Nicolas Vial, dessinateur éjecté du "Monde" après 32 ans

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9/2/2014 Nicolas Vial, dessinateur éjecté du Monde après 32 ans - Arrêt sur images http://www.arretsurimages.net/contenu-imprimable.php?id=6526 1/3 > Cliquez sur l'image pour un gros plan < Hollande au Mali (23 avril 2013) > Cliquez sur l'image pour un gros plan < Hollande et le Hollandisme (3 mai 2013) enquête Le 07/02/2014 Par Sébastien Rochat NICOLAS VIAL, DESSINATEUR ÉJECTÉ DU MONDE APRÈS 32 ANS "Maintenant, il faut faire des dessins qui ne déplaisent pas" Un dessinateur éjecté au bout de 32 ans, un conseiller de l'Elysée qui aurait tenté de régler l'affaire sans la médiatiser, et une direction aux abonnés absents : difficile de dire si le bras de fer entre l'illustrateur Nicolas Vial et Le Monde relève de la censure ou d'un banal conflit interne. Une chose est sûre : l'histoire, évoquée par le magazine Causeur , apparaît hors norme en raison des différents protagonistes qui apparaissent au fil des mois. Joint par @si, le dessinateur du Monde donne sa version des faits. Point final à 32 ans de collaboration ! Depuis 2009, les dessins de Nicolas Vial -entré au Monde en 1982- illustraient, une fois par semaine, les pages "Débats". Jusqu'au mois de mai 2013, date de la fin de sa collaboration pour cette prestigieuse rubrique. Pour quelles raisons ? C'est tout l'enjeu de l'audience qui s'est tenue le 30 janvier aux Prudhommes de Paris. Contacté par @si, Nicolas Vial, qui s'est exprimé une première fois dans le numéro de février du magazine Causeur, livre sa version : "Le 3 mai 2013, je connais le thème des pages Débats depuis deux jours. J'appelle le journaliste pour être sûr que le thème n'a pas changé. Et là, je reçois un coup de fil du directeur artistique à qui je n'avais jamais eu affaire. En panique, il me demande si j'ai commencé le dessin. Je réponds oui. Et il me dit : arrête tout, ce n'est plus toi qui t'occupes de la page Débats". Les semaines précédentes, Vial avait publié deux dessins dans Le Monde sur François Hollande. Des dessins qui auraient déplu à son responsable, Nicolas Truong, absent du journal ces jours de publications selon le dessinateur. Les voici : Ces dessins sont-ils à l'origine de son éviction ? Vial en est persuadé, même s'il n'en a pas la preuve formelle. Car depuis quelques mois, son travail était devenu compliqué : "J'étais un peu le grain de sable et le grain de poivre des pages Débats, j'ai toujours été assez libre. Mais depuis que Nicolas Truong est devenu responsable de ces pages, il y a eu une sorte d'autocensure, une peur de déplaire aux actionnaires, au pouvoir". Alors qu'il devrait dépendre du directeur artistique, Vial assure qu'il a dû traiter directement avec Truong à son arrivée à la tête de la rubrique. Et c'est là que les choses se sont envenimées : pendant deux ans, de nombreux dessins auraient été refusés, davantage qu'à l'accoutumée, comme celui qui était censé illustrer ceux qui tiraient à boulets rouges sur le mariage pour tous. Nicolas Vial nous l'a transmis :

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Hollande et le Hollandisme (3 mai 2013)

enquête Le 07/02/2014 Par Sébastien Rochat

NICOLAS VIAL, DESSINATEUR ÉJECTÉ DU MONDE APRÈS 32 ANS"Maintenant, il faut faire des dessins qui ne déplaisent pas"

Un dessinateur éjecté au bout de 32 ans, un conseiller de l'Elysée qui aurait tenté de réglerl'affaire sans la médiatiser, et une direction aux abonnés absents : difficile de dire si le bras defer entre l'illustrateur Nicolas Vial et Le Monde relève de la censure ou d'un banal conflit interne.Une chose est sûre : l'histoire, évoquée par le magazine Causeur, apparaît hors norme en raisondes différents protagonistes qui apparaissent au fil des mois. Joint par @si, le dessinateur duMonde donne sa version des faits.

Point final à 32 ans de collaboration ! Depuis 2009, les dessins de Nicolas Vial -entré au Monde en 1982- illustraient,une fois par semaine, les pages "Débats". Jusqu'au mois de mai 2013, date de la fin de sa collaboration pour cetteprestigieuse rubrique. Pour quelles raisons ? C'est tout l'enjeu de l'audience qui s'est tenue le 30 janvier auxPrudhommes de Paris. Contacté par @si, Nicolas Vial, qui s'est exprimé une première fois dans le numéro de févrierdu magazine Causeur, livre sa version : "Le 3 mai 2013, je connais le thème des pages Débats depuis deux jours.J'appelle le journaliste pour être sûr que le thème n'a pas changé. Et là, je reçois un coup de fil du directeur artistiqueà qui je n'avais jamais eu affaire. En panique, il me demande si j'ai commencé le dessin. Je réponds oui. Et il me dit :arrête tout, ce n'est plus toi qui t'occupes de la page Débats".

