NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de...

18
Sociologie de l’habitat en France François MADORE Séminaire LEROY MERLIN NANTES 13 janvier 2005

Transcript of NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de...

Page 1: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

Sociologie de l’habitat en France François MADORE

Séminaire LEROY MERLIN

NANTES 13 janvier 2005

Page 2: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 2

L’objectif de la conférence est de montrer comment, au­delà de quelques évolutions générales qui remodèlent la façon d’habiter, ce qui se traduit entre autres par une exigence accrue de confort et de surface au sein des résidences principales, la sociologie de l’habitat en France est commandée par deux grandes tendances :

Ø La première, qui s’est épanouie au cours de la seconde moitié du XX e siècle, est marquée par le développement d’un modèle résidentiel promotionnel ou ascendant, fondé sur l’accession à la propriété, plus particulièrement en maison individuelle.

Ø La seconde est caractérisée par un mouvement de diversification des structures sociodémographiques depuis les années soixante, ce qui se traduit par une demande accrue pour le logement locatif, l’habitat collectif et une localisation urbaine centrale ou péricentrale.

Page 3: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 3

NOTE MÉTHODOLOGIQUE

Cette note méthodologique précise à la fois les sources utilisées et les principaux termes techniques employés au cours de cette conférence. Lorsque un terme défini dans cet encadré apparaît pour la première fois dans le texte, il est repéré à l’aide d’un *. Toutes les définitions données sont celles retenues par l’Insee.

Les sources Les données utilisées sont, pour l’essentiel, issues de l’Insee, en particulier de l’enquête logement. Celle­ci est réalisée tous les quatre à cinq ans depuis 1955. Elle est considérée comme le socle du dispositif statistique sur le logement en France. La dernière enquête date de 2002 (L’échantillon porte sur 45 000 logements), les sept précédentes datant de 1970, 1973, 1978, 1984, 1988, 1992 et 1996. Les autres sources utilisées en provenance de l’Insee sont le recensement de la population, l’état civil et l’enquête emploi.

Les principales définitions portant sur le logement Logement : local séparé et indépendant utilisé pour l’habitation. Logement individuel ou maison individuelle : construction qui ne comprend qu’un logement. Logement collectif ou appar tement : construction qui comprend au moins deux logements. Logement neuf : logement achevé au cours des quatre années civiles précédent l’enquête logement de l’Insee. Pour l’enquête 2002, sont donc considérés comme neufs les logements achevés au cours des années 1988 à 2001 inclus. Logement ancien : logement achevé depuis plus de quatre ans par rapport à la date de l’enquête logement de l’Insee. Pour l’enquête 2002, sont donc considérés comme anciens les logements achevés avant 1988. Résidence pr incipale : logement occupé de façon permanente et à titre principal par le ménage. Il y a ainsi une identité entre le nombre de résidences principales et le nombre de ménages. Accédant : ménage propriétaire de sa résidence principale à qui il reste, à la date de l’enquête logement de l’Insee, des prêts relatifs à l’acquisition de ce logement à rembourser. Non accédants : ménage propriétaire de sa résidence principale qui n’a pas, à la date de l’enquête logement de l’Insee, des prêts relatifs à l’acquisition de ce logement à rembourser. Acquéreur r écent : ménage ayant acheté sa résidence principale au cours des quatre années civiles précédent l’enquête logement de l’Insee. Pour l’enquête 2002, sont donc considérés comme acquéreurs récents les ménages ayant acquis leur logement au cours des années 1988 à 2001 inclus.

Les principales définitions portant sur les ménages Ménage : au sens statistique, un ménage est défini comme l’ensemble des occupants d’une résidence principale, qu’ils aient ou non des liens de parenté. Le nombre de ménages est alors équivalent à celui des résidences principales. Un ménage peut ne comprendre qu’une seule personne. Ne font pas partie des ménages les personnes vivant dans des habitations mobiles (y compris les mariniers et les sans­abri) et la population des communautés (foyers de travailleurs, maisons de retraite, résidences universitaires, maisons de détention...). Couple : ménage constitué de deux personnes de sexe différent, cohabitant dans un même logement, mariées ou non. Famille : partie d’un ménage comprenant au moins deux personnes et constitué soit d’un couple avec ou sans enfants, soit d’un adulte avec un ou plusieurs enfants. Dans une famille, l’enfant doit être célibataire (lui­même sans enfant). Famille monoparentale : ménage comprenant un parent isolé et un ou plusieurs enfants célibataires (n’ayant pas d’enfant), quel que soit l’âge du ou des enfants (avant 1990, seuls les enfants âgés de moins de 25 ans étaient comptabilisés).

Les principales définitions portant sur les zonages statistiques Unité urbaine : agglomération de population définie comme un ensemble d’habitations comprenant au moins 2 000 habitants et où aucune habitation ne doit être séparée de la plus proche de plus de 200 mètres. Aire urbaine : ensemble de communes d’un seul tenant et sans enclave, constitué d’un pôle urbain et d’une couronne périurbaine. Pôle urbain : unité urbaine offrant au moins 5 000 emplois et qui n’est pas située dans la couronne périurbaine d’un autre pôle urbain. Couronne pér iurbaine : ensemble de communes rurales ou d’unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui­ci. Communes pér iurbaines : ensemble comprenant les couronnes périurbaines et les communes multipolarisées. Communes multipolar isées : ensemble comprenant les communes rurales et les unités urbaines situées hors des aires urbaines, dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans plusieurs aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec une seule d’entre elles, et qui forment avec elles un ensemble d’un seul tenant.

Page 4: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 4

Introduction : une exigence accrue de confor t et de surface

La proportion du parc de résidences principales* disposant de tout le confort, c’est­à­dire possédant à la fois un WC intérieur, une douche ou baignoire et un chauffage central selon la définition retenue par l’Insee, s’est considérablement accrue en France au cours des trois dernières décennies du XX e siècle, passant d’un tiers seulement en 1970 aux neuf dixièmes en 2002. En réalité, c’est souvent le troisième élément (le chauffage central) qui est absent, car l’enquête logement de 2002 montre qu’une proportion désormais infime (2,5 %) des résidences principales est dépourvue du minimum de confort sanitaire, c’est­à­dire de WC intérieurs et d’au moins une douche ou une baignoire.

