Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation Problèmes de la métaphore. In Langages,...

37
Jean Molino F. Solblin Joëlle Tamine Présentation : Problèmes de la métaphore In: Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-40. Citer ce document / Cite this document : Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation : Problèmes de la métaphore. In: Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5- 40. doi : 10.3406/lgge.1979.1817 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1979_num_12_54_1817

Transcript of Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation Problèmes de la métaphore. In Langages,...

Page 1: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Jean MolinoF. SolblinJoëlle Tamine

Présentation : Problèmes de la métaphoreIn: Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-40.

Citer ce document / Cite this document :

Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation : Problèmes de la métaphore. In: Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-40.

doi : 10.3406/lgge.1979.1817

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1979_num_12_54_1817

Page 2: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

J. MOLINO F. SOUBLIN J. Tamine Université de Provence Aix-en -Provence

PRÉSENTATION :

PROBLÈMES DE LA MÉTAPHORE

1. La rhétorique est à la mode, mais plus encore sans doute la métaphore : « The metap*hor-industry has been expanding rapidly since it was launched in 1954 by Max Black's paper... » [WatkINS, 1972]. Linguistes, critiques littéraires, psychologues, anthropologues, sociologues, philosophes, logiciens et épistémologues sont entrés tour à tour dans la bataille. Les articles, ouvrages, colloques et recueils se multiplient à une allure extraordinaire : la bibliographie de Warren A. SHIBLES [ShibLES, 1971], parue en 1971, recense plusieurs centaines de titres et l'industrie, depuis cette date, est toujours en plein essor... On pourrait s'interroger sur les raisons de cet enthousiasme à peu près universel : s'agit-il d'une protestation contre les positivismes et les structuralismes en linguistique et sciences humaines ? L'amour de la métaphore serait alors un moyen de se libérer des segmentations, des commutations, des règles et des combinaisons. Nous y verrions plutôt la preuve d'une nouvelle prise de conscience : le problème central des sciences humaines est aujourd'hui le problème de la signification. Parente pauvre et délaissée de la linguistique post-saussurienne, récusée par la philosophie behavioriste des psychologues et des sociologues, laissée de côté par les logiciens et les philosophes au profit d'entités dont le pathos est plus attirant, la signification apparaît maintenant à tous les carrefours de la recherche. Elle devient comme un point sensible où se marque le passage d'une méthode structurale — au sens large et imprécis du mot — à une nouvelle méthode : elle annonce la nécessité et peut-être l'amorce d'un nouveau paradigme.

2. Qu'est-ce qu'une métaphore ? Il n'y a sans doute pas de réponse simple à la question. Cependant, il est nécessaire d'en donner une définition provisoire et un exemple, choisis dans la partie commune à toutes les définitions proposées. C'est dire que nous partons d'une forme canonique de la métaphore dont nous verrons ultérieurement qu'elle ne constitue qu'un type parmi d'autres et que nous l'envisageons dans le cadre arbitraire de la langue française et des contraintes spécifiques qu'elle impose. Donnons d'abord la définition provisoire, empruntée à FONTANIER : la métaphore consiste « à présenter une idée sous le signe d'une autre idée plus frappante ou plus connue, qui, d'ailleurs, ne tient à la première par aucun autre lien que celui d'une certaine conformité ou analogie » [FONTANIER, 1968, 99]. La forme canonique de la métaphore, à peu près la seule à être étudiée par les linguistes et les rhétoriciens, est la forme suivante :

Cet homme est un lion. Prédet N! est Prédét N2

N2, terme métaphorique — Tm — , est le foyer ou pivot de la métaphore — P — ; selon les analyses traditionnelles, il est mis à la place d'un terme propre — Tp — .Le

Page 3: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

pivot est inséré dans un syntagme que l'on appelle cadre de la métaphore, et qui est ici le syntagme propositionnel. Dans la phrase :

« La vieillesse est un tyran qui défend sur peine de la vie tous les plaisirs de la jeunesse » [La Rochefoucauld]

le, con texte à droite du pivot « un tyran » est la suite ou queue de la métaphore. Le rapport qui existe entre le terme figuré et le terme propre sous-jacent est la raison ou le fondement de la métaphore.

3. Ce que nous venons de définir, c'est un aspect de la métaphore qui, comme tous les concepts théoriques ou, plus exactement, semi-théoriques, correspond à une réalité floue, aux limites imprécises. Selon la tradition culturelle, l'époque, le théoricien, la métaphore va changer partiellement de limites, de forme et de sens. Aussi convient-il de dégager cinq axes de variation de la métaphore, qui expliquent les difficultés et les ambiguïtés de son analyse.

En premier lieu, la métaphore met en jeu l'opposition sens propre/sens figuré. Il y a d'un côté le sens propre, primitif, essentiel d'un mot : « pied » désigne un organe animal ; mais il y a aussi le sens tropologique, figuré, annexe, secondaire : « pied » peut désigner une des parties de la table. C'est la théorie des tropes, partie de la rhétorique, qui s'occupe d'analyser et de classer les diverses façons de passer d'un sens propre à un sens figuré : « ...figures ou catachrèses, de combien de manières différentes les Tropes en un seul mot ont-ils lieu ? » [FONTANIER, 1968, 77]. Mais il existe des métaphores tellement vieillies, tellement usées que plus rien ne reste de leur sens propre : pense-t-on toujours à un pied lorsqu'on parle d'un pied de table ? Lorsque la métaphore est une catachrèse, faite pour pallier les lacunes du vocabulaire, l'effacement de la métaphore se réalise plus vite encore. Comme on l'a remarqué souvent, toute langue est un cimetière de métaphores mortes, dont seuls quelques érudits ou amoureux de la langue possèdent la clef. Deux pôles extrêmes se dégagent : les métaphores mortes devenues transparentes et qui ne sont métaphores que par leur origine, les métaphores à l'état naissant dont l'irréductible singularité peut faire qu'elles restent, pour un moment ou pour toujours, indéchiffrables. Entre ces deux pôles s'étale la métaphore sous ses diverses formes, mélange instable et chaque fois différent où s'imbriquent la lisibilité de la métaphore en voie d'usure et l'étran- geté de la métaphore vivante. Soulignons seulement la place particulière de la métaphore nominale in absentia, dans laquelle l'absence de tout indice métaphorique contraint à n'user que d'une expression déjà largement reçue et acceptée.

Un deuxième axe de variation prend place à l'intérieur même du champ des tropes. Comment s'organise-t-il et quelle est la place de la métaphore ? On distinguera alors une métaphore généralisée et une métaphore restreinte : la métaphore restreinte se définit par le rapport de ressemblance qui existe entre terme propre et terme figuré, et s'oppose ainsi à la synecdoque ou à la métonymie, qui se définissent par la présence d'un rapport de connexion et de correspondance [FONTANIER, 1968] ; c'est la doctrine néo-classique, celle qui triomphe en Europe du XVIe au XVIIIe siècle. La métaphore généralisée occupe, elle, tout l'espace des tropes : le terme recouvre alors l'ensemble des figures du mot, quel que soit le rapport qui existe entre terme propre et terme figuré : c'est la doctrine d'ARISTOTE et la doctrine contemporaine, qui tend à s'imposer depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle [cf. BLAIR, 1808]. On peut d'ailleurs concevoir toute une série de définitions intermédiaires entre métaphore restreinte et métaphore généralisée, selon le nombre de termes entre lesquels se partage le champ des tropes [cf. SOUBLIN, ici même].

En troisième lieu, la métaphore met en jeu l'opposition mot/discours. Il est alors possible de distinguer la métaphore comme trope réduit à un seul mot — la meta-

Page 4: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

phore simple — et la métaphore complexe, ou élargie : c'est toute une famille de figures en plusieurs mots ou figures d'expression qui apparaît alors, la place de ces figures dans les diverses classifications rhétoriques demeurant la plupart du temps incertaine. Citons la métaphore continuée, ou filée, l'allégorie, l'allégorisme, la sub- jectification et le mythologisme dégagés par FONTANIER. Toutes ces figures sont souvent définies par rapport à la métaphore : « c'est, comme on l'a dit, une métaphore continuée », affirme MARMONTEL en parlant de l'allégorie [MARMONTEL, 1879, 109]. La métaphore continuée est la forme de transition entre la métaphore simple et la métaphore élargie.

Une quatrième opposition met enjeu sens direct et sens caché ou, pour reprendre les termes de FONTANIER, sens littéral et sens spirituel. Il ne s'agit plus ici de l'existence d'un sens propre et d'un sens figuré pour un mot déterminé, il s'agit de stratégies de la communication ; au lieu de dire directement et franchement ce qu'il veut dire, le locuteur s'exprime indirectement et veut signifier plus, ou autre chose que ce qu'il dit : « Ils [ces tropes] n'offrent pas, comme les Tropes en un seul mot, une simple idée, mais une pensée, et ils la présentent avec plus ou moins de déguisement ou de détour » [FONTANIER, 1968, 109]. La métaphore est tirée du côté du symbole, de l'énigme, de l'oracle, de l'hiéroglyphe : « Les symboles de convention sont encore aujourd'hui une langue mystérieuse, et qui n'est entendue que des hommes instruits » [MARMONTEL, 1879, 360].

Une dernière opposition met en jeu la ressemblance et le rapport abstrait, le figuratif et l'opératif . Le lien qui unit terme propre et terme sous-jacent peut être un lien de ressemblance, fondé sur la possession d'une qualité commune — celle-ci étant le plus souvent visuelle ; la métaphore est proche alors de la comparaison, de l'image, du symbole ; elle attire l'attention sur une propriété qu'elle fait voir, en la mettant sous les yeux — pour reprendre la formule d'ARISTOTE. La métaphore renvoie du langage à la perception et au figuratif. Mais on peut concevoir le lien entre les deux termes comme un rapport non figuratif, un rapport abstrait et purement intellectuel : par l'intermédiaire de l'aorelov aristotélicien [ArisTOTE, Rhétorique, 1412 à 1418], la métaphore se rapproche de l'acte d'intellection. Dire ou comprendre une métaphore implique une recherche de l'esprit et la découverte des rapports nouveaux entre les choses. La métaphore conduit à l'énigme, au mot d'esprit, tel que l'ont analysé les théoriciens de l'âge baroque, Gracian ou TESAURO : « consiste, pues, ese artificio conceptuoso, en una primorosa concordancia, en una armónica correla- ción entre dos о très cognoscibles extremos, expresada por un acto del entendi- miento » [GRACIAN, 1969, 55]. Le mot d'« analogie », qui est souvent utilisé pour désigner le rapport entre terme propre et terme figuré, illustre bien la double direction possible de l'analyse, vers la ressemblance visible ou vers le rapport abstrait. En même temps, l'analogie nous conduit à nous interroger sur le problème du fondement de la métaphore et du rapport qu'elle met en jeu : ce rapport est- il subjectif et extrinsèque à l'objet envisagé, est-il au contraire objectif et fondé dans sa nature ?

Ces dimensions multiples de la métaphore marquent bien la double tâche devant laquelle se trouve l'analyste : il faut d'un côté délimiter avec le plus de précision possible un ensemble de formes et de fonctionnements spécifiques auxquels on réservera le nom de métaphore ; mais il faut aussi étudier les configurations générales dans lesquelles s'inscrit la métaphore, qu'on ne peut séparer sinon arbitrairement et provisoirement des autres figures.

4. Il n'est pas question d'écrire ici une histoire de la métaphore, et de répondre ainsi au souhait naguère exprimé par Jorge Luis BORGES : « on écrira un jour l'histoire de la métaphore et nous saurons la part de vérité et d'erreur qu'enferment les présentes conjectures » [BORGES, 1964, 203]. Il faut toujours nous en tenir à d'improbables

Page 5: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

conjectures. Nous voudrions cependant présenter quelques jalons de cette histoire hypothétique, et cela pour deux raisons. D'abord pour rappeler d'entrée de jeu l'historicité de la métaphore : il n'y a pas de métaphore une et indivisible qui s'offrirait éternellement au linguiste et au poète. La métaphore a une histoire, c'est-à-dire qu'elle s'est incessamment modifiée, transformée, déformée. En second lieu, la métaphore n'est pas le seul bien des rhéteurs et des théoriciens. Faire l'histoire de la métaphore, ce n'est pas seulement aligner les théories des Suprêmes Théoriciens, d'ARISTOTE à FONTANIER et à M. BLACK : on fait des métaphores avant de théoriser, et la théorie n'est jamais qu'une résultante, qui naît de la rencontre entre les pratiques effectives et des cadres a priori empruntés selon les cas à la tradition littéraire ou à un système philosophique.

Nous ne poserons donc que les quelques jalons nécessaires au repérage, et des principaux moments de l'histoire de la métaphore, et des principaux courants qui s'y entrecroisent.

Au départ, c'est-à-dire dans l'Antiquité grecque, la métaphore se définit dans le cadre étroit et précis des possibilités lexicales propres à l'éloquence : le terme lui- même apparaît pour la première fois dans VEvagoras d'ISOCRATE (383 av. J.-C), où sont énumérées les différentes sortes de mots dont dispose l'orateur : mots « ornés » (xóctuoi), mots « étrangers » (Çévoi), mots « forgés (xodvoi) et mots « déplacés » — ou « transposés » ou « translatés » — (иетафороа).

Aristote, dans sa Poétique [§ 1457], se place tout d'abord dans cette perspective, puisqu'il reprend cette liste en y ajoutant le terme dialectal (уХотта) par opposition au terme courant (xupiov), ainsi que les mots « allongés », « raccourcis » ou « modifiés » pour les besoins de la métrique ; mais son idée-force est de faire à la métaphore un sort particulier, en la rapportant aux grandes catégories qui organisent l'ensemble de son œuvre : espèce et genre, et analogie. C'est ainsi que se trouvent distinguées quatre sortes de métaphores : échange entre le nom du genre et celui de l'espèce (1) ou l'inverse (2) ; échange entre deux noms d'espèce ayant un genre commun (3) ; échange entre deux termes proportionnels dans une analogie (4).

(1) « mon navire est arrêté » ; être arrêté : genre/être à l'ancre : espèce ; (2) « les mille tours d'Ulysse » ; mille respèce/ nombreux : genre ; (3) « d'un glaive de bronze, puiser une vie » ; puiser, trancher : espèces/ et

« d'une urne de bronze, trancher une vie » ; ôter : genre commun ; (4) « le soir est la vieillesse du jour » vieillesse _ soir

et « la vieillesse est le soir de la vie » vie jour Dans sa Rhétorique [III, Y ], ARISTOTE confirme cette analyse et insiste sur la

fonction de ces échanges de dénomination qui permettent de valoriser (5) ou de dévaloriser (6) ce que l'on nomme :

(5) appeler prière la mendicité prière, mendicité ; espèces/ ; (6) appeler mendicité la prière demande : genre commun ;

ou de donner à deviner par « énigme », ou de masquer par « euphémisme », une réalité déshonnête ou trop dure. Il invite par ailleurs [IV, 5 ] à considérer la comparaison comme une métaphore explicitée.

Dès ARISTOTE, la métaphore se trouve donc inscrite à la croisée de deux chemins, menant, l'un vers une philosophie de la connaissance et des opérations de l'esprit, l'autre vers l'art oratoire ou poétique, et la critique littéraire. Schématiquement, dans l'Antiquité grecque d'après ARISTOTE, les stoïciens explorent la première direction et les grammairiens hellénistiques la seconde.

En effet, on voit chez les stoïciens (sans que le terme même de métaphore soit repris) s'affirmer la notion — capitale pour la compréhension du phénomène métaphorique — de passage d'une idée à une autre : « Parmi les objets de pensée, écrit

Page 6: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

DlOCLÈS DE MAGNÉSIE, les uns sont conçus par rencontre (JtepittTGXTtç), les autres par similitude (оисиотпда), d'autres par analogie (ávaXoyía), d'autres par transfert (цетосОеотс) ou encore par composition (аоувеагс), et enfin , par contrariété ( évocvTÎocrtçK Par rencontre, les choses sensibles ; par similitude, ceux qui viennent d'un objet proche d'eux, comme SOCR ATE d'après son portrait ; par analogie, soit en agrandissant l'objet comme Tityos et le Cyclope, soit en le diminuant, comme le Pygmée ; le centre de la terre est ainsi conçu par analogie d'après des sphères plus petites ; par transfert, comme des yeux sur la poitrine ; par composition, comme l'Hippocentaure ; par contrariété, comme la mort » [Stoïciens, 1964, pp. 33-34J.

