Narbonne et le Narbonnais, regards sur un patrimoine

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LOUBATIÈRES NARBONNE ET LE NARBONNAIS Regards sur un patrimoine textes de Chantal Alibert, Marie-Élise Gardel, Pierre Mestre et Corinne Sanchez préface de Jacques Michaud

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Située sur la Via Domitia, Narbonnne fut un centre politique, culturel et religieux de premier plan de l’Antiquité au Moyen Âge. Le patrimoine de la ville témoigne aujourd’hui encore de cette histoire. Le pays Narbonnais, quant à lui, se caractérise par une mosaïque de territoires – Massif de la Clape et Corbières maritimes, étangs et lagunes – tous dotés d’une forte identité. Le livre, largement illustré de photographies et de reproductions de documents d’époque, présente cette richesse historique et cette diversité écologique, dans toutes ses dimensions culturelles contemporaines.

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LOUBATIÈRES

NARBONNE ET LE NARBONNAISRegards sur un patrimoine

textes de Chantal Alibert, Marie-Élise Gardel, Pierre Mestre et Corinne Sanchez

préface de Jacques Michaud

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Telle Aphrodite, Narbonne est née de l’eau… Comme la déesse,

elle a aimé tour à tour Poséidon puis Dionysos. Quelle infidélité a

donc contraint cette riche ville portuaire à acquérir ensuite la vocation

viticole qu’on lui connaît ? Déesse des villes, c’est l’eau qui est la clé de sa compré -

hen sion : îles, étangs, canaux, salins et bien sûr la Méditerranée donnent à cette

région préservée un caractère hors du commun. Le patrimoine bâti doit se

décou vrir ici, émergeant peu à peu du littoral. Parti du patrimoine vernaculaire,

discret, charmeur, fait de cabanes de pêcheurs, de salins et de canaux, on gagne

ensuite les massifs, garrigues constellées de murs en pierres sèches, d’ermitages

et de moulins à vent.

On peut évoquer le Pays Narbonnais, mais comment le définir ? Est-ce

le sud du Minervois, la partie orientale des Corbières, ou le nord du Rous-

sillon ?

Parlons donc « limites »… Bien identifiable, le Pays Narbonnais s’adosse à

l’ouest aux Corbières maritimes, mais il comporte des reliefs spécifiques, comme

le Massif de la Clape. Au nord, il s’étire jusqu’au piémont de la montagne Noire,

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Page de gauche, Saint-Laurent de Moussan.

LE PATRIMOINE BÂTIEN PAYS NARBONNAIS

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mais sans y accéder vraiment. Au sud, il permet d’at-

teindre la plaine roussillonnaise, mais il s’arrête à l’an-

cienne frontière, celle qu’a fait reculer le Traité des

Pyrénées (1659). Enfin, à l’est, il confine intégralement

au littoral méditerranéen, sur toute sa partie audoise.

Son littoral est composé de plages, mais à cause du

delta de l’Aude, fleuve turbulent, il est surtout fait

de lagunes et d’étangs, d’îles ou d’anciennes îles,

engen drant des terres très découpées parmi lesquelles

l’homme s’est créé des activités, des voies de circula-

tion, des habitats entre le ciel et l’eau.

Longtemps zone frontière entre la France et l’Es-

pagne, mais aussi frontière entre la terre et la mer,

entre rural et littoral, le Pays Narbonnais est fait de

contrastes extrêmes, qui engendrent l’émerveillement.

Un bâti discret

Avant de visiter Narbonne, il faut s’imprégner de son contexte. Pour comprendre

cette ville et à sa prestigieuse histoire, il est bon d’avoir parcouru au préalable les

bords des étangs, les îles et les lagunes qui l’environnent. Il faut marcher, pénétrer

ces terres de limites, de confins, de rivages… Et là, tout en finesse, apparaissent

des éléments bâtis par l’homme à travers les âges, qu’on n’aurait peut-être pas

remar qués au premier abord mais qui se laissent apprivoiser si on le souhaite.

Presque toujours, plusieurs mondes cohabitent : architecture de mer et de

montagne , architecture castrale et maisons de pêcheurs, architecture viticole et

salins… Monde étrange où l’on doit s’apprêter à changer brusquement d’univers,

où l’on passe en quelques minutes de la monotonie tranquille des étangs aux

collines calcaires tourmentées d’où l’on voit presque toujours le rivage.

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Leucate, plan de la bataille de 1637entre les armées espagnole et française, gravure du XVIIe siècle.

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Terrasse en pierres sèches dans l’arrière-pays narbonnais.

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Bages.

