MON ROSE BONBON

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'Mon 'Rose 'Bon6on "L'histoire a'une auerriere acharnee - comme i( Yen a tant a'autres. 'Temoi8naaes a'une femme sur (es differentes etayes de sa ma(adie, entremefes a'humour et de yoesie. 'Une reafite yas toujours evidente a affronter, a commencer yar (es traitements, fes ef.fets secondaires et C:: tranf~rmation du corys: run sou]f(e a'air, une dose a'amour pur et simyfe, un journa( intime que chaque f~mme yassant sur ce chemin devrait fire your se retrouver au y(us yrojond d'e(fe-meme." 'A.fexandra Syaanofo

Transcript of MON ROSE BONBON

'Mon 'Rose 'Bon6on "L'histoire a'une auerriere acharnee - comme i( Yen a tant a'autres. 'Temoi8naaes a'une femme sur (es differentes etayes de sa ma(adie, entremefes a'humour et de yoesie. 'Une reafite yas toujours evidente a affronter, a commencer yar (es traitements, fes ef.fets secondaires et C:: tranf~rmation du corys: run sou]f(e a'air, une dose a'amour pur et simyfe, un journa( intime que chaque f~mme yassant sur ce chemin devrait fire your se retrouver au y(us yrojond d'e(fe-meme."

'A.fexandra Syaanofo

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Alexandra Spagnolo

MON ROSE BONBON

Novembre 2015

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A mon oncologue

Dr Alexandre Bodmer

Au Centre du Sein

des HUG

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“Je me réveille la bouche en feu et un arrière-goût de métal qui

revient au bout de sept jours, le cuir chevelu en ébullition.

Mon oreiller attire mon regard, il y a des cheveux noirs partout.

Le processus est enclenché, Je ne l'arrête plus. Une partie de moi s'en

va pour un moment. Je le savais mais c'est arrachant quand même.

J'ai besoin d'écrire ce moment pour immortaliser l'horreur.

J'ai les stigmates du Cancer mais mon cœur est une pompe increvable,

continuelle, minute par minute qui bat la vie et l'envie de vivre encore

longtemps !”

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PREFACE

Je voudrais dévouer mes mots aux femmes durant le combat de la maladie, pour

qu'elles puissent peut-être s'y reconnaître et faire de ce petit manuel leur carnet

de bord, leur journal intime, leur miroir de poche. C'est l'histoire du Cancer du

Sein, la maladie du siècle, l'histoire de toutes celles qui le combattent et qui

l'affrontent avec le plus grand courage.

Chaque passage de mon ouvrage exhorte à une positivité solennelle triomphant

des étapes les plus morbides de la maladie. Le but est de redonner à chaque

femme concernées un sentiment de force et de sensualité perdu et de leur

procurer ainsi une certaine sérénité et énergie pour affronter le long chemin

tortueux et plein d'impasses dans lequel j'avance actuellement moi-même.

Après chaque passage clé, je propose des espaces vides à compléter par la

lectrice dans lesquels elle se retrouvera peut-être et où elle pourra épingler sa

propre expérience et son propre ressenti. Dans ce labyrinthe Dédaléen, j'ai tissé

le fil de mon vécu comme fil conducteur qui lui servira de point de repère et

d’élan pour ne pas tomber en arrière durant les moments les plus durs. En

écrivant ce texte j'ai retrouvé moi-même une énergie et une confiance que je

croyais avoir égarées dans l'horreur, cela a représenté pour moi une excellente

auto-thérapie que je voudrais faire partager.

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A LA DECOUVERTE DE LA MALADIE

Ma vie est une course contre la montre, je cours dans tous les sens et je ne

m'arrête jamais! Ce jour-là, c'était la fin du mois d'août 2015, je revenais de mes

vacances d'été et mes valises trainaient encore dans mon salon en guise de

décor familier et de paysage de fond :-). Comme j'ai une flemme pas possible

de ranger mes affaires au retour de vacances, je décidai qu'il valait mieux laisser

cette corvée pour le moment de côté et m'intéresser à quelque chose de plus

important et de plus utile. Je ne suis pas vraiment une personne organisée mais

dans mon désordre mental, j'arrive quand même à faire un tri logique et à

organiser les choses selon leur importance.

Il fallait que j'aille faire mon petit contrôle médical régulier de fin d'été, chez

Maria, mon médecin généraliste, qui me connait depuis longtemps.

Maria est un médecin scrupuleux et attentif, elle s'accroche au moindre détail,

sa patiente ne doit souffrir de rien et doit être en pleine sécurité.

