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Analyser les systèmes de gestion

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Résumé

Ce module étudie l’ensemble des systèmes de gestion à l’œuvre au cours d’une crise prolongée, leur évolution face aux diffi cultés et leurs interactions mutuelles, parfois confl ictuelles. Il insiste sur la nécessité de s’intéresser aussi bien aux établissements informels qu’aux institutions offi cielles. Il analyse en détail les outils de gestion de l’aide et examine l’étendue de la planifi cation des activités sanitaires et les conditions qu’elle doit remplir pour être effi cace dans un contexte dégradé. Il expose rapidement les diffi cultés de la réglementation des soins de santé en temps de crise et formule quelques remarques tirées des expériences de régénération de systèmes de gestion paralysés. Il se conclut par un examen des capacités et de leur développement dans un secteur de la santé perturbé.

L’Annexe 8 analyse la pertinence d’une approche sectorielle (SWAp) et sa faisabilité dans un contexte de crise, et décrit les instruments sectoriels qui permettraient de progresser.

Modules connexes :

Module 3. Comprendre le contexte passé, présent et futur du pays

Module 5. Comprendre les processus d’élaboration de la politique sanitaire

Module 6. Analyser le fi nancement et les dépenses du secteur de la santé

Module 9. Étudier le réseau de santé

Introduction

Une crise prolongée transforme les secteurs de la santé à un point tel qu’elle exclut toute possibilité de retour à la situation d’avant le confl it. Les personnels de santé autochtones sont confrontés (dans leur pays comme à l’étranger) à différentes méthodes de gestion. Dans une économie dollarisée qui oblige les responsables de la santé à revoir les modèles de service public établis, le secteur de la santé s’ouvre. L’effondrement des anciens systèmes encourage l’expérimentation et l’innovation. Toute intervention visant à préserver les systèmes de gestion existants d’un effondrement défi nitif, ou à rétablir leur fonctionnement élémentaire, doit accepter le fait que des changements sont inévitables.

Si certaines des distorsions du secteur de la santé dues à un confl it prolongé peuvent disparaître spontanément, d’autres sont solidement ancrées. Des modèles « culturels », concernant notamment la gestion des crises, les approches verticales et par projet, la vision à court terme, la dépendance vis-à-vis d’initiatives et de ressources extérieures, sont parfois encore visibles des années après la normalisation apparente du secteur. Une fois enracinées dans la pratique courante, ces distorsions ne se corrigent pas d’elles-mêmes mais requièrent une action délibérée.

Pour gérer effi cacement les changements de grande ampleur qui interviennent au cours d’une crise prolongée, il faut trouver un délicat équilibre entre les préoccupations présentes et les problèmes à venir. Une bonne perception des effets à long terme induits par les décisions prises en toute bonne foi pendant la guerre, par exemple la promotion d’approches verticales de la fourniture de services, permet de limiter leur impact négatif. Mais le plus souvent, on néglige les répercussions futures des mesures dictées par la crise. À l’inverse, des craintes déplacées sur la viabilité à terme des opérations dues à la crise peuvent donner lieu à des interventions inadaptées pour répondre aux problèmes présents. La capacité à tirer des leçons de l’expérience ne semble pas être la qualité première du secteur de l’aide (Berg 2000).

L’étude des systèmes de gestion dans un secteur de la santé en crise présente des diffi cultés particulières liées à leur désorganisation, à leur dispersion et à leur instabilité. La plupart des fonctions de gestion étant assurées par différents organismes (locaux ou étrangers) qui entretiennent des liens distendus et irréguliers, une bonne connaissance des systèmes existants ne peut passer que par des évaluations exhaustives. La cartographie du rôle des différents acteurs dans chaque branche de la gestion peut aider à voir plus clairement comment les tâches sont réellement exécutées et à trouver des solutions pour améliorer la situation.

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Évaluation de la dégradation des systèmes de gestion

La fourniture de soins de santé passe par l’exécution de plusieurs fonctions de gestion:

• Collecte et analyse des données

• Formulation de politiques, planifi cation et élaboration de programmes

• Gestion fi nancière

• Gestion du personnel

• Gestion des ressources

• Approvisionnement

• Réglementation

• Supervision et contrôle de la qualité

• Dans les secteurs de la santé fortement dépendants de l’aide, la coordination de cette aide doit également constituer l’une des composantes essentielles des systèmes de gestion, et englober la plupart des fonctions mentionnées ci-dessus. Pour plus d’informations, voir la section Gestion de l’aide dans le présent module et le Module 6.

Dans tous les systèmes, y compris dans les États les plus stables, chaque fonction est plus ou moins performante. En cas de crise, les variations et les extrêmes sont plus prononcés. Certaines fonctions sont soutenues ou relayées par les organismes d’aide, d’autres restent, du moins en théorie, sous l’entière responsabilité des autorités sanitaires locales. Si les capacités de ces autorités sont fortement dégradées, les fonctions qu’elles assument sont interrompues. Les organismes d’aide se montrent extrêmement pointilleux sur les fonctions qu’ils acceptent de soutenir ou d’assurer. Les donateurs évitent généralement de s’engager dans des domaines controversés. Et les autorités bénéfi ciaires se montrent parfois réticentes à abandonner des fonctions considérées comme essentielles à l’exercice de leur pouvoir. Ainsi, l’approvisionnement peut être généreusement fi nancé, voire pris en charge par des organismes extérieurs, sans qu’une réglementation permette de garantir une utilisation correcte des biens fournis. Les performances du système pâtissent de ces déséquilibres fonctionnels.

Lorsque les fonctions de l’État s’effondrent, comme ce fut le cas en Afghanistan et en Iraq, les systèmes de gestion de la santé se délitent et il ne reste plus grand-chose à analyser. Par ailleurs, les fonctions encore debout peuvent être tellement perturbées qu’elles paraissent fondamentalement défectueuses aux observateurs extérieurs, et que toute tentative visant à les relancer semble vouée à l’échec. À cet égard, il faut se garder de toute conclusion hâtive, la désorganisation observée dans les systèmes de gestion de la santé pouvant être due à un choc externe plutôt qu’à un défaut de conception intrinsèque. En d’autres termes, lorsque les fonctions de gestion s’arrêtent, on ne peut émettre que des hypothèses. La solidité d’un système de gestion ne peut être évaluée que lorsque celui-ci est en action.

Les études sur le fonctionnement des systèmes de gestion menées avant que ceux-ci ne s’effondrent peuvent fournir des indications utiles. L’examen des documents disponibles (règles et réglementation, anciens rapports et dossiers, description du rôle des responsables, etc.) permet également d’éclairer la question. On peut parfois y repérer des schémas obsolètes ou de graves incohérences entre des composants censés agir les uns sur les autres. Très souvent, il n’existe aucune description écrite des systèmes de gestion, ou ces descriptions sont trop éparses ou fragmentaires pour donner une indication fi able de l’état des systèmes avant la crise.

Il faut être très prudent lorsque l’on inspecte les structures ainsi que les règles et la réglementation offi cielles sur la gestion, car elles n’ont pas forcément grand-chose à voir avec les pratiques effectives. Les constructions théoriques détachées de la réalité sont monnaie courante. Et les informateurs peuvent être infl uencés par leur attachement aux pratiques en cours avant la crise. Leur diagnostic doit être interprété avec soin.

Les systèmes de gestion résultent d’une évolution sur des dizaines d’années, marquée occasionnellement par un changement brusque. Si ce changement ne s’enracine pas, les habitudes antérieures regagnent progressivement du terrain. Les compromis résultant des

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confl its de pouvoir entre différents acteurs sont fréquents. Certaines traditions sont si bien ancrées que les personnes en place sont incapables d’envisager d’autres approches. « Les pratiques administratives élémentaires restent imprimées dans l’esprit des fonctionnaires, anciens et actuels, même lorsque les structures ont cessé de fonctionner et que les documents ont disparu » (Cliffe, 2005).

Les traditions administratives peuvent ressurgir avec plus de vigueur encore à la fi n d’une crise prolongée, si l’État sinistré (et le groupe au pouvoir) survit. Si la capacité à résister à de grandes diffi cultés est interprétée comme la preuve d’une bonne organisation, qui se rendra compte qu’un changement radical s’impose ? Des mesures archaïques peuvent alors se maintenir malgré le processus de relèvement. On passe alors à côté de l’occasion de réformer le système offerte par la transition vers la paix. La fonction publique, enhardie par sa propre survie, impose son esprit conservateur. Le relèvement de l’Angola, dynamisé par d’abondants revenus pétroliers, est fortement marqué par ce phénomène.

Structures de gestion

Dans de nombreux pays, le secteur de la santé reproduit la structure administrative de l’État, avec un niveau central (national), des niveaux intermédiaires (provinces, régions ou États) et des niveaux périphériques (districts ou circonscriptions). Ces unités administratives peuvent être très anciennes et, pour cette raison, avoir acquis une grande importance aux yeux des populations locales. Certains pays qui adoptent une structure décentralisée ont auparavant éliminé le niveau intermédiaire ou en ont réduit les attributions. Dans certaines régions, les limites administratives ont été établies selon des critères ethniques.

La superfi cie et la population d’une unité administrative varient selon le pays et à l’intérieur même du pays. La population d’un district est généralement comprise entre 10 000 et 500 000 habitants. Les principaux paramètres à prendre en compte pour la gestion des services sanitaires sont la taille de la population à desservir, la zone à couvrir et les infrastructures de communication locales. Le découpage administratif théorique doit être rapproché des conditions et des contraintes réelles. Parfois, les autorités du district n’existent que sur le papier ou ont fui la zone qu’elles sont censées administrer. Et des mouvements de population importants peuvent vider de leur sens les données démographiques disponibles. En 2001, en République démocratique du Congo, le nombre d’unités administratives sanitaires est passé de 308 à 515. Cette restructuration ne s’étant accompagnée d’aucune allocation de ressources ou de capacités, de nombreuses « zones de santé » en sont restées au stade de constructions virtuelles.

Alors que les populations couvertes par un secteur administratif sont très différentes, les ministres de la Santé ont tendance à répartir la plupart des ressources importantes, qu’il s’agisse d’établissements de santé, de personnel, de fonds ou d’équipements, par unité administrative. De toute évidence, d’autres critères s’imposent. Un classement des districts selon la taille de la population permettrait d’appliquer des règles d’allocation des ressources différentes. On pourrait aussi rattacher les différentes ressources à d’autres indicateurs spécifi ques. Mais cette approche rationnelle suppose l’existence d’une base d’informations à jour et fi able et la capacité de traiter ces informations. Deux conditions rarement remplies dans un contexte d’instabilité. Dans certains cas, plutôt que de s’appuyer sur des critères offi ciels, les gestionnaires allouent les ressources en fonction des besoins sur le terrain. Dans certains arrangements informels, plusieurs districts se regroupent autour d’un hôpital de premier recours qui reçoit une grande part des ressources, parfois par le biais d’une ONG. Si ces solutions constituent une réponse au problème, elles sont par essence précaires, en particulier en cas de changement fréquent des gestionnaires.

Certaines autorités sanitaires ont tenté de compenser le décalage entre la structure administrative et les problèmes de prestation des soins en regroupant plusieurs districts dans une même unité de gestion des services sanitaires. Dans le Cambodge de l’après-confl it, le Plan national de couverture médicale a créé des districts opérationnels, autrement dit des unités autonomes rassemblant plusieurs districts contigus. Mais cette réforme justifi ée n’a pas reçu suffi samment de ressources et s’est heurtée sur plusieurs fronts à une forte

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résistance. Des années après sa création, le Plan national de couverture médicale n’a été que partiellement mis en œuvre. Pour plus d’informations, voir l’Annexe 12.

Dans certains cas, la structure de gestion est calquée sur le réseau de santé. Les hôpitaux occupent une place prépondérante, ils disposent de budgets autonomes et sont offi ciellement responsables du réseau périphérique. La plupart des hôpitaux s’étant développés de manière organique au fi l du temps, leur répartition et leur taille sont rarement adaptées. S’ils servent de modèle à la structure de gestion, celle-ci a peu de chances de répondre aux véritables besoins sanitaires. De plus, les hôpitaux sont par essence mal équipés pour les soins de santé primaires. Le plus souvent, cette conception obsolète entraîne une concentration des ressources et du pouvoir dans les établissements principaux, au détriment des niveaux de services inférieurs. Et risque de perturber le bon fonctionnement et l’effi cacité de la prestation des services, comme c’est le cas en Angola.

Certaines grandes villes organisent des systèmes de gestion particuliers, en s’appuyant sur l’expertise et les ressources fournies par les donateurs. Ces systèmes ont généralement pour but d’améliorer les performances des services de santé urbains, souvent médiocres malgré une certaine abondance de ressources et de compétences. La relative sécurité dont bénéfi cient les grandes villes en période de trouble, alliée au gonfl ement de leur population en raison des déplacements internes, attire les investissements dans les soins de santé urbains, souvent associés à des plans de gestion particuliers. Ces efforts, certes louables, creusent l’écart entre ces zones privilégiées et le reste du pays et parviennent rarement à résoudre les problèmes structurels à l’origine du mauvais fonctionnement des services de santé urbains. La rationalisation de la prestation des soins de santé en ville est toujours une entreprise diffi cile, semée d’embûches sur le plan organisationnel et politique. Pour approfondir ce sujet, voir le Module 7.

Évolution des pratiques de gestion induite par la crise

À mesure que la crise devient plus profonde et que l’aide s’accroît, les systèmes de gestion d’origine sont mis de côté ou abandonnés. Des habitudes de travail bien ancrées sont oubliées. La gestion de la crise l’emporte sur tout le reste. Les « bonnes pratiques de gestion » sont négligées et peuvent être remises en cause par les nouveaux venus. La coexistence de pratiques divergentes devient la règle. Des modèles de travail apparaissent, sont adoptés provisoirement puis rapidement remplacés.

À mesure que les responsables expérimentés partent et que les décisions sont prises par des collègues plus jeunes et des nouveaux venus, le savoir et la mémoire institutionnels disparaissent. Dans des crises profondes et prolongées, comme en Afghanistan ou en Somalie, la plupart des meilleurs cadres vont rejoindre les rangs de la diaspora. Lorsque la crise se termine, beaucoup restent à l’étranger, travaillent avec des organismes internationaux ou, s’ils reviennent, semblent totalement déphasés par rapport à la nouvelle situation.

Avec l’interruption des voies de communication et de contrôle, les fonctions de décision et de pouvoir se dispersent et se fragmentent. On doit désormais rendre des comptes aux organes ou aux personnes qui contrôlent les ressources. Les organismes d’aide internationaux et les ONG gagnent en infl uence par rapport aux autorités bénéfi ciaires, comme au Sud-Soudan. Leur diversité et leur autonomie empêchent toute mise en œuvre d’une politique cohérente. Les départements du ministère de la Santé travaillant sur des services ou sur des zones favorisées par les donateurs ont un accès privilégié aux fi nancements et se développent en conséquence. Ils acquièrent un statut spécial au sein du ministère et bénéfi cient d’une grande autonomie décisionnelle.

Sous la pression, les responsabilités des différents services de l’État se brouillent : les tâches, nouvelles ou anciennes, sont attribuées à des organes censés être capables de les exécuter, quelle que soit leur place dans l’architecture de gestion globale. Oubliés par les décideurs et soumis à des exigences toujours plus réduites, les services les moins effi caces stagnent, tout en conservant leur part de ressources et leur statut dans l’organisation, sans doute pour des raisons historiques ou politiques. Cette situation les préserve parfois d’une désintégration méritée. La capacité organisationnelle croît et décroît, essentiellement au gré

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des fi nancements accordés par les donateurs et des mouvements de personnes compétentes qui leur sont associés.

Parfois, la politique choisie échoue à cause d’une structure de gestion inadaptée à sa mise en œuvre. En période de crise, la réponse la plus fréquente à l’inadéquation des structures de gestion consiste à mettre en place une nouvelle structure spéciale. Au lieu de remplacer les anciennes structures, on en ajoute de nouvelles. Peu à peu, la plupart des structures de gestion en fonctionnement sont des structures « spéciales », provisoires dans leur conception initiale et leurs objectifs. Mais beaucoup perdureront après la crise pour devenir permanentes.

