Napoléon Bonaparte en Champagne

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1 Napoléon Bonaparte en Champagne par Jean-Jacques TIJET L’aurore de l’ère napoléonienne, Brienne-le-Château « Pour ma pensée, Brienne est ma patrie ; c’est là que j’ai ressenti les premières impressions de l’homme » La fabuleuse épopée napoléonienne commence véritablement sur un quai du port de Bastia, le 12 décembre 1778. Napoléon Bonaparte (ou plutôt Neapoleonne Buonaparte) a 9 ans et 4 mois et embarque pour Marseille accompagné de son père Charles, de son frère aîné Joseph, du demi-frère de sa mère Joseph Fesch et d’un cousin l’abbé Aurèle Varèse. La destination de cette « caravane Bonaparte » (sauf Fesch « déposé » au séminaire d’Aix-en-Provence afin de poursuivre ses études de théologie) est Autun, en Bourgogne qu’elle atteint le 30 décembre. Pourquoi Autun ? Cette cité antique de 7000 habitants environ abrite un collège réputé, fondé par les Jésuites au XVII e siècle ; en 1778 il est administré par des prêtres séculiers sous l’autorité de l’évêque Mgr de Marbeuf… neveu du gouverneur de la Corse ; ce dernier, puisqu’ami de Charles et surtout de Letizia Bonaparte, a cautionné l’admission de leurs deux fils aînés 1 . Joseph y poursuivra ses études jusqu’en juin 1784 tandis que Napoléon, dont l’objectif était de perfectionner son français qu’il parle mal, quitte Autun et son collège le 21 avril 1779 pour intégrer une Ecole militaire, celle de Brienne, en Champagne méridionale. Brienne-le-Château C’est une cité de 1800 habitants au début du XIX e siècle - située entre Troyes et St Dizier sur une route historique reliant l’ouest (Rennes, Orléans) à l’est de la France (Toul, Nancy). Elle est le berceau d’une famille réputée être une des plus anciennes et des plus illustres de la noblesse du royaume, les comtes de Brienne ; vassaux des comtes de Champagne certains se sont illustrés dès les Croisades et l’un, Jean de Brienne a été sacré roi de Jérusalem après avoir épousé en 1210 Marie de Montferrat fille et héritière d’Isabelle I ère de Jérusalem ; sage, vaillant, brave et quelque peu entreprenant il sera couronné empereur latin de Constantinople en 1231 ! Cette première branche s’éteint en 1356 par la mort de Gauthier VI, connétable de France, à la bataille de Poitiers ; son père Gauthier V a été duc d’Athènes au tout début du XIV e siècle. Par alliance le comté de Brienne se retrouve dans la famille des Loménie au début du XVII e et les 2 frères Loménie de Brienne, ministres de Louis XVI, en sont les derniers représentants. Ce sont eux qui lancent le chantier du château actuel à l’emplacement d’une forteresse du X e siècle rebâtie plusieurs fois et transformée au fil du temps en maison-forte. Il est terminé en août 1778 et « inauguré » par une grandiose réception. Il est à l’origine du nom de la commune… qui s’est dénommée de 1849 à 1880, Brienne- Napoléon ! Aujourd’hui il abrite un EPSM 2 … ou dans le langage courant, un hôpital psychiatrique. L’école royale militaire 1 C’est l’usage : pour être admis dans un collège il faut revendiquer l’appui d’un haut personnage… 2 Etablissement Public de Santé Mentale

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Napoléon Bonaparte en Champagne

par Jean-Jacques TIJET

L’aurore de l’ère napoléonienne, Brienne-le-Château

« Pour ma pensée, Brienne est ma patrie ; c’est là que j’ai ressenti les premières impressions de l’homme »

La fabuleuse épopée napoléonienne commence véritablement sur un quai du port de Bastia, le 12

décembre 1778. Napoléon Bonaparte (ou plutôt Neapoleonne Buonaparte) a 9 ans et 4 mois et embarque pour Marseille accompagné de son père Charles, de son frère aîné Joseph, du demi-frère de sa mère Joseph Fesch et d’un cousin l’abbé Aurèle Varèse. La destination de cette « caravane Bonaparte » (sauf Fesch « déposé » au séminaire d’Aix-en-Provence afin de poursuivre ses études de théologie) est Autun, en Bourgogne qu’elle atteint le 30 décembre.

Pourquoi Autun ? Cette cité antique de 7000 habitants environ abrite un collège réputé, fondé par les Jésuites au XVIIe siècle ; en 1778 il est administré par des prêtres séculiers sous l’autorité de l’évêque Mgr de Marbeuf… neveu du gouverneur de la Corse ; ce dernier, puisqu’ami de Charles et surtout de Letizia Bonaparte, a cautionné l’admission de leurs deux fils aînés1. Joseph y poursuivra ses études jusqu’en juin 1784 tandis que Napoléon, dont l’objectif était de perfectionner son français qu’il parle mal, quitte Autun et son collège le 21 avril 1779 pour intégrer une Ecole militaire, celle de Brienne, en Champagne méridionale.

Brienne-le-Château C’est une cité de 1800 habitants – au début du XIXe siècle - située entre Troyes et St Dizier sur une

route historique reliant l’ouest (Rennes, Orléans) à l’est de la France (Toul, Nancy). Elle est le berceau d’une famille réputée être une des plus anciennes et des plus illustres de la noblesse

du royaume, les comtes de Brienne ; vassaux des comtes de Champagne certains se sont illustrés dès les Croisades et l’un, Jean de Brienne a été sacré roi de Jérusalem après avoir épousé en 1210 Marie de Montferrat fille et héritière d’Isabelle Ière de Jérusalem ; sage, vaillant, brave et quelque peu entreprenant il sera couronné empereur latin de Constantinople en 1231 ! Cette première branche s’éteint en 1356 par la mort de Gauthier VI, connétable de France, à la bataille de Poitiers ; son père Gauthier V a été duc d’Athènes au tout début du XIVe siècle.

Par alliance le comté de Brienne se retrouve dans la famille des Loménie au début du XVIIe et les 2 frères Loménie de Brienne, ministres de Louis XVI, en sont les derniers représentants. Ce sont eux qui lancent le chantier du château actuel à l’emplacement d’une forteresse du Xe siècle rebâtie plusieurs fois et transformée au fil du temps en maison-forte. Il est terminé en août 1778 et « inauguré » par une grandiose réception. Il est à l’origine du nom de la commune… qui s’est dénommée de 1849 à 1880, Brienne-Napoléon ! Aujourd’hui il abrite un EPSM2… ou dans le langage courant, un hôpital psychiatrique.

L’école royale militaire

1 C’est l’usage : pour être admis dans un collège il faut revendiquer l’appui d’un haut personnage…

2 Etablissement Public de Santé Mentale

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Elle fait partie des douze établissements créés en 1776 par le comte de Saint Germain (Secrétaire d’Etat à la guerre) destinés aux enfants de la noblesse pauvre afin de leur fournir une formation moderne et efficace préparatoire à une carrière dans l’armée. Entrés à l’âge de 8-10 ans les élèves suivaient un cycle d’étude de 6 ans à l’issue duquel les meilleurs avaient la possibilité d’intégrer la prestigieuse Ecole militaire de Paris.