Je toussais pas mal, la sécheresse de l'été et la chaleur contribuaient à cet état un

peu irritatif de ma fonction respiratoire, parce que je préfère donner la faute à la

saison que de dire que j'ai une toux chronique à cause du tabac :-). Et puis, il

fallait encore s'occuper de mes cystites chroniques, Maria les connait bien, à

chaque fois elle fait des analyses de l'urine et à chaque fois elle coupe la tête à

la bactérie! Elle m'avait donc pris des rendez-vous avec des spécialistes, un

pneumologue et un urologue pour que mon suivi soit encore plus affiné. Maria

connait bien mes histoires de ventre et mon passé chirurgical complexe, en

raison d'une endométriose, dont je ne parlerai pas dans cet ouvrage.

Je repars du cabinet avec deux rendez-vous dans la poche et j'arrive à la maison.

C'est à ce moment que tout commence...

Personne ne m'expliquera jamais le pourquoi du comment, du reste, on ne peut

pas tout comprendre et on est souvent victime ou rescapé du hasard.

La première chose que je fais en arrivant à mon domicile, c'est de rappeler le

cabinet de mon médecin pour demander une ordonnance en vue d'une

mammographie, examen annuel que je passe depuis cinq ans, compte tenu de

mon profil gynécologique. La secrétaire est un peu surprise de ma demande, vu

que je revenais de ma consultation depuis même pas une heure. J'en avais parlé

avec mon médecin un peu comme ça, dans la foulée, mais ce n'était pas la

priorité du jour, vu que de toute façon, la mammographie était mon examen

annuel du mois de septembre. J'exécutais des ordres intérieurs, comme une

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intermédiaire de quelqu'un ou de quelque chose que je ne saurais identifier. Il

fallait que je passe au plus vite cet examen, il fallait que je me dépêche sans

perdre de temps. J'obéissais frénétiquement à ces ordres dictés par personne et

ne venant de rien, sauf, peut-être, d'un pressentiment inconscient et d'un

sixième sens...

Le lendemain, je passais la mammographie, il était 8h30 et j'étais comme

d'habitude en pleine forme, dynamique et partante pour une nouvelle journée!

La seule chose qui me tracassait, c'était le fait de me sentir traînée par quelque

chose que je ne comprenais pas, je n'avais aucune douleur au sein, aucun

symptôme particulier m'obligeant à passer cet examen en urgence et à

l'anticiper avec autant d'avance et de compulsion. Je suivais sans comprendre

comme un mouton avançant dans son troupeau. On m'annonça qu'il fallait une

biopsie par précaution, étant donné les images un peu suspectes, je ne retins de

cette phrase que le mot " biopsie". Tous les autres mots étaient étouffés par le

geste médical en question. Je sortis du cabinet d'imageries, assombrie et un peu

perplexe. J'essayai cependant de passer une journée comme les autres mais je

compris rapidement que celle-ci ne l'était pas.

Deux jours plus tard j'appris la nouvelle, la nouvelle du Mal Maudit, comme je

l'appelle. Un cancer du sein, une forme agressive, il fallait faire vite.

Je recevais un coup de massue sur la tête, ma vie basculait, je croyais sortir d'un

cauchemar dans lequel en fait la réalité me culbutait sans pitié!

C'est à partir de cet instant, que je prenais un ticket pour le PARC

HALLOWEEN... Chaque porte qui s'ouvrait annonçait une nouvelle horreur, le

Mal Maudit prenait mille facettes comme le Diable, je ne voyais plus qu'un

tunnel noir sans fin, sans issue.

Il me fallait trouver encore et encore du courage, j'en prenais où j'en pouvais et

je faisais mes provisions pour les temps encore plus durs qui allaient s'annoncer.

Parfois, je me retrouvais en rupture de stock, alors il fallait trouver tout de suite

quelque chose pour me ressourcer.

Le chemin était long, dur, tortueux et plein d'impasses, et la tenue de guerrière

la plus efficace pour cette guerre qui m'avait été déclarée et que je devais

vaincre par tous les moyens, était ma propre personne. Si je parle d'une " tenue"

c'est parce que le Mal Maudit nous déshabille, nous ravage dedans comme

dehors et que nous en oublions notre Moi!

Ma seule force était de me retrouver, de foncer dans mon envie de vivre qui ne

m'a jamais quittée, même dans les moments les plus difficiles. Je me retournais

et soudain je voyais que mon passé était étonnement rose et que je ne m'en

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apercevais que maintenant.. Il fallait à tout prix redonner cette couleur à mon

présent, je m'aime, j'aime les autres et donc j'aime la vie.

Mais c'est comme décalquer un nouveau tableau sur un tableau déjà peint!

