New Bienvenue sur le site de l'ICEM | Coop'ICEM - Une blague · 2020. 5. 22. · Que reste-t-il de...

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Force est de constater que nous sommes tous un peu perdus pen- dant ce confinement. Quelle perte de repères ! Le cours du temps semble bous- culé, l’espace classe a disparu. Le cœur de notre enseignement est la coopération entre les élèves ; alors, comment continuer à faire battre ce cœur hors de sa classe, alors que ses cellules sont éparpillées, et même pour certaines n’ont pas accès au réseau de veines informatiques censées maintenir un semblant de lien ? Toutefois, les relations que nous avons mises en place en amont peuvent aussi se révéler un atout, et créer de belles surprises. Pour éviter de tout recentrer sur le professeur, nous avons à notre disposition des outils numériques : Zourit, Canoprof, Padlet… Reste l’épineuse question des inégalités. Vouloir rester en lien avec nos élèves, n’est- ce pas un peu faire l’autruche ? Le positionnement de l’ICEM à ce sujet résume bien nos questionnements : « Quelle pédagogie possible dans un contexte où les apprentissages ne peuvent plus se faire collectivement, mais dans un chacun chez soi, où chaque enfant devient dépendant des dynamiques familiales et socioéconomiques que lui impose la situation actuelle ? » Je partage sa volonté de « chercher les moyens les plus justes de conserver le lien social moteur dans nos classes, essentiel à la vie et à l’émanci- pation. Oui […] ces liens seront avant tout humains, relationnels, affectifs. » (https://www.icem-pedagogie- freinet.org/node/60480 ). Eve M. Une blague — Madame, est-ce que c’est obligé de participer au journal pour écrire un texte ou envoyer une photo ? — Vois-tu, pour le cours de français, j’attends de toi des travaux écrits : si tu ne veux pas participer au journal, que souhaites-tu faire comme travail écrit ? — Qu’est-ce que vous voulez que je souhaite, Madame, je souhaite dormir seulement ? (texte du 31 mars) L’ironie tendre de la chose étant que cet élève n’a jamais rendu un texte aussi lisible et bien rédigé, en reprenant fidèlement les mots de la question pour répondre (mes ajouts relèvent uniquement de la ponctuation). Il a le prix M. Jourdain des élèves qui font des textes libres sans le savoir, non ? Aurélia S. Mammouth n o 5, mai 2020 1 Revue réalisée par le secteur Second Degré de l’ICEM-pédagogie Freinet. M a m m o u t h n ° 5 , m a i 2 0 2 0 « Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c'est l'optimiste espoir en la vie. » C. Freinet EDITO

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  • Force est de constaterque nous sommes tousun peu perdus pen-dant ce confinement.Quelle perte derepères ! Le cours dutemps semble bous-culé, l’espace classe a

    disparu. Le cœur de notre enseignement estla coopération entre les élèves ; alors,comment continuer à faire battre ce cœurhors de sa classe, alors que ses cellules sontéparpillées, et même pour certaines n’ont pasaccès au réseau de veines informatiquescensées maintenir un semblant de lien ?Toutefois, les relations que nous avons misesen place en amont peuvent aussi se révélerun atout, et créer de belles surprises. Pour éviter de tout recentrer sur leprofesseur, nous avons à notre dispositiondes outils numériques : Zourit, Canoprof,Padlet… Reste l’épineuse question des inégalités.Vouloir rester en lien avec nos élèves, n’est-ce pas un peu faire l’autruche ? Lepositionnement de l’ICEM à ce sujet résumebien nos questionnements : « Quellepédagogie possible dans un contexte où lesapprentissages ne peuvent plus se fairecollectivement, mais dans un chacun chezsoi, où chaque enfant devient dépendant desdynamiques familiales et socioéconomiquesque lui impose la situation actuelle ? »

    Je partage sa volonté de « chercher lesmoyens les plus justes de conserver le lien

    social moteur dans nosclasses,essentiel à lavie et àl’émanci-pation. Oui[…] ces liensseront avanttout humains,relationnels, affectifs. »(https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/60480).

    Eve M.

