MPRA Paper 31223

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Munich Personal RePEc Archive Management and Efficiency of the Economic Policies : The Crisis’ Lessons” Landais, Bernard Universit ´ e de Bretagne-Sud 01. June 2011 Online at http://mpra.ub.uni-muenchen.de/31223/ MPRA Paper No. 31223, posted 08. June 2011 / 08:27

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  • MPRAMunich Personal RePEc Archive

    Management and Efficiency of theEconomic Policies : The Crisis Lessons

    Landais, Bernard

    Universite de Bretagne-Sud

    01. June 2011

    Online at http://mpra.ub.uni-muenchen.de/31223/

    MPRA Paper No. 31223, posted 08. June 2011 / 08:27

  • Conduite et efficacit des politiques conomiques : les leons de la crise

    Introduction

    Depuis le dclenchement de la crise conomique et financire, des millions de pages ont t rdiges pour en dcrire les diverses pripties, en dcouvrir les causes et consquences et enfin analyser les mesures prises pour tenter d'y faire face. Cet effort a pris une dimension plantaire, que justifient la fois le caractre mondialis des vnements intervenus depuis la fin 2007 et l'tendue formidable de la diffusion internationale des ides mises leur propos.

    Pour tablir un bilan synthtique de cette immense littrature au profit de nos connaissances courantes nous creusons certains de ses traits remarquables, notamment ceux relatifs aux politiques macroconomiques et nos faons traditionnelles de les envisager.

    Les politiques conomiques portent-elles une part de responsabilit dans la crise ? Les dimensions inhabituelles des phnomnes rencontrs conduisent-elles remettre en cause les bases thoriques sur lesquelles les interventions des banques centrales et des gouvernements se sont appuyes pendant les vnements ou s'appuyaient auparavant ? Quelles indications peut t'on retenir en termes d'opportunit et d'efficacit des divers types de politiques conjoncturelles envisageables ? Ce sont autant de questions auxquelles nous rpondrons par une srie de six propositions s'appuyant sur des apports de la littrature et mlant intimement les aspects thoriques et empiriques. Soyons nanmoins persuads qu'il s'agit d'une entreprise trs incertaine, incomplte et subjective. C'est probablement le prix payer pour s'avancer vers une synthse plus comprhensible. Ces six propositions se prsentent ainsi :

    La politique montaire s'est mise la faute !

    Les mesures non orthodoxes de politique montaire sont efficaces mais dangereuses !

    Poursuivre l'inflation ne peut suffire : viser d'autres objectifs !

    La politique budgtaire : de la permanence thorique aux incertitudes empiriques.

    Zone Euro : un problme, la politique montaire, une solution, la politique budgtaire ?

    Zone Euro : un autre problme, la politique budgtaire ; une autre solution, la politique montaire ?

    (1) La politique montaire s'est mise la faute !

    La crise conomique a t l'occasion de mesurer quel point la politique montaire pouvait s'avrer efficace tant pour le mal que pour le bien. Voyons d'abord le ct obscur de la force ....

    Il est clair dsormais que les orientations trop accommodantes prises par la Rserve Fdrale des Etats-Unis et un moindre degr celles des autres banques centrales ont t co-responsables de la bulle immobilire et des dsquilibres ayant entran la crise financire.

    C'est John B Taylor (2009) qui a dtaill les preuves de cette co-responsabilit. Il prtend que la Rserve Fdrale a laiss ses taux d'intrt d'intervention des valeurs trop faibles de 2002 2005, favorisant ainsi la demande de crdits et alimentant la bulle

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  • immobilire et les excs de consommation. Il en cherche la preuve en calculant l'"cart de Taylor", diffrence entre le taux d'intrt effectif fix par la Fed et ce qu'aurait d tre ce taux selon sa "rgle de Taylor". Durant la priode 2001-2005, l'cart de Taylor a pris des valeurs ngatives. Justifies en 2001 par la rcession et les risques provoqus par les attentats du 11 septembre, elles se sont indment maintenues par la suite. John Taylor y voit une dviation majeure face aux principes politiques ayant conduit bnficier d'une "Grande Modration" entre 1985 et 2007.

    Le principe de diffusion aux diverses maturits et d'un segment l'autre explique que des crdits aient pu alors tre accords bas prix dans l'ensemble de l'conomie amricaine avec pour consquence de gonfler la bulle immobilire, d'accrotre tous les endettements et en particulier celui des mnages. Le taux d'pargne s'est effondr, contribuant ainsi au dficit extrieur US, l'un des dsquilibres majeurs de cette poque. Or, c'est en fonction de ces lments que la crise a clat puis s'est dveloppe et rpandue dans l'ensemble des conomies du monde.

    En Europe, cette politique montaire a t'elle t trop laxiste durant la priode incrimine ? Si l'on retient le critre des intrts rels courts et certains autres comme la croissance de la masse montaire et les carts de taux, la Banque Centrale Europenne donne effectivement l'impression d'avoir relch sa politique ; le graphique N 1 le confirme. On y aperoit tout la fois la faible valeur du taux d'intervention de la BCE, la forte progression de l'agrgat M1 entre 2001 et 2006 ainsi que la valeur leve de l'cart entre les taux longs et courts (de 10 ans et 3 mois respectivement). Cet cart est un indicateur de la facilit de la politique montaire. La BCE a suivi le mouvement impuls par la Rserve Fdrale et contribu alimenter une expansion trop forte du crdit dans sa zone. Sur le moment d'ailleurs, trs peu d'observateurs ont signal cette dviation et y ont trouv motif s'inquiter. Cependant, ces volutions perverses ont eu des consquences plus graves pour certains pays, ceux pour lesquels la politique montaire unique s'est avre durablement trop accommodante (Irlande, Grce, Espagne ...)

    Graphique 1 Taux de la BCE, Croissance de M1 et "cart de taux" en Zone Euro

    Note : la croissance de M1 et l'cart de taux ont t "normaliss" (diviss par l'cart type). L'chelle de gauche n'a donc de sens direct que pour le taux d'intervention de la BCE.

    Que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, la politique montaire relche des annes

    2002-2005 s'est donc rendue complice de l'accumulation des dsquilibres. Diverses implications caractrises vont dans ce sens : i) le lien entre les dviations montaires (par

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  • exemple les carts de Taylor) et la monte des prix de l'immobilier [Rudiger Ahrend (2008)] ; ii) le lien entre la politique montaire et la prise de risque par le secteur bancaire que retrace l'tude d'Itai Agur et Maria Demertzis (2010) et de nombreux autres textes ; iii) le lien entre la politique d'aisance montaire et les bulles boursires, dj repr dans les annes 90 ...etc.

    Mais ce n'est pas tout ! Sur le chemin qui mne la rcession, on peut soutenir qu'ensuite, le durcissement montaire a tenu un rle majeur dans le dclenchement de la crise financire et la baisse de la production.

    Le durcissement

    Venant aprs une expansion trop forte, la politique restrictive rend le crdit moins facile et retourne les anticipations, allumant ainsi le processus rcessionniste. C'est ce qui s'est pass au cours des annes 2004 2007 mais de faon trop peu visible sur le moment. Certes, la hausse des taux d'intervention des banques centrales ne s'est pas immdiatement transmise aux crdits chances plus longues, les prts long terme demeurant bon march dans un premier temps (le fameux "conundrum"d'Alan Greenspan). Nanmoins, au del des apparences, le ralentissement tait bien commenc. Pour le comprendre, on peut suivre la thorie moderne de l'cart de taux, tire des travaux de Tobias Adrian et Alii, de la Banque de Rserve Fdrale de New-York (2010). Commenant sa baisse ds 2005, l'cart de taux entre les crdits 10 ans et les prts 3 mois devient ngatif en 2006 annonant ainsi la survenance d'une rcession [Voir aussi David Wheelock et Mark Wohar (2009)]. Or la liaison ngative entre la valeur du taux d'intervention de la Fed et l'cart de taux est directe et hautement significative.

