorriblementflageolants,lecorpscommedémantibulé,ellenevoyaitplusqu'uneformegrisequis'agitaitdevantelle.

Ellesentitsesmolletsheurterunlit,jusqu'àcequ'ilsnelaportentplus;elleglissaitàlarenverse,incapabledesereteniraveclesbras,etseslèvressemirentàtrembler.

—Pendantuninstant,j'aicruavoirdesennuis,assuraSylvia.Maisjemetrompais,tun'esqu'unefillecommelesautres,fragile,désarmée...ordinaire.Tun'auraisjamaisdût'attaqueràmoi,niàmonpeuple.

Jesuisentraindemourirouquoi?sedemandaitMaggie.Jenesuisplusmoi-même!Jenevoisplusrien,jenepeuxpasbouger!

—Ettuosesvenirm'agresser!Tucroyaisavoiruneseulechancedegagner?

MêmelavoixdeSylviadevenaitdeplusenplusconfuse.

—Tuesnulle,mapauvrefille!Jevaist'apprendrecequ'ilencoûtedet'attaqueràunepuissancevéritable.Tuvasvoir...

Lavoixdisparutpourfaireplaceàunbruitd'accélération,dansunetotaleobscurité.

Miles,songeaMaggie.Pardon….

Etpuiselles'arrêtadepenser.

Chapitre3

Maggierêvait.Ellelesavaittrèsbienetc'étaitdéjàassezbizarre,maisilyavaitmieux,carellesavaitquecen'étaitpasunrêveordinaire.

C'étaitplutôtquelquechosequi...venaitdel'extérieurd'elle-même...qu'onluiavaitenvoyé.Aufonddesonesprit,ellecherchaitl'expressionquipourraitlemieuxdécriresonsentimentd'agacement,alorsquelerestedesonêtrecontemplaitaveceffroicequil'entourait.

Delabrume.Partout.Desvrillesblanchesquis'entrecroisaientgracieusementàtraverssavisionetvoletaienttelsdesgéniessortisdelalampe.Elleavaitl'impressionquedesformessombresvenaientverselle,quisemouvaientdanslescoinsdesesyeuxetdisparaissaientdèsqu'ellecherchaitàlesfixer.

Elleavaitlachairdepoule;nonseulementàcausedelafraîcheurdelabrume,maisaussidececridéforméparladistanceetquisemblaitl'interrogeràl'infini:

—Quies-tu?

Lâche-moi!seditMaggie.

Ellesecouaviolemmentlatêtepoursedébarrasserdecettesensation.

C'estjusteunpeutrop…gothiquepourmoi.Mesrêvessont-ilstoujoursaussitordus?

Bientôtseproduisitunévénementquilafitdenouveaufrissonner,cettefois-cid'inquiétudepureetsimple.Parcequequelquechosearrivaitdanslebrouillard.Àtoutevitesse.

Elleseretourna,seraidit.Toutchangea,brusquement.

Labrumes'évanouitpeuàpeu,etelledistinguaunesilhouetteobscure,qu’ellepritsurlemomentàespérerquecesoitMiles,maiscetteidées'enfuitpresqueaussivitequ'elleétaitarrivée.Enfait,ils'agissaitbiend'ungarçon,maisd'uninconnu;elleneremettaitnisonallurenisadémarche.Ilrespiraitdifficilement,etlançaitd'unevoixdésespérée:

—Oùes-tu?Oùes-tu?

C'étaitdoncça,pas:«Quies-tu?»

—Oùes-tu,Maggie?Oùes-tu?

Àl'énoncédesonproprenom,elletressaillitetsoupira.Cefutlàqu'ilseretournaetlavit.

IIs'arrêtanet.Labrumeavaitpresquetotalementdisparu,sibienquesonvisagedevenaitparfaitementvisible,affichantuneexpressiondesoulagementetdejoie.

—Maggie,murmura-t-il.

Incapabledebouger,ellesedisaitseulementqu'ellenelereconnaissaitpas,qu'ellenel'avaitjamaisvu.

Pourtant,illacontemplaitcommesi...commesiellereprésentaitlecentredel'universpourlui,commes'illacherchaitdepuisdesannéessansplusd'espoirdelatrouver.Elleétaittropétonnéepourréagir.Entroisenjambées,illarejoignit,posalesmainssursesépaules.

Doucement.Sansdonnerl'impressionqu'elleluiappartenait,maiscommes'ilenavaitabsolumentledroit,commes'ilcherchaitàseconvaincrequ'elleétaitbienréelle.

—Çaamarché,jem'ensuissorti,dit-il.

Jamaisellen'avaitvuunêtreaussibeau.Lescheveuxbrun-noir,épais,unpeuébouriffés,ondulés.Lapeaublancheetnette,lamâchoirebienmarquée,unebouchequidevait,engénéral,exprimerplutôtdelafiertéetdelavolonté,maisquis'étiraitlàenunemouevulnérable.

Et,surtout,desyeuxbrillantsd'unjaunedoré.Plusquelerestedesonvisage,pourtantremarquable,c'étaitceregardintrépidequilafascinait.

Non,ellenel'avaitjamaisvu.Ellenel'auraitpasoublié!

Lecorpsmince,d'allureathlétique,ilmesuraitunetêtedeplusqu'elle.Cependant,Maggienesesentaitpasdominée,carillaconsidéraitavecunetelletendresse,l'airimplorantsousseslongscilsnoirs...

—Bon,jesaisquetun'ycomprendsrien,etj'ensuisdésolé.Maisj'aieutellementdemalàm'ensortir...etpuis,onn'apasbeaucoupdetemps.

Stupéfaite,elleneputquemurmurer:

—Quoi?Commentça,tut'enessorti?

—Laissetomber.Maggietudoisvivre,c'estleplusimportant.Dèsquetuteréveilleras,tudevrassortirdecettemaison.

—Pouralleroù?

Ellenecomprenaitabsolumentrien,nonparmanqued'informations,maisparcequ'elleenrecevaittrop.Ilfallaitqu'elleserappelle...Oùs'était-elleendormie?Ils'étaitpasséquelquechose,àproposdeMiles.Elles'étaitinquiétéepourlui.

—Monfrère!lança-t-ellesoudainaffolée.Jecherchaismonfrère!Ilfautquejeleretrouve.

Mêmesiellenesesouvenaitpasbienpourquoi.Lesyeuxd'ors'embrumèrent.

—Tunedoispaspenseràluimaintenant.Jesuisdésolé.

—Tusaisquelquechosesur...

—Maggie,l'importantc'estquetusortesd'icisaineetsauve.Ilfautquetut'enaillesdèstonréveil.Jevaistemontrerlechemin.

Iltenditledoigtverslabrume,àtraverslaquellesedessinasoudainunpaysage,lointainmaisnet,telunfilmprojetésurunvoiledefumée.

—Ilyaundéfilé,justeendessousdugrandrochersuspendu.Tulevois?

Ellenecomprenaitpaspourquoiiltenaitàluimontrercela.Ellenereconnaissaitpasceslieuxquipouvaientsetrouvern'importeoùentrelesOlympiquesetlesCascadesdontelleapercevaitlescimesau-delàdesarbres.

—Repère-toid'abordàcestroispicsdelamêmealtitudeetpenchésl'unversl'autre.C'estbon?

Ensuite,turegardesenbasettutrouvescerochersuspendu,enformedevague.Tuvois?

Ilparlaitsuruntonsianxieuxqu'ellesecrutobligéedeluirépondre:

—Jevois,mais...

—Alorssouviens-t'enettrouve-le.Neteretournepas.Situarrivesàt'ensortir,leresten'aurapasd'importance.(Illuiopposaitmaintenantunvisageblêmeauxtraitsglacés.)Lemondeentierpeutbiens'écrouler,pourcequej'enaiàfaire...

Soudain,aveccettebrusqueriequicaractérisaitchacundesesmouvements,ilsepenchapourl'embrasser.

Unbaisergentil,surlajoue.Ellesentitsonsouffletièdeluieffleurerlapeau,puisleslèvresquis'yposèrentlégèrementsemirentàtrembler,commehabitéesd'unepuissanteémotion;delapassionpeut-

être,ouuneinsoutenabletristesse.

—Jet'aime,luichuchota-t-ilàl'oreille.Jet'aiaimée,nel'oubliejamais.

Auborddel'étourdissement,Maggienepercevaitplusqu'uneidée:illuifallaitrepoussercetinconnu.

Maisellen'enavaitpasenvie.Siellevibraitdepeur,cen'étaitpasàcausedelui.Enfait,illuiinspiraituneirrésistiblesensationdepaixetdesécurité.Unsentimentd'appartenance.

—Quies-tu?murmura-t-elle.

Iln'eutpasletempsderépondre,cartoutétaitdenouveaubouleversé.

Labrumerevenait,brutalement,unevéritablenappedebrouillardquivousfondaitdessusdansunsilencedemort.LecorpsfermeettièdecollécontreceluideMaggieparutsedématérialiser,commevaporiséparleséléments.

—Attends...

C'étaitsaproprevoixqu'elleentendait,marquéed'uneintonationd'effroi,maisémousséeparlecoconnacréquil'entourait.

Etl'inconnudisparut...

Ellenerefermaitpluslesbrasquesurduvide.Autourd'elle,toutétaitblanc.

Chapitre4

Maggieseréveillalentement.Nonsansdifficulté.

Jedoisêtremalade.C'étaitlaseuleexplicationquiluivenaitàl'esprit.Lecorpslourdetdouloureux,latêtevibrante,lessinuscomplètementbouchés.Ellerespiraitparlabouche,qu'ellesentaitdesséchée,cartonneuse,lalanguecolléecontrelepalais.

J'airêvé!

Àpeinefaisait-ellececonstatquelesimagess'effritaient.Quelquechoseàpropos...debrouillard...

Etd'ungarçon.

Illuisemblaitvaguementquec'étaitimportant,maismêmecetteimportanceluiéchappait.D'ailleursuneautreconsidérationvenaitbalayertoutlereste.Soif.

Ellemouraitdesoif.

Ilmefautunverred'eau.

Leseulfaitdeleverlatêteetd'ouvrirlesyeuxlui-demandaunefforténorme;àmesurequ'ellel'accomplissait,toutefois,lasituationparaissaitseclarifier.Ellenesetrouvaitpasdanssachambre,maisdansunepetitepiècesombreetmalodorantequiremuaitentoussensaurythmed'unbruitextérieurqu'ellecrutreconnaître.

Sajoueetsesdoigtsheurtaientrégulièrementuneplanchedeboisbrut.Leplafondetlesmursétaientfaitsdelamêmematièreblanchâtre.

Qu'est-cequ'unepièceminuscule,toutenboiset...

Pasunepièce,enfait.Unvéhicule.Uneespècedechariot.

Aussitôt,elleidentifialebruitcadencédessabotsdechevaux.

Non,cen'estpasvrai!C'esttropbizarre.Jesuisvraimentmalade,j'hallucine.

Çasemblaitterriblementréelpourunehallucination.

Ellesesentaitbeletbientraînéeparunattelagesurunchemincahoteux.

Alors,quesepassait-il?Quefaisait-ellelà?Quandest-cequejemesuisendormie?

Uneboufféed'adrénalineramenadessouvenirs.

Sylvia.L'encens...Miles.

Milesestmort...non.C'estvraiquenon.Sylvial'adit,maisellementait.Ensuite,elleaajoutéquejenesauraisjamaiscequiluiestarrivé.Etpuisellem’adroguéeaveccettefumée.

C'étaitrassurantdepouvoirreconstituercesévénements;siellenecomprenaittoujoursrienaureste,aumoinscelaprouvait-ilqu'elleavaitgardéunesolidemémoire.

—Tuesréveillée,constataunevoix.Enfin!Lapetiteditquetudorsdepuisunjouretdemi.

Maggiesesoulevasurlescoudespourvoirquiavaitparlé.Unefilleauxcheveuxrouxenbataille,auvisageanguleux,àl'expressionintense,auregarddur.Elledevaitavoirsonâge.Àcôtéd'elleétaitassiseunegaminedeneufoudixans,ravissante,toutefine,auxcourtscheveuxblondssousunecasquettedebase-ballrouge.Elleouvraitdegrandsyeuxeffrayés.

—Onseconnaît?balbutiaMaggie,lalangueplussèchequejamais.Oùest-cequ'onva?

—Ça...tulesaurasbientôt,ditlagrande.

Enregardantautourd'elle,Maggiedécouvritunequatrièmefille,blottiedanssoncoin,lesyeuxclos.

Ellesesentaittoutebête,maisessayadesereprendre.

—Qu'est-cequitefaitdirequejedorsdepuisunjouretdemi?

—C'estellequiditça,rectifialafillerousse.Moi,jen'ensaisrien.Ilsm'ontembarquéeilyaquelquesheures;j'avaispresqueréussiàm'enfuirdelà-bas,maisilsm'ontrattrapée.

C'estalorsqueMaggieremarqualebleusurlapommettesaillantedesoninterlocutrice,ainsiquesalèvregonflée.

—Oùça,là-bas?articula-t-elle.

Commepersonnenerépondait,ellecontinua:

—Écoute,jem'appelleMaggieNeely,jenesaispasdequelendroitvousparleznicequejefaislà.Jemesouviensjustequ'onm'adroguée.SylviaWeald,çavousditquelquechose?

Lafillerousseladévisageaitenplissantsesyeuxverts

;lapetiteblondeàlacasquettesursauta;quantàcellequigisaitàleurspieds,ellenebougeaittoujourspas.

—Allez,dites-moicequisepasse!

—Tunelesaisvraimentpas?

—Sijelesavais,jeneledemanderaispasmillefois!

—Tuasétévendue,expliqualafillerousse,nonsansunecertainedélectation.Maintenant,tuesuneesclave.

Maggieéclataderire,cequinefitqu'augmentersamigraine.Lapetiteblondetressailitdenouveau.

QuelquechosedanssonexpressionglaçalessangsdeMaggie.

—Allez!grommela-t-elle.C'estbon,çan'existeplus,lesesclaves!

—Là-bas,si.Maistun'aspasl'airdesavoiroùonsetrouve.

—Dansl'ÉtatdeWashington.

Enprononçantcesmots,ellesentitsoncœurseserrer.

—Faux.Oubienvrai,maisçan'aplusd'importance.

Peut-êtreque,techniquement,onsetrouvedansl'ÉtatdeWashington,maisonestsurtoutenenfer.

Maggiecommençaitàs'énerver.

—Tudérailles!

—Regardeparcettefente.

Ilyavaitbeaucoupdefissuresdanslesparoisduchariot,quilaissaientpasserunpeudelumière.Maggies'agenouilla,jetauncoupd'œilàl'extérieur.

Audébut,ellenedistinguapasgrand-chose,lescahotsempêchantdefixerunobjectif.Elles'aperçutseulementqu'ilsemblaitneplusyavoirdecouleur.

Toutétaitsoitphosphorescent,soitnoir.

Etblanc.Ceblancd'uncielcouvertderrièrel'ombred'unemontagne,énorme,assezprochepourqu'ons'yheurte.Surlapenteescarpéesedressaientdesarbrescouleurd’ébèneplutôtquevertsetàdemiavalésparlabrume.Lesommetdisparaissaitcomplètementdanslesnuages,sibienqu'onn'auraitsuévaluerlahauteurdecettemontagne.

Derrières'enprofilaituneautre,etpuisuneautreencore;Maggiepouvaitàprésentconstaterqu'ilyenavaitpartoutautourd'elles,lesemprisonnantirrémédiablement.

C'étaiteffrayant.

Enprincipe,elleaimaitbienlesmontagnes,maiselleenconnaissaitdeplusaimables,pasfroidescommecelles-ci,ninoyéesdansunbrouillardcompactoùpouvaients'agitermillefantômesquisurgissaientets'éloignaientdansungémissementquasiaudible.

Unautremonde.

Elleserassitlourdement,détournalatêteverslafillerousse.

—Onestoù,là?murmura-t-elle.

Àsongrandétonnement,l'autrenes'esclaffapas.

L'expressionabsente,commeàl'évocationd'unterriblesouvenir,ellerépondit:

—C'estlecoinleplussecretduNightWorld.

Maggieeutl'impressiondesentirl'airfroiddelamontagneluicaresserledos.

—Lequoi?

—LeNightWorld.Unesorted'organisation.Poureuxtous,tuvois?Eux.Ceuxquinesontpashumains.

Cettefois,Maggieressentitcommeuncoupdepoingdansl'estomac,sanstropsavoirsicelaprovenaitdufaitqu'elleétaitenferméelàousi,quelquepart,elleavaitdéjàacceptécequedisaitcettefolle.Quoiqu’ilensoit,ellemouraitdepeuretneputprononcerunmot.

—Lesvampires,insistalafillerousseavecunmalinplaisir.Etlesmétamorphesetlessorcières...

Jen'ycroispas!seditMaggie.Sylvia...estunesorcière!

Elleignoraitcommentellelesavait,etsansdoutequelquepartn'ycroyaitpas,maiscemotgrondaitenelletelleuneavalanchedeplusenplusvigoureuseetrapide.L'encens,cesétrangesyeuxviolets...etMilesquiétaitsivitetombéamoureuxd'elle,aupointderompreàpeuprèstoutcontactaveclafamille,dechangerdepersonnalité,exactementcommes'ilétaitenvoûté,impuissant...

Oh,Miles,pourquoin'as-tupascompris?

Jenesuispasintelligente,maisj'aitoujourssupercerlescaractères.Etvoilàquejemesuistrompéejustepourlecasleplusimportant!

Malgrélechaosquihabitaitsonesprit,lesparolesdelafillerousseluiparvenaientencore:

—Ilsn'ontpasvraimentd'espacespécifique.Enfait,lapluparthabitentnosvillesets'efforcentdepasserinaperçus.Maiscettevalléeestspéciale;elleabeausetrouveraumilieudesCascades,leshumainsnel'ontjamaisdécouverte,sansdouteparcequ'elleestprotégéeparlebrouillardetpasmaldesorts.Ilexistebienundéfilépourl'atteindre,assezlargepourlesattelages,maisseuleslescréaturesdelanuitlevoient.

Onl'appelleleroyaumedesTénèbres.

Oh,génial!seditMaggie.

Entoutcas,çacorrespondaitétrangementàcequ'elleavaitaperçuàl'extérieur.Impossibleoupresqued'imaginerlalumièrejaunedusoleilsurceslieux.Lesbancsdebrumeyentretenaientunechatoyanteatmosphèreblancargenté.

—Et,d'aprèstoi,onesttoutes...desesclaves,maintenant?Maisvous,qu'est-cequevousavezfaitpourarriverjusqu'ici?

Commelafilleroussenerépondaitpas,ellejetauncoupd'œilverslapetiteblondequidéglutitd'unairembarrasséavantderépondred'unevoixflûtée:

—Moi,jem'appellePollyPenobscot.J'étais...çam'estarrivépendantHalloween,quandjedemandaisdesbonbons.Onn'avaitpasledroitdes'éloignertropdelamaison,maisavecmoncopainAaron,onatraversé,etunevoitures'estarrêtéedevantnous...Lui,ils'estenfui,maismoi,unhommem'aattrapéeetm'aobligéeàgrimperdanslavoiture.Ilétaitfort.

—C'étaitunmarchandd'esclaves,intervintlafillerousse.Touslestypesquej'aivusétaientdespros.

C'estpourçaqu'ilsl'ontchoisie,elle.Ilspréfèrentlesjoliesesclaves.

—Etensuite?demandaMaggieàlapetite.

—Ensuite,ilsm'ontmisunmouchoirsurlafigure...

jen'arrêtaispasdemedébattre,maisj'aifiniparm'endormir.Etjemesuisréveilléedansleurentrepôt,enchaînéeàunlit,touteseule.Jusqu'àcequ'ilslaramènent.

Dumenton,l'enfantdésignalajeunefilleassoupie.

—Ellevabien?demandaMaggie.

—Elleestmalade.Ilsl'ontlaisséelongtempslà-

dedans,peut-êtrequatrejours,maisellenes'estjamaisréveillée.Jecroisquesonétats'aggrave.Ilsnousontapportéunoudeuxrepas,ethier,c'esttoiqu'ilsontamenée.

—Dansl'entrepôt?s'enquitMaggiesurprise.

Pollyhochasolennellementlatête.

—Tudormaisaussi.Maisjenesaispascequis'estpasséensuiteparcequ'ilsm'ontdenouveaucolléunmouchoirsouslenez.Jemesuisréveilléedansunecamionnette.

—Etmoi,j'aidormitoutcetemps-là?insistaMaggie.

—Ilsontdûtedroguerunpeuplus,intervintlafillerousse.C'estleurtruc,d'abrutirlesgenspourlesempêcherdesedébattre.

Maggiesemordillaitleslèvresàl'idéeque,peut-être,Sylvian'étaitjamaisalléegrimperavecMiles.

—Alors,Polly,tun'aspasvud'autreesclavequecettefille?Ungarçon,peut-être?

EllesortitdesapochelaphotodeMiles.

—Quiavaitcettetête-là?

—Jamais,non.Ilteressemble.

—C'estmonfrère,Miles.IladisparulejourdeHalloween,luiaussi.Jemesuisditquepeut-être...

Àtouthasard,ellemontralaphotoàlafillerousse.

—Jamaisvu,tranchacelle-ci.

Pourquelqu'unquiaimaittantraconterdeshistoiresterribles,ellenel'aidaitpasbeaucoup.

—Ettoi?Commentest-cequetut'esretrouvéelà?

—Jetel'aidit!Jem'enfuyaisdelavallée.J'avaispresqueréussiàtraverserledéfiléquandilsm'ontrattrapéeetjetéedanscechariot.J'auraisdûleslaissermetuer.

—Arrête!Cen'estquandmêmepas...

—C'estpire,assuralafilleroussesanss'énerver.

Maisjenet'endispasplus,tuaurasbienletempsdet'enrendrecompte.

—Qu'est-cequeturacontes?

Lesyeuxvertsbrillaientd'unsombreéclat.

—Lescréaturesdelanuitdoivents'alimenter.Etpasn'importecomment,avecdelanourritureetdel'eau.Lesvampiresdoiventboiredusangetlesmétamorphesmangerdelachairfraîche.Tucomprends,commeça?

Pétrifiée,Maggienecherchaitplusàminimiserlasituation.

—Alors,maugréa-t-elleenserrantlespoings,c'estclair,ilfautnouséchapper.

Commelafilleroussepartaitd'unrireamer,MaggiesetournaversPolly.

—Qu'est-cequetuenpenses?

—Laisse-la,intervintl'autre.Tunesaispasdequoituparles.Onn'estquedeshumainsfaceauxcréaturesdelanuit.Onnepeutriencontrecesgens-là,rien!

—Mais...

—Tusaiscequ'ilsfontauxesclavesquitententdes'échapper?

Là-dessus,lafilleroussetournaledosàMaggiequi,surlecoup,sedemandasiellel'avaitàcepointfroissée.Cependant,savoisinesoulevaitsablouseetl'onpouvaitcroirequ'onavaitjouéauTic-Tac-Toeàmêmesapeau.Desquadrillagesdebrûlures,desXetdesOmalcicatrisés.Sanscompterceuxquiavaientététracésàlapointed'uncouteauauxendroitsstratégiquesdujeu.

Lesoufflecourt,Maggiesesentitprised'unhaut-le-cœuretfaillitperdreconnaissance;c'étaitcommesilemondeseréduisaitsoudainàlaseuledimensiond'untraitdelumière.Cependant,ellen'avaitpasla

placedes'effondrer,sibienqu'ellenefîtqueheurterlaparoiduchariot,tressailliretreveniràelle.

—Jen'ycroispas,ilst'ontfaitça?

—Cen'estrien.Ça,c'étaitàmapremièretentative.

Etlà,commejeviensderecommencer,ilnevontpasmerater.

EllelaissaretombersablouseetMaggieneparvintmêmepasàdéglutir,tantelleavaitlabouchesèche.

—Commenttut'appelles?

—Qu'est-cequeça...

—Commenttut'appelles?

—Jeanne,pourquoi?

—Ecoute,Jeanne,ilfautqueças'arrête.Onnepeutpasleslaisserfaireçaauxgens.Etondoits'ensortir,nousaussi.Puisqu'ilssontdéjàprêtsàtepunirpourtentatived'évasion,pourquoinepasessayerànouveau?Qu'est-cequeçachangera?

Maggiesesentaitcalme,sûred'elleetlogique.Siellen'oubliaitpascequ'elleavaitvu,ellesesentaitunrienrassuréedevantcedébutdesolution.Pasquestiondelaisserpasseruneinjustice.C'étaitsimple.Uneméchancetédemandaitréparation,point.

Ellefonditenlarmes.

Jeanneladévisageaitd'unairintriguétandisquePollysemettaitàpleurer,elleaussi.

Pourautant,Maggienefutpassoulagée.

—Parcequetuasl'intentiond'attaqueràtoitouteseuleleNightWorld?raillaJeanne.

—Maisnon,justeceuxquisontlà.

—Bon,alorsjesuisavectoi.

LaréponseavaitétésipromptequeMaggieentressaillit.Cependant,savoisinecontinuait:

—Seulement,ilvafalloirtrouverunmoyen.

—Onn'aqu'àouvrirlesportesdufond...

—Boucléespardeschaînesàl'extérieur.Onn'aaucunechance.

Uneimagesurvenuedenullepartapparutàl'espritdeMaggie.Elle-mêmeencompagniedeMilessurlelacChelan,faisantexprèsd'agiterlabarqueentoussens,malgrélescrisdeleurgrand-père.

—Etsionsejetaitdetoutesnosforcesd'uncôtéàl'autre?Sionpouvaitretournerlechariot,peut-être

quelesportièress'ouvriraient.C'esttoujourscommeçaqueçasepasseaveclesfourgonsblindésdanslespolars.Oualorsonpourraitenfonceruneparoitoutesensemble.

—Onpourraitaussidégringolerdansleravin,fitremarquerJeanne.Larouteestétroiteetlapenteabrupte.Ilvaudraitmieuxessayerquandonatteindralaprairie.Jenedispasqueçamarchera,ilyadeschancesquenon,mais...

—Maisilfautessayer,tranchaMaggie.

Uncourtinstant,unesortedecourantpassaentreelles.

—Unefoisdehors,ilfaudracourir,etvite,parcequ'ilssontassislà-haut,repritJeanneendésignantleplafond.Çafaitunpeucommeunediligenceaveclesdeuxtypesl'unàcôtédel'autre.Lesmarchandsd'esclavesnesontpasdestendres.Ilsnenouslaisserontaucunechance.

—Saufsilechariotseretournesureux.

—Àtaplacejen'ycompteraispastrop.Lescréaturesdelanuitsontfortes.Ilenfautplusqueçapourlestuer.Onferaitmieuxdes'enfuirsansregarderderrièrenous.Notreseulechance,cesontlesarbres...enespérantqu'onnelaisserapastropdetraces.

—Bon.Ettoi,Polly,tucroisquetuyarriveras?

Lapetitedéglutitencore,maisacquiesçatoutenretournantsacasquette,visièredanslanuque.

—Jecoursvite,assura-t-elle.

Restaitlajeunefilleendormie.Maggiesetournaverselle.

—Laissetomber,conseillaJeanne.Onnevapasl'emmener.

—Etpourquoipas?s'écriaMaggie,indignée.

Chapitre5

—Parcequecen'estpluslapeine,lâchaJeannequiavaitretrouvétoutesadureté.Elleestàmoitiémorte.

—Mais...

—Tuvoisbienqu'elleneferaitquenousretarder!

Ellenepeutpascourir,sanscompterqued'aprèsPolly,elleestaveugle.

Aveugle.Maggieenéprouvaunnouveauchoc.

Commentpouvait-onseretrouverdansunetellesituation,prisonnière,maladeetaveugle?

Elleluisecouadoucementl'épaule,regardasonvisage.

Entouscas,elleesttrèsbelle.

Joliepeaucaféaulait,traitsdélicats,pommetteshautes,boucheparfaite,lescheveuxnoirstirésencatogan,lespaupièresclosesmaisvibrantes,commesiellerêvait.

Toutsonêtrerespiraitunesurprenantesérénité,unedouceur,unequiétude...unique.

—Hé!Tum'entends?Jem'appelleMaggie.Ettoi?

Lescilsfrémirent,leslèvress'entrouvrirent,murmurantdesparolesinaudiblesque,malgrésastupéfaction,Maggietâchadediscernerensepenchantsurelle.

—Arcadia!répéta-t-elle.

Drôledenom;ellen'étaitpascertained'avoirbienentendu.

Lajeunefilleparutacquiescer,seremitàparler.

Ainsi,ellem'entend,songeaMaggie.Ellerépond.

—D'accord.Onpeutt'appelerCady?Écoute,Cady,onsetrouvedansunesalesituation,maisonvaessayerdes'échapper.Siont'aide,tucroisquetuvaspouvoircourir?

Aprèsunnouveautremblotement,lesyeuxs'ouvrirent.Desyeuxdebiche,extraordinairementgrandsetclairs,d'unbrunambrébrillantd'unéclatintérieur.Sans-douteétaient-ilsaveugles,entoutcas,Maggieavaitl'étrangesensationdelesavoirdéjàvus,beaucoupmieuxquecela...

—Jevaisessayer,bredouillaCady.(Ellesemblaitassommée,épuiséemaisencoremaîtressedesesidées.)Parfois,jemesensplusforte,pendantuncertaintemps.

Commeelletentaitdeseredresser,Maggiel'aidaàs'asseoir.

Elleestgrande,maistoutelégère…etj'aidebonsmuscles.Jepourrailasoutenir.

—Qu'est-cequetufais?demandaJeanned'untonalarmé.Çavatourneràlacatastrophe.Laisse-ladormir.

—Jenesaispasàquoitujoues,maispasquestiondeleurlaisserquelqu'un.Tuseraiscontentequ'ont'abandonne,sic'étaittoi.

Unelueursauvagepassadansleregardvert.

—Jecomprendrais,gronda-t-elle,parcequec'estlaloidelajungle,ici.Seulslesplusfortssurvivent.Lesfaibles...Autantleslaissermourir.Plusvitetul'aurascompris,plustuaurasdechancesdet'ensortir.

Maggieenéprouvaautantdecolèrequed'effroi,carJeannesavaitdequoielleparlait.Ellesallaienttouteséchoueràcausedelafaiblessed'uneseulequirisquait,detoutefaçon,denepass'ensortir...

Denouveau,ellecontemplalebeauvisagedelajeunefille.Arcadiadevaitavoirl'âgedeMiles-dix-huitoudix-neufans.MêmesielleavaitentendulesparolesdeJeanne,elleneprotestapas,gardantsonairaimable.

Jenepeuxpaslalaisserici.Qu'est-cequejediraissiMilesétaitvivant,blesséquelquepart,etqu'onrefusaitdel'aider?

—Écoute,rétorqua-t-ellefinalementàJeanne,çaneteregardepas.Occupe-toidéjàdePolly,veilleàcequ’elles'ensorte,jemechargedeCady.

—Commeçavousserezprisestouteslesdeux.

—Peut-être,maiscen'estpastonproblème.

—Non,maisjetejurequejenet'aideraipassituasdesennuis.

—Jenet'airiendemandé.Tentetachancedetoncôté,moijenelâchepasCady.

Jeanneparaissaitfurieuse,maisfinalement,ellehaussalesépaules,l'airfaussementindifférent.Lelienquil'avaitunieuncourtinstantàMaggieétaitrompu.

Ellejetauncoupd'œilparunefentederrièreelle.

—Bon,énonça-t-elled'untonmorne.Detoutefaçon,onaintérêtàsepréparermaintenant.Parcequeçavabientôtêtreànousdejouer.

—Prête?demandaMaggie.

Touteslesquatres'étaientadosséesauxdeuxparoisduchariot,JeanneetPollyd'uncôté,Maggiedel'autre,etCadydanslecoin.

—Amonsignal,voussautezparici,etonsejettetoutesensembleenarrièredelamêmefaçon.

Jeanneinspectaittoujoursl'extérieur.

—Allez,c'estbon,souffla-t-elle.

—Onsaute!criaMaggie.

EllecraignaitquePollyresteparalyséesurplacemais,àl'instantoùJeannesecatapultaitdansleurdirection,lapetitefîtdemême.Lechariotenfutviolemmentsecoué,dansungrincementdeboisirrité.

—Enarrière!criaMaggie.

Ettoutlemondedesejeterensensinverse,quitteàheurterlaparoietàsefairedesbleus,etdenouveaul'attelagetanguacommeunbateauenpleinetempête.

—Allez!reprit-elle.

Dansunmouvementparfaitementsynchrone,lestroisfillesrecommencèrentdeplusbelle,unissantleursforcesdanslemêmeobjectifavecuneexceptionnellepuissance.Cequinesuffitmalheureusementpasàdéséquilibrerlevéhicule.Lesdeuxconducteursallaientsûrementvenirmettreleholà.

—Allez!cria-t-ellecommesielleencourageaitsonéquipedefoot.Toutlemondeenmêmetemps,detoutessesforces!

Ellesejetaverslaparoiopposéeàl'instantoùlechariotpenchaitleplusverslesoletsentitlesautresfilleslarejoindred'unmêmebond.PuiselleentenditJeannepousseruncriderageenheurtantlaparoidebois.

Cettefois,toutparutsefendre,éclateravecuneétonnantebrutalité.Unesortedegémissementjaillitduboislui-même,tandisqueleschevauxhennissaientdepeur.LesolsedérobasouselleetMaggiesesentittomber.

Ellenesedoutaitpasquelechocseraitaussipuissant,aussisurprenant,qu'ill'entraîneraitdansuntelchaosdehurlementsetdesanglots,oùtouts'écroulait,grinçait,glissait,dérapaitaufondd'unsombretunnel.Ballottéeentoussens,ellereçutdescoupsprovenantdesautrescorpsquiheurtaientlesien.Ungenouluicognalenez,etsurlecoupellevittrente-sixchandelles.

Puistouts'arrêta.

Là,jenousaitoustués.

Puis,elleréalisaqu'elleseretrouvaitàlalumièredujour,certespastrèséblouissante,maismanifeste.Lechariotétaitcomplètementretournéetaufondlesportièresbéaient,grandesouvertes.

Exactementcommecellesdesfourgonsblindésdanslesfilms.

Dehors,unhommecriaitd'unevoixfollefurieuse.CequieuttôtfaitdechasserlesderniersdoutesdeMaggie.

—Allez,onsortdelà!

Jeannerampaitausolsurlavoûterenverséeduchariot,verslasortie.

—Çava?criaMaggieàPoly.Sauve-toi!Va-t'en!

L'enfantluiopposaunpetitvisageeffrayé,maisobtempérasansunmot.

Cadygisaitsuruntasdedébris.Sansprendreletempsdes'expliquer,Maggiel'attrapasouslesbrasetlatiraverslalumière.

Unefoisdehors,ellevitPollycourirversJeannequiluifaisaitsigne.Alors,elletâchadevérifiercequisepassaitautourd'elle:unerangéed'arbres,dontlescimesdisparaissaientdanslabrume.

Ahoui…labrume.

Cependant,leflashs'évanouitpresqueaussivitequ'ilétaitvenu.Ellesemitàcourirverslaforêt,portantàmoitiéArcadiasursondos,traversantuneprairiequidevaitresplendirdebleuetsetdecoquelicotsauprintemps.Là,cen'étaitqu'unemassed'herbeshautesquilaralentissaientdanssacourse.

—Ellessontlà-bas!crialavoiximpérieuse.Attrape-les!

Neregardepasderrièretoi,songea-t-elle.Neralentispas!

Pourtant,elleneputs'empêcherdejeteruncoupd'œilpar-dessussonépauleetvitalorscequ'ilétaitadvenudel'attelage.

Ilavaitquittéunerouteétroitepourverserdansleravinencontrebas.Parchance,sachuteavaitétéstoppéeparunemassederocherssaillants.Lechariotneressemblaitplusqu'àuneboîted'allumettesdéfoncée.Au-dessus,leschevauxsemblaientemmêlésentrerênes,brancardsetharnachements;l'und'eux,renversé,sedébattaitpourserelever.Maggieenéprouvaunélandecompassion.

Pourvuqu'ilnesesoitpascassélesjambes.

Etpuisdeuxhommesdévalaientlacolline.

C'étaienteuxquicriaient;etl'untendaitledoigtverselle.

