Montalembert. Les moines d'Occident depuis Saint Benoít jusqu'a Saint Bernard. 1878. Volume 3.

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    21909. PARIS, TYPOGRAPHIE LAHURERue de. Flourus, 9

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    ex'^^^^ LES MOINES

    D^OCCIDENTDEPUIS SAINT BENOIT JUSQU'A SAINT BERNARD

    PAR

    LE COMTE DE MONTALEMBERTl/UN DES QUARANTE DE l'ACADIVIIE FRANAISE

    Fide ac veritate

    TOME TROISIEME

    CINQUIME DITION

    LIBRAIRIE JACQUES LEGOFFRELECOFFRE FILS ET C'% SUCCESSEURS

    PARISI

    LYON90, RUE BONAPARTE RUE BELLECOUR, 2

    1878

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    PR^NOBILI VIROEWNO WYNDHAM QUIN,

    GOMITI DE DUNRAYENHIBERNIiE ET BRITANNI^ PARI,ORDINIS S. PATRICII EQUITI,COMITI ITINERIS COMISSIMO

    AMICO IN ADVERSIS P R B A TI S SIMO ,VI PBISG^ FIDEI SIMUL AC PATRIE LAUDIS.

    SERVANTISSIMO;QUI INSUPER,

    EX ANTIQUISSIMA INTER CELTAS PROGENIEEDITUS,

    CELTICIS CATHOLICISQUE REBUSSTRENUE SEMPER INGUBUIT,

    TERTIUM HOC OPEROSI LABORIS VOLUMEND. D. D.

    CAROLUS GOMES DE MONTALEMBERT,

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    LIVRE XORIGINES CHRTIENNES DES ILES BRITANNIQUES

    Dilata locum tentorii tui, et pelles ta-bernaculorum tuorum extende, ne parcas :longos fac funiculos tuos, et clavos tuosconsolida Ad dexteram enim et cd laevampenetrabis : et semen tuum gente haereditabit.

    IsAAs. i,iy. 2 , 5.

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    CHAPITRE PREMIERLa Grande-Bretagne avant la conversion

    des Saxons.

    Caractre du peuple anglais : hritier du peuple romain, il ne luiemprunte que sa grandeur et son orgueil. D'o lui est venuesa religion ? Des papes et des moines.Les moines ont fait l'An-gleterre comme les vques ont fait la France. Les hros de larsistance l'Empire : Caractacus, Boadicea, Galgacus.Aucunetrace du droit romain en Angleterre;tout y est celtique ou teuto-nique. La Bretagne est la premire des nations occidentales quisache vivre sans Rome, et la premire qui sache rsister aux bar-bares. Ravages des Piets; Gildas; arrive des Anglo-Saxonsen Bretagne, ils y dtruisent l'difice du christianisme primitif. Origine du christianisme breton : le proto -martyr saintAlban. Ravages des Saxons; secours prodigus par la papaut. Mission de Palladius, puis de saint Germain d'Auxerre. Bataille de VAllluia, Le Breton Ninian devient l'aptre desPiets du Midi : son tablissement Whitehorn ; frocit des Ca-ldoniens ; sa mort. Glastonbury ; lgende de Joseph d'Arima-thie ; tombe du roi Arthur.Situation de la Bretagne de 450 550; quatre races diverses; les Piets, les Scots, les Bretons etles Saxons.D'o viendra aux Saxons la lumire de l'vangile?Il y a dans TEurope moderne, sept lieues de la

    France, en vue de nos plages du nord, un peupledont l'empire est plus vaste que celui d'Alexandreou des Csars^, et qui est la fois le plus libre

    1. Les dernires statistiques portent cent soixante quatorze mil-lions le nombre des sujets ou des vassaux de la couronne d'Angleterre.

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    4 LA GRANDE-BRETAGNEet le plus puissant, le plus riche et le plus viril,le plus audacieux et le plus rgl qui soit aumonde. Aucun peuple n'offre une tude aussi in-structive, un aspect aussi original, des contrastesaussi tranges. A la fois libral et intolrant,pieux et inhumain, amoureux de Tordre et dela scurit autant que du mouvement et du bruit,il unit un respect superstitieux pour la lettre de laloi la pratique la plus illimite de l'indpendanceindividuelle. Vers comme nul autre dans tous lesarts de la paix et nanmoins invincible la guerre,parfois mme pris pour elle d'une passion effrne

    ;trop souvent tranger l'enthousiasme, mais inca-pable de dfaillance, il ignore jusqu' la notion dudcouragement ou de l'a mollesse. Tantt il mesuretout l'aune de ses profits ou de ses caprices, tanttil s'enflamme pour une ide ou une passion dsin-tresse. Aussi mobile que pas un dans ses affectionset ses jugements, mais sachant presque toujours secontenir et s'arrter temps, il est dou la foisd'une initiative que rien n'tonne et d'une per-svrance que rien n'abat. Avide de conqutes etde dcouvertes, il erre et court aux extrmits de laterre, puis revient plus pris que jamais du foyerdomestique, plus jaloux d'en assurer la dignit et ladure sculaire. Ennemi implacable del contrainte,l est l'esclave volontaire de la tradition et de la

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 5discipline librement accepte, ou d'un prjug hr-ditairementtransmis. Nul peuple n'a tplussouventconquis, nul n'a su mieux absorber et transformerses conqurants. Nul n'a perscut le catholicismeavec un plus sanguinaire acharnement ; encore au-jourd'hui, nul ne semble plus hostile l'glise, etcependant nul n'en a plus besoin ; nul aussi ne luifait plus dfaut; nul n'a laiss dans son sein unvide plus irrparable ; nul enfin n'a prodigu nosvques, nos prtres, nos religieux proscrits uneplus gnreuse hospitalit. Inaccessible aux oragesmodernes, cette le a t un asile inviolable pournos pres et nos princes exils, non moins que pournos plus violents ennemis.

    Ni l'gosme parfois sauvage de ces insulaires, nileur indiffrence trop souvent cynique pour les dou-leurs et la servitude d'autrui, ne doivent nous faireoublier que l, plus que partout ailleurs, Thommes'appartient lui-mme et se gouverne lui-mme.C'est l que la noblesse de notre nature a dvelopptoute sa splendeur et atteint son niveau le plus lev.C'est l que la passion gnreuse de l'indpendance,unie au gnie de l'association et la pratique con-stante de l'empire de soi, ont enfant ces prodigesd'nergie acharne, d'indomptable vigueur, d'h-rosme opinitre, qui ont triomph des mers et desclimats, du temps et de la distance, de la nature et de

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    6 LA GRANDE-BRETAGNE,la tyrannie, en excitantla perptuelleenvie detous lespeuples et Torgaeilleux enthousiasme des Anglais *.

    Aimant la libert pour elle-mme et n'aimantrien sans elle, ce peuple ne doit rien ses rois, quin'ont t quelque chose que par lui et pour lui. Surlui seul pse la formidable responsabilit de sonhistoire. Aprs avoir subi, autant et plus qu'aucunenation de l'Europe, les horreurs du despotisme po-litique et religieux au seizime et au dix-septimesicle, il a su, le premier et le seul, s'en affranchirpour toujours. Rintgr dans son vieux droit,sa fire et vaillante nature lui a depuis lors interditd'abdiquer entre des mains quelconques ses droits,ses destins, ses intrts, son libre arbitre. Il saitvouloir et agir pour lui-mme ; gouvernant, soule-vant, inspirant ses grands hommes, au lieu d'tre

    i. Jamais cet enthousiasme ne s'est mieux formul que dans ces vers,rpts avec transport par le grand moraliste anglais du dernier sicle,Johnson, le 23 octobre 1773, au retour de sa visite Tle monastiqued'Iona, berceau du christianisme britannique, o nous allons tout rheure transporter nos lecteurs :

    Stern o'er each bosora Reason holds her state,With daring aims irregularly great ;Pride in their part, dfiance in their eye,I see the lords of human kind pass by ;Intent on high designs, a thoughtful band,By forms unfashioned, fresh from nature's liand,Fierce in their native hardiness of sol ;True to imagined right, above control,While even the peasant boats thse rights to scan,And learns to venerate himself as man.

    GoLDSMiTH, the Traveller,

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 7sduit, gar ou exploit par eux. Cette race anglaisea succd l'orgueil comme la grandeur dupeuple dont elle est Tmule et l'hritire, du peupleromain; j'entends les vrais Romains de la Rpu-blique, non les vils Romains asservis et dpravspar Auguste. Comme les Romains envers leurs tri-butaires, elle a t froce et cupide envers l'Irlande,infligeant ainsi sa victime, jusqu'en ces dernierstemps, la servitude et l'abaissement qu'elle rpudieavec horreur pour elle-mme. Comme la Rome an-tique, souvent hae et trop souvent digne de haine,elle inspirera toujours ses juges les plus favo-rables plus d'admiration que d'amour. Mais, plusheureuse que Rome, aprs mille ans et plus, elle estencore toute jeune et fconde. Un progrs lent,obscur, mais ininterrompu, lui a cr un fondsinpuisable de force et de vie. Chez elle, la svedbordait hier et dbordera demain. Plus heureuseque Rome, malgr mille inconsquences, milleexcs, mille souillures, elle est de toutes les racesmodernes et de toutes les nations chrtiennes cellequi a le mieux conserv les trois bases fondamen-tales de toute socit digne de l'homme : l'esprit delibert, l'esprit de famille et l'esprit religieux.Comment cette nation, o survit et triomphe un

    orgueil tout paen, et qui n'en est pas moins res-te, jusqu'au sein de l'erreur, la plus religieuse

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    8 LA GRANDE-BRETAGNEde toutes les nations de l'Europe \ comment est-elledevenue chrtienne? Gomment et par quelles mainsle christianisme y a-t-il jet de si indestructiblesracines? Question capitale, coup sr, parmi lesplus capitales de l'histoire, et dont l'intrt clateet redouble quand on songe que de la conversionde l'Angleterre a dpendu et dpend encore laconversion de tant de millions d'mes. Le chris-tianisme anglais a t le berceau du christianismede l'Allemagne ; du sein de l'Allemagne, des mis-sionnaires forms par les Anglo-Saxons ont portla foi en Scandinavie et chez les Slaves, et chaquejour, l'heure qu'il est, soit par la fconde expan-sion de Torthodoxie irlandaise, soit par l'impulsionobstine de la propagande protestante, il se cre deschrtients, qui parlent anglais et vivent l'an-glaise, dans toute l'Amrique du Nord, dans lesdeux Indes, dans l'immense Australie et dans lesles de l'ocan Pacifique. C'est presque une moitidu monde dont le christianisme dcoule ou dcou-lera del source qui a jailli sur le sol britannique.

    Or, cette question capitale, il est permis de1. On s'tonnera peut-tre de cette affirmation. Elle exprime une

    conviction fonde sur des comparaisons et des tudes personnellesfaites pendant prs de quarante ans, dans tous le pays de l'Europe,except en Russie. Elle s'accorde, d'ailleurs, avec les rsultats donnspar l'un des observateurs les plus consciencieux et les plus perspicacesde notre temps, M. Le Play.

