My Ste Croix

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LE MYSTERE DE LA CROIX, AFFLIGEANTE ET CONSOLANTE, MORTIFIANTE ET VIVIFIANTE, HUMILIANTE ET TRIOMPHANTE, DE JÉSUS-CHRIST, ET DE SES MEMBRES. ÉCRIT AU MILIEU DE LA CROIX AU-DEDANS ET AU-DEHORS. PAR UN DISCIPLE DE LA CROIX DE JÉSUS. ACHEVÉ LE 12 D'AOUT, 1731. .

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My Ste Croix

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  • LE

    MYSTEREDE LA

    CROIX,

    AFFLIGEANTE ET CONSOLANTE, MORTIFIANTE ET VIVIFIANTE,HUMILIANTE ET TRIOMPHANTE,

    DE

    JSUS-CHRIST,

    ET DE SES

    MEMBRES.

    CRIT AU MILIEU DE LA CROIX AU-DEDANS ET AU-DEHORS.

    PAR UN

    DISCIPLE DE LA CROIX DE JSUS.

    ACHEV LE 12 D'AOUT, 1731.

    .

  • SE suscepto cum themate congruit Auilor: De Crucescribentemsub Cruce jaredecet. De Cruce curscribat,Ji Leor forte requirit?

    Cum Cruce vultscriptis alleviare Crucem. Alleviat Chrijus: minimas, dulcesquecoronat,

    Nobiscum unito corde, fer endo Cruces. Hinc Domini suscepta manu Crux,corde lubenti La ta, suave jugum fertur, onus que leve.

    "Qui Christum noscit, sat scit si caetera nescit: Qui Christum nescit, nil scit siestera noscit."

    POUR ce qui me regarde, qu' Dieu ne plaise, que je me glorifie en autre chose,sinon dans la croix de notre Seigneur JESUS-CHRIST, par lequel le monde m'estcrucifi; et moy au monde. Gai. c. 6, v. 14.

    Celui, qui veut venir aprs moy, qu'il renonce soy, et porte sa croix, et mesuive. Matt. c. 16, v. 24.

    'Ev vTOi vhoxu.

    Luc, c. 2, v. 14.

  • IL y a bien deux ans et demi, mon cher Thophile, que dans notre commerce decorrespondance spirituelle, vous avez demand mes sentiments sur le Mystrede la Croix, dans la vue de vous encourager porter la vtre, ou celles, quipourroient vous arriver dans la carrire de la vie de l'esprit, dans laquelle vousmarchez; tant bien persuad comme vous l'tes, que pour y faire quelquesprogrs et remporter quelques victoires sur tant d'ennemis, qui nous assigent,ou plutt nous obsdent au-dedans et nous environnent au-dehors, il faut treenrl sous l'tendard de la Croix, et avoir pour Capitaine et Conducteur decette compagnie, Jsus, le grand Porte-Croix.

    II. Dans ce temps-l, je n'tois point en tat, comme je vous fis savoir, devous donner la satisfaction, que vous souhaitiez de moy; et peut-tre n'yaurois-je jamais t, si le Seigneur n'avoit appesanti son bras sur moy par uneCroix assez longue et assez pesante, laquelle me ravissant le repos, la libert, etce que le monde appelle honneur et rputation au-dehors, m'en eu procurune autre au-dedans, qui surpasse, sans comparaison, toutes les croisettes dudehors: car c'est un glaive deux tranchants, qui spare l'me d'avec le corps,et l'esprit d'avec l'me, par un martyre bien douloureux, mais dont les suitessont bien consolantes. Je ne vous dirai rien de particulier, ni de l'une ni del'autre: Vous aurez appris sans cela l'extrieure par d'autres personnes, qui enauront port jugement, chacune selon ses vues, courtes ou longues, basses ouhautes; car il y en a trs-peu, qui pntrent dans les desseins et conduites deDieu sur les hommes: pour ce qui regarde la Croix du dedans, vous en verrezquelques traits assez vifs dans quelques endroits de cette petite bauche.

    III. Pour venir au fait, j'ay prouv la diffrence, qu'il y a entre les bellespenses spculatives et entre la pratique relle et actuelle, pourtant toujourspassive de la Croix: celle, qu'on se forme par les images, effleure bien l'esprit,et touche lgrement le cur: mais celle, qui se sent dans le fond le plus intimede l'me, est un glaive de douleur, qui la passe d'outre en outre. Vous en verrez

  • des vestiges dans le chapitre des Croix Intrieures, qui sont assurment biendsolantes et mourantes: tout le monde n'y est pas men galement; chacun asa dose de la Croix: plus enracin est le mal, plus forte et amre est lamdecine: le grand Mdecin sait ce qui convient nos maladies: il ne faut pointse faire volontairement des Croix, ni s'en souhaiter de la part de Dieu; il suffit,de faire bon usage de celles, qu'il envoye; car Lui seul sait les compasser et lesapprter, pour nous tre salutaires: il veut seulement de notre ct une fidlitpassive et soumise, en patience et abandon: le reste se trouvera bien.

    IV. L'on a beau raisonner de la pauvret contente, quand on est dansl'abondance; du mpris du monde, quand on en est honor; de la patiencedans les maladies, dans les pertes et disgrces, quand on jouit d'une santconstante, en gardant son bien et la grce de ses bienfaiteurs: pour moy,j'estime Job dans ses pertes et sur son fumier, quand mme il se plaindrait unpeu fort de la conduite de Dieu; j'aime la douceur de David perscut par Saulet son fils, et maudit de Semei; je vois avec plaisir le bon homme Tobie patientdans la privation de la lumire de ses yeux; et ainsi des autres; Voil des Porte-croix rels.

    V. Si donc vous trouvez, mon cher Thophile, dans ce petit Trait quelquechose digne de considration, ou qui porte quelque marque d'onction, je lereconnois absolument et entirement de la source de tout bien, et de toutegrce et vrit, qui est Jsus, lequel, tout Agneau qu'il est, immol depuis lecommencement et jusqu' la fin des sicles, se montre pourtant tous leshommes tt ou tard, longtemps ou peu de temps, selon le conseil de sa sagesseet nos besoins, ou comme un Lionceau bien rongeant, s'il ne dvore pas tout--fait, ou comme un Lion, qui pntre jusqu'aux entrailles et ronge mmejusqu'aux os, renverse l'homme de son cheval, comme Saul, environnel'homme au-dedans et audehors des horreurs de la mort, comme David; rduitl'homme dans un tat maudire le jour de sa naissance et se plaindre Dieu,pourquoy il l'a fait natre, comme Job: Ou y, il terrasse, brise et carte ce quis'oppose Lui, jusqu' ce qu'on s'abandonne tout--fait son jugement, sacondamnation, la rigueur de sa justice: pour lors il te son masque, et se faitvoir comme il est, savoir, l'Amateur ardent des hommes, qui il ne se montrecomme Lion, que pour en faire des Agneaux, et leurs fait ensuite goter longstraits les douceurs de son amour, aprs les avoir men dans le triste dsert etpays inconnus de leur nant devant Dieu, ou y mme jusqu'aux Enfers.

    VI. Le style de ce petit ouvrage vous parotra un peu oratorique, je le saisbien; mais il faut le pardonner la constitution de l'Auteur, lequel aprs avoirsouffert un arrt de plus de dix mois, sans papier, ni plume, ni encre, obtintenfin, aprs ses dcharges, cette douceur, pour mettre sur le papier ces

  • penses du Mystere de la Croix et d'autres, dont il toit enceint comme unefemme grosse: de sorte, que pour soulager et gayer un peu son esprit et soncur, il s'est servi du style, qui s'est d'abord prsent, sans choix, ni recherche,ses penses tant coules d'elles-mmes sur le papier, sans tude et sansbeaucoup de reflexion ; tant l'ouvrage d'autant de jours, que vous y trouverezde chapitres et de quelques heures par jour, autant qu'il en faut un hommede mon ge, pour crire assez lentement.

    VII. Il faut, que je confesse moy-mme que vous y trouverez des certainspassages un peu difficiles entendre; car c'est un enfant d'une Vieillesse auxArrts, qui n'a point cette libert d'une jeunesse vive et brillante: mais peut-tre y rencontrerez vous aussi un suc plus digr et de plus grande consistenceet maturit, que dans un ge moins avanc: car j'avoue, qu'il y a des endroitsfort magiques et qui demandent des hommes d'une bonne trempe, pour lesbien comprendre dans leur tendue; moins que des gens de basse vue n'enveuillent faire un galimatias, ce qui me touchera fort peu; aimant mieux deprofiter deux, ou trois lecteurs, que de plaire mille.

    VIII. Certaines matires, qui vous sont connues, n'y sont vrayement pointtraites fond; mais il y a par-ci par-l de certains vestiges, qui mnent bienloin la piste de la Vrit solide; mais ils ne paratront qu' ceux, qui ont debonnes lunettes d'approche: car quoyque je dusse tre obscur, je n'ai pointvoulu m'expliquer plus clairement, afin que le lecteur donnt aussi quelqueoccupation sa recherche et sa mditation.

    IX. J'ai bien senti, au reste, que la langue Franoise est trop molle eteffminee pour ces sortes de matires d'un trachant si vif; et qu'elle n'a nil'nergie, ni l'onction des langues Latine et Allemande: mais comme plusieursde vos amis et des miens n'entendent point ces langues, il faut tcher de lessatisfaire avec celle, qu'ils savent; et prier l'Esprit de grce et d'onction devouloir suppler par sa force et sa lumire mes foiblesses et ignorances, et audfaut d'une langue, que je ne pratique presque plus depuis longues annes; etle supplier instamment, jour et nuit, de cur et d'me, de vouloir graver Luy-mme ses vritez ternelles d'esprit et de vie dans notre cur et dans le curde ceux, entre les mains desquels pourroit tomber ce petit ouvrage seulementbauch. Si c'est sa sainte volont et son bon plaisir, il suscitera bien quelqu'un,qui en fasse une version Allemande.

    X. C'est cet Esprit de grce et de vrit que je vous recommande, mon cherThophile, comme je vous prie de solliciter aussi sa misricorde et son amourpour moy; afin que connoissant et aidant nos foiblesses, il prie et intercdepour nous, dans nous, avec des gmissements innarrables, et nous obtienneet donne Luy-mme la vertu et la force de porter avec patience, douceur,

  • humilit, abandon et joye, les croix, que sa sagesse a destines nos preuves,humiliations, renoncements, et purifications, qui en sont le vritable but. Jesuis de bon cur, ne pouvant l'tre encore de corps,

    Mon Cher Thophile,

    Dans la solitude de

    Sonnesteine le 12.

    Aout 1732

    Celui, que vous connoissez

    et qui vous chrit dans

    N. S. J. C.

  • n'est point ici le lieu, ni le temps de rapporter tout le fait, ni les circonstancesde ce qui a donn occasion et naissance ce petit Trait; cela pourroit bien sefaire dans la suite, par un Ecrit particulier tout court et pathtique, si j'yreconnois la volont du souverain Matre, qui appelle et conduit lui toutes sescratures obissantes sa voix, par des sentiers doux et pres, applanis etrabotteux, sems de roses et d'pines, selon son bon plaisir et notre besoin, et,par consquent, impntrables la raison et la sagesse humaine, qui n'estqu'une sotte et aveugle dans les voyes de Dieu.