    Ce point a t examin pour la Zone Euro avec les mmes conclusions [Voir Bernard Landais (2010)]. Si l'on se rfre au graphique 1 ci dessus, le retournement politique est d'ailleurs bien situ dans le temps, la BCE ayant augment son taux principal la fin de 2004, au grand dam des responsables politiques de l'poque. On voit l'cart de taux amorcer sa dcrue en fin 2004 et parvenir aux valeurs ngatives au milieu de l'anne 2007. Le durcissement montaire est galement bien reproduit dans l'volution de croissance de l'agrgat montaire M1 dont l'volution suit celle de l'cart de taux avec un dcalage de l'ordre d'un an. La BCE s'est entte renforcer son orientation restrictive au del du raisonnable, en portant ses conditions jusqu' 4,25 % en juillet 2008.

    Ainsi, dans les pisodes o elle est implique, la politique montaire a fait la preuve de sa redoutable efficacit, favorisant la fois l'mergence de la bulle financire et son clatement vers la rcession.

    (2) Les mesures discrtionnaires non orthodoxes de politique montaire sont efficaces mais dangereuses !

    Dans l'un de ses articles, Frdric Mishkin (2010) conclut de la faon suivante :"Il y a un autre ensemble de bonnes nouvelles apportes par la crise. La politique macro montaire est devenu une sorte d'enfer plus passionnant (...) Elle a aussi rendu le travail des banquiers centraux bien plus excitant. Ils ont dsormais penser un ensemble de problmes de politique bien plus large que prcdemment. Ce sera srement puisant mais banquier central sera une profession beaucoup plus stimulante".

    Le caractre jubilatoire de cette citation peut paratre incongru mais il se justifie par le dsir obsessionnel des banquiers centraux de s'affranchir des rgles oprationnelles que leur proposaient nagure les analyses thoriques de la politique montaire. Jean Claude Trichet (2010) a exprim une opinion similaire justifie par la monte et le maintien de l'incertitude. Comme le fait remarquer John B Taylor (2010-212) le balancier "rgle-discrtion" penche

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  • nouveau dans le sens d'une politique montaire de plus en plus discrtionnaire. La crise, en crant des conditions d'urgence et une perte d'efficacit des mesures traditionnelles de pilotage des taux d'intrt, a donn aux banquiers centraux l'occasion de dployer leurs talents et leur a permis de s'manciper des rgles implicites ou explicites censes les contraindre. Dans l'ensemble, cette nouvelle pousse d'empirisme s'est rvle bnfique pour affronter les vnements mais elle comporte aussi beaucoup de dangers et si elle se maintenait, aurait sans doute de fcheuses consquences pour l'avenir.

    Les banques centrales ont t places dans l'obligation d'aller au del des mesures traditionnelles. Celles-ci consistent fixer un taux d'intervention permettant de conduire les taux courts sur les marchs puis, de proche en proche, en empruntant divers chemins, d'orienter l'ensemble des conditions conomiques et financires dans le sens souhait. Les diverses chances tant lies entre elles par les arbitrages et les anticipations moyen et long terme, une action d'assouplissement montaire traduite par une baisse du taux d'intervention a un effet de relance sur l'activit avec un retard assez long et variable d'environ un an. L'impact sur le taux d'inflation est aussi diffr, la plupart des banques centrales situant le dlai aux alentours de deux ans. Ainsi, en priode normale, une banque centrale qui cherche maximiser une fonction d'utilit comportant deux objectifs de stabilit des prix et de stabilit relle doit utiliser ses instruments l'avance mais parvient sans doute ses fins l'aide des instruments traditionnels de taux d'intrt.

    Il n'en n'est plus de mme en cas de crise conomique et financire et ce pour trois raisons. La premire c'est le risque d'un effondrement financier qui se prsente trs vite ; lutter contre cette perspective devient alors la tche la plus urgente de la banque centrale. Elle doit ranimer les marchs de liquidit court terme et souvent se substituer ceux qui sont coincs en approvisionnant banques et oprateurs financiers en liquidits. La deuxime raison c'est qu'avec la force des vents rcessifs et la menace des effets cumulatifs que Frdric Mishkin (2009) appelle le "risque macroconomique" (ou acclrateur financier en mode ngatif) l'action des banques centrales doit tre massive et vite dcisive. On peut certes descendre les taux d'intervention jusqu'au niveau zro mais compte tenu des dlais d'impact, il n'est pas sr que cette descente suffise teindre l'incendie financier et contrer les vagues de pessimisme dbouchant sur la rcession. La troisime raison, c'est que de toute faon, lorsque la limite des taux nominaux nuls est atteinte, il faut bien trouver des mthodes non orthodoxes pour assurer le relais des actions classiques.

    Les actions non orthodoxes court-circuitent les mcanismes de transmission traditionnels ou les remplacent quand ils ne fonctionnent plus. Dans une interprtation en termes de taux d'intrt rels anticips "comptant pour la dpense", elles constituent le moyen de les faire baisser assez vite et sans que l'on touche au taux d'intervention nominal. Pour le voir, partons d'une quation simple emprunte Peter Howells et Iris Biefang-Frisancho Mariscal (2010) :

    Taux rels anticips moyen ou long terme = Taux nominal d'intervention + prime de terme et de risque anticipations d'inflation moyen et long terme

    Lorsque les taux nominaux butent sur la valeur 0, on peut toujours provoquer une lvation des anticipations d'inflation moyen et long terme ; on a aussi la possibilit de faire baisser la prime de terme et de risque en agissant directement sur les marchs d'obligations et des titres publics ou privs pour des chances longues. C'est ce qu'ont fait les banques centrales depuis 2007. Leurs achats, accompagns d'une cration de monnaie de base et de la progression spectaculaire des bilans, semblent avoir contribu :- suppler puis rtablir les marchs interbancaires. Les indicateurs de stress financier, par exemple l'cart entre l'EURIBOR et l'OIS (Overnight Indexed Swap), ont progress

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  • jusqu'en septembre 2008 puis explos de septembre 2008 mars 2009. La politique mene par la BCE a permis ensuite de les faire baisser et de les stabiliser. Des rsultats similaires ont t enregistrs ailleurs, l'effondrement du secteur bancaire ayant heureusement t vit.- par des achats directs, valoriser les titres dtenus par les organismes financiers et consolider l'actif de leurs bilans en cartant ainsi le spectre de l'insolvabilit.- viter le risque de dflation ; un passage par une inflation ngative renforce considrablement la valeur des taux rels d'intrt, alourdit les dettes et contribue rendre la dpression plus grave, selon des enchanements que mit jadis en lumire Irving Fisher. Or dans les annes rcentes et comme le confirme ci-aprs le Graphique 2 pour la Zone Euro, les taux d'inflation sont redevenus assez rapidement positifs.- maintenir approximativement les anticipations d'inflation, ancres autour de la valeur objectif, soit 2 %. Les enqutes d'opinion confirment ce rsultat, dont la porte est mesure par l'quation prsente plus haut. Le fait d'affirmer haut et fort la poursuite d'une politique de bas taux d'intervention pour les priodes futures ainsi que la constante disponibilit des politiques de "Quantitative Easing" aboutissent cette performance.

    Mais divers lments plus inquitants rvlent l'ambigut des mesures non orthodoxes.

    En 2007-2008, la Rserve fdrale des Etats-Unis a prsid au sauvetage de certaines banques ou institutions financire mais a laiss sombrer Lehrman Brothers et quelques autres, sans s'expliquer vraiment sur ses choix et sans qu'en soit perue la logique. Ce danger d'incohrence est inhrent la pratique discrtionnaire. Il peut se retrouver tout moment, si par exemple, une banque comme la BCE venait au secours d'un Etat de la Zone Euro et refusait d'en soutenir un autre avec des conditions semblables. Se posent alors le problme de la communicabilit des actions et celui de leur transparence, avec comme corollaire l'extrme nervosit que ce type de politique entrane dans les institutions ou les marchs financiers, au gr des rumeurs.

    On peut aussi penser que les initiatives hardies s'apparentant ce que la thorie montaire appelle des "surprises" auront de moins en moins d'impact au fur et mesure qu'elles se banaliseront. Par exemple, les politiques de "Quantitative Easing" menes un premier temps aux Etats-Unis n'ayant pas eu d'effet suffisant, il est apparu ncessaire d'en prvoir une deuxime fourne (QE2). Que se passera-t-il si l'impact obtenu est encore une fois dcevant ?

