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MUTATIONS MÉMOIRES ET PERSPECTIVES DU BASSIN MINIER Journées Hubert Curien 2010 Face aux ruptures économiques et écologiques, quel rôle pour la culture scientifique et technique ? 3 2012

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MUTATIONS MÉMOIRES ET PERSPECTIVES DU BASSIN MINIER

Journées Hubert Curien 2010

Face aux ruptures économiques et écologiques,

quel rôle pour la culture scientifique et technique ?

La Fondation Bassin Minier est un établissement d’utilité publique créé en 1989 qui a pour objet de contribuer à la valorisation culturelle de la région du Bassin Minier, en participant à l’organisation d’activités et à la mise en oeuvre de projets dans les domaines de la culture, de l’écologie, du tourisme et du patrimoine industriel. Partant de l’histoire industrielle, ouvrière et des migrations de la région du Bassin Minier, la Fondation est un instrument privilégié d’une transmission vivante de cette histoire et assure le rôle de témoin dynamique d’une culture qui se veut prospective. La Fondation Bassin Minier bénéficie du soutien financier du Ministère de la Culture.

Die Fondation Bassin Minier ist eine gemeinnützige Stiftung, die 1989 mit dem Auftrag geschaffen wurde, zur kulturellen Entwicklung im Luxemburger Erzbecken (Bassin Minier) beizutragen. Die Stiftung beteiligt sich an der Umsetzung und fördert Projekte in den Bereichen Industrieerbe, Kultur, Umwelt, Tourismus und Innovation. Von der Wirtschafts-, Migrations- und Sozialgeschichte des Bassin Miniers ausgehend und den Bogen spannend bis zur heutigen Entwicklung der Region als Forschungs- und Technologiestandort, möchte die Stiftung die Rolle eines Übersetzers spielen, der Geschichte mit Zukunft verbindet und Perspektiven für eine starke Region aufzeigt. Die Fondation Bassin Minier wird vom Kulturministerium finanziell unterstützt.

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c/o Chambre de Commerce, L-2981 Luxembourg

www.fondationbassinminier.lu

[email protected]

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IMPRESSUM

Editeur / HerausgeberFondation Bassin Minierc/o Chambre de Commerce, L-2981 Luxembourgwww.fondationbassinminier.lucontact@fondationbassinminier.lu

Comité de lecture / BeiratGuy Assa, Antoinette Lorang, Massimo Malvetti, Antoinette Reuter, Denis Scuto, Jürgen Stoldt

Impression / DruckC.A.Press, L-4210 Esch/Alzette

Couverture / UmschlagIllustration : Le projet du Centre National de la Culture Industrielle, © Le Fonds Belval.

ISSN 2078-7634

Soutenu par le Fonds National de la Recherche Luxembourg et l‘Université du Luxembourg.Mit der Unterstützung des Fonds National de la Recherche Luxemburg und der Universität Luxemburg.

Luxembourg, février 2012 / Luxemburg, Februar 2012

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IMPRESSUM

Editeur / HerausgeberFondation Bassin Minierc/o Chambre de Commerce, L-2981 Luxembourgwww.fondationbassinminier.lucontact@fondationbassinminier.lu

Comité de lecture / BeiratGuy Assa, Antoinette Lorang, Massimo Malvetti, Antoinette Reuter, Denis Scuto, Jürgen Stoldt

Impression / DruckC.A.Press, L-4210 Esch/Alzette

Couverture / UmschlagIllustration : Le projet du Centre National de la Culture Industrielle, © Le Fonds Belval.

ISSN 2078-7634

Soutenu par le Fonds National de la Recherche Luxembourg et l‘Université du Luxembourg.Mit der Unterstützung des Fonds National de la Recherche Luxemburg und der Universität Luxemburg.

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Journées Hubert Curien 2010 Face aux ruptures économiques et écologiques, quel rôle pour la culture scientifique et technique ?sous la direction de Massimo Malvetti

007 Massimo Malvetti Introduction

011 Magrit Grabas Wandel, Krise, Umbruch: Begriffsannäherungen und kritische Reflexionen aus wirtschafts-, sozial- und innovationshistorischer Perspektive

023 René Leboutte La grande mutation – Les changements économique et écologique dans la Grande-Région

035 Philippe Chavot, Anne Masseran L’histoire de la Culture scientifique et technique (CST) en Europe 047 Michel Claessens Les différents concepts et approches de la culture scientifique et technique en Europe

057 Antoinette Lorang Le projet du Centre national de la culture industrielle

067 Isabella Susa Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

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Journées Hubert Curien 2010Journées Hubert Curien 2010 Massimo Malvetti

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Introduction

Mutation, Innovation, MédiationIntroduction

espace d’échange et de débats que sont les Jour-nées Hubert Curien en organisant la troisième édition au Grand-Duché de Luxembourg en 2010. Sur fond de rupture économique et éco-logique, le comité scientifique, composé de Nicolas Beck (Nancy Universités), Christelle Degard (Université de Liège), Christian Dournon (Nancy Universités), Rainer Hudeman (Uni-versité de la Sarre), Jean Lamesch (Fondation ArcelorMittal), Pascal Lefèvre (Maison de la Métallurgie et de l’industrie, Liège), Antoinette Lorang (Fonds Belval), Guy Keckhut (Conser-vatoire national des arts et métiers en Lorraine) et Martine Vanherck (Université de Liège) a dé-cidé d’inscrire ces Journées dans le triptyque : « Mutation, Innovation, Médiation » pour ré-pondre aux questions : « Quelles différences entre crise, mutation et rupture ? En quoi une crise, une rupture, un changement d’époque sont-ils ressentis en tant que tels par les acteurs politiques, économiques et scientifiques ? Com-ment les acteurs scientifiques, techniques et po-litiques (ré)agissent-ils ? »

Les JHC2010 ont donc voulu doublement s’ouvrir. Le carrefour linguistique de l’Europe que constitue le Luxembourg était l’endroit pré-destiné pour inclure des intervenants germano-phones dans ces rencontres qui se sont dérou-lées pour la première fois en deux langues, le français et l’allemand, avec traduction simulta-née. Mais aussi au niveau des intervenants, le programme s’est ouvert vers des orateurs pro-venant des sciences humaines dont le rôle dans les processus d’explication et de médiation est important et souvent encore sous-évalué.

Le lieu choisi pour le colloque est lui-même un symbole et une illustration de ce tryptique. Le site sidérurgique d’Esch-Belval a été depuis 1911 le centre de la sidérurgie luxembourgeoise et haut-lieu de l’innovation technologique dans ce domaine. Depuis une trentaine d’années, il est le théâtre de grandes mutations économiques symbolisées par la perte d’importance de l’in-dustrie lourde au Luxembourg, l’abandon de la fonte de minerai pour une filière électrique avec la fermeture des symboles de la région qu’étaient les hauts-fourneaux, et enfin la reconversion de

Ce troisième volume des « Mutations » est constitué de contributions présentées dans le cadre des « 3emes Journées Hubert Curien de la Culture scientifique, technique et industrielle » (JHC2010) qui ont réuni une centaine de cher-cheurs et acteurs du 10 au 12 février 2010 à Esch-Belval.

Les 1ères Journées Hubert Curien ont été organisées en décembre 2005 par l’Université Henri Poincaré à Nancy en l’honneur, puis à la mémoire du ministre français de la Recherche Hubert Curien, sur le thème « Quels médiateurs pour quelles médiations ». Elles ont marqué un véritable tournant dans le domaine de la Culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), avec l’émergence de problématiques et de mé-thodes radicalement nouvelles, et surtout d’une jeune génération de praticiens. Ces praticiens de la CSTI ont une ambition commune : celle de rendre accessibles au public les avancées qui se produisent dans les sciences fondamentales, leurs implications technologiques, leurs débou-chés industriels ainsi que les mutations socié-tales qu’elles pourraient induire.

L’Université de Liège a repris le flambeau pour la seconde édition et les Journées Hubert Curien ont franchi les limites d’un territoire national, de la même manière que les sciences, les technologies et les industries sont les do-maines d’activité internationaux par excellence. Ainsi, en janvier 2008 à Liège, le thème choisi « Culture scientifique, technique et industrielle et développement des régions » a permis de répondre pendant trois jours aux questions : « Dans quelle mesure la culture scientifique, technique et industrielle peut-elle contribuer à créer des conditions favorables au redéploie-ment économique ? Quels domaines, quelles formes, quels vecteurs, quelles méthodes doit-elle privilégier pour jouer ce rôle ? Comment donner aux jeunes à la fois la culture scienti-fique nécessaire, une vision positive de l’avenir et l’envie d’entreprendre ?

L’Université du Luxembourg s’est jointe aux quatre universités de Lorraine, aux univer-sités de Liège et de la Sarre, ainsi qu’au CNAM de Lorraine pour inscrire dans la continuité cet

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Journées Hubert Curien 2010 Massimo Malvetti

le Centre national de la culture industrielle. Ce dernier projet suscita parmi les experts réunis un vif intérêt qui nous conforte dans l’espoir de voir le retardement imposé au projet réduit à un minimum.

La dernière matinée, dédiée au volet « mé-diation », a vu les interventions d’Antoinette Lorang détaillant le projet du Centre national de la culture industrielle du site de Belval ain-si que d’Isabella Susa présentant le réseau de CSTI en région Piémont coordonné par Agorà Scienza à Turin. La dernière table ronde a réuni Serge Chambaud, directeur du Musée des arts et métiers de Paris, Vladimir de Sémir, profes-seur de journalisme scientifique à Barcelone, Martine Vanherck, en charge de la diffusion des sciences et des techniques à l’Université de Liège et Morgan Meyer, chercheur à l’Ecole des Mines de Paris pour tenter de donner, avec le public, des ébauches de réponse à la question en exergue du programme de ce colloque : « Face à la rupture économique et écologique, quel rôle pour la Culture scientifique et technique ? ».

Les JHC ont offert, outre leur programme riche et varié, un espace de rencontre qui a permis à des chercheurs et acteurs de pays et de disciplines différents de comparer leurs ap-proches et de nouer des contacts. Le vaste do-maine de la CSTI, qui va de la transmission de connaissances scientifiques de base jusqu’aux processus de médiation pour mieux faire com-prendre au public les rouages et les enjeux sociétaux liés aux mutations économiques et écologiques, nécessite aussi de la part des mé-diateurs une meilleure compréhension mutuelle entre ces acteurs si différents. Ce n’est que par un effort commun qu’une médiation utile sera possible et ces Rencontres ont été un petit pas dans cette direction.

C’est ainsi que, entre autre, les liens entre les acteurs de la CSTI de Liège, de Lorraine et du Luxembourg se sont encore resserrés au sein du projet « Université de la Grande Région » et que des intervenants de ces Rencontres font désormais partie intégrante du réseau qui a pré-paré l’édition des JHC2012.

Nous tenons à remercier toutes les ins-titutions qui ont contribué à faire de ce col-loque une réussite : les Universités de Liège (Réjouisciences et Embarcadère du savoir), de Lorraine (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur), du Luxembourg et de la Sarre (Pôle France), le CNAM en Lorraine, la Ville d’Esch-sur-Alzette, le Fonds Belval et le Fonds national

friches industrielles ainsi libérées pour y im-planter un nouveau quartier de ville avec, en son centre, une université appelée à remplacer la sidérurgie comme moteur de la région.

Les échanges se sont articulés sur trois demi-journées, chacune dédiée à l’un des mots-clés. La première fut dédiée à la notion de muta-tion. Margrit Grabas a jalonné le terrain en ana-lysant les concepts de mutation, de crise et de rupture et leur évolution du point de vue de l’his-toire économique avant que René Leboutte ne dessine l’histoire de la mutation de la sidérurgie qui a marqué profondément l’après-guerre de notre Grande Région, depuis la CECA en pas-sant par la grande crise des années soixante-dix aux fusions de la fin du millénaire, et que Jean Lamesch ne rappelle comment la question éner-gétique a façonné l’industrie des deux derniers siècles et continuera à déterminer celle du nôtre. Philippe Chavot a ensuite brossé un tableau de l’histoire de la CSTI et Philippe Claessens a ré-sumé les efforts de CSTI au niveau européen avant que, en soirée, Robert Halleux, dans une conférence pour le grand public, n’explique le concept de crise dans les contextes distincts des évolutions scientifique, technique et industrielle et n’aborde le rôle de la CSTI dans les temps de crise contemporaine.

La deuxième matinée était consacrée à la notion d’innovation. Après une présentation par Raymond Bausch des programmes de soutien à l’innovation du Fonds National de la Recherche, Marc Duval-Destin a présenté la vue d’un grand groupe de l’industrie automobile sur les rela-tions entre innovation technologique et évolu-tion sociétale dans un grand secteur industriel, puis Hans-Jürgen Lüsebrink a décrit conflits et potentiels d’innovation résultant de la globali-sation et du changement climatique. Enfin, une table ronde a réuni Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de la Région Lorraine et professeur de biochi-mie, Marc Lemmer, directeur général du Centre de recherche public Henri Tudor, Christian Wagner, professeur de physique à l’Université de la Sarre et Pierre Wolper, vice-recteur à la recherche de l’Université de Liège pour un dé-bat animé, avec la participation du public, sur le rôle de l’innovation en temps de crise.

L’après-midi fut consacré à une visite du site d’Esch-Belval sur lequel, en 2014, un campus universitaire va ouvrir ses portes dans un nouveau quartier de la ville d’Esch et de la commune de Sanem qui hébergera à terme aussi

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Introduction

Avec leur quatrième édition, les Journées Hubert Curien vont franchir un nouveau cap : de régionales, elles vont devenir internationales tout en revenant à leur source. Organisées du 3 au 7 septembre 2012 à Nancy, leur thème sera : « Médiation des sciences : perspectives interna-tionales, enjeux et stratégies ».

de la Recherche et surtout la Fondation Bassin Minier et son Président Pierre Gramegna qui ont soutenu les 3emes Journées Hubert Curien.

Enfin, nos plus vifs remerciements vont à Jürgen Stoldt et la petite mais si efficace équipe de Stoldt Associés. Les Journées Hubert Curien leur doivent beaucoup.

Massimo Malvetti, Université du LuxembourgPrésident du Comité d’organisation des JHC2010

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Margrit Grabas

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Wandel, Krise, Umbruch

Zunächst und vor allem sollen einige Begriffe, die für das Thema der Tagung rele-vant sind, terminologisch bestimmt werden. In diesem Zusammenhang wird dafür plädiert, die gegenwärtige Globalisierungskrise hin-sichtlich ihrer Verursachung nicht auf Finanz-marktprobleme bzw. kurzfristige exogene Fak-toren zu reduzieren, sondern sie zugleich auf endogen verursachte – längerfristig wirken-de – strukturelle Wandlungsprozesse zurück-zuführen. Daran anschließend geht es um eine kurze facettenhafte Diskussion dieses krisen-haften Strukturwandels, dessen Bewältigung eine notwendige Voraussetzung für die Ent-faltung eines neuen Evolutionsschubs markt-gesellschaftlicher Prozesse darstellt. Theoreti-scher Hintergrund bildet ein Modellansatz, der im Unterschied zum neoklassischen Gleichge-wichtsparadigma des wirtschaftswissenschaft-lichen Mainstreams Diskontinuitäten der so-zioökonomischen Entwicklung endogenisiert3 und durch die Erkenntnis Joseph A. Schum-peters beeinflußt ist, daß schubartig sich aus-breitende Basisinnovationen immer wieder zu krisenhaften Transformationen der Markt-wirtschaft führen.4

Aufgrund des entwicklungsrelevan- ten Stellenwertes von Innovationen und Krise, deren Zusammenwirken gewisser-maßen als konjunkturhistorische Modifika- tion der Sloterdijkschen These charakteri- siert werden kann, konzentriert sich Ab- schnitt 1 auf die Erklärung dieser beiden Begriffe.

I. Einleitung

Pünktlich zur Weltmarktrezession von 2008/ 2009 hat der Philosoph Peter Sloterdijk ein ful-minantes Werk auf den Buchmarkt gebracht,1 in dem es im Kontext des jüngsten Globa-lisierungsschubs seit dem ausgehenden 20. Jahrhundert letztlich um das kontrovers disku-tierte Spannungsverhältnis zwischen zwei un-terschiedlichen Verhaltensaufforderungen geht: Zum einen geht es um Rainer Maria Rilkes ent-lehnten und zugleich als Buchtitel verwendeten Imperativ „Du mußt dein Leben ändern!“ (aus dem Gedicht „Archaischer Torso Appolos“, letzte Zeile), der sich – im Sinne Immanuel Kants – an einzelne, ganz konkrete Individuen richtet; zum anderen aber wird der eher abstrakt scheinende Imperativ „Du mußt das Leben ändern!“ in seinem allgemein-visionären An-spruch kritisch hinterfragt.

In dieser sowohl philosophischen, histo-rischen als auch religionswissenschaftlichen Auseinandersetzung, die Meike Fessmann als einen herausragenden Beitrag zur Globali-sierungsproblematik gewürdigt hat,2 formu-liert Sloterdijk nun die kontrovers rezensierte Auffassung, daß die globale Krise die „einzi-ge Autorität“ sei, die heute sagen dürfe: „Du mußt dein Leben ändern!“. Der in dieser These unterstellte entwicklungsrelevante Zusammen-hang von Krise und Veränderung ist zwar nicht neu, in seiner akteurszentrierten Begründung aber hoch aktuell – er soll deshalb nachfolgen-den Ausführungen als Leitidee dienen.

Wandel, Krise, Umbruch: Begriffsannäherungen und kritische Reflexionen aus wirtschafts-, sozial- und

innovationshistorischer PerspektiveMargrit Grabas

1 Sloterdijk, P., Du mußt dein Leben ändern. Über Religion, Artistik und Anthropotechnik, Frankfurt/M. 2008.2 Tagesspiegel v. 02.04.2009.3 Vgl. Grabas, M., Konjunktur und Wachstum in Deutschland von 1895 bis 1914, Berlin 1992, Kap. I.4 Vgl. Schumpeter, J. A., Konjunkturzyklen. Eine theoretische, historische und statistische Analyse des kapitalistischen

Prozesses. 2 Bde. [1939], Göttingen 1961. Vgl. aber auch Ritter-Thiele, K. M., Zum Zusammenhang von Innovation und Strukturwandel in einer wachsenden Wirtschaft, München 1992 sowie McCraw, T. K., Prophet of Innovation. Joseph Schumpeter and Creative Destruction, Cambridge 2007.

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Margrit Grabas

Beantwortete z.B. Thomas von Aquin (1225-1274) die letztere Frage noch negativ, so etwa 300 Jahre später – eingebettet in die vielfältigen Wandlungsprozesse während der Frühen Neu-zeit – Francis Bacon positiv:8 Als ein wichtiger Wegbereiter der Moderne vertrat der englische Renaissancephilosoph (1561-1626) die Auffas-sung, daß Wissen eine Macht sei, auf deren Ba-sis prinzipiell eine selbstbestimmte Gestaltung der gesamten Gesellschaft ermöglicht werden könne. Bereits einige Jahrzehnte früher ver-wendete Niccolò Machiavelli (1469-1527) zum ersten Mal den Begriff „innovator“, und zwar als Synonym für den politischen Neuerer.

Eine inhaltliche Schwerpunktverschie-bung auf wissenschaftlich-technische Entwick-lungen erfährt der Begriff der Innovation erst mit Einsetzen der Industriellen Revolution in England, dessen legendärer Aufstieg zur ersten modernen – wirtschaftlichen – Führungsnation bekanntlich – mithin – auf einer weltverän-dernden Innovationsdynamik beruht.9 Schließ-lich läßt sich etwa 150 Jahre später, zu Beginn des 20. Jahrhunderts, eine nochmalige, sowohl räumliche Verlagerung als auch inhaltliche Modifizierung des ursprünglichen Aussage-gehalts von „Innovation“ hervorheben: Indem sich der 1883 in Triest geborene österreichi-sche Nationalökonom Joseph Alois Schumpe-ter10 vor dem Hintergrund der in seinem Land relativ spät einsetzenden Industrialisierung mit Fragen der Antriebsmotorik marktwirtschaft-licher Kreisläufe auseinandersetzte, schuf er mit seiner 1911 veröffentlichten bahnbrechen-den „Theorie der wirtschaftlichen Entwick-lung“11 die wissenschaftlichen Grundlagen der

II. Innovation und Krise: Schlüsselbegriffe zur Erklärung

marktgesellschaftlicher Transformationen

1. Der Begriff „Innovation“Beginnen wir mit dem Begriff der Innovation, der seit längerem dem anfänglich eher „engen Korsett einer unternehmerisch-marktorientier-ten Bedeutung“ entschlüpft ist5 und in der Zwi-schenzeit durch seine auch kulturelle Aufladung sowie damit einhergehende inflationäre Anwen-dung einerseits eine inhaltliche Aufweichung aufweist, andererseits aber den Charakter einer Heilsbotschaft angenommen hat.6

Die begriffsgeschichtlichen Wurzeln von „Innovation“ – wörtlich „Neuerung“ oder „Er-neuerung“ – reichen bis in das frühe Mittelalter zurück:7 Aus der romanischen Sprachwissen-schaft wissen wir, daß der Begriff „innovatio“ bereits im späten Latein der Kirchenväter im 6. Jahrhundert bekannt war. Interessanterweise kann man schon damals seinen noch heute mit ihm assoziierten Bedeutungsinhalt erkennen, auch wenn er lediglich auf einen recht einge-grenzten Gegenstandsbereich bezogen wurde und bald wieder verschwand: Auf das Konzept einer radikalen Vernichtung der alten Welt – un-ter anderem des alten Adams – bei gleichzeiti-ger Auferstehung bzw. des Beginns einer völlig neuen Welt. „Innovatio“ taucht dann erst wieder am Ende des Hochmittelalters auf – und zwar im Zusammenhang mit der heftig diskutierten Frage, ob nur Gott oder auch der menschliche Verstand schöpferisch sein bzw. denken könne.

5 Vgl. Sokol, M., Sind Sie innovativ?, in: DUZ Magazin. Das unabhängige Hochschulmagazin 06/2004, S. 26.6 Die vor allem seit Beginn des neuerlichen Globalisierungsschubs am Ende des 20. Jahrhunderts in verschiedenen

wissenschaftlichen Disziplinen expandierende Literatur zur Innovationsproblematik ist kaum noch zu überblicken – stellvertretend aus wirtschafts- und sozialhistorischer Perspektive sei deshalb lediglich verwiesen auf Walter, R., Innovationsgeschichte. Erträge der 21. Arbeitstagung der Gesellschaft für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, 30. März bis 2. April 2005 in Regensburg (Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte. Beihefte 188), Stuttgart 2007; Abele, J. / Barkleit, G. / Hänseroth, T. (Hg.), Innovationskulturen und Fortschrittserwartungen im geteilten Deutschland, Köln 2001; Braun-Thürmann, H., Innovation – Eine Einführung, Bielefeld 2005 sowie auf Fagerberg, J. / Movery, D. C. / Nelson, R. R., The Oxford Handbook of Innovation, Oxford 2006.

7 Vgl. Sokol, Sind Sie innovativ?, S. 26.8 Vgl. Dülmen, R. van, Die Entdeckung des Individuums 1500 – 1800, Frankfurt/M. 1997 sowie Krohn, W., Francis Bacon,

München 22006.9 Vgl. Dean, Ph., Die industrielle Revolution in Großbritannien 1700 – 1880, in: Cipolla, C. M. / Borchardt, K. (Hg.),

Europäische Wirtschaftsgeschichte. Bd. 4, Stuttgart 1985, S. 1-42; Otten, D., Die Welt der Industrie. Entstehung und Entwicklung der modernen Industriegesellschaften. Bd. 1, Reinbek 1986.

10 Vgl. Swedberg, R., Joseph A. Schumpeter. Eine Biographie, Stuttgart 1994.11 Schumpeter, J. A., Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung. Eine Untersuchung über Unternehmergewinn, Kapital,

Kredit, Zins und den Konjunkturzyklus [1911], Berlin 5 1952.

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Wandel, Krise, Umbruch

verifiziert.16 Aufgrund des amerikanischen Sprachraums, in dem Schumpeter bis zu sei-nem Tod im Jahre 1950 wirkte, hat sich dann auch seit dieser Zeit der von nun an stark öko-nomisch besetzte Begriff der Innovation – also der erstmaligen Markteinführung oder kom-merziellen Nutzung von Gütern, Ressourcen oder Verfahren, die eine Neustrukturierung des betrieblichen oder volkswirtschaftlichen Pro-duktionsprozesses nach sich ziehen – weltweit etabliert, obwohl er innerhalb der Wirtschafts-wissenschaften erst sehr viel später, seit dem Ausklingen der europäischen Nachkriegspros-perität,17 eine herausragende Rolle zu spielen begann.

Hintergrund bildete das Scheitern des Keynesianismus, die exzeptionelle Wachs-tumsdynamik der 1950er und 1960er Jahre mit Hilfe makroökonomischer Politikinstru-mentarien auf der Grundlage der sogenannten neoklassischen Synthese in die Zukunft zu verlängern.18 Die reale Instabilität der sozio-ökonomischen Entwicklung seit dem Zusam-menbruch des Weltwährungssystems von Bret-ton Woods 1971 hatte offensichtlich zu einer Destabilisierung des Gleichgewichtsparadig-mas eines theoretisch möglichen permanenten Anstiegs des Bruttosozialproduktes geführt19 – das aber war die Stunde einer Renaissance des nahezu vergessenen Innovationstheoretikers

modernen Innovationsforschung, ohne jedoch den Begriff „Innovation“ zu diesem Zeitpunkt zu verwenden.12 Statt dessen sprach er von der konkurrenzgesteuerten – und das hieß für ihn diskontinuierlichen – „Durchsetzung neu-er Kombinationen“, die zu einer grundlegen-den Veränderung der jeweils vorherrschenden Produktionsfunktion führen würde und genau dadurch – durch einen „Prozeß der schöpferi-schen Zerstörung“13 – einen Wandel volkswirt-schaftlich relevanter Strukturen in Gang setze, der für ihn das Wesen marktwirtschaftlicher Entwicklung verkörperte.14

Mit dieser konkurrenz- und innova- tionsbasierten Wesensbestimmung des Ka-pitalismus, die er selbst als eine bürgerliche Weiterentwicklung des Marxschen Akkumula- tionstheorems bezeichnete,15 hatte Schumpeter ein dynamische Wandlungsprozesse der mo-dernen Wirtschaft erklärendes Alternativmo-dell zur neoklassischen – auf statische Gleich-gewichte fokussierenden – Wachstumstheorie entworfen, das allerdings für viele Jahrzehnte kaum eine angemessene Würdigung fand. Da-bei hatte er seine Theorie nach der Berufung an die Harvard-University mit seinem 1939 erstmals veröffentlichten zweibändigen Werk „Business-Cycles“ weiter ausdifferenziert und die Bedeutung von innovationsinduzierten zy-klischen Evolutionsschüben auch historisch

12 Vgl. Tichy, G., Die endogene Innovation als Triebkraft in Schumpeters Konjunkturtheorie, in: Ifo-Studien 31 (1985), S. 1-27; Oakley, A., Schumpeter’s Theory of Capitalist Motion, Aldershot 1990; Helpman, E., J. Schumpeter Lecture. Endogenous Macroeconomic Growth Theory, in: European Economic Review 36 (1992), S. 237-267.

13 Schumpeter prägte diesen, in der Zwischenzeit allseits angewendeten Begriff, erst später, in: Schumpeter, J. A., Kapitalismus, Sozialismus und Demokratie [1942], Tübingen 82005, Kapitel 7.

14 Vgl. Schumpeter, Theorie, Kapitel II sowie Kapitel III, Abschnitt 2.15 Vgl. Schumpeter, Theorie, S. XXIII (Aus dem Vorwort zur japanischen Ausgabe 1937).16 Vgl. Schumpeter, J. A., Business Cycles. A Theoretical, Historical, and Statistical Analysis of the Capitalist Process.

2 Vol., London 1939. Vgl. zur Problematik der Evolutionsschübe auch Hedtke, U., Schumpeter und das Jahr 2008. Bemerkungen zur Erstveröffentlichung eines Briefes von Joseph A. Schumpeter an George Garvy, in: Berliner Debatte Initial 19 (2008), S. 66-78.

17 Vgl. Grabas, M., Der Nachkriegsboom der 1950er und 1960er Jahre in Mittel- und Westeuropa - Modellcharakter für eine gesamteuropäische Prosperität im „postsocialist century“?, in: Internationale Wissenschaftliche Vereinigung Weltwirtschaft und Weltpolitik (IWVWW) - Berichte 148 (2004), S. 8-27; Lutz, B., Der kurze Traum immerwährender Prosperität, Frankfurt/M. 1984.

18 Vgl. Scherf, H., Marx und Keynes, Frankfurt/M. 1986; Süß, W., Der Keynesianische Traum und sein langes Ende. Sozioökonomischer Wandel und Sozialpolitik in den siebziger Jahren, in: Jarausch, K. H. (Hg.), Das Ende der Zuversicht? Die siebziger Jahre als Geschichte, Göttingen 2008, S. 116-132; Scharpf, F. W., Sozialdemokratische Krisenpolitik in Europa, Frankfurt a.M. 1987 sowie Galbraith, J. K., The World Economy Since the Wars. A Personal View, London 1995.

19 Vgl. Kaelble, H., Einleitung: Gesellschaftliche und wirtschaftliche Folgen des Booms der 1950er und 1960er Jahre, in: Dies. (Hg.), Der Boom 1948 – 1973. Gesellschaftliche und wirtschaftliche Folgen in der Bundesrepublik Deutschland und in Europa, Opladen 1992, S. 9 f.; Rothschild, K. W., Ökonomische Theorie im Wandel, in: Wirtschaftsdienst 64 (1984), S. 303 ff. sowie Reuter, N., Wachstumseuphorie und Verteilungsrealität. Wirtschaftspolitische Leitbilder zwischen Gestern und Morgen, Marburg 1998.

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Margrit Grabas

tionen finden aber erst seit dem ausgehen-den 20. Jahrhundert größere Aufmerksamkeit, und zwar im Kontext des Aufstiegs der Neuen Institutionenökonomie und der Globalisie-rungsforschung.25 Die relative Einseitigkeit der Schumpeterrezeption26 resultierte zum ande-ren aus der erkenntnisblockierenden Tendenz, die Innovationsproblematik als solche aus dem Gesamtzusammenhang der Schumpeterschen Ungleichgewichtstheorie herauszureißen und sie statt dessen in das neoklassische Gleich-gewichtsparadigma einzupassen. Eine solche Entwicklung war möglich, weil die temporä-re Orientierungskrise des wirtschaftswissen-schaftlichen Mainstreams27 unter dem Einfluß der monetaristischen Chicagoschule spätes-tens in der zweiten Hälfte der 1980er Jahren durch eine handlungstheoretische Wende über-wunden war und damit bisher vernachlässigte Handlungs- und Entscheidungsprobleme der Akteure auf der mikroökonomischen Ebe-ne eine Aufwertung erhielten.28 So konnten z.B. Schumpeters Aussagen hinsichtlich eines notwendigen innovativen Pionierunterneh-mertums29 mühelos zwecks Verbesserung der Angebotsbedingungen der Privatwirtschaft vereinnahmt werden, ohne hierbei die neoklas-sische Kardinalsprämisse einer dem Markt-

und Evolutionsökonomen Schumpeter.20 Diese Renaissance wurde maßgeblich durch die 1975 veröffentlichten Untersuchungen von Gerhard Mensch eingeleitet, die den bemerkenswerten Titel tragen: „Das technologische Patt. Innova-tionen überwinden die Depression“.21

Allerdings erfolgte die seitdem expandie-rende Schumpeter- und Innovationsforschung relativ einseitig22: Zum einen kam es zu einer anfänglichen Verengung des Innovationsbe-griffs auf technologische Aspekte der volks-wirtschaftlichen Produktion, nicht zuletzt durch die von Mensch eingeführte Unterschei-dung von Basis-, Verbesserungs- sowie Schein- innovationen, mit der er die von Schumpeter vorgenommene Differenzierung zwischen Pro-dukt- und Prozeßinnovationen verfeinerte.23

Schumpeter hatte darüber hinaus jedoch zu-gleich die Bedeutung institutionell-organisatori-scher Innovationen für den sozioökonomischen Wandel hervorgehoben, wie die kommerzielle Erschließung neuer Absatzmärkte und Bezugs-quellen von Ressourcen oder aber die marktin-duzierte „Durchführung einer Neuorganisation, wie Schaffung einer Monopolstellung“, von Produktionsprozessen.24 Diese für dynamische Strukturwandlungen der Marktgesellschaft ebenso wichtigen – nichttechnischen – Innova-

20 Vgl. Cantner, U. / Hanusch, H., On the Renaissance of Schumpeterian Economics, Institut für VWL, Beitrag Nr. 51, Januar 1991; Giersch, H., The Age of Schumpeter, in: American Economic Review, Papers and Proceedings 74 (1984); Kleinknecht, A., Innovation Patterns in Crisis and Prosperity: Schumpeter’s Long Cycle Reconsidered, London 1987.

