N° 4 ÉLÉMENTS POUR UNE PROSPECTIVE DE LA...

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N° 4 ÉLÉMENTS POUR UNE PROSPECTIVE DE LA SÉCURITÉ

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N° 4ÉLÉMENTS POUR

UNE PROSPECTIVEDE LA SÉCURITÉ

Avant-propos

* Jean Halpérin, « La notion de sécuritédans l'histoire économique et sociale »,Revue d'Histoire Economique et Socialen° 30, 1952 .

La sécurité est elle un objet, ou une notion, susceptibled'être « mise en prospective » ?

Plusieurs raisons militent probablement pour une réponse négative à cettequestion :

—d'une part, comme chacun d'entre nous a l'occasion de le vérifier dansla vie courante, le terme de « sécurité » est très largement polysémique :on parlera tantôt de sécurité vis à vis de vols ou d'agressions, tantôt vis àvis de risques naturels ou technologiques, tantôt vis à vis du terrorisme oud'agressions militaires . Difficile, dans ces conditions, de tenter de projeterdans l'avenir une notion aux contours mal définis . A cet égard, les anglo-phones, par exemple, sont plus précis que nous, et utilisent de manièreplus ciblée les mots « safety » et « security » (ce qui ne correspond pas,soit dit en passant, à la distinction quelque peu problématique qu'opèrentcertains spécialistes entre les termes de « sécurité » et de « sûreté ») ;

—d'autre part, (et sans doute pour la raison précédente), il n'existe pasd'histoire globale qui s'attacherait à décrire précisément l'évolution de cet-te notion, ni le poids que la question de la sécurité, sous ses multiples fa-cettes, a pris dans nos sociétés . Certes de nombreux travaux historiquesexistent, dont beaucoup s'attachent à des domaines particuliers, et dontd'autres, notamment ceux de Jean Delumeau et de Michel Foucault, abor-dent avec beaucoup plus de globalité la notion de sécurité . Mais aucun deces travaux ne répond au voeu sans doute utopique de Jean Halpérin, quià travers la notion de sécurité, voulait saisir « l'histoire totale » de notre ci-vilisation :« II faut, pour définir chaque période, en reconnaître la tendance prédomi-nante, et cela d'autant que les transformations les plus radicales demeurenttoujours liées à ce qui les précède . Peut être la notion de sécurité pourraitelle intervenir dans cet effort de définition . Je m'empresse d'ajouter que ce« ton dominant » est fait, comme en musique, de notes diverses. La sécuritén'est pas la seule; il n'y faut pas tout ramener certes; mais il semble bienqu'il entre dans ce ton dominant cet élément de sécurité ou d'insécurité,d'autant plus que cette notion touche à des domaines très différents . C'estdonc une notion qui permet, à certains égards, d'unir des aspects au de-meurant fort divers d'une situation ou d'une période donnée . A ceux qui neveulent pas se contenter d'une vue fragmentaire et parcellaire des choses,la notion de sécurité permettrait peut être de mieux saisir l'histoire totale,avec tous les impératifs que cela comporte . » *

—enfin, et du côté cette fois de la prospective, la question de la sécuritén'a que rarement jusqu'à présent fait l'objet d'une attention spécifique, tout

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se passant comme si la sécurité ou l'insécurité étaient toujours la consé-quence – ce qui est sans doute juste – ; mais uniquement la conséquence –ce qui est sans doute faux –, d'autres phénomènes ou d'autres tendances(les flux migratoires, l'urbanisme, la complexité de la société) . Et les raresauteurs qui se sont essayés en revanche à une réflexion prospective plusdirecte en la matière se sont le plus souvent cantonnés à la présentation ouà la dénonciation de « scenario-catastrophes », sur le modèle du célèbreroman de science-fiction de Georges Orwell, 1984.

L'objet de ce texte est, sans pour autant renouer avec l'ambition de JeanHalpérin, de tenter de caractériser quelques évolutions actuelles en matièrede sécurité, et cela à travers l'analyse d'un certain nombre de pratiques etde discours . Plus précisément, il s'agira de mettre en évidence trois ten-dances divergentes qui ont, semble t'il, émergé quasi-simultanément aucours des années récentes . A contre courant d'une évolution de fond beau-coup plus lente, pluriséculaire, qui tendait à faire de l'Etat l'unique garantde la sécurité se sont développées, au cours des années 80 en France,d'autres formes de rapport à la sécurité, que j'appellerai respectivement etpour le dire de manière très schématique, une sécurité – « commerce »,une sécurité – « affaire de tous », et une sécurité – souci des entreprises« citoyennes ». Il ne s'agira pas ici d'apprécier les poids actuels et avenirsrespectifs de ces trois tendances ; il s'agit plutôt de faire état, à titre pros-pectif, de ce qui pourrait bien constituer quelques fissures irréversiblesdans le rapport à la sécurité que nous avions élaboré peu à peu, depuis leXVIII° siècle.

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Introduction

1 Arlette FARGE, « L'insécurité à Paris :un thème familier au XVIII° siècle »,Temps libre n° 10 .1984.2 J .F. BLONDEL. Traité de la décorationParis 1776, cité dans (3).

J .P. GOUBERT. La conquête de l'eau.R . LAFFONT, 1986.' A .FARGE op .cit .

A Paris, au XVIIIe siècle, raconteArlette Farge, « les conflits appa-raissent dans les lieux où s'effec-tuent des échanges d'ordre écono-mique et sexuel », en particulier« la rue, les marchés, les foires : lelieu du commerce ou s'exercent lespetits métiers, le lieu de la circula-tion, des encombrements, des im-mondices, des excréments jetés parles fenêtres. On s'y interpelle et ons'y bat, et les attroupements peu-vent se terminer en violentes ba-garres . . . » 1 On se bat à tout pro-pos, tout étant objet potentiel deconflit, et entre autres choses autourdes points d'approvisionnement eneau : « la quête de l'eau constitueune véritable corvée . Elle est tantôtdévolue aux femmes et aux enfantsà titre gratuit, tantôt confiée à unecorporation contre une faible rému-nération. A la fin du XVlll e siècle, lesporteurs d'eau passent pour « deshommes vils et des femmesbruyantes qui désolent les habitantsdu quartier où les fontaines se trou-vent . . . »2 . Forts en gueule, promptsà « faire le coup de poing », ilssont considérés comme la lie du pe-tit peuple » 3 .