    II. Une telle conduite divine doit tre considre spcialement avec les yeuxde la foy dans l'crit suivant du Mystere de la Croix; par o un Lecteur, qui ades yeux clairvoyants pourra dcouvrir peut-tre quelque chose de singulierdans les voyes divines, par le moyen des Croix et des souffrances, que leSeigneur proportionne merveilleusement par la sagesse, aux tats etdispositions diffrentes des hommes, en les conduisant parmi les chanes et lesfers, dans une solitude affreuse la nature, mais douce et agrable l'esprit,pour parler cur cur et esprit esprit: il y dispose auparavant l'homme pardes circonstances humiliantes, qui le font entrer dans un profond et totalrenoncement luy-mme, l'honneur, la rputation, la libert et mme lavie extrieure; et tant men dans cette retraite, avec un abandon entier detoute crature, sans aucune ressource humaine, et sans autre appui que surl'amour infini, la puissance sans borne et la fidlit inviolable de Dieu, il entredans le sentiment trs-vif de ces impuissances, inhabilits aucun bien,ignorance du vrai, enfin de son nant, qui est cette disposition passive, enpleine vacuit de toute crature, raison, sens, sagesse, action propre, pourrecevoir l'action divine.

    III. C'est aussi dans cet tat, qu'il plat Dieu d'agir avec la pleine tendue desa puissance, de son amour, de sa sagesse, aprs avoir nanmoins exerc sajustice et ses jugements de purification pralablement, pour disposer l'me ne point mettre obstacle son action, mais la recevoir en puret passive; paro il fait voir, qu'il est un Dieu jaloux, qu'il ne veut point de rivaux, qu'il ne

  • remplit que ce qui est vide de soy et des cratures, qu'il ne demeure que dansdes curs et des esprits humilis vides et angoisss; que le nant de nous-mmes et de tout ce qui n'est point Dieu, est la vritable matire, dont il veutfaire et fait tout ce qu'il Lui plat; qu'il romp, et casse, fait et dfait, pourrparer et renouveller, pour rtablir et parfaire l'ouvrage de ses mains, auquella crature n'a point d'autre part que celle d'un instrument entre les mains del'Ouvrier.

    IV. Ouy, le Seigneur pour accomplir ses desseins, l'exclusion de sescratures, sait mme se servir de l'aveuglement des hommes, pour fermertoute avenue la prire, intercession, entremise, crdit, autorit, addressehumaine, pour notre dlivrance des croix extrieures, comme il m'est arriv la lettre, pendant mon Arrt; et il sait aussi d'un autre ct nous en retirer Luy-mme par son bras tout-puissant, avec les ressors merveilleux et ineffables desa sagesse, si bien marqus du coin divin de sa bont, puissance et amour,contre toute attente, esprance, jugement et raisonnement humain, qu'il faut,que tous avouent, qu'il est le seul fort, le seul puissant, le seul sage, le seul bon,le seul fidel, le protecteur de l'innocence, le soutien de la justice, l'asile desabandonnez, le juge de la juste cause; et que tous lui rendent l'honneur et lagloire qui appartiennent Lui seul, Lui seul pouvant tirer la lumire hors destnbres, la gloire de l'ignominie, le bien rel hors du mal apparent; ouy, mmela vie hors de la mort.

    V. Telle est la conduite de Dieu, quant on plie et qu'on se laisse manier de samain puissante, avec pleine confiance, et abandon total, tant dans les croixextrieures, que dans les souffrances et passivets intrieures, dans lesquellesil fait sentir, qu'il est riche en misricorde, qu'il est le Dieu de toute consolation,la providence infatigable, plein de charit et de soins paternels envers les mes,qui s'abandonnent Lui sans rserve, sans chercher, ni attendre d'autresappuis, ni ressorts, ni resources que de Lui; qu'il ne nous laisse point tenter au-dessus de nos forces, mais qu'il sait les temps et les moments, qu'il a rservs sa puissance, et qu'il fait quelques fois connotre et sentir dans le fondintrieur, avec un tmoignage plus ferme et infiniment plus assur, que celuide tous les hommes.

    VI. Le Seigneur me fit prouver cette misricorde et ces soins si vigilants pourma dlivrance, aprs dix mois et treize jours d'Arrt, du quel je fus affranchi parsa bnigne providence le 4 de 7bre de cette anne 1732. Le jour de Moyse, quimena autrefois le Peuple d'Isral hors de la captivit d'Egypte aprs y avoir faitparotre les prodiges du bras divin. Ainsi plait il au Seigneur de confondre etrenverser les penses, conseils et desseins des hommes, fermer la bouche aumensonge, la mdisance et la calomnie; de relever l'innocence abattue, et

  • de soutenir enfin le parti des Bons, aprs l'avoir prouv assez rigoureusementpar ses instruments, lesquels voyants la patience, la douceur et la longanimitde Dieu, et de ceux, qui le cherchent, se rendront peut-tre enfin l'amourternel, par un vritable et sincre retour vers Dieu.

    VII. C'est au Seigneur, Dieu des Armes, dont nous implorons la misricorde cet effet toucher leur cur et leur esprit, dont il est le Matre et le Recteur,afin qu'ils les tournent tout de bon vers Lui par une pnitence cordiale, laquelle il les appelle et les attend. Peut-tre que l'accident si inoui, qui m'estarriv, et qui a manifest tant de secrets cachez dans le cur de tant depersonnes chancellantes dans le bien, et qui a occasionn ce petit Trait,comme un enfant de la Croix, leur ouvrira les yeux, pour reconnotre leurgrand avantage, l'tat dans lequel leur aveuglement les a prcipit. Au moinsc'est l mon trs-sincre souhait, et prire cordiale vers le Pre desmisricordes, que je supplie, de leur pardonner, comme je leur pardonne debon cur, le tort qu'ils ont voulu me faire.

    VIII. Pour ce qui est des mes de bonne volont, elles decouvriront par lalecture de ces penses, qu'on peut tre trs-libre parmi les chanes et les fers,et mme dans les cachots; et qu'on y peut jouir d'une grande paix d'me,libert et tranquillit d'esprit, gaiet et dilatation de cur, que rien n'estcapable d'alterer, ni d'branler. Si l'me sent une fois ce temoignage intrieur,que l'Esprit rend notre esprit, savoir, que nous Lui appartenons, nonseulement elle demeure ferme et intrpide dans les tats extrieurs les plusdsolants en apparence, mais aussi devant le Diable dechan et devant l'Enferouvert; si Dieu est pour elle, qui est contre elle? C'est pourquoy, me fidle, quilirez ceci, ayez bon courage dans toutes vos adversits, croix, souffrances,tribulations droite et gauche, au-dedans et au-dehors; puisque vous tesassure que l'Amour ternel vous y mne et vous en retirera, quand il auraatteint son but sur vous: plus on y apporte d'attention et de fidlit, plus leSeigneur travaille avec vitesse; et plutt achve-t'-il aussi son ouvrage et savolont sur nous, qui est notre sanctification, que je souhaite de l'tendue demon me tous ceux, qui la dsirent et la recherchent; tant, comme je suis,trs-cordialement et sincrement,

    De ma solitude Libre

    Le 14 Octobre 1732

    Leur dvou les servir,N. N.

  • CHAPITRE I

    DE L'ORIGINE DE LA CROIX.

    I.

    ENTRE les diffrentes manires, dont il a pl Dieu de se manifester dans lessaintes critures, l'une des plus considrables dans ses mystres, et des plustendues dans ses significations, est celle avec laquelle Isai fait parler leSeigneur au c. 41, v. 4:

    Qui fait et operen toutes ces merveilles, et appelle les hommes, les uns aprs lesautres depuis le commencement? C'est moy le Seigneur tant des premiers quedes derniers. L, mme au c. 44. v. 6. Le Tout puissnt se rend a soy mme unpareil temoignage par l bouche du mme Prophete :

    Ainsi parle le Seigneur, le Roy dIsral et son Redempteur le Seigneur des Armes:je fuis le premier et je suis le dernier, et hors de moy il n'y a point de Dieu.

    St. Jean dans fa divine Apocalypse rendnt temoignage de l Parole de Dieu etde JSUS Christ, Lui met en bouche une semblable expression :

    Je juis A et O, le comencement et la fin; le premier et le dernier.

    II. Nous nous servirons de cette rvlation prophtique et apocalyptique,comme tant fort convenable notre dessein, pour bgayer comme un enfantde l'origine ineffable de la Croix. Quand Dieu dit qu'il est A et O, nousentendons par A l'abme sans fin, ni commencement, sans fond et sans rive,sans nombre et sans mesure, sans lieu, ni situation. C'est le sacr Alephtnbreux, l'Alpha inconnu et innommable, dans lequel tout est cach, tems etternit. C'est une sacre obscurit, sacra caligo, hors de nature, dont il n'est

  • point permis la foiblesse de l'homme, qui est dans la nature, de fairerecherche: car autrement on seroit opprim par son poids immense; et il neresteroit l'homme de sa prsomptueuse spculation, que des vertiges, qui luiferoient tourner la cervelle: parce que c'est l'abme, dans lequel Tout est cachet rien de manifest: et posuit tenebras latibulum suum, Ps. 18, v. n; 3 Roys, c.8, v. 12: les tnbres sont sa cachette; et il n'y a pourtant ni lumire, nitnbres, mais seulement un abme, ou magie divine. Rom. c. 4, v. 17; 1 Cor. c.1, v. 28.

    III. Il y a nanmoins dans l'abme une volont abyssale, mais subtile comme lenant: elle se tire elle-mme dans elle-mme; s'imprgne, se conoit, ets'engendre; et se fait, par consquent, le commencement ternel de soy-mme; c'est--dire, de la volont. Ainsi cette volont abyssale de l'A, ou del'Aleph, n'ayant point de fond, s'en fait un en se regardant ellemme; et nouspourrions figurer ce fond par V, qui est le Verbe ternel, le miroir, la forme,l'image substantielle de l'A, le premier nominable, qui toit dans lecommencement, et qui est appell du nom trs-saint, trs-auguste, et trs-majestueux, Jhovah, qui renferme en soy toutes les voyelles, ou lettresvocales; parce qu'il est la Vie et l'Esprit de tout ce qui est sorti de lui par lacration. C'est comme je voudrois entendre ces paroles de St. Jean, c. 1, v. 1:Au commencement (qui est l'Aleph) toit le Verbe, et le Verbe toit avecJhovah, et le Verbe toit Jhovah: par o nous voyons la gnration ternelleet innarrable du Verbe par l'Aleph, ou le commencement et principe ternelet la manifestation de l'A, ou Aleph, par le Verbe, qui est Jhovah, qui est laparole, la voix, le cur, la vertu du commencement ternel, qui dvoile etmanifeste l'Aleph ou l'Abme.

    (Aleph tenebrosum, ou "Ain Sofa" des Hbreux. Il n'est donn aucunecrature de le comprendre autrement que dans sa manifestation extrieure ousplendeur, Jsus Christ. Hbr. c. I, v. 3; Jean, c. I, v. 18. Verbum invisible Setpalpabile et germinabit ut radix. Jehovah Sabaoth nomen.)

    IV. Nous entendons aussi par consquent, que l'A, ou Aleph, est dans le V, oudans le Verbe, ou le Pre dans le Fils, et le Fils dans le Pre indivisiblement,comme le Fils, ou Jsus-christ, dans l'tat de son abaissement en a rendutmoignage, qu'il avoit apport du sein de son Pre: car sans le Verbe l'Alephne seroit ni nomm, ni connu, ni manifest: D'o nous comprenons, que le Vtire l'A hors de l'abme de l'ternit, tant sa voix et sa parole substantielle, etl'ouverture de l'il de l'ternit semblable un globe immense et infini, quirenferme tout, et qui n'est renferm de rien, qui est au-dessus, au-dessous,dans et au travers de tout. C'est ce que nous trouvons par l'O dans le nomtrsauguste de Jhovah, qui nous reprsente ce globe immense et cet il

  • ouvert de l'ternit. Nous dcouvrons aussi dans ce nom sacr le grand etineffable mystre de l'Esprit Saint, spiracle ternel de l'A et du V, qui les remplitet les rassasie infiniment, tant le lien de leur amour et de leur volont, la vieet l'esprit du cercle immense, qu'il anime et qu'il vivifie par double spirationpassive et active, comme parle la thologie de l'cole: car dans ce nomineffable, nous avons deux H, ou aspirations, entre O, V, A, Jhovah, quimarquent si bien ce souffle sacr, animant, remplissant et unissant O, V, A;nous entrevoyons aussi dans ce nom divin, que l'Esprit Saint procde du V et del'A, du Pre et du Fils, qu'il reoit et est envoy de l'un et de l'autre; c'est--dire, de l'A au nom du V, et comment l'Esprit Saint dans le Pre et dans le Filsest le commencement et la fin ternelle, ouy la vie et le rassasiement et laplnitude de tout ce qui en participe l'tre: car il remplit et renferme ce cercleimmense, comme dans le nom de Jhovah les deux H, ou aspirations,commencent et terminent l'O, V, A, tant lui-mme le principe et le terme deleur amour, le souverain bien dans un rassasiement infini, et une acquiescenceparfaite la jouissance de cet amour infini.

