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Motivation à apprendre, émotions et autorégulation affective en classe Greta Pilgrims, sciences de l'éducation, université de Genève. Essai de réponse au questionnement sur les élèves qui s'engagent peu dans leurs activités et qui mettent en place des stratégies d'évitement de la tâche (ce que les anglophones appellent le COPING, l'équivalent n'existe pas en français). 1 Définition de la motivation: Souvent, pour les enseignants, la motivation se réduit à ces deux éléments observables: L'engagement (versus l'évitement) La persévérance (versus le désengagement) En réalité, c'est un ensemble de facteurs individuels et contextuels (situationnels) qui vont rendre compte de ces observables. Il y a : des facteurs sociologiques des variables cognitives (connaissances préalables, compétences et procédures pour s'engager) des facteurs individuels (affectifs, capacité d'autorégulation) des facteurs contextuels, situationnels (le rapport à l'école, à l'écrit, varie en fonction de l'environnement familial) des facteurs émotionnels (la confiance, versus la peur de l'échec) Il n'y a pas toujours de corrélation entre l'engagement ressenti par l'élève et l'engagement observé. Ce n'est pas problématique pour les bons élèves dont on pense qu'ils sont très investis alors qu'ils ont l'impression d'avoir peu écouté, ou peu fait d'efforts. Cela l'est en revanche pour ces élèves en difficulté qui ont le sentiment de s'engager au maximum dans la tâche et de fournir un travail énorme, alors que l'enseignant ne le perçoit pas. Pour que la situation reste vivable, ils peuvent spontanément rabaisser le niveau d'exigences et le critère à atteindre (par exemple en concentrant son attention sur les deux premières phrases de la dictée préparée)... attention aux messages qu'on induit. L'ensemble des facteurs individuels et contextuels (situationnels) va rendre compte des intentions d'action des élèves: Intention d'apprendre, d'accomplir la tâche Intention de coping, d'évitement de la tâche des émotions éprouvées en situation scolaire. La motivation n'est pas une dimension psychologique. C'est un fourre-tout, pour mettre tous les comportements dans et hors rapport à ce qui est attendu. Pour la définir, il vaut mieux chercher à comprendre et à expliquer les facteurs situationnels, contextuels et émotionnels qui expliquent ce comportement. Le coping est l'ensemble des stratégies d'ajustement de l'élève pour répondre à une situation vécue comme dangereuse.

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Motivation à apprendre, émotions et autorégulation affective en classe Greta Pilgrims, sciences de l'éducation, université de Genève.

Essai de réponse au questionnement sur les élèves qui s'engagent peu dans leurs activités et qui

mettent en place des stratégies d'évitement de la tâche (ce que les anglophones appellent le

COPING, l'équivalent n'existe pas en français).

1 – Définition de la motivation:

Souvent, pour les enseignants, la motivation se réduit à ces deux éléments observables:

L'engagement (versus l'évitement)

La persévérance (versus le désengagement)

En réalité, c'est un ensemble de facteurs individuels et contextuels (situationnels) qui vont rendre

compte de ces observables.

Il y a :

des facteurs sociologiques

des variables cognitives (connaissances préalables, compétences et procédures pour

s'engager)

des facteurs individuels (affectifs, capacité d'autorégulation)

des facteurs contextuels, situationnels (le rapport à l'école, à l'écrit, varie en fonction de

l'environnement familial)

des facteurs émotionnels (la confiance, versus la peur de l'échec)

Il n'y a pas toujours de corrélation entre l'engagement ressenti par l'élève et l'engagement

observé.

Ce n'est pas problématique pour les bons élèves dont on pense qu'ils sont très investis alors qu'ils

ont l'impression d'avoir peu écouté, ou peu fait d'efforts.

Cela l'est en revanche pour ces élèves en difficulté qui ont le sentiment de s'engager au maximum

dans la tâche et de fournir un travail énorme, alors que l'enseignant ne le perçoit pas. Pour que la

situation reste vivable, ils peuvent spontanément rabaisser le niveau d'exigences et le critère à

atteindre (par exemple en concentrant son attention sur les deux premières phrases de la dictée

préparée)... attention aux messages qu'on induit.

L'ensemble des facteurs individuels et contextuels (situationnels) va rendre compte

des intentions d'action des élèves:

Intention d'apprendre, d'accomplir la tâche

Intention de coping, d'évitement de la tâche

des émotions éprouvées en situation scolaire.