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 9rpondre avec une prcision rigoureuse. Nul peupleau monde n'a reu la foi chrtienne plus directe-ment de rglise romaine et plus exclusivement parle ministre des moines.

    Si, comme Ta dit un grand ennemi de Jsus-Christ, la France a t faite par les vques, il estbien plus vrai encore que l'Angleterre chrtienne at faite par les moines. De tous les pays de l'Europec'est celui qui a t le plus profondment labourpar le soc monastique. Ce sont les moines, et lesmoines seuls, qui ont port, sem et cultiv danscette le fameuse la civilisation chrtienne.D'o venaient ces moines? De deux courants trs-distincts, de Rome et de l'Irlande. Le christianismebritannique est n du concours et quelquefois duconflit des missionnaires monastiques de l'Egliseromaine et de l'glise celtique.

    Mais avant cette conversion dfinitive, due surtout un pape et des moines sortis des rangs bn-dictins, il y eut dans la Grande-Bretagne un christia-nisme primitif, dont l'existence fort obscure estnanmoins incontestable, et dont les destines et lacatastrophe mritent un rapide aperu.

    De tous les peuples conquis par Rome, les Bre-tons taient ceux qui avaient le plus longtempsrsist ses armes et le moins emprunt ses loisou ses murs. Un moment vaincus, mais non sou-

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    10 LA GRANDE-BRETAGNEmis, par Finvincible Csar, ils avaient contraint lebourreau des Gaules, le destructeur de la libertromaine, quitter leurs rivages sans y avoir fondla servitude. Moins heureux sous ses indignes suc-cesseurs, rduits en province, et livrs en proie Tavarice, laluxure, la frocit des usuriers^, desprocurateurs et des lieutenants impriaux, ils main-tinrent encore longtemps une attitude fireet dignequi contrastait avec Tesclavage universel. Jamdomitiutpareant, nondum ut servianV. Sujets et nonesclaves, c'est le premier et le dernier mot de l'his-toire britannique.Mme sous Nron, les Bretons riaient de ces vilsaffranchis que les Csars imposaient pour ministreset pour magistrats l'univers dshonor ^ Bienavant d'avoir t broye et ravive par les invasionssuccessives de trois races germaniques, les Saxons,les Danois et les Normands, cette noble raceceltique avait produit des personnages qui, grce Tacite, resplendissent d'une imprissable lu-mire au milieu de la dgradation du monde :Caractacus, le glorieux prisonnier, le Vercingtorixbreton, qui sut parler l'empereur un langagedigne des beaux jours de la Bpublique : Parce

    1. Tels que Snque lui-mme, selon Dion Cassius.2. Tacite, Agricola. c. 13.5. Annal., xiv, 39.

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. ila que vons voulez nous asservir, qui vous dit quec< tout le monde ait envie de votre servitude^ ? puis Boadicea, la reine hroque, donnant en spec-tacle son corps flagell et ses filles outrages,pour enflammer le patriotisme indign des Bretons,trahie par la fortune, mais sauve par l'histoire;enfin Galgacus, dont Tacite a immortalis le nomen lui prtant toute Tloquence que la conscienceet la justice pouvaient inspirer un honntehomme indign, dans cette harangue que nousavons tous sue par cur, et qui sonnait la chargedu combat o les fils les plus reculs de la libertceltique devaient cimenter de leur sang le rempartinsurmontable de leur indpendance montagnarde.

    La Bretagne prludait ainsi au glorieux avenirque la libert s'est cr, travers tant d'orages ettant d'clipss, dans cette le qui en est enfindevenue le sanctuaire et l'indestructible abri.

    Le droit civil de Rome, dont le joug pse encore,aprs dix-huit sicles couls, sur la France, l'Es-pagne, l'Italie et l'Allemagne, a sans doute rgn enBretagne, pendant l'occupation romaine ; maisil ena disparu avec lergime des Csars. Ses malfaisantesracines n'y ontjamais enlac, touff ou empoisonnles vigoureux rejets de la libert domestique, civile

    1. Ibid,, XII, 57.

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    12 LA GRANDE-BRETAGNEet politique. Il en est de mme pour tout le reste.Pas plus dans les institutions que dans les monu-ments de la Bretagne, Rome impriale n'a laissaucune trace de sa hideuse domination. La langueet les murs lui ont chapp comme les lois. Toutce qui n'est pas celtique y est teutonique. Il tait r-serv Rome catholique, la Rome des papes, d'im-primer uneineffaableempreinte sur cette le clbreet d'y revendiquer, pour l'immortelle majest del'vangile, l'influence sociale qui partout ailleursa t dispute ou drobe par l'hritage fatal dela Rome des Csars.Aussi, aprs avoir t la dernire, parmi les na-tions de l'Occident, subir le joug romain, fut-ellela premire s'en dfaire, la premire qui sut ab-jurer l'autorit impriale et apprendre au mondecomment on pouvait se passer d'empereur. Lorsquel'impuissance de l'Empire en face des incursionsbarbares eut clat en Bretagne comme ailleurs, lesBretons ne s'abandonnrent pas eux-mmes. Lespetites souverainets nationales, les clans aristocra-tiquement organiss, dont les divisions avaient faittriompher l'invasion romaine, reparurent sous deschefs indignes. Une sorte de fdration se consti-tua et ses chefs signifirent l'empereur Honorius,par une ambassade reue Ravenue en 410, quedsormais la Bretagne comptait se dfendre et se

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 15gouverner par elle-mme \ Un grand crivain Tadj remarqu : de tous les peuples soumis l'em-pire romain, les Bretons sont les seuls dont la luttecontre les barbares ait une histoire, et l'histoire decette rsistance a dur deux sicles. A la mmepoque, dans la mme situation, les Italiens, lesGaulois, les Espagnols, n'ont rien de pareiP. Ils selaissrent tous craser et abmer sans rsistance.

    Toutefois, la Bretagne elle-mme n'avait pas subiimpunment trois sicles et demi de servitude imp-riale. Comme dans la Gaule, comme dans tous lespays soumis l'Empire romain, la dpendance et lacorruption avaient la longue nerv, amolli et ruinces vaillantes populations. Les fils de ceux que Csarn'avait pu conqurir, et qui avaient si hroquementlutt sous Claude et Nron, se crurent bientt horsd'tat de tenir tte aux barbares, amissa virtutepariterac libertate. Ils rclamrent en vain l'inter-vention des lgions romaines : celles-ci revinrentdans l'le deux reprises diffrentes (418-424), maissans russir la dlivrer ou la protger. Du reste,

    1. Romanum nomentenens, legem abjiciens. Gildas, de Excidio Bri-ianni. Zozime, Hist. nov^ lib. vu, p. 376, 381. Cf. Lingard, History ofEngland, c. 1. Amde Thierry, Arles et le Tyran Constantin, p. 309.

    2. GuizoT, Essai sur Vhistoire de France^ p. 2.Seuls, en Gaule, lesArvernes, les compatriotes de Yercingtorix, eurent un beau moment,lorsque Ecdicius fora les Goths de lever le sige de Clermont, en 471;mais ce ne fat qu'un clair dans la nuit.

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    14 LA GRANDE-BRETAGNEles barbares qui venaient branler et renverser ladomination des Csars en Bretagne n'taient pas destrangers, comme le furent les Goths en Italie et lesFrancs en Gaule. On ne peut voir autre chose queles peuplades non soumises de la Bretagne elle-mmedans ces Caldoniens qui, sous Galgacus^ avaientrsist victorieusement gricola, et qui, sous lesnoms nouveaux de Scots et de Piets, faisant brche travers les fameux remparts levs contre eux parAntonin et par Svre, et renouvelant tous les ansleurs dvastations sanguinaires, arrachrent laBretagne, perdue et dsole par un demi-sicle deravages (446), ce cri de dtresse que tout le mondeconnat : c( Les barbares nous repoussent jusqu' lamer, la mer nous rejette vers les barbares. Nousn'avons plus que le choix d'tre gorgs ou noys. ))

    Tout le monde sait aussi comment les Bretonsacceptrent imprudemment contre les Piets le se-cours de la race belliqueuse et maritime des Anglo-Saxons (449), et comment, non moins cruels et nonmoins redoutables que les Piets, ces auxiliaires,devenus les conqurants du pays, y fondrent unedomination ou pour mieux dire une nationalit nou-velle, quia persist victorieusement travers toutesles conqutes et toutes les rvolutions subsquentes*Ces guerriers issus de la grande famille germanique,comme Ttaient, selon quelques rudits, les Bretons

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. i5eux-mmes, se rapprochaient de ceux-ci par leursinstitutions et leurs murs ; ce qui n'empcha pasles indignes de leur opposer, pendant prs de deuxsicles, une rsistance hroque, bien qu' la longueinfructueuse ^ Entirement trangers la civilisa-tion romaine, lesAnglo-Saxons n'eurent gardede con-server ou de rtablir les vestiges du rgime imprial.Mais en dtruisant la jeune indpendance des Bre-tons, en refoulant dans les rgions montueusesde rOuest les populations que n'atteignaient pas leslongs couteaux dont ils tiraient leur nom % ces paensrenversrent et anantirent pour un temps, sur lesol ensanglant de la Grande-Bretagne, un dificeautrement auguste que l'Empire romain et autre-ment solide que la nationalit celtique, l'difice dela religion chrtienne.On sait avec certitude que le christianisme fut im-

    plant en Bretagne ds le second sicle de l're chr-tienne; mais on ne sait rien de positif sur l'ori-gine ou l'organisation de cette glise primitive.Toutefois, au dire de Tertullien, elle avait pntr enCaldonie, au del des limites de la province ro-maine ^ Elle fournit la perscution de Diocltien

    1. Elle n'a t nulle part aussi bien raconte que par M. Arthur dela Borderie, dans la Revue bretonne de 1864.

    2. SaXy couteau, pe, en vieux allemand.3. Tertull., Adv. Judos, c. 7

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    16 U GRANDE-BRETAGNEson contingent de martyrs, et, au premier rangparmi eux, un jeune diacre, Alban, dont la tombedevait plus tard lre consacre par l'un des prin-cipaux monastres anglo-saxons. Elle apparut aussi-tt aprs la paix de l'Eglise, en la personne de sesvques, aux premiers conciles de l'Occident (314),Elle survcut la domination romaine, mais ce ne futque pour lutter pied pied et reculer enfin avec lesdernires tribus du peuple breton devant les envahis-seurs saxons, aprs un sicle entier d'efforts et desouffrances, de massacres et de profanations. Pen-dant tout ce temps, d'un bout de l'le l'autre, lesSaxons promenrent l'incendie, le meurtre et le sa-crilge; renversant les difices publics comme lesmaisons particulires, dvastant les glises, brisantles pierres sacres des autels, gorgeant les pasteursavec les ouailles*.