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Architectures d’eau…

Des « cabanes » aux villages de pêcheursTout au long de la côte, un certain nombre de petites localités portent le nom

énigmatique de « cabanes » : les « Cabanes de Fleury », « Les cabanes » près de

Sigean, les « Cabanes de Lapalme » ou celles de Fitou. Même si

les constructions typiques en roseaux ont aujourd’hui disparu,

leur nom rappelle que la vocation première de ces habitats som-

maires était de servir aux pêcheurs des étangs. Un cas très inté-

ressant de village de pêcheurs est celui, désormais abandonné, de

l’Île de la Nadière. Il semble inconcevable qu'on ait habité là, un

défi aux éléments ! Les ethnologues, C. Amiel et P.-P. Piniès,

défi nissent eux-mêmes cette « île paradoxale » comme « un îlot

aux accents désespérants et vivifiants ». La silhouette géométrique

de cet ensemble de maisons en pierre très simples, jadis couvertes

de tuiles canal, est bien visible depuis Port-la-Nouvelle. Quelques

familles de pêcheurs vivaient encore là au début du xxe siècle,

sans aucun confort, sans eau douce et sans électricité, de la pêche à l’anguille ou

de la chasse aux canards. Cet ensemble bâti, déserté depuis 1943, perdu entre le

ciel et l’eau, est le paradigme de l’étang de Bages et mériterait

une mise en valeur.

Au sud de Narbonne, Bages, magnifique sur sa falaise

en forme d’éperon dominant l’étang du même nom, a encore

sa vocation de village de pêcheurs. La promenade entre

falaise et étang s’impose pour en apprécier tout le charme.

Encore plus original, le vieux quartier de pêcheurs de

Port-la-Nouvelle, est installé le long du chenal. Il faut péné -

trer les ruelles étroites, à pied ou à vélo, et découvrir ces pe-

tites maisons basses à simple ouverture, généralement

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L’île de la Nadière au début du XXe siècle.

Cabanes sur l’île Saint-Martin.

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bicolores, qui les bordent. Ce quartier fermé sur lui-même pour se protéger des

intempéries, très sommaire mais encore plein de charme et souvent restauré par

des estivants, est le cœur méconnu de cette station très vivante.

Un air de nulle part…Qui n’a pas été ému par l’inoubliable scène du film de Jean-Jacques Beineix

37°2 le matin où prend feu un chalet en bois ? Entre 1880 et 1900, quand les

bains de mer ont commencé à être en vogue, des chalets en bois sur pilotis ont

proliféré sur la plage inondable de Gruissan. Après leur destruction quasi inté -

grale par l’armée allemande en 1944, ils ont été reconstruits à partir de 1947

sur le même emplacement mais avec un ordonnancement plus régulier autour

du « Terrain rond ». Aujourd’hui, ils constituent un des aspects les plus originaux

du patrimoine bâti du territoire narbonnais : le chalet, modèle d’habitat de

montagne transposé sur une zone littorale, s’adapte assez bien à cette situation

et c’est peut-être son aspect décalé et unique

qui en fait le charme. Une aubaine pour un

réalisateur de talent…

Phares et sémaphoresOn les regarde s’allumer à la tombée de

la nuit, frêles antithèses nocturnes de l’astre

du jour… Des phares et des sémaphores

remplacent désormais le long de la côte les

tours ou redoutes qui servaient de fanal pour

guider les marins tout en permettant la sur-

veillance des côtes.

Tel un point d’exclamation concluant une

immense phrase, un phare cylindrique et bi-

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Les chalets de Gruissanau début du XXe siècle.

Rue Marie-Galante, dans le vieuxquartier des pêcheurs de Port-La-Nouvelle.

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Le phare de Port-la-Nouvelle.

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Le phare de Leucate

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colore est lancé en pleine mer au

bout de la longue jetée de Port-la-

Nouvelle. Cette tour de 18 mètres

de haut a été construite en 1950,

après la destruction en 1944 de l’an-

cien phare, dont on voit encore le

plan circulaire au centre de la jetée,

près d’une date gravée : 1879. D’an-

ciennes cartes postales montrent un

élégant édifice en pierres, au plan

polygonal, couronné d’une large ba-

lus trade en fer forgé. Pour le rem-

placer, on a décidé en 1945 la

construction du phare du cap Leu-

cate, allumé en 1951. L’édifice ne fait

que 19 mètres de haut mais, grâce à

sa position sur la falaise, il culmine à 68 mètres au-dessus de la mer. Sa lanterne

de 180 watts a une portée de 37 kilomètres. De forme légèrement pyramidale,

il fait partie d’un groupe de bâtiments comprenant une salle des machines et le

logement du gardien. Blanc couronné de rouge, ses chaînes d’angle en calcaire

gris et ses étroites ouvertures lui donnent presque un aspect fortifié.

Sur la falaise de La Franqui, au-dessus du cap des Trois-Frères, l’ancienne redoute

en pierre percée de longues embrasures servait aussi de fanal et témoigne de la

volonté multiséculaire de guider les bateaux depuis cette hauteur, la seule de la côte

narbonnaise. Un témoin comparable, peu accessible de nos jours et récemment

endommagé, est situé entre Gruissan et Port-la-Nouvelle: l’ancien fortin de Vieille-

Nouvelle à l’architecture défensive caractéristique du XVIe siècle, qui devait aussi

servir la nuit de repère lumineux grâce à sa grande terrasse sommitale.