Le « laisser-faire » gagne du terrain chez les autorités bénéfi ciaires de l’aide. Sans certitude concernant la durée de leur mission et leur avenir, pleinement conscientes des limites de leur pouvoir, les autorités sanitaires centrales et locales tiennent un double langage. Au niveau politique, elles mettent en avant leur vocation à gouverner et déplorent, ou même s’offensent, d’être empêchées de le faire complètement.

En même temps, dans leur pratique quotidienne, elles n’exercent pas forcément tout leur pouvoir, acceptant l’une après l’autre la plupart des propositions faites par les donateurs, les banques de développement ou les ONG. Elles peuvent souscrire à des objectifs contradictoires, qualifi és même de « priorités ». Les négociations se transforment en cérémoniaux où les autorités bénéfi ciaires adoptent une attitude digne mais vide, et où les gestionnaires de l’aide se voient accorder toutes leurs exigences ou presque : leurs propositions sont validées, même si cette approbation repose rarement sur un engagement réel.

Et cela n’a rien de surprenant, puisque la plupart des conditions imposées par les organismes d’aide pour la mise en œuvre des programmes proposés ne peuvent être satisfaites par les autorités bénéfi ciaires. C’est par exemple le cas lorsqu’un bénéfi ciaire s’engage à prendre à sa charge les dépenses récurrentes et le personnel d’un établissement construit avec l’aide du donateur. Aucun responsable d’un secteur de la santé en crise ne peut raisonnablement être certain de pouvoir tenir une telle promesse. Désireux d’exploiter toutes les ressources disponibles pour répondre aux besoins sanitaires et conscients qu’ils pourront aisément justifi er le non-respect de leurs engagements, les représentants des autorités bénéfi ciaires préfèrent acquiescer à la plupart des propositions des donateurs, même celles qui leur semblent douteuses. Et si une administration publique émet des objections, il s’en trouvera une autre pour approuver sans discussion la proposition. Il en résulte un parti pris général de non-intervention, les représentants de l’État étant réduits au rôle d’observateurs (parfois de participants) des différentes initiatives mises en œuvre dans le domaine sanitaire.

Avec l’appui d’organismes d’aide étrangers, les programmes verticaux se multiplient. Les domaines négligés par les organismes d’aide sont très gravement touchés. La fragmentation des projets peut atteindre des degrés extrêmes, comme ce fut le cas dans l’Angola des années 1990, où une trentaine de programmes verticaux (réels dans certains cas, mais plus souvent virtuels) devaient appuyer un large éventail d’actions sanitaires. La création d’un programme spécial, si possible avec les ressources fournies par les donateurs, devient la riposte préférée à tous les problèmes. Dans un contexte de cloisonnement, il arrive alors que plusieurs programmes soient mis en place pour résoudre un même problème sanitaire. De plus, les limitations fi nancières peuvent restreindre le champ de certains systèmes de gestion à une poignée de provinces. La balkanisation est un phénomène courant.

En général, les programmes spéciaux instaurent des systèmes de gestion distincts qui se regroupent et s’étendent durant les crises prolongées. Ainsi, un même établissement peut recevoir des médicaments de différentes sources et rendre compte de ses activités à plusieurs autorités. Au Sud-Soudan, le programme pour l’éradication de la poliomyélite s’est appuyé sur un imposant système autonome sans commune mesure avec les services sanitaires généraux. Il avait établi ses propres frontières territoriales, laissant de côté celles observées soit par l’État central, soit par les autorités rebelles.

En cas de défaillance de l’État, la prestation des services est entièrement prise en charge par les organismes d’aide. La coopération habituelle entre les autorités nationales et les organismes d’aide donne lieu à des montages particuliers, comme ce fut le cas en République démocratique du Congo, au Libéria, en Somalie et au Sud-Soudan. Les partenaires s’efforcent

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de créer des mécanismes adaptés pour gérer les services et pour répondre aux exigences de sécurité accrues résultant le plus souvent de la défaillance des États. Les diffi cultés inhérentes à ces situations ne sont pas suffi samment étudiées. En Somalie, l’Organisme pour la coordination de l’aide en Somalie (SACB) mis en place par la communauté de l’aide constitue une expérience qui mérite un examen attentif (voir l’Étude de cas n° 12).

En cas d’effondrement total de l’État ou de création d’une nouvelle administration publique, déléguer la gestion des services de santé à des responsables sans expérience pratique et à des structures de gestion nouvellement créées pose des diffi cultés particulières. Parfois, les nouvelles autorités sanitaires insistent pour obtenir le contrôle des opérations, sans prendre la mesure des diffi cultés qui les attendent et des perturbations que peut causer un transfert de responsabilités brutal dans la prestation des soins de santé. Une approche progressive, qui offre d’abord aux responsables autochtones des occasions limitées et ciblées d’acquérir une expérience pratique, peut apporter une solution judicieuse à des problèmes de pouvoir et de légitimité controversés.

Il n’est pas rare que des structures de gestion héritées du passé se mêlent à des structures nouvelles issues d’initiatives disparates introduites au fi l du temps. En raison des intérêts qui sous-tendent la plupart de ces dispositifs, cette mosaïque est extrêmement diffi cile à rationaliser.

Gestion de l’aide

La dispersion de l’aide extérieure entre différents organismes et intermédiaires, en particulier au plus fort d’une situation d’urgence complexe ou en cas de défaillance de l’État, est la norme. Par ailleurs, de nombreux organismes d’aide souffrent d’un morcellement interne important, avec différents niveaux de hiérarchie, de programmes et d’initiatives. Au sein des grandes organisations, les actions sans cohérence ou les instructions contradictoires se multiplient.

Le mécontentement dû aux effets secondaires de cette fragmentation a conduit à expérimenter de nouveaux outils de gestion de l’aide, notamment les fonds fi duciaires ou les fonds communs. Lors des périodes de transition de la guerre à la paix, il devient encore plus nécessaire de partager des canaux pour permettre aux ressources externes de circuler en toute transparence. L’urgence de remettre l’État sur pied, les énormes exigences de reconstruction malgré des capacités d’absorption limitées et le nouveau climat de planifi cation favorisent la mise en place d’instruments de fi nancement compatibles avec des systèmes de gestion des fi nances publiques standard. Ces instruments fi nanciers peuvent être gérés par des institutions comme la Banque mondiale, le PNUD ou l’UNICEF, ou être exploités conjointement par ces organismes et par les autorités bénéfi ciaires. Dans certains cas, des structures spécialisées sont créées pour les gérer.

Les procédures que les organismes internationaux sont contraints d’appliquer aux instruments de gestion de l’aide qu’ils exploitent sont souvent inadaptées au contexte et trop lourdes pour les capacités locales. Au Timor-Leste, « La contrainte la plus importante, lorsqu’on travaille avec la Banque mondiale, tient en un mot : achats. Le premier aspect de ce problème est l’importance attachée aux règles d’achat qui, à certains moments et pour certains membres du personnel de la Banque mondiale, semblent tourner à l’obsession. Si le désir de se protéger de toute corruption et de toute collusion se justifi e, la volonté d’éviter tout soupçon d’infraction aux règles de passation des marchés peut mener à une application beaucoup trop rigide de ces règles. » (Tulloch et al., 2003).

En période de transition, il convient de ménager un équilibre délicat entre le maintien de multiples options permettant d’assurer les fonctions élémentaires même si certains programmes s’avèrent inopérants, et la correction du morcellement généré au cours de la période d’urgence. L’intégration des mécanismes de fi nancement déjà en place dans des mécanismes plus vastes peut contribuer à rationaliser la gestion de l’aide sans risquer de paralyser les opérations ou d’accaparer trop d’attention.

L’expérience montre que les instruments communs de gestion de l’aide exigent un temps de préparation important, entraînent des coûts élevés de mise en œuvre, suscitent des polémiques liées à la modifi cation des relations de pouvoir et progressent de façon irrégulière.

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Ces défauts doivent être mis en balance avec leurs résultats potentiellement importants en termes d’effi cacité opérationnelle, de transparence et de renforcement des capacités.

Seuls les organismes prêts à investir massivement dans des processus à long terme doivent envisager de recourir à ces outils de gestion de l’aide, et uniquement après une évaluation complète du contexte et des conditions favorables à leur instauration. Si les bénéfi ciaires, désireux de contrôler au moins partiellement les apports des donateurs, peuvent accepter des conditions contraignantes pour l’instauration de ces mécanismes (par exemple, l’ouverture de leurs livres comptables à des vérifi cateurs indépendants), ils risquent de ne pas se rendre compte de toutes leurs implications. Un temps d’observation réciproque est généralement nécessaire aux bailleurs de fonds et aux bénéfi ciaires avant qu’ils puissent saisir les aspects essentiels de leur nouveau mode de fonctionnement. Les deux partenaires doivent absolument comprendre que cette restructuration suppose un profond changement dans leurs habitudes de travail et leurs règles de procédure.

En raison des limitations de la capacité d’absorption qui pèsent sur le relèvement du secteur à la fi n d’un long confl it, l’instauration de nouveaux outils de gestion de l’aide (même s’ils sont d’un montant fi nancier et d’une portée limitées) en période de guerre peut permettre de gagner du temps par la suite. Ainsi, les ressources supplémentaires accordées pour soutenir le relèvement après un accord de paix pourront passer par des instruments qui ont fait leurs preuves, évitant les retards ou les interruptions. Malgré son importance, cet élément est souvent négligé par les représentants des donateurs, qui attendent généralement qu’une avancée politique se matérialise avant d’engager des négociations sur l’instauration de nouveaux instruments de gestion de l’aide.

Pour un examen complet des instruments d’aide, voir Leader et Colenso (2005). L’OMS a mené une étude riche d’enseignements sur l’évolution récente de la gestion de l’aide au niveau international dans le domaine de la santé (2008).

Fonds fi duciaires multidonateurs

Pour gérer les fl ux d’aide, des fonds fi duciaires multidonateurs (MDTF) ont été créés dans plusieurs pays en transition (Afghanistan, Bosnie-Herzégovine, Iraq, Soudan, Timor-Leste, ainsi que la Cisjordanie et la Bande de Gaza ). Randel, Mowjee et Jacquand défi nissent les MDTF (2006) comme des « ... mécanismes de fi nancement, spécifi ques à chaque pays, qui reçoivent de la part de plusieurs donateurs des contributions qui sont regroupées et versées par un Administrateur à différents bénéfi ciaires (État, ONU, ONG, selon le type de gouvernance et les objectifs poursuivis) ». Avec le temps et l’expérience, les MDTF ont évolué. Il existe actuellement des MDTF très différents les uns des autres, aucun modèle standard n’ayant encore émergé. Il s’agit généralement de mécanismes extrêmement structurés sur le plan des procédures et des dispositions juridiques.

Les MDTF comptent parmi les instruments fi nanciers préférés des organismes de prêt internationaux. Ils séduisent les donateurs pour l’importance des fl ux fi nanciers qu’ils permettent, y compris dans des pays dont les systèmes internes de gestion des dépenses publiques sont inadaptés. Par ailleurs, les petits donateurs qui ne sont pas présents dans le pays peuvent y participer, pour un coût réduit et sans courir de risques fi duciaires importants. Dans les contextes diffi ciles tels que celui de l’Iraq, les donateurs choisissent de passer par les MDTF pour éviter une publicité indésirable et les mesures de rétorsion qui pourraient en découler. En outre, l’instauration de ces instruments permet de ménager les sensibilités politiques typiques des processus de transition, notamment celles provoquées par les gouvernements de coalition.

Lorsqu’une instance intérimaire remplace le gouvernement national, une part importante des subventions des donateurs peut transiter par des fonds fi duciaires gérés par des organismes internationaux. En l’absence de recettes intérieures, ces fonds représentent souvent l’essentiel des fi nancements à la disposition du secteur public

En général, les MDTF couvrent tout un éventail de dépenses du secteur public, des lignes budgétaires courantes aux investissements liés à la reconstruction. Des MDTF avec des destinations différentes et gérés par des organismes distincts peuvent coexister. Tel MDTF

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prendra en charge les dépenses récurrentes d’un secteur public en reconstruction (ou entièrement recréé), tel autre sera consacré à des projets défendus par des ONG. Les actions humanitaires sont, elles, généralement fi nancées par d’autres mécanismes. De même, les dépenses liées à l’armée, à la police et aux prisons peuvent ne pas entrer dans le mandat de certains MDTF, soit parce que certains donateurs hésitent à s’impliquer dans des activités aussi sensibles ou parce qu’il existe des règlements interdisant expressément à certaines institutions de les fi nancer.

Des MDTF ont également été instaurés dans des contextes contestés ou morcelés, comme en Bosnie-Herzégovine, où coexistent plusieurs organismes gouvernementaux et où les donateurs ont des stratégies contradictoires. Dans de tels contextes, les fonds fi duciaires sectoriels ou thématiques ont tendance à prévaloir. Les conditions imposées par les donateurs pour orienter leurs contributions vers tel ou tel MDTF peuvent nuire à la cohérence globale des allocations. Si le fonds fi duciaire représente une amélioration sensible en termes de procédures fi nancières, son profi l de dépense peut rester déséquilibré.

Les secteurs ou les zones qui ont la faveur de certains donateurs restent parfois hors du champ d’action des MDTF généralistes. Parce que le secteur de la santé bénéfi cie de mécanismes de fi nancement privilégiés directement négociés entre les donateurs, les ONG et les autorités sanitaires, les responsables sanitaires considèrent souvent les MDTF généralistes comme des solutions de fi nancement de second plan.

Les MDTF ont une fonction à la fois fi duciaire et exécutive. En outre, dans de nombreux cas, ils doivent également endosser les fonctions de fi nancement d’un gouvernement embryonnaire. Toutes les fonctions d’un MDTF nécessitent un renforcement des capacités. Naturellement, concilier tous ces éléments dans un système équilibré présente bien des diffi cultés. « Les MDTF de l’après-crise ne sont pas simplement des mécanismes fi nanciers, ils infl uent aussi sur les comportements. On observe qu’ils favorisent l’harmonisation entre donateurs et l’alignement des fi nancements sur un plan national, et qu’ils encouragent les gouvernements à s’engager et les exécutants à collaborer. Mais un fi nancement commun n’aboutit pas forcément à une coordination. À ce jour, l’expérience montre que le mode de gestion des fonds peut avoir un impact important sur les changements de comportement qu’il encourage » (Randel, Mowjee et Jacquand, 2006).

Lorsque les bonnes pratiques de gestion des dépenses publiques ont été abandonnées depuis longtemps, les MDTF montrent comment les transactions fi nancières devraient se dérouler dans un secteur public normalisé. Les futurs gestionnaires publics, s’ils en ont la possibilité, peuvent se servir de ce terrain d’apprentissage pour acquérir la discipline et les compétences procédurales dont ils auront besoin plus tard pour traiter avec des organes de contrôle tels que le ministère des Finances.

Un MDTF est généralement administré par une banque de développement ou une agence des Nations Unies pour le compte des donateurs, réunis dans une sorte de conseil d’administration. L’administrateur dialogue avec l’organisme de gestion de l’aide du gouvernement, qui peut être le ministère de la Planifi cation, des Finances ou de la Coopération, ou être hébergé par l’un de ces ministères. Dans certains pays, comme l’Afghanistan, où l’État s’est effondré, le gouvernement a instauré un organisme de gestion de l’aide, sous la forme d’une instance intérimaire chargée d’assumer les fonctions des tout nouveaux ministères jusqu’à ce que ceux-ci aient acquis les capacités suffi santes. Parfois, certaines fonctions fi duciaires sont confi ées à un agent de contrôle extérieur (en général, une société multinationale) qui intervient au nom de l’administrateur et de l’organisme de gestion de l’aide. Ce dispositif particulier facilite les rapports entre les principales parties et désamorce les tensions en cas de diffi cultés.

L’expérience acquise à ce jour indique que la fonction fi duciaire des MDTF est généralement correctement remplie. Dans le chaos qui entoure l’effondrement d’un État, une gestion fi nancière effi cace et transparente est de toute évidence une belle réussite. Mais le coût à payer peut être élevé : ralentissement des opérations et entrave à l’émergence d’institutions autochtones. Par ailleurs, les règles de procédure peuvent compliquer la réaction à des événements imprévus. Des problèmes opérationnels urgents peuvent reléguer au second plan

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le 8 Étude de cas n°12

Coordonner l’aide dans le vide politique de la Somalie

Depuis 1991, la Somalie représente pour le système d’aide international un environnement de travail inhabituel : structures publiques affaiblies ou absentes, factions semant le trouble, persistance de réseaux politiques et économiques informels et, dans certaines régions, violence endémique. Pour trouver des solutions stratégiques et opérationnelles viables, les intervenants extérieurs ont été contraints d’expérimenter des méthodes originales. Le renforcement de la coordination de l’aide représentait un enjeu crucial dans un contexte aussi éclaté. Les méthodes utilisées pour y parvenir méritent qu’on s’y arrête.

