Montesquieu , l'Esprits Des Lois

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EXTRAITS DU LIVRE XXV CHAPITRE IX De la tolrance en fait de religion. Nous sommes ici politiques, et non pas thologiens; et, pour les thologiens mm es, il y a bien de la diffrence entre tolrer une religion et l'approuver. Lorsque les lois d'un tat ont cru devoir souffrir plusieurs religions, il faut qu'elles les obligent aussi se tolrer entre elles. C'est un principe, que tou te religion qui est rprime devient elle-mme rprimante; car sitt que, par qu elque hasard, elle peut sortir de l'oppression, elle attaque la religion qui l'a rprime, non pas comme une religion, mais comme une tyrannie. Il est donc utile que les lois exigent de ces diverses religions, non seulement qu'elles ne troublent pas l'tat, mais aussi qu'elles ne se troublent pas entre elles. Un citoyen ne satisfait point aux lois en se contentant de ne pas agiter le corps de l'tat: il faut encore qu'il ne trouble pas quelque citoyen que ce s oit. CHAPITRE X Continuation du mme sujet. Comme il n'y a gure que les religions intolrantes qui aient un296 grand zle p our s'tablir ailleurs, parce qu'une religion qui peut tolrer les autres ne son ge gure sa propagation, ce sera une trs bonne loi civile, lorsque l'tat est satisfait de la religion dj tablie, de ne point souffrir l'tablissement d'u ne autre[381]. Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quan d on est matre de recevoir dans un tat une nouvelle religion, ou de ne la pas recevoir, il ne faut pas l'y tablir; quand elle y est tablie, il faut la tolr er. CHAPITRE XI Du changement de religion. Un prince qui entreprend dans son tat de dtruire ou de changer la religion dom inante s'expose beaucoup. Si son gouvernement est despotique, il court plus de r isque de voir une rvolution que par quelque tyrannie que ce soit, qui n'est jam ais, dans ces sortes d'tats, une chose nouvelle. La rvolution vient de ce qu'u n tat ne change pas de religion, de murs et de manires dans un instant, et au ssi vite que le prince publie l'ordonnance qui tablit une religion nouvelle. De plus, la religion ancienne est lie avec la constitution de l'tat, et la nou velle n'y tient point: celle-l s'accorde avec le climat, et souvent la nouvelle s'y refuse. Il y a plus: les citoyens se dgotent de leurs lois; ils prennent du mpris pour le gouvernement dj tabli; on substitue des soupons contre les deux religions une ferme croyance pour une; en un mot, on donne l'tat, au moins pour quelque temps, et de mauvais citoyens et de mauvais fidles. CHAPITRE XII Des lois pnales. Il faut viter les lois pnales en fait de religion. Elles impriment de la crain te, il est vrai; mais, comme la religion a ses lois pnales aussi qui inspirent

de la crainte, l'une est efface par l'autre. Entre ces deux craintes diffrente s, les mes deviennent atroces. La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses,297 que, lor squ'elles sont prsentes notre esprit, quelque chose que le magistrat puisse f aire pour nous contraindre la quitter, il semble qu'on ne nous laisse rien qua nd on nous l'te, et qu'on ne nous te rien lorsqu'on nous la laisse. Ce n'est donc pas en remplissant l'me de ce grand objet, en l'approchant du mom ent o il lui doit tre d'une plus grande importance, que l'on parvient l'en d tacher: il est plus sr d'attaquer une religion par la faveur, par les commodit s de la vie, par l'esprance de la fortune; non pas par ce qui avertit, mais pa r ce que l'on oublie; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tideur, lorsque d'autres passions agissent sur nos mes, et que celles que la r eligion inspire sont dans le silence. Rgle gnrale: en fait de changement de r eligion, les invitations sont plus fortes que les peines. Le caractre de l'esprit humain a paru dans l'ordre mme des peines qu'on a empl oyes. Que l'on se rappelle les perscutions du Japon[382]; on se rvolta plus c ontre les supplices cruels que contre les peines longues, qui lassent plus qu'el les n'effarouchent, qui sont plus difficiles surmonter, parce qu'elles paraiss ent moins difficiles. En un mot, l'histoire nous apprend assez que les lois pnales n'ont jamais eu d' effet que comme destruction. CHAPITRE XIII Trs humble remontrance aux inquisiteurs d'Espagne et de Portugal. Une juive de dix-huit ans, brle Lisbonne au dernier auto-da-f, donna occasi on ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais t crit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sr de ne pas co nvaincre. L'auteur dclare que quoiqu'il soit juif, il respecte la religion chrtienne, et qu'il l'aime assez pour ter aux princes qui ne seront pas chrtiens un prtext e plausible pour la perscuter. Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'empereur du Japon fait brler petit feu tous les chrtiens qui sont dans ses tats; mais il vous rp ondra: Nous vous traitons, vous qui ne croyez pas comme nous, comme vous traitez vous-mmes ceux qui ne croient pas comme vous; vous ne pouvez vous plaindre que de298 votre faiblesse, qui vous empche de nous exterminer, et qui fait que nou s vous exterminons. Mais il faut avouer que vous tes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons que ce que vous croyez, parce que nous ne cro yons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez vousmmes avoir t autrefois chrie de Dieu; nous pensons que Dieu l'aime encore, e t vous pensez qu'il ne l'aime plus: et, parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de croire que Dieu aime encore ce qu'il a aim[383]. Si vous tes cruels notre gard, vous l'tes bien plus l'gard de nos enfan ts; vous les faites brler, parce qu'ils suivent les inspirations que leur ont d onnes ceux que la loi naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent respecter comme des dieux. Vous vous privez de l'avantage que vous a donn sur les mahomtans la manire d

ont leur religion s'est tablie. Quand ils se vantent du nombre de leurs fidles , vous leur dites que la force les leur a acquis, et qu'ils ont tendu leur reli gion par le fer: pourquoi donc tablissez-vous la vtre par le feu? Quand vous voulez nous faire venir vous, nous vous objectons une source dont vous vous faites gloire de descendre. Vous nous rpondez que votre religion est nouvelle, mais qu'elle est divine; et vous le prouvez parce qu'elle s'est accrue par la perscution des paens et par le sang de vos martyrs; mais aujourd'hui v ous prenez le rle des Diocltiens, et vous nous faites prendre le vtre. Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous servons vous et nous , mais par le Christ que vous nous dites avoir pris la condition humaine pour vo us proposer des exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons d'agir av ec nous comme il agirait lui-mme s'il tait encore sur la terre. Vous voulez qu e nous soyons chrtiens, et vous ne voulez pas l'tre. Mais, si vous ne voulez pas tre chrtiens, soyez au moins des hommes: traiteznous comme vous feriez si, n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la natu re donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire et une rvlation p our vous clairer. Si le Ciel vous a assez aims pour vous faire voir la vrit, il vous a fait un e grande grce: mais est-ce aux enfants qui ont eu l'hritage de leur pre de ha r ceux qui ne l'ont pas eu?299 Que si vous avez cette vrit, ne nous la cachez pas par la manire dont vous n ous la proposez. Le caractre de la vrit, c'est son triomphe sur les curs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez l a faire recevoir par des supplices. Si vous tes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous tromper. Si votre Christ est le Fils de Dieu, nous esprons qu'il nous rcompensera de n'avoir pas voulu profaner ses mystres; et nous croy ons que le Dieu que nous servons vous et nous ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donne, parce qu e nous croyons qu'il nous l'a encore donne. Vous vivez dans un sicle o la lumire naturelle est plus vive qu'elle n'a jam ais t, o la philosophie a clair les esprits, o la morale de votre Evangile a t plus connue, o les droits respectifs des hommes les uns sur les autres, l'empire qu'une conscience a sur une autre conscience, sont mieux tablis. Si do nc vous ne revenez pas de vos anciens prjugs, qui, si vous n'y prenez garde, s ont vos passions, il faut avouer que vous tes incorrigibles, incapables de tout e lumire et de toute instruction; et une nation est bien malheureuse, qui donne de l'autorit des hommes tels que vous. Voulez-vous que nous vous disions navement notre pense? Vous nous regardez pl utt comme vos ennemis que comme les ennemis de votre religion: car si vous aimi ez votre religion, vous ne la laisseriez pas corrompre par une ignorance grossi re. Il faut que nous vous avertissions d'une chose; c'est que, si quelqu'un dans la postrit ose jamais dire que dans le sicle o nous vivons les peuples d'Europ e taient polics, on vous citera pour prouver qu'ils taient barbares; et l'id e que l'on aura de vous sera telle qu'elle fltrira votre sicle et portera la h aine sur tous vos contemporains.300 NOTES EXPLICATIVES Note [C1]: (p. 95). Par leurs fantaisies. C'est l l'ide matresse de l'Espri

t des lois. Ce ne sont pas les caprices des lgislateurs ni les fantaisies des p euples qui ont fait ici ou l des lois diffrentes. Ce sont des causes gnrales qui ont li certaines lois certaines conditions politiques ou sociales. La pr incipale de ces causes, suivant Montesquieu, c'est la forme des gouvernements; m ais ce n'est pas la seule. Note [C2]: (p. 96). On ne trouvera pas ces traits saillants. Montesquieu se fa it tort lui-mme; ou plutt par une modestie calcule, il va au-devant d'une o bjection qu'on pourra lui faire. Car ce qu'on lui a prcisment reproch, c'est qu'il a dans son livre trop de traits saillants et effet. La marquise du Deffa nd disait de ce livre: C'est de l'esprit sur les lois. Note [C3]: (p. 97). Ludibria ventis, le jouet des vents. Note [C4]: (p. 97). Bis patri cecidere manus: Deux fois mes mains paternelles t ombrent. Note [C5]: (p. 100). Par cela seul qu'une chose existe, elle a des proprits, c 'est--dire une nature: les autres choses qui l'environnent ont aussi des propri ts et une nature. Lorsque ces choses se rencontrent, il rsulte de leurs propr its rciproques certains rapports ncessaires, toujours les mmes: c'est ce qu e Montesquieu appelle des lois. Ainsi les astres ayant une certaine masse et ta nt une certaine distance, c'est une loi qu'ils s'attirent en raison directe de leurs masses, et en raison inverse du carr des distances. Destutt de Tracy, dans son Commentaire de l'Esprit des lois, dit: Des lois ne s ont pas des rapports; et des rapports ne sont pas des lois. Helvtius disait au ssi que les lois ne sont pas des301 rapports, mais les rsultats des rapports. Voyez plus haut dans notre Introduction (p. 12) la rponse ces objections. Note [C6]: (p. 100). Quelle plus grande absurdit... etc. Montesquieu cite ce passage en rponse aux attaques de certaines feuilles jansnistes qui l'accusaie nt de spinozisme, c'est--dire de fatalisme, pour avoir dit que les lois sont de s rapports ncessaires (Voir la Dfense de l'Esprit des lois). Bossuet a dit dans le mme sens que Montesquieu: On ne saurait comprendre dans ce tout qui n'entend pas, cette partie qui entend, l'intelligence ne pouvant na tre d'une chose brute et insense. (Connaissance de Dieu et de soi-mme, ch. iv .) Note [C7]: (p. 101). ... parce qu'elles ont des rapports avec sa sagesse et ave c sa puissance. On voit que par rapports ncessaires Montesquieu n'entend pas p arler des lois inhrentes la matire, mais des lois institues par Dieu, et qu i sont ncessaires parce qu'il les a tablies. Plus loin, il ne parle plus que d es lois invariables et de rapports constamment tablis. A l'origine, ces lois on t t l'uvre de sa sagesse, et d'une volont libre: mais nos yeux et par rapp ort nous, elles sont ncessaires. Il est ncessaire, par exemple, qu'une pierr e abandonne elle-mme tombe la surface de la terre. Note [C8]: (p. 101). Pour que le monde subsiste, il faut qu'il y ait des lois, c 'est--dire des rapports fixes entre les parties; le Crateur qui a tabli ces l ois ne peut gouverner sans elles: ce n'est pas l'arbitraire; mais ce n'est pas d avantage la fatalit des athes; c'est ce que Leibnitz appelait la ncessit de convenance, la ncessit morale, ce sont des lois d'ordre, d'harmonie, non de n cessit aveugle. Note [C9]: (p. 101). Chaque diversit est une uniformit; chaque changement est constance, c'est--dire: quoique dans chaque cas particulier, la masse et la v itesse puissent tre diffrentes, c'est cependant toujours la mme loi qui s'acc omplit: les lois du mouvement sont universelles et invariables. Dans un sens plu