Remettre du rose sur une peinture représentant L'Enfer dantesque, je ne trouve

pas de place pour moi! Ce "moi' je ne l'ai malgré tout pas perdu, il est là tous les

jours, il m'accompagne dans ce combat épique, il me donne de la force, il me

protège et il me donne de l'espoir. Je peints moi mon propre tableau, je n'essaye

pas de décalquer l'image du passé sur l'image du présent, elle ne sera de toute

façon plus la même, je vis cette intemporalité par la pensée, par l'imagination:

Mettre une fantaisie par jour comme dans une fable, des images qui m'abritent

pour réparer mes blessures. Je suis ma propre Mère, comme un enfant qui pour

s'endormir écoute les histoires de sa mère. Un univers de l'imaginaire qui peut

nous appartenir à toutes, et quand ça fait encore mal, c'est qu'on a peut-être

oublié de fermer certaines portes de notre intérieur. Je réfléchis et je cherche

mon histoire pour l'imaginer et mieux la comprendre.

Rien n’est statique et tout passe...

Chaque jour est un nouveau jour, un nouveau tableau, une nouvelle histoire. A

quoi bon essayer de récupérer ce qui est irrécupérable, il vaut mieux recréer,

recommencer et renaître quand le décor est aussi obscur.

Cette deuxième naissance est la transition entre deux mondes, le monde d'avant

et la reconstruction d'un monde actuel.

"Nous ne sommes pas des victimes mais des guerrières" affirme énergiquement

Wiktoria Bosc lors de son exposition de photos sur le cancer du sein.

Martyres de la maladie mais bellicistes dans ce dur combat que la vie nous a

imposé! Nous prenons notre amie, notre force par la main et nous montons au

Front! Nous sommes à la frontière de deux forces combattantes, la nôtre et celle

du Mal Maudit et c'est justement à ce moment que nous devons prendre

position!

Chacun de mes mots est une larme de sang qui coule de ce combat barbare,

mais chacun de mes mots est aussi mon endurance intérieure qui vient essuyer

ces larmes. Cet élan je le prends de l'amour que j'ai pour la famille, pour mes

amis, pour ma foi, pour ma vie, tout simplement.

Je me regarde dans ce miroir et je me retrouve, je retrouve ma vie mais je vois

aussi le fléau. Je dois réapprendre à vivre avec ce triangle maudit, j'en fais

partie. Je sais qu'un jour, un coin de ce triangle disparaîtra laissant derrière lui

une cicatrice. Ce qui restera tatoué ne partira plus mais en échange de mes

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souffrances, j'aurai peut-être gagné la guerre…

Ce n'est qu'avec cette image qui se reflète dans mon miroir que je me retrouve

entière et puissante. Le Mal Maudit m'a blessée, et avant de me poignarder le

sein, il m'a poignardé le cœur. Je voudrais de cette horreur en tirer une énergie

positive, un amour inconditionnel pour notre propre corps et transmettre ce

sentiment de consécration à vous, lectrices concernées. Je suis contente parce

que malgré le ravage émotionnel que cette scarification a provoqué au début en

moi, j'ai réussi à m'accepter avec le temps, à vivre avec et faire de cette

nouvelle image de moi, une image rosée de fraîcheur et d'authenticité.

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Réflexions

Et toi, comment as-tu découvert ton cancer?

Qu'est-ce que l'annonce de la maladie a provoqué en toi?

Quelle porte de ton intérieur a-t-elle ouvert?

Recherches-tu ton vrai visage derrière ce masque de douleur?

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LA CHIRURGIE

La chirurgie m'a laissé une jolie cicatrice. Plus je la regarde plus je me demande

pourquoi elle rendrait viril un homme et pas sensuelle une femme?

Je suis sensible à l'esthétique féminine et quelle femme ne l'est pas au plus

profond d'elle-même. Je veux voir le beau dans l'horreur comme on voit le bien

dans le mal. C'est une autre réalité, un attachement aux plaisirs de la beauté

violée.

Wiktoria Bosc a su particulièrement sublimer la mutilation du corps après la

chirurgie, elle nous a rendu dans ses photos ce que nous avons un peu perdu de

notre féminité.

Il est vrai que le corps et l'esprit travaillent en symbiose et que lorsqu'une

cicatrice vient rompre cette harmonie, nous sommes profondément touchées

dans nos émotions. Une cicatrice sur notre poitrine est comme un coup de

couteau dans les testicules d'un homme, or, je ne trouve pas, pour mon compte,

particulièrement viril une marque à cet endroit-là.

Mais le sein est l'emblème féminin par excellence, il symbolise d'une part la

maternité et d'une autre il est l'arme de séduction qui traverse les siècles depuis

toujours. Cette double signification lui donne toute son importance et sa

distinction. Le côté fertile et le côté érotique sont une union parfaite pour

caractériser notre beauté et notre puissance et faire de notre sein une partie

fondamentale de notre corps mais aussi une arme de charme.

Beaucoup pourraient se demander comment un tel portrait narcissique peut

éclore d’une chair entaillée par le bistouri, à juste titre.