A la fin de l’Ancien Régime l’enseignement secondaire est entièrement « entre les mains » de congrégations religieuses3 (les Jésuites et les Oratoriens essentiellement). Elles officient, tant dans le domaine de l’administration que dans celui de l’enseignement, à l’intérieur d’établissements scolaires appelés collèges. Cette mainmise de l’Eglise dans l’éducation était, pour les laïcs, un gage de sérieux aussi bien sur le plan des mœurs que sur celui de la compétence pédagogique… et l’assurance d’un enseignement de qualité4. Un collège était implanté dans la plupart des bourgades du royaume.

Les 12 écoles militaires ne dérogent pas à cette règle et, à Brienne l’enseignement était confié aux

Minimes, ordre austère fondé au XVe siècle par St François de Paule ! Les disciplines enseignées devaient être pratiques et résolument utiles pour le militaire : le latin (pas

trop, juste ce qu’il faut pour la bonne intelligence des auteurs classiques), l’histoire, la géographie (avec des cartes), l’étude des fortifications, la littérature, la grammaire, l’allemand, l’italien et l’anglais comme langues vivantes (l’Angleterre était l’adversaire historique et la France se battait bien souvent en Germanie et en Italie…) et les disciplines scientifiques comme les mathématiques, la physique surtout axée sur la mécanique et l’hydraulique sans oublier les arts dits d’agrément comme la danse, l’équitation, l‘escrime...

En réalité cette école n’avait de militaire que le nom car ni la tactique ni la stratégie, sciences militaires s’il en est, ne faisaient partie du cycle éducatif ! Il s’agissait de former autant des officiers que des gentilshommes fidèles serviteurs de la royauté. On peut penser aussi que, telles certaines Grandes Ecoles du XXe siècle, l’objectif de l’enseignement dispensé était, à partir de connaissances générales mais précises dans les domaines des sciences techniques et humaines, de former des jeunes hommes avides et capables d’apprendre en disposant d’un jugement solide et d’un esprit critique. La remarque du chancelier d’Aguesseau à son fils « Vos classes sont terminées, vos études commencent »5 est encore d’actualité aujourd’hui.

Le règlement intérieur régissant la vie à l’école de Brienne imposait une existence rude aux collégiens.

Qu’on en juge ! Durant la totalité de la scolarité (5 à 6 ans) il n’était pas possible de quitter l’école et, seules, pour prendre contact avec le monde, des visites au parloir étaient autorisées. Les vacances du 15 septembre au 1er novembre voulaient dire que les après-midi étaient sans classes et les matins consacrés à la révision des cours de l’année précédente !

L’école occupait des bâtiments neufs du monastère et la centaine de pensionnaires (dont une soixantaine de boursiers – dits élèves du Roi – comme Bonaparte) disposait chacun d’une chambre individuelle – du genre cellule monastique – meublée d’un lit rudimentaire, d’une chaise, d’une armoise basse, d’un pot à eau et d’une cuvette, et elle était, dois-je le signaler, sans chauffage !

Elle a été pillée, ravagée et détruite en grande partie durant la Terreur et dans le seul bâtiment épargné, l’ancien réfectoire, est installé aujourd’hui un musée à la gloire de son illustre élève… après avoir été de longues années une caserne !

Napoléon à Brienne Pour accompagner le jeune Bonaparte à Brienne, Mgr de Marbeuf choisit Mr de Champeaux de la

Boulaye dont le fils, Jean-Baptiste, doit lui aussi intégrer l’Ecole militaire. Partis d’Autun le 21 avril 1779 ils

3 D’après H. Taine il y en avait 39 en France en 1789

4 D’après Les collèges sous l’Ancien Régime de Marie-Madeleine Compère et Dominique Julia

5 Rapportée par Patrice Gueniffey dans son Bonaparte. Henri François d’Aguesseau (1668-1751) est un parlementaire,

nommé chancelier et garde des Sceaux par le Régent.

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n’atteignent Brienne que le 15 mai après un séjour – prévu ou imprévu ?6 - dans le château familial de la famille Champeaux à Thoisy-le-Désert en Pays Auxois.

Napoléon restera plus de 5 ans à Brienne mais ce que l’on sait sur son séjour serait plutôt du domaine de la légende et non pas de l‘Histoire ! Les historiens des XIX et XXes siècles qui ont écrit sur la jeunesse de Napoléon (Arthur Chuquet, baron de Coston, Paul Bartel, Frédéric Masson entre autres) ont puisé leurs sources dans des documents ou récits du Consulat ou de l’Empire plus ou moins inventés donc peu fiables dont Napoléon lui-même se moquait… L’Empereur rit beaucoup de tous les contes et de toutes les anecdotes dont on charge sa jeunesse, dans la foule des petits ouvrages qu’il a fait éclore ; il n’en avoue presque aucune… d’après Las Cases.

Les mémoires de son condisciple Bourrienne (1769-1834) sont les plus célèbres et les plus sujets à caution. Après avoir été son confident, son secrétaire et son chargé de missions plus ou moins secrètes Napoléon le renvoie en 1813 indisposé par sa cupidité7 ! Il rédige ses Mémoires sous la Restauration en falsifiant la réalité pour obtenir des avantages matériels. Elles furent jugées calamiteuses par plusieurs anciens compagnons de Napoléon, à tel point que la plupart rédigèrent une réponse dûment documentée éditée sous le nom de Bourrienne et ses erreurs volontaires ou involontaires.

Pour suivre le comportement du jeune Bonaparte il faut se mettre à la place d’un gamin d’à peine 10 ans obligé de s’intégrer dans un univers militaro-religieux à l’opposé de sa vie d’enfant corse choyé et dorloté par sa famille. Comme il parle français avec un fort accent italien il est bien souvent la risée de ses camarades ce qui le rend solitaire et renfermé. En outre il a dû supporter la morgue de certains élèves qui pouvaient faire étalage d’une haute lignée alors que lui, était boursier et de « petite » noblesse (son grand-père paternel avait obtenu ses lettres de noblesse auprès du grand duc de Toscane en 1757). Il se plaisait – ou se réfugiait – dans la lecture ; il puisait ses livres dans la vaste bibliothèque du monastère bien achalandée… du moins la légende le prétend puisqu’elle a été dispersée à la Révolution. Ses préférences allaient vers des livres d’histoire en général et de l’Antiquité en particulier.