Va-t'envite,Maggie!Arrêtederegarderderrièretoi!

EntraînanttoujoursCady,ellecourutverslaforêt.Ilfallaitencoresetrouverunecachette-derrièreunbuissonouquelquechosecommeça.Àmoinsdegrimperdansunarbre...

MaisunregardversCadyluisuffitàrejetercetteidée,sonvisagemoite,sesyeuxmi-clos,sarespirationhaletante...

Aumoins,JeanneetPollys'étaient-ellesenfuies.

Derrièreelleretentituncraquement,suivid'unebordéedejurons.Elleseretournaencore,cettefois

pourdécouvrirlasilhouetted'unhommedanslebrouillard.

Unhommeeffrayant,àl'aspectquasisurnaturelaumilieudecesvolutesdebrume,énorme,massif,auxbraslourdementmusclés,àlatailleétonnammentétroite,àl'expressioncruelle.

—Gavin!J'entiensdeux,cria-t-il.

Sansenécouterdavantage,Maggiedécampa.

Lachasseduralongtemps,avecquelquespausesobligéesquandellen'enpouvaitplusets'arrêtait,letempsdesouffleroudechercherunecachette.

Finalement,elleseréfugiaavecCadydansletroncd'unarbrecreuxoùtoutesdeuxs'efforcèrentdereprendreleursouffle,sansfairedebruitlorsqueleurspoursuivantspassèrentdevantellesdansuncrissementdesemellesécrasantlesfougères.Ellesentaitlecœurdelajeunefillebattrecontrel'écorcedupinets'aperçutqueseslèvresremuaientsansémettreuneparole.

Àquelquesmètresd'elles,unautrehommeavaitrejointceluiqu'elleconnaissaitdéjà,etlepremieravaituneétrangefaçondetournerlatêtesuruncouanormalementlongetsoupleenplissantlesyeux.

Ondiraitqu'ilnousflaire,songeaMaggiehorrifiée.

—Tunedétectesrien?demanda-t-ilàsoncompagnon.

—Non.Pasdutout.Etjenevoisriennonplus,avectouscesarbres.

C'étaitleplusjeunequiavaitrépondud'untonimpatient,sansdouteledénomméGavin.Enfait,ilavaitplutôtl'aird'ungamin,avecsescheveuxblonds,sonnezfinetsonmentonpointu.

—Jenelessenspasdavantage,maugréal'hommesanssepresser.Etc'estbizarre.Ellesnepeuventpass'êtreenfuiessiloin.Ellesdoiventnousbloquer.

—Jemefichedecequ'ellesfont,ditGavin.Ilfautquenouslesrattrapions,maintenant,etvite.Cenesontpasdesesclavesordinaires.Sinousnelivronspascettedemoiselle,noussommesmorts.Tuesmort,Bern.

Unedemoiselle?seditMaggie.C'estpeut-êtreimportant,danscescontrées,d'avoirunedemoisellepouresclave.Maisdelaquelled'entrenousparle-t-il?

Pasdemoi,jenesuispasimportante.

—Nousallonslaramener,assuraBern.

—Çavaudraitmieux,sinonj'irailatrouverpourluidirequec'esttafaute.Onnousavaitpourtantprévenusqu'ilnefallaitpasqueçaarrive.

—Etçan'arriverapas,conclutBernentournantlestalons.

Gavinlesuivituninstantdesyeux,puisluiemboîtalepas.

Maggiepoussaunsoupirets'aperçutqueCadyavaitcesséderemuerleslèvres.

—Ons'enva,murmura-t-elleavantdepartirdansladirectionopposéeàcelledesdeuxhommes.

Etlacourserepritdeplusbelle,denouveauponctuéedepausespourrespireretdresserl'oreille,surveillerlesalentours.Cetteforêtétaitaffreuse,plongéedansuncrépusculeirréel,auxombresd'autantplusmenaçantesqu'elless'estompaientdanslabrume,parmilestroncsrenversés.Onseseraitcrudansleroyaumed'unemauvaisefée.Ellen'yvoyaitqu'unseulavantage:l'humiditéquiatténuaitlebruitdespas.

Pourtant,lesilenceambiantdevenaitpesant.Mêmepasdecorbeauoudemésange,encoremoinsdecerfoudelapin—justelesbroussailles,lesbranchesdevantleciel,àl'infini.

Jusqu'aumomentoùapparutuneautreprairie.

Maggiecommençaparchercherduregardunecachettepossible.Rien.Laforêts'arrêtaitlà,ensuiteunemassederochersclôturaientl'étendueherbeuse.

Ondevraitpeut-êtrerevenirsurnospas.

Maislesvoixrésonnaientdanslaforêtderrièreelles.

Surlesrochersdonnaitunsentierquiserpentaitlelongduflancdelamontagne.

Sionpasselevirageàtemps,seditMaggie,onseraensécurité,carilsnenousverrontplus.

EntraînantCady,ellesedirigeaverslesrochers.Ilsnecorrespondaientpasaupaysage,telsd'énormesdépôtsdegranitlaissésparunancienglacier.Maggieenescaladaunsansdifficulté,puissepenchaversCady.

—Donne-moitonbras.Ilyaunsentier,là-haut.Ilvafalloirgrimperunpeu.

Cadylevalafaceverselle.

Bon,seditMaggie,ellenemevoitpas,maisc’esttoutcomme.Étrangesensationquecesyeuxaveuglesquisemblaientpourtanttoutpercevoir.

—Tudevraismelaisserlà.

—Nedispasdebêtises.Vite,donne-moitamain.

—Non,vas-y.

Ellesemblaitaussisûred'ellequ'épuisée,etsisatranquilliténel'avaitpasquittée,elledevenaitmaintenantrésignation.

—Jeneferaisqueteralentir,ajouta-t-elle.Etsijerestelà,çatedonneraunpeuplusdetempspourt'enfuir.

—Jenevaisnullepartsanstoi!Allez!

Arcadiahésitaencoreuneseconde,l'expressionmarquéed'uneinfinietendresse,avantd'attraperlamaindeMaggie-avecprécision.

Sansperdreuninstant,Maggiel'attiraverselleettoutesdeuxreprirentleurroute.Maiscettetergiversationlesavaitretardées.Elleentendaitleshommesserapprocher.

Quandellesatteignirentlesommetdelamasserocailleuse,lespectaclequis'offritàsavueprovoquacommeunedéchargeélectriqueàtraverssoncorps.

Ellesseretrouvaientaubordd'unescarpementdénudé,sansaucunejonctionaveclesentierensurplomb.Et,endessousd'elles,unravinabruptplongeaittrentemètresplusbassurunegorgeétroite.

ElleavaitentraînéCadydansunvéritablepiège.

Iln'yavaitaucuneissue.

Chapitre6

Maggieauraitpuaccéderàcesentiersielleavaitétéseule;cen'étaitpasuneescaladecompliquée,dutroisièmedegréaumaximum.Maisellenepouvaitenvisagerd'entraînerArcadiadansunetelleentreprise.

Etplusletempsderetournerdanslaforêt.Cettefois,ilsnoustiennent.

—Descends,souffla-t-elleàCady.

Ilyavaituncreuxàlabasedesrochers,maisquinepourraitcontenirplusd'unepersonne.Àpeinelajeunefilles'yfut-elleréfugiéequ'uncriretentitàl'oréedelaforêt.

Maggieseplaquacontrelaparoirocheuseglissantedemousse.Ellesesentaitaussivisiblequ'unlézardsurunmur.Etellenepouvaitrienfaired'autrequ'attendreenécoutantlesdeuxhommess'interpelleràmesurequ'ilsapprochaient.

Bientôt,elleperçutleursoufflecourt,àl'entréeduchampderochers.

—Onn'estnullepart,là...lançalavoixjuvéniledeGavin.

—Si,ellessontlà.

Ça,biensûr,c'étaitBern.

Etlàrésonna,affolant,legrognementd'ungrimpeurenpleineffort.Onestfichues.

Duregard,Maggiecherchaitdésespérémentunobjetquiluiserviraitd'arme.Ellefutsurprised'entrouverunàsaportée,commes'ilavaitétédisposélàpourelle,ets'enemparalecœurbattant:unebranchemortecoincéeentredeuxrochersau-dessusdesatête,beaucouppluslourdequ'iln'yparaissait—leclimatdevaitêtretrophumidepourlaisserjamaisleschosessécher.

D'ailleurs,lesrochersaussisonthumides,doncglissants.Autreavantage,onnepassequ'unparun.

Moiaussijepourraispeut-êtrelesrepousserl’unaprèsl'autre...

—Nebougepas,souffla-t-elleàCady.J'aiuneidée.

Celle-cisemblaitau-delàdel'épuisement,lesjambestremblantes,sonbeauvisagedéfait,larespirationirrégulière,sescheveuxrépandussurlesépaulescommeunchâle.

Maggieseretourna,lagorgeserrée,seprépara,maislorsquesurvintcequ'elleguettait,ellesursauta,commesiellenes'yattendaitpas.Commentcroirequ'ellevoyaitlesommetd'uncrânepresquerasé,puissonfront,puissafaceàl'expressionimpitoyable?

Bern.Ilgrimpaittelleunearaignée,s'agrippantavecl'extrémitédesesdoigts.Seslargesépaulesapparurent,suiviesdesontorsepuissant.

IlregardaitfixementMaggie.Aupointqu'ellesesentitpresquedétachéedesoncorps,commesiellepouvaitflotteràcôté.Ellenes'évanouitpas,demeurantimmobilemalgrélessursautsdeterreurquilaparcouraient-solidementaccrochéeàsonbâton,Bernnecessaitdesourire,maissesyeuxrestaientternes,inexpressifs,àcroirequ'ilnepouvaitcommuniqueravecsonesprit.

Iln'estpashumain.C'est…autrechose.

Elleenétaitabsolumentcertaine.

ApparutalorsunejambeauxmusclesprotubérantssousleJean:ilsehissasurlerocher,s'ytintdebout,ladominantdetoutesataille,grandcommeunemontagne.

Maggiebrandissaitsonbâton.

—N'approchezpas!

—Toi,tum'asdéjàcauséassezd'ennuiscommeça.Jevaistemontrerquelquechose.

Unlégerbruitsefitentendrederrièreelle.C'étaitCadyquiessayaitderemonter.

—Arrête!luiordonnaMaggie.

Detoutefaçon,lajeunefillenepouvaitsedégagerseule.Aprèsquelquestentativesinfructueuses,elleselaissaretomber,lesyeuxclos.

MaggieseretournajusteàtempspourvoirBernfondresurelle.D'unmouvementtotalementinstinctif,ellelevasonbâtonetfrappa,nonpasàlatêteniaubas-ventremaissuruneexcroissancedurocher,devantlespiedsdel'homme,formantunebarrièrepourlefairetomber.

Celafaillitfonctionner.

Ralentidanssacourse,Berntrébucha;toutefois,cen'étaitpasqu'unebrutetoutenmuscles,ilseredressavite,fitportersonpoidssurunejambepourretrouverl'équilibre.

Maggieessayadedégagersonbâtonafindes'enservirànouveau,maisBernétaitrapide,illeluiarrachadesmains,luilaissantquelqueséchardesaupassage.

Aprèsquoiilleprojetaauloin,telleunelance.Ellel'entendits'écrasersurlechemintandisquelesgrossesmainsdeBern,quiladominaitdetoutesamasse,s'abattaientsurelle.

—Tutiensvraimentàm'embêter?Regardedoncça!

Sesyeuxn'étaientplusaussiinexpressifs.Lacolèreémanaitdeluicommeuneforteodeuranimale.Etlà...

Ilsetransforma.

Maggien'avaitjamaisrienvudetel,cestraitsquisedéformaientetsefroissaient,cescheveuxsombresquiondulaient,commes'ilsétaiententraindepousser,etserépandaientsursonvisage;malgrésonépouvanteetsondégoût,ellenepouvaits'empêcherderegarder.

Lesyeuxrapetissaient,maisleursirisbrunscouvraientpeuàpeuleblanc.Labouchepointaitenavant,tandisquelementondisparaissait.Deuxoreillessedéployaientcommed'affreusesfleursausommetdesatêtetandisquesoncorpsprenaituneformegigantesque,arrondie.Seslargesépaules,satailleavaientdisparu,seslonguesjambesfaisaientplaceàdecourtespattes.

Iln'avaitpaslâchéMaggie,cependantcen'étaientplusdesmainsquilatenaient,maisdesgriffesd'uneforceincroyable.Ellen'avaitplusaffaireàunepersonne,maisàunêtrecolossalàl'allurevaguementhumaine.Unoursbrunquiladévisageaitavecuneévidentedélectationetempestaittantqu'elleenavaitlanausée.

Jeviensd’assisteràlatransformationd'unmétamorphe,sedit-ellesubjuguée.Finalement,Jeanneavaitraison.

MalheureusementpourCadyetMiles,elleavaitmanquésatentative.Sylviaavaittoutcompris:ellen'étaitqu'unefilleordinaire.Etaussicomplètementidiote.

Unpeuplusloin,Gavinriaitméchamment,commes'ilassistaitàundivertissement.

L'oursouvritlagueule,laissantapparaîtredesdentsd'ivoire,assombriesauxracinesetpleinesdebavequicoulaitsurlespoilsdesamâchoire.Sesgrossespattesgriffuess'approchèrentencoredeMaggie,etlà...

Lafoudrefrappa.

Dumoinsétait-cel'impressionqueceladonnait.Unéclairaussiéblouissantquelesoleil,maisbleu,quiparutbifurquerentoussenspuisreveniràlacharge,commes'ilétaitvivant.

Ilélectrocutaitl'ours.

Atteintenpleinenuque,l'animals'étaitraidi,latêterejetéeenarrière,lagueulebéante.

Auloin,àpeineaudible,Gavinpoussaituncrideterreur,laboucheouverte,luiaussipétrifié.

Pourtantcen'étaitpasunvéritableéclair:ilnecessaitdeclaqueretdeheurterBernenprenantmilleformesdifférentes.Desétincellesjaillissaientdelafourruresurleventre,etautourdumuseau.

Maggieeutl'impressiondevoirlefeuluibrûlerlagorge.

Dansunhurlementd'effroi,Gavinpritsesjambesàsoncou.Maggienesedonnapaslapeinedevérifierdansquelledirectionilallait,caruneseulepenséeoccupaitsonesprit:ilfallaitqueBernlalâche.

Ellenecomprenaitpascequiluiarrivait,maissavaitqu'ilallaitmourir,etqu'àcemoment-làildégringoleraitdansleravinenl'entraînantaveclui.

Ellesentaitl'odeurdebrûlémaintenant,depeauetdefourruregrillées.Ilcuisaitdel'intérieur.

Ilfautquejemedépêche.

Maiselleeutbeausedébattre,donnercoupsdepoingetcoupsdepied,lesgriffesnefaisaientqueseresserrerdavantage,commeparréflexe.Elleessayadelerepousserenymettanttoutessesforces.Sansrésultat.C'étaitcommesionl'étouffaitdansunepeaud'oursquiempestaitetprenaitfeu.Elleignoraitpourquoicettefoudrenelatuaitpaselleaussi.Toutcequ'ellesavait,c'étaitqu'elleallaitmourir,écraséeparlatailleetlepoidsdecetanimal.

Dansunderniersoubresaut,elleluibalançadanslebas-ventreuncoupdepiedaussiviolentqueleluipermettaientencoresesforces,sentitlarésistancedecettemasseénormecontresontibiaetfutlapremièreétonnéedelevoirreculer,desserrerl'étreintedesespattesdedevant.

Entombantsurlerocher,Maggiedéployainstinctivementlesbras,àlarecherched'uneanfractuositéàlaquelles'accrocher.Au-dessusd'elle,labêterestaitimmobileettremblante,toujourstranspercéedecetincroyableéclaird'énergiebleuequilatraversaitcommeunelance.Etpuis,aussivitequ'ilétaitarrivé,ildisparut.L'ourstitubauninstant,puiss'écroulatelleunemarionnettedontonauraitcoupélesfils.

Basculantenarrière,ildévalalapenteenrebondissant;alors,Maggiedétournalatête.

Sespaupièresdemeuraientempreintesd'unfouilisd'imagesrémanentesjaunesetnoires.Ellerespiraitsivitequecelaluidonnaitlevertigeetellenesentaitpourainsidireplussesbrasnisesjambes.Commentexpliquercequis'étaitpassé?L'éclairluiavaitsauvélavie.Pourtant,ellen'avaitjamaiseuaffaireàunphénomèneaussieffrayant.

Magique,complètementmagique.Sijetournaisunfilm,ceseraittoutàfaitlegenred'effetsspéciauxquej'ymettrais.

Ellerelevalentementlatête.

C'étaitarrivépar-là,duhautdecetteplate-forme.

Maintenantqu'elleregardaitdanscettedirection,elleyvoyaitungarçon.

Ilsemblaitdécontracté,entraind'enveloppersonpoignetdansunmouchoirquis'imprégnaitdesang.

Iln'estpasbeaucoupplusâgéquemoi,songea-t-elleétonnée.Ou...peut-êtrequesi?

Ilyavaitcepetitquelquechoseenlui,uneassurancepeucommunedanssafaçondesetenir,unesombreautoritédanssesmouvements,quiluidonnaientplutôtl'aird'unadulte.

Etpuisilétaitremarquablementvêtu,commeunrichemarchanddelaRenaissance.Maggies'étaitrendueàunefoireenOregonquifaisaitrevivrecetteépoque,oùtoutlemonde,encostume,segavaitdecuissesdedindesrôtiesets'affrontaitenjoutes.Cegarçonportaitdesbottesàmi-genouxetunegrandecapenoiresouslaquelleilauraitpurangeruneépée.

DanslesruesdeSeattle,Maggieauraitplutôtsourienlecroisant.Maislà,ellen'avaitaucuneenviedesemoquer.

LeroyaumedesTénèbres,songea-t-elle.Esclaves,demoiselles,métamorphes...etmagie.Cedoitêtre

unmagicien.Dansquoimesuis-jefourrée?

Lecœurbattant,labouchedesséchée,elleressentaitpourtantquelquechosedeplusfortquelapeurs'immiscerenelle.Lagratitude.

—Merci,dit-elle.

Ilnelevamêmepaslesyeux.

—Pourquoi?demanda-t-ild'untonsec.

—Pourm'avoirsauvée.Jeveuxdire...c'esttoiquiasfaitça,non?

Cettefois,ilsedonnalapeinedelaregarder,d'unairpeuaimable.

—Faitquoi?

Maintenant,c'étaitellequiledévisageait,soudainfrappéeparl'évidencequidansaitauxfrontièresdesonesprit.

J'airêvé,c'estvrai!Etilyavaitdansmonrêvequelqu'unquiteressemblait,maisquin'avaitpaslamêmeexpression.Etiladit…iladitquelquechosed'important...

Ellen'arrivaitpasàsesouvenir!Legarçonlaregardaitencore,attendaitimpatiemment.

—Cette...chose.(Elleremualesdoigtscommepoursolliciterdesvaguesd'énergie.)Cettechosequil'achassédelacolline.C'esttoi.

—LaFlammebleue!Evidemment.Quid'autreenalepouvoir.Maiscen'estpaspourtoiquejel'aifait.

Déconcertée,ellenesavaitplusquoidire.D'uncôté,elleavaitenviedel'interroger,del'autre,ellel'auraitbienenvoyépromener.EtpuisilyavaitaussicettelégèreenviedefuircommeGavin.

Lacuriositél'emporta.

—Alors,pourquoias-tufaitça?

Legarçonjetauncoupd'œilverssespieds.

—Ilm'avaitjetéunbâton.Dubois.Alorsjel'aitué.

Voilàtout.

Cen'estpassurtoiqu'ill'ajeté,pensaMaggie.

Cependant,legarçonpoursuivit:

—Jemefichaisdecequ'ilpouvaittefaire.Tun'esqu'uneesclave.Etlui,cen'étaitqu'unmétamorpheavecunecervelled'animal.Vousnecomptezpasplusl'unquel'autre.

—Bon...n'empêchequeçanousasauvéestouteslesdeux...rétorqua-t-elleenjetantunregardversArcadia.

Elles'interrompitbrusquement:

—Cady?

Ellesautasurlesrocherspourrejoindrelajeunefille.

Arcadiagisaittoujoursdanssonrefuge,maislecorpsavachi,latêterenversée,lesyeuxclos,lestraitstirés.

—Cady!Tum'entends?

Letempsd'uneaffreuseseconde,Maggielacrutmorte.

Puisellevitsapoitrinesesouleverlentement,aurythmed'unefaiblerespiration.Mêmeàcettedistance,ellesentaitmonterlachaleurdelafièvrequil'habitait.

Elleatropcouru,elles'esttropdépensée,çan’afaitqu'aggraversonétat.IIfautluiportersecours!

Cependant,legarçonenavaitfiniavecsonmouchoiretouvraitmaintenantunsacdecuir.

Àyregarderdeplusprès,ellevitqu'ils'agissaitd'unesortedegourde.Ils'apprêtaitàyboire.

Del'eau.

D'unseulcoup,elleeutànouveauconsciencedesapropresoif,dontlasouffranceétaitpasséeausecondplandepuisqu'elleavaittentéd'échapperauxmarchandsd'esclaves.Maismaintenant,celaredevenaitplusfortquetout,labrûlantd'unfeuinsupportable.

EtpourArcadia,c'étaitencorepire.

—S'ilteplaît,implora-t-elle.Tupeuxnousendonner?Lance-la-moi,jesaurail'attraper.

Illaconsidérad'unairplusagacéqu'étonné.

—Etcommentest-cequejelarécupère?

—Jetelarapporte.Jepeuxgrimper.

—Sûrementpas.

—Regarde.

Ellegrimpa.Cefutaussifacilequ’ellel'avaitimaginé,avecpleindesailiespours'accrocher.

Ensehissantsurlaplate-formeprèsdelui,elledécouvritdurespectdanssonregardquelquepeuréticent.

—Tuesrapide,constata-t-il.Tiens.

Illuitenditlesacdecuir.

MaisMaggien'arrêtaitpasdelescruter.Desiprès,l'impressiondedéjà-vuétaitplussaisissantequejamais.

C'étaittoi,dansmonrêve.Pasjustequelqu'unquiteressemblait.

Ellereconnaissaittoutenlui.Cecorpssoupleetdélicat,cettefaçonqu'ilavaitdesetenir,commemûparunetensionretenue.Cescheveuxnoirsauxondulationsrebelles.Cevisagecrispé,cespommettessaillantes,cettebouchevolontaire.

Etsurtoutcesyeuxdorésstriésdenoir,intrépidessousleurslongscils,quisemblaientscintilleràl'infini.

Fenêtressurunespritd'unefolleintelligence.

Laseuledifférencerestaitsonexpression.Danslerêve,ils'étaitmontréanxieuxettendre.Là,ilavaitl'airsombre,amer...etglacial.

Pourtantc'étaitbientoi,pensaencoreMaggie.Pasjustequelqu'unquiteressemblait,parcequejenecroispasqu'ilexisteaumondequelqu'unquiteressemble.

L'airpensif,ellelaissatomber:

—Jem'appelleMaggieNeely.Ettoi?

Ilenparutstupéfait,écarquillalesyeux,fronçalessourcils...

—Commentoses-tumedemanderça?s'exclama-t-il.

Ilparaissaitsincèreenposantcettequestiontoutjustecligned'unfilmringard.

—J'airêvédetoi,avouaMaggiesanssedémonter.

Enfin...jediraisplutôtqu'onm'aenvoyécerêve.Tun'arrêtaispasdedirequejedevaisfairequelquechose...

—Jemefichedetesrêves.Tuveuxcetteeau,ouiounon?

Denouveauconscientedesasoif,elleattrapavivementlagourdequ'illuitendait.Maisilnelalâchapaspourautant.

—IIyenajusteassezpourunepersonne,gronda-t-il.Boisici.

Eleclignadesyeuxenserendantcompteàquelpointlagourdeétaitlégère,tâtalecuirpourévaluersoncontenu.

—Cadyenabesoinaussi.Elleestmalade.

—Elleestplusquemalade.Elleestpresquemorte.

Çaneserviraitàriendeluiendonner.

Cen'estpasvrai,songeaMaggie.IlparlecommeJeanne.

—Etalors?Sijeveuxpartageravecelle,çameregarde,non?Qu'est-cequeçapeuttefaire?

—Ceseraitidiot.Ilyenajusteassezpourunepersonne.

—Écoute...

—Tun'aspaspeurdemoi,ondirait!coupa-t-il.

Lesyeuxjaunedorélafixaientcommes'ilspouvaientliredanssespensées.Bizarrement,ellen'avaitpaspeur,eneffet,pasvraiment...

Maisriennelaferaitreculer.

—Detoutefaçon,c'estmoneau,reprit-il.Alorsjeterépètequ'ilyenajusteassezpourtoi.Tuasdéjàétéassezbêtepouressayerdeprotégercettefilleaulieudet'enfuir.Oublie-la,maintenant.

Uneétrangeimpressions'emparadeMaggie,maisellen'avaitpasletempsd'analysersesétatsd'âmepourlemoment.

—Bon.C'esttoneau,lâcha-t-elled'untonaussicassantquelui.Etilyenajusteassezpourunepersonne.

Elletiraplusfortsurlagourde,etcettefoisillâchaprise.Aussitôt,ellesedétournaverslesrochersoùgisaitencoreCady,apprécialadistance,repérantaupassagequel'und'euxs'incurvaitenformedeberceau.

Facile.Lagourdevarebondiretatterriràsespieds.

—Attends!

Elleallaitlalancer,quandl'ordreretentitderrièreelle,impérieux,cinglant,plusbrutalquelapoignequiserefermasursonbras.

—Aquoijoues-tu?crachalegarçonfurieux.

Chapitre7

—Quefais-tu?insista-t-ilavecvéhémence.

—Jejettelagourdelà-bas...

Ilestsifort…jen'aijamaisvuquelqu'und'aussifort.

Ilpourraitmecasserlebrassansmêmeypenser.

—Jelesais!Maispourquoi?

—Parcequec'estplusfacilequedel'emporterentremesdents.

Cen'étaitévidemmentpaslavraieraison;enfait,Maggiecherchaitsurtoutànepasselaissertenter.Eleavaittellementsoifqu'ellecroyaitdevenirfolleetavaitpeurdenepluspouvoirseretenirlongtempsdevantcettepochedebonneeaufraîche...

Etluiquilacontemplaitdesesyeuxstupéfiants,commes'ilcherchaitàpénétrersoncerveau.Ilyparvintsuffisammentpourcomprendrequ'elleneluiavaitpasrépondulavérité.

—Petitesotte!articula-t-il.Tuferaismieuxd'écoutertoncorpsquiteréclamecedontilabesoin.

Onnepeutpasignorerlasoif.Onnepeutpaslanier.

—Maissi!

Cependant,ellesentaitsonpoignets'affaiblir.Sicelacontinuait,elleallaitlâcherlagourdequitomberaitn'importeoù.

—Non,rétorqua-t-ildansunsifflement.Jelesaurais.

Etilluimontrasesdents.Elleauraitdûs'yattendre.

Jeannel'avaitpourtantprévenue.Vampires,sorcièresetmétamorphes...

Sylvian'était-ellepasunesorcière,etBernunmétamorphe?

Cegarçonétaitunvampire.

Bizarrement,ilnedevenaitpasaussihideuxqueBernquandilchangeait.Sonvisagesemblaitjustepluspâle,plusfin,commesculptédanslaglace.Sesyeuxdorésbrûlaientd'unéclatplusbrillant,ombrésdelongscilsquin'enparaissaientqueplusnoirs;sespupillessedilatèrent,d'unenoirceurquisemblaitcapabled'engloutirn'importequi.

Maisc'étaitsurtoutsabouchequisurprenait,encoreplusvolontaire,plusdédaigneuseetmaussade-assezétiréepourlaisserpointersescrocs.

Impressionnants,lescrocs.Longs,translucides,blancs,effiléssurdedélicatespointes,tellesdescaninesdefélin,brillantscommedespierresprécieuses.NonpasdecesdéfensesjaunâtrescommecellesdeBern,maisdedélicatsinstrumentsdemort.

Maisl'étonnementdeMaggieseportaitailleurs:commentcetêtre,quineressemblaitàriendecequ'elleavaitvujusque-là,pouvait-illuiparaîtresinormal?Elleavaitjusteaffaireàquelqu'undedifférent,pasplusextraordinaireensoiqu'unhumainouqu'unours,etquiavaitautantledroitdevivrequ'eux.

Cequinesignifiaitpaspourautantqu'ellen'enaitpaspeur.Maisc'étaitautrechose.Aulieuderesterparalysée,ellesesentaitprêteàréagir.Àsedéfendresinécessaire.Elleavaitdéjàbeaucoupchangédepuissonentréedanslavallée:àprésent,lapeuravaitplutôttendanceàlastimuler.

S'ilfautquejemedéfende,j'auraibesoindemesdeuxmains.Etpuis,autantnepasluimontrerquej'aipeur.

—Peut-êtrequetoitunepeuxpasignorertasoif,rétorqua-t-elled'unevoixqu'elleparvintàmaintenirferme.Maismoi,çava.Saufquetumefaismalaubras.

Tupourraismelâcher?

Unéclairtraversalesyeuxjaunes;ellecrutqu'ill'attaquait.Maislespaupièresserabaissèrentetillalâcha.

LebrasdeMaggies'affaissa,lagourdetombadesesdoigtsinertespouratterrirdoucementàsespieds.Ellesefrottalamain.

Etnerelevapaslatêtequandildemanda,avecunepointed'hostilité:

—Tun'aspaspeurdemoi?!

—Si.

Aplusieurstitresd'ailleurs,passeulementparcequec'étaitunvampireouparcequ'ilavaitlepouvoird'envoyerdesflammesbleuesàvingtmètresàlaronde,maisparcequ'ilétaitlui;soncomportementl'impressionnait.

—Maisqu'est-cequeçachange?ajouta-t-elle.Situveuxmefairedumal,jemedéfendrai,etjusqu'àmaintenant,tunem'asrienfait.Si,tum'asaidée.

—Jet'aiditquejen'avaispasfaitçapourtoi.Ettunet'ensortiraspassitucontinuesàteconduirecommeuneidiote.

—Uneidiote?

D'unseulcoup,lesirissemblaientseteinterdemordoréetlescrocsavaientdisparupourlaisserplaceàcettebouchedédaigneuseetaristocratique.

—Tufaistropconfianceauxgens.Tut'enoccupestrop.Tunesaispasqueseulslesfortspeuventse

comporterainsi?Lesfaiblesnesontquedespoidsmorts...etsituessaiesdelesaider,ilsvontt'entraînerdansleurchuteaveceux.

—Cadyn'estpasfaible,maismalade.Ellepourras'enremettre...sionluidonnelachancedes'ensortir.

Sionnes'entraidepas,qu'est-cequ'onvadevenir,tousautantqu'onest?

IIluiopposaunregardexaspéré,qu'ellesoutintuninstant,avantdesepencherpourramasserlagourde.

—Jevaisluidonneràboire,maintenant.Jereviens.

—Attends.

S'ilavaitparlétoujoursaussisèchement,cettefoisaumoins,ilneluiavaitpassaisilebras.

—Quoi?

—Suis-moi.

Là-dessus,ilsetournasansvérifiersielleobtempérait.Àl'évidence,ils'attendaitàêtreobéientoutecirconstance.

—Apportelagourde,ajouta-t-ilsansregarderpar-dessussonépaule.

Maggiehésitauninstant,jetauncoupd'œilversCady,àl'abriaucreuxdesesrochers,etsuivitlegarçon.Unétroitsentiercontournaitlacolline,abrupt,entrecoupédeplaquesd'ardoiseauxrebordsaiguiséscommedeslamesderasoir,qu'ellecontournaprudemment.

Devantelle,legarçondisparutsoudainderrièrelaparoietens'avançant,Maggieaperçutunegrotte.

Sonentréeétaitétroite,àpeineunefente,aupointqu'ilfallaits'yfaufilerdeprofil.Àl'intérieurrégnaientl'humiditéetunfroiddepierre.Aucunelumièreoupresquenefiltraitdudehors,sibienqueMaggiedutclignerdesyeuxavantdes'habitueràlasemi-obscurité.Uncrissementretentit,commesioncraquaituneallumette;unepetiteflammes'élevadansuneodeurdesoufreetlegarçonréapparut,éclairantunevasquecreuséeàmêmelaroche.

Маggiеenrestalesoufflecoupé.Àlalumièreapparaissaientdegrandesombresmouvantes,maisaussid'innombrablesscintillementsdequartzlelongdesparois.Lagrotteétaitdevenueunlieud'enchantement.

Auxpiedsdugarçonrayonnaitunelueurd'argent.

Danslesilencefeutré,onpercevaitletintementdesgouttesd'eau.

—C'estunbassin,expliqua-t-il.Alimentéd'eaudesource.Froide,maispotable.

Del'eau.UnélandedésirsaisitMaggie.Elles'avançadetroispas,selaissatomberenavant,plongeantlesmainssouslasurface,laissantlafraîcheurluiinonderlesbras,puisremontasespaumes,commechargéesdediamantsliquides.

Jamaisellen'avaitrienbudemeilleurquecetteeau,pasunsoda,pasunthéglacéparlespluschaudesjournéesd'éténecouleraitainsidanssabouchedesséchée,lelongdesagorgedéshydratée—pourallerserépandredanstoutsoncorps,l'apaisant,lefaisantrevivre.Unelumièrecristallineenvahitsonesprit.Ellebuvaitetbuvaitdansunétatdepurbonheur.

Enfinassouvie,elleplongealagourdedansl'eau.

—Pourquoifaire?demandalegarçond'untonpresquerésigné.

—Cady.Ilfautquejeluienrapporte.

Maggieserassitsursestalonspourmieuxcontemplerlasilhouetteàdemiplongéedansl'ombre,entouréedelueursmouvantes.

—Merci,souffla-t-elled'unevoixlégèrementtremblante.Jecroisquetuviensencoredemesauverlavie.

—Tuavaisvraimentsoif!

—Oui.

Ellesereleva.

—Maisquandtuascomprisqu'iln'yauraitpasassezd'eau,tuétaisprêteàlaluidonner.

—Oui.

—Mêmesitudevaisenmourir?

—Jenesuispasmorte.Etjen'enavaispasl'intention.Enfin...bon,sijen'avaispaseulechoix...

Ecoute,j'aipriscettefillesousmaresponsabilité.C'estcommequandonadopteunchat,ou...oucommequandonestunereineoujenesaisquoi.Situtedisresponsabledetessujets,tudoisl'être...jusqu'aubout.

Unelueurtraversalesyeuxjaunedoré,éclairdecolèreouétincelled'étonnement.Maisildemeurasilencieux.

—Çan'ariend'extraordinairedes'entraider,repritMaggie.Personnenefaitçaici?

Ilpartitd'unrirebref.

—Pasvraiment.Lesnoblessavents'occuperd'eux.

Etlesesclavesdoivents'entretuerpoursurvivre.Cequetudevraissavoir.Maistun'espasd'ici,évidemment.TuesduDehors.

—Jemedemandaissituenavaisentenduparler,avoua-t-elle.

—Enprincipe,nousn'avonsaucuncontact.Iln'yenapluseudepuisaumoinscinqcentsans.Maisquandmon...quandl'ancienroiestmort,onarouvertledéfilépourfairevenirdesesclavesduDehors.Dusangneuf.

Leshommesdesmontagnes,pensaMaggie.

DepuisdesannéescouraientdesrumeurssurlesCascades,ausujetd'hommesquivivaientcachésparmilesglaciersettendaientdespiègesauxgrimpeurs.Deshommesoudesmonstres.Aprèstout,depuistoujoursdesrandonneursprétendaientyavoirrencontréBigfoot.

C'étaitpeut-êtrelecas-àmoinsqu'ilsn'aientcroiséunmétamorphecommeBern.

—Ettutrouvesçabien?dit-elleàhautevoix.

Capturerdesgensdumondeextérieurpourenfairedesesclaves?

—Pasdesgens,deshumains.Leshumainssontdesvermines;ilsnesontpasinteligents.

Ilavaitditçaleplustranquillementdumonde,enlaregardantdroitdanslesyeux.

—Tuesmalade?s'écria-t-ellelespoingsserrés.