L’Organisme pour la coordination de l’aide en Somalie (SACB), créé à Nairobi en 1994, a constitué une tribune permanente où les problèmes humanitaires et les questions de développement étaient débattues, où les informations étaient collectées et diffusées, où les réactions aux crises étaient planifi ées, et où se négociaient des positions et des actions communes. C’est également là que les acteurs intéressés se partageaient les informations relatives à la sécurité, afi n d’harmoniser leurs réactions en cas d’incident. Le SACB a recueilli des données de qualité croissante sur les fl ux d’aide vers la Somalie, éclairant ainsi un sujet d’une grande opacité. La participation se faisait sur la base du volontariat et était ouverte (sur un pied d’égalité) aux donateurs, aux agences de l’ONU et aux ONG. Les décisions y étaient prises par consensus ou, en cas de désaccord, à la majorité. La participation d’intervenants non occidentaux était très limitée. Étant donné le poids des œuvres caritatives islamiques en Somalie, leur absence du SACB était un inconvénient de taille.

Le Comité d’orientation sanitaire du SACB se démarquait par son infl uence et son effi cacité. Au fi l des ans, il a accumulé de vastes connaissances sur les questions de santé en Somalie, tout en renforçant son réseau de contacts et de collaborateurs. C’est lui qui a encouragé l’élaboration d’un cadre sanitaire stratégique et il a réussi à mobiliser d’importantes ressources de l’Alliance GAVI et du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme (FMLSTP), prenant de fait la place laissée libre par des autorités sanitaires défaillantes. En cas de catastrophe ou d’épidémie, il était en première ligne.

Comme d’autres dispositifs de coordination très en vue, le SACB était sujet à controverse, ses détracteurs et ses partisans s’exprimant avec la même force. Les critiques lui reprochaient son installation à Nairobi, la participation insuffi sante des Somaliens, les coûts à la charge des intervenants qui devaient assister à des réunions fréquentes, et l’impact très limité des codes et des directives produits par le SACB. À ces reproches justifi és, il faut ajouter que malgré des années de collaboration, aucun instrument effi cace de gestion de l’aide (fonds commun ou fonds fi duciaire) n’a été mis en place. Le Comité d’orientation sanitaire a été accusé de faire pression sur les participants pour qu’ils adhèrent aux initiatives et aux conduites fi xées. De toute évidence, certains intervenants n’étaient pas prêts à renoncer à la liberté d’action dont ils bénéfi ciaient ou à rendre totalement compte des fonds perçus.

Dans les réalisations du SACB comme dans les diffi cultés traversées, des éléments personnels ont joué un rôle prépondérant. Malgré les critiques, le SACB a tenu bon et a conservé un rôle central dans la plupart des transactions, en particulier dans le secteur de la santé. Des partenaires ont continué de le soutenir, ou tout au moins de tolérer son existence. Le SACB était tout bonnement trop utile pour être fermé tant qu’il n’existait pas de meilleur dispositif.

La frilosité des donateurs à prendre des engagements fermes dans un contexte troublé et volatil, la faiblesse de l’aide et l’absence d’interlocuteurs autochtones crédibles expliquent en partie les carences imputées au SACB. L’organisation d’une coordination étroite peut être tout simplement impossible dans le contexte politique et les conditions de sécurité de la Somalie. Le SACB a aussi souffert des rivalités au sein du système d’aide. Sa mission de coordination a été remise en cause par des organismes désireux de prendre sa place, du moins dans certains secteurs. Les querelles de ce type sont courantes dans des climats aussi éclatés, obscurs et instables que celui de la Somalie. Elles doivent être prises en compte par tous ceux qui désirent instaurer des mécanismes effi caces de gestion de l’aide dans un pays sinistré.

En 2006, le SACB a pris le nom de Coordination of International Support to Somalis (CISS). Le CISS travaille par le biais d’un réseau de comités, dont un qui se consacre au secteur de la santé, avec l’appui du Somali Support Secretariat (SSS). Il n’est pas certain que le changement de nom se soit accompagné d’un changement de fonctions et d’une meilleure effi cacité. En fait, les diffi cultés auxquelles sont confrontés les partenaires sont toujours aussi redoutables.

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le renforcement durable des capacités. Des occasions d’apprendre peuvent être manquées. Et la réussite même de la fonction fi duciaire d’un fonds peut en prolonger l’existence plus que ne l’exigerait le développement des institutions. « Les organismes de gestion de l’aide sont plus faciles à instaurer qu’à fermer. Dans le pire des cas, elles deviennent un pouvoir au sein du pouvoir, elles participent à l’exécution de tous les projets et s’enlisent dans la corruption. » (Mckechnie, 2003).

Les relations entre la Banque mondiale et les Nations Unies créent aussi des problèmes, en raison de leurs impératifs et de leurs habitudes de travail différents, de la diversité des pratiques fi nancières au sein de la famille onusienne, des confl its d’intérêts qui apparaissent lorsque ces agences doivent décider de leur propre fi nancement, et de l’insistance de certains donateurs à affecter leur contribution à un projet particulier. Concilier les impératifs juridiques et administratifs des différents partenaires d’un même mécanisme constitue un défi constant, qui a conduit plusieurs fois à l’élaboration de systèmes bien trop complexes. Par ailleurs, la promesse d’affecter les fonds de façon rationnelle entre les différents postes de dépenses publiques peut rester lettre morte si les plans de relèvement nationaux ne sont qu’un inventaire des demandes d’allocation de fonds, sans aucun ordre de priorité.

Il y a des avantages considérables à faire passer une grande partie de l’assistance extérieure par un MDTF. Pour en bénéfi cier au maximum, plusieurs conditions doivent être remplies. Il convient de suivre des macro-politiques solides, étroitement liées aux stratégies de relèvement sectoriel. Le nouveau gouvernement doit bénéfi cier d’une certaine crédibilité. Les donateurs doivent apporter une assistance régulière au pays, et mener des actions en cohérence avec la politique générale choisie. De leur côté, les capacités locales doivent être à la hauteur de la tâche. Si cette dernière condition n’est pas remplie, il y a de fortes chances que le fonds fi duciaire joue son rôle de relais beaucoup plus longtemps que prévu.

La cohérence de l’allocation des ressources en relation avec les dépenses sectorielles dépend dans une large mesure du niveau de participation des donateurs au(x) MDTF. Si des bailleurs de fonds majeurs choisissent de ne pas passer par un MDTF, ou si les donateurs participants continuent de verser des fi nancements importants sans passer par le MDTF, des distorsions peuvent subsister dans les dépenses. Il est donc essentiel de parvenir à une masse critique de donateurs si l’on veut que les MDTF constituent des instruments de programmation sectoriels effi caces.

Pour plus d’informations sur les MDTF, voir Schiavo-Campo (2003) ainsi que Randel, Mowjee et Jacquand (2006).

Fonds communs

Les fonds communs sont généralement plus restreints et moins structurés que les MDTF. Dans la plupart des cas, ils sont spécialement destinés à un secteur ou à un sous-secteur. Ils sont parfois mis en place pour couvrir les dépenses publiques non prises en charge par les MDTF ou pour apporter une solution fi nancière souple à des besoins urgents ou imprévus. Les partenaires peuvent également opter pour ce type d’instrument pour écarter les donateurs de fonctions stratégiques telles que l’élaboration des politiques publiques.

Les systèmes de mise en commun peuvent prendre en charge des lignes budgétaires particulières qui dépendent largement de l’aide et intéressent de nombreux donateurs. Les fonds communs destinés à l’achat de médicaments en constituent l’exemple parfait. La mise en commun peut aussi constituer une première approche pour les donateurs qui souhaitent coopérer avec les autorités mais hésitent à prendre des engagements fermes avant d’avoir fait l’essai d’une collaboration concrète.

Au niveau sectoriel, la mise en commun des fonds des donateurs est intéressante à plusieurs égards. Elle simplifi e et stabilise les fl ux d’aide, renforce la transparence des opérations d’assistance, abaisse (ou, mieux, uniformise) les conditions attachées aux contributions des donateurs, unifi e les exigences de communication d’informations et favorise la prise de décisions cohérentes. En outre, la mise en commun permet aux bénéfi ciaires et aux bailleurs de fonds d’acquérir une connaissance mutuelle de leurs objectifs, perceptions et modes opératoires.

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Comme les autres formes de coordination, la mise en commun des contributions exige un effort soutenu et durable. Les coûts de transaction peuvent rester élevés. De plus, l’impact de la mise en commun en termes d’appropriation est mitigé. Lorsqu’elles sont chargées de la gestion quotidienne, les autorités bénéfi ciaires de l’aide jouissent généralement d’une plus grande latitude dans la programmation ; en contrepartie, elles doivent permettre aux donateurs de participer aux choix stratégiques. Les systèmes de mise en commun des contributions sont courants dans les pays où les autorités sont affaiblies, voire absentes, et où les donateurs jouent un rôle qui dépasse celui de simples organismes de fi nancement.

L’importance de la reddition des comptes pour les donateurs les amène parfois à se focaliser sur les mécanismes fi nanciers sans clarifi er les objectifs ultimes des dépenses prises en charge. Parce qu’ils concentrent trop de ressources sur certains domaines (et pas nécessairement les plus importants) au détriment des autres, les fonds communs consacrés à une ligne budgétaire particulière peuvent entraîner des distorsions dans l’ensemble du secteur. Une étude sur les dépenses sectorielles donne aux partenaires une idée plus globale des fl ux fi nanciers et peut les encourager à adapter leurs contributions en conséquence.

Fonds communs pour l’action humanitaire

En 2006, lors de la réforme du système international d’aide humanitaire, des fonds communs ont été mis en place au Soudan et en République démocratique du Congo. En contraignant les agences des Nations Unies et les ONG participantes à négocier des programmes de travail annuels pour l’ensemble du pays, ces fonds ont renforcé la planifi cation et la coordination de l’action humanitaire dans ces deux pays. Toutefois, certains défauts bien connus des opérations d’aide (décaissements imprévisibles, lourdeur des procédures et des exigences des donateurs, coûts de transaction élevés et confl its d’intérêts) n’ont pas trouvé de solution. Certains de ces défauts devraient disparaître quand les systèmes parviendront à maturité, mais d’autres sont sans doute d’ordre structurel. Globalement, les fonds communs, tels qu’ils sont gérés au Soudan et en République démocratique du Congo, sont perçus comme des améliorations notables par rapport aux habituelles procédures d’appel global (Stoddard et al., 2006).

Cependant, ces systèmes présentent pour les participants d’énormes diffi cultés techniques, procédurales et politiques. La plupart des organismes impliqués ont été incapables (ou peu désireux) de revoir leur fonctionnement interne pour s’adapter aux nouveaux instruments fi nanciers. Il n’est pas certain que les fonds communs fassent suffi samment pression sur les donateurs, les agences des Nations Unies et les ONG pour qu’ils modifi ent leurs procédures internes et leurs habitudes de travail. Dans les grands pays fortement perturbés, l’élaboration d’un programme annuel d’action humanitaire couvrant la plupart des secteurs et des intervenants pose des diffi cultés insurmontables. En République démocratique du Congo, l’évaluation des besoins qui devait servir de base à la formulation du plan d’action humanitaire a mobilisé une équipe de trente personnes pendant plus de deux mois. Face à une information toujours insuffi sante, la répartition des fonds entre différents secteurs, régions et interventions suppose des arbitrages délicats et souvent subjectifs. Mais une fois la décision prise, la cohérence globale s’en trouve remarquablement renforcée. L’autre diffi culté tient au besoin de souplesse et de capacité d’adaptation rapide à l’évolution des conditions réelles. Ces impératifs requièrent des capacités de renseignement permanentes et indépendantes, soutenues par des systèmes de gestion solides.

Devant les perspectives ouvertes par ces fonds et les résultats encourageants obtenus au cours de leur première année d’existence, il est probable que les donateurs pousseront à la création de fonds similaires dans d’autres pays en crise. Pour de plus amples informations, voir Stoddard et al., 2006.

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Étude de cas n° 13 Soutien budgétaire aux dépenses récurrentes du secteur

provincial de la santé au Mozambique dans les années 1990

Le soutien budgétaire sectoriel a été instauré vers la fi n de la guerre (1992) pour combler le défi cit de fi nancement et maintenir à fl ot des services de santé sous-dotés et délabrés. Avec le temps, il a évolué jusqu’à jouer un rôle majeur dans l’expansion des services observée dans la décennie suivante. Au départ, ce programme devait passer par les circuits de gestion fi nancière de l’État, conformément aux procédures de décision du pays. Mais plusieurs obstacles sérieux (délabrement des systèmes de management de l’État, manque de fi abilité de la base d’informations et habitudes discutables en matière d’établissement des priorités) en ont retardé la mise en œuvre et ont imposé de nombreuses révisions de sa conception. Toutefois, la disponibilité d’argent frais non affecté a fortement encouragé les responsables locaux à mettre en ordre leurs systèmes de management.

Délibérément lié à la production de services, ce soutien budgétaire sectoriel favorisait l’utilisation des systèmes d’informations existants, qui s’en sont trouvés renforcés. Après quelques années d’efforts soutenus et grâce au solide appui technique fourni par le donateur impliqué, la plupart des provinces ont pu exploiter ces ressources fi nancières, les allouer de façon cohérente et rendre compte des dépenses de façon acceptable pour le bailleur de fonds. Les années suivantes, la couverture des services sanitaires s’est considérablement étendue et les grands déséquilibres dans la prestation se sont réduits. La capacité de décision au niveau des provinces a largement bénéfi cié d’un canal de fi nancement souple, conçu pour compléter les mécanismes de fi nancement de l’État et en limiter les défauts.

En outre, ce programme a contraint les partenaires à examiner toutes les ressources allouées aux provinces et districts, afi n d’orienter le soutien budgétaire de façon à combler les lacunes les plus graves. La disponibilité de fonds non affectés a permis de réduire la fragmentation induite par les programmes spéciaux et les opérations ont beaucoup gagné en effi cience.

Les informations recueillies par le biais des travaux de programmation provinciale ont permis d’analyser les schémas de ressources et de production au niveau national, ce qui, à son tour, a infl ué sur la structure du budget de l’État et sur les décisions allocatives de certains donateurs. La coordination a pu être renforcée. D’autres donateurs ont rejoint le programme, apportant un modèle opérationnel pour les discussions sur les approches sectorielles (SWAp) qui ont débuté vers la fi n des années 1990. En outre, les pratiques de programmation et de comptabilité acquises à l’occasion de la gestion de ce soutien budgétaire sectoriel ont permis au secteur de la santé d’absorber des subventions de l’État de plus en plus importantes.

Le processus n’est pas allé sans heurts. Le plus facile a été de surmonter les faiblesses techniques. Mais au sein de l’administration publique, la résistance au changement était forte. L’amélioration des pratiques de gestion a mis en lumière les lacunes techniques et les mauvaises pratiques délibérées de nombreux fonctionnaires. Parmi ces derniers, ceux de l’administration centrale n’ont guère apprécié de perdre la maîtrise des décisions d’allocation provinciale qu’impliquait ce mode de fi nancement. De nombreux donateurs habitués à contrôler de près les fonds attribués se sont montrés sceptiques. Face à une intervention de plus en plus présente et infl uente, certains organismes donateurs majeurs se sont sentis mis sur la touche. Mais le fait même que le programme ait perduré et soit parvenu à se développer au cours de plus d’une décennie d’existence est bien la preuve de son intérêt intrinsèque pour les partenaires concernés. Finalement, il a été absorbé dans des dispositifs plus vastes de gestion de l’aide.

Lorsque le programme a été lancé, la plupart de ses effets à long terme les plus intéressants n’avaient pas été envisagés. Cette initiative presque désespérée, instaurée dans le contexte le moins propice qui soit, a contribué au-delà des espérances au relèvement des services de santé. Plusieurs facteurs expliquent cette réussite, notamment l’intégration du programme aux systèmes autochtones, sa croissance progressive selon les avancées observées, une bonne résistance aux nombreuses crises traversées, l’ouverture à l’innovation et au changement, une excellente connaissance de la situation locale et une certaine dose de prise de risque.