s prcis encore, on peut dire que, quels que soient les changements, il y a une quantit constante, toujours la mme: c'est ce que les Cartsiens appelaient qua ntit de mouvement et Leibnitz la quantit de force vive, et enfin de nos jours la quantit d'nergie. Note [C10]: (p. 101). Voltaire critiquant ce passage dit dans son Commentaire de l'Esprit des lois: Je ne rechercherai pas si Dieu a ses lois... ni s'il y avai t des rapports de justice avant qu'il existt des hommes: ce qui est l'ancienne querelle des raux et des nominaux. C'est en effet cette querelle; mais cela m me prouve que cette querelle302 n'tait pas frivole. Il s'agit de savoir s'il y a une justice ternelle et absolue, ou si elle n'est que le rsultat des circons tances. Note [C11]: (p. 102). Ce n'est pas seulement parce que les tres intelligents so nt borns, qu'ils ne suivent pas constamment leurs lois: c'est encore parce qu'i ls ont la libert. Les choses matrielles sont aussi bornes, et cependant elles suivent servilement les lois qui leur sont imposes. C'est pourquoi Montesquieu ajoute, que d'un autre ct les tres intelligents agissent par eux-mmes, c' est--dire qu'ils sont libres: et c'est l en effet la vraie raison de leurs ga rements; et en mme temps il est aussi vrai de dire que s'ils n'taient pas born s par leur nature, leur libert ne s'garerait pas. Les deux raisons sont donc ncessaires la fois pour expliquer les garements des cratures; et c'est ce q ue dit Montesquieu. Note [C12]: (p. 102). On ne sait si les btes sont gouvernes par les lois gn rales du mouvement ou par une motion particulire. Cette proposition est obscur e parce qu'elle est exprime d'une manire trop concise. Elle signifie: on ne sa it pas si les animaux sont des automates, comme le pensait Descartes; ou s'ils s ont dous de mouvements spontans. Dans le premier cas, en effet, les automates sont rgis uniquement par les lois de la mcanique, c'est--dire par les lois g nrales du mouvement; dans le second cas, ils ont un principe intrieur du mouve ment. Note [C13]: (p. 102). Les btes ont des lois naturelles...; elles n'ont pas de lois positives. Les animaux ont des lois naturelles. Il ne faut pas confondre ces lois naturelle s qui sont toutes physiques, et qui ne sont que les lois de l'organisation et de l'instinct, avec ce qu'on appelle en morale la loi naturelle, qui est la loi de justice inne chez tous les hommes. Les lois positives sont des lois crites, nes de la volont et de la convention des hommes. Les animaux n'ont pas de telles lois parce qu'ils n'ont ni la liber t ni la parole. Comment pourraient-ils s'entendre les uns avec les autres, et f ixer les rsultats de leurs conventions, sans avoir de signes? Note [C14]: (p. 103). Avant toutes ces lois sont celles de la nature. C'est ici surtout qu'il faut distinguer les lois de la nature, comme l'entend Mo ntesquieu, de la loi naturelle, telle que Cicron la dcrit dans un clbre pass age, et que Voltaire la chante dans le pome qui porte ce titre. Montesquieu ne parle ici que des lois d'instinct qui rsultent de l'organisation mme de l'homm e, et non de la loi morale, c'est--dire d'une loi de raison qui commande la v olont, sans la contraindre, par le principe du devoir. Montesquieu303 se place ici au point de vue de ce qu'on appelait au xviiie sicle l'tat de nature, c'es t--dire l'tat primitif de l'homme avant l'tablissement des socits. Ce sont surtout les philosophes Hobbes et Rousseau qui ont insist sur ce point de vue. Montesquieu reconnat quatre lois naturelles, qu'il expose sans beaucoup d'ordre : 1o la loi qui porte vers le Crateur; 2o la loi qui porte vers le sexe; 3o le

besoin de se nourrir; 4o le besoin de socit. Note [C15]: (p. 104). Hobbes, philosophe anglais du xviie sicle, auteur du Levi athan, ouvrage singulier o sous ce nom qui dsigne dans l'criture sainte une b te monstrueuse, il dsigne lui-mme le corps politique, l'tat ou le prince, au quel il donne tous les pouvoirs et par consquent le pouvoir absolu en politique et en religion. (Voir sur la politique de Hobbes notre Histoire de la science p olitique, t. II, liv. IV, ch. i). Note [C16]: (p. 104). Hobbes demande... Hobbes avait dit que l'tat naturel de l'homme est la guerre et que la loi primitive a t la guerre de tous contre to us, et pour le prouver, il disait que les hommes vont arms. Montesquieu, comme on le voit, soutient le contraire. Il est certain que mme chez les animaux il y a quelquefois des guerres de troupe troupe, de tribu tribu (par exemple, ch ez les fourmis); mais en gnral, la guerre n'a lieu qu'entre espces diffrente s. On ne voit pas que les chevaux, les lphants, qui vivent en troupe, connaiss ent la guerre; cela donnerait penser qu'en effet dans l'homme la guerre n'a pa s t tout fait primitive; elle peut reprsenter un tat ultrieur. J.-J. Rous seau croit aussi comme Montesquieu que le premier sentiment des hommes n'a pas t la guerre, mais la piti. (Discours sur l'ingalit.) Note [C17]: (p. 105). Gravina, jurisconsulte italien (1664-1718). Note [C18]: (p. 105). Cette doctrine qui fonde le pouvoir politique sur le pouvo ir paternel a t souvent soutenue. Mais elle a trouv surtout son thoricien en Angleterre, au xviie sicle, dans le chevalier Filmer, auteur du Patriarca (Lon dres, 1680). D'aprs cet auteur, le pouvoir politique aurait son origine dans Ad am. Le premier homme a t le premier souverain. Le pouvoir a d se transmettre ensuite de gnration en gnration et s'est partag entre les diffrents rois d e la terre, qui doivent tre considrs comme les successeurs d'Adam et d've. C ette doctrine a t rfute par Sidney (Algernon) dans ses Discours sur le gouve rnement, et par Locke, dans son Essai sur le gouvernement civil. J.-J. Rousseau y fait allusion dans le Contrat social (l. I, ch. ii): Je n'ai rien dit du roi Adam ni de l'empereur No. J'espre qu'on me304 saura gr de cette modration. C ar descendant directement de l'un de ces princes et peut-tre de la branche an e, que sais-je si par la vrification des titres je ne me trouverais pas le lgi time roi du genre humain? Note [C19]: (p. 106). Le gouvernement le plus conforme la nature est celui qu i se rapporte le mieux la disposition du peuple pour lequel il est tabli. On ne saurait trop mditer cet axiome de la science politique, savoir qu'il n' y a pas un type de gouvernement absolu, mais des formes de gouvernement relative s l'tat social du peuple auquel elles s'appliquent. Mais cet axiome s'appliqu e aussi bien la monarchie qu' la rpublique; et lorsqu'un peuple a mis la dm ocratie dans ses lois, il est dans la nature des choses qu'il la mette aussi dan s son gouvernement. Au reste, J.-J. Rousseau adopte les mmes principes que Mont esquieu: Quand on demande quel est le meilleur gouvernement, on fait une questi on insoluble comme indtermine; ou, si l'on veut, elle a autant de solutions po ssibles qu'il y a de combinaisons possibles dans les positions absolues et relat ives des peuples. (Contrat social, l. II, c. ix.) Note [C20]: (p. 106). La loi en gnral est la raison humaine... En effet les lois ont pour objet de substituer le rgne de la raison au rgne de la force bru tale. Elles cherchent prvoir d'avance tous les cas de conflit qui peuvent se prsenter entre les hommes, et les rgler conformment la justice et l'int rt de tous. Toutes les lois particulires doivent donc tre les consquences d e ce principe gnral, que c'est la paix et non la guerre qui doit rgner entre les hommes.

Note [C21]: (p. 107). On voit ce que Montesquieu entend par l'esprit des lois. C 'est l'tude des lois dans leurs rapports avec toutes les circonstances qui les modifient. Telles sont, par exemple: le gouvernement, le climat, le genre de vie (laboureurs, chasseurs ou pasteurs); la libert politique, la religion, le comm erce, les manires, etc. Montesquieu a surtout considr la nature et le princip e des gouvernements: C'est de l, dit-il, que l'on verra couler les lois comme de leur source. Mais peut-tre trouvera-t-on qu'il a ici interverti les termes et que le gouvernement est au moins autant la consquence des lois civiles que l e principe. C'est l'tat social du peuple, sa situation physique, gographique, ses murs, sa religion qui sont la cause de ses lois; et la rsultante de toutes ces circonstances est la forme du gouvernement. Montesquieu n'en doit pas moins tre considr, selon Aug. Comte (Cours de philosophie positive, t. IV,305 47e leon) comme le vrai fondateur de la philosophie sociale pour avoir dit que les phnomnes politiques sont aussi bien soumis des lois naturelles que les autr es phnomnes quelconques. Note [C22]: (p. 107). Il y a trois espces de gouvernement... On a vu plus hau t, dans notre Introduction (p. 21), la critique de cette opinion. La thorie d'A ristote sur ce point, qui est la thorie classique, nous parat plus logique que celle de Montesquieu. Elle consiste diviser d'abord les gouvernements d'aprs le nombre des gouvernants; de l, trois espces fondamentales, et ensuite ces e spces en deux, selon que l'on considre la forme rgulire ou la force abusive de chacune d'elles. Puisque le gouvernement est l'autorit suprme des tats, et que cette autorit suprme doit tre entre les mains d'un seul ou de plusieurs, ou de la multitude, il s'ensuit que lorsqu'un seul, plusieurs, ou la multitude usent de l'autorit en vue de l'intrt gnral, la constitution est bonne; et q ue si l'on gouverne dans l'intrt exclusif des gouvernants, la constitution est vicie. On donne le nom de royaut au gouvernement d'un seul, d'aristocratie celui de plusieurs, de rpublique celui de tous, quand ces gouvernements ont p our but le bien gnral. Quand les formes en sont vicies, ces trois gouvernemen ts deviennent la tyrannie, l'oligarchie et la dmagogie (III, v). Note [C23]: (p. 108). Voil ce que j'appelle la nature de chaque gouvernement. Montesquieu distingue deux choses dans les gouvernements: leur nature et leur p rincipe. Il donne plus loin l'explication de cette distinction: Il y a cette di ffrence entre la nature du gouvernement et son principe, que sa nature est ce q ui le fait tre et son principe ce qui le fait agir. L'une est sa structure part iculire; et l'autre les passions humaines qui le font mouvoir (III, c. i). Mon tesquieu ajoute en note: Cette distinction est trs importante, et j'en tirerai bien des consquences; elle est la clef d'une infinit de lois. Voir dans notr e Introduction (p. 24) le dveloppement de cette distinction. Note [C24]: (p. 108). J.-J. Rousseau dit galement dans le Contrat social (III, iii): Le souverain peut en premier lieu soumettre le dpt du gouvernement to ut le peuple ou la grande partie du peuple, en sorte qu'il y ait plus de citoy ens magistrats que de citoyens simples particuliers. On donnera cette forme de gouvernement le nom de dmocratie. Note [C25]: (p. 108). J.-J. Rousseau dit galement que dans la dmocratie les c itoyens sont souverains d'un ct et sujets de l'autre. (Contrat social, III, i ).306 Note [C26]: (p. 108). La volont du souverain est le souverain lui-mme. J.-J. Rousseau a dvelopp cette ide dans le Contrat social. Pour lui la souverainet est dans la volont gnrale. Note [C27]: (p. 109). Le peuple est admirable. C'tait aussi l'opinion de Mach iavel: Que l'on compare, dit-il, un prince et un peuple dans le choix des magis trats. C'est une chose sur laquelle le peuple ne se trompe jamais; ou s'il se tr ompe, c'est bien moins souvent que ne ferait un petit nombre d'hommes ou un seul