Les liaisons ainsi dégagées fournissent à la fois un catalogue de « lieux » d'invention (xÓTtoi) — ces pistes qui, à partir d'une idée, permettent d'en trouver d'autres — et des principes d'analyses des «tropes» (r роят), ces détours que peuvent emprunter l'orateur et le poète pour varier l'expression, mais dont dispose aussi, anonymement et collectivement, la communauté linguistique pour nommer à l'aide de mots existants des réalités nouvelles. Car c'est, semble-t-il [BARWICK, 1957, pp. 92-98], chez les stoïciens que se fait jour pour la première fois l'idée d'une « disette de mots propres » et de la nécessité (y.avx%p\\<n5)du détournement de sens ; idée qui place le lexique sous le signe de l'histoire et ouvre la voie à de multiples recherches sur l'origine et l'évolution des mots. Il reste peu de documents originaux, mais les textes ultérieurs sur l'origine des mots — de SAINT-AUGUSTIN en particulier — reconnaissent leur dette à l'égard des stoïciens et permettent de se faire une idée de leur doctrine.

D'après celle-ci, la désignation des choses trouve son origine soit dans une onomatopée :

(7) ulula nom de la chouette, d'après son cri,

soit dans une catachrèse : (8) parricide pour « le meurtre de la mère » (* matricide).

Les catachrèses reposent sur trois sortes de relations : la ressemblance (similitude), le voisinage (vicinitas) et l'opposition (contrarium). Ces mêmes trois relations permettent de classer les emplois où l'on préfère le trope à un mot propre existant. A la ressemblance sont rapportées les métaphores (9) et les métalepses (passage graduel d'une idée à une autre) (10) :

(9) fluctuare segetes : les blés ondoient, s'agitent comme des flots ; (10) desideratus : le regretté... pour « le défunt... » ;

Au voisinage sont rapportées les synecdoques (relations d'espèce à genre ou de partie à tout) (11), les métonymies (relations de contiguïté, d'origine, de cause à effet, etc.) (12) et les antonomases (relation d'un personnage à sa qualité typique) (13) :

(11) mille pour beaucoup ; (12) cédant arma togae : que les armes cèdent à la toge ; (13) intus Nero, foris Cato : un Néron au-dedans, un Caton au-dehors ;

Enfin à l'opposition est rapportée У antiphrase (14) : (14) Pont-Euxin : Mer Hospitalière, pour une mer particulièrement inhospital

ière (la Mer Noire).

On remarquera que, par rapport à ArISTOTE, seules conservent le nom de métaphore les métaphores du troisième et du quatrième genre (espèces ayant un genre commun et analogie), paraphrasables par une comparaison ou une proportion ; les métaphores des deux premiers genres (genre /espèce, espèce/genre) faisant désormais partie des synecdoques. Il semble malgré tout que le mot métaphore ait continué de fonctionner, dans le langage courant de cette époque, avec un sens assez gêné-

Page 7: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

rai, comme un synonyme du mot trope, et pouvant renvoyer à n'importe lequel d'entre eux.

Ce déplacement dans le détail des notions, lié à des changements dans la théorie des relations, n'est d'ailleurs ni le seul ni le plus important des remaniements qui affectent, dès l'Antiquité, les thèses d'ARlSTOTE sur la métaphore : les travaux des grammairiens hellénistiques et, plus encore, leurs pratiques pédagogiques, en manifestent de plus profonds.

On sait [MARROU, 1948, pp. 252 sqq.] l'importance que revêtait, dans les études littéraires secondaires d'alors, la pratique de l'« explication de textes »(еСГ|уг|агс : exégèse!, dont la pièce maîtresse est le « mot-à-mot » d'HOMÈRE » (ovouBcaxtxôv 'Ouiipov) : l'élève aligne en colonne les difficultés du texte homérique et, en vis-à- vis, les traduit en langage ordinaire :

(15) 'Axi^Tiôç toù 'AxiM-éœç (génitif d'Achille) (16) Tciaupeç Tsacrapeç (quatre) (17) цирга (mille) яоШс (beaucoup) (18) 'Axaunç (aux Achéens) Toîç"EM,r)cn (aux Grecs) (19) Пг^щаоесо (au peieade) TtotiSi toù Yly\U(ùb (au fils de Pelée)

qu'il s'agisse de particularités morphologiques (15), de traits dialectaux (16) ou de « tours » (17, 18, 19), dont les étiquettes prolifèrent assez anarchiquement (métaphore ou synecdoque pour 17, synecdoque ou métonymie pour 18, épithète ou périphrase pour 19, etc.).

Ces concordances le manifestent clairement, l'opposition essentielle est ici entre le langage « nu », ordinaire (cptXoç Xoyoç), celui des élèves, et le langage « ouvragé », poétique (rtoir|TÎxoç taSyoç;), celui des auteurs : ce qui se forge au creuset de ce dispositif empirique, c'est une conception purement ornementale de la métaphore... et tous les éléments d'une théorie de l'écart...

C'est cette conception qui triomphera à Rome et y régnera presque sans partage. Certes, ni ClCÉRON ni QuiNTILIEN n'en oublient complètement les problèmes posés par la « disette des mots propres », puisqu'ils citent la nécessité comme l'une des causes des tropes et conservent dans leurs rangs la catachrèse et l'onomatopée ; mais il s'agit déjà d'une inscription rituelle : « Au début, on imagina les vêtements pour se préserver du froid, puis on les mit pour donner au corps une parure pleine de noblesse ; de même la métaphore (verbi translatio), fille de la pauvreté (inopia), se développa pour le plaisir (delectatio) » [ClCÉRON, De Oratoře, III, 37].

he plaisir, voilà la cause vivante des tropes — ou, si l'on préfère, des « métaphores », puisque sous le terme unique de translation verbale, ClCÉRON ne les détaille pas. Mais, soyons précis, pour ClCÉRON, le plaisir couronne la noblesse (dignitas), l'éclat (lux), l'ornement (ornatus), et se dose selon le degré d'apparat que l'on veut donner au discours : dans le style simple, pas de métaphore, si ce n'est celles qui sont entrées dans l'usage ; dans le style tempéré, de rares métaphores peuvent « jeter des éclairs rapides » ; tandis qu'elles « illuminent comme des étoiles » le style sublime. On peut donc parler sans figures, « simplement » ; ou choisir de traduire la même pensée sous une forme plus brillante : c'est la thèse centrale de la rhétorique ornementale qui se formule là chez CïCÉRON.

C'est aussi le catéchisme de QUINTILIEN qui, par ailleurs, reprend et perfectionne les travaux de classement de ses prédécesseurs : avec lui (fin du 1er siècle ap. J.-C), se fixe la liste des treize tropes qui par DONAT (IVe siècle), ISIDORE DE Seville (vne siècle), Alexandre de Villedieu (xir siècle), et tous leurs successeurs, se transmettra quasi inchangée jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. On y trouve les huit tropes déjà cités : catachrèse et onomatopée, métalepse, métonymie, synecdoque, antonomase, métaphore, antiphrase, auxquels s'ajoutent

10

Page 8: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Vépithète (rituelle ou « homérique ») (20) : (20) alma Ceres, Terre nourricière ;

fa périphrase (21) : (21) l'astre du jour,

catégorie qui recueille parfois les métaphores du quatrième genre au sens d'ARIS- TOTE : le soir de la vie ;

l'hyperbole (22) : (22) sidéra verberat unda, l'onde frappe les étoiles ;

l'hyperbate (23) : (23) ibant obscuri sofa sub node per umbram. ils allaient obscurs dans la

nuit solitaire ; et Y allégorie, que QllINTILIEN définit comme une « métaphore continuée ».

Est-ce pour cette possibilité de développement, et pour sa liaison avec l'ample comparaison (au contraire d'ARISTOTE, la rhétorique latine voit dans la métaphore une « comparaison condensée » {similitudo brevior) que la métaphore, même limitée par ses douze rivaux, reste « de tous les tropes, incomparablement le plus beau » ? « Rien n'embellit le style, poursuit QUINTILIEN, comme de joindre ensemble l'allégorie, la comparaison et la métaphore » ; ainsi, dans ce passage de ClCÉRON (25) (où l'on reconnaîtra des métaphores dans les substitutions ponctuelles orages, souffle, ..., une comparaison dans la construction autant de ... que de..., et une allégorie dans le rapprochement des deux séries hétérogènes du détroit et de l'assemblée) :

(25) « Quel détroit, quel euripe, offre à votre avis autant de mouvements, autant d'agitations, de changements et de fluctuations que nous voyons de bouleversements et d'orages dans l'assemblée du peuple ? Il ne faut souvent qu'un jour, qu'une nuit d'intervalle pour donner une face toute nouvelle aux affaires : un bruit, un souffle change tout à coup la disposition des esprits » [QUINTILIEN. Institution oratoire, VIII, 6].

Positions logiques d'ARISTOTE, recherches historiques et philosophiques des stoïciens, exégèse hellénistique, rhétorique ornementale des Latins, tels sont les principaux courants qui, dans l'Antiquité, méritent d'être distingués. Le Moyen Age, tout en poursuivant sur des textes nouveaux — ceux de la chrétienté en particulier (CaSSIODORE, VIe s. ; BEDE, VIIIe s.) — des travaux d'interprétation lexicale souvent très proches de ceux des grammairiens antiques, va introduire dans le champ des tropes et, partant, dans la théorie de la métaphore, des éléments tout à fait nouveaux.

En premier lieu, dans l'inventaire des tropes, par ailleurs identique à celui de QUINTILIEN, on voit apparaître, à la suite de l'allégorie, elle-même fortement gonflée et divisée en sept classes (ironie, antiphrase, sarcasme, énigme, euphémisme, proverbe, astéisme), une catégorie (empruntée à SAINT- AUGUSTIN par l'intermédiaire de DON AT) qui sous le nom ďhomoiese(puoícocric : assimilation) regroupe trois classes de phénomènes qui, chez ARISTOTE (Rh., II), prenaient place dans l'Argumentation :

— l'icône (eixcbv) ou imago : (haut) fait exemplaire rapporté à un personnage historique ou mythique (26) :

(26) Socrate buvant la ciguë ; Ulysse résistant aux Sirènes ;

11

Page 9: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

— le paradigme (яосросоауиа) ou exemplum : mise en parallèle de deux faits à des fins démonstratives (27) :

(27) « On ne doit pas tirer au sort les magistrats : tire-t-on au sort les pilotes du navire » (SOCRATE) ;

— la parabole (тгарафоХл^) ou comparatio qui, comme la fable ou l'apologue, est une fiction démonstrative (28) :

(28) Pour qu'on épargne son client, accusé de malversations, ESOPE argumentait par l'apologue du renard couvert de puces ; à un hérisson qui proposait de l'en débarrasser, ce renard répondait ; « laisse-moi celles-ci, qui sont déjà gorgées de mon sang ; si tu les tuais, il en viendrait de nouvelles, encore affamées, et mon sort serait pire ».

On est bien là devant des phénomènes d'argumentation : il ne s'agit pas d'orner, mais, fondamentalement, de faire comprendre, comme le marque la définition de liiomoïèse : « expliquer le moins connu en le comparant avec le plus connu » [est minus notae rei per similitudinem ejus, quae magis nota est, demonstratio [ISIDORE, Etymologies, I, 21]).

Quant à l'allégorie, elle n'est plus, comme chez QUINTILIEN, une « métaphore continuée » où s'entrelacent un fil « propre » et un fil « figuré » (cf. 25 assemblée- détroit), c'est un texte homogène qui paraît monosémique, mais peut être interprété dans un autre registre (29) :

(29) Scipion voit en rêve trois cerfs errant sur le rivage : ils annoncent les trois guerres puniques.

Il est clair qu'avec de telles catégories parmi les tropes, la conception lexicale, communément admise dans l'Antiquité, a volé en éclats ; le cœur du problème est maintenant la polysémie, et trois fonctionnements principaux sont désormais distingués : l'énigmatique, le métaphorique et l'allégorique. Un texte énigmatique, comme l'énigme de Samson au livre des Juges (30) :

(30) « De la force vient la douceur Et la nourriture, du mangeur »

a un seul sens, caché ; un texte métaphorique présente deux sens entrelacés (31) : (31) « je suis le berger et vous êtes mes brebis » :

Hétérogène, il est explicitement polysémique ; alors que le texte allégorique ne l'est pas explicitement : c'est l'interprétant seul qui en multiplie les sens, en opérant des transferts de champ, sur des unités non marquées à cet effet, et de longueur indéfinie. L'orientation de ces transferts de champ sera codée dans ce qu'il est convenu d'appeler la théorie médiévale des quatre sens (littéral, moral, allégorique, anagogi- que), qui enseigne l'art d'interpréter n'importe quel passage des Écritures — voire n'importe quel phénomène — , non seulement « au pied de la lettre », dans une lecture historique et critique, mais aussi, et simultanément, comme une leçon édifiante, l'accomplissement des prophéties, et l'annonce de la vie éternelle (32) :

(32) les éclipses de lune rappellent les persécutions dont fut ensanglantée l'Eglise et annoncent qu'indéfiniment elle en sortira renouvelée.

Cette extension des catégories va de pair avec une tout autre vision du rôle de la métaphore. La rhétorique latine destinait ses principes ornementaux au producteur de métaphores, orateur ou poète ; or « l'idéal de l'orateur sacré doit être celui d'un style simple et direct, comme la parole qu'il annonce » [ISIDORE DE SEVILLE, in Fontaine, p. 291] ; les traités du Moyen Age s'adressent donc plutôt à celui qui reçoit les métaphores et, de façon privilégiée, au fidèle qui médite ies Écritures {pie legens).

12

Page 10: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

C'est dans la perspective du salut de ce lecteur fervent qu'il importe de comprendre la nouvelle fonction assignée à la métaphore, comme à l'allégorie et à l'énigme : cultiver la distance qui doit séparer les hommes de la Vérité Divine, tout en ménageant, pour ceux-là seuls qui la méritent, une voie d'accès, malaisée, vers cette Vérité. « Ce qui est à comprendre, dit ISIDORE DE SEVILLE, est revêtu dЪabits figurés, pour exercer l'intelligence du lecteur, et pour ne pas perdre, dans un dévoilement public, sa valeur » (quae intelle genda sunt figuratis amictis obteguntur, ut sensus legends exerceant et ne nuda et in promptu vilescant) [ISIDORE, I, 21]. Ce qui justifie la métaphore en cette époque très chrétienne, c'est la valeur propédeutique du détour... et la crainte qu'inspire le pouvoir, maléfique et sacré, du « vrai nom ».

Cette conception mystique d'une métaphore hypertrophiée ne survivra guère au Moyen Age. Il conviendrait de lui opposer les recherches formelles des Grands Rhé- toriqueurs [ZUMTHOR, 1978] et la prolifération, vers le XVe siècle, des nouveaux genres poétiques, puis le premier élagage opéié par la Pléiade sur cet arbre encore exubérant, avant d'aborder les XVIIe et XVIIIe siècles dont les tailles sévères ramènent la métaphore à ses dimensions anciennes d'arbuste d'ornement ; mais les forces nous manquent, et l'espace ; aussi nous contenterons-nous d'évoquer très rapidement les conceptions de la métaphore à l'époque classique, en insistant sur le fait que — loin d'être aussi unifiées que certains le prétendent aujourd'hui — elles s'inscrivent dans

.trois ou quatre perspectives distinctes et peu compatibles (néo-ornementale, baroque, critique et préromantique).

