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Le goût de la paix froide BOSNIE-HERZÉGOVINE NEWS D'ILL MAGAZINE DʼINFORMATION RÉGIONALE JUIN 2010 - N°100 - 3 EUROS BIMESTRIEL - CENTRE UNIVERSITAIRE DʼENSEIGNEMENT DU JOURNALISME - N˚ ISSN 0996-9624 A l’appr oche de nouvelles élections, Bosniaques, Croates et Serbes campent sur leurs divisions. Voyage au pays des identités nationales. Le goût de la paix froide BOSNIE-HERZÉGOVINE

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Le goût de la paix froide

BOSNIE-HERZÉGOVINE

NNEEWWSS DD''IILLLLMAGAZINE DʼINFORMATION RÉGIONALEJUIN 2010 - N°100 - 3 EUROS

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624 A l’approche de nouvelles

élections, Bosniaques, Croateset Serbes campent sur leursdivisions. Voyage au pays des identités nationales.

Le goût de la paix froide

BOSNIE-HERZÉGOVINE

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 3

Un pays, deux entités. Deux capitales ? Sarajevo se dessine au gré des inté-rêts des promoteurs privés. Face à elle, Banja Luka fait cavalier seul, lancéedans une urbanisation accélérée et chaotique. La Republika srpska, menéepar son Premier ministre Dodik, ne rêve plus d’une Grande Serbie, maismise sur le recensement pour renforcer son autonomie.

Vanja et Almir, comme d’autres couples mixtes, sont mal perçuspar leur entourage. Kozarac, vidée de ses habitants après la guer-re, vit aujourd’hui grâce à sa diaspora. Osijek, ancien petit villageserbe, est désormais peuplé en majorité de déplacés bosniaques.Prijedor cherche à tourner le dos à son histoire. Jasmin et safamille ont été déplacés de l’ouest à l’est d’un boulevard.

Pour trouver un travail, ils s’encartent au parti. Quand ils s’installent, c’est dans lamaison familiale. Pour se faire soigner, ils versent des pots-de-vin. Les Bosniensont appris à composer avec le système mais beaucoup, candidats au départ, fontla queue pour obtenir un visa. Certains se révoltent : les vétérans, qui craignent laréduction de leur pension, ou les Roms, à travers Dervo Sejdic.

Les procès se poursuivent au tribunal de Bosnie. Croates, Bosniaques ou Serbes,croisent encore leurs bourreaux dans la rue. Dans les cafés alternatifs, le ciné-ma, de petits îlots de résistance au communautarisme s’organisent, au momentoù, dans les manuels scolaires, les élèves étudient une histoire recomposée.

Tout au long des pages de ce ma-gazine, une quarantaine de motspour comprendre la situation poli-tique et économique de la Bos-nie-Herzégovine.

L’ABÉCÉDAIRE

pages 4 et 5 les lieux de nos reportages et les principauxindicateurs.

SERBIE

MONTÉNÉGRO

CROATIE

Banja Luka

REPUBLIKA SRPSKA

FÉDÉRATION DE BOSNIE-ET-HERZÉGOVINE

Mostar

SARAJEVO

LaktašiPrijedor

Pale

Goražde

Bosanska Petrovać

Foča

Kozarać

Tuzla

Tihovići

Zavidovići

Brčko

Široki Brijeg

Osijek

BOSNIE CAPITALES p. 6 à9

DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS p. 16 à20

FRONTIÈRES INTÉRIEURES p. 10 à15

RÈGLES DE VIE p. 21 à26

FORTUNES DIVERSES p. 27 à33

CONSTRUIRE SON HISTOIRE p. 34 à39

Rien ne matérialise la frontière entre les deux entités, mais à Dobrinja,Serbes et Bosniaques vivent dos à dos. Les élus tentent de renouer les liensentre Gorazde et Foca. A Mostar, chacun son université. Les jeunesSerbes de Sarajevo-est partent étudier à Pale. Supervisé par la communautéinternationale, Brcko, district autonome du nord, a servi de laboratoire dela mixité. Partout, mosquées, églises orthodoxes et catholiques mar-quent les appartenances.

Le géant aéronautique Soko a reçu le coup de grâce lors de sa privatisa-tion. D’autres, comme le fabricant de meubles Krivaja, tentent de seredresser. A Siroki Brijeg, les nouveaux riches croates s’affichent. Dansles campagnes, certains, tel Mile Spanesic, se diversifient, mais la plupartcultivent d’abord pour survivre.

nouvelle tarification des transports

La Ville et la Communauté urbaine de Strasbourg s’engagent pour

un service public plus équitable

Selim, étudiant boursier.

Plus d'infos sur www.strasbourg.eu

son abonnement

mensuel bus/tram

lui coûtera

à partir dU 1ER JUILLET 2010

5,50 €22€

au lieu de(sous conditions de ressources)

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 5

ALBANIE

SERBIE

MONTÉNÉGRO

HONGRIE

Banja Luka

UBLIKA SRPSKA

DÉRATION DE E-ET-HERZÉGOVINE

Mostar

SARAJEVO

Laktaši

Pale

Goražde

Foča

Tuzla

Tihovići

Zavidovići

Brčko

Široki Brijeg

Osijek

CENTRE UNIVERSITAIRED’ENSEIGNEMENT DUJOURNALISMEUniversité de Strasbourg11, rue du Maréchal JuinBP 13-67043 StrasbourgTél: 03 68 85 83 00E-mail: [email protected] de la publication:Nicole GauthierEncadrement: Xavier Delcourt,Sophie Dufau, Nicole Gauthier,Alain Peter, Stéphanie Peurière,Arnaud VaulerinResponsable iconographie:Tiffany BlandinPhoto de Une: Camille CaldiniRéalisation: Kathrin Aldenhoff,Elodie Auffray, Elodie Berthaud,Charline Blanchard, Tiffany Blandin, Mickaël Brunner, AnneCagan, Camille Caldini, Eve Chalmandrier, Maryline Dumas,Léa Giret, Lisette Gries, Fanny Holveck, Doriane Kalbe, Julien Lemaignen, Raphael Lepelletier,Anastasia Lévy, Aveline Marques,Mersiha Nezic, Enora Ollivier,Lucile Pinero, Eva Simonnot, PaolaSteccaInfographies: Tiffany Blandin,Mickaël Brunner, Camille Caldini,Alain PeterImpression: Averty-Sarajevo (BiH)

POUR LA TELEVISIONENCADREMENT: Eric SchingsETUDIANTS: Eléonore Autissier,Paulina Benavente, Corinne Falhun, Jan Funk, Elisabeth Jahn,Guillaume Le Goff, Régis Massini,Hanna Peters, Chloé Rémond,Juliette Roché, Vincent Ruckly,Anna Saurat-Dubois, AnnabelleSteffes, Davidis Stickel, Li Tao,Christelle Vogel

POUR LA RADIOENCADREMENT: Olivier DanreyETUDIANTS: Bérénice Barthélemy,Marc Chazal, Sophie Constanzer,Diane Ferchit, Gaëlle Fontenit,Ariane Kujawski, Andrada Noaghiu, Elise Thibaut, AurélienThirard

Assistance techniqueaudiovisuelle: Jean-ChristopheGalen

AVEC LE CONCOURSdes étudiants bosniens de la faculté de sciences politiquesde l’Université de Sarajevo:Asaf Alibegovic, Belma Colakovic,Tina Delalic, Dijana Duvnjak,Merila Dzanbegovic, Sadeta Fisic,Dzenita Hafizovic, SanjinHamidicevic, Danica Jokic,de la chaire de français del’Université de Sarajevo: VahidCeman, Hana Hodcic, MersihaKovacevic de la faculté de français de BanjaLuka: Slavica Cvjetkovic,Natasa Grahovac, Danijel Juricic,Natasa Kuzmanovic, DaliborMaksimovic, Nina Milakovic,Robert Radojcic, Marijana Tubin,Jelena Vukovic, Boris Zigic de la faculté de journalisme de Banja Luka: Milos Lukic,Gorana Sekulic, Borislav Vukojevicde la faculté decommunication de DzemalBrijeg de Mostar:Nea Manjura , Tea Peco,Majda Sehic

NEWS D’ILL

fondé sur desquotas natio-naux, son Pre-mier ministre etson gouverne-ment, sa consti-tution, sa policeet son code judi-ciaire. Les can-tons sont eux-mêmes divisésen 79 municipa-lités. Au total,147 ministressont en fonctiondans le pays: dixà l'échelon cen-tral, 17 en Repu-blika srpskaainsi qu'en Fé-dération. Les dix

cantons comp-tent en tout103 ministres.De plus, le dis-trict de Brcko estdirigé par onzechefs de dépar-tement.

LL’’OOHHRR - ou bu-reau du haut re-présentant - estune institutionde tutelle inter-nationale crééespécifiquementpour la Bosnie-Herzégovine, en1995. Le hautreprésentantporte la double

casquette del'ONU et del’Union euro-péenne. Super-visé par leConseil de miseen œuvre de lapaix (PIC), il dis-pose des pleinspouvoirs pourfaire respecterles accords deDayton et a pourmission d’impul-ser les réformesnécessaires à lacandidature dela Bosnie à l’en-trée dans l’UE.L'actuel haut re-présentant, Va-

lentin Inzko, Au-trichien, est enposte depuismars 2009.L’OHR fermeralorsque le PICjugera la Bosnieapte à fonction-ner sans inter-vention interna-tionale.

Conflit100 000 per-sonnes ont ététuées pendant

la guerre deBosnie-Herzégo-vine entre avril1992 et no-vembre 1995. Ils'agit du conflitle plus meurtrierdans l'ex-Yougo-slavie. Selon leschiffres du Tribu-nal pénal inter-national pourl’ex-Yougoslavie(TPIY), le bilande la guerre estde

102 622 mortsdont 55 261 ci-vils. Environ72 000 Bos-niaques etCroates ont ététués, dont38 000 civils. Ducôté serbe, le bi-lan s'élève à30 700 mortsdont 16 700 ci-vils.

Calendrier2 juin. 47 délé-

gations devaientse réunir à Sara-jevo pour unsommet Unioneurpéenne/Bal-kans. Tous lespays de l'ex-Yougoslavie ysont conviés,ainsi que le Ko-sovo. L'OSCE, lesEtats-Unis et laTurquie serontégalement pré-sents. Les Bos-niens attendentde l’Union euro-péenne une an-nonce sur lasuppression desvisas.

3 octobre.C’est la date re-tenue pour lesélections géné-rales, lessixièmes depuisl’indépendancedu pays. 3,1 mil-lions de per-sonnes sont ins-crites sur leslistes électorales.Les votes porte-ront simultané-ment sur la pré-sidence tripartiteet les représen-tants du parle-ment central. Acette occasion,les parlementsdes deux entitésseront renouve-lés. Les citoyensde la Republikasrpska choisirontleur présidenttandis que ceuxde la Fédérationéliront les dépu-tés des dix as-semblées canto-nales.

Sources: Banquemondiale, Directionfrançaise du Tré-sor, ministère fran-çais de lʼEconomie,BERD, CIA.

4 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

CROATIE

SLOVÉNIE

Ban

REPUB

FÉDÉBOSNIE-E

Prijedor

Bosanska Petrovać

Kozarać

REPÈRES

Génération Dayton

Sollicités pour faire découvrir àdes étudiants français enjournalisme leur visage deSarajevo, quatre étudiantsbosniens sur cinq, qui avaient àpeine 10 ans en 1995, choisirent

l’un des nombreux cimetières témoignantde la guerre qui ravagea leur pays pendantprès de quatre ans. Le 3 octobre, cesétudiants seront appelés à se prononcer,pour la première fois pour la plupart, à desélections présidentielles et législatives.Cette génération n’a pas, ou très peuconnu la guerre, mais a grandi dans legâchis de l’après-guerre : paralysiepolitique, impasse institutionnelle, tensionscommunautaires, désarroi social. Séparés,autant que leurs aînés, par la frontièreinvisible qui divise le pays en deux entités,les 20-25 ans ne connaissent qu’unquotidien déréglé, fait de passe-droit ouclientélisme, pour obtenir un stage, unemploi, ou un diplôme, avec la maisonfamiliale pour seul refuge. Quinze ansaprès la signature des accords de Daytonqui ont signifié la fin du conflit plus queconstruit la paix, l’Europe continue de tenirà distance la Bosnie-Herzégovine, qui faitdu surplace sur la route de l’intégration àl’Union. Avec des étudiants des universitésde Sarajevo et de Banja Luka, près decinquante étudiants en journalisme duCuej ont tenté, pendant un mois, deprendre le pouls d’un des derniers pays aumonde à vivre encore sous protectorat.Nicole Gauthier

RemerciementsA la faculté de sciences politiques de l’Uni-versité de Sarajevo, Mirko Pejanovic, AsimMujik, Mirjina Mavrak, Lejla Turcilo,A l’Université de Banja Luka, Valerija Saula,Mladen Sukalo, Djorje Tomic,A l’ambassade de France en Bosnie-Herzégo-vine, à son service culturel, et notammentDominique Geslin et Gilles Kraemer, auconseiller du bureau de liaison à Banja Luka,Thomas Wauquier,A la directrice du Centre culturel français deBanja Luka, Bérengère Dambrine.Merci aussi pour leur précieux concoursA Prijedor, à Anel Alisic, Nikola Cukovic,A Kozarac, à Senad Joldic et Emsuda Muja-gic,A Mostar, à Robert Jandric, Amra Plasto,Feda Sisirak,A Sarajevo, à Aïda Serdar, Albijana Domana-gic, Almin Skrijelj, Lidija SkaroA Constance Grewe.

Superficie51 129 km2

Population4,36 millionslors du recense-ment de 1991.Estimations2010: de 3,8 à4,6 millions.Répartition:15,7% de 0-14 ans.70,6% de15-64 ans. 13,8%de plus de 65ans.Espérance devie: 73,3 ans

EconomieMonnaie:1KM = 0,50 €(Konvertibilnamarka). Pendantla guerre, lakuna croate etles dinars serbeet bosniaque sesont substituésau dinar yougo-slave. Mais lamonnaie utilisée,notamment surle marché noir,était le mark al-lemand. Les ac-cords de Daytonont repris cettedénomination.Le mark conver-tible (KM) et sesfenings ont étémis en circula-tion en 1998.Deux types debillets sont émispar la Banquecentrale, chaqueentité y faisantfigurer des per-sonnages diffé-rents. Seul lebillet de 200 KMest unique. Toussont valables surl’ensemble duterritoire.

PIB: 12,6 mil-liards d’euros.PIB par habi-tant: 3290€Taux de crois-sance 2009:- 3,2%.Taux de chô-mage: entre 40et 45% selon lesdonnées offi-cielles, 20% se-lon le FMI.Salairemoyen: 782KM,soit 391euros.Déficit: 14,9%du PIB.Dette: 44,5%du PIB.

InstitutionsSignés le 14 dé-cembre 1995 àParis, à la suitedes négociationsqui se déroulè-rent sur la baseaérienne deWright-Patter-son, près deDayton dansl’Ohio, (Etats-Unis), les ac-cords de Daytonont mis fin àtrois ans et demide conflit entreSerbes, Bos-niaques etCroates. Ils ontorganisé la parti-tion du paysentre deux enti-tés: la Fédéra-tion de Bosnie etHerzégovine,

croato-bos-niaque, (51% duterritoire) et laRépubliqueserbe de Bosnieou Republikasrpska (RS, 49%du territoire).

Selon l’annexe IIdes accords deDayton,l’IEBL(Inter EntityBoundaryLine/ligne frontière inter-entités) séparela Fédération de Bosnie-Herzé-govine et la Re-publika srpskasur 1080 km.Cette "fron-tière" invisiblesuit le tracé deslignes de frontde la fin de laguerre. De partet d'autre del'IEBL, fonction-nent des compa-gnies de servicespublics (eau,gaz, électricité,poste…) diffé-rentes, y comprisau sein de la ca-pitale, Sarajevo,qu’elletraverse.Les ac-cords de Daytonprévoient le dé-ploiement d'uneforce de paixmultinationale,l'IFOR.

La constitu-tion bos-nienne a étérédigée et adop-tée sans la parti-cipation des ci-toyens. Écrite enanglais, elle n’ajamais été pu-bliée officielle-ment dans leslangues du pays.L’État fédéral s’yvoit reconnaîtredes compétencestrès limitées(monnaie, rela-tions internatio-nales, Défense).

Le système fédé-ral de la Bosnie-Herzégovine re-pose sur uneassemblée parle-mentaire compo-sée d'unechambre desReprésentantset d'unechambre desPeuples. Cettedernière a la fa-culté d’opposer

son veto à touteloi, au nom desintérêts vitauxde chacun destrois consti-tuants (Serbes,Bosniaques,Croates) qu’ellereprésente.

La présidence deBosnie-Herzégo-vine est assuréecollectivementpar un Serbe deRS, un Bos-niaque et uncroate de la Fé-dération, qui ef-fectuent une ro-tation tous leshuit mois. Cha-cun d'eux repré-sente une com-munauté. Lemandat de cetteprésidencetournante durequatre ans. Pourêtre éligible, uncandidat doitêtre issu de l’undes troispeuples consti-

tuants. Cette no-tion a été intro-duite dans laConstitution, parsouci d'égalité.

Chaque entitépossède sonpropre gouver-nement, avec unPremier ministreà sa tête. La Fé-dération est elle-même divisée endix cantons.Ces circonscrip-tions politico-ad-ministratives ontété créées enmars 1994, mar-quant la fin duconflit entreCroates et Bos-niaques dans lepays. Chacundes cantons pos-sède son équi-libre spécifique,

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sister aux messes de la Trappede Banja Luka, de l’égliseSaint-Bonaventure, rue Srbska,et dans la petite salle qui rem-place l’église de la Visitation-de-la-Sainte-Vierge-Marie du-rant sa réfection. Selon MladenSukalo, employé à l’office dutourisme de Banja Luka, lesBosniaques représentaient uncinquième de la populationavant la guerre. Ils ne sont plusaujourd’hui que 5%. La plupartvivent dans le sud de la ville,dans le quartier rebaptisé Koci-cev vijenac.

Flâner à Mercator. Habituésà déambuler entre les vitrines dela rue piétonne où les commer-çants affichent fièrement les pho-tographies des bacheliers del’année, les habitants de BanjaLuka ont pris une nouvelle habi-tude depuis un an : flâner aucentre commercial Mercator, uneenseigne slovène. Musique amé-ricaine, franchises internatio-nales Intersport, Esprit, TallyWeill. La capitale de la RS s’estmise à l’heure occidentale. Jus-qu’au prix des produits. Mais lesconsommateurs ont du malà suivre : « On y va entre amispour se promener, pas pouracheter car les prix sont tropchers », explique Slavica, étu-diante en français. Sous la pous-sée du capitalisme sauvage, leséquilibres économiques ont étépulvérisés et l’organisation dutravail modifiée. Les retombéesde la crise mondiale ont balayéles dernières euphories. A l’estde la ville, dans les friches indus-trielles, les herbes hautes ontremplacé les va-et-vient quoti-diens des ouvriers. Celle d’Incel,entreprise de cellulose où6000 employés travaillaientavant la guerre, n’accueille plusaujourd’hui que 900 salariésd’une vingtaine de PME.

Déconnectée. La bulle immo-bilière a explosé en 2007.« A l’époque, la moitié des ap-partements étaient vendus avantconstruction, se rappelle MilosVukojevic. Aujourd’hui, c’est àpeine 10%. » Depuis un an, sonentreprise n’enregistre aucunenouvelle commande et secontente d’achever celles encours. « Les prix du m² ont chutéde 40% », ajoute-t-il. Sur les fa-çades des immeubles, les pan-neaux « à vendre », encore in-connus il y a trois ans, semultiplient. La crise a aussi ra-lenti le projet de voie rapide quidevait relier Banja Luka, viaLaktasi, au système autoroutiercroate, à 40 km. La ville setrouve aujourd’hui totalementdéconnectée de l’économie ré-gionale et européenne. L’an der-nier, la voie ferrée Banja Luka-Belgrade a été supprimée auprofit d’une liaison Sarajevo-Belgrade. Quant au petit aéroportqui desservait parfois Zagrebet Zurich, il n’accueille plus au-cun vol commercial. Seulela gare routière fourmille d’acti-vité, reliant la ville mère de la RSà des ce ntaines de petites villesalentours. Banja Luka, une capi-tale.... pour les Serbes de Bosnie.

Mickaël BrunnerMaryline Dumas

L’Union européenne et laBosnie-Herzégovine ont si-gné un accord de stabili-sation et d’association le16 juin 2008. Il doit êtreratifié par chacun des27 pays membres. Cinqd’entre eux, dont laFrance, ne l’ont pas encore

fait. L’ASA représente pourles pays candidats un en-gagement à poursuivre lesréformes nécessaires àl’adhésion et leur permetde bénéficier de res-sources financières sup-plémentaires de la part del’Union européenne.

ASA

Sarajevo, le souffle au cœur

SUR les cartes postales qu’onpeut acheter dans l’atriumtout de pierres polies de la

Twist Tower, King Kong a éludomicile au sommet de l’édi-fice. Avec sa façade vrillée surelle-même – qui lui v aut sonnom – recouverte de vitres fu-mées bleu marine, le bâtimenthaut de 175 m domine la ville deSarajevo. Pour 1 KM (0,50 €),un ascenseur panoramique em-mène le visiteur au bar du der-nier étage, pour y goûter la vuesur la capitale. Là-haut,quelques rares touristes et deslunettes pour scruter le paysage.Au mur, des cadres : ici une re-production grand format d’unarticle consacré à la tour, tiré deDnevni Avaz, le quotidien natio-nal détenu par Fahrudin Radon-cic, unique maître des lieux ; là,deux photographies comparentcrânement le bâtiment à celui duNew York Times.

Dragon rouge. Coulé dansle plancher en résine du bar,cousu sur le tapis de l’entrée,sérigraphié sur les prospectus,un dragon rouge. C’est l’em-blème de Radon Koncept, lamarque énigmatique du pro-priétaire. L’endroit semble in-occupé : peu de va-et-vient dansl’atrium, peu de bruits de mo-teur dans le parking à quatre ni-veaux, pas de plaques d’entre-prises à l’entrée de l’édifice.Exceptés trois étages occupéspar Dnevni Avaz, « la tour estvide », affirme un entrepreneurfrançais installé delongue date en Bosnie-Herzégovine. Un en-semble clinquant quin’attire pas les activi-tés : voilà l’étendard deSarajevo, la plus grandeagglomération du pays,qui peine aujourd’hui àdevenir une véritablecapitale européenne.Habitée par 525 000personnes en 1991, laville n’en compteplus aujourd’hui que430 000, dont 120 000actifs. Le tissu industriel, au-jourd’hui laminé, a employéjusqu’à 200 000 personnesavant la guerre. La ville pré-sente un solde naturel positifmais elle a perdu une généra-tion. Sarajevo-est, la partie de laville située dans le territoire etsous l’autorité de la Republikasrpska, connaît pour sa part unimportant développement sou-tenu par des logements bonmarché qui attirent les jeunes.100 000 personnes y habitentaujourd’hui, contre 16 000 audébut du conflit. A ces circons-tances démographiques, s’ajou-tent des difficultés politiques etadministratives qui empêchent

mination de son concurrentOslobodenje (« Libération »),le grand quotidien de la villependant le conflit. FahrudinRadoncic s’est improvisé bâ-tisseur en l’an 2000, en faisantconstruire le siège de labanque Hypo Alpe Adria.Quatre ans plus tard, il a in-vesti une partie des locauxd’Oslobodenje, près de l’aéro-port de Sarajevo, qu’il ad’abord transformés en centred’affaires, avant d’y accolerun hôtel de luxe qui porte sonnom, le Radon Plaza.

Petit budget. Le tycoon estun parfait représentant de « l’ur-banisme cowboy » dénoncé parGordana Menisevic, urbaniste etéconomiste à l’Institut d’urba-nisme du canton de Sarajevo.Laissée à l’influence des promo-teurs, la ville manque, selon elle,des équipement structurants quila rendraient digne de son statutde ville capitale, « comme unhôtel capable d’accueillir desréunions de chefs d’Etat », maisaussi des centres culturels à lahauteur des festivals internatio-naux de cinéma et de théâtre.Pour ces projets, l’argentmanque : le budget annuel ducanton ne dépasse pas les30 à 40 millions de KM (15 à 20millions d’euros), tandis que ce-lui de la mairie de Sarajevo,qui unit symboliquement lesquatre municipalités, plafonne à19 millions de KM (9,5 millionsd’euros). Dans ces conditions, ledéveloppement de la capitalepoursuit un parcours erratique.

Bunker. Dans le quartier deNovo Sarajevo, à l’ouest ducentre historique, les pelle-teuses finissent de terrasser lesabords d’un bunker gris clair. Ils’agit de la nouvelle ambas-sade américaine : elle est sortiede terre sur un lot qui devaitaccueillir une partie du campusuniversitaire. Après les finan-ceurs arabes qui, juste après laguerre, ont fait construire d’in-nombrables mosquées en lais-sant les hôpitaux à leur décré-pitude, la tour Avaz oul’ambassade américaine sontles signes les plus visibles de lacroissance chaotique de la ca-pitale de Bosnie-Herzégovine.

Anne CaganJulien LemaignenAveline Marques

les autorités d’imposer un urba-nisme réfléchi. Aucun des mi-nistères de l’Etat central deBosnie-Herzégovine n’est spé-cifiquement dédié aux ques-tions d’aménagement.

Le territoire de laville est partagé entrequatre municipalités(Stari Grad, Centar,Novo Sarajevo et NoviGrad), mais le canton deSarajevo, qui chapeautele bassin de l’agglomé-ration, a la haute mainsur l’urbanisme. Enconcertation avec Sara-jevo-Est, il produit unschéma directeur et unplan d’occupation dessols. Mais ses préconi-sations sont peu ou mal

suivies, notamment à cause desdissensions politiques entre lesdifférents partis au pouvoir dansles municipalités. Surtout, la co-hérence urbaine est malmenéepar de riches investisseurs pri-vés, qui parviennent à imposerleurs constructions en dehorsdes plans administratifs.

Magnat cowboy. La TwistTower, par exemple, n’est pasprévue dans les documents desautorités. Son propriétaire, unmagnat des médias, a fondé lequotidien Dnevni Avaz peuavant la fin de la guerre. C’estaujourd’hui le plus fort tiragedu pays, qui a supplanté la do-

Amputée d’une partie de sa population, investie par de riches bâtisseurs, la plus grande ville du pays pâtit du manque de vision des pouvoirs publics.

Lacohérence

urbaine estmalmenée

par deriches

investis-seurs pri-vés, qui

parviennentà imposer

leursconstruc-

tions.

Achevée en2009, latour Avazest, avecses 175 m,le plus hautbâtiment deSarajevo.

Avel

ine

Mar

ques

/Cue

j6 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

BOSNIE CAPITALES

Un immeubleultramoderne

s’élève enplein centre de

Banja Luka,capitale de la

Republikasrpska. En

2007, legouvernement

de l’entitéserbe a

inauguré sonnouveau siège,

symbole deses ambitions

pour la ville.

Banja Luka la prétendante

REPUBLIKA srpska :impossible d’échapperà ces deux mots déclin -és en cyrillique auxfrontons des monu-ments publics, martelés

à longueur de journée sur lesondes de la radio. La capitalepolitique de l’entité serbe s’af-fiche et s’affaire. Paroxysme decette démonstration de force :la tour vitrée de 16 étages dugouvernement, qui vit aurythme des allers et venues desemployés. Cet immeuble, quicoiffe et surplombe son voisinde la télévision publique, faitpartie du nouveau centre deBanja Luka. Le point névral-gique du pouvoir s’est déplacéau nord, en direction de Lak-tasi, tournant le dos au cœurhistorique sur les bords de laVrbas.

– le Premier ministre de la Re-publika srpska, ndlr – est aupouvoir, on élève de grands en-sembles comme on en trouvedans n’importe quelle ville », ré-prouve-t-il.Pour ériger le Banja Luka de de-main, les bâtisseurs bétonnentà tout-va, mais sans vision niplan. Aux portes de l’universitépublique aujourd’hui installéedans un ancien camp militaire,Integral Ingeneering, qui a réa-lisé le complexe gouvernemen-tal, construit un ensemble rési-dentiel prévu pour 50 000habitants. « Mais personne n’a

pensé à le doter d’équipementssociaux : hôpitaux, crèches,écoles », constate MilosVukoje-vic, chef de chantier. La piscineolympique inaugurée fin 2009 aété posée derrière une voie dechemin de fer.

Ambitions sportives. Au dé-partement d’urbanisme de laville, Alvira Vujinovic s’occupedes projets d’équipements cultu-rels et sportifs. Elle en a quatredans ses cartons. Dossier phare :la modernisation du vieux stadede football du FK Borac. Le clubévoluera cet été en coupe d’Eu-rope, pour la première fois de-puis 1992. Cinq millions de KMsont prévus pour le mettre auxnormes européennes. « Nousvoulons faire de Borac le princi-pal club de Bosnie-Herzégovineet, pour cela, il faut avoir ungrand stade capable de recevoirplusieurs dizaines de milliers depersonnes », confirme RatomirRadojicic, secrétaire généraldu club.Egalement prévus, la rénovationde l’ancienne forteresse, unesalle de concert, l’aménagementdes bords de la Vrbas et un mo-nument aux morts. Il sera édifiéprès de la mosquée Ferhadija,construite au XVIe siècle. Celle-ci attend toujours la fin des tra-vaux, démarrés en 2004. Le ser-vice d’urbanisme est aujourd’huidoté d’un système d’informationgéographique si performantqu’on peut y déceler chaquearbre. Mais il est incapable dedonner le nombre d’habitants decette ville qui déborde de sesfrontières. L’urbaniste AlviraVujinovic n’est pas plus loquace.Il faudra à l’un de ses collèguesune bonne dizaine de minutespour brandir une estimation de250 000 habitants en 1999, soit70 000 de plus qu’au dernier re-censement disponible, celuide 1991.Depuis vingt ans, la bourgadepaisible s’est métamorphoséeet ne cesse de croître. La ville aété épargnée par les combats dela dernière guerre. Mais leconflit a changé la compositionde sa population. Dès 1991,elle a accueilli les flots de réfu-giés de Krajina, chassés par lesCroates, qui ont occupé les lo-gements laissés vides par lespopulations bosniaque etcroate, terrorisées par les forcesserbes de Bosnie. Le 16 mai,les catholiques n’étaient plusqu’une poignée de fidèles à as-

Predrag Lazarevic, 81 ans, estresté fidèle à la vieille ville. Surles murs de son salon, le fils dudernier « ban » de Banja Luka aaccroché une photographie ennoir et blanc de son ancienne ré-sidence austro-hongroise, au-jourd’hui rasée, dont il a été ex-proprié il y a 16 ans. De 1929à 1941, au temps du royaume deYougoslavie, les bans ont em-belli la ville en construisant lethéâtre national, le musée desarts et traditions populaires et leBanski dvor, ancienne résidencede ces gouvernants locaux. Lepère de Predag Lazarevic a re-vêtu d’asphalte les chaussées deterre.