. L'exemple de Rome est admirable. Pendant plusieurs centaines d'annes, il n'y eut peut-tre pas quatre choix dont on eut se repentir. Machiavel prvoit l'o bjection que l'on peut tirer de l'exemple des rpubliques anarchiques et corromp ues; mais il dit avec raison qu'il faut comparer les rpubliques corrompues aux princes corrompus, et les princes sages aux rpubliques sages. Dans ces limites vous verrez toujours moins d'erreurs dans le peuple que dans le prince. (Disco urs sur Tite-Live, I, ch. lviii.) Note [C28]: (p. 110). Servius Tullius suivit, dans la composition de ces classe s, l'esprit de l'aristocratie. On s'occupe beaucoup de Servius Tullius au xviii e sicle. J.-J. Rousseau lui consacre un chapitre dans le Contrat social, et il emprunte cette observation Montesquieu: Des 193 centuries, dit-il, qui formai ent les six classes de tout le peuple romain, la premire classe en comprenait q uatre-vingt-dix-huit: la voix ne se comptant que par centuries, cette seule prem ire classe l'emportait en nombre de voix sur toutes les autres. (IV, iv). Sur les rformes de Servius Tullius, voir l'Histoire romaine de Mommsen et celle de Duruy. Note [C29]: (p. 111). Le suffrage par le sort est de la nature de la dmocratie . Il n'est nullement vrai que le suffrage par le sort soit de la nature de la d mocratie. La dmocratie doit tre claire et non aveugle. Le choix du peuple a pour objet de faire arriver les hommes de talent, et non d'tablir au hasard un e galit brutale. Dj, dans l'antiquit, le choix par le sort tait l'objet de la critique des esprits clairs: Quelle folie, disait Socrate, qu'une fve d cide du choix des chefs de la rpublique, tandis qu'on ne tire au sort ni un arc hitecte, ni un joueur de flte. (Xnophon, Mmorables, I, ii). Platon critique galement le choix par le sort dans le Dialogue des Lois (l. VI).Voir les Reche rches sur le tirage au sort, par Fustel de Coulanges (Nouvelle revue historique des droits, 1870). Note [C30]: (p. 112). Les suffrages doivent tre publics. C'est encore une err eur de Montesquieu, de croire que le suffrage public est de l'essence de la dmo cratie. Au contraire, dans les temps modernes, plus les institutions307 sont dev enues dmocratiques, plus le suffrage secret a pris de prpondrance. Si tous le s hommes taient des hros, sans doute il serait rationnel qu'ils dclarassent h autement leurs choix; mais comme dans le fait le plus grand nombre est dans la d pendance du plus petit nombre, la publicit dtruirait toute libert des suffra ges. Au moins en est-il ainsi pour les votes dans les lections. Quant aux votes des reprsentants dans le Parlement, il n'en est pas de mme. Par cela seul qu' ils sont des reprsentants, il importe, sauf exception, que leurs rsolutions so ient connues de ceux qui les nomment. Aussi le vote secret a-t-il trs rarement lieu dans nos assembles lgislatives. Note [C31]: (p. 112). C'est une loi fondamentale de la dmocratie que le peuple seul fasse des lois. C'est encore l une opinion trs contestable. Montesquieu n'a parl de la dmocr atie qu'au point de vue des rpubliques de l'antiquit, primitivement resserres dans une seule ville, et qui, en s'tendant, ne faisaient que des sujets, sans augmenter le nombre des souverains. Or, le rgime de la dmocratie ancienne tai t celui du gouvernement direct, c'est--dire du gouvernement immdiat du peuple, qui tait charg en corps de la puissance lgislative, et mme souvent, au moin s en partie, de la puissance excutive et judiciaire. Montesquieu ne connat pas le rgime reprsentatif qui s'applique aujourd'hui dans la dmocratie aussi bie n que dans la monarchie. Il est mme probable que lorsque Montesquieu a crit se s premiers livres, il ne connaissait pas encore le gouvernement anglais, par con squent, ni le principe de la reprsentation, ni celui de la sparation des pouv oirs. Enfin, quand il connut la thorie des deux chambres, il crut que cette th orie n'tait applicable qu'au gouvernement mixte compos de monarchie d'aristocr atie et de dmocratie, comme tait alors le gouvernement anglais. Depuis, on a r

econnu que le partage du pouvoir lgislatif en deux assembles n'avait rien de c ontraire au principe de la dmocratie, et par consquent qu'il n'est pas juste q ue le peuple seul fasse des lois, si ce n'est en tant que souverain; mais il p eut transmettre son pouvoir lgislatif la fois la Chambre populaire et au S nat, comme cela a lieu dans la Constitution de 1875. Note [C32]: (p. 113). Ce sera une chose heureuse dans l'aristocratie si par que lque voie indirecte, on fait sortir le peuple de son anantissement. C'est une vue trs juste de Montesquieu, que, quelle que soit la forme du gouver nement, il faut essayer de faire une part l'lment308 social qui est plus ou moins exclu par cette forme. C'est ainsi que la royaut, en France, faisait une part si large au tiers tat dans la distribution des hautes fonctions que SaintSimon a pu dire de Louis XIV, que son rgne avait t un rgne de vile bourgeois ie. C'est ainsi que l'aristocratie anglaise a toujours t largement ouverte aux membres de la bourgeoisie. Aristote disait dans le mme sens: Bien des institu tions en apparence dmocratiques sont prcisment celles qui ruinent la dmocrat ie; bien des institutions en apparence oligarchiques dtruisent l'oligarchie. Da ns les dmocraties, les dmagogues, par leurs attaques continuelles contre les r iches, divisent toujours la cit en deux camps, tandis qu'ils devraient ne para tre proccups que de l'intrt des riches; de mme dans les oligarchies, le gou vernement ne devrait paratre avoir en vue que l'intrt du peuple. (Politique, l. VIII, c. vii.) Note [C33]: (p. 114). Telle tait Rome avec ses dictateurs. J.-J. Rousseau pen se galement que la dictature est quelquefois ncessaire dans un pays libre. L'inflexibilit des lois, dit-il, qui les empche de se plier aux vnements peu t, en certains cas, les rendre pernicieuses et causer par elles la perte de l't at dans une crise. L'ordre et la lenteur des formes demandent un espace de temps que les circonstances refusent quelquefois. Il peut se prsenter mille cas auxq uels le lgislateur n'a point pourvu. (Contrat social, IV, vi). Il ne faut poin t abuser de ces principes; mais il est certain qu'il y a des cas extrmes o la concentration du pouvoir est ncessaire; mais dans ce cas, comme dit Montesquieu , il faut compenser la grandeur de la puissance par la brivet de la dure. D ans nos constitutions modernes, on ne prvoit pas la ncessit d'une dictature: ce serait en quelque sorte l'encourager et la provoquer d'avance. C'est toujours sous le coup des circonstances que le pouvoir lgal se rserve de dcrter tell e ou telle suspension des formalits lgales. Note [C34]: (p. 115). Plus une aristocratie approchera de la dmocratie, plus e lle sera parfaite. C'est ce qui a fait la grandeur de l'aristocratie anglaise, qui, en s'largissant sans cesse dans le sens populaire, a su conserver la confi ance et le respect du peuple. Note [C35]: (p. 116). Les pouvoirs intermdiaires constituent la nature du gouv ernement monarchique. C'est l une des grandes vues de Montesquieu. L o la ro yaut ne s'associe pas certains pouvoirs dtermins, qui concourent avec elle au gouvernement, elle dgnre en despotisme. Ces pouvoirs intermdiaires taient par exemple dans l'ancienne monarchie les Parlements, la Noblesse et le Clerg,3 09 les Corps des villes; ces pouvoirs taient subordonns au pouvoir royal, mais servaient dans une certaine mesure le contenir. A mesure que la royaut a aba iss ces pouvoirs, elle est devenue un gouvernement arbitraire qui s'affaiblissa it lui-mme en affaiblissant ses auxiliaires naturels. Il n'y eut plus alors qu' choisir entre l'tat despotique et l'tat populaire; et l'tat despotique t ant devenu impossible par l'impuissance mme du pouvoir, c'est ainsi que la soci t franaise a pass de la monarchie la dmocratie. On voit que la Rvolution franaise n'a t que la consquence logique de cette rvolution continue que l es rois ont opre en France du xve au xviiie sicle, en dtruisant tous les pou voirs intermdiaires.

Note [C36]: (p. 116). Point de monarque, point de noblesse; Point de noblesse, point de monarque. A propos de cette maxime de la monarchie, Voltaire, dans son Commentaire, fait la remarque suivante: Cette maxime fait souvenir de l'infort un Charles Ier qui disait: point d'vques, point de monarque. Notre grand Henr i IV aurait pu dire la faction des Seize: Point de noblesse, point de monarque . Puis il ajoute: J'aurais dsir que l'auteur nous et appris clairement pour quoi la noblesse est l'essence du gouvernement monarchique. Mais Montesquieu ne dit pas qu'elle est l'essence de ce gouvernement, mais seulement qu'elle entre dans cette essence, et il nous semble qu'il l'explique, en disant que sans noble sse il y a despotisme et non monarchie. La noblesse est un de ces canaux moyens par o coule la puissance. Sans ce secours, et d'autres encore (clerg, villes , parlements), il n'y a plus que la volont momentane et capricieuse d'un seul . Note [C37]: (p. 116). Abolissez dans une monarchie les prrogatives des seigneu rs, du clerg et des villes, vous aurez ou un tat despotique, ou bien un tat p opulaire. Cette maxime est justifie par l'histoire de la monarchie franaise. La royaut ayant successivement dtruit le pouvoir fodal des grands seigneurs, les libert s des communes et l'autorit du Parlement, est devenue monarchie absolue, et ell e-mme, succombant son tour par ses excs, n'a laiss de place qu' l'tat pop ulaire. Note [C38]: (p. 117). Comme la mer... A l'occasion de cette phrase, Voltaire n ous dit: Voil donc, potiquement parlant, l'Ocan qui est monarque ou despote. Ce n'est pas l le style d'un lgislateur. Mais assurment ce n'est ni de l'her be ni du gravier qui cause le reflux de la mer, c'est la loi de la gravitation; et je ne sais si la comparaison des larmes du peuple avec du gravier est bien ju ste. Note [C39]: (p. 117). Les Anglais ont t toutes les puissances intermdiaires. ..310 Voltaire fait encore ici observer avec raison que la pense n'est pas jus te: Les Anglais, dit-il, ont rendu plus lgal le pouvoir des seigneurs spiritue ls et temporels et augment celui des communes. Ce n'tait pas l dtruire les pouvoirs intermdiaires. Ce n'est pas ainsi que Montesquieu lui-mme juge la Con stitution anglaise au l. XI de l'Esprit des lois. C'est pourquoi je conjecture q u'il ne connaissait pas encore bien cette Constitution lorsqu'il a crit ces pre miers livres. Note [C40]: (p. 117). Il faut encore un dpt de lois. Ce corps politique qui devait tre le dpt des lois, qui annonce les lois quand elles sont faites et les rappelle quand on les oublie, n'est autre que le Parlement. On voit que Mon tesquieu tait partisan des doctrines parlementaires qui avaient essay de s'ta blir l'poque de la Fronde. Machiavel dj, aux xve et xvie sicles, avait mon tr le caractre original du gouvernement franais qui tait alors une monarchie tempre par les Parlements: La France, disait-il, tient le premier rang parmi les pays bien gouverns. Une des institutions qu'on y remarque est, sans contre dit, celle du Parlement dont l'objet est de veiller la sret du gouvernement et la libert du sujet. Les auteurs de cette institution, connaissant d'un ct l'insolence et l'ambition des nobles, de l'autre les excs du peuple, ont cher ch contenir les uns et les autres. (Le Prince, ch. xix.) Note [C41]: (p. 118). Voltaire reproche encore Montesquieu d'avoir tabli trop de diffrence entre la monarchie et le despotisme: Ce sont, dit-il, deux frre s qui ont tant de ressemblance qu'on les prend souvent l'un pour l'autre. Avouon s que ce furent de tout temps deux gros chats qui les rats essayrent de pendr e une sonnette au cou. Il est certain que le despotisme n'est pas une forme de gouvernement, mais un abus de gouvernement. A ce titre, il est l'abus de toutes les formes en gnral; car il peut y avoir une tyrannie dmocratique et une tyra