21 Mensch, G., Das technologische Patt. Innovationen überwinden die Depression, Frankfurt/M. 1975 sowie bereits Ders., Zur Dynamik des technischen Fortschritts, in: Zeitschrift für Betriebswirtschaft 41 (1971), S. 295-314.

22 Vgl. als Überblick Augello, M. M., Joseph Alois Schumpeter: A Reference Guide, Berlin 1990 sowie Grabas, M., Der Beitrag Schumpeters zur Erklärung von Stabilität und Instabilität der sozio-ökonomischen Entwicklung. Dargestellt an der Wirtschaftsgeschichte der DDR, in: Schinzinger, F. (Hg.), Unternehmer und technischer Fortschritt, München 1996, S. 211-244.

23 Vgl. Mensch, Das technologische Patt, S. 54 ff.24 Vgl. Schumpeter, Theorie, S. 100 f.25 Stellvertretend Osterhammel, J., Geschichte der Globalisierung. Dimensionen, Prozesse, Epochen, München 42007;

Wischermann, C. / Nieberding, A., Die institutionelle Revolution. Eine Einführung in die deutsche Wirtschaftsgeschichte des 19. und frühen 20. Jahrhunderts, Stuttgart 2004; Borchardt, K., Globalisierung in historischer Perspektive (Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der Wissenschaften), München 2001.

26 Vgl. Grabas, M., Große Nationalökonomen zwischen Glorifizierung und Verachtung – Einige Überlegungen zum Zusammenhang von Rezeptions-, Wissenschafts- und Wirtschaftsgeschichte im 20. Jahrhundert, in: Historical Social Research 27 (2002), S. 204-241, S. 216 ff.

27 Vgl. Bell, D. / Kristol, I. (Hg.), Die Krise in der Wirtschaftstheorie, Berlin 1984.28 Vgl. Friedman, D., Der ökonomische Code. Wie wirtschaftliches Denken unser Handeln bestimmt, Frankfurt/M. 1999

sowie Frank, R. H., Microeconomics and Behavior, New York 62006.29 Vgl. Burmeister, K., Die Vorstellungen Joseph Alois Schumpeters vom dynamischen Unternehmer, in: Schinzinger, F. (Hg.),

Unternehmer und technischer Fortschritt, München 1996, S. 23-31; Ramser, H. J., Schumpetersches Investitionsverhalten im Rahmen eines Konjunkturmodells mit Mengenrationierung, in: Timmermann, M. (Hg.), Die ökonomischen Lehren von Marx, Keynes und Schumpeter, Stuttgart 1987; Albach, H., Die Rolle des Schumpeter-Unternehmers heute?, in: Stolper, H.-D. u.a. (Hg.): Schumpeter oder Keynes? Zur Wirtschaftspolitik der 90er Jahre, Heidelberg 1984.

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schiedlich langen, zyklisch wiederkehrenden und als Transformationswachstum35 in Er-scheinung tretenden Konjunkturschwankun-gen des „kapitalistischen Zeitalters“ nicht nur seit 200 Jahren zu Evolutionsschüben führen, sondern immer wieder zugleich Krisen her-vorbringen können.

2. Der Begriff „Krise“

Der Begriff der „Krise“ wurzelt sprachge-schichtlich im antiken Griechenland: Als Sub- stantiv „krisis“ läßt er sich auf das Verb „kri-nein“ – also „trennen“ oder „(ent)scheiden“ zurückführen, und er wurde ursprünglich zu-nächst im Sinne von „Beurteilung“ bzw. „Ent-scheidung“, später dann von „Zuspitzung“ einer Situation verwendet.36

Bereits zu diesem frühen Zeitpunkt weist der Begriff damit seine auch heute mit ihm asso- ziierte Doppelnatur einer sowohl subjekt- als auch objektbezogenen Bedeutungsdimension auf – ob eine wie auch immer erzeugte Verän-derung eines vertrauten, handlungsrelevanten Koordinatensystems bzw. Erfahrungs- sowie Erwartungsraums als Krise bezeichnet wird, hängt sowohl von deren Ausmaß als auch von ihrer Wahrnehmung und Beurteilung durch die davon jeweils betroffenen individuellen oder kollektiven Akteure ab. „Krise“ ist insofern ein zutiefst historischer Begriff,37 lassen sich doch Perzeptions- und Evaluationsprozesse von Ver-änderungen nur im Kontext soziokulturell im

mechanismus angeblich inhärenten Gleichge-wichtslogik preiszugeben.30

Dabei ist Schumpeter doch während sei-nes ganzen Wissenschaftslebens nie müde geworden, die Ungleichgewichtigkeit markt-wirtschaftlicher Entwicklung zu betonen, und zwar als direkte Folge seines unter Konkurrenz-verhältnissen gerade nicht rational agierenden, primär am ökonomischen Nutzen sich ausrich-tenden Pionierunternehmers:31 Nirgendwo läßt sich im Theoriegebäude Schumpeters – ebenso-wenig übrigens in den Modellvorstellungen von Keynes und Marx – ein neoklassischer Homo oeconomicus finden.32 Dadurch aber kommt es nach Auffassung von Schumpeter in Wechsel-wirkung mit der jeweils variierenden Reichwei-te von Innovationen zu unterschiedlich lang und intensiv schwankenden Entwicklungsverläufen der Wirtschaft, die für ihn von herausragendem Erkenntnisinteresse waren:33 „Konjunkturzyk-len analysieren“ – so Schumpeter – „heißt nicht mehr und nicht weniger, als den Wirtschaftspro-zeß des kapitalistischen Zeitalters zu analysie-ren. Die meisten von uns stoßen auf diese Er-kenntnis, deren Wahrheit zugleich das Wesen der Aufgaben und deren bestürzende Ausmaße enthüllt. Konjunkturzyklen können nicht, wie beispielsweise die Rachenmandeln, abgetrennt und gesondert behandelt werden, sondern so wie der Herzschlag gehören sie zum eigentlichen Wesen des Organismus, der sie hervorbringt.“34

„Bestürzende Ausmaße“ nimmt diese „Wahrheit“ nun deshalb ein, weil die unter-

30 Vgl. zur Kritik des neoklassischen Gleichgewichtsparadigmas Brodbeck, K.-H., Die fragwürdigen Grundlagen der Ökonomie, Darmstadt 1998 sowie Robinson, J., Doktrinen der Wirtschaftswissenschaft. Eine Auseinandersetzung mit ihren Grundgedanken und Ideologien, München 1965.

31 Vgl. Osterhammel, J., Joseph A. Schumpeter und das Nicht-Ökonomische in der Ökonomie, in: Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie 39 (1987), S. 41-58.

32 Vgl. Grabas, Große Nationalökonomen, S. 214 ff. sowie Helburn, S. W. / Bramhall, D. F. (Hg.), Marx, Schumpeter, Keynes. A Centenary Celebration of Dissent, London 1986.

33 Vgl. Schumpeter, Konjunkturzyklen, Kap. IV, D.34 Ebd., S. 5.35 Der Begriff des „Transformationswachstums“ geht auf den Ökonomen Edward J. Nell zurück und impliziert die

ungleichmäßig im Zeitablauf verteilten sozioökonomischen Folgen bahnbrechender Innovationen, insbesondere das diskontinuierliche Hinausschieben der sogenannten „Grenze der Produktionsmöglichkeiten“. Damit aber trägt Nell der Auffassung Schumpeters Rechnung, Wirtschaftswachstum nicht auf seine quantitative Dimension zu verengen, sondern stets die durch Innovationen herbeigeführten qualitativen – strukturellen – Wandlungen mitzudenken. Vgl. Heilbroner, R. / Thurow, L., Wirtschaft – Das sollte man wissen, Frankfurt/M. 2002, S. 130 f.

36 Vgl. Kluge, F., Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, Berlin 242002.37 Vgl. zur terminologischen Diskussion der Krisenproblematik ausführlich Grabas, M., Wirtschaftskrisen in soziokultureller

Perspektive. Plädoyer für eine kulturalistisch erweiterte Konjunktur(geschichts)forschung, in: Abelshauser, W. (Hg.), Wirtschaftskulturen - Kulturen der Weltwirtschaft, Göttingen [2012]. Vgl. des weiteren Koselleck, R., Krise, in: Otto Brunner (Hg.), Geschichtliche Grundbegriffe. Bd. 3, 1982, S. 617-650.

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Qualität. Oder anders formuliert: Das Krisen-konzept fokussiert primär Verbindungslinien zwischen zwei durch einen Wendepunkt zwar unterscheidbaren, dennoch aber aufeinander be-zogenen Phasen der Entwicklung, die system- immanent zu erklären sind. Das Konzept des „Umbruchs“ hingegen betont vor allem die grundlegende Verschiedenartigkeit zweier auf-einanderfolgender Phasen, die durch historisch singuläre Ereignisse – in der Regel exogene Schocks, wie Kriege, Revolutionen oder Um-weltkatastrophen – verursacht wird.

Nun, es leuchtet ein, daß Historiker zur Erklärung von zeitlich beschleunigten und an-fangs Desorientierung der Akteure erzeugenden Wandlungsprozessen im allgemeinen letzteres Konzept bevorzugen und sich auf die histori-sche Beschreibung ihrer jeweiligen politischen, sozioökonomischen und kulturellen Implikatio-nen konzentrieren. Dies um so mehr, weil das Krisenkonzept ein operationalisierbares Sample theoretisch begründeter Analyseindikatoren vo-raussetzt, das prinzipiell die Formulierung von Prognosen erlaubt, diese jedoch nicht zum Ziel- und Aufgabenkatalog von Geschichtswissen-schaft zählt.41 Rücken historische Krisen den-noch, wie vor dem Hintergrund der Häufung von Gegenwartskrisen seit einiger Zeit beobachtbar, in den Untersuchungsfokus, so unter dem Ein-fluß der neuen Kulturgeschichte vor allem un-ter dem Aspekt ihrer diskursiv und emotional gesteuerten Wahrnehmungsdimension oder se-mantischen Erzählmuster, aber auch ihrer medi-alen Inszenierungen und Mythologisierungen.42

Im Unterschied dazu haben Sozial- und Wirtschaftswissenschaftler bereits im 19. Jahr-hundert zahlreiche konkurrierende Krisentheo-rien aufgestellt, um Einblicke in die komplexen

Raum und in der Zeit variierender Werte- und Normensysteme erklären. So ist es denn auch nicht erstaunlich, daß das Wort „Krise“ erst seit dem 16. Jahrhundert – der beginnenden kriti-schen Reflexion von Mensch und Umwelt – im deutschen Sprachgebiet auftaucht, anfänglich vor allem im medizinischen Bereich zur Kenn-zeichnung des „entscheidenden Wendepunktes“ innerhalb eines Krankheits- bzw. Gesundungs-prozesses, später dann, seit der Aufklärung und insbesondere mit Einsetzen der Industriellen Revolution, zur Charakterisierung dramatischer Entscheidungssituationen, die zwecks gesell-schaftlicher Schadensbegrenzung unter Zeit-druck und zunehmender Verunsicherung einen Verhaltenswandel wichtiger Akteure erzwingen.

Damit aber ist der Krisenbegriff – unge-achtet vorhandener Schnittmengen – abzugren-zen einerseits vom Begriff des „Niedergangs“ oder „Zerfalls“. Gerade Soziologen, die sich selbst nicht selten als Krisenwissenschaftler de-finieren,38 neigen dazu, diese negativ konnotier-ten längerfristigen Wandlungsprozesse mithin als Krise zu begreifen.39 Eine Inflationierung des Begriffs bewirkt aber seine Aufweichung als heuristisches Analysekonzept, so daß er des-halb andererseits ebenso abzugrenzen ist vom Begriff des „Umbruchs“: Während eine Krise aufgrund ihres inhärenten, auf Veränderung orientierten Verhaltensimperativs im allgemei-nen Modifizierungen bzw. Formwandlungen von Systemstrukturen ermöglicht und auf die-se Weise zu einer evolutionären Restabilisie-rung gesellschaftlicher Handlungskoordinaten zur Sicherstellung des Stoffwechsels zwischen Mensch und Natur beiträgt,40 kommt es bei ei-nem Umbruch zur abrupten Herausbildung völ-lig neuer Systemparameter von revolutionärer

38 Vgl. Uske, H. / Danckwerts, D., Soziologie als Krisenwissenschaft, Münster 1998.39 Vgl. zum Krisenbegriff der Soziologen stellvertretend Jürgen Friedrichs, Gesellschaftliche Krisen. Eine soziologische

Analyse, in: Helga Scholten (Hg.), Die Wahrnehmung von Krisenphänomenen. Fallbeispiele von der Antike bis in die Neuzeit, Köln 2007, S. 13-26 sowie Bühl, W. L., Krisentheorien. Politik, Wirtschaft und Gesellschaft im Übergang, Darmstadt 1984. Vgl. aber auch: Opp, K.-D., Theorie sozialer Krisen. Apathie, Protest und kollektives Handeln, Hamburg 1978.

40 Vgl. Deutsch, K. W., Zum Verständnis von Krisen und politischer Revolutionen, in: Jänicke, M. (Hg.), Herrschaft und Krise, Opladen 1973, S. 90-100 sowie Siegenthaler, H., Regelvertrauen, Prosperität und Krisen. Die Ungleichmäßigkeit wirtschaftlicher und sozialer Entwicklung als Ergebnis individuellen Handelns und sozialen Lernens, Tübingen 1993, Kap. IX.

41 Vgl. Föllmer, M. / Graf, R. / Leo, P., Einleitung: Die Kultur der Krise in der Weimarer Republik, in: Föllmer, M. / Graf, R. (Hg.), Die „Krise“ der Weimarer Republik. Zur Kritik eines Deutungsmusters, Frankfurt/M. 2005, S. 9-41, S. 13.

42 Vgl. stellvertretend Scholten, H. (Hg.), Die Wahrnehmung von Krisenphänomenen. Fallbeispiele von der Antike bis in die Neuzeit, Köln 2007; Schuster, P., Die Krise des Spätmittelalters. Zur Evidenz eines sozial- und wirtschaftsgeschichtlichen Paradigmas in der Geschichtsschreibung des 20. Jahrhunderts, in: HZ 269 (1999), S. 19-55; Itin, J., Tagungsbericht: Krisengeschichte(n). ‚Krise’ als Leitbegriff und Erzählmuster in kulturwissenschaftlicher Perspektive, in: H-Soz-u-Kult, 25.09.2009.

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sammenhänge geschärft werden kann, um zu-kunftsrelevante Einsichten in die offensichtlich keineswegs harmonische Selbstregulierungs-welt des Marktes zu gewinnen, darf angesichts des Ausprägungsgrads der Krise allerdings be-zweifelt werden. Trotz aller bisher praktizier-ten – vor allem liquiditätserhöhenden – antizy-klischen Steuerungsmaßnahmen ist es weltweit bislang nicht gelungen, die Konjunktur nach-haltig zu stabilisieren. Hierfür wäre zuallererst eine komplexe Ursachenanalyse notwendig, die sich nicht primär auf den Finanzmarktsek-tor mit seinen eher kurzfristigen Spekulati-onsexzessen konzentriert. „Wenn wir wirklich begreifen wollen, was jetzt passiert“ – so auch Immanuel Wallerstein – „müssen wir zwei andere Temporalien ins Auge fassen, die weit aufschlußreicher sind, nämlich zum einen die mittelfristigen Schwankungen der Konjunk-tur, zum anderen die langfristigen strukturellen Trends.“48

Ohne hierauf näher eingehen zu können, sei zum Abschluß dieses Abschnitts zumindest folgende These aufgestellt: Die Weltfinanz- und Wirtschaftskrise von 2008/2009 ist nicht zuletzt deshalb in ihrem globalen Ausmaß und in ihren dramatischen Folgewirkungen zäsursetzend, weil es aufgrund eines bislang nur unvollkom-men bewältigten längerfristigen Strukturwan-dels der Industriegesellschaft im Verlaufe der letzten beiden Hochkonjunkturen seit Mitte der 1990er Jahre erstens zu einer systemgefährden-den Abkoppelung des Finanzmarktes von der Realwirtschaft gekommen ist, zweitens aber – und davon nicht zu trennen – zu einer institu-tionell-politisch sanktionierten Fehlallokation knapper Güter, Leistungen und Ressourcen.

Im Folgenden sollen aus wirtschafts- und sozialhistorischer Sicht einige daraus resultie-rende gesellschaftsübergreifende Kontingenzen und Herausforderungen kurz skizziert werden.

und komplizierten Mechanismen der Entste-hung und Bewältigung von Wirtschaftskrisen zu gewinnen. Überraschenderweise arbeitet der Mainstream der modernen Marktwissenschaft heute jedoch kaum noch mit diesen Theorien,43

weil erstens die letzte große Krise von 1929/32 außerhalb der Zeiterfahrung der meisten Öko-nomen liegt, zweitens alle später folgenden, als Rezession definierten konjunkturellen Rück-schläge mit Hilfe des Sozialstaates und antizy-klischer Wirtschaftspolitik mehr oder weniger aufgefangen werden konnten, drittens aber – und vor allem – das neoklassische Gleichge-wichtsdogma gar keine marktwirtschaftlich verursachten Krisen kennt.44

Insofern erstaunt es nicht, wie schockiert die Zunft auf den Ausbruch der jüngsten und modellendogen nicht prognostizierbaren inter-nationalen Finanz- und Wirtschaftskrise von 2008/2009 reagiert hat!45 In Ermangelung eines systeminhärenten Krisenbegriffs – zumindest innerhalb des wirtschaftswissenschaftlichen Mainstreams – wird die gegenwärtige Welt-marktrezession denn auch folgerichtig pri-mär auf exogene Faktoren zurückgeführt, also z.B. auf Defizite bei der Kreditvergabe in den USA, auf intransparente Finanzprodukte – vor allem Derivate – oder aber auf ein zu gieriges Bank- und Investmanagement.46 Dabei bedient sie sich interessanterweise einer auf den Wirt-schaftsbereich zugeschnittenen Variante des Umbruchskonzeptes, der sogenannten Struktur-bruchthese, mit deren Hilfe die Konjunkturfor-schung in der Lage ist, anhand verschiedener Indikatoren Beginn und Verlaufsdynamik der Rezession einerseits, quantitativ meßbare Un-terschiede im Vergleich zur vorausgegangenen Wachstumsphase andererseits ökonometrisch exakt zu verifizieren.47

Ob mit einer derartigen paradigmatischen Brille der Blick für tiefer liegende Kausalzu-

43 Ähnlich Nützenadel, A., Wirtschaftskrisen und die Transformation des Sozialstaates, in: AfS 47 (2007), S. 31-46.44 Vgl. Borchardt, K., Wandlungen im Denken über wirtschaftliche Krisen, in: Michalski, K. (Hg.), Über die Krise.

Castelgandolfo-Gespräche, Stuttgart 1986, S. 127-153.45 Vgl. Grabas, M., Die Gründerkrise von 1873/79 – Jähes Ende liberaler Blütenträume. Eine konjunkturhistorische

Betrachtung vor dem Hintergrund der Globalisierungsrezession von 2008/2009, in: Internationale Wissenschaftliche Vereinigung Weltwirtschaft und Weltpolitik (IWVWW) – Berichte 182/183 (2009), S. 66-82, S. 66 ff.

46 Vgl. zusammenfassend Sinn, H.-W., Kasino-Kapitalismus. Wie es zur Finanzkrise kam und was jetzt zu tun ist, Berlin 2009.

47 Vgl. zur Strukturbruchthese Metz, R., Trend, Zyklus und Zufall. Bestimmungsgründe und Verlaufsformen langfristiger Wachstumsschwankungen, Stuttgart 2002, S. 32-39.

48 Wallerstein, I., Die große Depression, in: Blätter für deutsche und internationale Politik 53 (2008), S. 5.

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werden können, sowohl zu ungleich auf die Ge-sellschaft verteilten Vermögens-, Gewinn- und Einkommensverlusten, zu Arbeitsplatzabbau, Investitionsrückgängen, Import- und Export- einbrüchen, aber ebenso zur Destabilisierung von Vertrauen in Institutionen des Wirtschafts-lebens und der Politik geführt.50 Während nun aber die Modernisierungskrisen der Vergan-genheit letztlich im nationalen bzw. nach 1945 zunehmend auch im euro-atlantischen Rahmen bewältigt worden sind,51 besitzt die gegenwär-tige Herausforderung weltweit sich auftürmen-der sozioökonomischer, ökologischer sowie kultureller Problemberge eine neue Qualität: Nicht nur erzwingt das Spannungsverhältnis zwischen historisch gewachsenen europäischen Industrieregionen und sich rasant industrialisie-renden außereuropäischen Schwellenländern einerseits,52 zwischen westlicher und nichtsä-kularisierter Kultur andererseits53 sowie eine die Lebensgrundlagen der Menschheit bedro-hende Ineffizienz der Energie- und Ressour-cenbilanz54 ein globalpolitisches, historisch neuartiges Krisenmanagement. Das westliche Gesellschaftsmodell als solches, das bisher in identitätsstiftender Selbstbeschreibung in der Lage war, auf seinen drei Stützpfeilern Indus-trialisierung, Demokratisierung und Verwis-senschaftlichung55 zumindest in einem relativ kleinen Teil der Welt innerhalb nur weniger Ge-nerationen Armut kraftvoll zu überwinden und materielle Wohlfahrt in nie gekanntem Ausmaß zu institutionalisieren, dieses Modell gesell-schaftlicher Modernisierungsdynamik befindet sich seit dem ausgehenden 20. Jahrhundert in ei-ner brisanten „Orientierungskrise“ (Lepenies). Will es seine Ausstrahlungskraft zurücker-

III.Krisenhafte Transformation der Industriegesellschaft – Kontin- genzen und Herausforderungen

Anläßlich der Jahrtausendwende hat der inter-national renommierte Soziologe Wolf Lepenies ein Essay verfaßt, in dem er sich vor dem Hin-tergrund der weltpolitischen Wende von 1989 – dem Zusammenbruch des realexistierenden Sozialismus – und dem Einsetzen eines neuen Globalisierungsschubs mit der „Erbschaft un-serer Zeit“ auseinandersetzt und konstatiert: „Wir sind in ein Zeitalter neuer Ungewißheiten eingetreten. Es kann beispielsweise gar keine Rede davon sein, daß sich weltweit und ohne Widerstand die Marktwirtschaft und die Demo-kratie durchsetzen. Vielmehr sind gerade die Marktwirtschaft und die Demokratie an ihren Ursprungsorten in Krisen geraten, aus denen wir augenblicklich noch keinen Ausweg erken-nen können“.49

Der Eintritt in ein „Zeitalter neuer Un-gewißheiten“, das aus der Überlagerung von Klimawandel und globalen Wandlungsprozes-sen in Wirtschaft, Gesellschaft und Kultur re-sultiert, ist durch das Flugzeugattentat auf das New Yorker Trade Center vom 11. September 2001 sowie durch die aktuelle Globalisierungs-krise dramatisch bestätigt worden. Zwar ist es im Verlaufe der letzten 200 Jahre immer wie-der seit dem institutionellen Übergang von der Norm- zur Marktintegration zu gesellschaftli-chen Erschütterungen und Marktturbulenzen gekommen. Immer wieder haben die mehr oder weniger zyklisch auftretenden Spekulations- und Wirtschaftskrisen, die als Achillesferse des industriekapitalistischen Systems bezeichnet

49 Lepenies, W., Benimm und Erkenntnis. Über die notwendige Rückkehr der Werte in die Wissenschaften, Frankfurt/M. 1997, S. 17.

50 Vgl. prägnant zusammenfassend Galbraith, J. K., Eine kurze Geschichte der Spekulation, Frankfurt/M. 2010. Vgl. ansonsten – stellvertretend aus der Fülle der einschlägigen konjunkturhistorischen Literatur – inbesondere Schumpeter, Konjunkturzyklen; Kindleberger, C. P., Manien, Paniken, Crashs. Die Geschichte der Finanzkrisen dieser Welt, Kulmbach 2001 sowie – speziell für die deutsche Konjunkturgeschichte – Grabas, Konjunktur und Wachstum sowie Spree, R., Konjunktur, in: Ambrosius, G. u.a. (Hg.): Moderne Wirtschaftsgeschichte. Eine Einführung für Historiker und Ökonomen, München 22006, S. 185-214.

51 Vgl. stellvertretend Wee, H. v. d., Der gebremste Wohlstand. Wiederaufbau, Wachstum, Strukturwandel 1945-1980, München 1984; Scharpf, Krisenpolitik in Europa; Galbraith, World Economy.

52 Vgl. Krugman, P., Die neue Weltwirtschaftskrise, Bonn 2009 sowie Beck, U., Was ist Globalisierung? Irrtümer des Globalismus, Antworten auf Globalisierung, Frankfurt/M. 1997.

53 Vgl. Huntington, S. P., Kampf der Kulturen. Die Neugestaltung der Weltpolitik im 21. Jahrhundert, München 61997 sowie Habermas, J., Glauben und Wissen, Frankfurt/M. 32003.

54 Vgl. den Bericht von Stern, N., The Economics of Climate Change. The Stern Review, London 2006.55 Vgl. ausführlich Lepenies, Benimm und Erkenntnis, S. 30 ff.

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Unsicherheiten nachhaltig abbauende Neufor-mulierung der sozialen Organisation von Arbeit bewirkt.59 Insofern spitzt sich dieser Transfor-mationsprozeß der Wirtschaft, der durch die Diffusion moderner Informations- und Kom-munikationstechnologien seit Mitte der 1990er Jahre eine globale Beschleunigung erfahren hat,60 im Problem konjunktureller und struktu-reller Arbeitslosigkeit zu.61 Dabei ist es vor al-lem die ansteigende Sockelarbeitslosigkeit, die die Gesellschaft vor eine ernsthafte Zerreißpro-be stellt. „Wer seine Arbeit verloren hat“, – so Lepenies – „ist im wahrsten Wortsinn wertlos geworden, weil Arbeit der zentrale Wert der In-dustriegesellschaft“ war.62 Ganz offensichtlich brauchen wir dringend einen qualitativ anderen Schub an Basisinnovationen, der im Unter-schied zur Digitalisierung der Wirtschaft nicht nur Gewinn erhöhende Rationalisierungseffek-te ermöglicht, sondern darüber hinaus in gro-ßem Umfang Arbeit schaffende, auf eine Klima schonende Verbesserung unserer Energieeffizi-enz orientierte, völlig neue Expansionsräume wirtschaftlichen Handelns eröffnet.63

Ein solcher Wandel erfordert nun mit Not-wendigkeit eine Neubestimmung des zweiten Stützpfeilers des westlichen Modernisierungs-modells: der Verwissenschaftlichung von Le-bensräumen. Die mit der Cartesianischen Revo-

obern, muß es seine prinzipiell ihm inhärente evolutionäre Wandlungsfähigkeit56 unter Be-weis stellen, und zwar genau in jenen drei eng miteinander verzahnten Bereichen, denen es seine bisherige relative Stabilität verdankt.

Da wäre zunächst und vor allem die sä-kulare Entfaltung und Vollendung der Indust-riegesellschaft mit ihren vielfältigen und zahl-reichen politischen und sozioökonomischen Bindungskräften.57 Seit Mitte der 1970er Jah-re läßt sich aber ein relativer Bedeutungsver-lust der industriellen Produktion innerhalb des volkswirtschaftlichen Sektorengeflechts nach-weisen, dessen unintendierte und intendierte gesellschaftliche Folgen nach wie vor erst in Umrissen erkennbar bzw. abschätzbar sind.58

Wir wissen zwar, daß das spätestens mit den beiden Ölpreisschocks von 1973/79 einge-leitete Ende des Fordistischen Systems – also von industrieller Massenproduktion und sozi-aler Wohlfahrtsstaatlichkeit – irgendwie in das postindustrielle Zeitalter führt. Doch hat die seitdem voranschreitende Tertiärisierung, die von einem folgenschweren demographischen Wandel überlagert wird und durch eine Erosion von traditionellen Berufsgruppen bei gleich-zeitiger Herausbildung veränderter Beschäfti-gungsverhältnisse gekennzeichnet ist, bislang keine gesellschaftsstabilisierende und dadurch

56 Vgl. Zapf, W., Zum Verhältnis von sozialstrukturellem Wandel und politischem Wandel. Die Bundesrepublik 1949-1989, in: Blanke, B. / Wollmann, H. (Hg.), Die alte Bundesrepublik. Kontinuität und Wandel, Opladen 1991, S. 130-139. Vgl. aber auch Berger, J. (Hg.), Die Moderne - Kontinuitäten und Zäsuren, Göttingen 1986.

57 Vgl. Kaelble, H. (Hg.), Der Boom sowie Wehler, H.-U., Deutsche Gesellschaftsgeschichte, Bd. 5. Bundesrepublik und DDR 1949 – 1990, Bonn 2009.

58 Vgl. Doering-Manteuffel, A. / Raphael, L., Nach dem Boom. Perspektiven auf die Zeitgeschichte seit 1970, Göttingen 2008 und Jarausch, Das Ende der Zuversicht? sowie Steiner, A., Bundesrepublik und DDR in der Doppelkrise europäischer Industriegesellschaften. Zum sozialökonomischen Wandel in den 1970er-Jahren, in: Zeithistorische Forschungen, Online-Ausgabe, 3 (2006).

59 Vgl. stellvertretend Rifkin, J., Das Ende der Arbeit und ihre Zukunft, Frankfurt/M. 22002 sowie Kocka, J., Mehr Lust als Last. Arbeit und Arbeitsgesellschaft in der europäischen Geschichte, in: Jahrbuch für Wirtschaftsgeschichte 2005, S. 185-206, S. 203 ff.

60 Instruktiv Klotz, U., Die neue Ökonomie, FAZ v. 25.04.2000, S. 31. Vgl. auch Bachmann, R. / Burda, M. C., Sectoral Transformation, Turbulence, and Labour Market Dynamics in Germany, in: German Economic Review 11 (2010), S. 37-59.

61 Vgl. Riese, H., Arbeitslosigkeit in der Krise, in: Eicker-Wolf, K. u.a. (Hg.), Wirtschaftspolitik im theoretischen Vakuum? Zur Pathologie der Politischen Ökonomie, Marburg 1996, S. 171-203. Während der aktuellen Weltmarktrezession ist die Arbeitslosigkeit in den OECD-Ländern auf den höchsten Wert der Nachkriegszeit gestiegen (Juli 2007: 5,6 Prozent / Juli 2009: 8,5 Prozent – Quelle: OECD-Beschäftigungsausblick 2009, Ber-lin/Paris 2009). Im Dezember 2009 waren nach Angaben von Eurostat 23 Millionen EU-Bürger ohne Arbeit. Vgl. Tagesspiegel v. 30.01.2010.