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Comparaison des atouts et des faiblesses des prestataires de soins de santé publics et privés

La privatisation des soins de santé passe par différents mécanismes, dans certains cas offi ciels, mais le plus souvent informels. La pratique individuelle privée l’emporte sur les systèmes institutionnels. Les zones d’ombre sont nombreuses, les intervenants étant peu désireux de clarifi er les rôles, les responsabilités et les régimes de propriété. Si le discours offi ciel insiste sur la séparation, voire la concurrence entre les sous-secteurs public et privé, les comportements sur le terrain sont marqués par une grande connivence. Le transfert ou l’utilisation gratuite de moyens publics pour générer des recettes privées sont monnaie courante. Médicaments, équipements, locaux permettent de compenser la faiblesse des salaires dans le secteur public.

Dans le secteur privé, la décision d’investir dans des actifs du secteur de la santé tels que des installations, des équipements ou de la formation, est généralement prise isolément. En Somalie, les membres de la diaspora fi nancent ainsi de nouveaux hôpitaux et des services spécialisés, que ces derniers répondent ou non à un besoin. Les hôpitaux caritatifs sont souvent situés près des missions qui en sont propriétaires, même si elles se trouvent loin des centres de population et des routes principales. Les organismes d’aide d’urgence hésitent parfois à négocier avec les autorités locales et avec d’autres acteurs le champ d’action, la taille et l’emplacement de leurs services de santé. Ailleurs, des prestataires privés à but non lucratif seront capables d’attirer une aide extérieure conséquente, et de proposer ainsi des services de santé d’une plus grande technicité. À mesure que la qualité des services est reconnue par la population, la zone de desserte s’étend. Dans les localités où les services de santé se sont effondrés, les ONG bien intentionnées peuvent se trouver dépassées par cette explosion de la demande.

Par défi nition, les prestataires de soins de santé à but lucratif obéissent à des considérations commerciales, souvent en l’absence totale de réglementation. Finalement, le prétendu dosage public-privé peut être tellement irrationnel et déséquilibré qu’il rend impossible toute intégration véritable de ses éléments disparates. L’Étude de cas n° 14 en propose une illustration éloquente.

Après des années de privatisation galopante et de marchandisation de la fourniture des soins de santé observées lors des crises les plus graves, on peut raisonnablement considérer que la plupart des agents et des établissements de santé se comportent comme des acteurs privés. L’attrait du profi t étant bien présent et bien ancré, inverser cet état de fait sera sans doute impossible. C’est pourquoi il faut résister à la tentation de rétablir un vaste secteur public. L’acceptation du rôle central joué par les acteurs privés dans la prestation des services de santé dans la plupart des pays en proie à la guerre doit pousser les décideurs du secteur public à engager une véritable révolution culturelle.

Malheureusement, l’idéologie fausse les débats sur la prestation des services de santé publics et privés. Les généralisations excessives concernant le sous-secteur de la santé privé ne rendent pas compte de son hétérogénéité intrinsèque. Les rares informations pertinentes disponibles se heurtent à des croyances tenaces. Les prestataires privés ont donné lieu à trop peu d’études (et à trop de spéculations) dans la plupart des pays en guerre ou en transition. Une enquête approfondie sur ces prestataires privés s’impose partout où ils occupent une place importante dans le secteur de la santé et où des décisions de politiques publiques vitales doivent être prises, autrement dit dans la plupart des secteurs de la santé qui passent d’un état de guerre à la paix. Il faut étudier la fourniture de soins de santé, formelle ou informelle, par le secteur privé, comprendre les modèles d’entreprise dominants et identifi er des incitations effi caces pour les prestataires de soins.

Mais une étude de ce type présente de grandes diffi cultés et nécessite une préparation et une réalisation soigneuses. En outre, l’évaluation des résultats ne doit pas être infl uencée par des considérations idéologiques. Pour être vraiment utile, une étude de la prestation des soins de santé par le secteur privé doit porter sur les opérateurs formels et informels, ainsi que sur leurs relations avec les autorités sanitaires publiques. Mais il s’agit là d’un point sensible dont l’examen risque de soulever des polémiques. Il n’existe à notre connaissance aucune

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étude de ce type réalisée dans un pays en crise. La République démocratique du Congo ou la Somalie se prêteraient parfaitement à une telle enquête, si tant est qu’un tel projet soit envisageable dans des contextes aussi délicats.

Pratiques de planifi cation dominantes

Les secteurs de la santé ont des traditions différentes lorsqu’il s’agit de planifi cation. Dans certains ministères de la Santé, certains services de planifi cation occupent une place prépondérante et exercent une grande infl uence, alors que dans d’autres, ils ont peu de moyens et sont considérés comme secondaires. Ils se confondent souvent avec les unités d’exécution spéciales fi nancées par les donateurs (voir la description donnée dans l’Étude de cas n° 6). Si la planifi cation centralisée n’est plus en vogue, les ministères de la Santé gardent des réfl exes tenaces, en particulier pour tout ce qui concerne la publication des lois, des directives, des instructions et des recommandations.

Lors d’une crise profonde, l’horizon de planifi cation se contracte pour rejoindre le cadre temporel des opérations d’urgence. Les investissements à long terme, notamment dans les ressources humaines et l’infrastructure, sont négligés au profi t des actions à court terme, dont les bénéfi ces sont diffi ciles à évaluer. Les opérations de planifi cation sont totalement interrompues ou se poursuivent en se détachant progressivement de l’évolution des conditions sur le terrain. Des planifi cateurs impuissants se plaisent à formuler des plans excessivement détaillés et déconnectés de la réalité. Dans d’autres cas, les planifi cateurs des autorités centrales se focalisent sur des enclaves privilégiées, plus sûres, vers lesquelles s’orientent souvent les gros projets d’investissements. Ils reprennent alors les fonctions des représentants locaux. Les problèmes d’allocation sont remplacés par les questions d’administration et d’exécution.

Des carences institutionnelles antérieures à la crise, mais exacerbées par celle-ci, peuvent expliquer la fragmentation de la planifi cation centrale. Ainsi, les dépenses récurrentes et d’équipement sont budgétées séparément par deux services différents, tandis qu’un troisième organisme planifi e le développement des ressources humaines. Le fi nancement des dépenses récurrentes est souvent amputé, malgré les apports conséquents des donateurs. Les décisions d’allocation des ressources sont prises au coup par coup, isolément les unes des autres. Les mesures de décentralisation, qui incluent souvent le transfert des services de soins de santé primaires aux autorités locales, ainsi que le maintien des grands hôpitaux sous contrôle de l’État central, sont autant de nouveaux obstacles à une planifi cation rationnelle.

Pour ne rien arranger, les plans du pouvoir central portent, dans bien des cas, uniquement sur les décisions d’allocation sous la responsabilité du ministère de la Santé. Les autres ressources, même si elles proviennent d’autres branches du secteur public, ne sont pas toujours intégrées aux plans du ministère. Il arrive aussi que les contributions des donateurs, bien que connues des autorités sanitaires centrales et, dans certains cas, gérées par leurs unités d’exécution spéciales, ne soient pas intégrées aux documents de planifi cation en raison de règles budgétaires contraignantes ou tout simplement par facilité. Naturellement, le résultat des opérations de planifi cation réalisées dans de telles conditions est peu satisfaisant.

Malgré l’expertise et les ressources dont ils disposent, les organismes donateurs produisent aussi parfois des plans reposant sur des informations erronées, morcelés et discutables. Les outils de planifi cation préférés des donateurs ne sont pas toujours adaptés à des environnements instables (Gasper, 2000). Les décisions politiques mettent à nu les notions de rationalité et d’objectivité sur lesquels s’appuie généralement la planifi cation (Hill, 2000). Et, dans les situations d’urgence complexes, les choix des donateurs pâtissent d’un manque d’informations qui favorise l’adoption de solutions passe-partout.

Certaines initiatives ambitieuses menées à l’échelle mondiale, notamment les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), semblent bien déplacées dans des secteurs de la santé dépourvus de toute base de prestation des soins. Dans les contextes diffi ciles comme celui du Sud-Soudan, les méthodes de planifi cation axées sur les résultats, qui s’appuient sur des hypothèses discutables, souvent implicites, et qui sont adoptées sans la moindre analyse approfondie des ressources disponibles et des limitations opérationnelles, sont forcément

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hors de propos, quoi qu’en disent les discours offi ciels. Il existe souvent un décalage fl agrant entre les objectifs affi chés et les ressources allouées. Au Tchad, par exemple, pour respecter les exigences des OMD concernant la couverture des services, il faudrait des ressources humaines quatre fois supérieures à celles qui devraient être disponibles en 2015 (Kurowski et al., 2004).

La poursuite obstinée d’objectifs trop ambitieux conduit souvent à la mise en place de programmes spécialisés particulièrement coûteux. Étant donné la marge de manœuvre dont bénéfi cient les donateurs lors d’une crise profonde et l’importance des ressources dont ils ont le contrôle, leurs initiatives, si elles sont mal conçues, peuvent infl iger aux services de santé des dégâts nettement supérieurs à ceux causés par les choix malencontreux des autorités.

L’évaluation des effets cumulés des différentes opérations de planifi cation menées dans le secteur de la santé doit tenir compte de plusieurs éléments :

• Les informations pertinentes disponibles pour les décideurs. Sans une bonne connaissance de la situation d’ensemble, les plans sont sous l’infl uence de rêves illusoires, des modes dominantes, d’hypothèses infondées (généralement présentées comme des faits) et de manœuvres politiques. La première mesure pour remettre en état des fonctions de planifi cation dégradées consiste à rassembler des informations disparates pour obtenir une image complète et cohérente. Diffusée de façon convaincante, celle-ci peut améliorer considérablement les décisions collectives.

• La proportion de ressources non affectées circulant dans le système de santé. Lorsque l’essentiel des ressources est alloué à des programmes spéciaux, il ne reste plus de place pour la planifi cation sectorielle. L’instauration d’instruments souples de gestion de l’aide destinés à couvrir les besoins qui ne correspondent à aucun projet bénéfi ciant de contributions spécifi ques peut améliorer sensiblement la cohérence et l’effi cacité du secteur. Voir l’Étude de cas n° 13.

• Le contexte politique dans lequel s’inscrit la planifi cation sanitaire. Si les autorités sanitaires sont affaiblies, elles risquent de ne pas avoir suffi samment d’infl uence pour imposer leur vision auprès des autorités centrales et périphériques. De puissants groupes de pression peuvent aussi empêcher toute modifi cation du statu quo. De plus, les organismes de fi nancement peuvent être contraints de soutenir les modèles dominants, qu’ils soient ou non adaptés au contexte et même s’il y a peu d’arguments en leur faveur. Les solutions sont alors d’ordre politique plutôt que technique.

• Le calendrier politique, militaire et économique favorable (ou non) à la planifi cation. Les gouvernements relativement stables et reconnus par la communauté internationale peuvent investir dans la planifi cation malgré les diffi cultés liées au confl it. À l’inverse, si le gouvernement risque d’être rapidement renversé et remplacé par un autre régime politique et que les organismes donateurs s’abstiennent de prendre des engagements fermes, la situation n’est évidemment pas propice à un travail de planifi cation sérieux.

• La possibilité d’identifi er clairement l’orientation suivie par le secteur de la santé. Des politiques cohérentes, bénéfi ciant d’un large soutien, peuvent encourager les participants à élaborer des plans compatibles avec les objectifs communs, même en l’absence de mesures exécutoires. Si, par exemple, il existe un écart important dans la fourniture des services entre une région défavorisée et le reste du pays, une information bien pensée peut convaincre les opérateurs autonomes d’investir pour rétablir l’équilibre. Dans un contexte de crise, une planifi cation persuasive peut avoir plus d’effet que sa variante normative.

• L’existence d’une culture de la planifi cation, qui s’appuie sur une bonne perception des limites des capacités et des ressources, de la cohérence ou de l’incompatibilité des solutions, de la discipline décisionnelle, des perspectives à long terme et des initiatives volontairement limitées. Des facteurs puissants contribuent à l’érosion de la culture de la planifi cation lors d’une crise prolongée : incertitude quant à l’issue politique, moindre contrôle sur les décisions, abondance des ressources provenant des donateurs, dispersion

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du pouvoir, volonté d’accélérer les décisions, multiplication des priorités (toutes soutenues avec force par tel ou tel organisme).

• L’existence de directives crédibles concernant les décisions d’allocation des ressources, par exemple des critères d’investissement dans les nouvelles structures de santé, les confi gurations standard y afférentes, l’estimation du coût moyen en vue d’évaluer les sur- ou les sous-fi nancements, les conséquences fi nancières à long terme des plans choisis, les critères d’évaluation de l’effi cience et de l’effi cacité des activités sanitaires, ainsi que les critères permettant d’analyser la composition des dépenses de santé. En investissant dans l’élaboration de directives solides, un ministre de la Santé en diffi culté qui prétend mener le jeu gagne en crédibilité. L’absence de directives ou l’élaboration de directives imparfaites mettra en revanche en évidence la vacuité de ses prétentions.

La dissolution des fonctions de planifi cation souvent observée en cas de crise peut être perçue comme inévitable par des intervenants sous pression. Certaines personnes peuvent même considérer la planifi cation comme une activité secondaire qui les écarte de tâches plus essentielles. Néanmoins, les caractéristiques propres à un contexte de crise (rareté des ressources, besoins accrus, activités déconnectées, événements imprévisibles, graves conséquences des échecs, fi nancements extérieurs frais et nouvelles opportunités) nécessitent un renforcement et un élargissement du champ de la planifi cation. L’Étude de cas n°14 décrit l’orientation suivie par les services de santé d’un district sinistré au nord de l’Ouganda, après la disparition des capacités de planifi cation au niveau central comme au niveau périphérique.

Étude de cas n° 14 Développement spontané de la prestation des soins de santé

dans un district frappé par la guerre

Situé dans le nord de l’Ouganda, le district de Gulu a été le théâtre de violences pendant des dizaines d’années. En 2002, sa population était estimée à 470 000 habitants, soit 40 habitants au kilomètre carré. C’était un district d’une grande pauvreté, avec des ménages aux revenus inférieurs à la moyenne nationale. Les indicateurs de l’état de santé y étaient aussi nettement plus mauvais que les chiffres nationaux. Les dépenses de santé annuelles, estimées de manière prudente à 7 à 8 dollars des États-Unis par personne (à l’exclusion des dépenses privées), se situaient dans la moyenne ougandaise. Mais comme ces chiffres n’incluaient pas les données des organismes de secours, il est possible que les chiffres réels aient été nettement plus élevés.

Ce district était desservi par quatre hôpitaux et 33 structures de santé primaires. Pour des raisons de sécurité essentiellement, 22 autres structures périphériques avaient été fermées. Les rapports faisaient état d’un taux de une consultation par personne et par an. Seulement 16 % des accouchements avaient lieu dans un centre de santé. La couverture du programme PEV était nettement en deçà de la moyenne nationale. Le faible taux d’utilisation des services de base semblait indiquer que les structures de soins de santé primaires censées être opérationnelles étaient sous-utilisées. Certaines n’existaient peut-être même que sur le papier.

À Gulu, les soins de santé étaient essentiellement dispensés par les hôpitaux. Ceux-ci disposaient au total de 950 lits, soit deux lits pour 1000 habitants, contre la moitié (un lit pour 1000 habitants) en moyenne pour l’Ouganda. Deux grands établissements, l’hôpital de Lacor et l’hôpital régional de Gulu, se distinguaient par leur taille, leurs résultats et les ressources absorbées. Lacor, un hôpital privé de 474 lits géré par une organisation chrétienne, avait une histoire et des caractéristiques originales. En quarante ans, ce modeste dispensaire était devenu l’un des plus grands hôpitaux de l’Ouganda. Cette expansion s’expliquait certainement par l’extraordinaire dévouement et les capacités exceptionnelles de ses responsables, personnels et sympathisants croyants. Les dépenses récurrentes de l’hôpital de Lacor représentaient pratiquement la moitié des dépenses totales du district, soit US $1,3 million. Les dons et les aides couvraient 70 % des dépenses d’exploitation. La contribution fi nancière des patients représentait 16 % de ces dépenses, et les subventions de l’État couvraient les 14 % restants.