Sans vision, ni plan. Le vieilhomme se désole de l’américa-nisation de sa ville, qui a « perduson âme. Depuis que Dodik

La principale ville de laRepublika srpska multiplie lesefforts pour se créer unestature de capitale. Mais sonattractivité se limite à l’entité.

« Toutes les personnesréfugiées et déplacéesont le droit de retournerlibrement dans leurmaison d’origine. »L’annexe 7 des accordsde Dayton pose les prin-cipes qui doivent garantirla possibilité du retourpour les réfugiés et dé-

placés en raison duconflit. Les entités s’en-gagent à accepter et fa-ciliter ce retour, à traversla lutte contre les discri-minations, la création deconditions économiques,politiques et sociales fa-vorables, etc. L’annexe 7affirme aussi le droit des

réfugiés et déplacés à re-prendre possession deleurs biens immobiliers,ou d’obtenir une com-pensation en cas d’im-possibilité. Un plan derapatriement des réfu-giés est mis en place, encollaboration avec lespays d’accueil.

ANNEXE 7

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 9

BOSNIE CAPITALESSon attitude à beau agacer, Do-dik, qui ne parle aucune langueétrangère, incarne la personni-fication de la RS. Celui qui l'at-taque touche à l'entité toute en-tière. Alors, on l'excuse. « Tousles politiciens ne font que men-tir, mais ses mensonges à luisont différents », estime unefonctionnaire de l'Union euro-péenne. Même sa vulgarité est pardon-née. A une journaliste qui luipose une question, il lance : «Télé de la Fédération? Va tefaire foutre. Suivant. » Autori-taire, il fait fermer à clef le bâ-timent du gouvernement, ennovembre dernier, pendanttoute une journée, à partir de8h, et ampute de 10% le salairede tous les retardataires. ZeljkoKopanja témoigne : « Il peutentrer dans une colère noire,claquer les portes et revenircinq minutes après comme si derien n'était, ou passer un coupde fil le lendemain pour s'excu-ser. »

Corrompu. Ses proches ledécrivent comme un gars de lacampagne, très spontané, pas-sionné de sport, qui a épousétrès jeune une fille de son vil-lage, avec qui il a eu deux fils.Président d'honneur d'un clubde basket à Belgrade, il a mêmeparticipé à des courses de trac-teurs. Il se pose en homme simple, àceci près qu'il se fait soigner enIsraël notamment pour de ter-ribles migraines qui l'obligent àporter des lunettes noires pen-dant plusieurs jours et qu'il re-çoit ses invités comme un ri-chissime émir, dans son« ranch » de Laktasi, surveilléen permanence par des gardesaux abois, qui ne laissent per-sonne approcher la villa. « Laplupart des gens acceptent lefait que Dodik soit corrompu,

Trop fâchés pour se compterLes trois peuples constituants ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les modalités du recensement.

C’EST l’histoire d’un paysqui ignore le nombre de seshabitants. Un pays où les

estimations de population sefondent par exemple sur lenombre de portables enregis-trés par les opérateurs locaux.La CIA en a compté 3 179 000en Bosnie-Herzégovine. Dansla dernière version de sonWorld Factbook fin avril, elleextrapole sa population à4 621 598 de personnes. Unécart d’environ 700 000 habi-tants avec les chiffres affichéspar le ministère des Affairesétrangères français ! Le dernier recensement a eulieu en mars 1991 ; le payscomptait alors 4 377 033 habi-tants. Depuis, il y a eu laguerre, plus de 100 000 morts,un nettoyage ethnique, une mi-gration intérieure forcée et desréfugiés partout dans le monde,dont 350 000 en Allemagne,sans compter 10 000 personnesencore portées disparues selonle Comité international de laCroix rouge.

Réprimande. Le recense-ment de 2011 dans les 27 paysde l’Union européenne devaitmettre fin à ces aberrations sta-tistiques, puisque aussi obliga-toire pour les candidats à l’ad-hésion. Le 12 mai dernier, l’UEa dû adresser une réprimandeau Premier ministre bosnien,Nikola Špirić, lui intimantd’adopter au plus vite la loi derecensement, avant les congésparlementaires d’été.Depuis des mois, les trois com-munautés ne parviennent pas à

se mettre d’accord sur lestermes de l’opération. Lalangue, la religion pratiquéedoivent-elles faire partie des in-formations à recueillir, commele souhaite la RS ? La diasporadoit-elle être intégrée dans lescalculs, comme le souhaitentles Bosniaques ? Plusieurs projets de loi ontdéjà essuyé le véto des dépu-tés bosniaques et croates de-vant la Chambre du peuple.Les premiers protestent contreun état des lieux qui revien-drait à avaliser le nettoyageethnique.Les seconds craignent la miseen évidence de leur déclin dé-mographique et la perte desquotas avantageux d’élus et defonctionnaires dont ils bénéfi-cient aujourd’hui. Seule la RS veut procéder à cerecensement, car elle espèrequ’un tel recensement prouve-rait que les Serbes de la Bosniesont désormais le peupleconstituant le plus important deBosnie-Herzégovine, confie-t-on à Banja Luka.La répartition des pouvoirsentre les trois peuples consti-tuants prévue par les accords deDayton reste basée sur les don-nées de 1991. A l’époque, lesBosniaques étaient la commu-nauté la plus importante(43,7%) suivis des Serbes(31,2%) et des Croates(17,4%). La mise à jour de ceschiffres modifierait selontoutes probabilités ces poidsrespectifs et les pouvoirs qui ysont attachés.

Kathrin Aldenhoff

e n’aura pas lieua à la République de Serbie n‘est plus à l’ordre du jour

parti conservateur SNS en Ser-bie, Tomislav Nikolic assureque « la République serbe deBosnie possède sa propre iden-tité ». En déplacement à Banja Lukale 15 mai pour introni-ser son homologue bos-nien Adam Šukalo, il asouligné que « le rôlede la Serbie consistaitseulement à aider la RSà affirmer cette iden-tité. »De son côté, Belgrade aexclu toute velléitéd'expansion en adop-tant au Parlement, à lafin du mois de mars,une déclaration recon-naissant l'intégrité terri-toriale de la Bosnie-Herzégovine.

La Serbie, désormaistournée vers l'Union euro-péenne, se montre même prêteà coopérer avec la Croatie, sonhistorique rivale. Le 24 mars,

les présidents serbe et croateBoris Tadic et Ivo Josipovic sesont engagés à faire entrer leursrelations « dans une nouvelleère » – une coopération essen-tielle pour le processus d'adhé-

sion. « Plus aucun partine souhaite que la RSsoit rattachée à la Ser-bie », confirme RadeSegrst, journaliste poli-tique au quotidien Ne-zavisne Novine. « Au-jourd'hui, les Serbes deBosnie ont leur entité,leur gouvernement,leur Parlement. Ils nesouhaitent pas habiterdans une région de laSerbie. »La question de l'indé-pendance de la RS esten revanche plus popu-laire, ajoute-t-il, et

nombre de partis « l'évoquenten période d'élection car celaleur apporte des voix, maisconcrètement, c'est impossible

car ils le sont eux-mêmes, àplus petite échelle », constateTanja Topic, analyste politique,spécialiste de la RS. Dodik n'apeur de personne. Il a l'argentnécessaire pour éviter la caseprison et s'est entouré d'avocatsaméricains qui épluchent les di-rectives européennes pour éla-borer des contre-expertises enbéton.

Peu crédible. Après huit an-nées au pouvoir, le Laktasite,tel qu'on le surnomme, se senti-rait-il trop à l'étroit dans soncostume de Premier ministre deRS ? Il ne semble pas - pourl'instant - viser un poste àl'échelle de la Bosnie. « Il au-rait pu, il y a quelques années,devenir le Premier ministre detout le pays. Mais vu la situa-tion, cela reviendrait à menerun cheval mort », assure unefonctionnaire européenne. Se-lon Tanja Topic, « il ne seraitpas crédible, car il déteste laBosnie. Pour lui, tout ce quicompte, c'est la RS ». Dodik a réussi à créer un Étatdans l'État, mais n'a pas su for-mer un dauphin. « Il restera aupouvoir tant qu'il n'y aura pasquelqu'un capable de lui succé-der, de le dépasser ou de leremplacer. Cette personne,pour le moment, n'existe pas »,analyse un bon connaisseur dela vie locale. Dans l'immeuble ultra-mo-derne du gouvernement, auxvitres bleues et au sol enmarbre, il reçoit comme unprésident. Mais sa tour a beautrôner au milieu de la capitalede l'entité serbe, le panoramaqu'elle offre ne va pas au-delàde Banja Luka. Quoi qu'en di-sent les rumeurs, le Premierministre ne peut pas voir saville natale. Ni du 15e étage, nidu 16e.

Fanny Holveck

à imaginer. » Le Premier mi-nistre de la RS Milorad Dodik alui-même menacé à plusieursreprises d'organiser un référen-dum sur l'indépendance de l'en-tité.

Une rhétorique qui, jusquelà, ne s'est jamais traduite pardes actes. Si le Parlement de laRS a voté une loi autorisant lerecours au référendum, le Pre-mier ministre s'est pour sa partgardé de la publier au Journalofficiel.

Enora Ollivier

Chanteurs traditionnels serbes lors de l’assemblée constituante du SDS.

Borac-Zeljeznicar : 2-2.C’est le résultat du matchretour (1-1 à l’aller) de lafinale de la coupe de foot-ball de Bosnie-Herzégo-vine, le 19 mai à Sarajevo.Ce score permet au FK Bo-rac de Banja Luka de rem-porter ce trophée pour lapremière fois de son his-

toire. Grâce à cette vic-toire, le Borac jouera encoupe de l’UEFA la saisonprochaine, ce qui ne luiétait plus arrivé depuis1992. Le Zeljeznicar, qui aterminé premier du cham-pionnat national, joueraune autre coupe d’Europe,la Ligue des champions.

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« Nous nousbattons pour

la défensedes intérêtsserbes ausein de la

Bosnie Her-zégovine. »

Bojan Stankovic,

président dela sectionjeune du

SDS

8 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL8 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

BOSNIE CAPITALES

PORTRAIT/MILORAD DODIK. Puissant, riche, corrumpu, le chef du gouvernement de la Republika srpska se pose,pour nombre d’observateurs, comme le principal obstacle à l’union en Bosnie-Herzégovine.

Dodik, ministre Ier

POURQUOI la tour dugouvernement a t-elle16 étages ? Parce quedu 15e, on ne voit pasLaktasi. » Laktasi est laville natale de Milorad

Dodik, Premier ministre de laRepublika srpska. Les habi-tants de Banja Luka sont trèsfriands de ce genre de blaguesqui épinglent les dépenses fara-mineuses de leur chef du gou-vernement. Sous ses airs depaysan mal à l'aise dans soncostume et gêné par sa tropgrande taille se cache l'hommele plus riche et le plus puissantdu pays. Véritable bête noire de la Fédé-ration et des Occidentaux, il estperçu comme le principal obs-tacle à la sortie de crise en Bos-nie. Épinglé par un rapport dela Cour des comptes pour laconstruction de routes et de bâ-timents gouvernementaux à unprix exorbitant, il est aussiconsidéré comme le plus cor-rompu. Pourtant, Dodik ne court plusaprès l'argent. Tout ce qui l'in-

Milorad Dodik,ancienadversaire de Karadzic, a longtempseu le soutiendesOccidentaux.

téresse aujourd'hui, c'est lepouvoir. Un pouvoir absolu,qu'il se bâtit petit à petit. Ab-solu, par l'étendue de son in-fluence : il place soigneuse-ment chacun des individus quil'entourent, se crée un véritableclan. Absolu aussi par le contrôlequ'il exerce sur les médias : lapremière chose qu'il a faite enarrivant au pouvoir a été de lesplacer sous sa coupe, faisantconstruire le bâtiment de la té-lévision en face de celui dugouvernement. Omniprésentdans les journaux, il apparaîtdans les moindres manifesta-tions. Lors d'un rassem-blement de kiosquiers,au mois de mai, à BanjaLuka, il fait stopper sonAudi noire devant la di-zaine de manifestants.Il serre quelques mainset promet que la situa-tion s'arrangera, avantde repartir aussitôt.

Plus modérés. Lorsdes élections législa-tives de 2006, sa rhéto-rique de campagne ré-solument nationaliste lui apermis de battre le SDS, le partinationaliste serbe, sur sonpropre terrain et de lui infligerson plus grave revers électoraldepuis sa création. « En 2006,nous sommes devenus plus mo-dérés. Le parti de Dodik en aprofité pour reprendre à soncompte notre position et il areçu un immense soutien », ex-plique Mladen Bosic, présidentdu SDS. Là réside le paradoxeDodik. Car à l'origine, il esttout sauf un nationaliste va-t-en

guerre. Au début des années1990, il arbore un tee-shirtrouge de socialiste et militepour la paix. Lorsque le conflitde 1992 commence, il est lepremier à s'élever contre leparti de Karadzic, le dirigeantdu SDS, qui comparaît aujour-d'hui pour crimes de guerre etgénocides devant le tribunalpénal international pour l'ex-Yougoslavie. Selon un diplo-mate, « Dodik était extrême-ment courageux, il a formé ungroupe d'opposition et a ap-porté son soutien à chaqueplan de paix. C'était le grandespoir de l'opposition ».

La communauté inter-nationale a tout misé surlui et l'a placé au pou-voir, uniquement parcequ'il n'était pas du SDS.Les Occidentaux sontallés jusqu'à dépêcherune voiture pendant uneséance parlementairepour aller chercher lavoix d'un député quimanquait pour assurerla victoire de Dodik. Aujourd'hui, ceux quil'ont porté au pouvoir

sont devenus ses principauxennemis. Il entretient avectous les hauts représentantsdes relations exécrables. « Ilva le plus loin possible,comme un enfant qui pro-voque sa mère », explique unefonctionnaire européenne.Plus la communauté interna-tionale lui répond, plus il de-vient puissant et reçoit les ap-plaudissements du public. Parmi ses rodomontades, lamenace – peu crédible – defaire un référendum sur une

éventuelle sécession de la RS.Certains soupçonnent l'exis-tence d'une « main invisible »derrière le Premier ministre. Ja-dis soutenu par les Occiden-taux, l'enfant terrible pourraitêtre aujourd'hui dans le carcande la Russie. « La RS repré-sente une chance pour la Rus-sie de retrouver de l'influencedans les Balkans, après avoirperdu le Kosovo il y a dixans », analyse un observateurinternational. Dodik se plaîtdans l'affrontement. « Il lutteaujourd'hui contre la commu-nauté internationale comme illuttait contre Karadzic àl'époque », affirme le diplo-mate.

Ascension politique. Né en1959 dans une riche familled'agriculteurs, il aide très tôtses parents aux travaux deschamps. Après des études desciences politiques à Belgrade,il fonde une entreprise d'im-port-export. C'est dans son fiefde Laktasi qu'il commence sonascension politique, en deve-nant maire en 1988. En 1996, il fonde son parti,l'Alliance des socio-démo-crates indépendants (SNSD) etdevient chef du gouvernementdeux ans plus tard. Mais c'estdepuis son second mandat quesa côte de popularité explose.« Il a rendu aux Serbes, qui onttoujours été présentés commedes gens mauvais, leur di-gnité », analyse Zeljko Ko-panja, directeur du journal Ne-zavisne Novine et ami duPremier ministre.

La Grande Serbie nRattacher la Republika srpska à

LE rêve d'une Grande Serbieau cœur des Balkans s'estévanoui, à Banja Luka

comme à Belgrade. Fantasméeentre autres par Radovan Ka-radzic, le chef politique desSerbes de Bosnie entre 1992 et1995, cette idée d'un Etat quirassemblerait tous les terri-toires et les peuples serbes n'adésormais plus cours, mêmedans les partis les plus radi-caux. Au SDS, la formation nationa-liste fondée par Karadzic en1990, plus question d'évoquerun rattachement à la Serbie voi-sine. Le discours officiel s'estpolicé au point que le parti seproclame multi-ethnique.« Nous nous battons pour ladéfense des intérêts serbes ausein de la Bosnie-Herzégo-vine », souligne Bojan Stanko-vic, étudiant de 25 ans et prési-dent de la section jeune de laformation. Ancien leader d'ex-trême droite et fondateur du

Les Bosniens comparentfréquemment leur pays auroyaume belge empêtrédans une querelle institu-tionnelle, politique et lin-guistique entre Flamands etWallons. Les tensions entreles communautés serbe,croate et bosniaque sontsouvent rapprochées de

celles qui existent entrecelles composant la Bel-gique. Les Bosniens voitdans le modèle belge et sesmultiples strates adminis-tratives des similitudes avecleur pays, la Belgique re-présentant ainsi une lueurd’espoir pour leur pays ausystème aussi compliqué.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 11

URESFoca et Gorazde en parallèleIsolées dans deux vallées de part et d’autre de la ligne de démarcation, les deux villes tentent de renouer des liens détruits par la guerre.

VISIBLES depuis le pont quimène au centre de Gorazde,les deux minarets de l'im-

mense mosquée posée sur larive de la Drina percent le ciel.L'édifice aux nombreux dômes,pouvant accueillir 700 fidèles, aété offerte à la ville par des do-nateurs turcs, et symbolise au-jourd’hui les reconstructions del’après-guerre. Gorazde est laseule des cinq enclaves proté-gées par la communauté inter-nationale à avoir résisté aux at-taques serbes. Elle estdésormais rattachée à la Fédé-ration par un étroit corridor quiperce la Republika srpska. A 30 kilomètres de là, traverséepar le même fleuve mais del’autre côté de l’lnter entityboundery line (IEBL), cettefrontière intérieure quisépare les deux entitésde la Bosnie-Herzégo-vine, Foca construit sanouvelle cathédrale or-thodoxe. En face de lamairie campe unegrande croix, un monu-ment dédié aux soldatset aux civils serbes.Pendant le conflit, cetteville était le bastion desnationalistes quil'avaient renommée Sr-binje (la « ville desSerbes »), appelation qu’elle agardée jusqu'en 2003.

Prôner la réconciliation.Mais depuis l'élection deZdravko Krsmanovic en 2004,réélu en 2008, Foca redoubled'efforts pour tourner la pagesur son passé. Son maire, endésaccord avec le nationalisteDodik – Premier ministre de laRepublika srpska (lire p. 8) – acréé un parti qui prône la récon-ciliation et a pris langue avecNasa Stranka, la formationmultiethnique créée à l’initia-tive du cinéaste Danis Tanovic.Zdravko Krsmanovic, qui s’estdéclaré candidat à l'électionprésidentielle d'octobre pro-chain, est le premier maire deFoca à avoir condamné officiel-lement les atrocités commisespar les Serbes pendant laguerre. La ville était connuepour ses « camps de viols ».

Aujourd'hui, les deux voisinesaffichent une volonté de tra-vailler en partenariat. « Il y ades bonnes relations entre Go-razde et Foca, explique Du-sanka Stankovic, porte-paroledu maire de Foca. Les deuxmunicipalités s'entraident dansdifférents domaines : en casd'incendie ou de dégâts dûsaux conditions météorolo-giques, par exemple. »A l'initiative de l'Organisationpour la sécurité et la coopéra-tion en Europe (OSCE), baséeà Foca, plusieurs projets sco-laires ont été mis en place.« Depuis 2006, on organisedes camps d'été à Gorazdepour mélanger les enfants desdeux villes », explique SuvadaOsmanspahic, responsable des

projets d'éducation àFoca. « La collabora-tion directe entre direc-teurs et enseignants desécoles des deux munici-palités est quelquechose d'assez récent »,commente-t-elle.

Ecole. Si les officielsprofessent la réconcilia-tion, la population desdeux villes manifestemoins d’enthousiasme.A Foca, il n’existe au-

cune école mixte. Selena Saricest institutrice dans l'un desdeux établissements primaires.Sa classe, d'une trentaine d'en-fants âgés de 8 à 9 ans, révisela géographie. Affichées auxmurs, des cartes de la Bosnie-Herzégovine, d'Europe, desEtats-Unis, toutes en cyril-lique : « Ici, il n'y a pas d'en-fants de familles bosniaques.Certains de mes élèves pensentmême qu'ici c'est la Serbie. »En principe, rien n’empêched’inscrire son enfant dans uneécole serbe si l'on est Bos-niaque, mais « les parentsmanquent de confiance, ils ontpeur que leur enfant soit seuldans une école de l'autre en-tité », explique Suvada Os-manspahic de l'OSCE. Tous lesjours, une dizaine d'enfantsbosniaques de Foca prennent lecar pour se rendre à l'école deGorazde. Les écoliers serbes

de Gorazde font le trajet jusqu'àFoca.Même si, selon la municipalité,l’arrivée et les propos rassu-rants de Krsmanovic ont favo-risé les retours, seuls une cen-taine de Bosniaques seraientrevenus vivre définitivementparmi les 12 000 habitants deFoca. Avant la guerre, la villecomptait 14 000 âmes, dont51% de Bosniaques. Environ4500 d’entre eux y ont tout demême gardé leurs maisons et yretournent l'été. La majorité ha-bite désormais Gorazde, quicompte 16 000 habitants contre17 000 en 1991. Depuis 1995,sept centres collectifs pour lespersonnes déplacées ont étéconstruits. Deux ont été fermésen 2009 pour cause d'insalu-brité. Les cinq restants ac-cueillent 231 personnes, selonle Haut commissariat aux réfu-giés (UNHCR). Pour la majo-rité d’entre eux, la guerre alaissé des séquelles irréver-sibles.

« Peur de retourner là-bas ». Azra Delic, 32 ans, aemménagé à Balkan I, un deces centres collectifs, en 1996,après son mariage. Des car-reaux manquent aux fenêtres,les murs sont noircis par lacrasse, les chiens errants inves-tissent les cages d'escalierstransformées en vide-ordurespar certains habitants. Azra De-lic vit avec son mari, son beau-frère, un neveu attardé mentalet sa belle-mère malade. Leurdeux pièces de 40 m2 contient àpeine deux banquettes-lits etune cuisinière à charbon pourchauffer le salon. Mais pour eux, pas question deretourner à Ustipraca, leur villed’origine, à quatre kilomètresde Gorazde, mais du côté serbe.« Une entreprise mandatée parl'Etat a reconstruit la maisonde mes beaux-parents, explique

la trentenaire, mais elle est troppetite et les murs s'effritentdéjà. De toute façon, on a peurde retourner là-bas. » Sur lavingtaine de familles qui vi-vaient à Ustipraca, une seule arebâti sa maison, mais elle n'yretourne que le week-end.« Certaines personnes quittentles logements collectifs pour yrevenir quelques mois après »,souligne Nefisa Medosovic,agent de terrain pour l'UNHCRdans la zone de Gorazde. Tout autant que leur maisond’origine, les réfugiés ont be-soin de trouver un environne-ment sécurisant : médecin pourles malades, travail pour ceuxqui peuvent, école pour les en-fants et, pour tous, des lignesélectriques, détruites pendant laguerre, qui n'approvisionnenttoujours pas les villages lesplus isolés. Mais pour la plu-part, les traumatismes consti-tuent le premier motif de non-retour. Mustapha et FatimaBaorovic, vivent un étage au-dessus de la famille Delic. Lecouple de retraités s'est réfugiéà Gorazde dès 1992, aprèsavoir assisté à l’incendie de lamaison familiale et être restécinq mois prisonnier desSerbes. Suite aux tortures qu'ilsont subies, ils ne peuvent ima-giner retourner à Jelec, leur vil-lage d’origine, près de Foca. Pour préparer les bases d'unecoopération efficace, l'OSCEde Foca a créé une formationcommune nommée « dévelop-pement entre municipalités etengagement des communau-tés ». Celle-ci devrait inciter lesemployés municipaux àl'échange d'informations et à lamise en place de projets entreles deux villes. Pour l'instant, laréconciliation se passe dans lesbureaux, pas dans la rue.

Doriane KalbeLucile PineroPaola Stecca

Cette écoleprimaire deFoca, enRepublikasrpska,n’accueilleaucunenfantbosniaque.

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Lancées début octobre2009 sous l’égide del’Union européenne et desEtats-Unis, les négociationsde Butmir, le quartier del'aéroport de Sarajevo, vi-saient à trouver un accordentre les chefs politiquesbosniaques, serbes et

croates afin de renforcer lepouvoir central. Les diffé-rentes parties n’ont finale-ment pas pu s’entendre surun projet de réforme de laConstitution. Ces pourpar-lers étaient présentéescomme ceux « de la der-nière chance ».

BUTMIR

« Les pa-rents ontpeur que

leur enfantsoit seuldans uneécole de

l’autre en-tité. »

Suvada Os-manspahic,de l’OSCE

10 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

FRONTIÈRES INTÉRIEU

Le double je de DobrinjaCe quartier de Sarajevo est traversé par la frontière entre la Fédération et la Republika srpska. Serbes et Bosniaques se font face.

DES centaines de blocsjaunâtres, d’autres enconstruction, deuxgrands centres com-merciaux, pas vraimentde place centrale, très

peu de bars et aucun cinéma : lequartier de Dobrinja a poussécomme un champignon lorsqueSarajevo a accueilli les Jeuxolympiques d’hiver, en 1984.Sur quelques façades, on aper-çoit encore Vucko le loup, lamascotte des Jeux. « J’étaisfière d’habiter là, c’était unquartier tranquille et assezchic », décrit Sabina, une an-cienne résidente. C’était avant la guerre. Mainte-nant, Dobrinja est à cheval sur

la frontière entre la Fédérationet la Republika srpska (RS) : àl’est du quartier, on est résolu-ment tourné vers Pale, à 15 kmde là, vers Banja Luka, à170 km ou vers Belgrade, la ca-pitale de la Serbie. A l’ouest,c’est le centre de Sarajevo quel’on regarde. Que ce soit pourles études ou les soins médi-caux.

« L’autre côté ». Le réseaude transports en commun ac-centue encore cette dualité. Leslignes locales ne sont pas re-liées. A peine 300 mètres sépa-rent le terminus fédéral de lagare routière bosno-serbe. Dansles bureaux de poste, il est im-possible d’acheter un timbrebosno-croate et de poster lalettre en RS, et vice versa. « Detoute façon, je n’ai rien à faireà Dobrinja-est. Je trouve queles gens sont différents, l’atmo-sphère est hostile », commenteNerma. La jeune fille de 22 ansne s’est rendue « de l’autre

côté », à vingt pas pourtant,qu’en une seule occasion :« Ils ont un New Yorker, unmagasin de vêtements, moinscher que chez nous. »Quelques rues plus loin, dansla partie serbe de Dobrinja,Marina, la quarantaine dyna-mique, tient un restau-rant, « où l’on sert duporc » précise-t-elle.Avant la guerre, elle te-nait une discothèquedans le centre de Sara-jevo, le BB club, ausous-sol de l’hôtel Bel-grade, rebaptisé depuishôtel Bosna. En quinzeans, elle n’a remis lespieds qu’une seule foisà l’ouest. Elle s’y sent« effrayée », « mal àl’aise » : « C’est chezmoi pourtant. Mon club mar-chait du tonnerre : catho-liques, musulmans, ortho-doxes, tout le monde faisait lafête ensemble. J’aimerais reve-nir à cette époque. »

Latin, cyrillique. ZelikaPozulj fait partie des habitantsobligés de faire la navette quo-tidiennement. Elle enseigne lalittérature serbe à Pale, mais aréinvesti la maison familiale,côté Fédération. Orthodoxepratiquante, elle se définitcomme une personne tolérante.Mais, admet-elle, « si mon fils,plus tard, choisit une personned’une autre confession, ce seraun scandale ».Aucune barrière ne matérialisela séparation. De part et

d’autre défilent les mêmes bâ-timents jaunâtres et tristes.Seule rupture apparente dans lepaysage : les panneaux, les en-seignes des magasins, en al-phabet latin côté bosno-croate,en cyrillique côté serbe.L’observateur attentif remar-

quera d’autres détails :dans l’impasse où setrouve le salon de coif-fure de Natasa Moce-vic-Dzino, les numérosde rue sont bleus d’uncôté et verts de l’autre.Le petit square central,transformé par unequinzaine d’adoles-cents en terrain de footimprovisé, est pile surla frontière. « Ici, c’estun lieu de rencontre. Jecoiffe tout le monde

sans distinction », assure Na-tasa. Aux prochaines élections,elle ne votera pas : « Ce sonttoujours les mêmes politiciensdepuis 20 ans, ce sont eux quiexacerbent les problèmes entreles deux communautés. »En face du salon, Dorde Stano-jevic pose deux minutes sonballon. « Ceux de l’autre écolesont nos copains, on joue sou-vent au foot ensemble », as-sure-t-il. Derrière lui, un gamintient à apporter une précision :eux, soutiennent l’équipe deSerbie. Et l’équipe bosnienne ?Le petit groupe se bidonne :« Dans 100 ans, quand elleaura le niveau. »

Doriane KalbeLucile PineroPaola Stecca

La divisionse cachedans lesdétails :alphabets,signesreligieux,couleurs desnuméros derue,servicespostaux.

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Le terme « bosnien »(« bosanac ») désignetous les citoyens de laBosnie-Herzégovine,quelle que soit leur na-tionalité : serbe, croate,bosniaque ou autre(Roms ou juifs).« Bosniaque » (Bošnjak)est désormais utilisé

pour désigner les mu-sulmans de Bosnie.Cette appellation vientdu début de la domina-tion ottomane du pays,au XVe siècle. Dans laYougoslavie royalistepuis communiste, les ci-toyens pouvaient se dé-clarer Serbes, Croates

ou Macédoniens mais lanationalité bosniaquen’avait aucune recon-naissance officielle, jus-qu’à l’introduction parTito en 1974 de la na-tionalité musulmane.Cette dénomination res-tera utilisée jusque dansles années 1990.

BOSNIEN, BOSNIAQUE

« Si monfils, plus

tard, choisitune per-

sonned’une autreconfession,ce sera unscandale. »Zelika Po-zulj, ensei-

gnante

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 13NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 13

FRONTIÈRES INTÉRIEURES

lestinien, c’est un belexemple ! » Un discours policébien rodé et teinté de paterna-lisme occidental, qui s’étaledans les couloirs du UWC.Entre les photos de soiréesd'Halloween s’affichent lessouvenirs de cérémonie de re-mise de diplôme à l’américaine.Robes bleu vif impeccables ettraditionnel lancer de coiffesvers le ciel faisant foi.Après leur bac, les lycéens rê-vent d’obtenir une bourse pourpartir étudier à l’étranger,même si les étudiants prévoientpour la plupart « de revenir enBosnie-Herzégovine une foisdiplômés, pour aider le pays ».La bonne parole a au moins étéentendue par ses disciples.