62 Lepenies, Benimm und Erkenntnis, S. 30. Vgl. auch Grabas, M., Individuum und industrielle Arbeit, in: Dülmen, R. van (Hg.), Entdeckung des Ich. Die Geschichte der Individualisierung vom Mittelalter bis zur Gegenwart, Köln 2001, S. 331-359.

63 Vgl. Land, R., Die globale Energiewende und die politische Agenda von Barack Obama, in: Berliner Debatte Initial 20 (2009), S. 62-66, S. 64 ff.; Boyer, R., The Future of Economic Growth. As New Becomes Old, Cheltenham 2004, S. 101 ff.

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immer mit der Sinnfrage des Lebens zu verbin-den, tritt in Abhängigkeit kulturell und subjek-tiv variierender Werte- und Normenvorstellun-gen der Akteure sowohl im Raum als auch in der Zeit modifiziert in Erscheinung und kann nur unter Bezugnahme auf lebensweltliche Zusammenhänge gesellschaftsstabilisierende Bindungskraft entfalten.67 Insofern fordert Le-penies in seinem Essay denn auch zu Recht eine „Rückkehr der Werte“ in die Wissenschaften.68

Neben dieser wertegebundenen Dekon- struktion des Rationalitätsmythos hat sich die Wissenschaft und mit ihr der technische Fort-schritt zweitens aber zugleich von ökonomi-schen Verwertungszwängen zu emanzipieren. Technik als Mittler des Stoffwechsels zwischen Mensch und Natur hat die ihr prinzipiell inhären-te Dichotomie von „Schöpfung“ und „Zerstö-rung“ erst unter Marktintegrationsbedingungen voll entfaltet:69 bilden technische Innovationen einerseits eine unabdingbare Voraussetzung für die Dynamisierung marktwirtschaftlicher Kreisläufe, so stellen sie andererseits in Abhän-gigkeit sich globalisierender Märkte und eines immer schneller voranschreitenden Wissens-standes ein für Mensch und Natur kaum noch kontrollierbares Gefahrenpotential dar. Vor die-sem Hintergrund gehört die Begrenzung von Technikfolgen zu einer zentralen politischen Aufgabe von Gegenwart und Zukunft, die un-ter Berücksichtigung von Erkenntnissen der Techniksoziologie durchaus realistisch ist.70 Demnach folgt die Genese von Technik kei-neswegs einer quasi schicksalhaft bestimmten Eigenlogik und unabwendbaren ökonomischen

lution (1637) eingeleitete, seit der Aufklärung dann rasant sich entfaltende und seit dem letzten Viertel des 20. Jahrhunderts einen neuen Grad erreichte Programmatik einer von moralischen und ethischen Zweifeln weitgehend befreiten Suche nach immer neuem Wissen hat seine ge-sellschaftsübergreifende Akzeptanz verloren.64 Schlagwortartig seien in diesem Zusammen-hang die beiden Problemfelder Gentechnologie und Kernenergie einerseits, immer abstrusere Formen annehmende Quantifizierungs- und Ra-tionalitätsimperative bei der Arbeits- und All-tagsgestaltung andererseits hervorgehoben.65 Zwar kann es bei der Wiedergewinnung ihrer Legitimationskapazität nicht darum gehen, ei-nen weiteren Zuwachs an Wissen und techni-schem Können per se in Frage zu stellen. Im Gegenteil könnte mit der Herausbildung einer von einigen Politikern seit kurzem geforder-ten Wissensgesellschaft der Grundstein gelegt werden, um die Probleme des 21. Jahrhunderts zu meistern. Doch setzt ein derartiger Wandel mindestens zwei Veränderungen des bisherigen Wissenschaftsethos voraus: Erstens die kri-tische Reflexion einer für das 20. Jahrhundert charakteristischen Mythologisierung von Ra-tionalität, die unter dem Postulat einer Erhö-hung des Steuerungspotentials von Wirtschaft und Gesellschaft – insbesondere in den Wirt-schafts-, Politik- und Sozialwissenschaften – zunehmend auf Logik, aber auch Nutzensma-ximierung reduziert worden ist.66 Dabei wurde jedoch vergessen, daß Rationalität ein komplex strukturiertes, nicht zuletzt auch soziokulturell geprägtes Phänomen ist. Rationalität ist deshalb

64 Stellvertretend Dierkes, M., Perzeption und Akzeptanz technologischer Risiken und die Entwicklung neuer Konsensstrategien, in: Ders. (Hg.), Die Technisierung und ihre Folgen. Zur Biographie eines Forschungsfeldes, Berlin 1993, S. 179-213. Vgl. auch Pothast, U., Lebendige Vernünftigkeit. Zur Vorbereitung eines menschenangepaßten Konzepts, Frankfurt a.M. 1998 sowie Ropohl, G., Die unvollkommene Technik, Frankfurt/M. 1985.

65 Vgl. Beck, U. / May, S., Gewußtes Nicht-Wissen und seine rechtlichen und politischen Folgen: Das Beispiel der Humangenetik, in: Beck, U. / Bonß, W. (Hg.), Die Modernisierung der Moderne, Frankfurt/M. 2001, S. 247-260; Radkau, J., Technik in Deutschland. Vom 18. Jahrhundert bis zur Gegenwart, Frankfurt/M. 1989, S. 313-374 sowie Ders., Hiroshima und Asilomar. Die Inszenierung des Diskurses über die Gentechnik vor dem Hinter-grund der Kernenergie-Kontroverse, in: GG 14 (1988), S. 329-363.

66 Vgl. Beck, U. / Giddens, A. / Lash, S., Reflexive Modernisierung. Eine Kontroverse, Frankfurt/M. 2007 sowie Grabas, Große Nationalökonomen, S. 225 ff.

67 Vgl. insbesondere Kondylēs, P., Das Politische und der Mensch. Grundzüge der Sozialontologie. Bd. 1. Soziale Beziehung, Verstehen, Rationalität, Berlin 1999 sowie Großheim, M. / Waschkies, H.-J. (Hg.), Rehabilitierung des Subjektiven, Bonn 1993.

68 Lepenies, Benimm und Erkenntnis, S. 30.69 Vgl. Schumpeter, Konjunkturzyklen. Vgl. aber auch Wehler, H.-U., Deutsche Gesellschaftsgeschichte. Bd. 2. Von der

Reformära bis zur industriellen und politischen „Deutschen Doppelrevolution“. 1815 – 1845/49, München 42005, S. 606 ff.

70 Vgl. Rammert, W., Technik aus soziologischer Perspektive. Bd. 2. Kultur – Innovation – Virtualität, Opladen 2000.

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Wandel, Krise, Umbruch

transaktionskostensenkendes – Regulationsmo-dell der Ressourcenallokation darstellt.74

Eine derartige Aufwertung basisdemo-kratischer Prozesse, die eine fundamentale Neuadjustierung des Akteursverhältnisses zwi-schen Staat, Markt und Bürgergesellschaft im-pliziert,75 und von einer hohen Lernkapazität vernetzter Akteure ausgeht, könnte aber nicht nur zur Beschleunigung eines auf Humanisie-rung und Ökologisierung ausgerichteten insti-tutionell-politischen Wandels beitragen, der für die Gestaltung der Transformationsprozesse in Wirtschaft, Technik und Wissenschaft notwen-dig ist.76 Sie bildet zugleich eine Voraussetzung für die Restabilisierung von Demokratie, die ih-rerseits für den Abbau in der Zwischenzeit ku-mulierter Ungewißheiten hinsichtlich globaler Politikkonfigurationen unabdingbar ist.

Inwiefern die aktuelle Krise den bislang nur unvollkommen bewältigten Strukturwandel der Industriegesellschaft vorantreiben oder blo-ckieren wird, kann gegenwärtig noch niemand sagen. Allerdings kann – unter Bezugnahme auf die Sloterdijksche Leitidee der vorstehenden Ausführungen – festgehalten werden, daß die Krise zumindest bereits eine kritische Reflexion tradierter Verhaltensmuster in Gang gesetzt hat.

Imperativen. Statt dessen stellt Technik das Re-sultat varianter gesellschaftlicher Prozesse der Herausbildung von Handlungsorientierungen und Selektionsentscheidungen der individuel-len und kollektiven Akteure dar!71

Daraus läßt sich schlußfolgern, daß die praxisrelevante Umsetzung dieser Erkenntnis letztlich ein neues Politikverständnis voraus-setzt, das der kontextabhängigen horizontalen Partizipation gleichberechtigter Bürger an einer dezentralen Bewältigung gesellschaftlicher Pro-blemfelder – damit aber der Rolle von „Sozial-kapital“72 – eine größere Bedeutung zuweist. In diesem Zusammenhang ist zum einen an eine Förderung bzw. Akzeptanz von netzwerkba-sierten, durch Nachhaltigkeits-, Gerechtigkeits- und Transparentskriterien integrierten NGO’s bzw. NPO’s zu denken.73 Hervorhebenswert ist aber zum anderen ebenso das von der Ameri-kanerin Elinor Ostrom maßgeblich begründete und 2009 mit dem Nobelpreis für Wirtschafts-wissenschaften gewürdigte institutionenökono-mische Forschungsprogramm einer partiellen Reaktivierung der kooperativen Allmendebe-wirtschaftung von sogenannten Gemeingütern (den commons), das vor dem Hintergrund temporären Marktversagens ein alternatives –

71 Vgl. Dierkes, Perzeption und Akzeptanz, S. 104 ff. sowie Degele, N., Einführung in die Techniksoziologie, München 2002, S. 177 ff.

72 Bourdieu, P., Die verborgenen Mechanismen der Macht. Schriften zu Politik und Kultur I, Hamburg 1997, S. 63.73 Vgl. Badelt, C., Handbuch der Nonprofit-Organisation. Strukturen und Management, Stuttgart 32002 sowie Boli, J. /

Thomas, G. M., World Culture in the World Polity. A Century of International Non-Governmental Or-ganizations, in: American Sociological Review 62/2 (1997), S. 171-190.

74 Vgl. Ostrom, E., Governing the Commons. The Evolution of Institutions for Collective Action, Cambridge 1990.75 Vgl. Helfrich, S. / Heinrich-Böll-Stiftung (Hg.), Wem gehört die Welt? Zur Wiederentdeckung der Gemeingüter, München

2009, S. 7 ff.76 Vgl. Weizsäcker, E. U. v., Für eine neue Balance zwischen Staat und Markt, in: Vorgänge Nr. 186 (2009), S. 46 und Ders./

Hargroves, K./Smith, M., Faktor Fünf. Die Formel für nachhaltiges Wachstum, München 2010; Boyer, R., How and Why Capitalisms Differ, in: Economy and Society 34 (2005), S. 509-557, S. 539 f.

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Au boom économique de 1972-1974 (l’année 1974 constitua d’ailleurs le pic euro-péen de production industrielle) a brusquement succédé la crise de 1975 qui a durement frappé le monde industriel. La demande de produits manufacturés et de biens de consommation s’est effondrée après le premier « choc pétro-lier », consécutif à la réplique de l’OPEP dans le contexte de la guerre du Yom Kippour. Le terme « crise » correspond à cet événement que tout le monde a considéré alors comme un accident conjoncturel. Or, avec le recul du temps, l’historien considère aujourd’hui que la crise de 1974-1979 masquait le dé-veloppement d’une mutation structurale de la société tout entière : on assistait alors – sans s’en rendre compte – à un passage de la société industrialisée, qui avait émergé un siècle et demi plus tôt, à une société qualifiée couramment de post-industrielle ou encore société de « la connaissance et de l’informa-tion ». Comme lors de tout passage, de toute transition, « les empreintes de la société pré-cédente » ont cohabité avec « les prémices de celle qui lui succède »2 et c’est le rôle de l’his-torien que d’analyser empreintes et prémices3. Nous allons tenter d’expliquer que ce passage n’est donc pas une rupture radicale par rap-port à l’économie des années 1960, c’est une « grande mutation structurelle » qui, comme toute mutation, va de proche en proche toucher tous les secteurs de la vie en société, depuis l’activité économique jusqu’aux institutions, jusqu’à la culture, jusqu’à l’environnement4.

A l’aube de la deuxième décennie du 21e siècle, la période 1970-2010 apparaît comme spécifique, radicalement différente des « trente glorieuses », mais également de l’entre-deux-guerres. L’ère de l’industrialisation lourde, qui a débuté dans la Grande Région à la fin du 18e siècle, s’est ache-vée durant les années 1970, tandis qu’une autre forme d’industrie a pris le relais, l’industrie ter-tiarisée1. Sur le plan environnemental, les effets négatifs de l’ère industrielle se poursuivent. Dans cet essai – car il s’agit bien d’une tentative d’analyse – nous posons comme hypothèse que la décennie 1970 marque une rupture historique importante, peut-être aussi fondamentale que la grande révolution industrielle initiée en Grande-Bretagne au milieu du 18e siècle. Depuis la dé-cennie 1970, nous serions confrontés non pas à une succession de « crises », mais à une mutation de la société sans que l’on sache à l’heure actuelle quand et comment s’achèvera cette mu tation.

L’historien n’est pas prophète, mais l’ap-proche historique dans la longue durée permet de mieux comprendre les changements récents. Il s’agit également de s’interroger sur la prise de conscience de cette mutation. Dans la Grande Région, cette prise de conscience se situerait durant la phase de restructuration de la sidé-rurgie, c’est-à-dire lorsque les premières fer-metures d’usine ont commencé, en particulier l’épopée de la fermeture en septembre 1977 de la S.A. Minière et Métallurgique de Rodange-Athus avec ses manifestations désespérées pour la défense de l’emploi et la revitalisation d’une région industrielle.

La grande mutation – Les changements économique et écologique dans la

Grande-RégionRené Leboutte

1 Cohen Daniel, La prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie, Paris, Albin Michel, 2009, pp. 132-135.2 Suivant Poniatowski Michel, L’avenir n’est inscrit nulle part, Paris, Albin Michel, 1978 et « Faut-il pleurer les années

septante ? Bilans à l’aube d’une décennie », La Libre Belgique, 31 décembre 1979, supplément p. 1, cité par Beyen Marnix, Destatte Philippe, Nouvelle histoire de Belgique. 1970-2000. Un autre pays, Bruxelles, Le Cri, 2009, p. 46.

3 Kaelble Hartmut, Sozialgeschichte Europas 1945 bis zur Gegenwart, München, C.H. Beck, 2007; Beyen M., Destatte Ph., Nouvelle histoire de Belgique, op. cit., pp. 41-53 (notamment).

4 A propos des mutations énergétiques (et donc aussi environnementales), lire : Debeir Jean-Claude, Deléage Jean-Paul, Hémery Daniel, Les servitudes de la puissance. Une histoire de l’énergie, Paris, Flammarion, 1986.

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Notons que la société née de la révolution industrielle de la fin du 18e siècle englobe tous les secteurs de la vie économique et sociale, y compris le monde agricole. Dans la Grande Ré-gion, le monde rural est certes celui de la tra-dition, du savoir-faire transmis de génération en génération. Cependant, il n’est pas figé : l’introduction de cultures nouvelles (pomme de terre, betterave, tabac), l’adoption de la traction chevaline (cheval de trait brabançon et cheval ardennais pour les travaux en forêt) et la mise au point de machines agricoles (tracteur, mois-sonneuse-batteuse) constituent des innovations majeures. De plus, le développement de l’agro-nomie a fortement marqué la Grande Région avec la création de sociétés provinciales d’agri-culture au milieu du 19e siècle, puis la Station agricole de Gembloux (1872) et bien d’autres initiatives prises par les grands propriétaires terriens (expérimentations, expositions et concours agricoles)7.

La société industrielle a connu, à partir des années 1870 jusqu’à l’aube du 20e siècle, un nouveau passage, une « deuxième révolution industrielle », marquée par l’essor fulgurant des secteurs de l’électricité, de la chimie indus-trielle, de la production d’acier en masse grâce aux convertisseurs Bessemer, Siemens-Martin, Thomas et son cousin Gilchrist à partir des an-nées 1880. Ce fut aussi une période d’inven-tions – moteur diesel, photographie, cinémato-graphie, téléphonie – qui vont donner naissance à la société de consommation de masse. Cette nouvelle révolution va dynamiser les bassins industriels lorrains et luxembourgeois (« Terres Rouges »)8. Trois éléments se sont renforcés du-rant la période 1870-1970 : forte concentration de main-d’œuvre étrangère dont les valeurs par-

Partie I : la grande mutation structurelle

depuis les années 1970

Dans la Grande Région, la grande mutation structurelle évoquée plus haut n’est évidemment pas la première. Au début du 19e siècle, on a as-sisté au passage d’une société proto-industrielle à la société industrielle. La société proto-indus-trielle reposait sur un système énergétique basé sur l’usage des sources d’énergie renouvelable (eau, bois, charbon de bois), sur une dispersion géographique des unités de production et sur le recours à une main-d’œuvre rurale qui com-binait travaux agricoles et travail à domicile, vers la société industrielle5. Au début du 19e siècle, les innovations technologiques induites par la mise au point de la machine à vapeur par James Watt et la mécanisation dans les secteurs industriels (textile, exploitation minière, biens d’équipement, construction mécanique, métal-lurgie) ont remis en cause le paradigme tech-nico-industriel de la proto-industrialisation. A la dispersion spatiale des activités industrielles et au recours aux énergies renouvelables, la pre-mière révolution industrielle a opposé l’usage intensif d’une énergie non-renouvelable, le charbon, grâce à l’essor des machines à vapeur. Le coût élevé du transport du charbon a entraîné une contrainte de localisation des activités in-dustrielles et de la main-d’œuvre rassemblées en un même lieu à proximité des matières pre-mières (charbon, minerai de fer), ce qui a donné naissance aux bassins industriels. Ceux-ci vont constituer le triangle industriel transfrontalier, base de la Communauté européenne du charbon et de l’acier6.

5 Wrigley Anthony E., Continuity, Chance and Change: The Character of the Industrial Revolution in England, Cambridge University Press 1990. A propos de la proto-industrialisation, voir Leboutte René (édit.), Proto-industrialisation. Recherches récentes et nouvelles perspectives. Mélanges en souvenir de Franklin Mendels, Genèvre, Droz, 1996 ; Leboutte René, « Intensive Energy Use in Early Modern Industrial Europe (17th-early 19th Century) », dans Istituto Internazionale di Storia Economica F. Datini, Prato, Serie II—Atti delle Settimane di Studi, Economia e Energia secc. XIII-XVIII, XXXIV Settimana di Studi Il Datini, a cura di Simonetta Cavaciocchi, Firenze-Prato, Le Monnier, Prato, 2003, pp. 547-575.

6 Carte très parlante du triangle industriel en 1951 dans European Navigator: carte illustrant l’importance des bassins de l’industrie lourde des États membres de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. The Schuman Plan. Keystone (http://www.ena.lu/triangle_industriel-1-36663). Leboutte René, Vie et mort des bassins industriels en Europe, 1750-2000, Paris, L’Harmattan, 1997.

7 Van Mol Jean-Jacques, « Innovation et savoir-faire en agriculture », dans Innovation, savoir-faire, performance. Vers une histoire économique de la Wallonie, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 2005, pp. 223-235. Bairoch Paul, Victoires et déboires. III. Histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, Paris, Gallimard, 1997, pp. 129-131.

8 Leboutte René, Puissant Jean, Scuto Denis, Un siècle d’Histoire industrielle (1873-1973). Belgique, Luxembourg, Pays-Bas. Industrialisation et sociétés, Editions Sedes, collection Regards sur l’Histoire contemporaine, direction Jacques Valette, Paris, 1998.

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et l’importance accrue de la mise en réseau. Elle a pour effet d’augmenter la productivité et de modifier radicalement la notion même de « tra-vail ». Comme le fait remarquer Daniel Cohen : « La finance de marché accomplit à sa manière le nouveau rêve de Wall Street : fabriquer des firmes « sans usines et sans travailleurs14». » Cette grande mutation se traduit, sous nos yeux, par la disparition des travailleurs peu qualifiés, du « monde ouvrier », tout comme la disparition de la paysannerie dans les années 1960. Telle est toute la problématique de la « reconver-sion industrielle » et des programmes sociaux associant régions, Etats et Communauté euro-péenne, comme on le verra plus loin.

Dans la Grande Région, la rapidité avec la-quelle s’est enclenchée la grande mutation doit être soulignée. Deux décennies (1970-1990) ont suffi pour voir disparaître le monde des mines de charbon (sauf en Sarre) et de fer, pour que s’effondre le secteur textile et pour que la si-dérurgie subisse une profonde restructuration. Durant cette période, la Grande Région a vu se développer la construction automobile et sur-tout des petites et moyennes entreprises enga-gées dans les secteurs innovants.

Partie II : Les différents facteurs à l’origine

de la grande mutation

InnovationLe moteur de la grande mutation initiée dans les années 1970 est l’innovation qui ne doit pas être réduite à son volet technologique, mais au contraire être entendue comme une notion

tagées tournent autour du travail ; valorisation d’une « culture industrielle » faite notamment d’un savoir-faire qui n’était plus l’apanage des ingénieurs sortis des grandes écoles, mais qui était partagé par des techniciens formés par la multiplication des écoles techniques ; nouvelle organisation de la production suivant les mé-thodes tayloriste et fordiste ; « internisation » de toutes les activités au sein des entreprises qui développaient leur propre culture scientifique et technique au sein de leurs laboratoires et de leurs bibliothèques9. Cette « culture indus-trielle » a été diffusée par de grandes revues spécialisées10 et des magazines de vulgarisation scientifique et technique comme La Nature, re-vue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie (1873-1973). Fait digne d’être relevé : la plupart de ces publications ont cessé de paraître dans les années 1980…

Le passage de la société industrielle avan-cée à la société « post-industrielle », qui s’opère à partir des années 1970, est marqué par une mutation structurelle11 en raison de l’apparition de secteurs absolument nouveaux comme l’in-dustrie nucléaire civile, l’informatique et la bio-technologie... Il serait donc plus correct de par-ler de « société méta-industrielle » dans laquelle la connaissance et l’information englobent et pénètrent au cœur de l’activité productive12. Le prix Nobel de chimie, Paul Crutzen, « ré-sume l’évolution en cours comme l’émergence de « l’anthropocène » : le passage d’un monde dominé par la nature à un monde dominé par l’homme »13.

La révolution du numérique induit un nou-veau changement de paradigme technico-indus-triel : la déconcentration de l’activité productive

9 Cohen D., La prospérité du vice, p. 248.10 Comme par exemple la célèbre Revue universelle des mines, de la métallurgie, de la mécanique, des travaux publics, des

sciences et des arts appliqués à l‘industrie, éditée à Liège par l’Association des ingénieurs sortis de l’Université de Liège et qui a cessé de paraître au milieu des années 1970…

11 Une précision conceptuelle est nécessaire. Selon nous, le qualificatif « post-industriel » est inadéquat, car l’industrie reste le socle de l’économie, elle a cependant évolué considérablement sous l’effet des nouvelles technologies (électronique, informatique, biotechnologie…). De plus, l’expression de société post-industrielle accrédite l’idée que l’on serait au-delà de cette société industrielle avancée alors que la société actuelle plonge ses racines profondément dans le temps (« les empreintes de la société précédente » cohabitent avec « les prémices de celle qui lui succède »).

12 L’image du laminoir rend bien cette notion de méta-industrie. Aux 18e-début 19e siècles, les laminoirs étaient actionnés par l’énergie hydraulique et toutes les opérations étaient manuelles (proto-industrie) ; ensuite, le laminoir a été mécanisé (machine à vapeur, moteurs électriques) mais les tâches de fabrication des tôles restaient manuelles. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ouvriers autour des cages de laminage qui sont surmontées par un centre informatique contrôlé par une poignée de techniciens. Qui sait si bientôt ces laminoirs ne seront pas actionnés à distance via le web ?

13 Cohen D., La prospérité du vice, p. 226.14 Cohen D., La prospérité du vice, p. 249.

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Dans la Grande Région cohabitent « les empreintes de la société précédente » avec « les prémices de celle qui lui succède »17. Ici, le pro-blème a été que les anciennes combinaisons ont pesé trop fortement et trop longtemps, entravant la juxtaposition de nouvelles combinaisons. En clair, les efforts énormes consentis par les en-treprises et les gouvernements pour sauver les secteurs traditionnels – textile, charbonnages, sidérurgie – et leur donner une chance de recon-version n’ont pas permis d’investir suffisam-ment à temps et massivement dans les secteurs porteurs d’avenir. Cette constatation est particu-lièrement claire lorsqu’on retrace l’histoire de la sidérurgie entre 1960 et 1990. Les industries européennes accusaient, dans les années 1970, un retard en matière de productivité non seu-lement par rapport aux Etats-Unis, mais égale-ment par rapport au Japon18.

La mutation n’est pas qu’industrielle : elle est environnementale. On assiste à une troi-sième révolution agricole19 marquée par une progression spectaculaire de la productivité grâce à la recherche et à l’innovation (méca-nisation, engrais, semences, sélection animale, etc.) qui s’accompagne d’une réduction tout aussi impressionnante du nombre d’agriculteurs et d’une spécialisation dans des niches de pro-duction de plus en plus ciblées. Cette révolu-tion agricole s’est opérée par un usage intensif de pesticides et d’engrais azotés que l’on est parvenu à produire industriellement. En consé-quence, cette agriculture « peu biologique » a contribué, comme le secteur industriel, à aggra-ver la pollution des sols et des nappes phréa-tiques. Ce n’est qu’à la suite de la réforme de la Politique agricole commune des années 1990 que le secteur agricole a été orienté vers une gestion globale de l’écosystème20.

ouverte suivant en cela Joseph Schumpeter15. Pour ce dernier, ce concept englobe les cinq éléments suivants :

« 1° Fabrication d’un bien nouveau, c’est- à-dire encore non familier au cercle des consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien. 2° Introduction d’une méthode de production nouvelle, c’est-à-dire pratiquement inconnue de la branche intéressée de l’indus-trie; il n’est nullement nécessaire qu’elle repose sur une découverte scientifiquement nouvelle et elle peut aussi résider dans de nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise. 3° Ouverture d’un débouché nouveau, c’est-à-dire d’un marché où jusqu’à présent la branche intéressée de l’industrie du pays intéressé n’a pas encore été introduite, que ce marché ait existé avant ou non. 4° Conquête d’une source nouvelle de matières premières ou de produits semi-ouvrés ; à nouveau, peu importe qu’il faille créer cette source ou qu’elle ait existé antérieurement, qu’on ne l’ait pas prise en considération ou qu’elle ait été tenue pour inaccessible. 5° Réalisation d’une nouvelle or-ganisation, comme la création d’une situation de monopole […] ou l’apparition brusque d’un monopole. »

Schumpeter explique ensuite que l’on trouve les empreintes de la société précédente et les pré-mices de celle qui lui succède : « Les nouvelles combinaisons ou les firmes, les centres de pro-duction qui leur donnent corps – théoriquement et aussi généralement en fait – ne remplacent pas brusquement les anciennes, mais s’y jux-taposent. Car l’ancienne combinaison, le plus souvent ne permettait pas de faire ce grand pas en avant »16.

15 Le concept de Schumpeter est bien analysé par Steffens Sven, « Outil d’intelligence du présent et de construction du futur », dans Innovation, savoir-faire, performance. Vers une histoire économique de la Wallonie, Charleroi, Institut Jules-Destrée, 2005, pp. 17-29 et Halleux Robert, « Les concepts opératoires : information, savoir-faire et innovation », ibidem, pp. 35-56.

16 Schumpeter Joseph, Théorie de l’évolution économique. Recherches sur le profit, le crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture, 1911 (traduction française de 1935), pp. 67-68 (Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi : http://classiques.uqac.ca/classiques/Schumpeter_joseph/theorie_evolution/theorie_evolution_1.pdf consulté le 15-10-10).

17 Voir par exemple cette initiative : « Réseau transnational Chambres des Métiers de la Grande Région » créé en 1989 (http://www.artisanat-gr.eu/pls/CICM/GetRub?lng=FR&rub=0&n=2, consulté le 15-10-10).

18 Leboutte René, Histoire économique et sociale de la construction européenne, (Peter Lang Collection Europe plurielle - Multiple Europes) Bruxelles, P.I.E.-Peter Lang, 2008, pp. 453-506 ; Houseman Susan N., Industrial Restructuring with Job Security. The Case of European Steel, Cambridge Mass. Harvard U.P., 1991, pp. 8-45.

19 La première remonte au milieu du 18e siècle ; la deuxième aux années 1870-1890.20 Bairoch Paul, Victoires et déboires. III., 1997, pp. 129-131.

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tés (Marché unique européen, Mercosur, Alena, Asean, etc.). Le multilatéralisme des échanges l’a finalement emporté sur le bilatéralisme des blocs (par exemple les relations bilatérales entre l’Europe de l’Ouest et les pays du Comecon). La globalisation implique aussi un nouveau jeu d’échelles. Pour les observateurs de la grande mutation que nous sommes, l’échelle transré-gionale, transfrontalière s’avère plus pertinente que le niveau national en raison des intercon-nexions entre bassins industriels, entre entre-prises. L’histoire récente de la sidérurgie en donne une démonstration éclatante. Les études d’histoire économique et sociale sur la Grande Région confirment que l’approche à l’échelon régional est justifiée et opérationnelle23, une approche qui rejoint d’ailleurs la démarche des pères fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l’acier lorsqu’ils évoquaient l’unicité du triangle industriel artificiellement fractionné par des frontières politiques24.

Globalisation et mutations industrielles

Jusqu’au milieu des années 1960, l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis dominaient le monde sur le plan industriel. Grâce aux empires colo-niaux, les pays ouest-européens disposaient des ressources en matières premières en abondance et de marchés pour leurs produits manufacturés, alors que l’empire soviétique, coupé de l’Ouest, régnait sur l’Asie. Cette géopolitique des blocs, des empires, s’est effritée sous la pression des mouvements de décolonisation. Les anciennes colonies et les pays jadis considérés comme

La globalisation

A partir des années 1960, la globalisation des marchés commence à prendre forme. Elle est une composante majeure de la grande muta-tion, car elle introduit une nouvelle dimension temporelle : l’immédiateté ou presque dans les activités économiques. C’est d’ailleurs cette dimension qui me pousse à distinguer « globa-lisation » et « mondialisation ». La mondialisa-tion signifie la prise de conscience d’un monde connu dans lequel on peut circuler, faire du commerce. C’est elle qu’ont donné à voir les grands géographes de la fin du 16e siècle tels que Mercator et Ortelius21. Le temps de parcou-rir cet espace-monde se réduit, mais n’approche pas de l’immédiateté : c’est l’économie-monde braudélienne22. L’industrialisation de l’Europe occidentale et des Etats-Unis a d’ailleurs profité de la mondialisation et des décalages chronolo-giques pour s’affirmer. Quant à la globalisation, elle ajoute à la mondialisation l’immédiateté et elle date de 1858 avec la pose du premier câble sous-marin télégraphique transatlantique. Les nouvelles technologies de la communica-tion abolissent presque l’intervalle temporel entre un événement et ses conséquences de par le monde comme la récente crise économico- financière de 2008-2010 l’a montré.