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Vue de Narbonne-Plage au début des années 1950.

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Les salinsPeut-on vraiment parler d’architecture? Depuis

l’Antiquité, les salins du Pays Narbonnais sont découpés

par des structures en bois, qui scandent d’immenses

espaces géométriques. On peut avoir une vue saisissante

du salin de Lapalme depuis la falaise de cap Romarin.

Constitués de vastes compartiments quadrangulaires,

les salins forment un univers parfaitement horizontal

et irréel, aux teintes magiques qui changent avec la lu-

mière . Séparés par des levées de terres, les bassins sont

délimités par des batardeaux de bois et longés de canaux

équipés de pontons et de vannes. Cette architecture

étrange, brûlée par le sel, prend parfois des formes ima-

ginaires. On tombe rapidement sous le charme de ces

bassins aux teintes souvent rosées, où l’on observe de

nombreux oiseaux de mer et des étangs, échassiers pour

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Salins de Port-la-Nouvelle en 1955.

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la plupart. Des pontons, en bois eux aussi, permettent de parcourir les salins de

Peyriac-de-Mer. Quant au salin de l’île Saint-Martin à Gruissan, l’exploitation en

a été interrompue, mais il renaît aujourd’hui grâce à une association, et l’on peut

découvrir l’activité des sauniers dans un écomusée.

Canaux et architecture hydrauliqueDans une région où l’eau occupe une si grande place, l’homme

a toujours tenté de la domestiquer. Le pays de la Narbonnaise

est donc une région où le nombre de canaux et de structures

hydrauliques était déjà très dense au Moyen Âge.

À un important réseau secondaire de canaux d’irrigation ou

de drainage qui sillonnent depuis longtemps ce territoire, se

sont progressivement ajoutés trois canaux principaux, reliant

le canal du Midi à l’Aude et à la mer. Le canal de la Robine,

construit à partir de 1686, s’est d’abord substitué à l’ancien lit

de l’Aude, qui traversait jadis Narbonne. Puis un canal dit « de

Jonction », construit entre 1776 et 1787, a relié le canal du Midi

à l’Aude par Sallèles. Enfin, un prolongement de la Robine,

créé en 1791 pour éviter de traverser l’étang, le canal de Sainte-Lucie, a permis

d’accéder à la mer par Port-la-Nouvelle et son chenal.

Les écluses, ou du moins celles qui n’ont pas été déformées par l’inutile et

destruc trice mise au gabarit « Freycinet », sont nombreuses dans ce contexte,

comme celle de Sainte-Lucie qui donne accès à l’île. Mais le plus spectaculaire

monument d’architecture hydraulique est bien l’extraordinaire épanchoir de

Gailhousty au sud de Sallèles-d’Aude. Cet ensemble, construit par l’ingénieur

François Garipuy sur le canal de Jonction à partir de 1776, comprend une écluse,

un grand épanchoir surmonté d’une maison de garde et un pont bordé de superbes

escaliers en quart-de-rond. On lit sur l’ancien plan: « Épanchoir pour introduire

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L’épanchoir de Gailhousty.

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les eaux troubles de la rivière d’Aude dans l’étang de Capestang »… Il s’agit d’un

étonnant bâtiment entièrement en pierres de taille, aux façades à l’ordonnancement

classique: côté ouest, le soubassement laisse entrevoir l’épanchoir par d’étroites

fentes verticales. Des deux côtés, le niveau d’habitation est divisé en cinq travées

de fenêtres rectangulaires. Un fronton triangulaire orné d’un bas-relief surmonte

la travée centrale. Laissons à l’architecte Jean-Loup Marfaing le soin d’exprimer

le charme du lieu et la surprise d’y découvrir un tel monument: « Malgré l’ina-

chèvement de son ornementation, la sobre harmonie de ce bâtiment, qui allie une

fonction hydraulique à une expression monumentale, exerce toujours une puissante

fascination. Méconnu, il devient pour ceux qui le découvrent soudainement, dans

la solitude d’un quasi abandon, un modèle d’architecture classique. »

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L’écluse et l’épanchoir de Gailhoustyforment encore un ensemblemonumental exceptionnel. Profitant des digues de protectioncontre les crues de l’Aude, FrançoisGaripuy imagine une combinaisonnouvelle de l’écluse et du pont avecses extraordinaires escaliers en quart-de-rond.L’épanchoir, tel le soubassementpuissant d’un temple qui laisseraitentrevoir les mystères de ses cryptes,captive longuement le regard.

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res.

frISBN 978-2-86266-627-3

29 €

Plan de Narbonne en 1720. L’étang de Gruissan.

Préface de Jacques MichaudLe patrimoine bâti en Pays Narbonnais par Marie-Élise Gardel

Le Narbonnais, un territoire naturel par Pierre MestreNarbonne, une aventure patrimoniale par Chantal Alibert

Narbonne, le Pays Narbonnais et la mer par Corinne Sanchez

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