Ellesentaitlevertigeluibattrelestempes.Lecontrecoupdelasoif.Plissantlespaupières,elleajouta:

—Jetesignalequetuparlesàunehumaine,encemoment.Jesuisintelligenteoupas?

—Tuesuneesclavedénuéedemanières.Etlaloim'autoriseàtetuerpourmeparlersurceton.

Ilavaitditçadefaçonsifroide,siarrogante...

Pourtant,Maggieavaitdeplusenplusdemalàlecroire.

Impossiblequ'ellenereprésentepasdavantageàsesyeux.Parcequec'étaitbienlegarçondesonrêve.

Cegarçonsidoux,siattentionné,quil'avaitdévisagéeavecunetelleflammedansleregard,quil'avaitétreinteavecunetelleintensité,lecœurbattantcontrelesien,lesoufflesursajoue.Cegarçonavaitétébienréel...etmêmesiçanerimaitàrien,Maggieenétaitcertaine.Alorscelui-cipouvaitbiensemontrerleplusméprisantdumonde,ilsdevaientbienavoirunlienquelconque.

Cequinelerendaitpasmoinseffrayant.Maisellenereculeraitpas.

—Dansmonrêve,rétorqua-t-elleens'avançantd'unpasverslui,tut'intéressaisaumoinsàunhumain.Tuvoulaist'occuperdemoi.

—Tun'asmêmepasledroitderêverdemoi.

CependantMaggies'approchaitencore,aupointdeprovoquerchezluiuneréactionstupéfiante:ilrecula.

—Pourquoi?Parcequejesuisuneesclave.Jesuisunepersonne.(Elleavança,encored'unpas,ledéfianttoujoursduregard.)Etjenecroispasquetusoisaussimauvaisquetumeledis.Jecroisavoirvudansmonrêvequituétaisvraiment.

Cettefois,ilnepouvaitplusreculer,laparoidelagrottel'enempêchait.

—Tuesfolle.Pourquoivoudrais-jem'occuperdetoi?Enquelhonneur?

Bonnequestion.Surlecoup,ellerestainterdite,sentitleslarmesluimonterauxyeux.

—Jenesaispas,reconnut-elle.Jen'airiend'extraordinaire.N'empêchequetum'assauvélaviequandBernallaitmetuer,etquetum'asdonnédel'eauquandj'enavaisbesoin.Tupeuxdiretoutcequetuvoudras,lesfaitssontlà.Tuessansdoutecapabledet'inquiéterpourquelqu'und'autre,mêmeinconsciemment.Ou...

Ellen'achevapassaphrase.

Instinctivement,toutenparlant,elleavait,commechaquefoisqu'elleéprouvaitunegrandeémotion,tendulebrasversluipourluisaisirlespoignets.

Cefutalorsqu'elleperditlavoixetquesespenséess'embrouillèrent,carilseproduisitunechosequ'ellen'auraitsuexpliquer,plusétrangequetouslesroyaumessecrets,touslesvampires,touteslessorcelleries.

Àl'instantoùellerefermaitlesdoigtssursesmains,alorsqu'effectivementleurspeauxserencontraientpourlapremièrefois,elleéprouvad'abordunesecoussedésagréable,quiluicoupalesouffle;maiselleneputlelâcher,commeélectrocutée.

Laflammebleue,songea-t-elleaffolée.Ilmefaitlamêmechosequ’àBern.

Cependant,ellecompritvitequecen'étaitpasça.

Pasl'énergiesauvagequiavaittuéBern.D'ailleurs,cen'étaitpascegarçonquiluifaisaitça.C'étaitunechosequileurarrivaitàtouslesdeuxàlafois,issued'uneforceinimaginable,totalementextérieure.

Etçavoulait...ouvrirunpassage.Maggien'auraitsudécrireautrementlascène.Unevoieaveuglantesetraçaitdanssonesprit,quimenaittoutdroitverslui.

Elleavaitl'impressiondeseretrouverfaceàl'âmed'uneautrepersonne.Uneâmeéperdue,sansprotection,quicommuniquaitdéjàavecelle.

C'étaitdeloinlasensationlaplusintensequ'elleeûtjamaiséprouvée.Elleeneutdenouveauletournis;desétoilesdevantlesyeux,elles'écroulaenavant,lesjambesflageolantes.

Illarattrapa,maisneputsemaintenirdeboutluinonplus.Maggieleperçutd'autantplusqu'ellesavaitcequisepassaitdanssonproprecorps.Iltombaàgenoux,sanslalâcher.

—Qu'est-cequetumefais?

C'étaitunepensée.QuiprovenaitnondeMaggie,maisdelui.

—Jenesaispas…Cen'estpasmoi…Jenecomprendspas.

Elleignoraitcommenttransmettresespenséesàquelqu'und'autre.Maisellen'enavaitpasbesoin,celafonctionnaittoutseul.Unepurelignedecommunications'étaitouverteentreeux.C'étaitpuissant,sauvage,unpeucommes'ilsétaientcollésl'unàl'autreparlafoudre,maisc'étaitaussitellementmerveilleuxquelleenfrissonnaitetnesavaitplusquepenser.

Ellesesentaittransportéeversunlieunouveau,inouï,inconnud'àpeuprèstoutlemonde.Autourd'ellel'atmosphèrevibrait,commeagitéed'ailesinvisibles.

C'estcommeçaqu'ondevraittousêtre,songea-t-elle.

Uniscommeça.Ouvertsl'unàl'autre.Sansriensecacher,sansmurpournousséparer.

Uneautreparolesurgit,brutalecommeuncoupdemarteau.

—Non!

Sifroide.SinégativequeMaggieenrestauninstantinterdite.Etpuisellecompritd'oùcelaprovenait.

Lacolère...etlapeur.Ilredoutaitcequiluiarrivait,sesentaitenvahi,àdécouvert.

—Oui,ehbienmoiaussi!rétorqua-t-ellementalement.

Nonqu'ellen'aitpaspeur,maiscettepeurn'avaitpasHeud'être.Laforcequileshabitaitétaittellementpluspuissantequ'eux-mêmes,sidémesurémentancienne,quelapeur,bienquenaturelle,devenaitsansimportance.Lamêmelumièrebrillaitàtraverschacund'eux,écartantleurscuirasses,lesrendanttransparentsl'unàl'autre.

—Pourtoi,cen'estpasgrave.Parcequetun'asrienfaitdehonteux!

L'idéeétaitpasséesivitequeMaggien'auraitpujurerl'avoirentendue.

—Qu'est-cequetuveuxdire?Attends...Delos.

Ils'appelaitainsi.DelosRedfern.Ellelesavaitmaintenant,aussiindubitablementqu'elleconnaissaitlesnomsdesmembresdesaproprefamille.Elleserendaitégalementcompte,quoiquecelaluisemblemoinscrucial,quec'étaitunprince.Unprincevampire,népourrégnersurceroyaumesecret,puisquelafamilleRedfernledirigeaitdepuisdesannées.

—L'ancienroiétaittonpère,constata-t-elle.Ilestmortilyatroisans,quandtuavaisquatorzeans.

Depuis,c'esttoiquigouvernes.

Ils'éloignaitmentalementd'elle,enessayantdecouperlecontactentreeux.

—Çaneteregardepas,gronda-t-il.

—Attends.

Àforcedelepoursuivrementalement,essayantdelerattraper,del'aider,ellevitseproduireautrechose,commeunsecondéclair.

Chapitre8

Elleétaitdanssonesprit.Ill'entouraitdepartout,telunmondeétrangeetpérilleux.Unmondeeffrayant,maisaussiemplid'unesombrebeauté.

Toutn'étaitqu'angles,commesiellevenaitdetomberdansuncristalgéant.Toutscintillait,froid,clair,aigu.Lalumièresereflétaitenéclatsdecouleur,aucœurdel'éblouissantetransparenceduglacier.

Vraimentdangereux,songeaMaggie.

Lespointesdecristauxautourd'elleprésentaientdeslamescommedesépées.Acroirequeceslieuxn'avaientjamaisconnudedoucescouleurs.

—Ettuvislà?demanda-t-ellementalementàDelos.

—Va-t'en,répondit-ildansunventpolaire.Va-t'en!

—Non,ditMaggie.Tunepeuxpasmefairepeur.

J'enaidéjàescaladé,desglaciers!

Alorsseulement,ellecompritcequ'évoquaientceslieux:unsommet.Unecimedénudéeoùnulleplante

—encoremoinsunhumain-nesauraitsurvivre.

—Maisilnet'estjamaisrienarrivédebon?s'étonna-t-elle.Tun'asjamaiseud'ami…nid'animal…ouquoiquecesoitd'autre?

—Aucunami,répondit-ilsèchement.Aucunanimal.

Va-t'enavantquejenetefassedumal.

Maggieneréponditpas,parceque,àmesurequ'ilparlait,leschoseschangeaientautourd'elle.Commesilessurfacesscintillantesdescristauxvoisinssemettaientàrefléterdesscènes,deparfaitespetitesimageshabitéesdepersonnes.Dèsqu'elleencontemplaitune,celle-cienflaitetsemblaitl'envelopper.

C'étaientsessouvenirsàlui.Elleapercevaitdesbribesdesonenfance.

Ellevoyaitungaminconsidérécommeunearmedèslejourdesanaissance.Autourdelui,iln'étaitquestionquedeprophétie.Ellevoyaitdeshommesetdesfemmesrassemblésautourd'ungarçonnetdequatreans,auxgrandsyeuxdorésbordésdecilsnoirsécarquillésdefrayeur.

«Iln'yapasdedoute»,disaitlevieuxprofesseur.

Maggiesavaitquic'étaitparcequeDeloslesavaitetqu'elleétaitdansl'espritdeDelos.

«CetenfantfaitpartiedesPuissancessauvages»,repritleprofesseurd'untonébahi...etapeuré.

Sesmainstremblanteseffleuraientunmanuscritfriable.Dèsqu'ellel'aperçut,Maggiesutqu'ils'agissaitlàd'écritstrèsanciensgardésdepuisdessièclesdansleroyaumedesTénèbres,perdusdepuislongtempspourlemondeduDehors.

«QuatrePuissancessauvages,continua-t-il,quidevrontinterveniraujourdel'apocalypsepoursauverlemonde...oupourledétruire.Laprophétieditd'oùellesviendront.»

Etdelire:

«L'unedelaterrederoislongtempsoubliés;L'unedufoyeroùvitencorel'étincelle;L'uneduDayWorldoùdeuxyeuxveillent;L'uneducrépusculequiépouseral'obscurité.»

LepetitDelosexaminaitcesvisagesalignés,écoutantcesparolessanslescomprendre.

«Laterrederoislongtempsoubliés,ditunefemme.

CedoitêtreleroyaumedesTénèbres.

«D'ailleurs,nousavonsvudequoiilétaitcapable,renchéritunhommedehautetaille.C'estbienunePuissancesauvage.LaFlammebleueestdanssonsang.

Ilaappristroptôtàs'enservir;ilnesaitpaslacontrôler,regardez.»

Ilbranditlebrasgauchedel'enfant,unpeutordu,lesdoigtscrispés,immobiles.

Delostentadeselibérer,maisilétaittropfaible.Etlesadultesneleregardaientdéjàplus.

«Leroiveutquenoustrouvionsdessortilègespourmaîtrisersonpouvoir,ditencorelafemme.Sinon,ilpourraitseblesserirrémédiablement.

«Sansparlerdutortqu'ilpourraitnouscauser»,ajoutal'hommeenéclatantd'unriremauvais.

Lepetitgarçonrestaitimmobiletelunpantinabandonné,maissonregarddorésedurcissait,samâchoiresecrispait,tantilavaitdemalàretenirseslarmes.

—C'estterrible,commentaMaggieindignée.Quelleterribleenfance!Iln'yavaitpersonnepours'occuperdetoi?Tonpère?

—Va-t'en,insista-t-il.Jen'aipasbesoindetacommisération.

—Ettonbras...continua-t-ellesanstenircomptedesespenséesglaciales.C'estcequisepassequandtuutiliseslaFlammebleue?

Ilneréponditpas,dumoinspasparunepenséequ'illuiadressaitdirectement.MaisunautresouvenirsereflétadansuncristaletMaggievitlepetitDelos,alorsâgédecinqans,lebrasenveloppédansunesorted'attelledesortilègesautantquedemaléfices,afindemaîtriserlaFlammebleue.

«Voilà,déclaralafemmequiavaitdéjàparlédanslecercled'hommes.Àprésent,nouspouvonstotalementlecontrôler.»

«Enes-tusûre?Vous,lessorcières,commettezparfoisdeserreurs.Tuescertainequ'ilnepeutpluss'enservir?»

Soninterlocuteurétaitunhommedehautetailleauvisagemaigreetaustère-etauxyeuxjaunedoré,commeceuxdeDelos.

—Tonpère,songea.Maggie.Ils'appelait…Tormentil?Mais...

Elleneputendiredavantage,maistrouvaitqu'iln'avaitpasl'aird'unpèreaimant.Ilressemblaitauxautreshommesprésentsdanslasalle.

«Tantquejenelèveraipaslesmaléfices,ilnepourrarienfaire.J'ensuiscertaine,majesté.»

Àcederniermot,Maggieressentitunlégerchoc.Ellen'avaitpasl'habituded'entendreprononcerunetelleformule.Cethommeétaitdoncbienroi

«Plusonlesluilaissera,plusils'affaiblira,poursuivaitlafemme.Etilnepourrajamaiss'endébarrasserlui-même.Quantàmoi,jelepourrai,àtoutmoment...

«Maisilpeutencoreservird'arme?

Oui.Toutefois,lesangdevracouleravantqu'ilnepuisseutiliserlaFlammebleue.

Montre-moiça.»

Ellemurmuraquelquesmots,puisôtal'attelledubrasdugarçon,sortituncouteaudesaceintureet,d'ungestesûr,commeceluidelagrand-mèredeMaggiepourviderunsaumon,luientaillalepoignet.

Legaminnebronchapas.Ilgardaitlesyeuxfixéssursonpèretandisquesonsangs'égouttaitsurlesol.

«Jen'approuvepas,intervintlevieuxprofesseur.LaFlammebleuenedoitpasêtreutiliséeainsi,etpuiselleluiabîmeralebraschaquefoisqu'il...

Aprésent,coupaleroiens'adressantdirectementàl'enfant,tuvasmemontrercommetuesfort,monfils.

EnvoielaFlammebleuesur...(Ildésignaleprofesseur.)Disonssurlui,Majesté!»glapitcelui-cienreculantverslemur.

L'enfantécarquillaitdegrandsyeuxeffrayés.

«Allons!ordonnaleroi.(Commelepetitfaisaitnondelatête,ilposaunemainimpérieusesursonépaule.)Faiscequejetedis!»

Delossetournaverslevieillardquigémissaitenseprotégeantdéjàdesesmainstremblantes.

Leroisoulevalebrasdel'enfant.

«Allons,petit!Obéis!»

Uneflammebleuejaillit,telunjetd'eaud'untuyau,etfrappaleprofesseurhorrifiéqu'elleplaquacontrelemur.D'unseulcoup,ildisparut,nelaissantderrièreluiqu'unetracenoircieauxmembresécartés.

«Intéressant,constataleroienrelâchantsonfils.Àvraidire,jecroyaisqu'ilseraitpluspuissant,qu'ilabattraitlemur.

Donnez-luidutemps,soufflalafemmeendéglutissant.

Peuimporte,ilnousserviraquandmême.Etvoustous,souvenez-vous,lestempssombresarrivent.Maisquoiqu'ilarriveau-dehors,ceroyaumesurvivra,»

Cependant,lepetitgarçonnepouvaitquitterdesyeuxl'endroitoùsonprofesseurs'étaitvolatilisé.Ildemeuraitassis,levisageblêmemaisimpassible.

Maggietentaitdereprendresonsouffle.

—C'est…jen'avaisjamaisrienvud'aussiterrible.

Ont'aobligéàtuertonprofesseur.Ilt'aobligé…Tonpère!

Ellenesavaitquedireetcherchaitàvoir,àparlerenpersonneàDelos,àluiprendrelamain.Pourleréconforter.

—Jesuisdésoléequetuaiesconnuunetelleenfance.

—Nedispasdebêtises!J'aigrandi,jesuisfort,maintenant.C'esttoutcequicompte.

—Tuasgrandisanspersonnepourt'aimer.

Illuilançaunepenséeglacée.

—L'amourc'estpourlesêtresfaibles.C'estuneillusion.Quipeutserévélermortelle.

Elleavaitenviedelesecouer.

—Etcettehistoiredefindumonde...qu'est-cequeçasignifiait?

—Exactementcequetuasentendu.Lesprophétiesvontseréaliser.Lemondedeshumainsvas'acheverdanslesangetl'obscurité.Alors,lescréaturesdelanuitreprendrontlepouvoir.

—Etvoilàpourquoionatransforméunenfantdecinqansenarmemortelle?

MaggiesentitqueDelosavaitcaptésapensée.

—Jesuiscequejedevaisêtre,dit-il.Etjenedésireriend'autre.

—Tuenessûr?

Maggieregardaautourd'elle.Sanspouvoirmettreledoigtdessus,ellecherchaitquelquechose...pourluiprouver...

Unescèneapparutsuruncristal.

LepetitDelosàhuitans,devantdesrochersgrandscommedesvoitures,sonpèrederrièrelui.

«Allez!»

Dèsqueleroieutparlé,l'enfantlevalebras.Uneflammebleuescintilla.Unrocheréclataenmillemorceaux.

«Encore!»

Unautrerocherexplosa.

«Plusdepuissance!Tunefaisaucuneffort.Tunesersàrien.»

Lamasseentièresedésintégra.LaFlammebleuejaillitdenouveau,emportantunbouquetd'arbressurleflancdelamontagne.Avecunsourirecruel,leroifrappasonfilsdansledos.

«C'estmieux.»

—Non.C'estterrible,ditMaggie.C'estmal.Regardecommentcedevraitêtre.

Etelleluitransmitdesimagesdesaproprefamille.

Nonqu'elleprennelesNeelypourdesêtresexceptionnels;ilsétaientcommetoutlemonde,sedisputaientparfoistrèsfort.Maisilsconnaissaientaussidebonsmoments,etc'étaitcequ'elleluimontrait.Saproprevie...

Elleentrainderiredevantsonpèrequiluigrilledesmarshmallowspendantdesvacancesencamping.Elleentraindereniflerlatérébenthinequesamèreutilisequandellepeint.Elle,perchéesurleguidond'unvélopendantqueMilespédalederrière,poussantdescrisendévalantlacolline.Elle,réveilléeparlalangueetlesjappementsdeJake.Elle,entraindesoufflersesbougiesd'anniversaire.Elle,entraind'accueilirMilesavecunpistoletàeau...

—Quiest-ce?demandaDelos.

Ilsemblaitsedétendredevantcesétrangessouvenirspleinsdesoleil,demaisonsmodernes,debicyclettes-etseposerdesquestionssurcesgensbizarres.Dumoinsjusqu'àcequ'elleluiprésenteMilesàseizeans,quiressemblaittantauMilesd'aujourd'hui.

—Monfrère.Iladix-huitansetvientdecommencerl'université.C'estàcausedeluiquejesuislà.Ilafaitlaconnaissancedecettefillequis'appelleSylvia...jecroisquec'estunesorcière.Etiladisparu.JesuisalléevoirSylviaetjemesuisretrouvéedansunchariotdemarchandsd'esclaves,dansunpaysdontj'ignoraisl'existence.

—Ah…jevois.

—Delos,tuleconnais?Tul'asdéjàvu?

Elles'efforçadegardersoncalme;jusque-là,elleavaitcrupouvoircaptertoutessespensées,lesvoirserefléterdanslescristauxautourd'eux.Maismaintenant,ellen'étaitplussûrederien.

—Tuferaismieuxdelaissertomber,conseilla-t-il.

—Jenepeuxpas.C'estmonfrère!S'iladesennuis,jedoisletrouver,l'aider…Voilàcequejetâchedet'expliquer.Ons'aidemutuellement.

—Pourquoi?

—Parceque…Parcequetoutlemondefaitça.

Mêmetoi,tudoislecomprendreaufonddetoi.Tuessayaisdem'aiderdansmonrêve.

Ellelesentitreculer.

—Tesrêvesnesontquedesilusions,

—Non!Pascelui-ci.Jel'aifaitavantdeterencontrer.

Denouveauxdétailsluirevenaient.Toutsemblaitseremettreenplaceetellevoyaitàprésentcequ'elledevaitfaire.

LemontreràDelos.

Danslabrume,lasilhouetteapparut,quil'appelait;sonvisageseteintadejoiequandill'aperçut.Ilposalesmainssurelle,uneinexprimabletendressedanslesyeux.

—Etlà,jemerappelle.Tum’asditdechercherundéfilé,sousunrocherenformedevague.Tum'asditdepartird'ici,dem’échapper.Etlà…

Enrevoyantcequis'étaitpassé,ellechancela.Etlà,ill'avaitembrassée.

Ellesentaitencorecesouffletièdesursajoue,l'effleurementdeseslèvres.Ilavaitalorsexprimétantdetendresse,unespontanéitéquelquepeutimide,maishabitéedepassion,commes'ilsavaitqueceseraitleurdernierbaiser.

—C'étaittellementtriste.

Ellefrémitdenouveau.Nondegêne,maisparcequ'ellesesentaitsubmergéeparl'émotion.

—Jenesaispascequeçavoulaitdire,maisc'étaittellementtriste.

Etpuiselleperçutl'étatdeDelos,sonagitation.

Autourd'eux,lemondedecristaltremblaitderage,dedéni...autantquedepeur.

—Cen'étaitpasmoi.Jenesuispascommeça.

—Si.Jenecomprendspasd'oùçavient,maisc'étaitbientoi.Jenesaispasdutoutàquoiçarime.

Seulement,ilexisteunlienentrenous.Regardecequinousarriveencemoment.C'estnormal?Cheztoi,lesgenscommuniquentainsiparlapensée?

—Va-t'en!

Cecriserépercutasurtouslesreliefsquilesentouraient.Ellepercevaituneterriblecolèreenlui,commeunetempêtequicherchaitàtoutbalayer,àcommencerparsaterreursous-jacente;ellesaisitaussilesmotsqu'ilrefusaitd'exprimer,qu'ilessayaitdecacher,defuir.

—Âmessœurs.

Maggiecomprittoutdesuitecequecelavoulaitdire.

Deuxpersonnessoudéesl'uneàl'autrepourtoujours,leursâmesunies,aupointquelamortmêmenesauraitlesséparer.Deuxâmesdestinéesl'uneàl'autre,

—Mensonge!s'écriaitDelosavecvigueur.Jenecroispasauxâmes.Jen'aimepersonne.Jen'éprouveaucunsentiment.

Etlà,lemondesebrisa.

Dumoinsétait-cel'impressionqu'eutMaggielorsquelescristauxéclatèrentenmorceauxquiserépandirentdansdesaccordsévoquantdesnotesdemusique.Riennetenaitplusdebout.Lechaoss'installait.Aussibrutalementqu'elleavaitperdulesouffle,ellefutexpulséedel'espritdeDelos.

Pourseretrouversurlesold'unepetitegrotteéclairéeparunesimpleflammeprojetantdesombressurlesparois.ElleavaitregagnésoncorpsetDeloslatenaitdanssesbras.

Àl'instantmêmeoùelles'enrenditcompte,illalâcha,seredressa.Malgrélasemi-obscurité,ellevitcombienilavaitlevisageblême,leregardfixe.

Alorsqu'elleserelevait,elleconstataautrechose:aussibizarrequecelaparaisse,leursespritsrestaientconnectés,mêmes'ill'avaitrejetéedesonmonde.Elles'aperçutenpersonneàtraverslesyeuxdeDelos.Ellequin'avaitriend'unefrêleprincesseblondelanguide,parfaiteetartificielle.Elle,cettefillesolideauteintrosé,àl'expressionfranche,àlachevelurecouleurd'automne,auxyeuxnoisette,auregardbrillantdeloyauté,d'unetelleprofondeurqu'iléclipsaittouteautreformedebeauté...

Maggieretintsonsouffle.

C'estàçaquejeressemble?Cen'estpaspossible.Jel'auraisvudanslaglace.

Pourtant,c'étaitainsiqu'illavoyait.Asesyeux,elleétaitl'uniqueêtrevibrantdevieaumilieud'unmondenoiretblanc.Etellesentitleurlienseresserrer.

L'attirerversellealorsmêmequ'iltentaitd'yéchapper.

—Non,murmura-t-ild'unevoixàpeineaudible.Jenesuispasliéàtoi.Jenet'aimepas.

—Delos...

—Jen'aimepersonne.Jen'éprouveaucunsentiment.

Maggiesecoualatête;ellen'avaitplusbesoindeparler.Chaquefoisqu'illuidisaitcombienilnel'aimaitpas,ilserapprochaitd'elle,malgrésesdénégations.

—Tunereprésentesrienpourmoi,lança-t-ilrageur.

Rien!

Pourtant,ilavaitapprochésonvisageàquelquescentimètresdusienetellevitlaflammequibrûlaitdanssesyeuxdorés.

—Rien,souffla-t-ilenl'effleurantdeseslèvres.

Chapitre9

Néanmoins,àl'instantoùilallaitl'embrasser,Deloss'écartad'elle.Maggiesentitlabouchetièdes'éloignerpournepluslaisserpasserqu'unsoufflefroid.

—Non,dit-il.Non.

Ellevoyaitenluilapeurledisputeràlacolère,ilnepouvaitplusrésisteràsadouleur.Ilfrémitetsoudaintoutceladisparut,commeemportéparunemaingéante.Quinelaissaqu'unedéterminationglacée.

—Çanesertàrien,ditMaggie.Jenecomprendspaspourquoituagisainsi,maistunepeuxpastoutnier...

—Ecoute.Tum'asracontéquedanstonrêvejetedisaisdet'enaller.Ehbien,jetedislamêmechosemaintenant.Va-t'enetnereviensjamais.Jeneveuxplusrevoirtonvisage.

—C'estbon,balbutia-t-elle,déçue.

Elleenavaitassez.Saproprepatienceavaitdeslimites.Ilneluimontraitqu'amertumeetdouleur,maisaussiuntotalrefusqu'onluivienneenaide.

—Jeneplaisantepas.Tuneterendspascomptedelagrâcequejet'accordeentelaissantpartir.Tun'espasseulementuneesclaveéchappée,tuesuneesclaveéchappéequiconnaîtl'existencedudéfilédanslesmontagnes.C'estpunidemort!

—Alors,tue-moi!

Elles'avisaaussitôtquec'étaitlaréponselaplusstupidequ'ellepouvaitfaireàcetêtredangereux,maîtredelaFlammebleue,capabledel'éliminerd'unclignementdecils.

—Jetedisdepartir,répéta-t-ilentresesdents.Etjevaistedireautrechose.Tuvoulaissavoircequiétaitarrivéàtonfrère...

Maggies'immobilisa.D'unseulcoup,ilavaitchangéd'attitude,commes'ils'apprêtaitàlafrapper.

—Alorsvoilà,continua-t-il.Tonfrèreestmort.Jel'aitué.

Ellereçutlecoupenpleincœuretenrestapantelante,sesjambesrefusantdelaporterdavantage.

Cependant,ellen'encrutpasunmot.Impossible.Pascommeça.Elleouvritlabouche,respirapourparleretsefigea.

Quelquepart,àl'extérieurdelagrotte,unevoixappelait.Maggienecompritpasunmot,maisc'étaitunefillequiserapprochait...quiallaitentrer.

Delosavaitfaitvolte-faceetseprécipitaitverslaflammedelavasquequ'iléteignitd'uncoup.Lagrotte

seretrouvaplongéedansl'obscurité.Maggienes'étaitpasrenducomptedupeudelumièrequifiltraitdel'extérieur.Àpeuprèsrien.

Non,sedit-elle,ilyenajustemoinsquetoutàl'heure.Parcequelesoirtombe.OhmonDieu,Cady!Jel'ailaisséetomber.Qu'est-cequimeprend?Jen'aimêmepasréfléchi!

—Oùvas-tu?marmonnaDelos.

Elles'arrêtaenpleinecourse,setournadanssadirectionsansrienvoird'autrequesasilhouetteaucœurdel'obscurité.

—ChercherCady,expliqua-t-elleenétreignantlagourdequ'ellevenaitderamasser.Jel'aiabandonnéelà-bas.Ilpourraitluiarrivern'importequoi.

—Nesorspas,ordonna-t-il.Cesontleschasseursaveclesquelsjesuisvenu.S'ilstetrouvent,jenepourraipast'aider...

—Jem'enfiche,tuasjuréquetunevoulaisplusmevoir.Ohnon!Direquejel'ailâchéecommeça...

—Pastrèslongtemps,s'agaça-t-il.Uneheure,toutauplus.

Elles'avisaquequelquepartildevaitavoirraison,mêmesielleavaitl'impressionqu'unsiècles'étaitécoulédepuisqu'elleavaitescaladélepromontoire.

Pourtant,toutlerestes'étaitdérouléassezvite.

—Ilfautquandmêmequej'yaille,insista-t-ellepluscalmement.Elleestmalade.EtpuisGavinatrèsbienpurevenir.

—S'ilst'attrapent,turegretterasdenepasêtremorte,lâcha-t-ilbrutalement.Restelà.Nesorspasavantqu'ilsnesoienttouspartis.

Ellesentituncourantd'air,l'effleurementd'unvêtement.Lalumièredel'entréedisparutuninstantetelledistingua,ensuiteunesilhouettequisedécoupaitsurlecielgris.

Elleseretrouvaseule.

Elletenditl'oreille,maissarespirationétaittropforte,alorsellesefaufilaversl'entréeetsetapitausol.

Ellesursautaquandelleentenditdespas,justeàl'extérieurdelagrotte.Uneombrepassa,unevoixretentit:

—Delos!Qu'est-cequetufaislà-haut?

Lavoixplutôtagréabled'unetoutejeunefille,àlafoisinquièteetdécontractée,quis'adressaitàluiavecuneétonnantefamiliarité.

Maiscen'étaitpascelaquiavaitfaitfrémirMaggie,c'étaitqu'elleavaitreconnucetimbre:Sylvia.

Elleestlà!Etàlafaçondontelleluiparle,cen'estpaslapremièrefoisqu'ellesetrouvedanslesparages.

ElleconnaîtDelos.Peut-êtrequ'elleestnéelàetquellen'estsortieauDehorsquedepuispeudetemps.

CelaachevaitdeconvaincreMaggiequeMilesaussiétaitpasséparlà.Mais...alors?Queluiétait-ilarrivéensuite?Avait-ilcommisunactequidevaitluivaloirlamort?Ouétait-ceSylviaquiavaittoutmanigancédepuisledébut?Delosavait-ilvraimentpu...?Jen'ycroispas,sedit-elle,lecœurserré.Àl'extérieur,Sylviabavardaitdesavoixmélodieuse!

—Nousnesavionspasquetuavaisquittélegroupe...etpuisnousavonsvulaFlammebleue.Nousnoussommesditquetupouvaisavoirdesennuis.

—Moi?lança-t-ilavecunpetitrire.

—Enfin...qu'ilpouvaitsepasserdeschoses.

—Jevaisbien.J'aijustejouéaveclaFlamme...

—Delos,reprocha-t-elled'untoncharmeur.Tusaisqu'ilnefautpasfaireça.Tupourraist'abîmerencorelebras...Iln'irajamaismieuxsitucontinuesàt'enservir.

—Jesais,trancha-t-il.C'estmoiqueçaregarde.

—Jevoulaisjuste...

—Oublie.Jesuissûrquelesautresnousattendent.

Ilnel'aimepas,songeaMaggie.Sestentativesdeséductionnefonctionnentpas.Jemedemandecequ'ellereprésentepourlui.

Surlecoup,elleeutenviedesortirladéfier,delasecouerpourluifairecrachersesréponses.

Cependant,ladernièrefoisqu'elleavaittentécegenredemanœuvre,celaluiavaitvaludeseretrouverenesclavage.Serrantlesdents,elleserapprochadel'entrée.Ellesavaitquec'étaitdangereux,maisilfallaitqu'ellevoieSylvia.

Elleenéprouvaunnouveauchoc.Cettefille,toujoursenjeanmoulantetautopdelamode,arboraitunetenuecarrémentmédiévale;etcelaneparaissaitpaslagêner,commesielleavaitl'habitudedeportercegenredevêtements,cetterobevertequiluitombaitsurlespieds,auxlonguesmanchessouples,surmontéed'unetuniqueplusclaire,sansmanches,maisàlaceinturebrodéedevertetd'argent.Sescheveuxs'éparpillaientenunefinemassebrillanteetelletenaitunfauconaupoing.

Unvraifaucon,àlapetitecapuchedecuiretàlapattebaguéed'unrubandepeau.Maggienepouvaits'empêcherdelecontempleravecfascination.

Paslapeinedejouerlesêtresdélicatsquandonélèveunoiseaud'unetellepuissance.

—Nousnesommespassipressésqueça,susurraSylviaenserapprochantdeDelos.Maintenantqueje

suislà,nouspourrionscontinuerunpeu,explorercejolichemin.

Cady,songeaMaggie.S'ilsredescendentlesentier,ilsvontlavoir.Sylviavalavoir.

Elles'apprêtaitàjaillirdelagrottequandDelosrépondit:

—Jesuisfatigué.Partonsmaintenant.

—Oh,tuesfatigué!ditSylviaavecunsourirepresqueintimidé.Tuvois.Jet'avaisbienditdenepastropteservirdetespouvoirs.

—Oui.Jen'aipasoublié.

EtSylviad'enchaîneraussitôt:

—J'allaisoublierdeterapporterquellechosebizarres'estpassée.UnpaysandunomdeGavinasurgiaumilieudelachassetoutàl'heure.

Gavin.LecœurdeMaggieseserra.Ils'estenfui,etilatoutvu.

Iladûsedéplacertrèsvitepourrejoindreunepartiedechassedel'autrecôtédelacolline.ÀtempspourqueSylviaviennetrouverDelos.

—Tuneleconnaiscertainementpas,assura-t-elle.

Moi,si.C'estlemarchandd'esclavesdontjemeserspourfairevenirdesfillesduDehors.Enprincipe,ilfaitbiensontravail,maisaujourd'hui,ilétaitfurieux.

D'aprèslui,ungrouped'esclavesseseraitéchappédanslamontagne,etsonassocié,Bern,seseraitfaittuer.

Espècede...sorcière,songeaMaggie.

Ainsiellesavait,c'étaitcertainmaintenant.SiGavinétaitsonlarbinets'illuiavaitditqueBernétaitmort,ildevaitbienavoirracontélereste.QueBernavaitététuéparleprinceDelosenpersonne,grilléparsaFlammebleueenprésencededeuxesclaves.

EllesavaittoutetcherchaitjusteàcoincerDelos.

Pourquoin’a-t-ellepaspeurdelui?C'estleprince,aprèstout.Sonpèreestmort;c'estluiquirègne!

Commentose-t-elleluitendresespièges?

—Nousétionstousinquiets,continuaSylvialatêtepenchéedecôté.Touslesnobles,etsurtouttonarrière-grand-père.Lesesclavesenfuitepeuventreprésenterunemenace.

—Mercidetefairedusoucipourmoi,marmonnaDelosd'untonsec.Maisilnefallaitpas.Jenefaisaisquem'entraîner...surl'autremarchand.Etaussisurdeuxesclaves.Ilsm'avaientdérangé.

Maggieenrestabéated'admiration.

Ilaréussiàlaberner,Sylvianepeutplusriendire.Niprouverqu'ilnenousapastuées.Gavins'estenfui,ilnepeutdoncrienavoirvud'autre.

Delosnousasauvées.Cadyetmoi.Encoreunefois.

—Jevois,soupiraSylviad'untonsoumissinonconvaincu.Tuavaisbiensûrledroitd'agirainsi.Ainsi,lesesclavessontmortes...

—Oui,etcommecen'étaientquedesesclaves,jemedemandepourquoinousperdonsencorenotretempsàenparler.Àmoinsquetun'aiesquelquechosed'autreàm'apprendresurelles?

—Non,non,absolumentpas.Tuasraison,nousavonsperduassezdetemps.Rentrons.

Danssonesprit,MaggieentendaitencorelavoixdeGavin:

«Cenesontpasdesesclavesordinaires.Sinousnelivronspascettedemoiselle,noussommesmorts.»