La première de ces perspectives, qu'on peut appeler néo-classique ou néoornementale, celle d'un MARMONTEL, d'un BEAUZÉE, d'un FONTANIER, reprend l'essentiel des positions latines sur le sujet : envisagée comme un phénomène strictement lexical, cantonnée dans le cadre étroit du mot, la métaphore y est décrite comme la substitution ponctuelle d'un terme figuré à un terme propre avec lequel il entretient certaines relations ; l'apport spécifique des néo-classiques est le classement de ces relations définies entre les referents des termes propre et figuré : à l'article Trope de Y Encyclopédie, BEAUZÉE propose un modèle réduit à trois relations : similitude/correspondance/connexion, qui consacre comme essentiel le trio métaphore/métonymie/synecdoque, et élimine de la description « la périphrase, l'euphémisme, l'allusion, la litote, l'hyperbole, etc. » [BEAUZÉE, 1765, Trope].

Pour le reste, Yornatus cicéronien règne en maître : cette substitution ponctuelle d'« un mot pour un autre » forme un écart poétique, qui est au lexique ce qu'est le métaplasme pour les sons et le « barbarisme corrigé » pour la syntaxe : « une irrégularité qui est aussi une beauté »... et qui fait tout \eprix du discours. Car c'est constamment en termes de prix, de rareté, de richesse (osons dire de « standing » poétique) que cette tradition s'exprime : « Ce serait, dit FONTANIER, s'exprimer d'une manière bien commune et bien populaire, que de dire : Princes, valets, moines, ministres, capitaines, sont attachés l'un à l'autre tels que des veaux que l'on porte dans un char aux marchés voisins : le mot veaux, si dégradé dans l'usage, gâterait tout, et on ne gagnerait rien à lui substituer la pronomination : les fils de la vache. Mais que l'on dise avec VOLTAIRE :

« Princes, moines, valets, ministres, capitaines, Tels que les fils d'Io, l'un à l'autre attachés, Sont portés dans un char aux plus voisins marchés »

comme ce qui était d'abord si vil se trouve tout à coup changé en or ! » [FONTANIER, p. 170].

Qu'au Siècle classique cette conception néo-ornementale soit répandue, et dans toute l'Europe, cela est indéniable ; retenons-en pour preuve la manière dont Samuel

13

Page 11: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

JOHNSON commente cette admirable métaphore que SHAKESPEARE fait prononcer à Lady Macbeth :

«... ... Come thick night And pall thee in the dunnest smoke of hell, That my keen knife see not the wound it makes, Nor heaven peep through the blanket of the dark, To cry « hold ! hold ! » »

(I, V, 48-52) «... the efficacy of this invocation is destroyed by the insertion of

an epithet now seldom heard but in the stable, and dun night may come or go without any other notice than contempt... (the) sentiment is weakened by the name of an instrument used by butchers and cooks in the meanest employments ; we do not immediately conceive that any crime of importance is to be committed with a knife ... while I endeavour to impress on my reader the energy

sentiment, I can scarce check my risibility when the expression forces itself upon my mind ; for who, without some relaxation of his gravity, can hear of the avengers of guilt peeping through a blanket ? » [JOHNSON, 1751]. On ne peut nier non plus que cette conception néo-ornementale soit adéquate à

certaines des productions de l'époque ; mais tout le monde n'écrit pae'la langue des tragédies de VOLTAIRE ou des poésies de DELILLE, tout le monde ne pense pas comme MARMONTEL, FONTANIER ou Samuel JOHNSON.

Si l'on se tourne vers les textes baroques, on voit [RAYMOND, 1948, pp. 158-162] que les figures « privilégiées », « typiques », y sont l'hyperbole, Yantithèse et Yanti- logie » (« cette obscure clarté »), les métaphores outrées comme les « confies » (vessies gonflées) de J. B. CHASS1GNET :

« Qu'est-ce de votre vie ? une bouteille molle... Une confie, un mensonge, un songe, une fumière » ;

enfin, et surtout, les périphrases énigmatiques qui, donnant à deviner, exercent la perspicacité et stimulent l'intelligence. On voit donc réapparaître le thème du détour, du mystère se résolvant en surprise, déjà signalé au Moyen Age, mais il est ici délesté du poids sombre que lui conféraient la magie et la perspective du salut éternel : ce que théorise la notion baroque d'esprit (dans trait d'esprit, bel esprit) — d'astéïsme, dit RAMUS — qui court dans toute l'Europe sous les noms d'agudeza, wit, concetto, c'est cette pratique — art de la chute, ou de la pointe — qui met en place un dispositif, plus ou moins complexe mais toujours d'une dimension supérieure au mot, qui ménage une attente, une hésitation, une incertitude, une sorte d'impasse sémantique théorise la notion baroque d'esprit (dans trait d'esprit, bel esprit) — d'astéisme, clef du trompe-l'œil. Qui ne donnerait tout l'or des fils d'Io pour ce sonnet de BEN- SERADE où se file en énigme la métaphore d'un curieux oiseau :

« Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne Duquel on ne saurait estimer la valeur : S'il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur, II vous rendra soudain à votre aise et bien saine. Il n'est mal d'estomac, colique ni migraine Qu'il ne puisse guérir, mais sur tout il a l'heur Que contre l'accident de la pâle couleur II porte avecque soi la drogue souveraine. Une dame le vit dans ma main l'autre jour Qui me dit que c'était un perroquet d'amour, Et dès lors m'en offrit bon nombre de monnoie.

14

Page 12: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Des autres perroquets il diffère pourtant : Car eux fuient la cage, et lui, il l'aime tant Qu'il n'y est jamais mis qu'il n'en pleure de joie ».

Qu'elle soit classique ou baroque, la métaphore, telle qu'elle apparaît dans ces deux premières perspectives, est un phénomène valorisé, comme le sont « les lettres », et, singulièrement, la poésie. Or il importe de rappeler que ce n'est pas une attitude générale aux XVIIe et XVIIIe siècles ; bien au contraire, l'une des originalités les plus marquantes de cette époque est la découverte, massive, de l'inadéquation des langues naturelles à l'exercice de la Science naissante et de la Philosophie ; et cette inadéquation, qui tient à la polysémie native des langues naturelles se formule très régulièrement dans les termes d'une critique des métaphores : des philosophes aussi divers que les gens de Port-Royal, LOCKE, MALEBR ANCHE, LEIBNIZ, examinent le problème des métaphores, enseignent à les dépister, à les juguler en les bardant de comme et de pour ainsi dire, à les éliminer enfin par la constitution de terminologies, de tout langage qui prétend « dire le Vrai » et non pas « des Chimères ». C'est inscrit dans cette perspective que le célèbre traité Des Tropes de DUMARSAIS révèle le mieux son originalité (cf. SOUBLIN ici même).

Paradoxalement, ces travaux fondamentalement critiques sont plus sensibles que d'autres à l'ampleur et à la variété du phénomène métaphorique, reconnaissant à leur adversaire, l'Imagination — « force contraire à la Raison » — belle vigueur et forte vitalité.

En ce sens, ils sont plus proches que les ornementalistes ou que les baroques d'un quatrième courant de réflexion sur la métaphore qui traverse cette époque, le courant imaginatif, celui des DUBOS, BATTEUX, DIDEROT, BLAIR, dont les exemples, tirés de La Poésie des Hébreux de LOWTH ou de la langue des Indiens d'Amérique, d'HABACUC, d'HOMÈRE, de SHAKESPEARE, d'OsSIAN, débordant le mètre et la phrase, peignant l'héroïsme, arrachant des cris ou des pleurs d'enthousiasme, se haussent au sublime.

« Le discours, écrit DIDEROT, n'est plus seulement un enchaînement de termes énergiques qui exposent la pensée avec force et noblesse, mais c'est encore un tissu d'hiéroglyphes entassés les uns sur les autres qui la peignent. Je pourrais dire en ce sens que toute poésie est emblématique ». [DIDEROT, p. 70]. Cette présence du sensible, de la « peinture », du regard, dans la métaphore est

contestée par ce parangon du néo-classicisme qu'est FONTANIER [op. cit., p. 185] ; avec la représentation — tellement étrangère au classicisme — du discours comme pluralité non linéaire, elle annonce, dans le XVIIIe siècle, les conceptions romantiques.

Avec le Romantisme se produit une véritable mutation dans l'histoire de la métaphore, mutation d'autant plus importante qu'elle ouvre l'ère dans laquelle nous vivons encore ; car, par l'intermédiaire de J. A. RICHARDS et de son modèle interac- tionnel, c'est la conception romantique de la métaphore — celle de COLERIDGE — qui triomphe aujourd'hui dans l'analyse rhétorique et linguistique.

La vision de l'homme et du monde se transforme et donne à la métaphore un sens nouveau. En premier lieu, le langage n'est plus considéré comme un vêtement de la pensée, qui peut la mouler de façon plus ou moins étroite, mais dont la fonction est d'habiller : pour un classique, le langage ne se définit et n'a de valeur que par rapport à une pensée qui lui préexiste. Pour un romantique, en revanche, le langage est doté d'un fonctionnement autonome : il est une faculté productrice, une energeia et non un simple ergon. En second lieu et parallèlement, l'esprit n'est pas une faculté passive d'enregistrement des phénomènes, c'est une activité de création : l'esprit n'est plus vu comme un miroir, mais comme une lampe, une source de lumière qui

15

Page 13: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

anime et illumine le monde [ABRAMS, 1953]. Aussi la métaphore, l'image, le symbole ne sont-ils plus le résultat d'une pure et simple association des idées, conçue selon le modèle empiriste, qui lierait deux objets caractérisés par une ressemblance objective ; c'est le moi du poète qui crée la ressemblance et impose ses lois au monde des phénomènes. Il ne s'agit pas du moi passif et raisonnable de l'homme des Lumières, mais d'un moi dont l'activité associe étroitement émotion et connaissance productive. C'est qu'à côté de l'entendement qui analyse, sépare et distingue, existe une faculté qui synthétise, rassemble et rapproche selon les lois de l'analogie. Qu'on l'appelle Raison — opposée à l'Entendement — ou Imagination — que COLERIDGE oppose à Fancy — , cette faculté est à l'œuvre aussi bien dans la perception (imagination primaire de COLERIDGE) que dans le langage qui, à l'origine, est langage métaphorique. La métaphore unit ce qui est à la fois semblable et dissemblable : elle est la forme même de la connaissance créatrice qui fait la synthèse du divers et unit semblables et contraires dans une totalité organique et vivante. La métaphore permet de passer de l'homme au monde, du visible à l'invisible, du microcosme au macro- cosme :« Nous tous n'avons et ne pouvons avoir d'autre objet, d'autre sujet d'activité et de joie, que le grand poème unique de la divinité, dont nous sommes une part et la fleur — la Terre. Entendre la musique de ses rouages infinis, comprendre la beauté de ce poème, nous le pouvons, parce que nous sommes aussi une particule du poète ; parce qu'une étincelle de son esprit créateur vit en nous » [Fr. SCHLEGEL].

Indépendamment de la succession des écoles littéraires, et en deçà d'elles, c'est la même conception de la métaphore qui se maintient tout au long du XIXe siècle et s'exprime avec force dans le Symbolisme européen. Il suffit de lire le Manifeste Symboliste de J. MORÉAS pour voir que la métaphore et sa contrepartie, le symbole, sont toujours au centre de l'art poétique : « Ennemie de l'enseignement, de la déclamation, de la fausse sensibilité, de la description objective, la poésie symboliste cherche à vêtir l'Idée dîme forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle- même, mais qui, tout en servant à exprimer l'Idée, demeurerait sujette. L'Idée, à son tour, ne doit point se laisser voir privée des somptueuses simarres des analogies extérieures ; car le caractère essentiel de l'art symbolique consiste à ne jamais aller jusqu'à la conception de l'Idée en soi. Ainsi, dans cet art, les tableaux de la nature, les actions des humains, tous les phénomènes concrets, ne sauraient se manifester eux-mêmes : ce sont là des apparences sensibles destinées à représenter leurs affinités ésotériques avec des Idées primordiales » [MORÉAS, 1966, 28].

Constituant l'essentiel de la poésie, la métaphore et le symbole conservent les mêmes valeurs affectives et cognitives que pour les Romantiques : ils permettent d'incarner l'invisible et de révéler l'inconnaissable. Parallèlement, ils ont conquis tout le domaine des figures : toute figure rhétorique ou poétique est « métaphore » et « symbole », c'est-à-dire « image », qui est en même temps rencontre de deux idées disparates et représentation concrète d'un complexe intellectuel et émotionnel.

Les positions du Surréalisme, qui lui font suite, sont bien connues, surtout dans leur formulation la plus extrémiste, celle d'André BRETON, pour qui, de toutes les « images », la plus forte est celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé, et dont la « Femme au sexe de placer et d'ornithorynque » est dans toutes les mémoires.

Sortis de ces déclarations fracassantes, et des cocasseries souvent ironiques qu'elles ont pu engendrer (« les vallées sont les soutiens-gorge du vent » [CHAZAL]), on retrouve, poussé à ses limites mais nettement reconnaissable, l'essentiel du programme symboliste :

« L'image est une création pure de l'esprit. Elle ne peut naître d'une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités éloignées.

16

Page 14: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique.

(...) Une image n'est pas forte parce qu'elle est brutale et fantastique, mais parce

que l'association des idées est lointaine et juste ». [REVERDY, 1949, p. 17].

Le Surréalisme accomplit le Symbolisme dans la mesure où, par ses outrances mêmes, il consomme enfin — par sa pratique plus que par sa doctrine — la ruine des préceptes classiques touchant la métaphore : exigence d'une ressemblance objective entre les signifiés d'une substitution ponctuelle limitée au mot, avec interdiction d'une liaison par les signifiants. L'intérêt majeur des métaphores, indéniablement neuves, qu'il produit, est de révéler qu'une fois récusées ces ressemblances objectives — ou codées — , ce n'est pas l'« arbitraire » que l'on rencontre, mais le langage, sous les deux espèces de la syntaxe (prolifération des métaphores filées, entrelacement de métaphores et de comparaisons, retour en force de l'anaphore, etc. [cf. RlFFA- TERRE, HENRY, SOUBLIN et TAMINE 77] et du matériel sonore, qui joue là un rôle clef, depuis la plus banale homonymie :

« Le cœur écartelé... transparent dans sa glace » (REVERDY )

jusqu'aux paronomases les plus sophistiquées : « Phrases sphaignes sphinges » (ARAGON). Les trois vagues successives du Romantisme, du Symbolisme et du Surréalisme

auraient donc liquidé héritage de la rhétorique classique, ou, en tout cas, sa théorie de la métaphore comme trope de la ressemblance ?

On a pu le croire jusqu'à une date récente. Non que toutes les catégories enregistrées par les antiques traités des tropes aient disparu au cours des XIXe et XXe siècles : litote, ironie, euphémisme, allusion, périphase, onomatopée, hyperbole n'ont jamais cessé d'appartenir au vocabulaire critique le plus courant ; mais il est vrai qu'avec le mot trope lui-même, le sentiment de leur unité, ou l'espace de leurs relations, s'était perdu, tandis que métaphore prenait, avec image et symbole, la valeur étendue que nous avons évoquée.

Pourtant, il est un secteur où les oppositions de la rhétorique ancienne, sous une forme simplifiée, se sont constamment maintenues : c'est dans la partie sémantique de la grammaire historique, pour traiter à la fois du problème diachronique des changements de sens, et du problème synchronique de la pluralité des sens d'un mot.

C'est ainsi que Kristopher NYROP — tout en insistant, aux chapitres de YEuphé- misme [IV. 7] et de l'Assimilation phonétique [IV.8] sur certaines des causes de ces phénomènes — classe l'ensemble de ses très riches observations sous deux catégories seulement : Métonymies [IV. 5] et Métaphores [IV. 6], entendues dans leur acception la plus classique :

« On appelle métonymie l'extension de sens qui consiste à nommer un objet au moyen d'un terme désignant un autre objet uni au premier par une relation constante. Il s'agit ici ordinairement du passage d'une représentation à une autre dont le contenu est avec la représentation donnée dans un rapport de contiguïté » (un « col-blanc » pour un « employé de bureau »). [Nyrop, 1913, p. 188]

« Le nom d'un objet est appliqué à un autre objet grâce à un caractère commun qui les fait rapprocher et comparer. Ainsi on appelle « faux- col » l'écume blanche qui flotte sur une chope de bière fraîchement tirée, et qui, vue de côté, a l'air d'une bande ronde rappelant le faux-col.