    Ces preuves si cruelles et si prolonges durentncessairement troubler les communications habi-tuelles des chrtiens de Bretagne avec l'glise ro-

    1. Beda, Hist. ecclestastica gentis Anglorum^ lib. i, c. 15. Cf. Gil-DAs, de Excidio Britanni, Les opinions sont partages quant ladestruction complte ou partielle des Bretons dans les pays conquis par|es Saxons. Palgrave surtout a contest la tradition ordinaire sur cefait. Cependant les historiens saxons eux-mmes ont constat plusd'un exemple d'extermination complte. Les premiers Saxons tablispar Cerdic, fondateur du royaume de Wessex, dans l'le de Wight,y anantirent toute la population indigne. Asser, p. 5, ap. Lin-gard, 1, 19. Chronicon AngloSaxonicum, ad ann. 490, d. Gibson,

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 17maine. Del cesdiversitsderites et d'usages, surtouten ce qui touchait la clbration de la Pque^ dontil sera tant question dans la suite. Mais ds pr-sent il convient de constater que l'tude la plus atten-tive des monuments authentiques ne rvle aucunelutte doctrinale, aucune diversit de croyance entreles voques bretons et Tvque des vques Rome.D'ailleurs, la Rome des papes prodiguait dj ses lu-mires et ses consolations sa fille d'outre-mer, aumoment mme o la Rome des Csars l'abandonnait d'irrparables dsastres.

    Avant mme d'tre condamne cette lutte mor-telle contre le paganisme germanique, l'Eglise bre-tonne avait connu les prilleuses agitations de l'h-rsie. Pelage, le grand hrsiarque du cinquimesicle, le grand ennemi de la grce, tait n dansson sein. Pour se dfendre de la contagion de sesdoctrines, elle appela son secours les vques or-thodoxes des Gaules. Le pape Clestin, qui, vers lamme poque, envoyait le diacre romain Palladiuscomme premier vque des Scots d'Irlande ou desHbrides^ (424 ou 431), averti par ce mme Palla-

    4. Prosper, Chron, consulare ad ann. 429. Dans un autre ou-vrage, ce contemporain ajoute : Et ordinato Scotis episcopo, dumPiomanam insulam studet servare catholicam, fecit etiam BarbaramChristianam. Lib. contra Collt., c. 14. Mais le peu de succs decette mission, dont il n*est pas mme question dans les anciensmonuments historiques de l'Irlande, rend assez plausible la con-

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    18 LA GRANDE-BRETAGNEdius du danger que courait la foi en Bretagne, char-gea notre grand vque d'Auxerre, saint Germain,d'aller y combattre l'hrsie plagienne. Deux foisce pontife va visiter la Bretagne et la fortifierdans la foi orthodoxe et l'amour de la grce c-leste. Germain, accompagn la premire fois parTvque de Troyes \ et la seconde par l'vque deTrves (429-446), ne veut d'abord employer contreles hrtiques que les armes de la persuasion. Ilprche aux fidles, non-seulement dans les glises^mais dans les carrefours et dans les champs. Il ar-gumente publiquement contre les docteurs pla-giens en prsence des peuples assembls et passion-nment attentifs, avec leurs femmes et leurs en-fants^ Soldat dans sa jeunesse, l'illustre vquejecture de M. Varin, qui pense que Palladius fut seulement chargdes Scots dj tablis dans les Hbrides et sur la cte occidentale de laCaldonie. C'est ici le lieu de mentionner un saint que Ton -vnraitdans l'glise d'Ecosse comme disciple de Palladius, saint Ternan, qua-lifi d'archevque des Piets dans les livres liturgiques d'Aberdeen,lesquels font de saint Palladius (-j; vers 450) le contemporain desaint Grgoire le Grand (-J- 604). La mmoire de ce saint vient d'treremise en lumire par la publication rcente d'un fort crrieux mo-nument liturgique : Liber ecclesi Beati Terrenani de ArbuthnoU,seu Missale secundiim usum Ecclesi sancti Andre in Scotia, dueau docteur Forbes, vque anglican de Brchin. Mais l'article consacrpar les Bollandistes ce saint (Act. SS- Junii, t. H, p. 533-535) nersout aucune des incertitudes qui rgnent sur son existence.

    1. Saint Loup, form l'cole monastique de Lrins, et si connu parsa victoire morale sur Attila. Voir tome 1^', livre hl

    2. Bde, 1, 18.

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 19retrouve Tardeur intrpide de son premier mtierpour dfendre le peuple qu'il venait vangliser.A la tte de ses proslytes dsarms, il marchecontre une horde de Saxons et de Piets, dj liguscontre les Bretons, et les met en fuite en faisant r-pter trois frois par toute sa troupe le cri d'alleluiajrpercut par les montagnes voisines. C'est la jour-ne connue sous le nom de Victoire de VAllluia.Heureux s'il avait pu prserver jamais les vain-queurs du fer des Barbares, comme il russit lesgurir du poison de l'hrsie, car aprs lui le pla-gianisme ne reparut en Bretagne que pour recevoirun dernier coup au synode de 519. Grce aux dis-ciples qu'il forma et qui devinrent les fondateursdes principaux monastres de la Cambrie, c'est notre grand saint gaulois que remontent les pre-mires splendeurs de la vie cnobitique en Bretagne.Le clbre vque d'Auxerre et ses confrres nefurent pas les seuls pontifes que l'Eglise romainecommit la garde et la propagation de la foi enBretagne, Vers la fin du quatrime sicle, au plus fortdes invasions caldoniennes, le fils d'un chef breton,Ninias, ou Ninian, avait t Rome se tremperdans les sources de l'orthodoxie et de la discipline,et aprs y avoir vcu, pri et tudi pendant vingt-quatre annes l'cole des Jrme et des Da-mase (370-394), il y avait reu du pape Siricius le

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    20 Li GRANDE-BRETAGNEcaractre piscopaP. Revenu en Bretagne, il eutl'audacieuse pense d'opposer aux flols toujoursplus rapprochs et toujours plus terribles des bar-bares du Nord la seule digue qui pt les arrteret la seule force qui pt les dompter en les trans-formant. Il entreprit de les convertir la foichrtienne. Il avait d'abord tabli le centre de sondiocse dans un canton recul de cette rgion inter-mdiaire^ situe entre les deux isthmes qui coupentla Grande-Bretagne en trois portions ingales. Cettergion, sans cesse dispute par les Piets aux Bre-tons et aux Romains, n'avait t rduite en provincesous le nom de Valentia que du temps de l'empe-reur Valentinien, et comprenait tous les pays entrele mur d'Antonin au nord et le mur de Svre aumidi. L'extrmit occidentale de cette province, etla plus voisine de l'Irlande, portait ds lors le nom deGalwidiaou Galloway^ elle forme une sorte de pres-qu'le, dcoupe par la mer en plusieurs vastes etlarges promontoires. Ce fut au bord d'un de cesgolfes, sur un cap d'o l'on distingue les cteslointaines de Cumberland et l'le de Man, queNinian constitua un foyer ecclsiastique en levant

    1. Bde, m, 4.2. Cette province, ainsi dnomme pendant tout le moyen ge, est

    reprsente sur les cartes modernes par les comts de Wigton et deKirkcudbright.

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    AVAiNT LA CONVERSION DES SAXONS. 21une glise en pierre. Ce genre de construction, in-connu jusqu'alors en Bretagne, valut la nouvellecathdrale et au monastre qu'il y adjoignit le nomde Candida Casa^ ou White Horn, qui subsiste en-core^ Il consacra cette glise saint Martin, cetillustre aptre des Gaules, auprs de qui il s'taitarrt Tours en revenant de Rome, et qui selonla tradition lui avait donn des maons capables deconstruire une glise d'aprs l'usage de Rome.L'image du saint pontife qui venait de mourir aumoment o Ninian s'tablit dans sa Maison-Blanche,le souvenir de son courage, de ses laborieux effortscontre l'idoltrie et l'hrsie, de sa charit si g-nreusement indigne contre les perscuteurs^,taient bien dignes de prsider la carrire apos-tolique du nouvel vque breton, et de lui in-

    1. White, blanc; Horn, hem, du saxon Mm, maison. On montreencore dans une le voisine de la cte une petite glise ruine, qu'ondit avoir t btie par saint Ninian. Le diocse fond par lui dis-parut aprs sa mort ; mais les Anglo-Saxons le rtablirent, ainsi que lacommunaut laquelle le clbre Alcuin adressa une pitre intitule:Adfratres S. Ninianiin Candida Casa. Une nouvelle invasion des Piets,venus cette fois d'Irlande, dtruisit une seconde fois le diocse de Gal-]oway, qui ne fut rtabli qu'au douzime sicle, sous le roi David ^^Les belles ruines de cette cathdrale, relativement moderne, et dtruitepar les presbytriens se voient dans la ville actuelle de AYhitehorn.Le tombeau de saint Ninian fut toujours uq lieu de plerinage trs-frquent jusqu' la Rforme.

    2. Voir tome P', livre m.

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    22 Ll GRANDE-BRETAGNEspirer le dvouement ncessaire pour entamer laconversion des Piets.

    Qui donc, en parcourant de nos jours l'Ecossemridionale, des rives du Solway celles du Forthet de la Tay, en passant des gigantesques mtro-poles de l'industrie aux campagnes fcondes partous les perfectionnements modernes de l'agricul-ture, en rencontrant partout les preuves et les pro-duits de la civilisation la plus raffine, qui doncsonge encore aux obstacles qu'il a fallu surmonterpour arracher cette contre la barbarie? On n'ou-blie que trop facilement ce que devait tre l'tat dupays quand Ninian en devint le premier mission-naire et le premier vque. Et cependant les auteursprofanes et sacrs, Dion et Strabon, saint Jean Chry-sostome et saint Jrme, ont dpeint l'envi l'hor-rible cruaut, les murs sauvages et brutales de ceshabitants du nord de la Bretagne , qui successive-ment connus sous le nom de Caldoniens, de Meatx^'AUacoti\ de Scots et de Piets, n'taient trs-probablement que les descendants des tribus bre-tonnes que Rome n'avait pas pu dompter^ Tous

    1. Ces Attacoti, auxquels saint Jrme attribue des murs et descruauts impossibles raconter, habitaient selon l'opinion commune, lacontre pittoresque au nord de la Glyde, aujourd'hui parcourue partant de voyageurs, entre le Loch-Lomond et le golfe appel Loch-Fin.

    2. PaiGRAve, Riss andprogress oftheEnglish comnonwealth. Tome P',

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 23sont d'accord pour leur reprocher la promiscuit in-cestueuse de leurs mnages et jusqu' l'anthropo-phagie^ ; tous expriment l'horreur qu'inspiraientaux sujets de l'Empire ces monstres humains quidevaient leur dernier nom de Piets l'usage demarcher au combat tout nus, en dcouvrant ainsileurs corps tatous, comme ceux des sauvages del'ocan Pacifique, de dessins bizarres et de cou-leurs diverses. Ce fut nanmoins au sein de ces for-midables adversaires de la foi et de la civilisationque Ninian ne craignit pas de s'aventurer. Il d-pensa les vingt annes qu'il lui restait vivre enefforts infatigables pour les initier la lumired'en haut, pour les ramener du cannibalisme auchristianisme, lui, le fils et le reprsentant de cetterace bretonne, qu'ils taient accoutums depuis plusd'un sicle massacrer, dpouiller et mpriser,et cela au moment mme o l'Empire romain, re-prsent par Honorius, abandonnait la Bretagne ces implacables dvastateurs (411).