A cette époque, la «simple» ques-tion de l'approvisionnement en eaudes populations est donc suscep-tible de dégénérer en trouble del'ordre public ; la police tentera mo-destement de répondre de deuxmanières à ces troubles, soit instan-tanément en arrêtant le ou les res-ponsables de violences lorsqu'elleen a l'occasion, soit en essayantsur le plus long terme de remédierau désordre : «la police ne régle-mente pas en général l'approvision-nement de l'eau, mais à proposd'une bagarre entre porteurs d'eauautour d'un puits, elle va régenter

les ordres de passage des porteursd'eau. Cette disposition unique etsingulière n'empêchera pas ailleursd'autres bagarres, mais transforme-ra l'idée qu'on pouvait se faire del'appropriation de l'eau à tel en-droit » 4 .

Le développement progressif, auxXIXe et XX e siècle en France, des ré-seaux de distribution d'eau potablea définitivement supprimé lesgermes des conflits racontés parces deux historiens : chacun disposemaintenant de « l'eau courante »en abondance et plus personne nesonge désormais à incriminer sonvoisin en cas de dysfonctionnementdans l'approvisionnement . Partantde corvées individuelles juxtapo-sées, potentiellement conflictuelles,la question de l'approvisionnementen eau des populations est devenueessentiellement un problème tech-nique et économique, géré par desspécialistes, dans le cadre d'une or-ganisation et d'une réglementationplus ou moins complexe, variableselon les pays . Schématiquement cefaisant, on peut donc dire que lesrisques, les dangers, liés à cettefonction traditionnelle qu'est l'ap-provisionnement en eau sont pas-sés, entre le XVIIIe et cette fin de XXesiècle, du statut de risque essentiel-lement social, et partant, suscep-tible d'être pris en charge par lesautorités de police, au statut derisque technologique, géré cettefois par des hydrauliciens, des chi-mistes, biologistes ou autres spécia-listes du cycle de l'eau.Substitution d'un risque social parun risque technologique en effet,car là comme dans d'autres do-maines, la « technicisation » de cet-te fonction traditionnelle n'a pas en-gendré une éradication complète

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des dysfonctionnements : aucontraire, connaissances et déve-loppement scientifique aidant, sesont révélés problèmes et risques« nouveaux », essentiellement d'in-toxication collective des popula-tions, par pollution accidentelle ouprogressive de la nappe phréatiqueou par érosion des canalisations.Dans ces conditions, si action depolice il doit y avoir, il s'agit désor-mais-de traquer les pollueurs éven-tuels, ceci nécessitant connais-sances et outillage scientifiqued'une part, concertation ou confron-tation entre les multiples interve-nants d'autre part, la question seposant d'ailleurs actuellement enl'occurrence d'une police spéci-fique des eaux.Pour autant dans ce domaine pré-cis, les risques dits sociaux ou lespossibilités d'atteinte à l'ordre pu-blic n'ont pas, à vrai dire, entière-ment disparu : lors de la vague d'at-tentats terroristes des années 1985-87 en particulier, les usines de trai-tement des eaux qui approvision-nent les grandes villes étaient consi-dérées comme des sites « sens-ibles », nécessitant comme tel unesurveillance particulière, les actesde malveillance y étant particulière-ment redoutés .

trophe du Paris-Versailles, le 8 mai1842, pour que l'on prenneconscience du caractère néfaste deces mesures d'enfermementcontraint, et que soit adopté le prin-cipe de portes ouvrables de l'inté-rieur, à tout instant . . . »5 .

Suite à cette catastrophe technolo-gique (55 morts dont de nombreuxbrûlés vifs), les poids respectifs des di-vers risques liés au transport ferroviai-re sont, en effet, ré-estimés sur desbases différentes, ceci notammentdans le cadre de la loi de police deschemins de fer du 15 juillet 1845 etde l'ordonnance du 15 novembre1846 ; cette ordonnance servira debase, quelques années plus tard(1848) à l'instauration « de commis-saires de surveillance administrati-ve . . ., relevant du ministère desTravaux publics, et de commissairesspéciaux des gares, relevant du minis-tère de l'Intérieur, tous officiers de po-lice judiciaire . Aux premiers revientl'exercice de la police des cheminsde fer, la poursuite des crimes et dé-lits spéciaux liés à l'exploitation ; auxseconds la poursuite des délits com-muns . Nouvelles figures de l'appareilpolicier, ils répondent à la prise deconscience de nouveaux dangers nésdes chemins de fer » 6 .

' Georges RIBEILL « Des obsessions de l'Etataux vertus des lampistes : aspects de lasécurité ferroviaire au XlXème siècle ».

in Culture Technique n° 11 : Risques,sécurité et techniques . 1983

6 G . RIBEILL . Op .cit

Dans un tout autre domaine, celuides transports par chemin de fer, ladichotomie esquissée ci-dessusrisques sociaux/risques technolo-giques présente également sur letemps long une évolution tortueuse:au début du XlXe siècle en France,la sécurité des premiers voyageurs,tant en regard du vol ou du crimeque pour prévenir les actes de mal-veillance, voire également l'étour-derie de certains passagers, étaitglobalement assurée par le fait queles compartiments étaient fermés àclef de l'extérieur durant le trajet.Les « conducteurs de trains »étaient « chargés notamment de lasûreté, de la police et de la sur-veillance des convois . Le train enmarche, ceux-ci se déplaçaient surdes marchepieds d'un wagon àl'autre, d'un compartiment àl'autre, dotés de clefs . II faudra at-tendre la première grande catas-

L'histoire de la sécurité du transportpar rail, entendu ici au sens le plusglobal du terme – et on devraitsans doute plutôt parler de l'histoirede la gestion des divers risques,éventuellement concurrents, liés àce mode de déplacement – n'ira, àpartir de ce point de départ fixé unpeu arbitrairement à 1842, qu'ense complexifiant jusqu'à nos jours :c'est que les techniques expérimen-tées ici se diversifient à d'autresusages (métro classique, VAL), queles technologies évoluent (TGV), etque des phénomènes sociaux deplus ou moins grande ampleur croi-sent ces évolutions (terrorisme anar-chiste en début de siècle, chômageendémique de nos jours . . .).