Les semaines précédentes, Vial avait publié deux dessins dans Le Monde sur François Hollande. Des dessins quiauraient déplu à son responsable, Nicolas Truong, absent du journal ces jours de publications selon le dessinateur.Les voici :

Ces dessins sont-ils à l'origine de son éviction ? Vial en est persuadé, même s'il n'en a pas la preuve formelle. Cardepuis quelques mois, son travail était devenu compliqué : "J'étais un peu le grain de sable et le grain de poivre despages Débats, j'ai toujours été assez libre. Mais depuis que Nicolas Truong est devenu responsable de ces pages, ily a eu une sorte d'autocensure, une peur de déplaire aux actionnaires, au pouvoir". Alors qu'il devrait dépendre dudirecteur artistique, Vial assure qu'il a dû traiter directement avec Truong à son arrivée à la tête de la rubrique. Et c'estlà que les choses se sont envenimées : pendant deux ans, de nombreux dessins auraient été refusés, davantage qu'àl'accoutumée, comme celui qui était censé illustrer ceux qui tiraient à boulets rouges sur le mariage pour tous.Nicolas Vial nous l'a transmis :

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De son côté, Vial assure qu'il ne s'est jamais expliquéavec Truong : "Je ne l'ai jamais eu au téléphone, on nem'a jamais expliqué pourquoi j'avais été écarté despages Débats", affirme l'illustrateur. La suite de sacollaboration au Monde tourne au cauchemar : pendantquelques mois, on lui commande quelques dessinspour d'autres rubriques, dans des délais toujours pluscourts. "Mon avocat m'a conseillé de tous lesaccepter", confie Vial. Et celui-ci d'ajouter : "J'ai vécuce que je ne connaissais pas encore et ce quebeaucoup de gens vivent : le harcèlement moral". Il aété payé jusqu'en octobre. Et depuis, plus rien. Vial aété en arrêt maladie pendant plusieurs semaines, entrefin octobre et mi-novembre. Il assure n'avoir jamais étérecontacté par le journal. Au Monde, personne ne l'areçu, ses demandes d'entretien sont restées sansréponse.

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Dessin refusé

Si la validation ou le refus de dessins fait partie du travail quotidien, Vial assure que Truong était très frileux. Encoreplus que ses supérieurs. Exemple avec le dessin sur Pole emploi, au moment où un bénécifiaire s'est immolé. Viallivre alors ce dessin :

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Le dessinateur nous assure que Truong souhaitait le refuser, le trouvant trop violent. Mais au moment où Vial tented'argumenter, Alain Frachon, directeur de la rédaction par intérim à l'époque, serait passé par hasard dans le bureauet aurait apprécié le dessin. Il a donc été publié.

Pour Vial, pas de doute : ce sont bien ces relations avec Truong qui expliqueraient son éviction. "Je n'ai jamais eu decensure au Monde, je m'entendais très bien avec les anciens directeurs, Eric Fottorino et Érik Izraelewicz. Mais ças'est mal passé par la suite à cause de l'autocensure de Truong. Il voulait des dessins aseptisés, qui ne dérangentpas". Joint par @si, Nicolas Truong refuse de parler : "Il y a une procédure en cours [aux Prudhommes]. En tant quemembre de l'équipe, on m'a demandé de ne pas parler".

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UN CONSEILLER DE HOLLANDE SERAIT INTERVENU EN FAVEUR DE L'ILLUSTRATEUR

Vial se décide finalement à porter l'affaire devant les Prud'hommes. C'est alors qu'entre en scène le conseiller médiade François Hollande, David Kessler. Nicolas Vial le connaît depuis l'époque de Jospin, quand Kessler était conseillerpour la culture et la communication du Premier ministre. "C'est quelqu'un de très sympathique, c'est le seul qui m'aaidé alors que personne ne m'a reçu au Monde" dit Vial. Le dessinateur l'appelle en décembre 2013 pour lui racontersa situation. Kessler lui aurait conseillé de ne pas parler à la presse et s'engage à en parler à Louis Dreyfus,président du directoire du Monde.

Pourquoi Kessler ne voulait-il pas que l'affaire sorte dans la presse ? "Ca fait un peu désordre. Daumier est allé enprison pour des dessins sous Louis-Philippe, nous dit Vial. J'ai fait des caricatures sous Sarkozy, je n'ai pas été viré.Alors là, sous Hollande...". Joint par @si, au cours d'un bref appel, Louis Dreyfus, président du directoire du Monde,conteste la version de Nicolas Vial. A-t-il été contacté par Kessler ? "Non, jamais", assure Dreyfus. Contacté, DavidKessler n'a, quant à lui, pas donné suite à nos appels.