    Il ne reste malheureusement aucun dtail au-thentique sur sa mission^ aucun trait qui rappelle,

    p. 419. Ceci n'est vrai, du reste, que des Piets, car les Scots ve-naient incontestablement de l'Irlande, la Scotia du moyen ge.

    1. Voir surtout saint Jrme, in Jovinianum, lib. II.2. Les Bollandistes (die 16 Septembr.) n'admettent pas l'authenticitd la vie de Ninian, crite au douzime sicle par le saint abb ^Ired,

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    24 LA GRANDE-BRETAGNEmme de trs-loin, la mission si nettement carac-trise de son successeur, saint Columba, l'aptredes Piets du Nord, un sicle et demi plus tard (562-597). Nous savons seulement qu'il russit fonder,au sein des races piets, une chrtient qui ne futplus extirpe ; puis que, franchissant les limitesassignes par Agricbla et Antonin la domi-nation romaine au temps de sa plus grande splen-deur, il alla prcher la foi jusqu'au pied de cesmonts Grampians, o le beau-pre de Tacite avaitgagn sa dernire et infructueuse victoire S Noussavons que sa mmoire est reste en bndictionchez les descendants des Piets et des Scots et quede nombreuses glises consacres sous son vocableconservent aujourd'hui mme le souvenir du culteque lui voua la reconnaissance de la postrit^;nous savons enfin que, dj septuagnaire, il revintmourir, dans son monastre de la Maison-Blan-

    laquelle ne contient que des miracles comme il s'en trouve partout,sans aucun trait spcialement caractristique.

    1. Ipsi australes Picti, qui infra eosdem montes habent sedes. . re-lictoerrore idololatriae, fidem veritatis acceperant, prsedicanteeisver-bum Ninia episcopo. Bde, HI, 4.

    2. Mme au del des monts Grampians : Tendroit o le Glen-Ur-quliart dbouche sur le Loch Ness, et o saint Columba (voir plus loinliv. XL chap. iv) alla visiter un vieux Picte mourant, on voit une cha-pelle ruine qui porte le nom de Saint-Ninian, d'o l'on peut supposerque sa mission avait dpass la frontire qui lui est ordinairement

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    AVANT LA CONVERSION DES SAXONS. 25che (452), aprs avoir pass les derniers tempsde sa vie se prparer au jugement de Dieu dansune caverne, laquelle se voit encore mi-cte d'unehaute et blanche falaise de cette plage du Gallovvrayque battent sans cesse les flots imptueux de la merd'Irlande ^

    Dans cette glise primitive de Bretagne, si cruel-lement prouve parles paens du Nord et de l'Est,par les Piets et les Saxons, il y avait bien d'autresmonastres que celui de Ninian White-Horn. Toutesles glises chrtiennes de ce temps taient pourvuesd'institutions cnobitiques, et Gildas, le moins sus-pect des annalistes bretons, ne laisse aucun doute cet gard pour la Bretagne ^ Mais l'histoire n'en agard aucun souvenir d( aill. En dehors de la Cam-brie, dont il va tre parl un peu plus loin, la seulegrande institution monastique dont le nom aittriomph de l'oubli se rattache la lgende pluttqu' l'histoire, mais elle a occup une trop grandeplace dans les traditions religieuses du peuple an-glais pour qu'il soit permis d'en omettre une men-tion rapide. Il fut un temps o les nations catholi-ques aimaient se disputer la prsance et l'an-ciennet dans la profession de la foi chrtienne, et

    4. Lives of the English saints, 1845, n*' XHI, p. 131. Old StatitlscalAccount of Glasserton^ cit par Stuart, Sculptured Stone ofScoplandyt. n, p. LXXXVIIT.

    2. De Excidio Brltanni, p. 43-45.MOINES d'oCC. III. 2

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    26 LA GRANDE-BRETAGNEallaient se chercher des anctres directs parmi lestres privilgis qui avaient connu, chri, servi leFils de Dieu pendant son passage sur la terre. Ellescroyaient, par ces gnalogies lgendaires, se rap-procher en quelque sorte du Calvaire et assister auxmystres de la Passion. C'est ainsi que l'Espagne avictorieusement revendiqu pour aptre le fils deZbde, le frre de saint Jean, ce Jacques, que Jsusavait associ aux splendeurs du Thabor et aux an-goisses du Jardin des Oliviers. C'est ainsi que le Midide la France se glorifiait de faire remonter ses ori-gines chrtiennes cette famille dont les douleurset l'amour sont enchsss dans l'vangile, Marthe,qui fut rhtessede Jsus; Lazare, que Jsus ressus-cita ; Madeleine, qui fut le premier tmoin de la r-surrection de Jsus; leur voyage miraculeux de laJude en Provence, au martyre de l'un, la retraitede l'autre dans la grotte de la Sainte-Baume, toutesces admirables traditions que l'rudition la plus so-lide est venue de nos jours encore justifier et con-sacrer*. L'Angleterre d'autrefois, avec beaucoupmoins de fondement, aimait se dire qu'elle devaitles premires semences de la foi Joseph d'Arima-

    4. Voir le grand et savant ouvrage publi par M. Faillon, directeur Saint-Sulpice, sous le titre de : Monuments indits sur Vapostolat desainte Marie- Madeleine en Provence, etc. Paris, 1848. Cf. Bouche, D-fense de la foi de Provence pour ses saints Lazare, Maxime, Martheet Madeleine

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    AYANT LA CONVERSION DES SAXONS. 27thie, ce disciple riche et noble% qui avait dposle corps du Seigneur dans le spulcre, o Madeleinevint pour l'embaumer. Les Bretons et aprs eux lesAnglo-Saxons et les Anglo-Normands se racontaientde pre en fils que Joseph, fuyant les perscutionsdes Juifs et n'emportant avec lui pour tout trsor quequelques gouttes du sang de Jsus-Christ, avait d-barqu l'ouest de l'Angleterre, avec douze compa-gnons; qu'il y avait trouv un asile dans un sitedsert, entour d'eau ^, et qu'il y avait construit etconsacr la bienheureuse Vierge Marie une chapelledont les murs taient forms de branches de sauleentrelaces et dont Jsus-Christ lui-mme n'avaitpas ddaign de clbrer la ddicace. C'est ce qu'ona racont depuis et ailleurs de deux grandes et c-lbres glises monastiques, celles de Saint-Denis en

    1. Nobilis decurio. S. Marc.2. GuiLLELMus Malmesburienss, Antl. Glasfonb., ap. Gale, Script, rer,

    Britann., t. UI, p. 295. Cf. Baronius, Ann., ad ann. 48. Dugdale, Mo-iasticoHy t. I, p, 2. Les BoUandistes et divers autres historiens mo-dernes se sont donn beaucoup de peine pour rfuter cette tradition.Elle est encore rapporte dans la lettre que quelques moines adress-rent la reine Marie, en 1553, pour demander le rtablissement de leurabbaye (ap. Dugdale, t. I, p. 9 de la nouvelle dition). A cause de cettetradition de Joseph d*Arimathie, les ambassadeurs d'Angleterre rcla-mrent la prsance sur ceux de France, d'Espag-ne et d'Ecosse, auxconciles de Pise en 1409, de Constance en 1414, et surtout de Bleen 1434, parce que, selon eux, la foi n'avait t prche en Franceque par saint Denis, et postrieurement la mission de Joseph d'Ari-mathie. Ussher, de Prim, Eccl. Brit., p. 22.

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    28 LA GRANDE-BRETAGNEFrance et de Notre-Dame des Ermites en Suisse.Ce lieu, prdestin devenir le premier sanctuairechrtien des Iles-Brilanniques, tait situ sur un af-fluent du golfe o se jette la Saverne; il prit plustard le nom de Glastonbury, et telle avait t, selonl'opinion populaire^ et invtre, l'origine de lagrande abbaye de ce nom, que vinrent peupler plustard des moines originaires d'Irlande^ Ce sanctuairedes lgendes primitives et des traditions nationalesde la race celtique passait en outre pour renfermerla tombe du roi Arthur, qui fut, comme on le sait,la personnification de la longue et sanglante rsis-tance des Bretons l'invasion saxonne, le championhroque de leur libert, de leur langue, de leur foi,et le premier type de cet idal chevaleresque dumoyen ge, o les vertus militaires se confondaientavec le service de Dieu et de Notre-Dame^

    Bless mort dans un de ces combats contre les1. n faut consulter sur cette clbre abbaye, comme sur toutes celles

    que nous nommerons par la suite, le recueil si curieux intitul : Mo^nasticon Anglicanum, par Dugdale, avec les admirables planches deW. Hollar, qui se trouvent dans les ditions du dix-septime sicle. Oncrut avoir dcouvert les ossements du roi Arthur Glastonbury, sousle rgne de Henri U, la fin du douzime sicle.

    2. Voir tout le cycle des pomes de la Table ronde en Angleterre, euFrance et en Allemagne, et surtout les trois grands pomes intitulsParceval, TiturelQiLohengriiij qui roulent sur le culte du Saint Graalou Sang Real, c'est--dire du sang de Notre-Seigneur recueilli parJoseph d'Arimathie et conserv dans le vase qui avait servi Jsus-Christ pour l'institution de l'Eucharistie.

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    AYANT LA CONVERSION DES SAXONS. 29Saxons, qui duraient trois jours et trois nuits desuite (542 547), il fut transport Glastonbury,y mourut et y fat enseveli en secret en laissant sanation la vaine esprance de le voir reparatre unjourS et toute l'Europe chrtienne une gloirelgendaire, un souvenir destin rivaliser avec celuide Gharlemagne.Ainsi la posie, l'histoire et la foi trouvaient unfoyer commun dans ce vieux monastre qui fut pen-dant plus de mille ans une des merveilles de l'An-gleterre et qui resta debout, florissant et grandcomme une ville entire, jusqu'au jour o Henri VIIIfit pendre et carteler le dernier abb, devant legrand portail du sanctuaire confisqu et profan*.

    Mais il nous faut rentrer dans la ralit de l'histoire et dans l'poque qui doit nous occuper, cellequi s'tend de la moiti du cinquime sicle aumilieu du sixime, pendant cette priode qui vit les

    1. Cf. Thierry, Hist, de la conqute d'Angleterre^ liv. I, p. 59,Lappenberg, t. I, p. 104-107. M. de la Borderie, dans son beau rcitde la lutte des Bretons insulaires contre les Anglo-Saxons, a fort biendistingu le personnage hyperbolique des traditions lgendaires, duTritable Arthur, chef de la ligue des Bretons du Sud et de TOuest,et vainqueur des Saxons ou plutt des Angles dans douze batailles.