Sombre et même farouche, presque toujours renfermé en lui-même… constamment seul, ennemi de tous les jeux, de tous les amusements de l’ensemble, il ne prit jamais part à la brulante joie de ses camarades… tel est le jugement d’un de ses condisciples dans une plaquette publiée à Londres en 1797 dont l’auteur, inconnu, aurait été admis à Brienne à titre d’étranger. D’après Guy Godlewski, ancien président du Souvenir napoléonien, le document serait crédible car l’auteur a été bénévole à la bibliothèque de l’école… Pendant la résidence de Buonaparte à l’école militaire de Brienne on y établit une bibliothèque… la distribution des livres a été entièrement abandonnée à la direction de deux pensionnaires choisis par leurs camarades. Je fus l’un des deux… ce qui me donna de très fréquentes occasions de voir Buonaparte… ses demandes de livres furent très fréquentes…

En réalité Napoléon a eu à Brienne, 2 passions, les mathématiques et Plutarque. Par contre le français et l’orthographe ont été ses points faibles si l’on croit Hippolyte Taine… Non seulement il n’a pas appris et n’apprendra jamais l’orthographe mais il ignore la langue, le sens propre, la filiation et les alliances des mots, la convenance ou la disconvenance mutuelle des phrases, la valeur propre des tours, la portée exacte de images, il marche violemment, à travers un pêle-mêle de disparates, d’incohérences, d’italianismes, de barbarismes et trébuche, sans doute par maladresse, par inexpérience mais aussi par excès d’ardeur et de fougue : la pensée surchargée de passion, saccadée, éruptive, indique la température et la profondeur de sa source… Il est vrai que cet éminent historien et philosophe de la fin du XIXe siècle n’appréciait guère l’Empereur et que son jugement porte sur un discours du jeune Bonaparte à l’Académie de Lyon en 17908.

Par contre les proclamations du général puis de l’Empereur – que Taine aurait dû lire pour atténuer son jugement - ne manquaient pas de panache et leur style, direct et incantatoire, mêlant charme et énergie (le fameux « souffle napoléonien ») plaisaient à la fois aux soldats et aux officiers. Tous les écoutaient puis les lisaient et relisaient avec enthousiasme comme celle – une des premières - du 2 juin 1796 après les

6 3 semaines pour faire les 220-250 km environ du trajet c’est beaucoup trop, même à cette époque. J’ai lu qu’un membre

de la famille Champeaux avait été malade d’où le long séjour dans le château familial. 7 Et pourtant il était né à Sens…

8 L’ouvrage de Taine : Les origines de la France contemporaine. Le régime moderne, Livre premier Napoléon Bonaparte

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succès en Italie …Vous vous êtes précipités, comme un torrent, du haut de l’Apennin. Vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s’opposait à votre marche… Tant de succès ont porté la joie dans le sein de la Patrie. Vos représentants ont donné une fête dédiée à vos victoires, célébrée dans toutes les Communes de la République. Là, vos pères, vos mères, vos épouses, vos sœurs, vos amantes se réjouissent de vos succès, et se vantent de vous appartenir. Oui soldats, vous avez beaucoup fait, mais ne vous reste-t-il plus rien à faire ? La postérité nous reprochera-t-elle d’avoir trouvé Capoue dans la Lombardie… Rétablir le Capitole, y placer avec honneur les statues des héros qui le rendirent célèbre ; réveiller le peuple Romain engourdi par plusieurs siècles d’esclavage : tel est le fruit de vos victoires, vous aurez la gloire immortelle de changer la face de la plus belle patrie de l’Europe… Vous rentrerez alors dans vos foyers et vos concitoyens diront, en vous montrant : il était de l’armée d’Italie. Nul ne doute que ce texte a dû remuer « les tripes » de tous les vaillants combattants de l’armée d’Italie mais je ne suis pas sûr que tous aient compris l’allusion à Capoue9…

On ne peut évoquer Napoléon à Brienne sans raconter l’histoire de la fameuse bataille de boules de

neige, peut-être véritable mais magnifiée certainement par la suite. Le dernier hiver de notre héros à Brienne (début 1784) a été particulièrement froid et une couche de neige épaisse recouvre la cour de l’école. Il aurait pris l’initiative de bâtir 2 fortins en neige tassée avec remparts et bastions que les occupants (les élèves de l’Ecole divisés en 2 camps) devaient se disputer à coups de boules de neige. C’est à cette occasion, que la maitrise et la hardiesse de Napoléon ont été remarquées ; inventant régulièrement de nouvelles manœuvres, il a manifesté déjà une certaine capacité à « l’art de la guerre » et une précoce expertise dans la conduite des combats… même si ceux-ci étaient des batailles de boules de neige ! De toute manière l’imagerie d’Epinal fera grand cas de cette affaire. Par contre les chroniques racontant qu’il aurait été opposé à cette occasion à Phélippeaux – qui défendra Saint-Jean-d’Acre face au général Bonaparte au printemps 1799 - sont erronées car ils n’ont jamais été condisciples à Brienne mais à l’Ecole militaire de Paris quelques années plus tard ; il est vrai, par contre, qu’ils ne s’appréciaient pas.

Le 21 juin 1784 il reçoit la visite de son père, accompagné de Lucien et de Maria-Anna (Elisa), l’un reste

à Brienne et l’autre va intégrer la Maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr. C’est la dernière fois qu’il le voit car Charles meurt à Montpellier le 24 février 1785.

Il quitte Brienne le 16 octobre 1784 pour rejoindre l’école militaire de Paris. En compagnie de 3 élèves

et d’un père accompagnateur il se rend en malle-poste à Nogent-sur-Seine où il embarque sur un coche d’eau qui, après des étapes à Montereau et Melun, le dépose sur le quai du port Saint-Paul10 à Paris, le 19 octobre. On ne sait pas quelles ont été les réactions du futur empereur à la découverte de cette grande ville11 qu’il voyait pour la première fois ! On peut dire sans trop se tromper que, ni sa petite enfance douillette à Ajaccio ni sa « réclusion » à Brienne ne l’avaient préparé au spectacle d’une ville immense pour l’époque, populeuse, noire, sale, pleine de bruits et d’odeurs, avec ses ruelles étroites, ses maisons bancales12…

L’après Brienne L’attachement de Napoléon, devenu adulte et célèbre, pour Brienne n’est pas une légende mais une

réalité. Les premières retrouvailles se situent en avril 1805. Au faîte de sa gloire – entre son couronnement

comme empereur et sa victoire à Austerlitz - il se rend à Milan pour ceindre la couronne d’Italie. Arrivé à Troyes le 2 avril il part le lendemain à Brienne pour accomplir une sorte de pèlerinage nostalgique ! Il visite

9 Il évoquait aussi dans cette déclaration Brutus, Scipion…

10 Quai des Célestins aujourd’hui

11 Entre 500 et 600 mille habitants

12 Patrice Gueniffey

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l’école en ruine, rencontre et le maire (Mr Tabutaut) et le curé (l’abbé Legrand), leur accorde 12 000 francs pour apurer les dettes de la commune dues aux réparations des dégâts de la Révolution, est reçu au château par la comtesse de Brienne, Madame de Loménie13, et y couche. Il aurait voulu, à titre personnel, acheter le château… Brienne c’est beaucoup pour moi… aurait-il dit à la comtesse qui lui rétorque… Pour moi, Brienne c’est tout.