    Une blague

    — Madame, est-ce que c’est obligé departiciper au journal pour écrire un texteou envoyer une photo ?— Vois-tu, pour le cours de français,j’attends de toi des travaux écrits : si tune veux pas participer au journal, quesouhaites-tu faire comme travail écrit ? — Qu’est-ce que vous voulez que jesouhaite, Madame, je souhaite dormirseulement ? (texte du 31 mars) L’ironie tendre de la chose étant que cetélève n’a jamais rendu un texte aussi lisibleet bien rédigé, en reprenant fidèlement lesmots de la question pour répondre (mesajouts relèvent uniquement de laponctuation). Il a le prix M. Jourdain desélèves qui font des textes libres sans lesavoir, non ?

    Aurélia S.

    Mammouth no 5, mai 2020 1

    Revue réalisée par le secteur Second Degré de l’ICEM-pédagogie Freinet.

    Mam

    mouth n ° 5,

    mai 2020

    « Il y a un invariant aussi

    qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie

    notre action : c'est l'optimiste espoir

    en la vie. » C. Freinet

    EDITO

    https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/60480https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/60480

  • La sensation d’être figée.

    Immobile

    S U S P E ND U E

    flottanteGLACÉE

    paralysée en plein mouvement. Lemouvement saisi dans unephotographie, le mouvement

    Impossible

    à continuer, transformer,terminer,

    j’étais saisie. Johnny s’en va-t’enguerre de la pédagogie.

    Je ne peux pas nier le soulagementressenti à l’annonce du confinement :enfin du temps ! Seule, sans bruits,sans obligations quotidiennes, sanscopies, collègues, exos, textes,réunions, organisations, manifs,

    collages, militantisme. Du temps chezmoi pour lire. J’étais heureuse. Ça,c’était le samedi.

    Lundi. Mes collègues préférées créent un groupeWhatsApp pour s’entraider et se donner desnouvelles. Le groupe s’appelle « Yes wecan ! » Envie de « caner ».Je sens la paralysie arriver. Ça doit ressembler à ce qu’on appelle un bugen informatique. Une connexion qui ne se faitpas. Je ne comprends pas comment les collèguesfont. Je connais ma lenteur, mais tout demême… Comment fait-on pour adapter sonenseignement à ce type de situation ?COMMENT ENSEIGNE-T-ON ? Avec lapart d’attention, de soin, de souci du travailde l’élève que l’enseignement demande ?Comment faire sans voir, entendre, sanstoucher les cahiers, textes, crayons, livres,sans m’asseoir à côté, sans les regarder dansles yeux pour fixer l’attente, les questions,l’exigence que l’élève se doit à lui-même ?Mouais… ce n’est pas enseigner, c’est fairesemblant.

    J’en reste là, pendant des jours : « Commentj’vais faire ? Comment j’vais faire ?Comment j’vais faire ? » En même temps,WhatsApp capitalise : 374 notifications le

    2 Mammouth no 5, mai 2020

    TEXTE LIBRE

  • mercredi soir, 48 le jeudi au lever, seulement63 le dimanche. Mails, appels téléphoniques individuels,classes virtuelles, Pronote, l’ENT : non ça nemarche pas, on limite l’accès des familles, onlimite aussi l’accès des enseignants, on nelimite plus, on doit envoyer du travail, ondoit penser à l’orientation, on ne doit pasenvoyer trop de travail, on peut faire desquizz sur Pronote, on peut envoyer desfichiers audios, on doit envoyer des PDF, ondoit se relaxer, on doit évaluer, on ne doitplus évaluer, on doit lire les messages desélèves, on doit lire les messages des parents,on doit répondre, on doit écrire, on doittéléphoner, on doit comprendre, on doitrassurer, on doit se concerter avec lescollègues, on ne doit pas tomber malade, ondoit faire la liste des élèves qui se connectentà Pronote, on doit établir la régularité desconnexions, on doit signaler ceux qui ne seconnectent pas, ceux qui n’ont pas dematériel informatique, ceux qui n’ont qu’untéléphone pour travailler, ceux qui ont desproblèmes familiaux empêchant le travail,ceux qui se croient en vacances, ceux qui nesavent pas se servir du matériel.Et tous les jours ils posent la mêmequestion : « Comment on fait pour savoir siles élèves travaillent ou pas ? »Je me fige un peu plus.