    Le risque est encore que ces politiques montaires non orthodoxes deviennent permanentes et en quelque sorte la faon ordinaire de mener la politique montaire. Le cas du QE 2 est plutt rvlateur dans la mesure o la croissance relle amricaine prvue en 2011 s'tablissait fin 2010 aux alentours de 3 %, c'est dire une prvision de progression apprciable sinon suffisante pour abaisser le taux de chmage. Que dans ce contexte, la banque centrale se sente oblige de faire "quelque chose" par 600 milliards de $ de cration montaire nouvelle est un signe inquitant. Dans le cas de la BCE, la stratgie de rachats de titres publics, mal supporte par ses dirigeants au cours de l'automne 2010, a t reconduite et dveloppe en fin d'anne sous la pression de la crise irlandaise. La BCE a mme du montrer des signes extrieurs d'enthousiasme et de persvrance pour rassurer les marchs. Une question se pose alors : les politiques non orthodoxes sont-elles rversibles et comment peut-on les anticiper clairement en harmonie avec les mesures plus classiques de taux d'intrt ?

    De plus, la politique montaire ne doit pas tre confondue avec la politique budgtaire ou la politique industrielle. Les actions d'achats de titres privs et publics moyen et long terme "mouillent" la banque centrale dans des oprations caractre sectoriel (par exemple les achats de titres reprsentatifs de crdits immobiliers ou supportant tel ou tel secteur industriel). Dans la Zone Euro, la BCE devient partie prenante la politique budgtaire des pays membres et le partenaire oblig des ngociations visant remettre de l'ordre dans leurs

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  • finances publiques ou d'instaurer un pacte de stabilit plus crdible. Comme son homologue amricaine, elle y joue donc une part de son indpendance. On l'a bien vu ce printemps 2011 lorsque l'ancien Ministre Irlandais des Finances, Brian Lenihan, a accus la BCE de s'tre montre insistante et partiale lors du sauvetage financier de novembre 2010.

    Enfin, toutes ces politiques non orthodoxes ont pour consquence de crer des problmes de hasard moral ; on le voit videmment lorsqu'on fait voler en clat la clause de "non secours" dans l'espace europen ou quand s'impose le principe "trop grand pour faillir". Les politiques non orthodoxes consistent apparemment venir au secours des dcideurs les plus coupables de ngligence, que ce soient les banques ou les Etats et plus ou moins proportionnellement l'tendue de leurs inconsquences. Elles contribuent maintenir ou gonfler l'endettement quand celui-ci est dj excessif et dans les secteurs o il a dj caus le plus de dgts [voir Douglas Diamond et Raghuram Rajan (2009)].

    Ces considrations ngatives aboutissent prconiser sinon la suppression des mesures non-orthodoxes, du moins leur confinement dans des situations d'urgence de risque financier avr, ainsi que la mise en place d'une procdure crdible de retrait progressif des actions en cours. Leur maintien comme mode d'action normal risquerait de remettre en cause la transparence et la crdibilit de la politique des banques centrales ; et de dtruire les acquis oprationnels des dernires dcennies.

    (3) Poursuivre l'inflation ne peut suffire : viser d'autres objectifs !

    Des politiques montaires mal avises ont t menes alors mme que les engagements classiques des banques centrales semblaient avoir t respects. Lorsqu'on se reporte aux annes cruciales 2001-2005, on note le succs des banques centrales dans le domaine de la stabilit des prix et mme dans celui de la stabilisation court terme de l'conomie. L'inflation amricaine a pris des valeurs toujours infrieures 3,3 % (maximum observ en 2005 et 2006) et la croissance conomique a t la fois forte et rgulire depuis la rcession de 2001.

    Graphique 2 Performance de stabilit des prix (Zone Euro)

    -1

    0

    1

    2

    3

    4

    2000 2002 2004 2006 2008 2010

    Inflation 1999-2010

    Ct europen, o les traits fixent la BCE l'objectif unique de stabilit des prix, la performance globale a t remarquable et l'objectif de 2 % d'inflation sinon atteint du moins approch dans toutes ces annes d'avant la crise (Graphique 2). Les dpassements de 2007 et 2008 s'expliquent par la hausse des prix ptroliers et ne concernent pas l'inflation sous-jacente.

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  • Selon les enseignements de la nouvelle synthse no-classique, certains ont prtendu qu'en recherchant la stabilit des prix on obtenait de surcrot la stabilit relle ; il faut bien convenir que l'exprience de la "Grande Modration" a paru un temps leur donner raison. Pourtant, en dpit de ses succs, la politique montaire a permis, voire prpar l'mergence des forces conduisant la crise. La simple poursuite de la stabilit des prix ne suffit pas carter les dangers d'instabilit qui menacent l'conomie mondiale. C'est un point soulign jadis par la thorie Hayekienne des cycles et manifestement perdu de vue au cours de la dernire dcennie. L'illusion caresse d'obtenir la stabilit financire ou relle par la seule recherche de la stabilit des prix s'est donc dissipe ; et avec elle, l'ide de ciblage strict d'inflation ! En consquence, les objectifs des banques centrales doivent tre redfinis et diversifis.

    Il s'agit avant tout d'viter les pousses spculatives et plus gnralement le dveloppement de dsquilibres insoutenables. D'abord, les tensions de ce genre doivent figurer comme argument dans les "fonctions objectif" des banques centrales, avec le taux d'inflation et l'cart de production, pour reprsenter la stabilit relle moyen et long terme ; elles doivent aussi apparatre dans leurs "fonctions de raction" aux cts de l'inflation prvue. Certes, jusqu' prsent, les banques centrales se proccupaient parfois des valeurs d'actifs mais l'intrieur d'un dispositif orient vers la stabilit des prix moyen terme et seulement dans la mesure o les pousses spculatives font crotre les prvisions d'inflation future. Aussi, moins d'imaginer qu'une pratique rigoureuse de la rgle de Taylor puisse conduire elle seule juguler les menaces pesant sur la stabilit moyen terme, conclusion implicite tire des dviations relates par John Taylor entre 2002 et 2005, il nous faut accepter la modification des fonctions de raction des banques centrales.

    Depuis quelques annes, on dbat pour dcider si les banques centrales doivent "prvenir ou gurir" ("lean or clean") les bulles spculatives en formation et la monte des risques financiers c'est dire s'y opposer en allant contre courant des marchs ou attendre leur clatement pour en attnuer les consquences. Mais l'alternative propose est vicie la base ds lors que la politique montaire concourt elle-mme aux forces de dsquilibre ; elle est donc implique d'emble et la banque centrale ne peut s'exonrer en prenant une posture d'intervenant extrieur. De plus, la perspective d'un traitement a posteriori (clean) associe la "Doctrine Greenspan" a l'inconvnient majeur d'encourager les prises excessives de risques de la part des acteurs financiers, banques et investisseurs. Enfin, les mesures prudentielles et rglementaires pour le secteur bancaire et financier risquent fort de ne pas suffire endiguer les volutions dangereuses. La gense et le droulement de la crise rcente ont donc manifestement tranch en faveur de la premire option. Ds lors se posent deux questions : contre quoi doit-on prcisment lutter et comment le faire ?

    Rpondre la premire est moins facile qu'il n'y parat car il ne s'agit pas simplement de cibler les pousses spculatives classiques la Bourse ou dans l'immobilier mais aussi les divers dsquilibres macroconomiques l'origine des crises ou susceptibles de leur faire prendre un tour catastrophique : insuffisance d'pargne nationale ; dficits et endettements publics ; dficits et endettement extrieurs ; risques et fragilit associe aux "caractristiques pro cycliques endmiques du systme financier" selon les termes employs par William White (2006) mais encore : dsquilibres relatifs entre pays constituant des zones d'intrts montaires et commerciaux et que vient lier entre eux des imbrications financires. Cette gamme de dsquilibres possde nanmoins un point commun : la monte de l'endettement et des risques associs. Frdric Mishkin (2010) souligne le fait en distinguant entre les bulles d'actifs "irrationnelles" que le crdit n'alimente pas et les bulles conduites par le crdit. Il prtend que les deuximes sont beaucoup plus dangereuses que les premires et appellent une raction. Il cite trois manifestations prilleuses de ce phnomne : l'expansion des dettes, la croissance du risque mal compens par des primes correspondantes et un plus fort effet de

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  • levier pour les institutions financires. Jean-Claude Trichet (2010) a repris intgralement cette analyse en l'appliquant aux rats de la reprise conomique au premier semestre 2010. Au plan macroconomique, la monte de l'endettement priv et public est un phnomne qui marque les priodes prcdant les crises. Tantt les agents privs s'endettent l'excs ("subprimes", emprunts immobiliers plus classiques, emprunts pour l'investissement des entreprises) sous l'effet d'une euphorie qu'alimente une survaluation de leurs revenus ou profits futurs, tantt les Etats dveloppent des dficits excessifs aboutissant des dettes publiques de moins en moins soutenables.