La motivation n'est pas une dimension psychologique. C'est un fourre-tout, pour mettre tous les

comportements dans et hors rapport à ce qui est attendu.

Pour la définir, il vaut mieux chercher à comprendre et à expliquer les facteurs situationnels,

contextuels et émotionnels qui expliquent ce comportement.

Le coping est l'ensemble des stratégies d'ajustement de l'élève pour répondre à une situation

vécue comme dangereuse.

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2 - Approche située de la motivation à apprendre, des émotions et de l'autorégulation affective:

perception des caractéristiques

du contexte de la classe et de la tâche

Compétences cognitives activées Composantes socio-affectives

selon la perception de l'élève perception de soi (sentiment de compétence)

connaissances déclaratives, procédurales valeur donnée à la tâche (intérêt, utilité)

stratégies cognitives, métaconnaissances but (maîtrise, performance, protection de soi,,,)

et procédures de régulation cognitives besoins (de reconnaissance, d'appartenance)

(planification, anticipation, contrôle,ajustement) émotions automatisées (peur de l'échec)

processus de régulation affective (motivationnelle, émotionnelle)

APPRECIATION

sentiment de compétence, intéret, utilité

ETATS EMOTIONNELS

+ - intention d'apprendre intention de coping

processus

Gain de compétence ou de bien être Risque de perte de bien-être

voie de l'apprentissage voie du coping

L'intéret se construit à partir de la curiosité:

prévoir des situations qui permettent de s'engager en vue d'un gain de fierté, de satisfaction

d'acquérir des connaissances.

C'est fondamental, et ça rend l'élève très vulnérable (ça mérite d'être reconnu par l'enseignant)

L'appréciation de la tâche se réfère à l'interprétation que fait l'élève d'une tâche en situation

sous l'angle des possibilités de gain ou de perte.

Il évalue l'utilité de la tâche, et de rapport de l'énergie à fournir et du résultat escompté, au

regard de sa compétence ressentie.

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3 – les états émotionnels:

L'émotion est l'expérience incorporée et subjective. Elle est constituée par:

une sensation spécifique à l'émotion

la perception de processus physiologiques et expressifs

des pensées spécifiques liées à l'émotion (cf,Pekrun, 2000)

des expressions comportementales (cf. Gläser, Zikudo et Mayring, 2004)

Etats émotionnels en situation d'apprentissage:

+ - plaisir, joie mécontentement

soulagement (à partir de 9 ans) ennui

espoir, confiance peur de l'échec(++), anxiété

satisfaction colère, déception, tristesse

fierté honte, gène, culpabilité

La peur de l'échec, l'anxiété face à l'évaluation est une émotion spécifique liée à la peur de faire

des fautes. Elle peut être automatisée (ex: peur de faire des fautes en maths.

Elle peut perturber l'attention au point d'empêcher de produire la tâche. Elle peut aussi être un

moteur de l'apprentissage, en provoquant un engagement maximal de l'élève.

C'est ce qui arrive aux élèves qui perdent pied en grandissant, quand il faut produire plus en

moins de temps (moins de temps pour vérifier, relire 3 fois la consigne...). Ça conduit l'élève au

décrochage scolaire.

L'intention d'apprendre est l'inclination à investir l'effort necessaire pour atteindre un but

d'apprentissage (engagement, confiance, joie, persévérance)

L'intention de coping est la tendance à s'ajuster pour répondre à une situation vécue comme trop

contraignante ou exposante:

Tendance aux actions hors tâche

Activités affectives négatives (verbales ou non)

Stratégies internes (préoccupation, hésitations, ressassement, analyse des alternatives de

stratégie...) qui maintiennent l'élève sous tension et le laissent sans ressources d'action.

Stratégies actives (redouble d'efforts, vérifie sans cesse...) mais sans autorégulation,

donc toujours dans une logique de peur envahissante.

Transformation de la tâche (buts, objectifs, modalités de production)

Stratégie de contrôle de l'environnement (copier, négocier la réponse, attendre que

l'enseignant la donne...)

Stratégie d'évitement manifeste (blocage, perturbation et "mise en désordre" de toute la

classe.