Camille Caldini

La conversion de PaleHissée au rang de capitale par RadovanKaradzic pendant la guerre, la ville aspireaujourd’hui à une vie nouvelle.

dante ». Les unions étudiantesont beau se défendre de résisteraux pressions, les universitésrestent aux mains des nationa-listes locaux. Côté est, le SDAet le SBIH, les partis majori-taires nationalistes bosniaques,se disputent les postes-clés. Al'ouest, c'est HDZ – leparti nationaliste majo-ritaire croate, auquelest notamment affilié lemaire – qui détient lamajorité des postes del'administration, la di-rection de chaque fa-culté, et donne le tondans le corps ensei-gnant. « Il est impos-sible pour quelqu'unqui n'a pas de carte àun de ces partis d'obte-nir un poste », ex-plique-t-on au bureaudu Haut-Représentantde l'ONU (poste créé par lesAccords de Dayton, qui ont misfin à la guerre) à Mostar.

Lassitude. Les partis natio-nalistes ont des moyens depression financière. La faccroate est financée par le cantonHerzegovina-Neretva – quicompte Mostar – et par quatrecantons, composantes du terri-toire croate de Bosnie-Herzégo-vine, dit « Herzeg-Bosnia »,mené par des partis croates mi-noritaires.

Ces cantons ont montrél'étendue de leur pouvoir surl'établissement en coupant leurcontribution au budget annuel– budget de 25 millions d'euros,selon Amir Selo – à cause deconflits d'intérêt avec HDZ.

diants des deux établissementsne font que se croiser dans lesescaliers. Piloté par l'associa-tion finlandaise « Educationfrom conflict to internationa-lism » et parrainé par NelsonMandela, le UWC entend pour-tant prêcher la bonne parole au-delà de ses murs.Milica, qui a quitté son villageprès de la frontière serbe pourpréparer un baccalauréat inter-national au UWC, estconsciente de vivre dans unebulle. « La mixité dans laquellenous vivons a changé les men-talités de la trentaine d’élèvesbosniens, constate-t-elle. Maisil ne faut pas se faire d’illu-sions quant à son influence surla ville et sur le pays, on nechange pas les gens du jour aulendemain. » Dans la chambrede Milica, vivent aussi Maida,Bosniaque, Hilary, Américaineet Shaked, Israélienne. C’estl’administration qui imposecette composition aux étudiantsde première année.

Paternalisme occidental.« L’esprit de ce lycée est d’ap-prendre aux différentes commu-nautés à vivre et travailler en-semble », vante Meri Musa,chargée des relations pu-bliques. « Quand les étudiantslocaux voient un Israélien de-venir le meilleur ami d’un Pa-

SUR les hauteurs dePale, les maisons mas-sives d’avant la guerrecôtoient les villasluxueuses encore enconstruction. Les Vols-

wagen rouillées disparaissentderrière des 4x4 Mercedesflambants neufs. Les passantssont rares, si ce n’est quelquesenfants qui tournent en rond surdes vélos chromés éblouis-sants. A une centaine de mètresen contrebas, de l’autre côtéd’une voie rapide, la ville nou-velle avale les restes du villagede 6000 habitants d’avant laguerre. Dans le dos du centrecommercial, point névralgiquede la ville, la fontaine en formede lys, seule au milieu d’unegrande place où personne nepasse, se donne des airs de jar-dins de Versailles.En face, la cathédrale ortho-doxe passe inaperçue, poséedans un carré de pelouseboueuse entre un bâtiment bei-geâtre dont rien n’indique qu’ils’agit du cinéma, et la rue quiconcentre la dizaine de cafésbranchés de la ville. «Il n’y arien de plus à faire. Il n’y a pasde théâtre, pas de concerts,pas de magasins pour faire dushopping et le cinéma passe lesfilms un mois après leur sortieà Sarajevo », plaisante AnjaMandic, étudiante en troisièmeannée d’anglais. Bienvenue àPale, petite bourgade bour-geoise, à 30 kilomètres de Sara-jevo, capitale de Bosnie-Herzé-govine.

Anja et sa colocataire MirjanaTodorovic viennent de Tre-binje, dans le sud-est de la Re-publika srpska. « Quand il afallu choisir une université onn’a même pas pensé à Sara-jevo. C’était soit Belgrade, soitPale. Mais il y a peu de placesà Belgrade. » Fondée à la finde la guerre par des professeursserbes de l’Université de Sara-jevo, l’Université de Pale s’estdotée de quatre facultés.Celles-ci regroupent diversesfilières comme le droit, la phi-losophie, les mathématiques,l’anglais ou l’histoire.

Prix attractifs. La ville, quise rêve campus américain avecson lot de fausses blondes enjogging de velours, accueille3000 étudiants environ, venusde toute la Republika srpska.La plupart d’entre eux louentdes appartements sur place.« Les prix sont beaucoup plusattractifs qu’à Sarajevo, autantà la location qu’à la vente.D’ailleurs beaucoup se sontvendus l’an dernier. La ville esten pleine expansion », com-mente Slobodan Savic, le mairede Pale, sans citer de chiffres.Selon lui, « Pale a les avantagesd’être à proximité d’une grandeville sans en avoir les inconvé-nients ». « Tout le monde seconnaît, on s’y sent en sécurité »,confirme Mirjana. Com-prendre : par rapport à Sara-jevo, peuplée de Bosniaques enmajorité. « Quand on part là-bas pour la journée, ���

D'autres blocages ponctuent lavie universitaire. Le ministrede l'éducation du canton(SDA), a refusé de délivrerleurs diplômes à une promotiond'étudiants croates pendant plu-sieurs mois, car elle était enavance d'un an sur le processus

de Bologne - trois ans delicence, deux ans demaster - sur les étudiantsbosniaques.Chez les étudiants, lalassitude l'emporte.Même les plus activistesd'entre eux, qui prônentle mélange et l'ouver-ture, ont assimilé les di-visions et peinent à s'endétacher. Martina Ra-guz, arrivée à Mostaraprès la guerre, est in-vestie dans l'union étu-diante de l'universitécroate, ainsi que dans de

nombreux projets de rappro-chement entre les communau-tés.Capable de s'insurger pendantplusieurs heures contre les réti-cences des jeunes à se mélan-ger, les familles « bornées »qui délivrent une éducation« quasi-fasciste », ses cama-rades croates qui refusent deprendre un café sur la rive est,elle finit pourtant par évacuertoute hypothèse de fusion entreles deux universités : « La facde Mostar est la seule croate detoute la Bosnie. On a le droit depouvoir étudier dans notrelangue. Même s'il n'y a que peude différence de vocabulaireentre les deux langues. C'estune question de principe ».

Charline Blanchard

« On a ledroit

d’étudierdans notre

langue,c’est une

question deprincipe. »MartinaRaguz,

étudiante àl’université

croate

Ce projet européen de couloir detransport multimodal (fer/route) pré-voit de relier Kiev à Barcelone vial'Europe centrale et les Balkans. Il as-sure concrètement la libre circulationdes personnes et des biens. Son axe Cira de Budapest à Ploce, en Croatie,en passant par la Bosnie-Herzégovine.D’une longueur de 334 km, il doitpasser par Mostar, Sarajevo, et Doboj,avant de déboucher à Osijek.

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Pale a sonproprecampus,mais n’offreni distractionni travail àses jeunes.Une foisleurs étudesterminées,ils quittentla ville.

quelques mots entre deuxportes, en anglais. Les 154élèves sont tous bilingues.Luka, croate, et Milica, serbe,terminent leur première année.Entre eux, ils ont pris l’habi-tude de discuter en anglaisaussi. Sans pour autant oublierleurs langues natales, sujetde plaisanteries récurrentes.« Pour dire "assiette", lesCroates disent "tanjur" et lesSerbes disent "tanjir", ex-plique Luka. Chaque foisqu’on entend ce mot, c’est uneoccasion de se rappeler à quelpoint cette division est stu-pide ». Ce qui les amuseconstitue le lot quotidien desautres lycéens de Mostar.

Classes séparées. Pas be-soin de quitter le bâtiment pourrencontrer une toute autre réa-lité du système éducatif. LeUWC partage les murs orangevif du gymnasium. Souventcité en exemple d’intégration,ce lycée historique de la villeaccueille des élèves bosniaqueset croates sous le même toit,mais dans des classes séparéeset avec des enseignements dis-tincts. A part quelques activitéscommunes comme une équipede robotique – la seule du pays,primée lors d’une compétitioninternationale en mars – ou lenettoyage de la ville, les étu-

Bulle de mixité

12 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL12 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

FRONTIÈRES INTÉRIEURES

A Mostar, campus à partSelon qu’ils sont croates ou bosniaques, les étudiants de Mostar ne fréquentent pas la mêmeuniversité. Une division profondément ancrée, entre pressions politiques et réticences personnelles.

parle bosniaque. « J'ai dû pas-ser 14 fois l'examen de statis-tiques sans jamais réussir àl'obtenir. Je n'ai jamais eu decorrection ni su pourquoij'avais échoué. »Les programmes n'étant pasexactement les mêmes dans lesdeux universités, et fauted'équivalence des diplômes,Ti-

bor a dû reprendre ses étudesdepuis le début. Il balaie sansscrupule la bonne entente pré-tendue entre Bosniaques etCroates. Quelques mois plustôt, il avait été agressé par dejeunes Croates en rentrant chezlui. « C'est toujours la guerreici. Il arrive régulièrement quedes jeunes de chaque commu-nauté se fassent tabasser. »

Blocage politique. Les ten-tatives de rapprochement sontpeu nombreuses. Tonka Kresicet Amir Selo, qui occupent lespostes de présidents des unionsétudiantes, l'un du côté croate,l'autre du côté bosniaque, ten-tent d'organiser des projetscommuns entre les deux facs.Une conférence communeentre les deux unions étu-diantes, par exemple. Mais latentative a échoué, et rien deprobant n'a vu le jour jusqu'ici.Le principal blocage, au-delàdes réticences étudiantes, estpolitique. « Je ne veux faire dela pub pour aucun parti », ex-plique Amir, évoquant des« pressions politiques » maisrefusant d'entrer dans les dé-tails. Même discours chezTonka, qui promulgue une poli-tique pro-européenne, et seflatte d'être à la tête de l'unionétudiante d'une fac « indépen-

MOSTAR, 100 000 ha-bitants, 25 000 étu-diants. Pas de cinémani de salle deconcert, mais deuxuniversités, qui dis-

pensent, à une ou deux excep-tions près, les mêmes enseigne-ments.Ici comme ailleurs, la vie s'estorganisée pour éviter que lescommunautés bosniaques etcroates, qui se partagent laville, ne se rencontrent. Sur larive est, l'université Sveucilisteu Mostaru, de langue croate. Laseule dans toute la Bosnie. Ins-tallé au milieu du quartiercroate, où se concentre l'acti-vité économique de la ville, lecampus de neuf facultés est bâtidans des infrastructures neuves,construites entre la fin de laguerre et le milieu des années2000, en partie financées par Za-greb. Sur la rive ouest, la facDzemal Bijedic, dite bosniaque.Huit départements, avec desbâtiments en assez mauvaisétat, des salles de classe sou-vent pleines à craquer. Entre lesdeux, l'ancienne ligne de front,dématérialisée depuis la fin dela guerre, mais barrière in-

Symboliquementinstallé sur l’ancienneligne de front, le Unitedworld college deMostar prône ladiversité ethnique.

Al'heure du dîner, malgrél’approche des examens, larésidence Musala res-

semble plus à une colonie devacances qu'à un internat stu-dieux. Les lycéens du Unitedworld college (UWC) de Mos-tar, en short et sandales, assisen petits groupes sur le parvisde l'immeuble, dévorent leurrepas dans des barquettes enpolystyrène. Dans les couloirs,ils s'interpellent, échangent

flexible dans la plupart des es-prits.Dans les discours, Croates etBosniaques habitent Mostar enparfaite harmonie, et les divi-sions ethniques sont enterréesdans le passé. Matea a 20 ans.Elle étudie l'économie à Sveuci-liste u Mostaru. « Ça ne me poseaucun souci de passer de l'autrecôté », affirme-t-elle, brandissantl'argument usuel à Mostar : « J'aides amis musulmans, oui ».

Divisions intégrées. Pour-tant, Matea passe son tempsdans les cafés de Rondo, lecentre « branché » du quartiercroate, la fac, et le petit villageen périphérie de Mostar, croatelui aussi, où elle habite avec sesparents. La version bosniaquede la ville, elle ne la connaitpas.Rarement avouées, les divi-sions croato-bosniaques sontparfaitement intégrées par lesjeunes de Mostar, et peu re-mises en question. Le choixd'une université au lieu del'autre est toujours délicat à ex-pliquer. « Les profs sontmeilleurs chez nous et les coursplus complets », prétexte Mateaau nom des étudiants croates,« c'est plus près de chez moi »,défend Amila pour la commu-nauté adverse. Selon la mairiede Mostar, il y aurait 10% deBosniaques dans la fac croate,et 10% de Croates dans la facbosniaque. L'intégration a été compliquéepour Tibor. Issu d'une famillemixte, se revendiquant musul-man, il a étudié pendant deuxans la mécanique à la faccroate, avant d'opter pour uncursus côté bosniaque. « Dis-crimination », explique-t-il. Encours de statistiques, son pro-fesseur lui demande à plusieursreprises sa nationalité, et le cor-rige constamment quand il

Sveuciliste uMostaru est laseuleuniversité enlangue croatedans toute laBosnie. Seuls10 %d’étudiantsmusulmans lafréquentent.Ré

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Respecti-vementbosniaque,croate etserbe, Maida,Luka etMilica sontconscientsque l’étab-lissement quileur permetd’être réunisest uneexceptiondans le pays.

Deux trains quotidiens traversent laBosnie, et passent par une trentainede villes, dont Banja Luka, Tuzla, Ze-nica, Sarajevo, et Mostar. Censé par-courir 450 kilomètres en près de9 heures, il prend souvent 11 heuresen réalité. Deux compagnies coexis-tent sur le territoire, celle de la Repu-blika srpska et celle de la Fédération.A la ville-frontière Doboj, les trains,qui comprennent trois wagons, un dechaque entité et un croate, changentde locomotive et d’employés. Voyageren train reste moins cher qu’en car.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 15

FRONTIÈRES INTÉRIEURES��� La mixité dans la citéressemble plus à une cohabita-tion. Les Bosniaques seconcentrent presque exclusive-ment dans la partie basse deBrcko. Dans le centre-ville,Serbes et Bosniaques s’assoientrarement aux mêmes terrasses.« Je n’ai pas de haine contreles Bosniaques, mais je ne mesens pas à l’aise en leur pré-sence », confie un jeune électri-cien serbe. Lui et sa famillesont des réfugiés de l’intérieur,qui ont fui le territoire de l’ac-tuelle Fédération pour s’instal-ler ici. « En grattant un peu le vernis,on se rend compte que l’ententeentre les communautés est fra-gile, analyse une jeune femmede Tuzla qui travaille dans ledistrict. Les élus de l’assem-blée locale ne montrent pasl’exemple. « Ils s’écharpentautour de la défense des inté-rêts de leur propre commu-nauté. »« L’argent et l’énergie investisà Brcko par la communauté in-ternationale ont apaisé les ten-sions dans l’immédiate après-guerre en concentrant tout lemonde sur la reconstruction »,estime un magistrat, originairede Brcko.

Revitaliser le territoire. Lamise sous perfusion américainea permis au district de se doterde nouvelles infrastructures,comme le grand complexe judi-ciaire, sans devoir s’endetter.Aujourd’hui le budget, quis’établit à 190 millions de KM,est à l’équilibre. Le PIB par ha-bitant, de 5 966 dollars US,reste 25% plus élevé que dansle reste de la Bosnie. Le fonctionnaire persiste, pes-simiste : « Le problème estqu’aujourd’hui personne n’ade stratégie pour un développe-ment économique durable dudistrict. On ne produit presqueplus rien ici. Avant la guerreBrcko avait 6 ou 7 grossesusines de confection qui em-ployaient près de 2 500 per-sonnes. 4 000 habitants de laville située juste de l’autre côtéde la Sava, en Croatie, fran-chissaient le pont pour venirtravailler ici. Ce temps-là estrévolu ».Le district explore des pistespour revitaliser le territoire. Leport fluvial de Brcko pourraitbénéficier d’un lifting. « Nouscherchons un modèle pour saprivatisation. En parallèle, ilfaut trouver des fonds pourdrainer la Sava et moderniserle chemin de fer. » Pajic veutaussi créer une antenne del’université de Ljubjana àBrcko. « Il est urgent de fixerles jeunes sur notre territoire. Al’heure actuelle, beaucoup sontscolarisés ailleurs. »Pendant ce temps-là, les ju-ristes s’affairent pour trouverune porte de sortie au Supervi-seur, dont il faut notammentgarantir la continuité des actesjuridiques. « Personne ne saitvraiment ce que vont devenirces décisions », explique Slo-bodan Zobenica, président dela Commission judiciaire.

Elodie Berthaud

La Bosnie-Herzégovine compte troisgrandes religions. Selon le world fact-book de la CIA, les musulmans compo-sent 45% de la population, les ortho-doxes 36%, et les catholiques 15%.Les autres confession comptent moinsde fidèles (les protestants représentent1% de la population, et les autres reli-gions, dont les juifs, 3%). Ces trois reli-gions correspondent plus ou moins autrois communautés qui cohabitent sur leterritoire: la majorité des Bosniaquessont musulmans, les Serbes sont ortho-doxes, et les Croates catholiques. Le net-toyage ethnique intervenu pendant laguerre de 1992-1995 a provoqué desflux migratoires et accentué les divisionsethno-religieuses entre les deux entités.Une majorité de serbes orthodoxes viten Republika srpska, et la plus grandepartie des Bosniaques vit en Bosnie cen-trale. De la même façon, la plupart desCroates catholiques habitent en Herzé-govine.

Les religions

Détail de l’entrée du centreislamique de Mostar (1).Messe catholique à Banja Luka,où la communauté croatecompte environ un millier demembres (2 et 5).Célébration orthodoxe del'Assomption dans l’église duSaint-Sauveur de Banja Luka(3).Fidèles musulmans à l’heure dela prière à Sarajevo (4).Ca

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Brcko, l’utopie en sursis��� j’enlève la croix que jeporte autour du cou et mon bra-celet à icônes. Je n’ai pas peurmais j’ai entendu des histoiresd’agressions . A Pale, on ne res-sent pas cette peur des autres »,précise Mirjana. Déjà lors du re-censement de 1991, Pale comp-tait seulement 1630 Musulmanssur quelque 6000 habitants. Au-jourd’hui, la population est esti-mée à près de 35 000 habitantset aucun minaret ne surplombeles immeubles bas et neufs. Lesdeux amies affirment que le pro-blème principal est celui destransports : six cars par jouravec un dernier départ des deuxvilles à 16h30. Ce souci n’affecte pas SlobodanSavic, le maire de Pale. « Cetteville deviendra l’une des plusimportantes de Republikasrpska et d’Europe », assure-t-ilen montrant une vue aériennejaunie coincée sous le sous-verre de son bureau. Ce désir degrandeur rappelle celui de Ra-dovan Karadzic, le fondateur duParti démocratique serbe (SDS)auquel appartient Slobodan Sa-vic. L’ancien chef des Serbes deBosnie avait consacré Pale ens’y installant pendant le siège deSarajevo. Mais ici, en parler estmal vu. Lorsqu’on les interroge,les habitants s’offusquent :« Karadzic c’est du passé, de lapolitique, et on n’y comprendrien. »

En déclin. Anja et Mirjanaévoquent Pale comme un petitrefuge. Elles y ont quelquesamies et, coupées du monde etdes Bosniaques « avec qui il estimpossible de cohabiter », ellesrêvent du jour où elles partirontà l’étranger, en Angleterre. « Jeveux découvrir le pays que j’étu-die, voir si j’y trouve du travailparce qu’ici, c’est impossible »,constate Anja. La seule indus-trie de Pale a fermé en 2007.L’usine de transformation dubois, en déclin depuis la fin dela guerre, a été rachetée par legouvernement et revendue à unpromoteur privé. Au pied de lapimpante faculté de philosophies’étend désormais un terrainvague encombré de planches, debarres de fer, une haute chemi-née en fer rouillé. Huit étages debriques rouges ont commencé àpousser. A leurs pieds, les mi-nuscules et humides baraquesd’une vingtaine d’ex-salariés dela fabrique seront bientôt dé-truites. « Des tractopelles sontvenus la semaine dernière. Je nesais pas où aller. Je n’ai plus detravail, pas de quoi payer unloyer », raconte Dragan Pande-ruvic , 52 ans. Il vit seul depuissept ans dans une trentaine demètres carré, sans électricité nieau courante. Anja et Mirjanapassent devant chez lui tous lesjours. « Ça ne nous regarde pas.Le gouvernement trouvera unesolution.» Elles tournent la têteavant d’ajouter en riant : « Moiaussi je vais quitter cette villeun jour. » La majorité des étu-diants de Pale retournent dansleur ville d’origine ou tententleur chance à Sarajevo. Palebrasse les cerveaux sans les re-tenir.

Lucile Pinero

C’EST le grand ménagedans la Supervision àBrcko. Sacs poubelleset cartons s’accumu-lent : les salariés sepréparent à déménager.

Il y a deux ans encore, 200 per-sonnes travaillaient, surproté-gées, derrière les murs épais decette antenne du bureau duHaut représentant de l’ONU enBosnie. Début juin, il ne resteraqu’une douzaine de salariés. A l’époque des négociations depaix de Dayton, en 1995, lesparties serbe et bosniaques’étaient accrochées sur le casBrcko car son territoire offre lecontrôle d’axes majeurs decommunication terrestres etfluviaux, un accès à la Croatieet à la Serbie. Son statut resteen suspens jusqu’en 1997. LesNations unies nomment à cettedate un superviseur chargé deveiller spécialement au terri-toire de Brcko, pour assurer sé-curité et stabilité à la municipa-lité. Treize ans plus tard, leSuperviseur est toujours làmais se prépare à partir. La mu-nicipalité, elle, a disparu pourlaisser place à un district quicoupe en deux la Republikasrpska.

Stabilité. Le territoire, 2%de la Bosnie-Herzégovine,abrite un peu plus de 100 000habitants. Il appartient auxdeux entités, autrement dit àpersonne. Depuis la fin de laguerre, la communautéinternationale a fait deBrcko un laboratoire.Elle a voulu, à coupd’ordonnances du Su-perviseur et de millionsde dollars, construire unmodèle de gouvernancetransposable à la Bosnieentière et vendre sa sta-bilité politique, sa réus-site économique, et lamixité créée dans l’ad-ministration.A quelques mètres de la fron-tière croate, dans le centre ville,le siège du gouvernement dudistrict de Brcko est le fief deDragan Pajic. Depuis 2009, lemaître des lieux est serbe et a sacarte au SNSD, le parti du puis-sant Premier ministre de la Re-publika srpska. Il est assisté deonze chefs de départements,sortes de ministres.  Pajic bran-dit une liasse de feuilles cou-vertes de chiffres. C’est le bud-get culture de l’équipeprécédente. Le maire a entouréla somme des subventions al-louées à chacune des commu-nautés du district : « Les asso-ciations bosniaques et croatesont reçu plus de crédits que lesassociations serbes. Une demes priorités est de rétablircette injustice. » Le refrain estconnu : le maire attaque systé-matiquement son prédecesseur,bosniaque.

Ici le fonctionnement des insti-tutions est basé sur un « gentle-men agreement » : la réparti-tion des postes doit respecter letriangle des peuples consti-

tuants. Si le maire estserbe, son adjoint serabosniaque ou croate. Ledernier occupera leposte de coordinateur enchef. Ces quotas offi-cieux se déclinent dansl’éducation ou la justice.La police ne fait pas ex-ception. Petites lunettesrectangulaires, posturedroite et costume cra-vate, le chef de la police

du district, Goran Luic, montresur son ordinateur la vidéo d’undes derniers coups de filet deson équipe : un atelier de fabri-cation de faux billets debanque. Luic fait figured’homme intègre et dynamique

dans son entourage. La ré-forme de la police a été un despremiers chantiers de la Super-vision. Au sortir de la guerre,elle était totalement dominéepar les Serbes. Dès 1997, l’In-ternational police task force(IRTF) a dû imposer la mixité. L’éducation, qui relève de lacompétence du district, a aussifait l’objet d’ambitieuses ré-formes. La première, en 2001,a permis la création de l’écoleunique, pour faire cohabiter lesenfants des trois communautés.La Supervision est allée jus-qu’à rendre facultatifs les coursde religion. Une première enBosnie. « Le superviseur a dûfaire un gros lobbying sur legouvernement, l’Assemblée etsur les établissements. Al’heure actuelle, la questiondes cours de religion fait en-core débat. Si la communautéinternationale se désengagemaintenant, je crains que lesréticences des familles et deschefs religieux ne reprennent ledessus », analyse un membrede la Supervision. Mais la volonté politique nesuffit pas toujours. En poussantles portes de l’école V., les li-mites du système se font sentir.Ici, les 550 élèves sont bos-niaques. « Notre personnel re-flète le poids des différentes na-tionalités », veut faire valoir ladirectrice, Jesla Lejlic. Parmiles cinq écoles primaires de laville, deux sont en fait réelle-ment mixtes, où les élèves seséparent à l’heure des cours delangues et lettres. ���

Le district de Brcko possède un statut géographique et politique à parten Bosnie. Un territoire d’expérimentation aux résultats contrastés.

« Notrepersonnelreflète lepoids des

différentesnationali-

tés. »Jesla

Lejlic,directrice

d’école

La guerre a provoqué denombreux déplacements depopulation qui peuventprendre différentesformes : il y a les déplacésou IDP (internal displacedperson), c'est-à-dire les per-sonnes restées dans leurpays mais qui ont dû quitterleur lieu d'habitat, les réfu-giés qui ont fui à l'étrangeret les retournés qui ontexercé leur droit au retour.

Parmi les 113 000 déplacés,7000 vivent encore dansdes centres d'hébergementcollectifs qui étaient censésêtre temporaires. Concer-nant les réfugiés, l'UNHCRen compte encore 400 000toujours à l'étranger, mais1,2 million de personnesont fui le pays pendant laguerre. Plus d'un million deBosniens ont exercé leurdroit au retour.

DÉPLACÉS, RÉFUGIÉS

A Brcko,district encoresoussupervisiondes Nationsunies, lesmembres de lapolice sontissus des troisethniesmajoritaires.

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FRONTIÈRES INTÉRIEURES

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IÉS Kozarac, le village plaqué or de la diaspora bosniaque

L’AUDI A6 noire pile de-vant le restaurant. Che-veux blonds bouclés, ti-rés par un bandeau rose,Zinajda Mahmuljin vientprendre un café avant de

démarrer sa journée. Son por-table sonne sans arrêt. En cemoment, cette cadre bancaire de35 ans tente de convaincre uneentreprise norvégienne de s’ins-taller à Kozarac, village à 95%bosniaque en Republika srpska.Une grande ferme agricole,avec un élevage de 600 vacheset de la production de biogazpourrait ouvrir ses portes. Zina-jda n’en est pas à son coup d’es-sai : depuis 2007, elle a pu fairevenir dans cette partie de nord-ouest de la Bosnie, trois sociétésétrangères, dont la croate NovaIvancic a. Cette usine de chaus-sures est installée aux portes duvillage, sur la route qui relieBanja Luka à Prijedor. Elle em-ploie 145 personnes, dont unevingtaine à Kozarac. Zinajda aconvaincu les Croates avecl’aide de la diaspora de Koza-rac, grâce à ses connexions et saconviction. Car, depuis 1992, le villagecompte des habitants installésdans 33 pays. Les 24 et 25 maide cette année-là, les forcesserbes de Bosnie attaquent levillage, arrêtent sa population et

l’emprisonnent dans trois campsde la région. En quelques jours,800 habitants sont tués, le vil-lage est incendié et détruit. Lamère de Zinajda est internée ausinistre centre d’Omarska, puisdans l’école de Trnopolje. Ellesera libérée au début de l’au-tomne. Son père est tué àOmarska. Réfugiées en Croatie,la mère et la fille rejoignent en-suite l’Allemagne. Elles y vi-vent cinq ans et demi.

Patriotes engagés.Sur les 25 000 habitantsde la région de Kodaracavant-guerre, au moins15 000 sont restés àl’étranger. « La diasporaest très importante pournous, se réjouit Zinajda.Ces patriotes ont beau-coup investi pour la re-construction de Koza-rac. » Ekrem Hadzic, unresponsable municipal de Koza-rac, avance un chiffre moyen de500 000 KM annuels apportéspar la diaspora pour la restaura-tion du village. Les Bosniaquesde Kozarac sont rentrés avec desdiplômes, de l’expérience et desvoitures de marques. Aujour-d’hui, des 4x4, des BMW et desMercedes se croisent dans la rueprincipale du village. Dans lesrues adjacentes, de grandes mai-sons de style occidental sontsorties de terre. « Tout ce qui aété investi à Kozarac provientdes particuliers », constate Zi-najda. Le village, qui compte selon lesestimations entre 4000 et 10 000habitants, accueille en été10 000 personnes supplémen-taires. Toutes en provenance del’étranger, toutes originaires deKozarac. Les restaurants, lespiscines, le club aquatique, lesmanèges pour enfants font leplein de visiteurs. Sur les photosde vacances, la vie dans le vil-lage ressemble à une grandefête. Propriétaire du club Spider,

la plus grande boîte de nuit deKozarac, inaugurée en 2005, Va-hid fait le compte : 1000 per-sonnes viennent dans le clubchaque soir. Il emploie une ving-taine de personnes, contre cinq lereste de l’année.