    Ma cheffe finit par m’appeler, au bout dequinze jours. Elle vient aux nouvelles. Lesparents s’inquiètent. Je ne donne pas signede vie. Aucun reproche, ils veulent justesavoir si je vais bien. C’est gentil.

    J’ai envoyé un plan de travail, des fichesd’exos. Avec la correction. De la lecture. Del’écriture. C’est nul. Je m’sens nulle.Le confinement m’a dépossédée de la finalitéde mon travail et de ses outils.

    Lucie D.

    Une coopération contagieuse

    Lundi 16 mars. Seule.« Nous sommes prêts », dit-il. Pas moi !« Continuité pédagogique »… Les idéess’enchaînent. Comment faire pour pallierl’absence d’interactions ? Sans les élèves,sans la classe, je ne suis plus enseignante. Jen’ai aucun savoir préétabli à dispenser.Comment lire quand même, écrire quandmême ? Comment donner du sens sans legroupe, sans les destinataires ? Comme toutle monde, je me suis trouvée seule face àl’injonction institutionnelle et j’ai tourné

    autour de ces questions pendant plusieursjours, avec le sentiment oppressant qu’ilfallait réagir vite, que j’étais attendue, qu’ilfallait produire, envoyer du contenu « quoiqu’il en coûte », faire faire aux enfants, lesoccuper. Que ça continue, même n’importecomment. La difficulté c’est qu’il en coûtevite très lourd, et notamment nos convictionset nos valeurs pédagogiques. La profd’anglais de la 6e A ne semble pas

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    TÉMOIGNAGE

  • s’embarrasser : lire et apprendre la leçonpage 67, faire les exercices 1 à 4, regarder lecorrigé délivré en fin de semaine. Pratique…Soudain, je ne suis plus seule : la listeFreinet 2nd degré, celle du collectif Lettresvives. Je lis les collègues, je parcours lespièces jointes : des journaux. Journal declasse de Marlène, journal de confinementd’Aurélia et de Jacqueline. Je retrouve lesélèves : ils sont là, je les entends !Immédiatement, la chaîne de contaminations’engage. Aurélia m’autorise à faire lire lejournal de ses élèves. Dans une lettreadressée aux miens, je transmets ce que jeviens de vivre et ce que je souhaite leurproposer. Puis je commence à recevoir cesfameux textes de confinement, je retrouve lavoix de mes élèves. À distance, il est plusdifficile d’infléchir une sorte de norme quis’installe, mais tant pis, c’est le début, ilsécrivent, les textes sortent des maisons. J’enreçois une bonne vingtaine, je compose lejournal. Diffusion, communication. Pourceux qui s’expriment, c’est l’enthousiasme ! J’envoie également ce journal à certain.e.s demes collègues. Un autre enthousiasme se faitentendre. De nouvelles idées : des défismathématiques, des travaux d’élèves en artsplastiques, des phrases personnelles rédigéesen anglais, et même nos témoignages deconfinement à nous, adultes, pour partageravec eux ce que nous vivons. On proposeaussi de m’aider sur la logistique et la miseen page. Coopération entre adultes et avecles enfants.Envoi du journal sur la liste Freinet2nd degré. Aurélia le montre à ses élèves quiformulent leurs réactions, je pourrai lestransmettre à mes élèves, nous avons deslecteurs. Erwan, un collègue de mathsenseignant à Paris, s’enthousiasme à sontour, il me demande l’autorisation demontrer notre journal à ses élèves. Puisfinalement on décide de rédiger un numérode Mammouth et de se retrouver dans desréunions à distance.D’un échange à l’autre, j’ai retrouvé la voix

    des élèves, un objet qui matérialise uncollectif, la coopération avec les enfants, avecles collègues, la recherche, la coformation,mes convictions, du sens ! Je me figure unegrande chaîne contagieuse où la coopérationet le travail authentique se disséminent unpeu partout. Le sentiment, aussi, d’êtrearrivée à sauver quelque chose. Mais il reste tant d’ombres ! Sur cent élèves,j’ai reçu une vingtaine de textes. Qui aurafinalement pu lire ce journal parmi lesenfants de mes classes ? De nouveauxauteurs se sont manifestés juste après ladiffusion du journal pour participer à larédaction du numéro suivant, mais combienseront-ils à nous rejoindre ?