C'est à partir de ces deux exemplestirés du passé, et du cadre d'analy-se que leur confrontation permetd'élaborer, que je tenterai ici de

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formuler quelques éléments plus ac-tuels de « prospective de la sécuri-té », dans les domaines de l'habitat,de l'urbanisme, et des réseaux . C'estdire à la fois que le terme de « sécu-rité » sera ici pris dans toute sa géné-ralité, et qu'un intérêt particulier seraporté à l'interface, aux interrelationsréciproques, entre deux domainesque l'on a coutume de distinguer :d'un côté, le domaine, lui-même mul-tipolaire, des risques techniques outechnologiques ; de l'autre, celui des« risques sociaux », auquel renvoiedepuis quelque temps maintenant enFrance la question dite de « l'insécu-rité ».

Ces deux exemples illustrent en effetdeux points fondamentaux de l'his-toire longue, qui, dans une large me-sure, reste à écrire, de la construc-tion de notre rapport à la sécurité :– ils donnent à voir quelques élé-ments du fantastique échafaudagescientifique, réglementaire, et admi-nistratif, qui a accompagné depuisplus de deux siècles, sur diversesfacettes de la question de la sécuri-té, notre développement technolo-gique . Le « droit à la sûreté » pro-clamé par nos révolutionnaires s'estéparpillé, au fur et à mesure de lareconnaissance de risques divers,dans une multitude de dispositifs etde réglementations garantis parl'Etat . La « conquête de la sécurité »s'est développée par autonomisa-tion progressive de domaines parti-culiers, par segmentations et identifi-cations de dangers et « scientifisa-tion-technicisation » des problèmes ;et son horizon général était l'éradi-cation progressive et systématiquedes risques.– Mais l'évocation rapide de l'his-toire de la sécurité des chemins defer au 190 met déjà en exergue leseffets pervers d'une telle construc-tion : trop de sécurité vis à vis detel ou tel danger identifié peuts'avérer néfaste sur d'autres plans.Nous avons postulé ailleurs' que lestermes de cette contradictionn'étaient devenus pleinement appa-rents qu'au cours des années 80 dece siècle : ce n'est que récemmentque la notion de « gestion desrisques », qui est également liée àla montée en puissance de l'assu-

rance depuis le début de ce siècle s , apris le pas sur ce que nous avions ap-pelé la « conquête de la sécurité ».Deux idées ou plutôt deux points devue nouveaux, au regard de l'histoi-re longue évoquée ci-dessus, vien-nent, en effet, conforter la réalitéd'un changement de paradigme :– d'une part, la conquête de la sécu-rité en matière de risques technolo-giques (et naturels) semble avoir at-teint sinon des limites indépassables,du moins un point d'inflexion qui enmodifie la progression : la recon-naissance, somme toute récente, dufait que le « risque nul n'existe pas »témoigne de l'incapacité de la seulescience à achever plus de deuxsiècles de progrès en la matière.– simultanément, l'incapacité actuel-le de l'Etat, ou tout au moins un cer-tain aveu d'impuissance de la partde l'Etat lui-même, avec sa police etsa justice, à juguler tant les risquessociaux que le « sentiment d'insécu-rité », témoigne de sa difficulté àassurer pleinement (et solitairement)le « droit à la sûreté » proclamépar la Déclaration des Droits del'Homme et du Citoyen9.D'où peut être de nos jours, tant enmatière de risques naturels, indus-triels, de sécurité routière, que delutte contre l'insécurité urbaine, unrecours général mais adapté au« pragmatisme » de la part despouvoirs publics pour fonder, do-maine par domaine, de nouvellespolitiques de sécurité 10 .

Mais d'où également, en liaisonparfois avec la mise sur le marchétransversale de nouveaux objets sé-curitaires (télésurveillance notam-ment), l'apparition de nouveaux ac-teurs qui viennent occuper les inter-stices créés par certaines recompo-sitions modernes . Plus générale-ment, depuis une quinzaine d'an-nées en France, de multiples pro-blèmes dits de sécurité font l'objetde médiations ou d'appropriationsinédites, au regard de l'histoirelongue du face à face entre l'Etat etl'individu/usager sur ces questions ;l'objet de ce texte est, qualitative-ment, de tenter de dégager ces ten-dances chaotiques, à l'aide de quel-ques exemples pris respectivementdans les domaines de l'habitat, del'urbanisme, et des réseaux .

' C. DOURLENS, J . P. GALLAND, J . THEYS,P. A . VIDAL-NAQUET (sous la dir . de) .,

Conquête de la sécurité, gestion des risques,L'harmattan 1991

e François EWALD, L'Etat-Providence,Grasset, 1986

° Sebastian ROCHE « Insécurité, Etat endéclin, société dépendante » Le Débat,

n°85, 1995° Christine DOURLENS Figures du

pragmatisme, complexité, incertitude,et prévention des risques ;

rapport à la DRAST, CPVS, 1994

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1- Habitat et domotique

" Marc PASQUET : Les conditions de déve-loppement de nouveaux services utilisantl'interface domotique collective.URBA 2000 . Rapport de recherche au PlanConstruction et Architecture MELT 199212 Op .cit

Sous la pression de divers acteurssociaux, et à partir de quelques ex-périmentations menées essentielle-ment dans le secteur social (HLM)depuis le milieu des années 80, uncertain nombre de fonctions liées àl'habitat pourraient se trouver modi-fiées dans l'avenir par l'introductionprogressive de nouvelles technolo-gies ou services plus ou moins com-plexes, que l'on prend désormaisl'habitude de rassembler sous l'ap-pellation de domotique.