17

Page 15: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Nous avons là ce qu'on appelle une métaphore. Le point de départ de cet emploi figuré d'un mot est une association de similitude ». [NYROP, 1913, p. 229] Les voici donc enfin seuls en lice ceux que Gérard GENETTE appelle les « chiens

de faïence irremplaçables de notre propre rhétorique moderne : Métaphore et Métonymie » [GENETTE, 1970, p. 161]. Mais, précisément, pris dans la grammaire historique de 1913, ils n'appartiennent plus à la rhétorique ancienne, et pas encore — et pour cause — à « notre propre rhétorique moderne » : ils sont hors-circuit, et il faudra pour les relancer, réinterprétés, toute la violence et l'autorité de JAKOBSON [1935, 1956], ou celle des formalistes russes, s'il est vrai que cette dichotomie « est acquise, sauf erreur, dans la vulgate du formalisme russe, dès l'ouvrage de Boris ElKHENBAUM sur Anna AKHMATOVA, qui date de 1923, y compris l'équivalence métonymie = prose, métaphore = poésie » [GENETTE, ibidem].

En France, les thèses jakobsoniennes ne se répandirent massivement qu'après la traduction de « Deux Aspects du langage et deux types d'aphasie » donnée par Nicolas RUWET en 1962 ; aujourd'hui, elles sont surtout connues dans leur version laca- nienne, qui prolonge brillamment l'expérience surréaliste.

L'essentiel de la réinterprétation « lacano-jakobsonienne » consiste donc à définir Métonymie et Métaphore non plus sur le plan du signifié mais sur celui du signifiant :

« La connexion du navire et de la voile n'est pas ailleurs que dans le signifiant, et c'est dans le mot-à-mot de cette connexion que s'appuie la métonymie ». [LACAN, 1966, p. 506]

Nos classiques auraient donc dit une voile pour un vaisseau par la même raison qui nous fait dire un vapeur pour un (bateau à) vapeur.

Quant à la métaphore, « elle jaillit entre deux signifiants dont l'un s'est substitué à l'autre en prenant sa place dans la chaîne signifiante, le signifiant occulté restant présent de sa connexion (métonymique) au reste de la chaîne. Un mot pour un autre, telle est [sa] formule » [ibid., 597]. Prenons donc chez Jean TARDIEU notre exemple :

CieU mon zébu ! où ce n'est certes pas une ressemblance objective ni même subjective entre mari et zébu qui agit, mais bien la force du stéréotype, « le signifiant occulté (mari) restant présent de sa connexion (métonymique) au reste de la chaîne (Ciel, mon... !).

Cette formulation, ou plutôt les deux grands principes qui la sous-tendent : « pré- cellence du signifiant », solidarité entre l'échange paradigmatique et les connexions syntagmatiques, inaugurent sans doute un nouveau regard sur ces phénomènes ; mais couler ce vin nouveau dans des outres si anciennes, et ressusciter à cette occasion le vieux tandem associationniste comme s'il était toute la rhétorique... quelle étrange dérision ! et que de confusions et que de régressions en perspective.

Sans parler ici des positions néo-néo-ornementales du groupe de Liège (entre autres) dont « la catégorie des métasémèmes reprend, en somme (et en toute candeur), les tropes de FONTANIER » [DUBOIS et alii, 1970, p. 112], ne lit-on pas, avec quelque stupeur, sous la plume de Christian METZ, à propos de la métaphore aigle pour désigner « un grand génie » (d'ailleurs proposée hors-contexte) : « ce qui est premier, c'est une similitude ressentie (sic) entre l'aigle et le génie comme « choses », non comme mots ; à partir de là, la mise en équivalence des mots correspondants peut être poussée plus ou moins loin selon les phrases » [METZ, 1977, p. 222] ? Dissociation des Mots et des Choses, antériorité virginale de la perception : nous voici revenus en plein XVIIIe siècle. Or, pouvons-nous sérieusement croire aujourd'hui que nous « ressentons » quoi que ce soit de l'aigle comme « chose » — disparue, de surcroît — en dehors des séries symboliques de nos bestiaires anthropomorphiques

18

Page 16: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

(aigle, bœuf, agneau, .../génie, travail, innocence, ..Jet des sélections qui nous sont imposées parce qu'elles sont gravées dans notre langue : profil acéré (bec d'aigle), regard aigu (œil d'aigle), retraite hautaine et jalouse (nid d'aigle), etc. ?

Mais laissons pour aujourd'hui cette histoire en l'état : inachevée ; à suivre.

5. Nous n'avons parlé jusqu'à maintenant — et nous ne parlerons dans ce numéro — que de la métaphore dans la rhétorique occidentale. C'est là une lacune indépendante de notre volonté, mais capitale. Nous croyons en effet qu'en poétique comme en rhétorique, il n'est plus permis d'en rester à Peuropéocentrisme qui nous enferme dans les traditions classiques ou néo-classiques. La connaissance des autres traditions rhétoriques est le seul moyen de constituer une rhétorique comparée, grâce à laquelle, par le jeu des ressemblances et des différences, nous pourrons mieux comprendre les problèmes posés par notre propre tradition. En outre, cette rhétorique comparée est seule susceptible de nous conduire à une rhétorique authentiquement générale, qui se donnerait pour but de dégager de véritables universaux rhétoriques, selon le modèle proposé par la recherche des universaux linguistiques.

Il n'existe, pour l'instant, ni rhétorique comparée ni rhétorique générale. Mais, comme il faut commencer, nous proposerons un cadre de recherche, une hypothèse générale concernant les relations entre universaux rhétoriques et formes particulières prises par cet universel dans une tradition donnée : il existe des figures universelles, comme la comparaison ou la métaphore, mais elles constituent, plutôt que des entités closes bien définies, des ensembles flous, des entités mal délimitées, composées de noyaux plus stables et de formes de transition ambiguës. L'universel métaphore n'est donc qu'un ensemble construit à partir d'une ressemblance de famille (le « family resemblance predicate » de WITTGENSTEIN). Chaque tradition rhétorique privilégie, selon le cas, tel ou tel aspect de cet ensemble mal délimité, mettant l'accent sur un fonctionnement, un schéma, une propriété particulière de l'ensemble. La notion même de rhétorique constitue sans aucun doute un de ces ensembles, et rien n'est plus urgent que de dresser des typologies de la rhétorique, de ses diverses parties, de ses buts, de ses théories, de ses pratiques. Osons présenter une typologie grossière des arts de la parole — artes dicendi — (pour éviter le mot de rhétorique qui reste attaché à l'un des types envisagés! : il y a des arts de la parole fondés sur le discours oratoire, auxquels on peut si l'on veut donner le nom de rhétoriques, des arts de la parole fondés sur la poésie et des arts de la parole fondés sur le discours religieux. D'un côté la rhétorique gréco-latine avec ses rejetons modernes, tout entière centrée autour de là situation de discours — judiciaire, délibératif ou démonstratif. Son organisation interne manifeste la place qu'y prennent les soucis propres à l'éloquence, par opposition aux autres types de discours : argumentation et disposition visent exclusivement les formes de l'art oratoire ; des éléments comme la narration ou la description ne sont envisagés que par rapport à la stratégie globale de l'orateur. Dans le monde gréco-latin, puis en Europe occidentale, s'est opérée une imprégnation générale de la culture par la rhétorique, une « rhétorisation » de toutes les formes d'art littéraire, et, dans une certaine mesure, de toutes les formes de vie sociale [cf. MARROU, 1965]. La poésie elle-même rentre dans le cadre de la rhétorique et, avec elle, le discours dramatique — pensons aux tragédies de SÉNÈQUE — ou historique. Les figures — figures de mots et figures de pensée — sont directement rattachées à la théorie de l'éloquence, dont elles constituent la troisième partie, l'élocution. ARISTOTE reconnaît bien que le style — le souci expressif qui s'écarte de l'usage commun — est d'origine poétique, mais il l'intègre à la fois dans sa Poétique et dans son Art Rhétorique : l'union de la poésie et de la rhétorique est ainsi scellée pour de larges siècles. Les figures, bien commun de la poésie et de l'éloquence, ne seront envisagées qu'au sein d'une rhétorique générale qui ne distingue pas entre leurs divers emplois. La méta-

19

Page 17: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

phore n'est vraie que dans sa fonction rhétorique ornementale ; il suffit, pour le voir, de comparer la grossière classification des figures dans la tradition gréco-latine à la richesse de la classification indienne, dont le point de départ est poétique.

En face de cette conception rhétorique du bien dire se dresse une conception poétique. Pour elle, le modèle et le lieu d'exercice même de la parole se situent dans la poésie. С est le cas. semble-t-il, dans une grande mesure, pour les traditions chinoise et indienne. Si la tradition gréco-latine fait assister à une rhétorisation des discours, ces traditions offrent une poétisa tion générale de l'expression. A l'orateur que cherche à former l'enseignement hellénistique répond le lettré de la civilisation chinoise, pour qui le savoir poétique est une condition nécessaire du succès dans la carrière des honneurs : le modèle du bien dire est fourni par la poésie. Aussi la réflexion sur l'expression se rattache-t-elle surtout à la grammaire et à l'art poétique. Un exemple fera mieux voir comment cette différence de point de vue conduit à dégager des phénomènes bien distincts : la notion de parallélisme, qui occupe maintenant une place de choix dans l'analyse poétique, n'a jamais été dégagée en tant que telle dans la tradition rhétorique occidentale et n'est apparue que pour rendre compte de traits propres à la poésie hébraïque — les Psaumes en particulier ; en revanche le parallélisme constitue un des principes fondamentaux de- construction dans la poésie chinoise, où les quatrains codifiés font se répondre les vers de chaque distique, « les mots s ordonnant de vers à vers en catégories corrélatives suivant leur sens ou leur fonction syntaxique » [DÉMIÉVILLE, 1962, 14]. Or, nous avons là une des formes possibles de la métaphore non syntaxique, c'est-à-dire d'une métaphore qu'aucune marque syntaxique intérieure à la phrase ne permet de déceler. Dans le distique célèbre d'Ezra Pound :

« The apparition of these faces in the crowd ; Petals on a wet. black bough ».

la métaphore naît du parallel «ne grammatical entre les deux phrases. On pourrait parler de métaphore Wittgenstein ienne. dans laquelle le rapprochement naît d'une structure commune, qui reflète u"e même image du réel.

Si l'étude de l'expression est . mâchée au texte poétique, on comprend que l'analyse des figures, définies exclusi1- «ment dans le cadre de la poésie, soit poussée beaucoup plus loin que dans la tradition occidentale. Voici par exemple un échantillon des diverses formes que peut prendre l'éloge de la beauté d'une femme selon les principales figures de la poétique indienne : ton visage est comme la lune (upamâ) ; la lune est comme ton visage (pratïpa) ; la lune de ton visage (riïpaka) ; est-ce ton visage ou est-ce la lune ? (samdeha) ; c'est la lune et non ton visage (apahnuti) ; la lune est comme ton visage, ton visage comme la lune (upameyopamïï) ; ton visage n'est pareil qu'à ton visage (ananvaya) ; ayant vu la lune, je me suis rappelé ton visage (smarana) ; croyant que c'est la lune, le çakora vole vers ton visage (bhranti- mant) ; voici la lune, voici le lotus, ainsi le çakora et l'abeille volent vers ton visage (ullekha) ; c'est vraiment la lune (utprelasâ) ; c'est une seconde lune (atišayokti) ; la lune et le lotus sont vaincus par ton visage (tulyayogitâ) ; ton visage ainsi que la lune se réjouissent dans la nuit (dïpaka) ; ton visage brille toujours, mais la lune brille la nuit (vyatireka) ; la lune dans le ciel, sur terre ton visage (drstânta) ; la lune règne au ciel, ton visage règne sur terre (prativastupama) ; ton visage porte la beauté de la lune (nidaršana) ; la lune est pâle devant ton visage (aprastutaprašamsa) ; par ton visage de lune la chaleur de la passion est rafraîchie (parinâma) ; ton visage joliment marqué d'yeux noirs et paré de la lumière du sourire (samâsokti) [RENOU, 1953, 113].

Un troisième type possible de rhétorique est représenté par la rhétorique arabe. Celle-ci a connu la rhétorique grecque, mais elle se constitue surtout à partir de la

20

Page 18: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

réflexion sur deux genres de textes et sur les problèmes posés par leur interprétation : le texte, sacré et inimitable, du Coran, et les poètes de l'Arabie antéislamique, de l'âge de l'ignorance. Aussi l'organisation de la rhétorique arabe ('ilm al-balagha) fait- elle apparaître des aspects de l'expression laissés de côté par la tradition occidentale. Elle se divise en trois branches : science des notions ('ilm al-ma'Sni), science des modes de présentation ou science de l'exposition ('ilm al-bayan). science du « beau langage » ('ilm al-badi'|. Si la science du beau langage comprend la plus grande partie des figures de mots et de pensée qui servent à l'embellissement du discours et se rapproche ainsi de l'élocution telle que l'entend la tradition occidentale, la science de l'exposition traite « des diverses possibilités d'exprimer la même idée plus ou moins directement ou clairement » : on y fait généralement entrer la métaphore, la périphrase et la métonymie [Encyclopédie, 1960, 1150]. Cette catégorie ressemble, à première vue, aux tropes proprement dits de FONTANIER, mais la présence de la périphrase ainsi que la perspective générale de l'analyse nous font prendre conscience du principe de classement utilisé : la science de l'exposition se préoccupe des rapports de la pensée et de son expression, des différentes façons qui existent d'exprimer une même idée, en insistant sur le caractère plus ou moins direct, plus ou moins énigma- tique, du discours. Il ne s'agit pas tant du couple sens propre/sens figuré, qui fonde chez DUMARSAIS ou FONTANIER la théorie des tropes, que des couples sens direct/sens indirect ou sens manifeste/sens caché, qui mettent le discours poétique en continuité avec le discours magique, le discours prophétique et religieux : l'énigme, l'oracle, le vers et la prophétie s'inscrivent dans une dialectique qui mène du sens visible des choses au sens invisible du sacré. Typologiquement, la rhétorique européenne médiévale est beaucoup plus proche de la rhétorique arabe que de la rhétorique gréco-latine ou de la rhétorique néo-classique.

6. Il est maintenant courant d'opposer deux modèles d'analyse de la métaphore, le modèle substitutif et le modèle interactionnel. Le modèle substitutif est commun à toutes les conceptions traditionnelles d'une métaphore prise dans les rets de la rhétorique et couvre à peu près toute l'histoire de la poétique et de la rhétorique ocidenta- les d'ARISTOTE jusqu'au XIX" siècle. Cette conception substitutive se fonde sur un certain nombre de postulats que l'on peut organiser de la façon suivante [cf. RiCOEUR, 1975, 65-66] :

1) Comme les tropes proprement dits, la métaphore ne concerne qu'un mot isolé de son contexte. 21 Tout mot est susceptible de deux espèces de sens : le sens propre et le sens figuré. Le sens propre est immédiatement donné et courant, le sens figuré est second et plus rare. Dans le modèle tel qu'il fonctionne à l'époque classique, le sens propre est la référence (extension) et le sens figuré une partie de la signification (intension) du concept. 3) La métaphore consiste en une substitution : à un terme propre, existant dans la langue (métaphore proprement dite) ou non existant (catachrèse), mais de toute façon virtuellement présent en tant qu'il caractérise ou pourrait caractériser l'entité envisagée, est substitué un terme figuré, qui renvoif à la même entité. 4) Cette substitution est fondée sur une relation de ressemblance. Le tenra substitué doit être une image, un portrait de l'entité mentionnée : « Ce trope [id est la métaphore] a lieu toutes les fois qu'au lieu d'user du nom propre d'un objet, nous mettons à sa place celui de quelque autre objet qui lui ressemble ; c'est-à-dire, qui en est en quelque sorte le portrait, et qui par conséquent en éveille l'image ou le souvenir avec

21

Page 19: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

plus de force et de grâce [BLAIR, 1808, H, 38]. Mais cette ressemblance peut être objective — existant réellement entre les deux termes — , ou subjective — communauté d'impressions produites par les deux termes (cf. le problème classique des synesthésies). 5) Entre le terme propre et le terme figuré il y a équivalence cognitive : le sens visé est le même. Mais les deux énoncés sont loin d'être complètement équivalents : le terme figuré donne à voir et prête à l'idée une force descriptive et émotive considérable. Il n'y a pas équivalence figurative ou affective entre les deux termes, car les tropes donnent au langage « plus de noblesse et plus de dignité, plus de concision et plus d'énergie, plus de clarté et plus d'agrément » [FONTANIER, 1968, 167]. Si je dis : cet homme est un lion, j'emploie le mot lion dans un sens figuré, c'est-à-

dire non pas pour désigner l'animal indiqué par le sens propre, mais pour désigner une qualité possédée par le lion, selon l'opinion reçue [FONTANIER, 1968, 100)], ici le courage. Le mot lion est donc mis à la place du mot courageux. On voit comment le modèle substitutif aboutit à la conception de la métaphore comme comparaison raccourcie : entre la formule littérale « cet homme est courageux » et la figure « cet homme est un lion », la comparaison « cet homme est courageux comme un lion » sert de forme de passage qui justifie et complète l'analyse substitutive. Le terme figuré est donc interprété en intension et non plus en extension, comme lorsqu'il est employé au sens propre : ce qui vient, bien sûr, de sa position predicative. Le fondement de la substitution réside bien dans une ressemblance, celle qui existe entre un lion et un guerrier intrépide [FONTANIER, 1968, 99]. Mais le terme métaphorique a une valeur spécifique : nous voyons mieux, plus nettement, et avec plus de force, le courage de cet homme lorsque nous lisons « c'est un lion », que si nous avions sous les yeux la phrase « cet homme est courageux ».

