Ngô Bảo Châu Médaille Fields 2010 - animath.fr · 1897, le suivant à Paris en 1900. En 1924,...

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www.univ-paris13.fr Ngô Bo Châu (selon l'usage vietnamien, son nom de famille, Ngô, est mis devant le prénom (Bo Châu) est un mathématicien franco-vietnamien qui a obtenu le prix le plus prestigieux en mathématiques, la médaille Fields, en 2010. Cette plaquette présente 1° ce qu'est ce prix et 2° qui est ce mathématicien. Les médailles Fields Ngô Bo Châu Médaille Fields 2010 Depuis la fin du XIX e siècle, les mathématiciens du monde entier se réunissent tous les quatre ans (avec des inter- ruptions pendants les guerres mondiales) dans un grand congrès, le congrès international des mathématiciens (CIM, ou ICM en anglais). Le premier eut lieu à Zürich en 1897, le suivant à Paris en 1900. En 1924, lors du congrès CIM à Toronto, au Canada, le mathématicien canadien John C. Fields proposa de décerner des médailles pour récompenser les chercheurs ayant permis des progrès remarquables en mathématiques. Il n'y avait pas à l'époque de prix prestigieux en mathé- matiques : Alfred Nobel, dans son testament où il léguait la totalité de son immense fortune pour créer la fonda- tion qui attribuerait les prix « Nobel » avait en effet exclu les mathématiques. Les prix Nobel étaient attribués de- puis 1901 en physique, chimie, biologie, littérature et pour la paix — mais pas en mathématiques ! De nombreuses explications, aussi amusantes que fausses, sont données à cette absence : l'une d'elles est que la femme de Nobel aurait eu une aventure avec un célèbre mathématicien ; histoire d'autant plus fausse que Nobel n'était pas marié, et que sa compagne ne semble pas avoir eu de liaison en dehors de leur couple. Les premières « médailles Fields » furent décernées au congrès d'Oslo en 1936. Fields, qui était mort en 1932 voulait que la médaille soit certes une récompense, mais aussi un encouragement. C'est pourquoi, la médaille distingue des mathématiciens qui ont 40 ans ou moins, ce qui est très différent du prix Nobel, très souvent donné à des scientifiques dont l'essentiel de l'œuvre est derrière eux. Deux à quatre médailles Fields sont décernées tous les 4 ans, lors de la cérémonie d'ouverture du congrès international des mathématiciens. Au total 52 médailles ont été décernées, dont 11 à des Français, ce qui permet à la France de talonner les États-Unis en termes de nombre de médailles. C'est au dernier congrès international, qui s'est déroulé en août 2010 à Hyderabad en Inde, que Ngô Bo Châu a été récompensé, en compagnie de l'israélien Elon Lindens- trauss, de l'université de Jérusalem, du russe Stanislav Smirnov, de l'université de Genève et du français Cédric Villani, de l'École normale supérieure de Lyon et actuelle- ment directeur de l'institut Henri Poincaré à Paris.

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Ngô B!o Châu (selon l'usage vietnamien, son nom de famille, Ngô, est mis devant le prénom (B!o Châu) est un mathématicien franco-vietnamien qui a obtenu le prix le plus prestigieux en mathématiques, la médaille Fields,en 2010. Cette plaquette présente 1° ce qu'est ce prix et 2° qui est ce mathématicien.

Les médailles Fields

Ngô B!o Châu Médaille Fields 2010

Depuis la fin du XIXe siècle, les mathématiciens du monde entier se réunissent tous les quatre ans (avec des inter-ruptions pendants les guerres mondiales) dans un grandcongrès, le congrès international des mathématiciens(CIM, ou ICM en anglais). Le premier eut lieu à Zürich en1897, le suivant à Paris en 1900. En 1924, lors du congrèsCIM à Toronto, au Canada, le mathématicien canadienJohn C. Fields proposa de décerner des médailles pourrécompenser les chercheurs ayant permis des progrèsremarquables en mathématiques.

Il n'y avait pas à l'époque de prix prestigieux en mathé-matiques : Alfred Nobel, dans son testament où il léguaitla totalité de son immense fortune pour créer la fonda-tion qui attribuerait les prix « Nobel » avait en effet exclules mathématiques. Les prix Nobel étaient attribués de-puis 1901 en physique, chimie, biologie, littérature et pourla paix — mais pas en mathématiques ! De nombreusesexplications, aussi amusantes que fausses, sont donnéesà cette absence : l'une d'elles est que la femme de Nobelaurait eu une aventure avec un célèbre mathématicien ;histoire d'autant plus fausse que Nobel n'était pas marié,et que sa compagne ne semble pas avoir eu de liaison endehors de leur couple.