    V. Si l'on pouvoit reprsenter par quelque figure le sacr Ternaire, il feroit untriangle de feu , avec le point du milieu, qui marqueroit l'abme, d'o seconoit et s'engendre ternellement le triangle, qui est la manifestation del'abme, et qui rend tmoignage au ciel de l'Unique, incomprhensible dans sonunit, mais rendu manifeste et comprhensible dans la Trinit, ou sacrTernaire, sorti du point de l'abme, comme un clair sortant du point du feu faittrois lignes, lesquelles expriment le triangle. Or il a pl au Verbe ternel, qui estJhovah, de se porter dans un autre triangle d'eau , pour y manifester par lacration les merveilles du triangle de feu , comme la lettre initiale du nomVerbe le marque; car cette lettre tant ferme par en-haut fait le triangle d'eau

    dont la pointe descend par en-bas, comme la pointe du Triangle de feumonte pyramidalement par en-haut. Le triangle d'eau est toute la douceur, lamansutude, l'humilit, la bont, la misricorde, la beaut, l'amabilit, et lagrce communicative du triangle de feu, qui dans le triangle d'eau, perd sapointe leve et sa nature brlante et consumante, qui fait appeller Dieu, unDieu jaloux et feu consumant; au lieu que par le triangle d'eau, il est appell lePre des misricordes, le Dieu de toute consolation, dont la benignit, la grceet la mansutude nous ont t manifestes par le Verbe fait chair : cum autembenignitas et humanitas apparuit Salvatoris nostri Dei. Tit. c. 3, v. 4.

    VI. C'est ici la manifestation de la Croix glorieuse et triomphante dans leVerbe par l'lment saint, pur et virginal de l'eau spirituelle, vivante etvivifiante, sans laquelle nous ne pourrions jamais avoir accs au triangle de feu,qui habite une lumire inaccessible, qu'aucun homme n'a jamais v, et ne verra

  • jamais, si non dans et par l'lment de l'eau sainte, qui est la sacre corporalitde la divinit et son tabernacle avec les hommes: car ce triangle doux,dbonnaire et tout aimable, est le vritable caractre divin, dont sont et serontmarquez tous ses enfans; c'est le caractre Tau , qui a une ligne droitehorizontale en-haut: que si des deux extrmitez de cette ligne, vous tirez deuxlignes par en-bas jusqu'au pied de la ligne perpendiculaire, vous y trouverezl'lment saint et pur de l'eau, en forme de Croix , qui baissant la pointe paren-bas, tempre la pointe du feu, dont les ardeurs sans cela seroientinsupportables; vous dcouvrez ici la rconciliation du feu de la colre par l'eaude l'amour ternel, et comment Jsus l'Agneau de Dieu est immolcontinuellement, comme il l'a t ds le commencement du monde et le serajusqu' la consommation de tous les sicles, tant qu'il y aura une craturegare de la fin et de la bont de sa cration.

    VII. Nous comprendrons encore mieux ces mystres ineffables, en runissantl'A et le V, ou bien le triangle de feu et le triangle d'eau ensemble, pour en faireun double triangle car nous trouverons dans ce double triangle une eau defeu, et un feu d'eau, c'est--dire, le feu tempr par l'eau, et l'eau vivifie par lefeu; par consquent, le principe de notre renaissance, ou rgnration parl'esprit de feu, et par l'eau de vie, ou bien dans deux mots, par l'eau vivante;car l'esprit de feu est la vie de l'eau. Si du point central de ce double trianglevous parcourez avec un compas les six angles, vous aurez un cercle parfait, quiest le globe de l'ternit, ou bien l'O du nom auguste Jhovah, dans lequel toutest renferm, comme dans une sphre d'tendue immense, savoir l'abmepar le point central, l'Aleph par le triangle de feu, le Verbe par le triangle del'eau; l'Esprit, qui anime et vivifie tout le globe, par les six points des six angles,lesquels avec le point central, marquent les sept esprits de la nature ternelledivine, dont il est fait mention au c. 4, v. 5, de l'Apocalypse, car les six pointsdes six angles avec le point du milieu font ensemble le sacr septenaire, quinous donne une image, quoique trs-groflire des sept Esprits mans desdeux triangles et du point central; et ainsi de la source du monde anglique, quitient ce point, et par consquent de ses sept princes; et nous loignanttoujours d'avantage du centre, des sept plantes clestes, auxquels prsidentsept princes angliques; et nous constituant toujours plus au-dehors du mondeanglique et astral, nous effigie dans le monde lmentaire, les sept plantesterrestres, qui sont les sept mtaux; et ainsi de suite dans les autres royaumesdu monde extrieur. Tout ce sacr double triangle de feu et d'eau n'est quepure vie, esprit, lumire, amour, bienfaisance d'une temprature inexplicable,d'un got et d'une saveur ineffable, de couleurs trs-vives, de figures trs-aimables, de force et de vertu toute puissante, de sagesse toute prvoyante et

  • ordonnante: et ce qui doit nous rduire un silence respectueux, c'est que letout est engendr du point central indivisible du double triangle.

    VIII. Le Verbe ternel s'tant port dans cet lment saint et virginal del'eau, ce grand Jhovah a voulu manifester par l les merveilles de l'Aleph par lacration du monde anglique; et sur le modle du monde anglique, la crationde ce monde extrieur visible et palpable, astral et lmentaire, aprs la chtedes anges rebelles, qui en avoient fait un chaos tnbreux, que dcrit Moyse aucommencement de la Gnse: ainsi le Verbe, ou la Parole prononanteternellement s'est prononce elle-mme en anges et esprits clestes dans letems; et aprs avoir cr au commencement le ciel extrieur et la terre horsdes dbris causez par l'orgueil allum de Lucifer, elle ouvrit, au quatrime jourun point du monde intrieur divin et anglique, comme une porte de lumirepour clairer ce monde extrieur; et elle plaa ce point dans l'endroit mme,o Lucifer avoit tenu son sige, ou throne royal: c'est ce que nous appellons lesoleil, par le moyen duquel la lumire intrieure est communique au-dehors;et par consquent toujours plus loigne de sa source et plus dilate dans lacirconfrence, que plus elle s'loigne du centre.

    IX. Aprs que tout ce monde cleste et terrestre avec tout ce qu'il contienteut t cr, l'homme enfin le dernier ouvrage, comme le chef-d'uvre divindu monde visible, fut cr au sixime jour l'image de Dieu; de sorte que par laracine la plus intime de son me il tient par un lien indissoluble et indivisible l'abme de l'ternit, par son esprit au monde lumineux divin et anglique, etpar son corps au monde astral et lmentaire, cr entre la lumire et lestnbres, l'amour et la haine. Dans cet tat primordial de l'homme, l'lmentsaint, pur et virginal, tempr de feu et d'eau spirituelle et cleste, verdoyoit,par le point ouvert du soleil, au travers des quatre lmens extrieurs, et lestemproit dans leur qualitez, tant que l'homme demeura fidel et obissant lasagesse divine, dont l'intention toit demanifester les merveilles du tems et del'ternit par ce noble ouvrage de ses mains, comme par un instrument vivant,extrait de toute la nature, comme un petit monde, raccourci et retreffi dans unpetit volume: car elle vouloit exercer dans lui et par lui toutes les puissances etles capacitez d'tre, de pouvoir, de vouloir, de savoir, de penser, de dsirer, deconcevoir, de jouir qu'elle avoit mises dans lui; par o il auroit t renduternellement heureux et immortel dans ses trois principes, dont il participoit,en parfaite harmonie, dans la compagnie et sous la conduite de cette mmesagesse et pouse cleste, qui vouloit prendre ses bats et ses dlices avec lui :

    delicias meas esse cum filiis hominum Prov. c. 8, v. 31, dans un jeu enfantind'amour et de rjouissance perptuelle.

  • X. Mais d'abord aprs l'infidlit et la dsobissance de l'homme, la sagessese retira de lui, ne voulant point avoir de commerce avec un homme terrestre,animal et rendu semblable aux btes par sa chute; les lmens commencrent faire parotre leur qualitez sensibles du froid et du chaud, du sec et del'humide, l'lment saint n'agissant plus si vivement, ni si perceptiblement,qu'auparavant, cause que la terre, par la maldiction, toit sortie du point dusoleil, auquel elle appartenoit, et toit devenue elle-mme le centre et lasentine de toutes les impurets des autres lmens; l'homme reconnut sanudit, que l'innocence lumineuse lui cachoit auparavant; les cratures, qui ci-devant lui toient soumises, se revoltrent contre lui, pour venger l'outrage,qu'il avoit fait son et leur Crateur: le feu spirituel de son me, qui toitaddouci et tempr par l'eau d'esprit et de vie, que la sagesse luicommuniquoit, devint tnbreux, fougueux, pre, austre, plein d'aiguillons,piquant et famlique, ayant perdu sa vritable nourriture: et ainsi la croixdouce et aimable, victorieuse et triomphante, qu'il portoit dans le signe et lecaractre divin Tau, dont il toit l'image, devint une croix pleine d'pines et deronces, un ver mordant et rongeur, un serpent envenim et piquant dans sonsein, aprs avoir suivi les suggestions trompeuses et funestes du serpent, par lalche condescendance sa femme.

    XI. Ainsi voil l'homme et toute sa posterit expose toutes les injures dessaisons, l'inclmence des lmens, la ferocit des btes, la cruaut et l'injustice, la violence et la tyrannie des autres hommes: abandonn de safidle conductrice, la sagesse, ses propres caprices, passions, aveuglemenscausez par le pch: sujet aux maladies du corps et de l'esprit, enfin la morttemporelle, qui est peu de chose, mais en danger de la premire et de laseconde mort, qui est l'arrt terrible du grand Juge, qui ne doit points'entendre de la mort du corps, qui est plutt un remde au malheur, danslequel l'homme est tomb, qu'un chtiment; car il toit impossible, que lecorps attaqu de tant d'ennemis, pt avoir une vie perptuelle aprs la chte;comme nous voyons, que toutes les choses naturelles passent, cause desqualitez contrairs, qui se rencontrent par tout; et qui font agonisercontinuellement toute la nature.

    XII. Dans la suite, les cratures se sont multiplies, et fortifies dans leurmalignit: et s'loignant toujours davantage de la bont, de la vertu et de lalumire de la source, par ce mme loignement du centre, les lignes sonttoujours devenues plus grandes, les cratures en plus grand nombre et varit;d'o par consquent il est venu plus de sujets de tentations, ou de distractionde l'unit du centre, par la multiplicit de la circonfrence: d'autant plus decratures, d'autant plus de sujets de combat, de croix et de souffrance, etd'occasions de chtes dans le pch, qui est la vritable cause de la croix

  • douloureuse, dont nous parlerons plus amplement dans le chapitre suivant, Dela Croix en gnral. Qu'il nous suffise de savoir pour le prsent, que sanscontraires il n'y a point de croix, et sans croix, point de manifestation: carcomment connotre les merveilles de l'ternit, qui n'est qu'un pur abme, sansle tems, qui est son fond, qui l'a mis en vidence? comment connotre lalumire, sans les tnbres; le feu, sans l'eau; le jour, sans la nuit?