L’histoire a retenu de ce court séjour sa promenade solitaire à cheval dans les environs du village …faussant compagnie à son escorte, il s’enfonça au triple galop dans la campagne et dans les bois. Où alla-t-il ? A quoi pensa-t-il ? Aux années enfuies ? Au chemin parcouru depuis ? Ou bien à rien, tout au plaisir de revoir les lieux de sa jeunesse…14. Il revient « à la réalité » 3 heures plus tard tout heureux de son escapade. Avant de partir à Lyon le matin du 5 avril il signe à Troyes un décret pour la construction d’un canal, celui de la Haute-Seine permettant au fleuve d’être navigable de Paris jusqu’à Bar-sur-Seine et Chatillon15… je veux qu’avant six ans, les coches et bateaux puissent remonter et descendre la Seine depuis Paris jusqu’à Bar-sur-Seine et au-delà. Il sera réalisé en partie, de Nogent-sur-Seine à Troyes16 ; le tronçon de Troyes à Bar-sur-Seine, malgré des travaux ne sera jamais mis en service et sera dénommé le « canal sans eau ». Aujourd’hui certaines parties de l’antique canal ont été réhabilitées à proximité de Troyes comme le bassin de la Préfecture, autrefois appelé bassin du Préau, dans le centre-ville17.

Ses anciens condisciples et maîtres qui l’ont sollicité par la suite ont toujours été bien accueillis. Même

ceux qui n’ont pas appel à lui d’ailleurs. Sous le Consulat apprenant que le maréchal de Ségur18, ancien secrétaire d’Etat à la Guerre sous Louis XVI, qui avait signé son brevet de Cadet-gentilhomme avec rang de lieutenant-en-second, vivait dans la misère, il lui accorde une pension d’un montant égal à celui d’un général de division.

La plupart de ses anciens professeurs ont bénéficié des largesses de leur ancien élève comme les frères Berton, l’un a été le premier proviseur du lycée de Reims tandis que l’autre a fait carrière dans l’administration des hôpitaux, le Père Patrault – qui enseignait les mathématiques – s’est retrouvé dans l’administration des domaines puis, ruiné à la suite de pratiques douteuses, retourne « pleurer misère » auprès du Premier consul qui l’accueille avec cette réplique… j’ai payé ma dette, je ne peux rien pour vous mais lui accorde, malgré tout, une pension confortable ! Quant au Père Dupuy, son premier professeur de français et latin, Napoléon le nomma bibliothécaire de la Malmaison.

Napoléon se montra aussi bienveillant avec ses anciens condisciples. Nous avons déjà évoqué le plus célèbre, Bourrienne mais il y a eu d’autres qui seront comblés d’honneur comme Nansouty (il a quitté Brienne en 1782), cavalier émérite sera fait en 1813, commandant de la prestigieuse cavalerie de la Garde impériale après avoir été de toutes les campagnes de 1792 à 1814, Gudin général et comte d’empire qui meurt à Smolensk en 1812…etc.

Le Premier consul a voulu mettre un terme à la Révolution et à ses divisions. La possibilité donnée aux émigrés de revenir en France émane de cette politique19. Certains élèves de Brienne, émigrés par conviction et qui avaient rejoint l’armée de Condé, ont fait appel à Bonaparte pour réintégrer l’armée ou l’administration.

En conclusion, le Premier consul puis l’Empereur s’est conduit avec ses condisciples comme tout élève

d’une école plus ou moins prestigieuse « qui a réussi » : il les a aidés indépendamment de leurs idées

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C’est la femme du comte Louis-Marie de Loménie guillotiné en mai 1794 avec Madame Elisabeth ; elle décèdera en 1812 14

Extrait de Bonaparte de Patrice Gueniffey… qui s’est inspiré de l’Histoire de Napoléon de Jacques de Norvins 15

La Seine était déjà navigable de Paris à Nogent sur Seine 16

Les travaux du canal seront effectués par des prisonniers de guerre espagnols ; nombre estimé à 15 000 en 1812 d’après Christian Lambart dans un article de La vie en Champagne (ce nombre me parait important par rapport à la population de la ville 25 0000 habitants au début du XIX

e)

17 Au niveau de l’ancien palais des comtes de Champagne et de leur collégiale Saint-Etienne

18 Sa mère était une fille naturelle du Régent ; un de ses arrière-petits-fils se mariera avec une princesse russe dont les

contes et romans sont encore en vogue aujourd’hui (la fameuse comtesse de Ségur) 19

Par le décret du 19 octobre 1800

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politiques et de leurs défauts. Et comme tout humain, une certaine nostalgie le gagnait lorsqu’il pensait à son enfance et à son école champenoise, Brienne.

S’il avait connu des moments pénibles à Brienne, et il en connut certainement, il ne resta dans son souvenir que les instants de bonheur, et ceux-ci assurément, ne manquaient pas non plus. (P.Gueniffey)

Le crépuscule de l’ère napoléonienne, la campagne militaire de 1814

« 50 000 hommes et moi cela fait 150 000 » « …il n’y a que le général Bonaparte qui peut sauver l’empereur Napoléon… »

Après la défaite maritime de Trafalgar (octobre 1805) Napoléon décide d’asphyxier économiquement

l’Angleterre par un Blocus continental. Pour le mettre en œuvre et le contrôler il va être contraint à une fuite en avant. Sa politique étrangère, dès lors, a pour objectif d’étendre le blocus à l’ensemble des pays européens… par des traités mais aussi par des invasions militaires. Elles s’avèreront désastreuses et annoncent le début de la fin de l’Empire napoléonien.

Fin 1807, une troupe de 20 mille hommes sous le commandement de Junot envahit le Portugal. Début 1808, 80 mille hommes sous le commandement de Murat occupent l’Espagne. Il incorpore le royaume de Hollande (créé en mai 1806) à son empire (juillet 1810). En juin 1812 la Grande Armée forte de 600 mille hommes marche sur Moscou, 30 mille soldats

seulement en reviendront. En 1813 l’armée de la Sixième Coalition, qui réunit la plupart des pays européens de nombreuses fois

battus par Napoléon, gagne la bataille de Leipzig (Octobre 1813) grâce à la défection des Saxons et à l’apport d’une armée suédoise commandée par le prince-héritier de Suède et de Norvège et maréchal d’Empire Bernadotte.

La Grande Armée n’existe plus, elle a été décimée non seulement par les combats mais aussi par le typhus. Elle est également décapitée puisque 2 maréchaux et 33 généraux ont péri en Germanie.

Le repli de ce qui reste de la Grande Armée sur le Rhin annonce l’invasion de la France. Selon les contemporains, au début de 1814, l’empereur n’avait pas perdu l’affection de son peuple et

avait gardé le prestige du capitaine invincible, mais la grande majorité des Français aspirait à la paix après 25 années de révolutions et de guerres. La conscription, l’augmentation des impôts, la faible activité des fabriques et du commerce avaient contribué au désenchantement… et pourtant les désertions des jeunes incorporés seront faibles (1/100) et les appels à la révolte émis par les royalistes ne seront pas suivis d’effet. Il faut croire que l’invasion de la France par des hordes étrangères a réanimé le patriotisme de ses habitants.