Processus de régulation affective:

La situation est réappréciée au cours de la tâche, en rencontrant un obstacle ou en voyant des

pairs reconnus moins compétents réussir la tâche. C'est tout l'environnement socioculturel

actuel qui ne facilite pas la tâche car nous fonctionnons de moins en moins avec de

l'autorégulation affective. C'est la génération "j'aime pas, je zappe".

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cf.KUHL, 2000 "les processus de contrôle de l'autorégulation motivationnelle et émotionnelle".

Ils favorisent l'actualisation d'actions intentionnées (l'intention est là, mais la

déclaration ne peut être suivie d'action)

Ils aident à maintenir une action active dans la mémoire de travail, à la protéger des

actions intrusives et des tendances d'actions compétitives.

En désactivant les pensées intrusives, ils jouent un rôle important dans l'engagement, la

persévérance et les performances des élèves.

Selon le degré de mobilisation, les ressources attentionnelles sont centrées sur:

L'ACTION L'ETAT

Il faut savoir se désengager Etat de préoccupation

d'un but non atteint.(rituels de clôture

des tâches, des temps de l'école)

Initiative d'action Hésitation, versatilité ("du zapping")

Persévérance (très proche de Ressassement et état d'évitement

l'autorégulation)

4 – Qu'est-ce qui contribue à infléchir l'intention d'apprendre des élèves, leur engagement et

leur persévérance dans la tâche?

Compétences cognitives préalables des élèves:

"des mots pour le dire"... apprendre à reconnaître ses émotions.

=> Dire et connaître les normes et les règles de fonctionnement de la classe (les enfants

sont parfois pris dans des situations paradoxales et contradictoires très destabilisantes

(par ex, il nous faut être plus clairs sur la désignation des erreurs et des fautes, dans les

différents temps de l'apprentissage: exploration, entraînement, évaluations)

La famille, mais aussi l'école dans certains cas (spécialisé, écoles freinet...) peut

constituer un milieu surprotecteur qui empêche la mise en place de l'autorégulation.

(cf. Lepola, 2000, et ses études sur l'autorégulation chez l'enfant préscolaire).

Le défit consiste à étayer sans faire à la place de, à rassurer en laissant à l'élève sa

responsabilité face à la tâche.

L'intéret du savoir à apprendre est un levier essentiel pour qu'il y ait autorégulation.

Le sentiment de compétence.

Les perceptions qu'ont les élèves des pratiques d'enseignants.

=> Expliciter les objectifs.

=> Soutenir les efforts et valoriser les engagements.

=> Pas de pression (pour réussir tout de suite et sans faute), mais pas trop de liberté (qui

annule le besoin d'autorégulation).

=> Stimulation à apprendre et comprendre, tout en ayant droit à l'erreur.

Perception du climat de la classe et de la dynamique relationnelle du groupe.

Sentiment d'appartenance à la classe, à l'école.

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5 – Implications dans la pratique enseignante:

"Chacun a et à sa place" : favoriser le sentiment d'appartenance à la classe en étant

particulièrement attentif à la place physique, au statut social (qualités, compétences, intérets

individuels), parrainage.

Stimuler la création du groupe (réaliser des projets collectifs, mémoire des activités

collectives, dispositifs d'apprentissage coopératifs)

Comment créer un bon climat de classe?

Instituer des fonctionnements aux espaces et aux temps (rituels, coins...)

Instituer des tâches ritualisées (le mot du jour, un bon moment de la journée...)

Enseigner, expliciter, ajuster, faire respecter les règles de vie de la classe.

Planifier les tâches de la journée, de la semaine (emploi du temps)

Comment contribuer au développement et à la mobilisation de l'autorégulation affective?

Travail sur les états émotionnels, sur les comportements.

Lexique émotionnel (jeux de cartes, émo-icônes, marionnettes, devinettes sur les

émotions...)

Connaissance des situations qui génèrent des émotions (deviner un évênement lié à une

émotion, imaginer la suite)...

Connaissance des comportements qu'elles provoquent(deviner une émotion en fonction du

comportement qu'elle provoque, et inversement) pour une prise de conscience de ses

propres émotions, de celles des autres, et des pensées associées.

Eviter le traumatisme de faire commencer l'école par l'échec:

=> de la bienveillance...

=> effet négatif des redoublements.

=> contrat de confiance réciproque.

=> contrat d'attentes réciproques.

=> aides qui régulent, étayent l'activité des élèves.

Conférence à l'IUFM de Bonneville, mercredi 8 février 2012.