Cette banalisation du confort s’explique doublement : d’une part, c’est le minimum exigé depuis plusieurs décennies pour toutes les constructions ; d’autre part, un gros effort de réhabilitation voire de rénovation a été réalisé pour généraliser ce confort. Or, la notion de confort est beaucoup plus large, car si l’on veut apprécier la qualité intrinsèque d’un logement*, on doit prendre en compte bien d’autres indicateurs, comme l’isolation phonique, thermique ou encore la disposition et l’orientation des pièces.

Ainsi, l’enquête logement de 2002 montre que désormais le bruit est, en termes de perception de la qualité de l’habitat, la source majeure d’insatisfaction des Français. Un ménage* sur trois se plaint du bruit le jour et un sur cinq la nuit. La source de bruit la plus souvent incriminée est liée à la circulation, mais les habitants des collectifs* font aussi souvent référence au bruit en provenance des logements voisins et des parties communes de l’immeuble. De fait, la proportion de ménages se plaignant du bruit est approximativement le double parmi ceux qui résident en logement collectif.

Parallèlement à cette progression du confor t des résidences principales, leur taille moyenne, appréciée à partir de la surface habitable, a beaucoup progressé ces trois décennies en France, passant de 68 m2 en 1970 à 90 m2 en 2002. Or, comme dans le même temps, la taille moyenne des ménages a diminué de 3,1 personnes à 2,4, la surface moyenne par personne a nettement progressé, de 22 m2 à 37 m2 : chaque individu du ménage a donc gagné 15 m2 d’espace habitable en trente ans.

Bien évidemment, cette moyenne cache une profonde disparité entre les maisons individuelles*, nettement plus spacieuses, et les appartements* :

Ø 108 m2 et 4,8 pièces en moyenne pour les premières, contre 65 m2 et 3 pièces pour les seconds en 2002.

Ø De ce fait, la surface moyenne par personne est de 41 m2 pour les maisons individuelles, contre 31 m2 pour les appartements.

Aussi, l’augmentation de la taille des résidences principales depuis 1970 s’explique pour partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49 % en 1970.

Page 5: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 5

L’accession à la propr iété ou le concept de modèle résidentiel promotionnel

1. Le développement de la propr iété d’occupation du logement

• Plus d’un ménage sur deux est désormais pr opr iétaire de sa résidence pr incipale

Le taux de propriétaires occupants a progressé en France des années cinquante à la décennie quatre­vingt, passant de 35 % en 1955 à 45 % en 1970 et 54 % en 1988. Puis, pendant une décennie environ, ce taux a stagné à 54 % (1988­1996), avant d’augmenter de nouveau entre 1998­2002, puisque 56 % des ménages sont propriétaires en 2002 de leur résidence principale.

Depuis 1970, si le taux de propriétaires occupants a gagné onze points (45 % à 56 %), la proportion de locataires d’un local loué vide n’a reculé que de deux points seulement (40 % à 38 %). De fait, c’est surtout la part de ménages ayant un autre statut qui a fortement régressé, perdant neuf points (15 % à 6 %). Les logés gratuitement ne représentent désormais plus que 4 % du total, contre 11 % en 1970, et les « autres » 2 % contre 4 %.

• Des conditions d’accession transformées par l’essor du crédit immobilier et les politiques de solvabilisation

Si l’accession à la propriété a connu un tel essor ces cinquante dernières années en France, c’est pour partie le résultat des transformations des conditions de l’offre de financement. Deux faits méritent d’être soulignés.

D’une part, le développement de la propriété d’occupation de la résidence principale en France n’a été rendu possible que grâce à l’essor du crédit immobilier. Ce recours à l’emprunt a complètement modifié à la fois les modalités et le calendrier d’acquisition du logement : l’héritage est en très net recul et l’âge auquel la moitié de la génération devient propriétaire a fortement diminué, passant de 56 ans pour la génération 1908 à 34 ans pour la génération 1952, soit un abaissement de 22 ans (Laferrère, 1999).

D’autre part, le développement important de la propriété d’occupation de la résidence principale en France a été encouragé par la mise en place de politiques publiques de solvabilisation de la demande, dont les deux figures emblématiques ont été l’instauration en 1977 du Prêt aidé à l’accession à la propriété (PAP) couplé à l’Aide personnalisée au logement (APL), puis la mise en place le 1 er octobre 1995 du Prêt à taux zéro (PTZ). De 1977 à 1995, environ 1,5 million de ménages ont pu accéder à la propriété grâce à un prêt PAP et environ 950 000 ménages ont bénéficié à ce jour d’un prêt à taux zéro.

Page 6: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 6

2. La démarche d’accession des ménages : une réalité aux multiples facettes

• Accession à la pr opr iété, cycle de vie et cycle matr imonial : plutôt un choix de couple mar ié avec enfant(s)

En première instance, toutes les études montrent que le désir d’accession à la propriété est fortement corrélé au cycle familial des ménages, par un processus conjoint d’adaptation de la taille du logement et de la famille*. En clair, l’accession traduit le souhait de posséder un plus grand logement, que l’on trouve essentiellement sur le marché de l’accession, lorsque la famille s’agrandit. Ainsi, le passage du statut de locataire à celui de propr iétaire est plus souvent un projet de couple* que de personne seule, et de couple avec enfant(s) que sans enfant :

Ø Selon l’enquête logement de 2002, les couples sont majoritairement propriétaires de leur résidence principale, à hauteur de 70 % pour les couples sans enfant et de 62 % pour les couples avec enfant(s). Les premiers, étant plus âgés que les seconds, sont essentiellement des non accédants, tandis que les couples avec enfant(s) sont surtout accédants.