    Aleph divinum crucis est et lucis origo:Per sacram, Deitas fit manifesta, crucem.

    Fulgure ab aeterno Sanctus Ternarius exit;Praefentat-que, sacro lucis ab igne, crucem.

    O quantum magnale crucis! si Lucis anhelusLuce frui cupias, sub cruce disce pati.

    CHAPITRE II.

    DE LA CROIX EN GNRAL, ET DE SES CAUSES.

    APRS que l'homme fut sorti de l'harmonie divine par sa dsobissance,voulant s'lever au-dessus de l'tat o il avoit t cr, comme une racined'arbre, qui veut s'lever en l'air o elle devient aride, ne recevant plus le sucnourricier de la terre, et n'tant plus propre qu' tre jette au feu, tout ce quitoit dedans et hors de lui, se rvolta contre lui; de sorte que si la sagesseternelle, qui n'abandonne point son ouvrage, n'avoit pas trouv dans lesressors infinis de son amour, un moyen pour le tirer hors de l'affreux abme, oil s'toit prcipit avec toute sa postrit, c'toit absolument fait de lui; il seroitdevenu avec tous ses descendants un compagnon de Lucifer et des autresanges rebelles. Mais la misricorde du Verbe Jhovah, qui est au-dessus detous ses ouvrages et qui tempre sa justice, s'interposa entre l'offens etl'offensant; et par la promesse, que la semence de la femme craseroit la ttedu serpent, la grce divine s'imprima de nouveau dans Adam par le trs-saintNom de Jhovah dans Jsus, qui lui fut promis, pour tre son librateur et

  • rdempteur: mais l'image de Dieu grave dans lui demeura fltrie commel'image de la mort; ou comme une fleur fane par les ardeurs du soleil, qui ontdessch tout son humide, dont elle recevoit sa nourriture et sa beaut, sa vieet sa douceur.

    II. Comme la lumire ne peut tre engendre sans feu, non plus qu'un filssans pre, aussi la lumire ne peut subsister que dans une eau douce, huileuse,qui lui sert d'aliment continuel: nous en avons des preuves dans la natureextrieure, que non seulement la lumire, mais aussi le feu s'teignent, d'abordque le feu a consum le soufre huileux des matires combustibles, qui lenourrissoit; il ne reste que cendre et poussire tnbreuse. Voil une legreimage de l'tat d'Adam dans son pch. Le feu par lequel il est liindivisiblement l'ternit sans fin, devint en lui et dans tous les hommes, dontil toit la tige, une fureur, une faim avide et aride, une inimiti aigue etpiquante, dont les essences ne sont qu'amertumes et qu'aiguillons: ce n'estque tnbres et qu'horreur; et si les rayons de la lumire ternelle, quireluisent de tems en tems sur ce feu tnbreux, par des manires et des traitsineffables, ne temproient point cette angoisse de feu, ce seroit l'enfer ouvertet dcouvert. Mais outre la lumire du soleil, qui anime et qui rjouit tout cemonde visible, la semence de la femme, qui crase continuellement la tte dece serpent et de ce dragon de feu, envoye des manations de ses eaux douces,vives et rafrachissantes, qui modrent cette soif enrage et cette avariceinsatiable: et c'est de ce feu comme du pre, que s'engendre la lumire,comme le fils, dans ces eaux vivantes, comme la mre; et cette lumire est levritable tre de toutes choses, ouy, leur vie, sans laquelle ce n'est qu'angoissemourante, douleur jehennante, ignis Jehenna mais avec laquelle ce n'est quedouceur, amour et vie: vitaerat lux hominum. Jean, c. 1. v. 4.

    III. Pour ne point abandonner d'abord cette matire, qui est si importante notre but, qui doit dvelopper les causes des croix, il sera bon de remarquer,outre ce qui vient d'en tre dit, que dans la plus profonde racine, ou le fond leplus intime de la nature, il se trouve un esprit cruel, svre, amer, aigu,austre, d'un froid aussi glaant, que d'une ardeur brlante, au-dessus de touteimagination et de toute expression: quand il se dcouvre et se dploye dansune crature, c'est l l'enfer. Comme les choses visibles ont t faites sur lemodle des invisibles, Hbr. c. 2, v. 3, voyons en un tableau dans le mondeextrieur, cr pourtant entre la lumire et les tnbres, entre le bien de Dieu,erant omnia valde bona, Gen. c. 1, v. 31, et entre le mal introduit par Lucifer,enfin entre la vie et la mort. Quand la nature extrieure chauffe pendantl't par les ardeurs cuisantes du soleil, a ramass dans l'air beaucoup dematires sulfureuses, bitumineuses, nitreuses, et par consquent trs-inflammables, d'o les temptes les plus horribles prennent leur origine, le

  • froid furibond rassemble de son ct les eaux de l'air en nues, et dans sagrande fougue, il en fait une espce de mer glaciale: la chaleur excessive del'air, ardent par les matires inflammables et enflammes, lui dispute laprimaut; passe avec une imptuosit ardente au travers des eaux, avec sesclairs; fond et fend, fait rsoudre et fondre la mer engele; de ce combatfurieux et violent du froid et du chaud grondent les tonnerres, les clairsblouissent, les foudres et les carreaux pntrent, allument ou renversent cequ'ils rencontrent; d'o les fondemens de la terre sont branls, les hommestremblent d'effroi et de frayeur, les animaux et les btes sauvages se retirentdans leur caverne. Je vous donne penser, dans quelle constitution setrouverait un homme lev de la terre jusqu' la rgion de l'air, o ceteffroyable et cruel combat du froid et du chaud donne la terreur toute lanature par sa violence.

    IV. Le mme fond, qui cause ces horribles fracas dans le monde extrieur, setrouve dans le monde intrieur de l'homme: regardez un homme emport parla fougue imptueuse d'une colre enrage, et arm la vengeance, avec desyeux tincellans, une bouche cumante, les dents grinantes, tout le corpsfrmissant et ne respirant que feu et sang, que saccage et carnage: vous entrouverez au moins une lgre image, ou quelques traits bien vifs. Or ce fondde l'homme, qui tait son plus grand ami dans son harmonie avec lasagessedivine, tant la base et le lien ternel, qui rend l'homme immortel, devient sonplus grand ennemi domestique, moins que par l'aide de la grce et de lalumire, qui claire tout homme venant au monde, il ne le remette dans l'ordreet dans la concorde, auxquels le Crateur l'avait destin. Ce feu, ou ce fondign, pour ainsi dire, est un Ayman, une faim et une soif, qui attire soi cequ'elle trouve pour se rassasier et rafraichir: si elle se tourne du ct de lalumire, qui engendre la mansutude, elle recevra la manne cleste et lanourriture des anges, oui mme la parole vivante, qui procdede la bouche deDieu, et qui est proche dans notre bouche, proche dans notre cur, par o il sefera une heureuse mtamorphose de cet esprit de feu, et de ce fond tnbreuxdans un enfant de lumire: mais ce mme fond devient dans lui un ennemi etun bourreau cruel, s'il ne lui donne pour toute nourriture, que la paille, le foin,le bois, les touppes des choses de ce monde, qu'il consume comme un rien,sans assouvir sa faim, ni tancher sa soif: car au lieu de le temprer, il l'allumeencore d'avantage: ce qui lui cause ses cupidits, ses colres, ses vengeances,ses rages et ses dsespoirs, qui sont autant de croix enflammes de ce feuinfernal, dont le diable afflige ses partisans.

    V. Nous avons avanc avec une vrit incontestable, que ce fond de feu ouesprit de feu, que l'criture sainte appelle tnbres extrieures, est pourtant labase et le pre de la lumire: Or la lumire est un clair, doux, aimable, plein

  • de force, de vie, de vertu, et mme de mansutude, quand l'eau surpasse le feudans l'clair; car sans feu et sans eau il ne se fait point d'clair, qui a le feu pourpre et l'eau pour mre.

    Mditez bien le premier chapitre prcdent, vous y trouverez plus demerveilles, qu'il ne parait d'abord; mais il faut entendre le tout spirituellementdans le monde intrieur, comme nous l'entendons et voyons matriellementdans le monde extrieur, qui n'est qu'une figure ou image (schema) de celui-l.La lumire donc donne la vie, la bont, la beaut, et le prix toutes choses,comme le feu tnbreux ne donne qu'horreur, terreur, affliction cuisante etmort rongeante, o elles se trouvent. Voil les grandes causes des croixconsolantes et des croix affligeantes: plus on est loign de la source de lalumire, plus on sent l'angoisse des tnbres. Examinez les hommes sur ceprincipe; et vous verrez leur bonheur, ou leur malheur peint sur le visage de laplus part: un homme, qui jouit de la lumire intrieure fait paratre une gaietd'me mle du srieux et du grave, une probit de murs, une puret de vie,une douceur deconduite, une candeur de paroles, une mansutude, quimodre toutes ses passions: Au contraire, une personne qui est encore dansson feu tnbreux, ne montre, ne fait, ne parle que de trouble, foltreries,plaisirs brutaux et sensuels, paroles quivoques, gestes indcens, toujoursinquiet, ou d'une tristesse meurtrissante, ou d'un panchement de joie et de risfoltres, etc.

    VI. L'homme par sa chute ne perdit point seulement la gracieuse compagniede la lumire, par l'loignement de la sagesse divine, mais par une suitencessaire de la privation de la lumire, la terre fut maudite, ne produisant quedes pines et des ronces, et l'homme fut condamn manger son pain lasueur de son visage: et c'est ici le commencement de la croix de pnitence, laquelle nous sommes tous condamns, si nous voulons recouvrer, par la grcede Jsus Christ, notre premire innocence et notre puret lumineuse. Lescauses des croix affligeantes se trouvent dans la contrarit, d'o nait lecombat, pour vaincre le parti ennemi, et surtout le grand adversaire, commel'appelle St. Pierre I. c. 5, v. 8, qui courre et l, comme un lion rugissant,cherchant la proie pour la dvorer: nos autres ennemis domestiques, qui nouslivrent aussi une guerre bien cruelle, sont nos passions drgles, nosconvoitises dsordonnes, qui se jettent comme corps perdu sur-tout ce queleur prsentent la concupiscence de la chair, la convoitise des yeux, et lasuperbe de la vie: nous avons encore un serpenteau dans nous ; mais qui estbeau, joli et mignon, qui se fourre par tout, jusque dans le sanctuaire, quigouverne aujourd'hui tous ceux qu'on appelle savans, et qui ne veut pointcder le pas son matre, qui est l'esprit dans l'homme; je n'ose quasi lenommer, parce qu'on en a fait une petite divinit, qui dcide de tout en

  • matresse, qui fait la loi partout, qui rgle tous les conseils et les desseins deshommes, qui prside aux assembles, qui fait ce qu'on appelle les beaux espritset bien souvent les esprits forts, dont le nom vritable est Athe: vousdevinerez bien peut tre, sans que je vous le dise, que c'est la Raison, cettepetite peste domestique, cette ennemie dclare de la croix, cette flatteuse ettrompeuse, qui tant destine pour rgler les choses corporelles et extrieures,veut dominer mme sur l'esprit et l'asservir sous ses lois. Je ne dirai rien de lagrande troupe des lments, de leur productions en nombre et varit, de lacontrarit de leur qualits, qui mnent enfin notre corps mortel lapourriture: ni des influences malignes des astres, dans lesquelles l'ennemicommun darde ses flches envenimes, avec tous leurs fruits empoisonns, quiassigent continuellement la pauvre hutte de notre corps, la menacent deprompte ruine, qui altrent notre sant, bouleversent souvent nos esprancespar les ravines d'eau, par les scheresses, par les grles, par la foudre et autresflaux de peste, de guerre, famine, qu'elles allument si souvent, afin que leshommes avalent le calice de leurs abominations, qu'ils se sont vers eux-mmes: C'est l le nombre de l'homme et de la bte apocalyptique, qui causeles grandes croix au-dehors et au-dedans. Passons plus outre.