Les premières « médailles Fields » furent décernées aucongrès d'Oslo en 1936. Fields, qui était mort en 1932 voulait que la médaille soit certes une récompense, mais aussi un encouragement. C'est pourquoi, la médailledistingue des mathématiciens qui ont 40 ans ou moins,ce qui est très différent du prix Nobel, très souvent donnéà des scientifiques dont l'essentiel de l'œuvre est derrièreeux. Deux à quatre médailles Fields sont décernées tousles 4 ans, lors de la cérémonie d'ouverture du congrès international des mathématiciens. Au total 52 médaillesont été décernées, dont 11 à des Français, ce qui permetà la France de talonner les États-Unis en termes de nombre de médailles.

C'est au dernier congrès international, qui s'est déroulé enaoût 2010 à Hyderabad en Inde, que Ngô B!o Châu a été récompensé, en compagnie de l'israélien Elon Lindens-trauss, de l'université de Jérusalem, du russe StanislavSmirnov, de l'université de Genève et du français Cédric Villani, de l'École normale supérieure de Lyon et actuelle-ment directeur de l'institut Henri Poincaré à Paris.

Études et carrière

Ngô B!o Châu Médaille Fields 2010

Ngô B!o Châu (nom de famille : Ngô) est né en 1972 à Hanoi au Viêt-Nam, pendant la guerre qui opposait le Vietnam du Nord et ses alliés du Viêt-Cong aux États-Unis. C'est au printemps 1975 que la guerre se terminapar le départ des troupes américaines, mettant ainsi unpoint final à presque 30 ans de guerre de libération coloniale et postcoloniale. À elle seule, la guerre contreles États-Unis avait fait des millions de victimes civiles etmilitaires. Le jeune B!o Châu a donc grandi pendant que le Vietnam, réunifié après le départ des troupes américaines, se reconstruisait.

Il a fait toute sa scolarité à Hanoi. Après sa scolarité primaire, il est accepté dans une classe spécialisée enmathématiques du collège Trung Vuong à Hanoi, aprèsavoir échoué au concours d'entrée l'année précédente. Sa scolarité se poursuit à l'École supérieure des sciencesnaturelles, un lycée pour jeunes talentueux qui dépend de l'université du Vietnam. Il y obtient le diplôme de find'études secondaires en 1989.

En 1988 et 1989, il obtient une médaille d'or aux Olympiadesinternationales de mathématiques, cette compétition mathématique qui rassemble les meilleurs lycéens de laplanète. Après une année d'études au Viêt-Nam, il obtientune bourse pour étudier en France à l'Université Pierre et Marie Curie. En 1992, il est reçu premier au concoursd'entrée à l'École normale supérieure de la Paris (il s'agit duconcours « parallèle », pour étudiants français et étrangers).Il poursuit ses études par un diplôme d'études approfondies,puis une thèse soutenue en 1997 à l'Université Paris-Sud,sous la direction de Gérard Laumon.

En 1998, il est nommé chargé de recherche au CNRS, un premier poste qui lui permet de se consacrer entière-ment à la recherche pendant plusieurs années. Il choisitd'être affecté à au laboratoire Analyse, Géométrie et Applications (LGA) de l'Université Paris 13, en raison del'excellence de l'équipe d'arithmétique et géométrie algébrique. Il obtient son habilitation à diriger les recherches en 2003 à l'Université Paris 13. En 2004, il est nommé professeur à l'Université Paris-Sud.

La même année, il obtient le titre de professeur de mathématiques au Vietnam. Établir des liens de coopéra-tion avec le Vietnam est pour lui une préoccupationconstante depuis le début de sa carrière. L'UniversitéParis 13 est d'ailleurs devenue, sous son impulsion, un acteur majeur de cette coopération.

Entre 2007 et 2010, il est membre de l'Institut d'étudesavancées de Princeton, là même où Einstein fut profes-seur après son arrivée aux États-Unis à partir de la fin desannées 1930. Depuis la rentrée 2010, il est professeur àl'université de Chicago.

B!o Châu est marié, père de trois enfants.

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Description des travaux de Ngô B!o Châu

Ngô B!o Châu Médaille Fields 2010

Ngô B!o Châu est spécialiste de théorie des représentationset formes automorphes, une branche particulièrement active du domaine général de la théorie des nombres, danslaquelle on étudie, au départ, les propriétés de divisibilitédes nombres entiers. C'est un domaine particulièrement difficile, et particulièrement difficile à expliquer. Mais on peutau moins montrer, à partir de cet exemple, en quoi consistela recherche mathématique contemporaine.

Esquisse historique. L'étude des propriétés des nombresentiers, et en particulier des nombres premiers (ceux quin'ont pas de diviseur autre que 1 et lui-même) est un sujetcentral des mathématiques depuis l'Antiquité. On sait parexemple depuis les Grecs qu'il existe une infinité de nom-bre premiers. Ce domaine, appelé théorie des nombres,ou arithmétique, a toujours eu une place centrale dans lesmathématiques, motivant le développement de théoriesmathématiques de plus en plus sophistiquées.