    Dorothée C.

    Que reste-t-il de nos amours freinétiques ?

    Les élèves, le collège me manquent. J’aiarrêté d’y aller une semaine avant tout lemonde, j’étais malade, arrêtée, car suspecte,pfff !

    Et puis l’annonce de la fermeture : continuitépédagogique. What ????

    Vite, vite, je saute sur Pronote pourCOMMUNIQUER avec les élèves : ils sontlà, ils m’écrivent, s’écrivent, posent des tasde questions : des centaines de messages lapremière semaine. Je n’exagère pas : le soir,

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    TEXTELIBRE

  • la nuit, le weekend… Le lien est préservé,ouf ! Nous allons juste essayer de mettre unpeu d’ordre. Quelle va être ma place ?Tentation de la scolastique, nous sommes enpleine séquence sur le fantastique en 4e, le roiArthur en 5e… Adapter les supports, vite !

    Très vite je me reprends : l’essentiel estailleurs. Rassurer. Déculpabiliser. Lesenfants, mais aussi les parents. Nous prenonsdes nouvelles les uns des autres, je proposedeux créneaux de classe virtuelle parsemaine, on se voit, on se parle, que ça faitdu bien ! Une chaîne solidaire decommunication se crée, pour ceux qui nepeuvent, pour diverses raisons, assister à cesmoments.

    Au début, nous nous en servons pourcorriger le travail donné, expliciter, anticiperles tâches à venir. Et les habitudes defonctionnement refont surface : propositionsde rétablir les rituels, débattre, partage decréations diverses (textes, dessins,bricolages).

    EXPRESSION.

    Nous allons donc profiter de ces momentspour partager, recréer du collectif, proposer…Écriture collaborative, dictées en direct,lecture à voix haute de ses productions…

    COOPÉRATION.

    À défaut de plans de travail, je propose desoutils numériques de différenciation.

    INDIVIDUALISATION.

    TÂTONNEMENT EXPÉRIMENTAL,pour eux comme pour moi.

    La charge de travail les deux premièressemaines est énorme : les profs tâtonnent, sesentent obligés de fournir, nourrir, gaver.Nous en parlons, d’abord avec les classes,puis avec les enseignants qui prennent encompte cette parole et réduisent leursexigences. Les élèves osent me demanderqu’on leur donne moins de travail,s’inquiètent de ma santé (« Vous avez eu lecorona madame ? »), et même pendant lesvacances, se préoccupent de la suite : « Est-ce qu’on va reprendre les cours ? Quand ?Comment ? Est-ce que je peux prendre dutemps pour lire le livre ? Est-ce qu’on peuttravailler à plusieurs ? » Je sens que je suisun repère, et qu’ils me font confiance. Cetterelation, restée implicite et discrète enpériode ordinaire, donne là sa pleine mesure.

    Ce travail à distance a au moins permis derévéler que tous les efforts engagés, lesprincipes pédagogiques sur lesquels je me suisobstinément appuyée, « quoi qu’il encoûte », depuis le début de l’année, tout cetravail, n’auront pas été vains. Même si j’aiperdu quelques élèves que je n’arrive pas àraccrocher.

    Pascale L.— R.

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    Eminé B.

  • Continuité des pratiques

    En classe de 1re, cesont les habitudesprises au fil del’année qui nous ont

    permis de nous adapter au confinement. Dèsles premiers jours, j’ai proposé à la classe unrythme de travail hebdomadaire : unerecherche en grammaire et une activitéautour d’un texte par semaine deconfinement. La décision, approuvée par legroupe, a été diffusée à tous dans le journaldu cours. Cette façon de procéder a rassuréles élèves, car elle leur rappelait le plan detravail collectif proposé en conseil.Les deux activités proposées ressemblent àdes tâches possibles dans un plan de travailindividualisé. Je les recueille comme destravaux faits en T.I. et vérifie rapidement laqualité des productions. La collecte se faitpar mail. C’est une sorte de veille maintenuevers le bac, mais sans exigence stricte decontenu. Je suis en dialogue avec certainsélèves sur le contenu de leur envoi et cherchele contact avec ceux qui n’envoientabsolument aucun signe. Au bout dequelques jours, tous ont envoyé quelquesmots, pour une raison ou pour une autre.Dès la première semaine, en séance de classevirtuelle, l’expression est sollicitée. Lesparoles fusent au micro ou dans le chat.Étonnamment, aucun abus, aucun dérapage,une écoute grave, en contraste avec lesdésordres ordinaires de la classe où les voixse superposent très vite par excès de fatigueou d’enthousiasme. Certains élèves n’ont pasde micro, certains ne veulent pas ouvrir leleur en raison de l’environnement tropbruyant autour d’eux. Nous prenonsensemble la mesure du contexte, de sespossibles et de ses contraintes. Nous sommesréunis, mais nos univers privés nousenvironnent toujours et interfèrent parfois.