Donc,Sylviamentencore.Quellesurprise!Maisquiestcettedemoiselle?Etqu'est-cequilarendsiimportante?Aufait,quiestcetarrière-grand-pèredeDelos?QuandSylvial'amentionné,çaressemblaitpresqueàunemenace.Maissic'estunarrière-grand-père,ildoitêtreâgé.EnquoiSylviapeut-elleêtreliéeàunvieillard?

Intéressantequestion,surlaquelleMaggienepouvaits'attarderpourlemomentcarSylviaetDeloss'éloignaientdelagrotte.Alorsqu'ilsdisparaissaient,elleentenditlecrissementdeleurspiedssurl'ardoise.

Elleattenditquelebruitdeleurspasdiminue,comptajusqu'àtrenteavantd'oserrespirer,puissefaufilaau-dehors,àl'airlibre.

Ilfaisaitnuitmaintenant.Ellenevoyaitpresquerien.

Maisellepouvaitsentirlevideimmensedelavalléeautourd'elleetladensitédesmontagnesderrière.

Certes,elleauraitdûéprouverdusoulagementàl'idéedepouvoirmieuxrespirer,denepasêtrecaptive-cependant,ellesesentaitoppresséeetilluifallutuncertaintempspourcomprendrepourquoi.

Pasunson.Nipas,nivoix,niaucunanimal.Sansdoutefaisait-iltropfroidpourlesmoustiquesetlesgrillons,maiselleauraittoutdemêmedûpercevoirquelquesbruissementsdevie.Desoiseauxquiregagneraientleursnids,deschauves-sourisenchasse.

Desbichesquibrouteraient,descerfsenrut.N'était-cepasl'automne,aprèstout?

Maisrien.Maggieavaitladésagréableimpressiondeseretrouverseuledanscetétrangemondesansvie,commedansuncocon,loindetouteréalité.

Arrêtedetraîneretréfléchis.VadoncchercherCady,vite!

Serrantlesdents,ellefourralagourdesoussavesteetrepritlecheminens'efforçantdelongerlaparoisursagauche,prenantgardeàchacundesespas.

Arrivéeàlaplate-forme,ellesentitsoncœurseserrer.

Génial.Essaiedoncdedescendreparmicesrochersenpleineobscurité!Bon,jelesconnais.Aupirejepeuxsimplementtomberàplusdetrentemètresdansleravin…

—Cady,murmura-t-elle.

Elleavaitpeurdeparlertropfort.Leschasseurspouvaientencoretraînern'importeoùetrienneportaitmieuxlessonsquel'échodelamontagne.

—Cady?Çava?

Elledutattendrecinqlongsbattementsdecœuravantdepercevoirunfrémissementencontrebas,commeuneétoffequifrôleraitlaroche,suivid'unsoupir.

Soulagée,MaggieputaumoinssedirequeCadyn'étaitpasmorte,etqu'ellen'avaitpasnonplusétécapturée.

—Restelà,souffla-t-elleunpeuplusfort.Jedescends.Jet'apportedel'eau.

Cenefutpasaussidifficilequ'ellenelecraignait.

Peut-êtregrâceàl'adrénalinequiluiinondaitlesveines.Questiondesurvie.Sespiedsparurenttrouverlessailliesnécessairesàsadescente,etenquelquesminutes,elleseretrouvasurlesrochers.

—Cady.(Àtâtons,elletrouval'étoffetièdequiremuaitlégèrement.Unautresoupirs'enéchappa.)Cady,çava?Jenetevoispas.

Alors,l'obscuritéparuts'atténueretMaggieaperçutfinalementlasilhouettequ'elleeffleurait.Ellelevalesyeux.

Lalunesortaitdesnuages,presquepleinedanssalumièreblanche.

—Maggie,balbutialapetitevoixpresquepaisible.

Mercidem'avoirlaisséemereposer,jemesensplusfortemaintenant.

UnrayonéclairaitlajoueetleslèvresdeCadycommeunbusteantiquedeprincesseégyptienne,sesbouclesrépanduessursesépaules,sonregardreflétantlalune.

—Désoléequeçam'aitprissilongtemps.Maisjet'apportedel'eau.

Maggiel'aidaàs'asseoiretportalagourdeàsabouche.

Finalement,ellen’apasl'airtropmalade,songea-telleenlaregardantboire.

Peut-êtrequellepourraitmarcher.Maispouralleroù

?Jamaisellesn'atteindraientledéfilé.Etquandbienmême,quefaireensuite?Ellesseretrouveraientenhautemontagne,dansl'obscuritéd'unefroidenuitdenovembre.

—Ilfautquetuvoiesunmédecin.

Cadys'arrêtadeboireetluirenditlagourde.

—Jenecroispasqueçaexisteparici.Peut-êtreunefemme,là-bas,danslechâteau,mais...Non,ceseraitinutile.

—Commentça?Hé,tuvasmieux,non?

Aprèstout,voilàlongtempsqueCadyn'avaitalignéautantdemots.Ellesemblaittrèsfaible,maiscohérente,étonnammentaucourantdecequisepassaitdanslesparages.

—Celan'envaudraitpaslapeine.Jeteferaiscourirtropderisques.Laisse-moiici,Maggie.Descendstechercherunabri.

—Tunevaspasrecommencer!Sijetelaisselà,tumeurs.Ilvafaireunfroiddeloupbientôt.Alorspasquestion.Ets'ilyaunefemmequipeutteguérirdanscechâteau,alorsonyva.Oùqu'ilsetrouve.

—C'estlàqueseréunissenttouteslescréaturesdelanuit,laissasombrementtomberCady.C'estaussilàqu'ongardelesesclaves.Tousleshabitantsdelarégionviventdansl'enceinteduchâteau;c'estcommeunvillage.Lelieuquetudoisfuiràtoutprix.

—Commentsais-tutoutça?TuesuneesclaveévadéecommeJeanne?

—Non.J'enaientenduparlerilyaunan,parquelqu'unquis'yétaitrendu.J'avaisdebonnesraisonsdevenirici…maislamalchanceavouluquejetombesurdesmarchandsd'esclaves.

Maggieavaitenviedel'interrogerdavantage,maisunepetitevoixluidisaitquecen'étaitpaslemoment.

Qu'ilcommençaitàfairetrèsfroid!Qu'ellesnepouvaientpasresterbloquéesdanslamontagne.

—Cetteroutequesuivaitlechariot...ellevaverslechâteau?

Cadyhésita,tournalevisageverslavallée,commesielleyvoyaitquelquechose.

—Jecrois,finit-elleparrépondre.Ceseraitlogique,entoutcas...c'estleseulendroitoùmènentlesroutesdelavallée.

—Alorsilfautqu'onlaretrouve.

Ceneseraitpasfacile.EllesavaientlongtempscourupouréchapperàBernetàGavin.MaisMaggiesavaitquelledirectionsuivre.

—Ecoute,mêmesionn'arrivepasauchâteau,ilfautqu'ontrouvecetteroute,çanouspermettradesavoiroùonest.Etsiondoitpasserlanuitdanslamontagne,mieuxvautquecesoitdanslaforêt.

—Tuasraison,mais...

Ellenelalaissapasacheversaphrase.

—Tupeuxtelever?Jet'aide!Passelebrasautourdemoncou…

CenefutpasaisédesortirCadydecerefugedanslesrochers;ellesdurentramperet,bienquelajeunefilleneseplaignejamais,Maggiesentaitcombienelleétaitfatiguée.

—Allez!l'encouragea-t-elle.Tut'entiresbien.

S'illefaut,jelaporterai,songea-t-elleenserrantlesdents.

Tropdegensluiavaientditdelalaissertomber;jamaisellen'avaitfaitpreuved'untelentêtement.

Alalongue,ellesparvinrentàl'abridesarbresdontlesbranchescamouflaientparintermittencelalumièredelalune.Cadys'appuyaitdeplusenplussurMaggiequicommençaitàtrébuchersurlesracines,àdérapersurlamousse.

Curieusement,Cadypossédaitunmeilleursensdel'orientationqu'elle;audébut,ellenecessademurmurer:

—Par-là,jecrois...

MaisellefinitparsetaireetnemêmeplusrépondreauxquestionsdeMaggie.Etpuiselles'arrêtanet,chancela.

—Cady...

Lajeunefilles'effondra,luilaissantjusteletempsd'intervenirpournepaslalaisserheurterlesol.AlorsMaggiesesentitplusseulequejamaisdanslapetiteclairièrequiembaumaitlecèdrerouge,uncorpsaffalésursesgenoux.Dansunsilencetotal.

Soudainrompuparunbruitdepas.

Despasquiarrivaientdansleurdirection.

Peut-êtreundaim.Maisilyavaitlàquelquechosed'hésitant,uncraquement,unepause.Maggieeneutfroiddansledos.

Retenantsonsouffle,ellecherchaàtâtonsunepierre,unbâton...oun'importequoiquipuisseservird'arme...

Unmouvementdanslebuissonvoisin.Elleplissalesyeux.

—Quiestlà?

Chapitre10

Lebuissonremuaencore.LesdoigtsdeMaggienerencontraientquedesracinesoudesglands,alorselleserralepoingtoutensedégageantdoucementducorpsdeCady.

Unesilhouettesurgitdufourré,impossibleàbiendistinguer.Unlongmoments'écoula,jusqu'àcequ'unevoixlance:

—Jet'avaisbienditquetun'yarriveraispas!

Maggiecruts'évanouirdesoulagement.

Aumêmeinstant,laluneémergeadesnuages,éclairantl'ombremincequisetenaitunemainsurlahanche,sescheveuxrouxpresquenoirsdanslaclartéargentée.Maiscevisageanguleuxetcesyeuxsceptiquesnepouvaientappartenirqu'àuneseulepersonne.Sansparlerdesonexpressionrevêche.

—Jeanne!s'écriaMaggiedansunsoupirtremblant.

—Tun'espasalléebienloin,finalement.Larouteestlà.Qu'est-cequetuasfichu?Elleestmorteouquoi?

EtonnantcommecettevoixacerberéconfortaitMaggie.Ellepartitd'unpetitrire.

—Pasdutout.C'estBernquiestmort...tusais,legrosmarchandd'esclaves.Mais…

—Turigoles,soufflaJeanneavecuneintonationderespect.C'esttoiquil’astué?

—Non...Bon,jet'expliqueraiplustard.D'abord,est-cequetupeuxm'aideràemmenerCadyàl'abri,plusloin?Oncrèvedefroid,ici.Elleestcomplètementdanslespommes.

JeannesepenchasurArcadia.

—Jet'aidéjàditquejenet'aideraispas...

—Jesais.Maistupeuxaumoinsl'attraperparcecôté.Ànousdeux,ondoitpouvoirlahissersurnosépaulesetl'aideràmarcher.

—Quellebourrique!Onferaitmieuxdelaporterenchaise.

Maggies'aperçutainsiqueJeanneétaitd'unerésistancesurprenantemalgrésaminceur.Ettoutesdeuxassirentlajeunefilleinconscientesurleursmainsentrelacées.

—Tuesforte,observa-t-elle.

—Ouais,c'estl'undesavantagesd'êtreesclave.Parici,laroute.

Cefutlongetdifficile,maisMaggiecomptaitsursaproprerobustesseetJeannesemblaitprêteàles

guideràtraverslespireschemins.Etpuis,celafaisaitdubiendeseretrouverencompagnied'unautrehumainenbonnesanté,dequelqu'unquinecherchaitpasàlatuer.

—EtPolly,ellevabien?

—Oui,elleestàl'abri...riend'extraordinaire,maisc'estplussûr.C'estlàquejet'emmène.

—Tuvois,tut'esoccupéed'elle,remarquaMaggieenriant.

—Etçatefaitmarrer?

Ellesdurentmarquerunepauseavantd'escaladeruntroncrenversétoutmoussu,manœuvrequileurprituncertaintemps.

—Non,réponditenfinMaggie.C'estjuste...quetuesgentille,enfait.Sansvouloirl'avouer.

—Jem'occupedemoid'abord.C'estlaloi,parici.N'oubliepas.

Ellepoussaunjuroncarsonpieds'étaitenfoncédansuneflaquespongieuse.

—D'accord,soufflaMaggieensouriant.

Lasuiteduchemins'effectuaensilenceetunesortedetorpeurenvahitl'espritdeMaggie.

Delos...jamaisellen'avaitrencontréquelqu'und'aussidéroutant.Àcetteseulepensée,soncorpsfrémissaitd'exaspération,maisaussid'uneimpatiencequ'ellenecomprenaitpas.

Cependant,qu'yavait-ilencoreàcomprendredanstoutcequiluiarrivaitcesdernierstemps?Tantdechosesdepuisdeuxnuits,dequoiperdrepied.

DelosdisaitavoirtuéMiles...Maisçanetenaitpasdebout.Delosétaitincapabled'unechosepareille...

Sûrementpas.

Ellepréféranepasysongerdavantage.Celaluifaisaitpenseràunénormenuagenoiroùellerefusaitd'entrer.

Etcetrajetquin'enfinissaitpas,quidevenaitdeplusenpluspénible...Auboutd'unquartd'heure,ellenesentaitplussesbrasetsanuqueseraidissaitàlafairehurler.Savesteétaittrempée,sespiedsgelésluifaisaientmal.

Maisellen'abandonneraitpas,etJeannenonplus.

Toutesdeuxcontinuèrentainsipendantprèsdetroisquartsd'heure,avecquelquespausessilencieuses,jusqu'àcequeJeanneannonceenfin:

—Onarrive.

Uneclairières'ouvraitdevantellesetlaluneéclairaitunepetitecabanedeboisvermoulu,deguingoisà

causedesplanchesquienétaienttombées.Maiselleoffraittoutdemêmeuntoitetdesmurs.Unabri.

Maggielatrouvapresquebelle.

—Cesontdesesclavesenfuitequil'ontconstruite,indiquaJeanne,essoufflée.Lescréaturesdelanuitnel'ontjamaistrouvée.Touslesesclavesduchâteaulaconnaissent.

Ellesemitàcrier:

—C'estmoi!Ouvrelaporte!

Unlongmoments'écoula,puisonfitjouerunelourdeserruredebois.MaggieaperçutlepetitvisagedePollyPenobscotdansl'entrebâillement,sacasquetterougetoujoursenarrièresursatête,lesyeuxengourdisdesommeil.Soudainsonexpressionchangea.

—Oh!s'écria-t-elle.Tuvasbien!

Ellesejetadanssesbras.

—Attention!ditMaggieenmanquantdeperdrel'équilibre.

LecorpsdeCadyoscilladangereusement.

—Raviedeterevoir,moiaussi,assura-t-elle,lesyeux-àsagrandesurprise-pleinsdelarmes.Laisse-moidéposernotreamie,sinonjevaislarenverser.

—Parici,indiquaJeanne.

Lefonddelacabaneétaittapissédepaille.ToutesdeuxydéposèrentArcadia,aprèsquoiPollyrevintétreindreMaggie.

—Ons'estenfuies,dit-elle.Grâceàtoi.

—Grâceànoustoutes,assuraMaggieenlaserrantdanssesbras.EtJeannet'abienaidée.Jesuiscontentequ'ons'ensoittoutessorties.

—Etelle...ellevabien?demandaPollyavecunregardsurArcadia.

—Jenesaispas.

Cadyavaitlefrontbrûlant,sarespirations'accompagnaitd'unesortedegémissement.

—Voiciunecouverture,ditJeanneenluitendantundrapépais,terriblementrêche.Sionsemettoutesdessous,onsetiendrachaud.

EllesplacèrentCadyaumilieu,MaggieetPollysursadroite,Jeanneàsagauche.Lacouvertureétaitassezgrandepourlesprotégertoutes.Lapaillesentaitbon.

Celapiquaitunpeu,aussiMaggiesefélicita-t-elledeporterunjeanetdesmancheslongues.Lepetit

corpstièdedePolly,commeceluid'unchaton,luiapportaunréconfortinattendu.Etpuiscelafaisaittantdebiendeneplusbouger,deneplusrienporter,desimplementresterlà,àreposersesmusclestendus.

—Ilyavaitunpeudenourriturecachéeici,ditJeanneensortantunpaquetdesouslapaille.Delaviandeséchée,desbiscuitsd'avoineetdesfruitssecs.

Maisilfaudraengarderpourdemain.

Maggiemorditavecappétitdanslaviande;çanevalaitpasunjambonfumé,çasentaitunpeufort,maissurlemoment,elleserégala.Elleessayad'enfairemangeràCady,sanssuccès.Lajeunefilledétournalatête.

AvecJeanneetPolly,ellesfinirentparquelquesgorgéesd'eaupuiss'allongèrentdanscelitimprovisé.

Maggiesesentaitpresqueheureuse.Sonestomacnelatenaillaitplus,sesmusclessedétendaientetundouxengourdissementl'envahissait.

—Tudevais...meparlerdeBern...ditJeanneenbâillant.

—Oui...demain.

Etlà,danslapailledecettepetitecabane,aucœurd'unroyaumeétrange,avectroisfillesqu'elleneconnaissaitquedepuislematinmêmeetconsidéraitdésormaiscommesessœurs,elles'endormit.

Maggies'éveillalenezfroidetlespiedstropchauds.

Unepâlelumièretraversaitlesplanchesdelacabane.

Uninstant,ellecontemplacesparoismalassemblées,cesolcouvertdepailleensedemandantoùelleétait.

Puisserappela.

—Cady.

Elles'assit,regardalajeunefilleàcôtéd'elle.Cadyavaitmauvaisemine,l'airfiévreux,sesbouclesbrunescolléessursonfrontmouillé.Pourtant,enentendantsonnom,ellecillapuisouvritlesyeux.

—Maggie?

—Commenttesens-tu?Tuassoif?

Ellel'aidaàprendrelagourde.

—Jevaisbien,merci.C'esttoiquim'asamenéeici?

Elletournaitlatête,commepourregarderautourd'elledesesgrandsyeuxquinesefixaientpas.Elleneparlaitqueparpetitesphrases,pourconserversesforces,maissavoixétaitplutôtdoucequefaible.

—EtJeanneaussi.Merci.

Elleadûnousentendreparlercettenuit,seditMaggie.

Cependant,Jeannes'asseyait,delapailledanssescheveuxroux;elleplissalesyeuxalorsquePollyàsontourselevaitenpoussantdepetitssoupirs.

—Bonjour,ditMaggie.Toutlemondevabien?

—Ouais,ditPollyd'unevoixcassée.(Sonestomacgronda.)J'aijusteunpeufaim.

—Ilrestequelquesbiscuits,ditJeanne,etunetranchedeviande.Autantlesterminer.

EllesdonnèrentlaviandeàCady,quivoulutlarefuseretdutl'avalerpresquedeforce.Puisellesdivisèrentsolennellementlesbiscuitsd'avoineenquatre,lesmâchèrentlonguement.

—Ilvafalloirtrouverdel'eau,ditMaggieunefoisqu'elleseurenttoutesbuunpeu.Lagourdeestpresquevide.Maisjecroisqueleplusimportant,c'estdedéciderdecequ'onvafairemaintenant.

—D'abord,commençaJeanne,tudoisnousracontercequiestarrivéàBern.

—Net'inquiètepas,ilestbeletbienmort.

Ellerésumacequis'étaitpassédepuisleurséparation,commentGavinetBernlesavaientpoursuivies,commentBerns'étaitmétamorphosé...

—Çanem'étonnepas,ditJeanne.«Bern»signifie«ours».Lesmétamorphesportentsouventlenomdecequ'ilssont.Maistudisquetuasessayédetedéfendreavecunbâton?Tuesplusdébilequejel'auraiscru.

Néanmoins,sesyeuxvertsbrillaientd'admirationetPollyécoutaitavecenthousiasme.

—Etlà...ilyaeucetéclair,continuaMaggie.IlatuéBern,etGavins'estenfui.

Elleserenditalorscomptequ'ellenetenaitpasàentrerdanslesdétails.Jeannenecomprendraitsansdoutepascelienquisemblaitl'uniràDelos,cessouvenirsqu'ilsavaientpartagésdanslagrotte...

jusqu'aurêvequiluiavaitpermisdelereconnaître.Elleterminasonrécit.

—Etpuisj'airemplilagourdeetj'aientenduSylviaarriver,alorsDelosestsortipourl'empêcherdenoustrouver,Cadyetmoi.

Cadyl'écoutaitavecsérénité.Pollyavaitpeurmaisbuvaitsesparoles-seuleJeannesemblaitpétrifiéedeterreuretd'incrédulité.

—TudisqueleprinceDelost'asauvélavie?AveclaFlammebleue?Qu'ilnet'apasremiseauxchasseurs?

CommesielleparlaitdeDraculaenpersonne.

—C'estvrai.

Heureusementquejen'aipasmentionnélebaiser,songeaMaggie.

—C'estimpossible.Delosdétestetoutlemonde.

C'estleplusdangereuxdetous!

—Oui,c'estcequ'iln'acessédemerépéter.

GênéeparleregardinquisiteurdeJeanne,Maggieavaitl'impressiondedéfendreundémon.

—Ilamêmeditqu'ilavaittuémonfrère,ajouta-tellelentement.Maisjenesaispassijedoislecroire...

—Crois-le,lâchaJeanned'unairdégoûté.C'estluiquirègneiciettoutpasseparlui.Ilestcapabledetout.

Jen'arrivepasàcroirequ'ilt'aitlaisséepartir...enfin,saufs'ilauneidéederrièrelatête.Parexemple,entelaissantt'enallerpourlancerlachasseaprès.C'estlegenredechosequ'ilapprécie.

UneétrangesensationdevidesaisitMaggie.Elleessayaderépondrecalmement.

—Jenecroispas.Jecrois...qu'ils'enfichait.

—Tuteracontesdeshistoires.Tunecomprendspascesgensparcequetun'espaspasséeparlà.Aucunedevous,d'ailleurs.Lescréaturesdelanuitsontdesmonstres,etcellesduroyaumedesTénèbres,lespiresdetoutes.Certainesviventdepuisdescentainesd'années...etcertainesétaientdéjàlàquandlegrand-pèredeDelosafondécesite.Ilsétaientcoincésdanslavalléedepuistoujours.Toutcequ'ilsveulent,c'estchasser.C'estleuruniquesport.Ilsnes'intéressentàriend'autre.

Maggieenfrissonna.Quelquepart,ellen'avaitpastrèsenviedepoursuivresurcesujet.Maisilfallaitqu'ellesache.

—J'airemarquéquelquechosedebizarre,reprit-elle.J'étaisàl'extérieur,j'écoutais,maisjen'aipasentenduunseulbruitanimal.Rien.

—Ilslesontanéantis.Touslesanimauxsauvagesontdisparu.

LapetitemaindePollyserranerveusementlebrasdeMaggie.

—Maisalors,ilschassentquoi?

—Desanimauxqu'ilsélèventetlâchentdanslanature.J'aiétéesclavependanttroisansici,audébut,jenelesaivuséleverquedesanimauxlocaux—descouguars,desoursbruns,descarcajous...Maisdepuisdeuxans,ilssesontlancésdansdesracesplusexotiques.Desléopards,destigres...

—Maispasdeshumains,soupiraMaggie.

—Nemefaispasrire.Biensûrqu'ilschassentdeshumains...seulementquandilstrouventunprétexte.

Laloiditquelesvampiresnepeuventpasabattredesesclavesparcequ'ilssonttropprécieux...sinonilsseraientviteàcourtdeprovisions.Maissidesesclavess'échappent,ilspeuventaumoinsleschasseretlesramenerauchâteau.Etsil'und'euxdoitêtreexécuté,ilslancentunechasseàmort.

Levidedansl'estomacdeMaggiedébouchasurungouffre.

—Jevois.Mais...

—S'ilt'alaisséepartir,c'étaitpourrevenirtechasser.Jeteledis,ilestmauvais.Voilàtroisansquel'ancienroiestmortetqueDelosaprissasuite.Etvoilàtroisansqu'ilssesontmisàimporterdenouveauxesclaves.Pasjusteenenlevantlesmontagnardsquis'approchaienttrop,maisensortantauDehorspourenleverdesgensdanslesrues.C'estmêmecommeçaquejemesuisretrouvéelà.EtPollyaussi.

L'enfantfrissonnaetMaggie,quipassaunbras,sursonépaulepourlarapprocherd'elle,lasentittrembler.

—Hé!gamine,tuasétésupercourageusejusque-là,alorsaccroche-toiencoreunpeu,d'accord?Onvas'entirer.

ElleperçutleregardsarcastiquedeJeannesurelle,sondéfisilencieuxd'expliquercommentleschosespouvaients'améliorer.

—C'étaitlamêmechosepourtoiaussi,Cady?

TropcontentededétournerlaconversationdeDelos,elleentendaitencorelajeunefilleluidire:

«J'avaisdebonnesraisonsdevenirici...»

—Non.Ilsm'ontattrapéesurlamontagne.

EllefutalarméeparletondeCadyquis'exprimaitlentement,commesielleavaitrecoursàtoutessesforcespourseconcentrer.

OubliantDelosetletraficd'esclaves,Maggieposaunemainsurlefrontdelajeunefille.

—MonDieu!Tuesbrûlante.

—Oui...c'estlepoison,articulaCady.Ilsm'enontinjectéquandilsm'ontcapturée...etj'aimalréagi.

Moncorpsnelesupportepas.

—Etças'aggrave,s'inquiétaMaggie.Jet'assure,onn'apaslechoix.Ilfautallerdanscechâteau,parcequec'estlàqu'habitentlesguérisseuses,sij'aibiencompris.Siquelqu'unpeutt'aider,cesontelles,non?

—Attends!intervintJeanne.Onnevapasallerlà-

bas,ceseraitsejeterdanslagueuleduloup.Maisonnepeutpasquitternonpluslavallée;j'aitrouvéledéfiléunefois,seulementc'étaitparhasard,jeneleretrouveraijamais...

—Moisi,ditMaggie.Nemedemandepascomment.Jelepeux,c'esttout.Maispourça,ilvafalloirescaladerunemontagneetCadyn'yarriverajamais;ellenes'entirerapasdavantagesionlalaisseseuleicipourallerchercherdel'aide.

Ellelutlemessagedansleregardvertunpeuplissé:

«Alorsondoitlalaissertomber.C'estlaseulesolution.»MaisMaggien'endémordaitpas.

—Tun'asqu'àemmenerPollyversledéfilé...jet'expliqueraicommentvousyrendre.Moij'emmèneraiCadyauchâteau.Çateva?Dis-moijustequelledirectionprendre.

—C'estnul.Mêmesivousarrivezauchâteau,tunepourraspasyentrer.Etsivousyentrez,ceseraunpursuicide...

Elles'interrompitet,surlecoup,Maggienecompritpaspourquoi.Pourtant,elleétaitsubitementsursesgardes.Elles'aperçutqueCadyvenaitdesetournerverslaporte,danslemouvementinstinctifd'unfélinquientendraitapprocherundanger.

Maintenantqu'elledressaitl'oreille,Maggielepercevaitaussi,lointainmaisdistinct.Desgensquis'interpellaient.Etpuisunautrebruit,commeellenel'avaitconnujusque-làqu'aucinéma,maisqu'elleinterprétaimmédiatement.

—Cesonteux,articulaJeannedanslesilence.Jeteledisais,ilsnoustraquent.

—Avecdeschiens?

—C'estfini,onestmortes.

Chapitre11

—Pasdutout!s'exclamaMaggie.

Envoyantpromenerlalourdecouverture,ellesautasursespieds,attrapalebrasdeCady.

—Viensvite!

—Où?

—Auchâteau.Maisilfautresterensemble.

Del'autremain,ellepritlebrasdePolly.

—Auchâteau?

MaggiefusillaJeanneduregard.

—C'estl'uniquesolution.Ilss'attendentquenouscherchionsàgagnerledéfilé.Ilsnoustrouverontsionresteici.Leseulendroitoùilsnepourrontpasimaginernoustrouver,c'estlechâteau.

—Tuescomplètementfolle...

—Arrête!

—Maistuassansdouteraison.

Là-dessus,Jeanneattrapal'autrebrasdeCadyetsedirigeaverslaporte.

—Restederrièrenous,soufflaMaggieàPolly.

Surleseuil,elledécouvritunautrepaysagequecequ'elleavaitvuàsonarrivéedanslanuit.Labrumeformaitunfiletargentésurlesarbresetmalgrél'absencedesoleil,lesnuagess'ourlaientdenacre.

C'étaitsuperbe.Toujoursétrange,toujoursinquiétant,maissuperbe.Etdanslavalléeencontrebassedressaitunchâteau.

Enl'apercevant,Maggies'immobilisamalgréelle.Ilémergeaitdelabrumetelleuneîle,noir,brillant,massif.Destourssedressaientauxanglesdel'enceintecrénelée.

Çaal'airtellementréel,songea-t-elleabasourdie.

—Nerestezpaslà,qu'est-cequevousattendez?

criaJeanneentirantCady.

S'arrachantàsasurprise,Maggieseremitenrouteetellessuivirentuncheminquiondulaitparmiles

arbres.

—S'ilyadeschiens,ilfaudraittrouverunruisseau,non?s'enquit-elle.Pourneutralisernotreodeur.

—J'enconnaisun,ditJeannesanscesserdedescendreentrefougèresetsaxifrages.J'aivécuunpeuicilapremièrefoisquejemesuiséchappée.Quandjecherchaisledéfilé.Maiscenesontpasdeschiensordinaires.

MaggieaidaCadyàfranchirlesracinestentaculairesd'unsapin.

—Commentça?

—Cesontdesmétamorphes,commeBernetGavin.

Donc,ilsnesuivrontpasseulementnotreodeur,maisaussinotreénergievitale.

MaggieserappelaBernhumantl'airetdemandantàsoncompagnon:

«Tunedétectesrien?»EtGavinrépondant:«Non.Pasdutout.»

—Génial!marmonna-t-elle.

D'uncoupd'œil,elleaperçutPollyderrièreelles,quilessuivaitconsciencieusement.

Etrangechasse.Maggieetsongroupetentaientderesteraussidiscrètesquepossible,attitudefacilitéeparl'humiditéambiante.Bienqu'ellessedéplacentàquatre,ellesn'émettaientd'autrebruitqueceluideleurssoufflesetdesordresbrefsdeJeanne,quandcelle-ciindiquaitladirectionàprendre.

Ellesdévalaientlapente,glissaient,couraient,plongeaiententrelestroncsépaisquisedressaientcommedescolonnesdanslabrume.Lesbranchesdecèdres'étalaient,obscurcissantlecieldansunparfumd'encensvertetfrais.

Latranquillitéambianteétaitcependanttroubléeparlesaboiementsdeschiensdanslelointain.Toujoursderrièreelles,ilsserapprochaient.

Ellestraversèrentunruisseauglacé,maisMaggien'avaitpasgrandespoirquecelasuffiseàeffacerleurstraces.Cadycommençaitàsérieusements'essouffler.

Ellesemblaithébétée,àpeineconsciente,nesuivantlesautresquecommeunesomnambule.Deplus,Maggies'inquiétaitpourPolly.Lafaimlesaffaiblissaittouteslesquatre,etlapeurlesoppressait.

Ellesarrivaientenvueduchâteau,quandleschasseurslesrepérèrent.

Ellesavaientpresqueterminéleurlongueetpénibledescentedelamontagne.PollyetCadyavaienttenuavecuncranmagnifique.Etvoilàquesoudainlesaboiementsdelameutelesrejoignaient.Jeannes'arrêtanetenjurant,regardaenl'air.

—Quoi?demandaMaggieessoufflée.Tulesvois?

—Non,jevoislaroute.Quelleidiotej'aiété!Ilsn'onteuqu'àlasuivre,ilsallaientbeaucoupplusvitequenousàtraverslesbroussailles.Jenemerendaispascomptequ'onsuivaitlamêmedirection.

Àboutdesouffle,Pollys'étaitappuyéecontreMaggie,sacasquettedetravers.

—Qu'est-cequ'onfait?demanda-t-elle.Ilsvontnousattraper?

—Non!maugréaMaggieenserrantlesdents.Ilvafalloirrepartirvite...

Àcetinstant,Cadymurmurad'unevoixfaiblemaisdistincte:

—L'arbre.

Lesyeuxmi-clos,ellebaissalatête.

—Regardez!soufflaMaggie.Onpeutmonterlà.

Ellessetrouvaientaupiedd'unénormesapin,auxbranchestrophautespourqu'ellespuissents'yaccrocher.Enrevanche,unérableeffondrécontresontroncformaitunevéritablepasserelled'accès.

—Tuesdébile!repritJeanne.Onnepeutpassecacherlà-haut.Ilsviendrontdirectementsurnous.Etd'abord,commentellesaitqu'ilyaunarbreici?

Maggiejetauncoupd'œilsurArcadia.Bonnequestion,maiscelle-cineréponditrien,ànouveauentranse.

—Jenesaispas,seulementonnevapasresteràlesattendreici.

SoninstinctluicriaitdesefieràCady.

—Ilfautessayer,d'accord?Viens,Polly,tucroisquetupeuxescaladercetronc?

Cinqminutesplustard,ellesavaienttoutesatteintlesbranches.OnsecachedansunarbredeNoël,seditMaggieenregardantverslesolàtraverslesaiguillesodorantes.Desaplace,elleapercevaitlecheminpartagéparunterre-pleinherbu.

Etlachassearriva.

Leschiensentête,aussigrandsquesondanoisJake,maisplusminces,auxcôtessaillantes.Derrière,descavaliers.

Sylviadevanttouslesautres,entenued'amazonevertglacier.ÀpiedàcôtédesonétrierarrivaitencourantGavin,lemarchandd'esclavesblondquiavaitpoursuiviMaggieetCadyavantdeprendrelafuitelorsqueDelosavaittuéBerndesaFlammebleue.

Ilssontbonscopains,ondirait,enconclut-elle.

Maisellen'eutpasletempsdes'étendresurcettedécouverte,carderrièreSylviaapparurentdeuxautreschasseursetellen'auraitsudirelequellafitleplustressaillir.

D'abordDelos,surunmagnifiquechevalàlarobequasinoire,maisauxrefletscuivrés.Àl'aisesursaselle,ilavaitplusquejamaisl'allured'unprince.Unseuldétailgâchaitlereste,l'énormeattelleàsonbrasgauche.

Lecœurlourd,Maggielecontemplauninstant.

Illespoursuivait,exactementcommel'avaitditJeanne.Illestraquaitavecseschiens.EtilavaitsansdouteavouéàSylviaqu'iln'avaitfinalementpastuécesdeuxesclaves.

—Tuvois?chuchotaJeanne.

Maggieneseretournapaspourluirépondre,carellevenaitd'apercevoirledeuxièmecavalierets'étaitfigée.

LepèredeDelos.

Ilressemblaitexactementàl'hommedessouvenirsdugarçon:dehautetaille,auxcheveuxrougesang,aubeauvisagefroid.Mêmedepuissonperchoir,Maggiedistinguaitsesyeux,d'undorépresquejaune.

L'ancienroi.Pourtant,ilétaitmort!

—Quiest-ce?neput-elles'empêcherdedemanderàJeanne.L'hommeroux.

—HunterRedfern.

—Cen'estpasleroi?

Jeannefitnondelatêteet,commeMaggiel'interrogeaitencoreduregard,elleajouta:

—C'estl'arrière-grand-pèredeDelos.Ilvientd'arriver.Jet'enparleraiplustard.

Maggieallaitinsister,quandPollyluiétreignitlamain.Leschasseursvenaientdes'arrêter.Leschienss'étaientmisàtournersurplace,àsixmètresàpeineencontrebas.

—Qu'ya-t-il?demandaHunterRedfern.

C'estalorsqu'undeschienschangead'attitude.

Maggiel'avaitcaptéducoindel'œiletelletournaassezvitelatêteversluipournepasmanquersonmouvement.

Leminceanimalsedressasursespattes,commes'ilessayaitderegarderpar-dessusunepalissade.Maisquandilfutdebout,ilnedéfaillitpas,nereculapas,restantbienfermeetbiendroit.Leplusnaturellementdumonde,semblait-il,sesépaulesreculèrent,sesmembress'épaissirent,saqueuedisparuttandisquesonmuseaus'aplatissait,quesesoreillesretombaientsurlescôtés.Enquelquevingtsecondes,ils'étaittransforméengarçonàlapeauencoremarquéeçàetlàdetaches.Iltournalatêteverslescavaliers;ilavaittoujourslescôtessaillantes,larespirationrapide.