Le début de la campagne Fin décembre 1813, 2 armées ennemies traversent le Rhin, l’une au nord près de Mayence, l’armée de

Silésie (45 000 hommes) composée de Prussiens et de Russes est commandée par le feld-maréchal Blücher, l’autre au sud près de Bâle20, l’armée de Bohême (200 000 hommes) est austro-russe et commandée par le prince Schwarzenberg. De celle-ci une colonne autrichienne se détache et se dirige vers Lyon par Genève, le Jura et la vallée de la Saône. Elle est commandée par le général-comte Bubna. La ville de Lyon sera investie et occupée fin mars 1814 malgré la défense héroïque d’une armée commandée par le maréchal Augereau à Limonest et dans ses environs.

Une troisième armée, dirigée par Bernadotte, est en retrait au nord de la France, prête à intervenir.

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Nos ennemis commencent une pratique peu chevaleresque qui sera reconduite systématiquement lors des prochains conflits : envahir un pays neutre, la Suisse, avant la Belgique en 1914 et 1940.

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En janvier 1814, Blücher occupe la Lorraine et le Barrois et s’apprête à marcher sur Paris par la vallée de la Marne. Quant à Schwarzenberg, après être parvenu à Langres, il envisage de se diriger vers la capitale par la vallée de la Seine et celle de l’Aube. Le 26 janvier presque toutes les troupes alliées se trouvaient entre la Marne et les sources de la Seine21.

Après avoir confié le pouvoir à un Conseil de régence, son épouse Marie-Louise et son héritier aux officiers de la garde nationale de Paris « Je partirai avec l’esprit dégagé lorsqu’ils seront sous votre garde. Je vous laisse ce que j’ai au monde de plus cher après la France » et après un diner avec l’Impératrice et la reine Hortense, Napoléon quitte les Tuileries le 25 janvier à 3 heures du matin non sans avoir embrassé le roi de Rome qu’il voit pour la dernière fois. Il va se mettre à la tête de son armée de 50 à 60 mille hommes (la plupart sont des jeunes hommes inexpérimentés dans « l’art de la guerre » récemment incorporés surnommés les « Marie-Louise ») pour contrer l’invasion de 2 armées, 4 à 5 fois plus importantes.

La campagne de France

Les combats auront lieu entre le bassin de la Seine et celui de la Marne du 26 janvier au 30 mars car l’Empereur n’aura de cesse d’empêcher la réunion des 2 armées des coalisés en combattant, tantôt l’une tantôt l’autre. En 65 jours de campagne il va parcourir près de 1640 km et coucher dans 48 lieux différents22. L’admirable campagne de France - admirable du point de vue militaire mais elle fut déplorable si on considère les désastres humains et les dégâts matériels - commence et elle va prouver, pour la dernière fois, que Napoléon n’a perdu ni son énergie ni son génie militaire.

Après avoir, le 25, déjeuné à Château-Thierry et séjourné à Chalons il délivre Saint-Dizier de l’emprise d’une troupe russe et se dirige vers Brienne sur les arrières de Blücher.

Les affrontements qu’il faut connaitre :

Le 29 janvier, victoire à Brienne aux dépens de Blücher… qui a failli se faire prendre : alors qu’il

dinait au château une avant-garde française est sur le point de le capturer mais il réussit à s’enfuir, aidé en cela par un Briennois d’origine allemande23 qui lui indique un chemin de traverse. Le lendemain Napoléon se promène dans le village dévasté, monte au château, regarde les environs et pensant à son enfance murmure… Pouvais-je alors penser que j’aurais à y combattre les Russes ?

Le 1er février, défaite de La Rothière (au sud de Brienne près de Dienville, dans la vallée de

l’Aube). En réalité la bataille ne donne ni vainqueur ni vaincu – les Français luttent 8 heures à un contre trois - mais c’est Napoléon qui retraite : il traverse l’Aube à Lesmont et par Piney arrive à Troyes où il entre sans vivat et sans acclamation... Il y restera les 3, 4 et 5 février.

Le 6 février, il descend la vallée de la Seine, couche au château de Ferreux près de Nogent-sur-Seine et tente de deviner les mouvements des troupes russes au nord. Il s’aperçoit alors que les coalisés marchent sur Paris séparément et sans se couvrir mutuellement : l’armée de Silésie par la Marne et celle de Bohême par la Seine. En les attaquant l’une après l’autre il est victorieux plusieurs fois.

Le 10 février, victoire de Champaubert (entre Sézanne et Epernay) sur une troupe russe

commandée par le général Olsoufiev qui sera capturé.

Le 11 février, victoire de Montmirail (à l’ouest de Champaubert, entre Sézanne et Château-

Thierry) sur une partie de l’armée de Blücher commandée par le russe Sacken.

Le 12 février, victoire de Château-Thierry sur un corps d’armée prussien commandé par le

général York, celui-là même qui avait trahi l’Empereur en Russie fin décembre 181224. Dans la cité pillée

21

Henri Houssaye, 1814 la campagne de France 22

La Vie en Champagne Hors série Juin 1999 23

Il se nommait Joseph Dietschin et sera fusillé quelques jours plus tard 24

Il signe avec la Russie une convention de neutralité alors que son corps d’armée de 20 mille hommes faisait partie de la Grande Armée

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par les vaincus, les habitants se livrent à une bataille de rue, massacrant tous les soldats ennemis qu’ils trouvent, excités par le tocsin qui n’arrête pas de sonner.

Le 14 février, victoire de Vauchamps (à l’est de Montmirail) Napoléon aidé de Marmont repousse

Blücher aux portes de Châlons… alors qu’il se trouvait, avant les 4 victoires françaises, près de Meaux !

Le 16 février, victoire de Guignes (au sud-est de Brie-Comte-Robert). Lorsque Napoléon apprend

que Schwarzenberg, après avoir traversé Bar-sur-Seine, Troyes, Nogent, Nangis en bousculant les troupes de Victor est aux portes de Paris, il l’attaque et le fait reculer ayant abandonné la poursuite de Blücher.

Le 17 février, victoire de Mormant, près de Guignes. C’est la suite de la bataille de la veille.

Napoléon reçoit le renfort d’un corps de cavaliers arrivé d’Espagne ; ceux-ci poursuivent, sabre au clair, deux milliers de cavaliers et de chasseurs russes jusqu’à Nangis au sud-est.

Le 18 février, victoire de Montereau. Le prince de Wurtemberg est parvenu dans la cité grâce

l’inaction du maréchal Victor qui sera destitué et remplacé par le général Gérard ; il occupe le double pont stratégique qui enjambe la Seine et l’Yonne mais est obligé de retraiter vers Bray-sur-Seine et Sens suite à la bonne coordination des troupes françaises et leur héroïsme. Napoléon a dirigé la bataille du château de Surville sur une hauteur au nord de la cité dans laquelle il entre le lendemain.