    VII. D'ici nous voyons, que la croix est un combat de deux choses contrairesl'une l'autre, dont l'une veut l'emporter au-dessus del'autre: Cette contraritvient de la multiplicit; car o il n'y a qu'unit, il n'y a qu'galit, ou concorde etharmonie: qui veut se dlivrer de la croix, doit sortir de la troupe, o est lavarit et multitude, et s'efforcer rentrer dans l'unit, o il n'y a que paix,amour, union, repos, et tranquillit: tant qu'il y aura des contraires, il y auracombat et par consquent des croix et des souffrances: plus on s'loigne ducentre de l'unit, plus on entre dans la divisibilit de la circonfrence, et dansles dangers et occasions du pch, qui est un dtour deDieu comme centre detoutes choses, et un retour, ou attache, ou amour vers la crature, qui est dansla vaste tendue de la priphrie: Il n'y a qu'un seul vritable et unique bien,hors duquel tout est mal, corruption, vanit, tnbres, nant.

    VIII. Or pour trouver ces contrarits et leur source, outre ce que nous enavons dit, nous n'avons pas besoin de sortir de nous-mmes; nous les trouvons,sans aller bien loin. L'homme tant un extrait des trois principes, ou mondes, letnbreux infernal, le lumineux divin et cleste, et le monde extrieur crhors des deux, il en possde aussi les trois centres, dont l'un veut dominer surl'autre; et ainsi sont-ils tous trois en dispute et combat continuel, pour avoir lanoble image de l'homme: L'esprit de feu tnbreux, dont nous venons de parlerau II. la prtend du droit de nature, cause que l'homme a t engendr desa racine, dans laquelle il est encore; car la nature n'est autre chose dans soncentre, que cette cret de feu brlant; ainsi l'esprit de feu y a droit de nature:

  • outre cela, la chute dans le pch ne rveille que trop souvent dans nous, pournotre grand malheur, ce feu fougueux et consumant, en l'levant hors de soncentre d'abaissement o il devrait demeurer, comme l'ordre de la cration ledemande; tout de mme que les racines des arbres et des plantes doiventdemeurer en terre. L'esprit de ce monde, dont Satan est le prince, y fait aussises grosses prtentions, cause qu'il le possde et porte dans son sein, et qu'illui donne continuellement sa vie, sa nourriture, son habillement, ses forces,beauts, ornemens et ses merveilles: cette tentation est d'autant plusdangereuse, qu'elle nous touche de plus prs et plus sensiblement, flattantnotre nature corrompue, et se servant cet effet du serpenteau mignon, quiest la Raison, comme un enfant, ou fruit de l'esprit astral, qui ouvre toutes lesportes et les fentres de notre cur et de notre esprit, pour y fourrer sa belleimage, et s'y faire adorer, avec tous ses idoles de conceptions, d'ides, deconnaissance, de beaux et spcieux raisonnemens, qu'elle forme. L'esprit delumire, o le royaume de Dieu veut aussi absolument avoir l'image del'homme; parce qu'il lui a donn son plus grand trsor dans son cur, qui estJsus Christ, qu'il l'a rgnr d'eau vive et d'esprit vivifiant; que l'hommeayant t perdu et retrouv de nouveau par le bon Pasteur, qui a donn sa viepour son image, veut et doit manifester dans elle les merveilles du royaume deDieu, et ce principe nous touche le moins par ses attraits, cause qu'il est toutspirituel, ne tombant point sur nos sens et dtruisant notre raison. Chacun deces trois principes nous prsente ses charmes et ses appts: le monde du feutnbreux nous prsente la force, la puissance, et la gloire: le monde extrieurnous offre des biens et des richesses, pour parvenir aux charges et auxhonneurs, et pour avoir de quoi jouir de toutes sortes de plaisirs dans la bonnechre de la table, dans l'ameublement, dans l'habillement prcieux, et danstoute autre sensualit. Le royaume des cieux nous met devant le cur etl'esprit, la paix, la joie, la justice, l'amour, l'innocence, la puret; enfin tous lesbiens ternels sans fin, dont il nous donne esprance et assurance d'une pleinejouissance, si nous voulons nous rendre tout--fait lui.

    IX. Le combat se donne; il est violent et opinitre, cause des trois trspuissans ennemis l'un l'autre, dont l'homme est assailli. Le diable, ou lemonde tnbreux connaissant le fort penchant de l'homme l'ambition, lavengeance, l'lvation de sa propre excellence au-dessus des autres, lui enfournit les moyens par la puissance de son feu infernal, qu'il allume et soufflecontinuellement dans lui. Le royaume de ce monde, qui sait le fort et le faible,les avenues et les pauvres retranchemens de l'homme, lui donne des richesses,de la sant et vigueur, le rend honorable et respectable par une charge, luiprsente ses beauts, ses plaisirs et ses ornemens; l'invite aux sciences, pourparatre dans un plus haut degr, que le commun; lui donne du gnie et de

  • l'adresse, pour exercer quelque profession ou mtier lucratif. Que fait l'espritde lumire? il lui envoye des touches douces d'amour, pour l'attirer; et quand ilest engourdi, il le rveille par des piquantes: il lui promet des biens permanenssans fin; il le menace de sa disgrace ternelle: il lui met devant les yeuxintrieurs sa parole vivante crite dans son cur, et la parole crite sur lepapier devant les yeux corporels: il l'appelle par autant de cratures, qu'il en aproduites, par autant de voix que d'objets, qui rendent tmoignage au principe,d'o ils sont, et la fin, laquelle ils tendent. Tous ces attraits tant inutils,l'esprit lumineux se sert d'autres moyens plus svres, pour faire revenirl'homme de son insensibilit et de sa lthargie: il te l'homme sa sant, et sesforces, le dpouille de ses biens et de ses richesses; afflige son corps au dehorspar des maladies et des douleurs; et il pouvante et angoisse au-dedans sonesprit par des remords, des frayeurs et des dtresses; afin de le dtourner del'esclavage de ses deux ennemis et de l'attirer soi: si cela ne suffit point, lebon Esprit a des verges encore plus sanglantes contre ses enfans rebelles etopinitres jusqu' la manie: il lui te ses parens, amis, patrons, sa rputation,son honneur, et sa libert; le fait charger de chanes et enfermer dans uncachot, jusqu' ce qu'il devienne sage et sobre. O Amateur de la vie et deshommes, que tes conduites sont merveilleuses, que ta sagesse est profonde,que tes conseils et tes jugemens sont impntrables la folle raison humaine!

    X. Mais que feras-tu, pauvre homme tyrannis? te voil tir et tiraill de troiscts: que feras-tu? le choix est entre tes mains. Je t'ai mis, dit le Seigneur, lefeu et l'eau, la vie et la mort, le bien et le mal, la lumire et les tnbres,devant les yeux; c'est toi tendre tes mains, o tu voudras: telle semence,telle moisson: tel choix, tel sort: tes uvres te suivront aprs cette vie; c'est ltoute ta compagnie: un moment de croix et de tribulation oprera en toi unpoids immense de gloire: un moment de plaisir, ou honneur, ou de richesses tecausera un poids immense de dshonneur, de disette et de souffrances. Tevoil suspendu entre le temps et l'ternit; entre l'enfer et le paradis, pendantque tu jouis encore de la lumire extrieure: quand tu en seras priv, il ne terestera plus que deux principes, dans l'un desquels tu tomberas: de quelquect que tu te tourne pendant cette vie, tu trouveras la croix, car le diable et lemonde ont aussi bien leur croix, quoique trs diffrentes de celle de JsusChrist, et du royaume des cieux, qui souffre violence; car il y avait trois croix,mais bien diffrentes l'une de l'autre, sur le Calvaire, une croix de dsespoir,une croix de pnitence et une croix de sanctification et de rdemption; il fautpasser par l'une ou par l'autre: Choisis; mais que ton choix soit sans repentir!

    XI. Enfin tout ce qui est dans ce monde est une croix au cur Chrtien: toutlui est tentation, amorce et attrait au mal; tout lui est fiel et poison: la cupidit,cette mchante racine et foyer du pch et de tous les maux, infecte tout ce

  • qui se prsente aux sens et au cur: l'usage de toutes les choses extrieures,sans la crainte de Dieu, est un venin mortel l'me: le serpent est cach sous labelle apparence; latet anguis in herba: La cigu crot dans le mme jardin quela mlisse; Le chardon suce le mme suc de la terre que la fleur de lis: l'arbre dela connaissance du bien et du mal s'tend par toute la nature: son fruit estdfendu; car ds le moment qu'on en mange, l'on meurt: tout ce qui flatte lachair et les sens est un fruit de cet arbre, auquel le serpent est attach avec lepoison: il n'y a que le pain de misricorde et de douleur par la croix de lapnitence, qui soit salutaire l'me: La croix est le bon plaisir de Dieu et de sasagesse; voire mme elle est le bon plaisir de la folie divine, qui est plus sageque toutes les sagesses: La croix est le sel de la chair, qui en empche lacorruption, et la pourriture: sans souffrance, il n'y a point de jouissance: c'esten vain qu'on la fuit; elle nous suit tout par tout, comme notre ombre; et elleentre bien souvent au-dedans de nous, comme un lion; quasi leo sic contrivitomnia ossa mea: Isa. c. 38, v. 13. Oui, elle nous accompagne mme aprs cettevie, comme nous verrons par aprs.

    Principium triplex, hominem sub triplice stantem

    Principi, certat juris habere sui.Atque elementa, quibus constat, contraria certant.

    Cum-que sua turba, tela inimica vibrant.Quid facias, homo! qu fugias, vis scire? tot inter

    Aerumnas, Christi sub cruce, salvus eris.

    CHAPITRE III.

    DES AVANTAGES DE LA CROIX.

    I.

    LA croix de Jsus a fait ds le commencement du monde, et fera jusqu' laconsommation des sicles la diffrence entre deux glises; l'une btie sur lamontagne de Sion pour les enfans de Dieu; l'autre btie sur le lac infernal pourles enfans du diable: celle-l a toujours t la victime de celle-ci; celle-ci lameurtrire de celle-l, si point toujours d'effet, au moins de volont. Abel estassassin par Cain: No le prdicateur de la justice devient le jouet et la railleriedes injustes: Abraham le pre des croyants reoit ordre de Dieu de quitter sonpays et sa parent, pour demeurer comme plerin parmi un peuple idoltre,qui lui fait essuyer bien des craintes et des dangers de sa vie: Isaac son filsdevait tre immol par lui, non obstant qu'il ft dclar, comme fils unique,l'hritier de ses biens et des promesses des bndictions divines: Jacob est

  • perscut mort par son frre Esau: Joseph vendu et livr par ses propresfrres aux Madianites; tout innocent, sage, fidel et chaste qu'il tait, il est misen prison avec des malfaiteurs: les enfans d'Isral sont chargs et tourmentsde travail par les Egyptiens payens: Moyse, le plus dbonnaire des humains, estle plus afflig par un peuple mutin, murmurateur et rebelle: David est cherch mort diverses reprises par Saul et par son propre fils Absalom, qui mmedshonnora sont lit: le prophte Elie est aussi cherch mort par Achab etJsabel: le prophte Isae est sci en deux par sa propre nation: le grand prtreZacharie est tu entre le vestibule et l'autel: le prophte Jrmie lapid par sesconcitoyens: les autres prophtes tus, assomms, massacrs, d'une autremanire. Tous les aptres et vanglistes ont souffert une mort violente, sinous exceptons St. Jean, sur qui le martyre n'avait point de pouvoir. Quedirons-nous des autres martyrs, ou tmoins de la parole de JsusChrist scellepar leur propre sang? Le temps et le papier nous manqueraient. Qu'il noussuffise de savoir par ces exemples, qu'il n'y a jamais eu d'enfans de Dieu sanscroix; que la croix a toujours t et sera toujours le coin, par lequel lesChrtiens seront marqus dans le temps, et le cachet, par lequel ils serontscells dans toute l'ternit, l'exemple de leur glorieux Matre, qui porteratoujours les cicatrices glorifies de ses plaies. Car la croix est le caractre divin,le sceau de l'Agneau immol depuis le commencement du monde, le Tau, ou lamarque du poteau, ou gibet sacr, dont sont marqus les 144,000, dans l'Apoc.c. 7, v. 4. C'est enfin le vritable caractre ineffaable; les autres caractresainsi appellez sont de l'invention des hommes et non d'institution divine.