—Jenesaispascequisepasse,déclara-t-il.J'aiperdulatracedeleurénergievitale.

HunterRedfernregardaautourdelui.

—Cesontellesquilabloquent?

—Hierdéjà,Bernaditqu'elleslabloquaient,intervintGavin.

—N'est-cepasimpossible?lançaDelosdeloin.Sicenesontquedeshumains?

Ilétaitrestéàl'arrièrepourretenirsamonturequis'énervait.Hunternebougeapas,necillapas,maisMaggierepérauncoupd'œilentreSylviaetGavin.Elle-mêmetournalégèrementlatêtepourfairesigneauxautresfillesdansl'arbre.

Ellevoulaits'assurerqueJeannecomprenaitdequoiils'agissait,maiscefutCadyquiretintsonattention.

Cadyauxyeuxclos,àlatêteappuyéecontreletroncsombredusapin,leslèvres,remuantsansémettreunson.Jeanneaussil'observait,d'unairsceptique.

—Laverminehumainenousauraréservébiendessurprises,commentaHunterRedfern.Maispeuimporte.Nousfinironsparlesrattraper.

—Ellesdoiventsedirigerverslechâteau,ditSylvia.

Nousdevrionsajouterdesgardesàl'entrée.

MaggievitalorsDelosseraidir.HunterRedfernparuts'enapercevoirégalement,bienqu'ilaitlatêtetournéedel'autrecôté.

—Qu'enpenses-tu,prince?luidemanda-t-ild'untoncalme.

Lejeunehommeneréagitpastoutdesuite.

—Soit,finit-ilparrépondre.Faisonsainsi.

Ilavaitditcelaàuncavalierbarbuàcôtédelui,quis'inclinaaussitôt.

Puisileutunmouvementquidonnaunhaut-le-corpsàMaggie.

Illevalatêteverselle.

Lesautreschasseurscommeleschiensexaminaientlaroute,devantetderrièreeux,ainsiquelesbas-côtés.

SeulDelossongeaitàregarderenl'air.Leursyeuxsecroisèrent.

Malgréladistance,elleperçutlalueurjaunedoré;illafixaitcalmement,tranquillement.

Maggiesursauta,manquantdeperdrel'équilibre,lecœurbattantaupointdel'étouffer,incapablederienfaired'autrequedes'agripperàsabranche.

Onestmortes,songea-t-elle,prisedevertige.Ilestplusfortquenous!Forcément,ilnousasenties.

Maintenant,ilsn'ontplusqu'àencerclerl'arbre.Onpeutessayerdesebattre,derésister,maisonn’amêmepasd'armes.Ilsvontnousmassacrerendeuxminutes...

—Va-t'en.

Lavoixlasecouadenouveau,claire,impavide...danslatêtedeMaggie.

—Delos?pensa-t-elleensoutenantsonregard.Tupeux…?

Ilnechangeapasd'expression.

—Jetel'aidéjàdit,maistun'aspasvoulum’écouter!Quedois-jefairepourquetucomprennes?

LecœurdeMaggiebattaitàtoutrompre.

—Delos,écoute,jeneveuxpas.

—Jetepréviens,reprit-ildesavoixintérieureglaciale.N'entrepasdanslechâteau.Situlefais,jeneteprotégeraiplus.

Figée,effarée,elleneputémettreuneréponse.

—Jeneplaisantepas,insista-t-il.N'approchepasduchâteausitutiensàlavie.

Puisilsedétournaetellesentitlecontactsebriser.

—Allons-y!lança-t-ilàsacohorteenéperonnantsoncheval.

Touslesuivirentendirectionduchâteau.Maggietremblaitdetoussesmembres;quandledernierchevaleutdisparu,Pollypoussaunsoupir.

—Jecroyaisqu'onétaitfichues,murmura-t-elle.

—Moiaussi,avouaMaggie.Cadyavaitraison.Ilssontpasséssansnousvoir.Qu'est-cequec'étaitquecettehistoiredeblocage?

Latêteappuyéecontreletronc,lespaupièrestoujourscloses,Cadysemblaitdormir.Etseslèvresnebougeaientplus.

Jeanneladévisageaitégalement,l'airirrité,maisellesecontentadehausserunsourcilenmaugréant:

—Vasavoir!

Toitulesais!songeaMaggie.Entoutcas,tuensaisplusquetuneveuxbienledire.

—Bon,etletypequiressembleaupèredeDelos,HunterRedfern.

—C'estunepointureduNightWorld.Peut-êtreleplusimportantdetous.C'estsonfilsquiafondéce

royaumeauXVesiècle.

—Auquoi?s'étranglaMaggie.

UneexpressionsardoniquepassasurlevisagedeJeanne.

—AuXVesiècle,répéta-t-ellesuruntonfaussementpatient.Cesontdesvampires,jeterappelle.Ouplutôtdeslamies,legenredevampirequipeutavoirdesenfants,soitditenpassant.L'important,c'estqu'ilssontimmortels,saufencasd'accident.

—Cetypeadoncplusdecinqcentsans,conclutMaggie.

—Oui.Ettoutlemondearemarquéquel'ancienroiluiressemblaitbeaucoup.Ouplutôtlecontraire.

Delosenestégalementpersuadé,songeaMaggie.

ElleavaitremarquécommentHunterletraitait,leguidantd'unemainaussiexpertequeleprincemenaitsoncheval.Delosavaitl'habituded'obéiraudoigtetàl'œilàquelqu'unquiressemblaittraitpourtraitàHunterRedfern.

—Mais...demanda-t-elle.Commentsefait-ilquecenesoitpasluileroi?

—Oh...(L'airagacé,Jeannepenchalatêtepoursedébarrasserdesaiguillesprisesdanssescheveux.)C'estqu'ilvientduDehors,tucomprends?Iln'estlàquedepuisquelquessemaines.Touslesesclavesdisentqu'ilneconnaissaitmêmepasl'existencedecetendroit.

—Commentça...

—Écoute,c'estcequej'aientendudire,voilàtout.

HunterRedfernaeuunfilsappeléChervilquandilétaittrèsjeune.Ànotreâge,Chervils'estdisputéavecluiets'estenfuiavecsesamis,cequialaisséHunterRedfernsanshéritier.Ilignoraitquesonfilsétaitvenuseréfugierici,pourfondercepetitroyaumedescréaturesdelanuit.Maisilafiniparledécouvrir.Alorsilestvenuvoir.

—Justepourrendreunevisite,c'esttout?

—Jesuisuneesclave.Tucroisquejeluiaiposélaquestion?

—Jecroisquetusaisbeaucoupdechoses.

D'unregardlas,JeannedésignaPolly.Maggiecomprit.

—Elleenadéjàtellementvu!Ellen'estplusàçaprès.Pasvrai,gamine?

Lapetitefittournersacasquettesursoncrâne.

—Vrai!assura-t-elle.

—Alorsdis-nous,repritMaggie.QuefaitHunterRedfernici?

Chapitre12

—Jecrois,ditJeanne,qu'ilestlàpourinciterDelosàmettrefinauroyaumedesTénèbres.AfermerlechâteauetàlerejoindreauDehors.Cequireviendraitàtuerlesesclaves.

—Lestuer?s'étranglaMaggie.

—Logique.Personnen'enauraitplusbesoin.

—Etc'estpourçaquetuvoulaist'échapper.

—Tun'espasaussidébilequetuenasl'air,tusais?

—Merci.

Assisesursabranche,ellesedisaitqu'ellen'avaitplusdutoutenviedes'enaller;unterriblepressentimentl'habitait.

—Pourquoi,reprit-elle,HunterRedfernveut-ilfaireçamaintenant?

—D'aprèstoi?Franchement,qu'est-cequetuenpenses?

QuatrePuissancessauvages.

Mentalement,Maggieserépétaitlesparolesduvieuxprofesseur.

Quidevrontinterveniraujourdel'apocalypsepoursauverlemonde…oupourledétruire.

—Jesaisqu'ilvasepasserquelquechosebientôt,queDelosestunePuissancesauvage,etquelesPuissancessauvagesdoiventfairequelquechose...

—Sauverlemonde,conclutJeanne.Saufquecen'estpascequedésirentlescréaturesdelanuit.Elless'imaginentqu'ilyauradegrandescatastrophesquibalaierontlaplupartdeshumains...etqu'ellespourrontainsireprendrelepouvoir.C'estpourquoiHunterRedfernestici.IlveutlesPuissancessauvagesdesoncôtéplutôtquedeceluideshumains.Ilveutqu'ellesl'aidentàdétruirelemondehumainaulieudelesauver.Etondiraitbienqu'ilvaenconvaincreDelos.

Maggiefrissonnalégèrement.C'étaitbiencequeluiavaitditleprinceetellenevoulaittoujourspaslecroire,maisunehorriblesensationlahantaitmaintenant,commesiunpoidsmonstrueuxreposaitsursesépaules.

—Alors,cemillénaireverravraimentlafindumonde.

—Oui,denotremondeentoutcas.

Maggiejetauncoupd'œilversPolly,surleborddesabranche,quibalançaitsesjambesdanslevide.

—Çava,gamine?

L'enfanthochalatête;ellesemblaitavoirpeur,maispastrop,etlacontemplaitd'unairconfiant.

—Tutienstoujoursàterendreauchâteau?repritJeanne.HunterRedfernestuntypeabominable,etjesuisdésolée,maistonamileprinceDelosnevautpasmieux.

—Non,pasvraiment,rétorquaMaggie.Pourtant,illefaut.J'aiencoreplusderaisonsdelefaire.

—Lesquelles?

—Primo,soignerCady.Secundo,savoircequiestarrivéàmonfrère.Tertio,libérercesesclavesavantqueHunterRedfernnelesfassetuer.

Jeannefaillitentomberdesabranche.

—Pardon?

—Jemedoutaisqueturéagiraiscommeça.Net'inquiètepas.Tun'espasobligéedemesuivre.

—Jemesuistrompée.Tuesvraimentaussidébilequetuenasl'air.Etcomplètementdingue!

Oui,jesais.C'estd'ailleurspourçaquejen'aipasmentionnélaquatrièmeraison.

Enl'occurrence,empêcherDelosdeparticiperàlafindumonde.Ellesesentaitinvestiedecettemissionsanssavoirpourquoi.Peut-êtreparcequ'elleétaitentréedanssonesprit,qu’elleleconnaissait.Comments'enaller,aprèsça,enfaisantcommesiderienn'était?

Siquelqu'unpouvaitluiparler,leconvaincredenepasfaireça,c'étaitbienelle.Ellen'endoutaitpasuninstant.C'étaitsadestinée.

Ets'ilétaitvraimentaussimauvaisqueJeanneleprétendait—s'ilavaitvraimenttuéMiles...danscecas,elleauraitàaccompliruneautretâche.Elledevraitfairetoutcequiétaitensonpouvoirpourl'arrêter.

Quitteàletuer,aussiinconcevablequeçaparaisse.

—Allez,dit-elleauxautresfilles.Cady,tucroisquetuvaspouvoirredescendremaintenant?EtJeanne,tusaiscommentallerauchâteau?

Lesdouvesempestaient.

Maggieavaitétécontented'apprendrequeJeanneconnaissaiteffectivementuncheminpourpénétrerdanslechâteau.Dumoinsavantdesavoirquecelaconsistaitànagerdansleseauxstagnantesquiemplissaientlesfossés,puisàescaladercequeJeanneappelaitun«cabinet»,maisquiressemblaitplutôtàdevieilleslatrines.

Jevaismourir…Jamaisellenes'étaitsentieaussidégoûtante.

Cependant,ellepensaitsurtoutàCadyqui,elleaussi,avaitvoulunageretleurobéissaitentoutcommesiellerêvaitdebout.Cequinel'empêchaitpasdetrembler.Etait-ceuneactivitérecommandablequandonavaitétéempoisonnée?

Enfinparvenueausommetducabinet,Maggieaperçutencontrebasunepetitepiècequisemblaitconstruiteàmêmelesremparts,depierressombresetfroides.Elleprêtamain-forteàCady.

—Pasunbruit,murmuraJeanne.Ilvafalloirpasserdansungouletpourrejoindrelescuisines.Cen'estpasgravesidesesclavesnousvoient,maisondoitseméfierdesautres.

—OndoitamenerCadyàuneguérisseuse...

—Jesais!C'estverslàquejevousguide.

Jeanneposalamainsurl'épauledePollyetl'entraînadansuncorridor.

Encoredespierresetdeséchos.Maggieauraitpréféréqueseschaussuresencorepleinesd'eaunechuintentpasainsi.Elleétaitassezimpressionnéeparcechâteauimmense,glacial,quiluidonnaitl'impressionden'êtrequ'uninsecteperdudanssesdédales.

Aprèsunemarcheinterminable,ellesémergèrentdansunpetitvestibuledivisépardespanneauxdebois,derrièrelesquelsonentendaitdesgenss'activer;elleenaperçutaupassage,quidressaientdesnappesblanchessurdegrandestables,pluslonguesquetoutelamaisondeMaggie.

Unautrevestibule,unautrecouloir.Etenfinlescuisines,oùs'affairaientunemultitudededomestiquesquimélangeaientlecontenudechaudrons,tournaientdesviandesoudesvolaillesembrochées.L'odeurdetoutecettenourrituremontaàlatêtedeMaggie,manquantdelafairetomberàlarenverse.Elleavaitsifaimquesesgenouxfaillirentsedérober.

Mais,par-dessustout,elleavaitpeurdecesdizainesdegensquilavoyaient.

—Desesclaves,laissatomberJeanne.Ilsnenousdénoncerontpas.Prendsunsacpourt'enenvelopperetçaira.Quantàtoi,Polly,ôte-moicettecasquetteridicule.

Desesclaves,songeaMaggie,tousvêtusdelamêmefaçon,decespantalonslargesetdecestuniquesinformes.

JeanneportaitaussiceshabitsquiévoquaientassezlestenuesdécontractéesduDehors,aupointqueMaggien'yavaitpasprêtéattention.Àprésent,elleétaitfrappéedeconstaterquenulneparaisseconnaîtrel'existenceduferàrepasser.Pasunplidroit,pasdecouleurvivenonplus,onnevoyaitquedubrun-beigeetdesvisagesàl'expressionmorne.Desrobots.

Commentsupporterdevivreainsi?sedemanda-telleenpassantunsacsursesépaulespourcachersavestebleumarine.Quandonn'apaslemoindrechoix,lemoindreespoirdansl'avenir?

Cedevaitêtreterrible,àvousrendrefou.Jemedemandes'iln'yenajamaisunquicraque?

Elleneputenobserverdavantageautourd'elle,carJeannevenaitd'ouvriruneportedonnantsurl'extérieur,surunesortedepotagerauxarbresfruitiersbiscornusetauxherbesinconnues.S'ensuivaitune

cour,puisunerangéedecabanonsblottiscontrelehautrempartnoirduchâteau.

—C'estsurtouticiqueçadevientdangereux,annonçaJeanne.Onestàl'arrière,maissiunnobleseretournaitetnousapercevait,lesennuiscommenceraient.Gardezlatêtebasseetmarchezcommeça,commedesesclaves.

Entraînantdespieds,elles'avançadanscetteespècedevillagequientouraitlechâteau,ouvritlaported'unecahute,lesfitentreretrefermaderrièreelles.

—Ondiraitqu'onaréussi,constata-t-ellenonsanssurprise.

Ellessetrouvaientdansunepièceminuscule,auxmeublesrudimentairesmaispleinedepilesdelinge.

—Çayest?demandaMaggie.Onestensécurité?

—Onn'estensécuriténullepart,répliquaJeanne.

Maisontrouveraicidescostumesd'esclavesetonpourrasereposer.Moi,jevaischercherlaguérisseuse,ajouta-t-ellecommeMaggieouvraitlabouche.

Durantsonabsence,celle-cifîtallongeruneCadytremblantedefièvre,puisaidaPollyàpasserdesvêtementssecs.

Elle-mêmeôtasansregretsesbasketsetsavestebleumarinedétrempée,puiss'agenouillapourenleverleschaussuresdeCady.Sursamincepaillasse,lajeunefilleaveugleneréagitpas,cequin'étaitpaspourrassurerMaggie.

Enfin,laporteserouvritetJeanneentra,accompagnéededeuxpersonnes,unebellefemmelongueetmaigre,auxcheveuxnoirstirésenarrièreàlava-vite,quiportaituntabliersursonpantalon,etunefilletteàl'aireffrayé.

—VoiciBlanchisseuse,annonçaJeanne.Elleestaussiguérisseuse,etnousamènesonaide.

Soulagée,MaggieleurprésentaCady:

—EllevientduDehors,elleaétéempoisonnéeparlesmarchandsd'esclaves.Jenesaispastropàquandçaremonte,deuxoutroisjoursaumoins.Elleadéveloppéunegrossefièvre,ondiraitqu'ellesedéplacecommeunesomnambule...

—Qu'est-cequec'estqueça?s'exclamalafemmefurieuse.Commentas-tupuamenercette...choseici?

—Pardon?s'écriaMaggie.Elleestmalade...

—C'estl'uned'entreeux!repritlafemmeenfusillantJeanneduregard.Etnemedispasquetunet'enespasaperçue.Çasauteauxyeux!

—Qu'est-cequisauteauxyeux?demandaMaggieenserrantlespoings.Jeanne,àquoionjoue,là?

Levisagefuribonddelafemmesetournaenfinverselle.

—Cettefilleestunesorcière.

Maggiesefigea.

Quelquepart,ellen'arrivaitpasàycroire.

Unesorcière?CommeSylvia?Unecréaturedelanuit?

Cen'étaitpasdutoutCady.Ellen'avaitriendemaléfique,cettejeunefilleordinaireetgentille.Ellenepouvaitrienfairedesurnaturel...

D'unautrecôté,Maggienes'enétonnaitmêmepas,commesi,aufond,ellelesavaitdepuistoujours.

Sonespritluirapportaitdesimages.Cadydansl'arbrecreux,lorsqu'ellessecachaientdeBernetGavin.LeslèvresdeCadyquibougeaient—etGavinquidisait:

«Jenelesdétectepasdutout.»Etlemétamorphe,aujourd'hui,quiavaitdéclaré;«J'aiperdulatracedeleurénergievitale.»

Cadylesbloquait,lesempêchaitdenoussentir.Etc'estelleaussiquinousaditd'escaladerlesapin.Elleestaveugle,maisvoitbiendeschoses.

C'estdoncvrai.

Lajeunefillenebougeaitpas,respiraitàpeine,lescheveuxdégoulinantsurlatêtetelsdesserpents,levisagesouillé,lessourcilshérissés.Mais,quelquepart,ellen'avaitrienperdudesasereinebeauté,quidemeuraitintactequoiqu'ilarriveàsoncorps.

Jem'enfiche,seditMaggie.C'estpeut-êtreunesorcière,maisellen'estpascommeSylvia.Jesaisquellen'ariendemaléfique.

ElleseretournaversBlanchisseusepourénoncerd'untonsolennel:

—Écoute,jecomprendsquetun'aimespaslessorcières,maiscettefillenousaccompagnedepuisdeuxjoursetellen'afaitquenousaider.Regarde-la!

Ilslatraitaientenesclave,ilsnelaménageaientpasdutout.Ellen'estpasdeleurmonde!

—Dommagepourelle,laissatomberBlanchisseuse.

Apparemment,cettefemmenevoyaitleschosesqu'ennoiretblancetn'aimaitpasqu'onlacontredise.

Elleglissaunemainpuissantesoussontablier,pourensortiruncouteaudecuisine.

—Attends,intervintJeanne.

Sanslaregarder,Blanchisseusegrondait:

—Lesamiesdessorcièresnesontpaslesbienvenuesici.Ettuenfaispartie.

D'unmêmemouvement,Jeannes'écartad'elleetprituneattitudedéfensive:

—Tuasraison.Jesavaisquec'enétaitune.Moiaussi,audébut,jel'aidétestée.Mais,commeMaggievientdeledire,ellenenousferaaucunmal.

—Jenelaisseraipaspassermachanced'entuerune.Etsituessaiesdem'arrêter,tuleregretteras.

Lecœurbattant,Maggieregardaitcesdeuxfemmesquisedéfiaienttelsdeschatsencolère.Elleseretrouvaitpresqueaumilieu,entreCady,Jeanneetlecouteau,tropfurieusepouravoirpeur.

—Toi,tulâchesça!ordonna-t-elleàBlanchisseuse.

Vaguement,elleperçutunmouvementderrièrelafemme.Lafilletteeffrayée,quin'avaitrienditjusque-là,s'avançaitversMaggie,ledoigttendu,lesyeuxécarquillés:

—LaLibératrice!

N'yprêtantpasattention,Maggieessayaitdelesraisonner:

—Sivousnevoussoutenezpaslesunslesautres,ilnevousresteraaucunechance.Vousnepourrezjamaisvouslibérer...

—C'estelle!couinalafilletteens'accrochantaubrasdeBlanchisseuse.Ellevientnoussauver.

—Qu'est-cequetura...

Jeannes'interrompit,tournauneexpressionchiffonnéeversMaggie.Haussantsoudainlessourcils,elleseredressaenladévisageantdespiedsàlatête.

Depuisqu'elleétaitentréedansleroyaumedesTénèbres,Maggieneportaitnisavesteniseschaussures,maisexactementsatenuedel'avant-avant-veille,lorsquesamèrel'avaitréveilléeenhurlant-sonhautdepyjamaàfleurs,sonvieuxjeanetseschaussettesdésassorties.

—«Elleapparaîtracouvertedefleurs,chausséedebleuetderouge,récitaitlafilletteavecrespect.Etparleradeliberté.»Tul’asentendue,Blanchisseuse?

C'estelle!

Lecouteautremblalégèrementdanslamaincrispée;lafemmearboraitmaintenantunairsceptique,maisuneétrangelueurd'espoirbrillaitdanssesyeuxquandellesetournaversJeanne:

—Elle?Cetteidioted'Arroseusearaison?Ellevientnousdélivrer!

Jeanneouvritlabouche,lareferma.Curieusement,cefutPollyquipritlaparole:

—Ellenousaditqu'elledevaitlibérerlesesclavesavantqueHunterRedfernnelesfassetuer,lança-t-elledesavoixflûtée.

L'enfantsetenaittoutedroite,sescheveuxblondsencadrantsonpetitvisageexcité,toutevibrantedeloyauté.

Jeannesemorditleslèvres.

—C'estvrai.Jel'aimêmetraitéededébile.

—Etaudébut,continualapetite,quandJeanneluiamontrécequ'ilsfaisaientauxesclavesquis'échappaient,Maggieaditqu'ilfallaitarrêterça.Elleaditqu'ellenepouvaitpaslaisserfairedeschosespareillesauxgens.

—Elleaditquec'étaitànousdelesenempêcher,corrigeaJeanne.Làaussi,elleétaitdébile.Onnepeutpaslesarrêter.

Blanchisseuselescontemplaunlongmoment,avantdetournersurMaggieunregardsibrûlantquecelle-cicrutqu’elleallaitl'attaquer.Pourtant,elleremitlecouteaudanssapoche.

—Blasphématrice!lança-t-elleàJeanne.OnneparlepasainsidelaLibératrice.Tuveuxnouspriverdenotreseuleespérance

—Hé,protestaJeanne,c'esttoiquivoulaislesjeter...

Cependant,Blanchisseuseavaitchangéd'attitudeàl'égarddeMaggie;toujoursaussisévère,ellesemblaittoutefoisesquisserundébutdesourire.

—SitueslaLibératrice,tuasdupainsurlaplanche!

—Minute,toutlemonde!s'écriaMaggie,prisedevertige.

Ellecomprenaitàpeuprèscequisepassait.Cesgensvoyaientenelleunesortedefigurelégendairevenuelessauver.Àcaused'uneprophétie.Ilssemblaientaimerlesprophéties,parici...

MaisellenepouvaitêtreleurLibératrice,elle,unefilledesplusordinaires...

Commesipersonnen'avaitjamaisportédetee-shirtàfleursdanslecoin!

Peut-êtrepas,finalement.Pasunesclaveentoutcas.

Avecleurstenueslugubres,ilsnepouvaientvoirsonhautdepyjamamulticolorequecommeuneparuredelégende.

Etjepariequepersonneneportedechaussettesrougesetbleues,songea-t-elleensouriantintérieurement.Surtoutenmêmetemps!

ElleserappelacommentSylvialesavaitregardées.

End'autrescirconstances,Maggieauraitdûêtreaffreusementgênéequecettepersonneimpeccableconsidèreainsisesimperfections.Pourtant,c'étaientceschaussettesquiluiavaientpermisdedécouvrirqueSylviamentait.Toutétaitpartidelà.Maintenant,ellesluisauvaientlavie.SiBlanchisseuseavait

attaquéJeanneouCady,Maggieauraitdûs'interposer.

ÇanefaitquandmêmepasdemoilaLibératrice.Ilfautquejeleurexplique…

—Commec'estlaLibératrice,tuvasnousaider,n'est-cepasdemandaJeanneàBlanchisseuse.TuvasguérirCady,lanourrir,nouscacher,etaussiaiderMaggieàdécouvrircequiestarrivéàsonfrère?

Celle-cipréféranepasintervenir.

—Jevousaideraidemonmieux,assuraBlanchisseuse.Maisilfaudrafairevotrepartvousaussi.As-tuunplan,Libératrice?

Maggiesefrottalefront.Toutsepassaitsivite–mais,Libératriceoupas,elledevaitaidercesesclavesàs'affranchir.Etpeuimportaitcommentonl'appelait.

Elleregardachacunedesfemmes,ainsiquelesdeuxfillettes,particulièrementcellequ'onappelaitArroseuseetquilacontemplaitaveclamêmeferveurquePolly.

Enfin,elles'arrêtasurBlanchisseuse,quiconservaitsonexpressionfarouchemaispleined'espoir.

—Jen'aiencoreaucunplanprécis,avoua-t-elle;jedoism'ymettre.Jenesaispassijevaisvraimentpouvoirvousaider.Maisjevaisessayer.

Chapitre13

Maggies'éveillalentement,presquevoluptueusement.Ellen'étaitpastransie,ellen'avaitmalnullepart,nemouraitpasd'inanition.Etsurtout,ellesesentaitensécurité.

Maisquandelles'assit,cettesensationdisparut.

EllesetrouvaitdanslacahuteenbriquedeBlanchisseuse,avecJeanneetPolly,tandisqueCadyavaitétéemmenéeailleurspoursefairesoigner.

C'étaitBlanchisseusequiétaitrestéetoutelanuitauprèsd'elle,sibienqueMaggieignoraitdansquelétatpouvaitmaintenantsetrouversonamie.LafilletteappeléeArroseuseleurapportaunpetitdéjeuner,maisputjusteleurdirequeCadydormait.

Lepetitdéjeunerressemblaitfurieusementaudînerdelaveille,unesorted'épaissebouillied'avoineagrémentéedemyrtilles,queMaggieaccueilitavecplaisir.C'étaitbon—dumoinsquandonavaitfaim.

—Bonappétit!ditJeanneens'étirant.

CommePolly,elleétaitassisefaceàMaggie,àmêmelesoldeterrebattue,ettoutestroismangeaientavecleursdoigts.Leursvêtementsdegrossetoilelesgrattaient,maisMaggieavaitacceptéd'ôterlesautres,ycomprissesprécieuseschaussettes,pourlescacheraufonddelacahute.

—Ilsnecultiventpasénormémentdelégumes,disaitJeanne,etbiensûrlesesclavesn'ontdroitàaucunesortedeviande.Seulslesvampiresetlesmétamorphespeuventgoûteràlachairetausang.

CequifitfrissonnerPolly.

—Quandtudisça,çamecoupel'envied'enmanger.

—C'estpourquelesesclavesnepuissentpasprendredeforces.Tout,ici,estprévudanscesens.Etvousavezpeut-êtreremarquéquedanslequartierdesesclaves,iln'yavaitpasbeaucoupdebois.

Maggies'enétaitvaguementaperçue:briques,argile,terrebattue,mêmepasdebalaisenvue.

—Maiscommentsechauffent-ils?

—Avecducharbondebois,casséenpetitsmorceaux.Ilslefabriquentdirectementdanslaforêtetc'esttrèscontrôlé.Toutlemondeenreçoitunerationprécise.Siontrouveunesclaveavecduboisentrop,c'estl'exécution.

—Parcequeleboistuelesvampires,ditMaggie.

—Oui,etl'argenttuelesmétamorphes.Lesesclavesn'yontpasdavantagedroit—c'estdetoutefaçonbienplusdifficileàtrouver.

Pollysoulevalagrossetoilequicolmataitunepetitefenêtredépourvuedevitresafinderegarderau-

dehors.

—S'ilsnepeuventpasmangerdeviande,qu'est-cequec'estqueça?demanda-t-elle.

Maggiesepenchapourapercevoiràl'extérieurdeuxveauxaccrochésàdespieuxetunporcdansunenclosdecordes.

—Ilssontréservésauxcréaturesdelanuit,ditJeanne.Lesmétamorphesetlessorcièresprennentdesrepasnormaux...lesvampiresaussi,quandilsenontenvie.Ondiraitqu'ilspréparentunfestin.Quandonamènedesanimauxici,c'estpourlesabattre.

Pollyfitlagrimace.

—Lespauvres!

—Bon,ilyapirequederecevoiruncoupsurlatête.

Tuvoiscescages,justederrièrelecochon?C'estlàqu'ilsgardentlesanimauxexotiques,lestigresettousceuxqu'ilsamènentpourleurschasses.Ça,c'estunetristefaçondemourir.

Maggieeneutfroiddansledos.

—Espéronsquenousneconnaîtronsjamais...

Elles'interrompit,attiréeparunmouvementdanslarue.

—Couchez-vous!ordonna-t-elle.

Quandtoutestroiseurentobéi,ellerelevalégèrementlatêtepourjeteruncoupd'œilàl'extérieur.

—Qu'est-cequisepasse?soufflaJeanne.

—Sylvia.

Deuxsilhouettesétaientapparues,quimarchaientendiscutant,SylviaetGavin.Lajeunefemmeportaitunerobevertmousse,lescheveuxéparssursesépaules.Ellesemblaitplusgracileetplusbellequejamais.

—Ilsarriventparici?demandaJeanne.

Maggieluifitsignedebaisserlavoix.Elleaussicraignaitquelescréaturesdelanuitnesemettentàinspecterlevillage.Danscecas,ellesseraientperdues.

Cependant,Sylviasetournaitverslesanimauxencagequ'elledésignaitàGavin.,

—Etmaintenant?insistaJeanne.

—Jenesaispas,riendebon.

—Ilsdoiventpréparerunechasse.Mauvaissigne...

J'aientendudirequ'ilsdevaientenorganiseruneimportantepourfêterl'accorddeDelosavecHunterRedfern.

Maggieretintsonsouffle.

Enétaient-ilsdéjàlà?Danscecas,ilnerestaitpasbeaucoupdetemps.

Au-dehors,ellevitSylviasecouerlatête,puisrevenirverslesanimauxdomestiques.

—Recule,commandaMaggieensetapissantdenouveau.

MaisSylvianeregardaitpasdansleurdirection.Ellesecontentadefaireuneremarqueensouriant,àproposdesveaux.Aprèsquoi,ellerepartitverslepotagerencompagniedeGavin.

Maggielessuivitdesyeuxjusqu'àcequ'ilsaientdisparu.

—IlfaudraitallervoirBlanchisseuse,dit-elleàJeanne.

Lahutteoùcelle-cil'emmenaétaitplusgrandequelapremière,comptantcequeMaggieconsidéraitmaintenantcommeunluxe:deuxpièces.Cadysetrouvaitaufond,danslapluspetite—àpeinedelatailled'unealcôve.

Elledormaitpaisiblement.Maggies'enaperçutaussitôt.Sestraitssemblaientdétendus,sescernesavaientdisparu.Blanchisseuseluiessuyaitlesjouesavecunetendressesurprenante.

—Ellevaguérir?

—Ellevivraaussilongtempsquenous.

Décidément,Maggiecommençaitàaimercettefemme...SiJeanneetBlanchisseuseétaientlesreprésentantesfidèlesdesautresesclaves,alorsceux-cipossédaientuncourageetunhumournoirqu’ellenepouvaits'empêcherd'admirer.

—J'avaisunefilled'àpeuprèssonâge,ditBlanchisseuseendésignantPollydumenton.

Celle-ciserraitsacasquettesoussatuniquedetoile.

Ellesourit.Aprèsunecourtehésitation,Maggiedemanda:

—Queluiest-ilarrivé?

—Unnoblel'atrouvéeàsongoût.

Blanchisseuserepassal'étoffehumidesurlevisagedeCadyavantd'ajouter:

—C'étaitunmétamorphe,unloupdunomd'Autolykos.Ill'amordueetluiatransmissamalédiction.Jusqu'aujouroùils'enestlasséetl'atransforméeengibierpourunedeseschasses.

Maggiesesentitdéfaillir,incapabledetrouveruneparolesensée,ellepréférasetaire.

—Quellehorreur!soufflaPollyenposantsapetitemainsurlebrasdeBlanchisseuse.

Celle-ciluicaressalatête,commesielleeffleuraitcelled'unange.

—JepeuxparleràCady?finitpardemanderMaggie.

—Non,rétorqualafemmeavecrudesse.Tunepourraspaslaréveiller.Jeluiaiadministréunepuissantemédicationpourcontrercequ'ilsluiontdonné.Tusaiscommentfonctionnentcespotions...

—Non.Quellepotion?

—Unmélangedecaíameetdetormentille...ainsiqued'autreschosespourletransformerenunvéritablepoison.

—Pourquoi?Ilsvoulaientlafaireparler?

Blanchisseuseneréponditqued'unhochementdetête.

—Maispourquoi?

—Imagine,unesorcièreduDehors.Ilsontdûcroirequ'ellesavaitdeschoses.

Décidément,ilfaudraitqueMaggieinterrogeàsonréveil...

—J'avaisdeuxautresraisonsdevenirtevoir,ajouta-t-elleensortantlaphotodeMilesdesoussatunique.Est-cequetuconnaiscegarçon?

Blanchisseusepritleportraitpourleregarderdeplusprès.

—Belleminiature,observa-t-elle.

—Onappelleçaunephotographie.Cen'estpasvraimentpeint.

—Ilestdetafamille?

—C’estmonfrère,duDehors,tusais?IlavaitpouramieSylviaWealdetiladisparulasemainedernière.

—Sylvialasorcière,lançaunevoixchevrotante.

Maggielevavivementlatête.Unevieillefemmesetenaitdansl'encadrement,unefrêlecréatureratatinée,avecdescheveuxblancsetunpetitvisagetoutchiffonné.

—VoiciVieilleRepriseuse,annonçaJeanne.Elleraccommodelesvêtementsdéchirés.Etc'estnotreautreguérisseuse.

—VoicidonclaLibératrice,repritl'intéresséeens'approchant.Ellem'atoutl'aird'unefillenormale,dumoinstantqu'onn'apasvusesyeux.

—Euh...merci...balbutiaMaggie.

Ensonforintérieur,elletrouvaitquecettevieilleressemblaitplusquequiconqueàunesorcière.Sonregardd'acierdénotaitunegrandeintelligence,maissonsouriremalicieuxétaitempreintdedouceur.

—Sylvialasorcièreestarrivéeauchâteauilyaunesemaine,continua-t-elle.Elleestarrivéeseule,maiselleparlaitd'ungarçon.Monpetit-neveu,Corroyeur,l'aentendue.ElleracontaitauprinceDeloscommentelleavaitchoisiunhumainpourunjeuetqu'elleavaitvoulul'amenerauchâteaupourlesfêtesdeSamhain.

Maiscegarçonafaitquelquechose...j'aicrucomprendrequ'ill'avaitattaquée,oujenesaisquoi.Alors,elleadûlepuniretçal'amiseenretard.

Maggien'entendaitplusquelesbattementsdesoncœur.

—Samhain,souffla-t-elle.

—Halloween,ditJeanne.Ici,lessorcièresorganisentunegrandefêteàminuit.

Halloween.Evidemment.