nnie aristocratique, comme un despotisme monarchique. Ce que Montesquieu appelle le despotisme, c'est la forme des monarchies d'Orient; mais il y a peut-tre pl utt l une diffrence de civilisation qu'une diffrence essentielle. Note [C42]: (p. 119). Sur la distinction de la nature et du principe du gouverne ment, voir notre Introduction (p. 15). Note [C43]: (p. 120). Il ne faut pas beaucoup de probit. Cette maxime est exp rime sous une forme qui parat un peu pigrammatique; et cependant elle est fon de. Il est vident que dans un pays libre, o le peuple fait la loi, o il est la source de toutes les magistratures, il est moins contenu que sous le gouverne ment d'un seul. Il faut donc qu'il311 fasse de lui-mme ce qu'il ferait par crai nte ou par obissance dans le gouvernement monarchique; en un mot, il faut qu'il remplace l'autorit des lois par celle de la vertu. C'est ce qui fait que le go uvernement rpublicain est le plus difficile de tous faire russir, mais aussi le plus noble de tous quand il russit. Note [C44]: (p. 120). Sur ce principe que la vertu est le principe des dmocrat ies, voir notre Introduction (p. 29). Cette doctrine est aussi celle d'Aristote ; mais il l'applique l'tat en gnral: Une consquence, c'est que l'tat le plus parfait est en mme temps heureux et prospre. Or il est impossible d'tre heureux quand on ne fait pas le bien, et le bien n'est jamais possible ni pour u n homme ni pour un tat sans la vertu et la raison... Concluons que la vie parfa ite et pour l'individu et pour l'tat en gnral est celle qui joint la vertu assez de biens extrieurs pour pouvoir faire ce que la vertu commande... Si on e stime l'individu surtout pour la vertu, on regardera l'tat le plus vertueux com me le plus heureux... Il faut donc que le meilleur gouvernement soit celui dont la constitution est telle que chaque citoyen puisse tre vertueux et vivre heure ux. Note [C45]: (p. 121). Les politiques grecs ne reconnaissaient d'autre force que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de r ichesses. Platon, dans le Gorgias, fait le mme reproche aux politiques de son temps: Ils ont agrandi l'tat, dit-il, mais ils ne s'aperoivent pas que cet agrandissemen t est une enflure, une tumeur pleine de corruption; et c'est l tout ce qu'ont f ait les anciens politiques pour avoir rempli la rpublique de ports, d'arsenaux, de murailles, de tributs et d'autres bagatelles, sans y joindre la temprance e t la justice. (Gorgias). Note [C46]: (p. 122). Voir galement dans Platon la vive peinture des excs des gouvernements dmocratiques. Il compare aussi les dmagogues des esclaves cha pps: Lorsqu'un tat dmocratique dvor de la soif de la libert trouve sa t te de mauvais chansons, qui lui versent la libert toute pure outre mesure et jusqu' l'enivrer, alors si ceux qui gouvernent ne sont pas tout fait complais ants et ne donnent pas au peuple de la libert tant qu'il en veut, celui-ci les accuse et les chtie comme des tratres et des partisans de l'oligarchie... Le p re s'accoutume traiter son enfant comme son gal, le craindre mme... Le ma tre craint et mnage ses disciples; ceux-ci se moquent de leur matre... En gue rre, les jeunes gens veulent aller de pair avec les vieillards. Les vieillards d e leur ct descendent aux manires des jeunes gens, et affectent le ton lger e t badin...312 Les esclaves ne sont pas moins libres que ceux qui les ont achets ... Il n'est pas jusqu'aux animaux qui ne soient l plus libres que partout aill eurs... Les chevaux et les nes eux-mmes, accoutums une allure fire et libr e, s'en vont heurter ceux qu'ils rencontrent, si on ne leur cde le passage. Note [C47]: (p. 123). La modration est donc l'me de ces gouvernements. Le pr incipe de la modration est vague et assez faiblement choisi pour caractriser l 'aristocratie. D'une part la modration convient tous les gouvernements. Suiva

nt Platon il ne faut dans un tat quelconque ni trop de pouvoir, ni trop de libe rt: Si au lieu de donner une chose ce qui lui suffit, on va beaucoup au del , par exemple si on donne un vaisseau de trop grandes voiles, au corps trop de nourriture, l'me trop d'autorit, tout se perd: le corps devient malade par excs d'embonpoint; l'me tombe dans l'injustice, fille de la licence. Que veuxje dire par l? Qu'il n'est pas d'me humaine qui soit capable de soutenir le po ids du souverain pouvoir. Platon rapporte galement ce proverbe que, souvent l a moiti est plus que le tout. Et cela est vrai de la libert comme du despotis me. La modration est donc, comme on le voit, de l'essence de tout gouvernement raisonnable. Il n'a rien qui caractrise expressment le gouvernement aristocrat ique. Note [C48]: (p. 125). L'ambition dans l'oisivet... Voltaire relve ce qu'il y a d'excessif dans le ton satirique de ce chapitre: C'est une chose assez singu lire que ces anciens lieux communs contre les princes et leurs courtisans soien t toujours reus d'eux avec complaisance comme les petits chiens qui jappent et qui amusent... Il en est de ces dclamations comme de la satire des femmes de Bo ileau; elle n'empchait pas qu'il n'y et des femmes trs honntes et trs respe ctables. Voltaire a raison sans doute de critiquer le ton de la satire dans un ouvrage scientifique; mais lui-mme parle ici un peu lgrement. Tous les public istes ont reconnu que les nobles s'affaiblissent lorsqu'ils deviennent courtisan s, et lorsqu'ils sont obligs de sacrifier leurs privilges la faveur du princ e; seulement Montesquieu, en exagrant ici la corruption des cours, se rend trs difficile lui-mme de prouver plus tard que le principe de la monarchie, c'es t l'honneur. (Chap. vii.) Note [C49]: (p. 125). Le cardinal de Richelieu dans son Testament politique... Le Testament politique de Richelieu a paru en 1668. Voltaire en a contest l'au thenticit; mais personne ne doute aujourd'hui que, sauf la question de rdactio n, Richelieu n'en soit le vritable auteur. Note [C50]: (p. 125). Montesquieu cite ici infidlement le Testament du cardinal Richelieu. Voltaire, qui ne croit pas (quoique tort) l'authenticit313 du t estament, restitue le texte ainsi qu'il suit: Il faut qu'un magistrat ait l'me d'une trempe bien forte, si elle ne se laisse quelquefois amollir par la consid ration de ses intrts. Note [C51]: (p. 125). Sur le principe de l'honneur, voir notre Introduction, p. 31. Note [C52]: (p. 126). La nature de l'honneur est de demander des prfrences et des distinctions. Voltaire demande avec raison s'il n'en est pas de mme dans le gouvernement rpublicain: Les haches, les faisceaux, le triomphe valaient bi en des rubans de toutes couleurs. Cependant, toutes choses gales d'ailleurs, i l y a plus de distinctions honorifiques dans les monarchies que dans les dmocra ties. Il y en a encore beaucoup dans notre rpublique; mais cela tient ce qu'e lle est sortie de la monarchie. Il n'y en a pas, ou trs peu, dans la rpublique des tats-Unis. Note [C53]: (p. 128). Voltaire relve encore ici l'inexactitude de la citation; Ricaut dit seulement: Il y a mme de ces gens-l qui soutiennent que le grand s eigneur peut se dispenser de promesses qu'il a faites avec serment, quand pour l es accomplir il faut donner des bornes son autorit. Ricaut, dit Voltaire, ne parle ici que d'une secte morale relche. On dit que nous en avons eu chez nous de pareilles (allusion la morale des Jsuites). Voltaire ajoute que cett e prtendue dcision des cadis, que Montesquieu donne comme une preuve du despot isme des sultans, serait plutt au contraire une preuve qu'il est soumis aux loi s, puisqu'il serait oblig de consulter des docteurs pour se mettre au-dessus de s lois. Nous sommes voisins des Turcs et nous ne les connaissons pas.