Ø À l’inverse, seule une minorité de personnes seules et de familles monoparentales* est propriétaire de sa résidence principale, à hauteur des quatre dixièmes pour les premières et du tiers pour les secondes.

Par ailleurs, l’accession est corrélée également au cycle matrimonial des ménages, le développement de la propriété d’occupation du logement renvoyant à un type de ménage dominant, celui du couple marié avec enfant(s). Cette double influence du cycle familial et matrimonial se lit très bien lorsque l’on observe le statut d’occupation des couples âgés de 30 à 39 ans en France (enquête logement 1996) : la proportion de propriétaires double entre les couples composés de deux célibataires et sans enfant (30 %) et les couples mariés avec enfant(s) (58 %).

• Accession à la pr opr iété et amélioration du statut socioprofessionnel

En second lieu, cette volonté d’accéder à la propriété s’inscrit dans un contexte d’amélioration générale du niveau de vie des ménages. Ainsi, la progression beaucoup plus rapide, depuis les années soixante, des catégories moyennes et supérieures que des couches modestes au sein de la société française a été un puissant vecteur de développement de la propriété d’occupation du logement :

Ø En 1962, les catégories modestes (employés et ouvriers) étaient 2,3 fois plus nombreuses que les catégories moyennes et supérieures (artisans, commerçants, chefs d’entreprise, cadres et professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires), avec respectivement 11,1 millions contre 4,9. Or, en 1999, ce rapport n’est plus que de 1,4 (14,9 millions contre 10,7), car la progression des secondes a été 3,5 fois plus rapide : + 118 % contre + 34 %.

Page 7: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 7

Ø Certes, la part des employés et des ouvriers dans la population active française est relativement stable (58 % des actifs en 1962 et encore 57 % en 1999), l’évolution divergente des ouvriers (en baisse) et des employés (en hausse) se compensant. Mais, dans le même temps, la proportion de catégories moyennes et supérieures a fortement augmenté, passant de 27 % à 41 %, l’amenuisement des agriculteurs exploitants ayant profité exclusivement à ces catégories.

Cette progression plus rapide des catégories moyennes et supérieures que des couches modestes au sein de la société française, combinée au développement important de l’activité féminine et donc des couples biactifs (le taux d’activité féminine des 20­59 ans est passé de 45 % en 1962 à 74 % en 1999), a accru considérablement la capacité d’autonomie économique des ménages, donc leur possibilité d’épargne et d’investissement. Or, l’enquête logement de l’Insee montre bien que le revenu joue un rôle discriminant dans l’accès à la propriété, le taux de propriétaire occupant augmentant régulièrement avec le niveau de vie du ménage. En 2002, il passe de 29 % pour les ménages qui appartiennent au premier décile, c’est­à­dire pour les 10 % de ménages dont le revenu annuel total par unité de consommation est le plus faible, à 75 % pour les ménages appartenant au dernier décile.

Les ménages ont donc développé des trajectoires résidentielles ascendantes en faisant correspondre à l’amélioration de leur statut socioprofessionnel une forme d’habitat plus valorisée. Ce parcours résidentiel dit ascendant renvoie au statut valorisant, tant socialement que symboliquement, de la propriété d’occupation d’un logement.

• Autres dimensions de l’accession : for te prédisposition des non salar iés à accéder et lignées familiales de propr iétaires

Même si le schéma résidentiel promotionnel est fortement lié au statut social, plusieurs études mettent néanmoins en garde contre un raisonnement strictement économique. Yvonne Bernard (1995) souligne combien « il serait regrettable de se limiter à traiter l’acquisition d’un logement en termes de marché relié à des intérêts financiers. Les facteurs psychologiques interviennent pour une part importante dans les motivations des propriétaires occupants. Devenir propriétaire signifie d’abord stabilité et sécurité […] Le désir de propriété est également associé au besoin de perpétuation ». Deux exemples font ressortir quelques­unes des caractéristiques du statut d’occupation du logement non directement corrélées au niveau de vie des ménages.

D’une part, les non­salariés semblent fortement attachés à la propriété d’occupation de la résidence principale. En 2002, deux catégories socioprofessionnelles se distinguent par l’importance de la proportion de propriétaire occupant : les agriculteurs, à hauteur des trois quarts (77 %), et les artisans, commerçants, chefs d’entreprise et professions libérales, à hauteur d’un peu plus des deux tiers (69 %). Ainsi, la possession de l’outil de travail ou l’indépendance dans l’exercice de la profession semble aller de pair avec une forte volonté d’être propriétaire de sa résidence principale. Cette association révèle sans doute une sorte de prédisposition socioculturelle à accumuler un patrimoine, gage de sécurité pour des populations dont le revenu n’est jamais garanti, et la retraite encore moins.

Page 8: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 8

D’autre part, la reproduction intergénérationnelle semble avoir une certaine influence sur le statut d’occupation de la résidence principale. Paul Cuturello (1990) l’a bien montré, en étudiant une génération (les 39 ans) de propriétaires et de locataires de la région Provence­ Alpes­Côtes­d’Azur. Ainsi, « quand on est fils ou fille de parents propriétaires, on a deux chances sur trois d’être soi­même propriétaire de sa résidence principale », alors que « quand on est fils ou fille de locataire on a une chance sur deux d’être soi­même locataire ». Par ailleurs, en tenant compte des effets d’alliance au sein du couple, l’héritage familial perdure, révélant ainsi la concentration des alliances « entre soi » des familles de propriétaires. Les ménages ont donc tendance à reproduire leur statut résidentiel d’origine et en particulier le statut de propriétaire, indépendamment de leur niveau de vie.