POUR LE MONDE, VIAL N'A JAMAIS ÉTÉ LICENCIÉ

Le 30 janvier, direction les Prud'hommes. Le récit de l'audience varie selon les protagonistes. D'après Nicolas Vial etson avocat Guillaume Sauvage, Le Monde aurait tenté de repousser la procédure pour gagner du temps. "L'avocate dujournal avait imprimé tout mon site web, ils ont voulu me faire passer pour un peintre", raconte Vial. Sous-entendu : ilfallait revoir la procédure, le qualificatif d'illustrateur n'était pas le bon. Contactée par @si, l'avocate du Monde, SarahJane Mirou, conteste : "A aucun moment, on n'a cherché à retarder quoi que ce soit. On a simplement dit qu'il étaitpeintre car les prud'hommes veulent toujours connaître les activités exactes d'un pigiste pour savoir le temps qu'ilconsacre à ce travail". En l'occurrence, pour Vial, sa collaboration avec Le Monde est centrale : grâce à ses avisd'imposition, le dessinateur a pu prouver que 100% de ses revenus 2013 provenaient du Monde, son activité de peintreétant déficitaire.

Sur le fond, c'est version contre version. A l'audience, l'avocate du quotidien a déclaré que la direction du Mondeaimait beaucoup Vial et qu'elle a reçu l'ordre de n'en dire aucun mal. Alors où est le problème ? Nulle part. Ledessinateur n'aurait jamais été licencié : "Dès que M. Vial a exprimé son impression d'avoir été débarquée, Le Mondea voulu le rassurer, nous assure Mirou. Mais le problème, c'est qu'il estime que ses dessins ne doivent être publiésque dans les deux pages Débats". Ah bon ? Pourtant, il avait accepté de mai à octobre de travailler pour d'autresrubriques, non ? Face à notre remarque, l'avocate n'a pas de réponse... et sort un nouvel argument : "Le Monde acherché à le joindre après son arrêt maladie, en décembre 2013, mais il n'a pas retourné les appels". Qui a cherché àle joindre ? "Je ne pourrais pas vous répondre, j'imagine que c'est le directeur artistique". Une version que conteste ledessinateur. Vial explique, qu'à l'audience, l'avocate du Monde aurait plutôt minimisé son travail en rappelant que lejournal a "un vivier d'illustrateurs" et que c'est à eux de se manifester. "Comme s'il suffisait d'apporter un dessin à larédaction pour qu'il soit publié, grince Vial. En 32 ans de collaboration, j'ai toujours eu des commandes partéléphone". Il maintient qu'il n'en aurait plus eu depuis octobre.

Quant à son éviction de la page Débats dès le mois de mai 2013, là aussi, Le Monde estime qu'il n'y a pas deproblème étant donné qu'il n'y a pas d'exclusivité de rubriques pour les illustrateurs. Pas d'exclusivité, donc pasd'éviction. Une attitude jugée condescendante par l'avocat du dessinateur, Guillaume Sauvage : "Vial est là depuis1982 et illustrait les pages Débats depuis 2009", relève l'avocat. En clair, dans ce vivier, ce n'était pas n'importe queldessinateur. Quant au fait que la direction du Monde n'a jamais donné suite à ses demandes d'entretien, la réponsedu journal est implacable : vu qu'il n'a pas été licencié, il n'y avait pas de problème. Et l'avocate du quotidien deconclure : "A aucun moment, Le Monde n'a souhaité se séparer de M. Vial. Il est le bienvenu". Un vrai dialogue desourd donc, les deux récits sont complètement contradictoires : Vial assure avoir été écarté du journal, Le Mondeprétend n'avoir jamais voulu s'en séparer. Une manière pour le quotidien de se couvrir face à une situation sociale quilui a échappé ? Une chose est sûre, à entendre le dessinateur, la rupture paraît consommée.

"MAINTENANT, IL FAUT FAIRE DES DESSINS QUI NE DÉPLAISENT PAS"

Dans son combat, qui illustre la précarité des pigistes, Vial assure avoir le soutien de plusieurs membres de larédaction. A commencer par le dessinateur Plantu. Ce dernier lui a écrit une lettre de soutien, transmise au tribunal.L'avocat de Vial, tout en refusant de nous la transmettre, nous l'a lue au téléphone. Dans ce courrier, Plantu vante laqualité du travail de Vial et conclut par cette phrase : "Il serait inconcevable qu'il ne puisse pas trouver une place aujournal comme les autres dessinateurs et éditorialistes". Fin de l'audience. La décision des Prud'hommes doitintervenir début avril.

Vial (on le comprend) porte un regard très critique sur le journal avec lequel il a cumulé 32 ans de CDD : "Maintenant,il faut faire des dessins qui ne déplaisent pas, il ne faut pas faire de vagues, rien qui dérange. Il y a une langue debois terrible qui règne au journal". Aujourd'hui, l'illustrateur est dans une situation financière tendue : "Il a demandéaux Prud'hommes que son statut de pigiste pendant 32 ans soit considéré comme un CDI et réclame donc desindemnités, nous précise son avocat. Car aujourd'hui, il est sans activité et sans revenu : en tant que pigiste, il nepeut réclamer les Assedics". Natalie Nougayrède, directrice du Monde, ne nous a pas rappelé.

____________Maj 8 février : rajout des réponses de l'avocate du Monde.

Mots-clés : caricature, David Kessler, dessins de presse, Le Monde, Nicolas Sauvage, Nicolas Truong, Nicolas Vial