Note [C54]: (p. 129, dernire ligne). Toute la diffrence est que... Il est do nc vrai que la diffrence de la monarchie et du despotisme n'est pas une diffre nce d'essence, mais une diffrence de degr. Il ne fallait donc pas en faire un principe de classification. Il en est de mme du reste entre la dmocratie et la dmagogie. Montesquieu n'a pourtant pas trouv l le principe de deux gouvernem ents diffrents: seulement l'un est la corruption de l'autre. On s'expliquera be aucoup mieux que Montesquieu ait voulu faire du despotisme un gouvernement par t, si l'on rflchit que ce qu'il avait surtout dans l'esprit, c'tait de combat tre les tendances qui entranaient en France la monarchie vers le despotisme. Il fallait donc mettre en relief l'ide du despotisme, et combattre sous son nom l es excs de la monarchie et en mme temps se prcautionner contre les risques de sa critique, en ayant bien soin de sparer la monarchie du despotisme. Note [C55]: (p. 130). Sans quoi le gouvernement serait imparfait. Montesquieu n'a donc pas voulu prtendre qu'en fait il y a toujours eu de314 la vertu dans l es rpubliques et de l'honneur dans la monarchie; mais que ce sont l les princi pes par lesquels ces gouvernements se conservent, et sans lesquels ils se perden t. Note [C56]: (p. 130). Les lois de l'ducation seront donc diffrentes... Volta ire dit ce propos: J'ai vu des enfants de valets de chambre qui on disait: M. le marquis songera plaire au roi; j'ai ou dire qu' Venise les gouvernante s recommandent aux petits garons de bien aimer la rpublique; et que dans les s rails du Maroc et d'Alger, on crie: Prenez garde au grand eunuque noir. Note [C57]: (p. 130). Dans les rpubliques la vertu. Comprenons toujours bien qu'il s'agit de la vertu politique (voir l'Avertissement, p. 99), c'est--dire l 'amour de la libert, le respect des lois et des magistrats, le sentiment de l' galit: principes en effet sans lesquels le gouvernement rpublicain tombe en po ussire. Il va sans dire que cette vertu politique ne peut aller non plus sans l a vertu prive; et quoique celle-ci soit obligatoire sous tous les gouvernements , elle l'est plus encore dans le gouvernement rpublicain, parce que les citoyen s y sont moins contenus par les lois; et en outre, parce que la rpublique tant le plus noble des gouvernements lorsqu'elle est pure, il est du devoir des cito yens de ne pas l'altrer et la corrompre par les dsordres que l'on reproche pr cisment aux autres gouvernements. Note [C58]: (p. 131). C'est lorsqu'on entre dans le monde que l'ducation comme nce. En effet, dans l'ancien rgime, l'ducation, toute scolastique, n'avait pr esque aucun rapport avec le monde dans lequel les jeunes gens allaient entrer; a ujourd'hui on s'efforce davantage de mettre l'ducation en harmonie avec l'tat social dans lequel nous sommes. Note [C59]: (p. 131). Non comme bonnes, mais comme belles. Voil en effet le v rai principe de l'honneur, et non pas, comme il le dit plus haut, le prjug de chaque personne et de chaque condition. Seulement il est vrai de dire que dans chaque condition, et selon la situation des personnes, il y a certaines actions qui paraissent particulirement belles et honorables. Note [C60]: (p. 132). Dans les monarchies... Tout ce portrait de la cour est c harmant, plein de grce et d'esprit, et peut tre compar aux meilleurs chapitre s de La Bruyre. Seulement, n'est-ce pas l un de ces passages qui justifient pl us ou moins le mot attribu Mme Du Defant, sur le livre de Montesquieu: Ce n' est pas l'Esprit des lois, c'est de l'esprit sur les lois. Note [C61]: (p. 134). Aristote ne dit pas prcisment que l'esclave n'a pas de v ertu. Mais il pose l'alternative suivante qui tait le problme mme de l'esclav age: Des deux cts, dit-il, il y a sujet de doute; si l'on suppose315 ces vert us aux esclaves, o sera leur diffrence avec les hommes libres? Si on les leur refuse, la chose ne sera pas moins absurde; car ils sont hommes et ont leur part

de raison. Pour rsoudre la difficult, Aristote ajoute: Le matre est l'orig ine de la vertu de son esclave. (Politique, l. Ier.) Note [C62]: (p. 135). Nos petites mes. Toujours le ton de la satire. Il ne fa ut pas s'exagrer l'hrosme de l'antiquit vu distance. En fait, l'histoire d e France peut citer des exemples semblables; et les Du Guesclin, les Bayard, les Jeanne d'Arc, les L'Hpital, les Catinat, les d'Assas, les Latour-d'Auvergne va lent bien, aprs tout, les Lonidas et les Thmistocle. Note [C63]: (p. 135). C'est dans le gouvernement rpublicain... Aussi voit-on que dans les rpubliques, les tats-Unis, la Suisse, les intrts de l'ducation sont placs au premier rang. C'est en vertu de la mme loi que la France, depui s qu'elle est en rpublique, a donn le pas sur tous les autres problmes politi ques aux questions d'ducation. Le ministre de l'instruction publique est deven u l'un des premiers ministres, et a mme joui du privilge de fournir un prsid ent du conseil: ce qui n'tait jamais arriv auparavant. Note [C64]: (p. 136). Les Svarambes... C'est le nom d'un peuple imaginaire da ns une espce de roman politique ainsi intitul, et dont l'auteur est Vairasse d 'Alais. (Voir t. V des Voyages extraordinaires.) Note [C65]: (p. 137). A propos du larcin permis et presque recommand Lacdmo ne, Rollin fait des observations trs judicieuses: Plutarque, qui rapporte cett e coutume, dans la Vie de Lycurgue, dans les Murs des Lacdmoniens, et en plus ieurs autres endroits, n'y donne jamais le moindre signe d'improbation; et je ne me souviens pas qu'aucun des anciens en ait fait un crime aux Lacdmoniens et Lycurgue. D'o peut donc tre venu le jugement peu favorable des modernes, si ce n'est qu'ils ne prennent pas la peine d'en peser les circonstances et d'en p ntrer les motifs? 1 les jeunes gens ne faisaient ces larcins que dans un temps marqu, par ordre de leur commandant et en vertu de la loi; ils ne volaient jam ais que des lgumes et des vivres, comme supplment au peu de nourriture qu'on l eur donnait exprs en petite quantit; 2 le lgislateur avait pour but de rendr e les possesseurs plus vigilants serrer et garder leurs biens; d'inspirer au x jeunes gens tous destins la guerre plus de hardiesse et plus d'adresse, et surtout de leur apprendre vivre de peu, pourvoir eux-mmes leur subsistanc e. (Rollin, Trait des tudes, t. III, 2e partie.) Note [C66]: (p. 137). Sur les institutions de Lycurgue, voir l'Histoire de la316 Grce, de Grote (2e partie, ch. VI). Rien de plus obscur que les renseignements que nous avons sur Lycurgue. Les plus anciens (ce sont ceux d'Hrodote) sont en core postrieurs de quatre sicles l'poque de Lycurgue. Note [C67]: (p. 137). G. Penn, fondateur de la premire colonie amricaine, appe le de son nom Pensylvanie. Ce rapprochement de Penn avec Lycurgue est tout fa it arbitraire, et Voltaire a grande raison de dire: Je ne sais rien de plus con traire Lycurgue qu'un lgislateur et un peuple qui ont toute guerre en horreur . Penn et ses compagnons taient en effet Quakers, c'est--dire appartenaient une secte qui le service militaire est interdit. On ne peut gure moins resse mbler aux Spartiates. Note [C68]: (p. 137). ... la Socit, c'est--dire la socit des Jsuites . Le Paraguay, en effet, a t gouvern pendant plus d'un sicle par les Jsuite s qui y avaient introduit une sorte de monarchie paternelle, avec la communaut des biens. Ce rgime dans un peuple d'enfants avait eu, parat-il, de trs bons rsultats. Il faut savoir gr aux Jsuites, comme le fait Montesquieu, d'avoir a pport la charit et l'humanit dans le gouvernement des Indiens si atrocement o pprims par les Espagnols. Mais il ne faut pas conclure de ce gouvernement d'enf ants que la communaut soit un rgime praticable et souhaitable dans un pays civ ilis.

Note [C69]: (p. 139). Ces sortes d'institutions peuvent convenir dans les rpub liques. On s'tonne que Montesquieu parle srieusement, comme d'une chose possi ble dans les temps modernes, de la communaut des biens, de la proscription de l 'argent, de la sparation d'un peuple avec les trangers, enfin des monopoles du commerce entre les mains du magistrat. Ce sont l des institutions et des lois qui, en supposant mme qu'elles aient exist rellement telles qu'on les rapport e, n'ont pu s'appliquer qu' un tat rudimentaire de la socit. Elles sont d'ai lleurs contraires toute libert et tout dveloppement de la civilisation. Note [C70]: (p. 139). Mais dans les grandes socits... Montesquieu, aprs avo ir approuv les institutions dont il vient de parler, fait ici de sages rserves ; mais c'est tort qu'il attribue la corruption l'abandon de tels usages, et qu'il voit dans ces usages une consquence de la vertu dans les rpubliques. Ce sont ces fausses ides qui, dans la Rvolution franaise, ont inspir les doctri nes jacobines, c'est--dire la prtention d'imposer par la terreur la vertu et l 'galit. Note [C71]: (p. 141). On tait donc fort embarrass dans les rpubliques grecqu es. Montesquieu explique ingnieusement le rle de la musique317 dans les rpub liques grecques. Au reste Platon donne une explication assez analogue. L'ducati on, suivant lui, comprend deux parties. On considre tort suivant lui la musiq ue comme devant former l'me, et la gymnastique le corps. La seule chose importa nte est l'me. La gymnastique avait l'me pour objet, de mme que la musique; ma is elles la forment diffremment. Elles lui procurent ces qualits contraires do nt l'homme d'tat doit composer un solide et moelleux tissu. Ainsi que le fer s' adoucit au feu, le dur courage se plat et s'assouplit par l'effet de la posie, des beaux airs, des harmonies et des proportions. La gymnastique, au contraire, lui donne le sentiment de ses forces, le courage et l'nergie. (Platon, Rpubli que, l. IV.) Note [C72]: (p. 142). Un mode un autre... Voir dans Platon l'analyse qu'il f ait des diffrents modes musicaux.Quelles sont les harmonies plaintives? Dis-l e moi, car tu es musicien.C'est la lydienne mixte et l'orgue.Et quelles sont l es harmonies molles et usites dans les festins?L'ionienne et la lydienne, qu'o n appelle harmonies lches.Peuvent-elles tre de quelque utilit la guerre?D 'aucune; ainsi il pourrait bien ne rester que les harmonies phrygienne et dorien ne... Ces deux modes d'harmonie, l'un nergique, l'autre d'un mouvement tranquil le, qui imiteront les accents de l'homme courageux et sage, malheureux ou heureu x, voil ce qu'il faut nous laisser. (Platon, Rpubl., l. III.) Note [C73]: (p. 143). D'une raction. Montesquieu veut dire que le principe du gouvernement exerce une action sur les lois du lgislateur, et que ces lois l eur tour exercent leur action sur le principe du gouvernement. Il y a donc, comm e en mcanique, action et raction. Note [C74]: (p. 143). La vertu dans une rpublique... Nous avons dit dj plus ieurs fois quel sens Montesquieu attache au mot vertu; ce n'est pas la vertu pri ve, mais la vertu publique: ce n'est pas seulement l'amour de la patrie; c'est l'amour de l'tat, et de la forme du gouvernement, par consquent l'amour de la rpublique dans une rpublique. Seulement on peut se demander s'il n'en est pa s de mme dans une monarchie, et si un royaume o les sujets n'aimeraient pas la royaut pourrait subsister. En France, sous l'ancien rgime, les sujets aimaien t le roi; et il a fallu une suite de fautes inoues pour draciner ce sentiment. Note [C75]: (p. 143). Moins nous pouvons satisfaire nos passions particulires. Montesquieu se reprsente toujours la rpublique sous la forme des institution s antiques: lois somptuaires, censure des murs, frugalit impose par la loi, e n un mot quelque chose de semblable un couvent. Aussi dit-il: Pourquoi les mo ines aiment-ils leur ordre?318 Mais il n'en est pas ainsi dans les rpubliques modernes, dont le principe est la libert. La libert, bien loin de s'opposer