Outre la révolution numérique, deux autres ruptures historiques ont favorisé la globalisa-tion. La première est l’effondrement du système soviétique qui a mis fin à une Europe cloison-née. La seconde est la formation de marchés ré-gionaux de libre-échange qui sont interconnec-

21 L’un d’eux, Louis Le Roy, définit même la mondialisation en 1575 dans son ouvrage sur l’histoire universelle : grâce aux explorations récentes, le monde est « entièrement manifesté & tout le genre humain cogneu, pouvans maintenant tous [les] mortels s’entrecommuniquer leurs commoditez [productions] & subvenir à leur indigence mutuelle : comme habitans en une mesme cité & république mondaine », bref le village-monde… (Le Roy Loys, De la vicissitude des choses en l’univers, et concurrence des armes et des lettres par les premiers & plus illustres nations du monde, depuis le temps où a commencé la civilité, & memoire humaine iusques à présent, Paris, 1579, Livre XI, p. 112v, citation fournie également par Besse J.M., La géographie de la Renaissance et la représentation de l’universalité, document en ligne : http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/32/78/PDF/La_geographie_de_la_Renaissance_et_la_representation_de_l_universalite.pdf (déchargé le 15 novembre 2010)).

22 Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, 1979, rééd. LGF, 3 vol., 2000. Voir aussi La Dynamique du capitalisme, 1985, rééd. Flammarion, coll. « Champs », 2005.

23 Ces études ne sont pas encore très nombreuses, le cadre local l’emportant souvent sur le cadre transnational. A titre d’exemple signalons cependant : Augustin Christian, Glöckner Christian, Knoepffler Daniel, Leydecker Klaus, Sievert Olaf, Tomann Horst, Die wirtschaftliche und sozial Entwicklung im Grenzraum Saar-Lor-Lux, Saarbrücken, 1978; Schmit Guy, Der Saar-Lor-Lux-Raum : Strukturen, Probleme und Entwicklungen in einer altindustrialisierten Grenzregion, Köln, Aulis-Verl. Deubner, 1989.

24 Leboutte René, « A space of European de-industrialisation in the late twentieth century : Nord/Pas-de-Calais, Wallonia and the Ruhrgebiet », dans European Review of History, special issue : Transnational Spaces in History (Müller Micheal G., Torp Cornelius, edit.), volume 16, n° 5, 2009, pp. 755-770.

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de la croissance sans fin, mythe dénoncé en 1968 par le Club de Rome et par le rapport de Dennis Meadows The Limits to Growth, 197227. Dans le domaine industriel, la nécessité d’une approche beaucoup plus globale de la problé-matique de la reconversion des « régions à tradi-tion industrielle » prend désormais en compte le « développement durable », une notion énoncée en 1987 dans le rapport de l’ONU Our Common Future (commission Brundtland)28.

La formation des bassins industriels sur les ressources charbonnières principalement s’inscrivait dans un développement forcément non-durable. Avant même que ne s’ouvre l’ère du charbon-roi, des esprits clairvoyants annon-çaient déjà l’épuisement des richesses minérales et prêchaient en faveur d’un développement du-rable29. Celui-ci présente trois dimensions :

1. le retour à l’efficacité économique basée sur d’autres ressources que les ressources non-renouvelables ;

2. le respect de l’environnement et du cadre de vie (en ce y compris la « culture » et l’identité propre aux bassins industriels) ;

3. la cohésion économique et sociale, c’est-à-dire une redistribution des richesses afin d’assurer le bien-être (lutte contre la pauvreté).

Une mutation sociétale

On le voit, la grande mutation ne peut être can-tonnée à la sphère économique. Elle touche la société tout entière. Une des composantes ma-jeures de la grande mutation est d’ordre socio-logique : la marginalisation du monde ouvrier et de sa culture ; l’amenuisement du monde agricole et surtout la persistance d’un chômage structurel de masse30. Ces mutations sociolo-

faisant partie du tiers monde sont devenus des concurrents de plus en plus redoutables en jouant à fond la carte de la globalisation : pensons à la Chine, à la Corée du Sud ou au sous-continent indien. Le défi de la globalisa-tion s’observe bien dans la sidérurgie. Pendant des décennies, la sidérurgie a été le symbole d’un Occident – URSS compris – développé et puissant économiquement et militairement. On estimait jadis l’état de « civilisation » d’un pays à sa production annuelle d’acier par habitant25 ! Tout va commencer à basculer entre 1965-1975 avec les difficultés de la sidérurgie américaine et la montée en puissance de la sidérurgie nip-pone, puis brésilienne et indienne. La concur-rence devient féroce : en 1913, on ne comptait que neuf pays au monde fabriquant de l’acier, ils sont 57 en 1980… et aujourd’hui la Chine est l’un des plus puissants pays producteurs d’acier26.

Modèle de croissance et défi environnemental

Depuis le début du 19e siècle, le passage d’une société proto-industrielle à la société indus-trielle a été accompagné d’un essor exponentiel des pollutions, de la dégradation de plus en plus rapide de l’environnement. L’industrialisation, l’urbanisation, la multiplication des moyens de transport constituent un défi environnemental et posent la question des modèles de croissance.

La grande mutation consiste aussi en une prise de conscience – tardive – et une prise de décision – insuffisante – en matière de modèle de croissance et de gestion de l’environnement. Le taux de croissance de la production indus-trielle a été exceptionnel entre 1950 et 1974 et cette longue période a fait naître le mythe

25 Lire par exemple Sauvy Alfred, « Subsistances et matières premières », dans Revue économique, volume 3, n°1, 1952, pp. 83-93.

26 Beyen Marnix, Destatte Philippe, Nouvelle histoire de Belgique, op. cit., pp. 209-210.27 http://www.clubofrome.org/eng/home/ (consulté le 15/11/2010).28 Rapport Brundtland 1987: http://www.un-documents.net/wced-ocf.htm (consulté le 15/11/2010).29 Comme en témoigne ce texte de 1785 : « nous avons dans nos provinces [Liège, Hainaut] une quantité donnée de houille,

dont chaque morceau qu’on tire, diminue la masse, et quelque provision qu’on nous en suppose, elle n’est pas inépuisable ; donc elle s’épuisera un jour. [...] Si l’on me dit qu’il faut tirer la houille pour faire vivre beaucoup de gens, qui sans cela serait dans la misère, je répondrai que, si l’on est si pressé de tirer ce fossile précieux, qu’on tâche au moins par tout moyen, de l’employer chez nous à des fabriques qui nous rendront autant d’or que la houille nous donne aujourd’hui de cuivre » Extrait du rapport de François Xavier Burtin remis au ministre plénipotentiaire des Pays-Bas autrichiens, 28 octobre 1785, publié par Defossé P., Vansantbergen R., La révolution industrielle dans nos régions, 1750-1850, Bruxelles, Archives générales du royaume, 1967, pp. 26-27.

30 Hau Michel, Narvaiza-Mandon Nuria, Le chômage en Europe. Divergences nationales et régionales, Paris, Economica, 2009.

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qu’un chômage résiduel. Mieux, les gouverne-ments et la C.E.E. elle-même encourageaient les grands programmes d’investissement à long terme, notamment dans la sidérurgie et dans l’industrie nucléaire. Tout semblait indiquer que les piliers économiques européens que sont les industries lourdes étaient inébranlables.

Et l’innovation ? Elle était au rendez-vous au sein de la Grande Région. D’ailleurs l’une des principales missions de la C.E.C.A. était de faciliter les programmes de modernisation technologique et de recherche scientifique ap-pliquée. En ce domaine, la C.E.C.A. a été une réussite puisqu’elle a permis le financement de programmes qui ont amené les techniques minières et sidérurgiques européennes à un niveau de modernisation voisin de celui des Etats-Unis33. Dès l’origine de la C.E.C.A., des mesures avaient été prévues afin d’assurer la modernisation industrielle, la reconversion et la requalification de la main-d’œuvre. Toutefois, personne n’imaginait alors que la C.E.C.A. al-lait devoir gérer le déclin structurel des indus-tries charbonnières et minières et la restructura-tion de la sidérurgie.

Seuls quelques responsables européens, poussés notamment par Jean Monnet, avaient compris les enjeux énergétiques et la révolution du nucléaire en créant Euratom (traité de Rome de mars 1957), une communauté européenne de l’atome qui a fortement investi dans la re-cherche au sein de la Grande Région.

Après le déclin programmé de l’industrie charbonnière arrivé quasi à son terme en 1980, la sidérurgie a été le secteur qui a été sans doute le plus marqué par la transition industrielle, mais elle en est sortie revigorée. Dans le cas de la sidérurgie, ce sont les innovations technolo-giques (procédé LD/AC, coulée continue, amé-lioration de la qualité des minerais, etc.) qui ont imposé une nouvelle localisation des unités de production à front de mer. Ce dernier élément a amené les sidérurgistes de la Grande Région,

giques se déroulent sur un arrière-fond démo-graphique en rapide évolution : fin de la transi-tion démographique en Europe et vieillissement de la population31.

A l’heure actuelle, la grande mutation est toujours en cours et les dérives qui ont conduit à la crise financière et économique de 2008-2011 incitent à être prudent sur la volonté réelle de tendre vers le développement durable.

Partie III : Face à la grande mutation, quelles réponses à l’échelon européen ?

Le mythe de la croissance

Depuis le début des années 1950 jusqu’à 1973, les sociétés industrielles avancées – comme celle de la Grande Région – n’ont plus connu de crises semblables à celles du 19e siècle et de la grande dépression des années trente. Dès lors, le mythe de la croissance sans fin et de la disparition des cycles économiques a aveuglé la plupart des acteurs économiques. Le terme « crise » a même disparu, c’est dire qu’on était loin d’imaginer la grande mutation. Cet aveu-glement vis-à-vis de l’avenir est vraiment troublant, note Daniel Cohen. « Même les éco-nomistes les mieux avertis des tendances lon-gues se sont laissés aller à croire que la crois-sance pourrait demeurer longtemps au même rythme »32.

Plusieurs « succès » expliquent peut-être le manque d’anticipation des années d’or. Dans les années 1960, la Communauté européenne du charbon et de l’acier était en train d’assurer le repli en bon ordre du secteur charbonnier, tandis que l’ouverture du marché commun généralisé en 1967 apparaissait comme la démonstration éclatante du bien-fondé de la Communauté éco-nomique européenne. L’inflation restait encore contrôlable et le marché du travail ne comptait

31 Leboutte René, « Perception et mesure du vieillissement durant la transition démographique. Ménage, profession, retraite : la place du vieillard dans la société, XVIIIe-XXe siècles », dans Populations âgées et révolution grise. Les hommes et les sociétés face à leur vieillissement. Actes du Colloque Chaire Quetelet‚ 86 (sous la direction de Michel Loriaux, Dominique Remy, Eric Vilquin), UCL - Institut de Démographie, Louvain-la-Neuve, Ciaco, 1990, p. 599-618 ; Idem, Reconversions de la main-d‘oeuvre industrielle et transition démographique. Les bassins industriels en aval de Liège, XVIIe-XXe siècles, (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l‘Université de Liège, fascicule CCLI), Liège-Paris, Les belles-Lettres (Droz), 1988.

32 Cohen D., La prospérité du vice, p. 13633 Leboutte René, Histoire économique et sociale, op. cit., pp. 152-154.

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de tradition industrielle » ou « Régions euro-péennes de tradition industrielle » (RETI )35. On espérait, pour reconvertir l’industrie, créer des zonings sur les friches industrielles, mais force est de constater que la reconversion industrielle a été lente et difficile. Plus grave, le rattrapage technologique par rapport aux Etats-Unis a été stoppé durant la décennie 197036.

Les Communautés européennes et l’innovation

A l’échelon européen, la prise de conscience d’un clivage sur le plan de l’innovation et de la recherche dans les nouvelles technologies par rapport aux Etats-Unis et au Japon se situe à l’époque du rapport Werner d’octobre 1970 relatif à l’Union économique et monétaire. Ce document souligne que la réussite de l’union économique et monétaire « suppose le concours des divers milieux économiques et sociaux pour que, à travers l’effet combiné des forces du mar-ché et des politiques conçues et consciemment mises en œuvre par les autorités responsables, soient atteints à la fois une croissance satisfai-sante, un haut degré d’emploi et la stabilité. En outre, la politique communautaire devra tendre à réduire les disparités régionales et sociales et à assurer la protection de l’environnement.»37 En plus de cette prise de conscience précoce de la problématique environnementale, le rapport Werner évoque le rôle des milieux économiques et sociaux, la « trame sociale ». Ce rapport n’a cependant pas eu d’impact immédiat en raison de la crise financière provoquée par la décision du Président Nixon de mettre fin au système de Bretton Woods dans son discours du 15 août 197138.

En sidérurgie, les Communautés euro-péennes ont joué un rôle clé dans la Grande Ré-gion en remettant de l’ordre. Ce sont les plans européens « Acier » : plan d’orientation anti-

comme leurs homologues français, allemands, britanniques, italiens, à recomposer les ter-ritoires productifs afin de réduire les coûts de transport et de production pour rester compé-titifs face à la nouvelle sidérurgie nippone. En 1962, c’est la création de Sidmar près de Gand, qui permet à l’Arbed de désenclaver ses acti-vités ; un peu plus tard on voit la construction d’une sidérurgie maritime à Dunkerque.

Même si la sidérurgie maritime euro-péenne a été un exploit technologique, elle n’a pas suffi à éviter la crise structurelle de 1974-1985 et la profonde restructuration qui a suivi. En fait, ces investissements de modernisation s’inscrivaient dans une perspective trop op-timiste de croissance soutenue de la demande d’acier, notamment de la part des industries ma-nufacturières et de l’automobile. Or, cette crois-sance de la demande n’a pas été au rendez-vous dans les années 1970 pour de multiples raisons, dont la substitution de l’acier par d’autres ma-tériaux nouveaux, l’émergence de la redoutable industrie nippone, puis sud-coréenne, et une raison politico-économique, la brusque hausse du prix du pétrole et des matières premières à partir de la crise d’octobre 1973. La sidérurgie de la Grande Région et les industries en aval ont été frappées de plein fouet : surproduction, filières trop exposées à la concurrence extra- européenne (fils, produits profilés, produits plats à faible valeur ajoutée sur le plan tech-nique…). Alors qu’il fallait moderniser pour survivre, les entreprises sidérurgiques étaient au bord de la faillite. Dans un premier temps (1974-1980), les gouvernements ont volé à leur secours à coup d’aides et de subsides. La po-litique de création de « champions nationaux » a donné lieu à un climat de concurrence sui-cidaire. L’absence de coordination à l’échelon transnational et européen n’a fait qu’aggraver la crise de surproduction.34. C’est dans les an-nées 1980 que se répandit la notion de « région

34 Une bonne synthèse est donnée par Houseman Susan N., Industrial Restructuring with Job Security. The Case of European Steel, Cambridge Mass., Harvard UP, 1991, pp. 8-30.

35 Leboutte René, Vie et mort des bassins industriels en Europe, 1750-2000, Paris, L’Harmattan, 1997.36 Quévit Michel, Lepage V., « La Wallonie, une région économique en mutation », dans Wallonie. Atouts et références d’une

Région, Région wallonne, éditions Labor, 1995, pp. 229-246; Quévit Michel, Regional Development Trajectories and the Attainment of the European Internal Market, G.R.E.M.I., Louvain-la-Neuve, 1991 ; Michel, Houard Jean, Bodson Stéphane, Dangoisse Alain, Impact régional 1992. Les régions de tradition industrielle, Bruxelles, 1991.

37 Rapport concernant la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire (8 octobre 1970), dans Bulletin des Communautés européennes. 1970, n° Supplément 11/70, p. 5-31 (http://www.ena.lu/rapport_realisation_etapes_union_economique_monetaire_octobre_1970-1-1589).

38 Leboutte René, Histoire économique et sociale, op. cit., pp. 221-235.

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« La période débridée qui s’ouvre au cours des années 1980 a démantelé le vieux monde régulé, coopératif, qui avait été forgé après-guerre. En matière économique, celui-ci s’est construit sur un triangle de sustentation associé à 3 noms : Ford, Beveridge et Keynes. Le for-disme sera remis en cause par le démantèlement des firmes orchestré dans les années 1980. La solidarité promue par Beveridge s’est heurtée au ralentissement de la croissance, à la fin des années 1970. Le raisonnement keynésien a lui aussi été remis en cause. L’idée qu’une régula-tion macroéconomique était nécessaire au bon fonctionnement du capitalisme est devenue une idée archaïque, avant que la crise des subprimes ne la remette brutalement à l’honneur »40.

La difficile marche vers une reprise des programmes de recherche et développement

Dans les années 1970-début 1980, c’est bien d’un démantèlement, d’une déconstruction de la société industrielle à laquelle on assiste dans la Grande Région comme ailleurs. Le problème est que la reconversion n’a pas suivi, ou est arrivée bien tard. A ce titre, la Commu-nauté européenne a été un acteur-clé, mais dif-ficilement écouté, dans la politique industrielle comme dans le domaine de la culture scienti-fique et technique. Bien des rapports, des re-commandations d’experts ont été purement et simplement ignorés durant cette période grise de l’eurosclérose. Ainsi, le rapport Tindemans sur l’Union européenne de 1975 n’a reçu qu’un accueil poli de la part des Etats membres. Pour-tant, il réaffirmait très clairement le rôle cru-cial de la culture scientifique et technique pour l’avenir européen. Il évoque d’abord la grande mutation : « Des échelles de valeurs nouvelles et parfois contradictoires naissent dans tous les domaines de la vie sociale. Il appartient à la génération actuelle de chercher le passage vers une société postindustrielle qui respecte les valeurs de base de notre civilisation et qui concilie les droits de la personne et ceux des collectivités. Si nous échouons, nos démocra-ties seront en péril et nos enfants hériteront

crise du Commissaire à la politique industrielle Altiero Spinelli (1975), plan Simonet (1976), plans Davignon I et II en (1977). Malgré ces plans de réduction des capacités de production et de stabilisation des prix de vente, la demande d’acier a continué à baisser entraînant à terme la plupart des entreprises sidérurgiques de la Grande Région vers la faillite pure et simple. Dans ce climat délétère, les pays ont joué cava-liers seuls de sorte qu’en 1979 le marché com-mun de l’acier n’existait plus. L’idée européenne avait cédé le pas à l’eurosclérose et à l’euro- pessimisme. Dans la Grande Région, on a même assisté à la « guerre des bassins » entre Liège et Charleroi, un suicide économique et social. Du-rant l’été 1980, l’avenir d’une grande partie de la sidérurgie européenne était totalement bouché. C’est alors que le Commissaire Davignon déci-da, fin octobre, de recourir à l’article 58 du Trai-té C.E.C.A. qui permettait de déclarer « l’état de crise manifeste » et d’imposer des quotas de production aux entreprises (l’état de crise ma-nifeste sera prolongé jusqu’en 1988). Ce pro-gramme de sauvetage du marché commun de l’acier comprenait un double volet : économique par la régulation de l’offre et des marchés ; social mobilisant les aides à la réadaptation de la C.E.C.A. et le Fonds social européen.

Durant cette période marquée par le diri-gisme de la part de la Commission à l’intérieur et le protectionnisme vis-à-vis de l’extérieur (accords de limitation des importations en pro-venance du Japon et des pays industriels émer-gents), la sidérurgie européenne a été profondé-ment restructurée afin de redevenir compétitive sur les marchés mondiaux à l’horizon 1990 et c’est finalement ce qui s’est produit. L’innova-tion technologique et la recherche scientifique appliquées aux industries lourdes ont eu pour conséquence un changement radical : réduction de la main-d’œuvre et fin de l’ère fordiste au profit de l’automatisation et de l’externalisation des activités productives (méta-industrie)39.

La fin du keynésianisme

Daniel Cohen insiste, à juste titre, sur l’ampleur de la mutation durant les années 1970-1980.

39 Leboutte René, « Belgium, Luxembourg and the Steel Policy of the European Coal and Steel Community, 1952-2002 », dans Rasch Manfred, Düwell Kurt (éditeurs), Anfänge und Auswirkung der Montanunion auf Europa. Die Stahlindustrie in Politik und Wirtschaft, Essen, Klartext, 2007, pp. 31-54.

40 Cohen D., La prospérité du vice, pp. 244-245.

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suite de l’Acte unique entré en vigueur en juillet 1987. Cette réforme des fonds structurels de 1989 a subdivisé les objectifs. Ainsi, l’Objectif 2 concernait directement les bassins industriels puisqu’il visait à « reconvertir des régions, ré-gions frontalières ou parties de régions (bassin d’emploi et communautés urbaines) gravement affectées par le déclin industriel »43.

La dimension transfrontalière est donc re-connue. Elle a donné naissance à une initiative originale : le « Pôle européen de développe-ment » à partir de juillet 1985 lorsqu’un « pro-gramme d’action commune » a été adopté par le Grand-Duché, la France et la Belgique dans le cadre de la « déclaration commune pour un Pôle européen de développement ». Le PED s’est doté d’une commission permanente de coordination qui, en 1989, a lancé le premier programme Interreg dans le cadre de la réforme des fonds structurels européens, en particulier le Fonds social européen et le Fonds européen de développement régional44. Cette initiative a coïncidé avec l’accord transfrontalier de libre circulation des personnes (accord Schengen)45.

Le PED a conduit à l’élaboration d’un programme de redéploiement industriel trans-frontalier qui a permis la création de plusieurs milliers d’emplois grâce aux aides nationales et européennes. Au milieu des années 1990, les interventionnismes étatiques concertés ont cédé la place à la notion de « territoire responsable » que les élus doivent prendre en main pour dé-finir ensemble les fondements d’une commu-nauté de destin renouvelée. Une association transfrontalière de droit français a été créée en 1996 pour organiser la sphère politique. Au sein du PED, on observe une évolution qui confirme bien la tendance générale : depuis 1990, les géographes constatent une tertiarisation de l’appareil économique local, tertiarisation qui

d’une société décadente. » Ensuite, il parle de la matière grise : [il nous faut] « un nouveau type de croissance économique, plus respectueuse de la qualité de la vie et de l’environnement phy-sique et humain, et qui concilie mieux les finali-tés économiques avec les finalités sociales. Une croissance orientée vers des activités hautement spécialisées, faisant grand usage des compé-tences disponibles en Europe, des capacités d’organisation et de gestion dans les domaines les plus avancés et les plus complexes de l’acti-vité humaine qui constitue notre avantage spé-cifique dans l’économie internationale : l’« or gris » de l’Europe. »41

Il faut attendre la décennie suivante, donc dix années perdues face aux Etats-Unis et aux pays émergents, pour que l’Europe sorte de sa léthargie. Entretemps, elle a raté la phase de développement de l’ordinateur personnel, alors qu’elle avait les connaissances et les compé-tences pour s’intégrer dans ce marché en crois-sance exponentiel… Le 25 juillet 1983, une résolution du Conseil des Communautés eu-ropéennes crée des « programmes-cadres pour des activités communautaires de recherche, de développement et de démonstration », et lance le premier programme pour la période de 1984 à 1987. En février de l’année suivante, à l’ini-tiative du Commissaire Davignon, le Conseil décide la mise en place d’un « Programme stra-tégique européen de recherche et de développe-ment relatif aux technologies de l’information » (Esprit42).

Reconversion industrielle au sein de la Grande Région

En matière de reconversion industrielle, la Communauté a doublé les fonds destinés à la re-conversion des zones industrielles en déclin à la

41 Le 29 décembre 1975, Leo Tindemans, Premier ministre de Belgique, rend public son rapport sur l’Union européenne en vertu du mandat confié par les Neuf lors du Conseil européen de Paris (9-10 décembre 1974). Rapport sur l’Union européenne, dans Bulletin des Communautés européennes. 1976, n° Supplément 1/76, p. 11-36 : http://www.ena.lu/rapport_union_europeenne_29_decembre_1975-1-16956.

42 Décision du Conseil relative au programme ESPRIT (28 février 1984). Décision du Conseil du 28 février 1984 relative à un programme européen de recherche et de développement dans le domaine des technologies de l’information (Esprit), dans Journal officiel des Communautés européennes (JOCE). 09.03.1984, n° L 67, p. 54-59 : http://www.ena.lu/decision_conseil_relative_programme_esprit_28_fevrier_1984-1-8811.

43 Commission des Communautés européennes, Vade-mecum sur la réforme des fonds structurels communautaires, OPOCE, Luxembourg, 1989, p. 14.

44 Source : http://www.interreg-wll.org/.45 The Schengen acquis, dans Official Journal of the European Communities, 22.9.2000.

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d’Alzette) évite la congestion dont souffrent de plus en plus les métropoles avoisinantes. Autre avantage en matière de recherche et d’inno-vation, la Grande Région est dotée de réseaux d’enseignement et de recherche très denses47. Ainsi, la promotion de la culture scientifique et technique au sein de la Grande Région s’appuient sur deux outils communautaires : l’Agenda 2000 et la « stratégie de Lisbonne »48.

Conclusions

Quel rôle pour la culture scientifique et tech-nique face aux mutations économiques et en-vironnementales dans le cas des régions indus-trielles ? Cette culture, c’est finalement ce qui reste comme capital pour construire l’avenir, comme l’indiquait le rapport Tindemans de 1975. Son rôle est d’être le moteur d’un nou-veau développement régional. Historiquement, elle apparaît comme le fondement, le ressort de la reconversion industrielle. Cependant, la partie n’est pas gagnée, car des espaces comme la Grande Région, meurtris par près de trente ans de reconversion industrielle, res-tent fragiles face à l’attractivité des grandes métropoles et face à la globalisation. Mais ce qui apparaît comme des faiblesses est peut- être un avantage : la multipolarité urbaine per-met d’éviter la congestion qui guette Bruxelles ou Paris. Quant au défi lancé par la globalisa-tion, la bonne carte à jouer reste les niches de haute technologie. Ainsi, c’est bien la culture scientifique et technique, mais aussi la volonté politique transnationale qui permettent de rele-ver ces défis.

va s’accélérer avec le pôle Belval, d’où l’impor-tance d’entrer dans l’ère du « contrat territorial transfrontalier »46.

La deuxième vague des programmes Interreg (1994-1999) a été l’occasion d’agran-dir le « territoire éligible » aux départements lorrains de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle, à l’ensemble du Grand-Duché de Luxembourg et aux arrondissements belges d’Arlon, Virton, Bastogne et Neufchâteau. Ce deuxième programme a poursuivi quatre objec-tifs : la valorisation des ressources humaines, une intégration économique accrue des bas-sins industriels, la formation d’un réseau ur-bain transfrontalier tout en évitant l’émergence d’une mégapole artificielle et une action en matière d’environnement et de mise en valeur des territoires. La troisième initiative Interreg, approuvée et dotée financièrement par la Com-mission européenne en 2001, a été intégrée dans le programme plus vaste SarLorLux. Outre la poursuite des objectifs mentionnés précédem-ment, Interreg III a identifié une série de pro-blèmes liés à la persistance des frontières, ce qui entrave la coordination des efforts trans-frontaliers. Cette analyse indique que la crise de la sidérurgie et l’indispensable processus de reconversion constituent « un bouleversement profond », ce qui est la reconnaissance de ce que nous appelons la grande mutation. L’étude d’Interreg souligne aussi des avantages, notam-ment le fait que le réseau des villes au sein de la Grande Région compense l’absence de mé-tropole. Il s’agit même d’un atout puisque la multipolarité urbaine (telle que, par exemple, la Communauté des communes du Pays-Haut-Val

46 Lamour Christian, « Le Pôle Européen de Développement à la croisée des chemins », dans Der Luxemburg Atlas du Luxembourg, Emons : 2009, pp. 86-87.

47 Sources : http://www.interreg-wll.org/ ; http://www.granderegion.net/fr/cooperation-politique-interregionale/interregIVAgranderegion/index.html.

48 Commission européenne. Agenda 2000, Renforcement et élargissement de l’Union européenne. Bruxelles: 2000 : http://www.ena.lu/brochure_information_agenda_2000_1997-1-21726 ; http://europa.eu/scadplus/glossary/lisbon_strategy_fr.htm.

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L’histoire de la Culture Scientifique et Technique (CST) en Europe

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Dans cette contribution, nous tenterons de dégager certains éléments constitutifs de cette histoire, sans prétendre à l’exhaustivité. Nous nous attacherons à identifier des lignes de force qui la traversent, plutôt que de mettre en évidence la richesse des différences contex-tuelles. Il s’agit là d’une autre recherche, pas-sionnante, qui reste à écrire : celle qui porterait sur les initiatives locales, sur les reformations des directives générales par les contextes, sur les résistances que manifestent les formes de communication scientifique aux volontés d’uni-fication inhérentes aux bonnes pratiques. Nous espérons toutefois, tout en gardant cette dimen-sion à l’esprit, que le repérage des lignes d’en-semble jettera une lumière sur l’histoire de la communication scientifique en Europe, et per-mettra de comprendre certains des enjeux qui la sous-tendent.

Nous privilégions dans ce qui suit une orientation chronologique, en remontant des origines de la CST et du PUS jusqu’à nos jours et en tentant de mettre en évidence les reconfor-mations et les innovations en ce domaine.

Une histoire récente ?

La volonté de communiquer sur les sciences et les techniques s’inscrit dans une très longue histoire qui peut remonter au 18ème siècle dans certains pays comme la France ou la Grande-Bretagne. Il s’agissait à ce moment-là, notam-ment, de légitimer l’approche scientifique aux yeux d’un public éclairé. Cependant, nous n’en-treprendrons pas ici de remonter à ces origines. C’est à la fin du 19ème siècle et surtout au 20ème

Retracer l’histoire de la Culture Scientifique et Technique en Europe (CST) est une entreprise ambitieuse, voire une mission quasi-impossible. En effet, cette histoire court le risque d’être conditionnée par la situation de son auteur, qui parlera prioritairement du contexte qu’il connaît le mieux, notamment celui de son propre pays. Toutefois, en vue d’atténuer le biais « français », nous aurons recours à la recherche européenne Optimizing Public Understanding of Science, qui portait sur la communication scientifique et technique dans 6 pays et qui offre une base de données importante et réactualisable1. De plus, les lignes de cette histoire s’entremêlent. Quels ont été les premiers acteurs qui ont incité la communication scientifique et technique : les institutionnels, les chercheurs, les politiques ? Difficile de donner une réponse univoque à cette question, tant les différents points de vue se répondent.

Par ailleurs, n’est-il pas limitatif, dans un cadre européen, de se focaliser sur la CST ? En effet, comme nous allons le voir, elle n’est que l’une des deux tendances majeures qui animent la communication scientifique et technique en Europe, la seconde étant le Public Understan-ding of Science (PUS), initié en Grande-Bre-tagne quasiment au même moment. Les deux tendances se sont développées et ont essaimé, elles se sont également rencontrées et enri-chies l’une l’autre. Ainsi, l’histoire de la CST est difficilement retraçable sans évoquer celle du PUS. Lorsqu’il ne s’agira pas explicitement de l’un ou de l’autre des deux mouvements, nous parlerons de « communication scientifique et technique ».

L’histoire de la Culture Scientifique et Technique (CST) en Europe

Philippe Chavot, Anne Masseran

1 Le programme « Optimizing public Undersanding of Science » (OPUS) a été financé par la Communauté européenne (5ème PCRD, « Improving Human Potential programme ») et réunissait des chercheurs provenant de six pays : France, Autriche, Portugal, Belgique, Grande-Bretagne, Suède. Voir le rapport : FELT, Ulrike (dir.), O.P.U.S. – Optimising Public Understanding of Science and Technology, Vienne : Université de Vienne, 2003 (http://www.univie.ac.at/virusss/opusreport/, site consulté en juillet 2010). Il s’agissait de recenser les expériences et les initiatives nationales cherchant à développer la compréhension publique des sciences et des technologies (musées, médias, conférences de citoyens, cafés des sciences, etc…), puis d’analyser de manière critique les différentes théories et paradigmes de communication soutenant ces initiatives tout en maintenant une dimension comparative. Ce programme était plus critique et plus distancié que ne le laisse supposer son titre.