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le 8 L’hôpital régional de Gulu était un établissement public de 300 lits. Le district de

Gulu accueillait un autre établissement public de 100 lits ainsi qu’un hôpital privé de 80 lits. Le rôle de ces petits hôpitaux, qui fonctionnaient en deçà de leurs capacités, n’était pas clair. Les deux principaux hôpitaux totalisaient 60 % des consultations dans le district. Tous deux faisaient état d’une importante charge de travail et de taux d’occupation des lits élevés, voire excessifs. Environ la moitié des admissions à l’hôpital de Lacor étaient liées à des affections courantes qui auraient pu, pour beaucoup, être traitées au niveau des structures de soins primaires. Le nombre très faible (moins de 200) d’interventions chirurgicales majeures déclaré par l’hôpital régional de Gulu laissait supposer que la proportion des affections courantes traitées par cet établissement était encore plus importante.

Gulu constituait un exemple extrême de dérive par rapport aux normes internationales d’effi cacité et d’effi cience de la prestation des soins. En fait, dans ce district, la pyramide des soins de santé était inversée. Si l’on applique les coeffi cients courants du nombre de structures par habitant, le réseau de santé planifi é de Gulu aurait dû se composer de 40 ou 50 structures de soins de santé primaires auxquelles se seraient ajoutés un ou deux hôpitaux, pour un total de 200 à 300 lits. Ainsi, en raison du grand nombre de structures fermées, le réseau des soins de santé primaires était loin des normes recommandées. En revanche, la capacité des hôpitaux était trois ou quatre fois supérieure à ce que prévoirait un plan raisonnable.

Le tableau que nous venons de brosser s’était dessiné au fi l des ans, sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs. L’insécurité généralisée avait été l’un des principaux obstacles au développement des services de santé. L’effondrement des fonctions de planifi cation au cours des dizaines d’années de troubles, la prédominance de conceptions obsolètes de l’hôpital, l’incapacité des décideurs à considérer le système de santé du district comme un tout, étaient autant de facteurs, fréquents en situation de crise, qui avaient poussé à réagir sans la moindre cohérence à la pression prolongée subie par les services de santé du district. Avec pour résultat des moyens fonctionnels superfl us coexistant avec d’énormes carences.

À ce tableau s’ajoute la concurrence entre prestataires de soins de santé publics et privés, qui reposait sur une méfi ance mutuelle et se traduisait par un manque total de communication. Une relative abondance de ressources émanant d’organisations caritatives, de dons privés et des autorités centrales, avait entraîné des investissements matériels considérables. D’où le complexe hospitalier décrit, dont le coût de remplacement peut être estimé à 20 à 25 millions de dollars.

L’offre généreuse de soins hospitaliers (de qualité, dans le cas de Lacor) face à des services de soins de santé primaires mal en point, avait stimulé la demande des patients, laquelle avait, à son tour, entraîné de nouveaux investissements destinés à accroître la capacité des hôpitaux. C’est ainsi que la population de Gulu avait eu accès à des services curatifs de relativement bonne qualité, concentrés dans quelques établissements, tout en perdant le bénéfi ce des services de santé de base. Les autres approches permettant d’assurer des soins dans des contextes instables, notamment les services mobiles ou les structures provisoires, ne s’étaient guère développées.

Pour ce qui concerne l’état de santé de la population, l’affectation de l’essentiel des ressources aux services hospitaliers pouvait avoir un coût d’opportunité important. Le taux extrêmement élevé (700) de mortalité maternelle semblait appuyer cette conclusion, surtout si l’on considère la facilité d’accès théorique aux services obstétriques d’urgence qui aurait dû être garantie par la présence de quatre hôpitaux. De plus, on pouvait légitimement craindre pour la viabilité d’un réseau hospitalier aussi fourni, dépendant fortement de l’aide extérieure, dans un district appauvri.

Le développement organique des soins hospitaliers, s’il n’est pas toujours aussi marqué qu’à Gulu, est un phénomène courant en situation de crise. On peut le voir comme une réaction naturelle à une situation de violence qui perdure. Mais il a un coût immédiat, avec l’abandon des services de base, auquel s’ajoute un fardeau fi nancier qui est appelé à perdurer. Une fois que des investissements importants ont été réalisés dans des équipements de soins de haut niveau et que l’essentiel des ressources est absorbé par les hôpitaux, le développement des services de santé de base est fatalement freiné par les limitations fi nancières présentes et à venir. Le seul remède consiste à prendre conscience des problèmes durables provoqués par les décisions d’expansion en l’absence d’un cadre de développement global.

La décision de restructurer la fourniture des soins de santé à Gulu devrait être prise par les autorités sanitaires du district. Les choix techniques à faire semblent évidents. La charge des soins hospitaliers devrait être affectée pour l’essentiel à l’établissement

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le plus performant (Lacor). Il conviendrait de soustraire d’importantes ressources aux deux hôpitaux publics pour renforcer le réseau de soins de santé primaires. Cette mesure permettrait de fi ltrer une partie de la charge excédentaire de Lacor, qui pourrait alors jouer pleinement son rôle d’hôpital de recours pour un coût moindre. Les ressources supplémentaires dégagées permettraient de soutenir une nouvelle expansion des services de soins de santé primaires. Cette saine évolution ne sera possible que si les prestataires publics et privés s’entendent sur une stratégie globale, dans une perspective à long terme. Les décideurs qui s’engageront dans cette voie pourtant raisonnable se heurteront à d’importants obstacles politiques, et le contexte délicat d’un district qui sort tout juste d’un confl it prolongé n’arrangera rien.

Réglementation

Dans certains cas, la capacité de réglementation était déjà insuffi sante ou absente avant la crise, notamment dans les pays où la pratique privée avait été interdite. Lorsqu’une situation d’urgence se prolonge, les fonctions de réglementation sont durement touchées ou s’effondrent complètement. Affaiblis, souvent contestés, les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de faire appliquer la législation existante. La multiplication des intervenants (étrangers pour la plupart) et des structures hiérarchiques ne fait qu’ajouter aux diffi cultés. La dispersion du pouvoir, conjuguée à des moyens de communication médiocres, met les prestataires de services hors de portée des organismes de réglementation, si tant est que ceux-ci fonctionnent. Évidemment, les pouvoirs publics préfèrent souvent laisser la question de côté et se concentrer sur la fourniture des services.

Dans de nombreux secteurs de la santé, une législation existe, mais les acteurs concernés ne la connaissent pas et personne ne la fait appliquer. Dans certains cas, les lois et les règlements sont formulés en termes si vagues qu’ils en perdent pratiquement toute utilité. La réglementation fi xe parfois des niveaux tellement irréalistes que les prestataires n’en tiennent généralement aucun compte. Dans d’autres cas, la législation est valable, mais aucune instance réglementaire n’est présente ou assez solide pour la faire appliquer. Ce manque d’effi cacité s’explique le plus souvent par l’absence absolue de ressources, ou par des structures inadaptées aux tâches qui leur sont dévolues. Par exemple, certains organismes réglementaires restent centralisés et ne disposent pas de capacités suffi santes pour remplir leur mission sur le terrain.

En outre, les incitations accordées aux autorités de réglementation ne sont pas suffi santes pour que ces autorités acceptent d’accomplir des tâches délicates ou même, dans certains contextes, dangereuses. Dans d’autres cas, l’absence de poids politique constitue le principal handicap. Les prestataires de services de santé résistent parfois aussi à ce qu’ils considèrent comme une ingérence, surtout si la légitimité des autorités publiques est contestée ou leurs compétences douteuses. Le climat général de non-respect de l’état de droit nuit également à la réglementation de la fourniture des soins de santé.

Des diffi cultés particulières apparaissent dans les États défaillants, où les organismes d’aide opèrent dans un vide réglementaire total. Les initiatives visant à instaurer des mesures auto-exécutoires ont enregistré un succès limité. Au Libéria, en 1996-1997, tous les efforts des ONG pour formuler une politique commune de fonctionnement, la Joint Policy of Operation, se sont soldés par une adoption partielle du texte (Schowengerdt, Spiegel et Spielberg, 1998).

Les pouvoirs publics et les organismes d’aide partenaires qui souhaitent renforcer la capacité réglementaire pourront trouver quelque utilité aux remarques suivantes :

• L’élaboration d’une réglementation constitue une activité par essence politique, diffi cile à pratiquer dans des situations contestées. Des groupes d’intérêt puissants profi tent de la crise pour satisfaire leurs membres. Les ministres de la Santé ont du mal à brider les associations professionnelles, à cause de confl its d’intérêts évidents.

• Les autorités sanitaires qui réglementent les prestataires privés, à but lucratif ou non, et qui ont aussi d’importantes responsabilités dans la fourniture des soins, sont confrontées à un confl it d’intérêts. Il existe souvent deux poids et deux mesures, les opérateurs privés

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étant tenus de respecter des normes de qualité nettement supérieures à celles auxquelles sont soumis les établissements publics. Pour améliorer l’équité, le recours à une instance de réglementation indépendante chargée de superviser à la fois les opérateurs publics et privés peut être une bonne solution.

• Pour être effi cace, la réglementation requiert généralement des ressources importantes. Faute de moyens et de ressources suffi sants, les organismes de réglementation sont condamnés à perdre toute utilité ou, pire, risquent de s’adonner à des manœuvres frauduleuses susceptibles de perturber la fourniture des services. Dans les cas extrêmes, l’absence de réglementation peut être préférable à une réglementation bancale.

• Dans le domaine de la santé, même en temps normal, la législation seule est rarement effi cace, essentiellement à cause d’une application inadéquate. Les décideurs auraient tout intérêt à se concentrer sur ce problème plutôt que sur les questions de législation et de procédure.

• La réglementation doit être établie en fonction de la situation du secteur de la santé. Elle doit pouvoir être appliquée par la majorité des prestataires et son application contrôlée par les organismes de réglementation. Instaurer des règles idéales strictes constitue le meilleur moyen d’inciter les gens à contourner la loi et d’encourager la corruption.

• Dans la plupart des secteurs publics, les dirigeants, habitués aux tâches de direction et de contrôle, connaissent mal les questions de réglementation. Il est parfois diffi cile de trouver des spécialistes de la question dans les rangs du service public. Ce handicap culturel se traduit souvent par des positions équivoques ou contreproductives, ainsi que par une défi ance réciproque entre fonctionnaires et acteurs du privé. Pour être effi cace, la réglementation requiert une formation complète et de qualité, des incitations solides et des compétences fi nancières et comptables renforcées.

• Les mécanismes de réglementation indirects produisent parfois de meilleurs résultats que les méthodes directes (généralement diffi ciles à appliquer). Ainsi, il peut être plus effi cace d’informer le public sur les bons gestes de soins que de sanctionner les mauvaises pratiques des agents de santé. L’agrément des prestataires les plus performants peut pousser des collègues moins bons à améliorer leur propre niveau. Les incitations à passer d’une zone surpeuplée à une région délaissée sont un autre exemple de réglementation « douce » que des autorités affaiblies peuvent essayer de mettre en place, avec plus de chances de succès que si elles tentaient d’interdire de pratiquer dans les zones surdotées en ressources humaines.

• L’aspect le plus diffi cile à réglementer concerne les prestataires informels, qui ne manquent pas de se multiplier lors des crises prolongées. Il est plus facile de concentrer les efforts sur les prestataires offi ciels, mais cela risque de ne pas suffi re dans les contextes où l’essentiel des soins est fourni par des prestataires informels. Des instruments adaptés, souvent indirects ou informels, peuvent être nécessaires pour réglementer ce sous-secteur, avec pour première étape la mise en évidence des activités informelles.

Si l’abandon de la mission de réglementation est parfois inévitable en temps de crise, l’expérience montre que la diffi culté de faire appliquer les mesures réglementaires est proportionnelle à la durée pendant laquelle elles ont été négligées. De plus, un sous-secteur privé est plus facile à réguler à ses débuts que lorsqu’il est organisé et puissant. En repoussant le règlement de ces questions, on s’expose à des problèmes bien plus graves à l’avenir. Le maintien de fonctions réglementaires élémentaires, voire rudimentaires, au cours d’une crise prolongée, peut par la suite faciliter un relèvement plus équilibré et plus effi cace. Et la réintroduction de dispositifs réglementaires de qualité partout où ils sont absents doit être l’une des priorités des décideurs politiques.

Il existe très peu de littérature concernant la réglementation de la fourniture des soins de santé lors d’une crise prolongée. Aucun modèle positif n’ayant été proposé, toutes les leçons tirées jusqu’à présent portent sur les pratiques à éviter. Il est vraiment primordial de ne pas négliger cette question, dont les conséquences sont perceptibles dans la plupart des secteurs de la

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santé. Il est donc important d’aborder ce problème de façon positive et d’examiner s’il est réaliste de vouloir adopter une approche différente de l’habituel principe de « laisser-faire ».

Décentralisation dans un secteur de la santé fragile

Une crise prolongée perturbe les réseaux de communication et les structures hiérarchiques, entraînant un éclatement naturel de la prise de décision et favorisant l’émergence de nouveaux acteurs autonomes. La réduction des budgets de l’État touche de façon disproportionnée les autorités périphériques et les niveaux de soins inférieurs. Les dépenses de personnel peuvent rester centralisées, notamment pour les cadres supérieurs. Ce sont souvent les instances administratives supérieures, éloignées du champ des opérations qui conservent les compétences de recrutement ou de licenciement.

Si les fonctionnaires périphériques gagnent en autonomie par rapport au ministère de la Santé, leur pouvoir de décision peut rester limité. L’essentiel des ressources publiques demeurent sous le contrôle des autorités centrales, alors que les moyens disponibles localement, fournis par les ONG, doivent être négociés avec ces dernières. Faute d’aide ou d’instructions de sa hiérarchie, le responsable sanitaire local se retrouve dans une position inconfortable : s’il jouit d’une certaine latitude par rapport aux ressources contrôlées au niveau local, il ne peut donner son avis (et n’a pas même d’informations) sur les ressources qui seront prochainement allouées à son unité administrative. Cible passive des décisions négociées, loin du point de fourniture des services, entre les donateurs, les ONG et les autorités centrales, le responsable local consacre l’essentiel de son énergie à tenter de comprendre des événements imprévisibles, notamment la fourniture de médicaments ou la disponibilité des véhicules, et de combler les lacunes les plus criantes. Dans de telles conditions, une programmation et une planifi cation raisonnées semblent totalement hors de propos, et, de fait, sont rarement pratiquées.

Dans des climats très défavorables, comme en République démocratique du Congo, les autorités sanitaires locales sont obligées d’instaurer des programmes de collecte de fonds pour fi nancer la fourniture des soins de santé. Des mécanismes d’approvisionnement sont également mis en place pour compenser la dislocation des dispositifs centralisés. Il arrive aussi que les autorités locales coupent tout lien avec le pouvoir central, parfois dans une stratégie délibérée d’affi rmation de la puissance ou des intérêts locaux.

L’inventaire des ressources contrôlées par les autorités sanitaires locales aide à évaluer leur véritable degré d’autonomie. Les résultats sont variables : certains districts disposent de ressources considérables, qui transitent généralement par une ONG, d’autres sont privés de tout, y compris des outils de travail les plus élémentaires. Si ce dénuement s’explique en grande partie par des diffi cultés logistiques, d’autres facteurs entrent souvent en jeu.

Lors d’une crise prolongée, la délégation totale du pouvoir et des ressources a peu de chances de fi gurer au rang des priorités politiques. L’État affaibli est généralement incapable de mettre en place des autorités locales dignes de ce nom. Après la crise, une période de renforcement des fonctions de l’État central peut être nécessaire avant qu’il soit possible d’amorcer une décentralisation effi cace. À la fi n d’une crise prolongée, les autorités sanitaires centrales doivent s’attaquer à la revitalisation de toute une série d’activités. Dans certains cas, comme au Sud-Soudan, elles doivent recréer les bases d’un système de santé public. Ailleurs, elles doivent rétablir des fonctions durement touchées. Dans tous les cas, seul un pouvoir central effi cace est capable de fournir à l’ensemble du secteur de la santé les procédures de gestion, les dispositions réglementaires, les fl ux fi nanciers et les recommandations pratiques nécessaires.