Succès en demi-teinte. Cetteréussite estivale est un succès entrompe-l’œil. De nombreusesmaisons richement reconstruitesrestent vides pendant dix mois

de l’année. Quinze ansaprès la fin de la guerre,Kozarac peine à s’affran-chir du soutien de la dia-spora, qui, elle-même,s’interroge sur le bienfondé d’un retour au vil-lage. Comme en Bosnie,le taux de chômage cara-cole à 40%, selon les ser-vices municipaux. Lesjeunes en sont les pre-mières victimes. La plu-

part d’entre eux cherche l’âmesœur chez les Bosniens del'étranger, pour quitter le village.« Nous avons peu de jeunes,beaucoup sont sans perspec-tives. Nous devons faire quelquechose pour eux, mais eux aussi,ils doivent commencer à prendreen main leur avenir », s’énerveZinajda. Depuis son retour en 1998 dansun Kozarac détruit, Adis n’a ja-mais trouvé d’emploi stable. A23 ans, ce jeune Bosniaque tri-lingue, s’occupe en dirigeant lecentre des jeunes, bénévolement.Jasmin, elle, 23 ans, a décrochéun poste dans l’usine de chaus-sures Nova Ivancica, sans rapportavec sa formation de coiffeuse.Elle gagne 370 KM par mois, 50de plus que le Smic. Mais elle n’aobtenu qu’un contrat de troismois, qui sera peut être prolongé.Sans grande illusion, elle espère :« Si je travaille bien, je serai dé-finitivement embauchée dansdeux ans. » Il y a deux semaines,l’ouverture du dispensaire de Ko-zarac a suscité de l’espoir. Tech-nicien médical de formation,Adis a cru pouvoir décrocher unposte. Mais, rattaché administrative-ment à Prijedor, la grande villevoisine, le village n’a pu choisirson personnel médical. Au granddam de Zinajda et de beaucoupde gens de Kozarac, qui militentpour obtenir le statut de munici-palité et décider ainsi de la nomi-nation des emplois publics. « Jelutte pour que nous puissionsnous-mêmes gérer un budget etinvestir dans notre village », in-siste Zinajda. Ekrem Hadzic, l’élu de Kozarac,s’agace : « Il y a des municipali-tés plus petites que Kozarac quiont obtenu ce statut. Kozaracpourrait-elle se financer seule ?Oui. Mais il manque la volontépolitique. Nous sommes un vil-lage musulman en Republikasrpska. » Adis n’a pas eu le tra-vail à l’hôpital. Sur les 10 em-ployés, il y a neuf Serbes et uneMusulmane.

Kathrin Aldenhoff

Nous, nous avons connu le sys-tème yougoslave où les écolesétaient réellement mélangées.Mes meilleurs copains étaientCroates et Serbes. »L’arrivée de leur enfant, Aljosa,il y a quatre mois, compliqueencore la situation. Ils s'inquiè-tent désormais du système édu-catif de Brcko. Pourtant lesécoles publiques y sont mixtes,seuls les cours de langues sontséparés. « Il devra choisir salangue "maternelle", bosnienneou serbe. C’est stupide, c’est lamême langue. Cela ne feraqu’introduire des clivages danssa tête. »

Partir. « Nous ne voulonspas imposer à notre enfant uneidentité ou une religion. Il choi-sira quand il grandira. Le pro-blème, c’est que la Bosnieoblige à se rattacher à l’une oul’autre des nationalités », dé-plore Almir. Le couple envisage de déména-ger pour Tuzla, une ville de laFédération croato-musulmanequ'ils imaginent plus agréable àvivre, plus ouverte. Brcko les adéçus, ils espéraient y trouverune population mélangée, étantdonné qu'environ 40% deSerbes habitent dans le district,pour 40% de Bosniaques et10% de Croates. « En réalité,il y a des cafés où les Serbesvont, d’autres où les Musul-mans se rendent. Seulsquelques bars ont une clientèlevraiment mélangée. » Et rien ne les retient ici disent-ils : Almir a été licencié en jan-vier. L'en treprise agroalimen-taire qui l'employait commereprésentant a réduit sa massesalariale à cause de la crise éco-nomique. Et Vanja n’est plussûre de retrouver son emploi devendeuse dans une boutique deparis sportifs à la fin de soncongé maternité. Almir et Vanja partiraient enFrance ou en Irlande si lesportes de l'Europe ne leurétaient pas fermées. « Ou enNouvelle-Zélande, c’est trèsbeau la Nouvelle-Zélande »,confie, joyeuse, Vanja. « Nousvoudrions juste que notre en-fant grandisse dans un environ-nement normal, où il ne seraitpas jugé en permanence, oùson nom et sa communautén’auraient pas d'importance »,explique Almir, le visagefermé.

Elodie Berthaud

« Tout cequi a été in-vesti à Koza-rac provientdes particu-

liers. »Zinajda

Mahmuljin,cadre ban-

caire

NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 17

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Quand l’étéarrive, lesBosniaquesinstallés àl’étrangerinvestissentla ville avecleursgrossesberlines.

Après de quinze ans d’existence, laBosnie reste privée de ce jour férié. LaRepublika srpska et la Fédération nesont pas parvenues à se mettre d’ac-cord sur une date. L’hymne national seréduit lui à une simple partition musi-cale, faute de consensus sur ses paroles.

FÊTE NATIONALE

Pendant la guerre, des milliersd’habitants sont partis se réfugierà l’étranger. Aujourd’hui, ce sonteux qui maintiennent l’économiesous perfusion.

DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉ

Vanja et Almir, un mélange qui dérange

idylle ressemblent à une his-toire d’amour ordinaire, ils par-tagent leurs week-ends entreTuzla, la ville de Fédérationdont Almir est originaire etBrcko, où Vanja habite depuistoujours.

Collection d’armes. Almirse souvient, amusé, de sa pre-mière rencontre avec le père deVanja. « Un dimanchesoir, j’avais manqué ledernier bus pour Tuzla,j’étais bloqué à la gareroutière, il faisait froid,il y avait de la neige.Vanja a donc parlé àson père et ils m’ontproposé de rester chezeux pour la nuit. C’étaitla première fois que jele rencontrais. Il a com-mencé par me montrersa collection de vieillesarmes à feu. Je n’ai pasdormi de la nuit. Al’époque, j’avais mal interpretéce geste et pris cela comme une

menace. Il était en fait trèssympa, il faisait beaucoup deblagues. »Cette attitude fut une exceptiondans le paysage familial de lajeune Serbe. « Ma grand-mèrene voulait pas le rencontrer, ra-conte Vanja. Mes cousins nevoulaient pas lui adresser laparole et ils me répétaient sanscesse : “Tu ne devrais pas êtreavec un musulman, tu devraisêtre avec un Serbe". »Alors les amoureux les ont misdevant le fait accompli. Aprèsleur installation à Brcko, Vanjaa annoncé à sa mère la nou-velle. « Je me souviens qu’ellea beaucoup pleuré. Mais avecle temps, elle a accepté la si-tuation. »Du côté de la belle-famille, iln'y eut pas de tels drames.« Ma mère est morte quandj'avais 9 ans. Mon père s'esttoujours complètement désinté-ressé de ma vie. J'ai très peude contacts avec lui », expliqueAlmir.

Discriminations. Leurs pro-blèmes ont progressivementmigré de la sphère familiale àl'univers professionnel. Il y atrois ans, Vanja décroche unjob de vendeuse dans un maga-sin de vêtements. « Quand mapatronne a appris que je vivaisen couple avec un Bosniaque,elle m’a rappelée pour me direqu’elle avait changé d’avis,que je ne faisais plus l’af-faire. » Almir poursuit : « Cesdiscriminations sont subtilescar les gens ne vont pas nousdire directement qu’ils sont dé-rangés par notre situation ma-ritale. Mais on le comprend pardes regards ou des attitudes ». Aujourd'hui le couple habite unappartement de 42 m2 modeste-ment meublé que Vanja a héritéde son père, il y a un an etdemi.Auparavant, le couple a dûchanger sept fois de logement àBrcko, agacé par des proprié-taires intrusifs. « A chaquenouvelle recherche, on tombaitsur des gens qui refusaient delouer leur bien quand ils com-prenaient par nos noms que

j’étais Serbe et qu’ilétait Bosniaque », ex-plique Vanja. « Ils pré-textaient que le loge-ment n’était plus libreou proposaient unloyer exorbitant »,ajoute Almir. Avant la guerre, le dis-trict de Brcko comptait27% de mariagesmixtes. Almir et Vanjase sentent aujourd'huiisolés. « Nous connais-sons seulement deuxnouveaux couples. La

jeune génération de Bosniensn'est plus habituée au mélange.

LORSQUE Almir Smajicet Vanja Tosic se sontinstallés à l’automne2003 à Brcko, ilsn’avaient prévenu nileurs familles respec-

tives, ni leurs amis. « Nous sa-vions que notre entourage al-lait désapprouver cettedécision, et nous voulions detoute façon vivre ensemble. »Almir a 30 ans, un regard en-fantin, une voix grave puis-

sante. Il aime les jeux vidéo, lamusique électronique. Vanja a28 ans, préfère surfer sur inter-net et regarder des séries télévi-sées. Sa voix est calme, posée,son regard las. Il est Bosniaque, elle est Serbe. « Nous sommes tombés amou-reux dans un bus à Rijeka, enCroatie, nous étions en va-cances avec des amis. C’était ily a huit ans », raconte Almir.Les premiers mois de leur

« Quand mapatronne a

appris que jevivais avec

un Bos-niaque, ellem’a rappelépour me dire

que je nefaisait plusl’affaire. »

Vanja Tosic

16 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

Vanja et Almir ne veulent pasimposer une nationalité à leurenfant, Aljosa. Le problème,c’est la Bosnie, qui oblige à serattacher à l’une ou l’autreidentité.

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La Mission de police ci-vile européenne (Euro-pean Union police mis-sion) a été chargéed'établir en Bosnie-Her-zégovine des forces depolice professionnellesdurables et multi-eth-niques. Elle assure la

relève du groupe inter-national de police (GIP)de la mission des Na-tions-unies en Bosnie-Herzégovine mise enplace par l’Accord gé-néral de paix deParis/Dayton. Son tra-vail de formation et de

conseil concerne no-tamment la lutte contrele crime organisé et lesrelations police-justice.Son mandat, initiale-ment prévu pour 3 ans,a débuté le 1er janvier2003. Il a déjà été re-nouvelé deux fois.

EUROPEAN UNION POLICE MISSION

Elle est Serbe, lui Bosniaque. Discriminations, regards, remarques, le couple a du mal à vivre cet isolement.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 19

DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉSbleus vers le squelette d'unemaison adjacente à la sienne.« C'est celle de mon cousin. Ilest parti au Canada et n'est ja-mais revenu. Il avait commencéà la construire juste avant laguerre. Les vieux Serbescomme moi n'essayent pas dereconstruire, ils attendent. »Mirko attend donc que le prixde son terrain augmente pourtout vendre. Il ne veut plusvivre ici, où « les familles descombattants bosniaques ont lapriorité chez le médecin et sontexemptées d’impôts ». Avecl'argent qu'il espère récolter etsa retraite mensuelle de340 KM (170 euros), il n'aqu'un rêve : s'acheter un appar-tement à Sydney pour retrouversa fille. « Ça fait 14 ans que jene l'ai pas vue. »

Travail au noir. A deux pasde là, face à la mosquée récem-ment construite qui salue l'an-cienne église orthodoxe, savoisine Kadefa est occupée àéplucher des légumes. Origi-naire d'un village à côté de Sre-brenica, elle assure : « Je préfè-rerais mourir de faim là-basplutôt que vivre ici, mais mamaison a été brûlée. La der-nière fois que j'y suis retournée,les herbes y poussaient. » AOsijek, elle n'a retrouvé per-sonne de son ancien village.« Ici, c'est très pauvre, on vit del'aide des familles parties àl'étranger et parfois du travailau noir, explique Suad Mutap-cic, le secrétaire de la mairied'Osijek, qui est rattachée à lamunicipalité d'Ilidza. Au début,le canton de Sarajevo voulaitque les gens rentrent dans leursvilles d'origine. » Mais les re-tours sont rares : « Commentvont-ils vivre là-bas ? Sansmaison, ni électricité, niroute ? » A Osijek, certainesrues n'ont pas encore de nom.Pour accéder à certaines habita-tions, il faut passer d'un jardin àl'autre, en ouvrant des portailsde ferraille improvisés.

Jeunes couples. Quinze ansaprès la fin de la guerre, latransformation d'Osijek, villageserbe, en ville bosniaque, estbientôt achevée. Les maisonsconstruites sans permis sont entrain d'être régularisées. « Nousessayons de faire d'Osijek unendroit agréable à vivre. Il y adix ans, il n'y avait pas de mos-quée, pas de médecin. Aujour-d'hui, il y a des petits magasinset un garage », continue le se-crétaire de la ville.Grâce aussi à l'installation dejeunes couples, Osijek comptemaintenant entre 700 et 800 en-fants. « On attend en septembrel'ouverture d'une nouvelleécole et d'un centre sportif pourles jeunes. » L'an dernier, grâceau budget alloué par la munici-palité d'Ilidza, la route a étéprolongée jusqu'aux dernièresmaisons, au pied des collines.« Là où il n'y avait que de la fo-rêt, on a amené l'eau, l'électri-cité, la télévision », indiqueSuad Mutapcic. Il y a à peinequatre ans, la moitié de la villen'était pas éclairée.

Paola Stecca

Prijedor tente l’entente

BUREAU numéro 61, troi-sième étage de la mairie dePrijedor, en Republika

srpska. La porte s'ouvre sur lesecrétariat de la présidence del'assemblée municipale. Adroite, le bureau d'Azra Pasalic,la présidente, une petite Bos-niaque blonde d'une soixan-taine d'années pleine d'énergie,au regard enfantin. A gauche, lavice-présidente serbe, VesnaJelaca, la quarantaine, grandefemme brune au port altier.Toutes deux sont d'anciennesmédecins. A la mairie,elles partagent unemême secrétaire et im-pulsent avec le maireserbe Marko Pavic lapolitique de ladeuxième ville de RS(100 000 habitants, dont17 000 Bosniaques et3000 Croates). « Avant,il y avait une mauvaisecommunication entreles communautés au sein duconseil, des provocations ver-bales lors des réunions, déclared'emblée Vesna Jelaca. Depuisdix ans, les choses ont changé,chacun a trouvé un intérêt àvivre ensemble. »La ville cherche à se présentercomme un modèle de coopéra-

tion entre communautés. Sur31 conseillers municipaux, huitsont Bosniaques. Azra Pasalicinsiste sur l'image donnée parl'assemblée, celle d'un peupleuni : « Nous allons ensembleaux manifestations tradition-nelles, à l'inauguration desnouvelles mosquées – cinq encinq ans – ou aux cérémonies àl'église. »

Prix cassés. L’aide aux réfu-giés est distribuée selon lepoids démographique de

chaque communauté.Vesna Jelaca met enavant les partenariatsavec la ville bosniaquede Sanski-Most, à20 kilomètres au sud, enFédération. Ensemble,les municipalités tra-vaillent à la dépollutionde la rivière Sana et audéveloppement écono-mique de la région.

Cette coopération a d'autantplus de poids que Prijedor, ha-bitée principalement par desmusulmans avant la guerre, aété le centre d'organisation dela purification ethnique pourl'ouest de la Bosnie. Azra Pasa-lic raconte comment ses parentsont été égorgés dans leur mai-

son par des soldats serbes. Mu-hamed Cehajic, le maire bos-niaque de l'époque, avait étédestitué et envoyé au campd'Omarska, où il est mort sousles coups. Deux autres centresd'internement avaient été ins-tallés aux alentours, dansl'usine de Keraterm et à l'écolede Trnopolje. Les mosquées etles églises catholiques avaientété détruites.Pendant des années, Prijedor atraîné l'image d'un repaire denationalistes serbes. « Beau-coup de ces criminels de guerresont aujourd'hui en prison.Cela a encouragé les habitantsà revenir », précise la prési-dente du parlement. Prijedorveut tourner le dos à son his-toire et fait peau neuve. Lesbulldozers redessinent le rond-point principal, les routes se-ront bientôt goudronnées à nou-veau et de nouvellescanalisations installées. Deschantiers d'immeubles sontéparpillés dans les différentsquartiers. Pour doper l'activitééconomique, la mairie a casséles prix des loyers afin d’attirerles entreprises.

Tolérance. Le fabricant demeubles Javor se situe au nordde la ville, face à une église or-thodoxe. Son directeur Rado-van Salabalja, 55 ans, enfant dePrijedor, exploite les chênes etles hêtres de la Kozara, la mon-tagne voisine. Cet homme trapuaux cheveux grisonnants, unepaire de lunettes sur le nez,l'autre autour du cou, racontecomment il a relancé sa filialede Sanski-Most en 2002, afind'écouler sa marchandise enFédération. Sur l'importanceaccordée aux origines de sesemployés, sa réponse estclaire : « L'entreprise ne tientpas compte de la nationalité.On cherche juste des ouvriersqui connaissent bien leur tra-vail. Si je veux que les autrescommunautés soient tolérantesavec moi, je me dois de l'êtreavec eux. »Voilà pour le discours officiel.Mirjana Delkic n'a pas le mêmepoint de vue que son patron.Elle travaille pour Javor

Selon les accords de Dayton, laInter-Entity Boundary Line est la« ligne de démarcation entre lesentités » de Fédération de Bos-nie-Herzégovine et de Republikasrpska. Son franchissement estlibre. Sur 1080 kilomètres, ellesuit le tracé des lignes de frontde la fin de la guerre. De part etd'autre fonctionnent des compa-gnies de services publics diffé-rentes, y compris au sein de Sa-rajevo, qu’elle traverse.

IEBL

« Chacuntrouve unintérêt àvivre en-semble. »La vice-

présidentede la

mairie

Les élus de la deuxième ville de Republika srpska plaident pour lacoopération intercommunautaire, malgré les blocages persistants.

La mosquéequi dominela rueprincipalede Prijedor a étéinauguréel’annéedernière.

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18 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉS

Bosnie de l'est. On en compteenviron 7000, presque toutesconstruites sans permis. Ellesattendent depuis quinze ansd'être un jour terminées. Avantla guerre, Osijek était un vil-lage serbe de 200 maisons àpeine. Aujourd'hui, il accueilleenviron 15 000 habitants, pourla plupart des Bosniaques ve-nus de l'est et du sud du pays,de Srebrenica, Visegrad, Focaet Rogatica. Berina, originaire de Visegrad,est arrivée ici en 1996. Commebeaucoup de réfugiés, ellegarde en elle le désir de revenirun jour dans sa ville natale.« Ma maison là-bas a été dé-truite, mais on a gardé le ter-rain. » Pour elle, le frein au re-tour est plutôt économique.« J'aimerais rentrer. Que Vise-grad soit en Republika srpskan'est pas un problème. Mais làbas, il n'y a pas de travail. »Avant la guerre, son mari avaitun bon poste. « Maintenant, ilest employé comme gardienpour une entreprise de Sara-jevo. » A Visegrad, elle n'avaitpas besoin de travailler. Ellecultive aujourd’hui une petiteserre dans son jardin, avec to-mates, concombres et poivrons.« C'est l'activité de beaucoup

DEPUIS sa véranda en-soleillée, Berina Racicregarde sa fille s'éloi-gner à grands pas aupied de la colline.« Elle va à la faculté

d'histoire de Sarajevo, ça nefait que deux ans que le buspasse ici », explique la mère.Sa maison, avec des murs enbriques nus, un toit en bois, destuyaux et des câbles qui sortentdu béton brut, est reliée à laroute principale par un cheminde terre. La plupart des habita-tions d'Osijek, à une vingtainede kilomètres de Sarajevo, ontété bâties au lendemain de laguerre par des déplacés de la

de femmes ici », explique-t-elleen indiquant les jardins alen-tour, d'où jaillissent de petitspotagers. Avec les amies qu'elle a ren-contrées à Osijek, Berina parti-cipe aux activités organiséesdans la petite mairie de la villepar l'association Femmes pourles femmes. Celle-ci s'occuped'aider les habitants – surtoutles veuves de guerre, très nom-breuses ici – à cultiver leurserre pour un jour créer des pe-tites entreprises et vendre leursproduits sur les mar-chés. L’arrivée des déplacésbosniaques après laguerre a chassé la plu-part des Serbes d'Osi-jek. Certains sont partisà l'étranger, d'autres enSerbie ou en Republikasrpska (RS), en ven-dant leurs maisons àprix très bas ou enl'échangeant avec celles desBosniaques qui ne voulaientplus vivre en RS.

Sachets pleins d’argent.Selon les chiffres approximatifsde la mairie, environ300 Serbes sont restés, surtoutdes retraités. Mirko Bogdano-

vić, 79 ans, est l'un d'entre eux.Assis dans son jardin sous unvieux tilleul, il lève à peine leregard lorsqu'un avion survolede près le toit de sa maison. Sonhabitation, plus ancienne, a sur-vécu à la guerre. En 1997,quand il est rentré d'Australie,où il s'était réfugié, il l'a retrou-vée occupée par des troupes in-ternationales. « Ce terrain ap-partient à ma famille depuis300 ans », explique-t-il. Quandil parle de « son village avant »,il fait d’amples gestes de la

main. « Il n’y avait pasde maisons autour, lesgens vivaient de l'agri-culture, du maïs, dublé. »Aujourd'hui, il n'y a plusde champs, seulementdes potagers cultivés parles habitants. Il était làquand les réfugiés ontcommencé à arriver.« Des gens du SDA

[Parti d'action démocratiquebosniaque] ont débarqué avecdes sachets en plastique pleinsd'argent pour acheter les terresaux Serbes et les revendre àprix cassé aux Bosniaques. Ilsont bâti partout », continue-t-il.« Ici, je suis un étranger », ra-conte-t-il en tournant ses yeux

Le chassé-croisé d’Osijek

« Je préfè-rerais mou-rir de faimchez moi

plutôt quevivre ici. »Kadefa,

habitantebosniaque

Après la guerre, l’arrivée de nombreux déplacés bosniaques a poussé les Serbes, occupantshistoriques du village, à partir. Aujourd’hui, ils sont à peine 300 sur 15 000 habitants.

Une déplacée bosniaque chez elle. Le village d’avant-guerre comptait 200 maisons, contre 7000 aujourd’hui.

Situé à dix kilomètres ausud-ouest de Sarajevo, lemont Igman était l’undes sites des Jeux olym-piques d’hiver de 1984.Pendant la guerre, c’étaitla seule voie de passagevers la capitale. Le tunnelconstruit par les Sarajé-viens pour échapper àl’asphyxie du siège dé-

bouchait près du montIgman, qui culmine à1500 mètres et sur-plombe l’aéroport deButmir. Brièvement tenupar l’armée serbe en août1993, il a ensuite étécontrôlé par les forces in-ternationales. Il a re-trouvé depuis sa vocationtouristique et sportive.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 21

RÈGLES DE VIE

SUR les murs jaunepâle, une seule photo-graphie : un portrait deMilorad Dodik, sobre-ment encadré. Le Pre-mier ministre, homme

fort de la Republika srpska(RS) de Bosnie couve du re-gard la quinzaine de jeunes at-tablés dans la permanence duSNSD de Banja Luka, le partiqu'il a fondé en 1996. Ce jeudisoir, le bureau exécutif de laformation débat, mollement,de la campagne électorale.Mais ce qui occupe surtout lesmembres, c'est la question desderniers adhérents.

Engagement demandé.Les nouveaux venus sont nom-breux à placer leurs attentesdans cette carte du parti, si fa-cile à obtenir. L'adhésion estgratuite, les membres doiventsimplement signer les statutsdu SNSD. Ceux-ci stipulentnotamment que les membresdoivent « participer active-ment » aux travaux, c'est-à-dire assister aux réunions ousuivre des séminaires théma-tiques, sur l'économie, la so-cial-démocratie...Sa carte, Boris*, 22 ans, ne l'apas encore prise. Mais cet étu-diant en journalisme sait qu'ilse tournera vers le SNSDquand il aura terminé sesétudes. « Je pourrai y rencon-trer des gens importants, quiont des relations, et qui pour-ront m'aider à trouver du tra-vail. »Cependant, la concurrence estrude dans ce pays où le chô-mage grimpe – officielle-ment – à plus de 40%. Seulsles plus actifs dans le parti deDodik – qui revendique 30 000

adhérents dans la seule BanjaLuka –, ceux qui arrivent à at-teindre une position dans lahiérarchie et à fréquenter lespersonnes suffisamment in-fluentes peuvent espérer tirerleur épingle du jeu.

Un choix rationnel. JelenaKovacevic, étudiante en 2e an-née de sciences politiques, l'abien compris en choisissantd'adhérer à l'Alliance démocra-tique nationale (DNS), une for-mation alliée au SNSD de Do-dik. La pétulante jeune femmene cache pas avoir rejoint leparti, au moment où elle est en-trée à l'université, par intérêt etnon par idéologie. « Laplupart de mes profs àla fac sont aussimembres du DNS. Alorsje travaille dur pouravoir de bonnes notesdans les matières qu'ilsenseignent. Je saisqu'ils pourront m'aiderquand je chercherai untravail. » Pour se faire unmaximum de relation, JelenaKovacevic est même aujour-d'hui vice-présidente desjeunes de son parti : « En Bos-nie-Herzégovine, tout le mondeprétend adhérer à telle ou telleformation par idéologie mais laplupart du temps, c'est un men-songe. »

La corruption règne.« Beaucoup de jeunes devien-nent membres de partis poli-tiques car ils y voient la seulepossibilité de s'en sortir,confirme Ivana Korajilic,porte-parole pour la RS del'ONG allemande de luttecontre la corruption Transpa-rency International. La corrup-

tion par le travail est un desplus importants problèmes enBosnie-Herzégovine, et d'au-tant plus en RS où il n'y aqu'un seul grand parti, quiplace ses équipes à chaque ni-veau de l'administration pu-blique. »L'organisation, qui a classé lepays à la 99e place (sur 180)des pays les plus corrompus aumonde, s'est dernièrement vuetraiter de « criminelle » et de« diabolique » par MiloradDodik en personne, après avoirdénoncé des appels d'offre ga-gnés par des entreprises deconstruction proches du gou-vernement.

Au parti démocratiqueserbe (SDS), la forma-tion nationaliste fondéeen 1990 par RadovanKaradzic – encore qua-lifié de « héros » parles adhérents –, lesmembres ne peuventque déplorer l'omnipré-sence du parti au pou-

voir. Quand Dodik est arrivé àla tête du gouvernement, en2006, « des fonctionnaires duSDS, haut placés dans l'admi-nistration, ont été forcés à re-joindre le SNSD, sous peined'être licenciés », explique Bo-jan Stanković, le responsablede la section jeunes.Deuxième force politique deRS, le parti estime à 5000 lenombre de ses adhérents dansl'ensemble de l'entité. Il n'a dé-sormais plus de membres ausein de la fonction publiquemais il continue à exercer soninfluence au sein d'entreprisesprivées. Selon Rade Segrt,journaliste politique au quoti-dien Nezavisne Novine, « leprocessus de privatisation

après la guerre a été trèscomplexe et des personneshaut placées dans certainescompagnies ont encore desconnexions étroites avec lespolitiques, y comprismembres de l'opposition ».

Un cercle vicieux. IvanaKorajilic décrit un cercle vi-cieux : « Les jeunes voientautour d'eux des exemples depersonnes qui ont obtenu desavantages grâce aux relationsqu'elles ont nouées au parti.Alors ils se disent : pourquoipas moi ? Ils prennent eux-mêmes une carte et votentpour le parti. »La carte du parti n'est pas seu-lement un sésame pour l'em-ploi. Les membres peuventégalement espérer obtenir desprêts car « les banquesproches du pouvoir en déli-vrent plus facilement aux en-cartés », selon TransparencyInternational. La plupart desjeunes sont aussi attirés par lapossibilité de quitter le paysen s'exonérant de la longue etonéreuse procédure d'obten-tion des visas. Membre del'Internationale socialiste, leSNSD participe aux sommetset aux rassemblements dejeunes à l'étranger. « Le partipeut obtenir des visas degroupe facilement et sans quechacun ne doive aller à Sara-jevo », témoigne un adhérent,ravi de s'être rendu à un campde jeunes socialistes l'été der-nier en Hongrie.Dans ce paysage verrouillé,l'idéologie reste un prétexte.« Il y a plusieurs partis maisle pluralisme est inexistant,résume le journaliste RadeSegrt. Les formations peuventse déterminer “socialistes”ou “démocratiques” mais cestermes ne recouvrent rien. »De fait, l'essence des pro-grammes, au SNSD commeau SDS, consiste à dénoncerla malhonnêteté du rival. Et àaffirmer que chacun est leplus à même de défendre lesintérêts de ses électeurs.

Enora Ollivier* Le prénom a été modifié.

Les jeunesdu partiSNSD, fondépar MiloradDodikpendant uneréuniondominée parla photo duleader.

Hors des partis, point de salutEn Republika srpska, ce sont les partis politiques qui dominent la société et l’économie. Même s’ils n’en partagentpas les idées, beaucoup de jeunes y adhèrent dans l’espoir de trouver une meilleure vie.

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« Il y a plu-sieurs partismais le plu-ralisme est

inexistant. »Rade Segrt,journalistepolitique

Damir Imamovic, 31 ans, petit-fils ducélèbre musicien de sevdalinka ZaimImamovic, est un chanteur et guita-riste contemporain qui réinterprète cegenre musical traditionnel de Bosnie-Herzegovine. Avec le Damir Imamovictrio, créé en 2006, il revisite le « sev-dah » à travers des influences musi-cales diverses, dont la musique orien-tale. On qualifie sa musique de« fusion sevdah minimaliste ».

IMAMOVIC

20 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

DÉPLACÉS ET RÉFUGIÉSdepuis 1999 et préfère

s'éloigner de l'usine avant deparler : « Dans cette entreprise,il n'y a pas de Bosniaques.Quelques Croates ont été em-bauchés, mais le reste des ou-vriers sont Serbes. Les musul-mans, eux, travaillent àSanski-Most. »

Mémorial. Même si la vo-lonté politique existe au niveaude la municipalité, les habi-tudes ont la vie dure. Si lesécoles de Prijedor sont mixtes,

LA mine amusée, Jasmin De-mirovic s’étonne que l’ons’intéresse à lui. Passionné

de percussions, il fait partie desmilliers de personnes déplacéesde force lors du conflit qui aopposé Bosniaques et Croates àMostar, entre 1993 et 1994. Duhaut de son mètre 70, il parlesans rancœur de cet épisode desa vie. Un rien désabusé, ceBosniaque de 34 ans raconte,avec autant de cafés que de ci-garettes, comment il est passéde l’ouest à l’est de la ville. « Jeme souviens très bien du jouroù on est venu nous chercher,raconte-t-il. C’est moi qui suisallé ouvrir quand on a sonné.C'était un militaire croate, avecdes peintures de guerre sur levisage, comme s’il sortait de lajungle, alors qu’on était enpleine ville. Je ne pouvais pasm’empêcher de rire tellementc’était ridicule. »

Camp de réfugiés. Le natifde Mostar déballe les élémentsde son histoire comme on ra-conterait n’importe quels autressouvenirs. « On nous a rassem-blés au stade, puis on nous aemmenés dans un camp enCroatie. J’y suis resté dix joursavant de revenir à Mostar avecma mère et ma sœur, car j’étaistrop jeune. On a trouvé l’ap-partement pillé de ses objets devaleur. Une dizaine de joursplus tard, ma mère et ma sœurse sont fait expulser de l’appar-tement et reconduire de l’autrecôté de la ligne de front. » Cejour-là, Jasmin était sorti. « Jesuis rentré le soir, et les voisinsm’ont prévenu de ne pas reve-nir chez moi, car il y avait unofficier croate dans notre ap-parte-ment. » Jasmin passera le

reste de la guerre caché dans lapartie ouest de Mostar, puisdans un camp de réfugiés enCroatie. Après le conflit, sesparents échangent leur apparte-ment avec une famille croatepour aller vivre dans la partieest de la ville.Jasmin parle de la guerre touten détachement. « J’ai eu cetteimpression de regarder unmauvais film. Si on peut dire çacomme ça, j’ai eu la chanced’avoir toujours ce recul,comme si j’étais spectateur dece qui m’arrivait. » Aujour-d'hui, il ne se révolte pas contrece déplacement forcé dont lui etsa famille ont été victimes. Pasplus qu’il ne s’emporte contreceux qui se sont octroyé leurappartement ou contre ceux quil’ont vidé. « C’était la guerre etc’est comme ça. Il y a eu desbêtises et des atrocités com-mises de tous les côtés. »

En exil. Résigné, Jasmin n’apas d’illusions sur sa ville na-tale : « Tout est foutu ici. Onn’a pas de travail, pas d’ar-gent. Je n’ai rien à faire de mesjournées, je reviens ici parceque mes parents y habitent etquand je n’ai pas de travail, jene peux pas payer de loyer.