Ainsi, la démonstration du fameux « théorème de Fermat »,qui stipule qu'il n'y a pas de solution non nulle entière àl'équation :

x n + y n = z n

pour n entier supérieur ou égal à 3 a demandé plus detrois siècles d'efforts avant que le mathématicien anglaisAndrew Wiles n'en donne une démonstration en 1994.

L'étude des propriétés des nombres entiers exige en effetdes outils très élaborés, qui ont été construits progressi-vement, d'abord pendant l'Antiquité grecque, puis en Inde.À Bagdad, au IXe et au Xe siècles, les mathématiciensarabes ou musulmans purent pousser l'étude de l'algèbreplus loin, grâce à leur connaissance simultanée des deuxtraditions, la tradition grecque et la tradition indienne.Enfin, à partir de la Renaissance européenne jusqu'à nosjours, cette étude n'a cessé de faire des progrès. C'est en sehissant sur les épaules de ses prédécesseurs que Wiles apu aboutir à la démonstration du théorème de Fermat, nonsans avoir lui même accompli un travail extraordinairepour franchir les derniers mètres de cette ascension.

Distinctions

2004 : Prix de recherche Clay (avec Gérard Laumon)

2006 : Conférencier invité, congrès international des mathématiciens, Madrid

2007 : Prix Oberwolfach

2010 : Conférencier plénier, congrès international des mathématiciens, HyderabadMédaille Fields

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Ngô B!o Châu Médaille Fields 2010

Description des travaux de Ngô B!o Châu (suite)

À partir de la fin du XIXe siècle, l'étude des fonctions « modulaires » ou automorphes, par Henri Poincaré etd’autres, s'est imposée comme un domaine majeur desmathématiques, avec des applications à la théorie desnombres. C'est justement un des outils utilisés par Wilespour la démonstration du théorème de Fermat. Des géné-ralisations successives ont abouti, dans les années 1950 et1960 à une théorie générale des fonctions automorphes sur les groupes « semi-simples » grâce aux travaux des mathématiciens I. M. Gelfand (mathématicien russe récemment disparu) et Harish Chandra (mathématicien indien mort en 1983).

À la fin des années 1960, le mathématicien canadien R. P. Langlands formula un vaste programme de rechercheunifiant trois sujets a priori différents : théorie des nombres,fonctions automorphes et théorie des représentations. Là encore, Langlands s'appuyait sur les travaux de ses prédécesseurs. Un des aspects de ce programme était l’existence d’un lien supposé (les mathématiciens parlentalors de conjecture) entre fonctions automorphes associéesà des groupes différents – ce qu'on appelle « fonctorialité ».Dans un article de Langlands avec le mathématicien fran-çais Jean-Pierre Labesse paru en 1979, un cas particulierde la fonctorialité fut démontré. Puis les idées de Langlandsse précisèrent, aboutissant à une conjecture précise dénommée « Lemme fondamental », formulée avec la mathématicienne d'origine australienne Diana Shelstaddans un article paru en 1987. En général, on réserve la dé-nomination de Lemme à une proposition un peu technique,éventuellement difficile à démontrer, mais qui n'est qu'uneétape dans la démonstration d'un résultat plus important.

Le problème dans ce cas était que personne n'était parvenu à démontrer ce fameux « Lemme fondamental » pendant delongues années !

C'est ce lemme fondamental que Ngô a démontré en toutegénéralité en 2008, après en avoir démontré un cas particulier (pour les groupes unitaires), en collaborationavec Gérard Laumon, dans un article annoncé en 2004 etpublié en 2008.

La démonstration de Ngô dans l'article de 2008 est un véritable tour de force, l'aboutissement de plus d’une dizaine d'année de travail. En effet, dès sa thèse, soutenueen 1997 sous la direction de Gérard Laumon, il avait travaillé sur une variante du Lemme fondamental, conjec-turée par Jacquet-Ye. C’est notamment en utilisant la fibration de Hitchin et en appliquant des méthodes globales qu’il est parvenu à surmonter les difficultés surlesquelles bien d’autres avaient échoué.

Si cette démonstration est l'œuvre d'un homme, c'est clairement aussi le fruit d'un travail collectif auquel ontparticipé un certain nombre de mathématiciens, surtoutaux États-Unis et en France. Il y a en France, notammentaux Universités Paris-Sud 11 et Denis-Diderot 7, ainsiqu’à l'Institut des hautes études scientifiques et dans plusieurs autres universités dont Paris 13 des acteursmajeurs de ce sujet : Gérard Laumon, directeur de recherche au CNRS à l'Université Paris-Sud, membre del'Académie des sciences, déjà cité ; Jean-Loup Waldspurger,directeur de recherche au CNRS à l'Université Denis-Diderot, dont deux articles parus en 1997 et 2005 sont des étapes essentielles dans la démonstration de Ngô ; aux Etats-Unis, outre bien sûr Robert Langlands et Diana Shelstad, Marc Goresky, Robert Mac Pherson, Robert Kottwitz.

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