3. L’accession à la propr iété : plutôt une maison individuelle, de plus en plus souvent ancienne

• Le rêve de l’accession à la pr opr iété en maison individuelle

Pour les Français, l’accession à la propriété s’envisage essentiellement dans le cadre d’une maison. Ainsi, entre 1998­2001 inclus, parmi les acquéreurs récents* de leur résidence principale, c’est­à­dire les ménages ayant acheté leur résidence au cours des quatre années civiles précédent l’enquête, la proportion d’acquéreurs en maison individuelle s’élève aux trois quarts (73 % exactement), alors que ce type d’habitat ne représente que 57 % du total des résidences principales en 2002.

Sans surprise, tous les sondages réalisés en France depuis plusieurs décennies montrent invariablement la préférence des Français pour la maison individuelle en accession. L’un des derniers en date, réalisé par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) pour le compte de l’Union nationale des constructeurs de maisons individuelles (Uncmi) en 2004, auprès de 1 000 personnes, souligne cette double préférence des Français pour le pavillon et l’accession : 82 % des personnes interrogées souhaitent résider dans une maison et les trois quarts considèrent que la propriété d’occupation d’un pavillon est la solution idéale en matière de logement.

Les ménages mettent en avant les avantages suivants pour justifier ce plébiscite en faveur de la maison individuelle : un logement « sur mesure », « idéal pour les familles avec des enfants » et offrant un « environnement maîtrisé », c’est­à­dire limitant les problèmes de bruit et les conflits de voisinage. En clair, ces arguments sont les mêmes que ceux qui avaient été mis en évidence par les travaux conduits par l’équipe de sociologues (Raymond et al., 2001­1966 ; Haumont, 2001­1966) qui, au milieu des années soixante, a montré que l’engouement des Français pour le pavillonnaire tenait principalement à sa grande « plasticité » par rapport au collectif, ce qui permet de réaliser des « logements adaptés aux besoins profonds des habitants ».

Page 9: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 9

• Un marché de l’ancien devenu prépondérant

Les Français accèdent de plus en plus à la propriété en achetant un logement ancien*, c’est­à­dire, au sens de l’enquête logement de l’Insee, une résidence principale achevée depuis plus de quatre ans. Entre 1998 et 2001, 75 % des acquéreurs récents se sont tournés vers le marché de l’ancien, alors que cette proportion était encore minoritaire jusqu’en 1984. Au total, entre 1981­1984 et 1998­2001, période au cours de laquelle la part de l’ancien est passée de 47 % à 75 %, le nombre d’acquéreurs récents de leur résidence principale dans le neuf* a reculé d’un tiers (868 000 à 570 000), alors qu’il a plus que doublé dans l’ancien (778 000 à 1 687 000) :

Trois séries de raisons peuvent être avancées pour expliquer cette part de plus en plus prépondérante pour l’accession à la propriété dans un logement ancien :

Ø D’une part, la détente des marchés immobiliers, liée au doublement du parc de logement en un demi­siècle (de 14,4 millions d’unités en 1954 à 28,7 millions en 1999), favorise le passage d’une économie de flux à une économie de stocks dans l’adéquation de l’offre et de la demande.

Ø D’autre part, à cette importance du stock de logements disponibles se surimpose le goût de plus en plus prononcé des Français pour l’ancien, symbole d’une montée en puissance de la dimension patrimoniale dans la société.

Ø Enfin, la place désormais prédominante des financements libres dans l’économie du logement facilite une acquisition dans l’ancien, alors que dans un souci de concilier efficacité économique et objectif social, l’aide à la pierre est réservée essentiellement au logement neuf (cela est amené à évoluer dès 2005 avec l’ouverture du PTZ à l’acquisition dans l’ancien sans obligation de travaux).

• Le système de valeurs idéologiques opposant le pavillon en accession et le collectif en location

Deux systèmes de représentation et de valeurs, le premier associant la maison individuelle et la propriété, le second liant l’habitat collectif et la location, s’opposent depuis la seconde moitié du XIX e siècle (Dezès, 2001­1966).

La thèse favorable à l’accession et au pavillon est une émanation de l’idéologie patronale et bourgeoise du XIX e siècle. Elle est le fruit de la rencontre entre la peur des désordres sociopolitiques résultant de l’émergence des concentrations ouvrières nées en milieu urbain avec la révolution industrielle et d’une réaction paternaliste visant à favoriser l’intégration sociale des ouvriers afin de conjurer cette crainte :

Ø De cette conjonction, s’est progressivement développé un « modèle pavillonnaire de réforme sociale », consistant « à donner à une classe ouvrière urbaine dépensière et imprévoyante (selon les témoignages des observateurs sociaux de la seconde moitié du XIX e siècle) le goût paysan de l’épargne et de l’acquisition, le réflexe quasi capitaliste de la recherche d’un investissement lucratif » (Dezès, 2001­1966).

Page 10: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 10

Ø En ce sens, la propriété d’une maison individuelle est considérée comme un élément de stabilisation des familles, un vecteur d’intégration dans la vie économique et sociale de la nation, un « moyen idéal de contrôle social et de préservation de l’ordre social » (Allain, 1992).

La thèse favorable à l’habitat collectif et au locatif est également issue du XIX e siècle. Elle s’est développée en opposition à la promotion d’une idéologie prônant à la fois l’essor du pavillonnaire et de la propriété. La critique de l’idéologie pavillonnaire part du postulat que le pavillon et la propriété ne seraient que des subterfuges utilisés par les classes dirigeantes pour asservir encore plus les ouvriers, en substituant ainsi à la menace révolutionnaire les vertus d’un système qui intègre selon une stratification verticale. Selon Friedrich Engels, qui fut sans doute l’un des premiers pourfendeurs de l’idéologie pavillonnaire, « ce n’est pas la solution de la question du logement qui résout la question sociale, mais bien la solution de la question sociale, c’est­à­dire l’abolition du mode de production capitaliste, qui rendra possible celle de la question du logement » (1957­1872).