Maggiecherchaitcommentinterprétercettenouvelleinformation.ElleavaitmaintenantlapreuvequeSylviaétaitbienpartiegrimperavecMilespourHalloween,ainsiqu'ellel'avaitditauxshérifsetaugardeforestier;etpeut-êtrequ'ilsavaientétéconduitsici,sicequ'avaitracontéJeanneausujetd'unmystérieuxdéfiléqueseuleslescréaturesdelanuitpouvaientvoirétaitvrai.Entoutcas,tousdeuxserendaientdansleroyaumedesTénèbres.Etquelquechoselesavaitretardés.MilesavaitfaitquelquechosequiavaitmisSylviadansunetellecolèrequ'elleavaitchangéd'avisetrefusédel'amenerauchâteau.

Etelleavaitvoululepunir...d'unefaçonqueMaggieneparvenaitpasàimaginer.

EnfindeCompte,ellel'apeut-êtrebientué,pensa-tellel'estomacnoué,riendeplusfacilequedelepousserdansunravin.

Quoiqu'ilensoit,sipersonnenelereconnaissait,ondevaitendéduirequ'iln'étaitjamaisparvenujusqu'ici...

—Ainsi,conclut-ellelecœurlourd,iln'yaaucungarçonemprisonnédansledonjon?

Malgrésatristesse,elledécidadenepass'avouervaincue.Enelle,uneforcecontinuaitdebrûler.Plusquejamais,elledésiraitmettrelamainsurSylviapourluifaireavouerlavérité.

Coûtequecoûte,jedécouvriraicommentilestmort.

Parcequec'estimportant.

L'étonnantétantqu'ellenepouvaitplusniercettepossibilité.Elleavaitappristantdechosesdepuissonarrivéedanscettevallée!Tantdegenss'yétaientlaisséprendreaupiège,blesser,tuersansautreformedeprocès...ceuxquiavaientsurvéculeurdevaientaumoinsdereconstituercequiavaitpusepasser.

Sansjamaislesoublier.

—Tuasditavoirdeuxautresraisonsdevenirmevoir,lapressa.Blanchisseuse,lesmainssurleshanches.

As-tumisunplanaupoint,Libératrice?

—Dansunsens,oui.Enfin,pasexactementunplan...

Àvraidire,elleenétaitrestéeauxidéeslesplusélémentaires.

AllertrouverDelos.

Autantallerdroitaubut.Elleallaitleconfronteretluidiresafaçondepenser,utiliserl'étrangeconnexionquilesliait,obligercettetêtedeboisàcomprendrecertaineschoses.

Quitteàmettresavieenjeupourprouverqu'elleneplaisantaitpas.CarJeannedisaitquelesesclavesseraienttuésdèsqueDelosetHunterRedfernseraientparvenusàunaccord.Maggieétantelle-mêmeuneesclave,elleferaitforcémentpartiedulot.

Jepariequeçal'obligeraàt’écouter,luisusurraunepetitevoix,quoiqu'ellenepûtl'affirmer:n'avait-ilpasplusieursfoismenacédelatuerlui-même?Aprèstout,sijenepeuxpasleconvaincre,jedevraiemployerlesgrandsmoyens.

—Ilfautquej'entredanslechâteau,dit-elleàBlanchisseuse.Pasjustedanslescuisines,maisdanslesautressalles...làoùjepourraitrouverleprinceDelosseul.

—Seul?Tuneletrouverasjamaisseulquedanssachambre.

—Danscecas,allons-y.

Blanchisseusefronçalessourcils.

—Tuasl'intentiondel'assassiner?Parcequejeconnaisquelqu'unquiaunmorceaudebois...

—C'est...Non,j'espèrenepasenarriverlà.Maisjeprendraisbienlebois,onnesaitjamais.

Priepourobtenirunmiracle,raillalapetitevoix.

Sinon,commentcomptes-tuledominer?

Jeannesemblaitpenserlemêmegenredechose.

—Ecoute,débile,tuessûredetoi?Parcequelui,c'est...

—Unecréaturedelanuit.

—Ettoi...

—Rienqu'unehumaineordinaire.

—C'estlaLibératrice,rectifiaPolly.

MaggiepritletempsdeluisourireavantderépondreàJeanne:

—Jenesaispassijedétienslasolution,seulementjen'envoispasd'autre.Alors,oui,c'estdangereux,maisjedoisyaller.Voustoutes,sachezqu'ilnes'agitpasquedevous.SicequeJeannenousaditausujetdeHunterRedfernestvrai,c'esttoutlemondehumainquiestendanger.

—Oh,lesprophéties...ricanaVieilleRepriseuse.

—Tulesconnaisaussi?

—Nouslesesclaves,nousentendonstout.Surtoutencequiconcernenotreprince.Jemesouviens,quandjetaisenfant...j'étaiscouturièredelareine,avantsondécès.Samèrerépétaitlesprophéties:

«DanslaFlammebleue,l'ombreultimeestchassée.Danslesang,leprixultimeestpayé.»

Lesang,pensaMaggie.

EllesavaitquelesangdevaitcouleravantqueDelosnepuissefaireappelàlaFlammebleue,maisonauraitditqu'ils'agissaitlàd'uneaffaireplussombre.Lesangdequi,d'abord?

—Etl'ombreultime,c'estlafindumonde,jesuppose?VousvoyezcommeilestimportantquejepuisseintervenirauprèsdeDelos.Passeulementpourlesesclaves,pourtoutel'humanité.

Jeanne,quisavaitdequelmondeelleparlait,hochalatêteenapprouvant:

—C'estvrai,ilfautessayer.Ilfauttrouverquelsesclavespeuvententrerdanssachambre,ainsi,nouspourronsmonternousycacher.Lesgrandespiècesautour,cesontdesgarde-robesetdescabinets,jesuppose?

VieilleRepriseusehochalatête.

—Onpourraitsecacherlà-dedans...

—Bonneidée,coupaMaggie.Saufpourle«nous».

Tunepeuxpasyalleravecmoi.Ilfautquej'agisseseule.

—C'estidiot!s'emportaJeanneenselevantd'unbond.Jepeuxt'aider.Iln'yaaucuneraison...

—Si.C'esttropdangereux.Onrisquenotrevieenentrantdanscechâteau.Siturestesici,çatelaisserapeut-êtrequelquesjourssupplémentairesàvivre.

CommeJeanneallaitprotester,Maggieprécisa:

—Quelquesjourssupplémentairespourmettreaupointunnouveauplan,situpréfères.Cequipourraitégalementserévélerdangereux.Etpuis,jevoudraisquequelqu'unveillesurPollyetCadyaussilongtempsquepossible.

Lapetiteluiadressaunsourirequisevoulaitrésolu,malgréseslèvrestremblantes.

—Ilfautvraimentquej'agisseseule,repritMaggie.

Quelquepart,elles'étonnaitelle-même.Quiauraitcru,lejouroùelleavaitrencontréJeannedanslechariot,qu'ellefiniraitparl'empêcherderisquerdesefairetueravecelle?

Jeannepoussaunsoupirexagéréavantd'acquiescer.

—Bon,commetuvoudras.Va-t'enconquérirtonvampire,jeresteraipourorganiserlarévolution.

—C'estça.

Sedéfiantduregard,toutesdeuxretrouvèrentleliendecomplicitéquilesavaituniesquelquescourtsinstants.

—Tâchedefaireattentionàtoi,ditJeanned'unevoixlégèrementéraillée.Tueslafillelaplusfutéequejeconnaisse.

—Jesais.

Soudain,Jeanneparutseragaillardir:

—Jeviensdetrouverquiestautoriséàentrerlematindanslachambreduprince!Jevaistelaprésenteretellet'introduirachezDelos.

—Ondiraitqueçatefaitplaisir,toutd'uncoup!Quiest-ce?

—Oh,tuvasl'adorer!Elles'appelleVideusedepotsdechambre.

Chapitre14

Arméed'unepilededrapsremiseparBlanchisseuse,MaggieseglissaderrièreVideusedepotsdechambre,quiprenaitladirectionduchâteau,enfaisantdesonmieuxpouravoirl'aird'uneesclave.

Blanchisseuseluiavaitartistementbarbouillélevisageafindemieuxlatravestir;elleavaitparailleursversédelapoussièresursescheveuxpourleurdonnerunecouleurplutôtbrune;lorsqueMaggybaissaitlatête,desmèchesdissimulaientaussisestraits.Maisellecraignaitàtoutmomentd’éternuer.

—Voilàlesanimauxsauvages,soufflaVideusedepotsdechambrepar-dessussonépaule.

C'étaitunegrandefilleàlasilhouettevigoureuse,auregarddouxrappelantunpeuceluidesveauxattachésdevantlacahutedeBlanchisseuse.Ilavaitfalluunbonmomentàcettedernièrepourluifairecomprendrecequ'onattendaitd'elle,maismaintenant,ellesemblaitdécidéeàtoutbienexpliqueràMaggie.

—OnlesaamenésduDehors,expliqua-t-elle.Ilssontdangereux.

Maggiejetauncoupd'œilsurlescagesdevantlesquellesavaientbavardéSylviaetGavin.DansTune,unloupbrun-grislacontemplaitavecunregardinfinimenttriste.Dansuneautre,c'étaitunepanthèrenoirequiallaitetvenaitetgrondasurleurpassage.Unanimalétaittapidanslefonddelatroisième,peut-êtreuntigre-énorme,aupelagerayé.

—Ouf!s'exclama-t-elle.Jen'aimeraispaschasserça.

Videusedepotsdechambreparaissaitsatisfaite.

—Etvoicilechâteau.Onl'appelleAubenoire.

—Ahoui?répliquadistraitementMaggie.

—Entoutcas,c'estcequedisaitmongrand-père.Ilavécuetilestmortdanscettecoursansjamaispénétrerdanssonenceinte.Lesanciensdisentqu'autrefoisonpouvaitvoirlesoleildansleciel...pasjustederrièrelesnuages,tusais.Etquandilselevait,lematin,ililluminaitlechâteau.Maiscen'estpeut-êtrequ'unelégende...

Oui,cen'estpeut-êtrequ'unelégende,songeatristementMaggie.

Chaquefoisqu'ellesedisaitquecetendroitnepouvaitplusl'étonner,elledécouvraitàquelpointellesetrompait.

Cependant,lechâteaului-mêmeétaitimpressionnant...ilinspiraitlerespect.C'étaitlaseulebâtissedanslesparagesquinesoitpasbrunâtreougrisâtre,avecsesmuraillesd'unnoirsibrillantqu'onauraitparfoisditdesmiroirs;inutiledepréciseràMaggiequ'ellesn'étaientpasfaitesdepierresconnuesdeshumains.Leurprovenanceétaitunmystère.

C'estlàqueDeloshabite,songea-t-ellealorsqueVideuselaconduisaitdansunescalierdeservicequipartaitdurez-de-chausséeoùnes'alignaientquecavesetentrepôts.

Danscemagnifiquelieuaussieffrayantqu'impressionnant.Nonseulementilydemeure,maisillecommande.Toutluiappartient.

Ellenecaptaqu'unevuedugrandsalonoùelleavaitaperçudesesclavesdresserdestables,laveille.

Videusedepotsdechambrelaprécédaversunautreétage,puisàtraversuneenfiladedecorridorsquisemblaientcourirsurdeskilomètres.

Ilfaisaitplutôtsombredanscelabyrintheauxhautesfenêtresétroiteslaissantàpeinepasserlapâlelueurdujour.Lesmursétaientparsemésdeflambeauxsurleurstorchèresdemétal,quisemblaientajouterdesombresmouvantesàcetéternelcrépuscule.

—Sachambreestlà-bas,finitparannoncerVideusedepotsdechambre.

Maggielasuivaitdeprès.Elles'avisaitquetoutesdeuxétaientarrivéesjusque-làsansencombre,quandunevoixretentitd'uncouloirlatéral:

—Oùallez-vous?Quiest-ce?

Ungarde.Maggiel'aperçutàtraverssescheveuxpoussiéreux.Unauthentiquegardemédiévalarméd'unelance.Unautreapparut,dansladirectionopposée.Malgrésaterreur,elleneputs'empêcherd'éprouverdelafascination.

Cependant,lamoyennementfutéeVideusedepotsdechambreeutuneréactionmagnifique.Ellepritletempsdefaireunerévérence,d'expliquerlentement.

—C'estPlieuse,delalingerie.Blanchisseusel'envoieaveclesdrapsetonm'aditqu'ellepouvaitm'aider.

Voussavez,aveclesinvités,ilyadavantagedetravail.

—C'estletravaildeFemmedechambre,lançalepremiergarded'untonirrité.

Aprèsuneautrerévérence,Videusedepotsdechambrereprittoutaussiposément:

—Oui,maisilyaplusdetravailaveccesinvités,voyez-vous...

—C'estbon.Alors,allez-yaulieudebavasser!

Finalement,ilsemblaittrouverl'incidentamusantetenvoyauncoupdecoudeàsoncollègue.

Videusedepotsdechambrefitunetroisièmerévérenceetrepartitsanssepresser.Maggieessayadel'imiter,levisageenfouidanslesdraps.

Elleslongèrentunautrecouloirinterminablepourseretrouverenfindevantunedoubleporte.

—Nousysommes,ditVideuse.Etiln'yapersonnedanslesparages.

Maggierelevalatête.

—Tusaisquetuasétéabsolumentformidable!Tumériteraisunoscar.

—Unquoi?

—Oublie.Maistuasétégéniale.

—Jen'aifaitquedirelavérité,assuralafilleavecunsouriremoinsplacidequ'iln'yparaissait.Ilyaplusdetravailquanddesinvitésarrivent.Ladernièrefoisremonteàtroisans.

—Jesais.Bon,tudevraispeut-êtrerepartirmaintenant.Et...euh...Videuse(ellen'arrivaitdécidémentpasàénoncersonnomcomplet)j'espèrequetun'auraspasd'ennuispourça...

Videusedepotsdechambrehochalatêteavantdefilersouslelitchercherunpotdecéramiqueetdesortirenleportantavecprécaution.

Maggieregardaautourd'ellecettechambreimmenseetdépouillée,unpeumieuxéclairéequelescorridorsgrâceàsesnombreuseslampesàhuilesurpied.Lelittrônaitaucentre,énorme,danssonbaldaquinentourédecolonnessculptéesetderideauxdelin.Dessuss'entassaientédredonsetcouverturesdefourrure.

Jesupposequejedoislesôterpourchangerlesdraps,songea-t-elle.Cedontelles'abstint.

Lerestedel'ameublementsecomposaitdedeuxgrandscoffresenboisexotique,dequelqueschaisesettabourets.Rienquioffreunendroitoùsecacher.Enrevanche,suruncôté,Maggiedécouvrituneportedissimuléeparunrideau.

Ellel'ouvritetconstataqu'elledonnaitsuruneantichambre—sansdoutelagarde-robedontavaitparléJeanne,beaucoupplusimportantequ'ellenel'auraitcru,quiressemblaitplusàunvestiairequ'àunplacard.

Bon!Jen'aiplusqu'àm’asseoir.

Deuxtabouretsencadraientunesortedemannequin.Maggiejetasesdrapssuruncoffreetapprochauntabouretdelaporte.Derrièresonrideaudelin,elleapercevaitàpeuprèstoutelachambre.

Parfait,sedit-elle.Jen'aiplusqu'àattendresonarrivée.Etalors...

Elleseraiditenpercevantdesvoixprovenantducouloir.Dontunevoixmélodieuse,féminine.

Ohnon,paselle!Ilnevapasl'amenerici!Jevaismejetersurelle,labattre...jenepourraipasm'enempêcher.

Cependant,lorsquelesdeuxpersonnesentrèrentdanslachambre,ellen'eutaucuneenviedesemanifester.

Ils'agissaitbiendeSylvia;cependantcen'étaitpasDelosquil'accompagnait,maisHunterRedfern!

Maggieneputréprimerunfrisson.Quefabriquaient-ilsdanslachambredeDelos?Quoiqu'ilensoit,siellesefaisaitsurprendre,c'étaitlamortassurée.

Totalementimmobile,elleneputs'écarterdurideau.

—Ilestsortiàcheval,annonçaSylvia,etnereviendrapasavantunedemi-heure.

Vêtued'unerobevertfoncé,elleportaitunpanieraubras...

—Etj'airenvoyétouteslesservantes.

—Quandbienmême,objectaHunterRedfernenpoussantlalourdeportedebois.

Ilnelarefermapascomplètement,maissuffisammentpourmasquerlachambreauxgensquipasseraientdanslecouloir.

—Tucroisvraimentqu'ilfaitespionnernosappartements?demandaSylviadansuntourbillondejupes.

—Ilestbrillant...beaucoupplusdouéquetunepourraislecroire.Etd'aprèsmessouvenirs,cesvieuxchâteauxcomportenttousdestrousdeguetetdestuyauxd'écoute.Seulunmonarqueimbécilen'enuseraitpas.

D'aprèssessouvenirs,seditMaggie.

Ilsesouvientsansdoutedel'époqueoùcechâteauaétéconstruit,oui.Ilestvraimenttrèsvieux.

Ellecontemplalebeauvisagesouslescheveuxrougesang,lespommettesaristocratiques,labouchemobileetcesyeuxvifsquisemblaienttoutvoir.Legenred'hommequidevaitfascinern'importequi.ToutcommeDelos,ildégageaitunesortedetensioncontrôlée,uneforce,uneintelligencesupérieure,quinepouvaientquesusciterl'admiration.C'étaitunleader,unchef.

Etunchasseur,seditMaggie.Touscesgenssontdeschasseurs,maisluienestlaquintessence.

—Qu'est-cequ'iln'estpascensésavoir?interrogeaSylvia.

—Quej'aireçuunmessageduDehors.Nemedemandepascomment,j'aimessources.

—Tespetitessouris,réponditSylvia,faussementnaïve.Jelesaivues.

Aprèsunsilence,Huntermaugréa:

—Méfie-toi,jeunefille,oucettejoliebouchefinirapart'attirerdesennuis.

SylviatournaitledosàHunteretMaggielavitdéglutir.

—Désolée.Jenesavaispasquec'étaitunsecret.

Maisques'est-ilpassé?

—L'événementmajeurqu'auraconnutacourtevie,s'esclaffa-t-il.Etpeut-êtreaussilamienne.LessorcièresontfaitsécessionduNightWorld.

Maggieclignadesyeux.Lanouvelleétaitdéjàimpressionnanteensoi,maisledevintdavantagedevantlaréactionglacéedeSylvia.

—Pardon?

—C'estlavérité.Ellesnousenmenaçaientdepuisunmois,maispersonnenecroyaitqu'ellesleferaient.

Sylviaposaunepaumesursapoitrinecommepourmieuxrespirer,avantdes'asseoirsurlelit.

—EllesontquittéleConseil,souffla-t-ellesansregarderHunterRedfern.

—LeConseilettoutlereste.

—Tout?

—D'aprèstoi?Oh,biensûr,quelques-unesdespraticiennesdelamagielaplusnoireducercledeMinuitontprotesté,maislaplupartontsuivicellesducercleduCrépuscule.Ellesveulentsauverleshumainsdesténèbres.

Ilditcelaexactementcommeunbûcherons'exclamerait:«Sauverleschouettes?N'importequoi!»

—Ainsi,leprocessusestvraimentcommencé,murmuraSylvia,lesyeuxtoujoursfixésverslesol.Iln'yapasderetourenarrièrepossiblemaintenant.LeNightWorldestdiviséàjamais?

—Etl'apocalypseestproche,conclutgaiementHunter.

Ilsemblejeune…biendesapersonne,seditMaggie.

Onvoteraitvolontierspourlui.

—Cequim'amèneàlaquestionsuivante,reprit-ildoucement,quandcomptes-tulatrouver?

Qui,«la»?sedemandaMaggielecœurserré...

Apparemment,Sylvian'enmenaitpaslargenonplus.

—Jet'aiditquejelatrouverais,c'esttout.

—Maisquand?Tucomprendscombienc'estimportant?

—Biensûrquejecomprends,soupira-t-elle.C'estpourquoij'aitentédetel'envoyerdèsledébut...

Huntercontinuait,commes'ilnel'écoutaitpas.

—Silebruitserépandqu'Arcadia,laDemoiselledetouteslessorcières,setrouveicidanslavallée...

—Jesais!

—Quetulatenaisetquetul'aslaisséetefilerentrelesdoigts...

—Jevoulaistel'amener.Jesavaisquec'étaitimportant.

Visiblement,elleestbouleversée,exactementcequevoulaitHunter,seditMaggie.Ilsaitmanipulerlesgens.

Maiscetteanalysesedéroulaitausecondplandesonesprit,caruneautrenouvellevenaitdelafrapper.

Arcadia

LaDemoiselledetouteslessorcières!

Finalement,cen'étaitpasArcadia...ellel'apeut-êtreditunefoisquejel'aiappeléeCady,maiselleestrestéesipeudetempsconsciente...Etquandellel'était,nousavionsàdiscuterdechosesplusimportantes.

Arcadia,Arcadia.C'esttrèsjoli.

Cenomrésonnaitétrangementdanssonesprit,sansdouteparcequ'ilremontaitàuncoursdemythologiedepuislongtempsoublié.Arcadiaétaitunedéesse…

desclairièressylvestresouquelquechosecommeça.

Desbois.CommeDiane.

Cependant,elleignoraitquiétaitcetteDemoiselledetouteslessorcières,maiscelasemblaitimportant.

Entoutcas,ellen'avaitriendemaléfique.D'aprèscequedisaitHunter,lessorcièresn'étaientpascommelesautrescréaturesdelanuit.

C'étaitlademoiselledontparlaientBernetGavin;cellequ'ilsdevaientlivrer.Ainsi,Sylvial'amenaitàHunterRedfern.Pourtant,c'estCadyquim'a….enfin,Arcadia,quim'aditqu’ellevenaitdanscettevalléepouruneraisonprécise.

Avantdevraimentformulerlaquestion,elleeutlaréponse.

Delos.

Dansunecoïncidencequiluidressalescheveuxsurlatête,elleentenditSylviadéclarer:

—Ellen'irapasvoirDelos.

—Ilvaudraitmieuxpas!Tuneterendssansdoutepascompteàquelpointellepeutsemontrerpersuasive.Uneambassadricedessorcières,venueplaiderleurcause…ellepourraitleconvaincre.Ilauncôtéeffroyablementfleurbleue…onappelleçauneconscience.Etnoussavonstousdeuxqu'ilaétéencontactaveccettefille,cettehumainequis'estenfuieavecArcadia.Quisaitquelmessagecettepetite

vermineluiapportait?

Aucunmessage,seditMaggie.Pasdelapartdecettevermineentoutcas.Maisj'enauraisvolontierstransmisunsij'avaispu.

Sylviareprit:

—Gavinaditqu'Arcadian'étaitpasencoreaucourantpourlapotiondevérité...qu'elleétaitpratiquementmorte.Jenecroispasqu'elleauraitputransmettrequoiquecesoit.JejureraisqueDelosnesaitmêmepasqu’ellesetrouvedanslavallée.

—Lessorcières,grondaHunter,ontdéjàunePuissancesauvagedeleurcôté.

—Maisellesn'enaurontpasunedeuxième,sebutaSylvia.J'aienvoyédesgensàsarecherche.Touslesnoblessontdenotrecôté.IlsnelalaisserontpasatteindreDelos.

—Ilauraitfallulatuerdèsledébut.Àmoinsquetun'aiesunpenchantpourelle...commetul'astoujourspourcegarçonhumain.

Derrièresonrideaudelin,Maggieseraidit.

«Commetul'astoujours...»Pas«commetul'avais

»...Etquidoncpourraitêtrecegarçonhumainsicen'estMiles?

Grinçantdesdents,elleentenditHunterchangerdesujet:

—Ouquetugardesunecertaineloyautéenverslessorcières?

LevisagedeSylvias'empourpra.

—Absolumentpas!C'estfiniettulesais!Jesuispeut-êtreunejeteusedesorts,maisplusunesorcière.

—Heureusementquetun'aspasoubliécequ'ellest'ontfait.Aprèstout,tuauraispuêtreuneFemmedelaTerre,situavaispristavraieplaceauConseil.

—Oui...

—Commetagrand-mèreetsamèreavantelle.

C'étaientdesHarman,commetonpère.Queldommagequelenomnesoitpastransmisparlabranchemâle!Tun'esqu'uneWeald.

—J'étaisuneHarman,grondaSylviaenbaissantdenouveaulesyeuxcommesielleneseparlaitplusqu'àelle-même.J'enétaisuneetpourtant,j'aidûassisteràl'investituredemescousinesàmaplace.Dessemi-humaines!Ellesm'ontévincée,toutçaparcequ'ellesdescendaientdelalignéeféminine.

—Tristetradition,admitHunter.

—Tunedoispasdouterdemaloyauté,insista-t-elleenrelevantlatête.Jeveuxmaplacedanslenouvelordredumillénaire.J'enaiassezdessorcières.

—Jesais,souritHunter.

Ilsemitàfairelescentpasàtraverslapièce.Ilavaitobtenucequ'ilvoulait,compritMaggie.

Ilajoutad'untondésinvolte:

—Assure-toiseulementquelepouvoirdeDelosrestebridéjusqu'àcequetoutsoitdécidé.

Sylviasepenchapourramassersonpanier.

—Lesnouveauxenvoûtementssontprêts.J'aiapportéquelquesingrédientssupplémentairestrouvéschezlesplusanciennessorcièresducercledeMinuit.Ilnesedouteraderien.

—Ettueslaseuleàpouvoirlesdénouer?

—Laseule.Mêmel'Aïeuledetouteslessorcièresenseraitincapable.EncoremoinslaDemoiselle.

—Bravo!Jetefaisconfiance.Aufond,tuasbiendusanglamiepourcontrebalancertesoriginesdesorcière.Tuesmaproprearrière-arrière-petite-filledelahuitièmegénération.

Maggieeutenviedeleboxer.Elleétaitàlafoiséperdue,affoléeetindignéedevantcetêtrequisemblaitsibienmanipulersonmonde,àcommencerparDelos,princeetPuissancesauvagequ'ilprenaitpourunedesesmarionnettes.

Jemedemandecequ'ilsferonts'ilrefusedesejoindreàeux…

Huntertournasoudainlestalonspoursedirigerverslaporte,marquaunepause,adressaunclind'œilversSylvia.Ilaffirmad'unevoixtropempressée,outropforte,enfinquisonnaitfaux:

—Tunesaispasàquelpointjesuiscontentd'avoirenfinunvéritablehéritiermâle,quinesoitpasentachéparlesangdessorcières.Jamaisjen'auraisépouséMaeveHarmansij'avaissuquemonfilsétaitencorevivant.Nonseulementvivant,maislui-mêmegéniteurdegarçons!LesderniersRedfernaumonde,pourrait-ondire.

Maggiesemorditlalèvre.Elledevinaitquisetrouvaitderrièrelaporte.

CefutbienDelosquientra.

Chapitre15

—Désolé,jedérangepeut-être?

Maggiedutfaireuneffortpournepaspousserunsoupirtropviolent.C'étaittoujoursunchocdelevoirarriver.MêmeenprésencedeHunterRedfernetdelapâleetpétillanteSylvia,illessurclassaittous.Telunventfroid,ilsemblaitsurgirdansuntourbillond'énergie,réveillertoutlemondeàpetitscoupsdebourrasquesneigeuses.

Sanscompterqu'ilétaitsuperbe.

EtpasdutoutimpressionnéparHunter,songeaMaggie.

Ilfaisaitfaceàsonarrière-grand-pèresansbaissersesyeuxdorés,uneexpressiondedéfisursonvisageauxtraitsfins.

—Pasdutout,réponditaimablementHunterRedfern.Noust'attendions,enplanifiantlesfestivités.

—Quellesfestivités?

—Pourcélébrernotreaccord.Jesuissicontentquenousayonsfiniparnousentendre!Pastoi?

Imperturbable,Delosôtasesgants.

—Si,biensûr.Dèsquenousauronstrouvéunaccord,j'enseraienchanté.

Maggiesemorditencoreleslèvres.Avecdélectationcettefois.Jamaisellen'avaitautantappréciélalugubrerigiditédeDelosquefaceausouriresuperficieldeHunteretauxminauderiesdeSylvia.

Abrutie!sedit-elle,commesijel'avaisjamaisappréciée!Cemecestunglaçon.

Néanmoins,ilyavaitquelquechosedenetetd'inaccessibledanscettefroideuretellenepouvaits'empêcherd'admirersonattitudefaceàHunter.

Mêmesicelaluifaisaitunpeumaldelevoirainsi,tendu,élégant,sescheveuxsombresébouriffésparsacourseàcheval.

Pourtant,lapeurrestaittangible;Maggietremblaitdevantl'auradepuissancequiémanaitdelui.N'allait-ilpasdétectersaprésence,puisqu'ilyétaitparvenuquandArcadiatentaitdebloquerlessignauxdesaforcevitale?

Ilsetenaitlà,toutauplusàtroismètresd'elle,avecunsimplerideaudelinpourlesséparer.Etellenepouvaitrienfaired'autrequ'écouter.

—Sylviaaprislalibertédecommencerlespréparatifs,ditHunter.J'espèrequeçanet'ennuiepas.

Nousdevrionspouvoirréglerlesderniersdétailsavantdemain,n'est-cepas?

D'unairsoudainlas,Delosjetasesgantssurlelitenlâchant:

—Si.

—Noussommesdéjàd'accordsurl'essentiel.

Cettefois,Delossecontentadehocherlatête.

—J'aihâtedetemontrerlemondeduDehors,repritHunter.(Maggieperçutdelasincéritédanssonintonation.)Monarrière-petit-fils!Direqu'ilyaunanjenesoupçonnaismêmepastonexistence...

Ilvintluidonnerunebourrade,gestequirappelaittantl'ancienroiqueMaggieenécarquillalesyeux.

—Jevaislancerdespréparatifsdemoncôté,ajouta-t-il.J'estimequeladernièrechasseavanttondépartdoitêtreextraordinaire,n'est-cepas?

Ilsortitensouriant.

Deloscontemplaitd'unairmaussadelacouverturedefourrure.

—Alors,lançagaiementSylvia.Commentvatonbras?

IlportaittoujourslalourdeattellequeMaggieluiavaitdéjàvuelaveille.

—Trèsbien.

—Çafaitmal?

—Unpeu.

—C'estparcequetut'enesencoreservipourt'entraîner,soupiraSylvia.Jet'avaisprévenu,pourtant.

—Tupeuxlesoulagerunpeu?

Elleouvraitdéjàsonpanier.

—Jet'aiditqueçaprendraitdutemps.Maisçadevraitallerdemieuxenmieux...tantquetun'enfaispasusage.

ElletournaitledosàMaggiequinevitpasvraimentcequ'ellefaisaitsurcetteattellemaisnepouvaits'empêcherdepenserquec'étaitforcémentnégatif.Etsoncœurdevibrerdepitiépourleprince.

Jenepeuxpaslalaisserluiinfligerça.Maiscommentl'enempêcher?Impossible.Siellemevoit,c'estfichu.

—Là,ditSylvia.Celadevraitteniruncertaintemps.

Maggiegrinçaitdesdents.

Ellevabienfinirpars'enaller,maintenant...Voilàaumoinsunsièclequejesuisassisesurce

tabouretàl'écouterjacasser.

—Àprésent,repritSylvia,jevaisrangertesgants.

Ohnon!songeaMaggiehorrifiée.

Surl'étagère,àcôtéd'elle,s'entassaientdespilesdegants...

—Non,ditDelos.J'enaibesoin.

—Allonsdonc!Tunevaspasressortir...

—Jelesgarde.

Toujoursdouédesesmerveilleuxréflexes,ils'interposaentreSylviaetlagarde-robe,lesluiarrachantpresquedesmains.

Elleluidécochaunlongregardinterrogateur,etcettefois,Maggielavoyaittrèsbien,sapeaunacréedélicatementrosie,sesyeuxcouleurdevioletteembuéederosée,sescheveuxblondpâlequibrillaientsuivantlelentmouvementdesatête.

Delosrestaintraitable.

Haussantalorssesfragilesépaules,Sylvialâchalesgants.

—Jevaism'occuperdubanquet,annonça-t-elledansunlégersourire.

Elleramassasonpanieretsedirigeaverslasortie.

Deloslalaissafaire.

Derrièresonrideau,Maggierestaitassisesansoserrespirer.QuandileutrefermélaportederrièreSylvia,elleserelevadoucement,recula;ellevoyaitencoreunepartiedelachambre.

Delosarrivaitd'unpasdécidé.

—Tupeuxsortirmaintenant,lança-t-il.

Maggiefermalesyeux.

Génial!Jem'endoutais.

Pourtant,iln'avaitpaslaisséSylvialadémasquer,pasplusqu'ilnel'avaittoutsimplementdénoncéeàsesgardes.Bonsigne...Finalement,ellen'auraitpeut-êtremêmepasbesoindelepersuader;ilétaitsansdoutedéjàprêtàsemontrerraisonnable...

—Oudois-jeentrer?insista-t-ilmenaçant.

Oupas,seditMaggie.

Elleressentitsoudainledésirabsurdedechasserlapoussièrequicouvraitsescheveuxetsecoualatêteàplusieursreprises.Sanssuccès.Affreusementconscientedesasaletédanssesvêtementsd'esclave,elleouvritlerideauetsortit.

—Jet'avaisprévenue,lançaDelos.

Illuifaisaitface,lesjambesécartées,lamâchoirecrispée,l'airsombre.Plusprincevampirequejamais.

Quantàmoi,jesuislasouillon,unevermine,quoi.

Rienquirehausselestatutdel'humanité.

Jusque-là,ellen'avaitguèreprêtéattentionàsesvêtementsouàsacoiffure,maismaintenant,elleauraitvouluaumoinsêtreprésentable.D'autantquec'étaitpeut-êtrelesortdumondequidépendaitd'elle.

Toutefois,ellesentitimmédiatementcettechosequiexistaitentreelleetDelos.Uneliessevibrantequiaccéléralacoursedusangdanssesveines,quifitbattresoncœurdepeurautantqued'allégresse.

Elleluifitfaceaveclamêmedétermination.

—J'aiapprisdeschosesquidevraientt'intéresser,commença-t-elle.

Cequineparutpaslefairechangerd'avis.

—Jet'aiditcequit'arriveraitsituvenaisici.Quejeneteprotégeraisplus.

—Jesais.Pourtant,tum'asencoreprotégée.Etjet'enremercie...maisjeferaismieuxdetedirecequisepasse.Sylviaestdugenresoupçonneux,etsielleestalléeraconteràHunterRedfernquetunevoulaispasquelesgensregardentdanstagarde-robe...

—Tunecomprendsdoncrien?s'emporta-t-ilavecunetelleviolencequ'elleenrestabouchebée.Tuvasmouriretondiraitqueçat'estégal.Es-tutropsottepourl'admettre,ouas-tuseulementenvied'enfinir?

—Jecomprends,balbutia-t-elleapeurée.

—Sûrementpas!Maisjevaist'aider.

Apeineeut-ilhaussélessourcilsquesesyeuxsemirentàluired'uneéclatantelumièredoréequisemblaitprovenirdesespropresorbites.

MêmesiMaggieavaitdéjàvucespectacle,ellereçutunchocenvoyantsestraitsainsichanger,sonteintblêmir,luidonnantl'aird'undieuciselédansunblocdeglace.Sespupillessedilatèrentcommecellesd'unprédateuraffamé,sabouchehautainesetorditderage.

Unesecondeàpeineavaitdûs'écouleretvoilàqu'ils'avançaitsurelle,écartantleslèvrespourlaisserapparaîtredescrocsquiparurentencorepluslongs,pluseffilésquedanslesouvenirdeMaggiehorrifiée.

—Regarde-moitelquejesuis,unprédateurappartenantàunmondeoùtunesurvivraispasuninstant.Jen'aicessédetelerépéter,maisturefusesdem'écouter.Tut'introduisdansmonproprechâteau,encroyantpouvoirtemoquerdudanger.Alors,jevaistemontreràquoitut'exposes.

Ellefitunpasenarrière,maislemurétaittoutprocheetlelitluibarraitlecheminsursagauche.

Delossetenaitentreelleetlaporte.Enoutre,elleconnaissaitsesréflexes.

Lesjambesflageolantes,lesoufflecourt,elleluttaitcontrelapanique.

Cen'estpasvrai…ilnevapasfaireça!