    II. Si la croix est la marque de distinction des lus, elle doit tre aussi lamarque de la misricorde divine; oui mme la marque de l'amour divin: car siDieu chtie par la croix ceux qu'il aime, Ego quos amo, arguo et castigo, Apoc.c. 3, v. 19, le chtiment par la croix est par consquent une marque de sonamour; ainsi celui, qui est hors de la correction, est aussi hors de l'amour. C'estl le premier tmoignage de la dilection paternelle, quand l'enfantdsobissant et revche retourne son devoir, et plie le cou sous le joug de ladiscipline paternelle; le pre le reoit bras ouverts, parce qu'il est son enfant;mais aussi il le chtie cause de la dsobissance; le Pre ternel n'a pointpargn son Fils unique et bien aim, aprs qu'il s'tait charg de la corruptionde notre nature dans son tat du plus profond abaissement: si cela est arrivau bois verd, qu'arrivera-t-il au sec? Il faut en venir l, mon cher Thophile; iln'y a point d'autre chemin, qui mne la vie nouvelle et l'ternelle, que par lamort et destruction de l'ancienne: la croix seule par la foi fait mourir le vieilhomme, pour rsusciter le nouveau: car c'est l le but, l'ouvrage et le caractrevritable de la croix de renouveler toutes choses dans le ciel et dans la terre; etc'est l l'avantage le plus tendu de la croix, laquelle enfin vaincra tous ses

  • ennemis altiers, pliera la duret de leur cou et les rangera sous son drapeaud'amour et d'obissance, dont ils s'taient spars par leur rvolte.

    III. Pour descendre aux avantages et privilges plus spcifiques de la croix,considrons les paroles trs remarquables de l'aptre St. Paul aux Rom. c. 5, v.3, et seqq. Mais nous nous glorifions mme dans les afflictions, sachant quelafflittion produit la patience, et la patience l'preuve, et l'preuve lesprance,or l esprance ne confond point. Voil une gnalogie aussi sainte que salutaire,dont la croix ou tribulation est le tronc, ou grand-pre, comme la tige d'unarbre de consanguinit; il me semble d'y voir l'chelle, que Jacob vt, tant sousla croix de la perscution de son frre; sur cette chelle les anges montent etdescendent: Jsus Christ est descendu en-bas del'chelle avec la croix; il estremont en-haut et est entr dans sa gloire avec la croix: la croix tient donc lesommet de l'chelle; car elle vient du ciel, elle est ordonne, compasse etmesure par la sagesse divine; elle descend sur la terre avec les anges, qui sontles ministres et excuteurs des ordres de la sagesse: la voil donc sur la terre,pour tre distribue un chacun, trs juste proportion, suivant la porte etles forces des porte-croix, mais comment remonter en-haut avec Jsus Christ etavec les anges? Le mme aptre nous y montrera le chemin, et nous y mnera coup sr et en droiture par les paroles, qui suivent immdiatement l'arbregnalogique, car d'une telle parent doit maner assurment un fruit bienillustre, dont la noblesse surpassera mme de beaucoup ses anctres. Levoici:parce que, dit-il, l'amour de Dieu est rpandu dans nos curs, par le Saint-Esprit, qui nous a t donn, ibid. v. 5. Voil le rejeton noble et glorieux, quinous fait remonter l'chelle vers le ciel, d'o nous sommes mans avec lesanges, qui ne sont eux-mmes que pures flammes ardentes du feu lumineuxd'amour et de charit, avec lesquels nous sommes par consquent runis,comme avec nos frres, par le lien doux et troit de la charit rpandue dansnos curs, comme une onction balsamique de puret et de saintet, parl'esprit seul vivificateur. Considrons bien l'chelle et les chelons de la croix,pour descendre et pour remonter: La racine de cet arbre gnalogique est latribulation, qui est amre: mais son rejeton ou son fruit dans le premier etdernier degr d'affinit est bien doux et d'une dure infinie: c'est la charit, quidurera autant que Dieu sera Dieu, car il sera toujours amour et charit sans fin.

    IV. Dans toutes les leons et instructions de doctrine et de pratique, queJsus Christ a donnes, nous ne trouvons qu'une fois qu'il ait dit: apprenez demoi, il faut donc que cette leon soit bien importante; puisque Jsus Christnous commande de l'apprendre tant de sa bouche sacre par sa parole, que desa vie par ses actions: apprenez de moi, dit-il, parce que je suis doux et humblede cur, Matt. c. 11, v. 29. La vritable humilit de cur embrasse et portevolontiers toutes les croix, comme partantes de la main de Dieu; les regarde

  • comme des gages prcieux des ses soins, de sa fidlit, de son amour, etcomme des moyens et des sources, par lesquelles il veut assurment nouscommuniquer de nouvelles grces, aprs nous y avoir preparez par lapurification de la croix, qui nous dgage toujours davantage de nous-mmes etdes choses cres: La croix ne vient jamais contretems l'me humble decur, si elle est fidle: elle y courbe d'abord le cou, pour la recevoir; elle ouvreles bras de l'humilit et de la patience, pour l'embrasser, sans examiner, si ellevient des hommes, si c'est tort ou droit, si elle est pesante ou lgre; delongue ou de courte dure: il lui suffit d'tre assur, qu'elle est infailliblementordonne de Dieu, dont elle cherche uniquement d'excuter la volont et lebon plaisir, de quelque instrument qu'il se serve, pour la lui adosser. Cettedouceur et cette humilit de cur donne toujours au porte-croix la paixintrieure, afin qu'il ne murmure, ni ne s'impatiente, ni ne se trouble point sousle fardeau de la croix: ainsi le fruit de la croix est la patience; la tribulationengendre la patience; le fruit de la patience est la mansutude et l'humilit decur: car aprs que nous avons pris le joug de Jsus-christ, qui est la croix, surnos paules, Jsus nous dit, apprenez de moy, parce que je suis doux et humblede cur: par o nous voyons, que la croix, ou le joug de Jsus, dont on s'estcharg volontairement, et qu'on porte patiemment, opre et engendre par lapatience, la mansutude et l'humilit de cur, qui sont le vritable caractrede Jsus: o ce caractre se trouve, l se trouve Jsus, la vie, la lumire, lavrit, et le Paradis mme.

    V. Nous voyons clairement de ces dductions les fruits et les prrogativesineffables de la croix, ce grand don de Dieu, dont il favorise ses amis et ses lus,comme de la marque la plus signale et la plus assure de son amour: car dansles autres grces et les dons divins, l'amour-propre et la vaine complaisancepeuvent se fourrer, mais la croix est l'abri de ces embuscades, tant la mortet ladestruction de l'amour-propre et de l'orgueil, qui sont deux grandsennemis de la croix. Mais il faut bien remarquer, que dans toutes lescroixsalutaires l'homme, la foy doit toujours accompagner la croix, et mme laprcder, pour recevoir la croix en esprit de foy: il est vrai que Dieu se sertquelques fois de la croix, pour engendrer la foy, dans les pcheurs, qui n'ontencore rien de la foy vivante; mais nous parlons ici d'une me chrtienne, qui areu le don de la foy, sans laquelle on ne peut s'approcher de Dieu, ni lui plaire:Ainsi la foy est le fondement de la vie chrtienne, sans laquelle les croix nousseroient souvent non seulement infructueuses, mais aussi insupportables,comme nous voyons dans les amateurs du monde, qui en secouent le joug,cherchant par tout moyen de distraction, d'occupation, dedivertissement, touffer la voix de la croix, qui heurte si souvent la porte de leurs curs pardes remords, des troubles, des inquitudes, des chagrins, ou des tristesses,

  • dont ils ne savent et ignorent volontairement la cause; car Dieu dans Jsuscherche la brebis gare par les dehors et par les dedans, n'pargnant aucunsoin, ni peine, pour la trouver, la mettre sur ses paules et la porter au bercail.C'est donc par la foy, qu'une me chrtienne doit recevoir et souffrir les croix,Hbr. c. n, v. 39; 2 Cor. c. 12, v. 10: o l'aptre raconte tant de merveilles de lafoy opres dans les diverses croix, dont il fait le dnombrement. La croixmanifeste la foy; la foy claire et guide la croix: la croix est l'preuve de la foy;la foy est le soutien de la croix; voil comme elles se prtent les mains l'une l'autre.

    VI. Un vritable Chrtien doit har sa vie ancienne, pour en mener unenouvelle: il faut abandonner la vie de la chair, pour vivre d'esprit: si nousvoulons aimer Dieu, comme nous y sommes trs troitement obligez, souspeine de damnation, il faut quitter l'amour du monde et de soy-mme: Or, rienne nous spare plus fortement et certainement de ce double amour, que lacroix: le monde ne nous peut prsenter, que les honneurs, les plaisirs et lesrichesses. Or la croix accable de mpris contre l'honneur; elle cause lesdouleurs et les souffrances contre les plaisirs: elle rduit bien souvent aubesoin et la pauvret contre les richesses. C'est l toute la vie d'un Chrtienen peu de mots, et la vritable imitation de Jsus-christ, qui nous fait mourirchaque jour nous-mmes, par la croix, qu'il nous commande de porterchaque jour, nous fait renoncer notre amour-propre, nos avantages,honneurs, aises, commoditez, plaisirs, propre excellence au-dessus des autres,propres lumires naturelles de la raison, qui trouvent tous leur droute dansl'amertume de la croix, dont le fruit est si doux et si salutaire. Car si l'on smeici parmi les larmes, et les soupirs, parmi les douleurs et autres souffrances, onmoissonnera l, la paix, la joie, la justice; voire mme ds ce monde desconsolations trs suaves et des douceurs trs abondantes: car quandl'amertume d'un fruit encore verd vient sa maturit, pour lors il nous faitgoter sa douceur. Tout ce qui est amer tire soy et concentre dans soy:l'homme, qui avec l'enfant prodigue s'est loign dans des pays trangers, nepeut retourner Dieu avec l'enfant prodigue et perdu, que par la croix et lasouffrance: cette souffrance, qui lui est amre, le rclame, le retire et leconcentre dans lui-mme, o il se retrouve, et o il se dit lui-mme danscette amertume rtrcissante et angoissante de cur: surgam et ibo ad Patremmeum; je me lverai et je m'en irai vers mon Pre: Luc, c. 15, v. 18. Car c'estdans cette reconcentration dans soy-mme, que la chaleur dilate par lesplaisirs des objets extrieurs, runit ses forces et sa vertu, pour allumer le feude l'amour divin, qui chasse l'amour du monde, et qui meurit le fruit d'espritpur et droit et de nouvelle vie, vie surnaturelle au-dessus des sens et de laraison humaine, qui n'a plus decomplaisance pour le monde, ni pour les

  • mondains; car, dit l'Aptre Gal. c. I, v. 10. Certes si je complaisois encore auxhommes, je neserois pas le serviteur de Chrift; l'amiti de ce monde tant uneennemie irrconciliable de Dieu, tant que le monde demeure immonde.