4. Les effets ségrégatifs générés par l’accession à la propriété

• Le rôle de la contrainte foncière et la dynamique de pér iurbanisation

Ce sont les espaces urbains périphériques qui, pour l’essentiel, ont été le support de cette dynamique d’accession à la propriété en maisons individuelles, qui s’est exprimée avec force dans la société française au cours de ces dernières décennies. De fait, le dynamisme démographique des aires urbaines est moins le fait, depuis 1975, des pôles urbains*, dont la progression est faible, que des communes périurbaines*, qui enregistrent une forte augmentation de leur population, bien que ralentie depuis 1982 :

Ø En se référant à la définition des aires urbaines françaises en 1990, le taux d’évolution annuel des pôles urbains est divisé par neuf entre 1962­1968 et 1975­ 1982 (+ 1,89 % à + 0,21 %). Dans le même temps, ce taux est multiplié par 4,3 (+ 0,56 % à + 2,39 %) pour les communes périurbaines.

Ø La hiérarchie des taux s’est donc complètement inversée en peu de temps. Dans les années soixante, la population des pôles urbains augmentait 3,4 fois plus vite que celle des couronnes périurbaines. Entre 1975 et 1982, la croissance démographique est au contraire 11,4 fois plus élevée dans le second espace.

Ø Depuis 1982, les pôles urbains continuent à croître lentement, tandis que la dynamique de périurbanisation se ralentit. Toutefois, les communes périurbaines continuent à progresser trois fois et demie plus vite que les pôles urbains.

Parallèlement à cette déconcentration des lieux de résidence à l’échelle des aires urbaines, « la périurbanisation de l’emploi est moins prononcée » (Lainé, 2000). De fait, comme la plupart des périurbains gardent leur emploi en ville, les migrations alternantes ou pendulaires augmentent fortement depuis une quinzaine d’années. En 1999, les migrants alternants représentent 60,9 % des actifs occupés en France, alors qu’ils n’étaient que 46,1 % en 1982. Les actifs des communes périurbaines sont les plus mobiles (77,9 %), contre 56,4 % pour ceux qui résident dans un pôle urbain.

Page 11: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 11

Bien évidemment, cette dissociation croissante entre la résidence et l’emploi n’a été rendue possible que par la généralisation de l’usage de l’automobile.

• L’accession des catégor ies modestes, puissant moteur d’étalement ur bain

Pour nombre de ménages modestes désireux d’accéder à la propriété d’une maison individuelle, la seule alternative réaliste, compte tenu des coûts du foncier en milieu urbain, a été de s’éloigner de la ville pour faire construire. De fait, la politique de solvabilisation de la demande en accession menée par les pouvoirs publics, en rencontrant le désir de posséder un pavillon chez les Français, a non seulement puissamment contribué à l’étalement périurbain mais également au renforcement de la division démographique et sociale des aires urbaines.

En effet, ce sont à la fois les couples avec enfants et les individus insérés professionnellement (les « in »), mais plutôt représentatifs des couches moyennes ou modestes, qui inscrivent de préférence leur cursus résidentiel aux marges des villes. L’exemple de l’aire urbaine* de Nantes est très éclairant pour illustrer les effets ségrégatifs de l’étalement périurbain. Une typologie des communes ou parties de communes, tenant compte du poids respectif dans la population des différentes catégories socioprofessionnelles, a ainsi été réalisée, à partir des données du recensement de 1999. Elle montre que plus on s’éloigne du pôle urbain et plus le profil des communes devient populaire.

La diversification des structures sociodémographiques et ses conséquences sur la demande en logement

1. Une moindre progression de la propriété d’occupation du logement depuis 1988 : le tassement du nombre d’accédants

Une rupture dans le rythme de progression de la propriété d’occupation du logement est intervenue en France à partir de la fin des années quatre­vingt :

Ø Entre 1970 et 1988, le nombre de propriétaires a augmenté annuellement de + 2,5 %, contre une croissance limitée à + 1 % seulement pour les locataires. Autrement dit, pendant les années soixante­dix et les trois premiers quarts de la décennie quatre­vingt, la cohorte des propriétaires progressait deux fois et demie plus rapidement que celle des locataires.

Ø À partir de 1989 et jusqu’en 2001, la situation évolue nettement, avec une progression quasiment identique du nombre de propriétaires (+ 1,4 % par an) et de l’effectif des locataires (+ 1,3 %).

Page 12: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 12

Cette diminution quasiment de moitié du rythme d’augmentation des propriétaires à partir de 1989 s’explique par le tassement du nombre d’accédants* :

Ø En effet, si l’effectif des accédants a augmenté de façon exponentielle entre 1970 et 1988, passant de 2,328 millions à 5,557, soit un taux de croissance annuel moyen de + 5 %, depuis cette date le nombre d’accédants a reculé et stagne désormais autour de cinq millions.

Ø Au contraire, depuis 1988, l’effectif des propriétaires non accédants* augmente rapidement (+ 2,8 %), passant de 5,829 millions à 8,581 en 2002, étant donné l’arrivée à terme progressive des prêts contractés par les générations importantes d’accédants qui se sont succédées depuis le début des années soixante­dix.

Cette moindre progression de la propriété occupante en France depuis la fin des années quatre­vingt, du fait du tassement du nombre d’accédants, n’est pas vraiment guidée par un changement de valeur ou de signification des différents statuts d’occupation du logement. En effet, le désir de propriété reste fort, l’accession en maison individuelle étant toujours considérée comme l’un des principaux symboles de promotion sociale, comme le montre l’enquête conduite par le Credoc en 2004.

Toutefois, s’il y a permanence des attributs symboliques et sociaux associés au statut de propriétaire, notamment en pavillon, une conjonction de facteurs a pu favoriser cette baisse de l’accession à la propriété. Autrement dit, si le modèle résidentiel promotionnel reste une référence ou du moins l’horizon résidentiel de nombre de ménages, il est néanmoins confronté à un mouvement de diversification des structures sociodémographiques, qui se traduit par une demande accrue pour le logement locatif, l’habitat collectif et une localisation urbaine centrale ou péricentrale.