    Ceci nous permet d'envisager des rponses la deuxime question. Trouver des indicateurs que la banque centrale pourrait utiliser, voire mme les suivre comme cibles intermdiaires dans une stratgie dlibrment plus complexe que le ciblage de l'inflation prvue. On pense en premier lieu aux "indicateurs d'carts de crdit" tels qu'en ont proposs Claudio Borio et Philip Lowe (2002). Ils insistent sur le niveau de crdit atteint et le comparant une volution tendancielle de longue priode, ils considrent que des dpassements prolongs au del d'un seuil de + 5 % fait beaucoup crotre la probabilit d'une crise bancaire. Leurs ides ont inspir une recherche de cet "cart de crdit" dans la priode 2002-2008, montrant qu'aux tats-Unis ce seuil de 5 % avait t constamment dpass durant la priode (Bahrat Trehan 2009). De faon plus gnrale, Moritz Schularick et Alan M Taylor (2009), tudiant douze pays dvelopps aprs la deuxime guerre mondiale, ont montr que les expansions de crdit, plus que les expansions montaires, sont l'origine des crises financires.

    Dans ce contexte et pour en rester au cas europen, il conviendrait de repenser le "pilier montaire" que la BCE utilise pour clairer sa stratgie. Jordi Gali (2010) en suggre la transformation en "pilier de stabilit financire", l'volution des crdits remplaant celle des agrgats montaires de type M3 (dont le suivi lui parat peu convaincant). L'objectif vis se dplacerait lui-mme de l'inflation long terme vers la stabilit financire. Rien n'empche par ailleurs de recycler la croissance de la masse montaire comme l'un des lments de l'autre pilier. On aboutirait ainsi un dispositif deux vitesses dcal de celui de Stefan Gerlach : l'objectif de stabilit des prix et de stabilit relle court terme serait pris en charge par un premier pilier rel et montaire et l'objectif de stabilit financire ou plus gnralement "anti-crise", associ aux carts de crdit.

    Une autre rponse possible serait de suivre le dficit de la balance courante. On se rappelle en effet que ce dernier a pour quivalent l'excs d'investissement national sur l'pargne nationale, ce qui met en cause tout la fois l'volution des endettements public et priv. Un maintien prolong des dficits courants signifie donc un recours excessif l'emprunt. Certes, l'volution de cette grandeur ne peut tre scrute telle quelle puisqu'elle dpend aussi de facteurs de longue priode (une croissance de rattrapage qui peut tre considre comme saine). On peut multiplier les exemples de dpassements avrs, le plus connu tant sans doute celui des tats-Unis, de leur pargne nationale insuffisante et de leur endettement priv croissant ; les cas irlandais, espagnol, grec et portugais sont tout aussi spectaculaires. Jean Luc Proutat (2011) fait justement observer que les pays ayant actuellement les plus grandes difficults de dettes souveraines sont ceux qui subissaient des dficits extrieurs excessifs durant les priodes prcdentes. Les marchs de dettes publiques et prives ont des frontires poreuses. Dans un travail consacr au paradoxe de Feldstein-Horioka, j'ai eu l'occasion de montrer [Bernard Landais (2009)] que pour les pays dficitaires cits, une divergence brutale entre l'investissement national et l'pargne nationale s'est produite depuis la fin des annes quatre-vingt dix, bien au del de ce qui peut tre tolr pour des conomies en voie de convergence.

    Les rponses techniques ne sont pas encore disponibles mais la pertinence d'inscrire sparment un objectif d'endettement ou de dsquilibre modr, appuy sur

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  • l'une ou l'autre des mesures proposes dans la littrature s'avre une des leons majeures tirer de cette crise.

    (4) La politique budgtaire : de la permanence thorique aux incertitudes empiriques !

    Aux premiers temps de la crise conomique et financire, ds 2008 aux Etats-Unis et fin 2008 en Europe, la mise en uvre d'une vigoureuse politique budgtaire discrtionnaire est apparue ncessaire. Il s'agit l d'un retournement, surtout d'un point de vue acadmique. Depuis plusieurs dcennies en effet, rgnait un consensus thorique articul sur deux propositions : 1) les variations des grandeurs budgtaires et fiscales exercent un effet de stabilisation automatique profitable qu'il convient de laisser jouer chaque fois que possible ; 2) la politique budgtaire discrtionnaire est peu puissante, difficilement praticable et souvent inutile.

    La rupture s'est produite essentiellement chez les hommes politiques qui ont rejet le point 2 : certains d'entre eux n'ont gure eu le choix et ont d accorder des garanties leurs banques mises mal par la crise financire, allant parfois jusqu' les nationaliser. Les responsables ont galement pu considrer qu'ils devaient "faire quelque chose" pour rassurer des opinions publiques dsorientes. Ils ont alors t conduits mettre en musique le "retour de l'tat" et rhabiliter les ides keynsiennes. Cette posture pouvait tenter particulirement les gouvernements de la Zone Euro, dpourvus d'un outil montaire national indpendant. Enfin, on a pu douter de l'efficacit de la politique montaire, la baisse souhaitable des taux d'intervention risquant de buter assez vite sur la limite zro des taux nominaux ; certes, par la suite, ce doute a t lev grce aux politiques montaires non orthodoxes mais ce n'tait pas un fait acquis au dbut de la crise.

    Ainsi, des paquets de mesures budgtaires et fiscales ont t prpars en concertation, chaque pays tant invit participer la relance mondiale. Une liste des plans durant les annes 2009 et 2010 nous est propose par Tobias Cwik et Volker Wieland (2010-204) pour la Zone Euro. Compte tenu la fois les mesures fiscales et de dpenses publiques, leur ampleur varie d'un pays l'autre, plus forts en Espagne et en Allemagne (2,44% et 1,58% du PIB respectivement pour 2009) qu'en France (0,87%) ; hors Zone Euro, le Royaume Uni a mis en place un plan de l'ordre de 1% du PIB et les Etats-Unis d'environ 2%, la Chine atteignant 7% pour cette mme anne. Des dispositifs de plus faible importance ont t programms en Europe pour 2010, la relance tant limite d'emble ces deux annes. A l'inverse, les Etats-Unis avaient prvu de prolonger leur plan jusqu'en 2012 (ce qui n'est pas le cas finalement). Si dans l'ensemble la crise a incit les pays engager une politique discrtionnaire contra cyclique, il y a eu des exceptions. Ainsi, sous la pression de leurs dettes, L'Irlande, la Grce et quelques autres ont adopt ds le dpart une politique pro cyclique de baisse des dpenses et de hausse des prlvements.

    A l'heure des premiers bilans, des interrogations demeurent quant l'efficacit de ces politiques budgtaires discrtionnaires. Les deux piliers du consensus d'avant crise ne sont pas srieusement branls et les lments thoriques qui le fondent sortent plutt renforcs des vnements rcents.

    Stabilisation automatique

    La crise a renouvel l'intrt pour la stabilisation automatique ; on sait que la stabilisation automatique opre en rcession parce que la baisse de l'activit et des revenus rduit les recettes d'impts et accrot certaines dpenses de transferts, dans le domaine social notamment. Il en rsulte une rosion du solde budgtaire, indpendante de dcisions

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  • conscientes des pouvoirs publics et seulement due aux dispositifs fiscaux et sociaux en vigueur. Les agents conomiques en bnficient par un maintien partiel de leur revenu disponible ; dans la mesure o leur demande de biens de consommation est stabilise, cela favorise la stabilit de la production et de l'emploi. Ces mcanismes sont accepts par une majorit d'conomistes et leurs tudes pour les pays de l'OCDE voquent une rduction autour de 40% des fluctuations du produit intrieur brut [Xavier Debrun et Rhadika Kapoor (2010)].