C'est parce que le Mal Maudit hante notre vie que nous avons encore plus envie

de vivre, parce qu'il noircit notre paysage que nous avons envie de le repeindre

en rose, parce qu'il détruit notre image que nous voulons la reconstruire, parce

qu'il nous blesse dans notre dignité que nous nous battons pour notre amour-

propre!

Le Davi (port-à-cath)

Je me suis brouillée avec depuis le début! Je l'ai surnommé le "truc" depuis

qu'on m'en a parlé la première fois. Je trouve qu'il ne ressemble à rien et

pourtant je porte sa cicatrice aussi!

Avec le temps, j'ai abandonné l'idée qu'il était informe et insensé, sa chirurgie

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est bien loin d'en être anodine. Au début du parcours du combattant, on ne sait

presque rien du Mal Maudit qui vient terrasser notre existence et puis, on

apprend et on ingurgite chaque fois une couleuvre vivante.

Il ne devait d'ailleurs représenter qu'un petit passage de logistique dans le long

combat qui se dévoilait sans miséricorde.

Je compris donc à bon train qu'il ouvrait les portes de l'Enfer dans lequel Le

Poison Guérisseur (dont je parlerai plus tard) allait entrer.

Ce geste je l'appréhendais depuis le début, les choses allaient forcément mal se

passer. La chirurgie me sembla interminable, à la sortie du bloc opératoire, je

fus atteinte par des douleurs tellement fortes que j'eu droit à la morphine. Je

passai une nuit à l'hôpital, tourmentée dans un sommeil que je ne pouvais

trouver. J'essayais diverses positions qui pouvaient m'être un peu confortables

mais en vain. Chaque fois que je me retournais dans le lit, j'avais une lancée

poignante qui partait de l'incision et me traversait l'épaule. Je cherchais donc

une position antalgique moins douloureuse du côté opposé de ma blessure, mais

je ne résolvais pas le problème, car l'autre côté était douloureux en raison de la

mastectomie partielle que j'avais eue trois semaines auparavant. Je décidai alors

de rester couchée sur le dos, sans espoir de trouver d'autre soulagement.

Cette position forcée ne me laissait aucune alternative de mouvement, la seule

chose qu'il me restait à faire c'était de réfléchir....quelle drôle de "truc" celui- là!

Un cathéter à chambre implantable avec un accès vasculaire! Cette seule pensée

me faisait froid dans le dos.

Le DAVI (tel est son vrai nom) est pourtant primordial pour les attaques contre

Le Mal Maudit!

Il est, comme je disais précédemment, la porte d'entrée pour la chimiothérapie,

notre Poison Guérisseur! C'est grâce à ce passage vasculaire que le remède

toxique coule dans nos veines pour brûler les cellules cancéreuses.

Je fis finalement de lui un héros, il s'était transformé sans que je le veuille, en

arme de combat. C'est étonnant comme certains phénomènes peuvent évoluer

dans nos pensées, comme beaucoup d'idées noires qui nous bouleversaient

auparavant peuvent se reconvertir par l'évidence des faits et la maturation des

réflexions en nouveaux concepts fétichistes.

Le "truc" avait muté en Davi parce qu'il me permettait de me soigner pour vivre,

c'était l'ultime conclusion que je tirai de cette expérience. Je porterai à jamais

son sceau comme cachet de son témoignage.

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Réflexions

Que penses-tu lorsque tu vois cette cicatrice sur ton sein?

Te sens-tu toujours belle, sensuelle, toujours femme?

Est-ce que tu as appréhendé le DAVI comme moi? Que représente-t-il pour toi?

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LA CHIMIOTHERAPIE

Je suis suivie au centre du sein à la Maternité de Genève, petite île paradisiaque

au milieu de l'archipel HUG, un petit département où tout est rose et où on s'y

sent bien dedans, c'est le petit monde de la femme qui a le Mal Maudit. Rose

comme la couleur du cancer du sein, mais rose aussi comme la couleur de la

femme depuis toujours. Une couleur fraîche qui nous donne un souffle d'air que

le Mal Maudit ne nous donnera jamais. Rose comme un retour dans le ventre

maternel qui nous protège et dans lequel la damnation ne peut pénétrer. Rose,

comme dans un cocon où on s'envelopperait pour se préserver de l'Ennemi.

C'est au cœur de ce jardin mystérieux, dans lequel on pourrait voir pousser au

centre de la salle d'attente "L'arbre de la vie", que se pratiquent les

chimiothérapies. Dans cette pièce où le décor est particulièrement apaisant, on y

voit souvent des regards perdus dans le vide et des visages ravagés par l'horreur

mais derrière ces expressions de douleur, il y a des femmes qui attendent

l'espoir et la guérison. Le Centre du Sein est notre nouvelle âme, notre nouvelle

histoire de la vie.