2. Les tr ansformations de la structure des ménages : atomisation et fragilisation des couples

• Une vie en couple moins fréquente et plus tar dive au sein des jeunes générations

La taille moyenne des ménages français diminue depuis les années soixante : elle est passée de 3,1 en 1962 à 2,4 en 1999. Cette évolution est la conséquence à la fois de la raréfaction des familles nombreuses et de la for te progression des personnes seules. Leur nombre a plus que doublé entre 1968 (3 198 000) et 1999 (7 376 000) et elles représentent désormais près d’un tiers des ménages (31 % exactement), contre un cinquième en 1968 (20 %).

C’est entre 20 et 35 ans (avec les 75 ans et plus) que la part des personnes seules a le plus augmenté entre 1968 et 1999. Ainsi, selon l’enquête logement de l’Insee, entre 1984 et 1996, la proportion d’hommes et de femmes vivant en couple dans un logement indépendant passe de 60 % à 45 % pour ceux qui sont âgés de 24 à 27 ans. Non seulement la vie en couple est plus tardive, mais elle est également moins fréquente chez les jeunes, comme l’illustre la diminution de la proportion de personnes vivant en couple parmi les trentenaires (de 84 % à 79 % pour les 32­35 ans entre 1984 et 1996).

Page 13: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 13

Cette mise en couple plus tardive et moins fréquente des jeunes générations est liée à des facteurs complexes :

Ø Le départ du domicile familial n’est plus synonyme, comme dans les années soixante, de mise en couple, et encore moins de mariage.

Ø La poursuite de la scolarisation retarde la vie en couple. Selon une étude réalisée en France auprès de femmes nées entre 1963 et 1966, l’âge médian de mise en couple est décalé de 4,2 ans entre celles dont le niveau de diplôme est inférieur au CAP et les diplômées de l’enseignement supérieur (20,2 ans contre 24,4) (Galland, 1995).

Ø Les difficultés d’insertion professionnelle diminuent la probabilité de vivre en couple. Ainsi, à chaque poussée du chômage correspond une montée de l’âge de formation des couples, le phénomène inverse étant observé lors d’une décrue.

Ø Enfin, cette mise en couple plus tardive et moins fréquente chez les jeunes générations renvoie aussi à une volonté d’indépendance et de réussite sociale. Le recensement de 1999 montre ainsi que plus une femme appartient à une catégorie sociale élevée et plus sa probabilité de vivre seule augmente : elle n’est que de 9 % pour les ouvrières mais atteint 21 % pour les cadres.

• Des couples plus fragiles : r uptures d’unions et familles monoparentales

L’augmentation des ruptures d’unions, dont témoigne la progression du nombre de divorces, passé de 36 000 en 1968 à 128 000 en 2002, a également favorisé une hausse des personnes seules, principalement entre 30 et 50 ans. Elle atteste par la même occasion de la fragilisation de la vie en couple, tout en renouvelant la configuration des familles monoparentales et en favorisant l’essor des familles recomposées.

La famille monoparentale n’est pas un fait nouveau dans la société française. En revanche, la nouveauté vient de la place qu’elle occupe et des modalités de sa constitution :

Ø D’une part, les familles monoparentales sont en progression très sensible, bien que celle­ci soit difficile à quantifier, dans la mesure où leur définition a changé au recensement de la population de 1990 (jusqu’en 1982, seuls les ménages ayant des enfants de moins de 25 ans étaient comptabilisés comme familles monoparentales, alors que depuis 1990, cette limite d’âge a disparu). Cependant, quelle que soit la définition retenue, leur progression est rapide, avec un taux d’évolution annuel moyen respectivement de + 2,3 % (1968­1990) et + 2,4 % (1990­1999). De fait, au dernier recensement, leur part dans le total des familles avec enfant(s) s’élève à 20 % .

Ø D’autre part, cette augmentation importante des familles monoparentales résulte principalement de la multiplication des ruptures d’unions, témoignage de la précarisation de la vie de couple. En effet, la majorité des familles monoparentales est issue désormais d’un divorce, alors que jusque dans les années soixante­dix, le veuvage était à l’origine de plus de la moitié de ces familles.

Page 14: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 14

• Un mar iage moins fréquent et plus tardif

Le cadre du mariage, tout en demeurant largement dominant, n’est plus le modèle exclusif de vie à deux. En effet, le nombre de couples non mariés enregistre une croissance exponentielle depuis la fin des années soixante en France, de l’ordre de + 10 % par an en moyenne au cours de la période 1975­1990, et encore + 4 % entre 1990 et 1999. Leur nombre est ainsi passé de 314 000 en 1968 à 2 413 000 en 1999 et ils représentent désormais 18 % des couples, contre 3 % seulement en 1968.

Cette progression des couples non mariés résulte d’une désaffection partielle vis­à­vis du mariage, dont le nombre a chuté de 417 000 en 1972 à 255 000 en 1995, avant de se relever légèrement à partir de 1996, avec approximativement 280 000 unions célébrées annuellement depuis cette date, voire 300 000 en 2000 (280 000 en 2003).

En relation avec le recul du nombre d’unions célébrées, l’âge moyen au premier mariage a beaucoup augmenté depuis le début des années soixante­dix en France, passant pour les hommes de 24,5 ans en 1972 à 30,4 ans en 2002 et pour les femmes de 22,5 ans à 28,3 ans, soit une hausse de 6 ans quasiment dans les deux cas.

Le mariage n’est donc plus considéré comme l’acte fondateur du couple et de la famille, mais consacre plutôt la transformation d’un couple non marié en couple marié. Ainsi, en 1970, dans plus de 80 % des cas, les conjoints débutaient leur vie commune suite au mariage. C’est désormais le cas d’un couple sur dix seulement. Le mariage devient ainsi un moyen institutionnel de régulation de la vie en couple parmi d’autres.