la satisfaction des passions, semble au contraire la favoriser. Mais le principe de Montesquieu n'en est que plus vident et plus obligatoire; en effet, si cett e libert de l'individu n'est pas contenue et compense par l'amour de la patrie et des lois, par le respect du droit, par le sentiment de la justice, la rpubl ique ne peut que tomber dans la corruption, et devient une proie la tyrannie. Note [C76]: (p. 144). L'amour de la frugalit... On voit que Montesquieu assoc ie toujours l'ide de frugalit celle de rpublique ou du moins de dmocratie. Il n'admet que le ncessaire pour chaque citoyen, et le superflu pour l'tat; a utrement les richesses donnent une puissance dont un citoyen ne peut pas user p our lui; elles procurent des dlices dont il ne doit pas jouir. C'est une grand e erreur de Montesquieu de ne pas comprendre l'galit civile et politique sans l'galit des fortunes: c'est l le principe funeste du socialisme moderne. Note [C77]: (p. 144). De gens mdiocres. C'est encore une erreur de Montesquie u de croire que la dmocratie ne doit aspirer qu' la mdiocrit des talents et des fortunes. Ce serait un pauvre gouvernement que celui qui ne pourrait vivre q ue par la mdiocrit des talents. Quant celle des fortunes, elle ne pourrait tre obtenue que par des mesures arbitraires qui auraient pour rsultat non pas u ne aisance mdiocre, commune tous, mais une misre gnrale. Note [C78]: (p. 145). Les lois ont tabli l'une et l'autre. On voit encore que pour Montesquieu les lois doivent tablir la frugalit: toujours mme erreur. D e quel droit l'tat imposerait-il chacun la mesure de ses jouissances, en tant qu'elles ne nuisent pas autrui? Montesquieu, comme les lgislateurs antiques, ignore entirement le droit de l'individu. Ce serait d'ailleurs, dans nos soci ts modernes, rendre la dmocratie impossible que de l'associer la proscriptio n du luxe et des jouissances dlicates de la vie. L'exemple de la Suisse et des tats-Unis prouve bien que la dmocratie peut trs bien coexister avec l'ingali t des fortunes. Note [C79]: (p. 146). Partagrent les terres comme Lycurgue. C'est une grande erreur historique, d'aprs les recherches savantes de M. Fustel de Coulanges, de croire que Lycurgue a tabli le partage des terres. (Voir Fustel, De la communa ut Sparte, Comptes rendus de l'Acadmie des sciences morales, 1880.) Note [C80]: (p. 146). Il faut donc que l'on rgle... Malgr toute notre admira tion pour Montesquieu, nous devons cependant faire remarquer combien tout cela e st erron et dangereux. Ainsi tout serait rgl319 par la loi (bien entendu dans un sens restrictif et prohibitif): les dots, les donations, les testaments et t outes les manires de contracter; rien de plus contraire au droit de proprit, la libert du travail et des changes, enfin tous les principes de l'conomi e politique. Disons, pour expliquer l'erreur de Montesquieu, qu'il a crit ces p ages avant que les grands conomistes Ad. Smith et Turgot eussent tabli les vra is principes. Note [C81]: (p. 146). C'tait donc une bonne loi. Nous ne rechercherons pas, a u point de vue historique, si toutes ces lois que Montesquieu approuve taient b onnes, eu gard aux institutions des rpubliques anciennes. Nous nous contentero ns de dire que de telles lois ou des lois semblables ne sont nullement ncessair es dans toutes les dmocraties; et qu'en gnral elles sont contraires l'espri t de la dmocratie moderne. Note [C82]: (p. 147). Silanus qui avait pous sa sur. Le fait est fort doute ux; Montesquieu exagre ici beaucoup la porte d'un texte de Senque. Note [C83]: (p. 148). Phalas de Chalcdoine... Aristote dans sa Politique, l. II, ch. IV, expose et rfute le systme de Phalas. Les bases de l'tat, selon celui-ci, taient l'galit des biens et l'galit d'ducation. Il ne suffit pas, dit Aristote, de rendre les fortunes gales; il faut leur donner de justes

proportions: le point important c'est de niveler les passions bien plutt que le s proprits... Et cette ducation, que sera-t-elle? Ce n'est rien que de l'avoi r faite la mme pour tous... Les rvolutions naissent aussi bien de l'ingalit des hommes que de l'ingalit des fortunes... C'est le superflu et non le ncess aire qui fait commettre les grands crimes. On n'usurpe pas la tyrannie pour se g arantir de l'intemprie de l'air... Phalas ne dit mot ni de l'organisation mili taire, ni des finances publiques... Il a tort aussi d'appeler galit de fortune , l'gale rpartition des terres: car la fortune comprend encore les esclaves, l es troupeaux, l'argent et toutes les proprits que l'on appelle mobilires. Note [C84]: (p. 149). Toute ingalit dans la dmocratie doit tre tire de la nature de la dmocratie. Rien de plus vrai que ce principe; il prouve que l'in galit n'est nullement contraire en elle-mme au principe de la dmocratie. Ce q ue la dmocratie condamne et exclut, c'est l'ingalit de privilge fonde par l a loi; par exemple, si la loi exempte des impts certaines classes de citoyens p our les faire porter sur les autres, ou si elle interdit aux uns les emplois et les grades qu'elle rserve aux autres. Mais l'ingalit rsultant du libre emplo i des facults individuelles, l'ingalit de mrite, l'ingalit de fonctions, l 'ingalit mme des proprits rsultant du droit gal320 de chacun d'user de so n industrie sont des ingalits qui n'ont rien de contraire l'galit; et c'es t le mrite de la dmocratie de substituer les ingalits naturelles aux ingali ts artificielles. Note [C85]: (p. 149). Il faut qu'elles soient petites. C'est toujours la mme erreur. La loi n'a pas faire que les parts soient petites: elle n'a qu' assur er la libert de la proprit et des changes. Sans doute par l mme, la propri t tend se diviser et se rduire de petites portions; mais ce n'est que l a consquence de la libert. En outre, dans la dmocratie moderne on arrive au m me rsultat par une autre voie: c'est l'galit des partages dans les successio ns: mais cette galit n'est encore que la suppression d'une ingalit artificie lle, celle du droit d'anesse. C'est la suppression d'un privilge, et non la vi olation d'un droit ou d'une libert. Note [C86]: (p. 149). ... lorsque la dmocratie est fonde sur le commerce. Mo ntesquieu s'aperoit tout coup d'une grave objection son systme. Comment, d ans un gouvernement fond sur le commerce, peut-on tablir ce rgime galitaire et frugalitaire dont il fait la base des rpubliques? Il rpond en disant que l' esprit de commerce entrane avec lui l'esprit d'conomie et de travail, et que d ans ce cas les richesses n'ont aucun mauvais effet. Mais c'est par l qu'il fa llait commencer. Sans doute l'excs des exclusions et de l'ingalit peut amener la corruption et dtruire l'galit mme. Mais ces dsordres ne peuvent tre co mbattus que par l'ducation et par la vertu des citoyens, et non par des lois re strictives du travail et de la proprit. Note [C87]: (p. 150). Le fassent eux-mmes. C'est--dire qu'il faut dtruire l es monopoles, et surtout les monopoles par l'tat. D'ailleurs pourquoi dire: les principaux citoyens? Pourquoi pas tous, ou du moins ceux qui le peuvent? Note [C88]: (p. 150). Divisant les fortunes mesure que le commerce les grossi t. Trs bien s'il s'agit de la division qui rsulte de l'abolition des privilg es et des monopoles; mais non d'une division qui reviendrait un partage galit aire de fortunes. Note [C89]: (p. 150). C'est une trs bonne loi... Cette loi du partage gal de s enfants dans la succession des parents est devenue la loi fondamentale de notr e droit civil, et est en effet la base d'une dmocratie. Cependant notre systme laisse encore sous le nom de quotit disponible une part libre au pre de famil le. On remarque que plus les rpubliques sont dmocratiques, plus cette part est petite. Dans notre code, cette part est gale une part d'enfant.

Note [C90]: (p. 150). Chacun doit l'avoir. Ce principe est dangereux: car321 s i l'tat impose chaque citoyen l'obligation d'avoir le ncessaire, il s'engage par l mme lui fournir les moyens de l'acqurir, ce qui conduit tout droit ce qu'on appelle le droit au travail, principe qui ferait de l'tat le pourvo yeur universel. Note [C91]: (p. 150). On ne peut pas toujours tablir un partage gal. Montesq uieu reconnat ici lui-mme que dans la dmocratie l'galit de partage n'est pa s toujours ncessaire ni possible: en quoi il a raison; mais il a tort de dire q ue le partage doit avoir alors des quivalents. Les institutions dont il va parl er peuvent tre bonnes, mais elles sont alors bonnes en elles-mmes et non comme quivalents d'un partage illgitime. Note [C92]: (p. 151). Le simulacre des dieux. Il est difficile d'admettre que les snateurs doivent tre les simulacres des dieux; et il est douteux qu'il en ait jamais t ainsi. En tout cas, ce serait un principe qui serait beaucoup plu s propre une aristocratie qu' une dmocratie. Note [C93]: (p. 151). Les institutions anciennes. Il faut tenir grand compte d es coutumes anciennes. Les socits vivent de traditions. Les gnrations doiven t tre soudes ensemble par des murs persistantes et des institutions durables. Tout cela est vrai; mais il ne faut pas oublier cependant que l'humanit est un e espce mobile et changeante, que c'est l mme ce qui la distingue des autres espces animales. Elle est perfectible, et la perfectibilit implique le changem ent. Il y a donc une juste mesure tenir entre la persistance absolue aux ancie ns usages et une dmangeaison d'innover, comme dit Bossuet, qui ne laisse rien mrir et fructifier. C'est au Snat dans les rpubliques, trouver cette mesur e; mais il faut pour cela qu'il ne soit pas tellement attach aux institutions a nciennes qu'il s'oppose absolument tout changement. Il est l'organe du progrs prvoyant et sage, et non de l'immobilit absolue. Note [C94]: (p. 152). Ils doivent tre choisis pour la vie. On peut douter qu' un snat vie soit de l'essence d'une dmocratie. Nous avons eu pendant quelque s annes un quart du snat inamovible; peut-tre tait-ce une bonne institution, et aurait-on d la garder: c'tait le maintien de la tradition; mais personne n 'a jamais demand que le snat tout entier ft inamovible; et ce serait l une i nstitution beaucoup plus aristocratique que dmocratique. Il est vrai que Montes quieu parle d'un snat fait pour tre la rgle des murs, et dont les membres doivent tre des modles perptuels, conception qui pouvait avoir sa raison d' tre dans les tats antiques, petites rpubliques qui n'taient qu'une extension de la famille, mais qui n'ont322 plus gure d'applications. Les snats de nos j ours sont faits pour prparer les affaires. Note [C95]: (p. 152). de la dmocratie: or Xnophon tablit ici e l'aristocratie la Lacdmone. Montesquieu oublie qu'il s'agit ici des lois Lacdmone tait plutt une aristocratie. L'opposition que entre Lacdmone et Athnes est prcisment l'opposition d dmocratie.