Mon oncologue s'appelle Alexandre, il est galant homme et plein d'humanité.

C'est un acharné de la Bête qu'il pourchasse et il n'en laisse pas passer une,

comme je le lui fais remarquer souvent. Il n'a qu'un seul but dans la tête, coûte

que coûte, il veut me sauver la vie. Un jour que j'avais fait une infection post-

chimio et que j'avais été hospitalisée presque une semaine, je lui demandai s'il

ne pensait pas baisser le dosage du Poison Guérisseur ou de retarder

éventuellement la date de la thérapie. Il me fixa intensément et avec un demi-

sourire plus que persuadé, il me répondit qu'il n'y pensait pas une seconde, pour

autant que tous les paramètres sanguins le permettraient. Alexandre a le coeur

blessé quand je lui dis que je souffre mais il fait semblant de ne pas entendre, et

je crois que lorsqu'il écoute mes peines, il poursuit avec encore plus

d'obstination notre Ennemi, qui est aussi le sien. Sa science est autant infuse

que son sens de l'empathie et il me donne l'impression qu'il passe autant de

temps à chercher des solutions pour court-circuiter le Mal Maudit qu'à dénicher

des stratégies pour que ses patientes soient le plus confortables possible durant

les lourds désagréments de la chimiothérapie.

La chimiothérapie est le traitement le plus considérable de notre parcours. Je

n'aurais jamais assez de mots pour décrire les dommages qu'elle peut provoquer

dans notre corps, je rangerais son potentiel au même niveau que la puissance du

Mal qui nous ronge en silence.

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On s'habitue difficilement à la métamorphose corporelle qu'elle déclenche et

encore moins aux inconvénients accablants qui en découlent.

Ma première séance HIROSHIMA, comme je la surnomme, fut une marche

innocente vers quelque chose que je ne connaissais pas vraiment. Je n'ignorais

pas la pesanteur du traitement mais je ne pouvais évidemment connaître

d'avance les souffrances physiques et morales qu'elle allait engendrer en moi.

Avec l'expérience et le soutien d'Alexandre ainsi que de tout le personnel

soignant, j'acquérais de plus en plus de connaissances sur cette chose affreuse

qui me soignait malgré tout. J'avais appris au moins à maîtriser mes angoisses

mais je craignais toujours le malaise physique aigu auquel je n'échappais jamais

à chaque fois. Je pourrais décrire ce malaise comme une sensation

d'empoisonnement crémateur à l'intérieur de mon corps, une sorte de "mort"

d'infimes petites parties que je sentais brûler. Un goût de métal dans ma bouche

fondait sous ma langue et ce que j'arrivais encore à déglutir n'avait soudain plus

le même goût, alors, il fallait trouver une solution palliative rapide à ce

problème. Je m'étais faite un petit calendrier des cycles d'HIROSHIMA, à

chaque séance, je prenais un bonbon rose et sucré, et chaque bonbon

correspondait à la date d'une thérapie. Cela me permettait non seulement

d'estomper le goût amer que j'avais dans la bouche mais aussi de tenir un

échéancier régressif du programme des chimiothérapies prévues.

Puis, il fallait aussi trouver une idée pour désamorcer un peu le stress

psychologique qui revenait sans cesse durant le passage mystérieux et

angoissant du produit chimique. Il m'était venu à l'esprit de décrire sur un carnet

tout ce qui se passait au moment-même, j'exorcisais ainsi ce terrible instant et

j'occupais mon cerveau différemment:

14h: L'infirmière pique dans le boitier, porte de l'Enfer, entrée du Poison

Guérisseur. Elle retire du sang de celui-ci pour s'assurer du bon fonctionnement

du cathéter. Le reflux est bon, cela me soulage, m'apaise. J'ai quand même

encore peur mais je prends sur moi et j'assume. Après le rinçage du boitier,

Jessica introduit par ce Cathéter Bénit un anti-vomitif et de la cortisone. Je me

sens bien maintenant, je plane, mon angoisse est refoulée pour le moment,

Jessica me sourit affectueusement tout en refaisant un rinçage, cela me

provoque une sensation de pureté, d'apaisement, de désintoxication, et

pourtant...

15h: Introduction de l'EPIRUBICINE (produit rouge :)) ...Je suis sensible,

réceptive... L'angoisse me reprend mais je suis incapable de réagir, le produit

m'endors un peu. J'ai un goût d'alcool et de fer à chaque fois que j'avale, le

Poison Guérisseur tant redouté durant vingt-et-un jours est de nouveau entré en

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moi. L'injection dure dix minutes, mais l'agression du médicament se

poursuivra durant trois semaines. Je me sens comme étourdie, cela me protège

finalement, ma peur ne peut reprendre le dessus! Je m'endors un petit instant...

le goût d'alcool que j'ai dans la bouche mute en goût de métal cramé, cette

sensation est très désagréable.