    Embarrassés ou amusés par cettecirconstance, nous la dépassons ensemble,dans un même accord tacite et pudique. Jeme dis que des parents écoutentvraisemblablement le cours de français, demême que j’ai eu l’occasion d’entendre uncollègue dans le casque d’un de mes enfants.J’y pense… et puis j’oublie. Ne reste que ladensité de toutes ces maisonnées réunies unmoment.« Que faites-vous pour supporter au mieuxce moment ? » Dans les réponses qui fusent,il est question de sport, de jeux vidéos, delectures, de dessins, de musiques ; j’incitealors à envoyer, à partager. Dès le début semet en place un temps de présentation àchaque séance de classe. Quelquesdélicatesses et réticences accompagnent lesenvois. Mais je rappelle comme une évidenceque les productions personnelles me sontprovisoirement adressées à moi pour desraisons matérielles, avant d’être présentéesau groupe. On reconnaît bien le déroulé de la séancemensuelle d’écriture de textes libres, avec desnuances de taille qui font de cet épisode deconfinement une expérience rare. La libertéest bien plus élargie : on produit quand onveut, texte, dessin ou musique et on envoie sion veut.La réception, malgré nos écrans, estchaleureuse. Les auditeurs manifestentnettement leur écoute attentive et émue,comme pour s’assurer que les signesparviennent bien à l’auteur.e du texte ou dudessin. La personne responsable du tempsnous signale que l’heure est écoulée et biensouvent nous trouvons des raisons deprolonger la séance. En antidote aux risques d’angoisse,d’isolement et de perte de repères générés parle confinement, nous nous serons munisd’émotions partagées et d’attentes joyeusesposées sur le calendrier.

    Marlène P.

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    QUANDON Y PENSE

  • Outils pour ladiscontinuité de la reprise

    Où sont la classeet l’établissement ?Où les élèves

    vivent-ils leur temps de travail ? Depuis le16 mars, nous n’avons pas de réponse claireà fournir à ces questions. La classe est àreconstruire par un travail à distance,comment essayer ?Ce qui suit est imaginé par une prof defrançais qui essaie de penser au-delà de sadiscipline…

    Des rituels, oui, mais lesquels ? Les exercices à heures fixes et les quizz en finde semaine, tu parles de repères… Les élèvesen sont abreuvés, et suffoquent dans unecourse en avant où beaucoup restent à latraine, sans qu’on sache bien où d’ailleurs…Donc des rituels, mais choisis avec les élèves,ou qui ont un lien avec ce qu’on faisait enclasse, des rituels qui mettent les élèves àégalité, et fassent le lien entre ce que vitchacun :– des rituels d’écriture libre : un atelierd’écriture chaque semaine, par exemple, àpartir de sujets, d’amorces déjà existantes ;un atelier philo, autre orientation possible ; – des rituels d’échanges audios libres : créerun texte, le lire au téléphone ou s’enregistrerpour le partager avec un camarade ;– des récits à continuer : comment faire pourqu’ils relient les élèves entre eux ?– des textes à écouter : Les feuilletons de lamythologie de Muriel Szac1, lus par l’autrice,des pièces de théâtre radiophoniques (site deFrance Culture2 par exemple) à découperpour les donner par étapes, à écouterensemble. Voir les ressources partagées parles profs documentalistes ;– des émissions à suivre sur un thème choisipour les émotions qu’elles permettent de

    partager : « Les Odyssées »3 sur FranceInter (thème de la découverte, des voyages).