La domotique peut se définir « com-me un ensemble de services à l'habi-tat assurés par des systèmes réali-sant plusieurs fonctions, pouvant êtreinterconnectés entre eux et à des ré-seaux de communication internes etexternes »" ; mais elle peut se définirégalement à partir de ses multiplestechnologies, faites de capteurs d'in-formation (thermomètres, détecteursinfrarouges de présence humaine,caméras vidéo . . .), des réseaux detransport de l'information (câble . ré-seau France Télécom) et des lieux detraitement de l'information.

La domotique est née, semble-t-il enFrance, de la rencontre des pro-blèmes de maîtrise de l'énergie dansl'habitat avec les possibilités nouvellesoffertes par le développement de l'in-formatique et des communications.C'est dans le domaine de l'énergie,en effet, que, parallèlement à une iso-lation thermique accrue des bâti-ments, les résultats amenés par l'intro-duction d'un minimum d'équipementélectronique ont été rapidement lesplus probants : quelques capteurs etinterrupteurs raccordés, via micro-processeur, à des appareils indivi-duels ou collectifs de chauffage, per-mettent une régulation optimale ou àla demande (à distance et par télé-phone éventuellement) du système.

Mais sans renier ces balbutiements,les spécialistes ne parlent de domo-tique qu'à partir d'une certaine mul-tiplicité de fonctions assurées, fonc-tions dont l'ordre de priorité pour-rait être, après la fonction originellede maîtrise de l'énergie :

— celle de sécurité entendue ici sousplusieurs registres :* « sécurité des biens » avec desdétecteurs d'intrusion, voire de pré-sence dans le logement ou de ma-nière préventive des simulateurs deprésence (allumage aléatoire de lu-mières ou radio) ;* sécurité technique vis à vis de cer-tains dangers (détecteurs de débor-dement de baignoire, de fumées . . .).

A partir de son recueil par le détec-teur d'incident, l'information peutsoit donner lieu à l'émission dans lelogement d'une alarme, soit plusgénéralement et via un système detransmission, être renvoyée à l'exté-rieur et alarmer cette fois une socié-té spécialisée, société dite de télé-surveillance.

– La fonction de « biovigilance »qui intéresse principalement les per-sonnes à haut risque (cardiaques,personnes âgées .) permet à cesdernières de signaler un état de cri-se aigu, soit que ces personnes dé-clenchent elles-mêmes si besoin estun bouton de détresse, soit qu'auto-matiquement l'état d'alarme car-diaque soit enregistré et transmispar une électrode collée en perma-nence à même la peau ; le signalétant transmis dans les deux cas àune société de télésurveillance.

— Enfin, d'autres fonctions, selon M.Pasquet 72 pourraient également êtrerapportées à la domotique (commu-nication : minitel, télécopie . . . ou loi-sirs : télévision, chaîne HI-FI).

En fait, ces dernières fonctions, dé-jà traditionnelles, ne s'inscriventdans le cadre de la domotique quedans la mesure où les possibilitésd'interconnexion qu'elles présententavec d'autres fonctions susciterontpeut être de nouveaux usages oude nouvelles pratiques : parexemple, il est désormais technique-ment possible d'installer une camé-ra vidéo dans l'entrée d'un im-meuble collectif et de renvoyer lesimages des visiteurs sur une chaînepréchoisie de n'importe quel récep-

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teur de télévision précablé ; chacunpourrait également par ce moyensurveiller ou faire surveiller son par-king, ses enfants (dans leur chambreou sur une aire de jeu distante) ousa grand-mère malade.

Les possibilités ouvertes par la do-motique semblent infinies, et sespromoteurs tentent actuellementd'en préserver la variété, en propo-sant tant aux usagers qu'aux ges-tionnaires une « gamme étendue deservices » 13 . Reste que, en modi-fiant les rapports entre l'humain etle non humain, pour reprendre levocabulaire de Bruno Latour, l'ex-tension de la domotique risque defaire bouger aussi certains élémentsde l'organisation sociale des hu-mains . En matière de sécurité enparticulier, il semble que deux alter-natives, pas forcément totalementexclusives l'une de l'autre, soienttechniquement envisageables :

– soit une sécurisation « de voisina-ge » qui verrait les habitants d'unimmeuble se renvoyer les uns lesautres les messages d'alarme ou dedysfonctionnement, voire les imagesde télésurveillance ;– soit une sécurisation par des pro-fessionnels privés dans les sociétésde télésurveillance.

Dans l'un ou l'autre cas se posebien sûr le problème de la réponseà donner à l'alarme, particulière-

ment s'il s'agit d'une intrusion dansl'habitation « domotisée » ; en par-ticulier, le rôle des sociétés de télé-surveillance n'est pas clairementdéfini (appeler la police, municipa-le, nationale ? faire fuir le voleur, lemaîtriser ? . . .) ; de manière plus gé-nérale quel est ce « nouveau » mé-tier de la sécurité ?14 par ailleurs, sielles doivent se développer, est-ilpréférable que ces sociétés soient« multirisques » c'est-à-dire qu'elles ré-ceptionnent aussi bien les alarmes «sécurité des biens », que celles du res-sort de la « sécurité technique » (in-cendie, dégât des eaux) voire cellesqui touchent à la « biovigilance » ? ;faut-il au contraire les spécialiser aumaximum, ce qui, rentabilité oblige,les amènerait par contrecoup àétendre leur réseau d'usagers-clientset donc globalement à s'en éloignergéographiquement ? Les premièresimpressions recueillies par des cher-cheurs du côté des usagers de ladomotique semblent indiquer – [ etceci compte-tenu du fait que bien sûrpeu « d'accidents » réels sont actuelle-ment dénombrés pour l'heure dans cecadre ] – que les sociétés de sur-veillance « multirisques », proches etconnues visuellement de leursclients, ont au moins un effet positifsur les sentiments d'insécurité oud'isolement de certains d'entre eux :en particulier, le ou les boutons quirelient à l'extérieur rassurent, et lejeu est de ne pas s'en servir seule-ment en cas d'urgence 15 .