La décentralisation est parfois considérée par les décideurs comme une avancée incontestable, placée au premier rang des priorités gouvernementales, sans que l’on tienne vraiment compte de ses objectifs, des diverses formes qu’elle peut prendre ou des conséquences de ses différentes variantes. Il peut exister des différences fondamentales entre les types de décentralisation, concernant notamment l’ampleur de la réforme (qui peut porter sur l’ensemble de l’administration d’État ou sur un seul secteur, celui de la santé par exemple), mais aussi sa profondeur, selon le pouvoir et la liberté d’action accordés aux autorités

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sanitaires locales. L’une des principales diffi cultés tient au degré de détail des dispositions censées régir la réforme et résoudre les litiges à mesure qu’ils apparaissent. Si les dispositions sont trop vagues ou incomplètes, et en l’absence d’instances solides pour les faire appliquer, le processus de décentralisation risque fort de se transformer en une redistribution du pouvoir désordonnée, injuste et ineffi cace. Dès le début de ce processus, les acteurs de la santé auraient tout intérêt à réaliser une étude approfondie de la question, des objectifs ultimes de l’opération et de l’expérience acquise dans d’autres secteurs de la santé en crise.

La décentralisation est parfois proposée pendant la période de transition qui suit un confl it. Si des déséquilibres fl agrants touchent le secteur de la santé et que des mesures de redistribution énergiques s’imposent, elles doivent être introduites par le pouvoir central avant que les autorités locales ne se mettent en place. Sinon, les administrations qui ont le plus de moyens défendront obligatoirement leurs privilèges et rendront la redistribution beaucoup plus diffi cile.

Étude de cas n° 15 La décentralisation au Sri Lanka

En 1987, dans le cadre d’un accord de paix conclu avec l’Inde afi n de mettre un terme à la guerre civile dans le nord-est de leur pays, les autorités sri lankaises ont transféré une large part des pouvoirs législatif et exécutif aux Conseils provinciaux. Cette réforme n’a guère reçu le soutien politique de la population sri lankaise, qui la considérait comme une ingérence étrangère. Les lois complémentaires nécessaires n’ont jamais été adoptées. Par la suite, l’insurrection maoïste a conduit l’île au bord du chaos, avant d’être durement réprimée par l’armée.

L’administration publique centrale s’est opposée à la réforme. Les moyens de management à la disposition des Conseils provinciaux sont restés lamentablement insuffi sants par rapport à leurs nouvelles responsabilités, et ces conseils n’ont pas pu exercer les pouvoirs autonomes prévus par la loi. La région Nord-Est est celle qui a le moins bénéfi cié de la décentralisation, car non craignait qu’elle ne fasse sécession.

D’après la loi, les Conseils provinciaux avaient toute latitude dans l’utilisation des fonds qui leur étaient alloués, et ils n’avaient à rendre compte ni aux autorités centrales, ni à leurs administrés. Le pouvoir central choisissait arbitrairement le montant de la dotation qui leur était accordée (en 1997, elle représentait 77 % de leurs recettes totales). Mais l’assiette fi scale utilisable par les Conseils provinciaux pour fi nancer les dépenses à leur charge était insuffi sante. En 1988-1996, les dépenses de santé représentaient environ 40 % du total de leurs charges. Les informations fi nancières sur les dépenses des provinces sont restées trop opaques et trop insuffi santes pour permettre des décisions d’allocation avisées. Aucun système de vérifi cation effi cace n’a été mis en place.

Les Conseils provinciaux étaient chargés des services de promotion de la santé, de prévention et de traitement dans tous les établissements à l’exception des hôpitaux de niveau supérieur. L’encadrement des médecins restait sous le contrôle du ministère de la Santé. Les autorités centrales continuaient de gérer directement la prestation des services de santé, pourtant dévolue aux organismes provinciaux. Le ministère négligeait ses principales fonctions (élaboration des politiques, planifi cation et réglementation). Les établissements provinciaux, reclassés en hôpitaux tertiaires, sont passés sous contrôle de l’État, pour la plus grande satisfaction des autorités provinciales débarrassées de ce fardeau fi nancier. Au niveau opérationnel, ce reclassement administratif ne s’est traduit par aucune amélioration.

Le développement organique du secteur de la santé s’est opéré au gré des exigences politiques plutôt que des besoins évalués. La réforme radicale, acceptée sans conviction pour des raisons diplomatiques et militaires, n’a en fait jamais réellement pris.

Résumé d’après Hsiao, 2000

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Rénovation de systèmes de gestion paralysés

Depuis des années, la communauté des donateurs s’intéresse aux systèmes de gestion. Leur renforcement, parfois même leur remaniement complet, était considéré comme un élément stratégique indispensable à la rénovation des systèmes de santé affaiblis. Les conseillers en gestion se sont ainsi multipliés dans le monde entier. Malgré les investissements énormes réalisés un peu partout, les résultats sont mitigés, voire médiocres. Les secteurs de la santé qui sortent d’une crise prolongée risquent toujours d’être submergés de propositions et d’initiatives pilotées par les donateurs, visant à réformer les systèmes de gestion. Dans ce domaine, l’expérience a permis de tirer quelques leçons :

a. Des réformes de la gestion ont été proposées dans des secteurs de la santé souffrant d’un manque criant de ressources, avec les résultats médiocres que l’on peut imaginer. De même, des secteurs de la santé mieux nantis fi nancièrement ont complètement ignoré ces réformes. L’amélioration des pratiques de gestion et l’augmentation des ressources doivent être simultanées s’il l’on veut parvenir à une amélioration notable des performances du secteur de la santé. Pour de plus amples informations sur l’évaluation de l’enveloppe fi nancière, voir le Module 6.

b. En se multipliant, les initiatives tendent à se neutraliser les unes les autres, rendant impossible l’établissement de nouveaux systèmes de gestion. Si l’on a engagé d’emblée des négociations avec les organismes donateurs, afi n de convenir d’une stratégie commune de renforcement de ces systèmes, il est possible de freiner la prolifération d’initiatives de gestion sans lien entre elles. La continuité des méthodes et des actions passe également par des mesures destinées à réduire la rotation des fonctionnaires de l’État et des représentants des organismes donateurs.

c. Face au manque d’effi cacité qui prévaut dans les systèmes de santé en crise, l’amélioration des pratiques de gestion, via un gain d’effi cience dans l’exploitation des ressources existantes, peut améliorer notablement les performances des services. Parfois, il suffi t de supprimer une règle mal conçue pour déclencher des progrès manifestes. L’augmentation de la production grâce à une meilleure utilisation des ressources disponibles est la preuve d’une bonne capacité de gestion, et suffi t parfois à elle seule à drainer des moyens supplémentaires.

d. Le recours ponctuel à des spécialistes peut être utile, notamment au démarrage du processus de relèvement. Toutefois, la mise en place de systèmes de gestion effi caces exige la présence permanente de spécialistes en interne et nécessite des efforts soutenus sur la durée. Une dépendance excessive vis-à-vis des conseillers extérieurs est à éviter, car elle distrait généralement les responsables et favorise le report des décisions.

e. Les nouveaux consultants risquent fort de proposer des solutions toutes prêtes. Sans une adaptation lente et rigoureuse aux conditions locales, ces solutions ont peu de chances d’être à la hauteur des attentes.

f. La technologie est souvent présentée, à tort, comme LA solution défi nitive aux faiblesses de la gestion. La technologie peut certes décupler les performances globales d’un système solidement conçu, lui-même piloté par des cadres compétents travaillant dans un environnement favorable, mais elle ne peut pas compenser l’absence de ces facteurs.

g. On confond souvent renforcement des systèmes de management et formation en management. Si la formation doit faire partie d’un programme d’interventions complet, elle n’est pas suffi sante en soi. Les systèmes de santé en phase de relèvement doivent envisager la création (ou la réactivation, si elle existe déjà) d’une formation post-universitaire en bonne et due forme destinée aux managers de la santé professionnels.

h. Le plus souvent, la conception des systèmes de gestion s’intéresse essentiellement aux aspects techniques et procéduraux. En général, on n’est pas assez attentif aux incitations et à leur action sur le comportement aussi bien des responsables que des agents de santé qu’ils encadrent. Or, des incitations bien conçues constituent peut-être l’élément le plus important d’un système de gestion effi cace.

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i. La crise est à l’origine d’un pluralisme qui appelle des approches différentes des pratiques de gestion. Contrairement au patron classique qui maîtrise toute la chaîne des opérations, dans un contexte de crise, le manager intervient dans un ensemble de relations, de fl ux de ressources et de décisions hétérogènes, sans cohérence et sans ligne directrice. Il doit impérativement comprendre cet environnement et diriger les événements dans la direction souhaitée pour réussir, ou tout au moins limiter les dégâts. Pour cela, il doit faire preuve d’un bon esprit d’analyse pour donner un sens à des situations complexes, où se mêlent une foule de partenaires et de concurrents. Des dons de communication lui permettront de se renseigner sur les programmes suivis, les ressources dont disposent d’autres intervenants et les activités qu’ils mènent. Et des talents de négociateur s’imposent s’il veut s’entendre avec d’autres sur les actions à entreprendre.

En général, de nombreux intervenants (en particulier les intervenants extérieurs) demandent de tout reprendre à zéro. En instaurant de nouveaux systèmes, on risque de choisir des méthodes inadaptées, de désorienter les participants habitués à d’autres pratiques, de perturber des opérations déjà soumises à des contraintes importantes et de démanteler des éléments de l’ancien système qui ont fait leurs preuves mais qui passent inaperçus dans ce revirement complet. Certes, dans certains cas d’effondrement total, un changement radical semble être la seule solution. D’un autre côté, la naissance d’un nouvel État ou la création d’une nouvelle administration dans un État existant, comme celle mise en place d’un commun accord au Sud-Soudan, donne l’occasion d’instaurer des systèmes de gestion modernes, allégés et réactifs, libérés des règles archaïques de l’administration publique. Mais on risque parfois de laisser passer cette occasion à cause des pressions en faveur de la création d’emplois, courantes vers la fi n d’une crise.

Dans des contextes moins diffi ciles, une réactivation provisoire des systèmes de gestion suivant les anciennes orientations, qui permet de faire le bilan de leurs points forts et de leurs points faibles, peut se justifi er. On pourra ainsi vérifi er si les anciens systèmes sont adaptés au nouveau contexte. Les résultats de cette évaluation serviront de base à la conception de nouveaux systèmes de gestion bien pensés, qui conserveront les éléments valables de l’ancien système, complétés par de nouveaux dispositifs idoines. Il convient d’apporter une attention de tous les instants à ce processus, pour éviter qu’il ne s’interrompe en cours de route, et que les anciens systèmes de gestion soient réactivés tandis que les réformes nécessaires soient reportées, voire annulées. Les premiers effets de la stratégie de relèvement peuvent engendrer un sentiment de satisfaction qui, s’il sert de prétexte à l’interruption du processus, doit être activement combattu.

Certains éléments des futurs systèmes de gestion peuvent déjà être en place et il ne reste alors qu’à les identifi er. Les crises profondes favorisent l’expérimentation, l’innovation et la sélection naturelle. Après des années de tâtonnement dans des conditions diffi ciles, on a des chances de voir émerger des systèmes de gestion robustes, même si leur portée et leur taille sont limitées. Une étude approfondie de l’évolution sur le terrain doit aider à identifi er les programmes qui pourront être appliqués à grande échelle. L’Étude de cas n° 19 présente le cas de la République démocratique du Congo.

Évaluation des capacités existantes

Le concept de « capacité », tel qu’il ressort de l’importante littérature qui lui est consacrée, est diffi cile à défi nir. L’évaluation des capacités est une véritable gageure dans n’importe quel contexte diffi cile, à plus forte raison dans un secteur de la santé en crise. Néanmoins, il est faux de penser que, lors d’une crise prolongée, les capacités sont forcément réduites. Chaque niveau de capacité réagit différemment à la crise.

La capacité systémique est celle qui risque le plus de souffrir de la crise, car le secteur de la santé se morcelle, perd sa ligne directrice et les sous-systèmes sont désorganisés. En fait, on considère qu’un système de santé est « en crise » lorsque sa capacité globale à remplir son rôle n’atteint plus un niveau acceptable. Le problème tient alors à la dislocation des différents éléments du système, qui, pris séparément, sont parfois plus solides qu’avant la crise. C’est l’incapacité de ces éléments à se coordonner de façon cohérente sur la durée qui

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réduit spectaculairement l’effi cacité générale du système. Le résultat global est inférieur à la somme des différents éléments.

Des îlots de capacité organisationnelle émergent ou arrivent de l’étranger. Les organismes les plus solides peuvent bénéfi cier d’une capacité d’exécution ou de résolution des problèmes importante ou en amélioration, mais comme elle est coûteuse et importée, cette capacité ne peut être viable et durable. Les étrangers, qui occupent des postes d’encadrement dans ces organismes, tirent mieux les leçons de la crise que les locaux, généralement placés à des postes subalternes.

Le volume total de capacité personnelle peut augmenter avec l’arrivée massive de cadres étrangers qualifi és. En revanche, la composante locale risque de pâtir de l’émigration. Celle-ci se conjugue à la perte de responsabilité des personnels locaux les plus expérimentés, qui abandonnent leur poste de haut niveau dans des organismes locaux pour prendre des postes de niveau moindre dans des organismes internationaux ou des ONG. De plus, pour survivre, certains cadres qualifi és acceptent des postes sans lien avec leur spécialité. Les rares compétences s’amenuisent encore et les cadres sont souvent moins performants dans des domaines qui leur sont étrangers. Peu utilisées dans un environnement de travail perturbé, les compétences techniques des individus s’amenuisent. Et la gestion des aspects personnels de la crise absorbe une part de l’énergie, du temps et de l’attention qui pourraient être consacrés au développement professionnel des cadres locaux.

L’évaluation de la capacité existante peut commencer par un tour d’horizon du secteur, qui permettra d’identifi er les pôles (une province, une programme particulier, un domaine fonctionnel précis, une ONG, etc.) qui dégagent les meilleures performances. Il s’agit ensuite d’étudier et de comprendre les raisons de ces bonnes performances, et les conclusions ne sont pas toujours réjouissantes. Un élément donné réussit parfois en drainant les rares cadres compétents disponibles dans d’autres domaines défavorisés. La prédominance de l’un se fait alors aux dépens des performances globales. C’est là un schéma fréquemment observé avec les unités d’exécution spéciales soutenues par les donateurs. Mais dans d’autres cas, la réussite s’appuie sur des facteurs potentiellement reproductibles : incitations adaptées, objectifs et stratégies clairement défi nis, méthodes de gestion effi caces, etc. Les exemples de réussite semblent démontrer que l’exploitation des capacités sous-utilisées disséminées dans l’ensemble du secteur de la santé peut produire des effets systémiques positifs.

Trop souvent, les performances médiocres sont exclusivement imputées au faible niveau des salaires. C’est une explication valable, mais généralement pas suffi sante. Bien sûr, une rémunération insuffi sante explique dans une large mesure le manque de motivation dont pâtit de toute évidence la prestation des services. Néanmoins, si le personnel est incompétent, il obtiendra des résultats médiocres (au moins sur le plan technique), même avec un salaire correct. Dans tous les cas, une augmentation de salaire n’a pas, à elle seule, d’impact durable sur la motivation : après un certain temps, les performances retrouvent leur niveau de départ. Et, dans les crises prolongées, l’éducation générale et la formation sont généralement d’un faible niveau. Des compétences professionnelles précaires, facilement observables, risquent d’entraver le développement du secteur des années après la fi n de la crise. On comprend que les victimes des perturbations qui, pendant des années, ont peiné pour obtenir des qualifi cations et des diplômes de deuxième ordre, aient du mal à accepter cet état de fait. Malgré cela, il est essentiel d’évaluer la gravité de ce défi cit de qualifi cations pour se faire une idée du volume de capacité personnelle sur lequel le secteur de la santé pourra s’appuyer, et pour élaborer des programmes réalistes de relèvement et de développement du secteur.

La capacité dépend largement de contraintes étrangères au secteur de la santé. La rareté des entrepreneurs, fréquente à la fi n d’une crise prolongée, peut représenter un obstacle de taille à la reconstruction. L’absence de routes et de moyens de communication ralentit le relèvement tout en gonfl ant les coûts. Une législation inexistante ou inadaptée est souvent un obstacle majeur à des pratiques de gestion publique saines. Des règles obsolètes concernant la fonction publique nuisent fortement aux performances du secteur de la santé. Toute évaluation de la capacité existante doit rechercher les causes des principaux problèmes. Un examen trop étroitement ciblé sur le secteur de la santé est souvent à l’origine de mesures correctives inadaptées.