    Mathias Dolls, Clemense Fuest et Andreas Peichl (2010) dcomposent le processus en calculant d'abord l'effet de stabilisation des revenus puis celui qui s'ensuit pour la demande globale. Dans le cas de l'Union Europenne, les deux effets figurent hauteur de 38% et 30% respectivement. Les chiffres amricains sont un peu plus faibles (32% et 20%) les consommateurs amricains tant considrs comme moins "keynsiens" (contraints) que ceux de l'Union Europenne.

    Les travaux rcents [Antonio Fatas et Ilian Mihov (2009)] confirment que la stabilisation automatique est effective, avec une corrlation internationale ngative entre la sensibilit nationale des soldes budgtaires et la volatilit du produit ; par exemple, l'Allemagne, les Pays Bas et la Belgique dont les sensibilits sont les plus fortes sont galement les pays les plus stables. A ct de la part de l'tat, la progressivit des systmes fiscaux, la couverture sociale en basse conjoncture et la part des consommateurs "contraints" par leur revenu disponible expliquent les diffrences nationales observes.

    Selon les plans tablis par les pays du G20, l'ampleur des dficits supplmentaires attendus pour l'anne 2009 avoisinait 4,5% de PIB. La prvision relative des deux catgories d'action budgtaire tablait sur 1,5% pour la politique discrtionnaire contre une volution automatique de l'ordre de 3%. C'est dire l'importance relative de cette dernire, du moins dans les valuations faites au dbut de la rcession.

    A notre niveau, nous cherchons prciser la sensibilit des soldes budgtaires de 16 pays (14 pays europens plus le Japon et les tats-Unis) en soulignant le fait que la stabilisation automatique n'est pas instantane ; on peut observer la raction des soldes sur une priode habituelle de deux ans ; de nombreux impts ne sont perus qu'avec retard (exemple de l'impt sur le revenu) et les dispositifs sociaux sont parfois lents oprer. Le Tableau (I) ci-dessous reprend les principaux rsultats trouvs l'aide de donnes portant sur les dernires dcennies selon le modle suivant :

    Solde budgtaire(t) = 1 + 2 dq(t) + 3 dq(t-1) + t o dq(t) et dq(t-1) reprsentent le taux de croissance du PIB rel en anne t et t-1

    La sensibilit totale du solde (exprime en points de PIB) peut donc tre mesure par la somme des deux paramtres estims de cette relation. Ainsi, pour la France, une rcession caractrise par une croissance de 4 points infrieure la normale (ce qui correspond en gros la ralit) provoque une dtrioration mcanique du solde budgtaire de l'ordre de 2 points de PIB la premire anne et de 2,4 points de PIB l'anne suivante.

    Ici, l'information la plus intressante est le fonctionnement dcal (ou tal) de la stabilisation automatique. Ainsi, au cours de la crise rcente, l'anne 2009 n'a pu en bnficier plein, en raison de la soudainet de la rcession, commence seulement fin 2008 (sauf aux USA). L'impact de celle-ci sur le solde budgtaire s'est au contraire marqu plus compltement en 2010 ce qui, paralllement aux politiques discrtionnaires, a renforc la monte des dettes publiques au mauvais moment.

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  • Tableau I Sensibilits des soldes budgtaires aux fluctuations du produit2 3 2 3

    ALL 0.31** 0.26** IRL 0.49** 0.35**

    AUT 0.18 0.17 ITA 0.36** 0.14

    BEL 0.41** 0.15 JAP 0.52** 0.54**

    DAN 0.22** 0.39** PBA 0.37** 0.35**

    ESP 1.20** 0.52* POR 0.17 0.26

    FIN 0.31** 0.43** RU 0.23* 0.33**

    FRA 0.47** 0.60** SUE 0.26* 0.40*

    GRE 0.71** -0.31 USA 0.31** 0.40**

    Jusqu' prsent, il n'existe pas de travaux statistiques ayant mesur a posteriori la contribution de la stabilisation budgtaire automatique au cours de la crise rcente mais la plupart des observateurs ne la remettent pas en cause. Nanmoins, nous devons aussi tenir compte des consquences dommageables du creusement spontan des dficits dans de nombreux pays ayant dj accumul une dette publique leve. La drive automatique des soldes budgtaires en 2009 et 2010 ainsi que l'effet "boule de neige" anticip du service des dettes, ont accentu les craintes relatives la soutenabilit des positions budgtaires et aggrav les tensions graves sur les marchs financiers en 2010. L'efficacit stabilisatrice de la politique budgtaire prise globalement en a t affecte car les dpenses de consommation sont en partie conditionnes par les anticipations de revenus nets futurs.

    La politique discrtionnaire

    Le bilan des mesures discrtionnaires dcides en 2008 et 2009 est particulirement dlicat tablir. De nombreux travaux de simulation ont t entrepris a priori l'aide de modles de diffrents types mais les valeurs de multiplicateurs qu'ils fournissent ne font que reflter leur mode de construction. C'est ainsi que, sans surprise, les modles d'obdience keynsienne traditionnelle, souvent privilgis par les gouvernants, ont prvu que les paquets de mesures budgtaires auraient des effets sensibles sur l'activit et l'emploi dans la priode de rcession ou de reprise, avec des multiplicateurs pouvant monter jusqu' 3 (pour un surcrot de dpenses publiques dans un contexte"anormal" de rationnement du crdit).

    D'autres modles inspirs de la "nouvelle synthse" no-classique (ou no-keynsienne) prvoient des impacts beaucoup plus faibles, le plus souvent infrieurs 1. Tobias Cwik et Volker Wieland (2010) ont compar pour l'Union Europenne les rsultats de simulations partir de divers modles. Partant des programmes de relance budgtaire prvus en 2009, ils font apparatre des effets d'viction sensibles sur l'investissement et la consommation privs, plus forts moyen qu' court terme et systmatiques quand les prvisions sont faites partir des modles no-keynsiens intgrant des comportements prospectifs. La seule exception d'effet d'entranement positif est constate pour le cas du modle largi de la BCE dont les caractristiques sont clairement keynsiennes (non

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  • prospectif). Le multiplicateur final trs court terme oscille entre 0,74 et 1,31 l'horizon d'une anne et entre 0,57 et 0,86 l'horizon de quatre ans (pour 2013).

    Enfin, les tenants de l'analyse noricardienne, tels Robert Barro (2010), ont prtendu ne pas pouvoir compter sur des valeurs suprieures zro dans le cas des mouvements de dpenses civiles. Les dbats se sont aussi focaliss sur la structure des plans de relance et en particulier sur les performances compares des baisses d'impt et des dpenses supplmentaires. Mme si ces dernires sont couramment juges plus efficaces, certaines tudes [par exemple celle de David et Christina Romer (2009)] aboutissent des conclusions inverses.

    Les estimations appuyes sur des analyses purement statistiques (VAR ou formes rduites) apportent aussi une certaine lumire sur les effets de la politique discrtionnaire. Un travail du FMI [Brieuc Montfort (2009)] entrepris sur ces bases pour la France, situe le multiplicateur des dpenses publiques, un an aprs une impulsion, entre 0,40 et 0,62, avec des multiplicateurs de baisse d'impts quasiment nuls. Faut-il encore admettre que ces chiffres, tablis l'aide d'un VAR structurel calcul sur la priode 1978-2007, sont appropris l'pisode 2009-2010, ce qui pose un problme de stabilit proche de la fameuse "critique de Lucas" ; de plus, nous manquons encore de recul pour apprcier en entier la squence temporelle des effets observs, alors que les programmes envisags en 2009 ne sont pas encore compltement achevs et dans certains cas (USA par exemple) ne le seront probablement jamais.