    2. Le 15 novembre 1539. Ce martyr octognaire fut accus d*avoirdrob la main du spoliateur quelques portions du trsor de Tab-baye ; il fut poursuivi et mis mort par les soins de John Russell,fondateur de la maison des ducs de Bedford, et l'un des principauxinstruments de la tyrannie de Henri YIII. Voir le rcit de cette infmeexcution dans la continuation du Monasticon de Dugdale,parSteven3,

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    50 U GRMDE-BRETAGNEMrovingiens fonder en Gaule la royaut franquesi aime des moines, et saint Benot planter sur lemont Cassin le berceau du plus grand des ordresmonasliques. La Grande-Bretagne, destine devenirla plus prcieuse conqute des Bndictins, offraitalors le spectacle de quatre races diverses luttantavec acharnement les unes contre les autres.Au nord, les Piets et les Scots, encore trangerset hostiles la foi du Christ, retranchs derrire lesmonts et les golfes qui les faisaient regarder commedes gens d'outre-mer S menaant toujours les con-tres mridionales qu'ils avaient crases et stup-fies pendant un sicle par la recrudescence inter-mittente de leurs infestations, et d'o ils n'taientrepousss que par d'autres barbares aussi paens etaussi sauvages qu'eux-mmes.

    Plus bas, et dans la contre dont les golfes de laClyde, du Forlh et du Solway font la plus centraledes trois presqu'les dont se compose la Grande-Bretagne, d'autres Piets sont tablis dfinitivement, partir de 448, dans la contre qu'ils avaient ar-rache aux Bretons, et o l'aptre Ninian avaitjet la semence du christianisme ^tome I , p. 451. Au moirient de la suppression il y avait encore Glastonbury cent religieux qui vivaient dans une parfaite rgularit.

    i. Gildas et Bde les dc^'^eWewigentes transmarinas : non quod extraBritanniam essent posilae, sed quia a parte Brilonum erant remote.

    2. Gildas, apud Gale, p. 13.

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    AYANT LA CONVERSION DES SAXONS. 51Au sud-ouest et sur tout le littoral de la grande le

    qui regarde l'Irlande, une population indigneet reste indpendante offre *un asile aux malheu-reux Bretons, abandonns par les Romains, dci-ms, saccags, abms pendant un sicle par lesPiets, puis pendant un autre sicle dpouills,asservis ou expulss de leurs villes et de leurschamps par les Saxons, et refouls, les uns dansles montagnes du pays de Galles, les autres danscette langue ou corne de terre qui s'appelle laCornouailles, Cornu Wallix, 'diulres enfin dans largion maritime qui s'tend des bords de la Clyde ceux de la Mersey^

    Enfin, au sud-est, tout le pays qui s'appelle au-jourd'hui TAngleterre est tomb en proie aux Anglo-

    1. Il s'agit ici du royaume de Strath-Clyde, qui prit plus tard lenom de Cumbria, et dont il est rest un vestige, en mme tempsqu'une population plus bretonne que saxonne, dans le comte actuel4e Gumberland. Du reste, les limites de ce royaume sont fort dis-cutes. Pour se reconnatre au milieu de la confusion des textes et4es traditions relatives aux origines religieuses et chronologiques dela Grande-Bretagne, il faut avoir recours deux admirables m-moires rdigs par un savant moderne, trop tt enlev l'ruditionfranaise, M. Yarin, doyen de la Facult des sciences de Rennes, etinsrs dans le Recueil des mmoires prsents par divers savants VAcadmie des inscriptions et belles-lettres (tome V, i^ et 2 parties,1857 et 1858). Le premier est intitul : tudes relatives Vtat po-litique et religieux des Iles-Britanniques au moment de l'invasionsaxonne; le second : Mmoire sur les causes de la dissidence entreVEglise bretonne et Vglise romaine relativement la clbration dela fte de Pques. Avant de rsoudre cette dernire question avec

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    52 Li GRANDE-BRETAGNE, ETC.Saxons, occups y poser, sous la forme fdrativede sept ou huit royaumes de l'Heptarchie, les in-branlables fondations de la plus puissante nation dumonde moderne.

    Mais, comme les Piets du Nord, les nglo-Saxonssont encore tous paens. D'o leur viendront la lu-lumire de l'vangile et le ciment de la civilisationchrtienne, indispensables leur grandeur et leurvertu future? Ne sera-ce pas peut-tre de ces mon-tagnes de la Gambrie, de ce pays de Galles oles vaincus entretenaient le feu sacr des croyan-ces et des traditions de l'glise bretonne, avec sonclerg indigne et ses institutions monastiques?C'est une question qu'on ne saurait rsoudre avantd'avoir jet un coup d'il sur l'tat religieux decette pittoresque et attrayante contre au [siximesicle.

    une prcision et une perspicacit qui nous permettra de le suivre sanshsitation, M. Varin nous guide travers les mandres des trois prin-cipales coles, irlandaise, anglaise et cossaise, qui se sont disputessur les origines caldoniennes, et qui, personnifies dans Usher, Cam-den et Inns, sont demeures presque inconnues l'rudition conti-nentale.

    Il regarde comme dmontres : l'identit des Piets avec lesanciens Caldoniens ; 2 la thorie irlandaise, qui fait des Scots unecolonie d*HlbernoiSy originaire d'Irlande (vers 258 probablement) ettablie en Caldonie avant la priode des infesttions.

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    CHAPITRE IILes Saints et les Moines du pays de Galles.

    Les rfugis bretons en Cambrie y maintiennent le gnie de larace celtique. Hommage rendu aux vertus des Gallois parleur adversaire Giraldus. Musique et posie : les bardes etleurs triades. Dvouement la foi chrtienne. Le roiArthur couronn par l'vque Dubricius. Alliance des bardeset des moines : le barde surpris par l'inondation. Quelquesnoms surnagent dans l'ocan des lgendes. Action rci-proque de la Cambrie , de FArmorique et de l'Irlande les unessur les autres : lgendes identiques. Passion des moinesceltiques pour les voyages. Fondation des monastres pis-copaux de Saint-Asaph par Kentigern, de Landaff par Dubricius,de Bangor par Iltud, bandit converti et poursuivi par safemme. Saint David, moine- vque, est le Benot de laCambrie : plerinage Jrusalem d'o il revient archevque;droit d'asile reconnu ; il relve Glastonbury ; sa tombe devientle sanctuaire national de la Cambrie. Lgende de saintCadoc et de ses pre et mre ; il fonde Llancarvan, cole etncropole de la race cambrienne : ses aphorismes potiquesses vastes domaines ; il protge les cultivateurs : jeune filleenleve et reprise ; droit d'asile comme pour saint David ; lahaine de Cadoc. Il se rfugie en Armorique, y prie pourVirgile, rentre en Bretagne et y prit sous le fer des Saxons ;son nom invoqu au combat des Trente. Sainte Winifrdeet la fontaine de son martyre. Saint Beino, l'ennemi desSaxons. L'antipathie des Cambriens pour les Saxons est unobstacle la conversion des conqurants.

    Pendant la longue lutte que livrrent les bre-tons (449-560) pour la dfense de leur territoire

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    34 LES SAINTS ET LES MOINESet de leur indpendance nationale contre les Saxons,que des dbarquements successifs amenaient commeles flots de la mer sur les ctes orientales et mri-dionales de l'le, un certain nombre de ceux^ quirpudiaient la domination trangre avaient cher-ch un asile dans les presqu'les occidentales deleur terre natale, mais surtout dans ce grand bassinpninsulaire qui s'appelait au moyen ge la Gam-brie et qui porte aujourd'hui le nom de pays deGalles \ Gette rgion semble dsigne par la na-ture pour servir de citadelle l'Angleterre. Bai-gn sur trois de ses cts par la mer, dfendusur un quatrime par la Saverne et d'autres rivi-res, ce quadrilatre contient en outre les plus hau-tes montagnes de l'le, et une foule de gorges etde dfils inaccessibles aux agressions militairesd'autrefois. Aussi aprs avoir servi de refuge auxBretons opprims par la conqute romaine, la Gam-brie opposa-t-elle pendant cinq sicles une bar-rire insurmontable aux Anglo-Saxons et demeuramme longtemps inabordable aux Anglo-Normands,qui mirent plus de deux cents ans (1066-1284)

    1. Le mot de Cambrie parat driv des KymriSy c'est--dire de larace celtique indigne de cette contre de la Bretagne Armorique.Celui de Galles est la forme franaise de Wales, synonyme de Wallen,Wallonsy Welsch, nom que les Germains donnaient en gnral auxtrangers.

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    DU PAYS DE GALLES. 55complter sur ce point l'uvre de Guillaume le Con-qurant.Comme l'Irlande et Pcosse, comme notre Armo-

    rique, ce beau pays a de tout temps veill de vivessympathies, non-seulement chez les rudits celto-mnes, mais chez tous les hommes dont le curs'meut au spectacle des races qui savent honorerleur dfaite par la tnacit de leur rsistance auvainqueur, et, de plus, chez tous ls amis de cetteposie inimitable qui jaillit spontanment des tra-ditions et des instincts d'un peuple gnreux et in-fortun.On y peut dmler, mme aujourd'hui, les signesincontestables d'une race tout fait distincte de cellequi habite les autres rgions de l'Angleterre, et l'ony retrouve une langue videmment sur des troisautres dialectes celtiques qui existent encore, le bre-ton armoricain, l'irlandais et le galique des hautesterres d'Ecosse.

    Mais c'est surtout dans les pripties de l'histoiredu pays de Galles depuis le roi Arthur jusqu'Llewellyn, c'est dans les institutions qui lui ontdonn la force de rsister pendant sept sicles l'in-vasion trangre, que l'on reconnat les vritablescaractres et la riche nature de l'antique racebretonne. Partout ailleurs, celte population avait tou gorge, ou asservie, ou absorbe. Mais l o

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    56 LES SAINTS ET LES MOINESelle a pu survivre et fleurir en mme temps que lesautres nationalits de l'Occident, elle a montr toutce qu'elle valait, en nous lguant des monumentshistoriques, juridiques et potiques qui constatent lavitalit puissante et originale dont elle tait doue*.Elle a ainsi protest par son me, par sa langue etpar son sang, contre les exagrations dbites parleBreton Gildas et par le Saxon Bde sur la corrup-tion reproche aux victimes de l'invasion saxonne.De tout temps les vaincus ont trouv ainsi deshommes, mme parmi les meilleurs, rsolus leurdonner tort et faire conspirer l'Histoire avec la For-tune pour absoudre et couronner les vainqueurs. Lelourdes Anglo-Saxons viendra : eux aussi, quandl'invasion normandelesaura crass, trouveront unefoule de pieux dtracteurs pour dmontrer qu'ilsavaient bien mrit leur sort, et pour absoudre ouattnuer les crimes de La conqute.

    Letraitleplussaillantcommeleplusattachantdansl'histoire du caractre des Gallois est coup sr l'ar-deur du patriotisme, l'indomptable amour de la li-bert et de l'indpendance nationale dont ils se mon-trrent enflamms pendant sept sicles, un degrqu'aucune autre race n'a surpass. Nous les connais-sons surtout par les chroniqueurs attitrs de leurs

    i. Voir l'excellent ouvrage intitul : Das Alte Wales, par FerdinandWalter, professeur de l'universit Bonn, 1859, in-S**.