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L’évaluation de la capacité existante suppose l’exploration des différentes composantes de la « capacité » :

• La connaissance et la mémoire peuvent pâtir de la migration des cadres autochtones et du taux élevé de rotation des expatriés, dus à des conditions diffi ciles sur le terrain. La mémoire personnelle est généralement plus tenace que la mémoire institutionnelle. Il arrive que, faute d’être identifi és, certains îlots de savoir et de mémoire ne soient pas exploités, ou qu’ils soient marginalisés pour des motifs politiques ou parce qu’on préfère suivre une orientation qu’une bonne compréhension de la situation pourrait remettre en cause.

• Information. Une évaluation de l’exhaustivité, de la fi abilité, de l’actualité et de l’accessibilité de l’information existante, ainsi qu’un examen des méthodes d’actualisation, de diffusion, de validation et d’utilisation de l’information dans la prise de décision, donnent une idée de la capacité disponible. La connaissance, par les différents intervenants, des conditions du terrain et des actions en cours ou en projet, constitue un autre indicateur important. L’analyse ne doit pas se cantonner aux systèmes d’information offi ciels. Lorsque les instruments institutionnels fondés sur la connaissance sont fermés ou désorganisés, ils peuvent être remplacés par de nouveaux moyens, parfois informels, instaurés par les organismes ou émanant de réseaux de personnes bien informées. Si des réseaux de savoir se sont développés, la capacité réelle du système peut être plus importante qu’on ne pourrait le penser de l’extérieur. Ces ressources informelles permettent à des intervenants déterminés, qui les connaissent bien, de prendre des décisions relativement éclairées.

• Formulation des politiques. En présence de tout élément prouvant l’existence de discussions donnant lieu à des décisions concertées, on a des raisons de penser qu’une certaine capacité systémique est en place. Les débats incapables de déboucher sur des actions concrètes sont la preuve du contraire. Un programme politique surchargé, qui passe d’une question à l’autre sans aboutir au moindre résultat, confi rme les pires inquiétudes quant à la médiocrité de la capacité systémique.

• Négociation. Dans le même ordre d’idées, toute indication d’une action concertée découlant de négociations entre les principaux intervenants permet de tabler sur l’existence de capacités. Pour mieux cerner la situation, on vérifi era si les questions sur lesquelles ont porté les efforts étaient pertinentes, si le succès est dû uniquement à l’implication d’un acteur particulièrement charismatique ou énergique ou au contraire à la convergence de vue des différents intervenants, et si les résultats sont à la hauteur des efforts fournis.

• Exécution. L’examen des initiatives effectivement lancées dans le secteur de la santé est riche d’enseignements sur les niveaux de capacité actuels, leur localisation, les domaines fonctionnels dans lesquels ils se développent et les groupes qui en ont le contrôle. Dans certains cas, des programmes spéciaux peuvent affi cher des performances étonnamment élevées, notamment dans des cadres restreints particulièrement contrôlés. Les exemples positifs peuvent renforcer la confi ance dans la capacité du secteur de la santé à développer les activités existantes ou à soutenir de nouvelles initiatives. Mais ces attentes peuvent être déçues.

Il n’est pas rare que les autorités centrales édictent des règles et des recommandations négligeables (et dont les exécutants ne tiennent aucun compte), alors que les organismes de santé locaux souhaiteraient (et pourraient) réagir aux problèmes auxquels ils sont confrontés. En 2005, en République démocratique du Congo, ce contraste entre un pouvoir central insignifi ant et des organismes périphériques actifs était frappant. Les grands pays morcelés sont exposés à l’apparition de véritables fossés entre la capitale et ses ministères, et le reste du pays.

• Apprentissage et évaluation. L’aptitude du système à tirer les leçons de l’expérience constitue un autre indicateur d’une solide capacité. Si, en examinant les vieux documents disponibles, on rencontre des problèmes qui ont été considérés comme majeurs pendant des dizaines d’années sans jamais être corrigés, ou si des initiatives similaires

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sont constamment relancées sans que le travail déjà réalisé ne soit exploité, on peut légitimement s’inquiéter.

• Appropriation de la capacité existante (par les acteurs locaux ou étrangers). Dans les crises particulièrement prolongées notamment, il arrive que certains étrangers aient noué des liens personnels avec le pays, aient acquis des connaissances approfondies à son sujet et soient en quelque sorte dépositaires d’une bonne part de la capacité personnelle disponible. La distinction entre acteurs locaux et étrangers s’estompe lorsque l’on parle de capacité : celle-ci est détenue par l’ensemble des intervenants locaux ou étrangers qui ont travaillé au sein du secteur de la santé dégradé suffi samment longtemps pour en avoir une connaissance intime. À l’inverse, les cadres locaux qui ont émigré ou se sont détachés de l’évolution de leur pays peuvent devenir des outsiders, au même titre que les étrangers fraîchement arrivés.

• Ressources humaines. La capacité est le résultat d’un dosage équilibré de ressources matérielles et immatérielles. L’examen des ressources humaines peut révéler certains défauts classiques. Le nombre total d’agents de santé peut être insuffi sant pour gérer le réseau sanitaire et desservir l’ensemble de la population. Ce fut par exemple le cas au Cambodge, où les massacres ont beaucoup éclairci les rangs. Le personnel le plus touché étant aussi le plus qualifi é, la capacité de formation a fortement diminué, ce qui, après la fi n de la crise, a freiné pendant des années le relèvement du secteur. Là où les responsables sont recrutés parmi les professionnels de la santé sans recevoir de formation spécifi que, les managers compétents sont rares. Certaines compétences ou certaines catégories de professionnels peuvent être absentes ou sous-représentées. Dans chaque domaine, la capacité peut être particulièrement forte ou faible, selon que les compétences voulues sont disponibles ou non.

• Infrastructure. Bureaux, locaux de formation, entrepôts, ateliers, ont tous une incidence sur la capacité du secteur de la santé à produire les résultats escomptés. Alors que l’infrastructure physique se délabre souvent pendant une crise prolongée, les organismes et ONG bâtissent, rénovent ou louent généralement des locaux convenables. Pour les équipements, le décalage peut être important entre les organismes d’aide et les autorités du pays. Même correctement formés, les managers sont moins effi caces dans un environnement de travail inadapté. Les lacunes ou les incohérences patentes dans les chaînes fonctionnelles (par exemple, une formation informatique proposée à des cadres qui n’utilisent pas d’ordinateur) sont le signe d’une capacité médiocre.

• Ressources fi nancières. L’insuffi sance des fi nancements entrave le bon fonctionnement des secteurs de la santé les plus désorganisés. En dehors de l’absence totale de fonds, les pénuries sont souvent dues à l’incurie des systèmes de gestion des fi nances publiques. Dans de nombreux cas, la gravité des perturbations provoquées est disproportionnée par rapport aux fonds qui permettraient de régler les problèmes de fourniture des services. Il suffi t de peu pour accomplir des merveilles si cet argent sert à résorber des carences critiques. À l’inverse, il arrive qu’un fi nancement conséquent mal ciblé entraîne seulement de nouveaux gaspillages.

• Goulets d’étranglement, ou limitations mineures ayant un impact important sur l’ensemble du système. Il arrive que la mise en œuvre des programmes se heurte à des obstacles mineurs que personne n’avait prévus. Ainsi, des programmes de décentralisation ambitieux sont-ils condamnés à l’échec dans les pays où les agences bancaires sont rares, si les autorités sanitaires de district ne reçoivent pas de coffres. La présence de ces goulets d’étranglement est souvent le signe que les décideurs ont une mauvaise connaissance du contexte, défaut souvent à l’origine d’une capacité médiocre.

• Processus : règles, réglementation, habitudes, traditions, croyances. S’agit-il d’atouts à renforcer progressivement ou de handicaps à surmonter par le biais d’une réforme radicale ? Certains secteurs de la santé ont fait preuve d’une résistance remarquable face à la crise, supportant une pression prolongée avec un relatif succès. De multiples facteurs contribuent à préserver les fonctions vitales du secteur de la santé : fi erté professionnelle s’appuyant sur les réussites passées, habitude de se tirer des diffi cultés, continuité de

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l’encadrement, présence de personnalités déterminées qui guident leurs collègues vers des objectifs raisonnés… Ces situations privilégiées exigent que l’on aborde la réforme de façon prudente et respectueuse.

À l’opposé, le système de santé peut entrer dans une sorte de transe organisationnelle, où les ressources sont absorbées sans donner de résultats, où les décisions sont repoussées à l’infi ni, où les ministres et les managers sont remplacés sans que les performances du secteur ne s’en ressentent, et où les actions partent dans tous les sens. Or, les secteurs de la santé même les plus résistants peuvent se retrouver dans un tel état s’ils sont exposés trop longtemps à des diffi cultés. Dans d’autres cas, la désorganisation du secteur sanitaire peut être le symptôme de la mauvaise santé générale du tissu social. Ces états critiques doivent être traités par des thérapies de choc.

• Réaction à des crises aiguës. Outre l’aptitude à formuler des stratégies, à élaborer des plans, à mettre en œuvre des actions et à en évaluer les résultats, la réaction systémique à un événement imprévu, par exemple une épidémie ou une catastrophe naturelle, est riche d’enseignements sur les capacités du secteur de la santé. Dans un environnement habitué aux crises aiguës, la capacité de réaction peut atteindre un niveau remarquable. Mais la vigueur des réactions ne doit pas engendrer d’espoirs démesurés concernant la capacité globale du système. En fait, les compétences, les états d’esprit, les cadres temporels, les habitudes de travail requis pour résoudre les crises aiguës ne sont généralement pas ceux qui permettent d’assurer une fourniture régulière des services sur la durée. Pire encore, la gestion réussie d’une crise aiguë peut pousser les responsables à traiter de la même façon la fourniture des services, avec des résultats évidemment médiocres.

Renforcement des capacités

L’hypothèse, souvent fausse, selon laquelle les secteurs de la santé en crise se heurtent forcément à des limitations de capacités explique la prolifération d’initiatives de renforcement des capacités que l’on observe souvent dans les crises prolongées. L’évaluation de ces actions permet d’identifi er plusieurs défauts courants :

• Rares sont les initiatives découlant d’une analyse systémique. Comme les incitations (positives et négatives) à l’œuvre dans le système sont rarement prises en compte, les stratégies qui permettraient de les orienter dans la direction souhaitée sont souvent négligées.

• La plupart des efforts visent à apporter aux cadres qui, pense-t-on, ne possèdent pas les connaissances suffi santes, des compétences qu’ils devront acquérir dans des ateliers généralement de courte durée. Les compétences pratiques, qui ne peuvent être acquises que sur le terrain, sont traitées en salle de classe, loin du lieu de travail, voire du pays. Pour ne rien arranger, même si ces formations permettent d’engranger des compétences solides, celles-ci, dans un contexte perturbé, restent inutilisées et disparaissent rapidement : même si la capacité est bien présente, elle ne peut être exploitée.

• Peu d’initiatives capitalisent vraiment sur le travail déjà réalisé. Au contraire, la plupart reprennent tout à zéro. Une expérience précieuse est gaspillée et l’on reproduit toujours les mêmes choses. Comme on évalue rarement les actions, on ne tire aucune leçon du travail déjà fourni.

• La plupart des formations sont de courte durée, dispensées au coup par coup, sans suivi dans le temps. Rares sont les initiatives qui durent suffi samment longtemps pour donner les résultats attendus et les consolider.

• Les interventions sont souvent conçues et mises en œuvre par des acteurs extérieurs qui connaissent mal la situation. Des modèles tout prêts sont imposés d’en haut sans être correctement adaptés. Dans certains cas, la langue constitue une barrière diffi cilement surmontable qui restreint encore davantage l’effi cacité des solutions de formation importées.

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Si la plupart, voire la totalité de ces défauts sont présents, le travail de renforcement des capacités risque de se solder par un énorme gaspillage d’efforts et, en fait, par une destruction de capacités.

Conseils de lecture

Gasper D. Evaluating the ‘logical framework approach’: towards learning-oriented development evaluation. Public Administration and Development, 20:17-28, 2000.

Depuis les années 1970, l’approche du cadre logique (« logical framework approach » ou LFA) s’est largement développée dans l’univers de l’assistance, au point de devenir le principal outil de planifi cation, de suivi et d’évaluation. De nombreux donateurs conditionnent l’accès aux fi nancements à la soumission d’un cadre logique correctement formulé. Toutefois, les hommes de terrain savent à quel point les cadres présentés sont loin de la réalité de leur travail quotidien. Cet article édifi ant explique les raisons de cette situation.

«... les cadres logiques sont forcément simplifi cateurs et deviennent dangereux s’ils ne sont pas perçus comme tels ; ils peuvent favoriser la réfl exion logique, mais pas s’y substituer, car l’application d’un format fi xe produit généralement de l’illogisme ; et ils ont tendance à rigidifi er les choses, et donc entravent l’adaptation plus qu’ils ne la favorisent. »

« Pour conclure, il faut utiliser l’approche du cadre logique avec précaution, et parfois y renoncer. Les cadres logiques peuvent favoriser une réfl exion utile sur les objectifs, les hypothèses et les données, mais perdent de leur utilité lorsque l’on passe de la planifi cation au suivi, puis à l’évaluation. Ils peuvent devenir sérieusement restrictifs, lors de l’évaluation, lorsque les effets et les itinéraires non intentionnels sont importants, qu’il existe des interactions complexes entre le programme et le contexte et que l’effi cacité des moyens prévus n’est pas bien comprise au préalable, et que les priorités des intervenants sont très différentes, ces situations étant plus souvent la règle que l’exception. »

La complexité et l’instabilité caractéristiques des environnements en proie à la violence soulignent encore davantage les limites de l’approche du cadre logique. Il est ahurissant de voir des représentants des donateurs certains de pouvoir maîtriser la programmation de l’aide dans des environnements tels que l’Afghanistan ou la République démocratique du Congo depuis le confort de leur quartier général, par le biais d’instruments comme les cadres logiques.

Handy C. Understanding organizations, 4e éd. Londres, Penguin Global, 2005.

En un mot, un chef d’œuvre. Handy réussit à donner une analyse instructive, pleine d’esprit et propice à la réfl exion d’un domaine notoirement aride. Il examine en détail tout l’éventail d’hypothèses, de modèles, de méthodologies et de cultures qui façonnent les organisations modernes, en invitant constamment le lecteur à tirer ses propres conclusions. La pratique prend le pas sur la théorie, qui est présentée, étudiée et remise en cause à la lumière de l’expérience réelle.

Les nombreux encadrés présents dans cet ouvrage sont souvent amusants et toujours intéressants. La réfl exion est complétée par un guide foisonnant et motivant pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet. Un ouvrage plaisant, destiné aux futurs responsables comme à ceux qui sont déjà à l’œuvre, aux analystes organisationnels et à tous les lecteurs qui s’intéressent au comportement des personnes et des organisations qui les emploient.

Leader N. et Colenso P. Aid instruments in fragile states. Londres, DFID (PRDE Working Paper 5), 2005.

Une étude des solutions à la disposition des donateurs qui traitent avec des « États fragiles », vaste catégorie qui comprend à la fois les États en proie à la violence, à la faiblesse des institutions, à une gestion médiocre, à une mauvaise direction ou à la contestation. Cet article montre que les donateurs doivent changer la façon dont ils abordent généralement

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les partenariats diffi ciles, à savoir par l’aide humanitaire, un engagement limité, le recours à des intermédiaires et avec le souci d’éviter les risques.

Une meilleure compréhension des risques et des possibilités offertes par ces environnements, qui s’appuierait sur une analyse systémique et une expérimentation cohérente, devrait permettre aux donateurs de faire des choix plus pertinents. Les auteurs étudient les stratégies et les options de programmation à envisager dans les différentes situations. Ils concluent qu’une panoplie d’instruments d’assistance adaptées à chaque contexte et révisées au fi l du temps en fonction de l’évolution du pays, a plus de chances d’être effi cace qu’un modèle d’aide unique. Un message marqué au coin du bon sens, qui invite à changer radicalement le mode de fonctionnement habituel du secteur de l’assistance, et pas seulement dans le cas des États fragiles.