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D’un côté, on assiste aux premiers grands ac-cidents techno-industriels qui bénéficient d’une large médiatisation et contribuent à une prise de conscience des risques associés aux dévelop-pements technoscientifiques : l’échouement du Torré Canyon sur les îles Scilly en Manche en 1967, l’explosion de l’usine de Seveso en Italie en 1976 et l’accident de la centrale nucléaire de Three Miles Island aux États-Unis en 1979… De l’autre côté, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 mettent en évidence les limites d’une croissance techno-industrielle censée fournir emploi, confort et bien-être à l’ensemble de la population.

Par ailleurs, sur un plan plus sociologique, c’est à ce moment que s’affirment dans l’espace public des critiques concernant des applica-tions technoscientifiques, comme le nucléaire par exemple4. Cette critique n’est plus le seul fait des organisations politiques ou syndicales, comme c’était le cas dans les années 50. Un ensemble d’associations et d’ONG voient le jour, militant soit pour la sauvegarde de l’en-vironnement, soit pour la défense des consom-mateurs ou encore pour protéger la population face aux risques technoscientifiques et ce, qu’il s’agisse d’une problématique locale ou globale. Par exemple, les Amis de la terre et Greenpeace voient le jour aux Etats-Unis et au Canada à cette époque, puis ouvrent des antennes dans différents pays d’Europe5. Les boutiques des sciences se propagent à partir des Pays-Bas. En

siècle que se déroule l’histoire contemporaine de la communication scientifique et technique2. Citons tout d’abord les mouvements d’édu-cation populaire, qui représentent une racine constitutive des tendances que nous connais-sons actuellement. Par la suite, la popularisation se professionnalise, et dans les années 70-80 elle s’inscrit dans l’agenda politique de diffé-rents pays européens. Ainsi de la Suède, dotée d’un « troisième assignement » incitant les cher-cheurs à communiquer, ainsi de la France où la « vulgarisation » devient l’une des missions du chercheur et de l’universitaire par le biais des lois de 1982 sur la recherche et de 1984 sur l’enseignement. D’autres pays européens voient, dans ces mêmes années, se développer une véritable politique de communication des sciences, par exemple la Grande-Bretagne qui met en place une programmatique ambitieuse à travers la Royal Society et la British Association for the Avancement of Science (BAAS).

Cette institutionnalisation de la commu-nication des sciences et des techniques nous conduit à considérer les années 60 et surtout les décennies 70 et 80 comme l’un des moments originaires. D’ailleurs, pour prendre l’exemple de la France, de nombreux auteurs font remon-ter l’émergence des mouvements prônant le dé-veloppement de la CST à cette période, riche en ruptures3. À la fin des années 60 et toujours plus intensément, plusieurs séries d’événe-ments fissurent la vision idéaliste du progrès.

2 Sur l’histoire de la popularisation voir notamment, en ce qui concerne plus particulièrement la France : JEANNERET, Yves, Ecrire la science – Formes et enjeux de la vulgarisation, Paris : PUF, 1994 ; BENSAUDE-VINCENT Bernadette, « In the Name of Science », in KRIGE John et PESTRE Dominique, (dirs.), Science in the Twentieth Century, Amsterdam : Harwood Academic Publishers, 1997, p. 319-338 ; BENSAUDE-VINCENT Bernadette, La science contre l’opinion, Paris : Seuil, 2003 ; BEGUET, Bruno (dir.), La Science pour tous : sur la vulgarisation scientifique en France de 1850 à 1914, Paris : Bibliothèque du CNAM, 1990. Voir aussi pour d’autres contextes, par exemple : SHAPIN Steve, « Sciences and its Public », in OLBY, Robert C. et alii (eds), Companion to the History of Modern Science, Londres : Routledge, 1990, p. 990-1007 ; LA FOLLETTE, Marcel, Making Science our Own : Public Images of Science, 1910-1955, Chicago : University of Chicago Press, 1990.

3 Par exemple : CAUNE, Jean, « La culture scientifique et technique en question », in PAILLART, Isabelle (dir.), La Publicisation de la science, Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p. 161-187 ; PETITJEAN, Patrick, « La critique des sciences en France », Alliage, n°35-36, 1998, p. 118-133 ; FAYARD, Pierre, « Making science go, round the public », in SCHIELE, Bernard, When science becomes culture, Boucherville : University of Ottawa Press, 1994, p. 357-380 ; BONNEUIL, Christophe, « Les transformations des rapports entre sciences et société en France depuis la Seconde Guerre mondiale : un essai de synthèse », in LE MAREC, Joëlle, BABOU, Igor (dirs.), Sciences, Médias et Société, Lyon : ENS LSh/Laboratoire « Communication, Culture et Société », 2005, p. 15-40 (publication électronique : http://sciences-medias.ens-lsh.fr/IMG/pdf/actes.pdf, site consulté en janvier 2010) ; CHAVOT, Philippe et MASSERAN, Anne, 2003, « „La mise-en-culture“ of science: Public Understanding of Science in the French policy context », in FELT, OPUS (ci-dessus n.1), p. 78-84.

4 Elles existaient certes avant, mais se concentraient essentiellement sur les applications militaires de la science, comme par exemple le mouvement international Science for the people.

5 Les Amis de la terre sont fondés en 1969, et ouvrent des bureaux en France en 1970 et en Grande-Bretagne en 1971 : Greenpeace voit le jour en 1971 et ouvre des bureaux en France et en Grande-Bretagne en 1977.

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Le rapport Bodmer, ainsi que les actions qui en découlent, se fonde sur un postulat : « un citoyen mieux informé serait plus à même d’apprécier les opportunités offertes par les nouvelles technologies »8. Bien « préparé » le citoyen serait en mesure :• de mieux apprécier la richesse du travail

scientifique et la beauté de l’approche scien-tifique ;

• de mesurer la nature des risques liés aux dé-veloppements technoscientifiques en toute connaissance de cause ;

• de se prémunir contre les influences né-fastes des « faux savoirs » – notamment des savoirs populaires, de la propagande ou des « croyances », voire de l’obscurantisme. Ce qui l’amènera notamment à adopter une attitude conforme en matière de santé pu-blique – éviter le tabac, se soumettre à la vaccination, etc.

L’inculture scientifique (scientific illiteracy) des populations devient ainsi la cible à abattre, car elle constituerait un frein à l’acceptation des in-novations et rend les populations plus fragiles face aux tentatives de manipulation des mouve-ments anti-science.

Au-delà du rapport Bodmer, c’est toute une philosophie qui se met en place en Grande-Bretagne ainsi qu’en France : une meilleure compréhension de la science améliorerait les performances économiques du pays, car elle ef-facerait l’hostilité ou l’indifférence des publics. Ainsi, les innovations trouveraient un terreau d’acceptation et seraient plus rapidement mises en place, ce qui favoriserait la compétitivité de la nation. En 1982, Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre français de la recherche, énonce clairement cette « philosophie » :

« C’est au prix d’une vaste entreprise de diffusion du savoir […] que nous pourrons faire reculer certains préjugés contre la science et la technologie, tenir en lisière les mouvements an-tisciences et mettre en mesure les citoyens de mieux cerner l’importance des enjeux scienti-fiques et technologiques »9.

France, un tissu dense d’associations plus lo-cales s’occupe de la sauvegarde de l’environne-ment6. Les associations de consommateurs et de défense de la famille s’émancipent progressive-ment des organisations syndicales et gagnent en légitimité publique dans les années 70 grâce notamment à leur combat contre le veau aux hormones et les colorants alimentaires.

Le système technoscientifique est également discuté de l’intérieur. Des chercheurs, notam-ment des physiciens et des biologistes, critiquent certaines applications des technosciences, réflé-chissent autour du complexe science et démo-cratie et militent pour l’amélioration des condi-tions de travail des chercheurs et techniciens7. Nous ne prétendons pas que ces rup- tures ont fait naître la communication scienti-fique. Bien plutôt, les dispositifs de communi-cation existants ont-ils été mis à profit pour gé-rer ces ruptures, ce qui leur donne à la fois une nouvelle mission et de nouvelles formes. Ainsi, à côté d’une communication très classique – dont les prémisses remontent à la vulgarisation de la fin du 19ème et du début du 20ème siècles –, on assiste à la reconformation des espaces de rencontre science-société. Ceux-ci oeuvreront donc tour à tour ou simultanément à la réassu-rance, au dialogue ou encore à l’éducation ou au spectacle.

La construction du citoyen-scientifique

Au cours des décennies 70 et 80, un lien très fort a été établi entre développement techno- scientifique, prospérité nationale et nécessité de pouvoir compter sur le soutien des populations. En ce domaine, la France et la Grande-Bretagne ouvrent le mouvement. Les États Généraux de la recherche organisés en France en 1982 accor-dent une large place à la communication. Le rap-port Bodmer, initié par la Royal Society britan-nique, porte quant à lui directement sur le thème PUS. Il représentera longtemps le document de base à partir duquel ont été réalisées nombre d’initiatives britanniques et européennes.

6 Pour une histoire critique des mouvements environnementalistes en France, voir LASCOUMES, Pierre, L‘éco-pouvoir, La Découverte : Paris, 1994.

7 Voir par exemple, LÉVY-LEBLOND, Jean-Marc et JAUBERT, Alain. (dir.), Autocritique de la science, Paris : Seuil, 1973.8 Cité par IRWIN, Alan, Citizen Science: A Study of People Expertise and Sustainable Development, London : Routledge,

1996, p. 13.9 CHEVENEMENT, Jean-Pierre, « Discours de clôture », in Actes du colloque national Recherche et Technologie, Paris :

Seuil, 1982, p. 205.

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témoignant de l’hétérogénéité fondamentale du domaine des sciences, technologies et in-dustries11. En parallèle, de nouvelles structures phares sont inaugurées, principalement à Paris, comme la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette en 1986, d’autres plus anciennes sont rénovées, comme le Muséum National d’His-toire Naturelle en 1994 et, plus récemment, le Musée des Arts et des Métiers en 2000.

Sur le plan de la réflexion académique, les débats portent sur la vulgarisation, la médiati-sation et leurs publics, sur les rapports science et démocratie, sur la muséologie, mais peu de ces travaux seront utilisés dans la pratique – d’ailleurs ce plan pratique fait rarement l’objet d’études dans les années 80, hormis dans le do-maine des musées et des médias.

En revanche, les chercheurs en sciences so-ciales britanniques se sont rapidement saisis de la problématique du PUS. En effet, les conclu-sions du Bodmer Report ouvrent sur la mise en place d’un nouveau comité, le Committee on the Public Understanding of Science (COPUS) en 1986, qui implique la Royal Society et la BAAS. Ce comité donne une assise à de nombreuses activités de popularisation. Elle impulse des recherches scientifiques et des enseignements portant sur la compréhension publique de la science. Elle fournit notamment des bourses de recherche, forme les scientifiques à la commu-nication, repère des « bonnes pratiques ».

Dans un premier temps, l’influence de John Durant, l’un des initiateurs du courant PUS en Grande-Bretagne, est déterminante. Outre ses études quantitatives et qualitatives, il est en charge de la communication scientifique au Science Museum de Londres durant quelques années. Très rapidement, ce courant PUS – qui est à la fois académique et « concret » – est discu-té par un courant critique du PUS, s’intéressant aux mécanismes d’appropriation publique des savoirs scientifiques et surtout technoscienti-fiques (Public Uptake of Science). Dans le cours de ces débats, souvent très vifs, entre chercheurs la question se décentrera : certes, il s’agit tou-jours d’implémenter de « bonnes pratiques » de communication, mais il convient également de

La communication, sous le nom de CST en France et de PUS en Grande-Bretagne, se donne alors souvent pour mission de renforcer l’autorité épistémologique de la science auprès des publics via l’éducation aux sciences et via l’affirmation de valeurs culturelles fortes – par exemple présenter la science comme un vecteur fondamental du progrès technique, économique et social, comme une instance bienfaitrice10.

La science en culture

La CST est née en France, impulsée dès les an-nées 70 par des scientifiques militants – physi-ciens pour la plupart – désireux de démocratiser la science et d’en faire une partie intégrante de la culture. Elle trouve d’abord son lieu dans les initiatives d’action culturelle qui se mettent en place dans les Maisons de la Culture, au cours des années 70. Jean-Marc Levy-Leblond, l’un des acteurs clés de ce mouvement, est à l’ori-gine de plusieurs plaidoyers en faveur de la « mise en culture de la science ».

Toutefois, les modalités de ses dévelop-pements ultérieurs sont plus difficiles à cerner. Un large réseau de Centres de Culture Scien-tifique, Technique et Industrielle (CCSTI) est créé à Paris et en province, suivant en cela les conclusions des États Généraux de la recherche de 1982. L’objectif de ces structures est de tisser des liens au niveau local entre la science et ses publics. Dans une volonté de décentralisation, la programmatique nationale visait essentielle-ment à donner moyens et légitimité aux acteurs locaux – qui étaient alors pour grande part des scientifiques. La forme que prennent les actions, et les points d’entrée choisis, restent donc rela-tivement libres : pour certains, il s’agira de se rapprocher de l’économie locale, pour d’autres de mettre en évidence les ponts « science et art », pour d’autres encore de valoriser le patri-moine scientifique ou le passé industriel d’une région (la liste des possibilités citées ici n’étant, évidemment, pas exhaustive)... Il est courant à cette époque de voir des musées destinés à l’ar-tisanat régional voisiner avec des aquariums sous le même label « CCSTI », ce phénomène

10 Il convient de souligner que cette philosophie n’était pas forcément partagée par les acteurs de la CST en France, notamment ses fondateurs. Il serait d’ailleurs intéressant de mener une recherche sur la manière dont les « bonnes pratiques » se sont imposées dans les opérations les plus visibles – et les plus rentables –, souvent au détriment de l’idée originaire de « mise en culture de la science ».

11 Cette hétérogénéité a été recadrée, notamment à travers la mise en place d’une « charte de qualité des CCSTI » en 2001. Soulignons que les centres Ciência Viva se développent au Portugal dans une philosophie similaire.

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Pour parer ces réticences, les institutions ont eu, dans un premier temps, pour réflexe de recourir au modèle du déficit. Conceptualisant ces réticences comme la résultante d’un déficit d’information, les structures CST et PUS sont mises à profit pour augmenter le niveau des connaissances scientifiques, plus particulière-ment celles qui sont relatives aux technologies controversées. La communication autour des OGM, rejetés par les populations de la plupart des pays européens, constitue un cas exem-plaire : en France, les musées des sciences et des techniques ont mis en place des espaces tem-poraires dédiés, les CCSTI ont été parcourus par les expositions consacrées au sujet, les mé-dias ont repris une activité vulgarisatrice pour « réassurer », des conférences de citoyens ont été organisées en intégrant une forte dimension informative préalable13…

• Il s’agit d’informer en vue de combler un prétendu fossé d’ignorance qui conduirait « les gens » à refuser le progrès, par peur, par superstition, etc14.

• Ceci permet également de contrer les dis-cours critiques provenant de différentes ONG et associations et générant potentiel-lement des réticences publiques.

Les résultats n’ont pas été à la hauteur des es-pérances de cette communication intensifiée autour des OGM, comme le montrent encore les eurobaromètres récents : les européens sont toujours, dans leur grande majorité, hostiles aux OGM, mettant par là même en péril leur développement15. Au cours des années 2000, on

comprendre ce que les publics font de la science et ce que les scientifiques « font » des publics. C’est alors un champ riche, hybridant commu-nication et science studies, qui s’ouvre, dont les problématiques sont diffusées vers d’autres pays, notamment via la revue Public Unders-tanding of Science. Toutefois, contrairement aux Pays-Bas ou à l’Allemagne par exemple, ces problématiques arrivent de manière spo-radique en France, souvent réceptionnées par des laboratoires de sociologie ou d’histoire des sciences certes reconnus, mais qui n’ont guère de connexions avec le monde des réalisations de CST12. En sciences de l’information et de la communication, le débat « à l’anglaise » autour de l’appropriation publique des sciences et des techniques est ainsi plus ou moins resté dans l’ombre jusqu’à la fin des années 90.

Le modèle du déficit en résistance ?

Au-delà de ces différences profondes, il existe des points communs entre les mouvements français et britannique, dont les modèles migre-ront d’ailleurs vers d’autres pays d’Europe dans les années 80-90.

Tout se passe comme si les différentes structures PUS et CST étaient mobilisées dans la seconde moitié des années 90 pour tenter de lever les réticences publiques face à cer-tains développements technoscientifiques. Ces réticences sont de plusieurs ordres : mou-vements critiques, résistances passives vi-sibles dans les résultats des eurobaromètres ou autres sondages, oppositions locales à l’im-plantation d’artefacts technologiques etc…

12 En dehors de quelques notables exceptions, notamment la discussion qu’a initiée Jean-Marc Lévy-Leblond dès 1992, dans la revue Public Understanding of Science (LÉVY-LEBLOND, Jean-Marc, « About misunderstandings about misunderstandings », Public Understanding of Science 1, 1992, p. 17-22). La revue Alliage est elle aussi emblématique de cette réunion entre réflexion et pratique. Durant et Lévy-Leblond ont d’ailleurs jeté des ponts d’un côté à l’autre de la Manche en ouvrant sur la diversité enrichissante des pratiques et réflexions sur la CST en Europe, dès le début des années 90. Voir la revue Alliage, Numéro spécial Science et culture en Europe, n°16-17, 1993.

13 Pour une présentations des expos OGM à la Cité des sciences et au Science Museum, voir par exemple, KASSARDJIAN, Elsa, « Influence d’une exposition scientifique sur l’opinion des visiteurs », La lettre de l’OCIM, n°81, 2002, p. 18-22 et LEVIDOW, Les, « Domesting Biotechnology. How London‘s Science Museum Has Framed Controversy », EASST Review, 17(1), mars 1998.

14 Par exemple, ce rapport du Sénat de 2003, affirmant qu’« il est nécessaire de combler cet écart croissant entre le rôle que jouent les sciences et techniques dans le monde contemporain et la place qui est faite à la compréhension de la science et de ses applications. Le risque politique, économique et social est grand de voir se développer un terrain propice à des réactions de rejet des sciences et de l‘innovation, et à une résurgence de certaines formes d‘obscurantisme », in BLANDIN, Marie-Christine et RENAR Ivan, La diffusion de la culture scientifique, Rapport d‘information n° 392 fait au nom de la commission des affaires culturelles, 2003, http://www.senat.fr/rap/r02-392/r02-392.html, consulté en janvier 2010).

15 Suivant l’eurobaromètre spécial n° 295, « Attitudes des citoyens européens vis-à-vis de l’environnement », publié en 2008, les européens – tout pays confondus – sont opposés à 58 % aux OGM (contre 21 % d’opinion favorable). Les français quant à eux sont opposés à 70 % (contre 15 % d’opinions favorables). http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_295_fr.pdf, consulté en juillet 2010.

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Les « bonnes pratiques » européennes

C’est sur cette même période que l’on assiste aux premières manifestations d’intérêt de la part de la Commission européenne pour l’édu-cation scientifique et technologique des publics. En 1989, une première enquête eurobaromè-trique s’intéresse au vaste sujet « les Européens, la science et la technologie ». Un questionnaire identique est destiné aux citoyens des diffé-rents pays de l’Union. Il mesure par le biais de questions fermées de type « vrai-faux » leur niveau de connaissance scientifique. Ainsi par exemple, « le soleil tourne autour de la terre » ou encore « les premiers hommes vivaient à la même époque que les dinosaures ». Le score obtenu à ce « quiz » est ensuite croisé avec des questions à choix multiples concernant le fonc-tionnement et le rôle des sciences. Selon les ins-titutionnels, le nombre de réponses incorrectes au quiz était particulièrement élevé, témoignant, toujours selon eux, d’un manque d’éducation scientifique. En outre, les éléments statistiques issus de ce questionnaire tendent à montrer que le taux de « représentations inadéquates » du rôle de la science est corrélable au faible niveau de connaissance scientifique. Ainsi se construit un problème particulier qui fait écho au Bodmer Report britannique : les Européens ne sont pas suffisamment éduqués aux sciences et aux tech-nologies, dans le même temps, ils affirment leur réticence par rapport à certaines innovations technologiques, il est donc impératif de les in-former pour vaincre ces réticences.

Aussi, loin d’être remis en cause au regard de leur rigidité, les eurobaromètres se succè-dent : en 1992, en 2001, 2005… sans que le niveau ne progresse de manière spectaculaire. En 2001, le journal Libération déplorait que malgré toutes les actions de culture scientifique nationales et européennes :

« les Français [soient] toujours aussi nuls en science, qui pensent ne manger des gènes que lorsqu’ils ingèrent des plantes transgéniques (dont ils ne veulent pas à 60 %), font toujours confiance à leur astrologue, se mettent à bouder les carrières scientifiques et estiment mainten-ant, d’après le sociologue sondeur Laurent Cay-

a vu se développer certaines initiatives tentant de s’écarter du modèle du déficit, notamment à travers un encouragement de « l’engagement en amont » des citoyens : ceux-ci sont consultés avant même que les technologies ne soient im-plémentées. Cependant, malgré ces tentatives, le modèle du déficit reste une donnée constante qui traverse les frontières européennes et, comme nous le verrons, il n’est remis en cause que du bout des lèvres dans la politique eu-ropéenne en matière de communication des sciences et des techniques.

Pourtant, ce modèle du déficit est remis en cause par l’expérience. Ainsi, dans d’autres contextes nationaux, des événements particu-liers ont été investis par les citoyens qui se sont attribué un rôle actif en matière de choix poli-tiques concernant les développements techno- scientifiques. En Autriche et en Suède, sous la pression des citoyens, les politiques abordent de front les critiques relatives au nucléaire civil et organisent dès la fin des années 70 des débats publics autour de cette question controversée. En Autriche, ce débat est sanctionné par un référendum et mène à l’abandon du nucléaire, alors même que la première centrale était en cours de construction. En Suède, c’est un mo-ratoire qui est adopté en 1980. Des dispositifs particuliers de communication ont été mis en place à cette époque pour informer les citoyens avant le référendum. En Suède, cette campagne d’information est orchestrée par un office par-lementaire : des conférences sont organisées et des périodiques diffusés vers le grand public documentent la question. Les citoyens ont donc pris leur décision en toute connaissance de cause, preuve qu’une meilleure information ne garantit pas forcément l’acceptation publique des développements technoscientifiques. Sou-lignons que ces conformations particulières des débats sciences-citoyens s’inscrivent dans des traditions politiques plutôt ouvertes à la consultation des populations. Ainsi, les pre-mières conférences de consensus ont-elles été initiées au Danemark dès 1987. Ce modèle a par la suite été repris par la plupart des pays européens, sous forme de « bonne pratique » encouragée par les politiques nationales et eu-ropéennes16.

16 Les conférences de consensus n’ont été adoptées en France, par exemple, qu’à partir de 1998. En France, la tradition du référendum ou du débat public est assez récente en général. Pour ces questions, voir FELT, OPUS (ci-dessus n.1).

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tiques », là où elles fonctionnent et tente de leur donner une dimension internationale : les fêtes de la science sont ainsi promues au rang euro-péen, par exemple.

En 2000, l’agenda de Lisbonne donne un but concret à ces bonnes pratiques : il s’agit de fournir à la « société de la connaissance » des « ressources humaines ». Celles-ci sont bien évidemment constituées par les futurs scien-tifiques, qu’il faut attirer vers des carrières de plus en plus désaffectées. Mais il est également question de susciter un enthousiasme public pour les sciences et les techniques, enthou-siasme qui, on l’espère, constituera le soutien nécessaire qui permettra de développer la toute nouvelle ERA (European Research Area). Cette politique, décrite dans le « livre blanc » et dans « le plan d’action science-société » en 2001 et 2002, se met en place à un moment où les déve-loppements technoscientifiques sont particuliè-rement controversés, comme nous l’avons vu. La volonté de resserrer les liens entre science et société se fait forte dans les politiques euro-péennes : le 6ème PCRD (2002-2006) insiste sur la dimension participative aux choix techno- scientifiques. Le 7ème PCRD (2007-2013) va encore plus loin : l’axe dans lequel s’inscrivent les opérations de communication ne s’intitule plus – comme précédemment – « science et so-ciété » mais « science dans la société ». Il y est question de dialogue, de débat, de consultations, de forums etc… entre chercheurs, acteurs de la société civile et citoyens. Ceux-ci sont d’ailleurs conçus comme des « citoyens scientifiques » ayant leur mot à dire dans les politiques, ou plu-tôt, ayant pour devoir de s’exprimer. Comme le soulignait récemment Bernadette Bensaude-Vincent, on ne communique plus « au nom de la science », mais « au nom de la démocratie »20.

Vendre la science

Malgré cette volonté d’intégrer une dimen-sion participative dans la communication des sciences et des techniques, cette dernière a été

rol, que « la science fait autant de mal que de bien à 51 %, contre seulement 38 en 1972 »17.

Vers la fin des années 1990, la politique eu-ropéenne semble, en partie, prendre conscience des insuffisances de ces postulats, et lance un axe dans le 5ème Programme Cadre (PCRD), in-titulé « Raising public awareness of science and technology »18. Il est moins question d’éduquer ou « d’accroître » le niveau de connaissance, mais bien plus de sensibiliser les publics aux sciences, aux techniques et à leurs évolutions. La dimension critique est également présente : ce programme conçoit que les publics puissent être réticents pour de « bonnes raisons » – et non par simple ignorance. Ce programme a pour but de :

« combler le fossé existant entre la science et la technologie dans leur dimension euro-péenne et le public. Toutes les activités déve-loppées dans le cadre de la sensibilisation du public devraient amener les citoyens européens à la fois à mieux comprendre les effets béné-fiques de la science et des technologies sur la vie quotidienne, ainsi que les limites et les consé-quences possibles des activités de recherche et de développement technologique. Cette action visera également à rendre les chercheurs plus sensibles aux questions qui préoccupent le grand public »19.

Les deux faces de la communication scientifique et technique sont – enfin – prises en compte : publics, mais aussi chercheurs. Et il n’est plus question de se limiter à une image glorificatrice de la technoscience, mais d’en marquer les limites. Cependant, l’axe « science et société » du 5ème PCRD ne vise pas à déve-lopper des actions, ni même à engager des re-cherches approfondies. Le but était plus sim-plement d’initier des réseaux de chercheurs et d’accompagner les actions de communication. Au fond, le modèle du déficit n’est qu’égratigné dans ce programme, il reste au cœur des actions de communication effectives – spectaculaires, événementielles… – qui sont par ailleurs lar-gement encouragées par l’Europe. Celle-ci met l’accent sur le recensement de « bonnes pra-

17 HUET Sylvain, in Libération, 20/11/2001. Des eurobaromètres spécifiques ont été lancés, notamment concernant les biotechnologies (par exemple, actuellement sur les nanotechnologies).

18 Pour une discussion voir FELT, Ulrike, « Vers la construction d’un public européen ? Continuités et ruptures dans le discours politique européen sur les cultures scientifiques et techniques en Europe », Questions de Communication, n°17, 2010, p. 33-58.

19 Cité in Eadem.20 BENSAUDE-VINCENT, Bernadette, « Splendeur et décadence de la vulgarisation scientifique », Questions de

Communication, n°17, 2010, p. 19-31.

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• Sur un autre plan, tout un ensemble de dis-positifs d’évaluation est mis en place. Les quiz sont un indicateur permettant – en théo-rie – de s’assurer de la bonne intégration des savoirs scientifiques par les publics. Les questionnaires plus développés visent à cer-ner l’opinion des publics. Les baromètres, enfin, donnent une image de l’appréciation publique des sciences et des technologies en général, des valeurs plus ou moins positives qui y sont associées, des opinions pesant sur des innovations controversées. Ils donnent également une indication sur l’évolution de ces opinions.

Orientées par cette optique de rentabilité, les actions de médiation scientifique sont prises en tenaille entre deux impératifs. Elles doivent être attractives car leur pérennité est à ce prix et, si-multanément, elles doivent remplir leur mission d’information et d’éducation. Par ailleurs, il est difficile d’imaginer que les initiatives visant à de réelles discussions, à une image nuancée, à une participation effective des publics – et non simplement à du « pousse-bouton » ou à des ex-périences sensorielles – puissent s’inscrire dans ce cadre étroit.

Les stratégies de vente

Plusieurs stratégies sont associées à la com-munication promotionnelle des sciences et des technologies. Concrètement, des structures s’imposent comme autant de vitrines des déve-loppements technoscientifiques, qui apparais-sent comme des fleurons nationaux voire euro-péens. C’est le cas par exemple de la Cité des sciences de la Villette, qui a été conçue à l’ori-gine pour faire admirer les grandes réalisations technoscientifiques françaises et européennes, notamment dans les domaines de l’énergie et de l’aérospatial. Les artefacts sont souvent mis en espace de façon théâtrale, la Cité consti-tuant un écrin pour les faire valoir. Si, depuis les années 90, la Cité a su évoluer, notamment parce que l’admiration ne suffit plus – pas ? – à susciter l’adhésion des publics, cette tradition perdure dans certains domaines, particulière-ment propices à la spectacularisation, comme

et est toujours confrontée au défi de la renta-bilité économique. Or, certaines initiatives sont plus « vendeuses » que d’autres : fêtes de la science, expositions spectacles, animations ludo-scientifiques, etc… De plus, ce sont les initiatives consensuelles qui sont peu dépen-dantes des contextes locaux et qui, en théorie, sont censées ravir le plus grand nombre, quel que soit la culture, l’âge ou encore le niveau d’étude. Il est donc possible de les reproduire en divers endroits et pour divers publics en espérant qu’elles rencontrent le même succès. Ces actions donnent souvent de la science une représentation propre à susciter l’admiration, la fascination ou à provoquer plaisir et curiosité. Seules les images positives et merveilleuses – la beauté, l’ingéniosité sinon le génie, l’efficacité, la bienfaisance – de la science sont à même de susciter l’admiration, et les expériences « qui fonctionnent » sont, bien évidemment, les plus amusantes.

Les facettes plus controversées de la science et des technologies ne suscitent pas cet engouement et seront donc rarement abordées dans les actions de « ventes de la science », ou alors dans un sens « sensationnaliste » comme nous le verrons. Il nous semble pertinent, dans ces cas, de parler de promotion de la science : elle est marketée au sens propre – en termes fi-nanciers – et au sens figuré, en termes de pro-motion de sa valeur culturelle21. Or si vendre la science signifie que la communication scienti-fique devient promotion matérielle et/ou sym-bolique d’un bien marchand et de produits déri-vés – l’image de la science et des technologies et une foule de gadgets, de logos, de boutiques muséales etc… –, la communication est égale-ment évaluée sur la base de principes propres au marketing. Différents indicateurs attestent dès lors de sa rentabilité :• Tout d’abord, le nombre d’entrées des mu-

sées, des parcs, et toutes manifestations payantes ; l’audience pour les activités « gratuites » y compris dans les médias. Ces indicateurs simples sont censés permettre de juger de l’attractivité des dispositifs mis en œuvre et, le cas échéant, de les corriger ou de les généraliser.

21 Pour une réflexion autour du « paradigme de la vente » qui semble dominer bon nombre d’actions de communication scientifique actuellement, voir CHAVOT, Philippe et MASSERAN Anne, « Engagement et citoyenneté scientifique : quels enjeux avec quels dispositifs ? », Questions de Communication, n°17, 2010, p. 81-106. Remarquons que, bien évidemment, le paradigme de la vente n’anime pas à lui seul toute la communication scientifique et technique. D’autres options sont pratiquées.