Mais dès que je retrouve un job,je pars tout de suite.»Jasmin avait déjà quitté Mostarquelques années après laguerre. Après avoir repris desétudes, fait de la musique sonpain quotidien avec un grouped’amis et enchaîné des ateliersde musique, il s’exile en 2001du côté de Brcko, dans le nordde la Bosnie-Herzégo-vine, pendant près de8 ans. Lorsque son em-ployeur n’a plus besoinde lui, en fin d’annéedernière, le retour àMostar est rude. « Je neme sens plus chez moioù que ce soit », af-firme-t-il.A Rudnik, le quartier dela partie ouest de laville qui l’a vu grandir,Jasmin évoque son enfance.Tout près du stade municipal,au pied de l’immeuble blancsale encore criblé d’impacts detirs, où ses parents possédaientun appartement au premierétage, il ne manifeste pasd'émotions. « J’ai de bons sou-venirs d’enfance, de parties defoot et d’après-midi à traînerentre copains, mais ça s’arrêtelà. Ça a été chez moi, mais cen’est plus chez moi. C’est

certains quartiers restent en ma-jorité bosniaques ou serbes,comme la vieille ville à 90%musulmane. Le massif monu-ment aux morts, une croix do-rée de dix mètres de haut avec,en son cœur, des visages hu-mains, trône devant l'hôtel deville et honore les civils serbesmorts pendant la dernièreguerre.Il a été construit avant le retourdes musulmans à Prijedor, pourqui aucun monument n'a étéérigé. Azra Pasalic espère voir

un jour un mémorial commun àtous les civils tués. « Mais cen'est pas le bon moment, juge-t-elle, la question est encore tropsensible. » Dans la rue principale, refaite ily a deux ans, face à l'anciencentre commercial désaffectédatant de la Yougoslavie, le pa-tron du café Corso finit sapause. Kazim Bajric est revenuà Prijedor après huit ans passésen Autriche, où il travaillait aunoir, faute de papiers. En sep-tembre 2009, ce cinquantenaire

bosniaque a repris le Corsoavec un Serbe. « On s'était ditque ce serait bon pour le busi-ness, que comme ça, à la foisles Serbes et les Bosniaquesviendraient », se souvient-il.Au début, le pari a fonctionné.Mais les deux associés se sontséparés pour des raisons profes-sionnelles, et la clientèle serbea déserté l’endroit, petit à petit.Les plus vieux surtout, qui ontpréféré se rendre dans leurs ca-fés pour y discuter plus à l’aise.

Eve Chalmandrier

comme si j’avais déménagé,c’est tout. » Jasmin apprécie derevenir voir ses parents, maispeu lui importe qu’ils habitentdésormais à l’est, dans un quar-tier calme au bord de la Ne-retva. « Mes parents ont changéde maison, point. Je me senschez moi quand je suis chezeux, mais ça reste la maison de

mes parents. » Côtéouest, côté est, le musi-cien n’a que faire de laséparation d’une villequ’il ne considère pluscomme la sienne. Ils’évade dès qu’il peutdans la campagne envi-ronnante, où il possèdeune fermette avec un lo-pin de terre à dix mi-nutes en voiture deMostar. Il y cultive des

haricots. « C’est ce qu’il y a deplus rentable à vendre sur lemarché. Ça me fait un peud’argent en attendant. »La seule nostalgie de Jasmin,qui avoue ne pas se sentir atta-ché à son identité bosniaque,c’est la Yougoslavie : « Aumoins, à cette époque, tout lemonde avait du travail et iln’était pas question de commu-nautés. »

Raphaël Lepelletier

Un paquet de cigarettes coûteentre 1,80 et 4 KM (entre 90centimes et 2 euros). La Drina,marque locale très populaire, estparfois offerte avec le café turc.Les cendriers sont sur toutes lestables. Bars, restaurants, hôpi-taux, trains et écoles ignorent lesespaces non fumeurs.

FUMER

« Tout estfoutu ici.

On n’a pasde travail,pas d’ar-

gent, je nepeux paspayer deloyer. »

JasminDemirovicdans lequartier deRudnik,devantl’immeubleque desmilitairescroatesl’ont forcéà quitterpendant laguerre.

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PORTRAIT/JASMIN DEMIROVIC. En 1993, ce Bosniaque a été chassé de l’ouest à l’est de Mostar.

Déménagé à domicile

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 23

RÈGLES DE VIE

LE soleil est encore au zé-nith et les rues de Sara-jevo bondées. Pourtantle calme règne à l'hôpitalKosevo. Jeudi 20 mai,il est 14 heures et les lo-

caux sont déserts. La journéede travail est finie depuis30 minutes, la garde a pris larelève. L'hôpital public sera enveille jusqu'au lendemain7h30, comme chaque jour de lasemaine. Le CHU de la capitalebosnienne draîne pourtant plusde 15 000 patients par jour.

Avoir un contact. Il y a unmois, Aleta s'est réveillée auxurgences, aveugle de l'œil droit.Cette mère d'une quarantaine

d'années s'était fait agresser surson lieu de travail. Pendant plu-sieurs semaines, elle tente d'ob-tenir un rendez-vous avec unspécialiste et patiente pour qu'onlui fasse une radio. En vain. Ellefinit par contacter le DrGuillaume Thiéry, « l'ami de lafemme d'un ami ». Il est chef duservice de réanimation, elle re-cherche un ophtalmo maisqu'importe. Ce qui compte, c'estd'avoir un contact. Aleta a lavoix douce et le regard sincère.Pas vraiment le genre à traverseren dehors des clous ou à doublerdans la file d'attente. Mais c'estle seul moyen d'être soignée. En quelques heures, le « Dr Gi-jom » lui obtient une radio.

Malgré ce coup de pouce, Aletagardera des séquelles de sonpassage à l'hôpital. Son œildroit a perdu 90% de ses capa-cités. Selon son médecin, cesdégâts auraient pu être limitéssi les soins avaient été donnés àtemps.

Cadeaux. « Le sys-tème n'est pas idiotmais perverti », af-firme GuillaumeThiéry. Ce médecinfrançais s'est installé enBosnie il y a deux anspour créer un servicede réanimation au sein de l'hô-pital public de Sarajevo. Rè-glements sans queue ni tête,personnel inerte : les absurdi-tés du système de santé le lais-sent pantois. Tout malade doitd'abord s'adresser au médecind'une dom zdravija (littérale-ment “maison de santé”) quipeut l'envoyer vers un spécia-liste. Mais si ce dernier ré-clame une radio, le patient de-vra retourner chercher uneordonnance au dispensaire,puis obtenir un rendez-vous.Avant de voir les résultats del'examen sur le bureau du doc-teur « on a le temps de mourirdix fois », déclare Aleta. Cecarcan administratif, héritagede l'époque communiste, n'estpas seulement irritant pour lespatients. Il peut également êtredangereux.

Il y a quelques mois, le filsd'Aleta s'est plaint de mi-graines. Le médecin lui prescritdu paracétamol et lui recom-mande de boire du thé. Aprèsquelques semaines de cetétrange régime, il finit aux ur-

gences, entouré de chi-rurgiens. Le généralisten'avait pas décelé safracture du nez, vieillede deux ans, et l'infec-tion a failli lui coûter lavue.Pour s'assurer que sonfils soit bien traité, Aletaa multiplié les cadeaux

aux soignants. Avant guerre, ilétait courant de remercier ledocteur en lui offrant un poulet,des fruits et légumes... Lesgoûts ont changé. Chocolat, al-cool de luxe et enveloppes rem-plies de billets ont remplacé lesmodestes offrandes. Dorénavant, on remercie avantd'être soigné. Les patients ou-vrent leur bourse pour ama-douer l'infirmière qui refuse defaire une prise de sang, le mé-decin qui ne fait pas ses visites,le technicien radio qui affirmeque « sa machine est cassée ».Quelques centaines de KM suf-fisent à la faire fonctionner ànouveau. Chaque habitant deBosnie témoigne de ce qu'unentrepreneur occidental installéde longue date à Sarajevo ap-pelle la « petite corruption ».Une fois avertis, le ���

Corruption, lenteur et règlement complexe : les malades se heurtent aux difficultés d’accès aux soins.

Dessous de table d’opération L’hôpitalKosevo, àSarajevo,reçoitchaque jour15 000patients quipâtissentsouvent d’unsystème desantéperverti.

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« On a letemps de

mourir dixfois.

Aleta,une

patiente

Les Jeux d'hiver, qui se sonttenus à Sarajevo du 9 au18 février 1984, restentgravés dans la mémoirecollective. Cette année-là,49 nations participent à lacourse aux médailles, ycompris les Etats-Unis qui,en pleine guerre froide,avaient boycotté les jeux deMoscou en 1980. Pour lapremière fois aux jeux d'hi-ver, la Yougoslavie monte

sur le podium grâce à lamédaille d'argent du skieurJure Franko au slalomgéant. Sarajevo avaitconstruit pour l'occasion levillage olympique de Do-brinja, un quartier ravagépar la guerre de 1992 à1995 et aujourd'hui divisépar la frontière intérieureentre la Fédération de Bos-nie-Herzégovine et la Repu-blika srpska.

JEUX OLYMPIQUES

22 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

RÈGLES DE VIE

SWEAT-SHIRT beige encoton et boucles àl'oreille gauche, DinoMehmedovic, 28 ans,sirote un coca-cola dansson salon. Avec le ca-

napé et les fauteuils en similicuir et la table basse en verre, lapièce ressemble à n'importequel intérieur occidental. Lesphotos de famille encadréesabondent au mur et sur lemeuble en pin. Un patin enbronze, témoin d'une compé-tion gagnée en 2007 par Me-lina, la nièce du jeune homme,est posée sur le buffet. Dino oc-cupe le second niveau de lamaison de ses parents. Il a sapropre cuisine, sa salle debains, son entrée indépendante.

Comme chez moi. Mujesirapasse la porte de son fils sansfrapper, se dirige vers le coincuisine et saisit, habituée deslieux, les tasses qui serviront àboire le café. « Normalement,elle frappe. Mais là, c'est moiqui lui ai dit de venir », ex-plique le jeune homme. Dinoest l'un des 1200 chauffeurs de

Proprette, recouverte d'un revê-tement bleu passé, elle trancheavec les maisons du voisinage,où le parpaing et les briquessont apparentes. Leurs habi-tants ont acheté un terrain,construit une maison, mais ontmanqué d'argent pour finir lestravaux. Ismet a lui aussi passéplus de temps que prévu sur laconstruction de la maison.

Histoire d’une maison. Il aacheté le terrain en 1989sur ses économies. Desgrenades sont tombéessur les premières fonda-tions pendant la guerre.Engagé dans l'armée bos-niaque, Ismet a envoyéses enfants en Suisse en1992. La famille a été denouveau réunie en 1997.Il a continué les travauxle soir, après le travail.« Construire une maison,c'est plus facile que

d'acheter un appartement, es-time-t-il. On peut faire leschoses petit à petit : un jour onfait les fenêtres, le mois sui-vant, on termine la salle de

bains. » Presque toutes les mai-sons du quartier comptent troisniveaux et sont conçues pouraccueillir une génération àchaque étage. La tradition veutque les garçons, une foisadultes, restent dans la maisonparentale avec leur femme etleurs enfants. Pour Dino, c'estla possibilité d'être proche desgens, tout en gardant son inti-mité, qu'il aime. « C'est commehabiter dans un petit im-meuble », compare-t-il. Il dé-pose son linge sale dans labuanderie du bas et le retrouvenettoyé et plié. Sa mère vientaussi faire le ménage en son ab-sence.

La question du mariage.Le quotidien familial sera bou-leversé lorsque Dino se ma-riera, mais ni lui ni ses parentsne sont pressés. « On espèrejuste que sa femme voudra bienvivre ici », souffle Mujesira,comme pour conjurer le sort.« Je ne vois pas pourquoij'irais louer un appartementhors de prix alors que je peuxvivre heureux ici », explique lejeune homme.Dino verse tous les mois unepetite somme d'argent à ses pa-rents. Mujesira est femme aufoyer. Considérée comme dé-missionnaire, elle n'a pas pu ré-cupérer son poste à l'usine decigarettes à son retour deSuisse. Ismet est redevenuélectricien, en indépendant.Lorsque son fils a terminé sesétudes de mécanique, il y a sixans, il lui a cédé sa licence detaxi, qu'il exploitait depuis1982. « J'étais prêt à prendren'importe quel métier, mais jene trouvais rien. C'est grâce àlui si j'ai un travail », reconnaîtDino.Un grand escalier indépendantmène au dernier étage. C'est ce-lui de Selvir, le fils aîné de 35ans, resté en Suisse après laguerre. Le jacuzzi est flambantneuf, le téléviseur à écran platrecouvert d'un tissu pour ne pasprendre la poussière. Des pe-luches dans la chambre d'en-fants attendent le retour aumois d'août de Melina et Aldin,les deux enfants de Selvir. Lafamille passe environ trois se-maines chaque été à Sarajevo,et quelques jours à Noël. LesMehmedović savent que leurpremier enfant, devenu citoyensuisse, ne rentrera pas vivre enBosnie. « Sa vie est bienmeilleure là-bas. Si mes filssont heureux, je suis heureux »,résume le père de famille.

Elodie AuffrayLéa Giret

Envoyé comme casque bleuen 1994 à Sarajevo, Jean-François Le Roch, petit-filsdu fondateur des Mousque-taires, y ouvre le premiermagasin Interex en 1999.Premier réseau de super-marchés en Bosnie, il estprésent dans 21 villes avec

25 magasins, et emploieplus de 1000 personnes,dont une vingtaine de Fran-çais. Aujourd’hui, le groupeest implanté en Serbie, enRoumanie ou encore auMonténégro. C’est un desplus gros succès écono-miques de l’après-guerre.

INTEREX

Famille à tous les étagesVivre avec plusieurs générations sous un seul toit, c’est une traditionbosnienne. La famille de Dino se réjouit de la proximité entre parents et fils.

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La familleMehmedovicvit ensembledans unemaison detrois étages.Le fils Dinoprofite desrepaspréparés parsa mère.

la compagnie Sarajevo taxi. Lesamedi est un jour calme. Il estson propre patron et a choisid'écourter sa journée de travail.Pendant la semaine, il passehuit à dix heures par jour encourse.

La proximité toujours. Sesparents, au niveau inférieur, ontune salle d'eau, une petitechambre et une grande cuisine,lieu de réunion entre parents etenfant. « On se voittous les jours, pour ledîner, pour prendre lecafé. Mais si on vou-lait, on pourrait nepas se croiser pendantquatre mois », plai-sante Ismet Mehme-dovic, le père de Dino.Mais pour les deuxparties, la proximitéest source de plaisir etva de soi. « Je suiscontent de voir monfils tous les jours », sourit Is-met. La bâtisse des Mehmedovic setrouve à Buca Potok, un quar-tier récent du nord de Sarajevo.

« Je ne voispas pour-

quoi j’iraislouer unapparte-

ment horsde prix

alors que jepeux vivreheureux

ici. »Dino

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 25

RÈGLES DE VIE

A la porte de Schengen

MEHMED Jelec souffred’un syndrome post-trau-matique. Ses souvenirs de

soldat de l’armée de Bosnie-Herzégovine, envoyé en pre-mière ligne, l’empêchent en-core de trouver le sommeil. Lequadragénaire fait partie des di-zaines de milliers de vétéransdémobilisés à la fin du conflit.L’homme a le regard fuyant etla voix tremblante. Sa seulepréoccupation, dit-il, est devivre avec ses quatre enfantssur les 300 KM (150 €) d’aidesociale que lui verse la Fédéra-tion. Comme lui, 109 000 an-ciens combattants perçoiventces versements mensuels quis’échelonnent de 150 à 500KM, et qui, suite à une suren-chère électorale, ont doubléentre 2006 et 2008, pour at-teindre 18% des recettes fis-cales de la Fédération. Ces pratiques clientélistes sontcritiquées : elles maintiennentles vétérans en dehors du mar-ché de l’emploi. Aucun plan deformation ni de retour à l’em-ploi n’a été mis en place. Maiscette générosité avec les de-niers publics va surtout bien au-delà des moyens de l’entité, aubord de la cessation de paie-ment. La révision de cette poli-

Profession : ancien combattantUn projet de loi vise à diminuer les aides versées aux vétérans.

LUNDI 10 mai, 7h30, de-vant le consulat d’Alle-magne à Sarajevo. Avecquarante autres postu-lants, Sahaveta Skulic, lacinquantaine élégante,

fait la queue devant le bureaudes visas. Ce matin, elle a roulépendant deux heures et 150 ki-lomètres depuis Doboj, une pe-tite ville au nord de Sarajevo.Elle dirige là-bas une entreprisede pompes funèbres, et rapatrieles corps des Bosniaques de ladiaspora, décédés en Alle-magne ou au Danemark, queles familles veulent enterrer aupays. Elle traite de trente à quaranteaffaires par mois, et passe leplus clair de son temps au vo-lant de son corbillard, à traversles frontières de l’espaceSchengen. Le consulat d’Alle-magne lui accorde régulière-ment un visa valable six mois,qui lui octroie 90 jours de pré-sence – continue ou non – surle territoire germanique. Le do-cument coûte 70 KM, à quoi ilfaut ajouter 90 KM pour l’assu-rance. 160 KM (80 euros) autotal, soit un cinquième du sa-laire moyen d’un Bosnien.

Procédure. Sahaveta Skulics’efforce de le faire renouvelerrégulièrement, mais elle rateparfois certains contrats à causede l’expiration de son visa. « Sije pouvais voyager plus libre-ment, je pourrais développermon activité », glisse-t-elle. Lechiffre d’affaires annuel de sasociété ne dépasse pas les50 000 KM (25 000 euros). Achaque renouvellement, toutest à recommencer : apporterles papiers au consulat – passe-port, visas précédents, déclara-tion d’assurance, certificat detravail, déclaration d’entre-prise, déclaration d’impôts – etrevenir chercher le précieuxdocument, une semaine plustard. La procédure allemande

Contrairement àplusieurs pays voisins,les Bosniens doiventobtenir un visa d’entréepour circuler dansl’espace européen.Une formalité malvécue.

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tique d’assistance figure désor-mais en tête de l’agenda législa-tif, sous la pression du Fondsmonétaire international et de laBanque mondiale qui exigentune réforme des finances pu-bliques en contrepartie de leursprêts. Les institutions finan-cières internationalesdemandent à la Fédéra-tion et à ses cantons deréexaminer l’éligibilitéde tous les bénéfi-ciaires. Et de se prépa-rer d’ici à 2011 à n’attri-buer ces allocations quesous conditions de res-sources. Parallèlement,il s’agirait de supprimerles pensions aux mé-daillés de guerre nonnécessiteux et de ramener lesindemnités chômage des vété-rans au même niveau que celuides autres demandeurs d’em-ploi. Les allocations perçuespar les invalides handicapés àplus de 60% ne seraient pastouchées par ces réformes. Lesautres auraient toujours le droità des aides, au cas où leur situa-tion sociale l’exigerait. Dans une conjoncture de défla-tion et une atmosphère de pré-campagne, ce message de ri-

n’est pas la pire : « La Franceréclame aussi le contrôle tech-nique du véhicule et un certifi-cat médical pour le chauf-feur », s’amuse-t-elle. Lesourire s’évanouit brusque-ment : « Je n’en peux plus deces files d’attente.» Avec les Albanais et les Koso-vars, les citoyens bosnienssont désormais les seuls des

Balkans à devoir obtenir unvisa d’entrée dans l’espaceSchengen, qui regroupe 22 des27 Etats membres de l’Unioneuropéenne. La Serbie, leMonténégro et la Macédoineont obtenu la levée de cettemesure en 2009. La Bosnie-Herzégovine a été écartée duprocessus, officiellement pourdes raisons techniques : le

gueur, parasité par une pressepartisane, passe mal. MuhamedSvrakovic, président de l’asso-ciation des anciens bérets verts,s’indigne avant tout de la déma-gogie des élus, soulignant que «ceux qui en ont vraiment besoind’aide, comme les invalides

confrontés à des soinscoûteux, reçoivent troppeu ». Mehmed Jelecconfirme : « Je suis enpermanence à la re-cherche des 170 KM né-cessaires au paiementde mon traitement médi-cal. » Mais surtout, lesexigences comptablesdes grands argentierssont mal perçues par lapopulation, qui ne com-prend pas que l’on

puisse mettre en question cettedette d’honneur envers ceux quiont « défendu la Bosnie ». Si l’on touche à ces droits,Mehmed Jelec assure que cesera « l’explosion sociale ».Fin avril, il a participé à unemanifestation de vétéranscontre ce projet de loi. Unesoixantaine de personnes a étéblessée. « Si ma femme n’étaitpas venue me chercher, af-firme-t-il, j’aurais tout cassé. »

Mersiha Nezic

« Je suis enpermanence

à larecherche

des 170 KMnécéssaires

à mon traitementmédical. »Mehmed

Jelec, vétéran

pays s’avérait incapable de sedoter de passeports biomé-triques. Depuis, fait exception-nel, la Republika srpska et laFédération ont réussi à colla-borer efficacement. Selonl’ambassade de France à Sara-jevo, environ 100 000 passe-ports ont déjà été délivrés.Mais d’autres normes de sécu-rité manquent à ���

Un visacoûte 160KM, uncinquièmedu salairemoyende Bosnie.

La communauté internatio-nale a posé des critèrespréalables à la fermeturedu bureau du Haut repré-sentant (OHR) sur la basedes accords de paix deDayton. Ces conditionssont appelées «5+2».Parmi celles-ci, figure le rè-glement de la question des

biens civils et militaires del'ex-Etat yougoslave et leurrépartition entre les diffé-rents niveaux de gouverne-ment. Le Haut représentanta dressé lui-même la listede ces biens, mais les deuxentités ne parviennent pasà s'entendre sur leur répar-tition.

LISTE

24 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

RÈGLES DE VIE

��� malade et ses prochesprennent leurs précautions etemmènent draps et repas à l'hô-pital pour ne pas payer d'extras.

« Business ». Pour VesnaCengic, anesthésiste aux ser-vices des urgences de l'hôpitalAbdula Nakas de Sarajevo, lafaiblesse de certains docteurss'explique aussi par la modestiede leur paye. Le salaire de based'un médecin est de 1500 KM(750 euros) quand le salairemoyen d'un Bosnien est de 700KM (350 euros). Après six ansde fac et autant de spécialisa-tion, un chirurgien peut pré-tendre à 2500 KM. « C'estaussi de la faute des patients,ils ne devraient pas offrir descadeaux », fait valoirVesna. Inquiète pourson fils, Aleta n'a pashésité à acheter sa tran-quillité : « Ceux qui nepayent pas ne voient ja-mais les infirmières.Mon fils n'avait droitqu'à une toilette par se-maine », se rappelle-t-elle. Selon le classement éta-bli par l’ONG Transpa-rency International en2009, la Bosnie est en99e place pour la cor-ruption sur 180 pays sondés.Le plus mauvais élève d'Eu-rope. Et c'est à l'hôpital que cephénomène affecte le plus lapopulation. « En plus des "ca-deaux" nécessaires pour être lepremier sur la liste des soignés,il y a un business autour destests pharmaceutiques : les mé-decins sont récompensés s'ilsprescrivent tel médicament,

alors ils le prescrivent à tort età travers », explique Nina Ste-vanovic, coordinatrice deTransparency au bureau de Sa-rajevo. Un numéro vert a étémis en place pour signaler desfaits de corruption et de plus enplus d'affaires sont portées de-vant la justice par le biais del'organisation. « On s'estconstitué plaignant dans unedizaine de dossiers l'an dernier.Le nombre de dénonciations estcroissant, j'ai l'impression qu'ily a une prise de conscience del'opinion publique », s'enthou-siasme la jeune femme.

Mille-feuille. Après laguerre, les aides internationalesont été saupoudrées avec lar-

gesse dans le domainede la santé et ce, sansgrand contrôle. « Sinous avions utilisé cor-rectement ces fonds, ceserait le paradis ici. Ona acheté trois IRM, maisles locaux sont pour-ris », s'énerve le DrThiéry. Les bâtimentsde l'époque austro-hon-groise ont les murs fis-surés et la peinture quis'écaille. Au cœur del'hôpital, une imposanteconstruction cubique

détonne. « Ce bâtimentconstruit avant guerre va ré-unir tous les services », an-nonce Biljana Jandrić, porte-parole de l'hôpital Kosevo.« Ça fait 15 ans qu'ils doiventdéménager les unités à l'inté-rieur. Sur les 13 ou 15 étages,un seul est utilisé », confie unmédecin dans un haussementd'épaules.

L'administration de la santé atout du mille-feuille. La Repu-blika srpska s'est dotée d'uneorganisation centralisée, maisl'entité croato-bosniaque est, del'aveu des soignants, un vrai« bazar ». La Fédérationcompte onze ministres de laSanté, ses dix cantons ont cha-cun leur propre assurance ma-ladie. « Nous voudrions que lasanté devienne une compétenced'Etat », se désole la porte-pa-role de Kosevo. La répartitionactuelle du pouvoir rend le sys-tème de santé assez opaque.

Parrainages. A quelquespas de l'hôpital, se dressent lesuniversités de médecine et depharmacie. La future généra-tion connaît déjà les règles dujeu. « Très rares sont les méde-cins qui ne sont pas fils de mé-decins », confie un jeune doc-teur. On peut aussi monnayerdes parrainages. « J'ai obtenuun poste de technicien de santéen achetant un contact 5000KM. Ça peut grimper jusqu'à15 000 », confie S., qui étudiele week-end et travaille la se-maine. Il a dû prendre un prêtbancaire, remboursé depuisavec ses premières payes.« Ces intermédiaires sont desgens banals. Des chauffeurs detaxi, des vendeurs, beaucouptravaillent au sein de l'adminis-tration universitaire », ajoute-t-il.A l'ombre des arbres, des étu-diantes en pharmacie fument.« L'université affiche la listedes admis mais trois joursaprès, des noms ont été ajou-tés », se moque l'une d'entreelles, pas dupe. Les futures

blouses blanches ne mâchentpas leurs mots concernant lesprofs, « peu présents », et lesenseignements, « obsolètes ».« Les étudiants ne sont pas as-sez sur le terrain », confirmele Dr Thiéry. Les élèves nefont qu'un stage d'observationaprès six ans d'étude. EnFrance, dès la troisième année,ils passent leurs matinées àl'hôpital, font des examens,des observations.Beaucoup d'étudiants font leursdébuts dans le public. Les cli-niques privées chassent le grosgibier : des spécialistes avecvingt ans d'expérience. « Cesmédecins sont des marques des-tinées à attirer la clientèle »,explique un jeune généraliste.Certains ont ainsi une doublejournée : 7h30/13h30, dans lepublic, l'après-midi dans leprivé. L'hôpital permet de sefaire une clientèle : les patientsimpatients seront orientés versla polyclinique, pour que « çaaille plus vite ».

Elodie Auffray Anne Cagan

Doriane Kalbe Aveline Marques

Le bosniaque, le serbe et lecroate sont les troislangues officielles de laBosnie-Herzégovine. S’ilexiste quelques différences,principalement lexicales,d’un parler à l’autre, pourles linguistes, il s’agit d’uneseule et même langue, his-

toriquement appelée leserbo-croate.Depuis le début des années1990, grammairiens, lexico-logistes et professeurs dediction s’évertuent à les dif-férencier en les purgeantdes apports jugés étran-gers.

LANGUE

« C’estaussi de lafaute des

patients, ilsne

devraientpas offrir

des cadeaux. »

Vesna Cengic,

anesthésiste

Le faiblesalaire desmédecins(750 euros)encourage lacorruptiondans leshôpitaux.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 27

FORTUNESDIVERSES

Soko, l’histoire d’un crashbien piloté

Fleuron du complexe militaro-industriel de la Yougoslavie, l’entreprise aéronautique de Mostars’est effondrée après la guerre et sa privatisation.

POUR trouver la serrure-rie d'Omer, il faut sefaufiler dans les petitesruelles étroites et si-nueuses de Mostar, àquelques pas du célèbre

vieux pont. Côté bosniaque,entre deux petits cafés, l'en-seigne apparaît : Mikron. Der-rière la porte, se dévoile un ate-lier propre et ordonné. Sur lecomptoir, une coupure de jour-nal, calé sous la vitre, in-dique : « Serrurier, ex-ingé-nieur du géant Soko ». Dans savitrine, deux maquettes d'aviontrônent à côté des serrures enexposition, les dernières fiertésde l'aéronautique militaire you-goslave. Un client arrive, salue le pro-priétaire de 74 ans avec res-pect. Omer, qui s'empare de lamachine pour dupliquer la clef,s'amuse : « Les gens s'étonnenttoujours de me voir travailleravec mes mains, alors qu'autre-

fois, j'étais ingénieur. » Luiaussi, ça l'étonne : « J'aime ceque je fais, mais je suis triste dene pas pouvoir exploiter mescapacités. » Des capa-cités que l'entreprise luia permis de développerdès son arrivée à Soko,en 1953.

Nostalgie . Aprèstrois ans passés en écoled'ingénieur, il a viteprogressé dans la hié-rarchie, jusqu'à obtenirun poste de responsableau département de l'ou-tillage avec 64 em-ployés à gérer. Frustréde ne fabriquer que des clefs, ilessaye tant bien que mal decombler ce manque. « Grâce àce que j'ai appris chez Soko, j'aiconçu un système de clefs quipeut ouvrir plusieurs portes. »Comme Omer, des centaines desalariés de Soko ont été mis sur

le carreau dans les années 1990.Avant la guerre, l'entreprise em-ployait 4000 personnes, aujour-d'hui ils ne sont plus que 250.

« Mostar savait quandSoko distribuait lapaye », précise le vieilingénieur. Il fait partiede ceux qui s'en sont lemieux sortis. « Il y aquelque temps, la radiofédérale m'a interviewécomme exemple de réus-site de reconversion. »Les autres vivotent « enretraite, sur les chan-tiers de construction,dans les cafés, ou dansla rue ».

Une élite qualifiée en errance,des souvenirs plein la tête, etdes frissons partout sur la peauquand on leur parle de « Sokoaujourd'hui ». Dans leurs sou-venirs, Soko c'était des « syndi-cats forts », « 32 bus qui arri-vaient le matin, 32 bus qui

Soko, pilléeen 1992 parles Serbes, aétéprivatisée en2003 auprofit desCroates.4000 avantla guerre, ilsne sontdésormaisplus que250employés.

repartaient le soir bondés d'ou-vriers », de bons salaires, des« espaces verts entretenus parune quinzaine de jardiniers »,des infrastructures gigan-tesques pour faciliter le traficdes avions, et notamment « uneroute qui transperçait la villejusqu'à l'aéroport ». Surtout,c'était une entreprise qui « pro-duisait quelque chose ». ���

« Les genss’étonnenttoujours deme voir tra-vailler avecmes mains,

alorsqu’autre-

fois, j’étaisingénieur. »

Omer, ancien

ingénieur

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Ratko Mladic, 68 ans, est toujours en fuite. L’anciencommandant en chef de l’armée serbe de Bosnie estinculpé depuis 1995 par le TPIY (Tribunal pénal inter-national pour l’Ex-Yougoslavie) de génocide, decrimes contre l’humanité et de violation des lois etcoutumes de guerre. Il est soupçonné, avec RadovanKaradzic, ex-chef politique des Serbes de Bosnie,d'être l'un des principaux artisans du plan de net-toyage ethnique. Ils sont notamment poursuivis pourle massacre de Srebrenica en juillet 1995.

MLADIC

26 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

RÈGLES DE VIEPORTRAIT/DERVO SEJDIc. En décembre, le militant a fait condamner la Bosnie devant la Cour européenne des droits de l’Homme pour discrimination envers sa communauté.

Un Rom à la Cour

VERRES épais, cou-dières en tweed, et atti-tude flegmatique,Dervo Sejdic n'a pasl'air hyperactif. C'estpourtant le fauteur de

trouble du milieu politique bos-nien. En juin 2006, cet activisterom a déposé plainte à la Coureuropéenne des droitsde l'Homme (CEDH),faisant valoir que laconstitution de Bosnie-Herzégovine ne lui per-mettait pas de se présen-ter aux électionsgénérales. Seuls lesmembres des peuplescons t i tuan t s – Bos-niaques, Croates etSerbes – peuvent y pré-tendre. Strasbourg acondamné le pays en dé-cembre 2009, jugeant le texte,rédigé au moment des accordsde Dayton, effectivement dis-criminant.

Humiliation. Rendu popu-laire par les talk-shows télévi-sés, connu au-delà de sa com-munauté, Dervo Sejdic ne sedéfinit pas comme un hommepolitique. Il est plutôt un « ci-toyen », menant un combat aunom des « droits de l'homme »,une expression qu'il martèlecomme un refrain. Sa requêteintervient après 16 ans de mili-tantisme pour améliorer la si-tuation sociale des « 80 000 à100 000 » Roms du pays(30 000 à 60 000 selon l'OSCE,l’Organisation pour la sécurité

et la coopération en Europe).« Nous n'avons aucun représen-tant politique dans aucun ni-veau de gouvernement. Per-sonne ne nous représente et jepense que c'est pour cela quenos conditions de vie sont plusdéplorables que celles desautres », analyse-t-il.

Son parcours militant,qui lui a ouvert lesportes de l'OSCEcomme coordinateurdes Roms en 2003, a dé-buté pendant la guerre.Alors policier, il fondesa première associa-tion – une vingtaine sui-vront – pour mieux dis-tribuer la nourriture del'aide humanitaire auxRoms. « Nos famillesnombreuses étaient dou-

blement touchées par la fa-mine. »Sa révolte contre l'injustice estnée bien plus tôt, dans l'humi-liation ressentie au dernier rangd'une salle de classe de Visoko,sa ville natale, située à 20 kilo-mètres au nord-ouest de Sara-jevo : « J'avais 7 ans en 1963,j'étais le seul enfant rom. Desélastiques ont disparu dans laclasse. Tous m'ont immédiate-ment accusé, même la maî-tresse. C'était l'un des plusmauvais jours de ma vie. » Unefois le vrai coupable démasqué,le bon élève qu'il était a peu àpeu réussi à faire son trou àl'école : « J'avais une banded'amis qui prenaient ma dé-fense, même à l'extérieur. »Il dit avoir constaté partout ce« double standard » ou le« deux poids, deux mesures »qui vise les Roms : « Je veuxque tous les citoyens aient desdroits égaux et puissent avoirn'importe quelle place au gou-vernement, sans que soit priseen considération la couleur dela peau, la langue, la religionou la tradition de chacun. »Sans fausse modestie, il acceptevolontiers un rapprochement

avec Martin Luther King.« Vous n'êtes pas les premiers àme comparer à lui, lâche-t-il.Je l'ai pris comme modèle.Comme lui, j'espère fédérer audelà de mon ethnie. » Et pour-quoi pas devenir un jour le qua-trième membre de la prési-dence tournante du pays…« Nous nous sommes trouvé unleader. D'autres minorités,juives, bulgares, albanaises, lesoutiennent, et la communautérom est derrière lui », assurentRamiz Seidic, Muharem Tahi-rovic et Dragisa Radic, les pré-sidents de trois associationsroms que Dervo Sejdic a aidé àmettre en réseau.Il n'est pas naïf : « Je ne m'at-tends pas à ce que tous lesRoms votent pour moi. Quandles gens manquent d'éducation,c'est difficile de parler poli-tique avec eux. J'essaie d'expli-quer que je ne suis pas un tra-vailleur social qui distribue desmaisons et de la nourriture, quej'aide seulement à mettre enœuvre les projets, sans en êtrele décideur. » Le leader rom re-connaît que la situation de sacommunauté dans le pays estmeilleure que dans la majoritédes pays d'Europe de l'Ouest etde l'Est. Le gouvernement aconsenti un effort depuis la loisur la protection des membresdes minorités nationales, votéeen 2003 et amendée deux ansplus tard : un millier de mai-sons pour les Roms ont étéconstruites ou reconstruites,trois millions de KM ont été dé-gagés en 2009 pour le pland'action. 90 millions avaient étépromis, mais « nous sommescontents, c'est un début », es-time-t-il.

Stratégies. Une avancée àlaquelle il n'est pas étranger.Car pour faire progresser sacause, il multiplie les straté-gies. A l'OSCE, il est le lienentre les ONG et le gouverne-ment, mais aussi entre la co-opération internationale et lesdonateurs étrangers. « Pourfaire pression sur le gouverne-ment, je sensibilise la commu-nauté internationale à nos pro-blèmes. » Le militant récolteactuellement des signaturespour pouvoir présenter sa can-didature aux élections prési-dentielles d'octobre. Il en dé-tient déjà 2500, « provenant demembres de toutes les commu-nautés ». La commission élec-torale en exige 1500. Son sou-hait : que sa candidature soitrefusée, pour qu'il puisse denouveau déposer plainte à laCEDH.A Gorica, le quartier rom deSarajevo où il vit, il écrit sesmémoires, « rien de personnel,juste une sorte de manuel » àdestination des militants quiprendront le relais après lui.

Léa GiretDoriane Kalbe

« Quandles gens

manquentd’éducation,

c’est difficile deleur parler politique. »

Dervo Sejdic

L’activistecompte seprésenter àl’électionprésidentielled’octobreet poursuivreà nouveaul’Etat en casde refus.

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��� l’appel. « Le code pénala été amendé, mais le décretd’application se fait attendre,expose Boris Iarochevitch,chargé de la coopération à ladélégation de l’UE de Sara-jevo. L’échange national et in-ternational de données et laformation des forces de police,notamment la police des fron-tières, posent aussi pro-blème. » En cette année élec-torale, ces critères sont pourl’UE un moyen de faire pres-sion sur le pays, tout en l’en-courageant sur la voie de lastabilité, dans la perspectivefuture de la candidature de laBosnie-Herzégovine à l’Unioneuropéenne. Des experts visi-teront le pays cet été pour jau-ger les progrès accomplis. Lalibéralisation pourrait être an-noncée en octobre, sous ré-serve que les élections se dé-roulent sans accroc, pour unesuppression effective des visasautour de la mi-décembre.Mais la frustration des Bos-niaques ne faiblit pas. « J’ad-mets qu’il faut respecter lesrègles administratives, déclareNihad Hasanovic, écrivain.Mais il y a eu une guerre ici, etdes gens n’ont pas pu sortirpendant deux décennies. Ilfaut être un peu plus flexible. »

Discrimination. Dans lesfiles d’attente devant les consu-lats, les candidats bosniaquesau visa se posent en victimesde la discrimination, affirmantque les Bosno-Croates et lesBosno-Serbes obtiennent faci-lement la double nationalité etpeuvent voyager sans entravedans les pays Schengen. PourBoris Iarochevitch, l’argumentn’est qu’à moitié rece-vable : « Quelques dizaines,voire centaines de milliers deBosno-Croates ont un passe-port croate, reconnaît-il, maisénormément de Bosniaques endisposent également. Et à peinequelques milliers de Bosno-Serbes ont un passeport serbe.L’argument des doubles natio-nalités est toujours avancépour dire que les Bosniaquessont discriminés. La réalité estplus complexe. »Pour Sahaveta Skulic, il y adans l’immédiat plus urgentque les tractations entre sonpays et l’UE. Vers midi, àpeine sortie de son rendez-vous au consulat, elle a reçu uncoup de fil : « Il y a un pro-blème avec votre déclarationd’entreprise. » Elle soupire, àbout de patience : il faudraprendre un nouveau rendez-vous et refaire l’aller-retour dequatre heures depuis Doboj,une fois de plus.

Julien Lemaignen

Chaîne de centres com-merciaux slovène,Mercator gère des hy-permarchés et des su-permarchés en Slovénie,en Croatie, au Monté-

négro, en Serbie, et enBosnie-Herzégovine.Le premier Mercatorbosnien a ouvert à Sa-rajevo en 2000. Il y en adésormais à Tuzla, Ka-

kanj, Mostar, et en Re-publika srpska, à BanjaLuka. Ces hypermarchéssont considéréscomme des symbolesde luxe.

MERCATOR

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 29

FORTUNES DIVERSES

Costards croates à Siroki Brijeg

décorent les cartables et les en-seignes de magasins. Le sym-bole des oustachis* s’étalemême sur une colline en sur-plomb de la ville. Présent surtous les bâtiments officiels,l’insigne du canton d’Herzégo-vine de l’ouest est celui de laRépublique croate de Herceg-Bosna, la province bosnienneindépendante rêvée par les na-tionalistes pendant la guerre.Les drapeaux de laBosnie-Herzégovine etde la Fédération, eux,n’apparaissent nullepart. Epargnée pendantla guerre, Siroki Brijegest comme l’ensembledu canton : prospère.

Voie de passage. Lecentre-ville est calmeparce que les abordss’activent. « Le travailne me fait pas peur, jene compte pas mesheures », affirme, trèsfier, Zlatan Salavarda, le direc-teur de Golding, une entreprisespécialisée dans la vente defournitures de bureau. Ce pro-fesseur de mathématiques et de

physique a perdu son emploi audébut de la guerre, et s’estlancé dans le commerce auprintemps 1993, dans un localde 17 m2. Son entreprise fami-liale a grossi, et il emploie dé-sormais 10 personnes dans sonnouveau show-room de 600 m2

ouvert il y a moins d’un an.« Pendant la guerre, les fron-tières et le marché bosniensétaient complètement fermés.

La seule voie de passagevers l’extérieur, c’étaitnotre région », expliquele self-made-man. Les marchandises transi-taient par la Croatie etétaient acheminées versla Bosnie-Herzégovinepar des villes comme Si-roki Brijeg. « Il y a undicton ici qui dit : “Celuiqui aborde une fille enpremier repart avec lafille“, c’est pareil pourles affaires… », résumeZlatan Salavarda.

Leader du marché. Autourde Golding, sur la route princi-pale qui longe la rivière Listica,il y a un commerce au rez-de-

chaussée de toutes les maisons.Petites ou grandes, la plupartdes entreprises locales se sontdéveloppées à partir de 1992. Installé à la sortie de la ville,l’empire Lijanovici s’est luiaussi bâti au début de la guerre.Stipe Ivankovic Lijanovic, unboucher originaire de SirokiBrijeg, a fait de son petit maga-sin de Mostar une holding gé-rée par ses quatre fils, spéciali-sée dans le traitement et leconditionnement de la viande.« Aujourd’hui, nous sommesleaders sur le marché en Bos-nie-Herzégovine, et nous ex-

Dès 1992,lesentrepriseslocales ontcommencéà fleurir àSirokiBrijeg,faisant dela communeun territoireprospère.

L’Herzégovine de l’Ouest fait vivre le rêve d’indépendance et de prospérité des nationalistes croates.

La Bosnie-Herzégovine est le pays dela région d’Europe de l’Est et du bas-sin méditerranéen dont le sol est en-core aujourd’hui le plus infesté demines anti-personnelles enfouies du-rant les différents conflits des années1990. On estime que 3% du territoireest encore miné, soit 1555 km².Quelque 220 000 mines seraient en-core présentes. Le pays devrait êtretotalement déminé d’ici à 2019.

MINES

« Pendantla guerre,

(...) la seulevoie de pas-

sage versl’extérieur,c’était notre

région. »Zlatan

Salavarda,directeur

de Golding

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portons nos produits en Croatie,en Serbie, en Albanie, en Macé-doine, et dans toute la région »,explique Tomislav Peric, le di-recteur du marketing. Lijanovici est aussi le distribu-teur officiel de Mercedes pourtoute la Bosnie-Herzégovine, lepropriétaire d’un centre commer-cial à Siroki Brijeg et un fabri-cant de logiciels informatiques.Deux des quatre fils, Jerko etMladen Ivankovic Lijanovic,sont également à la tête du partipolitique NSRzB, le Parti dupeuple pour la prospérité par letravail, fondé en 2000, qui défendle libéralisme économique. Mla-den Ivankovic Lijanovic s’est of-ficiellement porté candidat pourle poste de Premier ministre de laFédération après les électionsd’octobre. « Nous avons com-mencé à diversifier nos activitésquatre ou cinq ans après le débutde l’industrialisation de la pro-duction de viande, et nous em-ployons aujourd’hui à peu près1000 personnes, dont environ700 à Siroki Brijeg, ce qui fait denous le plus gros employeur de laville », précise Tomislav Peric.

Scandales chez Lijanovici.Pourtant, le volume d’emploischez Lijanovici est au cœur d’unepolémique locale. Dans son bu-reau décoré d’images pieuses,Bozica Zeljko, la directrice duservice de statistiques de la ville,confirme tout haut ce qui se mur-mure partout : « Lijanovici ne dé-clare pas une bonne partie de sesemployés, il est presque impos-sible de savoir combien de per-sonnes travaillent vraiment poureux, ni ce qu’ils produisent exac-tement. Ils possèdent une ving-taine d’entreprises en ville, maisils brouillent les pistes en créantdes sociétés où leur nom n’appa-raît pas. » Les petits scandales de Lijanovicine parviennent pourtant pas àbousculer l’ordre de la ville.Dans leurs quartiers cossus, dontaucun ne porte de stigmate de laguerre, les habitants disent ne pasvouloir quitter Siroki. Sur laplace Franjo Tudman (du nom dupremier président de la Répu-blique de Croatie), un vieilhomme résume : « Nous sommesentre nous, entre Croates. »

Lisette GriesRaphaël Lepelletier

* Groupe fasciste et séparatiste créé en 1929et installé à la tête de lʼEtat indépendant deCroatie pendant la Seconde Guerre mon-diale, soutenu par Hitler et Mussolini. Son in-signe ne se différencie de lʼécusson croateque par lʼordre des couleurs : le premier car-reau en haut à gauche est blanc, alors quequʼil est rouge dans le drapeau de lʼEtatcroate.

28 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

FORTUNES DIVERSES��� Dotés à l'époque demoyens de production mo-dernes, Soko – faucon, en fran-çais – faisait alors partie ducomplexe militaro-industriel dela Yougoslavie. D'abord exclu-sivement militaire, elle devientune société civile à la fin desannées 1980. L'usine réalisaitl'assemblage d'avions militairesyougoslaves et travaillait beau-coup avec les entreprises euro-péennes. Aux Français, les an-ciens se plaisent à rappelerqu'ils fabriquaient les hélico-ptères « Gazella » pour Mari-gnane. Même les rares salariésencore embauchés sur le site sesouviennent avec nostalgie decette culture de l'excellence.« Chaque pièce étaient minu-tieusement vérifiée trois fois,par trois services différents, ex-plique Draguo, arrivé en 1974dans l'entreprise. Pour cha-cune, il y avait un cahier descharges d'une centaine depages, à respecter à la lettre.Nous étions à la hauteur del'industrie aéronautique euro-péenne. » Aujourd'hui, il ne reste plusgrand chose du géant aéronau-tique. Sur les lieux, à quelqueskilomètres à l'ouest du centre-ville, des friches, des bâtimentsdélabrés, des espaces de mau-vaises herbes. Une grande par-tie des entrepôts sont videstoute l'année, sauf au momentde la foire locale. Certainesparties sont louées comme ga-rage ou appartement à des par-ticuliers, d'autres sont squattéespar des sans-abri, les « gip-sies ».

Tragique privatisation.« Le pillage commenceen juin 1992 », se sou-vient Majda Selimhdd-zic, elle aussi ancien in-génieur de Soko. Lescadres serbes s'empa-rent de la plupart desmachines pour les rapa-trier à Belgrade. Cellesqui sont restées sontminées et ont tué unepartie des employés.Croates et Bosniaquess'organisent pour conti-nuer de fabriquer despetites pièces. La tragé-die commence le 9 mai 1993.« Quand les Croates se sont al-liés aux Serbes, les Bosniaquesont été mis à la porte. Mêmel'oreille d'un musulman n'au-rait plus pu entrer dans cetteentreprise, raconte Omer. De-puis cette date, l'entreprise estsous contrôle croate. » La ma-jorité des employés sont d'ori-gine croate, à quelques excep-tions près. La tragédie estparachevée par une procédurede privatisation chaotique etobscure. Après la fin de laguerre, l'entreprise aurait pu re-partir. « Nous étions la matièregrise de l'entreprise, mais per-sonne n'a voulu de nous », in-siste Omer. Jusqu'en 1999, il est difficile desavoir comment les biens ontété partagés. L'entreprise vi-vote de quelques petites activi-tés. « Je suis revenue pour tra-vailler à Soko en 1997, préciseMajda Selimhddzic. Nous tra-

vaillions sur des technologiesde peinture sur pièce pour desentreprises civiles. Rien à voiravec l'activité d'avant. J'ai trèsvite été dégoûtée, et suis repar-tie en 2000. »

Du géant à la PME. PourAner Zuljevic, président duSDP-HNK de Mostar, c'étaitune période où les nationa-listes croates se partageaient legâteau. « Le parti nationalistecroate HDZ à Mostar a pris lecontrôle de l'entreprise en pla-

çant ses hommes. Ils ontrevendu les bâtiments etles terrains à la famille,aux amis, et en ont profitéau passage pour créerune nouvelle élite écono-mique. La production aété complètement désta-bilisée. Et quand l’entre-prise est tombée au plusbas, ils ont demandé laprivatisation. En rédui-sant le géant à une simplePME, ils se sont octroyéle droit de gérer la priva-tisation au niveau muni-

cipal, alors qu'une telle struc-ture aurait dû être légalementprise en charge par la fédéra-tion. »

Trafic financier. En 1999,Dragan Covic, leader du partinationaliste croate, et brasdroit du maire de la ville,prend la direction de Sokopour organiser la privatisation.En 2002, il est élu président dela Bosnie-Herzegovine. Troisans plus tard, il était contraintde quitter le gouvernement fé-déral, à la demande du Haut re-présentant, après l'engagementd'une poursuite de la Courd'Etat de Bosnie pour malver-sations financières. Le syndicat des travailleurs deSoko, composé principalementdes retraités de l'entreprise, dé-nonce encore régulièrementdes dysfonctionnements dansles procédures de privatisation. « Pour nous, tout a été fait

dans les règles », rétorque leministère de l’Industrie, qui segarde bien de mentionner cetrafic financier, en partie dé-voilé par de récents rapports dela police financière. Dans sondernier rapport, la commissiond'enquête des finances révélaitque Soko, qui valait auparavantun milliard d'euros, aurait étérevendue pour 12 millions deKM, soit 6 millions d’euros.Régulièrement soumises au tri-bunal, ces irrégularités sont res-tées jusque-là dans les tiroirs.« Une privatisation dans lesrègles ? Alors, il faudrait chan-ger les règles », rétorque leSDP-HNK. Car aujourd'hui, lesite est en train de mourir à pe-tit feu. Depuis la fin de la privatisationen 2003, l'entreprise est morce-lée en une trentaine d'entitésobscures, dont il est impossibled'obtenir une liste exacte. SokoBus, Soko Transmission, SokoAéronautique, Soko Réfrigéra-teur… Des entités regroupéessous un même nom, « Sokogroup », dont certaines existentencore juridiquement, mais neproduisent plus rien. Les inves-tisseurs étrangers ont déserté.

Exportation. Les quelquesfabriques subsistant sont can-tonnées à des activités de sous-traitance, à faible valeur ajou-tée. « Nous exportons tout versl'étranger », précise ZeljikoRakic, responsable recherche etdéveloppement. ZEC D.O.OMedugorje est l'une des raresentreprises qui rapporte un peude liquidités au groupe. La fa-brique emploie 65 personnes,presque la moitié des salariésdu site. Dans l'usine, trois ingénieurs et50 ouvriers produisent desstructures de siège pour l'indus-trie automobile (Ford Focus,Opel Astra, etc), des morceauxd'escaliers pour les aéroports,de petites carcasses pour leTGV français. « Rien à voiravec la grandeur de laconstruction aéronautique, dé-plore Iva Kordic, employéedans l'entreprise depuis 1976.Nous n'avons même plus d'airclimatisé pour rafraîchir l'alu-minium l'été. Et surtout, aujour-d'hui, nous ne produisons plusrien, nous offrons un service. »Résignée, comme tous lesautres, elle ne veut pas se battre,« parce qu'il faut un travail ».A chacun sa tragédie de Soko.

Eva Simonnot

LA terrasse du café San Meli,au centre de Siroki Brijeg,est complètement vide, mal-

gré le soleil radieux. La petiteplace en face, où trône une im-mense croix en pierre à la mé-moire « du sang croate des filsde Siroki Brijeg », est toutaussi déserte. Il est un peumoins de 8h, et c’est le balletdes voitures au feu rouge cen-tral qui rythme la ville. En co-lonnes, Golf et Mercedes da-tées croisent de grossesberlines, Audi A4 neuves etBMW rutilantes. Presque tousles automobilistes ont accrochéun chapelet ou une croix à leurrétroviseur intérieur. A unevingtaine de kilomètres àl’ouest de Mostar, Siroki Brijeg(« la colline large ») est une pe-tite ville de 8000 habitants,27000 si l’on compte les nom-breux villages qui forment lamunicipalité. Peuplée en grande majorité decatholiques, la bourgadesemble être tout entière dédiéeà la gloire de la Croatie. En té-moignent les nombreux écus-sons à damier rouge et blanc,emblème du pays voisin, qui

Omer, 74ans,travaillaitcommeingénieurchez Sokoavantd’êtrerenvoyé, enmai 1993.Il estaujourd’huiserrurier àsoncompte.

Le pont de Mostar, qui a donné son nom à laville (Stari Most, vieux pont), a été construit en1566 au dessus de la Neretva sous le règne deSuliman le Magnifique. Le 9 novembre 1993, lesforces croates bombardèrent le pont. Les travauxde reconstruction, menés conjointement par lesCroates et les Bosniaques, ont commencé en2001 sous l’impulsion de l’Unesco, et se sontachevés en 2004. Inscrit au patrimoine mondialde l’Unesco en 2005, le pont sépare aujourd'huisymboliquement Mostar-Ouest, à majorité croate,et Mostar-Est, à majorité bosniaque.

MOSTAR

« Le partinationalistecroate HDZà Mostar a

pris lecontrôle del’entrepriseen plaçant

seshommes. »

Aner Zuljevic,

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 31

FORTUNES DIVERSESblage de têtes de lits pour bébé.Ils seront commercialisés dansles magasins Ikéa. Un nouveaudébouché pour Krivaja, plushabitué aux meubles nobles, enbois massif, qu’à ceux decontreplaqué bon marché ven-dus par le groupe suédois.« Ikéa nous a ouvert les portesde la production à grandeéchelle. Cela nous permet decouvrir les frais fixes,mais ce qui fait l’iden-tité de Krivaja, ce sontles meubles en boismassif », rappelle Sa-bina Heljic, directriceexport de l’entreprise.Ikéa est pourtant de-venu le client n°1.« Cela représente 38 à45% de notre produc-tion. Nous ne dépasse-rons pas les 45%, carnous voulons pouvoir nous re-tourner si Ikéa nous aban-donne », poursuit Sabina Hel-jic.En souffrance dans les pre-mières années de l’après-guerre, Krivaja retrouve descouleurs depuis son rachat parla famille Mujanovic. Troisfrères, originaires de Zavido-vici – Ismet, Ibrahim et Ferid –,ont mis la main sur 70% du ca-pital en 2008, moyennant 10millions de KM, ainsi que laprise en charge de 46 millionsde dettes, impayés de salaireset de cotisations sociales.

Renouer avec les profits.Outre Krivaja, les Mujanovicdétiennent une bonne partie desentreprises de Zavidovic i :l’unique hôtel, les deux centrescommerciaux, l’usine textile etquelques ex-filiales de Krivaja.« Ils emploient environ 50%des salariés des environs. 8000à 10 000 personnes sont liées àKrivaja, sans compter les re-tombées sur l’emploi dans lecommerce et les services », es-time Hakija Osmic, maire SDAde la municipalité.Depuis l’arrivée des Mujano-vic, le chiffre d’affaires de Kri-vaja a doublé, atteignant 30millions de KM en 2009. Cetteannée, l’usine devrait même re-nouer avec les profits. « Quand l’Etat était encore pro-priétaire, les acheteurs n’avaientaucun interlocuteur. Nousavons perdu beaucoup de cré-dibilité et de clients comme ça.Aujourd’hui, ils reviennent »,se réjouit Amicic Vehbija, pré-sident du syndicat de l’entre-prise. Autre motif de satisfac-

tion : 150 personnes ont été en-gagées depuis deux ans.Quelques jeunes sont même ve-nus grossir les rangs ces der-niers mois, faisant légèrementbaisser la moyenne d’âge éle-vée, faute d’embauches depuisla guerre. « Nous n’avons au-cune intention de licencier, aucontraire. L’usine est faitepour fonctionner avec 3000 sa-

lariés », souligne lajeune directrice, quiest aussi la fille d’Is-met.Mais Krivaja est loind’avoir retrouvé sonprestige. Les paiessont très faibles : 300à 450 KM par moispour un ouvrier. Lafaute, d’après la direc-tion, au processus deprivatisation, très lent.

Sur le papier, Krivaja reste uneentreprise publique ; les Muja-novic attendent toujours la dé-cision du tribunal leur accor-dant le transfert de propriété.La situation rend aussi difficilel’accès aux crédits et donc àl’investissement pour moderni-ser l’usine. Enfin, paradoxe dans un paysqui regorge de bois, l’approvi-sionnement en matière pre-mière est difficile : « Nousavons signé un contrat avecl’Etat : la compagnie forestièredu canton nous fournit 80% dubois qu’elle commercialise. »Restée sous la coupe publique,la SPD peine à fournir en quan-tité suffisante.

La culture du bois. Le longdéclin du géant Krivaja n’a paspour autant favorisé le dévelop-pement de petites entreprises.« Dans les villes où il n’y a ja-mais eu de complexe industriel,la transition économique estplus simple. Nous, nousn’avons pas la culture des PMEet la prise de conscience estlente », développe le maire,Hakija Osmic. Une dizaine depetites sociétés vivotent sur leterritoire, employant deux outrois personnes, pour la dé-coupe de bois de charpente.« On ne peut pas vraiment lesappeler des entreprises », ana-lyse Suljeman Strcevic, direc-teur adjoint d’Euroimpex.Euroimpex est l’une de ces pe-tites sociétés qui, dans l’ombrede Krivaja, sont parvenues à ti-rer leur épingle du jeu. Crééeen 1996, l’entreprise emploieaujourd’hui 20 personnes, pourla production de barrières et

d’escaliers en bois massif, maisaussi de briquettes de sciure etde bois de chauffage. Sulejman Strcevic montre l’unde ces sacs, commercialisésprincipalement en Autriche :« C’est notre secret : nousavons compris qu’il fallait ex-ploiter 100% du tronc. Parmitoutes les entreprises qui sesont lancées après la guerre,nous sommes les seuls à avoirtenu. »

Inefficace et coûteux.« Le problème, souligne cet an-cien de Krivaja, c’est quechaque compagnie a ses ache-teurs et fait tout toute seule. Ilfaudrait que chacune se spécia-lise. » « Aujourd’hui, la filièrebois marche relativement bien,conclut Luksa Soljan, mais il ya encore beaucoup à faire. Il

La moitié du territoire bosnien est boisée, en majorité par des hêtres.

A chacun ses arbresLa gestion des forêts bos-niennes, dont 80% sont la pro-priété des entités, est à l’imagede l’organisation administra-tive du pays. Côté Republikasrpska, une compagnie fores-tière unique assure le service ;côté Fédération, chaque can-ton possède une, voire plu-sieurs compagnies forestières.« Chaque niveau administra-tif, du ministère à la commune,veut prendre sa part dans lagestion des forêts. Cela créede la confusion », dénonceSead Alic, président de l’As-sociation des ingénieurs ettechniciens forestiers de la Fé-dération de Bosnie-Herzégo-vine, chargés par les cantonsdu management de cette res-source économique et natu-relle. « Encore une fois, unestratégie commune fait défaut.La plupart des forêts sont cou-

pées sans plan », ajoute HalilOmanovic, coordinateur deprojet au ministère de l’Agri-culture et des Forêts. La Bos-nie doit pourtant rapidementopérer un tournant. Les impor-tateurs d’Europe de l’Ouestexigent, de plus en plus, la cer-tification FSI, qui garantit unegestion durable des forêts.L’ensemble de la RS est déjàcertifiée. La Fédération est à latraîne : « Chaque canton a faitcertifier un petit bout, maisc’est un processus très coû-teux, souligne Samira Smail-begovic, chargée de communi-cation à la SPD, l’associationlocale de Zavidovici. Les com-pagnies forestières sont pu-bliques, mais ne reçoivent au-cune dotation, et sont déjàlourdement endettées. »

E.AL.G

faudrait quelques très fortesentreprises, aux services des-quelles pourraient se mettre lespetites. Au lieu de cela, ellesfont tout elles-mêmes, c’est in-efficace et coûteux. »Dans le vaste magasin d’expo-sition du centre, autre pro-priété de la famille Mujano-vic, les fières armoires etautres salles à manger pro-duites à Krivaja occupent l’es-pace. Les clients viennent detout le canton pour les acqué-rir. Mais ces nobles meublesde bois massif ne sont pas lavitrine de la Bosnie à l’étran-ger. Le marché libéral euro-péen leur préfère les plancheset de basiques éléments decuisine.

Elodie AuffrayLéa Giret

*Le prénom a été modifié

« Ikéa nous aouvert les

portes de laproduction à

grandeéchelle. »

Sabina Heljic,directrice

d’entreprise.

Ce quotidien imprimé àSarajevo, qui prône uneBosnie-Herzégovine multi-ethnique, a été fondé en1943. Pendant la guerrede 1992, Oslobodjenje (quisignifie « libération » enfrançais) n'a été absentdes kiosques qu'une seulejournée. Une salle de ré-daction avait été improvi-

sée dans un abri aérien deSarajevo, ville où se situeencore son siège.Le journal a été racheté en2006 par les deux indus-tries les plus importantesde la ville : le fabricant decigarettes Sarajevo To-bacco Factory et le produc-teur de bière Sarajevska Pi-vara.

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FORTUNES DIVERSES

LA pluie qui tombe depuisplusieurs jours a laissé laplace à quelques rayonsde soleil. Les habitantsde Zavidovici, municipa-lité de Bosnie centrale de

45 000 âmes, mettent à profitcette éclaircie pour préparerl’hiver. Devant chaque im-meuble , de pet i ts groupesd’hommes débitent les troncsen bûches, avant de les entasserau pied des murs. « Dans les

grandes villes, il y a du gaz,mais ici, les appartements sontchauffés au poêle », expliqueElvir Dzafiroagic, embauchéau noir par ses voisins pourcouper le bois. « C’est dur ici,il n’y a pas de boulot, et quandil y en a, ce n’est pas bienpayé », indique ce jeune pèrede 28 ans.« Il n’y a pas de perspectives,rien d’autre que le bois », sou-tient Anes*, 21 ans. Electriciende formation, il vient d’obtenirun contrat de trois mois à Kri-vaja, fabricant de meubles etancien fleuron de l’industrie dubois yougoslave.

10% du PIB bosnien. Avecla moitié de son territoire re-couvert de forêts, la Bosnieétait le grenier à bois de la You-goslavie. « La Bosnie est répu-tée pour son bois de hêtre, unbois massif utilisé pour la fa-brication des meubles. C’est unatout pour le pays », souligneLuksa Soljan, spécialiste dubois au sein du projet FIRMA,qui soutient le développementdes entreprises du secteur. Si lebois représente 10% du PIBbosnien, l’industrie a du mal à

retrouver ses capacités d’avant-guerre. Aucune action n’a été engagéepour déminer les forêts tou-chées. Les usines exis-tantes ont été en partiedétruites, et les nou-velles peinent à géné-rer de la richesse. « Ausortir de la guerre, lacommunauté interna-tionale a soutenu lesentreprises qui pou-vaient démarrer vite etfacilement, c’est-à-dire celles qui produi-sent et exportent dusimple bois de char-pente, ce qui crée peude valeur ajoutée »,analyse Luksa Soljan.

Direction la France. Zavi-dovici a particulièrement souf-fert du déclin. Le village s’estdéveloppé au même rythmeque Krivaja, créée en 1884,sous domination austro-hon-groise. Le socialisme a fait del’usine un conglomérat, qui aemployé jusqu’à 12 000 per-sonnes. Aujourd’hui démantelée, dé-barrassée de ses activités an-

nexes (métallurgie, maisonspréfabriquées, construction,gestion de forêts, etc.), l’an-cienne gloire emploie toujours

1700 personnes à Zavi-d o v i c i . A c c o l é a ucentre de cette petiteville industrielle, lesite s’étend sur 120 000m², le long de la rivière.A l’intérieur, l’usinetourne doucement .Entre 50 et 65% de sescapacités sont exploi-t é e s . D a n s l e s i m -menses entrepôts del’une des trois lignesde production s’organi-sent, pêle-mêle, lespiles de montants, bar-r e a u x , a s s i s e s d echaises, plateaux et

pieds de tables, au milieu des-quelles prennent placequelques machines un peu da-tées, dressées de tuyauterie. Au bout de la chaîne, des mil-liers de cartons de chaises s’en-tassent, en attente de leur expé-dition pour Marne-la-Vallée etles locaux de la chaîne fran-çaise But. Dans l’entrepôt voisin, les em-ployés travaillent à l’assem-

La ville du bois planche à nouveauDans l’usine de meubles Krivaja, entre 38 et 45% de la production est vendue à l’entreprise suédoise Ikéa.

A Zavidovici, l’ancien conglomérat yougoslave Krivaja, spécialisé dans le mobilier, se refait une santé depuis sa privatisation. Mais l es petites entreprises peinent à s’affirmer.

« Au sortir dela guerre, lacommunautéinternationalea soutenu lesentreprises

qui pouvaientdémarrer vite

et facile-ment. »

Luska Soljan,spéciaste dudomaine du

bois.

Neum compte 2500 habi-tants. Ancien village de pê-cheurs, il est l’unique ac-cès maritime deBosnie-Herzégovine, quicompte une dizaine de ki-lomètres d’accès à la mer,mais ne possède aucunport, et n’en détiendra ja-mais au vu de la configu-

ration de la côte. Neumconcentre une forte acti-vité touristique. La cité sedéveloppe grâce à un ac-cord entre la Croatie et laBosnie-Herzégovine, quipermet aux citoyens detraverser la frontière uni-quement munis d'unecarte d'identité.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 33

FORTUNES DIVERSES

UN parapluie en main, Na-tasa Grahovac arrive à lagare routière de Banja Luka

en ce vendredi matin pluvieux.Tous les 15 jours, cette étu-diante de 21 ans aux cheveuxsoigneusement tirés en arrièrerentre chez ses parents, à Bo-sanski-Petrovac.Le mini-bus d'une vingtaine deplaces dans lequel s'installe Na-tasa est aux trois-quarts vide. Ilse remplira puis se videra toutau long du trajet. Deux heurestrente l'attendent sur une routesinueuse dans cette région val-lonnée et verte.

Sursis. 200 kilomètres plustard, la ville apparaît : quelquesbâtiments, puis une rue, bordéed'arbres et de maisons. L'étu-diante en deuxième année defrançais prend la direction de lamaison de ses parents avec em-pressement. Le centre-villesemble vivant avec quelquesbars, des restaurants et des ma-gasins. Mais rapidement, lesmaisons défraîchies s'espacent,séparées par de petits jardins oùse baladent quelques poules.Bosanski-Petrovac est une villeagricole en sursis. Lors du der-nier recensement, en 1991, ellecomptait 15 000 habitants.Entre temps, la guerre a fait fuir

les Bosniaques en 1992 puis lesSerbes en 1995. Des deux cô-tés, la plupart sont revenus parattachement à leur terre et àleur racine.

Exode. Mais la crise écono-mique a frappé les agriculteurset l'industrie du bois, fragilisantà nouveau la ville. Aujourd'hui,la population oscille entre3 300 et 7 000 habitants selonles estimations.D'après Ermin Hajder, le maire,membre du parti multi-eth-nique Nasa Stranka, l'agricul-ture manque de soutien et desubventions. Pour l'industrie dubois, c’est l'État qui est en

cause : « Dans l'ancien systèmecommuniste, l'État organisaittout, et maintenant, on a deshommes d'affaires privés. Leshabitants n'en profitent pas »,explique-t-il.Mais rien de concret n'est misen œuvre et Bosanski-Petrovacse vide peu à peu. La directricede l'unique lycée de la ville,Kisljen Besima, voit les effetsde l'exode rural : « Dans notreville, les jeunes qui partent étu-dier à Sarajevo ou Banja Lukane reviennent pas. Et ceux quine vont pas à l'université netrouvent pas de travail. » Dansson établissement de 200 ly-céens, elle compte les chaisesvides. Les classes sont compo-sées en moyenne de 14 élèvesaujourd'hui, contre 23 il y aseulement deux ans.Les parents de Natasa n'ont pasété épargnés par la guerre.Avant 1992, Jovan Grahovacétait directeur d'une entrepriseagricole, sa femme, Slada étaitgreffière au tribunal de Petro-vać. Aujourd'hui, à respective-ment 56 et 51 ans, ils élèventhuit veaux. Si Jovan dit appré-cier ce qu'il fait, l'amertume selit sur le visage de Slada.« C'est très dur », explique-t-elle. « Mes parents ont toutperdu pendant la guerre. Avantils vivaient dans une maisonplutôt confortable. Elle a étédétruite », raconte pudique-ment Natasa.Les Grahovac vivent chiche-ment aujourd'hui. C'est dans uncoin-cuisine minuscule queSlada prépare à manger : dupain qu'elle a fait elle-même,tout comme le fromage, à partirdu lait de leur unique vache, etdes œufs.Jovan, lui, s'est assis sur un pe-tit tabouret de bois. Heureux derencontrer des étrangers, il en-courage à boire et à manger.

Ambiguë. Lorsqu'il estquestion des études de Natasa,c'est Slada qui parle. Elle es-père que sa fille deviendra pro-fesseur ou interprète. Leslarmes aux yeux, elle expliqueà mots couverts qu'elle a faitdes sacrifices pour cela. Natasa, elle, reste ambiguë surson avenir, comme si elle n'étaitpas encore prête à reconnaîtrequ'elle ne s'installera pas à Bo-sanski-Petrovac. Sa sœur aînéea déjà fait ce choix il y aquelques années. Dimanche,Natasa la rejoindra à BanjaLuka pour poursuivre sesétudes.

Maryline Dumas

Visoko, petite ville situéeà une trentaine de kilo-mètres au nord de Sara-jevo, est devenue la co-queluche touristique àl'automne 2005 quandSemir Osmanagi, écri-vain bosnien et archéo-logue amateur, croit re-connaître dans les cinq

collines entourant laville d’autenthiques py-ramides datant de la ci-vilisation illyrienne. Lepeuple antique auraitaménagé les collines eny plaquant des blocs depierre pour leur donnerleur forme de cône. Eneffet, des fouilles entre-

prises en 2006 ont misau jour des pierrestaillées ainsi que deschemins pavés. Cettehypothèse a été dénon-cée par de nombreux ar-chéologues comme uncanular mettant en périlles véritables vestigesmédiévaux de Visoko.

PYRAMIDES

Passe ton diplômeet ne reviens jamais

cupé le village voisin pendantdeux ans, le temps de recons-truire la maison.A Tihovici, lieu stratégiquepour les assiégeurs de Sarajevo,les maisons ont toutes brûlé.Tous ceux qui sont restés sontmorts, soit 40 personnes sur lescent maisons du village.La mère de famille cultive despommes de terre, mais aussides épinards, des tomates, despoires et des prunes. Elle pos-sède trois vaches pour faire dufromage. « Tout le monde tra-vaille la terre, ici. On n'a pas lechoix, les salaires sont insuffi-sants pour faire vivre une fa-mille de quatre personnes. »La semaine, Senada Halac estemployée de cantine scolaire àVogosca, la petite ville voisine.Quand le temps est clément,elle consacre son samedi au po-tager. Et se rend le dimanche aumarché de Sarajevo pourvendre ses légumes et son fro-mage. « C'est pour permettreaux filles de faire des études,qu'elles soient indépen-dantes. »

Complément. Les jeunesfilles étudient à l'université deSarajevo la pédagogie et l'ingé-nierie. Tous les matins, ellesprennent le bus. Le trajet dureune heure. A 13 heures, ellesremontent à Tihovici.Les frais de scolarité s'élèvent à200 KM par an pour chacune,plus 100 KM par module. Lesrevenus de Senada Halać et deson mari, agent de sécurité àSarajevo, s'élèvent à 1000 KMmensuels. « Je n'achète au su-permarché que la farine, l'huileet le café » , explique la mèrede famille.Lorsqu'elle fait abattre l'une deses vaches, elle vend une partiede la viande. Ce système estcourant dans le pays : la terreoffre un complément de reve-nus aux salaires ou retraitestrop faibles pour vivre. Senada Halac a toujours vu sesparents, agriculteurs, travaillerla terre. De temps en temps, sesfilles l'aident au potager.« Mais je préfère qu'elles seconcentrent sur leurs études,pour qu'elles aient un vrai mé-tier, une meilleure vie, insisteSenada, qui a arrêté sa scola-rité à l'école primaire. L'agri-culture ne donne pas de re-traite, ça va tant qu'on estjeunes, mais un vrai métieroffre plus de sécurité. »Cette vie la tient occupée de-puis la traite des vaches tôt lematin, jusqu'à la préparation dudîner le soir, sept jours sur sept.Vivre à la campagne la satisfait.« La ville me fatigue. Les genscrient, ils ne pensent qu'à allerd'un café à un autre, lance laquadragénaire. La mentalitén'est pas la même ici. On tra-vaille, et à l'arrivée, on s'ensort mieux. »Les moments qu'elle préfère ?Le soir, quand elle trouve letemps d'aller faire une randon-née dans la montagne et dejouir de la vue imprenable surSarajevo. « Je ne voudrais rienchanger à ma vie », conclut Se-nada Halac.

Léa Giret

Natasa Grahovac, étudiante à Banja Luka, imagine malson avenir à Bosanski-Petrovac, sa ville natale.

Vidéependant laguerre etdurementtouchée parla crise,Bosanski-Petrovac,villeagricole,fait fuir sajeunesse.

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32 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

FORTUNES DIVERSES

MILE Spanesic installeson étal tous les jourssur le marché dunord-est de BanjaLuka, à deux pas desgares routière et fer-

roviaire.Il est agriculteur de métier, hé-ritier d'une petite exploitationque son grand-père a fondée en1927 à Laktasi. Là où le bassinde la Vrbas, qui coule vers laCroatie, offre des terres fertiles. Mile a 57 ans ; il ne fait paspartie de cette nébuleuse de mi-cro-exploitants qui cultivent unlopin de terre pour compléterretraites ou faibles revenus. Lui s'est reconverti à l'horticul-ture il y a dix ans. Il a aban-donné les productions tradi-tionnelles de la ferme, légumeset fruits. Six serres couvrentdésormais une partie de sonchamp. A l'intérieur de cha-cune, un poêle à bois pourmaintenir les plantes au chauddurant l'hiver. Yasna Spanesic,sa femme, veille sur sonroyaume : rosiers, bégonias,œillets, verveine...

Concurrence. Aujourd'huila vente des fleurs représente60% des revenus de la ferme.Le blé et la viande de porc fontle reste. « Cultiver des légumesn'était plus rentable. Nos pro-duits étaient de très bonne qua-lité mais ils souffraient de laconcurrence des biens de Croa-tie et de Serbie, explique Mile.C'est simple, si nous avionsvendu au même prix, nous au-rions fait faillite. » « Nos exploitations doivents'adapter au libre-échange etfaire le deuil de l'ère socia-liste », analyse Bozo Vlazic,doyen de la faculté d'agricul-ture de Banja Luka. Une pointe de nostalgie dans lavoix, Mile évoque l'époque dela Yougoslavie où il allait livrerune fois par semaine ses pro-duits à la coopérative de Lak-tasi. Un âge d'or où il produi-sait blé, légumes, fruits, bœufet lait. « Nous vendions nosproduits dans toute la Yougo-slavie. » Aujourd'hui les dé-bouchés sont réduits au seulmarché de la Republika srpska(RS). « Nos coopératives actuellespeinent à exporter, concède le

porte-parole du ministère del'Agriculture de la RS, BojanKecman. Les acheteurs croatesréclament qualité et régularitédans l'approvisionnement. » « Notre agriculture a untrain de retard sur nosvoisins, poursuit-il. Lesexploitations sont pe-tites, 4,4 hectares enmoyenne. Et les engraiset les pesticides sont peuutilisés. »La Croatie et la Serbieont aussi une politiqueagricole plus généreuse.L'entité serbe, elle, n’yconsacre dans son bud-get 2010 que 40 millionsd'euros, soit environ 690euros par exploitation. Une par-tie est versée sous formed'aides à la production, une

Business plantsPour faire face aux évolutions du marché, Mile et Yasna Spanesic ont reconverti leurferme en exploitation horticole. Et se tiennent prêts à se diversifier une nouvelle fois.

Agriculture survivrièreComme la moitié des Bosniens, Senada Halac vit à la campagne. Elle pourvoit aux besoins alimentaires de sa famille grâce à son potager, et vend le surplus aux voisins ou sur le marché pour compléter ses revenus.

VÊTUE d'un haut de survête-ment bleu, d'une doudounesans manches marron et

d'un pantalon de velours côtelé,Senada Halac surveille le laitqu'elle a mis à bouillir sur lepoêle à bois. Elle en tirera, unefois le petit lait ôté, du Kajmak,le fromage de vache très popu-laire en Bosnie-Herzégovine.Dehors, ce samedi matin de lami-mai, la pluie tombe sur Ti-hovici. La quadragénaire est as-sise dans le salon exigu, soncafé et son crochet posés sur latable basse. Des bibelots enporcelaine, posés sur des nap-

perons qu'elle a confectionnés,habillent un imposant meubleen bois.

Réfugiés. Un Coran gravéd'or est exposé. Un grand tapisà motifs orientaux recouvre lesol. Une machine à laver ron-ronne, sans couvrir le bruit dela télévision. Dans la cuisine-garde-manger de l'autre côté ducouloir, du pain attend d'êtrepétri dans une passoire. Le pre-mier étage n'excède pas 40 m2.Ses deux filles de 19 et 21 ansdorment encore. La belle-mèrede Senada Halac regarde tom-

ber la pluie au rez-de-chaussée.C'est à elle qu'appartenait lamaison avant que son fils ne semarie. En Bosnie, la populationest rurale à 50%. Accrochée à la montage de Bu-kovic, à 10 kilomètres au nordde Sarajevo, la maison de Se-nada Halac, haute mais étroite,est l'une des premières en arri-vant au village.Pendant la guerre, seuls lesquatre murs de la maison ontrésisté aux bombardementsserbes. La famille Halac, réfu-giée dans la ville d'origine de lamère de famille, Breza, a oc-

58 000 ex-ploitations ont été enre-gistrées par lerecensementagricole dé-buté en 2007.Le ministèrede l'Agricul-ture de la Re-publika srpskaestime leurnombre total àenviron70 000.

autre est dédiée au financementd'infrastructures. La dernièrepartie soutient l’investissse-ment en garantissant aux agri-culteurs des prêts à taux ré-

duits.

Ristourne. Les deuxhectares de blé de MileSpanesic lui donnentdroit à une ristourne de30 à 40% sur le prix dufioul. « Pour les fleurs,aucune aide », déploresa femme. Avant deconcéder : « La filièreest encore mal structu-rée, mais nous avons leprojet de créer une as-sociation ou un syndi-

cat. »Ces dernières années, les fleursont représenté une voie de re-

conversion ou de diversifica-tion pour les fermes des envi-rons de Banja Luka . Mais déjàapparaissent des signes d'es-soufflement : « Nous sommestrop nombreux. Cela pousseles prix à la baisse alors quenos frais, eux, sont les mêmes,voire augmentent. »Les Spanesic ont vu fondre de20% leur chiffre d'affaires entreles premiers mois de 2010 etceux de l'année précédente. Mile se tient prêt à encore di-versifier ses activités. Par pru-dence, il n'investit pas dans lamodernisation de sa porche-rie : « Si demain mes cochonsne se vendent plus, j'adapterail'espace pour élever d'autresanimaux. »

Kathrin AldenhoffElodie Berthaud

Les « papak »(ou « ploucs ») sont des ru-raux qui ont fui la cam-pagne pour gagner lesvilles pendant la guerrede1992-1995, chassés dechez eux par les forces mili-taires. Ils ont mauvaise ré-

putation auprès de la po-pulation urbaine, qui leurreprochent de se comporter« comme à la campagne »,de ne pas maîtriser lesbonnes manières et de nepas respecter l'environne-ment.

PAPAK

« Il fauts’adapterau libre-

échange. »Bozo

Vladic,doyen de la

facultéd’agricul-

ture deBanjaLuka

Pourpermettre àses filles de

faire desétudes,Senada

Halac vendses légumes,

pourcompléter

son salaired’employéede cantine. V i

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 35

HISTOIRE

LE petit local de l’associa-tion Femmes victimes dela guerre est situé dansun immeuble gris en pé-riphérie de Sarajevo. Lesmurs sont tapissés de

photographies de criminels deguerre, de disparus et de« camps bordels », lieux où desfemmes étaient détenues pourêtre violées. Une liste de noms de famillecourt sur une dizaine de pages.« Ce sont les 3000 tués de Vise-grad », explique Bekira Hase-cic, la présidente de l’associa-tion, originaire de cette ville deBosnie orientale, l’une des pre-mières à avoir subi le nettoyageethnique. « Personne ne s’estpréoccupé d‘établir une liste.J’ai lancé l’idée sur Internet etj’ai été assaillie de mails de fa-milles des victimes. »La cinquantaine, maigre, le re-gard direct, Bekira Hasecic ré-pète son histoire depuis 15 ans.Violée et expulsée de Visegraden 1992, Bekira mène aujour-d’hui un seul combat : « Voirles criminels de guerre arriverà leur procès menottés et en sefaisant tout petits. Ils doiventpayer et nous ne devons pasoublier pour que cela ne se re-produise plus jamais », assène-t-elle.

Côtoyer des meurtriers.Bekira habite aujourd’hui à Sa-rajevo mais retourne tous lesweek-ends à Visegrad, au cœurde l’entité serbe. Elle y croise« des tueurs installés tran-quillement chez eux ».C’est pour ne pas côtoyer auquotidien des meurtriers ou desvioleurs, qui travaillent parfoisdans la police, que les déplacésrefusent de retourner dans leursfoyers d’avant-guerre. Si lesprincipaux responsables descrimes de guerre sont jugés ourecherchés, la justice a besoinde temps pour s’occuper desbourreaux ordinaires. « A cerythme là, il faudra un millierd’années pour les juger, nousserons tous morts. Il n’y aurapersonne pour témoigner »,s’indigne Bekira. Parfois, les condamnés purgentleur peine dans des maisonsd’arrêt de leur ville d’origineoù ils bénéficient d’un réseaude sympathie. C’était le cas deRadovan Stankovic, condamnéà 20 ans de prison, pour crimesde guerre, viols, meurtres et dé-placements de population.Transféré à la prison de Foca,la ville où il avait commis sescrimes, l’ancien milicien aréussi à s’enfuir. Systéma-tiques, les sévices sexuels

étaient utilisés comme arme deguerre. De 20 000 à 50 000femmes, selon les sources -ju-diciaires ou associatives- en ontété victimes alors que 18condamnations ont été pronon-cées jusqu’à présent pour cechef d’accusation.Ces femmes vivent aujourd’huisouvent sans revenus et sansaccès aux soins, ignorées parles autorités qui n’ont définiaucune stratégie pour leur veniren aide. Avec son associationqui regroupe les victimes, Be-kira Hasecic tente de briserl’omerta. Dans ce pays où vic-times et bourreaux peuvent secroiser dans la rue, les meur-triers sont prêts à monnayer lalocalisation des charniers, se-lon Bekira Hasecic. « Uneamie a payé 1500 KM pour ré-cupérer la dépouille de sonmari », précise-t-elle.Bekira, elle, s’est battue sur leterrain judiciaire pour fairecondamner les profanateurs dela tombe de sa sœur, qui nesupportaient pas que la dé-pouille de cette femme, bos-niaque, soit enterrée dans l’en-tité serbe.Tuzla, troisième ville de Bos-nie-Herzégovine. Dans un pré-fabriqué à proximité du centre-ville, 5000 sacs mortuaires sonten attente d’identification, en-treposés dans une chambrefroide. Depuis 1996, la Com-mission internationale chargéedes personnes disparues(ICMP), travaille à l’identifica-tion des cadavres exhumés desfosses communes. Entre 1992et 1995, 30 000 personnes ontdisparu en Bosnie-Herzégo-vine, dont 8100 lors du seulmassacre de Srebrenica, le 11juillet 1995. Environ 65%d’entre eux ont pu retrouverleur identité à l’issue d’un pro-cessus méthodique de re-cherche unique au monde.Les familles de victimes four-nissent des échantillons san-guins, dont les résultats sont

comparés aux profils ADN descorps retrouvés dans les fossescommunes. Rares sont cescorps, souvent déplacés dansune tentative de dissimulationdes crimes, qui parviennentcomplets au centre d’identifica-tion. « Nous avons eu le casd’une seule personne fragmen-tée en onze tas d’os retrouvéedans cinq charniers différents,distants en moyenne de 50 kilo-mètres les uns des autres », ra-conte Emina Kurtagic, chargéede communication à l’ICMP.

Réminiscences. Identifierles victimes permet de rendre lanégation des crimes plus diffi-cile. L’entité serbe remet pério-diquement en cause l’impor-tance des civils bosniaques tuésà Srebrenica, ce qui freine leprocessus de réconciliation.Mettre un nom sur les dé-pouilles – 6435 identifiés sur8100 disparus – participe à lareconnaissance des faits.Juger les bourreaux, donner unnom à leurs victimes. Quinzeans après la fin de la guerre, laBosnie continue d’écrire sonhistoire au présent. L’actualitéquotidienne est faite de ces ré-miniscences, comme le témoi-gnage de ces femmes, enlevéespendant la guerre et emmenéesen Serbie, qui réaparraissentsoudainement après des annéesde disparition. Parfois, leur acte de naissance aété modifié au profit d’uneidentité serbe, et elles ont étépersuadées que toute leur fa-mille avait été tuée. L’associa-tion Femmes victimes de laguerre a reçu la lettre d’un gar-çon de dix ans né d’un viol. Ilrecherche aujourd’hui sa mère,qui a réussi à s’enfuir de Serbievers l’Allemagne. Celle-ci re-fuse de le rencontrer. Bekira,elle, s’apprête à se rendre à Vi-segrad à la commémoration desmassacres. Les familles de vic-times se tiendront sur un pontqui fait face à un restaurant,dont le propriétaire est selonelles, un criminel de guerre.

Aveline MarquesMersiha Nezic

Les victimes recherchent toujours réparation

54 jugementsDepuis le 9 mars 2005, datede la création d'une chambredédiée aux crimes de guerre,le tribunal de Bosnie-Herzé-govine a jugé 54 hommes :42 Serbes, sept Croates,quatre Bosniaques et un Ira-kien. Huit d'entre eux ont étéacquittés. La peine la pluslourde prononcée par la courd'Etat, concernant les crimesde guerre, crimes contrel'humanité et le génocide deSrebrenica, est de 42 ansd'emprisonnement. Le codepénal prévoit 45 ans, la per-pétuité n’existe pas en Bos-n i e - H e r z é g o v i n e . L acondamnation la plus légèreest de cinq ans.

cès de Gojko Klickovic et sescomplices s'achèvera avant lafin de l'année. En attendant laprochaine audience, les troisaccusés repartent comme ilssont arrivés : dans de bellesvoitures, souriants et libres.

Aveline MarquesMersiha Nezic

Les femmes détenues et violées pendant la guerre sont souvent ignoréesdes autorités qui n’ont défini aucune stratégie pour leur venir en aide.

La liste des3000 tués deVisegrad estaffichée dansle local del’associationFemmesvictimes de laguerre,présidée parBekiraHasecic.

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C’est une légende urbainerelayée par tous : à BanjaLuka, il y aurait septfemmes pour un homme.En réalité, d’après leschiffres des registres civilsde Republika srpska, il y adans toutes les tranches

d’âge inférieures à 40 ansplus d’hommes que defemmes. Les femmes sonten revanche majoritaireschez les plus de 40 ans.Aucun homme n’aurait dé-passé l’âge de 85 ans en2007.

RUMEUR

34 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

CONSTRUIRE SON H

guerre et crimes contre l'huma-nité. Le jugement de ces crimesreste un obstacle à franchirpour parvenir à la réconcilia-tion du pays. Mais de-puis 1993, date de lacréation du TPIY, lesjuridictions habilitées àles juger – le TPIY, lacour d'Etat mais aussiles tribunaux canto-naux et régionaux desdeux entités – n'ontmené à bien que450 procès. Depuis2005, 1113 personnesont été accusées par letribunal de Bosnie-Herzégovine. Et prèsde 1000 enquêtes sontouvertes chaque annéepar le bureau du procureur.L'ancienneté des faits rend letravail des enquêteurs difficile.Il faut du temps pour rassem-bler les documents, les preuvesmatérielles et les témoins, pourlesquels des programmes deprotection sont parfois mis enplace. « Dans une seule affaire,nous pouvons être amenés àentendre 100 à 200 témoins. Leproblème, c'est que beaucoupne vivent plus en Bosnie. C'estdifficile de les retrouver », ex-plique le porte-parole du pro-cureur général, Boris Grubesic.Plusieurs ambassades de Bos-nie ont été équipées pour enre-gistrer les témoignages de ceuxqui ne peuvent pas se déplacer.

Processus trop lent. Le tri-bunal national est au centre del'attention. Emira Hodzic, lachef du département légal, saitque sa crédibilité est en jeu.« Nous avons jugé des accusésissus des trois communautés »,précise-t-elle d’emblée. « Nousfaisons beaucoup d'efforts pourjuger les accusés de crimes deguerre le plus rapidement etplus équitablement possible »,ajoute-t-elle. Mais l’institutioncontinue de faire l’objet d’at-taques d’une partie de l’élitepolitique serbe, qui nie l'am-pleur voire l’existence descrimes et des familles de vic-

times pour qui le processus ju-diciaire est trop lent et parfoisincompréhensible. Les associa-tions regroupant les proches

des victimes de Srebre-nica ont menacé de boy-cotter le tribunal, écœu-rées par le récentacquittement de MilosStupar : la cour d’appela cassé début mai, pourvice de procédure, lacondamnation à qua-rante ans de prison pro-noncée à son encontreen première instance.Boris Grubesic pointe lemanque de moyens fi-nanciers et humains.« Si l'Etat donnait cesmoyens à la justice,

nous pourrions traiter la majo-rité des cas dans les dix àquinze ans », déclare-t-il.« Mais juger tout le monde estimpossible. Encore aujour-d'hui, des gens répondent descrimes commis pendant la Se-conde guerre mondiale »,poursuit le porte-parole du pro-cureur. Le pays a donc choisi de s'entenir aux responsables, contrai-rement au Rwanda, qui a jugéplus de 1,6 million de per-sonnes depuis 2002, impli-quées de près ou de loin dans legénocide des Tutsis.Faute de moyens, le Conseildes ministres de Bosnie n’a pasencore réussi à imposer sa stra-tégie sur le traitement descrimes de guerre. Le projet deloi prévoit pourtant la mise enplace d’une commission Jus-tice et vérité et comporte un vo-let pour l'indemnisation desvictimes. Il permettrait aussi lacréation d'un fichier de noms,interdisant aux anciens crimi-nels de guerre de travailler dansla fonction publique, notam-ment dans la police et la jus-tice. Début mai, une juge a étésuspendue d'un tribunal régio-nal situé dans l'entité serbeaprès qu'une association de vic-times a révélé aux médias saparticipation à des crimes com-mis à Visegrad.

Chaises vides. Ce mardi18 mai, Gojko Klickovic, cin-quantenaire à la voix grave etau ton autoritaire, et ses deuxcoaccusés, Jovan Ostojic etMaden Drljaca, présententleurs témoins. Les chaises ré-servées au public restent vides.Les trois hommes doivent ré-pondre des crimes commis àl'encontre de la population mu-sulmane de Bosanska Krupa,une ville du Nord-est du pays.

Selon l'acte d'accusation, ils au-raient organisé et participé autransfert forcé de civils bos-niaques et détenu illégalementplusieurs dizaines d'habitantsdans les écoles de la ville.

Témoignages. Certainsd'entre eux assurent avoir étérégulièrement roués de coups,d'autres violés ou tués. Tour àtour, après avoir prêté serment,les témoins de la défense sontauditionnés par les avocats, lesaccusés eux-mêmes et enfin leprocureur sur les événementsd'avril 1992, lorsque le conflit aéclaté dans la ville. Les trois té-moins serbes racontent lesbombardements d'origine in-connue, les maisons brûlées, leblocus d'une partie de la ville,leur fuite vers les localitésproches. Tous affirment n'avoircroisé aucun civil musulman. Au juge, qui se demande où estpassée la population bosniaquede Bosanska Krupa, pourtantmajoritaire, l'un des témoins ré-pond simplement : « Ils ontpris leurs valises et sont partissur la rive gauche de la rivièreUna. » « Après cette premièreattaque, le conflit s'estachevé », affirme un autre. Bo-ris Grubesic espère que le pro-

DEUX hommes plai-santent dans la petitesalle d'audience duTribunal de Bosnie-Herzégovine, à Sara-jevo. L'un d'eux est

avocat, l'autre est son client.Gojko Klickovic fait partiedes trois accusés serbes quicomparaissent depuis 2008pour crimes de guerre etcrimes contre l'humanité. Lestrois hommes risquent 45 ansde prison, la peine maximaleen Bosnie-Herzégovine, maisaffichent une détente peucommune face aux juges,comme s'il s'agissait pour euxd'une simple formalité.

Modèle anglo-saxon. De-puis le 9 mars 2005, date de lacréation d’une chambre dédiéeaux crimes de guerre,54 hommes, pour la plupartdes Serbes mais aussi desCroates et des Bosniaques(voir encadré), ont été jugés aucours de 38 procès par le tri-bunal d'Etat. Une dizaine d’af-faires a été transmise à la juri-diction locale par le Tribunalpénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de LaHaye, qui doit fermer sesportes fin 2012. Si le TPIY juge l’élite poli-tique et militaire pendant laguerre (1992-1995), le tribu-nal bosnien se charge descommandants de grade infé-rieur, des responsables locauxcomme Gojko Klickovic, oudes exécutants. La communauté internationaleveille au bon déroulement desprocès. En 2003, le systèmepénal bosnien a été réformésur le modèle anglo-saxon. Aucours de chaque audience, unmagistrat étranger, vêtu d'unerobe plus sombre que les deuxjuges locaux, se tient en retraitet observe les débats. L'ampleur de la tâche esténorme pour les juridictionsnationales. Les sources s'ac-cordent : de 5000 à 10 000personnes auraient été impli-quées dans les crimes de

Raiffeisen International est le plusimportant réseau bancaire despays d’Europe centrale et orientale,avec près de 12,5 millions declients. En Bosnie, le groupe autri-chien a fondé la Raiffeisen Bankdd Bosna i Hercegovina en 1992.L’Autriche est aujourd’hui le pre-

mier investisseur étranger dansl’économie bosnienne, notammentgrâce à ses banques. Pendant laguerre, près de 2,75 milliards deDeutsch marks d’économie ont dis-paru de 13 banques de Bosnie-Herzégovine et de cinq agencesbancaires d’ex-Yougoslavie.

RAIFFEISEN BANK

« Dans uneseule af-

faire, nouspouvons

être amenésà juger 100

à 200 té-moins. »

Boris Grubesic,porte-pa-role du

procureurgénéral

Crimes de guerre devant la Cour d’EtatSi le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie juge l’élite politique et militaire, celui de Bosnie-Herzégovine se charge des responsables locaux et des exécutants.

A Tuzla, 5000 sacsmortuaires

sont en attented’identification,

entreposésdans unechambre

froide.

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NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 37

CONSTRUIRE SON HISTOIRE

AVEC treize ministèresde l'éducation et troisnationalités différentes,la Bosnie-Herzégovinepeine à se construireune histoire commune.

Chacun des dix cantons de laFédération élabore son propreprogramme, qui diffère de ceuxde la Republika srpska ou dudistrict de Brcko. Après la guerre, la plupart desmanuels proviennent de Bel-grade pour les écoliers bosno-serbes. Ils sont écrits intégrale-ment en cyrillique. Pour les élèves bosno-croates,les livres sont élaborés à Za-greb, et imprimés en alphabetlatin. Les élèves bosniaques,quant à eux, étudient dans deslivres datant de la Yougoslavie.Leurs manuels sont écrits encyrillique et en caractères la-tins. Des conditions peu favo-rables à l'édification d'un sys-tème de référence commun,bosnien, pour un pays quin'existait pas avant 1991.La communauté internationalea choisi de s'octroyer le rôled'arbitre dans ce domaineconflictuel.

Directives. Depuis huit ans,l'organisation pour la sécuritéet la coopération en Europe(OSCE) intervient dans l'écri-ture des manuels d'histoire etde géographie. Elle donne desdirectives, organise des col-loques de professeurs et d'his-toriens afin de minimiser les di-vergences. « Notre action part d'un vraibesoin, de la société comme desprofesseurs, argumente ValerijaTisma, chargée de l'éducationau bureau de l'OSCE à BanjaLuka. Les expressions utiliséesdans les manuels étaient par-fois inappropriées, certainsévénements présentés de façonunivoque peuvent heurter lessensibilités des autres nationa-lités. De chaque côté, on évitaitde parler de l'autre, en ne fai-sant entendre qu'une seule vé-rité. » La première génération de ma-nuels bosniens a été distribuéedans les écoles en 2007. Les re-commandations de l'OSCE sti-pulent que « la Bosnie-Herzé-govine doit être présentéecomme le principal point de ré-férence ». De plus, « les ques-tions polémiques doivent êtreévoquées de façon à ne froisserpersonne et dans le respect dessentiments des trois peuplesconstitutifs et des minorités na-tionales. » Malgré ces précau-tions, quelques sujets restentparticulièrement sensibles.Zoom sur trois points chaudsde l'histoire de la Bosnie-Her-zégovine : la période ottomane,la Seconde guerre mondiale etle conflit de 1992-1995.

Eve ChalmandrierFanny Holveck

Julien Lemaignen

Manuels scolaires : passés recomposésLes programmes d’histoire des trois communautés entrent en conflit sur plusieurs épisodes majeurs. L’OSCE tente d’y remédier en élaborant des livres identiques dans tout le pays.

Un cour sd’histoireau lycée dePetrovac,enFédération.

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L’empire ottoman« L'islam a été accepté pas à pas et totalementlibrement par toutes les classes sociales, dansles villes comme dans les campagnes. » Dansles livres bosniaques, l'appartenance de la Bos-nie à l'empire ottoman à partir du XIVe siècleest présentée comme un véritable progrès pourle pays. La population musulmane y est privilé-giée, reçoit une bonne éducation et a le droit detravailler dans l'administration. Au contraire, àpropos des conversions, le manuel de Repu-

blika srpska, souligne la « manipulation » desOttomans et reprend un extrait d'une lettreadressée par le roi de Bosnie au Pape : « LesTurcs profitent du fait que les paysans soientsimples d'esprit pour les manipuler. Ils leurpromettent la liberté s'ils se convertissent à l'Is-lam. »La version croate insiste, elle, sur la résistancedes catholiques face au mouvement de conver-sion, en soulignant le rôle des Franciscains.

Le conflit de 1992-1995« Le 6 avril 1992, la Bosnie devient indépen-dante », lit-on dans le livre bosniaque. Une pe-tite chronologie saute directement à la signaturedes accords de Dayton, en 1995. Les livrescroates et serbes détaillent à peine plus laguerre. Celui de RS revient sur le début duconflit et le décrit comme une guerre civile,ayant commencé comme une guerre « locale,délimitée et en partie contrôlée ». Dans les

livres croates, où les catholiques sont considé-rés comme les premiers à défendre la Bosnieface à la grande agression de la Serbie. « Pour les événements qui ont eu lieu à partirde 1991, nous vous conseillons de parler avecles gens qui ont vécu ce conflit, de vous docu-menter dans la presse ou d'en discuter en classeavec votre professeur d'histoire. », indique ladernière page d'un manuel de RS.

La Seconde Guerre mondiale« Les Oustachis ont tenté de convertir lesSerbes au catholicisme. Ceux qui refusaient ontété arrêtés et exterminés dans des camps deconcentration. » Les livres de la RS accordentune place majeure à cet épisode de l'histoire.Les camps croates sont décrits à l'envi. Environun million de personnes y auraient été tuées,principalement des Serbes, des juifs et des Tzi-ganes. Parmi les souvenirs douloureux, le camp

de Jasenovac, crée par le régime des Oustachisdans l'Etat indépendant de Croatie (NDH). Ils'agissait du seul camp d'extermination nongéré par les Nazis de sa construction jusqu'à sadestruction. « Les Oustachis l'ont fermé pourcacher l'évidence des crimes », selon les au-teurs serbes. Du côté croate, cet épisode faitl'objet d'un seul paragraphe, dans un chapitresur l'Etat indépendant de Croatie.

CONSTRUIRE SON HISTOIRE

Ala veille du quinzièmeanniversaire du mas-sacre de Srebrenica, lesSerbes de Bosnie veu-lent eux aussi faire en-tendre qu’ils ont connu

des milliers de victimes civiles.En Republika srpska (RS), deplus en plus de voix s’élèventpour que la justice soit la mêmepour tous et que chaque victimepuisse obtenir réparation.« L’opinion généralement ac-ceptée est que les Serbesétaient les agresseurs. De cefait, ils ne peuvent pas être lesvictimes », se désole Janko Ve-limirovic, directeur de l’institutde recherche sur les victimesserbes de la guerre, basé àBanja Luka.

Mauvaise presse. L’hommeau physique imposant, la cin-quantaine, se bat depuis main-tenant dix ans pour faire en-tendre cette voix. Selon leschiffres du Centre de documen-tation et de recherche de Sara-jevo, le conflit a coûté la vie àprès de 100 000 personnes,dont 32 000 Serbes de Bosnie.« Le fait que le peuple serbecompte également des victimesest mal connu. Ce peuple a trèsmauvaise presse en Bosnie,mais surtout dans la commu-nauté internationale. »Composé d’historiens et d’avo-cats, l’institut se bat avant toutpour l’équité face à la justice,qu’elle soit internationale oulocale. Depuis quinze ans, lestrois quarts des condamnationsdu Tribunal pénal internationalpour l’ex-Yougoslavie, avec le-quel coopère l’institut de BanjaLuka, ont visé des Serbes et desSerbes de Bosnie, 18% desCroates et 4% des Bosniaques.A la Cour du district de BanjaLuka, une des cinq cours lo-cales en RS, sur les 22 juge-ments pour crimes de guerre,trois seulement concernaientdes victimes serbes, pour 18Bosniaques et un Croate. PourJanko Velimirovic, le préjudiced’avoir le statut de bourreaun’est pas seulement juridique, ilest aussi psychologique. Ainsi, les victimes civiles sesentent moins légitimes à ex-primer leur souffrance :

« Beaucoup de gens ont besoind’aide psychologique, notam-ment les femmes violées, lesgens torturés. Il y a aussi tousles réfugiés et déplacés in-ternes, qui n’ont pas seulementà gérer le traumatisme de laguerre, mais aussi celui de lamigration ». Pendant longtemps, les vic-times civiles de crimesde guerre n’avaient pasd’association propre. Iln’existait que des asso-ciations d’ancienscombattants, qui netraitaient pas de l’as-pect psychologique.« La question post-traumatique est encoretrop négligée en Repu-blika srpska. La Croa-tie a fait un bienmeilleur travail quenous. » Basée à BanjaLuka, l’association des dispa-rus et morts serbes de la guerretente de prendre le relais sur cepoint, avec difficulté. Nedel-jiko Mitrovic, son président, unimmense drapeau aux couleursde la Republika srpska dans ledos, explique : « Nous aidonsles familles des disparus et desmorts sur le plan pécuniaire etpsychologique. Nous avons desséances de thérapie de groupe,parce que les familles ont be-soin de parler de leur perte. »Créée en 1995, l’association,forte de 34 000 membres, se ditencore impuissante. La souf-france psychologique reste ta-boue et beaucoup de familles

préfèrent souvent consulterleurs propres médecins.D’après une source diploma-tique, une psychiatre spéciali-sée dans le traumatisme psy-chologique de la guerre auraitété récemment nommée à l’hô-pital de Banja Luka.

Injustice réparée. L’asso-ciation a dû se battrepour obtenir plus de sub-ventions : « A la fin dela guerre, il n’existaitqu’une association, com-mune aux victimes de laFédération et à celles dela Republika srpska. Etles subventions aux fa-milles étaient verséespar les Etats-Unis,l’Unicef, ou encore lespays d’Europe del’ouest : les Bosniaquesrecevaient alors 90% des

aides. »Une injustice que les Serbes

ont en partie réussi à réparerdepuis que la Republika srpskaa sa propre association. Ellepeut proposer ses propres pro-jets, auxquels l’Etat ou la com-munauté internationale accor-dent des subventions. « Nousn’avons pas assez d’argentpour proposer un projet pluslarge. De plus, les victimes dela guerre de Bosnie ne sontplus une priorité pour la com-munauté internationale »,lance Nedeljiko Mitrovic,comme pour souligner que lesvictimes serbes ne pourrontplus profiter de toutes les aides

accordées aux Bosniaques pen-dant les premières années del’après-guerre. « Il faudrait aumoins que l’aide psychologiquesoit concrète », conclut-il. Cette situation suscite chez cer-tains Serbes un sentiment d’in-justice, qui alimente le discoursrévisionniste. Srebrenica resteun sujet très sensible, sonnombre de morts officiel étanttrès souvent nié ou minimisé. A six mois des élections, Milo-rad Dodik, l’actuel Premier mi-nistre de Republika srpska etcandidat à sa propre succes-sion, a bien compris l’impor-tance de ce sujet. Alors que leParlement de Serbie vient deprésenter les excuses de sonpeuple aux victimes de Srebre-nica, Dodik a affirmé qu’il nequalifierait jamais cet événe-ment de génocide, et a minoréde moitié le nombre officiel demorts, selon lui établi sous lapression du Haut-représentantde la communauté internatio-nale en Bosnie-Herzégovine.Avec cette déclaration,l’homme fort de la Republikasrpska souhaite débarrasser lepeuple serbe du statut de bour-reau dans cette guerre, en criti-quant la position selon lui par-tisane de la communautéinternationale. En pleine cam-pagne, le candidat exploitel’exaspération des victimesserbes.

Anastasia Lévy

Les Serbes réclament justiceSystématiquement perçus comme des agresseurs, les Serbes tentent de faire entendre qu’ils comptent eux aussides milliers de victimes.

La rakija est une eau-de-vie desBalkans obtenue à partir de jus defruits fermentés, notamment laprune ou la poire. Elle atteint engénéral les 40%, mais quand elleest vendue sur les marchés par lesproducteurs locaux, elle avoisinegénéralement les 60%. Elle estcommune dans les mariages et estmême utilisée par les églises or-thodoxe et catholique dans cer-taines cérémonies funéraires.

RAKIJA

« Le peupleserbe a

mauvaisepresse. »

Janko Veli-mirovic, di-recteur de

l’institut derecherchesur les vic-

timesserbes de la

guerre

Le TPIYLe tribunal pénal internatio-nal pour l’ex-Yougoslavie(TPIY) a été créé en 1993par la résolution 827 duConseil de sécurité des Na-tions Unies. Il a pour missionde juger les responsables deviolations graves du droit in-ternational humanitaire enex-Yougoslavie commis àpartir du 1er janvier 1991.Situé à La Haye, il a mis enaccusation 161 individus,dont des dirigeants politiquesou militaires. Sur la totalité des accusés, 55ont été condamnés, 9 acquit-tés, 13 renvoyés devant lesjuridictions nationales, 36procédures ont été closes à lasuite du décès de l’accusé oudu retrait de l’acte d’accusa-tion et 48 sont en cours. La plus lourde peine pronon-cée est l’emprisonnement àvie contre Stanislav Galic,général de l’Armée desSerbes de Bosnie condamnépour crimes contre l’huma-nité. Pour désengorger leTPIY, des tribunaux secon-daires ont été créés, commela chambre pour les crimesde guerre en Bosnie-Herzé-govine, intégrée à la Courd’Etat.

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Lévy

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36 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

JankoVelimirovic sebat depuis dixans pour faire

entendre lavoix desvictimesserbes.

Page 20: NEWSD'ILL oche de nouvelles se faire soigner, ils versent des pots-de-vin. Les Bosniens ont appris à composer avec le système mais beaucoup, candidats au départ, font la queue pour

NEWS D’ILL - n°100 - JUIN 2010 - 39

Primés dans les festivals, les cinéastes tentent de s’affranchir de leur rôle de médiateur politique.

DEPUIS l'éclatement de laYougoslavie, le cinémabosnien n'a cessé de s'im-

poser dans les festivals inter-nationaux. A l'affiche, pas beaucoup decomédies romantiques ou po-taches : les cinéastes bosniensdonnent plutôt dans le filmd'art et essai, engagé sociale-ment. « Il y a beaucoup d'hu-mour noir dans nos films. C'estaussi une façon d'affronter lepassé », explique KumjanaNovakova de Pravo Ljudski,une association qui organisechaque année un festival dedocumentaires sur les droits del'homme.

Catharsis. « Faire un filmde fiction pendant la guerre re-venait à lui dire « on s'enfout ». La dérision permettaitde survivre, tellement la situa-tion était absurde », se sou-vient François Lunel, cinéastefrançais arrivé en Bosnie en1992. La ville est encore assié-gée lorsqu'il tourne Jours tran-quilles à Sarajevo.On retrouve ce comique del'absurde, dans No Man's Landde Danis Tanovic, oscarisé en2001. « Depuis Tanovic, il n'ya pas eu de grand renouvelle-ment », juge Adis Djapo, de lamaison de production Proba.Les cinéastes de cette généra-tion sont aux manettes et lesnouvelles têtes n'ont pas en-core émergé.Difficile également de trouverun film qui n'évoque pas laguerre dans un pays où lestraces d'obus sont encore vi-sibles. La catharsis est jugéenécessaire : « Après la Secondeguerre mondiale, on a parlé del'Holocauste, mais pas de cequi s'était passé entre Serbes,Croates et Bosniaques. On amis tout ça sous le tapis et ça aressurgi des décennies plustard », rappelle Sumeja Tulicde Kriterion, une associationsarajévienne qui organise desprojections.

Identité. Le milieu du ci-néma a décidé de se saisir desquestions de société. L'an der-nier, Amra Baksic Camo, de lamaison Proba, a lancé le projet« BiH à la recherche de l'iden-tité perdue » et a invité douzecinéastes à travailler sur cethème, à travers la réalisationde documentaires et de fic-tions. « Notre pays a été crééde toute pièce par un accordde paix. Chacun a sa versionde ce que devrait être l'identitébosnienne. Nous voulionsmontrer ce que chacun a encommun », explique AdisDjapo. Les variations abon-dent : identité du langage dansDijagnoza S.B.H d'Enes Zlatar,couples mixtes dans Border-line lovers de Miroslav Man-dic.Mais le travail est délicat.« Celui qui tenterait de créerune « identité bosnienne » neferait, en réalité, que de la pro-

pagande », affirme Namik Ta-bil, réalisateur d'Interrogation,documentaire primé au Sara-jevo Film Festival en 2007. -Exilée à Londres depuis 1992,la réalisatrice Duska Zagoracest revenue quinze ans plustard à Banja Luka pourtourner un documen-taire sur une commu-nauté de Chinois immi-grés. « Beaucoup deBosniens sont en exil.D'autres ont été dépla-cés dans leur proprepays et, maintenant,des immigrés s'instal-lent. Ils sont rarementbien accueillis, et sontle miroir de notrepropre dislocation. »L'association Kriterionprojette d'ouvrir un ci-néma d'art et essai tenu par desétudiants, car les salles de pro-jection, détruites pendant laguerre, ne sont pas légion. Sa-

Le célèbre tunnel, ob-jet de livres et defilms, a été construiten juillet 1993 sousl'aéroport de Sarajevoassiégée, pour appro-

visionner la ville ennourriture et armes. Ila été utilisé jusqu'à lafin du conflit. Aujour-d'hui, il ne reste qu'untronçon d'une dizaine

de mètres transforméen attraction payante :une étape du tourismede guerre, que les carsturcs affectionnentparticulièrement.

TUNNEL

CONSTRUIRE SON HISTOIRE

Brouillon de culturesA Mostar, la maison de la jeunesse et de la cultureAbrasevic est le quartier général des militants de la mixité.

DANS le coin près de laporte d’entrée, un vieux ca-napé défoncé a ouvert ses

bras à deux jeunes filles quiprofitent de la connexion wifi.Muky, le barman, leur apportedes Karlovacko, une bière bras-sée en Croatie, servie ici« parce qu’elle est bienmeilleure que la Sarajevsko, labière bosniaque. »

Sur la mezzanine au-dessusde leurs têtes, une associationtient une réunion informelle.Le café Abrasevic est le repaired’une poignée de jeunes mili-tants de Mostar. Les ados pleinsd’idéaux y croisent des trente-naires, activistes de longue datede la cause anti-fasciste, anti-homophobe, anti-discrimina-tion et pro-culture.

Utopistes convaincus. Leshabitués rechignent à déclinerleur nationalité. Certains fini-ront par se déclarer « Yougo-slaves » ou « d’origineCroate » si on insiste pour les« faire entrer dans une case ».Les plus jeunes se disent par-fois « Bosniens ». Situé dans larue Alekse Santica, la ligne defront entre Croates et Bos-niaques pendant la guerre,

Abrasevic a été créé pour com-battre ces distinctions. Car le café n’est en réalité quela porte d’entrée grand publicvers un mouvement d’utopistesconvaincus. Fondée en 2003par une douzaine d’associa-tions de Mostar, la maison de lajeunesse et de la culture OKC*Abrasevic s’est installée en2004 à l’emplacement d’uncentre culturel détruit pendantla guerre. Des groupes de Mos-tar et des Balkans animent ré-gulièrement la salle de concertattenante au café, qui accueilleaussi des projections de filmsindépendants. Dans la cour du centre setrouve le « Media centar », unensemble de containers où sontorganisés des ateliers vidéos etd’où est alimenté le site d’ac-tualité abrasmedia.info. Depuisnovembre 2009, le site hébergeAbrasradio, « la première we-bradio indépendante de Bos-nie-Herzégovine », selon Ro-bert Janric , l’un des fondateursde la station. Cinq personnes sont employéesà temps plein, mais touchent àpeine de quoi vivre. Quelquescontrats ponctuels viennentrenforcer la petite équipe de bé-

Les jours tranquilles du cinéma bosnien

névoles. « Les premières an-nées, Pro-Helvetia, une asso-ciation suisse, nous a beaucoupsoutenus. Mais ce partenariatest arrive à son terme. Notreplus gros problème est de trou-ver des fonds pour continuer àexister », se désole Robert Jan-dric.

Performances. Malgré cetessoufflement financier, l’OKCAbrasevic reste un vivier d’ini-tiatives, d’autant plus impor-tant que Mostar n’a ni cinéma,ni grandes salles de concert.Les militants animent engrande partie la vie culturellede la ville, et si le public estpeu nombreux, il n’en est pasmoins fidèle. Au printemps 2010, le projetArt in divided cities a été conçupar des bénévoles de la maisonde la culture. Des artistes deMostar, Berlin, Beyrouth, Bel-fast et Kosovska Mitrovica ontalimenté un blog (artindici-ties.org) pendant plusieurs se-maines, et se sont retrouvés enavril à Abrasevic, pour quatrejours d’exposition et de perfor-mances. « Nous voudrions maintenantnous servir du bâtiment enruine derrière Abrasevic pouren faire un musée sur la fron-tière, avec des collections re-nouvelées régulièrement », ex-plique Mela Zuljevic, lacoordinatrice du projet. Les ap-pels à subventions sont lancés,sans succès pour l’instant.

Lisette Gries

*OKC : Omlandinski kulturni centar/ centreculturel pour la jeunesse

rajevo en compte neuf, BanjaLuka, deux. « Le cinéma est unbon moyen de montrer que lesBosniens sont confrontés auxmêmes problèmes », estimeSumeja Tulic. L’initiative estd’autant plus importante qu’en

Fédération, chaque can-ton a son propre sys-tème éducatif. Croates,Serbes et Bosniaquesn'apprennent pas l'his-toire de la même façon.

Mission civique. Aforce d'aborder lesquestions sociales et po-litiques, les cinéastesbosniens se sont vus in-vestis d'une sorte demission civique. En2008, Danis Tanovic alancé le parti politique

Nasa Stranka. Mais il rappelleconstamment que son métier« c'est de faire des films, pas dela politique ».

Les réalisateurs bosnienssont plébiscités par la popu-lation et il n'est pas rarequ'un film local enregistre100 000 entrées. Mais lesréalisateurs ne peuvent pastout. Pjer Zalica, primé dansplusieurs festivals euro-péens, s'étonne que les jour-nalistes l'interrogent toujourssur des thèmes politiques :« Avec des cinéastes, nousavons fait une sorte de per-formance qui s'appelait Eu-ropean Now. Ce n'était passérieux. Nous voulions sim-plement interpeller les genssur la question de l'intégra-tion à l'UE. Mais les journa-listes et les bureaucrates eu-ropéens ont immédiatementréagi en organisant des mee-tings très formels. C'est amu-sant mais effrayant, aussi,quand on y réfléchit bien. »

Anne CaganLucile Pinero

«Il y a beaucoupd’humournoir dansnos films.C’est aussiune façon d’affronterle passé.»KumjanaNovakova,

responsableassociatif

38 - JUIN 2010 - n°100 - NEWS D’ILL

CONSTRUIRE SON HISTOIRE

la même manière de 1990 à2006 ? Parce que leur vie estmisérable. Tout le monde uti-lise la peur contre eux : leshommes politiques, l'Eglise, etmême l'Université. Les genssont sus-ceptibles devoter pourun hommep o l i t i q u equ'ils sa-vent igno-rant et cor-r o m p u ,parce qu'ilspensent ques'ils ne seserrent pasles coudesen tant quegroupe eth-nique, cesera encorepire. Je prie pour que les gensvotent pour de nouvelles têtesen octobre. Ceux qui sont là ac-tuellement sont des menaces,ils sont dangereux.

N'est-il pas temps pour laBosnie de se passer de la com-munauté internationale?Aujourd'hui, personne n'estcontent de cette forme de pro-

tectorat, mais on sait que sansla communauté internationale,aucun accord n'est possible. Iln'y a pas de parti politique ausens propre en Bosnie-Herzé-govine. Il y a des mouvements

nationaux etdes leaderspolitiques.Le recours àla peur rendimpossibletoute formede consen-sus. La pré-sence de lac o m m u -nauté inter-nationale estdonc encoreune néces-sité.

P e n s e z -vous que les Bosniens sontdes citoyens passifs?J'ai le sentiment que depuistoujours, il ne nous a manquéqu'une seule phrase dans notreConstitution : « Je suis citoyende Bosnie-Herzégovine ». Jene crois pas qu'ils soient pas-sifs. Les citadins de Sarajevo,de Banja Luka, de Tuzla etc,et les jeunes ne participent pas

« Sans la communauté internationale, en politique, aucun accord n’est possible »

ZDRAVKO Grebo estprofesseur de droit àl'Université de Sarajevo.En 1991, il a participé àl'élaboration de laConstitution alternative

de Bosnie-Herzégovine, avantd'ouvrir Radio Zid pendant laguerre, pour « recréer le climatintellectuel et spirituel du Sa-rajevo d'avant-guerre ».

NDI : Qu'attendent les Bos-niens des élections d'octobreprochain?Zdravko Grebo : Nous espé-rons que soient élus des gensqui seraient prêts, non pas às'aimer, mais au moins au com-promis. Mais je ne suis pas op-timiste.

Parce que ces hommes poli-tiques n'existent pas ou parceque les citoyens ne sont pasprêts à se mobiliser pour élirece genre de candidats?Regardez l'Italie : pourquoi lesgens ont-ils voté pour SilvioBerlusconi ? C'est un politiciensans idéologie, qui a été accuséde tout. Les Italiens ont pour-tant voté pour lui. Pourquoi lesgens normaux, s'il en existeaprès la guerre, ont-ils voté de

aux élections parce qu'ils trou-vent ça écœurant. Dans lescampagnes, les gens sont trèsattachés à leur groupe eth-nique ou religieux : cette abs-tention leur profite donc. C'estla même chose en France, auxÉtats-Unis, et dans d'autresdémocraties stables. Maisdans une démocratie fragile, sitant est que la situation poli-tique bosnienne est une vraiedémocratie, c'est très dange-reux.

Peut-on imaginer la Bosniesans entités?Bien sûr. J'ai du mal à l'imagi-ner avec des entités. Ce sys-tème est vraiment très bizarre.Rien que dans le nom, Bosnie« et » Herzégovine. Deux enti-tés, une fédération et une répu-blique, c'est un système catas-trophique, pas seulement parceque c'est source de conflit per-manent, mais surtout parce quec'est tout sauf naturel. Lameilleure façon de redessinerla vie politique de Bosnie se-rait d'avoir un État décentra-lisé, avec cinq ou six régionsfortes.

Propos recueillis par Anastasia Lévy

Entre Jajce et Banja Luka passe l’IEBL, Inter Entity Boundary Line. Cette frontière sépare les deux entités de Bosnie-Herzégovine.

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