2 - Urbanisme et fragmentationde l'espace public

Dix ans de décentralisation enFrance ont très largement bouleverséles pratiques de l'urbanisme et dela planification urbaine . La deuxiè-me moitié des années 80 en parti-culier a été marquée, dans un cer-tain nombre de villes, moyennes ougrandes, par l'émergence de nou-velles façons d'appréhender l'acted'urbanisme, qui associent souventdésormais de manière contractuellecollectivités locales et promoteurs

privés dans des projets dits « inté-grés » 16 . L'état des finances de bonnombre de collectivités locales, enregard de l'ambition des élus (re-conquête des centre-villes, stratégie« d'image » dans le contexte de laconcurrence économique entrevilles), amènent en effet ces der-niers à partager les risques liés auximportants investissements néces-saires avec des sociétés d'aména-gement privées . Et les projets inté-

13 Patrick ARNAUD Interface DomotiqueCollective - Plan Construction et Architecture.

PCA Actualités 1992.14 Frédéric OCQUETEAU : Gardiennage,surveillance et sécurité privée (Commerce

de la peur et/ou peur du commerce ?jCESDIP 1992

15 R . PERRINJAQUET. Ecole polytechniquefédérale de Lausanne - non publié.

1B Gilles VERPRAET « Le dispositif partenarialdes projets intégrés » . - in La planification et

ses doubles. Les Annales de la RechercheUrbaine n°51 - 1992.

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17 que Jean Paul BRODEUR, reprenant uneexpression forgée par le juge B .LASKIN à laCour Suprême du Canada, qualifie de« propriété privée de masse » (mass privateproperty) : J .P. BRODEUR « Policerl'apparence » . in La relation de service dansle secteur public. Tome 4 . Gestion desservices et ressources humaines.Plan Urbain-RATP-DRI 1991

« Nouvelles technologies et sécurité dansles villes » ; texte de l'appel d'offres derecherches IHESI/Pir ville, 1994

grés peuvent désormais concernerde véritables « morceaux de villes »et associer de multiples partenairesdans la construction concertée d'im-meubles de logements — de stan-ding ou (ou et) social —, de bu-reaux, de crèches, écoles, hôpi-taux, hôtels ou centres commer-ciaux . . . Le montage des opérations,plus ou moins complexe, suscitel'émergence de nouveaux « mé-tiers » de l'urbanisme (les dévelop-peurs ou les ensembliers) ; et lescontrats qui lient collectivités localeset sociétés privées sont variables tantdu point de vue du partage des in-vestissements initiaux que de celuides responsabilités réciproques et desbénéfices escomptés.

En termes d'urbanisme et d'archi-tecture, l'intérêt majeur que cette in-novation organisationnelle apporte,réside dans la possibilité de traitersimultanément et en complémentari-té un certain nombre de fonctionsde la vie sociale : bon nombre deprojets s'attachent en particulier àintégrer dans leurs propositions nonseulement les questions touchant àl'habitat, aux services ou aux com-merces, mais aussi celles qui sontliées aux espaces intermédiaires"que sont, par exemple, les par-kings, les aires piétonnières ou lesabords de station de transport encommun . Or, si l'on peut supposerque dans la majeure partie descas, cette disposition intégratriceaméliore sensiblement l'harmoniearchitecturale et esthétique des sitestraités, une conséquence simultanéedes processus en cours est de rendrefloue la distinction traditionnelleentre espace public et espaces pri-vés. Le procédé des projets intégréspermet effectivement d'importantes in-novations architecturales ou urbanis-tiques : placettes, coursives, chemine-ments piétonniers multiples et variésau sein de centres commerciaux, re-liant appartements et parkings oustations de transport en commun, semultiplient dans un certain nombrede centres villes rénovés par cebiais. Et se posent bien sûr alors,dans ces espaces intermédiaires,des questions de propreté, de main-

tenance et de sécurité, toutes fonc-tions essentielles à la « qualité dela vie » dans ces ensembles com-plexes, toutes fonctions qu'il faut as-surer entre autres choses pour larentabilisation financière de cesopérations.

A l'instar, mais par un cheminementdifférent, des conséquences pos-sibles de la domotique, on peut pen-ser que la sécurité dans ces espaces,(dont l'existence n'est pas nouvellemais que les évolutions socio-poli-tiques en cours ne font que multiplieret agrandir), pourrait bien être éga-lement sous-traitée largement au sec-teur privé, celui-ci pouvant là aussi,éventuellement, jouer le rôle d'inter-face multirisques (biens et per-sonnes, incendies . . .), entre usagersdivers et institutions spécialisées.

Par ailleurs, les « nouvelles techno-logies de la sécurité », maintenanthabituelles dans les parkings ou lescentres commerciaux, commencentà gagner des espaces publics plustraditionnels ; certaines villes sedotent ainsi de systèmes plus oumoins ciblés sur la prévention de ladélinquance : « pour de nombreuxacteurs engagés dans la vie urbai-ne (responsables des collectivités lo-cales, gestionnaires de services ur-bains ou de parcs immobiliers etc .),l'apparition de nouvelles technolo-gies de l'information et de la commu-nication appliquées à la sécuritédans les villes est considérée commeune des solutions aux problèmes quo-tidiens qu'ils affrontent » 18 .

Les quelques villes qui ont mis enplace des systèmes de télé ou de vi-déo surveillance ont le plus souventrelié ces réseaux à leur propre poli-ce municipale ; en sus de certains in-dustriels ou particuliers, ces collecti-vités locales contribuent, ce faisant,à développer un marché général dela sécurité ; marché multiforme etsegmenté, dont l'extension, pour cer-tains de ses composants au moins,est également largement favorisée, àpartir d'un tout autre point de vue,par les sociétés d'assurances.