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public de s’amuser sur un site ludo-éduca-tif. Autre exemple, le centre Nausicaa de Boulogne-sur-mer valorise les activités de la pèche en insistant sur les technologies et leur évolution. Ces exemples de « stratégies » montrent,

d’une part que la science et les technologies semblent se « vendre » plus difficilement si elles ne sont pas associées à des éléments extrascien-tifiques. D’autre part, ils attestent de la néces-sité de ne pas couper science et technologie de leur contexte social, culturel et/ou historique. Cela constitue l’une des grandes leçons de ces entreprises qui font la promotion de la science, certes, mais également et tout autant, de son environnement sociétal et des valeurs qui s’y attachent.

Cibler les enfants

Par ailleurs, l’orientation promotionnelle de la communication scientifique et technique amène de nombreuses structures à cibler leurs actions sur un public en particulier : les enfants. Des structures leur ont littéralement été dédiées : les différents clubs ou de manière plus ambitieuse, des dispositifs entiers, comme le Vaisseau à Strasbourg. Dans les structures préexistantes ou nouvellement créées, une « place » particu-lière a été aménagée pour le jeune public. Quels qu’ils soient, ces dispositifs veulent favoriser un apprentissage non-formel des sciences, en passant par le jeu, l’expérimentation, le spec-tacle… Soulignons encore que la communica-tion scientifique et technique à destination des enfants est un domaine ancien, et dont le succès ne se dément pas. On peut déceler plusieurs élé-ments d’explication : • Il s’agit d’un public captif.• Le ciblage sur les enfants attire des publics

larges : familles ou scolaires. Il est ainsi pos-sible de stabiliser l’audience et d’améliorer la rentabilité.

• En outre, ce ciblage apparaît socialement légitime car les activités proposées com-plètent les approches privilégiées dans les écoles en donnant un aspect concret et at-tractif aux enseignements des sciences.

• Les enfants sont potentiellement les « ci-toyens scientifiques » de l’avenir.

l’aérospatial par exemple, qui représente éga-lement le thème du parc ludo-éducatif du Fu-turoscope à Poitiers ou encore de la Cité de l’Espace à Toulouse.

Mais la plupart des domaines scientifiques et technologiques sont moins propices à la mise en scène ou au rêve nourri par ailleurs par le ci-néma ou encore aux expérimentations à sensa-tion – effets 4D, simulateurs de vol etc… Dans ces cas, la stratégie de vente se focalisera sur d’autres arguments : • L’engagement pour la préservation de la

nature ou de la terre ou pour des causes civiques, par exemple. Ainsi, la Grande ga-lerie de l’évolution dédie ses deuxième et troisième étages à une approche environne-mentaliste de la nature et de la société. Par ailleurs, certaines associations comme Les petits débrouillards misent sur une alliance entre éducation aux sciences et sens civique.

• La beauté de la science et des technologies constitue un autre argument de vente. En témoigne la modernisation du Musée des arts et métiers. Les artefacts, instruments scientifiques, machines etc… apparaissent comme des œuvres d’art dans une mise en scène esthétisante.

• L’immersion est une stratégie en plein développement, consistant à replacer les publics dans des contextes historiques ou géographiques particuliers. Ainsi, en 2003, la Cité des sciences a accueilli l’exposition « Titanic », profitant du succès du film épo-nyme et de la nouvelle technologie de fil-mage des fonds sous-marins pour proposer au « visiteur, muni de la carte d’embarque-ment d’un passager du célèbre paquebot de la White Star Line, [de] monte[r] à bord pour revivre la croisière inaugurale d’avril 191222. » L’immersion est une technique de vente courante : dans le corps humain, dans le cerveau, etc…

• La référence à des éléments d’identité du contexte local, en usant d’une approche plus ou moins scénique. De fait, le Parc d’Aventures Scientifiques de Mons en Bel-gique, inauguré en 2000 sur un ancien site minier, est conçu suivant les plans de Jean Nouvel. L’intention est de rappeler le passé minier de la région tout en permettant au

22 Voir http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/titanic/expo/intro_expo.html, site consulté en juillet 2010.

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de la Recherche. Cet événement allait bien-tôt devenir européen. Au-delà des fêtes de la science per se, le mouvement des science events s’est généralisé, autour de quelques sites origi-nels – Göteborg, Edimbourg, … – et de nou-veaux sites. Or, dans les années 90, les diffé-rents établissements universitaires en France et en Europe doivent faire face à une forte baisse des vocations scientifiques. Dès lors, les fêtes, les festivals ou les « days » de la science ap-paraissent comme un lieu privilégié pour faire la promotion des carrières et des études scien-tifiques, pour vendre la science de façon po-sitive23 à destination des jeunes publics. Les scientifiques, qui « descendent » pour l’occasion dans des lieux publics, présentent une science attractive, ludique, dynamique, tournée vers la jeunesse. Citons par exemple la présentation des objectifs de la fête de la science 2010 en France :

« C’est l’occasion pour chacun d’appré-hender les enjeux de la recherche scientifique pour participer aux grands choix de société. La volonté de valoriser auprès des jeunes les études et les carrières scientifiques entre égale-ment parmi ces objectifs24 ».

La rhétorique du « métier de passion » est omniprésente dans ces espaces festifs de ren-contre science-société. Si l’orientation promo-tionnelle de la communication scientifique, tout particulièrement en direction des jeunes pu-blics, est particulièrement développée et encou-ragée, c’est donc aussi dans l’espoir de susciter des vocations et d’assurer à l’ERA un dévelop-pement positif. Sans oublier qu’un futur « ci-toyen scientifique », même s’il ne devient pas scientifique de par sa profession est, toujours, considéré comme étant moins hostile aux inno-vations qu’un « public ignorant ». Le modèle du déficit a de beaux jours devant lui…

CST, science controversée, Public Engagement

Pour conclure, nous aborderons une dernière question : comment les espaces de médiation s’accommodent-ils des technosciences contro-versées ? Un premier constat s’impose. Les médias sont souvent considérés par les scien-

Concrètement, certains espaces jouent sur l’aspect interactif ou ludique pour capter l’atten-tion des plus jeunes. Ainsi des exploratorium, qui proposent une expérience à laquelle vient s’ajouter un ensemble d’explications scienti-fiques. Ce sont les « Hands-on experiments » caractéristiques de l’Exploratorium de San Francisco dès 1969 et constitutifs des Science centers. Par exemple, l’Exploratory de Bristol, ouvert en 1987, met en œuvre la manipulation en vue de stimuler l’intérêt des enfants pour les sciences et les technologies. Le principe est de présenter des phénomènes et expériences pour montrer d’abord comment les choses fonction-nent puis pour susciter des questions « intéres-santes »… et peut-être pour favoriser des dé-couvertes et inventions. Parmi les nombreuses actions ludo-éducatives, remarquons encore que la Cité des enfants de la Villette a été inau-gurée dès 1992, puis remaniée en 2007 et 2009, témoignant ainsi d’un renouvellement constant de l’attention portée au jeune public. D’autres espaces jouent la carte de l’engagement. C’est le principe des exposciences, qui impliquent les scolaires dans la réalisation de projets scienti-fiques au moyen d’un concours primé.

En bref, les actions de communication scientifique et technique destinées au jeune public peuvent se contenter d’une seule de ces stratégies ou jouer sur tous les tableaux. Citons ainsi le Science Museum de Londres, théâtre de grandes innovations dans les années 1990 : la nuit des musées, qui permet aux enfants de s’impliquer dans tout un ensemble d’activités et même de dormir au musée ; la réalisation de dra-matiques mettant en scène la science etc… Des groupes de recherche rattachés au Science Mu-seum s’impliquent directement dans ces ques-tions d’éducation. Face à cette multiplicité d’ac-tions plurielles, on est en droit de s’interroger sur les motivations qui poussent les acteurs (mé-diateurs, scientifiques, institutions…) à investir temps et efforts pour gagner le jeune public.

Assurer la relève

En 1991, Hubert Curien inaugure la première fête de la science dans les jardins du Ministère

23 Dans son livre blanc, le réseau des Science Events traduisait ainsi les objectifs de ce type de manifestation : « […] un événement de communication autour de la science est destiné à vendre (market) la science de façon positive. L’idée générale est d’améliorer le statut et l’attraction des travaux scientifiques et de prendre en compte les résultats scientifiques », in EUSCA, 2005, Science Communication Events in Europe. EUSCEA White Book, Göteborg, p. 5.

24 Cité in http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid20229/fete-de-la-science.html, site consulté en juillet 2010.

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siques. Quelques structures, souvent les plus prestigieuses, tentent d’impliquer les publics dans les débats ou de recueillir le point de vue citoyen sur ces sujets. Ainsi, le Science Mu-seum a initié en 1994 la première conférence de consensus sur les OGM organisée en Grande-Bretagne26. En France, la Cité des sciences a déjà hébergé plusieurs conférences de citoyens et contribue activement au débat sur les nano-technologies.

On le voit à travers ces exemples, la volon-té n’est plus seulement de faire la promotion de la science et des technologies en espérant susci-ter l’adhésion d’un public plus ou moins « édu-cable ». Il s’agit aussi de faire participer, de donner un espace à l’expression. Dans le même mouvement, l’Europe appelle au renforcement et au développement des dispositifs favorisant l’engagement public avec les sciences (public engagement with science). Cette évolution mar-querait-elle l’émergence, encore timide, d’une alternative au modèle du déficit ? Même si ce-lui-ci reste encore solide, il coexiste désormais avec la reconnaissance naissante de la légitimité d’une « expertise citoyenne »27.

tifiques comme une menace pesant sur leur ac-tivité et sur l’image positive de la science. En effet, s’emparant des controverses publiques autour des développements technoscientifiques (OGM, vache folle, sang contaminé, etc…), ils sont accusés de favoriser les sentiments anti-sciences des publics, voire leur obscurantisme. Nous ne discuterons pas ici du bien fondé de ces accusations25. En revanche, il est intéressant de voir que cette « science controversée » est bien présente au sein des opérations de communi-cation scientifique et technique. Elle semble même constituer un « argument de vente » : elle bénéficie d’une couverture médiatique intense, elle comprend des potentialités de « story tel-ling », des débats entre scientifiques et « acti-vistes » peuvent être spectaculaires. En outre, lorsqu’il est question de controverses, les es-paces de médiation sont à même de conjuguer le paradigme de la vente avec la nécessité de défendre la science face aux critiques.

Cependant, on assiste à une appropriation par les structures de médiation des questions science-société, qui sont souvent négligées par les revues de vulgarisation scientifique clas-

25 Voir CHAVOT, Philippe et MASSERAN Anne, « La controverse autour des OGM à la télévision : les frontières culturelles de la science », Questions de communication, n°3, 2003, p. 83-97.

26 BASMA, Ellahi, « UK National Consensus Conference on Plant Biotechnology », Trends in Food Science & Technology, 6, 1995, p. 35-41.

27 IRWIN, Alan, « Se confronter à l’engagement : discussion autour de trois perspectives critiques », Questions de Communication, n°17, 2010, p. 107-128.

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en art ou en histoire ? En quoi la science est-elle le parent pauvre de la culture de l’honnête homme ? Toujours est-il que le modèle du dé-ficit a très largement dominé la littérature dé-diée à la culture scientifique et technique (CST) de ces trente dernières années et a conduit conceptuellement à imaginer une « écluse de la culture » qui, afin de combler l’importante dé-nivellation existant entre l’amont des savants et l’aval des citoyens, aménagerait un écoulement de connaissances des premiers vers les seconds.

Dès 1985, de vastes programmes de « pu-blic understanding of science » (littéralement « compréhension publique de la science ») ont été mis en place, en particulier au Royaume-Uni et, avec eux, de nombreuses activités de « popularisation ». Des vagues d’informations remplissaient les écluses de la CST... 1985 est l’année de publication par la Royal Society au Royaume-Uni du fameux Rapport Bodmer1 et la mise sur pied d’un Committee of Public Understanding of Science (COPUS). Ces deux événements ont catalysé de nombreux change-ments et de nouvelles pratiques dans la commu-nauté scientifique, au Royaume-Uni et au-delà.

Le paradigme qui s’impose à cette époque-là dans la communauté scientifique est celui d’une « communication à sens unique ». Dans le modèle du déficit, l’émetteur est en effet le scientifique, qui s’adresse au « grand public »2. Le canal qui relie l’émetteur au récepteur ne fonctionne que dans un seul sens. Tel était pré-cisément le but visé. Et si l’on voyait poindre, à cette époque-là, des réticences et même des ré-sistances au développement technoscientifique, l’opinion prévalait (et prévaut toujours) que l’amélioration des connaissances allait pouvoir les subjuguer.

En France, cette époque correspond à la construction de la Cité des Sciences et de l’in-dustrie - inaugurée par François Mitterrand à la

L’accès au savoir est un préalable essentiel à l’instauration d’un vrai dialogue entre les ac-teurs de la recherche et les citoyens consomma-teurs de technologie que nous sommes tous. La maîtrise des pouvoirs de la technique passe par l’accès à la connaissance scientifique. Le lien entre le savoir et le pouvoir qui lui correspond est si essentiel, si intime, si rigoureux qu’il n’est nullement évident qu’on puisse contrôler ce pouvoir sans s’approprier le savoir qui le fonde. Mais garantir l’accès du plus grand nombre à l’information ne garantit pas le partage et l’ap-propriation du savoir. De graves lacunes subsis-tent en Europe à ce sujet. Celles-ci doivent être comblées de façon urgente : une science pri-vée de réflexion sur elle-même peut-elle avoir conscience de son rôle dans la société ? L’en-jeu n’est autre que de contribuer à l’émergence d’une science plus complète et plus citoyenne, et de la remettre ainsi « à sa juste place ».

C’est au début des années 1970 que les premières grandes enquêtes d’opinion publique, aux Etats-Unis et en Europe, ont tiré la sonnette d’alarme. Plus d’un quart des Européens, par exemple, croit que le Soleil tourne autour de la Terre et ce pourcentage est pratiquement in-changé depuis plusieurs décennies.

Dans la foulée, les Anglo-Saxons ont pro-posé le « modèle du déficit » (deficit model), qui part du principe qu’il existe un manque de culture scientifique quasi généralisé. En réalité, les bases scientifiques de ce déficit sont contes-tables. Plusieurs auteurs ont estimé qu’à peine 10% environ de la population peuvent être considérés scientifiquement cultivés. Mais pour l’essentiel, ceux-ci s’appuient sur les résultats de questionnaires à choix multiples. Or ceux-ci offrent peu de points de référence. Comment défendre, en effet, l’affirmation selon laquelle le public est un ignorant ès sciences quand on manque d’informations sur ses connaissances

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1 W. Bodmer, 1985, The Public Understanding of Science. The Royal Society, London.2 On sait bien que cette expression commode cache en réalité une nébuleuse de profils, d’intérêts, de motivations et de

traitements de l‘information : l‘homme de la rue et le lecteur moyen n‘existent pas !

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A cette incapacité du modèle du public un-derstanding à répondre aux inquiétudes reflé-tées et suscitées par la montée d’un mouvement social critique à l’égard de la technoscience est venue s’ajouter une remise en question de ses fondements théoriques par ce qu’on a ap-pelé la nouvelle sociologie des sciences. Les frontières qui définissent la nature et la culture, comme celles qui séparent la science de la so-ciété, qui ont fondé la modernité, sont devenues poreuses. Dans ce contexte postmoderne, des publics hétérogènes participent à la production du savoir dans le cadre d’une « agora », visant à développer la « communication inverse » entre la société et ces producteurs de savoir. Cette prise de conscience a entrainé à son tour tout un mouvement motivé par cette intégration dite « science et société » qui accorde la primauté à la pertinence sociale des connaissances et une refonte des approches de la CST insistant sur le dialogue voire la « médiation » avec le public.

Rupture et culture

Face au « knowledge gap » qui, loin de fondre, se serait au contraire renforcé, on a donc cherché à substituer au modèle du déficit, qu’il illustre (qu’il a fondé en fait), un modèle dit contex-tuel, dans lequel il s’agit de prendre en compte l’opérativité de savoirs associés à des intérêts, des inquiétudes, des pratiques spécifiques ou tout simplement une expertise commune de ma-nière à ce que le rapport au savoir scientifique se construise en relation avec ces ancrages. Mais ce modèle contextuel a subi les critiques des nouveaux sociologues des sciences. Bien que plus nuancé que le modèle du déficit, celui-ci n’en partage pas moins les mêmes prémisses. Primo, la science et la société sont conçues comme deux sphères autonomes, distinctes l’une de l’autre et l’une primant sur l’autre ; et, secundo, seule une maîtrise des techniques de communication doit permettre un réel rap-prochement et un véritable dialogue entre tous les acteurs concernés. En d’autres mots, il faut rompre avec une conception linéaire des rap-ports entre science et société qui postule l’exis-tence d’un savoir situé ailleurs, mais dont le mérite intrinsèque exige la diffusion pour s’as-surer de son partage avec le plus grand nombre et permettre ainsi à la société dans son ensemble d’en tirer profit.

Cette rupture est en cours. Mais après ? Les présupposés idéologiques n’ont pas dis-

Villette le 13 mars 1986 (le jour de la rencontre entre la sonde astronomique Giotto et la comète de Halley) et, pour éviter les excès du centra-lisme, à la création d’une bonne trentaine de Centres de culture scientifique, technique et in-dustrielle (CCSTI) couvrant le territoire français.

L’impasse du déficit

Mais il est apparu, à la fin du siècle passé, que les résultats sur le terrain n’étaient pas à la hau-teur ni des attentes ni des efforts entrepris et des montants investis. Les niveaux de connaissance scientifique stagnaient et, malgré le travail des vulgarisateurs, l’Europe a connu ses premiers grands mouvements d’opposition technolo-gique, principalement sur l’énergie nucléaire et les biotechnologies. Les acteurs ont dû se ré-soudre à l’évidence : le modèle du déficit et la stratégie du public understanding ne sont pas des panacées universelles.

Une première limitation tient à la spécia-lisation croissante et au caractère de plus en plus collectif de la recherche (il suffit de songer aux centaines de co-auteurs des publications en physique des hautes énergies ou en séquen-çage des génomes). Les chercheurs capables de maîtriser et d’expliquer l’ensemble des travaux sur un domaine, même relativement limité, sont de plus en plus rares et, lorsqu’il s’agit de mettre la science en perspective ou en prospec-tive, entrent souvent en désaccord les uns avec les autres. Les « porte-paroles de la science » n’existent pas !

Une seconde limitation vient du public un-derstanding lui-même. A elle seule, la popula-risation de la science s’est avérée incapable de répondre aux inquiétudes croissantes quant aux conséquences des avancées scientifiques. En réalité, c’est la science elle-même qui a dû re-connaître son impuissance à redonner confiance au public. Les physiciens les plus renommés avaient beau s’exprimer à la télévision en fa-veur de l’énergie nucléaire et en vanter la sécu-rité, les opinions publiques restaient méfiantes et cette crise de légitimité s’est encore accen-tuée après l’accident de Tchernobyl en 1986. Sans doute a-t-on péché par excès d’optimisme ou de naïveté. Les mass media (radio, télévi-sion, grande presse) n’ont pas non plus répondu aux attentes. Leur efficacité culturelle n’est pas proportionnelle à la taille de leur audience (po-tentiellement considérable grâce à la révolution technologique des moyens de communication).

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Insuffisance des moyens : il s’agit du se-cond thème récurrent dans les réflexions et les débats sur la CST. C’est notamment pour « ra-tionaliser » les investissements que la Cité des Sciences et le Palais de la Découverte, deux acteurs majeurs en France, ont décidé de fu-sionner le 1er janvier 2010 et de se rebaptiser « Universcience ». Le personnel du Palais a bien compris la portée des enjeux car il s’est mis en grève dès que la nouvelle a été rendue publique.

Toute pièce possède deux faces. D’un côté, une communauté scientifique qui manifeste un intérêt croissant pour la communication scienti-fique et la CST. De l’autre côté, celle-ci affiche encore des idées simplistes à ce sujet et des ar-rière-pensées bien orientées. Nombreux sont par exemple les chercheurs qui estiment que pro-mouvoir ces activités doit permettre d’améliorer les connaissances scientifiques du public qui, du coup, sera plus favorable à une augmentation des budgets consacrés par les autorités à la re-cherche. Dans la foulée, promoteurs industriels et gestionnaires de la recherche estiment en général, mais assez naïvement, que la connais-sance entraîne le soutien au développement.

Implicite est surtout l’idée que des citoyens bien informés seront davantage réceptifs et posi-tifs aux nouvelles technologies. La réalité, on le sait, est beaucoup plus complexe. Les politiques et les actions de communication restent impor-tantes mais, dans certains domaines clés, l’in-formation ne suffit pas à convaincre ou rallier. Peut-être faut-il qu’en toute modestie, ceux qui s’essaient à l’art difficile de la vulgarisation et de la culture scientifique espèrent participer davan-tage à une évolution sociale qu’à une révolution des opinions, en étoffant le débat démocratique et en participant au développement culturel. Comme l’a écrit Bernard Schiele : « Si du strict point de vue de l’apprentissage d’un savoir scientifique, la vulgarisation faillit, elle contri-bue néanmoins fortement à sa socialisation.3 » Et si la priorité et la difficulté essentielles résidaient ailleurs, moins dans le transfert des connaissances que dans une éducation à la science ? Plutôt que d’abreuver le public des résultats de la science, ne convient-il pas de l’éduquer sur les mécanismes de la recherche, sur ce qu’est et n’est pas la science, sur ce que peut et ne peut pas la recherche ? A côté des exemples de la puissance de la science, le pu-

paru pour autant. Le rôle des sciences va bien au-delà du savoir scientifique et de son mérite intrinsèque, il se répercute dans les formes d’or-ganisation contemporaines et les fonctions de celles-ci. La pensée et l’activité scientifiques, à cause de leur importance même dans notre mo-dernité, ne seraient-elles pas, quoi qu’on dise, hors la culture mais au cœur même de celle-ci ? Par son omniprésence, la science n’est-elle pas devenue, d’une certaine façon, transparente et banalisée parce que « enculturée » ? La technos-cience est aujourd’hui partout, y compris dans des professions autrefois peu réceptives. Elle a aussi investi le champ culturel ; il suffit de por-ter son regard vers les arts plastiques, le cinéma et la « science-fiction ». Certes, la science n’est pas vue, par une grande majorité de nos conci-toyens et par la quasi-totalité des scientifiques, comme partie intégrante de la culture. Mais cela n’implique pas automatiquement qu’elle soit elle-même une autre culture qui passerait pour étrange à la société et serait même étran-gère à celle-ci. Sans doute la science gagnerait-elle à être reconnue pour ce qu’elle est aussi : un substrat, un déjà-là, un fonds à partir duquel s’élaborent et se transforment les significations, qui permettent à leur tour d’élaborer une vision cohérente de nos actions et de notre situation, mais aussi de notre volonté de comprendre, de communiquer et d’agir.

Malgré l’effervescence théorique et expé-rimentale qui caractérise aujourd’hui le monde de la CST, les réflexions se concentrent, pour l’essentiel, sur deux aspects : l’incapacité des acteurs et l’insuffisance des moyens. Les ac-teurs d’abord : on reproche encore et toujours aux scientifiques de s’enfermer dans un univers de concepts et de formalismes qui les main-tiendraient à distance des préoccupations d’une société dont les transformations résultent, para-doxalement, des applications des découvertes de ces mêmes chercheurs. Cette situation est à l’origine d’un véritable prosélytisme : reformer, réformer les scientifiques pour qu’ils appren-nent enfin à communiquer avec le public, dans le langage de celui-ci. L’essor des communi-cations aidant, nombre de médiateurs scienti-fiques se sont donc mués en (ré)formateurs pour aider les chercheurs à acquérir cette habileté de communication qui leur feraient « naturelle-ment » défaut.

3 B. Schiele, Enjeux cachés de la vulgarisation scientifique, Communication-Information, vol. V, n°2-3 (1983).

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sement étudiés d’éducation informelle mais en suivant des approches très différentes de celles des musées scientifiques. Alors que ces insti-tutions accueillent leurs convives dans un lieu déterminé, les festivals de science vont à la ren-contre de leur public en leur proposant des mises en bouche dans des endroits souvent inattendus. Les musées offrent des expositions pédago-giques et des présentations didactiques alors que les semaines de la science rassemblent un éven-tail d’animations telles que conférences, ateliers pédagogiques, journées « portes ouvertes » dans les laboratoires de recherche, démonstrations, manipulations, etc. Les publics sont également différents : les musées scientifiques drainent bon an mal an quelque 60 millions de visiteurs en Europe mais il est acquis qu’une bonne fraction de ces visiteurs est un public « captif », soit des écoliers qui, par définition, viennent y traîner les pieds, soit des « convaincus » de la science qui rendent visite à plusieurs places par an. Les semaines de la science visent quant à elles à sur-prendre un public, notamment en organisant des événements dans des lieux inhabituels tels que les espaces publics, les grandes surfaces, etc. Se distinguant du modèle du déficit, les festivals de science illustrent la nouvelle approche de la communication scientifique en cherchant à or-ganiser un contact direct voire un dialogue avec un large public.

Musées scientifiques, CCSTI et festi-vals de science sont d’actifs promoteurs de la culture scientifique, technique et industrielle. Leur objectif est moins l’enseignement en tant que tel que l’éducation, développée par la mise en scène de la science ou, plus exactement, la mise en science de la scène – ce qu’ils réali-sent avec moult ressources, beaucoup de raf-finement et une bonne dose d’originalité. Ces espaces-temps de médiation proposent donc une science assaisonnée, cuisinée et présentée de façon attrayante. L’originalité est au menu ! L’association européenne Euscea (prononcer « you see »), qui regroupe les organisateurs na-tionaux des festivals de science, recense une grande variété de lieux pour ces événements : taxis, prisons, transports publics, parlement na-tional, pique-niques, jazz sessions, etc.

Mais pourquoi « fêter » la science ? On a compris qu’il ne s’agit pas de « faire la fête »

blic doit aussi prendre connaissance ou, à tout le moins, conscience du mécanisme général et des impuissances de la recherche. Présenter la science telle qu’elle est et telle qu’elle se fait, tel devrait être l’objectif d’une véritable stratégie de communication publique, et surtout d’une stratégie publique de communication.

Ce chantier immense n’a, pour l’heure, fait l’objet que de quelques coups de pelle et de pioche. La science apparaît dans le pu-blic comme une caricature : accumulation de connaissances, source de vérité, entreprise de résolution de problèmes. Les activités de mé-diation et de culture scientifique doivent viser, plus qu’une simple diffusion du savoir, le vrai partage d’une culture et plus qu’une transmis-sion des connaissances, une présentation de la technoscience sous son vrai visage, telle qu’elle est et se pratique aujourd’hui. Pour répondre aux exigences de la démocratie moderne, les fu-turs citoyens « devraient être capables de s’inté-resser, écrit Isabelle Stengers, à la science « telle qu’elle se fait », avec ses rapports de force, ses incertitudes, les contestations multiples que suscitent ses prétentions, les alliances entre in-térêts et pouvoirs qui l’orientent, les mises en hiérarchie des questions, disqualifiant les unes, privilégiant les autres.4 »

Fêter la science ?

Parmi les initiatives récentes de culture scien-tifique qui se multiplient en Europe, j’ai choisi de dire quelques mots ici de ce qu’on appelle « les festivals de science ». A côté des musées et centres scientifiques, ces fêtes de la science se sont considérablement multipliées en Europe au cours des deux dernières décennies. Désor-mais organisées dans une bonne quinzaine de pays, elles attirent un public non négligeable (plus d’un million de visiteurs chaque année en France). Initiée par Hubert Curien en 1992, la Fête de la science française a pour but de promouvoir la science auprès du grand public et, plus spécifiquement, la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI).

Chaque année, une semaine durant, une large palette d’événements de médiation scien-tifique sont proposés aux visiteurs. Ces tables d’hôtes de la science offrent des menus soigneu-

4 I. Stengers, Sciences et pouvoirs, Paris, La Découverte, 1997.

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Les différents concepts et approches de la culture scientifique et technique en Europe

Sans doute les deux approches, rationnelle et émotionnelle, formelle et informelle, scolaire et ludique, devraient-elles être idéalement com-plémentaires. Ne dévoilent-elles pas les deux faces d’une même pièce ? En science, rigueur et légèreté, calculs et émotions, savoir et inter- activité, tekhnê et logos se côtoient et font bon ménage ! Souligner l’importance des activi-tés d’éducation informelle ne doit pas signifier une critique implicite de l’enseignement et de son approche rigoureuse – voire austère – des sciences, corollaire déplacé de la célébration des organisations qui les consacrent de façon plus attractive ou ludique. Chaque démarche s’inscrit dans un contexte qui lui est spécifique et conduit à des appropriations différentes de connais-sances. Ce que je veux dire ici, c’est qu’il faut veiller à ne pas dévier vers des pédagogies en confrontation, l’une désuète et obsolète, l’autre apparaissant comme « la voie royale ». Plutôt que de les opposer, renforçons plutôt leur combinai- son. Par exemple en accentuant les liens entre les approches classiques et novatrices de la science. Combien d’enfants se rendent dans un musée ou un centre de sciences au moins une fois par an ?

Prenons donc le meilleur des fêtes de la science, qui sont là pour stimuler, non pour étancher notre soif de science. Leur but n’est pas nécessairement d’enseigner, mais d’éveiller un questionnement. Et si, dans le cadre de ces événements de science, les expériences se limi-tent au plan de l’émotion, voyons-y un « plus » et non un « moins » car tout processus cognitif commence par un stimulus. Et ce sont peut-être les scientifiques qui, les premiers, devraient donner de la voix – et la voie. Par exemple en incarnant le fait que la communication est aussi la science. La position du physicien des hautes énergies, Michel Crozon, était, à ce titre, exem-plaire : « Je vulgarise pour mieux comprendre ce que je fais.» Si les jeunes boudent les options scientifiques, c’est moins en raison des contenus scolaires que de l’image de la science générale-ment véhiculée : une entreprise laborieuse, mé-canisée voire déshumanisée.

Sciences et médias

En Europe, les médias constituent la source pre-mière d’information scientifique des citoyens.

(de la science) ni de s’éclater pendant quelques jours mais bien, comme l’annonce le Ministère de la Recherche, Grand Organisateur de l’évé-nement français, de « promouvoir la science ». Une fête s’organise à l’occasion d’un grand évé-nement, d’un anniversaire par exemple. Rien de tel dans le cas de la Fête de science. Y aurait-il erreur sur la marchandise ? Quel est le sens de cette hyperbole ? On doit se poser la question. Car en mettant en évidence le côté ludique de la recherche scientifique, ces événements pré-sentent la technoscience pour ce qu’elle n’est pas. Entre le travail du chercheur – rigoureux, méthodique voire répétitif – et les événements de science, il n’y a pas photo ! Mais c’est préci-sément là que réside le problème – et la solution proposée : l’étiquette « Fête de la science » a été choisie pour tenter de neutraliser la perception générale d’une matière réputée difficile voire ennuyeuse à l’école voire contrer la morosité générale et les réticences à cette technoscience. Et, au passage, d’équilibrer, sur la balance « science – société », le poids considérable si-non excessif de la technoscience opérationnelle, moteur de la compétitivité économique et ins-trument des pouvoirs politico-industriels. Impo-ser la fête parce que, idéologiquement parlant, la science ne peut qu’être célébrée voire encen-sée dans notre société dite de la connaissance ? La science est (à) la fête !

Dans la mesure où l’appartenance de la technoscience à la culture au sens large fait encore débat, la fête de la science n’est-elle qu’une vaste opération de communication insti-tutionnelle, comme l’explique Jean-Marc Lévy-Leblond5 ? L’un des buts est clairement de pro-mouvoir les disciplines et carrières scientifiques auprès des jeunes, qui montrent une désaffection pour celles-ci dans tous les pays industrialisés. Mais l’entreprise, précisément, n’est-elle pas à double tranchant ? Peut-on mettre la science en spectacle sans insister aussi sur l’apprentissage rigoureux voire scolaire de celle-ci ? Et n’est-il pas risqué d’opposer le show et le froid, le fun et l’école et de privilégier ainsi l’un au détriment de l’autre ? En clair, est-ce en mettant en avant les aspects ludiques de la science que l’on va ré-habiliter celle-ci à l’école et dans les choix que feront les étudiants aux moments charnières de leur cursus ?