Napoléon séjourne à Nogent-sur-Seine, Châtres et entre dans Troyes – que Schwarzenberg vient de quitter - et cette fois il est reçu avec des cris enthousiastes de Vive l’Empereur. Il y restera jusqu’au 26 février. Après ses défaites, Blücher s’est refait « une santé » et surtout une armée et marche sur Paris par Meaux que défendent Marmont et Mortier.

Tôt le matin du 28 février l‘empereur est à Fismes (entre Reims et Soissons) sur les arrières de l’armée de Blücher. Blücher est encerclé. Mais le commandant (le général J.-C. Moreau) qui défend Soissons se rend et capitule permettant ainsi à l’armée du Prussien de prendre possession de la cité (3 mars)25 !

Le 5 mars, victoire de Berry-au-Bac, sur l’Aisne entre Reims et Laon. Un régiment de chevau-

légers polonais charge 2 000 cosaques et les « culbute » ; il s’empare de 2 canons et fait prisonnier plus de 200 Russes du prince et général Gagarine.

Le 7 mars, victoire de Craonne, au sud de Laon. Napoléon retarde seulement la marche de Blücher

vers Laon. La bataille est sanglante et préfigure celle qui aura lieu au même endroit en avril 1917 (l’effroyable et terrible combat du Chemin des dames26). Un monument a été érigé – sur le plateau d’Hurtebise - pour appeler au souvenir à la fois des « Marie-Louise » de 1814 et des « Bleuets » de 1917, morts pour la France27.

Les 9 et 10 mars, défaite de Laon. Le corps d’armée de Marmont, surpris par une attaque de

cosaques dans la nuit du 9 au 10, est refoulé jusqu’à Berry-au-Bac. Le 10, Napoléon et « sa petite armée » attaquent Blücher puis se replient sur Reims.

Le 13 mars, victoire de Reims. La ville des sacres des rois de France est reprise au cours d’une

bataille sanglante (elle était occupée depuis le 11 par des Russes commandés par le général français Saint Priest28, fils du diplomate et ministre de Louis XVI). Napoléon la dirige depuis le mont Saint Pierre près de Tinqueux et reste à Reims jusqu’au 17 au matin.

Pendant ce temps Schwarzenberg se dirige vers Paris et passe à Pont-sur-Seine (entre Nogent et Romilly). Napoléon y avait acquis en 1805 le magnifique château construit au XVIIe siècle par Claude Bouthillier comte de Chavigny, diplomate et surintendant des finances, somptueuse demeure – l’une des plus belles de France. Il en avait fait don à sa mère qui l’avait habité ; Letizia y invitait régulièrement les membres de sa famille et en particulier Jérôme et sa 2e épouse Catherine de Wurtemberg… dont le frère

25

La reddition de Soissons fut le plus funeste évènement de notre histoire militaire après Waterloo d’après Thiers… 26

C’est une route départementale entre Aizy-Jouy et Corbeny dans l’Aisne (ainsi dénommée car elle fut empruntée bien souvent par 2 filles de Louis XV – Victoire et Adélaïde – pour se rendre au château de la Bove appartenant à leur amie, la duchesse de Châlus)

27 Le nombre de morts n’est pas comparable cependant, près de 5 000 en 1814, 130 000 en 10 jours en 1917…

28 Blessé lors de la bataille il meurt quelques jours plus tard

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Guillaume29, le 12 mars 1814, fait incendier le château. Comme quoi on peut être prince et n’avoir aucune grandeur d’âme30 ! Il sera racheté puis reconstruit par Casimir-Pierre Périer, un des fils de Claude Périer (fondateur de la « dynastie ») et grand-père de Jean Casimir-Périer, éphémère président de la République en 1895.

Les 20 et 21 mars, défaite d’Arcis-sur-Aube. Dès que Napoléon apprend le mouvement de

l’armée de Schwarzenberg (Blücher reste à Laon) il se dirige alors vers la vallée de l’Aube et ordonne aux officiers de sa petite armée de se regrouper à Arcis-sur-Aube pour attaquer l’arrière de l’armée de Silésie. Mais Schwarzenberg avait fait demi-tour et toute son armée est présente dans les environs d’Arcis que Napoléon occupe le 20. Au sud du village les cavaliers d’Exelmans et de Sébastiani se battent désespérément mais sont obligés de retraiter par le seul pont du village. Napoléon apparait et leur crie …Qui de vous le passera devant moi… et les cavaliers faisant demi-tour retournent au combat. Une grande partie des maisons de la cité est la proie des flammes par le bombardement des coalisés.

Au matin du 2e jour, l’ennemi est déployé en demi-cercle au sud d’Arcis, de Villette à l’ouest à Torcy à l’est en passant par St Etienne-sous-Barbuise et Mesnil-la-Comtesse. Napoléon constate la supériorité trop flagrante de l’ennemi (100 000 hommes) et décide de battre en retraite en traversant l’Aube par le pont d’Arcis et par un pont construit par le génie à Villette. En soirée les ponts sont détruits, Napoléon se dirige vers Vitry et St Dizier afin de couper les lignes de communication de l’ennemi ; il passe la nuit à Sompuis.

Les jours suivants il essaie d’attirer les troupes des coalisés à sa suite – vers l’est - afin de les empêcher de se diriger vers Paris.

Le 24 mars cependant près de St Dizier, à Blacy dans une ferme, l’état-major des coalisés et les 3 souverains alliés (l’empereur de Russie, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse) décident de marcher sur Paris, Schwarzenberg par Sézanne et La Ferté-Gaucher et Blücher par Montmirail et La Ferté-sous-Jouarre. L’autre option était de suivre Napoléon et de le battre une fois pour toutes mais c’est le choix d’Alexandre qui a prévalu, influencé qu’il a été par des courriers adressés à Napoléon et interceptés qui font part de la lassitude des Parisiens de la guerre ; il estime ainsi que les troupes alliées seront bien accueillies.

Le 25 mars, défaite de La Fère-Champenoise. Les divers éléments de l’armée française ne

peuvent se réunir – ils sont entourés d’ennemis - Napoléon est entre St Dizier et Joinville tandis que Marmont et Mortier sont bloqués à Soudé-Sainte-Croix, village bien connu entre Sommesous et Vitry ! Les troupes des maréchaux reculent et se dirigent vers La Fère-Champenoise à l’est de Sézanne. Il faut mentionner l’héroïque résistance d’un régiment de gardes-nationaux31 commandé par le général Pacthod32 ; entourés d’ennemis 4 à 5 fois plus nombreux ils ont résisté toute une journée en parcourant près de 25 km en plusieurs carrés « démolis » par la mitraille et la cavalerie ennemies mais toujours reconstitués : des 4300 soldats, 500 ont pu s’échapper, 1500 se sont rendus à la suite d’une résistance désespérée et à la demande de leur officier et plus de 2000 sont tombés « au champ d’honneur »… c’est vraiment le cas de le dire ! Le tsar Alexandre lui-même a voulu arrêter le carnage plusieurs fois en criant à ses officiers… je veux sauver ces braves… Ensuite il se fit présenter les officiers prisonniers. Le général Delort – adjoint de Pacthod- s’est exprimé sur ce fait d’armes glorieux … il n’est personne qui n’ait fait au-delà de ce que prescrit l’honneur… l’épithète de braves et d‘héroïque est sans force et sans énergie pour donner l’idée précise de leur conduite…

Vers l’île d’Elbe…

29

Le duché de Wurtemberg avait été érigé en royaume par Napoléon en 1805. Il était passé à la coalition en 1813 et les troupes du prince faisaient partie de l’armée de Schwarzenberg.