    Des outils pour travailler ensembleDes outils qui protègent les élèves (suivant laRGPD, notamment4), mais qui ne lesmettent pas non plus trop souvent devant lesécrans. Qui tiennent compte d’un accèsvariable au numérique, qui soient accessiblespar ordinateur ou smartphone. Qui prennenten compte l’autonomie variable de chacunpour permettre le travail de tous avec tous,qui ne relancent pas vers des vidéos d’intérêtdouteux (Youtube…), à l’infini ;– un espace d’écriture coopératif par le biaisdu pad : sur Zourit (outil partagé par lesCEMEA), accessible pour les élèves par unlien externe, ou qui peut être créé par lesélèves quand le prof a mis en place « uneclasse » dans cet espace protégé ;– un espace pour déposer des documentsimage, son, vidéo, uniquement en dépôt5 : onpeut écrire sur un cahier, une feuille,imaginer un texte à l’oral, un son, unecréation sur un support libre (carnet delecture, maquette, découpage et créationplastique…) Le moment pour accéder àinternet est « juste » le moment de dépôt,pas le moment de création et de réflexion ;– des dossiers où les documents sont en accèslibre pour tous les élèves, reliés ensuite à des« pads » pour commenter, proposer, créer àpartir de ces documents6 ;– des outils de synthèse de type publication7 ;

    – des moments d’échanges en direct : unechaine téléphonique, des classes virtuelles oùon voit tous les élèves8, des échanges de typeconseil de coopération pour parler du travail,chercher comment organiser la coopération,donner des nouvelles, avec des synthèsesrenvoyées à tout le monde. Attention aussi àce que les classes virtuelles se passent à unmoment convenant à tous : pas en mêmetemps que le télétravail des parents ni enmême temps que les classes virtuelles de lafratrie ou des collègues.

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    BOÎTEÀ

    OUTILS

  • Pour faire la synthèse des échanges, undocument unique ou un ensemble deressources ?– Zourit offre un espace de stockage enligne sous forme de dossierset sous-dossiers, et un outilde type Pad (traitement detexte où chaque auteur écritd’une couleur différente), unoutil de visioconférence, unemessagerie interne, un outilde sondage/QCM. C’estgratuit pour les classesdurant le confinement, oncommence en se formantdurant les séances d’1 h 30proposées. Puis votre espacesera créé :https://zourit.net/degooglisons-le-confinement/– Cano-prof permet de créerune séquence sous formehiérarchisée : les documents sont stockés enligne, et donc accessibles à tout moment (enclasse ou de chez soi) : vidéo, textes, sons,apports des élèves, textes en regard, créationcollective peuvent y figurer9. On peutimaginer faire des liens avec les contenus desautres disciplines, avec ce que les élèves fontavec les collègues.– les murs collaboratifs permettent aussi desynthétiser des ressources stockées ailleurs :tout est affiché côte à côte, c’est parfois plusaccessible pour les élèves qu’un contenuhiérarchisé. Padlet est le plus connu, mais ilen existe d’autres10.Ces outils sont parfois très bien maitrisés pardes collègues : est-ce qu’ils peuvent êtrel’occasion de travailler avec des collègues, àpartir de demandes formulées par les élèves ?Comment également créer un lien coopératifpour refaire « établissement » ? Des outils pour relier les enfants àd’autres créations libres :– Radio Déclic, radio libre pour les

    enfants, preneuse de textes libres à lire oufaire lire : http://radiodeclic.fr/2020/04/14/cache-cache-microbes-lemission-des-enfants-pour-les-enfants/– des textes libres recueillis par l’historienneLaurence de Cock

    https://blogs.mediapart.fr/edition/enfants-dici-et-dailleurs-enfants-confines?page=1– des ateliers d’écriture proposés par desauteurs, relayés par l’académie de Versailleshttp://www.onpeuttoujours.ac-versailles.fr/

    – une émission où les enfants parlent delivres, devient une émission où ces enfants de11 à 18 ans écrivent sur le confinement : àlire et à écouter : https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/les-enfants-des-livres-le-journal-des-enfants-confines-des-livres-chapitre-2_3896865.html

    – partager des journaux scolaires avecd’autres classes, explorer des modalités decorrespondances scolaires.