15H30: Injection de CYCLOPHOSPHAMIDE (trente minutes), le

deuxième "poison" coule dans mes veines, je le sens comme si je le visualisais.

Mes extrémités sont froides et j'ai comme une barre au niveau du front et des

sinus. Je demande à Jessica de me lever pour aller uriner. Dans les toilettes je

suis seule, moi et mes "poisons" (ET MAINTENANT AVEC VOUS :-))... Mon

urine est rouge, c'est l'effet du premier produit. Je me regarde dans le miroir

plusieurs fois, je veux m'assurer de ma mine, de mon regard, reflet de mon âme.

C'est étonnant le changement de couleurs minutes par minutes... Je passe du

gris au rouge cramé. Mes joues sont boursoufflées, c'est l'effet de la cortisone.

15h50: L'angoisse reprend le dessus. Le Poison Guérisseur circule

dans tout mon corps... Mes sinus brûlent comme si je plongeais violemment

dans la mer. Ma tête éclate, je ressens une pression intracrânienne, j'ai

l'impression que mon cerveau est incendié (CE SERAIT BIEN DOMMAGE :-

) !!!).

16h00: Je me rendors quelques minutes... Un sentiment de froid me

réveille, j'ai froid dehors et dedans...

J'ai trouvé beaucoup de soulagement à décrire ce que je ressentais minute par

minute, goutte après goutte. Ce jour-là, je jouai le rôle d'une actrice dans un

film, actrice de mon destin certes, mais mon vrai visage n'était pas celui qui

pâlissait et qui rougissait mais celui dont les yeux regardaient ce qui m'arrivait.

Cette prise de conscience détachée me donnait encore plus d'engouement

passionnel pour moi-même, je m'aimais, je me regardais souffrir et lutter et c'est

de là que je prenais ma force et mon espoir.

Je voudrais, par mes réflexions, tenter de former un miroir dans lequel vous

pourrez vous refléter, vous imaginer, peut-être vous recréer. Ce qui compte à la

fin c'est de s'accepter et d'accepter ce que ce miroir reflète, votre "moi", dans

votre vie actuelle. Nous sommes en transition entre deux mondes et nous vivons

une métamorphose violente, à nous de l'adoucir par l'imagination, par l'écriture

ou par tout autre moyen d'expression :-). Ce n'est que par cette "reconstruction"

de soi que nous accepterons tous les changements que la maladie nous a

balancé en pleine figure sans même nous demander notre avis!

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Je me regardai dans le miroir le jour suivant HIROSHIMA comme pour

légaliser mon nouveau portrait face à mon propre regard mais face aussi au

regard de l'autre. Dans notre monde, il y a trois combats à conquérir pour

gagner la guerre: le Mal Maudit, notre "moi" et le coup d'œil de l'autre. Je

devais essayer à tout prix de faire abstraction des rougeurs que la cortisone

m'avait provoquées, alors je me disais que tout compte fait, j'avais bonne mine.

Quant à mes nausées incessantes, elles ne se voyaient de toute façon pas, je les

supportais en silence et mon oncologue s'en préoccupait avec le plus grand soin.

Mais il y avait plus dur que le test des couleurs du visage, c'était l'histoire des

cheveux incompatibles avec HIROSHIMA! C'était ma pire hantise, un crâne

rasé, comment allais-je y faire face dans les deux sens du terme? On allait me

regarder dans la rue et on allait penser:

"La pauvre, elle a le Mal Maudit, je la plains, je voudrais pas être à sa place,

mais de toute façon, à moi, ça ne m'arrivera jamais".

J'imaginais des stratégies pour rester potable même sans cheveux mais à part la

perruque, je n'en voyais pas... Sauf que moi la perruque je la supporte pas, elle

me pique et quand je l'enlève le soir pour la poser sur son support, j'ai

l'impression de participer au concours de cheveux d’Halloween, à celle qui se

les arrache le mieux :-). C'est mon sentiment personnel et il est vraiment

personnel car j'ai pu constater que vous n'êtes pas toutes de cet avis et cela

m'enjoue.

D'autre part, la perruque me procure un problème psychologique lorsque je

l'enlève, ce ne sont pas mes vrais cheveux et moi je dois me sentir vraie, alors je

préfère m'assumer sans et j'ai opté pour le turban, tant pis pour ceux qui me

regarderont curieusement, je regrette juste le fait de les effrayer: "Oui j'ai un

turban sur le crâne parce que j'ai un cancer mais je ne l'ai pas choisi! Je regrette

de te faire peur, ne t'inquiète pas pour toi, cela n'arrive qu'à moi".