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Une mosaïque

« La sécurité ? C'est une mosaïque de sous-marchés », confie BernardDucass, PDG de Fichet-Bauche : les professionnels ne recensent pasmoins de dix-sept secteurs ! Le palmarès pourrait être le suivant :– L'activité de gardiennage-surveillance (6,7 milliards de francs dechiffre d'affaires en 1992), qui représente 15 % du total, est l'une desplus atomisées et les plus touchées par la crise (de l'ensemble du sec-teur, après le boom du début des années 80) : d'une croissance de13 % en 1991, on est passé à la stagnation en 1993 . Un retour de bâ-ton d'autant plus douloureux que la crise du Golfe avait accru la psy-chose sécuritaire et dopé les affaires . ..– Le contrôle technique et la sécurité industrielle (6,4 milliards).– La sécurité incendie (5,9 milliards) . Numéro un sur ce créneau : Sicli(avec un chiffre d'affaires de 1,1 milliard de francs, devant Cerberus-Guinard (800 millions), fournisseur du Grand Louvre et . . . d'Eurodisney !– Les alarmes et protections contre le vol (3,4 milliards).– Les équipements blindés (2,8 milliards).– Le transport de fonds (2,3 milliards).– La serrurerie (1,9 milliard).– Le contrôle d'accès (1,8 milliard).– La télésurveillance (1,4 milliard).Mais il n'est pas rare qu'une même entreprise intervienne dans cinq àsix secteurs . Ainsi Fichet-Bauche, forte de son réseau de 150 boutiquesfranchisées « Points forts Fichet », opère à la fois dans les équipementsblindés (coffres-forts, etc .), la serrurerie, la télésurveillance, le contrôled'accès . . . Brink's, reine du transport de fonds par sa filiale Brink'sContrôle Sécurité, s'intéresse aussi au gardiennage et à la télésurveillance.

Philippe Baverel,La sécurité menacée,

Le Monde du 22/04/94

3 - Réseaux : l'exemple des transportsen commun et en particuliercelui de la RATP

L'espace du « métro » parisien a ré-cemment donné lieu à des dévelop-pements technologiques analoguesà ceux décrits ci-dessus : dans lecadre de la modernisation des sys-tèmes de sécurité, une expérimenta-tion a eu lieu sur deux lignes pilotesau début des années 90, expérimen-tation basée sur un développementde la télésurveillance et de la télédé-tection et sur une réorganisation deséquipes de surveillance avec unecentralisation des informations etdes décisions d'intervention.A cette occasion, la distinctionrisques technologiques/risques so-

ciaux était réactualisée, la moderni-sation s'étant mise en place à tra-vers deux programmes, NSS(Nouveaux Services en Station) etTSS (Télésurveillance et Sécurité),concernant respectivement « lesdeux volets de la sécurité des usa-gers, la sécurité liée au matériel età l'exploitation (démarrage desrames, escalators, incendies, etc .),et la sécurité relevant des troublesde l'ordre public (agressions, vols,etc .) » 19 .Mais pour des raisons qui tiennentsans doute au caractère particulierde l'espace et de la population des

19 Dominique BOULLIER, Jean-Luc SECHET,Isabelle LAMBERT, Les dispositifs de sécurité

dans les transports urbains ; étude socio-ergonomique. Rapport de recherche Euristic

Media/Plan Urbain/RATP ; mars 1993.

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20 Dominique Boullier et al ., op . cit.21 Baisse de la criminalité et des délitsannoncée dans la presse durant l'été 1992 ;stabilisation, semble t'il, depuis.22 Marie-Louise DESGRANGE « Le partagedes responsabilités et des compétences entreles divers acteurs en charge de la sécurité ».Colloque Union Internationale des TransportsPublics . Mai 1992.23 G . DANDREA « Les comités de préventionet de sécurité de la RATP » . Colloque UITPMai 1992 .

travailleurs du « métro », et à l'his-toire, déjà dense, du traitementpassé les diverses facettes de la sé-curité, ces recompositions tech-niques ne nécessitent que très par-tiellement le recours à de nouveauxopérateurs pour gérer les dispositifsexpérimentés . Au contraire, l'intro-duction des programmes NSS etTSS est plutôt vécue à la RATP, mal-gré toutes les difficultés inhérentes àce type d'évolution, comme le mo-ment d'une requalification des mé-tiers respectifs d'agent de stationd'une part, et d'agent de laSurveillance Générale de l'autre20 .C'est aussi peut être que dans lapériode récente en tout cas, le re-cours aux nouvelles technologiesn'aura été qu'un des aspects d'unevolonté de reprise en main plus glo-bale des questions de sécurité, vusous l'angle essentiellement « ordrepublic » du terme . Après unelongue phase de montée croissantede l'insécurité, [ en termes de « sen-timent » et en termes objectifs decrimes et délits relevés ], la RATP adécidé depuis 1989 de mener unepolitique globale de reconquêtedans ce domaine, tant s'agissantdu métro que du réseau d'autobus ;politique dont les effets, aux diresdes responsables, se sont faits im-médiatement sentir21 .

« Le plus significatif (des dispositifsmis en place) est la création, en1990, du Département Environne-ment et Sécurité, département d'ex-ploitation rattaché directement à laPrésidence (de la RATP) et transver-sal à l 'entreprise . . . Le Départementa fait sien le souci du Présidentd'améliorer au quotidien la qualitédu service offert aux voyageurs surles réseaux RATP, intégrant dans unmême concept la protection de l'en-vironnement et la sécurité des voya-geurs et des agents.II demeure toutefois que les ques-tions de sécurité des personnes en-trent dans une problématique com-plexe faisant appel aux conceptsde vulnérabilité du corps social,d'intervention de l'autorité publiquepour la sanction des déviancesconstatées et de l'attente réaliste dutraitement des dysfonctionnementssociaux portant atteinte à la sécurité .

Il est certes du devoir de l'Etat d'as-sumer toutes ses responsabilitésdans le domaine de la protectiondes personnes et des biens faceaux comportements déviants et dé-linquants . Mais une mobilisation so-ciale doit se faire pour approcherl'exigence de la sécurité et définirles axes d'une politique pragma-tique de la sécurité . L'entreprise detransport qu'est la RATP, avec tousses divers outils techniques, l'Etatavec ses forces de police et son ap-pareil judiciaire, tels sont les pôlesessentiels de l'environnement juridi-co-institutionnel de la sécurité enmatière de transports »22 .