    Aurélia S.1 https://lesfeuilletonsdelamythologie.fr/artemis-en-podcast/2 https://www.franceculture.fr/fictions/theatr e 3 https://www.franceinter.fr/emissions/les-odyssees 4 Mise en garde institutionnelle : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10774428/fr/conduite-a-tenir-dans- le-choix-des-outils-numeriques5 Possible avec Zourit.6 Possible avec Zourit7 Voir l’article sur le journal scolaire8 La visioconférence Jitsi — à partir de Zourit — le permet.9 Une vidéo pour découvrir et prendre en main Cano-prof : https://www.youtube.com/watch?v=tqoe1PrhIa010 https://blogs.lyceecfadumene.fr/informatique/formation/barcamps-du-prof-t-i-m/padlet-et-murs-collaboratifs/

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    Sarah G.

    https://blogs.lyceecfadumene.fr/informatique/formation/barcamps-du-prof-t-i-m/padlet-et-murs-collaboratifs/https://blogs.lyceecfadumene.fr/informatique/https://www.youtube.com/watch?v=tqoe1PrhIa0https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10774428/fr/conduite-a-tenir-dans-le-choix-des-outils-numeriqueshttps://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10774428/fr/conduite-a-tenir-dans-le-choix-des-outils-numeriqueshttps://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10774428/fr/conduite-a-tenir-dans-le-choix-des-outils-numeriqueshttps://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10774428/fr/conduite-a-tenir-dans-le-choix-des-outils-numeriqueshttps://www.franceinter.fr/emissions/les-odysseeshttps://www.franceculture.fr/fictions/theatrehttps://www.franceculture.fr/fictions/theatrehttps://lesfeuilletonsdelamythologie.fr/artemis-en-podcast/https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/les-enfants-des-livres-le-journal-des-enfants-confines-des-livres-chapitre-2_3896865.htmlhttps://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/les-enfants-des-livres-le-journal-des-enfants-confines-des-livres-chapitre-2_3896865.htmlhttps://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/les-enfants-des-livres-le-journal-des-enfants-confines-des-livres-chapitre-2_3896865.htmlhttp://www.onpeuttoujours.ac-versailles.fr/https://blogs.mediapart.fr/edition/enfants-dici-et-dailleurs-enfants-confines?page=1https://blogs.mediapart.fr/edition/enfants-dici-et-dailleurs-enfants-confines?page=1http://radiodeclic.fr/2020/04/14/cache-cache-microbes-lemission-des-enfants-pour-les-enfants/http://radiodeclic.fr/2020/04/14/cache-cache-microbes-lemission-des-enfants-pour-les-enfants/https://zourit.net/degooglisons-le-confinement/https://zourit.net/degooglisons-le-confinement/

  • À chacun son journal

    Pendant le confinement, les échanges ont éténombreux sur la liste Second degré. Lescollègues, essentiellement de Lettres, ontpartagé les journaux de leurs classes etéchangé leurs réflexions. On est frappé par ladiversité des publications et de leursutilisations. De quoi est-il donc questionquand nous parlons de « journaux declasse » ?

    Le journal, recueil et analyse del’actualité ?Ce que les classes Freinet appellent« journal » n’a que peu de points communsavec la presse adulte :– la régularité ? Le journal scolaire est « unrecueil à parution régulière de productionslibres des enfants et de comptes-rendus duvécu de la classe1 ».– l’actualité ? Comptes-rendus d’activitésinformant sur les activités de la classe ou duquartier, textes proposant une analyse ou unregard critique.Là s’arrêtent les ressemblances.À quoi sert la régularité ? À installer unhorizon d’attente, une temporalité, desrituels, une responsabilité d’auteurs face àdes lecteurs potentiels. Et quand c’est laclasse qui choisit de faire un journal, c’est unpas de plus vers la dévolution.Pendant le confinement, cette parutionattendue permet de retisser un lien avec lesélèves, mais aussi leurs parents et avec lescollègues parfois.

    Le recueil de textesLa plupart du temps, le journal rassembledes textes écrits et choisis par les enfantscomme le recueil de textes.À quoi sert la publication de travauxaboutis ? Le recueil est une sorte de « chef-d’œuvre » qui magnifie l’expression dechacun. Il peut redonner aux ados enferméschez eux l’envie d’écrire.