Remontaientàlasurfacelesinstinctsdefuited'ancêtresoubliés.Quelquepart,elleserevoyaitgibierpoursuivipardesfauves.

Ellereculajusqu'àheurterlatapisserieaumur.Ellen'avaitplusnullepartoùaller.EtDelosfranchitaveclasouplessed'untigreladistancequilesséparait.

Ilseretrouvajusteenfaced'elle,quinepouvaits'empêcherdecontemplerencorecettebeautésurnaturelle,tandisquesatêtes'emplissaitd'odeursdefeuillesmortesetdeneige.Enmêmetemps,ellesentitlachaleurdececorpstoutprochedusien.

C'esttoutsaufunmort-vivant,songea-t-elle.Ilestimpitoyable,onl’aélevédansleseulbutdedevenirunearme,maisilesttoutcequ'ilyadevivant…peut-êtremêmel'êtreleplusvivantquej'aiejamaisvu.

Posantdesmainsd'aciersursesépaules,ill'attiraverslui,sansbrutalitémaissanstendressenonplus,jusqu'àcequeleurscorpsserejoignent,etc'étaientdeuxflammesjaunesquilafixaient...quifixaientsagorge.

Ellevitsaveinesegonfler,maisn'engardapasmoinslatêtehaute,secambrantmêmecontrelui,alorsqu'ellelesentaitaniméd'élansquin'avaientplusriend'humain.

Surlecoup,lapaniquefaillitlasubmerger;incapablederéfléchir,ellen'étaitplusqu'unemasseinstinctivequin'aspiraitqu'àprendrelafuite.

Pourtant,cetinstinctfitbientôtplaceàl'impressiond'émergeràlasurfaced'unlacprofond,dansuneatmosphèrecristalline.Soutenantceregarddoré,elleditsimplement:

—Vas-y!

Elleeutleplaisirdeliredelasurprisedanscesprunelles.

—Pardon?

—Vas-y.Çan'apasd'importance.Tuesplusfortquemoi,onlesaitbien.Maistunepourrasjamaismetransformerenproie.Tun'enaspaslepouvoir.Tunepeuxpasmecontrôler.

Ilémitunsifflementreptilien.

—Quelle...

—Tuvoulaismefairepeur:j'aipeur.Maiscen'estpaslapremièrefoisdemavie.Etçan'apasd'importance.Ilyadeschosesplusgravesenjeuici.

Prouve-moicequetuasàmeprouver,ensuitejetediraidequoiils'agit.

—Sotte!acheva-t-il.(MaisMaggieavaitl'impressionquesacolèreseportaitplutôtcontrelui-même.)Tunecroispasquejeteferaisdumal.

—Là,tutetrompes.

—Jevaistefairedumal,temontrer...

—Tupeuxmetuer.Maisc'esttout.Jet'aiditquetunepouvaispasmecontrôler.Etça,tun'ychangerasrien.

Cettefois,ilexplosaitdefureur,sesyeuxvirantcarrémentaunoir,tantsespupilless'agrandissaient.

Soudain,Maggieserappelaquecen'étaitpasseulementunvampire,niunearme,maisunêtreapocalyptiqueauxpouvoirsdefindumonde.

Lescrocsserapprochaientd'elle.

—Jevaistefairedumal,répéta-t-il.Regarde.

D'unmouvementfurieux,ilplongea,biendécidéàl'effarouchercommejamais...

...etill'embrassa,posantsursabouchedeslèvresfraîchescommeunepluiedemai.

Maggies'accrochadésespérémentàluipourluirendresonbaiser.Alorsellelesentittremblerentresesbras.Ettousdeuxsefondirentl'undansl'autre.

Cefutcommelorsqueleursespritss'étaientunispourlapremièrefois.UnfrissonenvahitsoncorpstoutentieretMaggievits'étirerlaconnexionquilesreliait;elleseretrouvadanscetendroitmerveilleuxoùeuxseulsexistaient,oùriend'autrenecomptait.

Obscurément,ellesentaitquesonêtrephysiques'écroulait,qu'ilss'effondraienttouslesdeux,toujoursagrippésl'unàl'autre.Maisencelieupaisibleàlabeautécristallineoùellesetrouvaitvraiment,ilssefaisaientfacedansunelumièreblanche.

Commesielles'étaitànouveauintroduitedanssonesprit,maiscettefois,ilrestaitdevantellesanslaquitterdesyeux.Iln'avaitplusl'aird'unearmed'apocalypse,nimêmed'unvampire,avecseslongscilscachantsesirisdoréspresqueenfantins,etleurexpressionterriblementmélancolique.

Ildéglutitetelleentenditalorssavoixmentale,unsouffleàpeineaudible.

—Jeneveuxpas.

—Si!coupa-t-elleindignée.

Lesbarrièresnormalesquiexistaiententredeuxpersonnesavaientdisparu;ellesavaitcequ'ilressentaitetnevoulaitpasqu'illuimente.

—...queças'arrête,acheva-t-il.

—Oh!

DeslarmesbrûlantesemplirentlesyeuxdeMaggie.

Suivantsoninstinct,ellel'attiraversluietilss'embrassèrentmentalementcommes'embrassaientleurscorpsphysiques,aveccetteimpressionquedesailesinvisiblesbattaientautourd'eux.

Maggiecaptadesfragmentsdesespensées,passeulementcellesqu'ilémettaitensurface,maisd'autressiobscuresqu'ellen'auraitpuaffirmerquelui-mêmeenavaitconscience.

—Siseul...toujourssiseul.Destinéàlasolitude.

Toujoursseul....

—Non,assura-t-elleenessayantd'atteindreleplusprofonddesonêtre.Jenetelaisseraipasseul.Noussommesdestinésl'unàl'autre,tunelesenspas?

Elle,entoutcas,sentaitsonpuissantdésir.Maisilnes'enlaisseraitpasconvaincreaussivite.

Elleentenditquelquechosecommedestinéeetvitlesimagesqu'iltransmettaitdesonpassé.Sonpère.

Sesprofesseurs.Lesnobles.Jusqu'auxesclavesquiavaiententendulesprophéties.Touscroyaientqu'iln'avaitqu'undestin,liéàlafindumonde.

—Tupeuxchangertondestin,assura-t-elle.Tun'aspasàlesubir.J'ignorecequisepasserapourlemonde,maistun'aspasàsuivreladestinéequ'ont'impose.Tuaslepouvoirderésister!

Letempsd'unbattementdecœur,l'imagedupèreparutserapprocher,immense,terrible,unpèrevuàtraversdesyeuxd'enfant.Puissestraitss'évanouirent,changeantjusteassezpourdevenirceuxdeHunterRedfern,aveccettemêmelueurcruelledanslesyeux.

L'imagefutbalayéeparl'ouragandelacolèredeDelos.

—Jenesuispasunearme.

—Jesais.

—Jechoisiraiaujourd'huiquijesuis.Jechoisiraimavoie.

—Oui.

EtDelosdeconcluresimplement:

—Jetechoisistoi.

Sacolèrel'avaitabandonné.Uncourtinstant,ellecaptauneautreimageoùellesevitencoreàtraverssesyeux.

Ilnelaconsidéraitpascommeuneesclaveauxcheveuxcrasseux,auvisagesaleetauxvêtementsinformes.Ilpercevaitunefilleauxcheveuxcouleurd'automne,auxyeuxnoisetted'uneprofondeurinfinie

-decesyeuxquijamaisnechancelaientmaisregardaientdroitdanssonâme.Illavoyaitchaleureuse,authentiqueetvibrante,quidégelaitlaglacenoiredesoncœurpourlelibérer.

Cetteimagedisparutégalementetilsseretrouvèrentsimplementdanslesbrasl'undel'autre,enveloppésdepaix.

Ilsdemeurèrentunmomentainsi,visitantmutuellementleursesprits.Delosnesemblaitpasdécidéàbouger.

EtMaggieaussivoulaitqueceladure.Elleavaitenviederesterlàlongtemps,àexplorerlescoinslesplussecretsdel'espritquis'ouvraitàelle.Detouchercommeilnel'avaitjamaisétécetespritqui,au-delàdetoutelogique,étaitceluidesamoitié.Quiluiappartenait.Sonâmesœur.

Maisautrechosetenaillaitsaconscience.Ellenepouvaitl'ignoreret,quandelleputenfins'enrendrecompte,toutluirevintenmémoire.

Ellesesentitbalayéeparunevagued'inquiétudesifortequ’elleenfutchasséedel'espritdeDelos.

Lechocdelaséparationseréverbéraitenluialorsqu'elles'asseyaitenreprenantpossessiondesonproprecorps.Tousdeuxrestaientencoreassezliéspourquecelaleurfasseunpeumal.Maiselleavaittroppeurpours'ensoucier.

—Delos,souffla-t-elle.Ilfautqu'onfassequelquechose.Çavabarder.

Ilclignadesyeux,commes'ilseréveillaitd'unprofondsommeil.

—Çairabien,assura-t-il.

—Non.Tunecomprendspas.

—Sic'estHunterRedfernquetucrains...soupira-t-il,irrité.

—Lui...etSylvia.Jelesaientendusparleralorsquej'étaiscachéedans,lagarde-robe.Tunesaispascequ'ilsmanigancent.

—Peuimporte,j'aidequoilesneutraliser.

Ilseredressaenregardantsonbrasgauche.

—Tunepeuxpas,s'écria-t-elleavecferveur.Etc'estçaleproblème.Sylviat'ajetéunsort,unenvoûtement,commeellel'adit.Tunepeuxpasutilisertonpouvoir.

Chapitre16

—Tunemecroispas?

—JenecloutepasqueSylviaaitessayé,répondit-il.

Maisjenepensepasqu'ellesoitassezpuissante.

—Elleditavoirutilisédesingrédientsspéciaux.Etaussiquepersonned'autrenepourraitdénouersonsortilège.

Commeilsemblaittoujoursdouter,elleajouta:

—Essaie,pourvoir.

Sanssefaireprier,iltirasurl'attelle,quinerésistapaslongtemps.Maggieclignadesyeux.Iltenditlebrasverslemur,sortituncouteaudesaceinture.Elleavaitoubliéleprincipedusangetsemorditlajouequandilfitunepetiteentailledanssonpoignet;unegoutteperla,unfilets'écoula.

—Justeunepetiteexplosion,ditalorsDelosenvisanttranquillementlemur.

Rienneseproduisit.

Ilserembrunit,seconcentra,écartalesdoigts.

Toujoursrien.

Maggielaissaéchapperunsoupir.

J'imaginequelessortilègessontinvisibles,songea-telle.L'attellen'étaitlàquepourl'effet.

Delosconsidéraitsonbrascommes'ilneluiappartenaitpas.

—Lesennuiscommencent,souffla-t-elle.AvecSylvia,ilssecroyaientseulsici,alorsilsontparléd'untasdechoses.ToutcequiintéresseHunterc'estquetul'aidesàdétruireleshumains.MaisilyaeuungrosbouleversementdansleNightWorld:lessorcièresontfaitsécession.

Deloss'immobilisa,leregarddanslelointain.

—Çaveutdirelaguerre.Laguerreouverteentresorcièresetvampires.

—Sansdoute,approuva-t-elle.Maisécoute,ellesontenvoyéquelqu'unici,uneambassadricepourteparler.Pourteconvaincredeterangerdeleurcôté.

Hunterditqu'ellesontdéjàl'unedesPuissancessauvagesavecelles.Tuvoisdequoijeparle?

—Sansdoute,répondit-ild'unevoixétrangementdistante.(L'œilvague,ilsemblaitfixerunhorizonque

Maggienepouvaitvoir.)Maisunesurquatre,cen'estrien.Deuxsurquatre,troissurquatre...çanesuffitpas.

—Dequoiparles-tu?(Sansattendrederéponse,elleembraya.)Écoute,jeconnaislafillequiestvenueteparler.C'estcelleavecquij'étaissurlesrochers,cellequetuasaussisauvéedeBern:Arcadia,laDemoiselledetouteslessorcières.Voilà.Etmaintenant,lesautreslacherchentpourlatuer,pourl'empêcherd'arriverjusqu'àtoi.C'estmonamie.

—Dommage.

—Ilfautlesarrêter!s'écria-t-elleexaspérée.

—Impossible.

Prisedecourt,ellenesutquebalbutier:

—Qu'est-ceque...turacontes?

—Quenousnepouvonspaslesarrêter.Ilssonttropforts.Maggie,écoute-moi!ajouta-t-ilcommeelleprotestait.

C'estlapremièrefoisqu'ilprononcemonnomàhautevoix,remarqua-t-ellemalgrésondésarroi.

Etpuiselleseconcentrasurcequ'ildisait:

—Ilnes'agitpasseulementdusortqu'ilsm'ontjeté,etpasseulementnonplusdufaitqu'ilscontrôlentlechâteau.Parceque,oui,c'estlavérité...Tun'espaslàdepuislongtemps,tunecomprendspas.Ici,lesnoblessontpresquetousâgésdeplusieurssiècles,ilsn'aimentpasêtregouvernésparunjeunetropprécoceauxpouvoirsinimaginables.DèsqueHunterestapparu,ilsluiontaccordéleurloyauté.

—Mais...

—Ilreprésentetoutcequ'ilsadmirent.Levampireparfait,leprédateurultimesansfoiniloi,assoiffédesang,prêtàleuroffrirlemondepourterraindechasse.

Crois-tuvraimentquel'und'entreeuxpuisseyrésister

?Aprèsdesannéesdechassetellementeffrénéequelegibierafiniparêtrerationné?Avecparfoisdevieuxesclavesenguisedeprime?Tucroisqu'aucund'euxnelesuivraitdebonnegrâce?

Maggienesavaitpasquoirépondre,carilavaitraison.Etc'étaitbienlàlepire.

—Cen'estpastout,ajouta-t-il.Tuveuxentendreuneprophétie?

—Pastrop...

Elleenavaitentenduplusqu'iln'enfallaitpourunevieentière,maisiln'encontinuapasmoins:

—Monvieuxprofesseurmerépétaitsouventceci:

«Quatresetiennententreombreetlumière,QuatredelaFlammebleue,lapuissancedanslesang.Apparusl'annéedelavisiondelaDemoiselleaveugle.Quatremoinsuneetlesténèbresl'emporteront.»

Maggienevoyaitlàriendenouveau.LaseulechosequiluisemblaitintéressanteétaitcetteallusionàlaDemoiselleaveugle.CertainementArcadia,lacélèbresorcière.

—Quesignifie«Apparuesl'annéedelavisiondelaDemoiselleaveugle»?demanda-t-elle.

—QuetouteslesPuissancessauvagesontlemêmeâge,néesilyadix-septans.Maislàn'estpaslaquestion.L'importanttransparaîtdanslederniervers:

«Quatremoinsuneetlesténèbresl'emporteront.»

Celasignifiequel'obscuritévaincra,Maggie.

—C'est-à-dire?

—Qu'iln'existepasdemoyendel'éviter,aucunepossibilitéselonlaquellehumainsetsorcièrespourraientgagnerlesquatrePuissancessauvagesàleurcause.Ilsuffitqu'uneseulesedressecontreeuxpourquelesténèbrestriomphent.Ilsuffitauxvampiresdetuerl'unedesPuissancessauvages,ettoutseradit.

Necomprends-tupas?

Maggiecomprenaitetcelaluisemblaitencorepluseffrayantquecequ'ilavaitditauparavant.

—Maisçanesignifiepasqu'ilfailleabandonner,insista-t-elle.Sinon,toutestterminé.Onnevapasserendre,leslaissergagner...

—Certainementpas,ilfautsejoindreàeux.

Aprèsunlongsilence,Maggies'aperçutqu'elleétaitrestéebouchebée.

—Quoi?

—Nousdevonsêtreducôtédesvainqueurs,c'est-à-

diredeceluidesvampires,énonça-t-ilavecleregardfunested'untigre.Jesuisnavrépourtesamis,maisilsn'ontaucunechance.Etlaseulequiteresteàtoiestdedevenirvampire.

Elleeutl'impressionquesoncerveaupassaitensurmultiplié.

D'unseulcoup,ellecompritoùilvoulaitenveniretréagitavecl'énergiedudésespoir.Déjà,ils'étaitjetésurelleàlavitessedel'éclair,maiselleavaitbondidecôtéavantqu'ilnepuisselasaisir.

—Tuperdslatête?

—Non.

—Tuvasmetuer?

—Jevaistesauverlavieaveclesmoyensquimerestent.

Cen'estpasvrai,songea-t-elleenlevoyantlasuivreavecassurance.

Ellecontournalelit,s'arrêta.Toutçaneservaitàrien.Ilfiniraitviteparl'attraper.Iln'avaitpasl'airdeplaisanter,alorsellebaissalesbras,respira.

—Delos,ilnes'agitpasquedemoi,nidemesamis,maisdetouslesesclavesdelavallée,detousleshumainsduDehors.Çaneserviraenrienleurcausesijedeviensvampire.

—Jesuisnavré,répéta-t-il.Maistueslaseulecausequim'importe.

—C'estfaux!cria-t-elle.

Etellefonditenlarmes.Ellelesessuyad'ungesteagacédelamain,inspiraprofondément.

—Jenetelaisseraipasfaire.

—Tunepeuxpasm'arrêter.

—Jerésisterai.Jet'obligeraiàmetuerplutôtquedemetransformerenvampire.Essaieunpeu!

Leregarddefélindemeurasurelleetsoudainsedétourna.Delosrecula,l'airinsondable.

—Bien,dit-il.Siturefusesdecoopérer,jevaistejeterenprisonjusqu'àcequetucomprennesoùesttonintérêt.

Denouveau,Maggierestainterdite.

—Tun'oseraspas...

—Crois-tu?

Laprison,commetoutleresteduchâteau,étaitplusvraiequenature;elleressemblaitàbiendesdescriptionsqueMaggieavaitluesdansleslivres:jonchéedepaille,avecunbancdepierretailléàmêmelamurailleetunelucarneferméepardesbarreaux,àcinqmètresau-dessusdesatête.

Unefoisqu'elleeutinspectélalitièrepourconclurequ'ellepréféraitnepassavoircequisetrouvaitdessous,secouélesbarreauxdelagrilled'entrée,sautésurlebancpourtenterd'atteindrelalucarne,ellevitqu'iln'yavaitrienàfaire.Alorselles'assitpouradmettrequ'elleétaitcomplètementdépasséeparlasituation.

Ellesetrouvaitbeletbiencoincéedanscettecellule.

Delosneplaisantaitpas.Etlemonde,lemonderéel,risquaitd'enpayerbientôtlesconséquences.

Nonqu'ellen'aitpascompriscequ'ilavaitderrièrelatête.Ellesentaitàquelpointilvoulaitla

protéger.Etdésiraitleprotégerelleaussi.Maiscommentoubliertouslesautres?Sesparents,sesamis,sesprofesseurs,lamarchandedejournaux?SiellelaissaitDelosabandonner,qu'allait-illeurarriver?

EtàceuxduroyaumedesTénèbres?BlanchisseuseetVieilleRepriseuse,etArroseuseetVideusedepotsdechambre,ettouslesautresesclaves?Ellesesouciaitégalementd'eux,admiraitleursombredéterminationàcontinuerdevivremalgrétout,leurcouragequandilsavaientrisquéleurviepourl'aider.

C'estcequeDelosnecomprendpas,songea-t-elle.Ilnevoitpaseneuxdesêtresvivantsetsefichequ'ilsexistentounon!Toutesavie,ilnes'estsouciéquedelui-même,etmaintenantaussidemoi.Ilnepeutpasvoirplusloin.

Siseulementelletrouvaitunmoyendeleluiprouver.

Maisriennevenaitetlesheurespassaientdansunsilencedeplusenpluspesant,tandisqu'ellecherchaittoujours.Finalement,lalumièreducouloirs'éteignitetlefroids'installa.

Elleétaitàmoitiéengourdie,blottiesursonbancglacial,quandelleentenditunecleftournerdansuneserrure.Aussitôt,ellesautasursespieds,bonditverslagrilledansl'espoirdevoirDelos.

Laportedel'étroitcorridors'ouvritsurunemainportantunelanterne.Maiscen'étaitpasDelos,justeungarde,suivid'unautrequiamenaitunprisonnier.

—Jeanne!s'écriaMaggie,consternée.

Àsongranddésarroi,celanes'arrêtapaslà.Untroisièmegardeentra,quisoutenaitàmoitiéArcadia.

Ilslesjetèrenttoutesdeuxdanslacellule,larefermèrentdansunsinistrecliquetis.

Maggienecomprenaitpas:cen'étaitpaslegenredeJeannedeserendresanslutter.Alorsquelesgardess'éloignaient,l'und'euxaccrochaunflambeaudansunanneaudeferpourlaisserunpeudelumièreauxprisonnières.

Etcefuttout.

Jeannesereleva,puisaidaArcadiaàseremettresurpied.

—IlsgardentPollyenhaut,annonça-t-elleàMaggie.

Ilsontditqu'ilsneluiferaientpasdemalsionserendaitsanshistoire.

Maggieouvritlabouche,lareferma,pourfinirpararticuler:

—C'estDelosquiaditça?

—DelosetHunterRedfern,etcettesorcière.Quedesgensdélicieux!

Maggieselaissatombersurlebanc

—Jesuisdésolée,souffla-t-elle.

—Pourquoi?Parcequetufaisconfianceàn'importequi?Tun'espasresponsabledesesactes.

—Elleditçaparcequ'elleestsonâmesœur,intervintArcadia.

Jeanneenparutaussiédifiéequesielleavaitparléchinois.

Danslasemi-obscurité,Maggiejetauncoupd'œilverslafillequ'elleavaitappeléeCadyetquiserévélaitunesommitédontellen'auraitjamaissoupçonnél'existence.

—Quit'aditça?interrogea-t-elle.

Unsourireétiralajoliebouche.

—Jel'aicomprisdèsquetuesrevenuedevotrepremièrerencontre,maisj'étaistropassomméepourpouvoirmeconcentrersurtoncas.J’enaivubeaucoup,cesdernièresannées...jeveuxdire,desgensquitrouventleurâmesœur.

—Tuvasmieux,ondirait?Tuparaisplus...éveillée.

Iln'yavaitpasqueça.Arcadias'étaittoujoursmontréed'unepaisibledignité,maisàprésent,elleaffichaituneautorité,uneassurancesurprenantes.

—Lesguérisseusesm'ontaidée,maisjesuisencorefaible.Jenepeuxpasmeservirdemespouvoirs...encorequejenesoisdetoutefaçonpascapabled'abattreunmur.

—Entoutcas,jesuiscontentequetusoisréveillée.

Euh...jeconnaistonvrainommaintenant.Désoléed'avoirmalcompris...

Arcadialuipritdoucementlamain.

—Écoute,monamie,déclara-t-elleavecuneconfondanteconviction,personnenem'ajamaisautantaidéequetunel'asfait,alorsqueriennet'yobligeait.

Situavaisfaitpartiedemonentourage,situavaissuquij'étais,c'auraitdéjàétéextraordinaire.Maislà,pourunehumainequinesavaitriendemoi...Jenesaispassinoussurvivronsàcettenuit,pourtant,sic'estlecasetsilessorcièrespeuventjamaisfairequelquechosepourtoi,tun'aurasqu'àdemander.

—Merci,murmuraMaggieintimidée.Jeveux...tusais...jen'auraisjamaisputelaissertomber.

—Jesais.Etc'estçaleplusétonnant.(Elleluiserralamain.)Quoiqu'ilarrive,jenet'oublieraijamais,nimoinilesautressorcières,sij'aimonmotàdire.

Maggiedutseretenirpournepasseremettreàpleurercar,siellecédait,ellenepourraitpluss'arrêter.

Jeannen'avaitpasperduunmotdeleurconversation,lesregardantl'uneaprèsl'autrecommelaspectatriced'unmatchdetennis.

—C'estquoicesâneries?demanda-t-elle.Qu'est-cequevousbaratinez,touteslesdeux?

Maggieluiracontatout,révélantnonseulementqu'ArcadiaétaitlaDemoiselledessorcières,maisaussitoutcequ'elleavaitapprisenécoutantHunterRedfernetSylvia.

—Ainsi,lessorcièresontquittéleNightWorld,ditpaisiblementArcadiaquandelleeutterminé.Ellesavaientdécidédelefaireaumomentoùjesuispartie.

—TuvenaisicipourparleràDelos,ditMaggie.

—Oui.NousavionsentendudirequeHunteravaitobtenudesrenseignementssurunenouvellePuissancesauvage.Etnoussavionsqu'iln'avaitpasl'intentiondelaisserlecercledel'Aubel'accueillir.

—C'estquoi,lecercledel'Aube?demandaJeanne.

—Lederniercercledesorcières...Maisilaccepteaussideshumains,ainsiquedesmétamorphes,desvampiresettousceuxquiveulentvivreenpaixavecleshumains.Désormais,ilestouvertàtousceuxquis'opposentauxténèbres.

Arcadiaréfléchituninstantavantd'ajouter:

—J'appartenaisaucercleduCrépuscule,celuidessorcières...pastropméchantes...(Ellesourit,maisrepritvitesonsérieux.)Désormais,ilnerestequedeuxcamps:lalumièreoulesténèbres,c'esttout.

—Delosn'estpasvraimentdanslesténèbres,assuraMaggie.Ilestjuste...unpeuperdu.Ilsejoindraitàvouss'ilnecroyaitpasqueçapouvaitentraînermamort.

Arcadialuiserradenouveaulamain.

—Jetecrois.

—Alors,tuesunesortedechefchezlessorcières,c'estça?demandaJeanne.

Arcadiasetournaverselleenriant.

—JesuisleurDemoiselle,jereprésentelesjeunessorcières.Sijevisassezlongtemps,jefiniraiparêtreleurMère,etpuisleurAïeule.

—Tordant!Maisavectoutça,tunevoispasunmoyendenoussortirdelà?

—Jenepeuxpas,navrée.Si...sijepeuxvousaider,c'estjusteenfaisantuneprophétie.

Maggieseraclainvolontairementlagorge.

—Jesuisentréeendormiedanslacahutedelaguérisseuse,poursuivaitArcadia.Etilm'estvenuuneinspiration.Sicettevalléepouvaitattendreuneaide,ceseraitenfaisantappelàlaloyautédeseshabitants.

JeanneeutuneréactionautrementbruyanteetgrossièrequecelledeMaggie.

—Autrechose,repritArcadiasansrelever.J'auraisdûteledireplustôt.Jesaisdeschosesàproposde

tonfrère.

Chapitre17

Maggieécarquillalesyeux.

—Tu...quoi?

—J'auraisdûteledireplustôt,reconnutArcadia,maisjenemesuisrenducomptequ'ils'agissaitdetonfrèrequelorsquej'aieul'espritplusclair.Vousvousressemblezbeaucoup,seulementjen'étaispasenétatderéfléchiràcemoment-là.Ecoute,jenevoudraispastedonnerdefauxespoirs,jenesuispascertainequ'ilaitbeaucoupdechancesdes'ensortir...

—Continue,soufflaMaggie.

—Àvraidire,ilm'avaitdéjàsauvéeavantquetunelefasses.Jevoyageaisavecd'autressorcièresetnoustentionsd'entrerdanscettevallée.Nousnesavionspasexactementoùsetrouvaitledéfilé...nousn'avionsobtenuquedesinformationsincomplètesdenosespionsdanslamaisonnéedeHunterRedfern.

Contrôlantsarespiration,Maggiehochalatête.

—Continue.

—C'étaitlesoirdeSamhain...Halloween.Nousarrivionsdanslarégiondudéfiléetcherchionsunsortsusceptibledenouslerévéler.Toutcequenousavonsréussiàprovoquer,c'estuneavalanche.

Maggiesefigea.

—Uneavalanche?

—Ellen'apasfrappétonfrère,ilsetrouvaitalorssurlaroute,àl'endroitoùnousaurionsdûtousnoustenirsinousavionssu.Maiselleatuélegroupequim'accompagnait.

—Oh!Jesuisdésolée...

—Jen'aipasétégrièvementblessée,enrevanche,j'étaisàdemiassommée.Jesentaisquelesautresétaientmortes,maisjenesavaisplusoùjemetrouvais.C'estalorsquej'aientendutonfrèreappeler.

AvecSylvia,ilsavaientvul'avalancheetvenaientvérifiersiquelqu'unavaitétéprisdessous.

—Milesesttoujoursdugenreàs'arrêterpouraiderlesgens,commentaMaggied'unevoixàpeineaudible.

—Tunesaispasàquelpointj'étaiscontentedesonintervention.Ilm'asauvélavie,j'ensuiscertaine...

J'auraiserréjusqu'àenmourirdefroid.Etmonsoulagementaredoubléquandj'airéaliséquelafillequil'accompagnaitétaitunesorcière...

Ellefitlagrimace.

—Euh...intervintJeanne,jepariequeçan'apasduré.

—Elleaussim'aimmédiatementidentifiée.Elleacomprisqu'elletenaitenmoiunotagequ'ellepourraitnégocierauprèsdesautressorcières,poursefairebienvoirdeHunterRedfern.Biensûr,ellesavaitaussiqu'ellepouvaitm'empêcherdevoirDelos.

—Ellenecherchequesonintérêt,assuraMaggie.Jel'aientendueparler...iln'esttoujoursquestionqued'elle,delaméchancetédessorcièresquineluiontpasaccordéunepositionsupérieureparcequ'ellen'étaitpasunevraieHarman.

—JenesuispasuneHarmandenom,moinonplus,ditArcadiaensouriant.MaistouteslesvraiessorcièressontFillesdeHellewise,FemmedelaTerre...siellesveulentbiens'enrendrecompte.Sylviaétaitsicontentedem'avoirtrouvéequ'ellen'apaspurésisterauplaisirdel'expliqueràtonfrère.Etlui...n'apasaiméça.

—Ohnon...s'empressad'approuverMaggieavecfierté.

Surlemoment,cetteidéeluiréchauffaunpeulecœur.

—Avant,elleluiavaitjusteindiquéqu'elleallaitl'emmenerdansunHeusecretoùleslégendesvivaientencore.Là,elleluiracontaitlavéritésurleroyaumedesTénèbresetcommentellevoulaitenfairepartie.

Elleluidisaitqu'ilpourraitleurrevenir,constituerleurproprepetitparadislorsqueDelosl'auraitquittépoursuivreHunterRedfern.Milesn'auraitqu'àchoisirdesefairevampireoumétamorphe,commeilvoudrait.

TousdeuxentreraientalorsdansleNightWorldetilsrégneraienttranquillementsurlavallée.

Maggielevalesmainsdansungested'impuissance,parcequ'ellenetrouvaitplussesmots.Fallait-ilqueSylviasoitcomplètementidiote!Ellen'avaitdoncriencomprisàMiles?

—Jamaisiln'auraitacceptécegenredechose!finit-ellepararticuler.

—Non,eneffet,etc'estcequ'illuiadit.J'aiaussitôtcomprisquecelaallaitluiattirerdesennuis.Maisjenepouvaisrienfaire.Sylvialuiajouélacomédie,prétextantqu'ellevoulaitseulementm'emmenerchezunmédecin,etinformerlesgardesforestiersausujetdemesamis.Maisunefoisquenousnoussommesretrouvéschezelle,toutachangé.

—Jemesouviensdesonappartement,ditMaggie.

Lesgensm'yontsembléplutôtglauques.

—Descréaturesdelanuit,lesamisdeSylvia.Nousétionsàpeinearrivésqu'elleleuraditcequ'ilfallaitfaire.J'aiexpliquéàMilescequisepassait,pourqu'ilessaiedenoustirerdelà,maiscesgensétaienttropnombreux.Ilavoulus'interposerentreeuxetmoi.Ilacriéqu'ilsdevraientletueravantdemetoucher.

UnpoidsénormeécrasaitlecœurdeMaggie,cependant,elleparvintàdemanderd'unevoixposée:

—Ilsl'onttué?

—Non.Paslà.Etpeut-êtrenel'ont-ilspasfait...jel'ignore.Toutcequejesais,c'estqu'ilsl'ontassomméetquelesdeuxmarchandsd'esclavessontarrivés.BernetGavin.C'étaitSylviaquilesavaitfaitappeler.

Ilsvenaientsansdouted'enleverPoly,songeaMaggie.Charmantspersonnages!

—Ilsm'ontassommée,moiaussi.Aprèsquoi,Sylviam'aenvoûtéeavantdem'administrersonpoisondevérité.Ellen'apasobtenubeaucoupd'informations,parcequejen'enavaispasàluidonner.AucunearméedesorcièresnecomptaitenvahirleroyaumedesTénèbres...Àprésent,jeregrettequecen'aitpasétélavérité.EtellesavaitdéjàquejevenaispourvoirDelos.

Arcadiapoussaunnouveausoupiravantd'achever:

—Toujoursest-ilqu'ellem'aempoisonnéeetquejemesuismiseàdélirer.Jenecomprenaispluscequisepassaitautourdemoi.Jesaisqu'onm'aenferméedansunentrepôtjusqu'àcequeletempss'éclaircisseassezpourqu'onpuissem'emmenerdanslavallée.Ilss'étaientdéjàdébarrassésdeMiles...Sylvial'avaitditavantdem'enfermerdansl'entrepôt.Maisj'ignorecequ'ilsavaientfaitdelui...

Maggiedéglutit,lecœurbattant.

—Cequejenecomprendspas,c'estpourquoielleamontétoutcescénariopourfairecroireàsadisparition,ens'arrangeantpourquedesgardesforestiersladécouvrentdanslamontagneetendisantqu'ilétaittombédansunecrevasse.S'ilétaitmort,pourquoinepasjustelelaisserdisparaître?

—Jecroisconnaîtreaumoinslaréponseàcettequestion,ditArcadia.AlorsqueMilessedébattait,ilacriéquesescolocatairessavaientqu'ilétaitallégrimperavecelle,etques'ilnerevenaitpas,ilss'ensouviendraient.

Oui.Celatenaitdebout.Touttenaitdebout-etMaggienesavaittoujourspascequ'ilétaitadvenudelui.

Unlongsilences'ensuivit.

—Ilétaitcourageux,finitparcommenterJeanne.S'ilestvraimentmort,c'étaitunebellemort.Espéronsquelanôtreseraaussisympa.

Maggiejetaunregardencoinàlajeunefilleauxtraitsanguleux,maisellen'avaitpasl'airdesemoquerd'elles.

Aprèstout,songea-t-elle,Cadys'estbientransforméeenArcadia,Demoiselledetouteslessorcières,moienLibératrice—mêmesijen'aipaslibérégrandmonde.

Enrevanche,Jeanne,c'estbientoiquiauraschangéleplus.

—Aufait,luidit-ellebrusquement,jenesaismêmepastonnomdefamille.

—Euh...McCartney.C'était...c'estMcCartney.

J'avaisquatorzeansquandilsm'ontenlevée.J'étaisaucentrecommercial,jejouaisàunjeuvidéoetj'aivouluallerauxtoilettes,auboutducouloir.Toutcequejesais,c'estqu'ensuitejemesuisréveilléedanslechariotdesmarchandsd'esclaves.Tuconnaislereste.

—Salut,JeanneMcCartney!

Maggieluiserralamain,avantdeprendreaussicelled'Arcadia,ettoutestroissetinrentainsidanslasemi-obscuritédecetteprison,desesclaves,deshumainesetlaDemoiselle.

Saufquenoussommesavanttoutdesfilles,songea-telle.

—Ilyaencoreunechosequetunem'aspasdite,reprit-ellesoudain.Commentest-cequ'ilst'ontappeléequandtuascommencéàtravaillerici?Quelétaittonboulot?

—DeuxièmeAssistante-Balayeusedesétables,grognaJeanne.Maintenant,tusaistout.

Maggien'auraitjamaiscrupouvoirdormirdansunendroitpareil,maisunefoisquetoutestroiseurentcessédediscuter,ellesemitàsommeiller.Cefutunbruitdeclefdanslaserruredelaprisonquilaréveilla.

Ellenesavaitpasquelleheureilpouvaitêtre—lalumièredelatorcheavaitbaissé.Ellesentitsesdeuxcompagnesbougeràcôtéd'elle.

—Ledîner?marmonnaJeanne.

—J'espèrejustequecen'estpasPolly,soufflaMaggie.

Elles'interrompitausondepasfermesdanslecouloir.ReconnaissantladémarchedeDelos,elles'approchadelagrille.