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    DU PAYS DE GALLES. 57conqurants, par les crivains anglo-normands dudouxime et du treizime sicle ; et c'est ceux-ci quela vrit arrache les loges les moins quivoques. Cescrivains signalent bien certains vices, certaines cou-tumes surtout, en contradiction avec ce qu'on regar-dait alors comme les rgles des nations polices,telles que l'usage de combattre nus, comme les Bre-tons du temps de Csar et les Piets des temps plusrcents, contre des adversaires arms de pied en cap.Mais ils clbrent l'envi l'hroque et infatigabledvouement des Gallois leur patrie, la libertde tous et de chacun ; leur culte pour la mmoiredes hauts faits de leurs aeux, leur amour de laguerre, leur mpris de la vie, leur charit envers lesindigents, leur sobrit exemplaire, en mme tempsque leur inpuisable hospitalit, par-dessus tout leurprodigieuse intrpidit dans les combats, et l'obsti-nation de leur constance dans les revers et lesdsastres S

    Rien ne les peint mieux d'ailleurs que la dispo-sition de leurs anciennes lois, qui interdit la justicede saisir dans la maison de n'importe quel Galloistrois choses : son pe, sa harpe et un de ses livres %

    1. GiRALDDS, Cambri descript, c. 8, 9, 10. Girald., de llau-dabilibus Walli, c. 3. Descr. Camhri^ C. 9. Gualt Mapes,de Nugls Curialium, II, 20.2, Triades de Dymvall Molmud, 54, ap. Walter. p 315.

    MoiNfis d'occ. m. 3^.

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    38 LES SAINTS ET LES MOINESLa harpe et le livre, parce qu'en temps de paix ilsregardaient la musique et la posie comme la meil-leure occupation d'un honnte homme et d'unhomme libre. Au&si, ds Fenfance, tous les Galloiscultivaient ces deux arts avec une passion universelleet infatigable, la musique surtout. C'tait la formeprfre, le gracieux accompagnement de l'hospi-talit : des churs de chanteuses accueillaient par-tout le voyageur. Du matin jusqu'au soir chaquemaison retentissait du son de la harpe et des autresinstruments, dont ils jouaient avec une perfectionqui ravissait les auditeurs trangers, toujours frappscependant, au milieu des tours de force de leur ha-bilet musicale, du retour constant des accords douxet mlancoliques o semblaient se reflter, commedans la musique irlandaise, le candide gnie et lacruelle destine des races celtiques *.Les bardes eux-mmes, chanteurs et potes, quel-quefois mme princes et guerriers, prsidaient Fducation musicale du pays, comme son dvelop-pement intellectueL Mais ils ne se bornaient pas chanter; ils savaient combattre et mourir pour l'in-dpendance nationale ; la harpe entre leurs mainsn'tait souvent que l'auxiliaire du glaive et une armede plus contre le Saxon \

    i. GiRLDus Cambrenms, c. 10, 12, 13.2. A. DELA BoRDBRiE, p. 170. La Villemarqu, hs Bardes bretons.

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    DU PAYS DE GALLES. 59Cette puissante corporation, hirarchiquement

    ordonne, avait survcu la ruine du druidisme, etapparat, dsle sixime sicle, dans tout son clat^au sein de ces congrs potiques* prsids par lesrois et les chefs du pays, vritable institution natio-naledont l'usage seperptuajusqu'auxderniersjoursde l'indpendance galloise. Dans les nombreux mo-numents de leur fconde activit, rcemment remisen lumire par des efforts aussi patriotiques qu'in-telligents % mais encore insuffisamment dpouills;ern^ ces triades, dont la forme relativement rcente,qui nous est seule connue, ne saurait dguiser lahaute antiquit, on rencontre des trsors de vrita-ble posie, o la grandeur sauvage des races primi-tives, tempre et purifie par les enseignements etles mystres de l'Evangile, semble se jouer en millecourants limpides qui tincellent au soleil du matinde l'histoire, avant de venir se confondre avec legrand fleuve des traditions chrtiennes de l'Occident.

    Car la religion chrtienne tait suivie, chrie etdfendue au sein des montagnes de la Gambrie, avecnon moins de ferveur et de passion que l'indpen-dance nationale. Les rois et les chefs n'v taient

    1. Les Elsteddvods. On a essay rcemment de les renouveler.2. Ceux de Williams ab Jolo, de Williams ab Ithel, des deux Owen,

    de Stephens, de Walt.er, et surtout de M. de la Villemarqu qui a, lepremier, rvl la France littraire les monuments d'une race sinaturellement chre aux Bretons d'Armorique.

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    4.0 LES SAINTS ET LES MOLNESpas plus irrprochables qu'ailleurs ; l comme ail-leurs, Tabus de la force et l'exercice du pouvoir en-gendraient toute sorte de crimes : le parjure, l'a-dultre, le meurtre, s'talent trop souvent dans leursannales ^ Mais, trs-souvent aussi, la foi et le re-pentir revendiquaient leurs droits sur ces mesmoins corrompues qu'gares. A l'instar du grandArthur, couronn selon la tradition celtique en 516,par un saint archevque nomm Dubricius (f 522),ils se montrent presque tous aussi zls pour le ser-vice de Dieu que gnreux pour l'glise, et les po-pulations spares de Rome par les flots de sang ol'invasion saxonrie avait noy le christianisme bre-ton retrouvrent bientt la pente naturelle qui lessignalait aux conqurants normands comme les pluszls d'entre les plerins empresss d'accourir auxtombeaux des Aptres ^

    Les bardes eux aussi, bien qu'antrieurs au chris-tianisme, loin de lui tre hostiles, vivaient dans unealliance intime et cordiale avec le clerg et surtoutavec les moines* Chaque monastre avait son barde, D

    4. Voir les nombreux exemples recueillis par Lingard (Anglo-SaxonChurch, t. II, p. 362), dans le Livre dit de Landaff, et autres docu-ments gallois.

    2. Cambri Descriptio, p. 891, d. 1602.Rptons encore une fois que dans aucun des nombreux monuments

    de l'archologie et de la gographie galloise rcemment publis onne retrouve la moindre trace d'une hostilit systmatique ou mmetemporaire contre le Saint-Sige.

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    DU PAYS DE GALLES. 41 la fois pote et historien, qui notait les guerres,les alliances et autres vnements contemporains.Tous les trois ans, ces annalistes nationaux, commeles pontifes de l'ancienne Rome, se runissaient pourcomparer leurs rcits et les enregistrera la suite desbonnes coutumes et des antiques liberts du pays,dont ils taient les gardiens*- C'tait en outre dansles coles monastiques que les bardes se formaient la posie et la musique. Le plus connu d'entreeux, Taliesin, fut lev, comme l'historien Gildas,au monastre de Llancarvan *.

    Citons ici un trait entre cent qui claire la relationsingulirement intime du bardisme gallois avec lalgende monastique, en mme temps que l'intrpidefiert du caractre celtique. Le pre du fondateur dela grande communaut de Llancarvan, s'tant faitanachorte, comme on le dira plus loin, mourut enodeur de saintet et fut enterr dans une glise odesguerisonsmiraculeusesattirrentbienttlafoule.Un barde y arriva avec la pense de composer un chantbreton en l'honneur du nouveau saint. Pendantqu'ilcherchait ses vers, une inondation violente vint ra-vager les alentours de l'glise et pntra dans l'glisemme. Toute la population des environs avec ses

    1. Walter, Op, cit., p. 33. Lloyd, Historij ofCambria, d. Powell,pr?ef., p. 9.

    2. La Villemarqu, Pomes des Bardes bretons, 1850, p. 44.

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    42 LES SAINTS ET LES MOINESbestiaux avait dj pri et Teau montait toujours.Le barde, tom en composant son pome, se rfugiadans l'tage suprieur de l'glise, puis sur le toit :il montait de poutre en poutre, toujours poursuivipar les eaux, mais toujours aussi en improvisant sesvers et en puisant dans le danger l'inspiration qui luiavait failli jusque-l. Quand l'inondation s'coula,depuis la tombe de l'anachorte jusqu' la Saverne,il ne restait plus d'autres tres en vie que le barde,ni d'autre difice debout que l'glise o il avait im-provis ses refrains populaires ^

    Dans cet ocan des lgendes celtiques o les ana-chronismes et les fables ne sauraient obscurcir lavigoureuse et constante affirmation de la foi catholi-que et du patriotisme breton, quelques noms de fon-dateurs et de missionnairesmonastiques ont surnag.Ils ont t drobs l'oubli, non-seulement par l'-rudition rajeunie des archologues cambriens, maisaussi par la fidlit de souvenirs populaires, mmedepuis l'extinction lamentable et complte du catho-licisme dans le pays de Galles ^

    1. Vita S. Gundleii^ c. 11, ap. Rees, p. 15.2. On peut consulter avec fruit l'important recueil intitul : Lives

    oftlie Cambro-British saints, of the Fifth and immdiate successivecenturies, fromancieni Welsh and Latin Mss.., by the Rev. W. Rees,M. A., etc. Llandovery, 1853. 1 vol. gr. in-8 ; ouvrage auquel il nemanque qu'un commentaire historique et gographique appropri auxlecteurs trangers. Il est tout fait distinct de l'ouvrage trs-vant

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    DU PAYS DE GALLES. 45En effleurant leur vie, comme en considrant

    l'ensemble des lgendes et des institutions monas-tiques qui s'y rattachent, on reconnat tout d'abordl'existence d'un double courant qui entrane sanscesse les regards et les pas des Gallois de leursmontagnes natales vers l'Armoriqucau Midi et versl'Irlande l'Ouest ; comme aussi on distingue laraction constante de ces deux contres vers laGrande-Bretagne, d'o leur taient venus leurs pre-miersmissionnaires,ctdontla vie religieuse et natio-nale se concentrait de plus en plus daoas la Gambrie.

    L'invasion saxonne, on l'a dj vu \ avaitjet surles plages de la Gaule une foule de fugitifs qui, trans-forms en missionnaires, avaient cr une nouvelleBretagne invinciblement chrtienne et catholiqueaux portes de la France mrovingienne. Les plusclbres d'entre ces missionnaires, Tugdual, Sam-son, Malo, Paul A.urlien, s'taient forms dans les

    par Walter sous le titre de Esmy on the WeUh saints j by the Rev.Rlce ReeSf 1836, in-8, que je n'ai paspu rencontrer.

    Les biographies publies par Rees, d'aprs les manuscrits de la bi-bliothque cottonienne, sont quelques-mies en gallois, les autres enlatin; elles ont d tre non pas composes, mais retouches unepoque postrieure la date qu'on est d'abord tent de leur attri-buer. A ct de dtails videmment contemporains et locaux, on re-trouve des traces d'interpolations dclamatoires qui doivent treruvre d'une postrit moins prise que nous de la couleur locale etde raulhenticit historique.