    L’album de vieDans l’album de vie, on trouve le compte-rendu des activités de la journée et del’entretien du matin, souvent avec descommentaires. L’enseignant peut compléterce compte-rendu par des documents pourapprofondir2. Il est donc le reflet de la vie dela classe, au jour le jour dans les classesprimaires, cours après cours dans lesecondaire.À quoi sert le recueil de la vie de la classe ?À ne pas séparer la personne de l’élève, às’appuyer sur la mémoire des expériencessensibles de chacun pour ancrer lesapprentissages3.Pendant le confinement, cela permet deraconter son quotidien pour le rendresupportable, et d’avoir de la réalité uneconscience collective.

    Le journal de coursDans certaines classes, le journal garde aussila trace du travail : sujets abordés àl’entretien, recherches, œuvres, exposésprésentés et pistes de travail choisies par laclasse, mises au point du professeur. Souvent,il tient lieu de cours, puisqu’il présente les

    Mammouth no 5, mai 2020 9

    LE COUTEAU

    SUISSE

  • connaissances acquises.À quoi sert de garder cette trace du travail(même imparfait) ? À construire la culturede classe4.Le journal permet aussi de se redonner,malgré les circonstances, un objet communde travail.

    Le cahier de conseil ?Il contient les notes prises pendant lesConseils, et les décisions prises par la classe.Lorsque des rencontres virtuelles de travailpeuvent être organisées, le journal a cettecinquième fonction, inédite. Il fait ainsi denouveau exister le groupe classe qui organiseles conditions de ses apprentissages.

    Pendant le confinement, nous faisons dujournal numérisé un outil multifonction,forme hybride recréant toutes les fonctionsnécessaires à la classe coopérative : il donneenvie d’échanger, de remettre du lien, derecréer un groupe de travail virtuel pourredonner du sens au travail.Un vrai couteau suisse : petit, pratique, ils’emporte partout avec soi et sauve des vies !Adaptation, bricolage, création…

    Catherine C.1 Dictionnaire de la pédagogie Freinet, p. 222 2 D’après le Dictionnaire p. 213 Voir « les émotions partagées » dans le texte de Marlène4 L’ensemble des connaissances partagées par la classe.

    Quel déconfinement nous préparent ces 58 pages ?

    Le protocole pour la réouverture desétablissements secondaires nous impose undéconfinement dans des conditionsintenables si l’on tient compte de la réalitédes locaux et des exigences de notre travail.Les préconisations détaillées rationalisentl’espace et les mouvements en oubliantsimplement les réalités humaines : les élèves

    ne sont pas des mannequins que l’on alignemécaniquement dans un cadre prévuuniquement à cet effet. Les mouvements,proximités diverses, échanges et contactssont inévitables dans une classe et dans unétablissement scolaire.

    Ces mesures rationnelles interdisent parailleurs la variété des situations qui garantitla valeur et l’efficacité de notreenseignement : sans échanges inter-personnels, pas d’enseignement, pasd’apprentissage, mais de la garderie et de lasurveillance…Dans le respect de la santé et des droits desenfants, des mesures plus adaptées sontenvisageables. Le gouvernement peut écouterles voix des personnes concernées et passeulement l’urgence d’une reprise économiquedont les conditions méritent également d’êtrequestion-nées. Les préoccupations desfamilles peuvent être conciliées avec le soinaccordé à l'apprentissage. Au lieu d’imaginer des cloisons entre lesmurs, pourquoi ne pas faire bénéficier lesenfants, trop longtemps confinés, de plusgrands espaces ? Les occasionsd’apprentissages y abonderaient et peut-êtremême les occasions de renouvelerl’apprentissage. S’il faut retrouver nos murs assortis de tousces barreaux, nous préférons reprendre lechemin des collèges et lycées en septembre.Nous espérons que notre refus sera comprisde tous. Que cette période troublée ait aumoins une conséquence positive : faire sentirà chacun la nécessité des services assurés parles personnels de la fonction publique.

    Article collectif

    10 Mammouth no 5, mai 2020

    C'ESTNON !

    Muhammed P.