Lorsque mes cheveux commencèrent à tomber, je me souviens d'un message

que je m'empressai d'écrire à tous mes amis, de peur de les décevoir de ma

nouvelle apparence, j'étais submergée de culpabilité:

"...Je me réveille, la bouche en feu et un arrière-goût de métal qui revient

au bout de sept jours, le cuir chevelu en ébullition... Mon oreiller attire mon

regard, il y a des cheveux noirs partout... Le processus est enclenché... Je ne

l'arrête plus... Une partie de moi s'en va pour un moment. Je le savais, mais c'est

arrachant quand même. J'ai besoin d'écrire ce moment pour immortaliser

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l'horreur. J'ai les stigmates du Cancer mais mon cœur est une pompe increvable,

continuelle, minute par minute, qui bat la vie et l'envie de vivre encore

longtemps!"

Le Mal Maudit nous transforme jusqu'au plus profond de notre conscience,

nous nous sentons coupable non seulement vis-à-vis de nous-même mais aussi

face à notre entourage. Nous devenons sensibles au regard et au jugement de

l'autre qui nous examine. De la même manière que nous nous demandons ce

que nous avons fait de mal pour mériter tant de souffrance, nous nous

préoccupons aussi de l'affliction et de la peur que nous avons suscitées dans

celui qui nous regarde. Ce sens de la culpabilité nous dévore mais nous incite à

penser aussi à la dimension profonde de notre Être et au prestige de nos

semblables.

"Je parle de toi aussi qui me regarde à travers mes mots qui te reflètent. Tu

voyages avec moi et ensemble, nous avons entrepris ce long chemin difficile

dans lequel nous mettrons une image sur chaque fatigue, un mot sur chaque

horreur... Tu comprendras de suite que toutes les femmes comme toi sont tes

sœurs, elles ont besoin de toi comme toi tu as besoin d'elles. Tu ne te

demanderas plus si tu les connais ou pas, elles seront devenues tes amies de

toujours. Dans cette intemporalité, tu retrouveras les amies d’hier et celles

d'aujourd'hui réunies parce que nous sommes toutes concernées. Peu importe si

elle a été ton amie vingt minutes ou vingt ans, elles auront toutes une place dans

ton cœur!"

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Réflexions

Quelles relations as-tu avec tes soignants? Le fait d'avoir des relations humaines

avec eux te met-il en confiance, te sens-tu protégée et donc plus confortable?

Raconte ton expérience:

Crache tes souffrances physiques et psychologiques provoquées par la chimio,

ne crains pas tes mots, Elle ne les saura jamais, tu es "toi" et Elle n'est qu'une

ombre noire. Je sais qu'Elle te hante et t'effraye à chaque fois, mais rappelles-toi

qu'Elle est malgré tout Ton Poison Guérisseur!

Exprime ta douleur et tes émotions

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Lorsque tes cheveux sont tombés, as-tu été troublée et affligée par ton image?

Que penses-tu de la perruque?

As-tu craint le regard des autres sur toi ou c'est ta propre vision du monde et de

la vie qui ont changé?

Tu vois, quand t'as le Mal Maudit, il y a le regard de l'autre sur toi mais il y a

aussi ton regard sur lui qui change... Tu vis entre deux mondes, dans ta propre

réalité, et tu te reconstruis, étape par étape.

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LE CENTRE DU SEIN

UN NOUVEL ESPACE, UN NOUVEAU MONDE

Quand je vais au centre du sein pour me faire soigner c'est comme si j'allais en

vacances sur une île au milieu d'un océan en tumulte... Je me retrouve dans un

nouvel espace à cheval entre deux mondes, celui d'avant et celui d'aujourd'hui.

L'équipe soignante est formidable, présente à tous les niveaux et avec une

écoute active sans égale, la prise en charge est excellente, je me sens protégée

comme dans un cocon, le seul problème c'est que j'ai le Mal Maudit.

Il règne dans ce petit Eden une ambiance presque féerique, on y sent un parfum

féminin et on pourrait se croire un instant invité dans le jardin de Eve, la

première femme. Mais nous avons été créées d'une argile damnée et nous ne

sommes pas devenues des femmes parfaites, j'entends par là, conformes aux

règles de la bonne santé:-)

Au centre du sein, on nous tend la main pour nous apprendre à vivre avec Le

Mal Maudit. Dès le début, la prise en charge vise ce sujet. Le personnel

soignant n'a pas que le rôle de pourchasser La Bête mais aussi de nous

apprendre à l'apprivoiser avant de la tuer, pour que le long combat soit un peu

plus confortable pour nous. Je retins tout particulièrement une citation que je

lus dans une brochure dont je ne me souviens pas du titre : « Le marin ne prie

pas pour qu'il y ait du vent,il apprend à naviguer ». Personne ne pourra jamais

nous donner les raisons de notre mal, personne ne pourra nous l'enlever avec un

simple antibiotique, personne ne pourra nous dispenser complètement des

horribles nausées qui nous envahissent après les chimios... C'est donc à nous de

collaborer aussi pour nous aider avec tout ce qu'on a et avec tous les outils

proposés et mis à notre disposition.