    1 Tome II, livre vn, chap. 4.

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    44 LES SAINTS ET LES MOINESmonastres cambriens^ d'o taient sortis aussi pourles accompagner au deldes mers l'historien Gildasetlebarde Taliesin.L'Irlandeavaitrecueilli, ds lespremiers jours de sa conversion, une migrationsemblable. La plupart de ces pieux et intrpidesmissionnaires revenaient, une fois au moins dansleur vie, revoir le pays d'o ils taient sortis, et ilsy amenaient des disciples ns dans les autres paysceltiques, mais avides de reporter aux foyers si cherset si menacs de laBretagne insulaire la lumire etla ferveur qu'ils en avaient reues ^ De l cette sin-gulire conformit de noms propres, de traditions,de miracles, d'anecdotes, entre les lgendes destrois pays, conformit qui a souvent dgnr eninextricable confusion.

    Ce qui, du reste, imprime un caractre uniformeet trs-reconnaissable tous les saints moines d'ori-gine celtique, c'est leur got effrn pour lesvoyages lointains et frquents, et c'est un des pointspar lesquels les Anglais modernes leur ressemblentle plus. A cette poque recule, au milieu des inva-sions barbares et de la dsorganisation locale dumonde romain, par consquent en prsence d'ob-stacles dont rien dans notre Europe actuelle ne peutdonner la plus lgre ide, on les voit franchir des dis-tances immenses et, peine revenus d'un plerinage

    1, Vit. S. Paterni, ap. Rees, Cambro-Bristish saints.

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    DU PAYS DE GALLES. 45laborieux, le recommencer ou en entreprendreun nouveau. Le voyage de Rome ou mme de Jru-salem, qui se retrouve dans la lgende de presquetous ces saints cambriens ou irlandais^ semble n'a-voir t pour eux qu'un jeu. Saint Kentigern allajusqu' sept fois de suite Rome*.

    Ce Kentigern, que nous retrouverons plus loinvque missionnaire chez les Scots et les Piets mri-dionaux (550?-612), passe pour tre n d'une deces unions irrgulires qui signalent les dsordresdomestiques ou les abus de la force chez les chefset les grands du pays, et que l'on retrouve si sou-vent dans les annales de l'hagiographie celtique ^.Il n'en futpas moins un des principaux personnagesmonastiques de la Gambrie, o il fonda, au con-fluent de la Cluyd^ et de l'Elwy, un immense mo-nastre, peupl de neuf cent soixante-cinq moines,dont trois cents illettrs cultivaient les champs, troiscents travaillaient l'intrieur du monastre, etles trois cent soixante-cinq autres clbraient sansinterruption Toffice divin*. Ce monastre devint

    1. AcT. SS. BoLLAND., t. I Januar., p. 819.2. BOLLAND., p. 815.3. C'est la Clyde du pays de Galles et non la Clyde qui coule Glas-

    cow, o saint Kentigern fut vque. Il y a aussi deux rivires, dumme nom de Dee, en Ecosse et en Wales. De l des confusions dontil est bon d'tre averti.

    4. BoLLAND., p. 919. Ce monastre s'appel d'abord Llan-E)wy.3.

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    46 LES SAINTS ET LES MOINESen mme temps un sige piscopal qui subsisteencore sous le nom de Saint-Asaph, successeur deKentigern .

    Cne fut l ni la plus ancienne ni la plusim-portante colonie monastique de la Gambrie o,comme dans TAngleterre saxonne, tout vch apour berceau un monastre.

    Plus d'un sicle avant Kentigern, Dubricius, -dontla longue vie, s'il faut en croire la tradition, lerendit contemporain de Patrice et de Palladius aussibien que du roi Arthur (431-522), est cit commele premier crateur d'un grand foyer monastiqueen Gambrie, d'o les colonies religieuses ne ces-saient de rayonner au dehors, en Armorique etiCnIrlande. Ordonn vque Llandaff, au midi delGambrie, par saint Germain d'Auxerre, il tnit sacarrire dans le Nord comme anachorte, aprsavoir runi pendant un temps plus de mille audi-teurs autour de sa chaire. Parmi eux, les plus illus-tres furent Iltud et David.

    Iltud, ou Eltut, lui aussi disciple de saint Ger-main d'Auxerre, fonda le grand monastre deBan-

    1. Chaque peuplade, chaque petite royaut de la Cambrie avait sonvch : ainsi LIandaffd pour les Silures, Menevia (depuis Saint-David's)pour les Demetes, etc. Il y en eut aussi un Margam qui devint plustard une clbre abbaye cistercienne, dont les ruines enclaves etconserves avec soin dans la splendide rsidence d'une branche de lamaison de Talbot mritent d'tre visites et admires.

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    DU PAS DE GALLES. 47goi% sur les bords de la Dee, qui devint le centrede la propagande religieuse comme de la rsis-tance politique aux conqurants trangers : om yconiptait sept divisions, chacune de trois centsmoines, lesquels vivaient tous du travail de leursmains. C'tait toute une arme, mais de moitimoins nombreuse que celle des quatre mille modnesde l'autre Bangor^ qui s'levait derautrectdelamer, en Irlande, et qui devait servir de berceau sain'lColomban dt ^aint Gall, aux aptres monas-tiques de la France orientale et de ^Helvtie^ Btudtait n en rmorique; mais sa curieuse lgende,dont on nous saura gr de citer quelques traits c^tta-chants, dit qu'il vint on Can^brie attir par la re-nomme de son cousin le roi Arthur. Il commenapar y vivre en homme de guerre et de proie, mais ilse convertit pendant une.parte de chasse au faucon, la vue de la catastrophe de ses compagnons, qui,au moment o ils extorquaient au saint abb Cadoc,fondateur de Llancarvan, cinquante pains, un bois-

    1. n y eut encore un troisime Bangor ou Banchor; c'est l'vch quisubsiste encore et qui fiil; galement fond par un disciple de Du-bricius, le saint abb Daniel, mort vers 548. Ce petit sige piscopal,situ dans le comt de Caernarvon et au bord de la mer, a t sou-vent confondu avec le grand monastire du mme nom, situ dans lecomt de Flint, sur les bords du Dee. Ban-Gor, que l'on interprte parmagnus circulus, semble d'ailleurs avoir t une sorte de dnomina-tion gnrique poat'les congrgations o les enceintes monastiques.% Voir tame II, livre l, ctiap. 1.

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    48 LES SAINTS ET LES MOINESseau de bire et un porc gras, pour assouvir leurfaim, furent engloutis par la terre entr'ouvcrte sousleurspas.Iltud, effraypar cette leon et conseill parl'abb Cadoc,se consacraau service de Dieu dans la so-litude, bien qu'il ft mari et fort pris de sa jeune etbelle femme.Celle-ciyoulut d'abord le suivre dans saretraite et partager avec lui la hutte de roseaux qu'ils'tait construite au bord de Tave, dans le comt deGlamorgan. Eh quoi lui dit un ange qui lui ap-paruten songe, c( toi aussi, l'amour d'une femme t'en-chane?... Certes, ton pouse est belle, mais la chas-tet est plus belle encore. Docile cette voix d'enhaut, il abandonna sa femme ainsi que ses chevauxet ses cuyers, s'enfona dans une paisse fort et ybtit un oratoire que l'affl uence des disciples changeabientt en monastre. Il y partageait sa vie entre degrands travauxagricoles et de frquentes luttes contreles rois et les chefs pillards de la contre d'alentour.Il se signala surtout en construisant des digues im-menses contre les inondations dont le pays de Gallessemble avoir eu tant souffrir. Sa femme le pour-suivit jusque daus cette nouvelle solitude ; mais enle dcouvrant au fond d'un foss qu'il creusait lui-mme, le corps et le visage tout couverts de boue,elle vit bien que ce n'tait plus son beau chevalierd'autrefois, et renona dsormais le visiter pourne pas dplaire Dieu et l'ami deDieu. Plus tard,

    i

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    DU PAYS DE GALLES. 49il s'enferma dans une caverne, o il n'avait pour litqu'une froide pierre. Il jouit avec dlices de ce gtesolitaire pendant quatre annes entires, et n'ensortit que deux fois pour aller protger son monas-tre contre les violences et les spoliations. Il vintmourir Dol, dans cette Armorique qu'il avait tou-jours aime et o il se plaisait envoyer en temps dedisette, pour le soulagement de ses compatriotesbretons d'outre-mer, des convois de grains que luiprocuraient les travaux de sa communaut galloise ^

    David est beaucoup plus connu que son condis-ciple Iltud (458-544); il est rest populaire chezles habitants des pays de Galles , et Shakespearenous apprend que, mme depuis la Rforme, les Gal-lois ont conserv l'habitude de porter une feuillede poireau dans la coiffure le jour de sa fte^ Son

    1. VitaS, Iltutiy ap. Rees, op. ciU, p. 45, 161-182.2. PisTOL. Art thou of Cornish crew?KiNG Henry. No, Fm a Welshman.PiSTOL. Knows't thou Fluellen ?KiNG. Y es.PisTOL. Tell him, V\\ knock his leek about his pte.Upon Saint Davy's day.

    Et ailleurs :Fluellen. I do believe, your majesty takes no scorn to wear.

    The leek upon Saint Davy's day.KiNG. I wear it for a mmorable honour :1

    For I am Welsh, you know, good countryman.(Kng Henry V.)

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    50 LES SAINTS ET LES MOINEShistoire a t souvent crite^ et travers les trans-formations de la lgende il est facile d'y reconna-tre l'empire salulaire d'un grand religietrx et d'ungrand vque sur les mes d'un peuple croyant,mais encore aux prises avec les instincts sauvageset sensuels qui ne se retrouvent que trop dheztous les hommes et tous les peuples, au centrede la civilisation comme au sortir de la barbarie.L'origine mme du saint patron de la Cambriecomme celle de sainte Brigitte, patronne de l'Ir-lande, offre une preuve saisissante de ces murs la fois violentes et corrompues. Il tait fils d'unereligieuse que le roi du pays, un neveu du grandArthur, avait rencontre sur le grand chemin, quil'avait bloui par sa beaut et dont il avait fart surl'heure la proie de sa passion ^ Ce crime est ra-cont par tous les biographes, si prodigues d'pi-thtes laudatives ou vitupratives, sans la moindre

    1. Notamment par un anonyme, dont le franciscain Gotgan a publiune premire version dans ses Acta sanctorum Hiberni, t. I. Mce-march, successeur de David comm^ vqu de Menevia vers 1085, a faitde cette premire vie une version beaucoup plus complte, que Reesapublie dans ses Lives of Cambro-Bristish saints. Un autre de ses suc-cesseurs, le fameux Giraldus Cambrensis, a aussi crit une vie de saintDavid, laquelle se trouve dans Warton, Anglia sacra, t. II. Il rgneune grande incertitude sur la date et la dure de la vie de ce saint;selon Usserius, elle seplacerait entre 472 et 554 ; selon les Bollandistes,entre 447 et 544 ; selon d'autres, entre 484 et 566.