5 J.-M. Lévy-Leblond, Alliage, p. 47-56, décembre 2006.

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juge de façon positive le traitement qu’effectue la presse des sujets technoscientifiques6. Nos concitoyens apprécient en particulier ce travail de construction ou de reconstruction de récits qu’effectuent les journalistes et qui leur offre cet accès pratiquement unique à la science. Publi-cations scientifiques et récits médiascientifiques ont leurs raisons d’être respectives. Ajoutons encore le fait que la médiascience contribue à donner de la science une image éventuellement plus vivante, plus humaine, complémentaire des publications primaires. On peut affirmer qu’elle est plus que jamais indispensable, y compris pour les scientifiques, notamment parce qu’elle projette dans l’actualité et la sphère publique des recherches en cours et, le cas échéant, les chercheurs impliqués. La médiascience apporte donc à la science et à sa communication ce qui lui manque le plus aujourd’hui : une visibilité publique et politique ainsi qu’une présentation synthétique et contextualisée, évoquant notam-ment les conséquences possibles ou potentielles d’une avancée scientifique ou d’une recherche en gestation pour la société. Elle renforce donc la possibilité d’orienter les politiques. Ou, plus exactement, d’éclairer les options politiques car les scientifiques doivent veiller à ne pas se subs-tituer aux décideurs. Car là réside précisément, pour la communauté des chercheurs, l’un des grands défis de l’heure : assurer l’information scientifique de nos élus, ce qui pose immédiate-ment la question de la délicate qualification des sources susceptibles de remplir cet objectif7.

Les choses sont cependant loin d’être parfaites, comme le rappelle le best-seller Bad Science, que Ben Goldacre, médecin et chro-niqueur au Guardian de Londres, a consacré à la presse anglaise. Son livre est une critique détaillée des articles et des journalistes médi-caux, mais aussi scientifiques, qu’il descend en flammes. Pour Goldacre, il n’y a que trois types d’articles scientifiques dans la grande presse : • ceux qui font peur ; • ceux qui traitent d’un sujet abscons ou far-

felu ; • ceux qui annoncent une vraie percée.

Bref, une situation passablement désastreuse que Goldacre explique très simplement : la

Lorsqu’une découverte scientifique, une nou-velle technologie ou un traitement révolution-naire atterrit sur la table des Français, c’est le plus souvent grâce aux médias (ou à cause d’eux, c’est selon) et surtout au premier d’entre eux (en terme d’audience) : le jité. Viennent en-suite la radio, les journaux et Internet.

Ce que j’appelle la « médiascience » par-ticipe incontestablement à la diffusion de la connaissance et partant à la production publique de cette connaissance. Il existe en effet une « fa-çon de connaître » propre au journalisme. L’ap-proche journalistique du réel constitue un cadre épistémique, certes assez rudimentaire et sans doute encore perfectible, qui doit être reconnu comme tel. Ceci a pour conséquence d’écarter la question de la légitimité des pratiques de mé-diatisation et aussi, en parallèle, de confronter les médiateurs à la question de leur propre ex-pertise, dont maints exemples montrent juste-ment les limites.

Quoi qu’il en soit, les modalités d’un jour-nalisme (scientifique) de qualité ont le mérite d’exister, même si elles ne sont pas complète-ment formalisées. Il s’agit notamment du recou-pement des sources, du travail d’enquête préa-lable à toute œuvre de journalisme scientifique, de la présentation des principales recherches en cours dans le domaine en question, de la quête d’une « certaine vérité ». Le journalisme scien-tifique est, comme la science, sanctionné par le monde réel.

Les pratiques en vigueur soutiennent donc l’existence, parallèlement à la méthode scien-tifique, d’une « méthode journalistique », peut-être encore embryonnaire. Aux conditions que j’ai évoquées, le journalisme peut effectivement être considéré comme une forme spécifique d’accès au monde dans lequel nous vivons. A ces conditions aussi, l’existence et la spécifi-cité de la médiascience doivent être reconnues. Réunir toutes ces conditions impose aussi, en miroir, aux journalistes scientifiques de respec-ter une stricte déontologie.

Le bilan serait-il donc globalement posi-tif ? Dans l’ensemble, les Européens octroient un satisfecit global à la médiascience : selon une enquête réalisée en 2007, plus de la moi-tié (56 %) de la population des pays couverts

6 Les médias et la recherche scientifique, Commission européenne, 2007.7 La politique scientifique ne fait pas exception. Le choix des sources d‘information et d‘expertise s‘effectue selon des

critères plus ou moins rationnels.

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Les différents concepts et approches de la culture scientifique et technique en Europe

messages politiques et scientifiques affirment le contraire. Tous semblent mobilisés contre l’inculture scientifique généralisée. Les scien-tifiques entretiennent-ils leurs préjugés dans le but, notamment, de conforter leurs pratiques de communication ? Ce n’est pas impossible. Les politiques défendent-ils l’idée d’un manque d’information et d’éducation pour se dispenser d’impliquer le public dans ces décisions ? C’est possible.

Toujours est-il que les enquêtes d’opinion (« Eurobaromètre ») réalisées régulièrement par la Commission européenne montrent une évo-lution intéressante pour notre propos. Ces en-quêtes, qui sondent l’opinion des Européens sur la science et la technologie, comportent habi-tuellement une série de 13 questions (voir enca-dré) : vrai ou faux ?

Questions de connaissance scientifique utilisées dans les enquêtes européennes10

1. Le Soleil tourne autour de la Terre2. Le centre de la Terre est très chaud3. L’oxygène que nous respirons vient des

plantes4. Le lait radioactif peut être consommé s’il

est bouilli5. Les électrons sont plus petits que les

atomes6. Les continents se sont déplacés depuis

des millions d’années et continueront à bouger dans l’avenir

7. Ce sont les gènes de la mère qui détermi-nent le sexe de l’enfant

8. Les premiers hommes étaient contempo-rains des dinosaures

9. Les antibiotiques tuent les virus et les bactéries

10. Les lasers fonctionnent grâce aux ondes sonores

11. La radioactivité est d’origine humaine12. Les hommes actuels résultent de l’évolu-

tion d’espèces animales antérieures13. Il faut un mois pour que la Terre fasse le

tour du Soleil

plupart des rédacteurs en chef et des patrons de presse sont des diplômés des sciences hu-maines qui garderaient, pour des motivations personnelles (un échec cuisant à l’école) et/ou actuelles (le sentiment de ne pas participer à l’une des plus grandes aventures de l’hu-manité), une frustration profonde et durable à l’égard de la science.

La médiascience renforce donc la possi-bilité d’orienter les politiques. Ou, plus exac-tement, d’éclairer les options politiques car les scientifiques doivent veiller à ne pas se substi-tuer aux décideurs. Car là réside précisément, pour la communauté des chercheurs, l’un des grands défis de l’heure : assurer l’information scientifique de nos élus, ce qui pose immédia-tement la question de la délicate qualification des sources susceptibles de remplir cet objectif.

La qualité des travaux et des publications du GIEC font que ce panel soit aujourd’hui reconnu comme autorité mondiale scientifique sur les questions du réchauffement climatique8. Mais sans médiatisation à l’appui, sans traitement mé-diascientifique de ses travaux, le GIEC n’aurait sans doute jamais eu l’oreille attentive des po-litiques. Son actuel président, Rajendra Kumar Pachauri le reconnaît explicitement : « Affirmer que les médias ont contribué à amener l’opinion publique à soutenir la prise de mesures contre les changements climatiques est donc approprié.9 » Que son travail ne reste pas lettre morte et ap-porte le meilleur, sans le pire, à la société est le rêve de tout chercheur. La médiascience offre cette chance à la communauté scientifique.

Tous cultivés ?

A première vue, tout semble aller pour le mieux en Europe. Les pays du Vieux Continent mul-tiplient les centres et événements de médiation scientifique. Nos concitoyens apprécient, quoi qu’on en dise, le travail de la presse dans ce do-maine. Et la connaissance scientifique semble progresser en Europe !

Curieusement, cette dernière observation reste confidentielle. Dans leur quasi-totalité, les

8 Après que le Climategate a quelque peu ébranlé sa crédibilité scientifique - au moins dans certains milieux -, les enquêtes indépendantes ont confirmé durant l‘été 2010 la qualité scientifique des travaux publiés par le GIEC.

9 Publié sur SciDev.net le 24 juin 2009 :http://www.scidev.net/fr/opinions/comment-les-medias-cr-ent-une-atmosph-re-propice-a.html

10 Pour les lecteurs en proie au doute, les bonnes réponses sont les suivantes : vrai pour les questions 2, 3, 5, 6, 12 ; faux pour les questions 1, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 13.

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Bas, en Finlande et en République tchèque. La France se situe quant à elle dans la bonne moyenne européenne.

Les connaissances scientifiques des Eu-ropéens seraient donc peu glorieuses. Soit. Un point positif : telles que (très partiellement) mesurées par le test, les connaissances scienti-fiques des Européens, évaluées quatre fois de-puis 1992, s’améliorent de façon assez sensible dans de nombreux pays. Si les Scandinaves consolident leur position en tête du classement, le pourcentage moyen de bonnes réponses s’est accru de 15 % au Luxembourg, en Belgique, en Grèce, aux Pays-Bas et en Allemagne. On doit bien entendu éliminer la possibilité que, d’une enquête à l’autre, les mêmes personnes aient été interrogées puisque les échantillons ne comprennent que mille personnes environ par pays (et cinq cents pour les plus petits Etats membres).

Au-delà des limitations et des imperfec-tions du questionnaire, l’augmentation signifi-cative des scores au cours des dernières années nous permet de conclure à une progression réelle des connaissances scientifiques mesurées par le test. Et le fait que les questions couvrent des thèmes fort différents nous permet d’af-firmer que cette progression est générale et concerne l’ensemble des pays européens. C’est un résultat loin d’être négligeable.

Comment interpréter cette augmentation ? Officiellement, la Commission européenne ne donne aucune réponse à ce sujet. Le but de ces enquêtes est de mettre à la disposition de toute personne et toute organisation intéressées des données recueillies de façon aussi profession-nelle que possible. A la fin de l’année passée, une cinquantaine de chercheurs des pays in-dustrialisés travaillant sur ces questions de per-ception publique de la science ont été invités à Londres par la Royal Society pour confronter leurs résultats et leurs questions.

La question de l’augmentation des connais-sances scientifiques en Europe a été abordée par les chercheurs présents. Premièrement, Martin Bauer de la London School of Economics a pu montrer qu’il existe une progression réelle des connaissances scientifiques telles que mesurées par le test européen. Le fait que les questions couvrent des thèmes fort différents permet d’af-firmer que cette progression est générale en science. Elle vaut également pour l’ensemble des pays de l’Union. C’est un résultat loin d’être négligeable dans le contexte de notre sujet. Les

La première affirmation, soumise aux in-terviewés pour les mettre en confiance, sug-gère que le Soleil tourne autour de la Terre... Les questions n’ont pas pour vocation de cou-vrir tout le champ de la science mais de tes-ter quelques connaissances, essentiellement en physique, biologie et géologie. Elles n’ont donc pas la prétention de mesurer in extenso la culture scientifique des Européens. Quelle définition d’ailleurs adopter de la CST ? Paul Caro affirmait en avoir compté plus d’une cen-taine ! Reconnaissons simplement ici le fait que l’évaluation de la CST nécessiterait d’apprécier, d’une façon ou d’une autre, la connaissance que possèdent les Européens de la méthode scienti-fique et de ce qu’est la science, notamment. Le mérite essentiel de ces questions est de pouvoir mesurer l’évolution de quelques connaissances scientifiques depuis 1992 au sein de pays euro-péens (et aussi dans d’autres pays comme les Etats-Unis et la Chine, où certaines questions ont été reprises).

Au total, la bonne réponse est donnée dans 66 % des cas, tous pays confondus. Ce qui est loin d’être impressionnant car des réponses données au hasard donneraient un score de 50 %. Une surprise concerne le mouvement re-latif de la Terre et du Soleil : seulement 66 % de bonnes réponses ! Plus d’un quart des Euro-péens pense que c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre et non l’inverse. Choquant ? Les as-tronomes arguent que ceux-ci n’ont pas tout à fait tort : dans un système de référence attaché à la Terre, c’est en effet l’astre du jour qui effec-tue un mouvement de rotation, comme nous le constatons d’ailleurs au quotidien.

A partir de ces chiffres, la connaissance scientifique des Européens atteint un pauvre score moyen de 3/10. Point brillant ! Mais la réalité est plus complexe. Car dans 13 % des cas, les interviewés ne donnent pas de réponse. Et le taux de mauvaises réponses n’est que de 21 % en moyenne. Vu sous l’angle des réponses négatives, le niveau des Européens paraît donc bien meilleur – ou moins mauvais : leur « mé-connaissance » scientifique n’est que de 4/10 (compte tenu de ce que des réponses données au hasard donneraient un score de 50 %). Une belle illustration de la bouteille à moitié vide et à moitié remplie… Si l’on compare les scores pays par pays, ce sont nos voisins du Nord qui emportent la palme des connaissances scienti-fiques, avec des scores moyens de près de 6/10 en Suède et de 5/10 au Danemark, aux Pays-

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Les différents concepts et approches de la culture scientifique et technique en Europe

compte. Les crises, accidents et controverses ré-percutés et amplifiés par les médias ont presque tous un contenu scientifique et technologique qui fait que nos connaissances progressent, pe-tit à petit et quasiment à notre insu, par simple « percolation ». Cela a été observé notamment au Japon : les connaissances géologiques du pu-blic progressent après un tremblement de terre. En Europe, les Tchernobyl, OGM, vache folle et autre grippe aviaire nous ont abreuvés de nom-breux concepts technoscientifiques. Comme M. Jourdain et la prose, nous ferions de la science sans nous en rendre compte. La médiascience, malgré ces défauts, contribuerait donc à amélio-rer la connaissance scientifique en Europe.

débats se sont ensuite concentrés sur deux inter-prétations possibles de cette augmentation. La première est liée au fait que les pays européens se sont dotés, au cours des dernières années, de musées et d’événements de sciences qui propo-sent une médiascience de qualité. Ceci contri-buerait à améliorer les connaissances scienti-fiques du public européen même si, on l’a vu, ce n’est pas toujours le but premier recherché. La seconde interprétation, compatible d’ailleurs avec la première, part du fait que l’omnipré-sence de la science dans la société nous plonge, par médias interposés, dans un contexte très ali-menté en nouvelles scientifiques et techniques. A tel point que nous ne nous en rendons plus

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Le projet du Centre National de la Culture Industrielle

Aperçu sur l’évolution d’un projet

Deux hauts fourneaux implantés à Belval au sud-ouest du Grand-Duché de Luxembourg ont sur- vécu, au moins partiellement, aux crises successi- ves de la sidérurgie. S’ils ne verront plus aucune coulée réelle de fonte, un nouveau rôle leur est attribué dans le contexte de la Cité des Sciences, de la Recherche et de l’Innovation, un grand projet de l’Etat luxembourgeois en construction sur l’ancienne friche industrielle de Belval.

Selon le concept de conservation retenu par le gouvernement, un des deux hauts four-neaux est conservé et devrait accueillir le Centre National de la Culture Industrielle (CNCI), le deuxième a été démonté jusqu’à la silhouette. Ensemble, ces vestiges industriels représentent

un landmark impressionnant dans le paysage. Une partie des espaces libérés par le démantèle-ment sera occupée par de nouveaux immeubles réalisés pour l’Université du Luxembourg et des centres de recherche publics qui seront les principaux utilisateurs du quartier de la Terrasse des Hauts Fourneaux.

Si les travaux de construction de l’Etat vont bon train sur le site de Belval, les adeptes du projet pour le CNCI doivent encore patien-ter. Le projet de loi pour la réalisation du CNCI a été scindé en deux parties. Dans l’immédiat est réalisée la restauration des hauts fourneaux qui a commencé début 2011. La construction du CNCI a été reportée à une phase ultérieure dé-pendant de l’évolution de la situation financière de l’Etat.

Le projet du Centre National de la Culture IndustrielleAntoinette Lorang

Le site de Esch/Belval avant son démantèlement. © Service des Sites et Monuments Nationaux.

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Antoinette Lorang

dérurgie à partir des années 1970 déclenche la fermeture au fur et à mesure des anciens sites industriels du bassin minier. En 1981, la der-nière mine de fer du pays ferme. Désormais, la totalité du minerai est importée. En 1997, le dernier haut fourneau s’éteint à Esch-Belval, l’usine est passée à la filière électrique.

Prise de conscience du patrimoine industriel

Au Luxembourg, la prise de conscience du pa-trimoine industriel remonte aux années 1970. C’est la perspective de la perte qui fait naître le besoin de conserver et de restaurer. La pre-mière initiative en ce sens a été la création du Musée des Mines en 1973, suite à la fer-meture de la dernière mine à Rumelange. Sur une échelle plus large, c’est la politique du Ministère de la Culture qui, quelques années plus tard, pose les jalons pour la valorisation du patrimoine industriel. La loi de 1927 sur la protection des sites et monuments est rempla-cée en 1983 par une nouvelle loi introduisant la notion de patrimoine industriel. En 1986, le Service des Sites et Monuments Nationaux nouvellement créé entame la réalisation d’un Parc industriel et ferroviaire au Fond-de-Gras près de Differdange. Parallèlement aux initia-tives gouvernementales, un mouvement spon-tané populaire commémore les souvenirs d’un passé brusquement arrêté à travers la création de musées et la mise en place de monuments : les associations d’anciens mineurs, les collec-tionneurs d’objets et de documents, les pas-sionnés de l’histoire locale. En 1989 est créée la Fondation Bassin Minier dans le but de sen-sibiliser le public pour le patrimoine industriel.

De nombreux musées documentant l’his-toire industrielle ont vu le jour depuis lors. Néanmoins, beaucoup de vestiges ont aussi été détruits ou laissés à l’abandon. Certaines loca-lités devenues propriétaires de friches indus-trielles ont fait table rase des installations tech-niques dès leur désaffectation pour valoriser les terrains ou simplement pour faire « propre ». Souvent, le patrimoine est cependant sacrifié parce qu’il se trouve sur des sites industriels encore en activité sujets à des changements fré-quents dus à l’évolution technologique et éco-nomique.

Pour le site de Belval-Ouest, on constate une approche particulière qui peut être in-terprétée comme le fruit du travail de sensi-

Enjeu de la conservation des vestiges de la sidérurgie

Un des enjeux de la conservation des vestiges industriels à Belval est de rendre hommage aux exploits de tous ceux (et toutes celles) qui ont contribué au développement de la sidérurgie et partant au développement économique du Grand-Duché. En effet, l’histoire des deux der-niers siècles du Luxembourg, et tout particuliè-rement celle du bassin minier, est indissociable de la sidérurgie. Jusqu’aux années 1970, l’in-dustrie du fer reste le secteur le plus important de l’économie luxembourgeoise. Mais, après la grande crise, l’industrie lourde perd son rôle prépondérant, en faveur du secteur tertiaire, surtout la place financière, qui se développe grâce à une politique de diversification du gou-vernement.

Les premiers hauts fourneaux du bassin minier luxembourgeois sont construits de 1871 à 1873 à Esch-sur-Alzette, centre administratif de la région sud du Luxembourg qui connaît un essor considérable suite à l’industrialisation, sa population passant de 2.200 en 1870 à 12.700 habitants en 1906 quand elle est élevée au rang de ville, pour atteindre 23.900 habitants en 1913.

Dans les années 1890, la sidérurgie luxem-bourgeoise entre dans une phase déterminante. De nouvelles usines intégrant hauts fourneaux, aciéries et laminoirs sont construites, parmi les-quelles Esch-Belval. Installée de 1909 à 1912 par la société allemande « Gelsenkirchener Berg- werks AG », la « Adolf-Emil-Hütte » peut se valoir d’être une des usines les plus modernes d’Europe. Elle compte six hauts fourneaux.

A l’aube de la Première Guerre mon-diale, le Grand-Duché de Luxembourg se posi-tionne au 6e rang des producteurs sidérurgiques du monde. La création de l’Arbed (Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange) en 1911 marque un point décisif pour le développe-ment futur de la sidérurgie luxembourgeoise. L’Arbed existe jusqu’en 2002. En fusionnant avec Aceralia en Espagne et Usinor-Sacilor en France, elle devient Arcelor et premier produc-teur mondial au début du nouveau millénaire, rachetée en 2006 par Mittal Steel pour devenir ArcelorMittal.

De 1965 à 1979, l’usine subit de grandes transformations. Les anciens hauts fourneaux sont démolis et remplacés par les grands hauts fourneaux modernes A, B, C qui, somme toute, n’auront qu’une vie courte. La crise dans la si-

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Le projet du Centre National de la Culture Industrielle

Les hauts fourneaux de Belval dans le contexte de la Cité des Sciences

Les hauts fourneaux font aujourd’hui partie du projet de reconversion de la friche industrielle de Belval en quartier urbain. Sur une surface d’une quinzaine d’hectares, le gouvernement luxembourgeois a entamé la réalisation d’une « Cité des Sciences, de la Recherche et de l’Innovation », projet phare de la reconversion des friches industrielles dans le bassin minier luxembourgeois. Avec ce projet, l’Etat entend relancer les investissements, tant publics que privés et la renaissance des activités socio-économiques dans le sud du Grand-Duché de Luxembourg qui a ressenti plus particulière-ment les restructurations du secteur métallur-gique. La Cité des Sciences s’articule autour :

• de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’enseignement secondaire ;

• de la vie estudiantine ; • des activités de start-up et d’entreprises de

la nouvelle économie ; • des services et administrations de l’Etat ; • de la vie culturelle, des sports et des loisirs.

bilisation pour le patrimoine industriel. En 1996, même avant l’arrêt définitif du der-nier haut fourneau, la Chambre des Dépu-tés s’exprime en faveur de la conservation d’un des deux hauts fourneaux. En 1998, elle propose de racheter le deuxième haut fourneau et d’étudier la possibilité d’en faire un musée. La Fondation Bassin Mi-nier est chargée d’établir un concept pour ce musée. En 2000, les hauts fourneaux sont inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Sites et Monuments Nationaux en vue de leur protection.

Cet engagement pour la conservation du patrimoine industriel est lié en partie au fait qu’il s’agit des derniers hauts fourneaux du Luxembourg, mais aussi au fait que leur valeur commerciale est restreinte. Si le groupe Arbed a réussi à vendre le troisième haut fourneau de Belval datant de 1979 à la Chine, les deux autres n’avaient manifestement plus d’intérêt pour la production. L’Arbed se décide à léguer le haut fourneau A au peuple luxembourgeois et l’Etat rachète le deuxième haut fourneau dans le contexte des acquisitions de terrains de la friche de Belval.

Vue sur l’épuration des gaz du haut fourneau A. © Fonds Belval.

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lerei », est partiellement conservé avec ses ins-tallations techniques et partiellement réaffecté comme bibliothèque universitaire. Les surfaces libérées sont aménagées comme espace public ou reconstruites avec des bâtiments contempo-rains répondant aux besoins de l’Université et des centres de recherche.

Le concept de Centre de la Culture Industrielle

La nouvelle destination des hauts fourneaux dans le contexte de la Cité des Sciences a condi-tionné l’orientation de leur exploitation en tant que Centre National de la Culture Industrielle. Les premières réflexions au sein d’un groupe interdisciplinaire chargé d’étudier le concept ont été unanimes sur l’option de créer un lieu de documentation de la sidérurgie pour mainte-nir la mémoire du passé et en même temps un espace d’activités temporaires orientées sur des thèmes d’actualité en matière de technologies, de sciences et de travail. Conformément à cette approche, le concept développé pour le Centre National de la Culture Industrielle prévoyait plusieurs volets :

La Cité des Sciences accueillera deux facultés de l’Université du Luxembourg, la Faculté des Sciences, de la Technologie et de la Commu-nication et la Faculté des Lettres, des Sciences Humaines, des Arts et des Sciences de l’Edu-cation ainsi que le département Economie de la Faculté de Droit, d’Economie et de Fi-nance, mais aussi plusieurs centres de recherche publics.

La Cité des Sciences qui vient investir la Terrasse des Hauts Fourneaux fera partie d’un quartier urbain multifonctionnel qui se déve-loppe autour des vestiges industriels conservés.

Le concept de conservation des vestiges industriels retenu par le gouvernement en 2005 part sur l’idée d’intégrer les hauts fourneaux dans le nouvel espace urbain. Un des deux hauts fourneaux est conservé avec sa halle des coulées et ses principaux équipements. Le deuxième haut fourneau est réduit jusqu’à la silhouette, la halle des coulées est démolie, le haut four-neau est mis à nu dans sa tour carrée et appa-raît comme une sculpture surdimensionnée. La plupart des bâtiments communs aux deux hauts fourneaux sont également démontés tandis que le bâtiment de la charge de minerai, la « Moel-

Modèle de la Terrasse des Hauts Fourneaux - les vestiges industriels dans leur nouveau contexte. © Fonds Belval.

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Le projet du Centre National de la Culture Industrielle

Des expositions temporaires et d’autres activités sur l’histoire de la sidérurgie complè-tent les informations diffusées sur le circuit de visite. Pour alimenter ces activités, le Centre de la Culture Industrielle lance des recherches et soutient des études historiques sur le passé in-dustriel et les répercussions sur la société, l’éco-nomie, la vie culturelle, etc.

Un Centre culturel de la Cité des Sciences

Enraciné dans le passé avec ses structures im-pressionnantes de l’industrie lourde, le Centre de la Culture Industrielle a aussi une vocation de lieu culturel de la Cité des Sciences ouvert sur des thèmes de la recherche scientifique et technologique contemporaine dans le but de diffuser des informations et des connaissances au grand public. Le Centre est ainsi destiné à stimuler les réflexions sur l’évolution des technologies et leur impact sur notre vie quo-tidienne et le travail, les mutations de la société et des mentalités ou encore le développement architectural, urbain et environnemental lié à l’évolution des techniques et des matériaux. A travers des expositions, conférences, colloques et festivals, le Centre de la Culture Industrielle sensibilise le public aux thèmes déterminant la vie de demain.

Le Centre offre aussi une plateforme inté-ressante aux institutions universitaires et de re-

• le Centre de découverte de la sidérurgie• le Centre culturel de la Cité des Sciences• les activités pédagogiques et de formation• les réseaux de la culture industrielle, scien-

tifique et technique.

Un Centre de découverte de la sidérurgie

Le Centre de découverte de la sidérurgie se compose en partie d’activités permanentes sous forme d’un parcours de visite du haut fourneau et en partie d’activités temporaires sous forme d’expositions et d’autres manifestations.

Le Centre de la Culture Industrielle se voue à l’histoire des hauts fourneaux de Belval depuis leur première mise à feu en 1912 jusqu’à la dernière coulée en 1997. Le long du parcours, les visiteurs découvrent les principaux éléments du processus de la fonte, à commencer par le bâ-timent de la charge de minerai ou « Moellerei » en passant par le haut fourneau jusqu’à la halle des coulées où la fonte liquide se déversait vers les poches à fonte. La montée vers la plateforme du gueulard à quelque 40 m de hauteur, l’accès à l’intérieur du haut fourneau et une coulée vir-tuelle sont les « highlights » du parcours. Tout au long du circuit, des bornes interactives dif-fusent des informations sur le fonctionnement des installations industrielles, les sidérurgistes, ouvriers, ingénieurs, techniciens, l’évolution des conditions de travail et les enjeux du site industriel.

Le haut fourneau A et ses alentours suivant le concept d’aménagement. © Fonds Belval.

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existe au Luxembourg bon nombre de musées ou de centres de documentation oeuvrant dans l’intérêt de la conservation du patrimoine in-dustriel aussi bien matériel qu’immatériel. La création d’un réseau de la culture industrielle, technique et scientifique qui réunirait tous les acteurs travaillant sur ces sujets sera l’une des missions du Centre de la Culture Industrielle. Le but sera de soutenir les petits musées dans leurs activités et d’augmenter leur visibilité à travers des manifestations sur des thèmes com-muns, mais aussi de coopérer avec des entre-prises et institutions de recherche afin de créer une plateforme d’échange et des liens vers le monde économique actuel.

Au niveau de la Grande Région, plusieurs initiatives ont déjà été lancées pour créer des ré-seaux de la culture industrielle, en Sarre notam-ment, « Industriekultur Saar », ou transfrontalier comme le réseau de la « Route du fer » qui relie les sites de Völklingen en Sarre, Petite Rosselle en Lorraine et Fond-de-Gras au Luxembourg. Ces sites représentent des maillons dans le ré-seau européen ERIH. Avec la conservation et la valorisation du haut fourneau d’Uckange en

cherche pour présenter au public leurs activités scientifiques et des projets d’étudiants.

Les activités pédagogiques et de formation

Le Centre de la Culture Industrielle s’adresse aux usagers quotidiens du quartier universitaire mais également aux visiteurs occasionnels qui recherchent un lieu de loisirs et de divertisse-ment, individuel, en groupe ou en famille. Il a une importante mission pédagogique d’un côté par l’enseignement de l’histoire de la sidérurgie aux élèves des classes d’école, de l’autre par l’offre d’ateliers, de stages et de visites guidées autour des thèmes évoqués dans les expositions. Le Centre vise par ailleurs un haut degré de participation du public dans la conception des activités.

Les réseaux de la culture industrielle, technique et scientifique

Grâce à des initiatives en majeure partie pri-vées soutenues par l’Etat ou les communes, il

Le cube proposé dans l’enceinte de la halle des coulées avec la structure de desserte. © Fonds Belval.

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Le projet du Centre National de la Culture Industrielle

Le projet architectural

Le projet de valorisation des hauts fourneaux dans l’optique du Centre de la Culture Indus-trielle tel qu’il a été présenté au gouvernement prévoit l’aménagement de plusieurs espaces d’accueil et d’activités dans l’enceinte du haut fourneau A ainsi que la construction d’un nou-veau bâtiment sous la forme d’un cube dans l’espace de la halle des coulées. L’idée du projet porte sur l’exploitation des volumes existants en intégrant des éléments nouveaux nécessaires au bon fonctionnement de l’ensemble. Les élé-ments nouveaux se distinguent des parties an-ciennes par le choix de matériaux et de formes contemporaines minimalistes.

Les espaces du Centre de la Culture Indus-trielle se composent de plusieurs éléments :

• le hall central• le parcours de visite des hauts fourneaux• l’espace d’expositions temporaires • le nouveau cube.

Hall central

Le hall central se situe en dessous de la halle des coulées, à cheval entre les soubassements

Lorraine et des hauts fourneaux de Belval, le réseau de la Grande Région s’enrichit encore davantage. En prenant en compte aussi le site de Neunkirchen, on dénombre quatre hauts fourneaux encore en place dans un espace de quelque 12.000 km2. Si l’on considère par ailleurs le haut fourneau « couché » de Longwy, on distinguera cinq variantes possibles d’ap-proches envers le patrimoine industriel, de la destruction quasi-totale à la conservation com-plète. Le prestigieux site de Völklingen « Eu-ropäisches Zentrum für Kunst und Industriekul-tur » est classé patrimoine mondial et offre des parcours de visite du monument industriel et de nombreuses activités culturelles, Neunkirchen a conservé ses hauts fourneaux comme land-mark, un château d’eau a été transformé en ci-néma, le haut fourneau d’Uckange est valorisé à travers un projet artistique de mise en lumière et des activités culturelles, à Longwy subsiste seulement le creuset d’un haut fourneau resté en place après la démolition de l’usine. Les hauts fourneaux de Belval, enfin, se trouvent au coeur d’un nouveau quartier urbain en devenir, la Cité des Sciences, où ils intégreront la vie quotidienne des étudiants, des chercheurs et du public fréquentant les infrastructures publiques et commerciales.