3. Les modifications structurelles du marché du travail

• La difficile inser tion pr ofessionnelle des jeunes pas ou peu qualifiés

Si la population active française a connu une croissance assez soutenue de ses effectifs entre 1962 et 1999, à un rythme de + 0,9 % par an, passant de 19,3 millions à 26,5, le nombre d’emplois offer ts n’a progressé que de + 0,5 % par an seulement, passant de 19,1 millions à 23,1. Ce décalage a donc engendré une vive augmentation du chômage de la décennie soixante-dix au milieu des années quatre-vingt-dix, où le taux de chômage a culminé à plus de 12 % de la population active, avant de repasser sous la barre des 10 % (9,7 % en 2003 selon l’enquête emploi). Le gonflement des statistiques du chômage s’explique donc d’abord par la for te progression démographique de la population active et secondairement par le ralentissement de la croissance économique.

Page 15: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 15

Cependant, le chômage affecte inégalement les individus, touchant plus souvent (enquête emploi 2003) :

Ø Les femmes que les hommes (10,9 % contre 8,7 %). Ø Les jeunes que les plus vieux (16,5 % pour les 15-29 ans, mais moins de 9 % pour

les 30 ans et plus). Ø Les sans qualifications et les peu diplômés, ce qui confirme que le diplôme reste

la meilleure garantie contre le chômage. Ainsi, il est clair que la montée du chômage depuis le milieu des années soixante-dix a surtout affecté les catégories populaires : depuis 1975, si le taux de chômage des cadres a peu évolué, il a quasiment triplé pour les employés et les ouvriers, principales victimes des restructurations de l’appareil productif national.

• La multiplication de l’emploi précaire et la montée des incer titudes

Parallèlement à la progression du chômage, la structure du marché de l’emploi s’est modifiée depuis les années soixante-dix et sur tout quatre-vingt :

Ø L’emploi temporaire (contrat à durée déterminée, intérim, apprentissage et contrats aidés du type CES) s’est multiplié. De 1982 à 2003, selon l’enquête emploi de l’Insee, sur le total des salariés, la proportion de salariés en CDD hors contrats aidés est passée de 1,7 % à 7,5 % et la part des salariés en intérim de 0,7 % à 2,2 %. Ces formes d’emploi temporaire représentent 2,864 millions de salariés en 2003, soit 13,2 % du total des salariés (secteur privé et public).

Ø Parallèlement, le travail à temps par tiel s’est beaucoup développé : il occupe 16,5 % des actifs occupés en 2003, soit 4,024 millions d’individus, contre seulement 4,6 % en 1971. La durée hebdomadaire de travail des salariés à temps partiel est de 23,2 heures contre 38,8 pour ceux qui sont à temps complet. Ce temps partiel concerne essentiellement les femmes, car il est peu répandu chez les hommes : la proportion d’actives ayant un emploi à temps partiel atteint presque le tiers en 2003 (29,9 %), contre un vingtième seulement chez les hommes (5,4 %). Par ailleurs, plus d’un quart (27,5 %) des actifs à temps partiel, soit approximativement 1,1 million, souhaiteraient travailler davantage en 2003. Un récent rapport de l’Assemblée nationale en date du 23 novembre 2004, rédigé par la députée UMP Marie­Jo Zimmermann, présidente de la Délégation aux droits des femmes, dresse un état des lieux du phénomène en France, montrant comment des travailleurs à temps partiel, « majoritairement des femmes, viennent grossir les rangs des travailleurs pauvres ».

Ø Au total, près de quatre millions d’actifs occupés, soit 16,2 % du total, occupent un statut précaire (intér imaires, apprentis, CDD, contrats aidés, stagiaires) ou sont affectés par le sous-emploi (c’est-à-dire aimeraient travailler plus) en 2003.

Toutefois, le taux de chômage et les statistiques por tant sur l’emploi précaire et le sous- emploi ne permettent de rendre compte que par tiellement de la diffusion des processus de précar isation au sein de la société française. Cet embarras à dessiner avec netteté les frontières de l’insécurité sociale est corroboré par de nombreuses analyses :

Page 16: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 16

Ø Ainsi, la publication en 1997 du rapport commandé à Henri Guaino, du Commissariat général au plan, a révélé que sept millions de personnes étaient affectées par les difficultés d’emplois.

Ø Quant à Éric Maurin (2002), il souligne que « la montée des incertitudes n’est pas réservée à une fraction particulière du salariat et que les frontières entre les emplois les plus et les moins exposés sont loin d’être étanches ».

Ø Par ailleurs, le récent rapport que les deux économistes Pierre Cahuc et Francis Kramarz viennent de remettre au gouvernement « pour proposer des solutions concrètes permettant de réduire le chômage et le sous­emploi » révèle que « la France est le pays industrialisé où le sentiment d’insécurité de l’emploi est le plus élevé ».

Ø Enfin, selon une étude de l’Insee, le taux de chômage ne traduit que très imparfaitement l’instabilité des parcours professionnels, puisque dans un quart des ménages, au moins un adulte de 17 à 59 ans a connu le chômage au cours d’une période allant de janvier 1993 à octobre 1994 (Cases, Lagarde, 1996).

Cette segmentation accrue du marché de l’emploi est le fruit conjoint d’une plus grande flexibilité dans l’organisation du travail et des politiques de l’emploi mises en œuvre par les pouvoirs publics, à travers des formules comme les Contrats emploi solidarité, les Contrats de qualification ou les emplois jeunes.

4. Des itinéraires résidentiels plus diver sifiés et moins linéaires, favorables à l’habitat collectif et locatif

Du fait des transformations de la structure des ménages et des modifications structurelles du marché du travail, les itinéraires résidentiels sont devenus plus diversifiés et moins linéaires. Au mouvement de diversification des structures sociodémographiques à l’œuvre au sein de la société française correspond une demande accrue pour le locatif, l’habitat collectif et une localisation urbaine centrale ou péricentrale, puisqu’une proportion grandissante de ménages ne correspond plus au profil type de l’accédant à la propriété. L’existence de cette demande, parallèlement au désir de posséder son pavillon, confirme la forte segmentation du marché immobilier.