    De fait, comme dans bien d'autres pays, les "paquets budgtaires" n'ont t mis en uvre qu'avec un certain retard, renouvelant ainsi les doutes sur la possibilit pratique de ragir assez rapidement aux menaces de rcession en utilisant cet outil. Glenn Hubbard (2009) signale que sur le total du plan de relance amricain d'Obama, dnomm ARRA (American Recovery and Reinvestment Act) et prvu 787 milliards de dollars, seuls 21 milliards ont t raliss durant l'anne fiscale 2009 ; la relance franaise de la mme poque a aussi t mise en oeuvre avec un dlai important. De toute vidence l'arrt de la rcession et le dbut de reprise de l't 2009 ne leur doivent rien, sauf peut tre considrer leur impact psychologique et naturellement les dispositions destines bloquer la crise bancaire.

    Un test en vraie grandeur

    Seules certaines actions du gouvernement US, bien dlimites en temps et en intensit ont fait l'objet d'une valuation a posteriori permettant de juger de leur efficacit. Nous insistons sur le travail effectu par John B Taylor et quelques autres auteurs amricains pour mesurer l'effet des mesures prises au printemps 2008 par l'Administration Bush. Il s'agissait de remises d'impt et autres allocations aux personnes d'un montant total de plus de 100 milliards de dollars, distribues prs de 130 millions de bnficiaires. Une forte augmentation de leur revenu disponible apparat sur le Graphique 3 ci dessous au milieu de l'anne 2008. La raction de la consommation des mnages est quasiment nulle, ce qui met en cause l'existence mme d'un effet multiplicateur. Le "paquet" de 2009 (Obama) aurait eu un impact un peu suprieur mais surtout d aux mesures de "prime la casse".

    La thorie noricardienne peut donner l'explication de cet chec de la politique budgtaire de relvement du revenu disponible par des baisses d'impts. Dans cette exprience de 2008, on dispose aussi des rsultats des sondages que rapportent Matthew Shapiro et Jol Slemrod (2009). Les bnficiaires ayant t interrogs, il ressort qu'environ 20% d'entre eux envisageaient d'accrotre leur consommation tandis que les 80 % restants s'apprtaient pargner le montant ou l'utiliser pour se dsendetter. Ce type de comportement est compatible avec l'ide que les perspectives de dpenses des consommateurs

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  • (ici amricains) dpendent fortement de leur richesse nette anticipe laisse inchange par ce type d'action budgtaire.

    On pourrait rtorquer qu' dfaut de provoquer une reprise immdiate de la consommation et des affaires, une telle politique assure un effet bnfique de restauration des bilans des mnages et facilite la remise en ordre ultrieure ncessaire. Encore faudrait-t-il alors peser ce qui est ainsi gagn du ct des agents privs et ce qui est perdu du ct public par l'alourdissement correspondant de la dette.

    Graphique 3 Impact des remises d'impt sur le revenu disponible et la consommation aux Etats-Unis

    [Source John B Taylor(2010)]

    En ce qui concerne les dpenses supplmentaires prvues par le plan de 2009, Robert Barro (2010) consent envisager un impact positif global sur le PIB de l'ordre de 300 milliards tal sur les annes 2009 et 2010. Ceci correspondrait un multiplicateur moyen de 0,5 (les dpenses envisages s'levant 600 milliards), c'est dire aussi un effet d'viction des dpenses prives de la moiti du stimulus. Mais l'histoire ne s'arrte pas l car la ncessit de financer ce stimulus par des impts supplmentaires au cours des annes suivantes conduit envisager des consquences ngatives importantes sur les valeurs du PIB aprs 2010. Ce phnomne d'influences successivement positives puis ngatives est d'ailleurs observ de faon assez gnrale [voir par exemple le "ct obscur" de la politique budgtaire dcrit par Holger Strulik et Timo Trimborn (2011)].

    Il serait certainement prsomptueux de gnraliser le scepticisme l'gard de l'efficacit de la politique budgtaire discrtionnaire partir de l'tude de la seule politique amricaine. Pourtant, il n'y a pas de signe inverse de succs marqu de ce type d'actions. Les thories budgtaires d'avant la crise n'ont pas reu de dmenti clatant de l'une quelconque des expriences tentes et les deux principes exprims au dpart restent d'actualit. Les effets d'viction, le rle des anticipations, l'effet contrariant des dettes publiques trop vite accumules sont des raisons plausibles de l'influence modeste des politiques budgtaires. Nanmoins, cette conclusion n'est pas dfinitive et c'est sans doute

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  • dans le domaine de la politique budgtaire que les tudes rtrospectives menes dans un proche avenir, notamment pour apprcier a posteriori les impacts des politiques mises en uvre pendant la crise, devrait apporter le plus d'informations nouvelles.

    (5) Zone Euro : un problme, la politique montaire ; une solution, la politique budgtaire ?

    Un groupe de pays de la Zone Euro (Grce, Irlande, Portugal, Espagne) rassemble les conomies qui s'avrent actuellement les plus fragiles, celles aussi qu'affecte le plus la crise financire publique. A cet gard, la Banque Centrale Europenne doit tre considre comme responsable mais pas coupable.

    Responsable, parce qu'elle a pratiqu une politique unique qui ne convenait manifestement pas aux pays faisant plus d'inflation que la moyenne et exhibant des "carts de production" positifs ou nuls. Une tude de Jim Lee et Patrick Mac Crowley (2009) cherche ainsi valuer les "stress" causs par la politique montaire pour certains pays de la Zone Euro. Ils font d'abord observer que quatre pays, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal et les Pays Bas ont connu des taux d'inflation de l'ordre du double des autres au cours des annes 2001-2005. Dans ces conditions, les taux d'intrt rels s'y sont trouvs prs du zro et souvent ngatifs (selon Eurostat, en moyenne sur la priode 1999-2007, les taux d'intrt rels les plus bas de la zone ont t respectivement de 0,5% pour l'Irlande, 0,8% pour l'Espagne, 1% pour le Portugal, 1,1% pour la Grce et 1,4% pour les Pays Bas contre 2,1% pour la France et 2,3% pour l'Allemagne et la Finlande par exemple) incitant du mme coup dvelopper les crdits, l'endettement priv, les prises de risques financiers et nourrissant ainsi la bulle immobilire et l'hypertrophie bancaire. Se livrant ensuite des simulations sur ce qu'aurait t une politique montaire adapte aux conjonctures particulires des pays de la zone les auteurs observent que de fortes diffrences existent entre ce qui a t effectivement dcid par la BCE et ce qu'aurait donn des calculs de "ractions de Taylor largies" adaptes aux situations propres chaque tat. Une diffrence du mme ordre existe entre la politique de la BCE et celles qu'auraient men les divers pays s'ils avaient respect leurs propre fonctions de raction montaire d'avant 1999. Seules chappent ce constat la France et l'Allemagne, le cur conomique de la Zone dont la situation semble avoir servi de rfrence aux actions de la Banque Centrale Europenne. Au total, concluent les auteurs, parce que les conomies de la Zone Euro ont connu des volutions non synchronises, les actions de la BCE, qui auraient pu tre convenables pour l'ensemble, ont t trop laxistes pour les membres forte croissance comme l'Irlande et la Grce mais trop dures pour les pays en stagnation comme l'Italie.

    Pas coupable, parce que la BCE ne pouvait faire autrement qu'elle n'a fait. Elle ne peut videmment pas concilier une politique montaire unique avec la diversit des situations conjoncturelles. Sont directement en cause ici les principes mmes de cration de la Zone Euro en l'absence de mcanismes correcteurs des disparits de croissance. Ajoutons que l'objectif souhait de convergence des niveaux de vie au sein de la zone et plus gnralement en Union Europenne conduit logiquement accepter de telles disparits et se rvle donc peu compatible avec la conduite d'une politique montaire unique. On connat les difficults distinguer la croissance potentielle et l'expansion de la production court terme, les pousses d'optimisme et spculatives dues la premire ayant pour effet d'alimenter la seconde. Cet objectif implique aussi l'existence de dsquilibres extrieurs courants au sein du groupe de pays et la mise en mouvement durable de capitaux. Normalement, les conomies les plus pauvres s'endettent tandis que les plus riches se lient financirement leur sort en leur accordant des crdits (actuellement, l'exposition des acteurs Allemands, Franais ou Britanniques aux risques grecs, portugais ou irlandais en est le symptme). C'est un des

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  • aspects tardifs de la crise de 2007-2011 en Europe dont l'origine peut tre attribue la politique montaire et la monnaie uniques.