Les épreuves se succèdent, les unes après les autres sans nous laisser de répit. Il

faut s'armer d'un bouclier géant pour se protéger et dans ce petit univers rose

qui nous accueille avec amour et diligence nous retrouvons notre « moi » dans

une nouvelle vie.

Alexandre, mon oncologue, donne une priorité absolue à la Bête qu'il nargue,

mais il n'est pas pour autant insensible à tout ce qui touche non seulement les

effets secondaires de HIROSHIMA mais aussi à l'esthétique féminine. Toute

l'équipe pluridisciplinaire est basée sur cette optique et cela représente pour

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nous un soulagement psychologique intense.

Je discute souvent avec Alexandre de mes cheveux, en fait non, je devrais plutôt

dire de mon crâne rasé! Il se prête volontiers à la discussion parce qu'il n'a non

seulement tout compris du Mal Maudit mais encore tout des processus mentaux

féminins:-)

Au centre du sein, il y a beaucoup de solutions pour court-circuiter tout ce qui

nous ravage, mais je me permettrai d'ajouter moi un conseil de plus pour toi :

« Reste qui tu es dans l'univers dans lequel tu te trouves, tu redeviendras l'autre

toi quand tu auras traversé l'océan tumultueux à la brasse et que tu auras rejoint

les côtes du rivage par tes propres moyens. »

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Réflexions

Exprime ce que tu vois lorsque tu te rends au Centre du Sein (...):

Ton voyage au Pays du Ruban Rose ne te ramène-t-il pas à la genèse de ta

féminité?

Tu es ta propre Eve, tu te reconstruis morceau par morceau avec tes propres

moyens, avec ta propre argile, tu es authentique dans cette dure réalité parce

que tu veux rester en vie!

Plonge dans toutes tes émotions:

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Conclusion

Comme toi qui me lis, moi je réfléchis et puis je me lis à l'intérieur... Je

m'aperçois que mon histoire n'est pas seulement la mienne, mais encore la

tienne et celle aussi de nombreuses autres guerrières...

Alors, du coup, je n'arrête plus mes mots qui défilent sur mon clavier aussi

fluides que mes pensées. J'ai voulu souligner la métamorphose atroce derrière

laquelle se cache la beauté du Vrai Moi, du Vrai Toi que la maladie offusque par

tous ses moyens.

Chacune de vous a le droit de recevoir ce message de force, d'espoir et de

beauté refoulés.

« Toi, le Cancer, Mon Rose Bonbon, tu es l'indiscutable raison de mes

multiples batailles. C'est grâce à toi que j'ai découvert les gisements infinis de

ma force intérieure, pour me battre, pour respirer l'air pur que tu ne connais

pas... »

* * *

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Je vois une femme, le crâne rasé, nue, recourbée sur elle-même, les mains

croisées sur la poitrine, en guise de protection. Ses yeux sont tristes mais un

léger sourire de bonheur et d'espoir se dessine et illumine discrètement son

visage, comme une Mona Lisa dans une galerie attendant le regard de l'autre

pour se libérer de quelque chose de plus...

Deux grandes ailes d'Ange pèsent sur son dos recourbé annonçant pareillement

un envol vers une liberté requise, une seconde naissance, une deuxième vie...

Ne serait-ce pas l'image d'une femme dont le corps mutilé par le Mal Maudit et

intoxiqué par le Poison Guérisseur qui s'affranchit et se purifie pour atteindre

son unique but, la survie, la vie... ?

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Réflexions

J'ai voulu créer ce petit miroir pour toi et j'ai laissé parler mon cœur comme il

voulait. Si tu t'es reconnue dedans, fais-en ton petit carnet de bord, ton journal

intime, celui de ton dur parcours. Il t'aidera à surmonter ce lourd combat que

tu mènes jour pour jour comme le goutte à goutte qui coule dans tes veines.

Souviens-toi que "tu n'es pas une victime mais une guerrière" et que tu

gagneras cette guerre avant tout avec ta force intérieure et ton énergie.

Alors, ne pleure pas, essuie tes larmes et souris, la fusion de tes sentiments

inconscients et la réalité dans laquelle tu es dicteront tes mots... Déguste ton

Rose Bonbon à ta manière et fais de son arrière-goût amer un blason, ta propre

auto-thérapie.

Ecris, laisse-toi aller, je suis sur le toit de tes pensées parce que j'ai le Mal

Maudit aussi...

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Avec le soutien de la

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