En matière de sécurité et en particu-lier en matière de prévention de ladélinquance, la RATP se positionnedonc désormais en « entreprise ci-toyenne et responsable » 23 partenai-re de la police nationale : ceci don-ne lieu à des actions multiples et va-riées, entre autres de réhabilitationdes réseaux et des rames (luttecontre les « tags », politique spéci-fique vis à vis des sans-abri . . .), derepérage et de gestion de situationsà risques (dealers, vendeurs à lasauvette, fraudeurs), voire mêmed'animation sociale aux limites del'espace-transport (organisation derencontres sportives dans les ban-lieues).Dans cette optique, la RATP déve-loppe, et plutôt cette fois en dehorsdes champs de la télé ou de la vi-déosurveillance, toute une panopliede nouvelles activités, d'intermédia-tion entre le réseau de transport,« métro » ou de surface, et diversescatégories d'usagers : ce sont les« grands frères » dans les cités sen-sibles, les « agents d'ambiance »sur certaines lignes, ou les assis-tants sanitaires vis à vis des sans-abri.

On voit qu'il s'agit là d 'une tentati-ve de « saut qualitatif » par rapportaux formes de partenariat liant laRATP et la police nationale depuisle XIXe siècle en matière d'appré-hension de la sécurité dans l'espa-ce-transport : si, à cette occasionsont remodelés une nouvelle fois lesrapports entre polices spécialisées-RATP et police nationale, il s'agit

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bien davantage dans l'esprit duDépartement EnvironnementSécurité d'intégrer la « fonction »sécurité, et notamment sa dimen-sion préventive, dans la pratiquemême des divers métiers de laRATP24 .Dans ces conditions, un certainnombre de moyens sont mis au seinde l'entreprise pour que la mobili-sation souhaitée par la Directionsur le thème de la sécurité soit repri-se par les agents (nomination decorrespondants Environnement etSécurité dans les dépôts d'autobus,responsabilisation de chefs de ligneou de station sur ce thème, forma-tions diverses des agents . . .), voireles usagers eux-mêmes 25 .

Pour l'heure, la RATP semble pion-nière et « exemplaire » en la matiè-re en France, mais la préoccupa-tion « sécurité » au sens large, avecdes acceptions et des réponsestechnicoadministratives variablesselon les entreprises, devient centra-le dans le monde des transportsguidés (SNCF, métro lyonnais, tun-nel sous la Manche . . .) 26 .

n Outre ces évolutions socio-tech-niques dans l'habitat, l'urbanismeet les transports, les années 80 ontégalement été marquées, en matiè-

re d'appréhension de l'insécuritédans .certains domaines, pard'autres inflexions, de nature plusdirectement politique cette fois . Demanière particulièrement claire pen-dant quelques années dans le do-maine de la sécurité routière et demanière plus diffuse face à l'insécu-rité dans les banlieues, le discoursdes pouvoirs publics aura été pen-dant cette décennie d'afficher l'idéeque la sécurité devait être désor-mais « l'affaire de tous » . Tant dansle domaine de la sécurité routièreque dans celui de la prévention dela délinquance, cette idée s'est tra-duite par le renvoi à l'échelon locald'un certain nombre de problèmesau travers de procédures partena-riales multiples (REAGIR, -10 %,Programmes Départementaux etCommunaux de Sécurité Routièred'un côté, Développement Socialdes Quartiers, Conseils Commu-naux de Prévention de la Délin-quance, Maisons de la Justice . . ., del'autre) . S'inscrivant largement dansle cadre de la décentralisation, cesprocédures visaient à produire une« opérationnalité convergente » 27

des policiers, enseignants, juges,travailleurs sociaux, techniciens del'aménagement, associations . . ., etce faisant, à inventer de nouveauxrapports entre l'Etat et les collectivi-tés locales dans la prévention de di-verses formes d'insécurité2B .

n Conclusion : Vers un redécoupagedes rôles ?

Ainsi, les questions touchant à lasécurité dans les domaines de l'ha-bitat, de l'urbanisme et des réseauxfont actuellement l'objet d'uneamorce de recomposition multifor-me et d'une multiplication corrélati-ve des acteurs concernés . En for-çant le trait, on pourrait résumerpar trois formules lapidaires lestrois grandes tendances qui ont ger-mé en la matière au cours des an-nées 80 : d 'un côté l 'Etat tente de(re)responsabiliser les usagers/ci-

toyens en affirmant que « la sécuri-té, c'est l'affaire de tous », del'autre et indiscutablement, « la sé-curité est devenue une mosaïque desous-marchés », un troisième dis-cours, sans doute plus marginal, ren-voyant la prise en charge de la sécu-rité aux « entreprises citoyennes ».

Ces trois tendances ont pour traitcommun de relativiser le rôle del'Etat en matière de sécurité, et parconséquent pour problème princi-

24 André MIDOL « La sécurité dans letransport et les missions de la RATP ».

in Sécurité publique et gestion des espacestransport RESEAU 2000 RATP 1992

25 G . AMAR, B . ITURRALDE « Sécurité ettransport public à la RATP. Vers de nouvelles

conceptions des espaces de transport ».Cahiers de l'IHESI n°10

la sécurité des réseaux - 1992.26 Avec des conceptions très variables du

couple sécurité technologique/sécurité-ordrepublic, voir l'exemple du VAL de Lille dans

Dominique BOUCLIER et al . op .cit.27 A . BRUSTON, Secrétaire Permanent du

Plan Urbain, MATET (document non publié).28 Voir par exemple : F. BAILLEAU, G . GA-

RIOUD La sécurité entre la commune etl'Etat., rapport de recherche au Plan

Construction MELT, sept . 1990.