Le nouvel espace multifonctionnel proposé en dessous de la halle des coulées. © Fonds Belval.

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visite sera dans le hall central. Les planchers du haut fourneau jusqu’au gueulard sont acces-sibles par un nouvel ascenseur aménagé dans la cage existante. Les planchers ne subissent pas de modifications majeures. De nouveaux es-caliers, passages et des dispositifs en vue de la sécurité des visiteurs sont mis en place tout au long du parcours.

Espace d’expositions temporaires dans les soubassements du haut fourneau

Les soubassements du haut fourneau sont amé-nagés pour des expositions temporaires. Il s’agit d’un espace spectaculaire où d’importantes traces du processus industriel sont conservées et valorisées à travers une mise en scène adéquate. Des perspectives vers la fondation du haut four-neau s’ouvrent sur l’espace d’exposition.

Cube : documentation, formation, recherche, pédagogie, administration

Un nouveau volume, le bâtiment cube, est prévu dans l’enceinte de la halle des coulées du haut fourneau. Le bâtiment comprend cinq niveaux. Le rez-de-chaussée est conçu comme une salle

du haut fourneau et le nouveau cube. L’entrée principale donne sur un passage couvert situé sur l’axe principal de circulation des piétons sur le site, l’ancien « highway » qui desservait les trois hauts fourneaux.

Le grand hall central sert de lieu d’accueil et d’information pour le public. Ici se trouvent la réception et un café-bar, l’accès aux ves-tiaires et sanitaires. Le hall est le point de dé-part et d’arrivée de la visite du haut fourneau.Il donne accès à l’espace d’expositions tempo-raires dans les soubassements. Dans le grand hall sont prévues par ailleurs des manifestations accompagnant les expositions. A l’extérieur, du côté sud, est aménagé un « jardin de la fonte ».

Parcours de visite du haut fourneau

Le parcours de visite projeté comprend l’accès au haut fourneau, à la « Moellerei » (bâtiment de la charge de minerai) et à la halle des cou-lées. Les vestiges industriels ne sont a priori pas conformes pour accueillir le public. Des aména-gements et nouveaux équipements sont néces-saires pour garantir la fonctionnalité du centre culturel et pour assurer la sécurité des visiteurs. Le point de départ et d’arrivée des parcours de

Le haut fourneau A sera accessible par un circuit de visite. © Fonds Belval.

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Le projet du Centre National de la Culture Industrielle

multifonctionnelle qui sert de galerie d’expo-sition et de manifestations temporaires. Cette salle a un accès direct depuis le passage couvert et fonctionne en autonomie par rapport au reste du bâtiment. L’accès aux étages supérieurs se fait via le volume extrapolé contenant les esca-liers, l’ascenseur et les sanitaires. Le premier étage accueille une bibliothèque-médiathèque. Aux troisième et quatrième étages se situent les espaces pédagogiques ainsi qu’une salle de projection. Celle-ci est également accessible à partir du plancher des coulées du haut fourneau. Le dernier étage du cube est réservé à l’admi-nistration du centre.

L’illumination des hauts fourneaux

Les hauts fourneaux ont depuis leur origine do-miné le site de Belval. Ils ont marqué de jour et de nuit le paysage de l’agglomération d’Esch-sur-Alzette. Dans la nouvelle configuration du site, ils se retrouvent au cœur de la Cité des Sciences, entourés d’activités universitaires, de commerces et de brasseries. Pour leur rendre leur rayonnement d’antan, un concept d’illu-mination a été élaboré par l’artiste Ingo Maurer

qui soulignera la présence des structures in-dustrielles dans un environnement résolument contemporain. Le projet applique la lumière blanche afin de créer un jeu de contrastes entre ombres et lumières. Un essai de l’éclairage a été fait en octobre 2008 qui a confirmé le concept. La lumière redessine parfaitement les formes de chaque élément et rend le monument visible de loin, rappelant l’époque où les hauts fourneaux étaient encore en service.

Evolution du projet

En 2003, une première loi a été votée par la Chambre des Députés pour financer les tra-vaux de mise en sécurité et de démantèlement des hauts fourneaux. Ces travaux ont été ache-vés fin 2009. Le 8 avril de la même année, le gouvernement a donné son accord de principe pour la réalisation des travaux d’aménagement et de construction pour le Centre National de la Culture Industrielle et le projet a été avisé favo-rablement par le Conseil d’Etat.

Suite à la crise économique, le gouverne-ment a décidé, début 2010, de scinder la réalisa-tion du Centre National de la Culture Industrielle

Illumination des hauts fourneaux élaborée par Ingo Maurer. © Fonds Belval.

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de faire fonction de think tank ayant pour mis-sion de poursuivre la mise en œuvre du CNCI.

Cet article représente une version élargie d’une conférence tenue dans le cadre des Journées Hubert Curien 2010 à Esch-sur-Alzette, Grand-Duché de Luxembourg. Il a été publié une première fois dans la revue « La Lettre » de l’OCIM, no 131, 2010, p.19-26, et adapté pour la présente édition suivant l’évo-lution du projet.

en deux phases et de commencer avec la restau-ration des vestiges industriels. Une motion de la Chambre des Députés préconise la réalisation du CNCI dès que la situation financière le permet-tra. La nouvelle loi votée le 29 juillet 2010 vise l’exécution des travaux de restauration et de trai-tement de surface des hauts fourneaux. Ces tra-vaux ont commencé fin février 2011 et dureront approximativement trois ans.

Parallèlement, la Fondation Bassin Minier a été chargée par son Conseil d’administration

Vue sur le haut fourneau A et le bâtiment «massenoire» hébergeant une exposition sur la Cité des Sciences. © Fonds Belval.

Le Fonds Belval (éd.) concept de conservation des hauts fourneaux de belval. Les Cahiers du Fonds Belval. Luxembourg, 2006, 147 p.

Le Fonds Belval (éd.) proposition d’un concept pour le centre national de la culture industrielle. Les Ca-hiers du Fonds Belval. Luxembourg, 2004, 92 p.

Le Fonds Belval (éd.) magazine, le périodique du fonds belval no 1/2009, p. 22-31

Informations sur la Cité des Sciences et les publica-

tions du Fonds Belval : www.fonds-belval.luLorang Antoinette, Le patrimoine industriel au Lux-

embourg – de la commémoration vers une appro-priation événementielle, dans : Guide culturel du Luxembourg. Editions Ilôts. Luxembourg, 2007, p. 262-275

Fondation Bassin Minier (éd.) Sur les traces du pas-sé. Tourisme industriel au sud du Luxembourg.Luxembourg, 2009, 68 p.

Bibliographie sélective

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Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

Turin est une ville de science et une ville laboratoire, par bien des aspects. Elle a donné naissance en Italie à l’industrie automobile, à l’aéronautique, à l’industrie de la mode et du design, aux premières maisons d’édition, à la téléphonie, à la radio et à la télévision.

Elle compte des Centres de recherche in-dustriels et publics comme l’INFN (Istituto Nazionale di Fisica Nucleare), l’INAF (Istituto Nazionale di Astrofisica), l’Istituto per la Ri-cerca e la Cura del Cancro e le CNR (Consiglio Nazionale delle Ricerche). Turin est le siège de l’INRiM (Istituto Metrologico Nazionale). De nouveaux Centres d’excellence se dévelop-pent rapidement dans des domaines innovants comme les neurosciences, la génétique (les la-boratoires de la Human Genetics Foundation on été inaugurés en décembre 2010), les nano-technologies…

Turin est aussi le siège de la Fiera Inter-nazionale del Libro, de l’agence européenne ETF (European Training Foundation) et de trois centres des Nations Unies : UNSSC (United Na-tions System Staff College), ITCLO (Internatio-nal Training Centre de l’International Labour Organization), UNICRI (United Nations Inter-regional Crime and Justice Research Institute).

La tradition scientifique et technologique de la ville de Turin se fonde sur la présence des Universités ainsi que de l’Académie des Sciences, constituée en 1783 par Giuseppe An-gelo Saluzzo di Monesiglio, Luigi Lagrange e Giovanni Cigna. Amedeo Avogadro y a déve-loppé sa théorie moléculaire, Galileo Ferraris y a conçu le premier moteur électrique, et c’est là qu’Ascanio Sobrero a synthétisé pour la pre-mière fois la nitroglycérine. L’école de Giu-seppe Levi a formé trois prix Nobel de méde-cine : Salvador Luria, Renato Dulbecco et Rita Levi Montalcini.

A côté de la tradition scientifique, une tradition de diffusion de la science s’est déve-loppée par le biais d’initiatives et d’un système de musées et de centres culturels ayant comme mission institutionnelle la documentation et la

Agorà Scienza est né en 2006 en tant que Centre pour la diffusion de la culture scienti-fique de l’Université de Turin, avec l’objectif de promouvoir la recherche et le rôle de l’Uni-versité dans la relation entre Science et Société. Rapidement, les quatre Athénées de la Région Piémont (Università di Torino, Politecnico di Torino, Università del Piemonte Orientale, Università di Scienze Gastronomiche) ont dé-cidé d’unir leur forces pour s’engager ensemble dans la communication avec le public et la valorisation de la recherche vis-à-vis de la so-ciété. Grâce au soutien de la Région Piémont, Agorà Scienza s’est donc transformé en 2009 en Centre Interuniversitaire.

Cet article décrit le cadre régional de dif-fusion de la science dans lequel le Centre s’ins-crit, les conditions qui ont donné naissance au Centre ainsi que ses objectifs et principales actions. Nous allons souligner en particulier le rôle que l’organisation de l’ESOF2010 (Euros-cience Open Forum) a eu pour le développe-ment du Centre ainsi que l’enseignement qu’il a laissé au territoire piémontais et au Centre en particulier. Nous sommes par ailleurs convain-cus que l’organisation d’un Forum ESOF à Bel-val représenterait une importante occasion de développement pour le tout nouveau site uni-versitaire du Luxembourg.

La culture scientifique en Piémont

Le Piémont est une région qui se trouve au Nord-Ouest de l’Italie et compte 4,4 millions d’habitants, dont près d’un million dans la ville principale, Turin. Le système universitaire piémontais compte 4 universités pour un total de 120.000 étudiants, 20.000 diplômés par an et 6.400 chercheurs. Les Athénées sont l’Uni-versità di Torino qui date de 1404, compte 13 Facultés et 55 Départements, le Politecnico di Torino avec 6 Facultés et 18 Départements, l’Università del Piemonte Orientale, 7 Facultés et 12 Départements et la toute nouvelle Univer-sità di Scienze Gastronomiche.

Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

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d’étude dans le domaine de la relation complexe entre science et société ainsi que la construction d’un sentiment de citoyenneté scientifique. »

Dans la période 2006-2009, le Centre a été soutenu par l’Université de Turin et la Compa-gnia di San Paolo, une des plus grandes fonda-tions européennes d’origine bancaire. Parmi les premières actions du Centre, nous rappelons ici l’organisation en septembre 2006 de la confé-rence « L’Université : un pont entre Science et Société » qui eut pour but de faire le point sur la diffusion de la science dans le Piémont et de rassembler des bonnes pratiques au niveau eu-ropéen : les activités de la cellule Inforsciences de l’Université Libre de Bruxelles et l’Obser-vatoire de la Communication scientifique de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone y ont été présentées.

En 2008, le Centre a été le promoteur, avec la Fondation Compagnia di San Paolo et l’asbl Centro Scienza, de la candidature de la ville de Turin pour accueillir l’Euroscience Open Fo-rum (ESOF) en 2010.

ESOF est une rencontre pan-européenne dédiée à la recherche scientifique et à l’inno-vation. Aux conférences ESOF, scientifiques, chercheurs, journalistes, étudiants, entrepre-neurs, policy makers, politiciens, enseignants et public généraliste venant de l’Europe en-tière discutent des frontières de la science et de la direction que la recherche poursuit dans les

valorisation de la recherche ainsi que la vulgari-sation de la science.

Histoire d’Agorà Scienza

Le Centre Agorà Scienza est donc né au sein d’un cadre très vivant de diffusion de la science, avec le but précis de réaliser celle qui est parfois dénommée la troisième mission des universités : la relation avec la société et la va-lorisation de la recherche auprès du public et du monde industriel.

En 2009, la transformation du Centre de l’Université de Turin en Centre Interuniversi-taire a été formalisée par le Sénat Académique de l’Université qui en a souligné la mission :

« L’Université de Turin, persuadée que la connaissance scientifique représente une res-source essentielle pour l’économie et la crois-sance de la société, considère comme priori-taires le dialogue avec la société ainsi que le transfert de technologie et des connaissances et favorise et soutient des processus de déve-loppement fondés sur la connaissance et sur sa communication.

L’Université de Turin, dans le but de construire une relation ouverte et de dialogue avec la société, considère dans ses objectifs la formation des étudiants et des chercheurs à la communication publique de la recherche, la création de nouveaux espaces de discussion et

Cérémonie d‘ouverture d‘ESOF2010, Centre conférence Lingotto de Torino, 2 juillet 2010 (page 2 Histoire du Centre ou page 5 ESOF2010 et son héritage)

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Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

membres du Conseil scientifique qui a aussi la fonction de Directeur du Centre. Le Centre est présidé par Enrico Predazzi, physicien, ancien doyen de la Faculté des Sciences de l’Univer-sité de Turin et ancien Président de la Confé-rence italienne des doyens des Facultés de Sciences qui a eu le rôle de Champion ESOF pour ESOF2010. Enrico Predazzi a toujours montré un intérêt particulier pour la diffusion de la science et la promotion des carrières scientifiques. Il a été l’instigateur du Centre, en réussissant à mobiliser l’Université de Tu-rin d’abord, les 4 Athénées du Piémont ensuite dans le sens du troisième pilier des missions universitaires.

Objectifs et actions d’Agorà Scienza

L’objectif général du Centre est la diffusion et la communication de la culture scientifique, à tra-vers la promotion du rôle des universités dans la relation entre science et société. Ses objectifs stratégiques s’étendent aux domaines de la for-mation, de l’organisation d’initiatives de diffu-sion, de l’éducation et de la recherche et sous-entendent des meta-objectifs qui constituent le cadre dans lequel se situe l’action du Centre : innovation et créativité, internationalisation et synergie avec d’autres centres et institutions, partage de la connaissance.

Les actions du Centre peuvent être catégo-risées suivant les objectifs stratégiques.

sciences dures mais aussi dans les sciences hu-maines et sociales.

ESOF est unique car il est à la fois inter-national et multidisciplinaire. Il a été créé par l’association Euroscience (www.euroscience.org) et a lieu tous les deux ans dans une ville européenne différente.

La candidature de Turin pour l’ESOF2010 a été retenue et le Forum a eu lieu en juillet. Nous allons analyser par la suite l’impact de cette opportunité sur le système turinois de dif-fusion de la science.

Dans la perspective de participer à l’or-ganisation de l’ESOF2010 et sous l’impulsion de la Région Piémont qui a décidé de soute-nir le Centre avec une convention de soutien de plusieurs années, les trois autres Athénées du Piémont ont rejoint Agorà Scienza qui est donc devenu en 2009 Centre Interuniversi-taire. Le Centre, interdisciplinaire par sa na-ture et ses objectifs, est doté d’une Assemblée (constituée par les Recteurs des 4 universités) et d’un Conseil scientifique avec deux repré-sentants pour chaque université, choisis res-pectivement dans les domaines des sciences humaines et des sciences pures. Le personnel du Centre est constitué de six personnes : deux chercheurs, deux membres du personnel ad-ministratif, un candidat au doctorat en science de la communication et un boursier ayant une maîtrise en didactique de la Physique. Le personnel est coordonné par l’un des

ESOF2010 Science in the City, activités pour enfants au centre de Turin

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comme événement satellite d’ESOF et a été dédiée à l’évaluation de l’organisation et de l’impact d’un grand événement comme celui-ci. L’édition 2011 sera la cinquième. L’école d’été SCS accueille chaque an-née près de 70 candidats au doctorat ve-nant de toutes les régions d’Italie, pour une semaine de formation intense où des séminaires suivis de discussions alternent avec des laboratoires pratiques dédiés à la communication de la science ou à la si-mulation de méthodes de démocratie par-ticipative dans le domaine scientifique. En 2011, la cinquième édition aura pour titre La science pour le futur. Innovation, développement durable, incertitude. Il s’agira encore d’une édition nationale mais le Centre à l’intention de porter l’école à l’échelle internationale grâce à la collabora-tion avec le PRES euro-méditerranéen (Pôle de la Recherche et de l’Enseignement Supé-rieur) comprenant des universités françaises

• Dans le secteur de la Formation, nous re-trouvons une initiative qui a caractérisé le Centre depuis sa naissance : l’école d’été pour candidats au doctorat SCS (Science, Communication, Société, http://www.ago-rascienza.it/training/scs ). L’école s’adresse aux étudiants de doctorat de toutes les disci-plines et a pour but de les faire réfléchir sur l’importance du dialogue entre chercheurs et société ou encore sur la complexité du rapport entre science et société, mais aussi de leur donner des éléments de base sur la communication de la science. Des thèmes comme « La science crée des nouvelles, la science crée des opinions (SCS2007) », « La science appartient-t-elle à tous ? La connaissance scientifique comme bien com-mun global (SCS2008) », « La science au temps des crises. Défis de la recherche et rôle de la communication (SCS2009) » y ont par exemple été abordés dans les années précédentes. L’édition 2010 a été réalisée

La nuit Européenne des chercheurs à Turin, édition 2008(page 4 Médiation, le plan stratégique)

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Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

bat sur des thèmes scientifiques d’actualité (énergie, pollution urbaine, cellules stami-nales), en les mettant en contact direct avec les chercheurs experts des différents thèmes. L’avantage de l’utilisation du web réside dans la possibilité de rejoindre un groupe important de jeunes (plus de 1000 dans l’édition 2009/2010 du projet), mais des rencontres directes du style « Parlements des jeunes » sont également importantes et concluent le projet à la fin de l’année sco-laire. Pour plus d’information, consulter le site internet www.scienzattiva.eu.

• Le Centre, réunissant les compétences de scientifiques, d’experts en communication et en sciences sociales, s’occupe également de Recherche dans le domaine de la relation entre science et société. Il étudie la compo-sition, le background et la motivation du pu-blic des initiatives de diffusion de la science (projet « Les publics de la science et l’inno-vation dans les formes de communication de la science. Analyse et propositions pour le territoire piémontais », financé par la Fon-dazione Cassa di Risparmio di Torino). Il analyse également les activités de diffusion de la CSTI (Culture Scientifique, Technique et Industrielle) réalisées par les universités et les Centres de recherche publics (étude menée en collaboration avec le CNR-IRPPS Istituto di Ricerca sulla Popolazione e le Po-litiche Sociali).

et italiennes, et à l’intégration de l’école dans les programmes de projets européens du 7ème Programme Cadre.

• La Diffusion encadre les initiatives du Centre dédiées à la coordination ou l’or-ganisation d’événements de vulgarisation de la science tels que la Nuit européenne des chercheurs (une bonne pratique que la ville de Turin a adoptée depuis 5 ans, avec le soutien de la Commission européenne), l’Euroscience Open Forum (ESOF2010), ainsi qu’à la conception d’un plan straté-gique pour la diffusion de la culture scien-tifique dans la Région Piémont que nous allons décrire plus en détail dans la suite. En février 2011, le Centre a organisé un cycle de conférences ayant comme titre « Le siècle de la science. Le développement du savoir scientifique dans le Piémont, de l’Unité italienne à la moitié du vingtième siècle », à l’occasion de la célébration, en 2011, des 150 ans de l’Unité italienne.

• En ce qui concerne l’Education, Agorà Scienza coordonne un groupe de travail au ni-veau régional sur l’innovation des méthodes d’enseignement des disciplines scientifiques et anime un projet de participation pour les écoles secondaires, Scienza Attiva. Le pro-jet s’inspire des méthodes de la démocratie participative et utilise le web comme instru-ment préférentiel pour engager les jeunes dans la recherche d’information et le dé-

L’école d’été pour jeunes chercheurs SCS (Science, Communication, Societé), édition 2008(page 3 objectifs et actions du centre)

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nées ’90, le premier journal télévisé d’Europe dédié à la Science, « TG Leonardo », est né à Turin et continue à être produit tous les jours dans les studios turinois de la télévision pu-blique italienne RAI.

Dans ce contexte, le département de la Région Piémont dédié à l’innovation et à la recherche scientifique a demandé en 2008 au Centre d’aider à la construction d’un plan pour coordonner la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont. Le Centre a tout d’abord mené une étude pour recenser les acteurs de la vulga-risation de la science et les initiatives existantes, avec des questionnaires et des interviews appro-fondies des acteurs les plus importants. Plus de 350 organismes actifs dans la diffusion de la culture scientifique sur le territoire piémontais ont été repérés et classifiés en organismes pu-blics, fournisseurs de savoir (les universités et centres de recherche, les entreprises à forte vo-cation R&D, les consortiums et fondations pour la recherche), les centres et associations pour la diffusion de la science, les parcs scientifiques et technologiques, les musées, les médias. Un workshop a ensuite été organisé pendant une journée entière en mars 2009 avec la participa-tion des 70 principaux acteurs. Il a été animé par des experts de méthodes participatives et en collaboration avec le groupe chargé d’élaborer le plan stratégique de la ville de Turin. Les par-ticipants ont été divisés en quatre groupes pour

Médiation : le plan stratégique

Analysons de plus près le plan stratégique régional pour la diffusion de la culture scien-tifique. Le panorama régional de la vulgarisa-tion de la science est caractérisé par une longue tradition et une multiplicité d’acteurs engagés : musées (Museo Regionale di Scienze Naturali, Musée du Cinéma, Musée de l’Automobile, les Musées universitaires d’Anatomie et des Fruits), Planétarium et Observatoire, Académie des Sciences, fondations, associations, maisons d’édition, qui, à titres différents, sont engagés dans la promotion de la recherche et la diffusion de la science.

De nombreuses manifestations scienti-fiques sont proposées chaque année au public de la ville de Turin et de la Région Piémont. Ci-tons par exemple les cycles de conférences Gio-vedì Scienza qui remplissent chaque semaine de novembre à mars un grand théâtre citoyen, les Semaines de la Science, la Nuit européenne des chercheurs (financée depuis 2006 par l’Union européenne), ainsi que des initiatives dédiées aux technologies de l’information comme Mon-doBit et Webdays.

Turin a également été à l’avant-garde de l’intérêt des médias pour la science. Depuis 1982, le quotidien national « La Stampa , pro-duit à Turin, a un supplément hebdomadaire dédié à la science, « Tuttoscienze » ; dans les an-

Il Museo Regionale di Scienze Naturali à Turin(page 4 Médiation, le plan stratégique)

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Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

ESOF2010 et son héritage

L’édition 2010 de l’Euroscience Open Forum (ESOF) a été un succès pour les organisateurs, tout d’abord par la qualité scientifique et la va-riété du programme, qui a vu l’engagement de plus de 500 orateurs.

D’autre part, malgré la crise économique, le nombre de participants a été très élevé : plus de 4300 personnes provenant de 71 pays dif-férents. Ce qui a caractérisé l’édition turinoise d’ESOF a été la grande participation des jeunes : plus de la moitié des participants avaient 35 ans ou moins et différents programmes ont été mis en place pour assurer leur présence. Près de 500 jeunes ont participé à la conférence annuelle des Marie Curie fellows (doctorants ou post-docto-rants soutenus par la Commission européenne). Des bus d’étudiants ou jeunes chercheurs sont venus d’autres régions italiennes (organisés par le INFN) et de plusieurs pays européens (Al-lemagne, Autriche, Belgique, France, Irlande, Suède), ainsi que des groupes provenant du Luxembourg (soutenus par le FNR) et de Tur-quie (soutenus par Tubitak, le Conseil de la Re-cherche de Turquie). De plus, des accords ont été pris avec l’UNESCO (bureau de Venise) pour soutenir la participation de jeunes des pays de l’Est et du Sud-Est de l’Europe.

suivre un parcours guidé de discussion et de ré-daction concernant les domaines suivants : édu-cation non formelle à la science et interaction avec les écoles, vulgarisation de la science, in-teraction science-entreprise et interaction entre recherche et société. La journée s’est déroulée avec une alternance de sessions plénières (pré-sentation des données récoltées pendant l’étude précédant le workshop), de groupes de discus-sion et de travail, d’interventions de personna-lités externes au système piémontais (chargées de présenter des bonnes pratiques ou d’animer le débat). Le workshop a mis en évidence la volonté de construire des actions collaboratives et le souhait de créer un vrai système de dif-fusion de la culture scientifique, c’est-à-dire un réseau de coordination des acteurs de la CSTI dans le Piémont. Suite au workshop, un plan stratégique pour la diffusion de la science dans le Piémont a été présenté à la Région à la fin de l’année 2009. Ce plan intègre les réflexions ain-si que les indications opérationnelles discutées pendant le workshop. Les élections régionales piémontaises de 2010 ont ralenti le processus de discussion et d’implémentation du plan mais celui-ci recommence actuellement. La prépa-ration et l’organisation de ESOF2010 (Euros-cience Open Forum) a constitué une excellente occasion de tester cette volonté de coopération.

Le workshop de mars 2009 pour le plan stratégique régional pour la diffusion de la culture scientifique(page 5, Médiation: le plan stratégique)

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Journées Hubert Curien 2010

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Isabella Susa

un rap dédié à la chimie, mais a surtout attiré 75.000 turinois jusqu’à minuit pendant les cinq jours du Forum, autour de thèmes scientifiques multiples et de manière ludique.

Un autre des programmes d’ESOF a eu une résonnance importante au niveau local : le School Programme et ses milliers de partici-pants, avec des activités comme le Buckyball Workshop avec Harrold Kroto, la Scientific Summer Academy pour des étudiants d’écoles supérieures sélectionnées par le Bureau Régio-nal dédié aux écoles, un programme pour les enseignants dédié à l’apprentissage de l’anglais scientifique et à la science, une compétition vi-déo (What can science do for society?) dans la-quelle la Région de Catalogne en Espagne s’est également engagée.

Il est fondamental maintenant pour le ter-ritoire turinois et piémontais de construire à partir de l’expérience acquise grâce à l’Euro- science Open Forum. Le 15 décembre 2010, l’Association TopESOF a réuni tous les orga-nismes qui ont participé à cette aventure afin de discuter de l’héritage d’ESOF2010. La jour-née d’analyse a conduit à l’intention d’établir un projet de développement à moyen et long terme du système piémontais de diffusion de la science. En pratique, les institutions locales (Région Piémont, Province de Turin et Ville de Turin) ainsi que les deux grandes fonda-tions soutenant la culture et la recherche sur notre territoire, la Compagnia di San Paolo et la Fondazione CRT, ont été invitées à signer un accord d’engagement afin de soutenir un orga-nisme de coordination du système de diffusion de la science dans le Piémont : ToP Scienza (To-rino e il Piemonte per la Scienza), initialement promu par les trois organismes ayant pris en charge la réalisation d’ESOF. Les éléments clés du projet de ToP Scienza sont la relation entre science et société, la pensé rationnelle comme instrument de croissance démocratique, le dé-veloppement de la créativité, la naissance des vocations scientifiques, la didactique avancée, la formation des enseignants, la mise en place de méthodes innovantes de vulgarisation de la science, la science et l’histoire de la science tu-rinoise comme points d’attraction touristique. Reste à découvrir, courant 2011, la forme pré-cise que l’organisme de coordination de la dif-fusion de la science dans le Piémont va prendre. Grâce à son passé industriel, à sa vocation de centre d’affaires, à l’émergence du centre de recherche international à travers le grand pro-

L’organisateur local de l’ESOF a été l’as-sociation TopESOF, constituée des trois orga-nismes qui avaient assuré la promotion de la candidature de Turin : Compagnia di San Pa-olo, Agorà Scienza et CentroScienza Onlus. Un accord pour l’organisation du Forum dans le respect des lignes directrices de la conférence conçue par Euroscience avait été signé en oc-tobre 2007 entre TopESOF et Euroscience. Un système de comités internationaux a été mis en place, en accord avec Euroscience, pour la su-pervision du programme de communication et des aspects de fundraising et d’organisation de la conférence. Au niveau régional, un comité d’organisation local a été mis en place, avec la participation de tous les représentants des orga-nisations ayant soutenu la candidature de Turin.

Trois programmes se sont déroulés dans le Centre de conférences Lingotto : le programme scientifique, le programme Career (dédié aux jeunes chercheurs) et le programme Science to Business. Une grande exposition a également été organisée au Lingotto, avec plus de 50 ex-posants.

Le bâtiment du Lingotto est symbolique pour la ville de Turin. C’est une ancienne usine de production de FIAT qui a été transformée dans les années 90 en centre multifonctionnel comprenant galeries marchandes, centre de congrès, cinémas, auditorium, hôtels, la galerie d’art Pinacoteca Giovanni e Marella Agnelli, des salles de cours de l’Université (Dental school) et du Politecnico (Automotive engineering). La transformation a été réalisée par l’architecte Renzo Piano.

Le comité d’organisation local a été spé-cialement engagé dans l’organisation et le sou-tien du quatrième programme d’ESOF qui nous intéresse tout particulièrement : le programme Science in the city, qui a proposé 85 activités différentes (workshops, laboratoires interactifs, expositions ou installations, jeux, conférences et débats, pièces de théâtre) sélectionnées à tra-vers un appel à propositions ou ajoutées par le groupe de gestion du programme.

Deux caractéristiques ont fait le succès de ce programme : d’une part, le choix de le déve-lopper non seulement dans le cadre du centre de conférence Lingotto mais surtout en centre ville (en 18 lieux différents) ; d’autre part, le fait d’engager dans les activités pour le grand public les scientifiques d’exception présents à la conférence. Ce choix a ainsi permis par exemple d’écouter trois prix Nobels chanter

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Agorà Scienza : un réseau universitaire pour la diffusion de la culture scientifique dans le Piémont

Fourneaux rappelant son glorieux passé indus-triel, le Luxembourg se prêterait parfaitememnt à l’organisation d’une édition future d’ESOF.

jet de développement du Campus d’Esch-sur-Alzette de l’Université du Luxembourg, avec la Cité des Sciences sur la terrasse des Hauts

ESOF2010 School Programme: le Buckyball Workshop de Harold Kroto en mars 2010 à Turin(page 5 ESOF2010 et son héritage)

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Massimo MalvettiChargé de mission auprès du recteur pour la culture scientifique et technique, professeur à l’Université du Luxembourg.

Margrit GrabasProfesseur d’histoire économique et sociale, Université de la Sarre.

René LeboutteProfesseur d’histoire européenne contemporaine, Université du Luxembourg, titulaire de la Chaire Jean Monnet en Histoire de l’intégration européenne.

Philippe Chavot Maître de Conférences, Laboratoire Inter-universitaire des Sciences de l’Education et de la Commu-nication (LISEC), Université de Strasbourg.

Anne MasseranMaître de Conférences, Centre de Recherche sur les Médiations (CREM-Nancy) et Université de Strasbourg.

Michel Claessens Chef d’unité adjoint à la Commission européenne (Direction générale de la recherche) et maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles.

Antoinette LorangHistorienne de l’art, chargée de mission culture et communication auprès du Fonds Belval, établis-sement public chargé de la construction de la Cité des Sciences.

Isabella SusaCoordinatrice scientifique, Centro Interuniversitario Agorà Scienza, Turin.

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