Au modèle substitutif s'oppose le modèle interactionnel. Il est beaucoup plus difficile à cerner, car il se définit plutôt par son refus du modèle précédent et présente des caractéristiques beaucoup plus floues [cf. RlŒUR, 1975, passim] :

1) La métaphore prend place dans un segment de discours plus étendu que le mot ; même si un ou plusieurs mots constituent le foyer ou le pivot de la métaphore, celle-ci concerne l'ensemble d'un énoncé. Tout le problème alors est de savoir où il faut arrêter les limites du cadre : phrase (ou proposition), paragraphe, texte, contexte pragmatique.

2) Les mots et les propositions n'ont pas de sens propre défini une fois pour toutes qui se distinguerait radicalement du sens figuré. Le sens des mots est contextuel : les mots sont, par nature, polysémiques et ambigus. La métaphore n'est qu'un cas particulier de cette situation générale.

3) La métaphore ne consiste pas en une substitution, mais en une interaction, ou une tension. Interaction qui n'a pas lieu entre le terme figuré qui constitue le pivot de la métaphore et un terme propre qu'il faudrait rétablir, mais entre le terme figuré et les autres termes présents dans le cadre : dans le cas de la forme canonique « Prédét. Nj est Prédét. N2 », l'interaction se produit entre Nj et N2. Cette interaction a comme résultat l'échange et le tranfert de significations entre les deux termes : en particulier Nj se voit attribuer des propriétés caractéristiques de N2- 4) Cette interaction, loin de se justifier par une ressemblance déjà connue explicitement, fonde une relation entre les deux termes Nj et N2, cette relation pouvant être de ressemblance, d'analogie, ou à la limite une relation quelconque. Née du hasard ou de l'intuition, la métaphore crée la relation au lieu de la suppo-

22

Page 20: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

ser (cela d'un point de vue subjectif et ne préjugeant en rien du fondement ontologique de la relation).

5) La métaphore a une valeur en même temps émotive, descriptive et cognitive : le rapport dégagé de la métaphore conduit à modifier notre connaissance du monde en opérant une modification de notre catégorisation de l'expérience ; dans le schéma Prédét. Nj est Prédét. N2, notre définition de Nj a changé, ainsi que peut-être celle de N2. Grâce à une vision stéréos- copique qui nous oblige à regarder deux termes en un seul coup d'œil, nous opérons une redescription du monde et acquérons de nouvelles connaissances, la relation qui existe entre les deux termes a donc une présomption de fondement ontologique, en ce qu'elle peut nous révéler quelque chose de la structure du monde, de la structure de notre être propre, et des rapports entre le monde et nous-mêmes, entre le microcosme humain et le macrocosme que constitue l'univers. Reprenons l'exemple de tout à l'heure : cet homme est un lion. La métaphore a

pour cadre la proposition entière, les phrases suivantes, le discours, la situation dans laquelle la phrase est prononcée. Si je prononce la même phrase dans une culture où les guerriers portent des peaux de lion, dans un rite religieux où les hommes jouent le rôle de lions et « deviennent » des lions, la phrase n'a pas le même sens et la métaphore change de valeur ; peut-être n'est-ce même plus une métaphore. Homme, lion signifient beaucoup de choses ; mis en présence l'un de l'autre, ils nous conduisent à mêler leur signification jusqu'au moment où l'homme est devenu quelque peu léonin, le lion quelque peu humain. C'est dire que nous ne voyons plus le monde comme avant, que quelque chose nous a été révélé que nous ne savions pas nécessairement.

Si différentes qu'elles soient, ces deux conceptions de la métaphore ont en commun de s'interroger sur la nature de la métaphore, indépendamment de son incarnation dans une forme linguistique. Générales, elles ignorent les contours et le détail de la figure. Or cet aspect mérite pourtant attention.

7. C'est sur lui que nous voudrions insister maintenant en présentant une analyse de la métaphore conforme à la tripartition de MORRIS, syntaxe, sémantique et pragmatique.

7.1. Que la métaphore implique une syntaxe n'est sans doute pas une évidence si l'on en juge par le nombre des linguistes qui pensent que le formel n'est ici d'aucun intérêt. Citons Albert Henry :

« En ce qui concerne l'aspect proprement grammatical de l'expression, il n'y a rien de personnel à la métaphore, alors que la comparaison dispose de moyens propres » [Henry, 1971]

et dans la perspective de la grammaire generative, Barbara LEONDAR : « Although a full description of the syntactic and logical structure of

metaphor would surely prove enlightning, its mission need not be fatal » [LEONDAR, 1975, p. 275-276].

et Franz GUENTHNER : « I think it is easy enough to see why metaphor cannot be adequately disti

nguished (and even less explained) on a syntactic level » [GUENTHNER, 1975, p. 203]. Ces affirmations péremptoires qui ne reposent sur aucune analyse antérieure ont

pour conséquence que leurs auteurs, tenant pour négligeable la diversité des formes de la métaphore, ne traitent dans leurs études que d'un exemple, tenu pour représen-

23

Page 21: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

tatif de l'ensemble des métaphores. C'est ainsi que B. LEONDAR s'appuie exclusivement sur un exemple, que F. GUENTHNER ne propose que des métaphores verbales comme :

The sun laughed high in the sky. ou des métaphores à verbe être comme :

The square root of Susy is happiness. Or ces restrictions conduisent à des généralités fallacieuses. Max BLACK qui, lui

aussi, se contente d'un exemple : Man is a wolf.

aurait-il également développé la notion d'interaction, s'il était parti dans son analyse d'une métaphore verbale ? On peut bien en effet concevoir entre deux noms définis indépendamment un échange de traits. Avec une figure verbale, où le verbe n'est pas défini de façon autonome, mais implique le recours au sujet et/ou à l'objet, il y a moins interaction que transfert sur les éléments nominaux des traits sélectionnels du verbe.

Les théories de la métaphore ne vivent bien souvent que du mépris de la syntaxe. Lorsque plusieurs formes de la métaphore sont recensées, c'est presque par

hasard, car les différences qui les séparent sont toujours tenues pour négligeables : la syntaxe transparente doit s'effacer devant le sens. Certaines études en effet présentent un éventail assez complet de configurations. Tel est le cas de celle de G. GENETTE sur la rhétorique restreinte qui, avec une terminologie particulière, puisqu'il réduit la métaphore à la figure in absentia qu'il appelle « assimilation non motivée sans comparé », propose une gamme de six formes : — comparaison motivée Mon amour brûle comme une flamme. — comparaison non motivée Mon amour ressemble à une flamme. — assimilation motivée Mon amour (est) une flamme ardente. — assimilation non motivée Mon amour (est) une flamme. — assimilation motivée sans

comparé Mon ardente flamme. — assimilation non motivée

sans comparé (métaphore) Ma flamme. [GENETTE, 1979, p. 165]

De même le Groupe fi dans sa Rhétorique générale reconnaît-il qu'entre la comparaison canonique introduite par « comme » et la métaphore in absentia qui représente la substitution pure et simple, « les auteurs ont employé un large éventail de structures grammaticales intermédiaires, destinées généralement à atténuer le caractère relationnel du comme » [DUBOIS et alii, 1970, p. 114], soit selon ses termes :

• appariement : « Voie lactée, ô sœur lumineuse, Des blancs ruisseaux de Chanaan » (APOLLINAIRE).

• est d'équivalence : « Si l'âme est un oiseau, le corps est l'oiseleur » (G. MONNEAU).

• apposition : « Bouquet de roses, sa bouche » (E. SlGNORET).

• substantif et verbe : « Le cœur me piaffe de génie » (J. LAFORGUE).

24

Page 22: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

• génétif et attribution : « Le voilier d'un beau jour largue ses voiles blanches » (R. VIVIER). « Le revolver à cheveux blancs » (T. TZARA).

[DUBOIS et alii, 1970, p. 115-116]

Mais si ces formes sont enregistrées, ce n'est jamais pour reconnaître la spécificité syntaxique de chacune d'elles, car leur diversité est tenue pour secondaire par rapport à la communauté de sens qui leur est attribuée. Le Groupe ц parle ainsi de « degrés » dans l'affirmation de « l'identité ». Et G. GENETTE pose une « série d'ellipses » conduisant de la comparaison motivée à l'assimilation non motivée. Le choix entre les diverses configurations semble donc n'être soumis à aucune autre contrainte que le désir d'insister plus ou moins sur la motivation du rapprochement entre le terme propre et le terme figuré. Moyennant cette différence d'accent, elles sont données pour concurrentes.

Or ceci ne correspond ni à la pratique des textes ni aux propriétés et contraintes propres à chaque configuration qu'une analyse syntaxique permet de déceler. D'une part en effet les auteurs, contrairement à ce que laisseraient penser les affirmations précédentes, n'utilisent pas indifféremment les diverses formes de la métaphore : chez ROBESPIERRE et SAINT-JUST [TaminE, 1972] par exemple, les métaphores nominales à verbe être sont de loin les plus nombreuses, ce qui s'explique par le type de discours, plus didactique que polémique, où on les rencontre. D'autre part, chaque tour se caractérise par des propriétés et des contraintes qui empêchent de poser entre eux une dérivation. Soit les trois configurations que sont les métaphores : • en être Mon amour est une flamme. • avec apposition Mon amour, une flamme. • en de La flamme de mon amour. On peut sans trop de difficulté soutenir que l'on peut dériver l'apposition de être N : les effets de sens et le jeu des déterminants y sont identiques :

Mon amour est (une, la, cette) flamme. Mon amour (une, la, cette) flamme.

mais le complément en de n'autorise que : La flamme de mon amour.

Il est de plus soumis à des contraintes sémantiques qui interdisent par exemple la présence d'un [+ animé]. On peut avoir la série :

L'idéal amer est un citron d'or. L'idéal amer, un citron d'or. « Le citron d'or de l'idéal amer » (MALLARMÉ)

mais si à la place d'idéal amer on insère jeune enfant, on n'aura plus que : Le jeune enfant est un citron d'or. Le jeune enfant, un citron d'or.

et non : * Le citron d'or du jeune enfant. Ainsi apparaît-il nécessaire de s'attacher à décrire la syntaxe de la métaphore,

pour préciser les configurations où elle apparaît, ainsi que les propriétés et les contraintes qui s'attachent à chacune d'elles.

Aussi bien la syntaxe a-t-elle déjà fait l'objet de plusieurs études. On citera la tentative de la Grammaire generative et celle de Christine BROOKE-ROSE pour dégager les principes d'une syntaxe de la métaphore.

25

Page 23: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

On peut évoquer la Grammaire generative à travers l'article de R. J. MATTHEWS « Concerning a « linguistic theory » of metaphor » [MATTHEWS, 1971].

Le point de départ de cet article est, comme l'indique la citation du titre, une critique de celui de D. BlCKERTON « Prolegomena to a linguistic theory of metaphor » [BlCKEŘTON, 1969] qui, selon MATTHEWS, ne répond pas aux deux objectifs fo

ndamentaux que devrait remplir une telle théorie : établissement de critères permettant de distinguer les métaphores des séquences non figurées et mise en évidence des principes qui sous-tendent leur interprétation :

« First, the theory of metaphor would have to be such that it establishes necessary and sufficient conditions for the distinguishing of metaphor from non metaphor. Second, the theory of metaphor would have to be such that it accounts for how, in terms of linguistic competence, the speaker understands or interprets metaphor » [MATTHEWS, 1971, p. 413]. MATTHEWS pense satisfaire à ces deux objectifs en opposant la compétence

linguistique — qui permet de distinguer les phrases grammaticales et déviantes — et la performance — où l'on peut repérer parmi les phrases déviantes celles qui sont métaphoriques. L'obédience de MATTHEWS à la grammaire generative se traduit également dans les critères de distinction des phrases déviantes et non déviantes qui sont à trouver dans les contraintes de sélection et les traits lexicaux. Enfin, le principe d'interprétation des phrases déviantes métaphoriques est directement emprunté à CHOMSKY, puisqu'elles sont comprises par analogie avec les phrases bien formées où sont observées les contraintes de sélection [CHOMSKY, 1965, p. 149].

Les enseignements sur la syntaxe de la métaphore que l'on peut retirer d'une telle analyse sont inexistants. Trop générale, elle ne propose pas de recensement des cadres où l'on rencontre la métaphore : MATTHEWS ne donne d'ailleurs qu'un exemple, comme par hasard celui-là même que donnait Max BLACK. Cela l'empêche de voir que toutes les phrases métaphoriques ne sont pas déviantes. Une séquence comme :

Le percepteur les a égorgés. ne présente aucune violation des contraintes de sélection. Là n'est sans doute pas l'essentiel de la syntaxe de la métaphore, et les traits en représentent sans doute la partie la moins sûre, puisqu'ils sont en fait du domaine de la sémantique.

Issues d'une perspective réductionniste, des analyses de ce type n'ont de syntaxique que le nom. Ignorant les corpus, les classements minutieux d'exemples, elles sont forcées d'ignorer la diversité syntaxique et la multiplicité des fonctionnements de la métaphore. Elles manifestent ainsi un recul par rapport à l'ouvrage, antérieur, de Ch. BROOKE-ROSE, A Grammar of Metaphor où cette multiplicité était reconnue.

S'appuyant sur un corpus de douze poètes, de CHAUCER à DYLAN THOMAS, Ch. BROOKE-ROSE peut faire apparaître les différentes formes de la métaphore et insister sur celles qui, demeurant au cours des siècles, en assurent la stabilité. Elle perfectionne ainsi la description de BRINKMANN, Die Metaphern [BRINKMANN] à laquelle elle se réfère explicitement.

L'ouvrage est organisé selon l'appartenance de la figure aux différentes parties du discours. Les figures nominales, qui sont elles-mêmes très différentes, occupent huit chapitres, les verbes le neuvième, le reste étant regroupé dans le chapitre X.

Parmi les métaphores nominales, sont distinguées :

• Les métaphores par « simple remplacement » (simple replacement) : « Muse Indignation ! Viens, dressons maintenant

Assez de piloris pour faire une épopée » (HUGO).

26

Page 24: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

• Les pointing formulae, essentiellement : А..., се В « Contre le czar du Nord, contre ce chasseur d'hommes » (HUGO). A, В « Seul avec la nuit, maussade hôtesse » (BAUDELAIRE) et le vocatif « Pure innocence, Vertu Sainte, Ô les deux sommets d'ici-bas ! » (HUGO)

• La copule : A est В « Car l'océan est hydre, et le nuage oiseau » (HUGO)

• To make : « II voulait, héros et symbole, Faire du Louvre un Capitole » (HUGO)

• Le lien génitif : « Le gin flambant de l'électricité » (APOLLINAIRE).