    2. RiCEMARCH, d. Rees, p. 119. Giraldus, p. 629.

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    m PAYS DE GALLES. 51expression de surprise ou d'indignation. Le scribePaulinus, dont le nom indique une origine romaineet que Ton sait avoir t disciple de saint Germaind'Auxerre, fut charg de l'ducation du jeune David,qui fut aussi prolongeetaussi complte que possble^Il sortit de ses mains revtu du sacerdoce et vou unesorte dvie monastique qui n'excluait ni des voyagesperptuels ni une grande action sur les hommes etles choses du dehors. On constate la double influencequ'il sut exercer sur ses compatriotes, en dirigeantles uns vers la vie cnobitique, en armant les autresdes vertus et des enseignements propres les fairetriompher des dangers de la vie sculire. C'est parce dernier ct qu'il diffre de son illustre contem-porain saint Benot, dont il se rapproche par tantd'autres traits. Gomme Benot, il fonde, presque lafois, douze monastres; comme Benot, il voit desfemmes hontes provoquer, par leurs voluptueuxbats, la chute de ses jeunes disciples; comme Be-notj des tratres, au sein mme de sa propre com-munaut, tentent de l'empoisonner \ Enfin, commeBenot, il impose ses religieux une rgle qui pros-crit svrement le pcule et fait une obligation strictedu travail manuel et intellectuel. Le travail agricoletait si rigoureux, que les moines gallois devaient

    1. RiCEMARCH, p. 122.2. /(?., p. 125, 131.

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    52 LES SAINTS ET LES MOINESnon-seulement scier le bois et bcher la terre,mais mme labourer eux-mmes, attels la char-rue, sans l'aide de bufs. Chacun doit tre soi-mme son buf, dit l'historien. A peine ce labou-rage termin, ils rentraient dans leurs cellules poury passer le reste du jour lire ou crire ; et lencore, il fallait savoir s'arrter avant mme determiner une lettre commence, pour rpondre aupremier coup de cloche qui annonait l'office \Au milieu de ces rudes labeurs, l'abb David

    tait sans cesse en lutte avec les satrapes et lesmages^ ce qui veut dire sans doute avec les chefs declan et les druides, qui n'avaient pas t anantisen Bretagne comme en Gaule, par la conqute ro-maine% et dont les derniers survivants ne pouvaientvoir qu'avec rpugnance le progrs des institutionsmonastiques. Maisla sphre de son influence et de sonactivit devait s'tendre au del de celle de ses pre-miers travaux. Ayant t en plerinage aux lieuxsaints, il en revint avec la dignit archipiscopale,qui lui avait t confre par le patriarche de Jru-salem ^ De retour dans sa patrie, il y fut reconnupour mtropolitain de toute la partie de l'le que lesSaxons n'avaient point encore envahie, dans deux

    4. RiCEMARCH, p. 127.2. Dllikger, Heidenthum und Judenthum, p. Gll.3. Cf. BoaANP., Art. SS. Mnr'i', t. T, p. 10.

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    DU PAYS DE GALLES. 53conciles trs-nombreux^, o il eut l'honneur de por-ter le dernier coup l'hrsie plagienne, qui s'taitranime depuis les missions de saint Germain.

    L'un de ces conciles reconnut en son honneur undroit d'asile, signal par les anciens auteurs commele plus respect et le plus complet qui existt enBretagne, et qui crait pour tous les dlinquantspoursuivis un refuge inviolable partout o il y avaitun champ donn David ^ C'est un des premiersexemples, confr un tablissement monastique,du droit d'asile, depuis trop rpandu, et la findu moyen ge si scandaleusement abusif, mais, cette poque recule, si prcieux et si tutlaire.Qui ne comprend combien les poursuites crimi-nelles taient alors irrgulires et brutales ; com-bien de viles et violentes passions en usurpaient lesdehors, et combien la justice elle-mme et l'huma-nit avaient se rjouir de voir la religion tendreses mains maternelles sur un innocent perdu, etmme sur un coupable digne d'excuse ou d'indul-gence 1

    1. A Brves en 519, et Victoria en 526. Les expressions de Rice-march, sur ce dernier synode, mritent d'tre remarques, parcequ'elles constatent la prsence des abbs ct des vques du con-cile, et la reconnaissance inconteste de l'autorit romaine. Reste savoir si cet crivain du onzime sicle n'a point attribu les usagesde son temps aune poque antrieure.

    2. RiCEMARCH, p. 140.

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    54 LES SAINTS ET LES MOLNESDavid reprit ensuite le cours de ses fondations

    monasdques et ecclsiastiques, et releva une pre-mire fois de ses ruines l'glise de Glastonbury, defaon qu'elle pt servir de spulture son cousinle roi Arthur \ Lui-mme mourut plus que cente-naire (544), entour d'hommages et chef rel dela nation bretonne \ 11 fut enterr dans le monas-tre de Menevia, qu'il avait construit l'extrmitmridionale du pays de Galles, en face de l'Irlande,sur un site qu'avait dsign, trente ans auparavant,saint Patrice, l'aptre de cette le. C'tait de toutesses fondations la plus chre, et il y avait tabli lesige d'un diocse, quia pris et gard son nom.

    Aprs sa mort, la tombe monastique du grandvque, du grand chef breton, devint un lieu dep*lerinage trs-frquent. Ce ne furent pas seulementles Gallois, les Bretons, lesHibernois et autres chr-tiens de race celtique qu'on y vit affluer : trois roisanglo-normands, Guillaume le Conqurant, Henri IIet Edouard r^ , y vinrent leur tour. David fut ca-nonis par le pape Calixtell, en 1120, aune poqueo le pays de Galles maintenait encore son ind-pendance. Il devint partir de ce moment et il estrest jusqu' nos jours le patron de la Cambrie. Ungroupe d'difices religieux moiti ruins, mais qui

    1. RiCEMARCH, p. 123. DUGDALE, t. I, p. 1 7. BOLLAND., loC , Ct,2. Rees, p. 140.

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    DU PAYS DE GALLES. 55forment un des ensembles les plus solennels et lesmoins visits de l'Europe, entoure encore la vieillecathdrale qui porte son nom ; elle couronne le pro-montoire imposant qui s'avance comme un bec d'ai-gle au sud-ouest del principaut de Galles et quimriterait encore mieux que les deux caps analo-gues en Cornouaille et en Armorique le nom deFinistre ^

    Aussitt aprs la priode remplie dans les annalesde la Cambrie par le roi Arthur et le moine-vqueDavid, on voit s'lever un autre saint monastiqueet patriotique, lui aussi, longtemps populaire chezles Bretons du pays de Galles et qui l'est rest jus-qu' nos jours chez les Bretons d'Armorique. C'estsaint Cadocou Kadok (522-590?), personnage chezqui il serait trs-difficile de distinguer exactementla part de l'histoire et celle de la lgende, mais dontla vie a laiss dans les races celtiques une traceassez profonde pour nous permettre de lui emprun-ter divers traits, propres nous reprsenter la foi etles murs de ces races et de ces temps ^ Son pre,Gundliew ou Guen-Liou, surnomm le Guerrier,

    1. Un groupe de rochers qui avoisinent ce promontoire s'appelle en-core Vvque et ses clercs. On y est peu de distance au nord de laclbre rade de Miiford-Haven et des grands chantiers de la marineanglaise Pembroke.

    2. Vita S. Cacloci, ap. Rees, op. cit., p. 22-96. Hersart e la Vil-LEMARQu, la Lgende celtique, p. 127 227.

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    56 LES SAINTS ET LES MOINESl'un des roitelets de la Cambrie mridionale, ayantentendu vanter la beaut de la fille d'un chefvoisin,l'avait fait enlever par une bande de trois cents vas-saux au milieu de ses surs et devant la porte de sachambre dans le chteau de son pre^ Le precourut la rescousse de sa fille avec tous ses vas-saux et allis, et atteignit bientt Guen-Liou quichevauchait avec la jeune princesse en croupe,mais en marchant petits pas afin de ne pas la fati-guer. La rencontre ne fut pas favorable l'agres-seur : deux cents des siens y prirent, mais ilrussit s'en tirer sain et sauf, ainsi que sa belle,dont il lui fallut ensuite drober les attraits lapassion du roi Arthur ^ ; car ce grand roi est loin dejouer dans toutes les lgendes monastiques le rlechevaleresque et dsintress que lui attribua plustard le cycle des traditions nationales et euro-pennes dont il est le hros. De ce rude guerrier etde cette belle prisonnire devait natre celui qu'ona appel le docteur de la race cambrienne et qui afond le grand tablissement monastique dont lenom s'est dj trouv sous notre plume. La nuitmme de sa naissance, les soldats, ou pour parler

    1 Talgarth, neuf milles de la ville actuelle de Brecknock. La belleprincesse s'appelait Gwladys, dont on a fait en latin Gladusa, et sonpre Brychan ou Brachan.

    2. Vita S. Cadoci, ap. Rees, p. 23.

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    DU PAYS DE GALLES. 57comme la lgende, les voleurs {latrones) du roi sonpre, que celui-ci envoyait droite et gauchepour piller ses voisins, avaient vol la vache lai-lire d'un saint religieux irlandais, lequel n'avait,lui et ses douze disciples, pour toute nourriture,que le lait abondant de cette vache. Inform de cevol nocturne^ il se lve, se chausse en toute hte,et court rclamer sa vache chez le roi qui dormaitencore. Celui-ci profite de l'occasion pour faire bap-tiser le nouveau-n par le pieux solitaire, et, deplus, lui fait promettre de se charger de l'ducationet de la vocation future de l'enfant. L'Irlandais luidonna le nom de Cadoc, ce qui, en celtique, signi-fiait le Belliqueux; puis, ayant rcupr sa vache,il s'en alla attendre dans sa cellule le fils du roi,qui ne lui fut envoy qu' l'ge de sept ans, et djiniti aux exercices de la guerre et de la chasse ^

    Le jeune prince passa douze ans auprs du moineirlandais dont il allumait le feu, dont il faisait lacuisine, et qui lui enseignait la grammaire d'aprsPriscien et Donat\. Prfrant au trne de son prela vie solitaire, il alla s'y former en Irlande, pen-dant trois ans, Lismore, cole monastique djclbre, puis revint en^ Cambrie, pour y continuerses tudes auprs d'un fameux rhteur breton,

    i. Rees, p. 85, 25, 27.2. /^iJ.,p.28.

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    58 LES SAINTS ET LES MOINESnouvellement arriv d'Italie, qui enseignait le latinet les arts libraux d'aprs les bonnes mthodes deRome\ Ce docteur avait plus d'lves que d'ar-gent : la famine rgnait dans son cole. Un jour lepauvre Cadoc, qui tait sansdoute jeun, apprenaitsa leon dans sa cellule assis devant une petitetable et la tte entre^ses deux mains : tout coupune souris blanche, sortant d'un trou du mur,sauta sur la table et y dposa un grain de bl ; puis,ne pouvant attirer l'attention de l'colier, elle re-vint avec un second grain, puis un troisime, pu