    VII. Je dirai bien davantage; savoir que Dieu n'ayant p attirer jusqu' cetteheure les hommes soy, par tous ses bienfaits, par toutes ses promesses, nimmes par toutes ses terribles menaces faites de sa part tant par lesprophtes, que par des hommes de Dieu, savans et idiots, dans tout tems etdans tout lieu, que le monde a trait et traite encore dans le NouveauTestament, comme il a trait les prophtes dans l'Ancien, dont je pourrois faireun long catalogue; Dieu, dis-je, n'ayant p rien gagner sur les hommes partoutes sortesde tmoignages de bienfaisance, et menaces de chtimentsterribles, va armer toute la nature et la crature contre les insenss de la terre;va fondre sur tout le genre humain avec des flaux horribles, et des tribulationssi angoissantes, qu'il n'y en a point eu de semblable depuis le commencementdu monde, et qui n'auront point leur pareille. La parabole du figuier, Matt. c.24, v. 32, se dveloppe; la cogne est mise la racine de l'arbre, de ce grandarbre dans Daniel, dont les branches sont si belles et si grandes, fertiles enfruits, sous l'ombre duquel sont assis tous les animaux et les btes de lacampagne, et tous les oiseaux sous le ciel, du quel toute chair vivante senourrit; car le monde est dans l'tat d'une femme enceinte accuse, etconvaincue et pour cela condamne de malfice; mais qu'on pargne, jusqu'ce qu'elle soit accouche: aprs son accouchement, elle subit le supplice portpar sentence. Tous ces flaux et ces tribulations prts se rpandre sur toutela terre, auroient dj pris leur commencement redoutable: mais cause dequelques mes de bonne volont, qui sont encore dans les douleurs del'enfantement, le Seigneur suspend pour peu de tems ces horribles jugements,avec lesquels il visitera bientt tous les habitants de la terre,

    aprs l'enfantement de ces bonnes mes, qui sont dans les angoisses et lesdouleurs, pour mettre au monde l'enfant surnaturel Jsusdans nous,l'esprance de la gloire, qu'il fera parotre dans son second avnementglorieux, consolant pour les siens, et terrible ses ennemis. Je viens bientt, ditl'poux: Ouy, Seigneur Jsus, viens, rpond l'pouse, Apoc. c. 22, v. 20.

    VIII. Ouy, ouy, me chrtienne et porte-croix de Jsus, qui tes encore dans lesdouleurs de l'enfantement, ou qui venez d'enfanter Jsusle nouveau-n, que ledragon veut d'abord engloutir, ce mme dragon roux en veut votre enfant: ila suscit ses suppts et ses instruments, il les a arm de malice et de violence,de cruaut et de tyrannie contre vous, cause de votre enfant, dont il estl'ennemi jur: Vous tes et serez mprise du monde: car le royaume denouveau-n n'est point de ce monde: Vous pleurerez et vous gmirez, pendant

  • que le monde se rjouira: on dira toute sorte de mal de vous, que vous tessduite, ou mme sductrice, hrtique, ou peut-tre hrsiarque, ensorcele,ou sorcire (carles noms de Jansniste, ou de Quitiste parmi les Catholiques,ceux de Pitiste parmi les Luthriens, ceux de Quackres parmi les Calvinistes,sont trop doux pour vous: on les donne mme souvent aux hypocrites) on vousregardera et on vous traitera comme la racaille et la canaille du peuple: on vousperscutera d'un endroit l'autre: Aprs tre chappe des mains d'Hrode,vous tomberez dans celles des docteurs de la loy, je veux dire du clerg aussihypocrite dans le Nouveau Testament, que l'toient les Pharisiens dans

    l'Ancien: Vous serez aussi la haine et l'opprobre des hommes pour l'amour deJsus crucifi: Le Pharisasme vous dcriera partout, et vous suscitera desennemis, qui troubleront votre repos et votre demeure: peine trouverez vousun petit recoin avec votre bon Matre, pour reposer votre tte: tout partout ovous irez, vous payerez la gabelle, comme Jsus la paya dans son tatd'humiliation et d'abaissement: perscution au dehors, angoisse au dedans:tribulation et douleur dans la chair, tristesse et tnbres dans l'esprit. O aller,o se cacher, o se rfugier pour fuir la main de Dieu appesantie sur vous parlui-mme et par ses cratures? S$uo ibo Spiritutuo? Psal. 138, v. 7.

    IX. Ne dsesperez pas, me Chrtienne, sur de la croix: soyez ferme etvigoureuse, forte et constante mme dans vos faiblesses; car c'est l o la forceest cache: Cum enim injrmor, tune potens sum, 2 Cor. c. 12, v. 10. Jsus a descachettes; il vous protgera sous l'ombre de ses ailes: il vous montre le ct ducur ouvert, pour y entrer, et pour vous rassasier des eaux salutaires, que vousy puiserez avec joye: il vous a grav dans ses mains, et vous a imprim sur soncur comme un cachet: il est lui-mme le cur du pre; il vous mne luisous sa bannire: mais outre tout cela, il a encore une panace, ou mdecineuniverselle tous vos maux. Que la foy et l'esprance vous soutiennent dans lacroix! Voici la pierre de transmutation, qui fait des changemens et des retoursmerveilleux: Mais votre trijiejsesera change en joye; Jean, c. 16, v. 20. Vosgmissemens en rjouissances: cette pierre angulaire, choisie, fonde dansSion lapacifique, essuyera toutes vos larmes, qu'elle a contes, pour en faireautant de perles, ou de bijoux. Ne craignez pas; il est avec vous: il vous aide, ilvous mne, il vous porte: ^uand tu pajseras par les eaux, "Je seroi avec toi, etquand tu marcheras dans le feu, tu ne seraspoint brl, Esa. c. 43, v. 2. Autantque vous aurez souffert ici de tristesse sainte, de dplaisirs, d'affronts, decalomnies, de mpris, deperscutions, autant recevrez vous l, et mme djici de consolations: de caresses, de douceurs, d'embrassemens, de baiserssacrs de la bouche de l'poux, trs ardent amateur des mes: au contraire, ilrendra vos ennemis le double du mal, qu'ils vous auront fait: vous verrezquelle sera la compensation. Et retributionem peccatorum videbis, Ps. 90, v. 8.

  • Autant que la grande paillarde, la Babylone putain, rassasie du sang desmartyrs et tmoins de Jsus aura reu de plaisirs et de dlices, autant detourments et de supplices a-t-elle attendre: Tantum date illi tormentum etluclum, Apoc. c. 18, v. 7. Tout sera compens avec juste proportion, mesure etquit.

    X. Mais pour ne point effaroucher les mes de bonne volont, qui sont desnourrissons encore tendres et timides, par le tableau, que nous avons peintauparavant, il faut leur mettre encore devant les yeux quelques autres metsdlicieux, pour les amorcer l'amour de la croix, dont les avantages et lesprrogatives ne regardent point seulement la vie future, mais aussi la prsente.1. Dans la carrire de la croix, vous trouverez ma chre et bien aime sur,une grande compagnie de porte-croix, qui vous seront pres et mres, frres etsurs, des vritables amis et amies: ils vous assisteront de leur bien, de leurconseil, de leur lumire, de leurs prires. 2. Vous y aurez lacompagnie de Jsusbeaucoup plus certainement et rellement, que ceux, qui en ont pris le nom;car vous en aurez le nom et l'effet, tant une des vritables soeurs de la croix,non de la croix-rose, qui n'a t qu'une belle invention, quoyque pourtant debonne intention, maisde la croix de Jsus avec vrit et ralit, ayant choisie etembrasse la croix et le crucifi pour votre amant, qui sera toujours avec vousdans la tribulation, pendant toute votre vie, et qui vous accompagnera aprs lamort de votre corps, pour vous mener son pre. 3. Vous n'prouverez aucunecroix, qui ne soit suivie, ou quelquefois mme prcde de quelque grce, ouconsolation extraordinaire: car c'est l le droit de la grce et de la lumiredivine d'tre engendre par la croix: si par consquent les grces et leslumires prcdent les souffrances, comme il arrive quelquefois par la sagesseet l'ordre du Dispensateur, il faut pourtant qu'elles soyent prouves etconfirmes par la croix, qui y met le sceau de vrit et de ralit. 4. Dansquelque tribulation et quelque souffrance, que vous vous trouviez, o ilparotra la raison et au sens naturel, que tout est dsespr, qu'il n'y a nisecours, ni ressource attendre, que c'est faitde vous sans retour, Dieu, qui al'il sur vous, et dans ses mains les curs et les esprits de tous les hommes,qui les manie, les panche, les flchit et les incline, o, comme

    et quand il veut, selon son bon plaisir, suscitera, hors des ressources et destrsors de sa sagesse incomprhensible, des moyens et des secours si prompts,si efficaces, si extraordinaires, que vous reconnotrez et vous sentirez, qu'il n'ya que lui de sage et de puissant, qui confond les conseils et les entreprises deshommes, qui rgle et ordonne leurs actions, qui meut leurs penses et leursdsirs, et que rien enfin ne rsiste sa volont. Je vous en dirois biendavantage; mais j'aime mieux de vous renvoyer l'preuve: prouvez et voyez:

  • vous trouverez par votre exprience et celle des autres, que ce que j'avance,est solide et vritable.

    XI. Consolez et fortifiez vous donc, me chrtienne et porte-faix de Jsus:quoique le soleil soit quelquefois drob notre vue par des clipses et desnuages, qui l'obscurcissent la foible porte de nos yeux, il demeure pourtanttoujours lumineux dans soy: aprs qu'il a t un peu cach, il rpare nos pertes,en rparaissant avec plus d'ardeur et d'clat. C'est ce qui arrive quelquefois l'me fidle, qui croit d'avoir perdu la lumire, ne voyant l'entour d'elle,qu'horreur, tnbres, et image de la mort: mais qu'elle soit persuade, que lalumire ne l'a point abandonne: elle lui parot cache, cause qu'elle pntretoujours plus avant dans son fond intrieur, jusqu' ce qu'elle ait tout faitrenvers et dtruit le fondement le plus intime des tnbres. C'est pourquoidans la vie spirituelle de la croix il se rencontre des obscuritez, qui galent etsurpassent la lumire, selon les degrs des unes et des autres. Qui croiroit aussi une surabondance de joye, parmi l'abondance des tribulations, quienvironnoient St. Paul de tous ctez, si lui-mme n'en avoit point fait uneconfession ouverte ses Corinthiens ?

    XII. Enfin, pour ramasser en gros les avantages de la croix, nous ajouteronsles suivants en raccourci aux prcdens plus dtaillez. La croix est unemisricorde de Dieu vers l'homme pendant cette vie: elle est la porte de lagrce et de la lumire: elle est le chemin troit, qui mne la vie: elle est larose entre les pines: la verge de la correction divine: la marque de sa dilection:l'aurore qui prcde et annonce le soleil de consolation: le vsicatoire et lerveillement de la lthargie spirituelle: la conformit avec Jsus-christ, et parconsquent la marque de la prdestination: l'preuve de la foy: la bonnecompagne de l'esprance: la mre de la patience: la nourice de la dbonnairetet de l'humilit de cur: l'cole de la vritable sagesse: la matresse de lachastet: le fouet de la chair: le renouvellement de l'esprit, la garde des sens:l'amortissement des plaisirs: le frein des passions: l'asservissement du corpsrebelle: le rappel l'oraison: la guide dans le pays inconnu de notre nant: lacouronne des martyrs: la gardienne des vierges: la gloire des lus: le grand et leremarquable signal de l'avnement du fils de l'homme.

    XIII. Voil quelques avantages et quelques prrogatives de la croix tracs engros, comme la hte: car qui pourroit puiser cette fontaine intarissable?comme il se donnera dans la suite occasion d'en parler plus d'une fois, je mecontente d'en souhaiter prsent tous les fruits mon cher Thophile, laissantle reste sa mditation et sa pratique. Chantons entretems un motet salouange:

  • Transeamus, evolemus!Per probrosa ad decora; Per inferna ad superna;Per infima ad suprema; Per aspera ad aethera;

    Per dura ad duratura; Per angusta ad augusta:

    Ad Christum, per crucem:

    Per Christum, ad lucem;

    Transeamus, evolemus!