Les métaphores verbales, elles, sont classées selon que la relation métaphorique joue de verbe à sujet et/ou à complément :

a. « Le jardin où dort la mélancolie » (APOLLINAIRE) b. « Les hortensias géants ourlant le vieux mur » (BEALU)

L'adjectif : « Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui » (MALLARMÉ)

dont le fonctionnement est assimilé à celui du verbe, et l'adverbe : répondre froidement.

si peu utilisé dans les textes, sont traités beaucoup plus rapidement, mais pris en compte.

Le tableau que l'on peut tracer sur les indications de Ch. BROOKE-ROSE est donc le suivant :

MÉTAPHORE

métaphores simples métaphores filées

verbales adjectivales adverbiales nominales

par substitution par relations contextuelles

pointing copule to make Genitive link formulae

Précise, détaillée, cette typologie demande pourtant à être dépassée. Inspirée des principes de la grammaire traditionnelle, elle ne connaît guère comme critère de classement que les parties du discours, et ignore des notions aussi importantes que celles

27

Page 25: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

de cadre syntaxique et de propriété. De plus, elle suppose une justification sémantique à toutes les configurations citées, si bien que la syntaxe n'est jamais envisagée de façon autonome. Les chapitres sur les métaphores par « lien génitif » (genitive link) permettent de s'en assurer. Leur définition est en effet entièrement sémantique, puisqu'il s'agit de « a grammatical form of substantives or other declinable parts of speech, chiefly used to denote that the person or thing signified by the word is related to another as source, possessor or the like ». Ces relations sémantiques fondamentales s'expriment par des moyens syntaxiques aussi divers que des prépositions, of surtout, des noms composés, des verbes de possession, des adjectifs possessifs, et le cas possessif, dont jamais Ch. BROOKE-ROSE n'envisage la spécificité. Pourtant, sans qu'elle en ait conscience, cette spécificité se révèle, en particulier pour la préposition of. Il est en effet paradoxal que classée comme indiquant la possession aux côtés des autres outils syntaxiques cités précédemment, elle soit analysée dans le détail comme exprimant l'identité :

Le feu de l'amour. L 'amour est un feu. C'est que les catégories dégagées par Ch. BROOKE-ROSE sont très générales et ne

sont pas forcément propres aux métaphores. Il est vrai que de exprime souvent la possession, mais qu'en est-il de son rôle dans la figure ? Or, jamais A Grammar of Metaphor ne s'interroge sur la spécificité de la syntaxe de la métaphore, dont on ne sait quelle relation elle entretient avec les emplois propres.

Par conséquent, la question des mécanismes linguistiques qui sous-tendent la figure n'est jamais abordée. Aussi bien n'est-ce pas là ce qui intéressait Ch. BROOKE- ROSE, préoccupée surtout, comme le montre le chapitre qui est l'achèvement du livre, « The Poets », de l'utilisation stylistique des formes métaphoriques.

A quelques raffinements près, on peut donc fonder une analyse syntaxique de la métaphore sur la classification de Ch. BROOKE-ROSE dont tout l'intérêt apparaît lorsque sont précisées les particularités, propriétés et contraintes, propres à chaque forme de la métaphore. Il devient alors possible de dépasser le niveau d'une description fragmentaire pour déterminer sur quels mécanismes syntaxiques s'appuie la figure et s'interroger sur l'existence d'une syntaxe du sens figuré. Ce sont ces problèmes que l'article consacré ici même à la syntaxe voudrait aborder.

1.2. Dans le cadre de la tripartition proposée par MORRIS, il convient maintenant de dire quelques mots de la sémantique de la métaphore.

Lorsqu'on s'interroge sur les présupposés des sémantiques contemporaines, on se convainc aisément qu'ils ne diffèrent qu'en apparence d'une théorie à l'autre. Car structurales ou non dans leur intitulé, elles le sont toujours en fait en ce qu'elles supposent qu'il est possible de décomposer le signifié en unités discrètes conçues sur le modèle des traits pertinents en phonologie. Seule varie la fonction assignée à ces traits qui, selon les cas, rendent compte des relations qui existent entre les termes du lexique ou des possibilités de combinaison des termes dans la phrase.

Comme on le voit à travers la sémantique structurale (qui dans le domaine rhétorique est assez bien représentée par la Rhétorique générale), les contraintes de sélection chez CHOMSKY ou la sémantique generative de K.ATZ et FODOR, l'analyse en traits se présente sous différentes formes et se localise même parfois dans les domaines aussi différents que la syntaxe et la sémantique. Mais les principes qui l'inspirent sont toujours les mêmes.

Les traits sont organisés et distingués en traits généraux et particuliers : classè- mes vs. sèmes en sémantique structurale, markers et distinguishes en sémantique generative, traits de sous-catégorisation et de sélection chez CHOMSKY. La définition

28

Page 26: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Illustration non autorisée à la diffusion

de ces deux niveaux peut varier. Chez CHOMSKY, elle est essentiellement syntaxique alors que chez KATZ et FODOR elle est sémantique. Dans tous les cas, les traits de second niveau sont subordonnés à ceux du premier, selon une organisation qui, pour reprendre une expression de BOLINGER [1965], a un fort parfum aristotélicien. L'analyse de BlCKERTON, pour rendre compte des métaphores comportant soup, le montre clairement. Voici en effet quelle est la représentation de soup à l'intérieur de la série de termes où il s'insère :

Artificial (soup, cardboard, tar, froth,

medicine, poison, beer, broth)

solid liquid (cardboard) (soup, tar, froth, medicine,

poison, beer, broth)

comestible "" non comestible (soup, froth, medicine, (tar) poison, beer, broth)

whole part (soup, medicine, (froth)

poison, beer, broth)

eval """^

± eval — eval (medicine) (soup, beer, broth) (poison)

hot cold (soup, broth) (beer)

diffuse dense (broth) (soup)

[BlCKERTON, 1969, p. 44] Les traits, du plus général au plus spécifique, dessinent ainsi des chemins

(« paths », selon KATZ et FODOR) qui permettent de définir les termes du lexique. Ces « atomes » de sens soulèvent plusieurs difficultés : la première concerne la

frontière entre les deux types de traits, la seconde leur repérage même. Aucun critère sûr n'est en effet avancé pour délimiter classèmes et sèmes, mar

kers et distinguishers. Si les premiers correspondent souvent à des faits syntaxiques, comme l'opposition animé vs. inanimé, qui a pour parallèle la différence entre les pronoms (de) lui et en, il n'y a là rien de systématique. Une marge de flou dans le comportement syntaxique accompagne de tels traits. Qu'en est-il alors de ceux qui, comme artificial dans l'exemple de BlCKERTON, n'ont aucune incidence sur la syntaxe ? En fait, il ne semble pas exister de différence entre les deux types. Comme l'écrivait BOLINGER à propos de KATZ et FODOR :

« The chief fault of the marker-distinguisher dualism is that it does not appear to correspond to any clear division in natural language » [BOLINGER, 1965, p. 561]. La délimitation même des traits n'est pas plus aisée. Le Groupe ц explique la

métaphore : Cette jeune fille est un bouleau.

29

Page 27: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

par le trait flexible qu'ils auraient en commun. D'où vient donc ce trait ? Il est exclu qu'il appartienne à la définition de jeune fille et de bouleau, telle que la consignent les dictionnaires, ou que, sur le modèle des traits de la pholologie, on le définisse en opposant bouleau et jeune fille aux termes du champ notionnel auquel ils appartiennent respectivement. Et il ne peut être un trait commun aux deux mots que si les traits peuvent reproduire les éléments d'une définition encyclopédique ou toutes les associations d'un terme. Mais il n'y a plus aucune limite au nombre des sèmes, des traits qui sont censés constituer le signifié d'un mot, chaque contexte pouvant en susciter de nouveaux, et tout particulièrement la métaphore. Comme le soulignait BOLINGER :

« How I make myself understood when I use previously fixed senses that are well known both to me and to my hearer, is one thing ; how I am understood when I call a chain smoker a fumarole is something else. It is characteristic of natural language that no word is ever limited to its enumerable senses, but carries within it the qualification of « something like » » [BOLINGER, 1965, p. 567].

En restant dans le cadre même des sémantiques structurales ou génératives, pour lesquelles une analyse en traits — traits sémantiques, sèmes, classèmes, traits de sous-catégorisation, traits de sélection — est réalisable, il est possible de définir une analyse de la métaphore beaucoup plus fine et qui prend au sérieux les leçons d'une conception interactionnelle de cette figure.

Admettons que nous pouvons décrire le sens de N et de N' comme la somme de к et k' traits, respectivement ;

N = Tj + T2 + T3 + .... + Tk N' = T'1+T'2 + T'3 + ....Tk.

et soit la métaphore : N est un N'

qui est caractérisée comme métaphore par le sentiment de distance, de heurt sémantique entre les deux termes, tels qu'ils bloquent l'interprétation d'inclusion ou d'appartenance littérale, comme dans les exemples banals cet homme est un lion, l'homme est un loup pour l'homme... Suivant les distinctions proposées en logique et en epistemologie par K.EYNES et M. HESSE, nous définissons trois types d'analogie (ou, si l'on veut, de ressemblance) entre les deux termes N et N' [HESSE, 1970] : 1) l'analogie positive, qui comprend les sèmes communs à N et N' dans l'état de connaissances donné de celui qui interprète la métaphore ; 2) l'analogie négative, qui comprend les sèmes présents dans l'un des termes et incompatibles avec les sèmes de l'autre terme ; enfin et surtout 3) l'analogie neutre, c'est-à-dire les traits pour lesquels nous ne savons pas s'ils sont communs aux deux termes. La métaphore, en posant l'inclusion ou l'appartenance de N à N', nous conduit donc bien au-delà de la recherche du ou des sèmes communs aux deux termes qui, la plupart du temps, sont — lorsqu'ils existent antérieurement à l'acte métaphorique — assez faciles à trouver et à définir approximativement : « courageux » est le trait commun a « homme » et à « lion ». Le moment essentiel de la stratégie métaphorique est celui où l'auditeur chemine dans les traits qui appartiennent à l'analogie neutre : nous pourrons prendre les traits de « lion » et voir systématiquement s'ils se retrouvent dans la liste des traits qui constituent le sens de « homme ». Le caractère productif de la métaphore vient précisément de ce balayage, qui permet de faire apparaître des analogies nouvelles entre les deux termes : grâce à la présence de ce réservoir que constitue l'analogie neutre, la métaphore n'est pas mise en évidence d'un sème commun, elle est possibilité indéfinie de trouver de nouveaux sèmes communs.

30

Page 28: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

On comprend mieux pourquoi, à la limite, l'analogie positive peut être nulle, l'essentiel résidant dans la volonté de considérer le sens des deux termes dans leur intégralité comme analogie neutre : c'est la rencontre de la machine à coudre et du parapluie. Il y a donc un continuum qui conduit de la métaphore morte où toute la place est prise par une analogie positive qui est devenue le signifié propre du terme jusqu'aux métaphores les plus surprenantes, les plus vives, où la résistance à l'interprétation semble se fonder sur une analogie négative presque totale (1Ъотте seul est un escalier) : l'exigence de sens contraint à dépasser cette apparence et à voir partout une analogie neutre en attente d'analyse. Dans tous les cas une même stratégie est à l'œuvre, qui se fonde « moins sur des ressemblances notionnelles (similitudines) que sur une stimulation intérieure, sur une sollicitation assimilatrice (intentio ad assimilât ionem) » [BLONDEL, 1935].

Nous avons jusqu'à maintenant fait comme s'il n'existait qu'une seule espèce de métaphore, celle qui se fonde sur des propriétés communes aux deux termes en présence dans une métaphore du type : Le N est un N'. Or, à côté de la métaphore fondée sur une (ou des) propriété(s) communes existe une métaphore fondée sur l'identité ou la ressemblance de deux relations, selon le modèle de la proportion déjà proposé par AriSTOTE : A est à В ce que С est à D. « II y a le même rapport entre la coupe et Dionysos qu'entre le bouclier et Ares », on peut donc employer le quatrième terme au lieu du second et réciproquement, et l'on dira : le bouclier de Dionysos ou la coupe d'Ares [Rhétorique, 1457 1. 14]. Dans le cas précédent, la métaphore amenait à dégager une propriété, telle que la taille, la couleur, la densité, la matière, le nombre, etc., qui s'exprime le plus souvent par des adjectifs ou des noms. Ici, en revanche, nous avons affaire à des relations, c'est-à-dire, non à des propriétés d'une substance, mais à un lien spécifique établi entre deux substances ; parmi les plus fréquemment rencontrées de ces relations, nous avons les relations de possession-appartenance et les relations de partie à tout. Il peut aussi s'agir de relations spécifiques, telles que père de, ami de, etc. Ces relations sont souvent exprimées en langue par la préposition de : le bouclier d'Ares, la cuisse de Jupiter. On pourrait d'ailleurs formellement les inclure dans une catégorie commune, celle des relations de morceau à totalité, telle que la pose LESNIEWSKI dans sa méréologie. Le passage des propriétés aux relations accroît d'une façon extraordinaire la productivité et la créativité des métaphores : on peut toujours trouver entre deux objets quelconques une relation qui existe entre deux autres. Le psychologue SPEARMAN définissait l'intelligence par la même configuration : si l'on donne une relation (A est à B) et un terme (C), l'acte d'intelligence consiste à évoquer immédiatement le terme corrélatif (D).

La forme générale de la métaphore est donc celle dont la métaphore fondée sur la présence d'une propriété commune aux deux termes et la métaphore fondée sur une relation ou sur une action ne sont que des cas particuliers. La forme canonique de la métaphore sera la suivante :

Série propre Relation Série métaphorique

de ressemblance (identité

с de propriété) o

« {Substance 1 = T1M + TY2 + T,.3 . . Substance 1 ' = T'w + T',., + TV3 g 2 = Т2., + T2.2 + T2.3 . . - 2' T+'T' + T

3= - 3' { 1M Y2 ,3 w

g - 2 = Т2., + T2.2 + T2.3 . . - 2' =T'2.1+'T2.2 |

31

Page 29: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Entre deux séries, qui comprennent chacune des substances, définies par des propriétés, des relations et des actions, est ainsi posée une opération de correspondance que l'on peut appeler application, qui est une forme faible de la correspondance établie en logique entre un système formel et un de ses modèles. On peut ainsi rendre compte de toutes les formes de métaphore filée, d'allégorie, de symbole.

On voit alors que l'analyse en sèmes est intenable et se désagrège spontanément sous l'influence même de la métaphore. S'il y a analogie neutre, c'est précisément qu'une partie au moins de l'analyse en traits demeure virtuelle et ne peut être exploitée que dans le mouvement de recherche qui va de l'un à l'autre terme pour en dégager les multiples ressemblances ; et c'est seulement grâce à cette stratégie que l'analyse en traits de chaque terme peut être prolongée au-delà des analogies positive et négative données au départ. Mais le passage de la métaphore-propriété à la métaphore-relation et à la forme la plus générale de la métaphore rend plus inexacte encore la doctrine structurale : relations, actions et modèles obligent à une refonte incessante des traits choisis pour définir sémantiquement un objet ; c'est une expérience courante que de voir augmenter le nombre de traits nécessaires pour définir les objets d'un champ lexical à mesure que l'on élargit le champ.