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29 Voir sur ces problèmes de réglementationainsi que sur le concept de « préventionsituationnelle » le récent numéro des Cahiersde la sécurité intérieure : « Les technologiesde sécurité », cahiers de l'IHESI n° 21,1995.30 Sébastian ROCHE, Insécurité et libertés,Seuil, 1994, cité par Christine DOURLENS,op . cit.3' Voir, de manière plus générale, quelquescraintes possibles d'épuisement rapide deces nouvelles « politiques publiques »,La production de l'assentiment dans lespolitiques publiques Dossier TTS n° 24-25,MATET/DRAST/CPVS, 199332 J . L. FABIANI, J . THEYS . La sociétévulnérable, ENS 1987" Marcel GAUCHET. « La sociétéd'insécurité ; les effets sociaux del'individualisme de masse », in JacquesDONZELOT(sous la dir. de) : Face àl 'exclusion ; le modèle français ;ed . Esprit 1991

pal, l'articulation des nouvelles pra-tiques suscitées ou des nouveauxmétiers tolérés avec les fonctionstraditionnelles et régaliennes.L'abandon, partiel, du monopolede l'Etat sur ces questions, pose for-cément problème, et ce de manièredifférenciée suivant la tendanceconsidérée :— l'idée de mobiliser les employésdes « entreprises citoyennes » surdivers aspects de la prévention desrisques et d'intégrer ainsi une fonc-tion sécurité dans les métiers del'entreprise, ne répond sans doutepas au seul souci de citoyenneté dela part des promoteurs d'une telleattitude ; il s'agit également d'unsouci/argument commercial, et dela promotion d'une « image demarque » qui relève, cette fois,d'une autre tendance forte des an-nées 80, à savoir la valorisation dela place de l'entreprise au sein dela vie politique et sociale . En atten-dant une évaluation globale del'impact des innovations suscitées àla RATP sur ces questions, force estde signaler que la mobilisation sou-haitée des employés ne va passans problèmes : un certain nombred'arrêts de travail, ces dernièresannées, suite à des agressions su-bies par des employés eux-mêmes,sont venus rappeler qu'un certainnombre d'entre eux étaient autanten état de demande de sécurité visà vis des pouvoirs publics, qu'en si-tuation de mobilisation et d'implica-tion personnelles en matière de pré-vention.— Le fait que la sécurité en elle-mê-me ait évolué dans ses techniqueset soit parallèlement très largementdevenue une activité commercialepose toute une série d'autres pro-blèmes ; à cet égard, les questionsqui émergent autour de la vidéosurveillance, et qui concernent di-rectement l'évolution du couple sé-curité/liberté, questions relative-ment médiatisées et finalement pourl'heure assez marginales, ne consti-tuent peut être que la partie émer-gée de l'iceberg . Le développe-ment, plus conséquent et plus trans-versal sans doute, de la télésur-veillance (si l'on entend par 1à lamultiplication de capteurs en tousgenres et rapatriement plus ou mois

organisé des alarmes ), a tendanceà focaliser le traitement de diversesformes d'insécurité sur le mode del'urgence . Outre le fait que certainsdysfonctionnements impliquent despertes de temps non négligeables(le traitement des fausses alarmes),c'est le poids d'une sécurité « réac-tive » par rapport à d'autres dispo-sitifs qui prônent plutôt une sécurité« pro-active » qui est ainsi révisé.Par ailleurs, les partages nouveauxde responsabilité concernant tant latechnique (de télésurveillance parexemple) que le statut des sociétésspécialisées sur la question, sontloin d'être réglés . 29

— La tentative de responsabilisationdes usagers/citoyens, ou tout aumoins de décentralisation au planlocal de la gestion d'un certainnombre de risques, que l'on voit ti-midement à l'oeuvre également surles questions liées aux risques natu-rels et industriels se heurte à d'in-ombrables difficultés . D'une part,elle va globalement à l'encontred'une tendance pluriséculaire, carhistoriquement l'Etat « a progressi-vement dépossédé les citoyens(d'abord sans, puis avec leurconsentement) du droit et du devoirde s'occuper de leur propre sécuri-té » 30 ; et d'autre part, et pour cettemême raison historique, cette ten-dance n'est encore acceptée quede manière différenciée selon lesacteurs : « l'opérationalité conver-gente » entre un certain nombred'acteurs de terrain en matière de lut-te contre la délinquance, l'insécuritéroutière, voire certains risques natu-rels par exemple, trouve rapidementses limites dans le fait que d'autresintervenants non négligeables (lesreprésentants de l'institution judi-ciaire parfois, les assureurs en gé-néral) ne peuvent ou ne veulent pass'impliquer dans des stratégies lo-cales et particulières, ceci entranten contradiction avec d'autres prin-cipes, égalitaires et nationaux, deleur action . 31

Finalement, depuis une quinzained'années, alors que notre société estdevenue « vulnérable » 32 ou « d'insé-curité »33 , nous expérimentons sanstrop nous en rendre compte, sur unarrière-fond de désengagement par-

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tiel de l'Etat, diverses formes nou-velles « d'administration de la sécu-rité » ou de gestion des risques.Comme ce texte essaie de le mon-trer, plusieurs tendances diver-gentes, qui transcendent pour par-tie tout au moins la dichotomie« prise en compte des risques « so-ciaux » et des risques « technolo-giques » ou « naturels » ont émergéau cours des années récentes . Resteà valider la réalité des trois ten-dances mises à jour et à pondérer,le cas échéant, leur importance re-lative, dans la redéfinition en coursde notre rapport à la notion de sé-curité . Resterait aussi à prendre en

compte d'autres évolutions très ré-centes, plus sectorielles peut êtremais non moins importantes, com-me la montée en puissance des as-sociations de victimes et l'évolutionde certaines jurisprudences dansl'imputation des responsabilités suiteà divers accidents . ..

Et reste sans doute globalement pourl'Etat, compte tenu des évolutions encours, à se remettre à la recherchede l'idéal de gouvernement queMichel Foucault définissait commeétant celui « qui gouverne bien as-sez à la limite du trop et du trop peude sécurité »"

" Michel FOUCAULT « Qu'est ce que lasécurité ? » Conférence donnée au Collège

de France. 1978, cité par J .THEYS dansConquête de 1a sécurité,

gestion des risques, op . cit.

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