Ils'arrêtadevant,laflammemourantedelatorcheilluminantsacheveluresombre.Ilétaitseul.

Ilneperditpasdetempsencirconvolutions:

—Jesuisvenuvoirsituavaisdécidédetemontrerraisonnable.

—Jesuisraisonnabledepuisledébut,affirma-t-elleleplussérieusementdumonde.

Ellecherchasonvisage,etaussileliendeleursdeuxesprits,enespérantpouvoirencorelefairechangerd'avis.Maisàtraversuntourmentquiconfinaitàl'angoisse,elleperçutaussisadéterminationd'acier.

—Jenepermettraipasqu'ontetue.Riend'autrenecompte.

MaggiebaissalesbrasavantdeseretournerversArcadiaetJeanne,toujoursassisessurlebanc,immobilesmaisattentivesàcequ'ellespercevaientcommesonultimecombat.

—Ellesontraison.Sijenepeuxrienfaire,personnenelepourra…Maiscommentm'yprendre?

—Cesontdespersonnes,dit-elleenlesdésignantàDelos.Jenesaispascommentteledire.Ellescomptent,ellesaussi.

Cefutàpeines'illeurlançaunregard.

—Encestempsdeténèbresquiarrivent,énonça-t-ilcommes'ilrécitaituneleçon,seuleslescréaturesdelanuitsurvivront.Lesanciennesforcesdelamagieselèvent.Ellesdormaientdepuisplusdemilleans,maiselless'éveillent.

Unevoixdouce,aussidépourvued'arrogancequed'angoisse,s'élevadufonddelacellule:

—Certainsd'entrenouscroientqueleshumainspeuventapprendreàvivreaveclamagie.

—Certainsd'entrevoussontobtusetvontmourir,rétorqua-t-ilsansleverlesyeux.

IlneregardaitqueMaggie.Quineregardaitquelui.

Tousdeuxs'adjuraientl'unl'autredecomprendre.

Ilpossèdeunevolontéplusfortequelamienne,seditMaggieendétournantlatête.

Etpuisellesefrappalefrontdupoing.

Non!C'estfaux!JesuisMaggieBrindacier,jen'abandonnejamais.

Sijeluidisquecertaineschosesvalentlapeinedemourirpourelles...

Maisjenecroispasqu'ilaitpeurdemourir.Ilajustepeurpourmoi.Alors,ilnem'écouterapassij'affirmequejepréféreraismourirplutôtquedevoircertaineschosesarriver.Pourtant,c'estlavérité.Onnepeutpastoutaccepteràn'importequelprix!Arriveunmomentoùilfautqueças'arrête.

Ellesefigeaetlacellulesembladisparaîtreautourd'elle.Ellerevoyaitunpetitchariotsombretoutaussiinconfortable,etentendaitsaproprevoix:

«Jeanne,ilfautqueças'arrête.»

Prisedevertige,ellesetournaverslebanc:

—Jeanne?Viensici.

Celle-ciselevaets'avançad'unpashésitant.

—Montre-lui,ditalorsMaggieendésignantDelosdelatête.Montre-luicequesescréaturesdelanuitfontauxesclavesquitententdes'échapper.

L'expressionimpénétrable,Jeanneladévisageauninstant,haussaunsourcilpuispivotasursestalons,soulevantsatuniquebeiged'esclave,celle-làmêmequ'elleportaitquatrejoursplustôt.

Envoyantsondos,Deloseutunmouvementderecul,commesielleluiavaitbalancéuncoupdepoing.

Maggieavaitbeaus'yattendre,ellen'enressentitpasmoinslecontrecoupdel'effroiduprinceetduts'accrocherauxbarreaux,letempsquesavisionrepassedunoiraurouge,puisaugrisâtredelalumièreambiante.

—Quiafaitça?finit-ilpardemanderd'unevoixrocailleuse.Qui?

Ilétaitlivide,cequiaccentuaitencorelanoirceurdesesyeux.

Jeannelaissaretombersatunique.

—Jecroyaisquevousvousfichiezdelavermine.

Etderegagnersaplacesansrépondreàlaquestion.

CefutMaggiequirepritlaparole:

—Ilfautquecertaineschosess'arrêtent,assura-telle.Tuvoiscequejeveuxdire?Deschosesquetunepeuxpaslaissercontinuer.

Là-dessus,elleattendit.

Jesavaisqu'ilignoraittoutdecespratiques,songea-t-ellevaguementsoulagée.

Lesilences'appesantit.DelosnequittaitpasJeannedesyeux;ils'étaitpasséunemaindanslescheveuxetparaissaitmaintenantunriendécoiffé,desmèchestombantsursonfront.Onauraitditqu'ilavaitcomplètementperdusesrepères,qu'ilnesavaitplusàquisefier.

Enfin,sonregardsereportasurMaggie,toujoursaccrochéeàlagrille.Jamaisellenel'avaitvusivulnérable...siouvert.

MaissileprinceDelospossédaitunequalité,c'étaitladétermination.Aprèscemomentdedésarroi,ilseredressa,carralesépaules.

Commeàsonhabitude,ilalladroitaubut:

—Tu,asraisonetj'avaistort.Ilfautquecertaineschosess'arrêtent.

Maggieappuyalefrontsurlesbarreauxensouriant.

—Jevaischercherlaclef,poursuivit-il.Vousalleztouteslestroisquitterlechâteauavantquejen'ailletrouverHunter.

—Ilnefautpasyallerseul,commença-t-elle.

Elleauraitdûsedouterqu'ilallaitimmédiatementprendredesmesuresdrastiques.

—Surtoutquandtespouvoirssontbloqués...

—Iln'yaaucuneraisonpourquetucouresencoredesdangers.Jevaisvousfaireaccompagnerpardesgensenquij'aiconfiance...

—Malheureusement,ceneserapaspossible,intervintunevoixprovenantdufondducouloir.

Maggietressaillitviolemment.Ilsétaienttoussifatiguésetsiconcentréssurleurdiscussionqu'aucunn'avaitsentiapprocherlasilhouettequiseprofilaitmaintenantderrièreDelos.

HunterRedferns'arrêta,lesourireauxlèvres,Sylviasursestalons.Ilsétaientsuivisd'unefouledegardes.

—Nousavonsdûdisposerdesquelquescrétinsquivoulaientteresterfidèles,annonçaaimablementHunter.Lechâteauestàprésentsousnotrecontrôle.

Maispoursuivezdoncvotrepetitdialogue,c'esttrèsamusantdevousentendreessayerdevoussauvermutuellement.

—Etn'essaiepasdejouerlacomédie,renchéritSylvia.Nousavonstoutentendu.Noussavionsqu'ilnefallaitpastefaireconfiance,alorsnoust'avonslaissévenirici,pourvoircequetudirais.

Pourquelqu'unquifréquenteDelosdepuisuncertaintemps,ellen'arienpigé,songeaMaggie.

Iln'étaitpasdugenreàjouerlacomédie.Enfait,ilréagitexactementcommeellel'auraitprévu,ensejetantàlagorgedeHunterRedfern.

Delosétaitjeune,vigoureuxetfouderage,maislecombatn'enfutpasmoinsinégal.SuruncouinementdeSylvia,lesgardesseprécipitèrentettoutfutbientôtfini.

—Enfermez-leavecsesamies,ordonnaHunterenremettantdel'ordredanssesvêtements.Quellepitiédevoirmonuniquehéritierseconduireainsi!

Delosfutjetésansménagementdanslacellule.

SiMaggieavaitperçuunrienderegretdanslavoixdeHunter,celanedurapas,ilrepritbientôtsonallurefroideetacerbe.

—Jecroisque,demainmatin,nousattendunechassedesplusintéressantes,conclut-il.

Cettefois,lesgardesemportèrenttouslesflambeaux.

—Jesuisdésolée,murmuraMaggieencherchantàtâtonsdesblessuressurlecorpsdeDelos.Vraiment...

jenesavaispas...

—Peuimporte.Celadevaitarriverunjouroul'autredetoutefaçon.

—Pour,unvampire,vousn'avezpasbeaucouprésisté,observaJeannedufonddelacellule.

Maggieserenfrogna,maisDelosluiréponditd'untonsincère:

—CettesorcièreaéteintplusquelaFlammebleueenjetantunsortsurmonbras.Ellealimitétousmespouvoirsdevampire.Jeneseraiplusqu'unhumaintantqu'ellenem'aurapaslibéré.

—Arcadia?demandaMaggie.Tupeuxfairequelquechose?JesaisqueseuleSylviasauradéfairesonsortilège,mais...

Arcadiavints'agenouillerauprèsd'eux,effleuralebrasdeDelosensoupirant:

—Jeregrette.Mêmesij'étaisenpleinepossessiondemesmoyens,jenepourraisrienfaire.

Àsontour,Maggiepoussaunsoupir.

—Jen'aiqu'unseulregret,ditDelos,c'estdenepaspouvoirtesauver.

—Nepenseplusàça.

Unelourderésignations'étaitabattuesurelle.Nonqu'elleabandonnetoutespoir,maiselleétaittrèsfatiguée,physiquement,émotionnellement,etellenepouvaitrienfairepourlemoment...

Nijamaissansdoute,sedit-elleavectristesse.Pourtoutréconfort,ilneluirestaitquelesbrasdeDelos,etellesesentaitétrangementapaiséeparsachaleuretsasoliditéaucœurdecettesombreprison.

Parfois,ilestplusimportantdelutterquedevaincre,sedit-elle.

Ellefutpresqueheureusedefermersespaupièreslourdes,justepouruninstant...

Elleneseréveillaqu'unefoisdanslanuit,àcausedeDelos.Àcaused'unepenséequitraversaleursdeuxesprits.Ilsemblaitpourtantdormir,luiaussi,maisd'unsommeilagité.

C'estmonnomqu'ilappelait?J'aicruentendre…

Àprésent,ilmarmonnaitdesparolesincompréhensibles.Maggiesepenchapouressayerdelescapter:

—Jet’aime...jet'aiaimée...nel'oubliejamais...

—Delos!(Ellelesecoua.)Delos,qu'est-cequetufais?

Ils'éveillaensursaut.

—Rien.

Maisellesavait.Elleserappelaitcesmots-ellelesavaitentendusavantdelerencontrersurlamontagne.

—C'étaitdansmonrêve.Tu...revenaisdufuturenquelquesorte.Enm'envoyantcerêve,tuvoulaismeprévenir,pourquejequittelavallée...Maiscommentas-tupufaireça?Jecroyaisquetespouvoirs...

—Çanevientpasdespouvoirsdevampire,objecta-t-ilcommes'ilsesentaitcoupable.C'estautre

chose.

Plutôtlelienquinousunit.Cettehistoired'âmessœurs.Jenesaismêmepascommentj'aifait.Jemesuisjuste...endormietj'airêvédetoi,danslepassé...

commesijetecherchais...etpuisjet'aitrouvée.J'aiouvertlaconnexion.J'ignoresionavaitjamaisfaitcela,cettesortedevoyagedanslepassé...

—Tusavaispourtantqueçaneserviraitàrien.Cerêven'arienchangé.Jenesuispaspartieàmonréveil,puisquejesuislà.Etsij'étaispartie,jenet'auraisjamaisrencontréettunem'auraispasenvoyécerêve...

—Jesais,murmura-t-ild'unevoixlassemaisétrangementjeune.Celavalaittoutdemêmelapeined'essayer.

Chapitre18

—Lachassedevotrevie!annonçaHunterRedfern.

Ilsetenaitdroit,magnifiqueetsouriantaumilieudesnobles,etMaggiecrutmêmereconnaîtrequelquesvisagesparmieux.

CerudepersonnagevenudessouvenirsdeDelos-

celuiquiluiavaitattrapélebras...Etlafemmequiavaitprononcélepremiersortilègecontrelui.

Ilss'étaientassemblésdanslacour,impatientsdecommencer,alorsquel'aubecommençaitjusteàpoindrederrièrelesnuagesnacrés.

—Deuxhumaines,unesorcièreetunprincerenégat,continuaitHunterd'untonsuffisant.Jamaisplusvousnetraquerezdetellesproies!

MaggieserralamaindeDelos.

Elleavaitpeur,maissesentaitégalementtrèsfière.

Sicesnobless'attendaientqueleursproieslessupplient,ilsenseraientpourleursfrais.

Touslesquatresetrouvaientseulsdansuncoin.

Maggie,ArcadiaetJeannedansleurtenued'esclaves,Delosencuissardesetchemise.UnpetitventfaisaitdanserlescheveuxdeMaggie,cependantc'étaitbientoutcequibougeaitdanscettecour.

Arcadia,biensûr,restaittrèsdigne,l'expressiongravemaisdénuéedetoutepeuroucolère.Ellesetenaitdroite,sesgrandsyeuxclairstournésverslafoulecommesielleleursouhaitaitlabienvenue.

Jeanneétaitplusdébraillée,sescheveuxrouxenbataille,satuniquefroissée,maisellearboraitunsouriremauvaisetsesyeuxvertsbrillaientdedéfi.Elleneselaisseraitpasabattresanslutter!

QuantàMaggie,ellefaisaitdesonmieuxpourresteràlahauteur,toutensachantqu'elleneparaîtraitjamaisaussialtièrequ’ArcadianiaussiprovocatricequeJeanne;aumoinss'efforçait-elledenepasprendredesairsépouvantés.

Delosétaitmagnifique.

Danssachemiseblanche,ilparaissaitplusprincierqueHunterneleseraitjamaisetcontemplaitavecmépriscettefouledenoblesquiluiavaientjuréfidélitépourmaintenantréclamersonsang.

Ilvoulutleurparler:

—Prenezgarde,voyezcequivasepasser.Etes-vousdoncprêtsàsuivreunhommecapabled'infligercelaàsonarrière-petit-fils?Combiendetempss'écouleraavantqu'ilneseretournecontrevous?Avant

qu'àvotretourvousnevousretrouviezfaceàunetroupedechasseurs?

—Qu'onlefassetaire!ordonnaHunter.

S'ilavaitditcelad'untonplaisant,Maggiedevinaitunecertainefureurdanssavoix.

Néanmoins,l'ordrerestasanseffet,carlesnoblesseregardaient...quiauraitlecouragedefairetaireleprince,etcomment?

—Ilfautquecertaineschosess'arrêtent,continuaitDelosenlacitant.Cethommeenfaitpartie!Jereconnaisavoirpenséunmomentlesuivre…maisj'étaisaveugléparmabêtise.Àprésent,jevoisplusclair.Vousmeconnaisseztous.Resterais-jeici,prêtàrenonceràlaviesansraison?

Unsilencegênéluirépondit.

Soudainréconfortée,Maggielescontemplaitenespérantungeste,maiselledéchantavite.Ilsn'avaientsimplementpasl'habitudedeprendredesinitiativesetnepensaientjamaisqu'àleurpetitepersonne.Pasdequoisusciterlemoindreactederébellion.

Iln'yavaitpasnonplusgrand-choseàattendredesesclaves.Quepourraient-ilsfaireàmainsnuescontredesgardesarmés?Ilsavaientpeur,ilsétaientmalheureux,maisilsavaientdéjàvucegenredechasse.Ilssavaientqueriennepourraitl'arrêter.

—Cettejeunefilleestvenuepaisiblementànous,continuaitDelosenposantlamainsurl'épauled'Arcadia,danslebutdenoueruneallianceentresorcièresetvampires.Pourtouteréponse,nousavonstentédelatuer.Jevousledismaintenant,envoulantrépandresonsanginnocent,vousvousrendreztouscoupablesd'uncrimequevousregrettereztôtoutard.

Autremouvementdegêne-parmilesfemmes.

Dessorcières?sedemandaMaggie.

—Qu'onlefassetaire!aboyaHunter.

Cettefois,ilsemblaits'adresseràquelqu'unenparticulier.MaggiesuivitsonregardettombasurSylvia.

—Ilfautmuselercertainesbêtesavantdelestraquer,luilançaHunter.Àtoidefairelenécessaire.Lachassevacommencer.

SylviafitunpasquelquepeuhésitantversDelos,quiladéfiaitduregarddes'approcherencore.

—Gardes!lançaHunterRedfernd'untonlassé.

Lesgardess'avancèrent.Ilsportaientdeuxsortesdelances,l'uneàlapointedemétal-sansdoutedestinéeauxhumainsetauxsorcières-l'autreàlapointedebois.Pourlesvampires.SiDelosneseméfiaitpas,ilpourraitsevoirtranspercésurplace,avantquelachassenecommence.

—Qu'ilcessedementir!ordonnaHunterRedfern.

Sylviaouvritsonpanier.

—Danslenouvelordredumillénaire,annonçaHunterpourcontrerlesparolesdesonarrière-petit-fils,nousauronsdetelleschassestouslesjours.Chacund'entrenousposséderaunevillehumaineentièrepourypuisersongibier.Unevilledegorgesàtrancher,unevilledechairàdévorer.

Sylviafouillaitdanssonpaniersansplussemontrereffarouchéeparlaprésenceduprince,puisqu'ilétaitmaintenantentouréd'uneforêtdelances.

—Sylvia,lançapaisiblementArcadia.

L'intéresséerelevalatête.

—Nousseronstousdesprinces...continuaitHunterRedfern.

—SylviaWeald,ditArcadia.

Sylviabaissalesyeux.

—Nemeparlepas.Tun'es...jenesuisplusdesvôtres.

—Ilvoussuffirademesuivre,proclamaitHunter.

—SylviaWeald,disaitArcadia,tuesnéesorcière.

Tonnomestsynonymedeforêtverdoyante,deboissacré.Tuesfilled'Hellewiseetleserasjusqu'àtamort.

Tuesmasœur.

—C'estfaux!crachaSylvia.

—Tunepeuxrienychanger.Riennesauraitbriserlelien.Auplusprofonddetoncœur,tulesais.EtentantqueDemoiselledetouteslessorcières,aunomd'Hellewise,FemmedelaTerre,jet'enconjure,briselesortilègequetuasjetéàcegarçon!

Riendeplusétrangequed'entendrecettevoix...

venantcertesd'Arcadia,maissemblantémanerd'uneautreforme—d'unesorted'auraquil'entouraittoutentière.Commesiellesedoublaitd'unautreêtrepluspuissant,unegrandefemmeauxcheveuxaussiblondsqueceuxdeSylvia.

Celle-cinesutquebalbutier:

—Hellewise...

Desoncôté,Hunterpoursuivaitsadiatribe,maisMaggienel'entendaitplus,ellenevoyaitqueSylvia,figée,latêtebasse,tremblantdetoussesmembres.

Enfaisantappelàlaloyauté,seditMaggie.

—Sylvia,j'aiconfianceentoi,lança-t-elle.

Celle-ciposasurellesesgrandsyeuxvioletseffarés.

—TantpispourcequetuasfaitàMiles.Jesaisquetutesensperdue,malheureuse.Maisvoilàtachancedetoutarranger.Tupeuxfairequelquechose...d'important.Quelquechosequivachangerlemonde.

—Desrivièresdesang,disaitHunter.Etpersonnepournousarrêter.Nousn'auronsdecessederéduireleshumainsenesclavage.Désormais,lessorcièressontnosennemies.Pensezàvotrepuissancelorsquevousboirezleursvies!

—SitulaissestuercettePuissancesauvage,tuserasresponsabledel'arrivéedesténèbres,continuaitMaggie.Àtoiseule.Cartueslaseuleàpouvoirempêchertoutcelaimmédiatement!

Sylviaportaunemaintremblanteàsajoue,commesielleétaitsurlepointdes'évanouir.

—Veux-tuvraimentresterdansl'histoirecommecellequiadétruitlemonde,demandaMaggie.

—EntantqueDemoiselledetouteslessorcières...

ditArcadia.

Uneautrevoixplusgraverenchéritenécho:

—EntantqueMèredetouteslessorcières…

—EtaunomdeHellewise...

—Etaunomdemesenfants…

—PuisquetuesuneFemmedelaTerre...Puisquetuesmaproprefille,unevraieFemmedelaTerre…

—Jet'adjure!conclutArcadia,d'unedoublevoixsipuissantequ'elleinterrompitHunter.

Elletroublatoutlemonde.Pendantuninstant,ilrégnaunsilencedeplombsurcettecour,tandisquelestêtessetournaiententoussenspourtâcherdevoirquiavaitparlé.

Sylvianeregardaitqu'Arcadia.

Sesyeuxvioletssefermèrentetsoncorpseutunsoubresaut.Quandellerepritlaparole,cefutdansunsoufflequeseuleMaggieputpercevoir:

—EntantquefilledeHellewise,j'obéis.

Là-dessus,elleposalamainsurlebrasdeDelos,etilfitdemême,commepourscellerunpacte.Huntervociférait,maisMaggienecomprenaitplussesparoles,nicellesdeSylvia,qu'ellevoyaitremuerles

lèvresenserrantlepoignetdeDelos.

EllevitaussilalanceseplanterdanslecœurdeSylvia.

AlorsellecompritcequeHuntervenaitdehurler.Legardel'avaittuée,commeilvenaitdel'ordonner.Etlajeunefemmes'effondraitenarrière,sabellerobeverteinondéedesang.

—Troptard,murmura-t-elledansunsourire.

Delosseretourna,sachemiseblancheauréoléederouge.

Lesien,s'avisaMaggie.

Ilavaitétéblesséenessayantdes'interposer.Maisilneregardaitquesonarrière-grand-père.

—C'estlàquetouts'arrête!

ElleavaitdéjàvulaFlammebleue,maisjamaisainsi,dansuneexplosionquifrappalàoùsetenaientHunterRedfernetsesplusfidèlesalliés.Leurscorpsfurentemportésenunejaillissantecolonnebleuélectriquequiallaitetvenaitentrecieletterre,commesilesoleiltombaitdevantlechâteau.

Chapitre19

Agenouilléeausol,MaggiesoutenaitSylviadesonmieuxpournepasenfoncerdavantagelemorceaudelancequirestaitfichédanssapoitrine.

Toutétaitfini.ÀlaplacedeHunterRedfernetdesesaffidésnerestaitqu'uncratèrefumant.Maggieserappelaitvaguementavoirvuquelquespersonnescourirseréfugierdanslescollines,dontGavin,lemarchandd'esclaves.Huntern'avaitpaseucettechance,prisaucœurdelaFlammebleue,riennerestaitdelui,pasunemèchedesescheveuxrougesprouvantqu'ilaitjamaisexisté.

Delosmisàpart,pasunecréaturedelanuitnesubsistaitdanscettecour.

Quantauxesclaves,ilsémergeaienttoutjustedeleurshuttes.

—C'estbon!criaitJeanne.Vousm'avezentendue,toutvabien!Delosn'estpasdangereux;Paspournous,entoutcas.Venez,sortezdelà...Qu'est-cequevousavezbesoindevouscachercommedesrats?

—Elleestdouée,lançaunevoixgrave.

Levantlatête,Maggiedécouvritlahautesilhouettemaigreetlapetitefilleaccrochéeàsontablier.

—Blanchisseuse!Oh,ettoi,Polly...jesuistellementcontentedevousvoir!Mais,oh,Blanchisseuse,situpouvais...

Laguérisseuses'agenouilla,échangeaunregardavecSylvia;sonvisageétaitd'unepâleurcrayeuse,sesyeuxauréolésd'ombresressemblantàdesecchymoses.Unpeudesangcoulaitaucoindesabouche.

—Jesuisperdue,balbutia-t-elle.

—Ellearaison,ditBlanchisseusesansménagement.

Onnepeutplusrienfairepourelle,Libératrice.

—JenesuislaLibératricedepersonne,protestaMaggie,lesyeuxpleinsdelarmes.

—Pourunpeu,jetecroirais.Maisjetevoisassiseici,avectouscesesclaveslibérésautourdetoi.Tuesarrivée,etlaprophéties'estréalisée.Situn'yespourrien,lacoïncidenceesttroublante.

Rougissantsousceregardsévère,MaggiesepenchaversSylvia.

—Maisc'estellequinousasauvés,assura-t-elle.

Ellemériteunminimumdereconnaissance...

—Iln'yapasqu'ellequinousaitsauvés,renchéritDelos.

—Non,reconnutMaggie.Toiaussi.

—Cen'estpascequejevoulaisdire.

Àsontour,ils'agenouilla,effleural'épauledeMaggie,caressalefrontdeSylvia.

—Jenepuisfairequ'unechosepourtoi.Ledésires-tu?

—Moi,devenirvampire?murmuraSylvia.Non.

D'autantqu'avecduboisfichésiprèsdemoncœur,jenepensepasquecelaréussirait.

Lagorgeserrée,Maggiecontemplalemorceaudelancecassée.

—Onpourraitl'ôter...

—Jen'ysurvivraispas.Laissetomber,pourunefois.

SylviafitencorenondelatêteetMaggiesesentittenuedel'admirer;mêmeauseuildelamort,elleavaitencorelaforcedesemontrerdésagréable.

—Ecoute,repritcelle-ci.Jedoisteparler.Detonfrère.

Maggies'apprêtaàrecevoirlaterriblenouvelle.

—Oui.

—Ilm'énervait,tusais?Jemettaismesplusbeauxvêtements,jemecoiffais,onsortait...etluineparlaitquedetoi.

—C'estvraii?ditMaggiedéconcertée.

Ellenes'attendaitpasdutoutàça!

—Ilparlaitdesasœur.Sicourageuse.Siintelligente.

Sirésolue.

ElleavaitentenduMilesluireprocherdescentainesdechoses,mais,jamaisreconnaîtresonintelligence.

—Ilnepouvaitsupporterqu'ondisedumaldetoi...

etjet'enaidétestée.Maislui...jel'aimaisbien.

LavoixdeSylvias'affaiblissait.Arcadiavintaussiprèsd'elle,caressasescheveuxbrillants.

—Tun'enaspluspourlongtemps,luiannonça-telle.

Sylviaclignadesyeux,commesiellecomprenait.PuisellesetournaversMaggie.

—J'aiditàDelosquejel'avaistué.Mais...j'aimenti.

Etouffantunsoupir,Maggiesentitsoncœurs'emballer.

—Tunel'aspastué?Ilestvivant?

—Jevoulaislepunir...maisjevoulaisaussiqu'ilresteprèsdemoi...

Prisedevertige,Maggiesepenchaauplusprèsduvisagelividedelajeunefemme.

—Jet'enprie,dis-moicequetuasfait!

—Jel'ai...changé,marmonnalavoixmélodieuse.

J'enaifaitunmétamorphe...etj'yaiajoutéunsortilège.Ilnepouvaitredevenirhumainquequandjelevoulais.

—Quelgenredesortilège?intervintvivementArcadia.

Sylviaémitunesortedesoupirlointain.

—Rienquetunepuisseschanger.Demoiselle...Iltesuffirad'ôterlabandedecuirdesajambe.Ilresterapourtoujoursunmétamorphe...maistulereverras...

Soudain,savoixenflalégèrementetMaggieserenditcomptequelesyeuxcernéslaconsidéraientavecunriendemalice.

—Tuessibrillante...jesuiscertainequetutrouverasquelanimal...

Uncriétrangléluiéchappa,commeMaggien'enavaitjamaisentendu;ellecompritquec'étaitlàlederniersoupirdeSylvia.

Lecorpsdanslarobevertesecambra,puisretomba,inerte;lesyeuxvioletsembuésderoséerestaientouvertssurleciel,maisn'offraientplusaucuneexpression.

Arcadiaposaunemainfinesurlefrontpâle.

—DéessedelaVie,reçoiscettefilledeHellewiseetguidelaversl'autremonde.Elleemporteavecellelabénédictiondetouteslessorcières.

MaggiesedemandasilasilhouettelumineusequiavaitentouréArcadiaallaitrevenir.MaisellenevitquelebeauvisagedelaDemoiselle,avecsonjoliteintcaféaulaitetsonregardaveugleemplidecompassion.

EtArcadiapassadoucementlapaumesurlesyeuxdeSylviapourlesfermer.

Maggieeutbeauserrerlesdents,elleneputretenirunsanglot,jusqu'àcequelesbrasdeDelosviennentl’étreindre;elleyenfouitlevisage,etcelalasoulagea.

Sereprenant,quelquesminutesplustard,elles'aperçutqu’ellesesentaitcommerevenuedanssonrêveoùl'avaithabitéeunesiintenseimpressiondepaixetdesécurité.Cesentimentd'appartenance.

Tantquesonâmesœurseraitvivante,tantqu'ilsresteraientensemble,toutiraitbien.

Etpuiselles'aperçutquePollys'agrippaitàelleaussi,alorsellelâchaDelospourprendrel'enfantdanssesbras.

—Çava,gamine?

—Oui,reniflaPolly.Maintenant,oui.Çafaisaitpeur,maisc'estfini,heureusement.

Jeanneapparutsoudain,lesmainssurleshanches.

—Tiens,j'aimeraisbienm'enallercommeça,moiaussi,commenta-t-elle.Enfaisantàmaguise...etenassommanttoutlemondeaumomentdepartir.

Choquée,Maggielevalatête,toussamaisneversaplusunelarme.

—Jenesaispaspourquoijememetsdanscetétat,commenta-t-elle.Sylvian'étaitpasgentille.J'aimêmeeuenviedelatuer.

—C'étaitunepersonne,affirmaDelos.

Sansdoutelaplusbelledesoraisonsfunèbres,seditMaggie.

—Alors?demandaJeanne.Tusaisenquelanimaltonfrèreaététransformé?

—Euh...oui,jecrois.Delos,sais-tucequesignifielenomdeGavin?Pourunmétamorphe?Est-ceunfaucon?

—C'estcela,eneffet.

UneboufféedeplaisirtraversaMaggie.

—Alors,jesais,déclara-t-elleenserelevant.Oùpouvons-noustrouverlefauconquil'accompagnaitlejourdenotrerencontre?

—Ilfaudraitpeut-êtrevoirducôtédesécuries,suggéraDelos.

Ilss'yrendirent,suivisd'unefoulecurieuseetfascinée.Parmieux,MaggiereconnutVieilleRepriseuse,quiriaitetcaquetait,ainsiqu'Arroseuse,quin'avaitplusl'aireffrayédutout,etaussiVideusedepotsdechambre...

—Ilvavraimentfalloirqu'ontetrouveunnouveaunom,maugréa-t-elleàl'adressedecettedernière.Tupourraist'enchoisirun?

Lagrandefilleauxyeuxdouxluiréponditd'unsouriretimide.

—J'aientenduqu'unenobles'appelaitHortense...

—Trèsbien.

Ilsarrivèrentauxécuriesoùs'alignaientd'innombrablesperchoirs.Affolés,lesfauconssemirentàbattredesailes.Maggielestrouvatoussemblables.

—Cedoitêtreunnouveloiseau,ditDelos.Peut-êtrecelui-ci.Est-cequelefauconnierestparici?

Pendantquetoutlemondepartaitàsarecherche,JeanneserapprochadeMaggie.

—Jevoudraisbiensavoircommenttuasdeviné.TusavaisqueGavinétaitunmétamorphe?

—Non,maisçam'asemblélogique,puisqueBernenétaitun.Ilsparaissaientavoirlesmêmesréactions,touslesdeux.EtArcadiaaracontécommentSylvias'étaitoccupéedeMilesdanssonappartement.BernetGavinyétaientdéjà.Alorsilsemblenaturelqu'elleaitpoussél'und'euxàtransformerMiles.

—Maisqu'est-cequit'afaitdirequeGavinétaitunfaucon?

—Jenesaispas,je...ilenavaitunpeul'air.Toutmince,doré.Etpuis,ilarejointtropviteleschasseursaprèsavoirquittéDelosauboutdesrochers.Jeneconnaissaispasleslieuxàcemoment-là,maisçaadûmeresterdansuncoindel'esprit.

—Quandmême...

—Bon,enfait,j'imaginaisaussiqueMilesdevaitêtreunfaucon.Sylvial'aimaitbien,ellen'enauraitpasfaituncochon,untigreouunourssiellevoulaitlegarderprèsd'elle.Jel'aivueaveccefaucon,lepremierjour.Unanimalproche,qu'ellepouvaitcontrôler,unesorted'accessoire...çasemblaitlogique.

Jeanneémitunsoupirdubitatif.

—Àmonavis,tuasquandmêmeeuuncoupdebol.

Maggieneréponditpas,caronluiamenaitunpetithommeauvisagemince...Fauconnier.

—Onneseconnaîtpasencore,commença-t-elle.

Maisçadevraits'arranger.

Ilavaitapportéunoiseau:

—Voiciledernier.LadySylviaabienprécisédenejamaisôterlabaguevertedesapatte...maisj’aiuncouteau.Voulez-vousvousencharger?

Retenantsonsouffle,Maggies'efforçadenepaslaissertremblersesmainstoutencoupantlabandevertémeraude.Enfinelleyparvint,etletempsd'uninstant,ellecrutquesoncœurallaits'arrêter,carriennesepassa.

Soudain,l'oiseaudéployasesailes,lesplumesfondirent,lecorpss'épaissit…

Fauconnierreculad'unbondpourlaisserdelaplaceàlaformehumainequisedéveloppait.

AlorsMilessetintdevantelle,lesourireauxlèvressoussescheveuxauburn.

Illevalepouce.

—Jesavaisquetumetireraisdelà.Sinon,àquoiserviraientlespetitessœurs?

Maggiesejetadanssesbras.

Passélesétreintes,leslarmesdesretrouvaillesetlesexplications,lesesclaves—ex-esclaves,disaitàprésentMaggie—commencèrentàserassemblerpourorganiserleurnouvellevie.

DelosetArcadiaenvoyèrentplusieursmessagersauDehors.

Ilrestaitbiendesélémentsàrégler;celaprendraitdesmois,desannéesdetravail,tousenétaientconscients.Maggiesavaitquesavieneseraitjamaispluslamême,quesonexistencedesimplelycéennes'achevaitlà.

Sonfrèreétaitdevenuunmétamorphe—aumoinsavait-ileulachancedetombersurunanimalqu'ilaimait.IlexpliquaitdéjààJeannecommentatteindrelesommetdesmontagnes.

ElleavaitpourâmesœurunePuissancesauvage.

Arcadialuiavaitexpliquécequeçaimpliquait.Entreautres,qu'ilsallaientdevoirêtreprotégésparlessorcièresetlecercledel'Aubejusqu'àl'arrivéedesténèbres;carl'interventiondeDelosseraitalorsessentiellepourqueleNightWorldnelestuepas.Etmêmes'ilssurvivaientjusqu'àlabataillefinale...ceseraitdur.

Elle-mêmeavaitchangéàtoutjamais.Ellesesavaitredevableenversleshabitantsdelavallée,quil'appelaienttoujours«Libératrice».Elleallaitdevoirleurapprendreàs'adapteraumondeduDehors.Sondestinseraitpourtoujoursliéauleur.

Maispourlemoment,ilsnesongeaientqu'às'alimenter.

—Venezauchâteau...voustous,ditsimplementDelos.

IlpritMaggieparlebrasetl'yentraîna.CefutalorsquePollytenditledoigtversleciel,aumilieudesmurmuresdelafoule.

—Lesoleil!

Eneffet,unelueurdoréeperçaitlesnuagesduroyaumedesTénèbres,exactementàl'endroitoùlaFlammebleueavaitjaillidelaterre.Lesoleilchassaitlabrume,révélantlevertémeraudedesarbressurlescollinesavoisinantes.

Etaumilieu,lechâteauscintillaittelunmiroir.

Unlieuenchanteur,songeaMaggieenregardantautourd'elle.C'estvraimentmagnifique!

Ellelevalatêteverslegarçonàcôtéd'elle,contemplantsescheveuxsombrestotalementemmêlés,sa

peauclaireetsestraitsélégants,saboucheauplitoujoursfieretvolontaire,maisaussipleinedetendresse.

Etsurtoutcesyeuxjaunedoré,ceregardintrépidequiladévisageaitcommesielleétaitl'êtreleplusimportantdel'univers.

—Jesupposequetoutescesprophétiesnesevérifientqueparleplusgranddeshasards,avança-tellesongeuse.Justeparcequelesgensordinairesessaientdeleurtrouverunsens.

—Iln'yariend'ordinairecheztoi,assuraDelosenl'embrassant.

«L'unedelaterrederoislongtempsoubliés;L'unedufoyeroùvitencorel'étincelle;L'uneduDayWorldoùdeuxyeuxveillent;L'uneducrépusculequiépouseral'obscurité.»