Il reste pourtant, déjà dans l'analyse la plus traditionnelle de la métaphore, un domaine où l'on use naturellement de sèmes ou de traits de sélection et de sous- catégorisation : c'est le domaine qui vise à rendre compte de la transposition réalisée par la métaphore. FONTANIER, par exemple, pour décrire les espèces de la métaphore, fait appel aux couples de traits suivants : animé/inanimé et physique/moral (c'est-à-dire concret/abstrait). On retrouve ces deux couples dans toutes les analyses sous des formes voisines, et l'on ne fait qu'y ajouter le cas échéant quelques traits supplémentaires ; ULLMANN, de son côté, distingue quatre espèces de métaphores : les métaphores anthropomorphiques (humain/non humain), les métaphores animales (animal/inanimé non animal, humain /animal), les métaphores fondées sur les traits concret/abstrait, enfin les métaphores synesthésiques (sur lesquelles nous reviendrons plus loin) [ULLMANN, 1970, 212-218]. On pourrait, bien sûr, rendre ces classifications plus fines encore, mais il est plus intéressant de faire à ce sujet deux remarques d'ordre plus général. En premier lieu, ces classifications ne sont pas linguistiques : elles relèvent bien d'une organisation du monde, d'une ontologie, ce qui justifie notre démarche sémantique. Ce qui ne veut pas dire que ces propriétés du monde n'aient pas des correspondances plus ou moins étroites dans l'organisation de la langue, mais ce ne sont jamais que des correspondances : ce n'est pas la langue qui fonde les propriétés du monde. D'où l'impossibilité de considérer ces traits comme « syntaxiques », selon l'emploi abusif du terme fait par les linguistiques génératives : ces traits qui naissent de notre vision du monde ne sont que plus ou moins exactement codés par la langue, ils ne sauraient en fonder l'organisation. Ce qui le prouve bien — et c'est la deuxième remarque — , c'est précisément que ces traits n'ont été dégagés par la tradition rhétorique que pour rendre compte de leur relativité : on en a besoin pour décrire les cas où codage et correspondance ne marchent plus, les cas où le langage est métaphorique, où l'on dit que l'homme est un loup, où l'on dit d'une pince qu'elle est un bec-de-corbeau, d'une fleur qu'elle est une gueule-de-loup. Synchroniquement dans la métaphore, diachroniquement dans l'incessante création du lexique, les traits n'existent que pour être dépassés. Comme les psychologues du langage l'ont aperçu depuis longtemps, la catégorisation n'est pas un ensemble de règles closes, c'est un processus souple et constructif [LENNEBERG, 1967].

Il en est sans doute de même en ce qui concerne l'identification de la métaphore. Celle-ci se fonde sur une contradiction entre deux termes, entre un terme et son contexte, sur une difficulté d'interprétation qui conduit du sens propre au sens figuré, ce que l'on a appelé les anomalies sémantiques. Or, la conception habituelle de ces ano-

32

Page 30: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

malies sémantiques se fonde sur une variante quelconque de l'analyse en sèmes : « Pour étudier les anomalies sémantiques, nous devons admettre certains postulats concernant le sens des mots : a) le sens de chaque morphème peut être décomposé en unités simples (sèmes, catégories ou traits sémantiques), b) en dehors de ce sens decomposable, chaque morphème possède une caractéristique combinatoire qui indique quels sèmes doivent être présents dans un autre morphème pour qu'il puisse se combiner avec le premier dans un rapport syntaxique donné » [TODOROV, 1966, 101]. Si les critiques que nous avons adressées aux différentes formes d'analyse sémi- que sont justes, alors le fonctionnement des anomalies sémantiques doit être conçu autrement : l'anomalie provient de ce que nous avons appelé l'analogie négative de deux termes, cette analogie négative ne reposant pas sur une analyse sémique exhaustive, impossible à mener jusqu'à son terme. La description ne doit pas se faire en termes de sèmes, mais en termes de stratégies qui procèdent par essais et erreurs : le champ de signification d'un terme est un territoire flou, où voisinent des inclusions approximatives, des vecteurs privilégiés, des lacunes ; ce sont de nouveaux instruments d'analyse qu'il faut ici forger. Et l'on comprend en même temps pourquoi la perception de la métaphore est si variable d'un individu à un autre : elle se fonde sur la totalité du réseau cognitif de chacun.

Nous nous sommes, jusqu'à maintenant, situés dans le cadre d'une sémantique objective ou référentielle, qui vise à décrire les entités mondaines et leurs actions, qualités et relations. Mais cette sémantique ne suffit pas à rendre compte du fonctionnement et du sens de la métaphore. A côté de la sémantique « objective », il faut faire une place à une sémantique « subjective » ; si l'on préfère employer un vocabulaire emprunté à PlAGET, à côté de la sémantique de l'accommodation au réel, il faut constituer une sémantique de l'assimilation par le sujet. Sans doute la distinction n'est-elle pas toujours facile , mais nous ne visons ici qu'à présenter une description acceptable de la métaphore, qui soit le plus près possible de son fonctionnement réel, et indépendamment de toute théorie systématique et dogmatique de la sémantique et de la linguistique.

L'exemple le plus caractéristique et le plus étudié est fourni par les métaphores adjectivales, du type :

Cette couleur est chaude. Une note sombre.

dans lesquelles l'adjectif qui évoque une qualité sensible correspondant à un sens particulier (vue, toucher etc.) est transposé dans un autre registre sensible. Notons d'abord l'intérêt, ici encore, d'une typologie morpho-syntaxique de la métaphore comme celle qui a été proposée plus haut : à une métaphore définie selon un critère morphologique (adjectif) correspond en partie un fonctionnement sémantique spécifique. Il s'agit des phénomènes de synesthésie, mis à la mode et systématiquement étudiés à l'époque symboliste et qui ont constitué, entre 1890 et 1950, l'essentiel — ou une grande partie — des recherches portant sur la métaphore [cf. SHIBLES, 1971]. Si je dis qu'une note de musique est sombre, je transporte le terme de son acception première, visuelle, au domaine auditif ; c'est l'audition colorée, rendue célèbre par le sonnet de RIMBAUD :

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, О bleu, voyelles... » On peut poser — et on a posé — toutes sortes de questions au sujet des synesthé-

sies et des métaphores synesthésiques : se fondent-elles sur des liens réels entre appareils perceptifs ? Sont-elles individuelles, culturellement déterminées ou universelles ? ... L'essentiel, sans doute, est de souligner l'universalité du phénomène lui- même : ces métaphores synesthésiques se retrouvent dans tous les niveaux de langage, dans tous les types de discours, dans toutes les cultures. Les travaux de psycho-

33

Page 31: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

logues [ASCH, 1948 ; BROWN, 1968] et de linguistes [ULLMANN, 1963] soulignent la présence, sinon d'universaux métaphoriques, du moins de régularités significatives : par exemple, les métaphores les plus fréquemment utilisées semblent aller du toucher à l'audition (un son dur), puis du toucher à la vue (une couleur chaude), puis de la vue à l'audition (un son clair).

Une caractéristique particulièrement intéressante de ces métaphores synesthési- ques est leur irréductible vivacité, due sans aucun doute à l'usage fréquent du terme au sens propre : dans

Une couleur chaude. l'épithète est interprétée à la fois dans son sens propre et dans son sens figuré et l'usure complète de la métaphore semble difficile à envisager. D'où vient sans doute leur utilisation systématique en poésie [cf. ULLMANN, 1963].

Les métaphores synesthésiques ne sont qu'un cas particulier de métaphores empruntées au vocabulaire de la sensation :

C'est un homme terriblement froid. Ces métaphores fournissent des arguments nouveaux à l 'encontre de l'analyse sémi- que de la métaphore, ou, comme l'écrit R. BROWN : « In all of these case [i.e. king, lion, rose...] it is easy to talk about the shared attributes that create the metaphor. This is not the case for those metaphors that grow out of the vocabulary of sensation. Words like warm, cold, heavy, light, bright and dull are applied to psychological qualities of temperament or intellect, to social manners, to the quality of a voice as well as to sensations » [BROWN, 1968, 145]. Telle est en effet l'évidence sensible irréductible de chaque qualité perçue, que toute propriété commune à deux sensations issues de différents sens ne pourrait être désignée — et sans doute pensée — que métaphoriquement. L'essentiel est donc bien, non l'hypothétique ou impossible propriété commune, mais l'opération déjà indiquée d'application qui joue, non pas entre un terme propre et un terme métaphorique isolés, mais entre des séries, des familles plus ou moins systématiquement organisées : termes de couleur, échelles sonores, termes tactiles, etc. Les expériences de psycho-linguistique tendent à montrer que, s'il y a symbolisme phonétique, ce n'est pas par correspondance entre phonèmes et significations isolées, mais, par exemple, par correspondance entre voyelles fermées et voyelles ouvertes d'un côté, petitesse et grandeur de l'autre [cf. PETER- FALVI, 1970].

On le voit, sémantique subjective ne veut pas dire sémantique individuelle ou arbitraire. Notre connaissance du monde ne saurait seulement se construire à partir des propriétés objectives du monde, mais repose en même temps sur les capacités spécifiques de notre appareil perceptif et de notre organisation intellectuelle. Dans le domaine de la métaphore, deux entités peuvent nous apparaître comme semblables ou analogues parce qu'elles provoquent en nous une réaction analogue, parce que nous les percevons dans des stratégies ou des situations analogues : dans le vocabulaire simpliste que nous utilisons, nous dirons que leur propriété commune est un caractère subjectif, et non objectif. Cette double dimension sémantique permet de comprendre la créativité de la métaphore, proche de celle qui se manifeste dans le jeu symbolique [PlAGET, 1945] : la ressemblance objective entre terme propre et terme figuré n'est absolument pas nécessaire pour qu'il y ait métaphore ; il suffit qu'il y ait analogie subjective et cette anologie subjective conduit à une présomption d'analogie objective. Il faut donc modifier dans ce sens le modèle proposé par Mary HESSE : l'analogie positive n'est pas obligatoirement objective et peut seulement reposer sur des analogies subjectives, de type affectif ou cognitif . L'analogie repose sur un continuum qui va du pôle objectif au pôle subjectif, et la plupart des analogies sont fondées sur un mélange, selon des proportions diverses, des deux analogies.

34

Page 32: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

La métaphore ne vise pas seulement à faire apparaître les ressemblances et les différences entre deux entités et à modifier ainsi notre connaissance du monde, elle doit aussi convoquer le visible. Tous les théoriciens et tous les poètes, quelle que soit par ailleurs leur conception de la métaphore, sont d'accord sur ce point : la métaphore doit faire voir. Pour ARISTOTE, la métaphore peint quand et parce qu'elle signifie les choses en acte {Rhétorique, III, 1411 b 24). Mais les théoriciens néoclassiques ne pensent pas autrement, comme en témoigne le Père BOUHOURS : « La métaphore est de sa nature une source d'agrément ; et rien ne flatte peut-être plus l'esprit que la représentation d'un objet sous une image étrangère ». Les poètes de l'âge romantique donnent toute sa force à cette conception, selon laquelle, pour citer COLERIDGE : « The power of poetry is, by a single word perhaps, to instil that energy into the mind which compels the imagination to produce the picture » [cf. RlCOEUR, 1975, 221-272).

La métaphore peint, donne à voir, fait voir comme : nous passons de la sémantique et du discours au visible et à la figure. Mais comment interpréter exactement ces formules, suggestives mais plus ou moins claires ? Sans doute de la façon suivante : les mots du langage courant sont interprétés fonctionnellement, littéralement, dans la transparence d'un concept, et nous ne voyons pas la chose, même dans un espace imaginaire. En revanche, la métaphore nous oblige à voir la chose, parce qu'elle nous arrête sur elle : l'interprétation littérale étant bloquée, l'espace imaginaire peut s'ouvrir, dans lequel nous esquissons un profil de l'objet, profil composite qui hésite entre la lettre et la figure. Grâce à la métaphore, c'est tout le champ du visible qui vient trouer le discours. C'est qu'à côté du discursif existe un autre niveau d'organisation de notre expérience, le niveau figuratif, dont relèvent notre perception du monde naturel ainsi que les systèmes symboliques figuratifs (dessin, imitation, jeu). Et l'on sait combien les deux systèmes sont différents : la spatialité de l'un s'oppose à la linéarité de l'autre, comme l'avait jadis souligné LESSING ; il n'y a pas d'analogie ni de convergence entre la peinture et la poésie, entre la figure et le discours [LESSING, 1766].

Si l'on suit les analyses précédentes, la métaphore aurait pour fonction d'ouvrir un centre visible dans le champ aveugle du discours. Mais une question se pose : cela a-t-il un sens de dire que la métaphore nous fait voir deux choses en une, nous dote d'une vision stéréoscopique ? Rappelons d'abord que le « voir comme », proposé naguère par WITTGENSTEIN, n'implique pas vision stéréoscopique : il s'agit bien plutôt de deux visions successives, comme celles que nous offrent les images connues depuis la psychologie de la forme, où un escalier peut être vu par exemple selon deux configurations différentes ; il y a là juxtaposition et non interaction. De même, il est probable qu'il n'existe pas de véritables métaphores visibles. Dans la sculpture de PICASSO, Le babouin et son petit, où le visage du singe est fait d'une voiture d'enfant, on ne peut pas voir en même temps la voiture et le babouin. C'est que les deux formes sont homogènes et se trouvent au même niveau de réalité. Il y a métamorphose perpétuelle, et non métaphore. Comme le fait remarquer R. ARNHEIM, je ne peux pas représenter la métaphore : « Cette jeune fille est une gazelle », car, si la jeune fille devient gazelle, elle n'est plus jeune fille, ou elle est chimère. Chimères ou métamorphoses, telle est la pseudo-métaphore figurative.

La métaphore linguistique, en revanche, permet de mettre en relation deux concepts sans passage par le figuratif, et qui correspondent le cas échéant à des niveaux d'abstraction différents [ARNHEIM, 1976, 254-255]. La métaphore est une matrice de représentations figurées, elle n'est pas représentation, et c'est en cela qu'elle est au- delà du visible. Jouant sur les catégorisations de notre expérience, elle les mêle sans souci de leur possible hétérogénéité : la puissance de la métaphore vient de ce qu'elle est, non l'apparition, mais l'opérateur du visible et capacité continue de recréation.

35

Page 33: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

En a-t-on fini ainsi avec le sens de la métaphore ou faut-il aller plus profond et découvrir, au fond ou derrière la figure, l'ombre portée d'une autre forme et la présence du désir ? Le figuratif se rencontre avec la f igurabilité du rêve et des processus primaires.

Mais la confusion et la complexité des problèmes posés sont telles qu'il nous paraît préférable de nous arrêter sur le seuil d'un domaine, essentiel sans doute, mais qu'aucune méthode, aucun outil vraiment efficace ne nous permettent, quant à nous, d'aborder sérieusement.

7.3. Après la syntaxe et la sémantique, la pragmatique de la métaphore. Mais c'est ici que les problèmes sont les plus difficiles et nos connaissances les plus fragiles : la pragmatique reste bien le « wastebasket » de la linguistique [Bar HlLLEL, 1971]. D'un côté, toutes les études récentes de la métaphore, après avoir montré les limites d'une analyse syntactico-sémantique, débouchent sur une pragmatique qui devrait miraculeusement résoudre tous les problèmes. Mais, d'un autre côté, que savons- nous clairement de la pragmatique et, singulièrement, de la pragmatique de la métaphore ? Aussi le temps est-il plutôt de descriptions et de typologies, beaucoup plus que de théories globales et ambitieuses. Nous nous bornerons ici à énumérer des questions et à proposer des hypothèses.

La métaphore s'inscrit dans des discours spécifiques. Traditionnellement, elle est considérée comme relevant d'un type particulier du discours, le discours poétique, et l'on opposera ainsi au langage uni, immédiat, transparent de la prose — qui sert à communiquer des idées — le langage polysémique, complexe, ambigu de la poésie — qui sert à exprimer des émotions [WELLEK-WARREN, 1963, 20-28] : l'un ne vise qu'à refléter la vérité du monde, l'autre tente d'utiliser tous les prestiges du verbe pour construire un monde de fiction. La métaphore, exclue de la prose d'information, est cantonnée dans le royaume de la poésie. Au plus, on lui accordera une place dans la langue populaire, et en particulier dans cette langue réputée expressive qu'est l'argot : mais il s'agit là d'un rôle limité, la langue de tous les jours ne présentant que des germes, des embryons de fonctionnement métaphorique que seule la poésie saura pleinement conduire jusqu'à leur plein développement. Ainsi s'explique que la plus grande partie des analyses de la métaphore porte sur la métaphore poétique. Une autre attitude est possible, selon laquelle tout langage est métaphorique, mais elle n'est guère que la contrepartie logique de la précédente : dans aucun des cas ne sont abordés ni le problème d'une typologie des discours ni celui des formes et des fonctions spécifiques de la métaphore dans chaque discours. Et pourtant, c'est seulement ainsi que l'étude même de la métaphore poétique pourrait se transformer et s'enrichir. Nous voudrions seulement mentionner trois domaines où les diverses fonctions de la métaphore mériteraient d'être décrites : le domaine scientifique, le domaine du rite et de la culture, auxquels sont consacrés deux articles de ce numéro, enfin le domaine de l'argumentation, auquel nous allons consacrer quelques lignes.