Potter C. et Brough R. Systemic capacity building: a hierarchy of needs. Health Policy and Planning, 19: 336-345, 2004.

Une critique intéressante de la conception du renforcement des capacités et de l’exécution des actions qui y sont associées. Cet article affi rme que les résultats médiocres des opérations de renforcement des capacités entreprises dans différents contextes sont imputables à de graves défauts de conception. Le résultat ? Des faiblesses secondaires comme l’insuffi sance des équipements sont invariablement traitées par le biais de programmes de renforcement des capacités, alors que les lacunes systémiques sont laissées en l’état. De toute évidence, un changement de méthode s’impose.

En se plaçant dans une perspective systémique et en classant les problèmes selon l’importance des capacités nécessaires, on peut identifi er et mettre en application un ensemble cohérent d’interventions. La capacité (ou l’absence de capacité) liée aux structures, aux systèmes et aux rôles doit être distinguée de la capacité liée au personnel et à l’infrastructure, aux compétences et aux outils. « Le moment est venu, pour les gouvernements des pays qui s’efforcent d’améliorer leurs services de santé et pour les partenaires du développement qui tentent ostensiblement de soutenir leurs efforts, de sortir de la litanie du « manque de capacités » et des fausses solutions sans la moindre effi cacité (équipement, formation et construction). Pour les auteurs, en traitant le renforcement des capacités systémiques comme un ensemble d’éléments hiérarchisés parmi lesquels les moins tangibles sont les plus importants, il serait possible d’améliorer sensiblement l’utilisation des ressources d’aide au développement. »

Saltman R. B. Regulating incentives: the past and present role of the state in health care systems. Social Science and Medicine, 54: 1677-1684, 2002.

Un examen lucide, riche d’enseignements pour les pays pauvres, des changements intervenus dans le secteur de la santé de nombreux pays d’Europe qui ont restructuré leur prestation des services de santé. Après avoir éclairci le sens des termes « réglementation » et « incitations » appliqués aux systèmes de prestation des soins, Saltman montre que le marché planifi é instauré par les réformateurs n’a pas amoindri le rôle de l’État. Bien au contraire, ses responsabilités en matière de réglementation se sont étendues.

« ...il est beaucoup plus complexe et beaucoup plus coûteux d’exercer une autorité de surveillance que d’opérer un contrôle direct. Négocier et suivre des contrats est plus compliqué et demande plus de personnel que fournir un budget. Concevoir des règlements liés aux résultats est plus diffi cile que publier des règles et des circulaires. »

« ... le passage à un environnement plus entrepreneurial, à l’intérieur comme à l’extérieur du secteur public, suppose non seulement un niveau similaire d’activité de l’État, mais des types et des niveaux d’activité nettement plus sophistiqués. Il faut pour cela du personnel mieux formé et plus motivé, des informations plus fi ables, et davantage de connaissances dans le domaine fi nancier et comptable. Tout cela a un coût élevé. Aussi le nouveau rôle de réglementation de l’État risque-t-il d’être au moins aussi onéreux que l’ancien modèle hiérarchique. Ce qui laisse penser que l’adoption d’incitations de type libéral comme dispositif central de gestion d’un système de santé n’est pas une stratégie adaptée à des États pauvres. »

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Instruments inspirés par les approches sectorielles (SWAp) dans les secteurs de la santé pendant ou après un confl it

L’intérêt suscité par les approches sectorielles (SWAp) comme moyen de rationaliser l’assistance extérieure et de renforcer la cohérence des actions sectorielles, et l’introduction de ces approches dans de nombreux secteurs de la santé dans le monde entier, ont placé ce concept au cœur des préoccupations des pays qui se relèvent d’une crise.

Les SWAp ont été défi nies de multiples façons, mais elles présentent généralement certaines grandes caractéristiques, notamment une stratégie sectorielle complète mise en œuvre sur le moyen terme, un programme de dépenses incluant les contributions les plus importantes, la participation de tous les intervenants majeurs et l’adoption de méthodologies communes alignées sur les procédures offi cielles.

Dans les secteurs de la santé confrontés à une cruelle pénurie de ressources et à un manque d’effi cacité dramatique, les perspectives de rationalité et d’exhaustivité ouvertes par les SWAp sont évidemment séduisantes. En fait, les milieux touchés par un confl it présentent de nombreuses caractéristiques qui devraient encourager l’adoption d’une approche sectorielle. L’effondrement des anciennes institutions, procédures et habitudes de travail peut favoriser la recherche de nouvelles approches. Le morcellement important de la plupart des secteurs de la santé frappés par un confl it, et leur manque d’effi cacité paralysant, exigent des mesures correctives. Pour répondre aux besoins et attirer des ressources extérieures supplémentaires là où l’aide est indispensable, il est primordial d’améliorer l’absorption et l’effi cacité de cette aide. L’hétérogénéité de nombreux secteurs de la santé touchés par un confl it favorise l’adoption de méthodes collaboratives. Et un cadre de relèvement est indispensable pour guider chaque participant indépendant dans la transition de la guerre à la paix.

Mettre en pratique ces idéaux reste extrêmement diffi cile. De nombreux problèmes liés à l’environnement politique, aux autorités bénéfi ciaires et aux partenaires du développement peuvent dissuader d’adopter une approche sectorielle.

Environnement politique. Sachant que le cadre politique a souvent disparu, les discussions sont paralysées par une mémoire institutionnelle défi ciente et restent confi nées à des cercles restreints. Les sensibilités politiques peuvent entraver la tenue de discussions « rationnelles ». La base d’informations sur laquelle doit s’appuyer une démarche de programmation solide est généralement insuffi sante. De plus, il est parfois impossible de prévoir la position fi nancière des nouveaux États ou des États qui émergent d’une crise prolongée. La capacité d’absorption est faible. Les systèmes de gestion des fi nances publiques, les organismes de réglementation, les agences de vérifi cation et même les banques commerciales peuvent ne pas exister ou être affaiblis. Dans un contexte de transition, les choses évoluent si vite qu’il est impossible de prolonger les négociations ou de prendre des engagements fermes, et les partenaires sous pression prennent des décisions hâtives.

Autorités bénéfi ciaires. Le gouvernement ne dirige pas comme il le devrait la formulation des politiques en raison de limitations de capacité, d’un pouvoir limité, d’une légitimité contestée, du manque d’aptitude des fonctionnaires nouvellement nommés ou de l’urgence d’autres tâches. D’un côté, un gouvernement composite et précaire risque d’hésiter à s’engager auprès d’un groupe solidaire d’organismes donateurs. D’un autre côté, les donateurs frileux évitent généralement de traiter directement avec un pouvoir central dont la légitimité est douteuse.

Partenaires du développement. Dans la plupart des régions en proie à un confl it, les donateurs ont des objectifs très différents. Les principales agences qui cherchent à renforcer leur infl uence ne sont pas toujours disposées à négocier ou à accepter des compromis. Il arrive que les organismes de secours et les ONG, qui connaissent mal les SWAp et ne leur trouvent guère d’intérêt, dominent le secteur de la santé, les gros bailleurs de fonds préférant rester en retrait, en particulier si l’issue politique de la crise est incertaine. Faute de limites imposées par les autorités bénéfi ciaires, des agences très combatives poursuivent leur programme dans leur coin, et justifi ent leur position par des problèmes d’urgence ou d’absorption. En outre, la prolifération d’intervenants privés (à but lucratif ou non) qui poursuivent chacun

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des objectifs différents toujours diffi ciles à concilier dans un cadre politique partagé, limite l’étendue, et donc l’effi cacité, du processus SWAp.

Tous ces problèmes peuvent expliquer pourquoi le Timor-Leste, jeune pays ayant connu une crise brève et intense et qui a été placé sous administration provisoire de l’ONU, est le seul endroit où une SWAp a été formellement adoptée dans le secteur de la santé (Tulloch et al., 2003).

Il existe des arguments très solides contre l’adoption d’une SWAp dans un contexte perturbé. Si une approche sectorielle est prématurée dans la plupart des situations de transition, la réfl exion sectorielle, elle, ne l’est pas. En fait, les approches adoptées pendant un processus de relèvement facilitent l’évolution structurelle à venir ou, au contraire, l’entravent. Plusieurs mesures peuvent être considérées comme les pièces maîtresses d’une future SWAp. Ces mesures sont également séduisantes en soi, en raison des gains d’effi cacité systémique qu’elles peuvent générer. Alors qu’un alignement total sur les systèmes et les procédures nationaux est généralement impossible, l’alignement offi cieux des programmes des donateurs sur des instruments concrets semble être le chemin à suivre (OCDE, 2004).

L’étude des secteurs de la santé frappés par un confl it montre que de nombreuses expériences sont menées pour résoudre le problème très répandu de la fragmentation. Divers instruments sectoriels ont été mis en place. Certains sont largement utilisés par la communauté de l’aide, d’autres sont le fruit d’initiatives locales destinées à résoudre des problèmes concrets. La plupart de ces instruments sont étudiés en détail dans d’autres sections de ce manuel.

Des analyses sectorielles ont été menées afi n d’élaborer une stratégie de relèvement de la santé (Mozambique 1990-1992), ou dans le cadre d’opérations plus vastes, notamment les Évaluations des besoins post-confl it (PCNA, voir l’Annexe 3) ou la formulation d’une stratégie de réduction de la pauvreté, comme en République démocratique du Congo et au Libéria. Tous les exemples connus correspondent à des analyses ponctuelles. Aucun secteur de la santé n’a essayé de se doter d’une capacité d’analyse permanente, sous la forme par exemple d’un observatoire des politiques de la santé. Étant donné les avantages qui pourraient en découler, il serait pourtant bon que les responsables qui amorcent une transition durable vers la paix envisagent la création d’un tel outil (voir l’Annexe 5 pour un examen rapide de cette question).

Les instruments communs de gestion de l’aide peuvent être polyvalents, comme les fonds fi duciaires multidonateurs (MDTF), ou spécialement destinés au secteur de la santé, comme les « fonds communs » destinés à couvrir les dépenses récurrentes ou l’achat de médicaments (voir le Module 8). Il existe d’autres dispositifs, notamment l’audit indépendant de l’exécution du soutien budgétaire, l’externalisation de la fourniture de services de santé, comme au Cambodge et en Afghanistan (voir l’Annexe 7), et les systèmes d’approvisionnement sectoriels. Le programme novateur d’achat et de distribution de médicaments mis en place en République démocratique du Congo est décrit rapidement dans l’ Étude de cas n° 19 du Module 11. Analyser le secteur pharmaceutique.

Les outils de programmation communs incluent des éléments de planifi cation comme l’aménagement normalisé des structures de santé à construire ou à rénover (Cambodge et Mozambique), des paquets de services de santé de base comme ceux mis en place en Afghanistan, en République démocratique du Congo, au Liberia et au Sud-Soudan, une grille commune des salaires pour les cadres nationaux à recruter comme en Afghanistan (voir l’Étude de cas n°9 du Module 5), des listes normalisées de médicaments essentiels et des directives thérapeutiques.

Les instruments communs relatifs aux ressources humaines peuvent porter sur la description des postes, les critères de certifi cation, la conception des cours et les supports de formation. Pour plus de détails, voir le Module 10. Analyser les ressources humaines du secteur de la santé.

Il existe des forums de coordination dans chaque secteur de la santé perturbé, mais ils sont le plus souvent considérés comme ineffi caces, comme nous l’avons vu au Module 5. La mise en place d’une partie des instruments sectoriels décrits précédemment, qui enjoignent

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les participants à partager les mêmes priorités et à adopter des démarches communes, constitue un excellent moyen d’apporter du contenu et du sens à des mécanismes de coordination vides.

Dans de tels contextes, d’autres instruments méritent d’être étudiés, notamment l’instauration d’une politique commune de partage des coûts, l’établissement d’un organisme d’agrément indépendant ou la normalisation des outils de collecte des données. Il y a de nombreuses leçons à tirer des innovations introduites dans les autres secteurs de la santé frappés par la guerre. Mais certains instruments sectoriels sont mal documentés ou mal connus à l’étranger. À l’inverse, les instruments qui ont la faveur du secteur de l’aide, notamment les PCNA et les MDTF, sont encouragés et appliqués dans les environnements les moins propices, avec les résultats que l’on imagine.

Pour faire avancer les choses, les possibilités offertes par les situations de transition doivent être exploitées dans une optique de développement, et correctement documentées et évaluées. Il convient d’examiner les mérites de chaque instrument, en s’interrogeant sur la possibilité de l’intégrer aux systèmes locaux remis sur pied. Les chances de réussite sont meilleures si les problèmes à traiter intéressent réellement la plupart des partenaires. Il arrive que, dans un premier temps, seuls participent quelques intervenants désireux de tester de nouvelles méthodes, et qu’ils soient ensuite rejoints par des partenaires plus prudents. La résolution d’un problème particulièrement épineux peut donner aux participants la confi ance nécessaire pour s’attaquer à d’autres diffi cultés.

La réfl exion sectorielle est indéniablement positive en termes de stratégie, car elle favorise l’identifi cation des problèmes systémiques (souvent négligés) et propose des solutions. Elle encourage l’étude des systèmes complexes en mouvement, et aide à défi nir une orientation à long terme. Des initiatives menées dans un cadre commun, et non au coup par coup renforcent spectaculairement la cohérence du secteur. En outre, la réfl exion sectorielle peut être très bénéfi que au niveau opérationnel, si elle permet de gagner en effi cacité, d’améliorer la transparence et de vérifi er l’authenticité des engagements. Les partenaires apprennent à négocier sur des procédures et des choix concrets, et sélectionnent un petit nombre de priorités réelles parmi des dizaines d’options. Par ailleurs, l’instauration d’instruments d’approche sectorielle offre aux partenaires les plus motivés un terrain d’apprentissage précieux, qui peut s’avérer plus effi cace que les formations habituelles de développement des capacités.

La diversité des instruments qui émergent dans un secteur de la santé en cours de relèvement offre des solutions de remplacement en cas d’interruption d’un programme majeur ou d’événement imprévu. Elle fournit également aux décideurs des éléments factuels à prendre en compte lorsqu’ils doivent faire un choix entre plusieurs options concurrentes. Sans cette pratique directe des avantages et des inconvénients des différentes approches, ce sont les théories et les arguments à la mode qui risquent de l’emporter.

La voie du relèvement sectoriel est semée d’une multitude d’écueils et d’embûches. Ainsi, des programmes trop ambitieux peuvent paralyser les opérations. Des approches intéressantes peuvent être entravées par des limitations de capacité et/ou des considérations politiques. Les revers politiques ou militaires portent atteinte aux engagements et à la confi ance, et poussent les partenaires à recourir à des méthodes d’urgence. Le coût d’opportunité de l’instauration d’instruments SWAp peut être supérieur aux bénéfi ces qui en découlent. Les apôtres des solutions miracles, des gains immédiats et des réformes radicales risquent de faire oublier que l’élimination de distorsions systémiques profondément enracinées ne se fait pas sans effort. Si trop d’acteurs travaillent à l’extérieur d’un cadre sectoriel, ils en réduisent de fait l’intérêt. Les changements dans les programmes, les équipes et les priorités des donateurs peuvent annuler des années de labeur et de réels progrès. Et la liste ne s’arrête pas là.

Pour un incrémentalisme stratégique. Le contexte de confl it ou de transition exige que l’on s’éloigne radicalement de l’approche classique de l’aide. Les négociations lentes, patientes, extensives qui mènent à une SWAp dans un secteur de la santé stable n’ont pas leur place dans un secteur instable. La multiplicité des acteurs et des programmes, caractéristique des environnements perturbés, doit se transformer en force, autrement dit en une source

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d’innovation et de concurrence entre les différents modes de prestation des services de santé. Prise de risque, sincérité, expérimentation, liberté opérationnelle, rapidité et sensibilité aux facteurs politique sont quelques-unes des qualités nécessaires si l’on veut encourager le relèvement systémique d’un secteur de la santé en crise.

Références bibliographiques

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Pavignani E. et Durão J. R. Managing external resources in Mozambique: building new aid relationships on shifting sands? Health Policy and Planning. 14: 243-253, 1999.

Tulloch J. et al. Initial steps in rebuilding the health sector in East Timor. Washington, DC, The National Academies Press, 2003.

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Notes: