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La prise en charge des toxicomanes (diversification - médicalisation - coopération) Ph. MOSSE Sommaire Avertissement p. 2 Introduction p. 3 I/ Perspective internationale p. 7 II/ Des soins et des patients orientés p. 15 III/ Croissance et développements p. 20 IV/ Une question de professionnels p. 28 Conclusion p. 38 Références p. 40 Annexes p. 43 Mots clés: Economie de la santé ; Toxicomanie ; Système de soins La documentation Française : La Prise en charge des toxicomanes

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  • La prise en charge destoxicomanes(diversification - médicalisation - coopération)

    Ph. MOSSE

    Sommaire

    Avertissement p.2

    Introduction p. 3

    I/ Perspective internationale p.7

    II/ Des soins et despatients orientés p.15

    III/ Croissance et développements p. 20

    IV/ Une question de professionnels p. 28

    Conclusion p. 38

    Références p. 40

    Annexes p. 43

    Mots clés: Economie dela santé ; Toxicomanie ; Système desoins

    La documentation Française : La Prise en charge des toxicomanes

  • La documentation Française : La Prise en charge des toxicomanes

  • Introduction

    Le systèmefrançaisde Sécurité Socialeest très fortement centralisé notammentdansle domaine dufinancementetde la régulation générale du système de soins. Avecla crise économiqueet financièrede l’Etat Providence. plusieurs réformes successivesont été tentéesdepuis le début desannées 80 dansle but de contrôlerles dépenses desanté tout en maintenant àun niveau élevé la qualité des soinsofferts : comme onlesait, cesréformes ontglobalementmaintenule niveau voirela croissance dela qualité.Mais son coûtresteélevé et l’équité. notamment dans l’accès auxsoinsreste un combatpermanent. Commele rappelle le Tableau 1,la part des dépenses de santé danslarichesse nationale est,en France,une des plus élevées du monde développé (USAexcepté).

    Ce phénomènea plusieurs causes,parmi lesquellesnombre d’observateursplacent en têtele type d’autonomiedont jouissent, en France,les professionnels desanté et qui nepermetpasde mettreen place une vraiepolitique d’incitation tendant àl’efficience. Ainsi, la volonté, partagée partous les acteurs, usagers compris, derespecterla marge de manoeuvre décisionnelle des professionnels conduit à ne pasorienter les comportements etles décisions médicales versla prise encompte desconséquences macro économiques de ces décisions.

    Ainsi, comparativement à leurs confrères des autres pays d’Europe, les médecinsfrançais ne sont-ils niimpliquésau coeur dela régulation de l’ensemble du système(comme enAllemagne par exemple), ni placés au centred’unemise en concurrence detype marchand (comme ontentede l’établir en Grande Bretagne).

    Entre autresconséquences,cette autonomie, mais aussila forme d’expertise quila fonde (dontl’universalité du diplôme de docteur en médecineestune caractéristiqueessentielle) permettent àtout médecin de choisir, de définir, voire de créer,le marchémédical danslequel il entenddévelopper et exercer ses compétences. Cette stratégie

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  • professionnelleest facilitéepar la liberté laisséeaux patients de consulterle médecin deleur choix : liberté à laquelle consommateurs et producteurs semblent très attachés,malgré les inconvénients qu’elleprésentepour lespremiers (Mossé.1994).

    Ce trait typique dela situation française devait être rappelécar il va conférer ausystème desoins pourtoxicomanes unedynamique quel’on ne trouvesansdoute pasdans d’autres pays.

    La croissance de sonsystème de santé pose àla France des problèmes d’autantplus gravesque, dans le même temps,la Société française connaît de profondschangements sociaux etéconomiques. L’objetn’est pas ici d’en dresser une liste nid’en identifier les causes,tâche d’ailleurs bien délicate ; toutefois certains deceschangements touchant assez directement àla compréhension de ce qui se joue danslarégulation du système desoinspour toxicomanes,il est utile de les évoquer.

    Traditionnellement,la société française était fondée, depuisl’avènement del’idéologie révolutionnaire, sur l’idée selon laquelle chaque individuétait intégréà lanation en tant que citoyen. Le « filet social», l’Etat Providence apour objectifexplicite de permettre àcette forme d’intégration d’être mise en oeuvre. Avecl’enfoncement dela crise dansla durée, on peutcraindre quela France soit surle pointd’expérimenter un nouveau mode d’organisationsociale « àl’américaine » fondé surl’appartenance à une « communauté ».

    Etre immigré, jeune. sans abri, chômeur est de plus en plusconsidérécommeune forme essentielle d’appartenance à un groupe alors que,il y a seulement quelquesannées,chacune de cescaractéristique aurait étéd’abordperçue comme transitoire ousecondaire. Certes ces «fractures sociales » nesont pastotalement déterminées pardes identités religieuses, ethniques ou géographiquescommec’est déjàle cas ailleursdansle monde, maisle dangerest grand de voir peu à peu s’estomperla « cité » auprofit de la « communauté ». Participe de cetteanalyse et decette vision dela sociétéfrançaise,la floraison des débats et discours politiques sur la toxicomanie.Qu’ils’agisse d’aborderla toxicomanie comme un phénomèneayant salogique propre etdonc son traitement spécifique, ou qu’ils’agisse d’insister sur son caractèrefondamentalement déterminé,les protagonistes sesituent dans unréférentielcommundans lequel « l’image »3 centrale est biensouvent celle del’exclu - délinquant -toxicomane.

    Ce diagnostic ne fait cependant pas l’unanimité. Pour A.Ehrenberg(1994), lacroissance des problèmesliés à la drogue estdue au développement des valeursindividualistes. L’usage dela drogue est vucomme unmoyen de faire face au réquisitsde la compétition économique et au stressqu’elle produit parmi ses bénéficiairescomme parmi ceux qui en sontvictimes.

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  • Cesdeux visions globalesde l’évolution de la Sociétéfrançaisese rejoignentpour constater et déplorerl’existence d’unecrise identitaire. De plus. empruntantdesvoies différentes.ellesconvergent,implicitementounon. versla nécessitéde renforcerle rôle de l’Etat. C’est ainsi que, rendue légitime par l’idéologie et le modèle« paternaliste »,l’intervention de l’Etat s’étend pour maintenir le bien-être globalquand les décisionsindividuelles pourraient mettre en péril l’équilibre social. Ceprincipe s’applique sans doutedansla plupart des contextes nationaux.mais dansunpays centralisé, commela France,les décisionspolitiques et gouvernementales sont,plus qu’ailleurs. significatives d’unepriseen considération sociale. C’est dans ce cadreque,depuisune décennie l’intérêtpour la toxicomanie et ses remèdess’estrapidementaccru chezles décideurs, lesmédecinsou les chercheurs etque s’institutionnaliseunchamp nouveau de réflexions et d’actions.

    On peut ainsi considérercommedessignauxforts la création d’Agences oudeComitésspécialisés(telle quela "Délégation Généraleà la Lutte contrela Drogueet laToxicomanie -DGLDT -, l’Observatoire Françaisdes Drogues et des Toxicomanies ou,en 1994, le Groupement deRecherches« Psychotropes, Politiques et Société »).Demême l’introduction massive dela problématique dela toxicomane dansles contratsVille Etat Région,estune preuve quela préoccupationestpartagée par touslesniveauxde l’action publique.

    Dansla période récentela tenue denombreuxséminaires, colloques.rencontres(notamment organisés parla Fondation Descartes oula MIRE), ou commissionsparlementaires, commela publication de plusieurs rapports officielsconfirmentl’intérêt croissantpour la toxicomanie, notamment dansles milieux politiques etuniversitaires d’horizonsdivers4. La nature des échanges, y compris parfoisleurvirulence, montre aussi quele débat estpublic,contradictoire et fourni.

    Concernant plusparticulièrement etspécifiquementle système de soins,cesdifférentsrapportss’appuient surdes informationsnombreuses et fiables.En effet, leMinistère de la Santé conduit chaque année,depuis 1987, uneenquête parquestionnaire auprès de toutesles unitésde soinsdéclarant traités des toxicomanes àtitre principal et / o u parmi d’autres patients.A partir de ces informations le SESI5

    publie un rapport annueldécrivant l’état et l’évolution de quelquesvariablescaractéristiques des unités desoins et despatients traités. Bien que quelquesparamètres soient malheureusement manquant (concernant notamment lespersonnelsou lescoûts des soins) et quepeude recherches soient menées à partir de ces données,l’éventail des informationscollectéeset leurqualité autorisent à utiliser cesenquêtessous forme d’analyses secondaires.

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  • L’ensemble de cestravaux conduit à penser quele système desoins pourtoxicomanes estunescène mouvante sur laquelle nombreux semblentlesacteursqui sesentent légitimespour intervenir. Un des derniers exemplesestdonnépar le débatsurles traitements de substitution etla pertinence de leur adoptionpar les médecinsfrançais. Il est apparuavec force que cette question médicale avait unfort contenusocial.éthique idéologique ou politique,le tout étant entièrement immergé dansla crisesociale et morale quetraversela Franceà la recherche de nouveauxliens sociaux.C’est que ce débat n’apparaît pas dans un milieu statique soudain perturbé parunévénement exogène (même sila question des traitements de substitutionestd’abord,etau moins chronologiquement, unproduit d’importation venant des pays nordiquesetanglosaxons). La diffusion des traitements de substitution a donc été d’autant plusrapide qu’ellefut retardée et d’autant plus acceptée qu’ellefut débattue.

    Pour tenter d’expliquerla dynamique du dispositif de prise en chargedestoxicomanes tout en respectant, pour l’essentiel, le plan de l’ouvrage international,cerapport. s’articule autour de trois parties consacrées au cas français.

    Dans une première partie. seront présentés leslieux des prises en charge,lestypes de toxicomanesconcernés, etc. La seconde partie,seracentrée sur l’étude del’évolution du système.Dansla dernière partie sera démontré que cette évolutionpeutêtre perçue commela construction d’un champ « professionnel ». Ce plan est, à peu dechoses près, celuiqui estsuivi dansle chapitre de l’ouvrage international.

    Toutefois, dansla mesure oùl’angle d’attaque privilégié est celui deslogiquesprofessionnelles,il estsans doute utile de rappeler qu’elles sontmises en oeuvre, àdesdegrés divers et selon des combinatoiresspécifiques, dans l’ensemble des paysinclusdansla recherche internationale. Ceseral’objet du chapitre introductif suivant.

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  • Conclusion

    Dans une période historique oùla cohésion dela société françaiseestendanger,le problème dela drogueestmoins une cause directequ’un symptôme.Faisantfaceàcedéfi en conservant une attitudefortementcentralisée. les institutions (police, justice,médecine. école) s’organisent surdesbases étroites. Réticente à toute organisation dusystème sanitaire qui conduirait à une diminution de l’autonomie professionnelle,ellemême bâtie sur l’expertiseet la compétence,la professionmédicale s’approprielentement les occasions offertespar l’Etat et la loi. Pour ce qui concernelestoxicomanes et leur traitementmédical et social, les médecins restent divisés surlaquestion dela légalisation. Ainsiprivé de priorité clairement définie en terme deSantéPublique, le système desoins pour toxicomanesest, en France,caractérisépar lajuxtaposition dedivisions. d’oppositions dichotomiques (entrele pouvoir del’Etat etcelui des Départements,entre stratégies préventives etcuratives,entre interventionsociale et médicale, etc.).