La métaphore occupe une place centrale, bien que souvent sous-estimée, dans le champ de l'argumentation. En utilisant les notions proposées par PERELMAN, on peut distinguer deux grands procédés d'argumentation, la liaison et la dissociation, et trois grands types, l'argumentation quasi logique, l'argumentation fondée sur la structure du réel (liaisons de coexistence et de succession), l'argumentation selon des liaisons qui fondent la structure du réel [PERELMAN et OLBRECHTS-TYTECA, 1970]. Cette dernière catégorie comprend deux espèces, l'argumentation par le cas particulier et l'argumentation par l'analogie, dont fait partie l'argumentation par la métaphore. Pascal écrit :

« L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant ».

36

Page 34: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

Il s'agit d'un des cadres classiques de la métaphore, le cadre Nj est N2. Mais il est clair qu'il ne suffit pas ici de parler de figure, si l'on entend par là un ornement purement décoratif. La métaphore est argumentation : la stratégie consiste à passer d'un domaine propre — le thème selon le vocabulaire de PERELMAN — , à un domaine étranger — le phore — , de telle sorte que le raisonnement se transpose de l'un à l'autre. Toute la force de l'argumentation repose sur l'hypothèse le plus souvent implicite d'une similitude de structure entre les deux domaines, et sur l'interaction entre eux : « Le disque de phonographe, la pensée musicale, les notes, les ondes sonores, tous se trouvent les uns par rapport aux autres dans cette relation interne de représentation qui existe entre le langage et le monde » [WITTGENSTEIN, 1969, 106]. Par ailleurs, aux analogies de structure viennent s'ajouter des transferts de valeurs [PERELMAN et OLBRECHTS-TYTECA, 1970, 512] ; les valeurs positives ou négatives du champ métaphorique choisi s'attachent plus ou moins consciemment au domaine du raisonnement propre. Dans le proverbe L'homme marié est un oiseau en cage, la valeur négative de l'expression métaphorique est déjà un argument. C'est la source d'une stratégie essentielle dans l'emploi des proverbes ; le proverbe, choisi par exemple dans le règne animal, s'applique métaphoriquement à l'individu dont on parle : Le chien rehume ce qu'il a vomi. Comme on l'explique dans les Recueils de Proverbes, le proverbe « se dit de quelqu'un qui... » ; le proverbe est ainsi argument et jugement moral indirect.

La métaphore a donc des fonctions et des stratégies d'utilisation extrêmement diverses. Mais ne faut-il pas aussi faire intervenir les conditions de sa genèse ? Il est certain que l'usage de la métaphore comme nous l'entendons est un phénomène assez tardif dans l'évolution psychologique de l'enfant : ce n'est pas avant onze ou douze ans que l'enfant est explicitement conscient de la distinction et du jeu possible entre le sens propre et le sens figuré d'un mot donné ; auparavant les deux sens, s'il les connaît par l'usage, semblent bien définir deux termes homonymes [ASH et NERLOVE, 1960]. Mais on voit tous les problèmes posés par de telles recherches : le système de références doit-il être constitué par notre conception de la métaphore, elle-même très rigidement définie et en réalité assez mal connue dans son fonctionnement réel ? Sans doute la métaphore doit être mise en relation avec les conduites d'imitation et de jeu symbolique naguère analysées par PlAGET [PlAGET, 1945] ; la métaphore ne serait-elle pas jouée avant d'être parlée ? La métaphore, nous l'avons vu, ne vient pas directement du figuratif, qui ne connaît que la métamorphose ; mais le jeu, lui, comme l'imitation, ont à leur racine ces conduites doubles décrites par P. JANET, qui nous font dire ou penser en face de celui qui joue un rôle, fait un dessin ou imite un être connu : c'est lui et ce n'est pas lui, c'est cela et ce n'est pas cela. Il faudrait alors concevoir que l'enfant, à l'âge où apparaît la fonction symbolique, comprend la métaphore, mais la métaphore jouée et vécue. Le temps qui sépare le moment où émerge la fonction symbolique et l'âge auquel l'enfant maîtrise la métaphore verbale est occupé par le passage long et semé d'obstacles qui mène de l'action à l'opération : il s'agit de transposer au niveau de la représentation et de la catégorisation linguistique la maîtrise déjà acquise dans le domaine de l'action.

Si l'on peut encore espérer quelque lumière d'une étude d'ontogenèse, est-il raisonnable d'attendre quelque chose de la phylogénèse de la métaphore ? C'est pourtant une des clefs de nos conceptions actuelles. Aux sources de la métaphore, nous voyons toujours, plus ou moins clairement, des primitifs, des enfants et des fous en proie à une mentalité « primitive » pour laquelle on peut être en même temps un homme et un lion, un enfant et un gendarme, un fou et Napoléon : au début régnait, non le vide, mais la confusion. La métaphore prendrait donc naissance dans l'animisme, dans l'anthropomorphisme d'une mentalité dont elle n'est que la forme dégénérée, c'est-à-dire civilisée. On pouvait, jadis, croire qu'un homme était vraiment un

37

Page 35: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

lion ; aujourd'hui, nous ne pouvons que faire semblant : du rite et du mythe, nous sommes passés à la métaphore. Peut-être ne nous intéresse-t-elle tellement que parce que nous voulons y voir une trace de ce monde que nous croyons avoir perdu. Mais il s'agit là d'une histoire qui révèle plus de choses sur notre culture que sur la métaphore et dont il faut se débarrasser pour accéder à une compréhension exacte de sa signification.

Cette généalogie mythique de la métaphore nous conduit à un dernier problème, celui du propre et du figuré. Qu'il s'agisse en effet des stratégies de reconnaissance ou de production de la métaphore, un même couple de notions nous est nécessaire : reconnaître ou produire une métaphore, c'est jouer de l'opposition entre sens propre et sens figuré. Il importe de souligner que, sous quelque forme que ce soit, cette opposition est indépassable. Ce qui veut dire que l'on ne peut se passer d'aucun de ses deux termes et que l'on peut renvoyer dos à dos tous ceux qui réduisent l'opposition à l'un des deux. Le langage n'est ni propre ni figuré : en revanche, l'existence des deux registres est une de ses propriétés fondamentales. Or c'est une propriété presque toujours ignorée ou sous-estimée : elle n'apparaît pas dans la liste des propriétés établie par HOCKETTet ALTMANN [HOCKETTet ALTMANN, 1968] ; et, chez JAKOBSON, elle disparaît dans le fourre-tout que constitue le pôle métaphorique, dans lequel voisinent les stratégies métalinguistiques et toutes les relations fondées sur la similarité. On voit, dans ce cas, le danger des dichotomies à valeur universelle : comment distinguer dans le pôle métaphorique l'usage métalinguistique, les synonymes, les paradigmes associatifs, les métaphores proprement dites ? L'analyse scientifique du langage passe par l'acceptation du multiple : la dichotomie propre-figuré est irréductible. Elle est aussi irréductible dans une perspective diachronique : il est contradictoire d'engendrer le propre à partir du figuré, ou le figuré à partir du propre, car les deux termes n'ont de sens que l'un par rapport à l'autre. Leur dualité est fonctionnelle et, ici encore, le progrès de la connaissance ne peut venir que d'une analyse plus fine de leur fonctionnement, d'une typologie de leur mode d'existence. Bornons-nous à rappeler quelques distinctions essentielles. Il y a d'un côté une opposition propre-figuré à l'intérieur de la signification d'un mot isolé, l'opposition lexicale propre-figuré : comme toute analyse lexicale, elle n'est qu'une coupe approximative, arbitraire et composite, qui prend en compte pour construire l'opposition des éléments génétiques en même temps qu'une compétence plus ou moins artificielle de locuteurs standard. A côté de cette opposition lexicale existe l'opposition discursive, qui ne se manifeste que dans les actes de parole. Il faut au moins en distinguer deux espèces, que nous appellerons l'opposition predicative — par exemple dans le schéma N Adj — et l'opposition classificatoire — dans le schéma le N1 est un N2 — . Dans l'opposition predicative le heurt entre propre et figuré naît du heurt entre sujet et prédicat de la proposition : il y a impertinence sémantique par rapport aux « contraintes » habituelles « de sélection ». Dans l'opposition classificatoire, le heurt naît de la classification d'un terme qui viole le schéma classificatoire accepté — lequel, en général, n'apparaît pas en tant que tel dans le discours, sauf en cas de fonctionnement métalinguistique. Contraintes de sélection et schémas classificatoires acceptés n'existent que d'une manière floue et approximative ; il y a donc toutes sortes de formes de transition entre prédication propre et prédication figurée, classification propre et classification figurée. C'est que, dans tous les cas, les stratégies sont les mêmes. La distinction entre le propre et le figuré est une construction qui, prenant en compte tous les éléments d'information disponibles au moment de l'acte de langage, éléments empruntés au signifié, au réfèrent et au contexte, oppose le figuré au propre lorsque l'écart est jugé trop grand entre prédication ou classification anciennes et prédication ou classification nouvelles. L'opposition entre le propre et le figuré n'est donc pas donnée, elle est construite. Mais l'hétérogénéité des éléments qui lui

38

Page 36: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

servent d'instruments ne doit pas en cacher l'unité. La métaphore est l'outil grâce auquel le langage n'est pas un code, mais un système symbolique en perpétuelle activité et en incessante transformation : l'opposition du propre et du figuré ne fait qu'inscrire dans la langue la dialectique essentielle entre la langue et le discours.

BIBLIOGRAPHIE

ABRAMS, M. H. 1953 — The Mirror and the Lamp, New York, Oxford University Press. ARNHEIM, R. 1976 — La pensée visuelle, Flammarion. ASH, S. 1958 — « The Metaphor : a Psychological Inquiry », in Person, Perception and

Interpersonal Behaviour, R. Tagini, L. Petrullo éd., New York. ASH, S. et NERLOVE, H. 1960 — « The Development of Double Function Terms in

Children », in Perspectives in Psychological Theory, B. Kaplan éd., New York. Bar-Hillel, Y. 1971 — « Out of the Pragmatic Wastebasket », in Linguistic Inquiry, II, n° 3, pp. 401-406.

Barwick, K. 1957 — Probléme der stoischen Sprachlehre und Rhetorik, Berlin. BlCKERTON, D. 1969 — « Prolegomena to a Linguistic Theory of Metaphor », in

Foundations of Language, vol. 5, n° 1. BLAIR, H. 1808 — Cours de Rhétorique et de Belles-Lettres, Genève, Manget et

Cherbulliez. BLONDEL, M. 1935 — « L'être et les êtres », in A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique

de la philosophie. BOLINGER, D. 1965 — « The Atomization of Meaning », in Language, vol. 41, n° 4. BORGES, J. L. 1964 — Histoire de l'infamie, histoire de l'éternité, 10/18. BRINKMANN, F. 1878 — Die Metaphern, Bonn, A. Marcus. BROWN, R. 1968 — Words and Things, New York, The Free Press. Chçmsky, N. 1965 — Aspects of the Theory of Syntax, Cambridge, M.I.T. Press. Demieville, P. 1962 — Anthologie de la poésie chinoise classique, Gallimard. Dubois, J., Edeline, F., Klinkenberg, J. M., Minguet, P., Pire, F., Trinon, H.

1970 — Rhétorique générale, Larousse. Encyclopédie, 1960 — Encyclopédie de l'Islam, Leiden, F. J. Brill, t. I. FONTAINE, J. 1959 — Isidore de Seville et la culture classique dans l'Espagne wisigothique,

Paris, Etudes Augustiennes. FONTANIER, P. 1968 — Les figures du discours, Flammarion. Genette, G. 1970 — « La rhétorique restreinte », in Communications, n° 16, pp. 158-171. GRACIAN, B. 1969 — Agudeza y arte de ingenio, Madrid, Castalia. GUENTHNER, F. 1975 — « On the Semantics of Metaphor », in Poetics, vol. 4, n° 2-3,

pp. 199-220. HENRY, A. 1971 — Métonymie et Métaphore, Paris, Klincksieck. HESSE, M. 1970 — Models and Analogies in Science, University of Notre-Dame Press. HOCKETT, С F. et ALTMAN, S. A-. 1968 — « A Note on Design Features », in

Animal Communication, T. A. Sebeok éd., Indiana U.P. JOHNSON, S. 1751 — Rambler n° 168, in HAWKES, 1962, Metaphor, Londres, Methuen et C°. Lacan, J. 1966 — Ecrits, Le Seuil. LENNEBERG, E. H. 1967 — Biological Foundations of Language, New York, Wiley et Sons. LEONDAR, B. 1975 — « Metaphor and Infant Cognition », in Poetics, vol. 4, n° 2-3,

pp. 273-287. LE ROUX DE Lincy, 1968 — Le livre des proverbes français, Genève, Slatkine Reprints. Lessing, G. E. 1766 — Laokoon oder iiber die Grenzen der Malerei und Poesie. MARMONTEL, 1879 — Eléments de Littérature, Firmin-Didot. MARROU, H. I. (1948) 1965 — Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, Le Seuil. MATTHEWS, R. J. 1971 — « Concerning a Linguistic Theory of Metaphor », in

Foundations of Language, 7, 3. METZ, Chr. 1977 — Le signifiant imaginaire, 10/18.

39

Page 37: Molino Jean, Solblin F., Tamine Joëlle. Présentation  Problèmes de la métaphore. In Langages, 12e année, n°54, 1979. pp. 5-

MOREAS, J. 1966 — « Le Symbolisme », in Manifeste littéraire de la Belle-Epoque, Bonner Mitchel éd., Seghers.

NYROP, Kr. 1913 — Grammaire historique de la langue française, t. IV, Copenhague, Nordisk Verlag.

PERELMAN, Ch., OLBRECHTS-TYTECA, L. 1970 — Traité de l'Argumentation, Bruxelles. PETERFALVI, J. M. 1970 — Recherches expérimentales sur le symbolisme phonétique. PlAGET, J. 1945 — La formation du symbole chez l'enfant, Neuchâtel, Delachaux et

Niestlé. RAYMOND, M. 1948 — « Du baroquisme et de la littérature baroque en France

aux XVIe et XVIIe siècles », in La profondeur et le rythme, Arthaud. RENOU, L. et alii, 1953 — L'Inde classique, t. II, Imprimerie Nationale. REVERDY, P. 1949 — Pensées sur la poésie, Gallimard. RlCOEUR, P. 1975 — La métaphore vive, Le Seuil. RlFFATERRE, M. 1969 — « La métaphore filée dans la poésie surréaliste », in Langue

Française, n° 3. SHIBLES, W. A. 1971 — Metaphor : an annotated bibliography and history, The Language

Press. Stoïciens, 1964 — Les stoïciens, trad. E. Brehier, Bibliothèque de la Pléiade. SOUBLIN, F. et TAMINE, J. 1977 — « Limites de la caractérisation syntaxique des méta

phores », in Analyse et validation dans l'étude des données textuelles, Editions du CNRS.

Tamine, J. 1972 — « Les métaphores chez Robespierre et Saint-Just », in Langue Française, n° 15.

TODOROV, T. 1966 — « Les anomalies sémantiques », in Langages, n° 1. ULLMANN, St. 1963 — The Principles of Semantics, Oxford, Blackwell.

— 1970 Semantics, Oxford, Blackwell. WATKINS, J. W. N. 1972 — In British Journal for Psychology, Feb. 1972, cité par

J. NiERAAD, Bildgesegnet und Bildverflucht. Darmstadt, Wissenschaftliche Buch- gesellschaft, 1977.

WELLEK, R. et WARREN, A. 1963 — Theory of Literature, Penguin Books. Wittgenstein, L. 1969 — L. Wittgenstein, par G. G. Grancer, Seghers. ZUMTHOR, P. 1978 — Le masque et la lumière, Le Seuil.

40