    Derrire ces constatations, figure la discussion que suscite la thorie des Zones Montaires Optimales, initialement propose par Robert Mundell. Comment raliser l'ajustement relatif des diverses conomies d'une zone, places dans des situations conjoncturelles contrastes (ventuellement aggraves comme ci-dessus par la politique montaire unique) en l'absence de variation des changes et d'autonomie de la politique montaire ? Puisqu' l'vidence la flexibilit et la mobilit du facteur travail ne sont pas suffisantes en Europe pour apporter la solution adquate, il reste la possibilit que celle-ci soit fournie par les enchanements de politique budgtaire, soit sous sa forme communautaire soit sous sa forme nationale indpendante. On sait depuis longtemps que le budget europen tant trop restreint pour fournir une "co-assurance" suffisante, seules les politiques nationales sont capables de donner une solution. Y sont-t-elles parvenues avant la crise et ont-elles permis de ressouder les conjonctures au cur de celle-ci ? Tout indique que ce n'est pas le cas !

    La politique budgtaire des pays gagns par la surchauffe et la spculation au cours des annes 2002 2007 n'a pu les contrarier de faon significative. En fait, compte tenu des attitudes parallles du secteur priv, la politique budgtaire s'est avre insuffisamment ou pas du tout anticyclique. Ce constat est pertinent aux deux extrmits de la fourchette des conjonctures nationales.

    Dans le cas des pays euphoriques faible taux d'intrt rel, la politique budgtaire discrtionnaire ne s'est pas montre assez restrictive. Certes, dans des pays comme l'Espagne et l'Irlande, les comptes publics ont t quilibrs ou en excdent sous l'effet des stabilisateurs automatiques (fortes recettes d'impt) mais cet effet n'a pas t suffisant pour effacer la progression de la demande et de la dette prives. D'autres pays comme la Grce ou le Portugal ont connu des dficits publics dj levs, manifestant ainsi une orientation pro cyclique de la politique budgtaire. Au total, si l'on prend comme critre (et ventuellement objectif) la valeur du dficit courant extrieur, celui-ci a atteint des niveaux trs levs indiquant soit l'ampleur de la dspargne publique soit une pargne publique insuffisante pour effacer l'endettement priv (li en particulier aux bulles immobilires).

    Pour les pays en expansion lente, le raisonnement reste valable tout en s'inversant. Les pays du Nord de l'Europe (Allemagne et Pays-Bas par exemple) ont men une politique budgtaire parfois expansionniste mais insuffisante compte tenu de la valeur leve de l'pargne prive. Il en est rsult une situation d'excdents extrieurs permanents accompagns d'une stagnation du PIB. L encore, au del de la stabilisation automatique, les politiques budgtaires discrtionnaires se sont avres trop timides pour corriger le dsquilibre relatif.

    Ainsi, les politiques budgtaires prvalant avant la crise se sont avres trop faibles ou carrment procycliques, s'interdisant ainsi de faciliter la convergence des conjonctures au sein de la Zone Euro. S'y ajoute une consquence nfaste supplmentaire pour certains pays, d'aucuns ayant ainsi accumul des dettes publiques et extrieures dangereuses, les autres s'tant lis aux premiers en accumulant des crances et leur exposition aux risques bancaires ou souverains. Enfin, eussent-elles t correctement orientes et compte tenu des faibles multiplicateurs, les politiques budgtaires nationales n'auraient probablement pas eu la force ncessaire pour resserrer les rangs des conomies de la Zone.

    Une fois la crise dclenche, les conjonctures durablement les plus dprimes ont t justement celles des pays euphoriques d'avant 2007. A l'inverse, l'Allemagne a pu bnficier d'une reprise rapidement plus dynamique et d'un chmage plus faible. Clemente De Lucia (2011) signale qu'en ces temps de crise, la dispersion des conjonctures s'est accentue au sein de la Zone Euro. Les pays qui auraient eu besoin de la politique budgtaire la plus expansionniste ont t ceux l mmes qui ne pouvaient pratiquement plus la mettre en uvre.

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  • Dans ce contexte, on ne peut donc esprer des politiques budgtaires nationales un quelconque effet d'ajustement relatif. De Lucia se pose alors la question de savoir si la Zone Euro mrite bien le label de "Zone Montaire Optimale".

    Devant ce constat pessimiste quant au rle rquilibrant de la politique budgtaire, on pourrait faire valoir les efforts actuels de solidarit financire au profit des pays en difficult. La mise en place de plans impliquant la fois l'Union Europenne, le FMI et la BCE (la "Troka") dans le cadre du FESF (appel devenir le MES, Mcanisme Europen de Stabilit) signifie bien une extension de la solidarit entre pays de la Zone avec pour but la ralisation des plans de sauvetage des finances publiques. Outre le fait que ces procdures ne sont pas assures du succs, elles ne constituent pas en elles-mmes un mcanisme d'ajustement relatif des conomies appeles former durablement une Zone Optimale. Les difficults rcurrentes de l'conomie grecque sont l pour nous le rappeler en ce printemps 2011 o est mis en place son intention un plan de financement complmentaire. On y chercherait en vain une raison d'esprer la reprise de l'conomie grecque ou la reconqute de sa comptitivit, d'o la menace de plus en plus prcise de retrait de la Grce. Trs certainement utiles, les mesures de sauvetage financier n'ont pas de rapport direct avec le rquilibrage relatif indispensable. Cette question apparat aussi trs clairement dans le cas de l'Irlande, fortement incite renoncer l'une de ses meilleures chances d'expansion (le faible taux de son impt sur les socits) pour bnficier pleinement des "largesses" financires europennes d'un plan de sauvetage plutt subi que demand. Ainsi, les dispositifs de solidarit financire a posteriori, pas plus que les politiques budgtaires nationales, ne sont la solution aux problmes de cohsion conomique de la Zone Euro.

    (6) Zone Euro : autre problme, la politique budgtaire ; autre solution, la politique montaire ?

    A partir de 2010, les regards se sont tourns vers les dficits des finances publiques et l'ampleur des dettes. Ce phnomne a touch tous les pays et se trouve conforme ce que l'on savait des consquences d'une crise conomique "associe" une crise bancaire. De l'tude mene par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2009) il ressort en effet que les dettes publiques ont progress en moyenne de 86 % pendant les trois ans suivant une crise financire au cours des divers pisodes historiques illustrant cette association (divers pays entre 1977 et 1998). La crise de 2008 ne fait pas exception la rgle ; les finances publiques europennes non plus ! En tmoignent les chiffres du Tableau II ci dessous.

    Tableau II Dette publiques en pourcentages du PIB : volution entre 2007 et 2010

    FRA ALL ITA POR ESP GRE RU IRL PBA USA2007 64 65 103 64 36 105 44 25 45 622010 83 76 119 83 64 140 80 97 65 92

    Avant que le mouvement soit arriv son terme, on voit dj la forte progression des dettes, certaines d'entre elles, en Espagne ou en Irlande par exemple, s'avrant trs spectaculaires. Des craintes trs vives pour la soutenabilit des politiques budgtaires en sont une consquence naturelle, d'autant qu'aprs avoir fait preuve d'une grande discrtion (coupable ?) les marchs financiers et les agences de notation sont devenus brusquement hyper-ractifs aux situations risques. L'volution des dettes tombe d'autant plus mal qu'avec

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  • la perspective du vieillissement de la population, les finances publiques des pays dvelopps se plaaient d'emble dans une perspective de difficults long terme.

    On a vu par ailleurs que l'augmentation des dettes a t gnralement plus subie que voulue, soit sous l'effet des stabilisateurs automatiques soit sous la pression des ncessits du sauvetage du systme bancaire mis mal par la crise. On sait galement que cette monte de l'endettement public est l'origine d'une perte d'efficacit de la politique budgtaire conjoncturelle cause des comportements "noricardiens" ou "rationnels" des agents.