30 Ce prince se comportait comme un soudard. Du 11 au 20 février il avait pillé la ville de Sens. Napoléon a écrit : Le prince

de Wurtemberg s’est couvert de boue ; il a volé et pillé partout où il a passé 31

Ils n’étaient pas militaires mais pas volontaires non plus. Tout Français de 20 à 60 ans étaient obligés de servir dans la garde et pouvaient être enrôlés à tout moment

32 Il était né Savoyard…

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Le 29 mars, décision de Napoléon. Depuis fin janvier (sauf lors de l’impressionnante série de

victoires en février) l’empereur a hésité entre 2 options, défendre ou abandonner Paris. Il ne s’était jamais prononcé mais, à cette période, il doit se décider. Les défaites récentes de Marmont et Mortier qui maintenant se dirigent vers Paris (Meaux est occupé par l’ennemi), les mauvaises nouvelles en provenance de Paris qu’il reçoit à son arrivée à Doulevant-le-Château (entre Joinville et Bar-sur-Aube) le confortent de se diriger vers Paris et de défendre sa capitale. Il apprend par un message de La Valette – directeur des Postes et aussi du Cabinet noir (bureau de la censure) – les menées des partisans de l’étranger… La présence de l’empereur est nécessaire s’il veut empêcher que sa capitale soit livrée à l’ennemi… Il traverse l’Aube à Dolancourt puis arrive à Troyes en fin de journée.

Le 30 mars, dès 4 heures du matin il quitte la capitale de la Champagne historique ; à Villeneuve-

l’Archevêque il monte dans un cabriolet d’osier – pour aller plus vite - déjeune rapidement à l’hôtel de l’Ecu à Sens et atteint Juvisy à 23 heures, il est accompagné seulement de quelques fidèles (Caulaincourt, Flahaut, Drouot, Gourgaud, Lefebvre…).

Le 29 mars tôt dans la matinée, l‘impératrice et le roi de Rome quittent Paris pour Rambouillet (leur destination finale est Blois) sur l’injonction du conseil de régence (qui a eu lieu la veille au soir) influencé par Joseph… qui suit les ordres de Napoléon (il brandit une lettre de celui-ci en date du 16 mars).

Au matin du 30 mars l’attaque des coalisés pour atteindre Paris commence : Blücher déboule sur Saint-Denis, Schwarzenberg sur Bondy et Neuilly-sur-Marne. Après une journée de combat héroïque dans la banlieue et les faubourgs, les 40 mille défenseurs de la capitale « plient » devant les 110 mille soldats de la coalition. La capitulation de Paris est signée vers les 2 heures du matin le 31 mars pour éviter une bataille de rue.

Napoléon apprend l’irrémédiable quelques heures après son arrivée à Juvisy. Désespéré, remonté et

s’estimant trahi il accepte de s’installer au château de Fontainebleau où il va occuper les petits appartements du premier étage. Après son abdication sans condition – qu’il est obligé de signer après la défection de Marmont et de la passivité de ses maréchaux - il réunit sa vieille garde dans la cour du château le 20 avril et à la suite d’adieux remplis d’émotion il part après avoir embrassé l’aigle du régiment, symbole de son règne et prononcé les fameuses paroles… Je vous ai toujours connus sur les chemins de l’honneur… je voudrais tous vous serrer sur mon cœur.

Le 28 il embarque pour l’île d’Elbe sur un bateau anglais qui mouillait à Fréjus… port qu’il avait abordé quinze ans auparavant en provenance d’Egypte !

Le congrès de Châtillon Il s’agit de Châtillon sur les berges de la Seine, à 40 km environ de sa source, gros bourg aux confins de

la Bourgogne et de la Champagne. Ce congrès, réunissant la « fine fleur » de la diplomatie européenne soit les représentants des coalisés

en face de Caulaincourt, seul représentant de l’empereur, était un leurre imaginé par les alliés pour gagner du temps33. Cette assemblée d’hypocrites - puisque aucun participant ne désire mettre fin au conflit – se déroule du 5 février au 19 mars sans résultat notable… pour la paix34 ; par contre elle permit aux puissances belligérantes (Russie, Autriche, Prusse) de se partager un subside annuel de 150 millions de francs offert par nos amis anglais afin de les obliger à poursuivre la guerre ensemble jusqu’à l’abdication de Napoléon pour mettre un terme à l’hégémonie de la France sur l’Europe.

Les conséquences de la guerre ou le malheureux temps du passage des troupes…

33

Thierry Lentz 34

On demandait à Napoléon un retour aux frontières de 1792…

11

…c’est une vilaine chose que la guerre surtout quand on la fait avec 50 000 cosaques… propos attribué au prince de Metternich.

La belle terre champenoise, humide ou crayeuse, a été une zone de guerre pendant les premiers mois de l’année 1814. Lieu de nombreuses batailles, elle a été foulée par la soldatesque plus ou moins livrée à elle-même, fantassins ou cavaliers et traversée par des convois de blessés et prisonniers. 200 à 300 mille soldats y ont bivouaqué pendant près de 3 mois. Pensons à la détresse de sa population qui a subi les ravages de cette époque sordide. Non seulement elle ne mangeait pas à sa faim mais était obligée de se soumettre aux réquisitions des intendants des armées pour fournir vêtements et nourriture aux soldats et fourrage aux chevaux. Parfois les habitants se devaient de fournir gîte et couverts aux officiers.

La plupart des réquisitions que nous connaissons aujourd’hui (entreposées aux archives des départements) sont inimaginables et impensables à notre époque : le gouverneur prussien de la zone occupée a exigé, le 11 février, de tout le département de l’Aube la fourniture de 12 000 quintaux de farine ordinaire, 6 000 quintaux de farine fine, 3 000 quintaux de riz, 400 quintaux de sel, 3 000 pièces d’eau de vie, 70 000 mesures d’avoine, 18 000 quintaux de fin et 1 000 pièces de bœufs. Ce même gouverneur, le prince de Hohenlohe, avait demandé quelques jours auparavant à la ville de Troyes de lui fournir, 20 000 aunes de draps, 50 000 aunes de toiles, 18 000 paires de souliers, 8 000 chemises, 1 000 cuirs pour ressemelage, 10 000 fers à cheval, 100 000 clous pour ferrer les chevaux et – pour agrémenter le tout, du moins je le suppose – 5 000 francs !