Note [C96]: (p. 153). Droit de vie et de mort sur leurs enfants. Il est trang e que Montesquieu approuve un droit aussi exorbitant. Il se place trop au point de vue politique, et pas assez au point de vue du droit naturel. Note [C97]: (p. 153). Mais cela n'est pas de l'esprit de la monarchie. On peut dire que ce n'est pas davantage de l'esprit d'une dmocratie claire. On peut sans doute demander que la majorit civile ne soit pas fixe trop tt; mais il f aut qu' un moment le citoyen puisse arriver l'mancipation et avoir la libre disposition de ses biens. Montesquieu n'oublie qu'une chose dans son plan de la dmocratie: c'est la libert. Note [C98]: (p. 154). L'esprit de modration est ce qu'on appelle la vertu dans

l'aristocratie. L'esprit de modration est de tous les gouvernements: il est m me peut-tre plus ncessaire au gouvernement dmocratique qu' tout autre. Note [C99]: (p. 154). Il oublie sa faiblesse. Un meilleur moyen encore, c'est celui qu'emploie l'aristocratie anglaise: c'est d'ouvrir ses rangs aux citoyens distingus et d'avoir autant de considration pour les nouveaux nobles qui se so nt levs par leur mrite que pour ceux qui doivent leur noblesse leur naissan ce. Note [C100]: (p. 156). Il faut qu'elles soient un tribun elles-mmes. Cette pe nse est trs belle et peut s'appliquer dans tous les gouvernements. Elle signif ie que les lois doivent garantir les droits des citoyens, sans avoir besoin d'un e institution spciale comme celle du tribunat. Note [C101]: (p. 156). Ce gouvernement a besoin de ressorts violents. Il est d outeux qu'une aristocratie raisonnable ait besoin de ressorts aussi violents que la dlation, ou que le gouvernement des inquisiteurs de Venise. Les phores S parte taient tout autre chose, et ressemblaient plutt des tribuns qu' des i nquisiteurs. Note [C102]: (p. 157). Il est encore bien difficile d'admettre cette assimilatio n des inquisiteurs d'tat de Venise avec les censeurs romains. A Venise, l'inqui sition tait secrte; Rome, la censure tait publique. D'ailleurs, l'inquisiti on de Venise tait beaucoup plus politique que morale. Note [C103]: (p. 158). Il semble que le droit d'anesse soit au contraire essent iel323 aux aristocraties. On le voit par l'exemple de l'Angleterre. Il est vrai que l'Angleterre est une monarchie. Note [C104]: (p. 158). Enfin il ne faut point... Le principe gnral dvelopp par Montesquieu, dans ce chapitre, c'est que dans l'aristocratie le principe d' galit doit s'appliquer aux nobles pris ensemble, comme dans la dmocratie il s 'applique tous. Nous ne savons si, dans la pratique, il en a toujours t ains i. A Venise, il y avait trois institutions: la base, le grand conseil, qui ta it la base dmocratique de la constitution, et qui se composait de l'assemble g nrale des nobles; au centre, le snat, compos de 300 membres; au sommet, le c onseil des Dix; or ces deux derniers corps avaient fini par annihiler le grand c onseil. Note [C105]: Substitutions (p. 158). On appelle ainsi, en jurisprudence, la disp osition par laquelle on appelle successivement deux ou plusieurs hritiers, pour que celui qu'on a institu le premier ne puisse pas aliner les biens sujets la substitution. Note [C106]: Retrait lignager (p. 158). On appelle retrait, en jurisprudence, l' acte de retirer, ou de reprendre un hritage qui avait t vendu, en en restitua nt, bien entendu, le prix. Il est lignager, c'est--dire que ce domaine appartie nt au lignage ou la famille qui use de ce droit. Note [C107]: (p. 159). Il l'aurait eu dans la tte. Cette opinion de Montesqui eu sur le cardinal de Richelieu tait celle des parlementaires, c'est--dire des partisans des parlements, qui eussent voulu limiter et temprer le pouvoir mona rchique par les prrogatives des corps judiciaires. Ce fut l'opinion de la Frond e, que le cardinal de Retz exprime en termes aussi forts que Montesquieu: Il a form, dit-il, en parlant de Richelieu, dans la plus lgitime des monarchies, la plus scandaleuse et la plus dangereuse tyrannie qui ait jamais asservi un tat. Note [C108]: (p. 159). Les corps qui ont le dpt des lois... Il est vident, par ce passage et par le suivant, que Montesquieu n'admettait d'autres limites a

u pouvoir absolu des rois que celle des parlements. Il est remarquer que, pas une seule fois, il ne fait allusion aux tats gnraux qui eussent t la vraie reprsentation de la nation, s'ils n'taient pas tombs en dsutude par l'oubli commun de la royaut et des parlements. Note [C109]: (p. 162). Pas de gloire. Ce chapitre est court, dit Voltaire, est -il plus vrai? On ne peut, ce me semble, refuser la magnanimit un guerrier ju ste, gnreux, clment, libral. Je sais trois grands vizirs Kiuperli qui ont eu ces qualits. Si celui qui prit Candie assige pendant des annes, n'a pas enc ore la clbrit des hros du sige324 de Troie, il avait plus de vertu et sera plus estim des vrais connaisseurs qu'un Diomde et qu'un Ulysse. Le grand vizir Ibrahim qui, dans la dernire rvolution, s'est sacrifi pour conserver l'empir e son matre Achmet III, et qui a attendu genoux la mort pendant six heures avait, certes, de la magnanimit. Note [C110]: (p. 162). Voil le gouvernement despotique. Cette brivet de cha pitre est, il faut le dire, une petite affectation de Montesquieu, pour faire va loir le trait qu'il dcoche contre le despotisme. Voltaire dit que ce trait est un proverbe espagnol: laguer sans abattre. Cependant il signale encore une au tre source; c'est un passage tir des Lettres difiantes, dans lequel un jsuite nomm Marest dit en parlant des naturels de la Louisiane: Nos sauvages ne sont pas accoutums cueillir les fruits aux arbres. Ils croient faire mieux d'abat tre l'arbre mme. Voltaire met en doute l'exactitude des faits: Il n'y a, ditil, sauvage si sauvage qui ne s'aperoive qu'un pommier coup ne porte plus de p ommes. Mais le jsuite Marest a cru dire un bon mot. Note [C111]: (p. 164). On a cass les grands corps de troupes. Dans les gouver nements despotiques, le souverain est la merci de ses soldats. Aussi a-t-on vu plusieurs fois le pouvoir essayer de s'affranchir par la destruction et le mass acre mme des corps privilgis, devenus les vritables matres de l'tat. C'est ainsi que Pierre le Grand, en Russie, a dtruit la milice des Strlitz; le sult an Mahmoud, en Turquie, le corps des janissaires, et en gypte, le vice-roi Mh met-Ali, le corps des Mameloucks. Note [C112]: (p. 164). C'est de la religion. Rien de plus vrai. La plus grande force du sultan de Constantinople est d'tre le chef de la religion, le reprse ntant de Mahomet pour tous les Musulmans. Montesquieu, pour rester fidle son principe, dit que c'est une crainte ajoute de la crainte. Mais il ajoute qu e la religion corrige un peu la constitution turque. C'est, en effet, une limi te au pouvoir du prince, et par consquent ce gouvernement ne repose pas exclusi vement sur la crainte. Chardin, dans son Voyage en Perse (ch. XI), dit que l'autorit du grand seigneur , en Turquie, est bien moins absolue que celle du roi de Perse: L'empereur des Turcs, dit-il, ne fait mourir aucune personne considrable sans consulter le mup hti ou grand pontife de la religion. Celui des Persans, au contraire, bien loin de consulter personne, ne se donne pas seulement le loisir de penser, la plupart du temps, aux ordres de mort qu'il prononce. Note [C113]: (p. 164). Montesquieu fait toucher du doigt la strilit du communi sme.325 L o le prince est le seul propritaire, il n'y a plus ni industrie ni agriculture, et le rsultat serait le mme si, au lieu du prince, c'tait le peu ple tout entier qui ft propritaire. Chacun, tant nourri par l'tat, ngligera it tout travail, moins d'y tre forc; or, le travail forc, c'est l'esclavage . Le communisme ne peut donc reposer que sur l'esclavage. Il est vident que dan s ce rgime, comme dans celui dont parle Montesquieu, on ne rparerait rien; on ne btirait que pour la vie. La civilisation retournerait l'enfance. Note [C114]: (p. 166). trangler ses frres. Rien de plus frquent que ces meu rtres de famille, et le souverain lui-mme n'est pas l'abri. Aussi, a-t-on dit

que la monarchie asiatique tait le pouvoir absolu tempr par l'assassinat. E n Perse, dit Chardin, on fait arracher les yeux tous ceux qui viennent du sang royal, ou on les laisse mourir quand ils naissent, en ne les allaitant pas. Note [C115]: (p. 166). Choisir son successeur. C'est le comble du despotisme q uand le prince peut choisir lui-mme son successeur. L'hrdit est une limite, un frein. Par l'adoption, au contraire, le despote rgne encore aprs sa mort. Note [C116]: (p. 167). La plupart des peuples y sont soumis. C'est beaucoup di re. L'Europe entire, moins la Russie, toute l'Amrique, l'Australie, vivent sou s l'empire de gouvernements temprs. L'Asie et l'Afrique seules appartiennent a u despotisme. Ce qui est vrai, c'est que les gouvernements libres ou seulement m odrs sont trs difficiles fonder et maintenir, et que les peuples n'en son t pas toujours capables. Note [C117]: (p. 168). Continuation du mme sujet. Nous avons expliqu, dans n otre Introduction, pourquoi Montesquieu s'tend avec tant de complaisance sur le despotisme. C'est qu'il tait persuad que la monarchie franaise, par la suppr ession des pouvoirs intermdiaires, des parlements, des communes, des tats gn raux (dont cependant il ne parle jamais), s'acheminait vers le despotisme. C'ta it un pouvantail qu'il prsentait la France, pour lui donner le dsir d'un go uvernement libre. Note [C118]: (p. 168). La cession de biens. On appelle cession de biens la pra tique en vertu de laquelle le dbiteur se libre envers le crancier, par l'aban don total de ce qu'il possde. C'est une sorte de quittance. Note [C119]: (p. 169). Le pculat est naturel dans les tats despotiques. Le p culat n'est autre chose que la concussion: c'est l'administrateur qui se paye l ui-mme sur les fonds des administrs. Il est trange d'entendre dire qu'un tel vice puisse tre naturel dans un gouvernement326 quelconque. On voit que Monte squieu se place uniquement au point de vue des faits, sans croire ncessaire d'y mler ni approbation ni blme. Mais on peut dire que cette sorte d'excuse impli cite du pculat est au fond un blme du gouvernement despotique. Un tel gouverne ment reposant sur la spoliation est par l mme condamn. Note [C120]: (p. 169). Les confiscations... C'est l'honneur de la socit mode rne d'avoir aboli le principe de la confiscation. Note [C121]: (p. 169). Les acquts. Biens acquis pendant le mariage, au profit de la communaut, en opposition aux propres, qui sont les biens particuliers de chaque poux. Note [C122]: (p. 169). Le vizir est le despote lui-mme. C'est ce qui est arri v, mme en France, lorsque Richelieu et Mazarin se sont trouvs investis par la confiance de la royaut de la puissance souveraine. Aussi tait-ce avec raison qu' la mort de Mazarin, Louis XIV voulut dclarer qu'il ne prendrait pas de pre mier ministre, et qu'il entendait gouverner par lui-mme. C'tait revenir l'es prit de la monarchie. Note [C123]: (p. 172). Des tmoignages de cette vertu. Ainsi les distinctions purement honorifiques, qui ne sont pas accompagnes d'argent et qui ne conduisen t pas la fortune, n'ont donc rien de contraire la nature des rpubliques. Se ulement, ce que Montesquieu dit de la grandeur des rcompenses, peut se dire de leur nombre. Ce serait un signe de corruption, si ces tmoignages d'honneur s'av ilissaient par leur extension abusive. Aussi a-t-on bien fait de limiter parmi n ous le nombre des dcorations honorifiques. Note [C124]: (p. 173). Dans le gouvernement rpublicain. Cette rponse me para t contestable. Un citoyen qui remplit de force une fonction, ne peut pas bien l