    Quoiqu'il en soit, l'un des phnomnes majeurs apparus en Zone Euro (et pas seulement) depuis 2009, est l'accumulation de risques lis la dette souveraine d'un certain nombre de pays membres, trois petits pays dj sous les feux de l'actualit et deux ou trois autres pays plus grands susceptibles de s'y trouver bientt. Les mcanismes du FESF et la rnovation du Pacte de Stabilit (MES) tentent ou vont tenter d'y faire face. Des voix s'lvent pour prdire qu'ils n'y suffiront pas et que des restructurations de dettes sont devenues invitables. Elles auront des effets de contagion dvastateurs, tant pour les tats que pour les systmes bancaires de l'Union Europenne et d'ailleurs (les dettes publiques tant largement dtenues par des agents non rsidents). Voici donc l'autre problme budgtaire dont nous avons discuter ici.

    Sans examiner toutes les facettes de ce nouveau problme et toutes ses solutions envisageables, nous cherchons voir comment la politique montaire pourrait s'y adapter au mieux. Si l'on recense les divers aspects de l'influence exerce par les banques centrales sur les politiques et grandeurs budgtaires, on peut en trouver principalement trois, chacun d'entre eux ayant t mis en lumire au moment de la crise rcente. Ces trois aspects ont en commun le laxisme des politiques montaires concernes.

    (1)Les politiques de baisse des taux d'intervention (politiques orthodoxes) entranent de

    proche en proche la baisse de la gamme des taux et par consquent aussi ceux des financements publics. La politique budgtaire en est facilite deux points de vue.

    Tout d'abord, les sommes consacres au service de la dette se rduisent, dans une mesure difficile dterminer et variable selon les pays et la structure (par exemple taux fixes ou taux variables) de l'endettement public. L'abaissement des taux d'intervention en Europe depuis 2008 a entran un fort effet de ce type au profit des gouvernements engags dans des dficits accrus et des dettes publiques leves. Le point haut des taux des obligations d'tat 10 ans en Zone Euro se situe au troisime trimestre 2008 4,57 % ; le point bas apparat au troisime trimestre 2010 3,45 %. Le mouvement s'est renvers ensuite sous l'effet de la crise financire publique de 2010 ; il diffre d'ailleurs d'un pays l'autre selon les situations particulires, les taux tant continment moins levs en Allemagne et en France par exemple.

    Ensuite, comme nous l'apprend le modle simple IS-LM, le maintien des taux d'intrt un bas niveau concerne plus ou moins l'ensemble des taux pratiqus dans l'conomie. Il contribue donc minorer les effets d'viction et renforcer la valeur des multiplicateurs budgtaires et fiscaux en attnuant l'impact de la concurrence des emprunts publics et privs sur les marchs financiers. Cet effet a forcment jou en faveur de la relance durant ces annes. S'y ajoute le fait qu'en soutenant la conjoncture, la politique montaire expansionniste stimule les rentres fiscales et rduit les dficits ex post par le jeu des stabilisateurs automatiques. La progression de la dette publique s'en voit ralentie d'autant.

    Mais la poursuite d'une politique taux d'intrt rels bas par la banque centrale n'est pas envisageable de faon permanente si elle prtend atteindre un objectif d'inflation lui-mme fix plutt bas (la politique actuelle aux tats-Unis est-elle une exception ?). Ceci nous repousse au point 3 ci-dessous.

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  • (2)Les mesures non orthodoxes prises par la BCE ou par d'autres banques centrales ont

    souvent consist en achats de titres publics assortis de cration de monnaie de base. Dans le cas europen, ces achats se sont principalement faits au profit des pays en difficult budgtaire aigu et pour des montants avoisinant 100 milliards d'euros. Cet effort a contribu maintenir une certaine confiance et rduire quelque peu les primes de risque demandes par les marchs pour prter ces pays. En agissant ainsi, la BCE a jou un rle de sauveteur auquel les textes europens ne la prdisposaient pas. Nous avons vu quel point l'implication de la BCE dans ce type de mesures pouvait s'avrer dangereuse et ne devrait pas perdurer au del des priodes de crises aigus. La BCE affirme vouloir effectivement s'en dgager !

    (3)Enfin, sur le long terme, une banque centrale facilite la soutenabilit des politiques

    budgtaires en tolrant une inflation plus forte et une progression plus rapide du revenu nominal. Ceci a pour effet mcanique de rduire le rapport de la dette publique au PIB, selon un enchanement bien connu et frquemment observ avant 1980. Face des dettes publiques valeur nominale inchange, la hausse des prix rduit la valeur relle des dettes. C'est un aspect qu'on associe souvent l'ide de "rpression financire", en particulier parce que cela "pige" les pargnants et les banques ayant fait confiance l'tat, par ce qu'il faut bien appeler une "restructuration rampante". Carmen Reinhart et Belen Sbrancia (2011) signalent en effet que la rpression financire est plus efficace quand elle s'accompagne d'une bonne dose d'inflation. Dans ce cas, on observe assez souvent des intrts rels ngatifs. S'intressant aux cas amricain et britannique pour la priode 1945-1980, ils valuent 3 4 points de PIB par an la rduction de dette publique obtenue par ce moyen.

    Pour la Zone Euro, la politique montaire aurait donc un attrait tout particulier pour les pays o la dette publique est exagre (ce qui est la majorit des cas). Ceci impliquerait que la BCE renonce l'objectif de 2 % d'inflation et le porte une valeur plus leve. C'est une proposition qui a t tudie par des auteurs du FMI, Olivier Blanchard, Giovanni Dell'Ariccia et Paolo Mauro (2010) qui voquent par exemple le passage un objectif de 4 % pour les banques centrales. A vrai dire, leur proccupation dans cet article tait plutt de donner de l'air la politique montaire dont les taux d'intervention nominaux sont susceptibles de se heurter la limite zro. A ce seuil, une perspective d'inflation de long terme de 4 % est plus susceptible de produire les taux anticips d'intrt rels ngatifs requis par une situation de forte crise. Faut-il reprendre cette proposition pour roder les dettes publiques ? C'est une question laquelle on ne devrait pas donner d'emble une rponse ngative.

    On le devrait d'autant moins qu'en considrant plus haut le problme d'ajustement relatif dans la Zone Euro, on a t frapp par l'absence de mcanisme rquilibrant efficace. Comment faire pour qu'un pays moins comptitif, ne disposant plus d'une monnaie indpendante dvaluer et subissant des cots unitaires de production trop levs (comme c'est actuellement le cas de beaucoup en Europe) puisse amliorer sa comptitivit relative? Quand l'on sait quel point les salaires nominaux sont rigides la baisse, il n'y a de chance d'assainissement que si les pays en cause peuvent envisager une volution nominale (salaires et prix) positive mais significativement infrieure celle de leurs voisins les mieux lotis. Ceci n'est possible que si la moyenne de ces mouvements au plan de la Zone est assez leve ; l'objectif de 2 % n'offre manifestement pas une opportunit de fourchette assez ouverte.

    Puisque l'ensemble des pays de la Zone Euro connaissent une progression inquitante de leurs dficits extrieurs (hors Allemagne), une politique montaire qui tiendrait compte du taux de change de l'euro serait srement l'un des moyens de redonner aux pays en difficult un regain de comptitivit internationale. Les Etats-Unis et la Chine ne doivent pas tre les seuls

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  • s'opposer l'apprciation de leurs monnaies. En entretenant une proccupation de ce type, la banque centrale ne contredirait nullement son nouvel objectif de maintenir le l'endettement national dans des limites raisonnables, bien au contraire. La recherche de moindres dficits extrieurs courants est dans la droite ligne des recommandations concernant la ncessit d'viter les bulles d'endettement moyen et long terme.

    A cet autre problme que constitue la monte des dficits et des dettes publiques la politique montaire de la BCE a les moyens d'apporter une solution facilitant de surcrot l'ajustement relatif au sein de la Zone Euro. Moins de rigueur dans la dfinition de l'objectif d'inflation, une attention plus grande la valeur extrieure de l'euro, seraient les formes durables du laxisme montaire destines huiler les rouages du dispositif conomique et montaire europen. Sans s'engager compltement sur cette perspective, on peut nanmoins recommander de faire nouveau le calcul compar des cots de l'inflation et de ceux des dsquilibres majeurs qu'exprime la crise profonde de la Zone.

    Bernard Landais Mai 2011

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