D’une par t, le retard dans la formation des couples et dans la constitution d’une descendance, mais aussi la fragilisation de ces couples rendent beaucoup plus incer taine, pour un nombre croissant d’individus, une perspective d’accession à la propr iété en maison individuelle, tandis que pour d’autres ce projet sera différé. N’oublions pas que « plus que les raisons économiques, c’est l’absence de projet familial qui fait obstacle au projet d’accession », comme l’ont souligné Isabelle Bertaux-Wiame et Anne Gotman (1993). Autrement dit, l’acquisition de la résidence principale suit, beaucoup plus qu’elle ne précède la mise en couple et la naissance des enfants.

D’autre part, la précarité croissante du marché du travail et la montée du chômage, qui touche tout particulièrement les jeunes générations mais pas seulement, aussi bien que l’obligation de mobilité de la population active, induisent une plus grande réticence vis­ à­vis de l’investissement à long terme comme l’immobilier. Cette évolution, qui risque de perdurer car structurelle, ne peut que dissuader certains ménages d’accéder à la propriété, en les éloignant du profil type de l’accédant.

Page 17: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 17

Par ailleurs, la question du logement des ménages les plus fragilisés économiquement et socialement se pose avec d’autant plus d’acuité que le « parc locatif social de fait », c’est­à­ dire cette portion dégradée du parc locatif privé qui accueillait traditionnellement les plus bas niveaux de vie, se réduit comme peau de chagrin, avec la dynamique de réhabilitation du parc ancien.

Conclusion

En guise de conclusion, retenons trois idées fortes qui ressortent à l’examen des principales tendances qui guident la sociologie de l’habitat en France :

1. En France, comme dans bien d’autres pays, l’accès à la propriété du logement semble jouer un rôle essentiel dans les stratégies résidentielles des ménages, surtout pour les couples mariés biactifs et avec enfant(s) en bas âge, car non seulement ce parcours permet d’accéder à un logement plus grand, mais il est associé de surcroît à un schéma résidentiel ascendant, conférant à la fois une position sociale valorisante et une certaine sécurité. En lien avec cette prédilection pour l’accession, se dessine le rêve de la maison individuelle, qui recueille la préférence d’une nette majorité de ménages en France.

2. Si les Français envisagent l’accession essentiellement sous l’angle du pavillonnaire, ils se tournent de plus en plus vers un logement d’occasion. Cet essor de la dynamique immobilière dans l’ancien a bien évidemment favorisé l’activité de réhabilitation et d’entretien de l’habitat, qui génère désormais plus de chiffre d’affaires que la construction neuve, car il est fréquent que l’acquisition d’un logement ancien soit l’occasion, pour les nouveaux propriétaires, de réaliser des travaux.

3. Enfin, si le rêve de l’accession à la maison individuelle demeure l’horizon résidentiel de la majorité des Français, le principe de réalité impose à un nombre croissant de ménages de différer la concrétisation de ce projet, étant donné la montée des incertitudes tant dans la sphère professionnelle que dans la vie personnelle, avec de multiples formes de précarisation, aussi bien sur le marché du travail que dans la vie de couple.

Page 18: NANTES - Leroy Merlin Source...partie par la progression de la maison individuelle dans le parc de logements : en 2002, 57 % des résidences principales sont des maisons, contre 49

François Madoré \ Institut de géographie de l’Université de Nantes (IGARUN) \ UMR 6590­ESO – pour LEROY MERLIN 18

Références bibliographiques

Allain R., 1992, La maison et la ville en Bretagne, Université de Rennes II, Thèse de Doctorat d’État, 1348 pages.

Bernard Y., 1995, « Ménages et modes de vie », in Ascher F. (dir.), Le logement en questions, La Tour-d’Aigues, L’Aube, p. 13-39.

Bertaux-Wiame I., Gotman A., « Le changement de statut résidentiel comme expérience familiale », in Bonvalet C., Gotman A. (dir.), 1993, Le logement une affaire de famille, Paris, L’Harmattan, p. 129-167.

Cases C., Lagarde P., 1996, « Activité et pauvreté. Une tranche de vie des personnes de 17 à 59 ans », Insee Première, n° 450.

Commissariat général au plan (commission présidée par Guaino H.), 1997, Chômage : le cas français, Paris, La Documentation française, 179 pages.

Cuturello P., 1990, « Statut du logement et réseau familial », in Bonvalet C., Fribourg A.-M. (dir.), Stratégies résidentielles, Paris, Ined, p. 195-202.

Dezès M.-G., 2001, La politique pavillonnaire, Paris, L’Harmattan, 314 pages (édition originale en 1966, Paris, Centre de recherches d’urbanisme).

Engels F., 1957, La question du logement, Paris, Éditions sociales, 125 pages (édition originale en 1872).

Galland O., 1995, « Une entrée de plus en plus tardive dans la vie adulte », Économie et Statistique, n° 283-284, p. 33-49.

Laferrère A., 1999, « L’occupation des logements depuis 1945 », in Insee, Données sociales. La société française, Paris, Insee, p. 333-340.

Haumont N., 2001, Les pavillonnaires. Étude psychologique d’un mode d’habitat, Paris, L’Harmattan, 150 pages (édition originale en 1966, Paris, Centre de recherches d’urbanisme).

Lainé F., 2000, « Péri-urbanisation des activités économiques et mouvements d’emploi des établissements », in Mattéi M.-F., Pumain D. (dir.), Données urbaines 3, Paris, Anthropos, p. 251-260.

Maurin É., 2002, L’Égalité des possibles. La nouvelle société française, Paris, Seuil, 78 pages.

Raymond H., Haumont N., Dezès M.-G., Haumont A., 2001, L’habitat pavillonnaire, Paris, L’Harmattan, 114 pages (édition originale en 1966, Paris, Centre de recherches d’urbanisme).