A ces réquisitions officielles il faut ajouter celles qui l’étaient moins, c'est-à-dire celles de certains officiers qui s’arrogeaient le droit d’en rédiger : nombre de beaux logis en ville et de belles maisons à la campagne furent occupés pour le logement d’officiers qui ensuite les saccagèrent ! Beaucoup d’abus aussi eurent lieu dans de petits villages comme la demande, à 3 bourgs proches les uns des autres, d’amener 10 belles vaches au plus tôt !

…A mesure que les coalisés pénétrèrent plus avant dans le pays et surtout à leurs premiers revers, ils marchèrent avec le pillage, le viol et l’incendie. Je croyais, dit un jour le général York à ses officiers, avoir l’honneur de commander un corps d’armée prussien ; je ne commande qu’une bande de brigands… d’après Henri Houssaye. En réalité l’attitude des officiers est ambiguë car selon des témoins oculaires certains regardaient le pillage comme une dette qu’ils acquittaient à leurs troupes.

L’ampleur des réquisitions, les nombreuses exactions et dévastations accompagnées bien souvent d’incendies (plus de 200 villes et villages furent mis à sac) ont épuisé la Champagne mais ont fait réagir la population qui, peu à peu, s’est rebellée …l’exaspération des habitants est telle qu’ils ont égorgé un grand nombre de soldats isolés… (Lettre de Caulaincourt à Napoléon).

Ce sont des manifestations isolées et sans aucune organisation. Les paysans armés de leur fourche ou de leur fusil de chasse – ou des fusils des morts qu’ils ramassent sur les champs de bataille – s’attaquent aux pillards ou aux groupes de soldats à la traine.

Près de Piney, dans une ferme, on accueillait les Cosaques sans rechigner et on leur offrait force rasades d’eau de vie ; lorsqu’ils somnolaient, le fermiers et ses fils aidés par leurs valets les fusillaient allègrement ; longtemps la ferme a été désignée et connue comme « le tombeau des cosaques » !

Près de Montargis un curé d’un petit village s’est découvert des dons de chef de bande ; accompagné de quelques hommes il dressait des embuscades et donnait l’exemple en tirant toujours le premier.

Près d’Essoyes une veuve a accueilli 60 cosaques dans sa maison, les enivre et la nuit venue, avec l’aide de ses domestiques, mit le feu à sa propre demeure dans laquelle elle avait laissé dormir les soldats.

Se reposer dans une grange n’était pas toujours un bon choix pour Prussiens ou Cosaques isolés, un grand nombre ont été enfourchés et éventrés dans leur sommeil par les paysans. Ceux qui ont voulu piller les boucheries ont été « saignés » sans vergogne et avec soin par les bouchers cachés au bas de l’escalier de leur cave.

Des groupes de paysans – la plupart avaient « perdu » leur ferme dévastée – combattaient en francs-tireurs à côté des troupes régulières. D’autres encore ont délivré des prisonniers français sur la route de Chaumont à Langres.

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Ces attitudes d’autodéfense – et de rage - s’expliquent par les sévices des troupes étrangères et par la violence et l’inhumanité des Cosaques et Prussiens d’autant plus que les proclamations alliées du début de la guerre se voulaient rassurantes pour la population.

Difficile d’établir un bilan de cette catastrophique et épouvantable guerre - mais elles le sont toutes - de 1814 ! Cependant, dans le seul département de l’Aube les historiens s’accordent à estimer qu’un huitième de la population auboise aura disparu durant ces temps soit 30 mille personnes sur une population de 240 mille35. Dans la Champagne entière 5 300 maisons auraient été incendiées, il n’y a presque plus de bétail, une grande partie de la terre ne peut plus être cultivée faute de semences et de chevaux (les récoltes de 1814 sont insignifiantes). En plus les années 1815 et 1816 (cette dernière est passée à la postérité sous le nom d’année sans soleil) n’ont pas été favorables à l’agriculture par la fréquence de pluies torrentielles. Les industries locales ont souffert également car les manufactures sont en partie détruites.

Les risques sanitaires sont importants car les cours d’eau transportent des cadavres ceux qui n’ont pas été jetés dans les puits dont l’eau devient malsaine. Les morts - comme les carcasses de chevaux - sont restés longtemps au bord des routes et chemins avant d’être enterrés et quand ils l’ont été ce n’était pas à une profondeur convenable pour empêcher toute infection due aux miasmes que dégagent ces « semblants » de sépultures.

Rien ne vaut des témoignages pour évaluer les drames humains. D’après le juge de paix de Méry-sur-Seine …Nous ne pouvons pas faire reconstruire nos maisons

puisque étant tous maltraités, nous ne pouvons pas nous entraider. Nous ne trouvons pas à emprunter parce qu’on nous sait ruinés. Nous ne pouvons vendre nos propriétés puisque personne n’a les moyens de les acheter…

Ou encore …Le cultivateur est sans chevaux, sans bestiaux, sans instruments aratoires, l’homme de peine est sans travail, les manufacturiers sont sans métier, les artisans sont sans outils…

Selon le maire de Troyes …Il n’y a pas une commune, pas une maison, pas une écurie ou grange qui n’ait été encombrée de soldats et chevaux qui, pendant leur long séjour ont occasionnés une quantité prodigieuse de fumier, de boues et d’immondices que, pour leur malheur, les habitants négligent d’enlever et de transporter au loin. Depuis plus de deux mois, une épizootie terrible exerce ses ravages parmi les bestiaux… Ainsi les aliments, l’air, l’eau, par leur extrême insalubrité concourent également à produire les maladies qui entrainent au tombeau une immensité d’habitants…

Conclusion Cet avant-dernier épisode de la période révolutionnaire (1789-1815)36 est néfaste pour la Champagne

qui a été pendant 3 mois le lieu d’une guerre atroce. Les désastres humains et matériels sont innombrables. Le gouvernement de Louis XVIII accordera des aides financières qui permettront à la région de se reconstruire peu à peu.

A St Hélène Napoléon fera un legs à la commune de Brienne – pour des raisons personnelles que nous devinons - et à celle de Méry-sur-Seine qui a subi des dégâts particulièrement importants (300 maisons détruites) qui sera honoré par son neveu Napoléon III… Personne ne dit ce qu’ont fait les Briennois et les Méryciens entre temps !

Sources Bonaparte de Patrice Gueniffey Joseph Bonaparte de Thierry Lentz 1814, la campagne de France de Henri Houssaye La Vie en Champagne (Revue publiée par l’association Champagne Historique à Troyes)

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Cité par Richard Marty dans son article sur La Vie en Champagne 36

Le dernier sera les Cent Jours en 1815

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Numéro spécial Napoléon et la Champagne, articles de Gildas Bernard, d’Adeline Noailly, de Guy Godlewski, de Georges Clause, de Christian Lambart et d’André Ganière

Numéro 84, La campagne de France dans l’Aube de Richard Marty

Plan récupéré sur www.napoleon-empire.net