    Crux hominis mentem purgat, carnem-que rebellem:

    Vesanus nostri, sub cruce, cessat amor.Crux odium nostri parit et virtutis amorem:

    Omnis proprietas, sub cruce, nostra cadit.Crux spoliat: Sed quid superest? victoria mundi,

    Quam parit, abjecta sub cruce, viva fides.

    CHAPITRE IV.

    DE LA FOLIE DE LA CROIX.

    I.

    LES sages de l'cole mondaine ont fait une petite divinit de leur raisonnaturelle, qu'ils appellent avec les Gentils une particule de l'esprit, ou de lalumire divine, divina particulam aura. Dans cette belle perspective de leur vuefort borne, ils l'ont place comme une desse sur l'autel de la vrit, et l'ontmme introduite jusque dans le sanctuaire, pour y juger et y dcider deschoses divines, ou pour les expliquer et les interprter leur mode, nereconnoissant point dans l'homme d'autre lumire, ni d'autre guide, que cellel, pour arriver la connaissance de la vrit. Les trois grandes parties duChristianisme en ont fait et en font encore leur idole, la consultent dans leurdoutes, prononant avec une fire arrogance ses dcisions, comme des oraclesdivins, et soumettant ses lois et ses dcrets tous les autres hommes

  • conduits aveuglement par des aveugles. Comme ils sont sortis du centre del'unit de la vrit divine, il ne faut point s'tonner, s'ils sont entrez dans lelabyrinthe de la circonfrence avec les paens, s'occupant de mille et millequestions inutiles, frivoles, drogeantes tout-fait la sagesse divine,desquelles on peut assurer, que c'est une grande partie de la vritable sagesse,que de les ignorer: Ils sont ainsi restez dans les tourbillons des belles images etdes imaginations creuses, qu'ils se sont forges, se contentants de savoirbeaucoup, pltot que de bien savoir et de bien juger: ils se sont honors eux-mmes et se sont fait honorer des autres; citants leur propres tmoignages etleur autoritez et celles de leurs semblables, hommes de raison comme eux: Del le monde a fourmill d'une infinit d'crits et de livres des uns contre lesautres, un parti rongeant et dvorant l'autre belles dents, jusqu' la fureur;d'o sont sorties des guerres sanglantes, des divisions, des discordes, et descontentions perptuelles, qui rgnent encore aujourd'huy, des animositez dansles disputes, des scandales dans les auditeurs. Voil ce qui fait encorel'occupation des acadmies, et de ceux qui montent bien souvent en chaire,d'o la simplicit, et la candeur divine ont t bannies, pour faire place lasubtilit de l'cole, qui apprend toujours et ne parvient jamais laconnoissance de la vrit simple, sincre et sereine.

    II. Sur un si beau fondement a t tablie la sagesse humaine, qui par l estdevenue la plus grande ennemie de la croix de Jsus, dans laquelle elle netrouve que folie avec les Gentils, ou scandale avec les Juifs, selon qu'elle tientplus du paganisme, ou du Judasme. Or, tel fondement, tel btiment; telsparents, tel enfant; le fruit ne tombe pas loin de l'arbre; qui btit sur le sablemouvant, verra crouler sa maison. La raison est vraiment l'il de l'horizontemporel, qui doit rgler les choses extrieures et les corporelles, auxquelles letems, et le corps ont part; car elle a t donne l'homme pour cela: mais sonorigine ne venant que des astres, dont elle est une influence, sa porte ne peutpas s'tendre plus loin que sa source. Car son terme quo est aussi son termead quem: d'o une chose prend son origine, l peut elle arriver, mais pas plusloin. Il faut que la raison et sa fille la sagesse humaine reconnoissent etavouent, que dans la matire, que nous traitons de la folie de la croix, elles yont toutes deux non seulement leur bonne part, mais qu'elles sont la vritablecause de cette folie, n'tant elles-mmes que des follettes et des foltres dansla sagesse divine. C'est dans cette matire, qu'elles sont toutes deuxdconcertes, tourdies et renverses, tant obliges de voir leur honte et leurconfusion, et de confesser, qu'elles ne font que Juives, ou paennes: car leurtincellette est trop borne, pour pntrer le mystre de la croix, et leurhauteur trop altire, pour s'y soumettre sans leur perte irrparable.

  • III. L'Aptre St. Paul avoit au-dessus des autres Aptres des avantages acquispar son ducation aux pieds du grand Gamaliel, o il avoit t instruit nonseulement dans la sagesse humaine de la raison, mais aussi dans les critsprophtiques: il toit savant, mme dans les crivains Gentils, dont il cite troisfois quelques passages dans ses propres crits et dans ses prdications; il avoitde l'loquence, comme il parot encore par ses ptres, dans lesquelles il parleavec emphase, avec une vivacit persuasive, et avec un ordre, arrangement,suite, force ravissante; comme on peut voir entre autres dans le I chap. auxEphs. Avec toute sa sagesse, il n'y a pas eu de plus grand perscuteur de Jsuset de sa croix, que lui, dans tout le Judasme, comme il est connu: La croix et lecrucifi lui toient non seulement des sujets de folie, mais aussi deblasphmes, d'outrages et de carnage contre ceux, qui en faisoient profession;jusqu' ce que celui, qu'il perscutoit dans ces membres, lui apparoit, lerenverse du cheval de sa sagesse, rend les yeux de son corps et de sa raisonaveugles, et lui apprend par Ananie, combien il devoit souffrir lui-mme pour laprdication et la gloire de la croix et du crucifi. Toutes ses prrogativestombent; ce qui lui avoit parut gain, lui parot perte: toute sa sagesse devient laservante de la folie de la croix, qui fait tout son ornment et toute sa gloire; ilne cherche ses consolations, que dans les tribulations; il regarde la mortcomme un grand gain; autant qu'il vomissoit auparavant de menaces, de feu etde carnage contre la folie de la croix, autant y trouve-t-il prsent de douceur,de noblesse et de sagesse. Voyons en quelques leons, qu'il nous en a laisses.

    IV. Dans sa 1 aux Cor. c. 1, v. 17, il dit, que Jsus christ ne l'a point envoy,pour baptiser mais pour prcher l'vangile; non point avec des paroles enfleset bouffies d'une loquence et prudence humaine, dont il avoit pourtant debonnes teintures de son ducation sous son grand matre Gamaliel, au-dessusde tous ses confrres; "afin," dit-il, " que la croix de Christ ne soit pointvacue," ou rduite au nant. Car si le faste et le fard de la sagesse humaine,si les ressources et les subtilitez de la raison avoient part la prdication et lapersuasion de la vrit de l'vangile, o demeureroient la vertu de la croix et lagloire de Dieu? La raison et la sagesse de l'homme, qui se cherchent en touteschoses, se trouveroient bientt ici, pour avoir leur bonne part l'honneur et la rputation, que leur auroit acquis la prdication de l'vangile; et bien loin d'ytrouver l'opprobre, l'ignominie et la folie de la croix, elles y trouveroient leurrenomme, applaudissement, estime, louange et richesses, comme nous enfaisons tous les jours la dplorable exprience: car o est le prdicateur de lacroix, qui aime la croix, qui la souffre, qui l'estime et qui la prfre la bonnechre, ses commoditez, ses intrts, ses jours gras? Ne sont-ce pointaujourd'huy les premiers railleurs des porte-croix, qu'ils mprisent et qu'ilsperscutent, cause qu'ils ne veulent, ni ne peuvent s'accommoder au trantran

  • de leurs violes, ou vielle de crmonie,de commandements et d'autresinventions humaines, que leur raison et leur sagesse ont substitu la place dela croix, qu'ils regardent et qu'ils traitent de folle et de folie; O trouvera-t-onaujourd'huy une de ces robes noires qui se dpouille, pour revtir les nuds; quiaille plus souvent visiter et consoler les pauvres, que de recevoir lesconsolations et les douceurs des riches; qui avec une sainte hardiesse et unegrandeur d'me Chrtienne, prche, dfende et pratique la doctrine de la croixcontre ses ennemis, dont tout le monde est rempli et regorg? Oh! non; cetteconduite ne feroit point bouillir la marmite, ni remplir le gousset: il fautmnager le monde et s'accommoder lui, dit leur raison: c'est dire en un mot,par une consquence juste tire des principes de la sagesse humaine, que lacroix n'est que folie, que sa doctrine et sa pratique n'appartiennent qu' desbigots, ou des idiots, qui ont la tte mal tourne, ou la cervelle renverse. Oh! quelle folie, dit la raison.

    V. Mais tout beau, tout bas, dit la folie de la croix la sagesse de la raison:vous n'avez pas encore cause gagne: il faut bien d'autres syllogismes d'uneautre forme, figure et mode, pour renverser la vrit: savez-vous o vous entes avec votre belle poupe de prudence mondaine? qu'elle ne vous aveuglepas si fort, que pour vous laisser ignorer votre propre tat prsent, et les suitesqui vous attendent dans le futur: car ce seroit manquer elle-mme, et trebien imprudente. Demandons ensemble au mme aptre, qui donc la croixn'est que folie? il rpond l mme dans l'endroit cit, qu'elle est folie tousceux qui prissent: Voil une terrible dcision, qui doit faire trembler et laraison et les raisonneurs: elle est folie ceux qui sont trop sages, trop grands ettrop remplis d'eux-mmes, trop puissants et trop abondants, pour sesoumettre la croix, et ramper sous sa bassesse, sa pauvret, ses opprobres etses mpris; elle est folie ceux qui prissent, parcequ'ils l'ont mprise,regarde comme une ladre et une pestifre, comme une maldiction et unopprobre, qui ne conviennent qu'aux plus malheureux et aux derniers deshommes: elle est folie ceux qui prissent; ainsi elle est folie la raison et lasagesse humaine, qui passeront avec les cieux, dont elles ont leur source, etavec la terre, o elles sont honores, quand Dieu crera nouveau ciel etnouvelle terre Mais puis qu'elle est folie la pluspart, il faut pourtant qu'elle nele soit point tous: car il y a encore, quoique fort peu d'amateurs de la croix,qui la rgardent, comme l'invention de la sagesse divine; qui reoivent la paroleet la doctrine de la croix avidement, la gardent soigneusement, l'excutentfidlement: Le mme aptre donne ceux-cy cette grande consolatioi prsenteet esprance pour l'avenir, disant, qu'elle est aux vritables et fidles croyants,qui seront sauvez, et qui ne priront point avec la raison et les raisonneurs,qu'elle est, dit-il, une force de Dieu, une vert puissante,, une haute sagesse et

  • un riche trsor. Il en faut croire et s'en tenir cette conclusion de l'aptre carquand il l'crivoit, il en savoit tout le mystre,, il avoit t ravi jusqu'autroisime ciel, jusqu'au cabinet du conseil secret divin: c'est pourquoy il disoitde luy-mme: qu' Dieu ne plaise, que je cherche,, ou mette ma gloire dansautre chose, que dans la croix de notre Seigneur Jsus-christ: je me glorifieraidans mes foiblesses, afin que la force de Christ, qui est la croix, habite en moy.Voil ce qu'il avoit appris et avoit apport, du conseil intime de la sagesseternelle, savoir, l'honneur et la gloire de la folie de la croix.

    VI. En effet y a-t-il rien de plus oppos la raison et la sagesse humaine,que de se har soy-mme, de charger sur soy le mpris, lapauvret, l'infamie etla disette de toutes choses: de faire du bien ceux qui nous font du mal;d'aimer ceux qui nous hassent; de prier pour ceux qui nous perscutent; debnir ceux qui nous maudissent; de mourir notre propre volont, larecherche et l'amour denous-mmes, de nos commoditez et de nos plaisirs;de choisir par-tout la dernire place, les morceaux les moins dlicats et leshabits les moins prcieux: de quitter pre, mre, frre, sur, femme, enfants,parents et amis, biens et pays; ouy de se quitter soy-mme, pour se rendre un tat vil, abject, mprisabl