    C’est ainsi que se formeun consensus pour que les toxicomanes accèdentà unstatut de « malade ». Aujourd’hui cela peutsemblerparadoxal, carle «diseasemodel » subit, hors de nos frontières de nombreuses critiques. Mais tout se passecomme sila médicalisation dela société française n’était pas achevée, alors que ailleursdans le monde se développent des modèles pluriels,sinon communautaires, àla foiséducatif, social et sanitaire. Toutefois à travers sesefforts pour absorber desdomainesde plus enplus nombreux,l’idéologie médicale semodifie comme semodifient lesformes de l’intervention médicale. En 1995, A. Ehrenberg s’interrogeait surl’exception française: « Alors quela plupart des pays européens ont modifiéleurpolitique de lutte contre les usages de drogue en secentrant sur lesusages destructeurset en donnantla priorité au risque du SIDA, d’une part et en distinguantgénéralemententre usage,abus etdépendance, d’autre part,la France, désormais uneexception enEurope, en reste au triangle d’or abstinence - désintoxication - éradication ... La Francepourra-t-elle restée longtemps isolée ? Si l’union européenne progresse surle planmonétaire, économique etsurtout politique,est il pensable qu’enmatière de droguelaFrance reste unchampclos ? » 36.

    Quelques mois plus tard onpeut constater que l’écart entrela conceptionfrançaise et les politiquesmises enplace dansd’autres pays seréduit. Il faut mettrecette évolution au créditd’une prise de conscience de l’efficacité d’une politique deréduction desrisques. Ainsi, L. Fournier,chargé demission à la DGLDTécrit en mars1996: « Elémentle plus visible deschangements depolitique sanitaire vis àvis destoxicomanes, les pratiques de substitution progressent...Depuis peu, et sansremettre en

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  • causelesprincipesde la loi de 1970...apparaissentde nouveaux acteurs quiagissentenappliquantles règles de assurancessociales »37.

    Conformémentà cettepolitique, le Ministère. réserve. depuis1993,l’essentielde son financement àla médicalisationdecentres existants.Celle-ci ne peut pasêtrequantifiéepuisqu’aucune donnée surl’évolution despersonnelset de leurqualificationn’est disponible38. Toutefois des informations émanant de la DGS indiquent quedepuisla miseen place decette priorité,c’est àdire au débutdesannées90, environ80centres ontété « médicalisés »(soit par la créationde postes de médecins soit par unfinancement de vacations médicales sur desbudgetsad hoc).

    La circulaire du 3avril 1996,entérinecetteévolution etla renforcemême surcertain points: « En 1995, l’organisation dela priseen charge sanitairedes toxicomanesa été marquée par l’extension du dispositif de prescription et de dispensation delaméthadoneà tous les centres spécialisés etpar la mise en place de cetraitementenmédecine de ville. Parallèlement, l’accroissement etla diversification de l’accueil, dusoin et del’hébergement des toxicomanes se sont poursuivis ... C’est ainsi que, en1995,30 Centresont bénéficiéd’un renforcementen personnel médical ». Par ailleurs,afin d’adapterlesstructures de soinsauxtoxicomanes, àla pratiquedestraitementsdesubstitution (Méthadone, Subutex),lescentres desoinsspécialisés seront «renforcésentempsmédical et /ouparamédical »39. Cette même circulaire précise que 20 nouveauxréseaux Toxicomanieville - hôpital seront crées en1996 (ce qui correspondapproximativement à un doublement parrapport à l’existant) et que si de nouveauxcentrespourront être implantés, cesera « àtitre exceptionnel »,la politique visantdavantage « aurenforcement »des centres existants.

    Deux scénarii sont eneffet possibles. Soitle développement de partenariatséquilibrés et diversifiés permettra àla médecinede passer en quelques années durejetdu toxicomane à une prise en chargeréellementpluridisciplinaire (y compris aveclesintervenants en toxicomanie relevant duchampéconomique. social ou juridique). Soit,la primauté accordée àla médecinehospitalièrese réalisera dansla constitution d’unenouvelle spécialité médicale dialoguant,par le truchement d’intermédiaires,aveclesautres acteurs dela toxicomanie et de saprise en charge. Du choix entrele réseauvéritablement intégré40 et l’interface - quisépare cequ’elle prétendunir - dépendranon seulement la « citoyenneté » du toxicomanemais aussi unecertaine idée de laSanté Publique: «c’est ainsi quela société française pourravivre avec les drogues »41.

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