a remplir. Ce qui est vrai, c'est que lorsqu'un citoyen est indiqu pour un empl oi (et il ne s'agit que des plus hauts), il se fait autour de lui une telle pres sion qu'il est difficile qu'il rsiste. S'il le fait, c'est qu'il sent son impui ssance, et c'est lui qui est le meilleur juge. Il faut aussi compter sur l'ambit ion qui est en gnral toujours prte. Note [C125]: (p. 174). Une place infrieure celle qu'il a occupe. Il est ra re qu'on ait employer un citoyen dans un rang infrieur. En principe, cela n'e st pas juste: en fait, si cela est utile, c'est un sacrifice qu'il faut laisser au libre arbitre de chacun: la vertu force n'est plus la vertu. Note [C126]: (p. 174). Les emplois civils et militaires. Il faut les unir dans les rpubliques. Rien de plus inexact; la sparation du civil et du327 militair e est, au contraire, de l'essence des dmocraties. Le danger de faire un tat p articulier dont parle Montesquieu est bien moins grand que celui de mettre l'ad ministration civile entre les mains de la force arme. Un tel rgime conduirait ou bien au gouvernement militaire, destructif de toute libert, ou bien une ab sorption du militaire par le civil, destruction de toute arme. Sans doute, c'es t en tant que citoyen qu'on est soldat; mais en tant que soldat, on ne doit qu'o bir et non commander. Note [C127]: (p. 175). Un tat particulier des gens de guerre. En effet, en An gleterre (et c'est cet tat que Montesquieu fait allusion), la crainte des arm es permanentes est traditionnelle; et ce sentiment a depuis pass en Amrique; mais cela tient la situation particulire de ces deux tats, l'Angleterre et l es tats-Unis tant suffisamment protgs par la mer, pour n'avoir pas besoin de soldats. Mais en Europe, o les nations doivent se protger elles-mmes, une ar me est ncessaire, et si cette arme se confondait avec le gouvernement, elle s erait tout, et il n'y aurait plus de libert. La sparation du civil et du milit aire est donc obligatoire l o une arme permanente est de toute ncessit. Note [C128]: (p. 175). Mtier de famille. Voltaire proteste ici avec chaleur c ontre cette expression: La fonction diverse de rendre la justice, de disposer d e la fortune et de la vie des hommes, un mtier de famille! De quelles raisons l 'auteur soutient-il une thse si indigne de lui?... Une monarchie, selon Montesq uieu, n'est donc fonde que sur des vices? Mais pourquoi la France est-elle la s eule monarchie de l'univers qui soit souille de cet opprobre de la vnalit?... Il et mieux valu, dit un sage jurisconsulte, vendre les trsors de tous les co uvents que de vendre la justice... Vendre publiquement la justice et faire jurer ce juge qu'il ne l'a point achete, c'est une sottise sacrilge. La vnalit des charges judiciaires qui avait t introduite pour procurer de l'argent l' tat, a t abolie par la Rvolution. Il ne faut pas confondre les charges judic iaires avec les offices ministriels (notaires, avous, greffiers, etc.), o la vnalit, abolie galement par la Rvolution, a t rtablie implicitement en 18 16, par une loi financire. Note [C129]: (p. 176). Il faut des censeurs dans une rpublique. Montesquieu e st toujours plac au point de vue des rpubliques anciennes, qui n'taient au fo nd que des gouvernements de famille. L'tat tait le reprsentant et l'hritier du pre de famille, et avait hrit d'une partie de l'autorit paternelle. Mais dans nos socits modernes, rpubliques ou monarchies, on ne supporterait pas l' institution de328 la censure. Ce n'est pas dire que les lois ne doivent pas fa ire ce que faisaient les censeurs Rome, c'est--dire dfendre les murs contre la corruption, qui se glisse sous le nom de libert. L'impudicit publique est la honte des gouvernements libres. Dans des tats modernes, c'est la presse qui fait la censure des murs. Seulement elle aurait bien souvent besoin elle-mme d e censeurs. Note [C130]: (p. 176). On n'est surpris... Voltaire rpond encore ici Montes quieu, avec la vivacit de son bon sens et de son cur: Non, je ne suis pas sur

pris de ces deux jugements atroces; car je n'en crois rien... Je ne crois pas qu e les Athniens aient eu l'absurdit aussi ridicule que barbare de tuer des homm es et des enfants pour des moineaux. C'est un jugement de murs, dit Montesqui eu. Quelles murs! Quoi donc! N'y a-t-il pas une duret de murs plus horrible tuer votre compatriote qu' tordre le cou un moineau?L'observation de Volta ire est juste s'il s'agit de condamner mort pour un moineau: c'est une peine d isproportionne au dlit. Mais il n'en est pas moins vrai que l'tat a le droit de punir la cruaut envers les animaux, qui devient souvent la cruaut envers le s hommes. C'est ce qu'a fait parmi nous avec beaucoup de raison la loi Grammont, qui punit les mauvais traitements envers les animaux.329 TABLE DES MATIRES Introduction de l'diteur loge de Montesquieu, par d'Alembert L'ESPRIT DES LOIS Prface Avertissement Livre I II III IV V APPENDICE Extraits de Montesquieu Notes explicatives NOTES [1] Cette Introduction est extraite de notre Histoire de la science politique da ns ses rapports avec la morale (2 vol. in-8o, 3e dition, 1887). Notre diteur, M. Flix Alcan, a bien voulu nous autoriser la publier. [2] Machiavel, auteur du Prince et des Discours sur Tite-Live (xve sicle). [3] Grotius (xviie sicle), auteur du Trait du droit de la paix et de la guerre .Bodin (xvie sicle), de la Rpublique. [4] Les randeur . (Voir eaux et Lettres persanes sont de 1721; les Considrations sur les causes de la g des Romains et de leur dcadence sont de 1734; l'Esprit des lois de 1748 Louis Vian, Montesquieu, sa vie et ses uvres d'aprs des documents nouv indits.Caro, la Fin du xviiie sicle, vol. I, c. 2.)

[5] Lettre xxxviii. [6] Lettre xxix. [7] Lettre xcii. [8] Lettre xcviii. [9] Lettre cxvii.

[10] Lettre xcviii. [11] Lettre cix. [12] Voir la lettre cxxiv tout entire: Ordonnons... que tout laboureur ayant c inq enfants retranchera journellement la cinquime partie du pain qu'il leur don ne, etc. [13] Lettre cii. [14] Lettre cv. [15] Lettre cii. [16] Lettre lxxxix. On voit par ce passage que Montesquieu ne distinguait pas en core, comme il l'a fait plus tard, l'honneur et la vertu. Ce passage suffit mo ntrer ce qu'il y a d'artificiel dans sa thorie des trois principes. L'origine d e la thorie de l'honneur, comme principe monarchique, se trouve dans la lettre suivante, xc. [17] Considrations, viii. [18] Considrations, viii. [19] Ibid., xi. [20] Ibid., ix. [21] Considrations, xiii. [22] L'Esprit des lois parut Genve, sans date (2 vol. in-4o); mais la critiqu e est d'accord pour en fixer la date en 1748. L'ouvrage contient 14 cartons exig s par la censure; M. Vian (Hist. de Montesquieu, sa vie et ses uvres, Paris, 1 877) a relev sur deux exemplaires qui subsistent, le texte primitif. Les change ments sont de peu d'importance d'ailleurs. [23] Voy. Barthlemy Saint-Hilaire, Introduction sa traduction de la Politique d'Aristote.Le droit politique est encore natre, dit J.-J. Rousseau (mile, l. II). Le seul moderne en tat de crer cette grande science et t Montesqui eu; mais il n'eut garde de traiter des principes des droits politiques; il se co ntenta de traiter des droits positifs des gouvernements tablis. [24] Espr. des lois, l. I, c. iii. La mme doctrine est exprime dans les Lettre s persanes: La justice est un rapport de convenance qui se trouve rellement en tre deux choses: ce rapport est toujours le mme... Quand il n'y aurait pas de D ieu, nous devrions toujours aimer la justice... Voil ce qui m'a fait penser que la justice est ternelle et ne dpend pas des conventions humaines. [25] Esprit des lois, l. I, c. iii. [26] Aug. Comte (Cours de philosophie positive, t. IV, 47e leon) a bien vu le g rand mrite de Montesquieu, et le considre comme le vrai crateur de la science sociale. [27] Spinoza, philosophe du xviie sicle qui soutenait le fatalisme, c'est--dir e la doctrine de la ncessit universelle. [28] Quelle apparence qu'une cause inintelligente ait donn naissance des tr es intelligents?

[29] Cet intressant et instructif ouvrage est de 1796. [30] L. I, c. ii. [31] L. II, c. i. [32] L. III, c. ii. [33] L. II, c. ii. [34] Espr. des lois, l. II, c. ii. Le peuple est admirable pour choisir ceux qui il doit confier une partie de son autorit. Il n'a qu' se dterminer par de s choses qu'il ne peut ignorer et des faits qui tombent sous les sens. Il sait t rs bien qu'un homme a t souvent la guerre, qu'il y a eu tels ou tels succs : il est donc trs capable d'lire un gnral... [35] Esprit des lois, l. III, c. iii. [36] L. II, c. iii. [37] L. III, c. iv. [38] Avertissement. [39] Esp. des lois, l. II, c. iv. [40] L. III, c. vi et l. IV, c. ii. [41] L. II, c. v, et l. V, c. xiv, xv. [42] L. III, c. ix. [43] L. VIII, c. i. [44] L. VIII, c. ii, iii, iv. [45] L. VIII. [46] Ib., c. ii. [47] L. VIII, c. v. [48] L. VIII, c. vi et vii. [49] L. VIII, c. x. [50] Voltaire, Comment. sur l'Esprit des lois, iv. [51] Esprit des lois, l. III, c. vi. [52] Nous avons vu que, dans les Lettres persanes (voir plus haut), Montesquieu confondait encore l'honneur et la vertu, et leur attribuait un rle gal dans le s rpubliques; mais en mme temps il tait frapp du rle que jouait en France l 'amour de la gloire et le point d'honneur. C'est cette vue particulire trs jus te dont il a fait, plus tard, un principe systmatique passablement arbitraire. [53] Sur le principe de l'honneur dans les monarchies, voyez surtout liv. III, c h. vi et vii; liv. IV, ch. ii; liv. V, ch. ix, et liv. VIII, ch. vi et vii.

[55] A g., e C v . De , l v. I , c. v.

[60] L. II, c. x. [61] Ib. [62] Ib. [63] L. . c. x . [64] L. III, c. v .

[67] L. XI, c. xx. [68] l le e M. l' e Be l , q v f e M e q e ' v vl x A gl e x-mme l be e le g ve eme . M e q e c e ce l ge, q 'e e p m v .

[70] L. XI, c. v . [71] L. XI, c. v . [72] Ce e g e e e ex c e expl c ' p ge b c le y me e M e q e , e p l' e ' p l'I l Sp e p v (v le pp e c c el f l Sp e p v , ex e C 'Ac m e e c e ce m le e p l q e , 1879). [73] L. I, c. x e

[74] L. I, c. xv . [75] L. X , c. .

[76] L. X , c. . [77] L. X, c. v.

[79] L. XX , c. x

[78] L. XX , c.

[69] L. I, c.

.

, mp Mm e c e M. A c c mp e e

c. x . C mp ez Le

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e lxxx.

x. .

[66] L. III, c. v

[65] L. III, c. v

. .

[59] M e q e le m e e e

e pe e q ' x p bl q e c e e ; p c le m c e (v

e v p p le N e ).

[58] E p.

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, l. II e l. . q

[57] L.

, c. x v.

[56] L

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, l. II, 8.

l e l

[54] Platon, Rp., l. IX, , . . I, p. 143.

m

[84] P exemple v j q e T cy c mme ce le p em e l v e p e c c e e m l f m l . Le l e p , c mme l e M e q e , le pp ce e q ve e l e, e l e e c e ; e l 'e p pp , e pp 'e p e l . D le l v e II l v e g ve eme e M e q e : p bl q e, m c e, e p me, l e b e e b e e ff c le v e l p q e: 1 le g ve eme f le g x e mme ; 2 ce x q e p e e f e p c l e . Il c e le l v e III le p c pe m p M e q e : l ve , l' e e l c e, e l e b e e l ' c c e b , l . De l ce gle b e ; le g ve eme f l pe ve e l ve l ppe l' c